Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Licence 1 - Logique et Philosophie

La logique dans la littérature

(Quelques exemples « diaboliques »)

Dante, La Divine Comédie (1307-1321), « L’enfer », chant XXVII, v. 112-123.

Trad. fr. H. Longnon, Paris, Classiques Garnier, 1951.

Quand je fus mort, Frère François s’en vint

Pour me chercher ; mais un noir chérubin
Lui dit : « Ne le prends pas : ne me fais pas ce tort.
« Il doit venir en bas rejoindre mes esclaves :
Il a donné le conseil de tromper,
Et, depuis lors, je le tiens aux cheveux.
« Si l’on ne se repent, on ne peut être absous :
Vouloir et repentir ensemble est impossible,
Car l’interdit la contradiction. »
Malheur à moi ! quel réveil ce me fut
Quand il me prit, en me disant : « Peut-être
Ne pensais-tu que j’étais logicien ? »

Johann Wolfgang von Goethe, Faust (1808), scène « Cabinet d’étude ».

Trad. fr. G. de Nerval, Paris, Flammarion, 1964.

L’ÉCOLIER. Je souhaiterais de devenir fort instruit, et j’aimerais assez à pouvoir embrasser

tout ce qu’il y a sur la terre et dans le ciel, la science et la nature.
MÉPHISTOPHÉLÈS. Vous êtes en bon chemin ; cependant il ne faudrait pas vous écarter beau-
coup.
L’ÉCOLIER. M’y voici corps et âme ; mais je serais bien aise de pouvoir disposer d’un peu de
liberté et de bon temps aux jours de grandes fêtes, pendant l’été.
MÉPHISTOPHÉLÈS. Employez le temps, il nous échappe si vite ! cependant l’ordre vous ap-
prendra à en gagner. Mon bon ami, je vous conseille avant tout le cours de logique. Là on vous
dressera bien l’esprit, on vous l’affublera de bonnes bottes espagnoles, pour qu’il trotte prudemment
dans le chemin de la routine, et n’aille pas se promener en zigzag comme un feu follet. Ensuite, on
vous apprendra tout le long du jour que pour ce que vous faites en un clin d’œil, comme boire
et manger, un deux, trois, est indispensable. Il est de fait que la fabrique des pensées est comme
un métier de tisserand, où un mouvement du pied agite des milliers de fils, où la navette monte

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et descend sans cesse, où les fils glissent invisibles, où mille nœuds se forment d’un seul coup : le
philosophe entre ensuite, et vous démontre qu’il doit en être ainsi : le premier est cela, le second
cela, donc le troisième et le quatrième cela ; et que si le premier et le second n’existaient pas, le
troisième et le quatrième n’existeraient pas davantage. Les étudiants de tous les pays prisent fort ce
raisonnement, et aucun d’eux pourtant n’est devenu tisserand. Qui veut reconnaître et détruire un
être vivant commence par en chasser l’âme : alors il en a entre les mains toutes les parties ; mais,
hélas ! que manque-t-il ? rein que le lien intellectuel 1 . La chimie nomme cela encheiresin naturæ 2 ;
elle se moque ainsi d’elle-même, et l’ignore.
L’ÉCOLIER. Je ne puis tout à fait vous comprendre.
MÉPHISTOPHÉLÈS. Cela ira bientôt beaucoup mieux, quand vous aurez appris à tout réduire
et à tout classer convenablement.

Suggestion de lecture
Lisez la pièce de théâtre Rhinocéros de E. Ionesco. Quelle est l’image de la logique et du logicien
qui en ressort ?

1. Il voudrait mieux traduire « geistige Band » par « lien spirituel », plutôt que par « lien intellectuel » (voir la
traduction de J. Amsler pour l’édition Gallimard (Folio).
2. Cette expression est composée d’un terme grec, encheiresin (qui est l’accusatif du mot encheiresis, « main »), et
d’un terme latin, naturæ (qui est le génitif du mot natura, « nature »). Littéralement, elle peut être traduite comme
« manipulation de la nature ».