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FREUD
ET L'INCONSCIENT
Freud a emprunté à sa propre vie le
matériel de la psychanalyse. Il a dû
s'appuyer sur un désir inédit pour
imposer sa découverte, soutenir la pratique
de la cure et transmettre vivante la psychana-
lyse. Sexualité infantile, inconscient, trans-
fert, répétition, pulsion, les concepts de la
psychanalyse, un siècle après son invention,
continuent à faire des vagues dans la mare du
savoir : indissociables de la main qui les a
lancés. Cet ouvrage fait le lien étroit entre la
vie et l'œuvre du « père de la psychanalyse ».
Un savant en rupture
Hypnose, suggestion et catharsis 20-21
Les paralysies hystériques 22-23
La rencontre avec l'hystérique 24-25
L'invention de la psychanalyse
L'association libre et la cure 26-27
Le sexuel est traumatique 28-29
Fantasme et réalité 30-31
L'inconscient dans tous ses états 32-33
Le désir de Freud
L'autoanalyse 34-35
Freud intraitable 36-37
Le désir de l'analyste 38-39
Un nouveau savoir
Le complexe d'Œdipe, la première topique 40-41
Pulsion et instinct, la seconde topique 42-43
Transfert et répétition 44-45
Complexe de castration et au-delà de l'œdipe 46-47
Actualité de Freud
Pulsion de mort et civilisation 48-49
Freud, le juif athée 50-51
Psychanalyse et religion 52-53
Politique et transmission de la psychanalyse 54-55
Freud, passeur vivant 56-57
Approfondir
Glossaire 58 à 62
Bibliographie 62-63
Index 63
Les mots suivis d'un astérisque (*) sont expliqués dans le glossaire.
Un lycéen avide de savoir
Une jeunesse Sigmund Freud naît en 1856 Une analyse
Entré au lycée (Gymnasium) avec un an d'avance, par l'écrit
dans une famille juive
De nombreux
Freud se passionne pour la culture. Rome et Athènes
viennoise qui émigre à Vienne où il fait
ses études, et travaille presque resteront des références constantes, mais aussi
éléments
biographiques
jusqu'à sa mort. Goethe, Heine, Zola et... Darwin. Dans la présentation de la vie de Freud
qu'il fait de lui-même en 1925, il se décrit comme ont été livrés
par Freud lui-même,
habité d'une grande soif de savoir. Très imprégné
notamment
Une enfance heureuse de la culture juive de son enfance, connaissant l'hébreu dans son abondante
Freud voit le jour le 6 mai 1856 et le yiddish, il se plonge très tôt dans la Bible. correspondance
en Moravie (actuelle République Et il n'est pas douteux que son intérêt pour l'interpré- mais aussi
tation porte la marque de cette lecture assidue dans L'Interprétation
tchèque), dans la petite ville des rêves (1899) et
de Freiberg dont il garde des des textes bibliques. la Psychopathologie
souvenirs heureux et vivaces, À l'issue de ses études secondaires, Freud, comme de la vie quotidienne
bien qu'il la quitte à 4 ans. beaucoup de fils de marchands moraves, s'inscrit (1904), véritable
autoanalyse
Sa famille - des négociants juifs en médecine à l'université, sans véritable vocation.
{voir pp. 32 à 35).
(surtout de laines) d'abord aisés
puis mis en difficulté par le Des rapports tendus
Un prénom
développement du machinisme avec la capitale autrichienne et une femme
et la montée de l'antisémitisme - Freud n'aime pas Vienne où ses premières années sont pour la vie...
s'installe à Vienne dans un quartier assombries par les difficultés économiques de sa famille. Sigimund Freud
d'émigrants juifs peu fortunés. La vie culturelle (littéraire, musicale, architecturale) (de prénom juif
Schlomo) devient
Freud en garde une certaine hantise y est pourtant intense et novatrice. Les promenades Sigmund en 1878 ;
de la pauvreté. sur le Prater, proche du quartier-ghetto où réside il rencontre Martha
Le jeune Sigmund a tout de même sa famille, le mettent en contact avec la brillante Bernays, fille
d'une famille
une enfance heureuse entre société viennoise. d'érudits, en 1879
une mère et un père fiers de lui Freud souffre de l'antisémitisme et du pangermanisme et l'épouse le 14
et qu'il aime tendrement. Son père, de plus en plus déclaré régnant à Vienne. Dans un passage septembre 1886.
Jacob Freud, remarié, a deux de L'Interprétation des rêves, il raconte un souvenir
grands fils lorsque Sigmund naît. d'enfance. Au cours d'une promenade, son père croise
Celui-ci est le fils aîné d'une mère un chrétien qui envoie son bonnet dans la boue Freud reçoit
de 21 ans et de 20 ans plus jeune en criant : « Juif! descends du trottoir ! » Le père se rési- une formation
que son mari, déjà grand-père. gnant à ramasser son bonnet, Freud avoue sa déception : classique au lycée
Freud est très attaché à sa mère « Cela ne me sembla pas héroïque de la part du grand mais est aussi
dont il reste l'enfant préféré. Connue pour son caractère homme fort, qui me conduisait par la main, moi, le petit. marqué par
Le jeune Sigmund
Freud et son père, vif et enjoué, aimant la musique et les jeux de cartes, J'opposais à cette situation qui ne me satisfaisait pas la culture juive
Jacob, ici en 1867. elle vit jusqu'à 95 ans et ne s'éteint, en 1930, que une autre qui correspondait mieux à mes sentiments, de son enfance et
quelques années avant son fils. Elle a en tout huit la scène dans laquelle le père d'Hannibal, Hamilcar, par l'antisémitisme
enfants. Freud passe son enfance dans une famille fait jurer à son fils devant l'autel domestique de prendre régnant à Vienne
très nombreuse et unie, dont il reste longtemps le seul vengeance sur les Romains. » De cette position d'opprimé à la fin
garçon (après lui et un frère mort en bas âge, minoritaire, Freud garde ce qui le prépare aussi du xixe siècle.
cinq filles se succèdent avant un dernier garçon). à « une certaine indépendance de jugement».
il accomplit une série
Sigmund L'engagement de Freud
dans des études et une voie de travaux anatomiques
et biologiques remarqués,
fait médecine des
professionnelle obéit à
déterminations strictes, anticipant la découverte
non sans comporter, comme toujours, du neurone* et de la
une part de contingence. synapse*. Véritable cher-
cheur, il se passionne pour
l'examen de la structure
Ses héros d'enfance « Soif de savoir » de l'organisme, et se défie
À l'adolescence, Freud bénéficie d'un contexte historique, culturel, de l'expérimentation et
Freud traverse social et familial, contrasté : antisémitisme de l'Empire de la manipulation. Il en garde une méfiance pour
une phase militariste. toute forme d'influence, préférant dégager, derrière
Il l'attribue au fait austro-hongrois en décomposition, milieu à la fois
qu'enfant il s'est conservateur des traditions judaïques mais ouvert le phénomène, l'action propre de la structure.
livré à de grandes à la modernité. « Né coiffé », soutenu par sa famille Ainsi, dans le traitement, il abandonne stimulation
batailles avec et un père qui l'encourage à le dépasser, il a le goût électrique, hypnose* et suggestion (voir pp. 20-21)
un neveu du même pour repérer la structure des névroses* et les forces
âge. Parmi des lettres et des langues (allemand, latin, grec, français,
ses lectures anglais, italien, espagnol, hébreu), et, selon ses ensei- qui les provoquent.
se trouve l'Histoire gnants, un style bien à lui. Enfant et adolescent, Freud
du Consulat
a pris ses modèles chez les « grands hommes » (voir ci- Le choix de la pratique psychiatrique
et de l'Empire
(1845-1862) de contre) militaires puis politiques, avant de se tourner, Malgré ses succès, l'appui de ses professeurs et
Louis AdolpheThiers sans renier son réalisme, vers les intellectuels. Animé de son père, le sort des juifs autrichiens l'empêche
(1797-1877). « d'une sorte de soif de savoir», d'un désir de comprendre d'obtenir un poste pour succéder à ses maîtres.
Ses soldats Brucke le pousse alors vers la médecine libérale.
de bois portent
les énigmes de l'univers et de l'existence humaine,
des étiquettes inspiré par les exemples de Johann Wolfgang von Goethe À contrecœur, Freud cherche dans la pratique hospi-
De ses études,
avec le nom (1749-1832) et Charles Darwin (1809-1882), il préfère talière la formation nécessaire à l'accueil d'une clientèle
Freud conserve
des maréchaux la science et la philosophie, malgré un vif intérêt privée. Sur les bases de ses connaissances en neurologie,
de Napoléon. il se dirige vers la psychiatrie et deux maîtres dont le modèle
Son favori est
pour la spéculation pure. Il garde ce souci de méthode
il apprécie le sens clinique : des sciences :
Masséna dont et une liberté de pensée peu ordinaire, contrebalançant
Ni médecine Theodor Meynert (1833- pratique, rigueur,
on dit qu'il était juif. les jeux de l'imagination par une discipline scientifique. ni sciences humaines
Il compte d'autres 1892) et Hermann Nothnagel inventivité,
Sans doute,
héros tels Hannibal (1841-1905). Il passe des ouverture, rejet des
ou encore Examiner la structure de l'organisme la vocation médicale
de Freud ne cessera pas. soins apportés « aux malades systématisations
Cromwell... À 17 ans, il doit choisir : industrie, commerce, droit
S'il considère des nerfs » au traitement outrancières
ou médecine ? Excluant les trois premiers trop restrictifs que cette formation
à son goût, il hésite devant médecine. Il l'adopte des « névroses » par un des religions,
ne prépare pas à l'exercice
pour un usage surprenant, au point qu'il a du mal de la psychanalyse, glissement qui tient plus des philosophies
à terminer son cursus : rebuté par la pratique médicale, il ne préconise pas du jeu de mots que de la et des sciences
pour autant le recours logique des sciences. Avant humaines.
il occupe ses études à la méthode scientifique, profitant aux sciences humaines,
des rencontres qu'elles lui permettent. Brucke, la rencontre décisive avec Il s'en souvient en
dont il critique l'esprit
Du Bois-Reymond, Helmholtz et Ludwig (voir encadré) de système emprunté le médecin français Jean s'orientant, forcé,
sont pour lui des maîtres, des modèles de rigueur à la philosophie. Martin Charcot (1825-1893, vers la psychiatrie.
et des soutiens admirés et craints. Sous ce patronage, voir pp. 8-9).
mités de la neurologie mais, pour la première fois,
Goût et phobie Freud a la phobie des voyages « Rome était
étudie les enfants. Par la suite, il y retourne fréquem- ravissante, tout
mais il est un grand voyageur. particulièrement
ment, d'abord pour retrouver son ami Fliess (voir
des voyages, laPour ses études, sa formation,
psychanalyse, ses loisirs pp. 34-35), puis pour des visites familiales et, à la fin
pendant les deux
premières semaines,
et son plaisir... de sa vie, pour soigner son cancer de la mâchoire. avant que ne
Il y contacte le physicien allemand Albert Einstein se lève le sirocco
On ne parle pas
qui augmenta
de ces choses-là (1879-1955) en 1928, rencontre en 1930 William mes douleurs. Anna
en public...
Voyageur malgré lui C. Bullitt - ambassadeur américain - avec qui il écrira a été merveilleuse.
Charcot s'exclame
en privé à propos Nombreux sont les pays qu'il visite, en Europe et dans un livre, en 1938, sur le président américain Wilson. Elle comprit tout,
prit plaisir à tout,
des symptômes*
le Nouveau Monde. Quelques capitales le passionnent Berlin est pour Freud l'antithèse de Vienne [voir
et j'étais fier d'elle. »
d'une hystérique :
et stimulent son travail. Ses descriptions et récits pp. 10-11), le centre d'un pays en plein progrès Freud, lettre du
« Mais, dans
montrent sa capacité à saisir le « génie » des lieux, côté économique, jouissant d'un relatif libéralisme. 26 septembre 1 9 2 3
des cas pareils,
c'est toujours ange et côté démon ! Les choses changent avec l'arrivée des nazis... à Max Eitingon,
l'un de ses élèves
la chose génitale*,
et amis les plus
toujours... toujours...
toujours. » Freud Paris et la rencontre avec Charcot Rome : une passion intimes.
se souvient être Son premier séjour à Paris, de 1885 à 1886, a lieu En contrepoint se situe Rome, objet d'une passion
resté stupéfait : pendant sa formation médicale. Son avis est mitigé. sans pareille. Et l'Italie en général... Lieu privilégié
« Puisqu'il le sait, du loisir et du repos, où se mêlent plaisir et intérêt,
Véritable bonheur, son départ permet de réaliser
pourquoi
ne le dit-il jamais un rêve ancien. Sur place, il est seul, désargenté et au cours de nombreux voyages (avec sa belle-sœur
publiquement ? » désorienté. Il visite monuments historiques et musées Minna Bernays, avec sa fille Anna). Il s'y console
Ci-dessous: (Louvre, Cluny), enthousiasmé par Notre-Dame de ses déboires (difficultés de nomination à l'Université),
le docteur Charcot de Paris (et Victor Hugo, 1802-1885). Plus réticent récupère des forces, renoue avec des désirs infantiles
donnant une leçon dans ses contacts, il a une mauvaise opinion de conquête, de revanche, nourris des héros
clinique sur Dans ses
des Français, « boulangistes* et revanchards » contre de l'Antiquité (voir pp. 4-5). À Rome, source inépui-
l'hystérie* à la
sable de joie de vivre, d'exaltation même, il visite, rencontres avec
Saipêtrière en 1887. les Allemands. Il se méfie de
ravi et enivré, la villa Borghèse, Saint-Pierre, les intellectuels
(Tableau d'André ce « peuple des convulsions
les Catacombes, le château Saint-Ange, la chapelle et les cultures
Brouiller, muséée historiques ». Jean Martin
de l'Assistance Charcot (1825-1893), médecin Sixtine, les musées du Vatican. Ses lettres rendent, dont son monde
publique, Paris.)
français dont il suit les cours en un tableau vivant, l'atmosphère d'une place a hérité, Freud
à la Salpêtrière et qui l'invite animée par la musique et le cinéma, l'ambiance trouve la force
à ses réceptions, le marque. sans façon de la foule romaine, avec les jeux de passer outre
Il est sous le charme mais des enfants, la beauté des femmes, le vin délicieux. sa phobie
s'en veut de son besoin Il y est chez lui ! Le culte de la divine cité emporte des voyages ;
de patronage. Il revient à Paris Freud dans des jouissances qui n'ont rien d'éthéré, il recueille
en 1889, en 1910 et en 1938, y compris dans celles du savoir et de la recherche. les enseignements
en partance vers Londres. Dans ce creuset de forces contradictoires (Antiquité, grâce auxquels
judaïsme, christianisme), il concocte cet étrange essai il réunit
Berlin : que sera L'Homme Moïse et la Religion monothéiste, les conditions
l'antithèse de Vienne un brûlot contre la religion, qu'il n'écrira qu'à la fin d'invention
En 1886, en séjour d'études à de sa vie, et ne publiera qu'une fois exilé à Londres de la psychanalyse.
Berlin, il est déçu par les som- en 1939 (voir pp. 10-11).
" Cette époque
insensée ••
Conséquences cliniques
L'abandon de la Neurotica du fantasme
Dans un premier temps, Freud croit que l'hystérie* Le sujet ne souffre pas du fantasme qui oriente
résulte de la séduction des filles par le père : son désir* vers la jouissance, mais du symp-
c'est la théorie de la Neurotica. Or, il découvre l'irréalité tôme*. Comment traiter le sexuel trauma-
matérielle des scènes sexuelles incriminées mais aussi tique (réel) par le fantasme (imaginaire) ?
que cette irréalité n'atténue pas pour autant leur Ce dernier ne peut que l'imaginer, sans en gué-
efficacité. L'important n'est pas de s'intéresser au vécu rir. Le symptôme est la marque de cet échec.
mais à la trace de la subjectivation* du réel* sexuel, Dans la cure, Freud rencontre d'abord
à la façon dont le sujet* s'efforce de penser ce que le symptôme, avant de se heurter, en arrière-plan,
le sexuel inclut d'impensable. Le fantasme* constitue au fantasme comme « à la réalité de ce qui n'est ni vrai,
la solution avec laquelle un sujet ni faux ». Peu importe de savoir si le patient rend
« Ambiguïté compte d'une réalité exacte. Certes, il emprunte
s'explique sur le caractère de la révélation
traumatique de sa rencontre hystérique du passé
à sa biographie pour construire le fantasme.
avec le sexuel ; il construit [...], c'est qu'elle Mais, avec l'inconscient*, il ne s'agit plus de réalité
la scène qui lui permet nous présente mais de « vérité » : elle désigne le rapport du sujet
la naissance de la à la sexualité traumatique.
d'imaginer cette rencontre.
vérité dans la parole. Le symptôme,
Rompant par scientisme* Par là, nous nous
avec l'idéal scientifique heurtons à la réalité Toute réalité passe par la formulation au sens freudien,
de son temps, Freud passe de ce qui n'est dans la parole découle
ainsi « du champ de l'exacti- ni vrai, ni faux. »
Le terme de réalité de l'inconscient n'a pas le sens du souvenir
Jacques Lacan (1901- d'une scène dont
tude au registre de la vérité* » 1981), Écrits, 1966. d'un « contenu » qui regrouperait les tendances
(Lacan, 1957). cachées et les fantasmes qui proliféreraient loin de il importe peu
la conscience. La vérité mise en jeu et visée par l'analyste qu'elle soit réelle ou
L'invention du fantasme n'est pas une donnée positive : elle est antinomique une construction
Freud soupçonne le caractère de fiction des scènes avec le savoir. Le concept d'inconscient inaugure de l'analysant* :
traumatiques quand il en retrouve le souvenir chez lui, un nouveau rapport à un « savoir insu » plus que elle inclut, sous
au cours de sa correspondance avec Fliess (voir pp. 34- l'existence d'un « savoir qui ne se sait pas ». Le sujet forme d'interdit,
35). La psychanalyse porte la marque de la névrose* méconnaît la vérité de son désir qui se manifeste l'« impossible »
de Freud : le névrosé Freud s'aperçoit qu'il règle dans l'équivoque de la parole. Le sujet sur lequel opère sur lequel se règle
son propre rapport au langage et à la jouissance* la psychanalyse se situe dans cette ambiguïté du rapport son rapport
avec la fonction paternelle*. C'est cette solution de l'individu à un savoir qui lui échappe et qui pourtant au langage
qu'il porte à la théorie pour en vérifier la logique agit sur lui. Ce sujet est le sujet de l'inconscient et à la jouissance.
sous la forme du complexe* d'Œdipe* et de la fiction et de l'acte de parole.
L'inconscient Particulièrement
liés à sa propre
un propos liant la mort à la sexualité, il a la surprise
d'oublier le nom du peintre italien Signorelli (1445-
« Le caractère
commun aux actes
les plus légers
dans tous ses états ouvrages de Freud
analyse, trois des 1523), qui ne lui revient que lorsque l'association
refoulée est retrouvée.
comme les plus
graves, aux actes
balisent les débuts de la psychanalyse. Lors d'une conférence, l'une des deux seules femmes manqués
présentes porte le même prénom que celui choisi et accidents,
pour la patiente dont il va exposer le cas. Afin de ne consiste en ceci :
tous les phénomènes
« Le rêve, voie royale pas la gêner, il change le prénom et s'aperçoit, à la fin, en question, sans
de l'inconscient » qu'il a opté pour celui de l'autre femme présente ! exception aucune,
Freud s'attache à extraire, comme avec les rêves, se ramènent à des
En 1899, Freud publie
matériaux psychiques
L'Interprétation des rêves : les mécanismes actifs.
incomplètement
un ouvrage où il livre, refoulés et qui,
souvent à partir de l'analyse* Le Mot d'esprit bien que refoulés
et ses rapports avec l'inconscient (1905) par le conscient,
de ses propres rêves, les méca- n'ont pas perdu
nismes par lesquels le refoulé Il consacre l'un de ses plus gros ouvrages au mot toute possibilité
parvient à la conscience d'esprit. Humour, comique, ironie constituent autant de se manifester
malgré la censure. Plusieurs formules sont fameuses. de façons de feinter la censure, de jouer avec et de s'exprimer. »
le langage et la garantie de la communication Freud,
Ainsi, « le rêve est l'accomplissement déguisé d'un désir*
refoulé » : c'est rêver qui accomplit le désir ! Et encore, commune, de prendre du plaisir. Psychopathologie
de la vie quotidienne,
« le rêve est la voie royale de l'inconscient* » : les méca- L'un des aspects précieux de ce livre réside dans l'em- 1904.
nismes s'y lisent de façon nette, et il est aisé, prunt massif à l'humour juif.
avec l'interprétation*, de faire sentir au rêveur Quelques-unes de ces histoires se retrouveront
le travail de l'inconscient. dans d'autres travaux pour illustrer la logique
« Du reste,
dans quelques-uns Cette analyse des rêves a souvent été mal comprise : à l'œuvre dans l'inconscient. C'est le cas de l'histoire
de mes écrits - certains y réduisent la cure ou en extraient dite du chaudron. Un homme se voit reprocher
Interprétation un dictionnaire de symboles. Certes, Freud lui-même, de restituer un chaudron troué. Pour sa défense,
du rêve, Vie le présumé emprunteur rétorque : « Primo, je n'ai
quotidienne -,
dans l'interprétation d'un rêve où il voit la formule
j'ai été plus franc de la triméthylamine, avoue clairement son désir : jamais emprunté de chaudron. Secundo, le chaudron
et plus sincère trouver la solution de la névrose* dans les mots. avait un trou lorsque je l'ai emprunté. Tertio, j'ai rendu
que n'ont coutume Mais il prévient que les associations* du rêveur le chaudron intact. » Freud parcourt
de l'être la vie quotidienne
conduisent à « l'ombilic du rêve » dont elles Autre anecdote : le rabbin de Cracovie annonce
des personnes
qui retracent ne viennent pas à bout. L'inconscient tel que à la prière qu'il voit la mort du rabbin de Lemberg. pour s'analyser,
leur vie pour défini par la psychanalyse, même interprété, reste Les jours suivants, les membres de la communauté isoler
les contemporains inconscient ! juive de Cracovie interrogent ceux de la communauté les mécanismes
ou la postérité.
On m'en a su peu
juive de Lemberg sur les causes de la mort du rabbin. de l'inconscient
de gré ; je ne saurais Psychopathologie Un interlocuteur proteste : « Le rabbin de Lemberg et tenter de vaincre
conseiller à personne de la vie quotidienne (1904) n'est pas mort. - Peu importe, dit [un] fidèle, zyeuter l'incrédulité de
de faire de même. » de Cracovie à Lemberg, voilà qui fut sublime ! »
Freud,
Freud traque les formations de l'inconscient : lapsus*, ses contemporains
actes manqués*, oublis des noms propres démontrent Freud extrait minutieusement ces caractéristiques devant sa nouvelle
Psychopathologie
de la vie la détermination inconsciente. Il livre quelques de l'inconscient : ignorance du temps et de la contra- science.
quotidienne, 1904. aspects de sa propre analyse. Voulant dissimuler diction, phénomènes de croyance.
On ne devient psychanalyste de son cercle médical. Fliess est aussi un personnage
L'autoanalyse qu'après avoir été psychanalysé. sûr de lui, susceptible, supportant mal la critique
Pour oublier
un ami...
et plus soucieux de son point de vue que de collaborer. La correspondance
Freud, l'inventeur, n'a pu rencontrer d'analyste. entre Freud et Fliess
Il s'est soumis à une cure personnelle, Avec le recul, ses théories paraissent délirantes. aurait pu restée
tout en affirmant l'impossibilité Or Freud témoigne son admiration à Fliess pour longtemps inconnue.
de la véritable « autoanalyse ». son courage et sa largeur de vues, tandis qu'il croit en En effet, Freud
recevoir une aide bénéfique et le renfort indispensable ne souhaitait pas
divulguer ce courrier,
à son propre travail de défricheur de l'âme ! La rupture, et on ne dispose
La vie de Freud, matériel de son analyse inévitable à terme, se produit de façon brutale, Fliess d'ailleurs que
revendiquant la paternité des idées de Freud. des lettres envoyées
Freud ne laisse ni récit de sa cure ni construction
par Freud à Fliess,
de son cas mais le témoignage du travail analytique Freud n'ayant pas
sur lui : analyses* de rêves, souve- La névrose de Freud gardé celles
nirs-écrans, formations de l'in- Dans le contexte de cette amitié passionnée, de Fliess !
conscient* (oubli, lapsus*...), etc. Freud déclenche une psychonévrose* grave (angoisse,
Sa pratique et sa doctrine se déve- phobies, dépression, doute, inhibition, malaises
loppent avec les progrès de sa cure physiques). Il comprend qu'il ne s'en sortira pas avec
et en empruntent le matériel. les moyens habituels des réconforts et échanges amicaux.
La clinique freudienne atteste Il doit travailler sur lui-même comme malade.
son effort pour dépasser son désir* Dès juillet 1895, il analyse ses rêves et, au début,
particulier (de personne) et l'élever communique ses résultats à Fliess. D'intermittente,
au désir inédit requis par la posi- cette analyse devient systématique mais il ne compte
tion d'analyste (voir encadré). que sur lui-même, soupçonnant le rôle de Fliess
Le passage volontaire du futur pra- dans ses troubles. Un début de résolution coïncide
ticien par l'expérience et la position avec la séparation, malgré la brouille et les accusations
du malade est un aspect nouveau de Fliess pénibles pour Freud.
dans l'histoire de la clinique et
des relations. « Pour comprendre les choses
par rapport à lui-même »
La correspondance avec Fliess Dans cette période de souffrance et d'élaboration, Pas d'analyste
« L'autoanalyse » de Freud n'est ni une introspection Freud extrait deux principes essentiels de la psychanalyse : non analysé !
ni une confession mais une analyse au sens strict. l'inconscient et la sexualité infantile (voir pp. 28-29). Freud est
Elle commence dans le cadre de la relation Cette autoanalyse contient les éléments d'une analyse : une exception :
avec Wilhelm Fliess (1858-1928), de 1887 à 1902. Freud effectue ses découvertes à partir de ses symp- il invite
Freud le rencontre grâce au psychiatre autrichien tômes* ; il s'engage lui-même, dans une expérience les analystes
Josef Breuer (1842-1925), plaçant beaucoup d'espoir où il paie de sa personne ; il voit l'implication, non pas à la
dans cet alter ego. Médecin allemand, original, dans sa cure et sa névrose*, des personnes auxquelles reproduire, ce qui
personnalité scientifique peu commune, Fliess est issu il tient le plus (Fliess ; son père, mort en octobre 1896 ; est impossible,
du même milieu que Freud, mais plus fortuné. sa mère). Poursuivant son autoanalyse sa vie durant mais à la retrouver,
C'est un homme séduisant, porté sur la spéculation (une demi-heure par jour en fin de journée), il souligne pour qu'elle serve
intellectuelle, et dont les élucubrations audacieuses le soin nécessaire au passage de la position d'analysant* à la psychanalyse.
touchent Freud en butte à l'étroitesse d'esprit à celle d'analyste.
Freud ne cède pas
Freud Freud est inébranlable contre
les dissidences au sein du mouvement sur l'inconscient...
Accusé de dogmatisme, Freud est
intraitable psychanalytique et vis-à-vis
du minimum à tenir dans la cure. ouvert, mais tenace sur les condi-
tions de sa découverte et de sa
réinvention dans chaque cure,
La phase de latence La dissidence est un abandon sur l'existence d'un « savoir insu »
De toutes de la psychanalyse et du fonctionnement qui le pro-
les espèces, duit. Il trouve un renfort dans
l'homme est la seule
Les dissidences découlent de la nécessité de vaincre
les résistances* pour traiter les symptômes*. Ce n'est les traditions populaires, mais sus-
chez qui
le développement pas par mauvaise volonté que le dissident suspend cite l'opposition des philosophes
sexuel est mis et perd l'acquis de la cure. et l'indifférence des spécialistes
en sommeil Ainsi, Alfred Adler, médecin et psychologue autrichien des sciences de la vie qui ne voient aucun intérêt
(latence) avant dans ces phénomènes analytiques. Freud démontre
l'adolescence... (1870-1937), préfère la psychologie du moi* à l'étude
comme pour laisser de l'inconscient* : il privilégie la conscience contre qu'ils ont un sens, produit du travail de l'inconscient, Le bénéfice
au sujet le temps la conception freudienne du moi qui, comme accessible par l'association libre*. Pour lui, contraire- secondaire
de comprendre, ment à Jung, la psychanalyse ne se ramène pas des symptômes
l'auguste, s'agiterait d'autant plus qu'il n'agit pas ; Un symptôme
puis de tirer aux symboles et à une pratique du sens. Elle vise
les conséquences de la névrose* dépendrait de la « protestation mâle » trahit un conflit
ce développement du sujet* qui tente de subordonner l'élément féminin la réalité sexuelle de l'inconscient dont la nouvelle inconscient
et de ses choix. signification est enregistrée sous le nom de libido. mais permet
au masculin : cette tendance naturelle compenserait du coup
les sentiments d'infériorité, et contredirait la une réduction
castration* (voir pp. 46-47). ...la sexualité... des tensions
La fonction de la sexualité humaine excède la repro- se traduisant
en plaisir :
Jung, « fils et héritier » infidèle duction et la génitalité. Elle représente une aspiration
c'est le « bénéfice
D'abord responsable de l'Association psychanalytique globale au plaisir et se développe en deux temps séparés secondaire » auquel
(voir pp. 54-55) et dauphin enthousiaste de Freud, par la phase de latence (voir ci-dessus à gauche), soumise le sujet s'attache.
Carl Gustav Jung, psychiatre et psychologue suisse à l'œdipe* et à la castration* : la sexualité infantile
(1875-1961, ci-dessous), se désintéresse du tra- précède la sexualité adulte. Cette sexualité n'obéit ni
vail en équipe, récuse le souci du détail, à l'instinct animal ni à la norme sociale : la démonstration Freud se montre
et résiste au poids du sexuel. Spécialiste de cette thèse vaut à Freud la réprobation générale car elle ferme face
des mythes, il néglige les processus implique la responsabilité de chacun dans sa conduite. aux dissidents
de l'inconscient, réduit la libido* à l'inté- Freud considère que lâcher sur cette conception de la psychanalyse
rêt psychique et à la tension organique de la sexualité revient à lâcher sur la psychanalyse. - tout en extrayant
générale, et dérive vers des thèses les leçons de
spiritualistes et occultistes. ... et l'argent leurs abandons -,
Loin de démontrer la pertinence des Freud est « intraitable en matière d'argent » : dans la cure, avec sa théorie
« vérités* » psychanalytiques insuppor- il mobilise le patient contre sa névrose, l'oblige à y mettre de la sexualité, et
tables (voir pp. 30-31), il se vante de du sien en y mettant le prix, pour contrecarrer le coût avec le maniement
les rendre acceptables par tous. Constat et le bénéfice secondaire des symptômes (voir ci-dessus). de l'argent
d'incompatibilité, rupture et démission : La psychanalyse est, comme Freud, réaliste, n'exigeant dans le transfert*.
tel est le sort, inévitable, d'Adler et de Jung. pas d'autre sacrifice qu'une part d'argent.
Freud invente un dispositif
Le désir de traitement de la névrose.
de ses interprétations* et de ses jugements. Sa neutralité,
bienveillante et nécessaire, respecte la liberté du patient,
de l'analyste flottante* le mettent en œuvre
Association libre* et écoute mais sans abstention ou complaisance.
Cari Gustav Jung (1875-1961) : « Ils ne savent Le père réel ou père de la jouissance Totem et Tabou
pas que je leur apporte la peste. » Pourquoi cette participation apporte-t-elle plus C'est avec cet
de déplaisir que de plaisir ? L'humain naît séparé ouvrage, publié
La psychanalyse, une peste ? en 1913, que Freud
de la jouissance qui, du coup, cause le désir : renouer pose les fondements
avec elle saperait les fondements de l'humanité. de l'humanité dans
L'interdit fait jouir Un malaise dans la civilisation ? D'où la prohibition de l'inceste. un renoncement
L'interdit trace Le travail de Freud sur la phobie éclaire cet aspect. à la jouissance :
L'inconscient* est un trou « irreprisable » du savoir. des « animaux »
une limite L'enfant sans appui de la fonction paternelle* (voir
entre le désir
Le désir*, de nature insatisfait, est l'essence de s'allient pour tuer
et la jouissance l'humain. « Le moi* n'est plus maître en sa maison » pp. 30-31), malgré la présence d'un père* concret, leur chef qui
à laquelle le sujet avec le fantasme*, les pulsions*, l'inconciliable met une phobie entre lui et le père réel* (de la jouis- confisque à son
doit renoncer. profit la jouissance
du sexuel. L'éthique du « bien-dire » montre non pas sance, voir pp. 46-47) : Hans délimite sa communauté
L'interdit est des femmes.
que « toute vérité* n'est pas bonne à dire », humaine au moyen de l'animal phobique (les chevaux) Mais une fois mort,
un nom du désir.
Du coup, tout interdit mais que « la vérité est impossible à dire toute ». comme les sociétés traditionnelles érigent un totem ils renoncent
concret suscite Un « incurable » s'installe au cœur de l'humain, animal (voir ci-contre). à la jouissance pour
le désir de le franchir. sauver l'alliance
malade de parler : c'est un symptôme* irréductible. Pourquoi l'enfant fabrique-t-il un tigre de papier et se reconnaissent
Et la jouissance
serait là ! La « perversion* polymorphe » des enfants, le « senti- pour se faire peur et éviter la défaillance du langage comme « fils du
ment inconscient de culpabilité », la « pulsion de mort», au-delà des limites de l'humain, où régnerait la figure mort » qu'ils érigent
l'« au-delà du principe de plaisir » (voir pp. 44-45) terrible du père jouisseur ? L'horreur de ce que en totem.
conditionnent, selon Freud, le pronostic sans l'humain perd à parler fascine autant qu'elle terrifie :
guérison du « malaise dans la civilisation ». elle « présentifie » la jouissance de l'Autre*, celle qui
survivrait à la castration*, que le désir poursuit en vain
Le temps du désir sauf à s'anéantir.
Parler de pessimisme freudien tente de protéger le sujet*
de l'horreur (voir encadré). Celle-ci est présente dès La question léguée par Freud Freud découvre
la naissance de la psychanalyse : à 18 ans, l'hystérie* Freud théorise le lien social en affrontant le nazisme, que l'humanité
d'Emma est déclenchée par le sourire d'un vendeur l'autodafé de ses ouvrages, l'abandon de la direction est travaillée
séduisant. L'analyse* retrouve le souvenir de l'étreinte de son Association internationale de psychanalyse par la pulsion
qu'elle a subie passivement entre les mains de non-juifs. Il retarde la parution de mort,
de la part d'un boucher de son Moïse égyptien (1939) pour ne pas porter préju- que la civilisation
à 8 ans. Pourquoi la scène, dice aux juifs persécutés ni irriter l'Église catholique. ne dépend pas de
sans conséquences les dix Au physicien Albert Einstein (1879-1955) qui inter- son refoulement*
dernières années, trauma- roge : « Pourquoi la guerre ? », il donne une réponse ou de son
tise-t-elle après coup ? Parce toujours d'actualité : si l'homme fait la guerre pour éradication, mais
que, entre-temps, le désir régler son rapport à l'autre*, il n'y a aucun progrès de son intrication
sexuel d'Emma, éveillé, éthique depuis le meurtre du père de la horde primitive avec les pulsions
interprète sa visite quoti- ( voir pp. 30-31). Comment la pulsion de mort peut-elle de vie.
dienne dans la boutique se mettre au service de la civilisation ?
Freud, àFreud s'interroge sa vie durant
propos du judaïsme :
jubilant de « l'illusion que procure l'idole ».
Freud interprète autrement que les historiens
le juif athée athée, il tient à rester juif.
Qu'est-ce qui fait, à ses yeux,
de l'art et de la Bible le mouvement de la statue :
Moïse ne jettera pas les tables de la Loi, il a une tâche
le génie du judaïsme ? à accomplir : la transmission de cette Loi.
L'Homme Moïse paraît durant l'exil à Londres
en 1939, quand Freud « peut recommencer à penser »
La psychanalyse, une science juive ? (voir pp. 10-11). Moïse devient un Égyptien toujours
Cette question parcourt sa correspondance : aux prises avec la transmission. Mais, d'un Moïse
« Pourquoi attendre que ce fût un juif tout à fait athée » à l'autre, il y a un renversement : la transmission
qui invente la psychanalyse ? s'opère par traumatisme. Moïse l'Égyptien est
Ne craignant pas de faire partie d'une minorité, assassiné et remplacé par le Moïse juif. Le judaïsme
Freud échappe au savoir dominant de son temps, naît et se transmet depuis cet assassinat, tel celui
conformément au mode de pensée talmudique : du père* de la horde primitive (voir pp. 48-49) :
il ne rejette pas les idées de la modernité, mais le meurtre d'un non-juif fonde la Loi !
les intègre à sa réflexion ; dans le judaïsme, il n'y a pas
de dogme à respecter.
Freud sait sur le judaïsme - d'un savoir inconscient*
- plus qu'il ne veut ou ne peut en dire. À côté
des références gréco-romaines, le judaïsme contribue
aux fondements de la psychanalyse : interprétation
issue de l'exégèse biblique, importance donnée Le souci de transmission
aux détails, humour... L'Homme Moïse s'inscrit dans la veine de Totem
Freud pense même que la psychanalyse est plus et Tabou (voir pp. 48-49). Freud y situe la naissance
accessible au psychiatre hongrois Sandor Ferenczi du phénomène religieux comme nostalgie du père,
(1873-1933) et à l'Allemand Karl Abraham et s'interroge sur la genèse de l'antisémitisme.
(1877-1925) du fait de leur judéité qu'au psychiatre Avec courage, il publie cet ouvrage : sa thèse fragile
suisse Cari Gustav Jung (1875-1961). Et sa crainte est un « colosse aux pieds d'argile » qui enlève Moïse
de voir la psychanalyse interprétée comme (un Égyptien) au peuple juif, en pleine persécution
une science juive montre qu'il lui trouve « quelque nazie. La certitude qu'il doit « transmettre » le pousse Freud s'appuie sur
chose de juif », au moins l'origine. Sans faire d'elle, à faire abstraction de ces difficultés. le particularisme
science du contingent et du particulier, une science Loin de clore la psychanalyse, cette œuvre l'ouvre juif pour résister
juive. à une réflexion nouvelle, et s'oppose aux thèses aux idéologies
radicales et racistes des nazis : la transmission n'a rien et ranger Moïse
Le meurtre de Moïse de biologique, celui qui a fondé le judaïsme n'est pas parmi les grands
Freud consacre deux textes à la figure de Moïse. juif! hommes ayant
Le premier, Le Moïse de Michel-Ange, est publié Freud lègue cet « être juif», comme son « que veut une contribué au legs
en 1914 de façon anonyme. Freud reconnaît femme ? » (voir pp. 24-25). À ces énigmes, pas d'autre de la fonction
tardivement « cet enfant non analytique ». Confronté réponse que celle de chaque sujet*. L'important réside paternelle*
à la statue, il est saisi par son regard courroucé : moins dans la solution que dans le chemin ouvert à l'humanité.
il se voit sous l'œil de Moïse à la place de la populace par ce questionnement.
Psychanalyse Psychanalyse et religion sont-elles
incompatibles ou non ?
La névrose : un progrès sur la religion ?
Que promet la cure ? Au névrosé, incapable de
L'autiste :
sujet ou individu ?
et religion une
Freud voit dans la religion
illusion dont beaucoup
se déterminer, elle entend restituer sa capacité
de choix dans les registres de l'amour et du travail,
Le débat
contemporain
sur l'autisme
ont besoin pour se protéger de la dureté sa capacité d'acte. tourne autour
de la vie. Le sujet de l'acte est le sujet de l'acte de parole : de sa définition
comme accident
aucune détermination ne le dispense de sa responsa- biologique affectant
bilité. Son consentement est requis. Il est responsable le développement.
La religion : de ce qu'il fait de ses déterminations. Contrairement Les détracteurs
« une névrose obsessionnelle à ce que dicte la pensée catholique, l'anatomie ne de la psychanalyse
y voient un moyen
universelle » lui impose ni son partenaire sexuel ni les conditions
de démontrer
Freud est tolérant à l'égard de son désir. la détermination
des croyants. Un interlocuteur lui génétique du sujet*
demande de reconnaître les signes Le sujet, entre indétermination de la parole, privé
de responsabilité
que Dieu lui envoie. « Dieu ferait et péché originel et réduit en même
bien de se dépêcher, répond-il, L'indétermination, sans laquelle cette responsabilité temps à un effet
s'il tient à me convertir ! » est impensable, repose sur l'antinomie du fantasme - ou produit -
II ne recule pas sur les implications de la psychanalyse. naturel.
et de la religion. De cette indétermination, le névrosé
Psychanalyse et religion se croisent sur le terrain ne veut pas : il recherche le responsable de ses
de la cure : les paradis religieux ont même structure malheurs du côté des déterminations familiales,
que les fantasmes* et les désirs* infantiles (voir pp. 28- biologiques et sociales, voire divines ! Ce qui revient
29). Les premiers ne seraient-ils pas la projection à s'en remettre à l'Autre* du sujet et à tenter de le faire
des seconds, une « illusion » ? exister.
La découverte du complexe* d'Œdipe* lie la figure L'analysant* incrimine ses parents : s'il est névrosé,
de Dieu à la fonction du père* et à l'expérience c'est parce qu'il a tel type de mère ou de père.
paternelle : la religion inclut « une part de vérité* ». Certes, ce n'est pas la même chose d'avoir tel type
Se passer de la religion devient se passer du père : de père ou de mère plutôt que tel autre. D'autant que Toute localisation
est-ce possible ? c'est le discours de cet Autre qui transmet au sujet de la détermination
L'approche freudienne ne consiste pas à psychanalyser les éléments nécessaires à sa réalisation : savoir, du sujet dans un
la religion, mais à examiner les rapports entre sujet* jouissance* et objet du désir. Autre (biologique,
et religion. Le névrosé met dans le développement organique psychologique,
La cure apprend que chacun passe par une crise ou dans le milieu familial la raison des accidents social) peut
- la névrose* infantile - dont il extrait les fondements pathologiques. Adopter la solution organique revient être qualifiée
de son rapport au monde (le fantasme*), une position à se priver de toute responsabilité dans le choix de religieuse.
« Le salut de l'homme
subjective (névrose, psychose* ou perversion*) de sa position (réduite aux déterminations Et cela grâce
est dans le choix », et son symptôme* éventuel, ainsi que le choix biologiques). Adopter la solution familiale devrait à Freud qui permet
aimait à répéter d'une position sexuée. conduire à suspecter les parents et, dès lors, au sujet de
Freud interviewé Elle enseigne aussi que le sujet, en adoptant très tôt les parents des parents, etc. jusqu'à Adam et Eve ;
par Robert de Traz
se défaire de cet
dans Les Nouvelles
une solution religieuse, s'économise une solution per- ce qui revient à interpréter cette suggestion Autre dans l'acte,
littéraires, sonnelle : la religion serait une « névrose obsessionnelle psychologique comme une version scientifique forcément athée !
mars-avril 1923. universelle ». du péché originel !
Politique Politiquement, Freud
bute sur un problème
d'une « vieille garde » autour
de Freud, liée par un pacte :
et transmission encore irrésolu :
comment créer
ne pas prendre position
publiquement contre un
de la psychanalyse une collectivité
de psychanalystes
aspect de la théorie sans en
discuter d'abord en son sein.
avec des sujets devant chacun réinventer Outre Jones et Ferenczi,
la psychanalyse ? Et quelle institution peut le comité s'adjoint Abraham,
transmettre ce qui ne se transmet pas ? Rank et Sachs et, un peu plus
tard, Eitingon. Freud décide
de rester en dehors, tout en
L'Association psychanalytique se réjouissant de l'existence
internationale (API) de ce conseil d'amis : « // surveillerait le développement Les membres
En 1910, Freud invite les associations nationales, struc- futur de la psychanalyse et défendrait notre cause contre du comité secret,
turées sur le modèle de la Société viennoise du mercredi les gens et les accidents lorsque je n'y serai plus. » ce conseil
de psychanalystes,
(réunion des pionniers de la psychanalyse autour Le comité fonctionne de 1913 à 1923 et finit par ren- amis de Freud.
de lui, depuis 1902), à constituer l'Association psycha- contrer les mêmes difficultés internes que l'Association :
nalytique internationale. Chargé de présenter le projet, soupçon des non-juifs par les juifs, dissensions. Freud lançant
le psychiatre hongrois Sandor Ferenczi (1873-1933) Mais surtout, cette génération de psychanalystes est ironiquement
suscite l'hostilité en déclarant que « les conceptions assez inégalement analysée ! à Joan Rivière,
psychanalytiques n'aboutissent pas à une égalisation une psychanalyste,
au début de sa
démocratique » et en appelant à la constitution « d'une L'analyse didactique première séance
élite du genre de celle que Platon avait établie pour Devant les problèmes posés au groupe par la névrose* d'analyse, en 1920 :
les philosophes ». Sans doute, Ferenczi perçoit-il qu'une « Eh bien, je sais
de chacun, l'idée vient aux psychanalystes de se faire
déjà quelque chose
association de psychanalystes réunit des gens devant analyser. Jones est le premier à s'analyser avec Ferenczi, sur votre compte ;
se soumettre à une psychanalyse et se débrouiller avec lequel prend des séances auprès de Freud. vous avez eu un père
des liens relevant de transfert* entre eux. Pour Freud, Peut-être en raison de la difficulté à analyser et une mère ! »
les foules se répartissent en deux types dont il fait la cri- Cité par Ernest
- sans avoir été psychanalysé - puis des insuffisances Jones dans La Vie
tique : l'Église et l'armée ; or, il ne cherche pas à inventer éprouvées de sa propre analyse, Ferenczi propose, et l'Œuvre de Freud
un modèle différent pour la psychanalyse, sauf qu'il dès 1910, que l'API soit certes un lieu de travail, (1958,1961,1969).
refuse d'en être le pape ou le général. Freud doit vaincre mais aussi d'analyse* mutuelle des membres.
les tensions entre Américains et Européens, juifs viennois Il introduit plus tard le terme d'analyse didactique.
et goys suisses, surmonter les dissidences, pour réussir Freud lui-même attire l'attention sur l'analyse Le succès de Freud
Les Français absents à rassembler, dans cette association, Américains du Nord, du praticien en 1912. La psychanalyse ne se transmet pose toujours
Pas de Français Anglais, Autrichiens, Hollandais, Hongrois, Polonais,
autour de 1910 pas. Il revient à chaque psychanalyste de se soumettre deux problèmes :
au sein de l'API, Russes, Suisses, et même Australiens. aux conditions qui lui permettent de la réinventer. l'organisation
sauf le professeur Elle souffre, aujourd'hui encore, de cette tension entre internationale
Moricheau- Le comité secret sa nécessaire invention « au un par un », l'institution- des psychanalystes
Beauchamp
de Poitiers
Devant les défections (d'Adler, Jung et Steckel) et en nalisation des acquis, et la gestion du « mouvement » et la transmission
qui correspond attendant que les analysants* de Freud n'essaiment psychanalytique. C'est pourquoi les scissions jalonnent de la psychanalyse.
avec Freud. dans le monde, Tones propose à Ferenczi la constitution son histoire.
Plus d'un siècle
Freud, passeur vivant après la naissance
l'avaient baptisé « passion de l'ignorance savante ».
Mais le désir de ce sujet* pour ce qui est ignoré (« le réel* »
Disparition de
Freud et des siens
Le cancer de la
de la psychanalyse, son statut de la science) constitue un trou dans les savoirs existants : mâchoire de Freud
scientifique est l'objet il permet d'en sortir, conditionnant alors leur renouvel- est diagnostiqué
d'une controverse. lement. Pour être objective et universelle, la science en 1923, date
efface les traces du sujet, côté savant et côté objet. Elle fait à laquelle il est opéré
une première fois ;
taire les objets dont elle traite, ainsi l'écart entre astrologie mais il en meurt
et astronomie. Le sujet est le seul objet qui continue le 23 septembre
à parler après le passage de la science. Freud a inventé 1939. Ses quatre
la psychanalyse pour accueillir ce sujet de la parole, sœurs périront dans
les chambres à gaz.
auteur de la science, et que pourtant celle-ci tend à rejeter Tandis que Martha,
de son champ, parce que, résistant à sa réduction comme son épouse,
objet, il objecte à son savoir. lui survivra
jusqu'en 1951.