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Y-A-T-IL UNE VERITE DANS L'IMAGE ?

Préambule........................................................................1
I. Qu'est-ce que la vérité ? ..............................................3
1. Recherche d'une définition.................................3
2. Où situer la vérité dans la connaissance ?..........5
3. Il y a deux types de jugements...........................7
4. Vérité spéculative et vérité pratique...................9
5. Dévaluation de la vérité....................................10
II. Quelle vérité pour l'image ?.......................................12
1. Qu'est-ce qu'une image ?.................................12
a/ Les images mentales...............................12
b/ Les images physiques : idoles et icônes..14
c/ Images naturelles et images artificielles. 15
2. Quelle vérité pour quelle image ?.....................16
III. Télévision et vérité....................................................18
1. Définition générale de l'image..........................18
2. Typologie des supports visuels.........................19
a/ L'image fixe.............................................20
b/ L'image-mouvement...............................20
c/ L'image-spectacle....................................21
3. Image et télévision...........................................24
a/ La vérité est dans le discours qui
accompagne les images..............................26
b/ La télévision en quête de crédibilité........27
c/ Une religion "cathodique" ?.....................28
4. Conclusion : vérité télévisuelle et mélange des
genres...................................................................29

* Ce texte est la transcription d'un exposé fait en janvier 1994, dans


le cadre d'un séminaire organisé par l'INA sur le thème "Journalisme
et déontologie".
Y-A-T-IL UNE VERITE DANS L'IMAGE ?

Préambule.

La question de la vérité est une question éminemment philosophique,


on peut dire que c'est la question-même de la philosophie. Étant à la
fois philosophe et chercheur en communication, il y avait là pour moi
l'occasion rêvée de faire converger cette double préoccupation : d'un
côté la philosophie, de l'autre côté la question des médias, de la
communication, de l'image.

La vérité de l'image, c'est une préoccupation qui aujourd'hui


commence à être assez répandue, principalement en raison des
enjeux éthiques d'une civilisation dite des images. Ce que je voudrais
montrer, c'est que pour apporter des lumières suffisamment décisives
sur ces enjeux éthiques, sur les questions de déontologie, il ne faut
pas reculer devant une réflexion de type philosophique.

Pourquoi a-t-on mis si longtemps à poser ces questions d'éthique ou


de déontologie à propos des médias ? Je crois que c'est en raison d'un
fait qui n'est pas propre aux médias mais qui vaut pour toute la
société contemporaine, à savoir que sur toutes les questions
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philosophiques, il y a des divergences plus ou moins irréductibles.


Aujourd'hui notre société est l'héritière de toutes sortes de conflits
d'idées, de conflits idéologiques ou philosophiques qu'on aimerait
bien évacuer au moyen d'un consensus sur quelque dénominateur
commun. Je crois que c'est une des raisons pour lesquelles les
programmes politiques tendent à se limiter à des ambitions d'ordre
économique, car c'est un dénominateur commun sur lequel tout le
monde est plus ou moins d'accord ; et il en va de même au plan des
médias : on veut croire, espérer, que des régulations de type
économique suffiront à permettre un bon fonctionnement des médias
et de la communication. Aujourd'hui on commence à s'apercevoir
clairement que ce n'est pas vrai. On aurait pu s'en apercevoir plus
tôt ! De toutes façons, pour tirer les conséquences de ce constat il
faudra bien accepter de rentrer dans le débat philosophique de fond,
et les confrontations inévitables.

Donc, je vais aborder l'enjeu philosophique de la question : "Y-a-t-il


une vérité dans l'image ?".
Mon plan est en trois parties : premièrement, qu'est ce que la vérité ?
Je ne voudrais pas reculer devant la question. C'est une question très
difficile. Je vais essayer de vous apporter des lumières philosophiques
utiles sur le sujet et utiles au propos d'aujourd'hui c'est-à-dire aux
questions déontologiques relatives à l'image.

Deuxièmement, qu'est-ce que l'image et comment la vérité, la


problématique de la vérité peut-elle concerner le monde de l'image ?
Je pense qu'une mise au clair, une petite typologie des images, serait
extrêmement utile. En effet, quand on dit que l'on est dans la
civilisation de l'image, on désigne par ce mot d'image une espèce de
grand tout, relativement confus, c'est une métonymie par laquelle on
prend un aspect de la communication, sa partie image, pour désigner
tout un ensemble de choses, qui sont à la fois non seulement des
images, mais encore des sons, des discours, des concepts, mais aussi
et surtout des institutions, des rapports sociaux, des choses beaucoup
plus complexes que de "simples" images. Donc il est utile de mettre
de l'ordre dans ce domaine de l'image.
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Troisièmement, il faudrait tout de même aboutir à ce qui nous


rattache au thème d'aujourd'hui, à savoir la télévision. Comment
l'image nous concerne-t-elle dans les médias modernes, notamment
dans la télévision? Comment les réflexions préliminaires que je vous
aurai proposées permettront-elles de mettre un peu d'ordre dans le
débat, et notamment par rapport aux questions déontologiques.

I. Qu'est-ce que la vérité ?

1. Recherche d'une définition


Ici, il peut sembler que nous avons affaire à une question piège :
n'allons-nous pas, en effet, tomber dans les paradoxes des
propositions auto-référentes ? Comment savoir si ce que je vais dire
de la vérité est vrai ?...
On voit qu'il est préférable d'éviter de commencer par une définition
formelle, et qu'il vaut mieux procéder par induction, à partir
d'exemples.
Quand dit-on qu'une chose est vraie ? Que veut-on dire quand on
affirme : "ce sont de vraies fleurs" ou : "c'est un vrai tyran"...?

Peut-être ce que nous cherchons apparaîtra-t-il plus évident en


considérant le contraire du vrai? "Ce tableau, ce billet est faux"...
c'est-à-dire : ces choses ne sont pas, en réalité, ce qu'elles semblent
être ; il y a un écart, une inadéquation entre l'apparence et la réalité.
Par contre, si ces fleurs sont vraies, c'est qu'elles sont pleinement
conformes à leur nature de fleur, et cet homme est un vrai tyran
parce que son comportement est conforme à l'idée qu'on se fait du
tyran. D'une façon générale, les choses sont vraies quand leur
apparence -c'est-à-dire la façon dont on les connaît- est dans un
rapport de conformité ou d'adéquation avec leur réalité, c'est-à-dire
avec ce qu'elles sont en elles-mêmes.

En fait, si on y regarde de près, on peut constater que la vérité ne se


trouve pas à proprement parler dans les choses, mais dans les
propositions, c'est-à-dire les énoncés qui expriment les jugements
que nous formons à propos des choses. D'une façon tout à fait
générale, la notion de vérité intervient lorsqu'il est question du
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rapport qui s'établit entre les choses et la connaissance que nous en


prenons : adæquatio intellectus et rei, disaient les anciens.

"L'homme désire naturellement connaître" disait Aristote, et, en effet,


rien n'est plus commun et plus facile à constater que le fait de la
connaissance... mais qu'est-ce que connaître ? Ici se vérifie le fait que
les choses les plus communes, et dont nous avons l'expérience la plus
immédiate, sont aussi les plus difficiles à expliquer. Contentons nous
de ce qui est le plus évident : pour connaître une chose, il faut qu'elle
nous atteigne par au moins un de ses aspects, il faut qu'elle existe en
nous d'une certaine manière. Du fait même qu'elle est connue, une
chose possède donc deux modalités d'existence : l'une selon l'être
qu'elle possède en elle-même, qu'on appelle l'être entitatif, et l'autre
selon l'être qu'elle possède dans le sujet connaissant, qu'on appelle
l'être intentionnel. Le problème de la vérité n'est autre que le
problème de l'adéquation entre ces deux modalités d'existence, pour
une même réalité.

C'est de ce constat que vient la définition la plus générale de la vérité


proposée par les anciens philosophes : le vrai, c'est l'être en tant que
connu adéquatement.
Nous sommes ici au cœur de la problématique philosophique. En
effet, la question centrale de la philosophie, c'est "qu'est-ce que
l'être ?". Philosopher, c'est donc chercher à savoir ce qu'est l'être,
c'est chercher à le connaître adéquatement, c'est, en un mot,
chercher la vérité au sens le plus général du terme.

Mais, chercher la vérité, ce n'est pas forcément la trouvé ! Et


précisément, depuis Descartes, depuis l'avènement des Temps
modernes, la philosophie est sous le règne du doute. Descartes s'est
mis à douter de la capacité de la connaissance d'atteindre son objet,
mes sens peuvent être sujets à l'illusion et au fond la seule chose
dont je suis sûr, c'est que je pense : douter que je pense c'est encore
une pensée, donc je pense. Descartes en conclut ainsi qu'il existe :
cogito ergo sum, je pense donc je suis. Cela peut paraître évident, on
n'a peut être pas besoin d'une démonstration pour prouver qu'on
existe, mais dans la perspective où Descartes s'était placé -et c'est la
perspective constitutive de l'idéalisme en philosophie-, c'était un
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résultat important, car, selon lui, puisque la certitude de mon


existence propre ne peut dériver que de l'expérience immédiate du
fait que je pense, je ne peut pas prouver que quelque chose existe
hors de ma pensée. À partir du moment où le doute systématique est
posé, -et la tentative de Descartes est probante là-dessus-, si on
n'admet pas le principe d'un accord en quelque sorte naturel entre la
connaissance et son objet, on n'arrivera jamais à le rétablir. Descartes
a besoin de la solution tout à fait extrinsèque d'un "Dieu vérace",
c'est-à-dire un Deus ex machina, un Dieu qui n'est là que pour
garantir la correspondance entre nos représentations et la réalité. A
partir du moment où je doute, par principe, que mes représentations
soient conformes à la réalité, rien ne pourra me permettre de
démontrer rationnellement qu'il y a une correspondance entre ce que
je connais et l'objet de cette connaissance, à savoir la réalité elle-
même.

Quand le doute systématique est posé, on ne peut plus le lever. Selon


moi, le point de départ d'une attitude saine sur la connaissance et
donc sur la vérité, c'est de croire que les facultés de connaissance et
l'intelligence sont faites pour connaître le réel et saisir la réalité telle
qu'elle est, au moins en première approximation. Tel est le point de
départ du réalisme en philosophie.

2. Où situer la vérité dans la connaissance ?


Il est vrai que la connaissance implique des processus complexes.
(Les considérations que je vous propose ici sont nécessaires parce
que si on veut réfléchir sur les images, il faut d'abord avoir réfléchi
sur comment la connaissance nous vient ; alors seulement on pourra
savoir s'il y a vérité dans les images, et comment).

La connaissance nous vient par les sens, selon l'adage scolastique :


"rien dans l'intelligence qui n'ait été d'abord dans les sens". Notre
contact avec le monde c'est la vue, l'ouïe, le toucher, le goût, l'odorat,
bref, nos cinq sens. Privés de nos sens, nous sommes privés de
contact avec le monde. Cela paraît évident, mais nombre de
philosophes en ont douté.
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Donc la connaissance commence avec la sensation, dans l'activité


sensible et ensuite passe dans l'imagination. Tout le monde sait que la
mémoire permet de retenir des expériences sensibles, et que dans
l'imagination on peut aussi les modifier : telle chose que je vois de
telle couleur, je peux l'imaginer de telle autre couleur, etc.. Il y a un
passage important, une prise en compte par l'imagination grâce à
laquelle je forme en moi des représentations. Le fait de l'imagination
prouve que je peux m'approprier une sorte de similitude des choses
que je perçois par les sens. La sensation est en quelque sorte
automatiquement, mécaniquement influencée par son objet, il y a
toutes sortes d'adaptations et d'ajustement des sens à leur objet,
mais cela se fait spontanément ou automatiquement. L'imagination
constitue le premier degré de liberté, si je puis dire, dans la
connaissance. C'est un pas important.

Mais le processus de la connaissance ne s'arrête pas là. Connaître un


arbre, ce n'est pas simplement pouvoir se représenter des images
d'arbres. Connaître intellectuellement un arbre, c'est en dégager la
notion ou le concept. Un concept d'arbre ce n'est pas seulement une
série d'images, une image vague qui rassemble plusieurs images,
c'est une notion, comme par exemple, "végétal ligneux". (Je cite ça
parce que c'est ce qu'on peut trouver dans un dictionnaire, mais je ne
dis pas que c'est la seule manière de définir un arbre !). En tout cas le
concept, c'est quelque chose d'abstrait qui se tire de l'image, il a une
valeur plus universelle que l'image parce que, au lieu de se limiter à
telle ou telle représentation particulière, il peut désigner une chose
dans sa nature la plus générale. Le concept de chêne ne désigne pas
simplement tel ou tel chêne particulier, ni telle ou telle représentation
particulière de chêne, mais la nature du chêne dans toute son
universalité.

Ce n'est qu'au niveau de la formation du concept que l'on est au


niveau de l'intelligence comme telle ; il ne nous est pas possible de
nous étendre longuement ici sur tout cela, mais il faut en tout cas
retenir cette distinction de trois niveaux ou étapes dans le processus
de la connaissance humaine : il y a la connaissance sensible qui est la
faculté de réceptivité par rapport au monde extérieur, il y a
l'imagination par laquelle nous élaborons les données sensibles pour
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former des représentations, et puis il y a la connaissance


intellectuelle, qui est la faculté apte à former les notions générales,
abstraites, universelles, c'est-à-dire les concepts.

Est-ce là tout ce que comporte l'activité intellectuelle? Non : la


formation des concepts, tirés des images mentales par abstraction,
ne constitue que la première opération de l'intelligence. Il y a une
deuxième opération, la plus importante par rapport à la question de la
vérité, par laquelle nous mettons en correspondance nos concepts
avec les choses d'où nous les avons tirées : c'est le jugement. Quand
je dis "arbre", vous pouvez penser à un arbre, mais, à ce niveau-là, il
n'y a pas encore vérité. Le mot arbre n'est ni vrai ni faux. C'est une
simple notion. Si maintenant je dis : "il n'y a pas d'arbre dans cette
pièce", j'affirme quelque chose sur la réalité, c'est ce qu'on appelle un
jugement. Là, il peut y avoir vérité ou fausseté. Il faut qu'il y ait une
prise de position de l'intelligence par rapport à la réalité qu'elle saisit
pour que la vérité puisse apparaître.

Et il y a encore une troisième opération de l'intelligence, le


raisonnement, par laquelle nous pouvons synthétiser deux -ou
plusieurs- jugements pour en obtenir un troisième, qu'on appelle
conclusion. C'est en quelque sorte la fonction transitive du jugement,
qui permet notamment la démonstration.

Voici donc la conclusion importante : la vérité et son contraire, la


fausseté ou l'erreur, ne sont à proprement parler ni dans la sensation,
ni dans les images (mentales), ni dans les concepts ; la vérité est
dans le jugement, dans cette activité intellectuelle qui est prise de
position par rapport au réel.

3. Il y a deux types de jugements


Le jugement, donc, attribue un prédicat, c'est-à-dire un concept, à un
sujet, c'est-à-dire quelque chose de la réalité vis-à-vis de laquelle
l'intelligence prend position. Dans le jugement, l'intelligence prend
position par rapport à l'être.
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Mais la métaphysique, qui est selon Aristote "la science de l'être en


tant qu'être", nous enseigne que l'être, tout être, comporte deux
aspects distincts :
1° tout être est quelque chose, ceci ou cela, une rose ou un chat ou
un coucher de soleil ou une pensée, bref, une nature exprimée par sa
définition et qu'on appelle son essence.
2° tout être, quelle que soit sa nature ou essence, entretient un
certain rapport avec l'existence : il existe ou n'existe pas, il peut
exister ou ne peut pas exister...
Or, à cette composition d'essence et d'existence tout à fait universelle
correspondent deux types de jugements possibles :

Si je dis par exemple, "l'homme est un animal rationnel", j'exprime


une vérité générale sur l'homme qui n'implique pas forcément le fait
que l'homme existe. Dire ce qu'est une chose n'implique pas qu'elle
existe. Par exemple, si je dis : "la licorne est un animal fabuleux", il ne
s'ensuit pas que la licorne existe dans la réalité des choses. Elle existe
dans l'imagination des hommes, mais la licorne n'existe pas en elle-
même, dans la réalité, comme un alligator ou un rhinocéros.

Donc il y a un premier type de jugement qu'on appelle jugement


d'attribution, par lequel j'attribue une certaine propriété -un certain
prédicat- à un sujet, j'affirme quelque chose d'une autre chose sans
préjuger de savoir si cette chose existe ou pas. Et puis il y a un autre
type de jugement, qui s'appelle un jugement d'existence ; et là je
prends position sur l'existence effective de la chose dans la réalité.

C'est une distinction qui peut paraître un peu technique, mais qui
revêt une importance capitale par rapport au problème de la vérité
dans l'image, par rapport au fonctionnement de la télévision et des
médias en général. Ce n'est pas du tout la même attitude
intellectuelle de faire un jugement d'attribution, de dire quelque
chose à propos d'autre chose, et de faire un jugement d'existence,
d'affirmer que telle chose (ou tel état de choses) existe en fait dans la
réalité. Et ce n'est qu'au moyen d'un jugement d'existence que je
peux effectuer la discrimination entre la fiction et la réalité, entre la
simple hypothèse et la réalisation effective, etc.
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Il est clair que dans la pratique beaucoup de jugements impliquent les


deux dimensions à la fois. Si je dis "les fauteuils de cette salle sont
noirs", je veux dire à la fois qu'il y a réellement des fauteuils dans
cette salle et qu'ils sont noirs. Les deux genres de jugements sont
mêlés en un seul jugement, mais qui contient les deux dimensions,
jugement d'attribution et jugement d'existence. Cette remarque
prend toute son importance quand on examine comment les médias
fonctionnent pour communiquer un sentiment de réalité, comment
par exemple un journaliste peut suggérer l'affirmation de la réalité
d'un évènement -un jugement d'existence- en se contentant
d'énoncer une simple hypothèse -un jugement d'attribution-.

Après la formation du concept par l'abstraction, et le jugement qui


attribue le concept à un sujet, l'activité intellectuelle se complète,
ainsi qu'on l'a dit, par une troisième opération, le raisonnement.
Raisonner, c'est enchaîner les concepts et les jugements de façon à
augmenter continuellement notre savoir. Mais alors on s'aperçoit que
les jugements que j'appelle d'attribution peuvent se poursuivre dans
le raisonnement d'une façon purement logique sans référence à la
réalité ; c'est pour cela que les spéculations des scientifiques ou des
philosophes peuvent avoir éventuellement une assez grande distance
par rapport à la réalité effective. Il faut périodiquement (et le plus
souvent possible) revenir vérifier nos conclusions au contact du réel
par le moyen de jugements existentiels.

Et comment est-ce que je peux former de tels jugements ? Comment


est-ce que je peux dire que telle chose existe, quel est mon critère
finalement ? Descartes pensait qu'il fallait pouvoir tout démontrer,
c'est-à-dire qu'il traitait tous les jugements sur le mode du jugement
d'attribution et au fond, pour lui, toute affirmation devait être ou bien
intellectuellement évidente, ou bien démontrée, pour être valide. Or,
toutes nos connaissances prennent leur origine dans la sensation, et
au premier chef nos jugements sur l'existence des choses.

Les anciens disaient que l'existence est un sensible "par accident" :


par soi l'existence est intelligible, mais pour savoir que les choses
existent, il faut d'abord les percevoir. Quand on craint une illusion, on
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essaie de toucher, on essaie d'avoir des informations sensorielles


supplémentaires pour se convaincre que la chose existe réellement.

Donc nous avons besoin de notre perception pour nous fournir la base
des jugements d'existence. Le jugement d'existence s'appuie sur la
sensation. Encore une fois, si je suis privé de la sensation, non
seulement je n'ai plus d'ouverture sur le réel mais je ne sais plus rien
sur son existence. Si je n'ai pas de contact direct avec la réalité, si
mes sensations acoustiques (cf. la radio), visuelles (télévision), voire
tactiles (mondes virtuels), sont relayées par des médias, comment
pourrais-je juger de la réalité ? Je serai cognitivement prisonnier de
mes "prothèses perceptives" !

4. Vérité spéculative et vérité pratique


La vérité se rapporte à la connaissance ; or, il y a deux modalités
fondamentalement distinctes de connaissance : la connaissance
théorique ou spéculative, et la connaissance pratique. Ces deux
modalités sont différentes par leurs finalités respectives : le but de la
connaissance théorique est la connaissance elle-même, on veut
connaître pour connaître ; le but de la connaissance pratique n'est
pas la connaissance en elle-même, mais une action à poser où une
chose à faire, pour la réalisation de laquelle la connaissance est un
moyen.

La connaissance éthique est typiquement de l'ordre pratique. Quand


vous voulez savoir, par exemple, les principes d'une déontologie c'est
pour déterminer dans la pratique comment il faut agir, comment il
faut se situer, ce n'est pas simplement pour la satisfaction de
connaître. Si par exemple on se donne une charte du journaliste, ce
n'est pas seulement pour énoncer des principes, mais pour pouvoir
les appliquer dans les situations concrètes.

La distinction entre connaissance spéculative ou théorique : -savoir


pour savoir-, et la connaissance pratique: -savoir pour agir-, est une
distinction capitale. Il en résulte deux modes de vérité puisque la
vérité est une conformité de la connaissance à son objet. Il y a donc
une vérité spéculative qui est purement et simplement la conformité
de la connaissance à l'objet, à la réalité extra mentale, qu'elle veut
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connaître. Plus une science ou une connaissance est vraie, plus elle
est conforme à l'objet qu'elle cherche à découvrir (Par quels moyens
s'assure-t-elle de cette conformité? Ceci, comme disait Kipling, est
une autre histoire... Cette question constitue l'objet propre de
l'épistémologie). Mais dans le cas de la connaissance pratique, qu'est-
ce que agir, ou faire ? C'est faire venir à l'être ce qui n'y était pas
déjà. Je pose un acte, je vais créer un événement, réaliser quelque
chose qui n'est pas déjà dans la réalité : et je ne peux pas prendre
pour norme de ma connaissance quelque chose qui n'existe pas
encore. La vérité pratique c'est la conformité à mon intention sur ce
qui doit être. Si l'objet réalisé, l'acte posé, la chose faite sont
conformes au projet que j'ai eu sur eux, alors ils seront dits vrais.
Vous voyez qu'il y a une grande différence avec la vérité spéculative
qui, elle, est réglée par son objet : il y a une chose qui existe, et pour
que ma connaissance soit vraie il faut qu'elle soit conforme à ce qui
lui préexiste. Dans la connaissance spéculative, je suis soumis à
l'objet et mesuré par lui, alors que dans la connaissance pratique
c'est différent, c'est moi qui règle et soumet les choses à mon projet,
donc la vérité sera d'une autre nature, c'est moi qui la détermine. En
tout cas, elle sera déterminée par rapport à mon projet sur la chose.

Puisque les images médiatiques sont toujours des images produites,


c'est-à-dire fabriquées, on devine les conséquences de cette
importante distinction pour notre propos, à savoir : qu'en est-il de la
vérité dans l'image? En tant qu'elles donnent à connaître, les images
sont dans la ligne de la vérité spéculative ; en tant qu'elles sont
fabriquées, les images relèvent de la logique de la vérité pratique ;
c'est sans doute dans cette dualité que réside une bonne partie du
mystère des images, et de leur puissance de fascination. Mais avant
d'appliquer nos considérations sur la vérité au cas des images, il faut
examiner s'il y a un rapport de priorité entre la vérité spéculative et la
vérité pratique.

5. Dévaluation de la vérité
Comme on l'a vu, la connaissance théorique ou spéculative est une
fin en soi, contrairement à la connaissance pratique qui est ordonnée
à l'action. Pour les anciens, il n'y a pas d'hésitation possible, l'ordre
des moyens est subordonné à l'ordre des fins, la connaissance
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pratique est subordonnée à la connaissance spéculative. C'est


pourquoi, pour eux, la sagesse suprême est la sagesse spéculative,
car elle est recherchée pour elle-même, et non en vue d'autre chose.
La vérité spéculative est la vérité tout court.

Au cours des Temps modernes, à partir de Descartes qui en est


l'initiateur philosophique, ce rapport de subordination s'est
progressivement renversé, dans un mouvement qui culmine au XIXe
siècle avec Marx et Nietzsche.

Marx, par exemple, a dit dans une des célèbres "Thèses sur
Feuerbach" que "jusqu'à présent les philosophes se sont contentés
d'interpréter le monde ; ce qui importe désormais, c'est de le
transformer". C'est un choix délibéré en faveur de la connaissance
pratique, la praxis, quiconque a un tout petit peu de culture marxiste
a entendu parler de cette notion de praxis, qui veut dire agir en grec.
Ce qui est important ce n'est pas de connaître pour connaître, c'est de
connaître pour agir. La pensée marxiste, de ce point de vue, ne se
veut pas une philosophie au sens strict, parce qu'elle ne se veut pas
une connaissance spéculative, mais une connaissance pratique ; elle
veut transformer le monde, elle veut transformer l'homme.

La vérité pratique devient le critère de toute vérité. On a quelque


chose d'analogue chez Nietzsche, qui est encore plus radical si
possible. Au fond Nietzsche prend le contre-pied de tout l'héritage de
la civilisation occidentale. Ses ennemis ce sont aussi bien le
christianisme que la philosophie grecque, ce sont Jésus et Socrate,
c'est tout ce qu'il appelle les "arrières mondes", c'est l'idée qu'il y
aurait des absolus comme la vérité ou le bien. Tout l'effort de sa
pensée va être de transformer le rapport au monde qui était impliqué
par cette vision du réel en termes de vérité à connaître, ou de bien à
faire, etc. Et lui aussi il va mettre l'accent de façon délibérée sur
l'aspect pratique et vécu de la pensée et donc de la vérité. Pour lui, le
modèle même de l'activité du penseur, c'est l'art, dans lequel le
résultat de l'activité de l'artiste, est une œuvre à faire, une chose à
créer, à faire sortir de la matière. Et ainsi, pour lui, le type même du
penseur, ce n'est pas le philosophe qui spécule, c'est l'artiste ou le
poète qui œuvrent.
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Et donc à partir de ces penseurs, Marx, Nietzsche et bien d'autres, on


va arriver non seulement au primat de la vérité pratique sur la vérité
spéculative, mais même aujourd'hui à une dévalorisation complète de
celle-ci. Régis Debray par exemple, qui réfléchit beaucoup sur l'enjeu
de la communication, de l'image, et des médias se réclame très
ouvertement de cet héritage nietzschéen, en disant que finalement la
question de la vérité ne se pose pas : ce qui se pose c'est la question
des rapports de force, dont il fait la base de son analyse de la
communication, selon la doctrine qu'il appelle la "médiologie". Dans
son "Cours de médiologie générale", et dans "Vie et mort de l'image",
un livre très suggestif, il dit que le problème n'est pas de savoir ce
qu'est l'image, mais de savoir comment l'image fonctionne, ni de
savoir ce que sont les médias, mais de savoir comment ils
fonctionnent, à quoi tient leur efficacité. Encore une fois, ce qui
l'intéresse, ce n'est pas la vérité spéculative -ce qu'est la chose- mais
comment elle fonctionne, comment elle est efficace, comment elle
s'impose.

En un mot, ce qui est important ce n'est plus la question de la vérité,


c'est la question des rapports de force. C'est tout à fait capital. Ce
glissement de pensée progressif, par lequel la problématique de la
vérité a évolué vers une problématique des rapports de force, est tout
à fait caractéristique de la civilisation intellectuelle contemporaine.
Vous voyez comment on rejoint la question déontologique des
médias, à partir du moment où le problème n'est plus tellement de
savoir ce qui est vrai ou ce qui est faux, mais de savoir ce qui va
pouvoir s'imposer ou pas ; bref, à partir du moment où la vérité est en
crise.

II. Quelle vérité pour l'image ?

1. Qu'est-ce qu'une image?


Maintenant abordons la question de l'image. À vrai dire, là aussi il y a
un beau fouillis. Je me suis trouvé face à une quantité tout à fait
impressionnante de livres et d'articles en préparant cet exposé et le
principal problème là-dedans, c'est de ne pas se noyer. Alors je me
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suis dit que le meilleur moyen de vous rendre service, c'est d'y mettre
un peu d'ordre. Donc, d'une façon certainement un peu
simplificatrice, on va essayer d'y voir clair dans ce monde de l'image.

a/ Les images mentales


Au fond, qu'est ce qu'une image ? Essayons de proposer une première
classification pour avoir les idées plus claires. Il faut bien voir, comme
je l'ai dit tout à l'heure, que l'homme pratique les images depuis
toujours, parce que la première forme de l'image qui nous vient à
l'esprit, si je puis dire, c'est l'image mentale. Les images mentales,
nous en formons spontanément. Quand nous lisons un roman, nous
nous formons des images. Chacun a fait cette expérience : quand on
a lu un beau roman et qu'on va voir le film, on est souvent déçu, on
s'était formé tout un capital d'images qu'on ne retrouve pas dans le
film. Quand nous pensons nous formons des images, car l'homme ne
pense pas sans images mentales. Donc l'homme est depuis toujours
en proie aux images.

Mais alors justement qu'est ce que l'image ? Déjà dans ce processus


de la connaissance, je vous l'ai montré tout à l'heure, c'est quelque
chose d'intermédiaire. C'est d'un côté ce qui termine la sensation,
puisque je forme des images à partir de données sensibles, mais, de
l'autre côté, c'est ce sur quoi s'exerce l'activité intellectuelle, car les
concepts se forment par abstraction à partir des images. Donc c'est
quelque chose d'intermédiaire qui est lié au sensible mais qui
possède déjà une autonomie, sur lequel je peux travailler et qui me
permet la connaissance intellectuelle.

Quelle différence y a-t-il entre une image (mentale) et un concept Du


point de vue empiriste, bien représenté par le philosophe anglais
David Hume (1711-1776), il n'y en a pas vraiment

Mais s'il est vrai qu'une image est toujours une représentation
singulière, incapable de saisir le général comme tel, -imaginez un
arbre : vous êtes forcé de vous représenter un arbre particulier-, il
n'en va pas de même du concept, par lequel je saisis une notion
universelle. Par exemple le concept d'arbre, "végétal ligneux", ne
15

représente aucun arbre particulier, mais désigne tout arbre, actuel ou


possible.

Dans la perspective nominaliste, un concept n'est rien de plus qu'une


sorte de nom ou d'étiquette accolée à une classe d'objets ou à une
liste de propriétés.

Mais je soutiens, avec les philosophes réalistes, que le concept n'est


pas une représentation du genre "image", c'est-à-dire un signe
"iconique", selon la terminologie de C.S.Pierce, et qu'il n'est pas non
plus un signe du genre "symbolique", c'est-à-dire un signe
conventionnel comme le nom qui l'exprime. Il n'est pas possible de
développer la discussion ici. Remarquons simplement d'une part que
l'image mentale comporte une certaine matérialité psychique
(puisqu'elle est singulière et que c'est la matière qui est principe
d'individuation), tandis que le concept est totalement immatériel en
raison de son universalité (encore une fois, je ne parle pas du mot qui
exprime le concept). D'autre part, le concept n'est pas un signe
conventionnel, dans la mesure où il exprime ce qu'est la chose. Cela
conduit à penser que le concept est un genre de signe très particulier
qui ne rentre dans aucune des catégories proposées par Pierce (indice
/ icône / symbole), qui ne conviennent qu'à des signes matériels.

b/ Les images physiques : idoles et icônes


Après les images mentales, il y a les images physiques, les images
fabriquées ou les "artefacts visuels", pour parler comme Régis
Debray. Ces images-là sont manifestement matérielles, puisque
perceptibles aux sens. (C'est presque toujours uniquement de ces
images-là dont on s'occupe aujourd'hui. Par exemple, François
Dagognet, dans son livre au titre ambitieux, "Philosophie de l'image",
ne fait même pas allusion aux images mentales. Quant à Régis
Debray, il déclare dans "Défendre l'image" qu'il ne prend ce terme
d'image que dans le sens d'artefact visuel, à l'exclusion de l'image
naturelle, mentale, ou littéraire. Cette omission me paraît regrettable
de la part d'auteurs qui se proposent de philosopher sur l'image, mais
qui ne se donnent pas les moyens d'aller au fond des choses.)
16

Pourquoi l'homme a-t-il toujours fabriqué des images? Pourquoi


l'image n'est-elle jamais innocente ? D'où vient le pouvoir de
fascination des images sur l'esprit humain ?... Dans "Vie et mort de
l'image", Régis Debray constate que l'image a partie liée avec la
question religieuse. (Et pas seulement l'image, mais la
communication et les médias en général, au point qu'il présente sa
"médiologie" comme la forme moderne et positive de la théologie !).
Par exemple, pour les hébreux, pour les juifs de l'ancien testament, on
ne pouvait pas représenter Dieu, parce qu'il était invisible,
immatériel, incorporel et donc représenter Dieu, c'était en faire une
image nécessairement fausse, une idole. La préoccupation première
de la religion juive était de lutter contre l'idolâtrie, c'est-à-dire le culte
des faux dieux, et donc leur représentation. Cela allait si loin qu'il ne
fallait rien représenter. Les juifs se méfiaient non pas seulement des
images divines, des idoles, mais de toute image. C'est un peu la
même chose pour l'Islam. L'Islam ne veut pas qu'on représente Dieu,
et n'accepte pas non plus qu'on représente la personne humaine.
L'art musulman est un art peu représentatif de la personne en
général.

Or, comme le remarque Régis Debray, il en va autrement avec le


christianisme, pour lequel Dieu s'est incarné ; Dieu s'est fait homme
et donc s'est rendu représentable. Le Christ est homme-Dieu : il est
un homme, donc il est représentable ; il est Dieu, donc on peut
représenter Dieu. À partir du christianisme, l'image est réhabilitée. De
plus, la théologie chrétienne dit que dans la trinité, le Verbe, le Fils est
l'image du Père, c'est en Lui que le Père se reflète. Ainsi l'Incarnation
introduit une double valorisation de l'image : le Christ-homme est
l'image de Dieu et le Christ-Verbe est l'image du Père. Ce qui porte à
son achèvement cette affirmation de la Genèse selon laquelle Dieu a
fait l'homme à son image et à sa ressemblance.

Le christianisme a donc réhabilité les images. Mais non sans nuances


ni hésitations. Il y a eu, aux VIIIe et IXe siècles, la grande querelle de
l'iconoclasme. Les "iconoclastes" refusaient d'utiliser des images -des
icônes- pour la prière et le culte. En 787 le Concile de Nicée a donné
raison aux partisans des images, les "iconodules". Mais il y a les
bonnes et les mauvaises images : les icônes et les idoles ; ou plus
17

exactement, le bon et le mauvais usage des images. L'image est idole


quand le regard de l'intelligence s'y arrête, icône quand la foi l'investit
pour porter l'intelligence au-delà d'elle vers le modèle ou "prototype"
divin. C'est pourquoi tout culte rendu à une réalité non transcendante
est forcément idolâtre.

Le christianisme a donné ses lettres de noblesse à l'image, certes,


mais en restant dans le domaine du sacré. Doit-on, avec Régis
Debray, attribuer au christianisme la paternité de cette extraordinaire
valorisation des images que nous constatons aujourd'hui ? C'est un
peu simplificateur, et, au fond, c'est rester prisonnier de la confusion
du sacré et du profane, du spirituel et du temporel, qui fut fatale à la
chrétienté médiévale ; car les images qui ont tant d'importance dans
la culture contemporaine sont des images profanes, et le culte actuel
des images doit sans doute moins à la doctrine chrétienne de
l'Incarnation divine qu'au puissant courant de désacralisation et de
conversion vers la matière qui traverse la modernité.

c/ Images naturelles et images artificielles


À propos de cette querelle de l'iconoclasme, je me suis reporté par
curiosité à des textes théologiques sur ce sujet : il en ressort que la
toute première distinction à faire pour classer les images, c'est entre
les images naturelles et les images artificielles. En effet, pour les
anciens, il y a une différence essentielle entre ce qui se fait par nature
et ce qui est produit par l'art : car l'art imite la nature, et non
l'inverse. Donc, dans la notion d'image, il n'y a pas seulement à
considérer la notion de représentation mentale ou physique, il y a
aussi la notion de ressemblance de nature. Quand on dit que le fils est
à l'image du père, c'est une image naturelle.

L'image mentale est encore une image naturelle, bien qu'il y ait une
certaine possibilité de modification de cette image intérieure, et le fait
qu'il y ait une marge de liberté par rapport à l'objet perçu la
rapproche de l'image artificielle, on verra dans quelles conditions.

Et puis il y a les images artificielles, c'est-à-dire faites de main


d'homme. L'art, c'est ce qu'on fait, c'est ce qui donne lieu à un
produit. Il y a les beaux-arts, les produits qui sont faits pour être
18

beaux, voulus pour leur beauté, et puis il y a les arts de l'utile. Mais
tout ce qui relève de l'art suppose un produit, une production. Donc
l'image peut être naturelle ou artificielle, et si elle est artificielle, c'est
qu'elle est un produit et le résultat de l'art, d'un faire, d'une
fabrication. Cette distinction est tout à fait capitale parce la première
des caractéristiques des images médiatiques, de l'image de la
télévision, c'est d'être une image non pas naturelle mais produite, un
artefact. Toutes les images physiques, la photo, la peinture sont des
artefacts : il en découle des caractères qu'il ne faut jamais perdre de
vue.

2. Quelle vérité pour quelle image ?


Quelles sont les différences qui s'introduisent selon qu'on a affaire à
une image naturelle ou à une image artificielle ? Comme je vous l'ai
dit, dans le processus de la connaissance, l'image mentale est la
synthèse de la sensation. Celle-ci se fait automatiquement, elle est la
preuve de la réalité. Je crois qu'une chose existe parce que je la vois,
je peux la toucher, parce que les sensations sont les témoins fidèles
de cette réalité, soit dans sa nature, soit dans son existence. Bien
que, dans certains cas, ce témoignage ne soit pas si fidèle que ça, je
fais foncièrement confiance à mes sens. L'homme commun, dans la
vie de tous les jours, fait confiance à ses sens. Et même le savant qui
pratique une discipline très sophistiquée, quand il regarde des
indications sur un cadran ou dans une chambre à bulles, il fait
confiance à sa vue. Ou quelquefois, dans certaines manipulations, à
son toucher, à son ouïe, enfin il est bien obligé de faire confiance à
ses sens.

Donc la sensation, par exemple la vue, est en quelque sorte


"infaillible", me livre normalement le réel tel qu'il se donne. Sauf
exception pathologique, la sensation est toujours "vraie". Il en va de
même de l'image mentale pour autant qu'elle est intégrée au
processus cognitif : on peut dire que la vérité de l'image qui fait
connaître relève spontanément de la conformité à l'objet.

Mais il n'en va plus de même de l'image mentale à finalité créatrice,


appelons la image poétique. Dans ce cas, par exemple en littérature,
en poésie, et d'une manière générale toutes les fois que l'imagination
19

revendique sa liberté par rapport au réel, la vérité de l'image va être


fonction de sa conformité à l'intention qu'elle exprime. Mais
l'expression de l'image poétique est étroitement liée à la réalisation
d'une œuvre, ce qui montre qu'on doit la rapprocher du cas de
l'image fabriquée, de l'image artefact : du moment qu'elle est
fabriquée, celle-ci est le produit de l'art ; sa vérité n'est pas alors la
simple adéquation entre l'image et ce qu'elle représente, mais elle
dépend de l'intention de son auteur.

On retrouve pour l'image physique les deux cas distingués pour


l'image mentale : si on est dans le cas d'une image à finalité
cognitive, faite pour préparer le concept et le jugement spéculatif, on
tendra alors vers une vérité de conformité à l'objet ; dans ce cas, une
image sera d'autant plus vraie qu'elle sera plus ressemblante, plus
riche en données informatives sur l'objet qu'elle est censée
représenter ; sans pouvoir cependant s'affranchir du minimum
incompressible d'écart au réel lié aux contraintes de production de
l'image et aux choix de son auteur. Mais si on est dans le cas d'une
œuvre de création, les critères de vérité seront différents. L'image de
fiction a sa vérité propre qui n'est pas du tout de même nature que
l'image de reportage par exemple: l'image de reportage qui se donne
comme reflet fidèle d'une réalité qu'on me montre ne relève pas du
même ordre de vérité que l'image de fiction, où l'on va me projeter
dans un monde qui va être créé, qui va être le mode d'expression
d'un artiste, d'un auteur, dans lequel je vais rentrer plus ou moins,
mais où je ne vais pas chercher la conformité à telle ou telle réalité
existante, "toute ressemblance avec des personnages existants ou
ayant existé serait pure coïncidence..."

Pour récapituler le statut de la vérité dans l'image mentale, je dirais


que dans le cas de l'image mentale cognitive, en tant qu'elle est un
intermédiaire naturel dans le processus de la connaissance, la vérité
va de soi. Comme on l'a vu, dans le processus complexe de la
connaissance, la vérité à proprement parler ne fait son apparition
qu'au niveau du jugement. La sensation est infaillible, ainsi que les
images qui en dépendent directement.
20

Dans le cas de l'image mentale créative, l'apparition d'un certain


degré de liberté et de contrôle de l'imagination par rapport aux
données sensibles montre que l'on sort de l'ordre strictement cognitif,
pour entrer dans celui de la vérité pratique : conformité à l'intention
de l'agent. Comme l'image créatrice est l'expression quasi immédiate
de mon intention ou de mon inspiration, là encore il n'y a guère
d'écart possible : la vérité (pratique) allant de soi, elle est hors de
propos.

Il en va autrement dans le cas des images produites : compte tenu de


la matière à œuvrer et des contraintes du processus de production, il
y a un écart impossible à supprimer totalement entre le projet et sa
réalisation. Et on peut encore distinguer parmi ces images produites
celles qui ont une finalité cognitive, soumises malgré tout aux critères
de la vérité spéculative, des images à finalité créative qui relèvent
pleinement de la vérité pratique ; bien que dans le cas de la
télévision, par exemple, la plupart des images se trouvent dans un
statut mixte : à la fois cognitives et créatives.

III. Télévision et vérité

1. Définition générale de l'image


Peut-être est-ce le moment de faire remarquer que toutes les images
ne sont pas nécessairement visuelles: il y a des images auditives,
olfactives, audiovisuelles, etc. Est-il possible de donner une définition
de l'image assez générale pour embrasser toutes les formes qu'elle
peut prendre : naturelle et artificielle, mentale et physique, cognitive
et créative, visuelle et auditive, etc. ?

En fait, la caractérisation la plus générale qu'on peut trouver de


l'image, c'est la ressemblance : l'image, en tant qu'image, est
quelque chose dont la nature consiste à ressembler à quelque chose
d'autre, qu'on appelle son modèle ou son original. Mais est-ce sous
n'importe quel rapport ? Évidemment non. Il faut que l'image soit un
"vicaire" du modèle, il faut qu'elle puisse l'évoquer, le rendre présent
sans se substituer à lui ; ou même le remplacer, au moins sous un
certain aspect, à condition de rester avec lui dans un rapport de
21

dépendance : tout le pouvoir de séduction de l'image réside là.


L'image n'entretient pas avec son modèle une simple relation de
ressemblance -un œuf ressemble à un autre œuf, il n'en est pourtant
pas l'image- mais une relation de représentation.

Mais ce n'est pas tout. Prenons l'exemple de ce fauteuil noir : je ne


dirais pas que le noir est l'image du fauteuil, bien que le noir soit
quelque chose du fauteuil, car ce n'est pas quelque chose d'assez
caractéristique ou spécifique. Une image, pour être une telle, doit
représenter son modèle d'une façon caractéristique ou spécifique. Le
noir n'est pas l'image du fauteuil, mais par contre, le son "ouah-ouah"
peut être l'image du chien. "Ouah-ouah" renvoie de façon
caractéristique à une réalité qui est le chien.

Donc une image est une certaine réalité qui représente une autre
réalité sous un aspect caractéristique ou spécifique.

Encore une remarque: la notion de représentation est plus large que


la notion de ressemblance, car elle peut être conventionnelle; on voit
ce que "représente" un panneau de stationnement interdit, mais à
quoi ressemble-t-il? La classification des signes proposée par C. S.
Pierce est souvent appliquée au classement des différents types
d'images en fonction de leur mode de représentation : Pierce
distingue les indices (ex. la fumée, pour le feu), les icônes (le portrait,
pour son modèle), les symboles (le mot, pour le concept qu'il
désigne). L'indice est dans une relation d'appartenance par rapport à
son référent, l'icône dans une relation de ressemblance, le symbole
dans une relation conventionnelle. Ainsi, on pourrait dire qu'il y a des
images indicielles (le son "ouah-ouah"), des images iconiques (la
photographie), et des images symboliques (le panneau de
stationnement interdit). Mais si on veut rester cohérent avec une
définition de l'image qui se fonde sur la notion de ressemblance, les
seuls signes qui méritent le nom d'image au sens strict sont les
signes iconiques (d'ailleurs, eikon signifie image en grec).

2. Typologie des supports visuels


Jusqu'ici, nous avons classé les images par rapport à leur nature
même d'image. Nous allons maintenant tenter de les classer en
22

fonction des différents supports visuels où elles peuvent se trouver. Il


est donc clair que nous ne considérons désormais que les images
physiques, fabriquées, les artefacts visuels ou audiovisuels. Notons,
par parenthèse, que si ce travail de mise en ordre typologique peut
paraître un peu technique et laborieux, il constitue cependant un
préliminaire indispensable à toute réflexion rigoureuse sur les enjeux
des médias, et tout spécialement par rapport aux questions de
déontologie. Plus encore que les autres médias, la télévision est une
réalité sociale complexe, dont la compréhension nécessite des
instruments d'analyse appropriés. Pierre Schaeffer, le fondateur du
Service de la Recherche à l'O.R.T.F., disait que devant les images, tout
le monde est "tout couillon", même (et surtout ?) les plus intellectuels
et les plus savants. Tout le monde est un peu piégé par la télévision,
et quand des problèmes apparaissent, on assiste à des réactions
irrationnelles de défiance ou de rejet global. Je crois que la possibilité
de prendre du recul et d'effectuer une analyse rationnelle des
phénomènes en cause dépend pour une large part d'instruments tels
que ceux que je vous propose.

Donc essayons de faire une petite typologie des artefacts visuels, très
sommaire, ce serait trop long de faire une typologie approfondie, c'est
très compliqué, je ne pense pas qu'il y en ait fonctionnant
officiellement aujourd'hui. Il me semble qu'on peut tirer profit du
classement suivant :

a/ L'image fixe
Il faut d'abord distinguer l'image fixe. Dessin, peinture, sculpture,
photographie, enfin tout ce qui se donne comme image fixe. Il est
important de distinguer l'image fixe en tant que réalité uniquement
spatiale, qui n'est pas située comme telle dans le temps. Certes, pour
la fabriquer il faut du temps, pour la lire il faut du temps, mais c'est
un temps qui ne dépend pas d'elle. L'auteur de l'image fixe mettra à
un certain temps à la produire, mais une fois que cette image est
produite, elle est hors du temps. Il faudra un temps pour la regarder,
mais là encore c'est un temps qui va dépendre de ma subjectivité, qui
n'est pas inscrit dans l'image comme son temps propre.

b/ L'image-mouvement
23

Le temps de l'image fixe est un temps subjectif et non pas objectif, et


c'est ce qui l'oppose à l'image-mouvement. L'image animée est
entrée dans notre culture par le cinéma, et Gilles Deleuze a fait une
très belle analyse de la nature du cinéma dans ses deux livres,
"L'image-mouvement" et "L'image-temps", où il a montré qu'un film,
ce n'est pas simplement de l'image, c'est tout d'abord du
mouvement. Il a vu ça sous l'influence de la pensée de Bergson, selon
lequel la réalité ultime, le fond de l'être n'est pas immobile et
statique, c'est du mouvement, du devenir. A partir du moment où l'on
voit toute réalité sous forme de devenir, on est naturellement préparé
à voir dans le cinéma comme une sorte de "tranche" de mouvement,
un pur morceau de mouvement (et donc un pur échantillon de
réalité).

Je résume très sommairement les subtiles analyses de Deleuze, mais


c'est vrai que le ressort du film n'est pas seulement dans les images,
contrairement à ce qui apparaît à un regard superficiel. Ce qu'il y a
dans la bande-son d'un film est souvent plus déterminant que les
images. C'est si vrai qu'un film ne se réduit pas à ses images, que l'on
a pu observer que les aveugles peuvent aller au cinéma, pas les
sourds ! Et vous savez bien que l'on peut plus ou moins "écouter" la
télévision en vaquant à d'autres activités ; mais regarder l'image de
télévision sans le son, cela manque presque totalement d'intérêt.

Donc, le cinéma (et plus généralement l'audiovisuel), c'est de l'image


plus du son ; mais avant tout c'est un mouvement, une continuité
temporelle. On vous propose une certaine construction dans le temps,
un certain mouvement. Dans un livre, qui s'appelle "L'impact de
l'image", Alain Gauthier dit que finalement, regarder la télévision,
c'est lui donner du temps, lui concéder du temps. C'est du temps qui
va être absorbé par la télévision et que je lui concède. Effectivement,
regarder un film, c'est concéder un temps pendant lequel je vais
accepter de soumettre ma perception à une autre perception.

Ainsi, l'image-mouvement est quelque chose de tout à fait différent


de l'image fixe : en tant même qu'elle impose un certain mouvement,
elle n'est pas de la même nature épistémologique. Aristote avait déjà
remarqué que le mouvement est un "sensible commun", c'est-à-dire
24

qu'il est perceptible par plusieurs sens, à la différence des "sensibles


propres", comme la couleur ou le son, qui ne sont perceptibles que
par un seul sens. Donc quand vous percevez une réalité qui d'abord
est mouvement, vous percevez une synthèse de plusieurs dimensions
sensibles, votre perception est plus riche en données informatives sur
le réel, elle est plus prégnante de "fonction de réel", si on peut dire.
Quand vous allez au cinéma ou regardez la télévision, par le simple
fait que vous acceptez de rentrer dans le mouvement qui vous est
proposé, vous vous soumettez à un effet de réalité beaucoup plus fort
que quand vous êtes devant une image fixe.

c/ L'image-spectacle
La troisième catégorie de supports visuels que je vous propose de
noter, c'est l'image-spectacle. Les images ont différentes fonctions.
Elles peuvent faire connaître, elles peuvent aider à prier (la querelle
des icônes se rapportait à la prière et au culte rendu à Dieu), mais
elles peuvent aussi distraire, émouvoir, faire rêver, elles peuvent être
spectacle. Il est clair qu'en matière de cinéma et de télévision, le
caractère de spectacle présente une importance considérable. Donc
l'image-spectacle est à mon sens le troisième grand genre d'image,
après l'image-fixe et l'image-mouvement. Le support visuel s'enrichit
à chaque étape.

Remarquons que le spectacle vivant -danse, théâtre, opéra- n'est pas


une image. L'image, c'est une réalité qui en reproduit une autre, et un
spectacle vivant vous "représente" quelque chose mais ce qui est
représenté, c'est l'œuvre d'un auteur. Il n'y a pas reproduction d'une
chose ou d'un événement : l'œuvre qui vous est présentée, danse,
théâtre, etc. se tient "en chair et en os" devant vous ; la
représentation n'est pas la copie d'autre chose, elle est l'événement
même. C'est pour ça qu'il y a une différence de nature entre la pièce
de théâtre et la pièce de théâtre filmée parce qu'il y en a une qui est
un événement, et l'autre qui est l'image de cet événement. On ne
peut dire qu'un spectacle vivant est une image que par analogie,
comme lorsqu'on dit qu'un roman est l'image de la vie.

- Réalité et fiction, direct et différé


25

Si maintenant on veut avancer dans l'analyse de la vérité des images-


spectacle, il faut faire, me semble-t-il, une distinction, qui répond
grosso modo à la différence ressentie par le public entre le cinéma et
la télévision, ou plus précisément entre le film et le reportage: il faut
distinguer entre la fiction, l'image de fiction, et puis l'image de réalité.
Cela nous introduit dans le vif de la question déontologique : le
journaliste, lui, ne va pas d'abord se sentir concerné par la fiction.
Tout son problème justement, c'est de se démarquer de l'univers de la
fiction. Nous rencontrons ici l'application aux médias de notre
réflexion sur les rapports de l'image avec la vérité : le journaliste de
télévision travaille sur des images cognitives, il a affaire avec le
problème de la vérité en tant qu'adéquation avec le réel.

Depuis qu'il n'y a plus d'actualités au cinéma, celui-ci est devenu en


quelque sorte le lieu de la fiction par excellence, de l'œuvre
d'expression. Christian Metz, dans les ouvrages qui jalonnent sa
recherche, s'est posé la question de la nature du langage
cinématographique, et il a toujours maintenu cette conclusion que le
cinéma n'est pas un langage de communication. Ce n'est pas un
instrument de communication comme la langue, c'est un langage
d'expression, comme peut l'être une œuvre d'artiste, un tableau ; un
film est une œuvre dans laquelle un auteur va exprimer son point de
vue sur la réalité. C'est pourquoi la fiction a sa vérité propre, qui est
sa conformité avec l'intention de l'auteur.

Le cinéma est un cas "pur", à la différence de la télévision, où tous les


genres sont juxtaposés, voire, de plus en plus souvent, mélangés. Il
n'en était pas ainsi au début de la télévision, quand son prestige
reposait sur le direct, sur le pouvoir de saisir l'événement "à-même".
Le reportage en direct semblait en effet comporter le maximum de
vérité.

Il est bien clair qu'aujourd'hui ce n'est pas le direct proprement dit qui
prédomine. Souvent la seule part de direct au sens propre, c'est le
plateau. L'effet de direct est donné par le plateau -c'est-à-dire par un
gros plan quasi-permanent sur le présentateur et ses invités- puisque
la plupart des reportages sont eux-mêmes plus ou moins en différé. Il
reste que l'image de marque de la télévision, l'image spécifique de la
26

télévision pour le public par rapport au cinéma, c'est qu'elle constitue


un regard sur la réalité, la télévision possède un "effet de réalité"
propre qui est lié à cette notion du direct, de témoignage à chaud sur
le monde, qui n'appartient pas au cinéma.

- La télévision, image du réel ou monde virtuel ?


Aujourd'hui, il y a beaucoup de films qui passent à la télévision,
beaucoup d'émissions qui ont un statut intermédiaire ; dans les jeux,
les "reality-shows", et même parfois le journal télévisé et les
reportages, la réalité et la fiction sont intimement mêlées, au point
d'en devenir indiscernables. Or, telle est précisément la
caractéristique de ce qu'on appelle les "mondes virtuels" ; c'est
pourquoi regarder le monde à travers cette "prothèse perceptive"
qu'est la télévision, c'est en fait entrer dans un monde virtuel, plus ou
moins entièrement reconstruit. Et il y a plus, c'est la télévision elle-
même qui nous le dit, le vrai monde, c'est celui qu'elle donne à voir !
Il y a quelques années, une publicité déclarait : "quand on aime la vie,
on va au cinéma". Aujourd'hui la télévision autoproclame que quand
on veut la réalité -la vraie on regarde la télé. (Cf. sur ce point
l'excellente contribution de J.P. Esquenazi au séminaire INA "La vérité
à la télévision" : "La vérité d'une institution : TF1 et son
téléspectateur")

La télévision est un monde virtuel, je pense que c'est la conclusion


qui s'impose. Et je dirais même que c'est le vrai monde virtuel, si on
peut parler ainsi, parce que dans les mondes virtuels produits par
images de synthèse, à partir du moment où l'on entrerait
perceptivement dans des mondes qui seraient purement des
"images" numériques, qui n'auraient plus aucune vocation à
représenter le réel, il ne s'agirait même plus d'images au sens propre,
mais d'"objets visuels", sans référent ! C'est un paradoxe, mais
l'avenir des images de synthèse, c'est de nous proposer quelque
chose, une réalité sui generis, qui ne serait plus à proprement parler
une image, mais qui serait de l'ordre de l'hallucination perceptive : à
savoir, une perception sans objet réel. Comme dans le cas du
spectacle vivant, la chose montrée ne renvoie pas à autre chose
qu'elle-même, il y a représentation, il n'y a pas ressemblance.
27

3. Image et télévision
Si maintenant nous voulons appliquer nos essais de classification et
de typologie des images au média télévision, et voir comment la
question de la vérité y intervient, il faut examiner la place de l'image
à la télévision ; en effet, l'image n'est pas le tout de la télévision, elle
est avec elle dans un rapport de métonymie : l'image est à la
télévision ce que la voile est au navire, une partie qui désigne le tout.

On parle souvent de la civilisation de l'image en pensant, entre


autres, à l'omniprésence de la télévision. En réalité la télévision n'est
pas d'abord des images, elle est caractérisée par l'image, mais ce
n'est pas un simple flux d'images, c'est un média. Aujourd'hui le
"multimédia" est à la mode, ce qui fait qu'il est assez difficile de
savoir ce qu'est au juste un média ; le plus souvent, on appelle média
un moyen de communication impliquant à la fois un support
technique et une institution sociale. La télévision est donc un média,
spécifié, non pas seulement par l'image, mais par son caractère
audiovisuel, c'est-à-dire qu'il se différencie d'autres médias comme la
presse ou la radio, en tant qu'il diffuse un flux d'images et de sons.

- La télévision est un système de croyance


Comment fonctionne ce média ? Je ne vais pas parler ici du dispositif
technique de la télévision, mais de son fonctionnement en tant
qu'institution sociale, de certains aspects du rapport qui s'établit
entre la télévision et son public, pour autant qu'il peut y être question
de vérité. Si je me réfère, par exemple, aux travaux du séminaire
organisé par l'INA sous la direction de Pierre Sorlin, "La vérité à la
télévision", il apparaît clairement que la télévision, plus encore que
les autres médias, est un "système de croyance".

Alors, qu'est-ce que la croyance ? Les anciens distinguaient entre


l'opinion et la science, une vieille distinction qui remonte à Platon :
l'opinion, c'est ce qui est mobile, changeant, particulier, affecté d'un
caractère plus ou moins provisoire ; par opposition, la science porte
sur ce qui est immobile, nécessaire, universel, la science est l'"opinion
vraie" en tant qu'elle dérive de la certitude de la raison. La croyance
est l'adhésion à des opinions qui ne dérivent pas des certitudes
démonstratives de la raison.
28

Je m'empresse de faire remarquer qu'au moins les trois-quarts de nos


convictions usuelles reposent sur la croyance : nous pensons tous que
la terre tourne autour du soleil, mais qui le sait ? qui saurait le
démontrer ? je suis persuadé que bien peu parmi nous le sauraient,
ce n'est pas si facile de démontrer que la terre tourne effectivement
autour du soleil et pas l'inverse. Et Galilée, à qui l'on a fait, comme
chacun sait, quelques difficultés sur ce petit problème, n'avait
proposé que des démonstrations fausses ; il avait une idée juste, mais
que l'on n'a su démontrer que bien plus tard, grâce au pendule de
Foucault… Voilà typiquement une croyance : je crois que nous avons
raison de croire que la terre tourne autour du soleil, mais ça relève
pour nous de la croyance plus que du savoir, finalement les choses
que nous savons réellement sont en nombre assez limité, si on y
réfléchit.

En tout cas, la télévision est un média qui repose avant tout sur la
croyance. Pourquoi ? je vous l'ai dit tout à l'heure : l'image télévisée
constitue une prothèse perceptive par le moyen de laquelle nous
acceptons de voir les choses, non seulement à travers les yeux des
autres (du cameraman, du réalisateur), mais à travers l'ensemble du
processus de fabrication des images. Ceux qui enseignent
l'audiovisuel dans les lycées et les collèges le savent bien : il suffit de
pratiquer un tout petit peu la réalisation audiovisuelle pour voir ce
que c'est de faire une image, de choisir son sujet, son angle, son plan,
sa construction, etc. On s'aperçoit ainsi qu'une image est quelque
chose de totalement construit, fabriqué. Eh bien, par l'intermédiaire
de la télévision, je ne vois pas les choses telles qu'elles sont, mais
telles qu'on les a fabriquées à mon intention. Encore une fois c'est
une prothèse perceptive, donc si j'adhère à ce qu'on me montre par
cette prothèse perceptive, je suis effectivement sous le régime de la
croyance et non de la vérité ; j'en suis réduit à croire ce qu'on me dit.

a/ La vérité est dans le discours qui accompagne les images


C'est la deuxième raison pour laquelle le régime de croyance est
important à la télévision : s'il est vrai que l'impact de la télévision
29

repose sur l'image, le jugement ne s'exerce pas directement sur les


images, il s'exerce sur les concepts, qui peuvent être soit abstraits
des images, soit directement véhiculés par la langage. C'est pourquoi
le jugement de vérité, par lequel j'affirme ou je nie quelque chose à
propos de la réalité, dérive beaucoup moins directement des images
que du discours qui les accompagne. On peut citer l'exemple fameux
des "charniers" de Timisoara en Roumanie : on vous montre des
images de cadavres, sans commentaire, vous vous dites "ce sont des
cadavres", sans plus. Si maintenant on vous dit "voilà un charnier qui
vient d'être exhumé, qui prouve les atrocités de telle faction", vous
formez un jugement. Vous voyez d'où vient la conviction, le contenu
intelligible, il est dans les concepts, et ce qui nous donne les concepts
c'est surtout la parole, ou l'écrit, c'est-à-dire le langage, ce n'est pas
l'image.

On s'est efforcé de prouver que l'image est un langage aussi riche en


possibilités de communication que les langues naturelles ("une image
vaut mille mots"), mais je pense qu'on a échoué, la sémiologie de
l'image arrive à toutes sortes de résultats, sauf à montrer qu'au sens
strict l'image soit un langage ; on peut faire une rhétorique de
l'image, mais la communication par l'image reste extrêmement
pauvre intellectuellement si justement il n'y a pas le secours du
langage. L'image comme telle fournit des éléments cognitifs
extrêmement importants, sans fournir de véritables critères de
jugement critique par rapport à son impact, sur ce que des
chercheurs ont appelé "effet de vérité" ou "indices de réalité" : quand
on me montre quelque chose, avec toute l'autorité inhérente au
média socialement reconnu, je crois spontanément que la chose est
telle que je la vois.

L'attitude immédiate, non critique, est "je le vois donc c'est vrai",
comme les gens qui disent "c'est écrit dans le journal, donc c'est vrai"
(c'est-à-dire nous tous, quand nous lisons notre journal). L'image a
une fonction que les linguistes appelleraient "phatique", c'est-à-dire
qu'elle a un impact sur votre esprit, elle capte votre attention.
D'ailleurs des mesures par électroencéphalogramme ont montré que
pendant l'écoute de la télévision, le cerveau se met en régime
d'ondes alpha, comme dans l'état d'hypnose légère, dans une sorte
30

de détente mentale. Dans l'écoute télévisuelle, ce ne sont pas nos


images que nous créons par notre propre activité mentale, nous
recevons des images toutes faites, il y a une sorte de débranchement
de cette activité fabricatrice d'images par notre esprit, et c'est
pourquoi nous sommes relativement passifs devant l'image.
Heureusement, il n'y a pas que l'image, il y a tout le discours qui
l'accompagne, et qui apporte une dimension cognitive conceptuelle et
judicative ; mais si vérité il y a, elle est précisément plutôt dans cette
dimension linguistique, et elle n'est pas immédiate.

b/ La télévision en quête de crédibilité


Donc, à beaucoup d'égards, on peut dire que la télévision est un
système de croyance et que comme tout système de croyance, elle
ne fonctionne pas par démonstration directe de la vérité ; il faut
qu'elle garantisse en quelque sorte sa vérité par ses titres de
crédibilité. D'où le problème d'un média qui commence à perdre sa
crédibilité, ça devient dramatique : si un système de croyance est mis
en doute et vient à perdre sa crédibilité, qu'est-ce qui va permettre de
rétablir la confiance, et l'adhésion spontanée que j'ai à sa vérité?

Du jour où la confiance est mise en doute, elle est extrêmement


difficile à rétablir; c'est ce qui est arrivé à la philosophie: à partir du
jour où Descartes a douté de la capacité de la connaissance
d'atteindre le réel, à partir du jour où l'on est parti dans la direction de
l'idéalisme, à vrai dire on n'en est jamais revenu, personne n'a jamais
guéri de l'idéalisme. Il faut le repousser par une sorte de conversion
violente ; on est ou dedans ou dehors ; si on doute des sens, on ne
pourra pas rejoindre le réel extra mental : ou bien on aboutira à
l'idéalisme absolu, comme Hegel, ou bien on échouera dans le
scepticisme philosophique, ce qui est l'attitude la plus répandue
aujourd'hui. De même, si vous doutez de vos médias, comment
restaurer la confiance ? Ce sera extrêmement difficile ; il faudra des
moyens sans doute pour une part extra médiatique : d'où les
colloques sur l'éthique des médias, sur "Journalisme et déontologie",
par exemple. Et là aussi, le scepticisme nous guette !

Pour l'instant, on peut dire que le ton des livres qui sont publiés sur ce
sujet est en général assez outrancier. S'il est difficile de garder une
31

vue rationnelle et sereine des choses, c'est justement parce que,


comme j'ai essayé de vous le faire sentir, en dernière analyse les
enjeux sont philosophiques, et faute de pouvoir les aborder
ouvertement comme tels, on fait de l'idéologie ; et l'idéologie est
toujours plus affective que rationnelle. Si donc on ne peut ou ne veut
pas mettre à jour clairement ses positions intellectuelles, sa
philosophie de base, il y aura beaucoup de subjectivité. C'est le cas
de nombreux ouvrages, parmi lesquels on peut citer "L'état
séducteur" de Régis Debray qui est suggestif, mais très partial, et qui
contribue à cette croisade actuelle de "l'écrit contre l'écran", selon le
mot de Paul Virilio : il y aurait d'un côté l'image qui serait immédiate,
séductrice, appelant l'émotion, et finalement fausse, mensongère ; et
de l'autre l'écrit, qui serait distancié, rationnel, propice au recul
critique, en un mot véridique !

c/ Une religion "cathodique" ?


Il est vrai, me semble-t-il, qu'étant donné cette nécessité d'obtenir
notre adhésion, notre croyance, qui cherche sa justification dans les
règles du fonctionnement commercial, qui imposeraient de capter le
maximum d'audience pour des raisons strictement économiques,
mais qui relève en fait de mobiles moins avoués et plus inquiétants, le
média télévisuel ne se contente plus de procéder par mode de
séduction. Il s'efforce de conquérir son auditoire par des formes
subtiles de prosélytisme, à connotation plus ou moins religieuse, il
faut bien le dire. Il y a une espèce d'appel à la croyance qui est
typiquement religieux (là aussi, je ne peux pas trop développer, je
vous renvoie aux travaux déjà cités sur "La vérité à la télévision") ; les
chercheurs ont analysé de près la façon dont sont construits les
programmes de télévision ; J.P. Esquenazi s'est notamment penché
sur le cas de TF1, et il a montré que l'univers dans lequel vous entrez
quand vous acceptez de devenir spectateur de TF1, est un univers de
type religieux, c'est-à-dire vous entrez dans "la Vraie Vie". Il y a le vrai
monde, et il y a un monde moins vrai ; il y a le monde ordinaire, le
monde plat de tous les jours, avec la cuisine, les enfants, le boulot, et
puis il y a le monde magique dans lequel vous pénétrez quand vous
allumez votre poste, et que vous entrez dans l'univers de TF1, dans la
vraie vie, la vraie réalité. Vous savez alors ce qu'il faut penser des
choses ; vous devenez un personnage important, par exemple le
32

héros des reality-shows, tout se joue sous le mode de la séduction, il


ne faut pas l'oublier... Je crois que la dérive actuelle des médias
dépend dans une large mesure de cette tension, de cette
contradiction plus ou moins clairement reconnue entre la fonction
économique et cette recherche de crédibilité, entre la logique de
marché d'une entreprise commerciale et la fonction quasi-religieuse
d'un système de croyance.

4. Conclusion : vérité télévisuelle et mélange des genres


Je voudrais conclure en revenant sur le rapport global de la notion de
vérité avec le média télévision, puisque c'était le but de cet exposé.
Rappelons-nous que la vérité comporte deux registres subordonnés
l'un à l'autre : la vérité spéculative -conformité de la connaissance au
réel- qui a trait à l'ordre cognitif, et qui est la vérité proprement dite ;
et la vérité pratique ou "factive" -conformité de l'acte ou de l'œuvre à
l'intention de l'agent ou de l'auteur-. Or, on a montré que des genres
télévisuels distincts répondent à des exigences différentes en matière
de vérité. C'est pourquoi la notion centrale, dans notre analyse de la
vérité à la télévision, c'est la notion de genre. On peut le sentir, me
semble-t-il, en comparant le cinéma et la télévision; la télévision elle-
même est un mélange de genres, en tout cas c'est une juxtaposition
de genres, il y a des genres de fiction, il y a des jeux, il y a des
reportages, etc. Il y a des choses qui se présentent comme étant la
réalité à même, en direct, et puis des choses qui se présentent
comme œuvre d'imagination, fiction, etc.

Alors le drame, c'est qu'en raison même de la nature de l'évolution de


la télévision, de cette orientation quasiment religieuse, elle tend à
mélanger les genres ; je pense que c'est la raison profonde de
l'avènement des reality-shows, dont la caractéristique principale est
en effet le mélange des genres : on y mélange tout, le reportage, la
reconstitution, la pure fiction, mais aussi cet élément qui donne la
preuve que la télévision c'est le vrai monde : c'est que vous êtes
dedans. Vous remarquerez que le reality-show joue sur le principe du
spectateur ordinaire qui devient le héros, et à qui je peux m'identifier
33

directement. Je ne m'identifie au monde de la fiction que par les


mécanismes assez complexes du symbolique, je peux toujours
m'identifier à Gregory Peck, Marylin Monroe, évidemment, mais c'est
tout différent du mécanisme d'identification avec ce "monsieur tout le
monde" qui vient de gagner un million ou qui vient de sauver
quelqu'un, etc.
C'est sur ce mécanisme d'identification extrêmement fort que
s'établit la conviction que le monde de la télévision est le vrai monde.
C'est ça la connotation religieuse : religio signifie relier, la télévision
nous relie au monde plus vrai que le vrai, plus réel que le réel, "hors
de la télévision, pas de salut" !

Je pense donc que si l'on veut progresser en matière d'éthique de la


télévision, il est indispensable d'éviter la confusion des différents
genres télévisuels. La charte du journaliste a été inventée, écrite
avant l'existence de la télévision, elle appelle donc des compléments
en fonction des spécificités de l'image. Il y aura une déontologie du
journaliste d'images, mais surtout le journaliste a sa propre
déontologie, et sa propre fonction, les autres producteurs et
fabricants d'images vont avoir d'autres déontologies et d'autres
fonctions, chaque genre aura sa logique propre et chaque déontologie
aura ses règles propres. Il ne faut pas tout mélanger, ou alors on sera
contraint d'abandonner toute ambition éthique.

Au train où vont les choses, on risque d'aboutir à l'impossibilité d'une


véritable déontologie, si on accepte que des genres hybrides
deviennent caractéristiques d'un média comme la télévision; ou bien
on accepte qu'elle cesse d'être un média, ça deviendra un pur
spectacle, un moyen d'expression dans le meilleur des cas, et non
plus un instrument de communication fiable; ou bien alors on veut
que ça reste un moyen de communication, mais il faudra que ce
genre "communication" soit parfaitement séparé des autres genres;
sinon il y aura une contamination inévitable, et l'on ne pourra plus
distinguer le vrai du faux, le bien du mal, le beau du laid. Il n'y aura
plus que la loi du spectacle, c'est-à-dire celle de l'émotion et de la
sensation.
34

Louis CHAMMING'S
Août 1994
35

Orientations bibliographiques

Ouvrages :
ARISTOTE, De l'âme, trad. Tricot, Vrin, 1972
Jacques AUMONT, Les images, Nathan, 1990
Roland BARTHES, La chambre claire, Le Seuil, 1980
François DAGOGNET, La philosophie de l'image, Vrin, 1984
Régis DEBRAY, Vie et mort de l'image, Gallimard, 1992
-L'état séducteur, Gallimard, 1993
-Défendre l'image, texte de soutenance dactylographié,
1993
Gilles DELEUZE, L'image-mouvement, Les éditions de Minuit, 1981
Umberto ECO, Le signe, Livre de poche, 1988
-Sémiotique et philosophie du langage, PUF, 2e ed. 1993
-La guerre du faux, Livre de Poche, 1985
Martin HEIDEGGER, De l'essence de la vérité, Questions I, Gallimard,
1968
Jean-Luc MARION, L'idole et la distance, Grasset, 1977
Jacques MARITAIN, Art et scolastique, Œ.Complètes I, Editions Saint-
Paul, Paris/ Editions universitaires, Fribourg Suisse, 1985
-Signe et symbole, dans "Quatre essais sur l'esprit dans
sa
condition charnelle", Œ. Complètes VII, 1988
Maurice MERLEAU-PONTY, L'Œil et l'esprit, Gallimard, 1964, Folio
Essais
Christian METZ, Essais sur la signification au cinéma I, Klinksieck,
1978
Groupe µ, Traité du signe visuel, Le Seuil, 1992
C.S. PEIRCE, Ecrits sur le signe, Le Seuil, 1978
PLATON, La République, le Philèbe, La Pléiade, Gallimard, 1950
Philippe QUEAU, Le virtuel, Champvallon/INA, 1993
Thomas d'AQUIN, Somme théologique, Ia, Q.16 : La vérité et Q.35 :
L'image, Les éditions du Cerf, 1984 (Cf. Q.84-85 : le rôle des images
mentales).
Paul VIRILIO, La machine de vision, Galilée, 1988
-L'art du moteur, Galilée, 1993
Revues :
36

RESEAUX n° 61, sept. oct. 1993, Vers une nouvelle pensée visuelle.
Le nouvel Observateur, numéro spécial n° 17, L'univers de la télé.
Séminaire INA :
Dirigé par Pierre SORLIN, La vérité à la télévision, travaux non publiés.
Cf. article de J.P. ESQUENAZI, Journal télévisé et production du
pseudo-visible, dans Langage et Société n° 64, juin 1993

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