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STRATÉGIQUES
Jean-Luc Arrègle
2006/1 - no 160
pages 241 à 259
ISSN 0338-4551
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Jean-Luc Arrègle
1. Notamment Edith Penrose, Theory of the Growth of the Firm, John Wiley, New York, 1959.
L’analyse « Resource Based » 243
Le rôle-clé que jouent les ressources rares d’une entreprise impose une définition
des différents types de ressources importantes avant d’expliciter les fondements théo-
riques de cette approche.
1. Quelques définitions
Les ressources d’une entreprise sont fondamentales pour cette analyse. Or, elles
peuvent être de différents types. Il faut donc définir les termes utilisés dans la littéra-
ture (inputs, ressources, compétences stratégiques, capacités dynamiques).
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2. D. Teece, G. Pisano et A. Shuen, “Dynamic capabilities and strategic management”, article de recherche,
Université de Californie, Berkeley, juin 1992.
3. Cette notion relève de la même philosophie que les capacités d’une entreprise définies par le Boston
Consulting Group ; G. Stalk, P. Evans, et E. Shulman, “Competing on capabilities: the new rules of Cor-
porate Strategy”, Harvard Business Review, p. 57-69, mars-avril 1992.
4. P. Verdin et P. Williamson, “Successful Strategy: Stargazing or Self-Examination”, European Manage-
ment Journal, vol. 12, n° I, p. 15, 1994.
L’analyse « Resource Based » 245
Parmi les compétences d’une entreprise, certaines sont critiques pour sa survie.
Ce sont les compétences stratégiques ou compétences de base. Elles ont les caracté-
ristiques suivantes5 :
– elles fournissent des accès potentiels à une grande variété de marchés,
– elles contribuent de manière importante à la valeur perçue par les clients du pro-
duit final,
– elles sont difficiles à imiter pour les entreprises concurrentes.
Les capacités dynamiques : ce sont les capacités de l’entreprise pour renouveler,
augmenter, et adapter ses compétences stratégiques. Comme les ressources d’une
entreprise, les compétences doivent aussi évoluer. Les capacités dynamiques permet-
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2. Fondements théoriques
Le point de départ de ce courant est le constat empirique que les entreprises dans
une même industrie sont différentes les unes des autres, et qu’il existe une certaine
inertie entre ces différences7, 8.
Ce constat est à la base de nombreux développements de la stratégie. Classique-
ment, ce problème a été traité dans le cadre d’une approche industrielle reposant sur
5. C. K. Prahalad et G. Hamel, “The core competence of the corporation”, Harvard Business Review,
p. 84, mai-juin, 1990.
6. J. Klein, G. Edge, et T. Kass, “Skill based competition”, Journal of General Management, vol. 16, n° 4,
p. 5, 1991.
7. R. Rumelt, D. Schendel et D. Teece, “Strategic management and economics”, Strategic Management
Journal, vol. 12, p. 13, 1991 ; E. Penrose, op. cit, 1959.
8. Ce point ne doit pas entraîner de confusions. L’approche Resource Based ne prétend pas qu’un avantage
est inimitable. Tous les avantages sont un jour ou l’autre imités. Elle considère que, selon les caractéris-
tiques des ressources, les avantages seront plus ou moins défendables, plus ou moins imitables.
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9. D. Aaker et B. Mascarenhas, “Mobility barriers and strategic groups”, Strategic Management Journal,
vol. 10, 1989, p. 475-485.
10. R. Grant, “The resource based theory of competitive advantage : implications for strategy formulation”,
California Management Review, printemps 1991, p. 117.
11. M. Peteraf, “The cornerstones of competitive advantage”, Strategic Management Journal, vol. 14,
n° 3, mars 1993, p. 184.
12. Cf. B. Klein, R. Crawford et A. Alchian, “Vertical integration, appropriable rents and the competitive
contracting process”, Journal of Law and Economics, n° 21, 1978, p. 297-326.
L’analyse « Resource Based » 247
supérieur au prix que Y sera prêt à payer. X ne paiera donc pas l’actif selon sa valeur
réelle pour elle mais selon sa valeur pour un concurrent moins efficace. Cet écart est
une quasi-rente.
Cette approche se centre donc sur les actifs stratégiques qui permettent de déve-
lopper ces rentes et ne considère l’industrie que comme un champ d’utilisation de ces
actifs. Selon cette approche, la structure d’une industrie per se n’explique pas des
résultats supérieurs à la normale.
Deux entreprises concurrentes possèdent un ensemble de ressources hétérogènes.
Cette différence de ressources se traduira pour ces entreprises par une différence de
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13. J. T. Mahoney et J. R. Pandian, “Resource Based view within the conversation of strategic manage-
ment”, Strategic Management Journal, juin 1992, p. 371.
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qui a des actifs dont la création a nécessité plusieurs années, ils ne pourront obtenir
le même résultat en allouant les mêmes investissements sans attendre le même laps
de temps. Toutes les tentatives pour « comprimer » la durée de création entraînent des
résultats inférieurs a ceux obtenus par l’entreprise-cible. Les investissements finan-
ciers ne permettent pas d’annuler le désavantage lié au temps.
Par exemple, il apparaît que les programmes de R&D qui se caractérisent par un
investissement brutal et massif (programme « crash ») ont des résultats inférieurs aux
programmes de R&D qui allouent la même somme sur une période plus longue17. De
même, si l’entreprise vend des biens durables ayant une vie assez longue, ou si le taux
de rotation des clients dans une industrie est faible, un concurrent qui attaque l’en-
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17. J. Reinganum, “A dynamic game of R&D : patent protection and competitive behaviour”, Econome-
trica, 1982, p. 671-688.
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DCC : les bibliothèques de titres parus dans chaque standard jouent un rôle important
18. D. Teece, “Profiting from technological innovation”, The Competitive Challenge, édité par D. Teece,
p. 170, Ballinger, 1987, p. 192.
L’analyse « Resource Based » 251
le développement de l’entreprise.
Figure 1
DÉPRÉCIATION DES ACTIFS STRATÉGIQUES
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Figure 2
TAXONOMIE DES COMPÉTENCES
transfert difficile transfert facile
tacite explicite
élément indépendant
d’un système
5. L’ambiguïté causale
Il s’agit de l’ambiguïté qui existe entre une cause et une conséquence. Elle rend
difficile pour l’entreprise ou pour un concurrent l’identification, et donc l’imitation,
des actifs stratégiques qui permettent de développer un avantage concurrentiel. Si un
concurrent n’arrive pas à identifier correctement les actifs stratégiques de l’entre-
prise, il aura de grandes difficultés à les imiter. De même, si ces actifs stratégiques
sont tacites ou ambigus les concurrents auront des difficultés à cerner leur fonction-
nement et leur utilisation.
Trois dimensions19 permettent d’apprécier l’ambiguïté causale d’actifs straté-
giques :
– leur aspect tacite : absence de codification, de règles… ;
19. R. Reed et R. J. De Filippi, “Causal ambiguity, barriers to imitation and sustainable competitive advan-
tage”, Academy of Management Review, vol. 15, n° 1, 1990, p. 88-102.
L’analyse « Resource Based » 253
Les actifs stratégiques de l’entreprise doivent rester pertinents pour répondre aux
attentes des acheteurs et aux caractéristiques de l’industrie. L’entreprise doit donc sur-
veiller son environnement et ses concurrents actuels ou potentiels pour que ces actifs
stratégiques ne deviennent pas obsolètes.
Les stratégies de rupture menées par des concurrents menacent fréquemment les
actifs des entreprises. En effet, ces stratégies peuvent rendre obsolètes les ressources
et compétences stratégiques d’une entreprise en changeant le fonctionnement d’une
industrie. À cet égard, les substitutions d’actifs sont beaucoup plus risquées pour une
entreprise que la substitution de produit21.
Un nouveau produit d’un concurrent peut nécessiter le lancement d’un nouveau
produit sans pour autant remettre en cause les actifs stratégiques d’une entreprise. Si
20. S. Winter, “Knowledge and Competence as Strategic Assets”, The Competitive Challenge, édité par
D. Teece, Ballinger, 1987, p. 170.
21. I. Dierickx et K. Cool, op. cit., 1989.
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Tableau 1
EFFICACITÉ MOYENNE DES BREVETS
POUR PROTÉGER DE L’IMITATION
Activités Nouveaux processus Nouveaux produits
22. R. Jacobson, “The Austrian school of strategy”, Academy of Management Review, vol. 17, n° 4,
octobre 1992, p. 798.
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directs que d’entreprises qui n’étaient pas, jusqu’à présent, des concurrentes, ou
même qui appartenaient à d’autres secteurs d’activité.
Par exemple, Dell a substitué l’actif « réseau de distribution » que possédaient des
entreprises comme IBM, en vendant uniquement des micro-ordinateurs par corres-
pondance.
De même, l’apparition des Minilabs installés chez les photographes et permettant
de développer des photographies en une heure a rendu inutile la ressource stratégique
de grandes entreprises, telle Kodak, permettant de collecter les pellicules à dévelop-
per auprès des photographes, assurer leur développement de manière efficace dans un
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La position privilégiée que possède une entreprise grâce à ses actifs stratégiques
doit se maintenir. Pour cela, il est nécessaire que les concurrents ne puissent pas se
les procurer en les achetant.
Les actifs stratégiques sont généralement composés de ressources et de compé-
tences qui sont, par définition, spécifiques à une entreprise. Il n’existe donc pas de
marché où ces actifs s’échangent. Les marchés des actifs stratégiques ne sont ni com-
plets ni parfaits.
Cet aspect des actifs stratégiques fait qu’ils seront rarement composés d’inputs
puisqu’ils peuvent s’échanger sur des marchés. La seule possibilité pour que des
inputs soient des actifs stratégiques est que les marchés associés à ces facteurs de pro-
duction soient imparfaits créant une limite ex ante à la compétition pour des actifs23
Cette limite ex ante se traduit par une faible concurrence entre entreprises pour une
ressource ou une position.
De plus, si les marchés des inputs sont efficients il n’y aura pas d’incertitude ex
ante sur la valeur d’un facteur de production car les vendeurs apprécieront les res-
sources que l’entreprise peut générer à partir de ces inputs et ils adapteront en consé-
quence leurs prix de vente. Les rentes qu’aurait pu créer l’entreprise seront appro-
priées par les fournisseurs d’inputs qui auront pu apprécier leur valeur pour
l’entreprise acheteuse.
Les marchés des inputs doivent donc être imparfaits (il doit y avoir une incertitude
sur la valeur des facteurs) pour que les rentes ne soient pas détruites par les prix des
inputs qui permettent la création des ressources de l’entreprise.
24. J. Barney, “Strategic factor markets”, Management Science, octobre 1986, p. 1231-1241.
25. D. Colis, “A resource based analysis of global competition”, Strategic Management Journal, vol. 12,
1991, p. 50.
26. P. Ghemawat, “Commitment : the dynamic of strategy”, Free Press, 1991, p. 14.
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tation, elle aura de grandes difficultés à le faire car elle ne saura pas précisément sur
quels leviers agir.
Le diagnostic stratégique d’une entreprise doit donc aborder les dimensions sui-
vantes pour tenir compte des actifs stratégiques d’une entreprise :
1) analyse transversale (à un instant) par l’étude du processus de création de
valeur, il s’agit donc de l’étude du positionnement concurrentiel de l’entreprise ;
2) analyse de l’aspect « défendable » des avantages (analyse similaire à celle de
l’identification des actifs stratégiques) ;
3) analyse de la flexibilité27 des actifs stratégiques : étude de la possibilité de
modifier et d’adapter les stratégies basées sut les actifs stratégiques de l’entreprise en
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27. Certaines applications de la théorie des options à la stratégie essaient d’apprécier cette flexibilité, par
exemple E. Bowman et D. Hurry, « Strategy through the option lens : an integrated view of resource invest-
ments and the incremental-choice process », Academy of Management Journal, octobre 1993, p. 760-782.
28. C. K. Prahalad et G. Hamel, « Strategic intent », Harvard Business Review, mai-juin 1989, p. 63-76.
29. C. K. Prahalad et G. Hamel, « Strategy as Stretch and Leverage », Harvard Business Review, mars-avril
1993, p. 75.
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Bibliographie
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gement Journal, vol. 10, 1989, p. 475-485.
Barney J., “Strategic factor markets”, Management Science, octobre 1986,
p. 1231-1241.
Bowman E., Hurry D., “Strategy through the option lens: an integrated view of
resource investments and the incremental-choice process”, Academy of Management
Journal, octobre 1993, p. 760-782.
Collis D., “A resource-based analysis of global competition”, Strategic Management
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Reed R., De Filippi R., “Causal ambiguity, barriers to imitation and sustainable com-
petitive advantage”, Academy of Management Review, vol. 15, n° 1, 1990, p. 88-102.
Reinganum J., “A dynamic game of R&D: patent protection and competitive beha-
viour”, Econometrica, 1982, p. 671-688.
Rumelt R., “Towards a Strategic Theory of the Firm”, Competitive Strategic Mana-
gement, édité par R. B. Lamb, Prentice Hall, 1984, p. 566-570.
Rumelt R., Schendel D., Teece D., “Strategic management and economics”, Strategic
Management Journal, vol. 12, 1991, p. 13.
Stalk G., Evans P., Shulman E., “Competing on capabilities: the new rules of Corpo-
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