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LE CAPITAL-RISQUE ET LE FINANCEMENT DES PME EN TUNISIE : REALITES


ET PERSPECTIVES

Article · March 2018

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Abdessatar Ati
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LE CAPITAL-RISQUE ET LE FINANCEMENT DES PME
EN TUNISIE : REALITES ET PERSPECTIVES

Abdessatar ATI(*)
&
Ibtissem GANNOUN(∗∗)

INTRODUCTION

Les PME se trouvent souvent confrontées à une panoplie


d’handicaps notamment dans les premières phases de leur
existence. Elles sont parfois même évincées du financement
bancaire et ne trouvent leur salut que grâce à un financement par
fonds propres. Toutefois, les écheveaux de PME, qui submergent
le monde entier, pourraient servir à tisser la trame du nouveau
tissu industriel destiné à se substituer à l’ancien qui souffre d’une
usure certaine1. Ainsi, longtemps canonisées, les grandes
entreprises n’arrivent plus, à l’ère de la mondialisation, à remplir
pleinement leur rôle de croissance et de création d’emploi.
L’évolution rapide et imprévue de l’environnement et de
la conjoncture, qu’on est en train de vivre, interdit la pérennité
du succès, faute de s’adapter en permanence aux nouvelles
conditions du marché. L’adaptabilité est difficile à concilier

(*)
Maître de conférences à l’Institut Supérieur de Comptabilité et
d’Administration des Entreprises de La Manouba.
(∗∗)
Enseignant-chercheur.
1
De Morel B.L ; Les PME britanniques : Un nouvel élan, La Lettre Sofaris,
N°10-Février1989.
2 Revue Tunisienne d’économie

avec l’inertie c’est-à-dire avec la taille et le volume des grosses


sociétés. Les entreprises à taille humaine : les PME et PMI
disposent à cet égard d’un atout majeur : la maniabilité.
Le manque de puissance est en effet compensé par la
rapidité manœuvrière qui permet de s’ajuster à la conjoncture
tandis que la puissance est pénalisée par sa propre inertie. C’est
dans ce contexte que le slogan "small is beautiful" a été lancé en
Amérique pour valoriser la PME d’autant que, depuis, elle est
synonyme de dynamisme, vitalité, efficacité, compétitivité et
création d’emploi2.
Les grandes entreprises publiques ou privées sont
incapables d’absorber les excédents actuels de main-d’œuvre. Ce
sont les PME-PMI qui contribuent manifestement à la résolution
de ce problème3. Alors que les grandes entreprises procédaient à
des licenciements massifs et que les quatre coins de la terre se
voyaient engloutis par la marée montante du chômage, les PME
ont servi de "bouée" qui a permis au naufragé (l’ensemble de
l’économie) de remonter à la surface. C’est ainsi que les PME ont
dépassé leurs aînées dans le sens d’une plus grande efficacité. Ce
faisant, elles sont devenues "la véritable locomotive de
l’économie" selon les termes d’ Irène Chedeaux4.
Les PME sont au cœur de l’économie tunisienne, elles
sont de plus en plus assimilées au principal vecteur de la
croissance économique. Depuis l’indépendance, elles se sont
développées dans les différents secteurs. L’élan et le
développement considérables des PME ont été rendus possibles
à travers des dispositions législatives favorables, des
infrastructures de soutien bien adaptées et des organisations
chargées d’études, d’arrangement et des aides financières.
Sa faible intensité capitalistique fait de la petite industrie
une activité à même de générer davantage d’emplois. Avec des
investissements relativement faibles, les PME sont plus intensives

2
De Morel B.L ; "Small business in America", La Lettre Sofaris, N°8-Juin
1987.
3
Dans le cadre d’une étude publiée dans International development paper
N°9 les résultats ont révélé que les petites entreprises assurent l’essentiel de
l’emploi industriel.
4
Citée dans son article : Ce qui est bon pour les PME est bon pour
l’Amérique, Lettre SOFARIS N°8, Juin 1987.
Le capital-risque et le financement des PME en Tunisie 3

en facteur travail. Elles peuvent ainsi créer des emplois et,


partant, elles servent mieux une économie qui dispose d’un
excédent de main-d’œuvre peu qualifiée.
C’est dans cette optique que les mesures entreprises et les
politiques suivies pour faire face à la pression sur le marché du
travail ont été consolidées ces dernières années et se sont
massivement axées sur le renforcement des mécanismes de
création des PME-PMI. Les résultats réalisés ne sont pas
cependant satisfaisants puisque le taux de chômage demeure très
élevé (15.4%). Une telle contrainte impose le renforcement et le
développement du mouvement d’implantation des petites entités
et la création d’un plus grand nombre de PME susceptibles de
relancer l’activité et de créer ainsi plus d’emplois. Or, un tel
objectif se heurte à diverses difficultés d’ordres juridique,
technique, et notamment financier. Ces obstacles financiers ont
entraîné une situation de sous-capitalisation et un manque de
fonds propres crucial pour les PME, ce qui peut freiner
sérieusement leur développement, voir menacer leur pérennité,
d’où la nécessité d’amortir les difficultés inhérentes au problème
de financement.
De telles considérations imposent au système financier une
créativité continue et ciblée afin de mieux adapter ses nouveaux
produits aux besoins de sa clientèle dont notamment les petites et
moyennes entreprises, d’autant qu’aux traditionnels référents
matériels de l’économie, matière-énergie, s’est substituée la
composante immatérielle couplant connaissance-information.
Aussi -les investissements prennent-ils un caractère immatériel et
une forme intangible et sont de plus en plus chargés en savoir.
L’innovation est donc plus que matérielle ou technologique, elle
est aussi cognitive.
C’est dans ces conditions que fut apparu, dans les années
40 et aux Etats-Unis, un nouveau produit financier associant
créativité de l’entrepreneur et habileté du financier. Il s’agit du
capital-risque. Ce capital se veut une rupture avec l’optique
schumpétérienne incombant la charge d’innovation aux seules
grandes firmes. Le capital-risque de par ses caractéristiques de
souplesse et maniabilité s’adapte plutôt mieux aux PME. Or, ces
dernières sont assimilées dans notre pays au principal vecteur de
croissance et de création d’emploi. Dés lors leur développement
4 Revue Tunisienne d’économie

s’érige en préoccupation majeure et enjeu prioritaire de


l’économie tunisienne.
Tentées par le succès des expériences des pays occidentaux,
des sociétés spécialisées se sont lancées, en Tunisie, concrètement
dans l’industrie du capital-risque depuis 1995 afin d’enrichir
davantage l’éventail financier et d’offrir plus d’alternatives
financières pour les PME. Une alternative qui permet de renforcer
la structure financière de nos firmes souffrant du syndrome de
sous-capitalisation. Ainsi, dans la mesure où le capital-risque
couvre toutes les activités en participant dans les fonds propres au
capital des sociétés non cotées, il contribue à résoudre les
problèmes épineux de la faiblesse des fonds propres, la cause de
leur recours exagéré aux crédits bancaires entraînant des charges
financières qui pèsent sur leurs coûts de production,
déséquilibrent leurs situations financières et amputent même leur
compétitivité. Cet intérêt pour le capital-risque traduit
l’importance des entreprises innovantes et des PME dans notre
économie en termes de croissance et d’emploi.
Le capital-risque en Tunisie vient donc appuyer l’action
bancaire notamment d’investissement et consolider le
financement d’un pays émergent. En s’inspirant des expériences
d’autrui, la Tunisie a amorcé sa propre expérience. Ainsi, dans
cet article nous allons exposer l’aventure tunisienne tout en
essayant de mettre en exergue sa particularité et de cerner les
traits qui les différencient de son homologue occidental.
L’expérience tunisienne s’est en fait incarnée dans le
FOPRODI et les SICAR. C’est à ces deux composantes du
capital-risque que seront consacrés les deux premiers paragraphes
de cet article. Le troisième s’emploie quant à lui à esquisser une
évaluation de cette expérience et à repérer les principaux
déterminants explicatifs de développement du capital-risque.
Le concept du capital-risque ne reflète pas les mêmes
réalités dans tous les pays même si la fonction essentielle de cet
argument financier reste le financement des firmes jeunes à fort
potentiel de croissance et des firmes technologiques et
innovatrices. Certains pays ont mis en place un processus
d’adaptation lié à la particularité de leurs économies. Le système
de capital-risque français fonctionne plutôt en tant que système
Le capital-risque et le financement des PME en Tunisie 5

d’assurance : libre contrat d’assurance négocié et conclu entre la


SOFARIS et tout organisme finançant les fonds propres des
PME quel que soit le stade de développement.
En Tunisie, le capital-risque a trouvé sa particularité dans
l’évolution du FOPRODI. Aussi, convient-il d’étudier la
spécificité tunisienne quant à la conception de ce capital portée
par le FOPRODI. L’évolution de ce fonds a conditionné la
composition et la destinée du capital-risque en Tunisie.

I- LE FOPRODI, LA PREMIERE SCR PUBLIQUE EN TUNISIE


Depuis sa création en 1973, le FOPRODI dont l’objectif est
de favoriser la promotion des entrepreneurs, d’encourager la
création et le développement des PME, a approuvé 1551 projets
avec un investissement global d’environ 300 millions de dinars
permettant la création de 40.000 emplois5. Dans sa forme
première, le FOPRODI avait pour mission de servir les nouveaux
et les jeunes promoteurs exclus du prêt bancaire. L’Etat leur
accorde à travers le FOPRODI un prêt sous forme d’une dotation
remboursable mais non suffisante, il est alors acculé de contracter
une autre dette auprès du secteur bancaire pour financer ses
investissements.
Sous cette première formule, Le FOPRODI ne parvenait
plus à s’autofinancer, ledit fonds s’est aussi subsumé suite à un
ensemble de facteurs exogènes, désengagement de l’Etat en
matière de financement des projets, un taux de rémunération
assez faible de la dotation, l’absence d’une société de garantie
est de nature à pousser les banques à procéder à un rationnement
des crédits, l’absence de garanties des start up ainsi que des
spécialistes d’évaluation suscitant des problèmes d’identification
des promoteurs et des projets.
L’ensemble de ces facteurs ont causé la déconfiture de ce
fonds.
La portée du FOPRODI en matière de création d’emplois
s’est vue atténuée suite aux considérations supra-avancées. les
autorités ont dû alors procéder à la refonte de ce fonds en
mettant en œuvre un ensemble de mesures visant à redynamiser
5
L’agence de promotion de l’industrie (API).
6 Revue Tunisienne d’économie

l’investissement des PME et notamment de le canaliser vers des


industries plus technologiques. Il s’agit principalement de
faciliter et d’encourager la création de nouveaux projets porteurs
de croissance et créateurs de postes d’emplois. Ces mesures
mises en œuvre depuis 1999 s’articulent sur l’assouplissement
des conditions d’éligibilités au fonds. Le nouveau promoteur,
par le passé, devait faire preuve conjointement de compétences
et de qualifications adéquates, il devait justifier à la fois de
connaissances théoriques et son expérience, or de telles
conditions font souvent défaut aux nouveaux promoteurs.

I-1- LE NOUVEAU FOPRODI : UN CAPITAL-RISQUE A LA


TUNISIENNE

Dans sa nouvelle version, l’éligibilité est subordonnée à une


seule condition. Les autres mesures prises en faveur des PME et
des promoteurs visent à élever le plafond des projets éligibles au
FOPRODI à trois millions de dinars, à accorder des primes
d’étude et d’assistance et à alléger les charges qui pèsent sur le
nouveau promoteur au moment de l’acquisition du terrain
industriel et des équipements par la contribution avec un certain
montant. Cette participation n’est toutefois envisageable que si la
société financée trouve préalablement un partenaire financier à
savoir une SICAR dont la participation sera alignée à celle du
FOPRODI. En dépit de cette refonte, le FOPRODI n’a permis de
financer que 19 projets en 2001 et l’évolution de sa contribution,
depuis 1999, témoigne d’une décélération manifeste telle que
décrite dans le graphique ci-contre.

25000000
22845744
20000000
15000000 14868500

10000000 Investissements
5000000 5143000

0
1999 2000 2001

Figure 1 : L'évolution des investissements consentis pour la période 99-


2001.
Le capital-risque et le financement des PME en Tunisie 7

Il fallait donc repenser le fonctionnement et l’organisation


même du FOPRODI d’où la réforme de 2002. Le nouvel
aménagement du FOPRODI tend à mieux servir les besoins et les
ambitions des jeunes promoteurs. La nouvelle version se traduit
par un plafonnement de la participation du fonds à 60% du capital
c’est-à-dire 18% de l’investissement. Il en a résulté la réduction
de la participation des SICAR à un minimum de 10% du capital.
Les mesures sus-mentionnées sont relatives aux projets
dont le montant est inférieur ou égal à un million de dinars. Pour
les projets dont le montant est compris entre un et trois millions
de dinars, la participation du FOPRODI est passée d’un
maximum de 20% du capital additionnel à 30%, soit 9% de
l’investissement. Le tableau suivant se veut une synthèse
comparative et une description des modifications apportées au
FOPRODI depuis 73.
Tableau 1
Tableau synthétique
Ancienne formule6 Nouvelle formule
Les nouveaux promoteurs doivent avoir
l’expérience et les qualités requises. Soit l’expérience soit la qualification.
(défini selon l’article 44 du code).
Investissement éligible : 1 million de Investissement éligible : 3 millions de
dinars. dinars.
Minimum de fonds propres 25% de Minimum de fonds propres 30% de
l’investissement. l’investissement.
Dotation remboursable : Participation au capital :
- 70% du capital minimum pour la - 60% pour le montant inférieur ou égal
tranche inférieure ou égale à 500.000. à 1million de dinars
- 20% du capital minimum additionnel - 30% du capital additionnel pour le
pour le reliquat. reliquat de l’investissement.
Une prime d’étude de 1% de Une prime d’étude et d’assistance
l’investissement plafonné à 5000 dinars.
technique à hauteur de 70% du coût de
l’étude plafonné à 20.000
Prime d’investissement de 6% pour un Une prime d’investissement de 10% du
investissement inférieur ou égal à 300 coût de l’équipement fixé à 100.000
milles dinars. dinars.
Néant Participation au prix du terrain à hauteur
du 1/3 d’un coût ne dépassant pas les
30.000dinars.
Participation au capital des PME :
- 30% du capital pour un montant
Néant inférieur ou égal à 1 million de dinars.
- 10% pour le reliquat.
Néant Prime d’étude et d’assistance technique.
Tableau élaboré par nos soins.

6
Le courrier de l’industrie, dossier FOPRODI, N°83, Février 1998.
8 Revue Tunisienne d’économie

A trop se fier aux vertus de ces réformes, on risquerait


d’omettre que le FOPRODI diffère dans son contenu ainsi que
dans sa finalité des SCR. Une telle différenciation nous conduit
à soumettre ces deux catégories à une analyse comparative.

I-2- ANALYSE COMPARATIVE ENTRE LE FOPRODI ET LES SCR


Dans ce qui suit, nous allons essayer de faire la comparaison
entre les systèmes du FOPRODI et du capital-risque.

Tableau 2
Tableau comparatif
Capital-risque FOPRODI
Bénéficiaires - PME innovatrices et - PME et particulièrement
technologiques. celles spécialisées dans les
- Nouveaux promoteurs, jeunes et industries manufacturières
innovateurs. (projets classiques).
- Start up technologiques à haut - Nouveaux promoteurs.
risque.
Mode de Participation dans les fonds Participation dans les fonds
financement propres, soit majoritaire, soit propres qui dépendent de la
minoritaire, ce qui détermine la tranche d’investissement.
place du capital-risqueur dans la Il s’agit aussi d’une
société financée. participation rétrocessible.
Origine des fonds Collectés généralement auprès des D’origine publique.
privés.
Stade - Amorçage. - Création.
d’intervention et - Création. - Extension.
domaine - Développement. - Etude et assistance
- Transition. technique.
- Innovation. - Achat de locaux et
- Recherche et développement. terrains nécessaires aux
projets
Rôle Actif : Relativement actif :
- Suivi et contrôle. - Assistance financière.
- Assistance-financière, (à travers les SICAR).
technique, commerciale…
Garanties Aucune. Aucune.
Modalités de - Bourse. - Négociée d’avance.
sortie - Cession.
Idem.

De ce tableau, il ressort que le FOPRODI restructuré et en


dépit de maintes similitudes et traits communs demeure différent
des SCR et, partant, ne peut se hisser au rang des modes de
financement véhiculant le savoir et la haute technologie. Une
telle divergence ne bannit pas pour autant la complémentarité
entre les deux modalités de financement. Le FOPRODI n’exige
pas de garanties mais en imposant la participation d’une SICAR
Le capital-risque et le financement des PME en Tunisie 9

dans le projet candidat, il garantit de cette façon sa mise. Tout


promoteur non cautionné et non parrainé, voire partiellement par
une SICAR, sera exclu du concours FOPRODI. C’est le principe
de la garantie indirecte.
Le système FOPRODI ne peut en effet favoriser l’aventure
technologique et l’entreprenariat schumpétérien reposant sur
l’innovation. Financé par des ressources publiques averses au
risque et à vocation plutôt sociale, ce fonds ne peut guère stimuler
les technologies les plus avancées. Les PME ayant bénéficié du
concours du FOPRODI sont caractérisées par un très faible
capital-savoir. En revanche, les fonds des SCR proviennent, soit
conjointement de fonds privés, des banques, des compagnies
d’assurances et des corporate-ventures, soit exclusivement du
privé. Le financement des SCR est un financement indirect dans
la mesure où l’Etat soutient ces SCR par la mise en place des
règles et des lois incitatives et complémentaires.
La modalité de sortie s’érige aussi en facteurs de
différenciation entre SCR et FOPRODI. Les conditions de sortie
des projets FOPRODI restent incomparables à ceux financés par
des SCR. Les conditions de sortie sont connues d’avance, lors
de la conclusion du contrat entre le fonds et le foprodiste, le
promoteur peut racheter la participation du FOPRODI à un prix
fixé dès le début, il s’agit d’un prix préférentiel dans la mesure
où il est calculé sur la base de la valeur nominale du capital
majoré de 3%.
Un tel procédé s’explique d’une part par l’absence d’un
marché réservé aux PME tunisiennes, et par le fait que le capital-
risque tunisien émane du pouvoir public dont l’objectif est loin
d’être exclusivement lucratif. Il en découle que le soutien de
l’Etat tunisien au capital-risque ne s’assigne pas le seul objectif de
réduire les écarts du développement industriel qui caractérise
certains pays mais découle plutôt de considérations de stabilité
sociale et macroéconomique. Un tel objectif est incompatible
avec le développement d’un véritable capital-risque. Cet handicap
d’ordre politique est aggravé par une entrave anthropologique et
culturelle. A dominance familiale, la structure de propriété des
entreprisses tunisiennes ne s’apparente pas aux conditions
favorables à l’expansion de ce capital.
10 Revue Tunisienne d’économie

Le FOPRODI finance toujours des projets d’industries


manufacturières, le schéma d’investissements des différents
secteurs industriels se présente comme suit pour l’année 2001 :

Act.Prod.& Ind.Cultur

Agro-Alimentaire

Formation professionnelle
8% 1%
10% 20%
Industries diverses
10%
Matériaux Construction
3%
Services Informatiques
22%
26%
Textile &Cuir

Chimie & Caoutchouc

Figure 2 : Répartition des investissements consentis par le FOPRODI par


secteurs.
Elaboré à partir du rapport annuel du CMF 2001

Comme le capital-risque est destiné essentiellement aux


sociétés innovatrices et technologiques, le FOPRODI se doit de
reconsidérer et de réhabiliter la dimension technologique dans
ses interventions. La révolution technologique et informatique
incombe au FOPRODI un nouveau rôle. Il est appelé à financer
l’innovation. L’intensification de la concurrence impose aux
entreprises de nouvelles règles et de nouveaux impératifs.
L’augmentation du profit ne se fait plus par la hausse des prix,
elle résulte fondamentalement d’une meilleure productivité. Les
firmes sont alors acculées à investir dans l’innovation pour ne
pas réduire la masse salariale et amplifier le chômage.
De telles considérations ont recommandé à l’Etat de
s’impliquer davantage au financement et création d’entreprises
hautement technologiques assimilées aux gisements d’emploi de
Le capital-risque et le financement des PME en Tunisie 11

demain7. Le développement de ces firmes demeure tributaire


d’un apport considérable en fonds propres. Aussi, l’Etat a-t-il
lancé depuis 1999 et en vertu de la loi N° 99-1513 du 5 juillet
1999, un nouveau fonds appelé fonds d’incitation à l’innovation
dans les technologies de l’information (FITI). Créé exclusivement
pour financer le montage des projets à caractère innovateur dans
le domaine des technologies de l’information, le FITI se veut une
version plus élaborée et mieux futuriste que le FOPRODI.
L’intervention du FITI reste cependant limitée puisqu’elle
s’opère sous forme de dotations mises à la disposition des SICAR
et gérées par ces dernières en vertu d’une convention8. Le
concours de ce fonds ne profite qu’aux nouveaux projets dont le
coût ne dépasse pas 200 mille dinars et les projets d’extension
ayant un coût total initial ne dépassant pas le même seuil,
l’investissement initial compris9. D’une manière analogue au
système de financement du FOPRODI, le promoteur ayant
bénéficié de l’intervention du FITI peut demander le rachat de sa
participation du FITI à la valeur nominale majorée d’une
rémunération annuelle au taux moyen de l’appel d’offres appliqué
par la Banque Centrale pour la période maximale de 7 ans10.
En dépit de l’existence du fonds et du cadre juridique le
régissant, le FITI demeure non opérationnel et les investissements
qu’il a financés sont trop faibles, voire non significatifs. Les
explications à cet égard sont multiples. L’inertie de ce fonds a été
imputée à trois facteurs essentiels. Il est d’abord question de
manque de créativité, la Tunisie dispose pourtant d’un parc
technologique et quelques pépinières auprès des instituts
supérieurs d’études technologiques (ISET) et des écoles nationales
d’ingénieurs. Ensuite, c’est le déphasage ou l’anachronie de la
création d’un tel fonds qui explique l’inaction du FITI.
La création de ce fonds fut, à notre sens, entravée par des
considérations aux impératifs de redynamiser le FOPRODI. Le
lancement d’un autre fonds dont le fonctionnement est très

7
Chérif M., Analyse du financement des PME innovantes par le capital-
risque : le cas français, La revue du financier, N°115,1998 ; pp. 53-71.
8
Article 14 de loi N° 98-111 du 28 Novembre 1998.
9
Article 2 du décret N° 99-1513 du 5 Juillet 1999.
10
Article 6 du décret N° 99-1513 du 5 Juillet 1999.
12 Revue Tunisienne d’économie

proche de celui du FOPRODI ne pouvait alors que s’essouffler


et s’effriter dans l’ensemble des moyens de financement
disponibles d’autant que les innovations financières étaient
fondamentalement d’ordre public et bancaire. Enfin, le
plafonnement du coût du capital à 200 mille dinars représente un
facteur de réticence des promoteurs dans la mesure où un projet
technologique est fortement capitalistique et consommateur de
capitaux. L’ensemble de ces considérations a fait que le FITI
demeure méconnu et n’ait pas le sort voulu d’où la nécessité de
le renforcer par les SICAR.

II- LES SOCIETES D’INVESTISSEMENT A CAPITAL RISQUE


Le succès du capital-risque et sa contribution à l’expansion
des économies occidentales a inspiré le gouvernement tunisien
d’encourager depuis 95 la création des SICAR, par la mise en
place d’un cadre juridique approprié et notamment par les
différentes mesures fiscales incitatives. Aussi avons-nous assisté à
une prolifération des SICAR en Tunisie depuis 96 passant ainsi
de 11 à 26 actives en 2000. Il convient de souligner que depuis sa
refonte, le FOPRODI et les SICAR associent leurs efforts pour
financer les projets des nouveaux promoteurs et des PME. Les
SICAR se veulent ainsi une consolidation et un développement
des actions du FOPRODI et du FITI.
Le principal objet des SICAR est de prendre des
participations minoritaires dans les projets des nouveaux
promoteurs et des PME en vertu de la loi N° 95-88. Les SICAR
interviennent en priorité dans les sociétés répondant aux critères
prévus par les articles 23 et 34 du code d’incitation aux
investissements et elles bénéficient aux secteurs ayant des
difficultés à mobiliser le financement nécessaire. Les SICAR se
particularisent du FOPRODI quant au fonctionnement, à la finalité
et se distinguent des SCR au niveau des modalités d’intervention.
Outre l’originalité du capital-risque en tant qu’outil de
soutien financier pour les PME à chaque stade de développement,
l’Etat a opté pour ce moyen financier car il répond à sa volonté de
développer un tissu économique moderne et intégré, favorisant
l’émergence d’une génération de PME performantes. Un tel
objectif s’est toutefois relâché du fait que les SICAR, de par leur
Le capital-risque et le financement des PME en Tunisie 13

participation au renforcement des fonds propres en vue de sa


rétrocession, s’assignent un objectif de stabilisation
macroéconomique. Ce faisant, elles se soumettent plus aux
exigences de l’Etat qu’aux ambitions des promoteurs.
Pour stimuler la création des SICAR, l’Etat a mis en place
une panoplie de mesures incitatives. Il s’agit de l’exonération de
100% de l’impôt sur les revenus ou les bénéfices réinvestis dans
la souscription au capital des SICAR ou placés auprès d’elles
dans des fonds à capital-risque ; ainsi que la déduction du
bénéfice imposable, de la plus-value de cession des actions ou
des parts sociales réalisées par les SICAR11. Ces incitations
fiscales ont permis aux 26 SICAR en activité de capitaliser 207
millions de dinars au 31/12/2000.
De telles mesures n’ont toutefois pas permis l’attrait
d’investisseurs dans les SICAR12. Le cadre fiscal a dû donc faire
l’objet de plusieurs modifications dont la dernière date du 30
décembre 2000. La loi N° 2000-98 a prévu des incitations fiscales
additionnelles afin d’encourager ces sociétés à investir dans le
secteur technologique. Ainsi, les revenus et bénéfices réinvestis
dans la souscription au capital dans les SICAR sont déductibles
de l’assiette imposable, à condition qu’elles investissent 30% de
leurs fonds propres dans des projets implantés dans les zones
défavorisées et dans les entreprises du secteur technologique de la
communication. De même, cette loi a assoupli les conditions de
placement des fonds des SICAR en allongeant le délai de
placement de 2 à 4 ans.
La dernière loi N° 2001-65 du 10 juillet 2001prévoit
d’autres avantages. Les provisions constituées par les SICAR
sont ainsi totalement déductibles dans la mesure où elles sont
afférentes à des participations dans le capital des firmes exerçant
dans les zones de développement régional et les sociétés
technologiques.

11
La loi N° 95-88 du 30 Octobre 1995.
12
Ce qui explique l’agrément d’une seule SICAR au cours de l’année 2000 :
Avenir SICAR promue par la BIAT et qui est entré en activité au cours de la
même année.
14 Revue Tunisienne d’économie

Le concours des SICAR demeure toutefois subordonné à


un ensemble de conditions relatives aux investisseurs. Ces
derniers ne peuvent pas retirer les fonds réinvestis pendant une
période de 5 ans à partir du 1ér janvier de l’année qui suit celle
du placement, et sont tenus à fournir régulièrement leurs états
financiers et à émettre de nouvelles actions et enfin ne peuvent
en aucun cas réduire le capital pendant 5 ans à partir du 1ér
janvier de l’année qui suit celle de la libéralisation du capital
uniquement dans le cas de réduction pour résorption de pertes.
A analyser le schéma de financement des SICAR, il
ressort que leurs ressources comprennent leurs fonds propres
(capital, réserves et autres fonds propres), les fonds de capital-
risque placés auprès des SICAR et à gérer pour le compte des
tiers (banques, sociétés de leasing, groupes industriels…) et des
dotations provenant de l’Etat.
L’utilisation de ces fonds pour la participation dans les
fonds propres des projets candidats doit quant à elle faire l’objet
de convention avec les promoteurs fixant les délais (ne dépassant
pas 10 ans) et les modalités de la réalisation de la rétrocession.
L’intervention minoritaire des SICAR se fait au moyen de
la souscription ou de l’acquisition de :
ƒ Actions ordinaires : sont des titres négociables émis par une
société de capital, donnant lieu à leur titulaire le titre
d’associé. Aussi, a-t-il le droit à l’information et le droit de
vote en assemblée. Elles lui confèrent des droits pécuniaires,
droit aux dividendes et de préemption, ainsi que le droit au
remboursement de son apport lors de la liquidation.
ƒ Actions à dividendes prioritaires sans droit de vote : elles
sont créées par décision de l’assemblée générale
extraordinaire pendant l’augmentation de capital ou par
conversion des actions ordinaires déjà émises. L’émission
de telles actions n’est possible que si la société a généré des
bénéfices durant les trois dernières années ou que si elle
présente aux porteurs de ces actions une garantie bancaire
assurant le paiement de dividende minimum13. Les Actions
13
Ne peut être ni inférieur à 7% de la fraction qu’ils ont libérée ni au 1e
dividende au cas où il est prévu par les statuts de la société.
Le capital-risque et le financement des PME en Tunisie 15

à dividendes prioritaires sans droit de vote ne peuvent


représenter plus du tiers du capital de la firme. Cette
modalité de participation oblige l’entreprise à verser un
rendement courant minimum en affectant une quote-part de
son résultat au paiement de dividendes prioritaires. Ainsi, si
les résultats de l’entreprise progressent, l’investisseur
bénéficie d’un rendement courant croissant, cette
rémunération du capital investi confère une certaine
liquidité à l’investissement14.
ƒ Certificats d’investissement : ils ont une valeur nominale
égale à celle de l’action, ils représentent les droits
pécuniaires attachés à l’action et ne peuvent pas représenter
plus du tiers du capital social.
ƒ Titres participatifs : ils sont des titres négociables qui
rapportent à leur porteur une rémunération qui comporte
une partie fixe et une partie variable dont la valeur dépend
des éléments relatifs à l’activité (prime de risque par
exemple) ou aux résultats de la société (% sur les bénéfices)
ou enfin la valeur nominale du titre.
ƒ Obligations convertibles en actions : il s’agit d’actifs
hybrides comprenant, d’une part, une obligation qui
constitue la valeur inférieure limite du placement et, d’autre
part, un droit de conversion en actions à son porteur afin de
profiter de la croissance de l’entreprise15.
ƒ Parts sociales : ce sont des titres participatifs d’une fraction
du capital social d’une société, ils ne sont cessibles qu’avec
la majorité des autorités associées.
ƒ Toutes les autres catégories assimilées à des fonds propres.

II-1- LES SICAR : CARACTERISTIQUES ET REALISATIONS :


L’ensemble de ces titres (sus-mentionnés) concrétise les
différentes formes de participation d’une SICAR. Ils permettent
un transfert du risque de l’investisseur vers l’actionnaire

14
Chérif M., Le Capital-risque pour financer la croissance et l’emploi, Paris,
Banque Editeur, Juin 2000 ; p 76.
15
Cherif M., Ibid.
16 Revue Tunisienne d’économie

principal. L’emploi de tels instruments financiers pousse l’agent


à ne pas verser dans un comportement d’aléas moral.
La tendance générale de la répartition des engagements des
SICAR par type de produit de participation montre l’importance
majoritaire des actions ordinaires. L’explication d’une telle
configuration se trouve dans l’orientation massive des SICAR
vers des projets de création qui nécessitent essentiellement ce
type de produit. La détention de tels titres et des droits de vote,
dans ce cas, sera proportionnelle à la part de chaque investisseur.
Dans les rares cas où les obligations convertibles en actions ont
été utilisées, elles n’ont presque jamais été converties en actions.
Il s’ensuit que l’utilisation de ces titres prend la forme d’une
opération de crédit en Tunisie.
Il en ressort que les approbations de financement pour des
prises de participations, telles que le montre les statistiques
fournies par le CMF16, qu’elles ont atteint le seuil de 134 millions
de dinars, soit 85% des ressources des SICAR dont la valeur
avoisine les 159 millions de dinars. Ces approbations enveloppent
430 projets dont 88 ont été agréés au cours de l’année 2000 pour
la somme de 42 millions de dinars. En effet, le secteur industriel
qui bénéficie de 54% des approbations et 51% des décaissements
dont respectivement 45.7% et 27.4% dans les zones de
développement régional, suivi par le secteur des services avec
26.5% des approbations et 30.5% des décaissements. Au 3ème
rang, se trouve le secteur touristique avec toujours dans le même
ordre 12.3% et 11.5%, enfin le secteur agricole s’empare
uniquement de 7.2% des approbations et ne réalise que 7% de
l’ensemble des décaissements.
De l’ensemble des 430 projets approuvés, seuls 287 ont
bénéficié d’une prise de participation effective, soit 67% du total.
Ce sont les projets de restructuration, de mise à niveau et de
privatisation qui ont bénéficié de la grande part des décaissements
avec 42% de l’ensemble de prises de participations opérées. Il est
aussi à noter que le schéma des participations des SICAR en
activité avait la forme suivante pour les années 97 et 9817 :

16
Rapport annuel 2000 de le CMF.
17
Rapport annuel 1998 publié par le CMF.
Le capital-risque et le financement des PME en Tunisie 17

24% M.A.N
47% N.P
Z.D.R
Rest
T .I
P
Autres

3% 18%
4% 1% 4%

Figure 3 : pourcentage des participation par catégories de projets en 1997.

29%
36% M.A.N
N.P
Z.D.R
Rest
T .I
P
Autres
7% 4% 5%
3% 17%

Figure 4 : pourcentage des participations par catégories de projets en 1998.

Elaboré à partir du rapport du CMF

Le rapport annuel du CMF permet de distinguer la part


relative de chaque catégorie de projets. Il en ressort aussi que le
schéma garde la même allure et les projets d’innovation
technologique fluctuent toujours autour de 5%. Il semble que le
renforcement des avantages fiscaux et tout l’arsenal qui a été
mis en place afin de promouvoir ce secteur n’ont pas produit
leurs effets escomptés. L’intervention des différentes SICAR
dans la participation des projets implantés dans les zones de
développement régional se présente comme suit durant l’année
2000 :
18 Revue Tunisienne d’économie

SICAR régional

76,20%
SICAR bancaire

SICAR promues par


des institutions
21,90% financières non
1,50% bancaires
0,40% SICAR promues par
des groupes

Figure 5 : Répartition des approbations entre les projets des différentes


SICAR en termes de nombre de projets.

SICAR régional

0,80%

22,10% SICAR bancaire


3,30%

SICAR promues par


des institutions
financières non
bancaires
SICAR promues par
des groupes
73,80%

Figure 6 : Répartition des décaissements des différentes SICAR en termes de


nombre de projets.

Il en ressort que les incitations fiscales instituées par la loi


des finances pour l’année 2000 n’ont pas produit les effets
attendus. Les ressources des SICAR à destination des zones de
développement régional n’ont pas dépassé 0.8% au niveau des
SICAR promues par les institutions financières non bancaires et
3.3% en termes de participations des SICAR promues par des
groupes. Nous pouvons ainsi schématiser l’intermédiation
financière du capital-risque tunisien comme suit :
Le capital-risque et le financement des PME en Tunisie 19

Dans des nouveaux projets

Participation dans le capital

Les investisseurs :

- FOFRODI
- FOSDA
- FITI SICAR
- Le fonds 21-21
- BEI
- Banques
- Quelques Implication dans le conseil
industriels d’administration

Dans des PME


- Promus par des nouveaux
promoteurs
- Promus dans les ZDR
- Adhérent au programme de
MAN
- Innovant et dans le cadre du
transfert technologique
- En difficultés
- Relevant du programme de
privatisation

Schéma n° 1 : l’intermédiation financière du capital-risque tunisien

Elaboré par nos soins.

II-2- ANALYSE COMPARATIVE ENTRE UNE SICAR ET UNE SCR


Le capital-risque en Tunisie en tant qu’innovation
financière est de nature fondamentalement publique a été mis en
place par l’Etat pour parachever l’éventail financier. Aux Etats-
Unis ce capital qui est substantiellement privé se veut une
substitution aux autres moyens de financement du fait qu’il a été
conçu exclusivement pour les sturt-up technologiques.
L’émergence du capital-risque tunisien est essentiellement
l’œuvre du secteur public véhiculée par la SPPI (la Société de
Participation et de Promotion de l’Investissement). L’effet
20 Revue Tunisienne d’économie

d’entraînement induit par cet organisme s’est traduit par la


prolifération des SICAR. La faible part de la contribution du
FOPRODI et le FITI ne doit pas occulter la participation
prépondérante de l’Etat dans les fonds des SICAR. Les banques
et des institutions financières non bancaires finançant les SICAR
à raison de 12.7 millions de dinars18 sont en fait, dans leur
majorité, sous contrôle de l’Etat.

89%
BEI

Fonds 21-21

5% FOPRODI

Autres ressources

Fonds propres
2%
3%
1%

Figure 7 : Répartition des ressources des SICAR au 31/12/2000

Elaboré à partir du rapport du CMF 2001.

Les SICAR financières c’est-à-dire celles promues par des


banques et autres institutions financières représentent 58% du
total des SICAR, les groupes ne lancent que 23% alors que les
SICAR à vocation régionale ne constituent que 19% de l’ensemble.
La configuration européenne des SCR laisse apparaître la
divergence de nature d’étendue et de vocation par rapport aux
SICAR tunisiennes. A examiner la structure des ressources des
SCR européennes, il en ressort une pluralité de différence.

18
Selon les statistiques publiées dans le rapport d’activité annuel du CMF
pour l’année 2000.
Le capital-risque et le financement des PME en Tunisie 21

Divers*
30%
11% Fonds de
13% pensions
Banques

Compagnies
22% 24% d'assurances
Corporate
venture

Figure 8 : Répartition des ressources des SCR européennes en 200019


Elaboré à partir du rapport du CMF 2001.

L’observation du financement des différentes phases de


cycle de vie révèle une concentration de la participation des
SICAR dans les phases de création et de développement
notamment en termes de nombre de projets. En termes de
montant, ce taux est plus faible mais très significatif, la SPPI20
apporte son concours à 29.5% du total de ses engagements à des
projets au stade de création et consacre 48.6% de son capital à
des PME au stade de développement. Il en ressort qu’en Tunisie
le capital-risque porte fondamentalement sur la création et le
développement, les taux sont en effet de deux chiffres, alors
qu’en Europe ce même capital est prioritairement destiné à
l’expansion (37%) et accessoirement à la création (3%).
Cette différenciation trouve son explication dans une
aversion plus manifeste du risque. En France, la création-
développement est plus appréhendée pour des raisons
réglementaires liées au manque de garanties non-exigées. En
Tunisie, la majorité des SICAR exige des garanties qu’on peut
classer en deux catégories propres à chaque types de SICAR.

*- Aux divers, nous distinguons des individuels privés, institutions


académiques, agences publiques…
20
Faute d’information, nous nous sommes contentés des données de la SPPI.
22 Revue Tunisienne d’économie

Les SICAR financières imposent des garanties moins


importantes que celles demandées par les banques. Cette
particularité du capital-risque tunisien qui s’oppose à la notion
du capital-risque trouve son fondement dans la nature des
SICAR qui en tant que succursales bancaires souscrivent à la
même logique que la société mère. La deuxième catégorie de
SICAR enveloppe les SICAR régionales et celles de groupes.
Les deux composantes n’exigent pas de garanties. Un tel
laxisme ne s’explique pas pour autant par les mêmes
considérations. Les SICAR promues par des groupes n’imposent
pas de garanties car elles ne participent qu’au profit de leurs
groupes dans le cadre de mise à niveau.
L’importance des participations relatives à ces mêmes
stades en Tunisie est en rapport direct avec la politique de l’Etat
à savoir la promotion des nouveaux promoteurs, le programme
de mise à niveau initié en 1996.
Tout en se méfiant de toute transposition et de toute
linéarité de l’histoire, nous pouvons signaler que la répartition
des ressources des SICAR ainsi que les schémas qui les ont
induites présentent en l’an 2000 de grandes similitudes avec
celles des SCR européennes aux années 80. La prédominance
bancaire s’explique dans les deux cas par la réticence des
industriels à investir dans les fonds des SICAR et des SCR due à
l’obligation de fournir régulièrement des états financiers. Ladite
réticence est aussi l’œuvre à l’incompatibilité entre centre
d’intérêt des industriels privés et des champs d’intervention
prioritaires désignés par l’Etat. Aussi, et depuis que l’Etat a
décrété que 30% du capital des SICAR doivent être investis
dans les zones à développement régional, les SICAR groupes
n’ont-ils plus participé dans de nouveaux projets.
Un autre point de divergence réside dans la participation
minoritaire des SICAR, une participation qui ne doit pas franchir
le seuil de 30%. En revanche, un capital-risqueur peut être soit
minoritaire, soit majoritaire. Il peut débuter en tant qu’actionnaire
minoritaire et à chaque tour de table, le sujet peut augmenter sa
participation et devenir donc majoritaire si l’entreprise est jugée
performante. En revanche, il n’existe aucune barrière à la sortie.
Le capital-risque et le financement des PME en Tunisie 23

Ce marché est contestable21. Les SICAR tunisiennes, par contre,


demeurent toujours minoritaires et sont impliquées dans les
projets jusqu’à la fin et ne peuvent pas renoncer à leurs
participations et continuent à financer les projets dans l’espoir de
récupérer leurs mises même si ces derniers s’avèrent défaillants.
Pour approfondir notre analyse comparative entre SICAR et
SCR, nous avons mené une enquête sous forme de questionnaire
auprès de 12 SICAR financières, 3 régionales et 4 promues par
des groupes.
De l’ensemble des réponses aux questions proposées, nous
avons pu tirer les enseignements majeurs suivants.
• 80% des 12 SICAR financières enquêtées, comprennent
exclusivement des financiers. Seules la Société Univers
Invest SICAR promue par la BTKD et la SPPI comptent
dans leurs équipes des ingénieurs.
• Les 3 SICAR régionales emploient uniquement des
financiers.
• Les SICAR groupes se caractérisent par l’absence
d’équipes personnalisées propres. Il s’agit des employés
des sociétés du groupe qui assurent une double mission.
Certaines SICAR ne comptent qu’un seul financier en la
personne d’un comptable ayant une formation financière
et des connaissances juridiques22.
Pour l’évaluation des projets technologiques en l’absence
de spécialistes, elles font appel à un spécialiste de l’extérieur. Les
dirigeants ne voient pas l’intérêt de recruter un ingénieur dans la
mesure où les projets technologiques sont rares et leurs
portefeuilles sont constitués essentiellement de projets classiques.
Cette tendance a été expliquée par l’absence de créativité et les
capital-risqueurs ont qualifié le comportement des promoteurs
tunisiens de moutonnier du fait qu’ils rapportent des projets
centrés sur un produit ou un procédé développé jusqu’à la
perfection. En revanche, la plupart des membres de l’équipe

21
Baumol W.J., Panger J.C.,Williung R. D., contestable markets and the
therory of industry structure, HBJ, 1988.
22
SIP SICAR.
24 Revue Tunisienne d’économie

d’une SCR européenne ou américaine sont des diplômés d’une


grande école, de commerce ou d’ingénieurs et / ou titulaires d’une
MBA. Les capital-risqueurs spécialisés dans les firmes
technologiques ont fréquemment dans leur équipe des profils plus
universitaires23.
• La motivation des SICAR est à l’unanimité lucrative, il
s’agit de réaliser une plus-value bien que faible et
notamment de bénéficier d’un dégrèvement fiscal sur
leurs investissements.
• La stratégie d’investissement portant sur la
séquencialisation dépend du choix du promoteur et non de
la SICAR. Alors que théoriquement et dans les autres
pays cette décision revient au capital-risqueur qui opte
pour le financement par injections échelonnées. Ce choix
stratégique leur permet de minimiser le risque du
comportement opportuniste (détournement de fonds…) et
de réduire le montant de participation évaporé en cas
d’échec. Par un tel mode de financement, l’investisseur
s’adonne la possibilité d’avorter le projet s’il est jugé non-
rentable et, ce faisant, il réduit le risque en imposant une
contrainte financière à l’entrepreneur. Le procédé d’octroi
du capital-risque à quelques nuances près est le même que
se soit en Europe ou en Tunisie et peut se schématiser
ainsi :

23
Mougenot G., Tout savoir sur le capital-risque, Paris, City&York, Juin
2000 ; p. 149.
Le capital-risque et le financement des PME en Tunisie 25

Promoteur SICAR
ou
PME

Participation Phase de pré-sélection.


Ou
Refus

Acceptation
Ou
rejet

Comité
Phase de sélection
de
approfondie pour les
Décision
dossiers acceptés en
1ère lecture:

Approbation
Ou
Phase d’étude pour les rejet
dossiers approuvés :
Due diligence

Schéma n° 2 : Procédé d’octroi du capital-risque

Elaboré par nos soins.

Le processus d’octroi du capital-risque repose sur une étude


du business plan, l’étude de ce document peut s’achever dès la
première lecture. Les dossiers qui arrivent à franchir l’étape
suivante font l’objet d’une due diligence. Une telle procédure se
déroule en deux étapes. Une dite légère, au cours de laquelle le
capital-risqueur vérifie certaines généralités. Et une deuxième
étape qualifiée de lourde et pour laquelle il mandate des conseils
26 Revue Tunisienne d’économie

spécialisés pour valider des points précis ayant trait aux études, de
stratégie, de marché, et d’immobilier24. Il est à noter que ce
schéma ne s’applique pas aux SICAR de groupe, puisque ces
dernières n’approuvent et ne financent que les sociétés du groupe.
Leur taux de rejet des dossiers présentés est nul.
Jusqu’à l’année 2000 et sur 664 dossiers présentés à
l’ensemble des SICAR, seuls 430 ont été approuvés dont 287
ont bénéficié d’une participation effective. 35% des dossiers
présentés ont été rejetés dès la première lecture et 33% après une
étude approfondie. Il s’ensuit que 67% des projets sont retenus
et réalisés. Ce taux demeure très considérable puisqu’il est d’une
autre grandeur en Europe. Le schéma d’acceptation des dossiers,
tel qu’il a été proposé par le Financal risk management, BPP
Financal, relate que ce taux tend vers zéro25 :

10% 1% Rejet après première


lecture
Rejet après lecture
approfondie
Rejet après due
35% diligence
50%
Réalisation de
l'investissement

Figure 9 : La vie des dossiers d'investissement

Elaboré à partir du rapport du CMF 2001et de notre enquête.

ƒ Un autre point qui mérite d’être souligné a trait au


business plan. Alors que le business plan est un document
essentiel dans la prise de décision de participation, il "doit

24
Mougenot G., Tout savoir sur le capital-risque, Paris, City&York, Juin
2000 ; pp. 109-113.
25
Mougenot G., Ibid ; p. 114.
Le capital-risque et le financement des PME en Tunisie 27

être soigné dans le fonds et dans la forme"26. En Tunisie,


les "capital-risqueurs" enquêtés affirment que la majorité
des promoteurs n’accordent pas un soin particulier à ce
document, ils se trouvent ainsi contraints à faire un double
effort, ce qui retarde la décision des SICAR et prolonge
les délais d’étude. Une telle contrainte est d’autant
aggravée que les dossiers se révèlent souvent peu fiables
en raison d’un optimisme exagéré de la part des
promoteurs affiché sous forme de taux de rendement
interne positif dès la première année et par une
surévaluation des rentabilités des projets.
ƒ Les SICAR ne discriminent pas entre les entreprises. Elles
visent toutes les catégories de firmes, traditionnelles,
innovatrices et technologiques comme le leur permet la
loi. La structure par catégorie de firmes laisse apparaître
une faible part des projets innovateurs et potentiellement
porteurs de valeur ajoutée. Le pourcentage des start up
technologiques et innovatrices est de l’ordre de 5.6% pour
l’année 200027. En Europe, par contre, les chiffres sont
d’une autre dimension, puisque les investissements dans
les high-tech représentent 32%28 alors qu’en Amérique, il
dépasse le seuil de 50% (57% pour l’année 2001)29. Une
telle faiblesse ne s’explique pas par une aversion des
SICAR tunisiennes à l’égard de cette catégorie, elle est
plutôt due à la rareté de tels projets.
ƒ Les diverses méthodes d’évaluation déployées par les
investisseurs demeurent les méthodes classiques à savoir
le TRI, la VAN, le délai de récupération des
investissements, les divers ratios relatifs aux chiffres
d’affaires (résultat brut d’exploitation/CA ; résultat
net/CA). L’évaluation quantitative passe par l’utilisation
des méthodes traditionnelles. Lesquelles ne peuvent
convenir à l’évaluation des sociétés technologiques. Pour
les nouvelles firmes, les informations notamment

26
Cherif M., Le Capital-risque pour financer la croissance et l’emploi, Paris,
Banque Editeur, Juin 2000 ; p. 65.
27
Rapport annuel 2000 publié par le CMF.
28
http// :www.evca.com.
29
http// :www.nvca.com.
28 Revue Tunisienne d’économie

historiques sont presque inexistantes, le capital-risqueur


procède alors à une évaluation subjective fondée sur le
business plan. Le degré de motivation, l’expérience des
dirigeants et la compétence de l’équipe tiennent lieu de
principaux référents quant à l’acceptation ou le rejet du
projet.
- La minimisation du risque s’articule sur trois principales
stratégies, à savoir.
- La syndication est une modalité de réduction du risque et
de minimisation d’asymétrie d’information. Ce procédé permet
aux SICAR et aux SCR de mieux appréhender le projet, de
réduire le risque, de diversifier leurs portefeuilles de projets et
de minimiser les coûts de surveillance et de contrôle induits par
le comportement opportuniste des "chasseurs de primes".
- L’implication active dans le conseil d’administration se
veut aussi une stratégie répétée et adoptée pour permettre aux
capital-risqueurs d’assurer une assistance financière,
administrative, d’encadrement et de suivi du promoteur. En
s’impliquant dans toutes les décisions et en participant par
souscription des obligations convertibles en actions, des titres
permettant de transférer le risque, le capital-risqueur pourrait
minimiser le risque en réduisant l’aléa moral et en exerçant une
action de monitoring.
- La conclusion d’un pacte d’actionnaire n’est pas
envisagée pour la réduction du risque. Le développement du
contrôle managérial permet de dissocier le pouvoir juridique du
pouvoir économique et de rompre ainsi avec la traduction de la
propriété passive. Le pacte d’actionnaire est un document extra-
statutaire ayant pour objectif d’organiser les relations entre le
capital-risqueur et l’entrepreneur ou investisseurs entre eux. Un
tel pacte permettait non seulement aux investisseurs minoritaires
d’avoir un pouvoir de décision non proportionnel à leur
participation au capital, mais leur offre aussi, par l’imposition de
certaines clauses, la possibilité de se protéger contre l’asymétrie
d’information.
En Tunisie, le contrat ou la convention de rétrocession ne
comprend que la fixation des délais et des modalités de sortie.
Quant aux modalités de sortie, la seule voie envisageable est
Le capital-risque et le financement des PME en Tunisie 29

celle de la rétrocession, la vente au promoteur selon les


conditions convenues au départ. Le prix de rachat fluctue entre
le prix nominal de la participation*(1+ TMM) et le prix
nominal*(1+TMM+3). Le prix d’achat le plus bas est appliqué
aux projets jugés prometteurs et rentables. Ces taux sont très
faibles par rapport à ceux appliqués aux pays européens et aux
Etats-Unis.
Du fait que les différents types de financement n’ont pas le
même niveau de risque, la rentabilité espérée ne sera pas
identique. Plus le projet est risqué plus la rentabilité escomptée
est élevée. La rentabilité attendue des projets financés par le
capital-risque est une fonction du risque encourue dans les pays
industrialisés et qui peut être schématisée comme suit :
Rentabilité attendue

Rachat d’entreprise
>40
en difficulté.
%
Capital-risque.

Rachat
Pré-cotation. d’entrepris
Rachat de
40% positions
minoritaires.
Capital
15 à
20%

10% 10% à 20% 20% Risque


(taux de
sinistralit

Schéma n° 3 : Rentabilité attendue30

30
Mougenot., op. Cite; p 24.
30 Revue Tunisienne d’économie

- L’absence d’un marché réservé aux PME tunisiennes


pénalise les capital-risqueurs en réduisant leurs
perspectives de gain et en les incisant à sortir. La
modalité de sortie par rétrocession est préférée par
l’ensemble des "capital-risqueurs" tunisiens, car elle leur
assure une voie de sortie sûre et oblige le promoteur à
racheter la participation de la SICAR, ce faisant, une
telle modalité garantit aux "capital-risqueurs" la
récupération de sa mise.
La modalité de sortie naturelle pour un capital-risqueur est
la bourse. Une telle option est en déphasage avec les choix, la
culture et les ambitions des promoteurs tunisiens. La structure
financière des firmes tunisiennes témoigne de la prédominance
du contrôle familial hostile à toute ouverture du capital.
L’actionnariat est de ce fait, soit très rare, soit l’œuvre de
personnes appartenant à la même famille.
Au terme de cette analyse comparative, il ressort que le
capital-risque en Tunisie se réduit à un simple crédit participatif et
ne peut être ainsi comparé au capital-risque européen. Toutefois,
et comme il est à ses débuts, il serait préjudiciable pour évaluer
l’expérience tunisienne et les premiers résultats sont difficiles à
interpréter faute d’unité temps et d’un échantillon large. Bien que
bénéficiant d’un effet d’entraînement consécutif à la prolifération
du capital-risque à travers le monde, le capital-risque demeure
limité quant à son effet d’entraînement. Cette carence s’explique
par sa dépendance vis-à-vis du pouvoir public et par l’attente de
la création d’un marché boursier spécialisé. Il est toutefois très
difficile d’évaluer l’impact économique du capital-risque en
Tunisie puisqu’il n’existe encore pas de statistiques significatives
et exhaustives sur une longue période.
Pour cette raison, nous consacrons le paragraphe suivant
au développement des différents facteurs à même d’influencer le
dynamisme du capital-risque.

III- LES FACTEURS DYNAMISANT L’ACTIVITE DU


CAPITAL-RISQUE EN TUNISIE
La publication des textes législatifs appropriés aux
SICAR, les incitations fiscales, l’innovation du FOPRODI et le
Le capital-risque et le financement des PME en Tunisie 31

lancement du FITI constituent des modèles concrets de


l’évolution du domaine financier en Tunisie. De tels efforts
tendent à relever la Tunisie d’une position de consommatrice de
technologies importées à un pays innovateur.
L’expérience tunisienne en matière de capital-risque est
toutefois trop récente pour esquisser son évaluation. Son
développement et s’il nécessite d’importants efforts soulève
néanmoins de nombreuses difficultés. Le FOPRODI appuyé par
les SICAR a certes permis le lancement de plusieurs projets et
l’expansion de nombreuses PME, mais de telles actions
demeurent insuffisantes dans la mesure où il subsiste des facteurs
entravant les PME de disposer d’un système complet de
financement. L’entreprise tunisienne se trouve dès lors dépourvue
du soutien d’une telle modalité considérée comme innovation
porteuse d’assouplissement de conditions de financement. Une
pluralité d’éléments tient lieu de principes explicatifs au
développement limité du capital-risque tunisien.
Le premier a trait au nombre restreint des SICAR ainsi
qu’à la méconnaissance de telles sociétés par les promoteurs et
les entrepreneurs.
Le second réside dans la nature embryonnaire d’un fonds de
garantie de capital-risque permettant la couverture de financement
des projets présentés. Bien que la fiscalité en faveur de la création
et le développement soit très significative, les opérateurs restent
encore hostiles au risque. Cette considération a poussé la majorité
des SICAR à exiger des garanties.
Les derniers éléments sont d’ordres institutionnel, culturel
et économique. Aussi, le plafonnement de la participation des
SICAR par l’Etat, l’inexistence d’une culture entrepreneuriale et
la non-prolifération de voie de sortie spécifique au capital-
risque constituent-ils une limite au développement de ce capital.
L’ensemble de ces facteurs peut être scindé en facteurs
endogènes et facteurs exogènes.

III-1- LES FACTEURS ENDOGENES AUX SICAR


A observer le schéma des répartitions des ressources des
SICAR, nous remarquons son profil très peu diversifié. La
32 Revue Tunisienne d’économie

composition des ressources des SICAR laisse apparaître la


prédominance de leurs apports propres et l’insuffisance de la
participation des autres catégories des ressources. La moitié des
SICAR sont des filiales bancaires31, elles reconduisent à une
culture bancaire de la gestion de risque. La juxtaposition des
pratiques bancaires et celles du capital-risque représente une
véritable aporie au développement et à l’épanouissement de cette
industrie, d’autant plus que les équipes travaillant au sein des
SICAR ne sont pas des professionnels du capital-risque. Il s’agit
de démouler banque et SICAR et de conduire une spécialisation
afin de pouvoir inculquer les spécificités des rôles d’un capital-
risqueur.
L’examen des instruments financiers disponibles nous
révèle une sous-exploitation de la gamme des produits offerts.
La tendance générale montre que les SICAR interviennent
fondamentalement à travers les actions ordinaires.
Le développement du capital-risque demeure aussi
tributaire des conditions d’intervention contraignantes.
Le plafonnement de la participation des SICAR de manière
à ce qu’elles demeurent toujours minoritaires entrave
l’épanouissement de l’activité du capital-risque. Une telle
contrainte est de nature à limiter les ambitions du capital-risqueur
et à réduire ses interventions. Quant à l’encadrement de la
participation des SICAR par une loi fixant les parts et les champs
de leurs interventions, il s’érige aussi peu favorable au
développement du capital-risque tunisien. La structure de
placement des SICAR indique que 30% du capital doivent être
investis dans les zones de développement régional ou/et dans des
projets technologiques, 20% dans le cadre du programme de mise
à niveau. Alors que les 50% restants sont affectés librement par la
SICAR sur le marché monétaire ou le marché financier. Une telle
structure peut constituer un dilemme pour la SICAR qui en la
respectant doit renoncer à certains projets promoteurs.

31
80% des SICAR conventionnées avec le FOPRODI sont des filiales
bancaires.
Le capital-risque et le financement des PME en Tunisie 33

III-2- FACTEURS EXOGENES AUX SICAR


"Les entreprises dans les pays en développement ont une
dépendance forte vis-à-vis du financement externe, notamment
le crédit bancaire, l’excès de l’endettement est la conséquence
logique et fatale de l’insuffisance des capitaux propres des
entreprises depuis leur création"32. Les firmes tunisiennes
présentent ces mêmes caractéristiques auxquelles nous pouvons
rajouter l’instinct peu schumpétérien de l’entrepreneur tunisien
et son environnement socioculturel. Une observation attentive
de l’environnement du capital-risque dans son pays natal à
savoir les Etats-Unis montre l’importance de l’esprit
entrepreneurial et la forte culture d’entreprise dans la promotion
du capital-risque. Ainsi, un contexte culturel qui valorise l’esprit
d’entreprise et le goût du risque sont élémentaires pour le
développement du capital-risque.
Le capital-risque en Tunisie se trouve essoufflé par
plusieurs formes de réticences dont la plus significative tient à la
mentalité de l’entrepreneur caractérisée par "la méfiance des
promoteurs qui demeurent réticents à ouvrir leurs capitaux au
public, ils veulent rester maîtres chez eux et acceptent
difficilement des partenaires privés autres que les établissements
financiers"33. Le propriétaire tunisien réfute toute participation
étrangère car il y voit un processus de perte d’autonomie
financière et de dilution des pouvoirs de décision. A trop se fier à
ses compétences polyvalentes, il s’érige en unique centre de
décision s’emparant ainsi du pouvoir économique et du pouvoir
juridique. Or, pour qu’une PME réussisse grâce à un financement
par le capital-risque, elle doit procéder à un alliage d’une
multitude de technologies, de savoir-faire et autres composantes.
C’est un tel assemblage qui a permis au capital-risque aux Etats-
Unis de réaliser des "succes stories".

32
Dieng S.A., Le capital-risque en Afrique subsaharienne : caractéristiques,
problèmes et perspectives, La revue du financier N°129-130, Mars 2001 ;
pp. 53-65.
33
Khelil I., L’introduction de la technique du capital-risque en Tunisie,
allocution du gouverneur de la Banque Centrale au séminaire sur le capital-
risque, Tunis, Octobre 1988.
34 Revue Tunisienne d’économie

Les entrepreneurs doivent repenser leur vision des SICAR.


Le promoteur cherche à partager le risque d’échec avec cette
dernière et n’accepte pas l’idée de partager les gains en cas de
réussite. L’échec, assimilé à l’apprentissage et donc à une
expérience et meilleure compétence aux Etat-Unis, est synonyme
de drame et de mauvaise gestion par l’entrepreneur tunisien. Il y
voit une atteinte à son prestige personnel et à celui de sa famille,
une dégradation de leur position et un handicap à leur ascension
sociale. La participation des SICAR se doit d’être approchée en
termes de complémentarité et non en termes de rivalité et de
concurrence. Le soutien financier n’exclut pas le dosage idéal
entre propriété passive et propriété active tel que préconisé par
Berle et Means34. La refonte doit être alors chargée en éléments
institutionnels et culturels pour promouvoir le secteur du capital-
risque et rompre avec la culture haïssant la nouvelleté.
La non-prolifération du capital-risque résulte en Tunisie
d’un autre facteur exogène ayant trait à la réglementation
comptable. Les PME ne sont pas en effet tenues de représenter
régulièrement leurs états financiers et ne sont pas formalisées
d’une tenue correcte de comptabilité, ce qui aggrave la situation
des SICAR et double le risque de financement.
L’absence d’un système de garantie fonctionnel est un autre
facteur de blocage. Certes, la Tunisie dispose depuis 1982 d’un
fonds destiné à garantir les sociétés prêteuses de dénouement de
certaines catégories de prêts accordés à des emprunteurs douteux.
Toutefois, le FNG n’a pas fait preuve ni d’efficacité ni
d’opérationalité bien que les participations des SICAR
conventionnées avec le FOPRODI et le FITI en font partie35. Or,
le développement d’une véritable industrie du capital-risque
constitue la condition sine qua non de l’émergence des nouvelles
sociétés innovatrices et technologiques, et dépend de l’existence
d’un système de garantie actif. Afin de réduire au maximum les
conséquences financières d’échec éventuel, hormis les Etats-Unis,

34
A.A. Berle et Means, The modern corporation and private proprety New
York, 1937 / A.A. Berle, La réorganisation de l'économie américaine, PUF,
Paris 1965.
35
La loi N°2000-72.
Le capital-risque et le financement des PME en Tunisie 35

certains pays tels que la France ont mis en place un processus


d’adaptation lié à la particularité de leur économie.
Un système de garantie des investissements à l’instar du
SOFARIS en France s’avère ainsi indispensable pour rassurer
les investisseurs et promouvoir l’activité du capital-risque car le
développement de cette industrie dépend étroitement de la
rapidité et des modalités de l’intervention d’un fonds de garantie.
L’absence d’une voie boursière spécifique de sortie limite
aussi ce développement du fait que cette sortie est la phase
primordiale de l’intervention de la SICAR et qu’elle permet une
forte valorisation telle qu’en témoigne les succes stories. Or, la
majorité des PME tunisiennes ne remplit pas les conditions
d’introduction en bourse. Ce problème est encore plus pertinent
lorsqu’il s’agit d’une entreprise nouvellement créée, pour accéder
à la bourse qui constitue le cycle normal de développement d’une
entreprise, il faut au préalable avoir exercé pendant 15 ans au
moins.
Le capital-risque et la bourse sont complémentaires. Dans
la mesure où, pour l’investisseur, l’introduction en bourse est une
des sorties recherchées et pour l’entrepreneur, le couronnement
de ses efforts36. 34% des sociétés cotées au nouveau marché
sont financées par des capital-risqueurs37. Aussi, serait-il
recommandable de s’inspirer de l’exemple américain ou européen
et créer un marché boursier réservé aux PME tunisiennes.

III-3- QUELQUES MESURES POUR PROMOUVOIR LE CAPITAL-


RISQUE EN TUNISIE
L’étude des expériences américaine et française et
l’analyse du capital-risque tunisien, nous permettent d’esquisser
un ensemble de recommandations susceptibles de promouvoir le
capital-risque et de favoriser l’aménagement de l’environnement
socioculturel approprié à son essor.
- Cerner une définition propre du capital-risque tunisien.
Le concept ne reflète pas la même réalité dans tous les
pays industriels même si sa fonction principale demeure

36
Mougenot G., Tout savoir sur le capital-risque, Paris, City&York, Juin 2000.
37
Mougenot G., Ibid.
36 Revue Tunisienne d’économie

le financement des jeunes firmes à fort potentiel de


croissance. Ladite définition doit s’employer à tenir
compte des particularités des firmes, de la culture et des
entrepreneurs tunisiens.
- Vulgariser l’activité du capital-risque auprès des
industriels afin de les encourager à placer leurs fonds
dans de telles sociétés ce qui permettra de diversifier les
ressources des SICAR, d’autant qu’un tel investissement
est actuellement considéré comme l’un des meilleurs
placements en Tunisie (vu le taux d’épargne peu attractif
et l’état du marché financier).
- Inciter les investisseurs institutionnels locaux ou étrangers
à s’y engager pour favoriser la révolution industrielle du
capital-risque38. La participation des caisses sociales et les
assurances pourraient pallier les insuffisances de fonds et
diversifier les ressources davantage.
Les SICAR doivent diversifier leurs ressources et attirer
de nouveaux investisseurs et fonds ce qui nécessite une réforme
de l’intervention de l’Etat en la matière.
- Faire participer travailleurs et salariés aux bénéfices ou au
capital de leurs entreprises, leur distribuer des titres à
l’instar des stocks option39 en leur permettant de bénéficier
des gains et des plus-values réalisés. Cette forme
d’actionnariat est de nature à développer une culture
entrepreunariale et à réduire l’aversion au risque. Ceci
permettra éventuellement de pallier l’insuffisance des
fonds propres dont souffrent traditionnellement les firmes
durant leurs premières années d’existence et motiver les
personnes compétentes à s’engager dans le processus du
capital-risque.

38
Pastré O. et Faidi K., Nouvelle économie et pays émergents : un véritable
défi, La revue du financier N°129-130, Mars 2001.
39
Les stocks option sont généralement attribués par une entreprise à ses
collaborateurs les plus qualifiés, afin de s’assurer de leur fidélité tout en
stimulant leur motivation, un stock d’option s’apparente à une option d’achat.
Le capital-risque et le financement des PME en Tunisie 37

- Intégrer la notion du risque dans les programmes


d’enseignement, en repensant l’échec et en le positivant
et l’admettre en tant que partie du cycle d’apprentissage.
Dans ce sens "…nous devons donner aux jeunes le goût
des horizons inconnus. Pratiquement, au niveau de la
recherche et de l’enseignement, il s’agit de choisir des
domaines qui ne constituent pas des terres trop souvent
labourées…"40.
- Déplafonner le montant alloué par le FITI et investir
d’avantage dans la recherche et développement. Le
relatif sous-développement scientifique et technologique
amplifié par l’exode des compétences41 explique en
partie la rareté des projets technologiques. Les coûteux
acquisition et transfert de technologie ne permettent pas
aux nouveaux promoteurs de satisfaire leurs besoins en
s’adressant uniquement au FITI.
- Reconsidérer la marge de manœuvre des SICAR
indispensable au dynamisme du capital-risque en
Tunisie et assouplir davantage le cadre juridique et fiscal
dans lequel s’exerce l’activité du capital-risque.
- Engager de nouvelles perspectives de sortie pour le
capital-risque avec la création d’un marché boursier
spécialisé dans les PME qui se révèle nécessaire à l’essor
de cette activité.
- Organiser des programmes de formation qui permettent
de renforcer la formation, le recyclage et le
perfectionnement des capital-risqueurs afin de les
professionnaliser et de les doter de plus d’expérience.
- Développer un outil d’information diversifié comprenant
un centre de documentation ainsi qu’une banque de
données relatives aux besoins commerciaux, techniques
et financiers des PME/PMI tunisiennes, ainsi qu’un
centre relié aux principaux serveurs de nos partenaires
occidentaux afin de permettre aux SCR étrangères
d’opérer en Tunisie, de personnaliser leurs services aux
40
François Peccaud, Université tecnologique de Compiègne.
41
Pastré O. et Faidi K., Ibid.
38 Revue Tunisienne d’économie

besoins de la petite firme tunisienne et de transplanter les


bases de l’activité du capital-risque dans notre pays.
Dans ce contexte, le cas de l’adhésion de la SPPI au
groupement européen d’intérêt économique Eurosud
Capital est un bon exemple à suivre.
Au-delà de ces mesures influençant le dynamisme du
capital-risque, l’avenir de ce dernier demeurera tributaire d’une
part des choix des investissements réalisés par les SICAR, et
d’autre part de l’environnement socio-économique, voire
culturel dans lequel il est amené à évoluer.

CONCLUSION

Le capital-risque en tant qu’innovation financière n’est pas


un simple phénomène mutationnel à caractères ponctuels. Il s’agit
d’une dynamique de mise à niveau continue impliquée dans la
création et le développement des PME. C’est à l’adresse des
entreprises que banques, marché financier et Etat se doivent de
manifester davantage de renforcement d’innovation. A ce niveau,
des innovations spécifiques aux PME, le système est appelé à
proliférer le capital-risque et le rendre plus adapté, plus rapide et
plus accessible. Ce capital se présente comme l’outil financier le
plus adapté à ces entreprises sous-capitalisées et surendettées.
Ainsi, le soutien et la promotion de l’industrie du capital-risque
en Tunisie deviennent prioritaires et nécessaires car ils
représentent une nouvelle alternative financière aux nouveaux
promoteurs et aux PME dont la surface financière est très réduite,
voire absente et ne disposent pas de garanties suffisantes et
tangibles, permettant de consolider leurs fonds propres.
La souplesse de cet instrument et sa maniabilité en font la
technique de financement la plus à même de s’adapter à chaque
phase du cycle de vie de la firme. Mais à trop se fier à ces
considérations, on risquerait d’omettre les limites qui demeurent
imposées et qui entravent encore la prolifération et cette
efficacité. Le capital-risque se limite en fait à un simple crédit
participatif.
Le capital-risque et le financement des PME en Tunisie 39

La Tunisie est certes considérée comme pionnière en


matière de capital-risque parmi les pays en développement. Ce
capital a en effet fort contribué au financement de nombreux
projets de lancement ou d’expansion. La Tunisie présente
toutefois des caractéristiques de nature à altérer le développement
de ce capital.
Les facteurs entravant une telle prolifération portent sur
des considérations économiques et financières, institutionnelles,
structurelles, fonctionnelles et culturelles. Une meilleure portée
du capital-risque est donc un assouplissement des conditions de
financement qui implique que soit reconsidérée la conception
des diverses modalités et techniques de financement. Il s’agit ici
d’approcher cette industrie et le marché financier en termes de
complémentarité et non sous l’angle de rivalité.
La mentalité, bien que souvent phagocytée dans les
analyses relatives à ce thème, constitue, à notre sens, le facteur
ayant la plus grande marge de progression. Aussi, importe-t-il de
repenser la conception du risque et de l’échec. Ce dernier se doit
d’être déchargé de toute connotation dramatisante. Il faut
développer une culture le réhabilitant en l’assimilant à
l’apprentissage et donc à davantage de compétence alors que le
risque se doit d’être moins appréhendé et intégré dans les
programmes scolaires et les pratiques financières.
Le capital-risque comme toute innovation en Tunisie est de
nature publique. Il est l’œuvre de l’Etat et, à ce titre, il convient
de le renforcer par le concours privé en le dévulgant davantage et
en incitant plus les investisseurs privés à y participer. Telles sont
les réalités du capital-risque et les perspectives de son
développement quant à une meilleure approche de financement
des entreprises. Bien que les diverses expériences confirment que
le démarrage du capital-risque a été partout et toujours difficile.

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