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Préambule........................................................................1
I. Qu'est-ce que la vérité ? ..............................................3
1. Recherche d'une définition.................................3
2. Où situer la vérité dans la connaissance ?..........5
3. Il y a deux types de jugements...........................7
4. Vérité spéculative et vérité pratique...................9
5. Dévaluation de la vérité....................................10
II. Quelle vérité pour l'image ?.......................................12
1. Qu'est-ce qu'une image ?.................................12
a/ Les images mentales...............................12
b/ Les images physiques : idoles et icônes..14
c/ Images naturelles et images artificielles. 15
2. Quelle vérité pour quelle image ?.....................16
III. Télévision et vérité....................................................18
1. Définition générale de l'image..........................18
2. Typologie des supports visuels.........................19
a/ L'image fixe.............................................20
b/ L'image-mouvement...............................20
c/ L'image-spectacle....................................21
3. Image et télévision...........................................24
a/ La vérité est dans le discours qui
accompagne les images..............................26
b/ La télévision en quête de crédibilité........27
c/ Une religion "cathodique" ?.....................28
4. Conclusion : vérité télévisuelle et mélange des
genres...................................................................29
Préambule.
C'est une distinction qui peut paraître un peu technique, mais qui
revêt une importance capitale par rapport au problème de la vérité
dans l'image, par rapport au fonctionnement de la télévision et des
médias en général. Ce n'est pas du tout la même attitude
intellectuelle de faire un jugement d'attribution, de dire quelque
chose à propos d'autre chose, et de faire un jugement d'existence,
d'affirmer que telle chose (ou tel état de choses) existe en fait dans la
réalité. Et ce n'est qu'au moyen d'un jugement d'existence que je
peux effectuer la discrimination entre la fiction et la réalité, entre la
simple hypothèse et la réalisation effective, etc.
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Donc nous avons besoin de notre perception pour nous fournir la base
des jugements d'existence. Le jugement d'existence s'appuie sur la
sensation. Encore une fois, si je suis privé de la sensation, non
seulement je n'ai plus d'ouverture sur le réel mais je ne sais plus rien
sur son existence. Si je n'ai pas de contact direct avec la réalité, si
mes sensations acoustiques (cf. la radio), visuelles (télévision), voire
tactiles (mondes virtuels), sont relayées par des médias, comment
pourrais-je juger de la réalité ? Je serai cognitivement prisonnier de
mes "prothèses perceptives" !
connaître. Plus une science ou une connaissance est vraie, plus elle
est conforme à l'objet qu'elle cherche à découvrir (Par quels moyens
s'assure-t-elle de cette conformité? Ceci, comme disait Kipling, est
une autre histoire... Cette question constitue l'objet propre de
l'épistémologie). Mais dans le cas de la connaissance pratique, qu'est-
ce que agir, ou faire ? C'est faire venir à l'être ce qui n'y était pas
déjà. Je pose un acte, je vais créer un événement, réaliser quelque
chose qui n'est pas déjà dans la réalité : et je ne peux pas prendre
pour norme de ma connaissance quelque chose qui n'existe pas
encore. La vérité pratique c'est la conformité à mon intention sur ce
qui doit être. Si l'objet réalisé, l'acte posé, la chose faite sont
conformes au projet que j'ai eu sur eux, alors ils seront dits vrais.
Vous voyez qu'il y a une grande différence avec la vérité spéculative
qui, elle, est réglée par son objet : il y a une chose qui existe, et pour
que ma connaissance soit vraie il faut qu'elle soit conforme à ce qui
lui préexiste. Dans la connaissance spéculative, je suis soumis à
l'objet et mesuré par lui, alors que dans la connaissance pratique
c'est différent, c'est moi qui règle et soumet les choses à mon projet,
donc la vérité sera d'une autre nature, c'est moi qui la détermine. En
tout cas, elle sera déterminée par rapport à mon projet sur la chose.
5. Dévaluation de la vérité
Comme on l'a vu, la connaissance théorique ou spéculative est une
fin en soi, contrairement à la connaissance pratique qui est ordonnée
à l'action. Pour les anciens, il n'y a pas d'hésitation possible, l'ordre
des moyens est subordonné à l'ordre des fins, la connaissance
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Marx, par exemple, a dit dans une des célèbres "Thèses sur
Feuerbach" que "jusqu'à présent les philosophes se sont contentés
d'interpréter le monde ; ce qui importe désormais, c'est de le
transformer". C'est un choix délibéré en faveur de la connaissance
pratique, la praxis, quiconque a un tout petit peu de culture marxiste
a entendu parler de cette notion de praxis, qui veut dire agir en grec.
Ce qui est important ce n'est pas de connaître pour connaître, c'est de
connaître pour agir. La pensée marxiste, de ce point de vue, ne se
veut pas une philosophie au sens strict, parce qu'elle ne se veut pas
une connaissance spéculative, mais une connaissance pratique ; elle
veut transformer le monde, elle veut transformer l'homme.
suis dit que le meilleur moyen de vous rendre service, c'est d'y mettre
un peu d'ordre. Donc, d'une façon certainement un peu
simplificatrice, on va essayer d'y voir clair dans ce monde de l'image.
Mais s'il est vrai qu'une image est toujours une représentation
singulière, incapable de saisir le général comme tel, -imaginez un
arbre : vous êtes forcé de vous représenter un arbre particulier-, il
n'en va pas de même du concept, par lequel je saisis une notion
universelle. Par exemple le concept d'arbre, "végétal ligneux", ne
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L'image mentale est encore une image naturelle, bien qu'il y ait une
certaine possibilité de modification de cette image intérieure, et le fait
qu'il y ait une marge de liberté par rapport à l'objet perçu la
rapproche de l'image artificielle, on verra dans quelles conditions.
beaux, voulus pour leur beauté, et puis il y a les arts de l'utile. Mais
tout ce qui relève de l'art suppose un produit, une production. Donc
l'image peut être naturelle ou artificielle, et si elle est artificielle, c'est
qu'elle est un produit et le résultat de l'art, d'un faire, d'une
fabrication. Cette distinction est tout à fait capitale parce la première
des caractéristiques des images médiatiques, de l'image de la
télévision, c'est d'être une image non pas naturelle mais produite, un
artefact. Toutes les images physiques, la photo, la peinture sont des
artefacts : il en découle des caractères qu'il ne faut jamais perdre de
vue.
Donc une image est une certaine réalité qui représente une autre
réalité sous un aspect caractéristique ou spécifique.
Donc essayons de faire une petite typologie des artefacts visuels, très
sommaire, ce serait trop long de faire une typologie approfondie, c'est
très compliqué, je ne pense pas qu'il y en ait fonctionnant
officiellement aujourd'hui. Il me semble qu'on peut tirer profit du
classement suivant :
a/ L'image fixe
Il faut d'abord distinguer l'image fixe. Dessin, peinture, sculpture,
photographie, enfin tout ce qui se donne comme image fixe. Il est
important de distinguer l'image fixe en tant que réalité uniquement
spatiale, qui n'est pas située comme telle dans le temps. Certes, pour
la fabriquer il faut du temps, pour la lire il faut du temps, mais c'est
un temps qui ne dépend pas d'elle. L'auteur de l'image fixe mettra à
un certain temps à la produire, mais une fois que cette image est
produite, elle est hors du temps. Il faudra un temps pour la regarder,
mais là encore c'est un temps qui va dépendre de ma subjectivité, qui
n'est pas inscrit dans l'image comme son temps propre.
b/ L'image-mouvement
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c/ L'image-spectacle
La troisième catégorie de supports visuels que je vous propose de
noter, c'est l'image-spectacle. Les images ont différentes fonctions.
Elles peuvent faire connaître, elles peuvent aider à prier (la querelle
des icônes se rapportait à la prière et au culte rendu à Dieu), mais
elles peuvent aussi distraire, émouvoir, faire rêver, elles peuvent être
spectacle. Il est clair qu'en matière de cinéma et de télévision, le
caractère de spectacle présente une importance considérable. Donc
l'image-spectacle est à mon sens le troisième grand genre d'image,
après l'image-fixe et l'image-mouvement. Le support visuel s'enrichit
à chaque étape.
Il est bien clair qu'aujourd'hui ce n'est pas le direct proprement dit qui
prédomine. Souvent la seule part de direct au sens propre, c'est le
plateau. L'effet de direct est donné par le plateau -c'est-à-dire par un
gros plan quasi-permanent sur le présentateur et ses invités- puisque
la plupart des reportages sont eux-mêmes plus ou moins en différé. Il
reste que l'image de marque de la télévision, l'image spécifique de la
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3. Image et télévision
Si maintenant nous voulons appliquer nos essais de classification et
de typologie des images au média télévision, et voir comment la
question de la vérité y intervient, il faut examiner la place de l'image
à la télévision ; en effet, l'image n'est pas le tout de la télévision, elle
est avec elle dans un rapport de métonymie : l'image est à la
télévision ce que la voile est au navire, une partie qui désigne le tout.
En tout cas, la télévision est un média qui repose avant tout sur la
croyance. Pourquoi ? je vous l'ai dit tout à l'heure : l'image télévisée
constitue une prothèse perceptive par le moyen de laquelle nous
acceptons de voir les choses, non seulement à travers les yeux des
autres (du cameraman, du réalisateur), mais à travers l'ensemble du
processus de fabrication des images. Ceux qui enseignent
l'audiovisuel dans les lycées et les collèges le savent bien : il suffit de
pratiquer un tout petit peu la réalisation audiovisuelle pour voir ce
que c'est de faire une image, de choisir son sujet, son angle, son plan,
sa construction, etc. On s'aperçoit ainsi qu'une image est quelque
chose de totalement construit, fabriqué. Eh bien, par l'intermédiaire
de la télévision, je ne vois pas les choses telles qu'elles sont, mais
telles qu'on les a fabriquées à mon intention. Encore une fois c'est
une prothèse perceptive, donc si j'adhère à ce qu'on me montre par
cette prothèse perceptive, je suis effectivement sous le régime de la
croyance et non de la vérité ; j'en suis réduit à croire ce qu'on me dit.
L'attitude immédiate, non critique, est "je le vois donc c'est vrai",
comme les gens qui disent "c'est écrit dans le journal, donc c'est vrai"
(c'est-à-dire nous tous, quand nous lisons notre journal). L'image a
une fonction que les linguistes appelleraient "phatique", c'est-à-dire
qu'elle a un impact sur votre esprit, elle capte votre attention.
D'ailleurs des mesures par électroencéphalogramme ont montré que
pendant l'écoute de la télévision, le cerveau se met en régime
d'ondes alpha, comme dans l'état d'hypnose légère, dans une sorte
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Pour l'instant, on peut dire que le ton des livres qui sont publiés sur ce
sujet est en général assez outrancier. S'il est difficile de garder une
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Louis CHAMMING'S
Août 1994
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Orientations bibliographiques
Ouvrages :
ARISTOTE, De l'âme, trad. Tricot, Vrin, 1972
Jacques AUMONT, Les images, Nathan, 1990
Roland BARTHES, La chambre claire, Le Seuil, 1980
François DAGOGNET, La philosophie de l'image, Vrin, 1984
Régis DEBRAY, Vie et mort de l'image, Gallimard, 1992
-L'état séducteur, Gallimard, 1993
-Défendre l'image, texte de soutenance dactylographié,
1993
Gilles DELEUZE, L'image-mouvement, Les éditions de Minuit, 1981
Umberto ECO, Le signe, Livre de poche, 1988
-Sémiotique et philosophie du langage, PUF, 2e ed. 1993
-La guerre du faux, Livre de Poche, 1985
Martin HEIDEGGER, De l'essence de la vérité, Questions I, Gallimard,
1968
Jean-Luc MARION, L'idole et la distance, Grasset, 1977
Jacques MARITAIN, Art et scolastique, Œ.Complètes I, Editions Saint-
Paul, Paris/ Editions universitaires, Fribourg Suisse, 1985
-Signe et symbole, dans "Quatre essais sur l'esprit dans
sa
condition charnelle", Œ. Complètes VII, 1988
Maurice MERLEAU-PONTY, L'Œil et l'esprit, Gallimard, 1964, Folio
Essais
Christian METZ, Essais sur la signification au cinéma I, Klinksieck,
1978
Groupe µ, Traité du signe visuel, Le Seuil, 1992
C.S. PEIRCE, Ecrits sur le signe, Le Seuil, 1978
PLATON, La République, le Philèbe, La Pléiade, Gallimard, 1950
Philippe QUEAU, Le virtuel, Champvallon/INA, 1993
Thomas d'AQUIN, Somme théologique, Ia, Q.16 : La vérité et Q.35 :
L'image, Les éditions du Cerf, 1984 (Cf. Q.84-85 : le rôle des images
mentales).
Paul VIRILIO, La machine de vision, Galilée, 1988
-L'art du moteur, Galilée, 1993
Revues :
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RESEAUX n° 61, sept. oct. 1993, Vers une nouvelle pensée visuelle.
Le nouvel Observateur, numéro spécial n° 17, L'univers de la télé.
Séminaire INA :
Dirigé par Pierre SORLIN, La vérité à la télévision, travaux non publiés.
Cf. article de J.P. ESQUENAZI, Journal télévisé et production du
pseudo-visible, dans Langage et Société n° 64, juin 1993