Vous êtes sur la page 1sur 11

See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.

net/publication/324978197

L'Economie industrielle en mutation : Présentation

Article · October 2004

CITATIONS READS

0 21

1 author:

Abdelillah Hamdouch
Polytechnic School - University of Tours
122 PUBLICATIONS   1,062 CITATIONS   

SEE PROFILE

Some of the authors of this publication are also working on these related projects:

Espon TOWN View project

SINGOCOM View project

All content following this page was uploaded by Abdelillah Hamdouch on 06 May 2018.

The user has requested enhancement of the downloaded file.


L’ÉCONOMIE INDUSTRIELLE
EN MUTATION :
PRÉSENTATION

Abdelillah HAMDOUCH*

Ce numéro1 des Cahiers lillois d’économie et de sociologie intitulé


« L’Économie industrielle en mutation »2 s’inscrit dans l’esprit des « mi-
ses au point » qui jalonnent périodiquement l’évolution de cette discipline
Cependant, à la différence des grands recueils de contributions publiés
depuis le milieu des années 19803, il ne prétend pas à l’exhaustivité des
théories et des questions abordées en Économie industrielle. Il a été conçu
seulement dans le but de souligner certains axes importants du nécessaire
renouvellement de la réflexion dans ce domaine face aux changements

* Clersé-CNRS, Université de Lille 1. Abdel.Hamdouch@univ-lille1.fr.


1 Je tiens à remercier tout particulièrement Frédéric Héran pour son soutien à ce
projet et pour l’aide continue qu’il m’a apportée tout au long de sa réalisation.
Mes remerciements les plus vifs vont également à l’ensemble des auteurs et des
rapporteurs anonymes qui ont accepté de bonne grâce de se plier à des contraintes
temporelles de rédaction ou d’évaluation relativement fortes. Enfin, ma gratitude
va à Véronique Testelin pour son professionnalisme dans la mise en forme du
manuscrit et pour son extrême patience.
2 Ce titre fait écho à celui utilisé par J.-M. Chevalier pour son remarquable
ouvrage : L’Économie industrielle en question, Paris, Calmann-Levy, 1977.
3 Pour ne citer que quelques unes des publications marquantes allant dans ce sens
au cours des vingt dernières années, cf. : J. E. Stiglitz and G. F. Mathewson (eds.),
New Developments in the Analysis of Market Structure, London, The MacMillan
Press, 1986 ; R. Schmalensee and R. D. Willig (eds.), Handbook of Industrial
Organization, 2 vol., Amsterdam, North-Holland, 1989 ; B. Dankbar et al. (eds.),
Perpectives in Industrial Organization, Dordrecht, Kluwer Academic Publishers,
1990 ; R. Arena et al. (eds.), Traité d’économie industrielle, 2ème édition, Paris,
Economica, 1991 (1ère édition 1988) ; Revue d’économie industrielle, numéro hors
série : « Économie industrielle : développements récents », 1995 ; M. Rainelli et
al. (eds.), Les nouvelles formes organisationnelles, Paris, Economica, 1995 ; H.
Siebert (ed.), Trends in Business Organization: Do Participation and Cooperation
Increase Competitiveness?, Tübingen, J.C.B. Mohr, 1995 ; L. Phlips (ed.),
Applied Industrial Economics, Cambridge and New York, Cambridge University
Press, 1998 ; L. M. B. Cabral (ed.), Readings in Industrial Organization, Oxford,
Blackwell Publishers, 2000.

Cahiers lillois d’économie et de sociologie, n° 43-44, 1er et 2ème semestres 2004


Abdelillah Hamdouch

structurels en cours qui affectent autant les firmes que les dynamiques de
marché.
Le volume s’organise autour de l’idée centrale suivante : la mutation
profonde des structures et des stratégies industrielles – induite par le
rythme rapide des changements technologiques et la redéfinition de l'es-
pace d'interaction concurrentielle des firmes – à laquelle nous assistons
depuis une trentaine d’années invite à un renouvellement de la réflexion
sur les dynamiques industrielles contemporaines et, partant, à une reconsi-
dération des outils conceptuels et des schémas analytiques traditionnels de
l’Économie industrielle (y compris dans certains de ses développements
récents).
Les onze articles qui composent cet ouvrage tentent ainsi d’éclairer
des facettes importantes des mutations actuelles au niveau des « réalités »
industrielles observables et des approches théoriques susceptibles d’en
rendre compte de manière pertinente. Bien que comportant chacun à la
fois un contenu théorique et des dimensions plus empiriques, les diffé-
rents articles peuvent cependant être regroupés en deux grands ensembles
selon l’orientation principale donnée au papier. Les six premières contri-
butions se focalisent sur l’analyse des formes et des composantes des
transformations majeures qui affectent les structures des firmes et des
industries dans un cadre de redéfinition des déterminants spatiaux, organi-
sationnels et concurrentiels des activités industrielles et de services au
sein du capitalisme contemporain. Les cinq autres contributions tentent,
quant à elles, de rendre compte des principales approches théoriques sus-
ceptibles de fournir un cadre d’analyse des mutations industrielles obser-
vables.
La brève présentation qui suit met en perspective chacun de ces deux
sous-ensembles de contributions.
I- DE NOUVELLES DIMENSIONS DE L’ORGANISATION
ET DE LA DYNAMIQUE INDUSTRIELLES
De manière schématique, la mutation des structures et stratégies
industrielles au sein du capitalisme contemporain peut être repérée à cinq
niveaux principaux :
1) la « montée » des services et de l'immatériel qui, non seulement
souligne la place décisive que prennent la production et l'échange de con-
naissances dans l'organisation des firmes et la dynamique industrielle et
concurrentielle, mais se traduit aussi par une mutation profonde des struc-
tures productives, notamment au travers d'une imbrication croissante des
activités industrielles et de services ;
2) le rôle désormais décisif des processus de R&D et d’innovation
dans l'orientation des processus concurrentiels et la structuration des mar-

8
L’économie industrielle en mutation : Présentation

chés, qui se manifeste par l'émergence à la fois de nouveaux secteurs


d'activités et de nouvelles formes d'organisation industrielle ;
3) la redéfinition de l’espace pertinent de localisation et d’organi-
sation des activités des firmes (y compris en matière de R&D), avec
notamment une interaction croissante entre les dynamiques spatiales
nationales et régionales et les logiques d’intégration économique et de
globalisation ;
4) la reconfiguration du jeu concurrentiel, qui à la fois s'élargit aux
interactions hors marché, s'inscrit dans un espace géographique de plus en
plus ouvert et se structure de manière croissante sous forme de luttes-
coopérations intra et inter-coalitions de firmes rivales ou complémen-
taires ;
5) la redéfinition des frontières et des modes de gouvernance des
firmes, dont les déterminants deviennent à la fois multidimensionnels
(technologiques, institutionnels, financiers et géographiques) et évolutifs.
Avec des angles d’analyse et des objets thématiques variés, chacun
des six premiers articles offre un éclairage partiel ou plus global de ces
différentes tendances.
L’article de Didier Lebert et Carlo Vercellone propose une lecture à la
fois théorique et historique de la place centrale de la connaissance et de
l’immatériel dans la recomposition des dynamiques spatiales et tempo-
relles caractérisant le capitalisme dans son évolution actuelle. La thèse
proposée s’appuie sur l’idée que le rôle de la connaissance dans la dyna-
mique de la croissance et du progrès technique n’est pas une caractéris-
tique nouvelle du capitalisme. Selon D. Lebert et C. Vercellone, depuis la
première révolution industrielle et tout au long de l’évolution du capita-
lisme au cours des XIXe et XXe siècles, ce rôle a toujours été central. En
revanche, la phase actuelle de structuration et d’évolution du capitalisme
fait apparaître de nouvelles formes institutionnelles caractéristiques de
l’organisation de l’économie du savoir et de l’immatériel, fondant ainsi
les bases d’un « capitalisme cognitif » qui se substituerait progressive-
ment, depuis la crise du fordisme, à la logique du capitalisme industriel.
Situant l’analyse dans un cadre temporel restreint aux évolutions
récentes et en cours, l’article d’Abdelillah Hamdouch et d’Esther Samue-
lides offre un éclairage complémentaire de la problématique de la contri-
bution précédente. Il tente de montrer comment les nouvelles technolo-
gies, le développement structurel d’une économie de services et l’émer-
gence de nouveaux marchés placent l’innovation au cœur des dynamiques
industrielles et concurrentielles contemporaines. L’article se focalise tout
particulièrement sur l’impact de l’incertitude dans l’élaboration des mo-

9
Abdelillah Hamdouch

dèles d’engagement stratégique des firmes dans des activités d’innovation


et au niveau de l’adoption de nouvelles technologies. Il montre ainsi
comment les firmes confrontées à un degré croissant d’incertitude combi-
nent innovations technologiques et innovations de services afin de définir
leur insertion au sein de la dynamique concurrentielle qui caractérise les
secteurs et marchés liés aux nouvelles technologies. Il s’agit en particulier
des activités liées à l’essor des technologies de l’information et de la
communication, à l’électronique et aux biotechnologies.
Si l’innovation joue un rôle désormais central dans les dynamiques
organisationnelles et stratégiques des firmes, elle a également un impact
décisif sur la compétitivité des nations et des régions, notamment en
raison des effets structurants au plan spatial de la localisation des activités
de R&D. Se fondant sur une analyse approfondie de la localisation régio-
nale des activités de R&D en France au cours des années 1990, l’article
de Maurice Catin montre comment deux grandes logiques de concentra-
tion de ces activités ont caractérisé le développement technologique des
régions. La première logique correspond à une évolution de type
« décroissance relative–diversification » de la haute technologie vers des
technologies faibles ou moyennes. Elle caractérise tout particulièrement
l’évolution technologique de l’Île-de-France au cours de cette période.
Par contraste, la logique de « croissance–spécialisation » reflète l’évolu-
tion de la région de « second rang » qu’est Rhône-Alpes vers la haute
technologie. De manière plus systématique, l’article montre comment des
phénomènes de polarisation régionale des activités de R&D selon leur
intensité technologique se produisent et génèrent des effets différenciés en
termes de diffusion des connaissances et de proximité spatiale en fonction
de la nature plus ou moins codifiée des connaissances et de leur ancrage
sectoriel plus ou moins marqué.
Sur un plan plus général, la question de la localisation/délocalisation/
relocalisation des activités industrielles et de services dans un cadre de
mondialisation et de constitution d’espaces économiques intégrés consti-
tue l’un des traits majeurs des mutations industrielles en cours. Elle pré-
sente un enjeu crucial pour les firmes, mais aussi pour les nations et les
régions bénéficiaires ou perdantes, notamment en termes d’emplois,
d’inégalités de revenus et de développement d’un tissu économique com-
pétitif face à la concurrence internationale. L’article proposé par Hadjila
Krifa-Schneider tente précisément de cerner les bases théoriques et de
retracer les grandes tendances des mouvements de recomposition spatiale
de la localisation des activités des entreprises, notamment des firmes mul-
tinationales (FMN). L’article se fonde sur l’analyse des flux d’inves-
tissements directs à l’étranger (IDE) afin de fonder l’hypothèse selon
laquelle l’impact de l’IDE sur l’emploi dépend principalement des stra-

10
L’économie industrielle en mutation : Présentation

tégies des FMN resituées dans le contexte de leur environnement sec-


toriel.
Parallèlement aux phénomènes de concentration spatiale des activités,
un autre trait fondamental des mutations en cours concerne le vaste mou-
vement actuel de concentration, industrielle et financière cette fois-ci, de
la plupart des grands secteurs industriels et de services à l’échelle inter-
nationale. La question posée ici est celle de l’évolution des formes de
propriété et de contrôle du capital des entreprises et, incidemment, des
transformations portant sur la nature et la « localisation » du pouvoir de
décision au sein des grandes entreprises concernées par le mouvement
continu de fusions et acquisitions amorcé depuis les années 1990. L’ar-
ticle de Med Kechidi, qui étudie minutieusement ces phénomènes et leurs
causes, met en évidence la montée d’une logique de « financiarisation »
des concentrations au sein de laquelle les investisseurs institutionnels
internationaux (notamment les fonds de pension et les fonds d’investis-
sement) jouent un rôle central.
Cependant, quelle qu’en soit la logique sous-jacente (financière ou
industrielle), les rapprochements entre firmes ne se limitent pas à des opé-
rations de concentration capitalistique. En effet, parallèlement au déve-
loppement des F&A, les firmes ont également déployé des stratégies de
formation d’alliances, de partenariats et de réseaux extrêmement denses et
diversifiés. L’article de Marc-Hubert Depret et d’Abdelillah Hamdouch
montre ainsi comment ces stratégies « coopératives » se combinent aux
F&A pour fonder une logique plus globale de « coalitions » au sein d’un
jeu concurrentiel qui devient de plus en plus « collectif » et intertemporel.
Dans ce cadre, les relations coopératives apparaissent tout aussi fonda-
mentales que les F&A dans un contexte de changements technologiques
et institutionnels (déréglementation, libéralisation, privatisation) rapides
et profonds. Ces changements se traduisent à la fois par une diversifica-
tion des sources d’incertitude et une interdépendance croissante entre les
compétences de firmes à la fois spécialisées et étroitement complémen-
taires. La logique de rapprochement capitalistique et coopératif entre
firmes, qui caractérise tout particulièrement les secteurs où l’innovation
joue un rôle central, se traduit alors par la mise en œuvre de stratégies de
préemption très en amont des marchés des partenaires cruciaux pour
former les coalitions et les réseaux les plus puissants.
II- EN QUÊTE DE THÉORIES
Cette économie industrielle en mutation rapide dessine ainsi de nou-
velles « règles du jeu » concurrentiel et de nouveaux modes d'organisation
industrielle qui invitent à s'interroger sur la portée de certains concepts ou
outils d'analyse traditionnels de l'Économie industrielle, et, parallèlement,

11
Abdelillah Hamdouch

à réfléchir à de nouvelles conceptualisations, plus en phase avec les chan-


gements structurels et stratégiques observables.
Des notions telles que celles de marché pertinent, de barrières à l’en-
trée et à la mobilité, de domination et de concurrence elle-même néces-
sitent d’être réexaminées avec soin pour tenir compte du caractère désor-
mais intertemporel et fondamentalement évolutif des déterminants des
structures des marchés et des stratégies des firmes. En particulier, la
rapidité des changements technologiques et la nature transversale de la
plupart des nouvelles technologies relativisent généralement l’intensité et
la durabilité des barrières à l’entrée et à la mobilité et des positions de
domination, « brouillent » souvent les frontières des secteurs et des mar-
chés et, par-dessus tout, induisent un jeu concurrentiel particulièrement
dynamique.
De fait, les nouvelles dynamiques technologiques, organisationnelles
et concurrentielles constitutives de cette économie industrielle en muta-
tion soulignent la complexité des formes d’interaction entre agents dans
des environnements incertains et en évolution rapide. En effet, si ces inte-
ractions et multiples formes de collaboration sont productrices d'appren-
tissages croisés décisifs, elles posent généralement aussi de redoutables
problèmes de coordination dont les approches habituelles de la firme et
des relations interfirmes ont du mal à rendre compte.
Plus généralement, en dépit d’apports théoriques ou empiriques par-
fois significatifs au cours des années récentes, toute une série de dimen-
sions qui apparaissent désormais décisives pour les stratégies des firmes
et l’évolution des industries et des marchés dans un cadre de globalisation
et de changements technologiques rapides et profonds n’ont pour l’instant
pas fait l’objet d’un raccordement suffisant ou satisfaisant aux principales
problématiques théoriques de l’Économie industrielle. Il s’agit en particu-
lier des questions ayant trait à la structuration spatiale et inter-spatiale des
activités, à l’organisation et aux modes de « gouvernement » des entre-
prises et, enfin, aux modalités d’interaction entre les firmes dans un con-
texte dynamique. L’économie industrielle en mutation appelle de fait une
mutation de l’Économie industrielle en tant que discipline s’attachant à
étudier conjointement les structures et le fonctionnement des industries et
des marchés, et l’organisation et le comportement des firmes.
Les cinq articles qui composent le second sous-ensemble de con-
tributions à ce volume tentent de pointer les apports théoriques les plus
marquants de ces quinze ou vingt dernières années, tout en en soulignant
les limites et en suggérant certains axes de dépassement ou d’approfon-
dissement.
L’article de Claire Pignol propose une mise en perspective des apports
et limites de la « Nouvelle Economie Industrielle ». Il s’agit des nom-

12
L’économie industrielle en mutation : Présentation

breux travaux théoriques développés à partir des années 1970 qui s’atta-
chent à analyser les situations de concurrence imparfaite sur les marchés
en mobilisant les outils de la théorie des jeux non coopératifs. Ces travaux
ont permis de reformuler dans un cadre unifié les modèles de Robinson et
de Chamberlin remontant aux années 1930, mais l’essentiel des dévelop-
pements récents se sont faits dans la lignée de modèles « canoniques »
encore plus anciens : ceux de Bertrand et de Cournot. L’analyse est donc
centrée sur les interactions stratégiques en situation de concurrence oligo-
polistique. C. Pignol souligne les difficultés inhérentes à ces modèles
(notamment au niveau de la définition des « règles du jeu » spécifiant la
configuration d’interaction stratégique) et montre que, si des progrès ont
été accomplis au plan analytique, la question économique fondamentale
de la coordination des agents par les prix reste largement problématique.
Au total, en dépit de la place dominante qu’elle occupe aujourd’hui en
économie industrielle au sein du monde académique, cette approche reste
confinée dans un cadre essentiellement statique (y compris dans les confi-
gurations de jeux répétés) qui ne permet pas d’intégrer de manière satis-
faisante le caractère fondamentalement dynamique et incertain des pro-
cessus concurrentiels caractérisant les marchés actuels.
Un autre corpus important de théorisation des processus de con-
currence ayant pour ambition de fournir de nouveaux fondements aux
politiques antitrust s’est également constitué à partir des années 1970
autour de l’« École de Chicago ». Cette approche assimile la concurrence
à un processus de « sélection naturelle » (c’est-à-dire par l’efficience)
dans un environnement évolutif imposant aux firmes de s’adapter sous
peine de s’affaiblir ou de disparaître. C’est ce courant « activiste » que
Béatrice Dumont analyse avec minutie dans son article. Elle y passe en
revue les principaux principes fondateurs de cette approche et en évalue
les limites à la lumière d’une série d’exemples d’affaires antitrust ayant
impliqué des grandes firmes américaines ou européennes. Elle montre en
particulier que, si ce courant a largement influencé l’évolution des prati-
ques de l’antitrust américain, l’adoption des principes préconisés (nou-
velle manière de délimiter les « marchés pertinents », concept de « mar-
ché d’innovation », notion de « position dominante précoce », etc.) ne
débouche sur aucune conclusion générale quant à l’évaluation des effets
pro ou anti-concurrentiels des concentrations et des stratégies technologi-
ques des firmes sur les marchés où la R&D et l’innovation jouent un rôle
clé. En réalité, comme le montre B. Dumont, cette indétermination au
niveau des principes mène à des approches « au coup par coup » de la part
des autorités antitrust au gré des affaires qu’elles ont à juger, avec toutes
les conséquences en termes d’arbitraire et de possible incohérence tem-
porelle des décisions que cette approche « pragmatique » peut induire.

13
Abdelillah Hamdouch

L’article de Bernard Paulré traite des apports importants de l’évo-


lutionnisme contemporain à l’analyse du changement technique et de
l’innovation. En particulier, ces approches ont permis des progrès décisifs
dans la compréhension à la fois des processus initiant et structurant les
changements technologiques et de la manière dont les activités d’innova-
tion impactent la direction et les effets du changement technique selon les
« trajectoires » technologiques suivies. L’analyse porte sur l’évolution de
la structure productive d’un secteur et des firmes qu’il regroupe. Ici aussi,
les mécanismes de sélection (à côté des processus d’apprentissage) jouent
un rôle essentiel, mais avec des conceptions et des implications différen-
ciées de ces mécanismes. En ordonnant les différentes approches évolu-
tionnistes en fonction d’une série de critères fondamentaux, B. Paulré
identifie trois grands « pôles » dans l’évolutionnisme contemporain : le
« pôle sélectionniste » (initié notamment par Nelson et Winter), le « pôle
structuraliste » (Dosi, Freeman, Lundvall, etc.) et le « pôle de la rétro-
action positive et des structures émergentes » (Arthur, David, Katz et
Shapiro, etc.). Chacun de ces pôles a sa logique propre mais, loin d’être
imperméables entre elles, les différentes approches entretiennent des liens
parfois importants. Au total, l’article de B. Paulré brosse un tableau fouil-
lé des principes et mécanismes évolutionnaires fondant les dynamiques de
changement technologique. Il offre ainsi au lecteur une grille d’analyse
particulièrement utile pour saisir la complexité des processus à l’œuvre
dans les évolutions contemporaines de secteurs majeurs examinés dans
certaines des contributions de ce volume (biotechnologies, NTIC, etc.).
Les deux dernières contributions de ce numéro sont consacrées aux
théories de la firme et de l’organisation, mais avec des problématiques et
des finalités spécifiques. L’article de Christian Palloix propose une
reconstruction de la théorie de la firme (et de son organisation) en mobi-
lisant les apports du « vieil institutionnalisme » (celui de Veblen et
Commons, notamment) et l’analyse structuraliste du système industriel. Il
y défend l’idée que la firme ne peut être comprise qu’au travers du prisme
de « la construction sociale du marché ». C’est cette construction qui
définit les modes de coordination des firmes et les structures de gouver-
nance qui les caractérisent. Sur la base d’une typologie de ces méca-
nismes et de leurs « fonctions attendues », Ch. Palloix propose alors, au
confluent d’apports théoriques issus aussi bien des sciences de gestion
(théorie des organisations, approches historiques « à la Chandler », etc.)
que des sciences économiques, une conceptualisation de la firme à la fois
comme arrangement institutionnel et comme arrangement organisation-
nel. Au total, comme le soutient l’auteur, c’est le « triangle marché-firme-
organisation » qui conditionne la progression vers une théorie « fondée »
de la firme et de ses modes d’organisation.

14
L’économie industrielle en mutation : Présentation

L’article proposé par Frédéric Héran souligne lui aussi la nécessité de


prendre en compte les apports respectifs de la gestion et de l’économie si
l’on souhaite aller vers une meilleure compréhension de l’organisation
des firmes et des relations interfirmes. F. Héran se positionne cependant
sur une problématique sensiblement différente de celle de l’article pré-
cédent. Ici, l’auteur défend l’idée que l’analyse de la firme et des relations
interfirmes nécessite une théorie de la production et une théorie de
l’organisation plus substantielles. Dans ce cadre, la thèse avancée est que
c’est l’émergence depuis le milieu des années 1970 d’un nouveau mode
d’organisation centré sur les processus de production (qui tend à se substi-
tuer au mode d’organisation fonctionnelle apparu au début du XXe siècle)
qui induit un changement radical dans l’organisation interne des firmes
expliquant en partie les transformations actuelles des relations interfirmes.
Pourtant, selon F. Héran, les fondements d’une telle théorie peuvent être
trouvés chez les auteurs classiques de l’organisation productive même
s’ils restent relativement méconnus. En mobilisant ces apports, l’auteur
montre alors comment ils permettent de rendre compte des changements
organisationnels actuels et, par suite, d’éclairer l’évolution des relations
interfirmes telle qu’on peut l’observer aujourd’hui (organisation en ré-
seau, relations centrées sur les compétences, etc.).
Au total, si ces différents apports théoriques permettent de progresser
vers une meilleure représentation des dynamiques technologiques, organi-
sationnelles, spatiales et concurrentielles au cœur des mutations indus-
trielles en cours, beaucoup reste encore à faire. Pour pouvoir refléter
correctement des réalités industrielles inédites, complexes et mouvantes,
l’Economie industrielle nous semble ainsi devoir inscrire ses outils analy-
tiques et ses modèles dans une perspective explicitement dynamique, en
accordant une place centrale à la fois aux processus d’émergence et de
diffusion des connaissances, des technologies et des compétences, et à la
nature complexe et évolutive des modes d’interaction et de coordination
entre des partenaires privés et institutionnels variés, sur les marchés et
hors marché.
L’Économie industrielle est ainsi condamnée à rester « en chantier »
pendant sans doute de nombreuses années encore et à susciter de nou-
veaux efforts de recherche de manière continue. Face à des réalités sans
cesse changeantes, il semble même difficile de concevoir une évolution
de la discipline vers des concepts, des modèles et des « faits stylisés »
relativement stables. La « vieille dame » est ainsi appelée à se régénérer
en permanence si elle veut continuer d’occuper la place particulière
qu’elle tient dans les sciences économiques depuis son émergence dans
les années 1880 et son « officialisation » à la fin des années 1930 : celle
d’une discipline tournée vers l’analyse des phénomènes industriels, tech-

15
Abdelillah Hamdouch

nologiques et concurrentiels « réels » et non pas centrée sur la théorisa-


tion de situations hypothétiques ou abstraites. Ce n’est également qu’à ce
prix que les économistes industriels pourront continuer de faire « œuvre
utile » en offrant aux décideurs publics et privés des analyses robustes des
situations complexes qu’ils cherchent à démêler.

16

View publication stats

Vous aimerez peut-être aussi