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URL : http://journals.openedition.org/acrh/3749
DOI : 10.4000/acrh.3749
ISBN : 978-2-8218-1060-0
ISSN : 1760-7914
Éditeur
Centre de recherches historiques - EHESS
Référence électronique
Felipe Brandi, « L’avènement d’une « histoire au second degré » », L’Atelier du Centre de recherches
historiques [En ligne], 07 | 2011, mis en ligne le 30 avril 2011, consulté le 11 décembre 2018. URL :
http://journals.openedition.org/acrh/3749 ; DOI : 10.4000/acrh.3749
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Modification 3.0 France.
L’avènement d’une « histoire au second degré » 1
NOTE DE L'AUTEUR
L’expression « l’histoire au second degré » a été empruntée à Pierre NORA, « Entre
Mémoire et Histoire », in Les Lieux de Mémoire, t. I, « La République », Paris, Gallimard,
1984, p. XVII-XLII, et « Pour une histoire au second degré », Le Débat, no 122, nov.-déc.
2002, p. 24-31.
4 Voilà des lustres que Jean Glénisson ouvrait son bilan des réalisations récentes de la
recherche historique française – l’une des pierres qui allaient porter les fondations de
l’histoire de l’historiographie en France – par la remarque suivante :
« Les historiens de métier demeurent extrêmement méfiants à l’égard de toute
Geschichtsphilosophie », écrivait récemment M. H.-I. Marrou. Peut-être eût-il fallu
ajouter : « surtout en France ». Ce trait constant depuis le triomphe, aujourd’hui
séculaire, de l’érudition, explique sans doute l’indifférence que manifeste l’école
française dans sa quasi-totalité pour l’histoire de l’histoire. 2
5 Nous ne sommes plus en 1965, et ce constat n’a peut-être pas le même poids aujourd’hui.
Force est pourtant de reconnaître que cette méfiance à l’égard de la philosophie de
l’histoire a joué un rôle décisif dans le sort, en France, de la théorie de l’histoire en
général, et de l’histoire de l’historiographie en particulier. Elle n’a, en fait, jamais cessé de
se manifester au cours de la longue évolution à travers laquelle cette dernière a pris
forme, d’abord en lui faisant obstacle, en la contrecarrant, en l’inhibant parfois, mais en
l’éperonnant aussi, en l’incitant à se renouveler et à se reformuler. Les études
historiographiques en sont certes sorties affermies ; il n’empêche que la prise en compte
de cette méfiance qui les a longtemps poursuivies reste, à l’heure actuelle, de toute
première importance pour l’historien de l’historiographie. Ne serait-ce que parce que, de
façon toute négative, par les résistances mêmes ainsi manifestées, cette méfiance a
largement contribué à façonner la configuration présente de son propre champ de
recherche et qu’en réalité, aujourd’hui encore, elle ne cesse de le hanter.
6 Profondément enracinée, cette méfiance à l’égard de la philosophie et de la théorie de
l’histoire est, sous maints rapports, constitutive de la tradition des études historiques en
France ; et elle a survécu aux successives ruptures historiographiques, résistant aux plus
fulgurantes transformations qu’ont connues la conception et la pratique même du métier
d’historien au cours du XXe siècle français. Par l’histoire érudite et « historisante »
d’abord, par l’histoire « nouvelle » ensuite, les penchants philosophiques (et trop
théoriques) ont été repoussés ; l’accent étant mis davantage sur l’essor méthodologique,
sur les pratiques de la critique documentaire et de l’établissement des faits. A cet égard,
l’éloge que fait, en 1941, Lucien Febvre, devant les élèves de l’École normale supérieure,
de « ceux qui créent, ceux qui font progresser la science et souvent se préoccupent plus
d’agir que de faire la théorie de leurs actions »3, en dit long. Trente cinq ans plus tard, un
médiéviste cette fois-ci, Georges Duby, ouvre sa communication à l’Association française
de sociologie religieuse en déclarant :
Je veux d’abord préciser que je suis historien ; c’est-à-dire que je ne suis pas
philosophe. Il se trouve en France que les sciences sociologiques sont représentées
par des personnes qui ont reçu principalement une première formation
philosophique ; or je pense qu’il n’y a pas de distance plus grande dans les sciences
humaines qu’entre le point de vue de l’historien et le point de vue du philosophe :
nous ne parlons pas toujours le même langage.4
Fermement identifiée au dogmatique, aux systèmes rigides d’explication et aux carcans
idéologiques emprisonnants qui contraignent le regard que l’historien porte sur les
sociétés du temps jadis, l’abstraction des théories n’a pas toujours eu bonne presse auprès
des historiens de métier qui d’ordinaire ont, eux, prisé au contraire l’attention au
concret, le goût pour les « réalités vivantes ». À l’image même de l’ogre de la légende, qui
sait que son gibier est là où il flaire la chair humaine.
11 C’est dans les années 1860 que le terme « historiographie », emprunté aux allemands,
apparaît pour la première fois dans la langue française dans le sens plus spécifique de
littérature historique spécialisée portant sur un sujet concret. Outre-Rhin, l’usage de la
notion s’était répandu de bonne heure, stimulé par les controverses autour du moment à
partir duquel il devient possible d’identifier le commencement de la recherche historique
moderne. Où commencerait-elle ? Avec Niebuhr, ou Ranke ? Cet effort pour reconnaître le
point de départ d’une histoire véritablement scientifique, pour distinguer la production
moderne d’autres types dépassés d’histoire, stimule l’intérêt des historiens allemands
pour l’histoire de l’historiographie. La notion elle-même semble, simultanément, se
redéfinir. Elle désigne désormais ce par rapport à quoi les historiens modernes
s’identifient, ce qui leur permet, en même temps, de se différencier de tout ce qu’il ne
s’agissait plus, à leurs yeux, de confondre avec une connaissance historique digne de ce
nom. En France, c’est sous la plume de Rodolphe Reuss que le terme se répand, dans les
nombreux comptes rendus que l’historien alsacien publie dans la Revue critique d’histoire et
de littérature, dans le sens de littérature historique spécialiste6.
12 Mettant d’emblée en relief l’idée d’écrits historiques consacrés à une matière déterminée
et, par extension, l’idée d’écriture historique, « historiographie » sert depuis lors à
nommer la tribu des historiens, l’ensemble des écoles historiques, vues dans leur
succession ou dans leur coexistence, voire les courants de pensée les plus divers et les
sensibilités plurielles qui se manifestent dans l’étude de l’histoire. Il y a bien, ainsi, une
historiographie américaine, allemande, indienne ; mais on parle aussi d’historiographie
marxiste, nationaliste, républicaine, d’orientation conservatrice ou d’orientation plus
progressiste. Le terme se prête plus manifestement à l’équivoque lorsqu’on parle,
notamment, d’historiographie hispano-américaine, pour désigner, tantôt celle produite
par les historiens de l’Amérique latine, tantôt celle portant sur le monde espagnol. Et on
est bien en droit de se demander, devant une expression aussi floue que celle
d’« historiographie coloniale », s’il s’agit de celle produite par les historiens de la période
coloniale, ou celle qui concerne l’histoire des colonies. En réalité, inutile de vouloir
trancher : la polysémie, voire l’équivoque, est constitutive du terme, et l’important est
moins de le regretter que de bien tenir compte du fait que deux emplois sont, très
souvent, à même de se recouper.
13 Dans un sens plus proche de celui que nous lui donnons à l’heure actuelle,
l’« historiographie » désigne aussi une procédure intellectuelle – et on se heurte, là
encore, à la polysémie. Aujourd’hui comme naguère, au sein de différentes traditions,
faire de l’historiographie signifie – le sens de littérature spécialisée l’emportant –
s’engager dans le débat empirique, maîtriser le débat spécialiste. Dans cette perspective,
et pour n’en donner qu’un seul exemple, l’historiographie de la Révolution serait le
conflit des interprétations, l’affrontement des thèses opposées, d’aujourd’hui et d’hier,
concernant les événements entre 1789 et 1793.
14 Suivant cette acception plus courante, parler d’étude historiographique équivaut à se
référer strictement au débat scientifique, à la confrontation des points de vue divergents
sur une matière concrète, à partir des résultats nouvellement atteints, des techniques
inventoriées et de la disposition d’ensemble du chantier. Il s’agit là, avant tout, de débats
portant, soit sur des notions en usage, soit sur des faits concrets (les dates, la portée d’un
événement ou les acteurs impliqués), et qui ont pour enjeu le progrès des connaissances
et l’état général de la matière scientifique. Point question ici de ramener l’histoire à
l’historien, ou d’insérer ce dernier dans la société et le temps auxquels il appartient ;
moins encore de s’interroger sur les fondements des notions primordiales propres au
travail de l’historien, dont celles de « fait », de « preuve », de « trace » ou de « témoin ».
Hormis le mot, la divergence est considérable entre l’« historiographie » au sens de débat
spécialiste et l’« historiographie », au sens d’histoire de l’histoire.
15 En fait, le terme a subi, au cours du dernier demi-siècle, une étonnante évolution, et ce
n’est qu’après le travail concerté de plusieurs générations d’historiens que le mot
« historiographie » glisse, définitivement, du côté d’une démarche savante, critique, qui
se sait elle aussi historique et qui se regarde historiquement. Georges Lefebvre, Henri-
Irénée Marrou, Jean Glénisson ont fait, en France, œuvre de précurseurs. Mais malgré ces
exemples pionniers, on ne saurait faire remonter qu’à la veille des années 1980
l’affirmation, en ce pays, d’une approche historiographique qui se veut à la fois une
réflexion critique sur la connaissance de l’histoire et une étude historique de la pratique
des historiens. Le sens le plus courant du terme, lié au débat critique des spécialistes, n’a
pourtant pas été entièrement délaissé. Dans son acception nouvelle, il comprend, d’une
manière invariable, ce regard réflexif, tourné vers la pratique historienne, mais y ajoute,
et c’est là l’essentiel, la nécessité et l’intérêt d’historiciser ce même regard, c’est-à-dire de
le mettre historiquement en perspective. L’historiographie, partant, désigne toujours
l’effort des historiens pour affiner leurs outils, et la remise en question, sans cesse
recommencée, des certitudes derrière lesquelles les hommes et les sociétés s’abritent
pour se procurer une image apprivoisée de l’histoire.
20 Une chose est certaine : depuis longtemps que des historiens, dans l’effort pour inscrire
leurs œuvres dans le sillage d’une tradition reçue, ne se sont pas contentés de porter un
jugement sur le travail de leurs devanciers, mais ont également senti le besoin d’évoquer,
même brièvement, le nom de ceux qui ont auparavant touché du doigt l’objet de leur
méditation et qui, pour s’être voués à une pareille activité, les ont directement inspirés.
Bernard Guenée ne nous apprend-t-il pas, en effet, que, dans la première moitié du XIIe
siècle, Hugues de Saint-Victor tient, dans son De tribus maximis circumstanciis gestorum, id
est personis, locis, temporibus, à étaler, dans la rubrique « De nominibus hystoriographorum »,
une liste de trente-deux historiens – dont Tite-Live, Suétone, Flavius Josèphe et Paul
Orose – que l’on peut bien tenir pour signe d’une préoccupation historiographique
naissante : celle de connaître, et d’exposer à travers une vue d’ensemble, l’histoire des
prédécesseurs10 ?
Ainsi, dans les années 1130, l’histoire de l’historiographie faisait, dans les préfaces,
ses premiers pas. (…) C’est que, de toutes façons, la conscience des historiens de
pratiquer une science respectable et autonome, leur certitude de pouvoir par là se
ranger au nombre des hommes illustres, leur foi dans les progrès de leur discipline,
les exigences accrues de leur érudition, les principes affinés de leur critique, tout
les poussait d’entrée de jeu, dans leurs prologues, à évoquer leurs prédécesseurs, à
dire leurs sources, à donner leurs autorités. Dans ce grand siècle historique que fut
le XIIe siècle, les historiens avaient d’instinct senti qu’il n’est pas de bonne histoire
sans bonne histoire de l’histoire.11
21 La pensée de B. Guenée touche juste : l’éveil d’une inquiétude historiographique ne
saurait être désolidarisé de la conquête d’une plus grande conscience de ce que
représente l’activité historique. Mais aussi loin que l’on puisse faire remonter l’intérêt
pour une histoire des historiens, il faut bien reconnaître que l’histoire de
l’historiographie est restée cependant, jusqu’à une époque récente, une pratique somme
toute discrète au sein des études historiques françaises. Vouloir ici retracer les chemins
d’une histoire des historiens au cours des âges reviendrait à s’assigner un but démesuré,
qui dépasserait, et de très loin, le propos de ces lignes. Mais il n’est peut-être pas sans
intérêt d’essayer, brièvement, de réfléchir sur le moment d’un virage où soudain, à une
époque très ramassée, les résistances les plus tenaces sont venues à résipiscence et où,
cessant d’être une activité accessoire, le champ de l’histoire de l’historiographie a acquis,
une fois pour toutes, droit de cité en France12.
22 Naguère encore, l’histoire de l’historiographie était surtout pratiquée, en France, sous la
forme de nécrologies ou de préfaces, sinon d’exercices de fin de carrière où, au bout d’une
vie de travail ininterrompu, l’historien livre une sorte de testament méthodologique – le
dernier regard porté, réflexion et confidences mêlées, sur la pratique de son métier et
l’état de la discipline. Ce n’est qu’au cours des années soixante-dix qu’elle se voit arrachée
à ce sort.
23 À l’aube de cette décennie un ouvrage d’histoire de l’historiographie publié par un
historien français avait, en effet, tout pour figurer comme novateur, voire audacieux.
C’est le cas, à cet égard emblématique, de La Naissance de l’historiographie moderne, de
Georges Lefebvre, que les éditions Flammarion font paraître en 197113. Né de ses derniers
cours à la Sorbonne, en 1945 et 1946, et paru trente ans auparavant14, l’ouvrage connaît
une nouvelle jeunesse grâce à sa réédition de 1971. Or, ce qui est tout à fait significatif
dans cette republication, c’est qu’elle accuse l’écart entre deux conditions de réception de
l’histoire de l’historiographie totalement distinctes, celles du milieu des années quarante
et celles du tournant des années soixante-dix ; autant en ce qu’elle atteste d’un
changement de l’intérêt historiographique qui, insensiblement, se serait préparé dans
l’intervalle, qu’en ce qu’elle fait ressortir la constance pesante du silence dont l’histoire
de l’histoire continuait à faire l’objet chez les historiens français. Au seuil des années
1970, on était enfin plus prêt à l’accueillir – et le choix des éditions Flammarion montre
qu’on la savait désormais apte à attirer l’attention d’un public de lecteurs beaucoup plus
large – ; il n’en reste pas moins que l’ouvrage demeurait presque aussi détonnant dans le
paysage historien que son cours ne l’était vingt-cinq ans plus tôt. Georges Lefebvre ne
prêchait pas dans le désert. Mais son ouvrage représentait bien, à l’époque, un effort peu
commun, et Guy Palmade, en le préfaçant, pouvait à juste titre parler de ce « continent
presque inconnu, l’histoire de l’historiographie »15.
24 « Continent presque inconnu », l’histoire de l’histoire, l’étude historienne des œuvres
historiques l’était, en effet, encore. Les dernières leçons que Georges Lefebvre avait
données à la Sorbonne avaient peu circulé, dans leur version polycopiée, et s’étaient
cantonnées à un lectorat somme toute restreint. Mais le plus surprenant, dans cette
affaire, n’est pas que ces leçons aient dû attendre trois décennies pour retrouver un
nombre croissant de lecteurs. La surprise réside, en réalité, dans cette impression d’une
apparente nouveauté de son propos, vingt-cinq ans plus tard. En effet, dans la seconde
moitié des années 1940, dans l’immédiat après-guerre, l’école historique française voit
quelques-uns de ses représentants les plus illustres se livrer à une réflexion sur la valeur
et la place de l’histoire, dans un effort concerté pour comprendre comment et pourquoi
travaille l’historien. Outre l’ouvrage de Georges Lefebvre, paraît en ces années le livre
posthume de Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien (1949) 16, inachevé,
rédigé entre 1941 et 1943, et que suit, peu après, les Combats pour l’histoire17 (1953), de
Lucien Febvre, et De la connaissance historique18 (1954), d’Henri-Irénée Marrou. Ce n’est pas
tout. Date aussi de la seconde moitié des années quarante l’Introduction à l’histoire, de Louis
Halphen19, qui vient faire rebondir l’intérêt historiographique précoce que son auteur
avait manifesté dans L’Histoire en France depuis cent ans (1914) – ouvrage en avance sur son
temps, mais dont la réception pâtit lourdement de sa parution malencontreuse, à la veille
de la guerre20.
25 Au sortir de la Seconde Guerre, de grands noms de l’école historique française ont senti la
nécessité impérieuse de faire avancer la réflexion sur l’histoire, interrogeant
ouvertement l’utilité et la finalité de son étude. Les ouvrages parus alors, et les
considérations qu’ils contiennent ont fait date. Devenus en peu de temps des repères
historiographiques, ils se sont vite convertis en bréviaires pour les jeunes générations
d’historiens, et ont continué à s’imposer bien au-delà de leur contexte d’origine. Mais ce
souffle réflexif et fécond n’a pas eu de suite directe. Le temps n’était pas encore venu pour
qu’un champ d’étude portant sur l’histoire et les historiens soit pleinement accepté. La
réflexion sur la méthode et sur la pratique de l’historien demeurait tenue pour risquée,
susceptible d’entraîner le chercheur dans le domaine, périlleux, de la méthodologie pure,
voire de le faire déraper dans des considérations d’ordre, avant tout, philosophique.
Fernand Braudel, Ernest Labrousse et Pierre Renouvin. Les auteurs en parlent à deux
reprises. À la veille des années soixante, nous sommes encore à l’époque embryonnaire de
l’histoire des « mentalités ». Cette dernière fera une entrée fulgurante dans la prochaine
décennie, mais à ce moment, le flambeau de Lucien Febvre était à peine repris par la
jeune génération d’historiens. Or, tant pour ce qui est de l’histoire de l’historiographie
que pour ce qui touche à l’histoire des mentalités, la date du rapport du CNRS est
particulièrement saisissante, puisque c’est bien parmi les possibles thèmes de recherche
pour l’étude des mentalités que les auteurs signalent, en cette année 1959, l’intérêt des
recherches sur « les représentations historiques du passé, période par période, – et, plus
généralement, une histoire de l’historiographie moderne et contemporaine »21.
Représentative de l’air du temps, l’exhortation qui incite à l’approche de l’histoire de
l’histoire n’apparaît pas inscrite dans une perspective théorique ou épistémologique, mais
en fait une partie intégrante de l’étude des mentalités et des représentations. Et les
auteurs d’y revenir, avec optimisme, quelques pages plus loin :
[...] il importe d’ajouter un domaine à peu près neuf : c’est l’histoire de l’histoire,
l’historiographie. Ces recherches pourraient aboutir à l’étude des représentations
collectives du passé dans une période déterminée. Il y aurait là certainement une
occasion de travaux importants.22
29 Certes, il ne faut pas donner plus d’importance à ces propos qu’ils n’en ont eu. Ils sont
loin de constituer la matière principale du bilan que l’on dresse des orientations de la
recherche historique. Mais ils sont lourds de conséquences. Surtout, parce qu’ils signalent
une lacune. Qui les a, sur-le-champ, entendus ? Robert Mandrou avait, en ces mêmes
années, dirigé ses réflexions dans une direction pareille. Alors qu’il prépare sa recherche
sur la Bibliothèque bleue de Troyes, Mandrou consacre, pendant deux années
consécutives (1962-1963, puis 1963-1964), son séminaire à la VIe section de l’EPHE au
thème « Recherches sur les représentations légendaires de l’histoire de France dans la
littérature de colportage (XVIIe-XVIIIe siècle) »23. Son approche est, à n’en pas douter,
novatrice pour l’époque, dans la mesure où, se penchant sur une « littérature pseudo-
historique », il met en exergue l’intérêt de confronter les représentations que véhicule ce
« légendaire historique » aux travaux des historiens savants, pour ensuite les considérer
« dans le cadre d’une histoire large de l’historiographie française »24. Après sa parution,
l’ouvrage de Robert Mandrou25 marque de son empreinte le long débat sur la « culture
populaire » qui mobilisera plus d’une génération d’historiens26. À son tour, l’histoire des
représentations historico-légendaires n’allait pas connaître, dans l’immédiat, semblable
répercussion. Néanmoins, une nouvelle direction de recherche était indiquée, et l’histoire
de l’historiographie avait ainsi trouvé l’une des bases sur lesquelles, une décennie plus
tard, allait reposer son essor.
30 En ce tournant des années soixante, on reconnaît l’amorce d’une curiosité pour les façons
qu’ont les sociétés de se représenter leur passé. Cette voie, qui allait bientôt beaucoup
compter dans le succès, en France, de l’histoire de l’histoire, n’était pourtant pas la seule
à l’époque, loin s’en faut. À ce même moment, des relectures de quelques grands noms de
l’histoire du passé ouvraient aussi la voie à des enquêtes débusquant l’enracinement de
notions et de sentiments appartenant à la vie culturelle française. Ainsi, Paul Viallaneix
étudiant l’idée de peuple chez Michelet. Ainsi Pierre Nora, lisant Lavisse, ou encore
Jacques et Mona Ozouf, défrichant l’un des territoires de prédilection des travaux
historiographiques ultérieurs, avec leur enquête sur le thème du patriotisme dans les
manuels scolaires27.
31 Dans une tout autre optique, il est indispensable de rappeler le rôle joué par Henri-Irénée
Marrou et ses écrits. Infatigable défenseur de l’histoire de l’historiographie, de ce qu’il
appelle la « méthodologie critique », Marrou a probablement été celui qui, plus que
quiconque, a souligné en France les profits qui pouvaient être tirées d’une réflexion des
historiens de métier sur leurs démarches et les fondements de leur savoir. Qui d’autre, à
part lui, avait, avec autant d’ardeur, préconisé une « philosophie sur l’histoire » qui, bien
loin de la « “philosophie de l’histoire” au sens hégélien du terme, spéculation sur le
devenir de l’humanité », était au contraire conçue comme « l’examen des problèmes
d’ordre logique et gnoséologique »28 qui ont directement trait au labeur de l’historien ?
Rares sont les historiens de profession, les « artisans » qui, comme lui, étaient prêts à se
battre pour « voir cesser le divorce qui a trop longtemps séparé, à leurs communs dépens,
théoriciens et techniciens de l’histoire »29. Ses bulletins de méthodologie parus dans la
Revue Historique30 ont largement contribué à faire connaître en France les acquis des
recherches sur l’histoire et les historiens, d’autant plus que le premier s’ouvrait sur cette
profession de foi :
La santé d’une discipline scientifique exige, de la part de ses praticiens, une
certaine inquiétude méthodologique, le souci de prendre conscience de la structure
logique de la méthode qu’ils emploient, un certain effort de réflexion sur les
problèmes philosophiques qu’elle suppose résolus.31
32 Historien de métier, et « artisan » à la lettre, Marrou n’a jamais cessé de s’interroger sur
la fragilité de la connaissance historique, exhortant les historiens à reconnaître le fossé
qui les sépare de l’idéal d’objectivité poursuivi, avec une confiance excessive, par
l’histoire « positiviste ». Lecteur avisé de l’Introduction à la philosophie de l’histoire (1938)
d’Aron32, en accord avec Lucien Febvre et proche du projet de rénovation des Annales pour
ce qui est de l’élargissement de la notion de document et de la dénonciation des
insuffisances de la méthode critique traditionnelle, Marrou met au cœur de sa réflexion
sur la connaissance historique la part qu’il réserve à la personnalité de l’historien. Bien
qu’elle joue un rôle de barrière pour son rêve d’un savoir positif, cette subjectivité
essentielle de l’historien est aussi, précisément, ce sur quoi il doit compter lorsqu’il tente
de comprendre le témoignage qu’il interroge et, ainsi, de ranimer en lui le passé. Marrou
voyait se mettre progressivement en place à son époque une méthode historique autre
que celle des maîtres positivistes ; une méthode plus fine, qui prenait en compte la
manière dont, signe d’une positivité inachevée, la culture, la vision du monde et les
passions de l’historien l’emportaient dans son appareillage vers le passé. Sa
« méthodologie critique », son éloge de l’histoire de l’historiographie passait, cependant,
non pas par une philosophie idéaliste et sans rapport avec l’exercice de l’histoire, mais
par un effort pour ramener celle-ci à l’historien, en parcourant du regard le devenir de la
méthode historique, ainsi que les représentations mentales que, hommes de leur temps,
les historiens inévitablement charrient dans leurs écrits.
La méthodologie ne saurait se présenter comme une théorie abstraite – comme des
Prolégomènes à toute histoire possible – : l’histoire existe déjà, ou du moins l’œuvre
des divers historiens, avec leurs caractères communs et leurs traits particuliers,
leurs qualités, leurs défauts, leur valeur, leurs limites. Toute analyse critique doit,
pour être pertinente, prendre comme point de départ l’examen de ces œuvres (…).
D’où l’importance, à côté de tant d’études sur l’histoire, des livres consacrés aux
historiens33.
33 Henri-Irénée Marrou joue un rôle de premier plan dans l’implantation difficile de
l’histoire de l’historiographie en France. D’abord, en aidant les historiens à se débarrasser
des anciennes certitudes, mais aussi en faisant, ensuite, pénétrer dans le débat français
l’apport d’historiens étrangers, qui avaient fait leurs preuves dans le domaine de
l’histoire de l’histoire, dont notamment J.-W. Thompson, K. Brandi, H. Butterfield et celui
qui avait, plus que tout autre, travaillé pour bâtir l’histoire de l’érudition historienne et
qui est, aux dires de François Hartog, « l’incarnation de l’histoire de l’histoire », « bien
évidemment » : A. Momigliano34. Tenues parfois pour trop philosophiques, les positions
de Marrou recueillent pourtant une adhésion manifeste, notamment lorsque Charles
Samaran l’invite à placer deux de ses écrits aux deux extrémités du monument de
l’histoire érudite qu’est le volume L’histoire et ses méthodes, paru en 1961 dans La Pléiade 35.
Sous le titre « Qu’est-ce que l’histoire ? », son texte placé en tête du volume entend
rendre à l’histoire de l’historiographie un rôle privilégié et inestimable pour celui qui
souhaite comprendre ce qu’est la discipline des historiens. En effet, c’est en retraçant tout
le passé de cette dernière, depuis Hérodote jusqu’à nos jours, que l’auteur entend
esquisser une réponse à l’interrogation qui lui sert de titre.
L’histoire est une discipline scientifique, riche de longs siècles d’expérience, et en
possession d’une méthode originale élaborée peu à peu et progressivement affinée
au contact de son objet. (…) [M]oins qu’aucune autre [science] l’histoire ne peut être
comprise de manière pleinement satisfaisante si on n’en récapitule pas la genèse :
seule l’histoire même de l’histoire peut nous faire prendre conscience de l’existence
et de l’originalité de cette tradition d’atelier, de cet ensemble de procédés
techniques éprouvés qui constituent la méthode historique.36
34 Vue de nos jours, la bibliographie présentée à la fin du texte paraît révélatrice de l’état
des recherches historiographiques françaises à ce moment-là – et Marrou y déplore, une
fois de plus, le fait que l’histoire de l’histoire reste « trop négligée en France » 37. En effet,
à part les deux seules références au cours polycopié de Georges Lefebvre et à Lucien
Febvre, pour ses Combats pour l’histoire, aucun nom français n’y figure à côté des allemands
Karl Brandi et Fritz Wagner, des anglo-saxons Herbert Butterfield, James Westfall
Thompson et George Peabody Gooch, du néerlandais Pieter Geyl et de l’italien Arnaldo
Momigliano.
35 D’une manière tout à fait frappante, l’inégale répartition entre références françaises et
étrangères trahit, certes, le retard hexagonal en matière d’histoire de l’historiographie.
Mais cette pléiade d’historiens étrangers doit aussi nous mettre en garde contre le péril
de dépeindre l’école française en discipline exagérément étanche aux apports venus
d’autres traditions. Car, dans une vue d’ensemble de la progressive affirmation de
l’histoire de l’histoire en France, il ne faut pas négliger la part des recherches étrangères,
lesquelles ont su faire leur percée en terre française, tout en charriant la reconnaissance
de leurs acquis. Signalons, outre le retentissement d’une revue comme History and Theory,
fondée en cette même année 1961 et éditée à Middletown, la pénétration, à ce moment,
des trois premiers volumes des Contributi alla Storia degli studi classici, d’A. Momigliano 38.
Véritable somme du savoir sur l’histoire du, et les études sur le monde antique, les
Contributi montraient le chemin, dans leur effort pour, d’après les mots de l’auteur,
« souligner l’étroite interdépendance que je reconnais entre l’étude du monde classique
et l’histoire des études sur le monde classique »39.
36 L’apport étranger dans la pleine reconnaissance de l’histoire de l’historiographie en
France doit entrer en ligne de compte40. Et l’on ne peut que redire tout l’intérêt que
présenterait une synthèse sur l’histoire, difficile et peu connue, de l’histoire de l’histoire
au cours du dernier siècle. Pour l’heure, contentons-nous de nous en tenir aux seules
références françaises. Et avant de passer à la décennie de 1970, il nous paraît
37 Les années 1970 sont à coup sûr l’époque au cours de laquelle l’histoire de
l’historiographie fait une entrée galopante dans le territoire de l’historien. Encore timide,
au début de la décennie, sa reconnaissance s’accélère sensiblement à mesure qu’on se
rapproche des années quatre-vingt. De domaine suspect, controversé, elle passe, en
l’espace de dix ans, au statut de démarche incontournable, qui paraît désormais présider
à toute réflexion historique. Aujourd’hui, on a même le sentiment qu’elle est partout et
qu’elle se présente à la fois comme une évidence – la conscience obligée de tout historien
qui dorénavant se reconnaît inscrit dans son présent et héritier d’une tradition
disciplinaire, et comme une nouveauté, étant donné ses progrès les plus récents qui
assurent son éclat et sa pleine jeunesse. Mais en réalité, si l’histoire de l’historiographie
détient, de nos jours, une place assurée en France, elle le doit, en grande partie, aux
conquêtes faites au cours de la décennie 1970.
38 Encore que dispersés, les combats menés au cours des années 1950-1960 pour l’étude
historique des œuvres des historiens ont porté leurs fruits. Et l’irruption fulgurante de ce
nouveau domaine dans les années 1970 en est la preuve42. Ce qui caractérise ce moment
d’épanouissement de l’histoire de l’historiographie en France, c’est l’hétérogénéité même
des recherches qui la font avancer. Composite et, dans une large mesure, expérimentale,
elle semble exercer une action centripète sur l’étendue du territoire de l’historien,
attirant sur soi des questionnements issus de ressorts en eux-mêmes très dissemblables,
en nouant aussi des alliances avec l’histoire des mentalités, l’histoire des sciences, voire
avec la critique épistémologique de l’histoire. Le rayonnement de cette inquiétude
historiographique qui s’empare d’enquêtes aussi différentes rend, bien évidemment,
inenvisageable ici toute ambition d’exhaustivité, et l’on se contentera d’indiquer
quelques-unes de ces nombreuses convergences.
39 La décennie historiographique démarre, en réalité, avec toute une gerbe d’ouvrages dont
font partie, outre la réédition de La Naissance de l’historiographie moderne, de G. Lefebvre,
l’inattendu Comment on écrit l’histoire, de Paul Veyne43. Polémique, tout sauf rassurant, le
livre de P. Veyne prône un nominalisme radical et brise les présomptions
épistémologiques des historiens. Et ce, d’autant plus efficacement qu’il est tout entier bâti
sur une érudition infaillible. Dès sa parution, Comment on écrit l’histoire suscite un débat
intense (Aron, Duby, Certeau, d’autres encore), et ce sont bien, dans le sillage de
sermon, plaidoirie, toute trace de la culture historique des Français. Car ce qu’ils
savent, ici ou là, de César, de leurs origines troyennes, de Clovis, de Charlemagne, ce
que les Bretons savent de leurs anciens rois, ce que les Bourguignons savent de
Girart de Roussillon, toutes ces croyances, pour les rois ou les princes, valent mieux
qu’une armée. L’histoire de l’historiographie, la géographie de la culture historique
apporteront à l’étude des mentalités politiques des contributions inestimables. C’est
dans cette conviction que j’ai maintenant tourné mes recherches vers elles. 48
44 Avec sa troisième partie, intitulée « Légendaire », le renversement de perspective
contenu dans l’approche de Bouvines consiste à délaisser le seul intérêt pour le « fait » lui-
même, pour mettre plutôt en exergue la part des historiens dans le façonnage d’une
mémoire à l’image de leurs intentions, leurs partis pris, leur cadre idéologique.
45 Rendu à l’éditeur en automne 1972 et publié en avril 1973, Le Dimanche de Bouvines allait,
en réalité, tout à fait dans le sens de l’intérêt historiographique qui s’amorçait, en France,
à ce même moment. Déjà en septembre 1972, se tenait le premier Colloque français
d’historiographie, à Aix-en-Provence et à Marseille, lequel comptait parmi ses
participants Robert Mandrou, Pierre Guiral et Philippe Joutard49. Tout en répondant à
l’intérêt pour cette matière qui, « longtemps délaissée en France », « retient de plus en
plus de chercheurs »50, le Colloque d’Aix-Marseille est d’autant plus significatif qu’il
précède, en réalité, le moment de pleine constitution d’un champ d’étude consacré à
l’histoire de la pensée et des œuvres historiques. Organisé autour de deux grands thèmes
historiographiques : d’un côté, l’historiographie de la Réforme ; de l’autre, celle du
Second Empire , le colloque d’Aix marque le temps d’un effort allant dans le sens d’une
historicisation du regard et des interprétations historiennes, mais aussi de l’intérêt
grandissant pour cerner, à partir des résonances d’un thème historique, « la place et le
rôle de la mémoire historique dans l’univers mental d’une société »51.
46 La première voie frayée par les toutes jeunes recherches françaises en histoire de
l’historiographie a donc été, très probablement, marquée par cette conjonction, d’une
part, de l’étude des représentations historiques et, d’autre part, des systèmes
idéologiques et de l’outillage mental d’une société – c’est dire qu’elle correspond à celle
exprimée de bonne heure dans le rapport du CNRS et poursuivie dans le séminaire de R.
Mandrou, dix ans auparavant. Outre Le Dimanche de Bouvines, de Georges Duby, ou
l’ouvrage d’Alice Gérard sur la Révolution française, mythes et interprétations52, l’intérêt pour
l’étude des représentations historiques s’affirmait, en effet, et progressait à pas de géants
en cette première moitié des années soixante-dix. Notamment, à la VIe section de l’EPHE
sur le point de devenir l’actuelle EHESS ; et en l’occurrence, à travers les séminaires de
Robert Mandrou et de Jean Glénisson.
47 Dix ans après son séminaire sur les représentations légendaires de l’histoire de France,
Robert Mandrou revient au thème et consacre derechef son séminaire à la VI e section de
l’EPHE aux historiographes royaux du premier XVIIe siècle, « soit pendant une période où
la critique historique continue à se définir lentement (…) et où la propagande politique de
la monarchie s’organise »53. Avec l’œuvre de François Mézeray, cette époque amorce, aux
yeux de Mandrou, la définition « d’une méthode d’investigation, qui s’appuie sur la
recherche systématique et la critique des documents originaux, en tous domaines, et qui
s’efforce de distinguer le légendaire, pris en considération comme tel, et l’événement
solidement établi »54. Quant à l’auteur du bilan des tendances et réalisations de
cette dernière, l’étude historiographique est à même de faire sa percée. Les manières,
socialement diverses, dont les hommes se sont représenté le récit de leur propre passé
conduisent l’historien de l’histoire du côté des émotions d’une époque et de la culture
d’un groupe social, ainsi que des pratiques sociales qui assurent l’entretien d’une
mythologie locale ou nationale, d’autant plus solidement enracinée qu’elle est encadrée
par un discours à prétention positive qui affirme sa « vocation à l’universel »57. Cette
alliance fortuite entre deux matières qui ne sont pas nécessairement contiguës – l’histoire
culturelle et des représentations, d’un côté, l’historiographie, de l’autre – ne va pas sans
causer de l’étonnement. Mais elle est devenue un trait original des recherches françaises
en histoire de l’histoire, et joue, qui plus est, un rôle déterminant dans la diffusion et dans
la reconnaissance du nouveau domaine.
51 Tout à fait représentatifs de l’alliance des ces deux secteurs sont l’ouvrage pionnier
d’Alice Gérard sur la Révolution française, le Bouvines, de Georges Duby, mais aussi les
recherches menées, entre autres, par Bernard Guenée ou par Philippe Joutard. Convaincu
que « la vie et la solidité des États dépend moins de leurs institutions que des idées, des
sentiments et des croyances des gouvernés »58, B. Guenée entreprend, tout au long des
années soixante-dix, des recherches sur les genres historiques et le métier d’historien
dans le Moyen Age occidental, attirant l’attention sur la part qui revient à ce qu’il appelle
la « culture historique » comme l’un des piliers sur lesquels les pouvoirs comptent faire
reposer leur force et leur légitimité59. À son tour, l’enquête de Philippe Joutard prend
directement pour objet les « formes de sensibilité au passé », et met au jour leur place et
leur retentissement sur la culture des groupes sociaux. Après avoir examiné les
résonnances du massacre de la nuit du 24 août 1572 qui ont, par le canal des œuvres
historiques, formé l’imaginaire de générations60, Ph. Joutard consacre sa thèse au partage
du souvenir des camisards entre la légende dorée soutenue par les protestants et une
légende noire, propagée par les catholiques. Emblématique de la manière même dont
l’histoire de l’historiographie qui se prépare dans la France des années 1970 se situe à la
charnière de l’histoire des mentalités et des représentations collectives, La Légende des
Camisards61 traque la part de l’imaginaire historique dans la conservation et dans la
transmission des valeurs, et se clôt par cette profession de foi : « Cette étude espère
néanmoins avoir montré qu’une recherche historiographique ne peut être séparée d’un
examen des mentalités collectives »62.
52 En mettant en évidence la part des récits historiques dans l’élaboration et le colportage
d’une authentique mythologie nationale qui sécrète la mémoire collective, en les
resituant au cœur des luttes politiques, des heurts entre passions et modèles idéologiques
concurrents, toutes ces recherches témoignent de l’articulation réussie entre l’histoire
culturelle et les plus récentes inquiétudes historiographiques. On peut, cependant, aller
plus loin encore. La retombée de ces interrogations sur les présomptions
épistémologiques de l’histoire tire aussi l’historien de l’historiographie du côté des
importantes conquêtes commencées de longue date par une histoire des sciences (Koyré,
Canguilhem) attentive à l’historicité de la vie scientifique et à sa subordination aux cadres
intellectuels et spirituels d’une époque. À l’instar de cette dernière, l’histoire de l’histoire
émerge également comme une branche de l’histoire du savoir, brisant d’emblée toute
présomption de connaissance pure, toute prétention d’immunité à l’égard de la
conformation globale d’une culture63. Le champ de l’historiographie commence par
conséquent à se façonner, en se forgeant une problématique propre et en se définissant
non plus comme une province de l’histoire culturelle, mais comme un domaine de
« trust » de l’école des Annales dans la « course aux best-sellers érudits » et sa stratégie de
mainmise sur le marché éditorial : « Hégémonique, impérialiste l’école influence même
ceux qui la critiquent »77. L’effet de mode a joué ici un rôle d’aiguillon pour les
détracteurs, rôle que ces derniers et leurs critiques ont joué, à leur tour, pour la
transformation accélérée de la « nouvelle histoire » en objet historiographique. Il fut en
effet ressenti comme une nécessité impérieuse de comprendre de près l’évolution du
groupe depuis sa fondation, qu’on lui soit hostile ou favorable, en discernant les étapes, le
programme, en débusquant les raisons de cette incomparable réussite78. Alors que
l’histoire de l’historiographie fait surface, les Annales parviennent, bien à leur insu, à
susciter la curiosité historiographique ambiante. Elles s’imposent, non sans succès, même
en tant qu’objet d’étude, se taillant une place d’honneur, cette fois-ci, comme matière
historiographique79. Certes, le rayonnement des Annales a peut-être plus d’une fois éclipsé
d’autres mouvances et estompé la diversité de l’école historique française. Mais il n’a pas
moins contribué au foisonnement des recherches qui se penchent sur l’histoire de
l’historiographie française du XXe siècle et sur son échange avec les sciences sociales.
58 On ne saurait donc assez dire la part que prend, au tournant des années quatre-vingt, le
retentissement des Annales et l’engouement pour l’histoire dans l’intérêt grandissant dont
bénéficie alors l’histoire de l’historiographique. Propulsés loin de leur tour d’ivoire, les
« nouveaux historiens » sont sollicités par les hebdomadaires à grand tirage, par la
grande presse et la télévision, pour expliquer cette popularité dont, en réalité, ils
comprennent mal les causes80. Mais il y a plus. La profusion d’entretiens parus en ces
années, escortant l’ascension au vedettariat des membres réputés de la profession, atteste
encore, dans cette popularité de la discipline historique, d’une réalité nouvelle et plus
renversante. À savoir que ce n’est peut-être pas tant l’histoire que les historiens qui sont en
faveur auprès du grand public. Beaucoup a été dit sur les effets de la mode rétro, sur le
sentiment de perte des racines paysannes et la proximité de l’année du patrimoine qui
auraient soutenu cet engouement pour l’histoire. Mais ce n’est désormais plus la
production scientifique qui seule passionne. On s’intéresse davantage aux protagonistes,
aux spécialistes. À côté des recherches, c’est bien le groupe professionnel qui retient
l’attention81. Le revirement à l’œuvre mérite d’être noté : à l’encontre de l’attitude
traditionnelle du savant, pratiquant l’ascèse et s’effaçant derrière son œuvre, l’historien
n’est désormais plus destiné à « disparaître ici pour avoir une chance de survie, là-bas, au
ciel de la science, en une sorte d’anonymat glorieux »82.
59 Les fluctuations du métier et la nouvelle visibilité sociale de l’historien semblent ainsi
s’accorder parfaitement avec le regain d’intérêt pour l’étude de l’histoire de ce corps
professionnel et de son savoir. Quoique discrète, dans son texte, l’observation de François
Hartog touche avec précision le nœud de l’affaire. La question soulevée, à savoir celle de
l’incidence sur les histoires de l’historiographie d’un renversement du rapport entre
l’œuvre scientifique et la personnalité du savant, n’est pas dérisoire. En fait, un tel
revirement suppose la fin de la croyance dans le rêve d’objectivité de l’histoire, et ses
effets n’ont cessé de s’exercer depuis. Ils sont aujourd’hui sensibles, sous forme
d’évidences, puisqu’on reconnaît d’emblée que les œuvres ne se déploient pas dans une
sphère aseptisée où les vérités s’engendrent les unes les autres, sous l’action des seules
lois de l’esprit. Derrière, ou plutôt devant l’œuvre, il y a l’homme. De tout temps, le
véritable objet de l’historien.
Inquiétude de l’histoire
62 Le contexte mental et intellectuel des Lieux est bien celui de la fin de l’historien-mémoire,
tout comme d’une histoire-savoir obnubilée par le mirage du passé et inconsciente d’elle-
même. Le texte d’ouverture des Lieux souligne combien l’entreprise était, dans sa
conception même, redevable à l’égard d’un basculement historiographique. L’histoire de
l’historiographie en est à la fois cadre et agent : « Un des signes les plus tangibles de cet
arrachement de l’histoire à la mémoire est peut-être le début d’une histoire de l’histoire,
l’éveil, en France tout récent, d’une conscience historiographique »87.
[…] quelque chose de fondamental commence quand l’histoire commence à faire sa
propre histoire. La naissance d’un souci historiographique, c’est l’histoire qui se
met en devoir de traquer en elle ce qui n’est pas elle, se découvrant victime de la
mémoire et faisant effort pour s’en délivrer (…) ; en s’interrogeant sur ses moyens
matériels et conceptuels, sur les procédures de sa propre production et les relais
sociaux de sa diffusion, sur sa propre constitution en tradition, c’est l’histoire tout
entière qui est entrée dans son âge historiographique, consommant sa
désidentification avec la mémoire.88
63 Les Lieux de mémoire, dont on sait le succès, sont (et se sont voulus), à la fois l’expression
et les représentants de ce « nouvel âge historiographique » dont P. Nora avait, très tôt,
depuis 1977-1978, saisi les premiers contours tout en faisant le pari de sa réalité 89. Et ce, à
une époque où la fortune de l’histoire de l’historiographie en France était tout sauf
assurée. Aujourd’hui, la production française en histoire de l’historiographie en ces
années, production que l’on a partiellement survolée, paraît certes attester d’un
engouement indéniable pour le nouveau domaine. Mais il serait risqué de considérer les
travaux mentionnés ci-dessus comme représentatifs des tendances dominantes et des
inquiétudes générales alors les plus répandues, et de passer ainsi sur l’instabilité même de
la situation faite, à l’époque, aux histoires de la pensée historique. Les orientations des
recherches retracées ici sortaient des sentiers battus. Elles expriment des prises de
position scientifique fortes, et sont d’autant plus visibles de nos jours qu’en réalité, elles
contrastent avec le paysage historien de l’époque. Certes, les contemporains n’ignoraient
pas les progrès sensibles accomplis par ce nouveau secteur de la recherche, et nombreux
sont ceux qui ont manifesté leur joie devant le changement général d’attitude à son
égard. Ainsi Phillipe Joutard, dès 1977, parlant d’un temps révolu, écrit : « Curieusement,
les historiens, en particulier français, ont mis beaucoup de temps à s’intéresser à la place
que tient le rappel du passé collectif dans le mental des sociétés »90. De même, quelques
années plus tard, Charles-Oliver Carbonell reprend : « Or, depuis peu, il y a un regain de
cette curiosité [pour l’histoire de l’historiographie]. Regain ? Le mot est trop optimiste.
Naissance plutôt. Ceci depuis une dizaine d’années »91. Enfin, Henri-Irénée Marrou, en
rendant compte de la thèse de ce dernier, poursuit : « J’ai eu trop souvent, et trop
longtemps, l’occasion de déplorer l’indifférence des historiens français pour l’histoire de
leur propre discipline, alors qu’une telle “histoire de l’historiographie” a fait preuve, à
l’étranger, d’une remarquable fécondité, pour ne pas me réjouir de la publication de ce
bel ouvrage »92. Ne nous méprenons pourtant pas : toutes ces déclarations,
représentatives du dynamisme jubilatoire de l’histoire de l’historiographie à cette
période, témoignent aussi du fait que sa place au sein des études historiques n’était pas
encore, aux yeux des contemporains, définitivement affirmée.
64 Pour nous en tenir à un seul exemple, mais de taille, rappelons qu’aucune entrée n’est
réservée à « l’historiographie » parmi le répertoire des recherches de pointe qui, en 1978,
trouve place dans le dictionnaire La Nouvelle Histoire93. Cette absence ne va pas sans causer
de l’étonnement, après le flot de travaux contemporains en la matière ; à plus forte
raison, si l’on observe que, cette même année, Pierre Nora traçait le sillon qui l’amènerait
aux Lieux de mémoire. On peut certes objecter qu’une histoire de l’historiographie parcourt
d’un bout à l’autre l’ouvrage, à travers les ancêtres et les pères fondateurs retenus. Mais
ceux-ci y figurent moins par les liens qui les font entrer dans l’histoire de leur temps
qu’en tant qu’annonciateurs de la plateforme du présent ouvrage. Exception faite de
l’entrée « Hérodote », dont le « miroir » offrait, en ces mêmes années, son reflet en
arpenteur et rhapsode, à travers les recherches que François Hartog94 poursuit, en
prenant appui sur les fruits du dialogue entamé entre historiens et ethnologues pour se
situer sur une ligne de crête entre deux impulsions : l’histoire des représentations
historiques en même temps que celle des historiens.
65 La figure d’Hérodote, père de l’histoire, détrônant Thucydide, comme l’histoire de la
culture supplantait la vieille histoire politique, était elle-même toute une affaire, un bel
enjeu à ce moment précis où la percée de l’histoire de l’historiographie en terre française
ouvre la voie à la reconnaissance formelle de ce secteur comme partie intégrante du
territoire de l’historien. Et un parallèle, qui à première vue peut à bon droit surprendre,
mérite d’être ici tenté : car un peu à la manière d’un Joyce se tournant vers Homère
lorsqu’il est question de littérature, François Hartog nous montre que c’est bien à
Hérodote qu’il faut d’abord remonter, si l’on entend réfléchir sur ce qu’est l’histoire.
66 Soutenue en juin 1979, la thèse de François Hartog paraît en 1980, au seuil d’une décennie
au cours de laquelle regorgent les travaux qui s’autoproclament résolument «
historiographiques ». L’absence de l’histoire de l’historiographie dans le dictionnaire La
Nouvelle Histoire rappelle, en tout cas, que si elle était bel et bien sortie de sa somnolence,
elle n’avait pas pourtant obtenu tout de suite gain de cause. Les mobilisations dans ce
sens ne vont pourtant pas manquer. C’est le cas du 1966e Que sais-je ?,
« L’historiographie », publié en 1981 sous la plume de Charles-Olivier Carbonell, qui ne
passait pas sous silence « l’indifférence parfois méprisante affichée par les historiens
français à l’égard de l’histoire de leur propre discipline »95. C’est aussi le cas de la
participation française dans la constitution, le 12 août 1980, de la Commission d’histoire
de l’historiographie du Comité international des sciences historiques, qui a eu lieu à
l’occasion du 15e Congrès des sciences historiques, à Bucarest. Ayant pour tâche « de
promouvoir et de coordonner les recherches » en la matière, la Commission est à l’origine
de la première revue internationale en ce domaine : la plurilingue Storia della storiografia,
éditée, depuis 1982, à Milan96. En effet, la décennie 1980 est celle où s’intensifient la
collaboration internationale et le brassage des apports venus d’autres traditions 97. Avec
l’amplification de ce contact international, les historiens français de l’historiographie
subissent de nouvelles influences. Leur cahier des charges se renouvelle. Une
problématique commune se dessine. Deux traits pourtant préservent une spécificité de la
production hexagonale dans ce domaine :
1o – Parmi ses particularités, il y a d’abord sa jeunesse, sa « nouveauté » relative, alors que
partout ailleurs l’histoire de l’historiographie était de longue date pratiquée et
institutionnalisée. Et on imagine difficilement à quel point les combats que l’on a ici
rappelés détonnaient par rapport au contact étroit de l’histoire et de la philosophie dans
la tradition italienne, aux travaux anglais sur l’histoire au Moyen Âge et dans les temps
modernes, à la pléthore d’études, en Allemagne, sur les historiens et leurs systèmes
historiques, ou encore en l’U.R.S.S., où le matérialisme historique a assuré une position
d’honneur à l’historiographie et à la théorie de l’histoire. Ces différentes traditions, parmi
tant d’autres, contrastent avec le tableau que nous avons esquissé pour la France. Elles
sur son sujet, entend être tout autre chose qu’une solution, qu’un dénouement. Rien de
plus exactement proportionné à sa matière. Tout ici est signe d’éclosion et de
commencement.
71 C’est pourquoi nous arrêtons notre tour d’horizon, long et sans doute incomplet, à ce
moment, où s’achève une étape de l’histoire de l’historiographie en France, et où une
autre commence. Qui mène jusqu’à nous. Dans la nouvelle étape qui alors s’ouvre devant
elle103, l’historiographie n’a plus son affirmation et sa légitimité pour premier enjeu. Elle
se sait gagnante. Munie d’une longue expérience, elle n’en reste pas moins éveillée. Sa
vigueur persiste puisque les inquiétudes persistent. Au cours de l’évolution que nous
avons retracée, et de concert avec les études sur l’historiographie, la discipline historique
n’a cessé, elle aussi, de se renouveler. Son statut est aujourd’hui beaucoup plus complexe
qu’il ne l’était il y a un demi-siècle. Une série des remises en question ont rendu
l’historien moins confiant de son statut et de sa science, moins présomptueux aussi. Il est
bien trop averti de la vulnérabilité et de l’inconstance des secteurs épistémologiques. La
réflexion historiographique s’avère être, à présent, un atout appréciable dans la quête des
réponses aux doutes, aux incertitudes qui hantent la communauté des historiens. D’où la
complexification croissante, le perfectionnement constant de son questionnaire, signe de
pleine vitalité. Après avoir examiné, au cours des dernières années, la mémoire, les
usages et mésusages de l’histoire, la poétique des historiens, les rapports au temps et les
articulations changeantes des catégories du passé, du présent et du futur, l’histoire de
l’historiographie ne donne aucun signe de vouloir s’endormir sur ses lauriers.
72 Discipline en pleine et continuelle jeunesse, l’historiographie ne cesse de déplacer ses
angles d’approche, de diversifier son questionnaire et de se poser des nouveaux
problèmes. Sans crainte de s’écarter des terrains conquis, elle montre que l’approche
historiographique qui mérite d’être tentée demeure, aujourd’hui comme hier, prête à se
défier des routines et de l’emprise des certitudes. Animée par une insatisfaction
permanente. Toujours inquiète.
NOTES
1. Il faut tout d’abord attirer l’attention sur une ambigüité : « Historiographie » est, aujourd’hui,
de plus en plus utilisée avec le sens nouveau de ce qu’on appelait naguère « l’histoire de
l’historiographie » (historiographie désignant, dans cette dernière expression, la communauté des
historiens). Les deux expressions se sont maintes fois recoupées, et ont été souvent utilisées
indifféremment, un peu au gré des auteurs. L’usage plus récent d’« Historiographie », sans
complément, tend à prendre la place, nous semble-t-il, d’histoire de l’historiographie. Il est question
dans ce texte d’indiquer leur croisement, leur succession, non pas de se quereller pour l’emploi
de l’une ou de l’autre. Parmi les auteurs que nous citerons, certains n’utilisent que la première
formule, d’autres privilégient la seconde, mais nombreux sont ceux qui n’ont pas cherché à les
différencier. C’est pourquoi nous utiliserons « histoire de l’historiographie » et
« historiographie » comme équivalents : l’une et l’autre désignant l’histoire de la discipline et de
la pensée historique, ou plus simplement « l’histoire de l’histoire ». Cela pour désigner un
département épistémologique lui-même très différencié, qui s’étend depuis l’histoire des travaux
des historiens plus traditionnelle jusqu’à l’étude critique et elle aussi historique sur les discours,
la connaissance et les représentations du passé
2. Jean GLÉNISSON , « L’historiographie française contemporaine : tendances et réalisations », in :
Vingt-cinq ans de recherche historique en France (1940-1965), Paris, Éditions du CNRS, 1965, p. IX. Pour
associé étranger à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (1978). Et il faut attendre la plus
pleine diffusion de l’intérêt pour l’histoire de l’historiographie, au tournant des années quatre-
vingt, pour qu’un recueil français de ses articles paraisse, sous le titre Problèmes d’historiographie
ancienne et moderne, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des histoires », 1983.
41. Jean GLÉNISSON , « L’historiographie française contemporaine : tendances et réalisations », in
Comité français des sciences historiques, Vingt-cinq ans de recherche historique en France (1940-1965),
Paris, Éd. du CNRS, 1965, 1re partie, p. IX-LXIV. L’intérêt de Jean Glénisson pour l’histoire de
l’historiographie précède d’ailleurs ce texte, comme en témoigne son ouvrage de 1961, publié au
Brésil, Iniciação aos estudos históricos, São Paulo, Difusão Européia do Livro, coll. « História Geral
das Civilisações », avec la collaboration de Pedro Moacyr Campos et d’Emília Viotti da Costa.
42. Rappelons que c’est en 1970 quand l’enseignement de l’histoire de l’historiographie est
introduit, à l’instigation de Michel François, à l’École des chartes, dès sa nomination comme
directeur de cette institution, en octobre de la même année.
43. Paul VEYNE, Comment on écrit l’histoire, Paris, Seuil, coll. « L’Univers historique », 1971.
44. Cf. notamment le numéro des Annales ESC de mai-juin 1972 qui, pour la première fois,
consacrent une rubrique exclusivement aux ouvrages sur l’« Histoire de l’histoire », dont ont
rendu compte Paul Veyne, Maurice Crubellier et Roger Chartier. Annales ESC, n o 3, 27e année,
p. 665-677.
45. Georges DUBY, « L’histoire des systèmes de valeur », L’Historien entre l’ethnologue et le
futurologue, Paris ; La Haye, Mouton, 1972, p. 251-263 (citation, p. 262-263), repris dans Mâle Moyen
Age ; de l’amour et autres essais, Paris, Flammarion, p. 165-179 (citation, p. 179).
46. Georges DUBY, L’Historien entre l’ethnologue et le futurologue, op. cit., p. 263.
47. Georges DUBY, Le Dimanche de Bouvines, Paris, Gallimard, « Les trente journées qui ont fait la
France », 1973.
48. Bernard GUENÉE, « Les tendances actuelles de l’histoire politique au Moyen Âge français »,
Tendances, perspectives et méthodes de l’histoire médiévale. Actes du 100 e Congrès national des Sociétés
savantes (1975), t. I, Paris, Bibliothèque nationale, 1977, p. 45-70 (citation, p. 63-64).
49. Le Premier Colloque français d’historiographie a lieu du 22 au 24 septembre 1972. Cf. Revue
Historique, 97e année, t. CCXLIX, no 505, janvier-mars 1973, p. 280.
50. Cf. l’annonce du Colloque d’historiographie d’Aix-Marseille, Revue Historique, t. CCXLVI, no
500, oct.-déc. 1971, p. 546-547.
51. Selon l’expression de Philippe JOUTARD, « L’Histoire dans l’imaginaire collectif. Un nouveau
chantier », L’Arc, no 72, « Georges Duby », 1978, p. 41. Les actes du colloque sont publiés, d’abord
dans « L’historiographie du Second Empire », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. XXI,
janvier-mars 1974, puis dans Philippe JOUTARD (dir.), Historiographie de la Réforme, Paris, Neuchâtel,
Montréal, Delachaux et Niestlé, 1977.
52. Alice GÉRARD, La Révolution Française, mythes et interprétation, Paris, Flammarion, 1970.
53. Robert MANDROU , « Histoire sociale des mentalités modernes », Annuaire de la VI e section de
l’EPHE. Comptes rendus des cours et des conférences, année 1972-1973, p. 218-219.
54. Id., p. 218. « Mézeray marque certainement une étape importante dans la production de
mythes historicisés, au moment même où la propagande Louis quatorzienne donne un tour
nouveau à cette activité, avec la fondation de la Petite Académie notamment » (id., p. 219)
55. Cf. Jean GLÉNISSON , « Histoire de l’histoire de France », Annuaire de l’EHESS. Comptes rendus des
cours et conférences, année 1974-1975, p. 196-198.
56. Cf. les réflexions tout à fait contemporaines développées par Michel de CERTEAU ,
« L’opération historique », in J. LE GOFF, P. NORA, Faire de l’histoire, t. I, Paris, Gallimard, 1974,
p. 3-41, repris, sous un nouveau titre, dans la version élargie, « L’opération historiographique »,
L’Écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975, p. 63-120.
57. Pierre NORA, « Entre Mémoire et Histoire », Les Lieux de Mémoire, t. I, « La République », Paris,
Gallimard, 1984, p. XIX.
58. Bernard GUENÉE, « L’Enquête historique ordonnée par Édouard Ier, roi d’Angleterre, en 1291 »,
Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, CXIX, no 4, 1975, p. 573.
59. Cf. également les articles réunis dans les trois ouvrages représentatifs de cette enquête : Le
Métier d’historien au Moyen Âge ; études sur l’historiographie médiévale, Paris, Publications de la
Sorbonne, 1977 ; Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, Paris, Aubier-Montaigne,
1980 ; Politique et histoire au Moyen Âge ; Recueil d’articles sur l’histoire politique et l’historiographie
médiévale, Paris, Publications de la Sorbonne, 1981.
60. Philippe JOUTARD, Janine ESTÈBE, Élisabeth LABROUSSE, Jean LECUIR, La Saint-Barthélemy ou les
résonances d’un massacre, Neuchatel, Delachaux et Niestlé, 1976.
61. Philippe JOUTARD, La Légende des Camisards, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des histoires »,
1977.
62. Id., p. 356.
63. Cf. Krzysztof POMIAN, « L’histoire de la science et l’histoire de l’histoire », Annales ESC, XXX, no
5, 1975, p. 935-952 (repris dans Sur l’histoire, Paris, Gallimard/Folio, 1999, p. 121-159).
64. Ainsi Jacques GODECHOT revendiquant, au début de son ouvrage, la nécessité de considérer
l’historiographie, c’est-à-dire « l’étude critique des historiens », non plus comme « science
auxiliaire », mais au contraire comme « partie intégrante et même préalable » des études
historiques. Un jury pour la Révolution, Paris, Robert Laffont, 1974, p. 11. Jacques Godechot est,
parmi tant d’autres, l’un de ces défenseurs de l’histoire de l’historiographie en France. Les limites
de la présente étude ne nous permettent pourtant pas de leur donner l’espace qu’en réalité ils
méritent.
65. Philippe JOUTARD, Janine ESTÈBE, Élisabeth LABROUSSE, Jean LECUIR, La Saint-Barthélemy ou les
résonances d’un massacre, op. cit., p. 243.
66. Charles-Olivier CARBONELL, Histoire et historiens : une mutation idéologique des historiens français,
1865-1885, Toulouse, Privat, 1976. Nous renverrons volontiers le lecteur aussi à l’article du même
Ch.-O. CARBONELL, « L’histoire dite “positiviste” en France », Romantisme, VIII, no 21-22, 1978,
p. 173-185, ainsi qu’au compte rendu élogieux du premier ouvrage par Henri-Irénée MARROU ,
« Quand les historiens redécouvrent l’histoire », Journal des savants, n o 1, 1977, p. 3-16.
67. La création du Groupe d’études historiographiques n’a pas encore fait, à notre connaissance,
l’objet d’une étude approfondie, qui permettrait de mieux comprendre ce temps
d’épanouissement de l’histoire de l’historiographie en France, à la veille des années 1980, et d’y
situer la part de l’incitation méridionale dans ce moment décisif de l’histoire des histoires de
l’historiographie françaises. Figurent parmi les membres du Groupe d’études historiographiques
Charles-Olivier Carbonell (Toulouse-Le Mirail), Alice Gérard (Paris I), Jacques Godechot
(Toulouse-Le Mirail), Pierre Guimal (Université de Provence), Philippe Joutard (Université de
Provence), Yvonne Knibiehler (Université de Provence), Albert Soboul (Paris I), Jean-René
Suratteau (Dijon).
68. L’Historiographie du catharisme, « Cahiers de Fanjeaux », n o 14, Toulouse, Privat, 1979. Ch.-
Olivier Carbonell y participe notamment avec trois exposés : « D’Augustin Thierry à Napoléon
Peyrat », « Les historiens protestants libéraux » et, en conclusion du colloque, « Vulgarisation et
récupération : les mass-media ».
69. Cf. les différentes contributions réunies dans Bernard GUENÉE (dir.), Le Métier d’historien au
Moyen Âge ; études sur l’historiographie médiévale, op. cit.. Cf. également les actes du Congrès de la
Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur les 10-12 juin 1977,
« L’Historiographie en Occident du Ve au XVe siècles », publiés dans les Annales de Bretagne et des
pays de l’Ouest, t. LXXXVII, no 2, juin 1980.
70. Hans-Dieter MANN, Lucien Febvre. La pensée vivante d’un historien, Paris, Armand Colin, « Cahier
des Annales » no 31, 1971, préfacé par Fernand Braudel ; Maurice AYMARD, « The Annales and
French historiography », Journal of European Economic History, I, no 2, 1972, p. 491-511; Paul
LEUILLOT, « Aux origines des “Annales d’histoire économique et sociale” (1928). Contribution à
l’historiographie française », in Mélanges en l’honneur de Fernand Braudel, t. II, Toulouse, Privat,
1973, p. 317-324.
71. Des années 1970 datent déjà les premiers travaux étrangers sur le « paradigme » des Annales.
Entre autres, Traian STOIANOVITCH , French historical method. The Annales paradigm , Ithaca-New
York, Cornell University Press, 1976; Luciano ALLEGRA, Angelo TORRE, La nascita della storia sociale in
Francia dalla Commune alle Annales, Torino, Fondation L. Einaudi, 1977; le numéro spécial de
Review, « The impact of the Annales school on the social sciences », n o 3-4, 1978.
72. Pour l’historiographie sur les Annales à l’intérieur de l’EHESS, rappelons aussi le séminaire,
déjà mentionné, de Jean-Glénisson en 1974-1975, mais aussi Alberto Tenenti, qui présente le
28 janvier 1976 à l’Université catholique de Milan une conférence sur « L’historiographie des
Annales, depuis la fondation de revue jusqu’en 1968 » (cf. Alberto TENENTI, « Histoire sociale des
cultures européennes », Annuaire de l’EHESS. Comptes rendus des cours et conférences, 1975-1976, p.
191).
73. Cf. Roger CHARTIER, Jacques REVEL, « Éducation et cultures à l’époque moderne », Annuaire de
l’EHESS. Comptes rendus des cours et conférences, 1976-1977, p. 259-261 ; cf. également Jacques REVEL,
« The Annales : study in continuity and discontinuity », Review, « The impact of the Annales school
on the social sciences », no 3-4, 1978, p. 9-18.
74. André BURGUIÈRE, Jacques REVEL, « Histoire d’une histoire : les Annales et le développement
des sciences sociales en France au XXe siècle », Annuaire de l’EHESS. Comptes rendus des cours et
conférences, 1978-1980, p. 193-194.
75. André BURGUIÈRE, « Histoire d’une histoire : la naissance des Annales », Jacques REVEL,
o
« Histoire et sciences sociales : les paradigmes des Annales », tous les deux dans le n 6 des Annales
ESC, XXXIV, novembre-décembre 1979, respectivement p. 1347-1359 et p. 1360-1376.
76. Charles-Olivier CARBONELL, Georges LIVET (dir.), Au berceau des Annales : le milieu strasbourgeois,
l’histoire en France au début du XXe siècle : actes du Colloque de Strasbourg, les 11-13 octobre 1979,
Toulouse, Presses de l’Institut d’études politiques de Toulouse, 1983.
77. Cf. Vendredi, no 6, du 4 au 17 janvier 1980, avec les articles d’Olivier DUMOULIN , « L’histoire en
miettes… », p. 4, et de François DOSSE, « Les Annales : histoire d’une dérive », p. 5-6. Les passages
ici cités appartiennent à leur article conjoint, « Main basse sur la ville », dans le même numéro, p.
7.
78. François DOSSE prépare en ces années sa thèse de doctorat de troisième cycle sur L’École des
Annales dans les médias depuis 1968, Paris VII, 1983 ; son ouvrage L’Histoire en miettes. Des « Annales »
à la « nouvelle histoire », paraît en 1987, Paris, La Découverte. Cf. également Hervé COUTAU-BÉGARIE,
Le Phénomène « nouvelle histoire » : stratégie et idéologie des nouveaux historiens, Paris, Economica,
1983.
79. Cf. en l’occurrence, le colloque de juillet 1980 réuni, à Loches, autour d’Emmanuel Le Roy
Ladurie, avec la présence de Philippe Ariès, Charles-Olivier Carbonell, Marc Ferro, Eric
Hobsbawn. Emmanuel LE ROY LADURIE et Gilbert GADOFFRE (dir.), Y a-t-il une nouvelle histoire ?, Actes
du colloque de juillet 1980, Bulletin de l’Institut Collégial Européen, 1980.
80. Cf. notamment la table ronde et les entretiens réunis par le Magazine Littéraire dans son
dossier « La nouvelle histoire », no 123, avril 1977, p. 10-37.
81. Parmi la masse d’entretiens d’historiens parus en ces années, retenons tout simplement ceux
réunis dans Antoine CASANOVA , Aujourd’hui l’histoire, Paris, Éditions Sociales, 1974, ainsi que le
dossier « L’Histoire aujourd’hui », Magazine Littéraire, no 164, septembre 1980, de même que
Philippe ARIÈS, Un historien du dimanche, Paris, Seuil, 1980, et Georges DUBY, Guy LARDREAU ,
Dialogues, Paris, Flammarion, 1980.
82. François HARTOG, « Un genre nouveau ou un document d’un nouveau genre ? », Le Débat, n o
49, mars-avril 1988, p. 127.
83. Pierre NORA (dir.), Essais d’ego-histoire, Paris, Flammarion, 1987.
84. Pierre NORA, « Histoire du présent », Annuaire de l’EHESS. Comptes rendus des cours et conférences
, 1977-1978, p. 177-179.
85. Pierre NORA, « Entre mémoire et histoire », op. cit., p. XXIII.
86. Ibid.
87. Id., p. XX.
88. Id., p. XX-XXI.
89. Pour ce qui est de la place tout à fait centrale de « l’historiographie », du basculement
historiographique dans le projet des Lieux de mémoire, nous n’en voulons pour preuve que la place
qui lui a été tout de suite accordée, non seulement dans le texte d’ouverture, mais comme partie
intégrante des « lieux » depuis le deuxième tome de l’entreprise, au premier volume de « La
Nation ». Cf. Pierre NORA, Les lieux de mémoire, « La Nation », t. II, vol. 1, Paris, Gallimard, 1986.
90. Philippe JOUTARD, « L’Histoire dans l’imaginaire collectif. Un nouveau chantier », op. cit., p. 38.
91. Charles-Olivier CARBONELL, « L’apport de l’histoire de l’historiographie », in Emmanuel LE ROY
LADURIE et Gilbert GADOFFRE (dir.), Y a-t-il une nouvelle histoire ?, op. cit., p. 78.
92. Henri-Irénée MARROU, « Quand les historiens redécouvrent l’histoire », op. cit., p. 3.
93. Jacques Le GOFF, Roger CHARTIER, Jacques REVEL (dir.), La Nouvelle Histoire, Paris, Retz, 1978.
94. François HARTOG, Le Miroir d’Hérodote. Essai sur la représentation de l’autre, Paris, Gallimard,
« Bibliothèque des Histoires », 1980 ; « Hérodote », in La Nouvelle Histoire, op. cit., p. 207-209.
95. Charles-Olivier CARBONELL, « Préface », L’Historiographie, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? »,
1981.
96. Cf. Storia della storiografia, no 1, 1982, et notamment les statuts de la Commission d’histoire de
l’historiographie du CISH (p. 143), ainsi que l’article d’ouverture signé par Charles-Olivier
CARBONELL, « Pour une histoire de l’historiographie » (p. 7-25). Sur la définition même d’histoire
de l’historiographie, cf. le débat, « Qu’est-ce que l’histoire de l’historiographie ? », animé par
Lawrence WALKER et Milica Vasilevna NETCHKINA , dans le deuxième numéro de la revue, 1982,
p. 102-111.
97. Signe de cette ouverture aux histoires de l’historiographie pratiquées ailleurs est, entre
autres, l’ouvrage de Marc FERRO, Comment on raconte l’histoire aux enfants à travers le monde entier,
Paris, Payot, 1981, auquel peut s’ajouter la thèse, soutenue en 1978, de Jean CHARBONNIER , L’I
nterprétation de l’histoire en Chine contemporaine, Lille-Paris, 2 vol., 1980.
98. Hormis peut-être Michelet, ou encore Tocqueville, en fonction de la place centrale du débat
français sur la Révolution.
99. Cf. Jacques REVEL, « Sur une ‘crise’ de l’histoire aujourd’hui », Bulletin de la Société française de
philosophie, octobre-décembre 1985, p. 97-128. Cf. aussi l’éditorial des Annales, « Histoire et
sciences sociales. Un tournant critique ? », Annales ESC, XLIII, no 2, mars-avril 1988, p. 291-293, et
celui de l’année suivante, « Tentons l’expérience », Annales ESC, XLIV, no 6, novembre-décembre
1989, p. 1317-1323. Cf. enfin Gérard NOIRIEL, Sur la « crise » de l’histoire, Paris, Belin, 1996.
100. Voir le paragraphe 10 de ce même texte.
101. François HARTOG, « Historiographie », Annuaire de l’École des hautes études en sciences sociales.
Comptes rendus des cours et conférences, 1987-1988, p. 113-114.
102. François HARTOG, « Historiographie », Annuaire de l’École des hautes études en sciences sociales.
Comptes rendus des cours et conférences, 1990-1991, p. 128. Notons que cette intelligence de l’
historiographie continue dans la pensée de l’auteur. Au seuil des Régimes d’historicité, Paris, Seuil,
2003, il reprend en effet l’idée d’« une forme d’histoire intellectuelle » (p. 18) pour préciser la
perspective de son approche historiographique.
103. À la charnière de ces deux étapes, il faudrait faire encore ici référence à un dernier ouvrage,
François BÉDARIDA (dir.), L’Histoire et le métier d’historien en France 1945-1995, Paris, Éditions de la
Maison des sciences de l’homme, 1995, sorte de monument historiographique auquel ont
collaboré 39 historiens, dont 33 français et 6 étrangers, signe tout à la fois, chez les historiens en
France, d’un sentiment de bonheur à l’égard de la production historique au cours du dernier
demi-siècle et de la place désormais incontestable faite à l’histoire de l’historiographie.
RÉSUMÉS
Le but de ces pages est de faire un tour d’horizon, une sorte d’esquisse de reconstitution, sans
souci d’exhaustivité, d’un demi-siècle de travaux historiographiques en France, entre 1940 et
1990 environ. L’historiographie ne s’est pas encore tournée sur sa propre histoire. Seule une
histoire des historiens de l’historiographie saurait mettre en évidence son cheminement
progressif, les obstacles surmontés, les directions prises à tel ou tel moment, celles qui ont été
aujourd’hui abandonnées. Surtout, le fait que son affirmation n’a pas été possible avant que sa
justification n’ait été légitimée par d’autres champs de la recherche préalablement en faveur.
O objetivo destas páginas é o de esboçar uma reconstituição, não exaustiva, de meio século de
trabalhos historiográficos na França, entre 1940 e 1990. A historiografia ainda não se voltou para
a sua própria história. Apenas uma história dos historiadores da historiografia poderia dar a
conhecer a sua gradual e progressiva transformação, os obstáculos superados, as direções
tomadas em tal e tal momento e as que estão, hoje, abandonadas. E principalmente, o fato de que
a historiografia apenas se afirma após ter a sua justificação legitimada por outros campos de
pesquisa previamente em voga.
The aim of these pages is to outline a non exhaustive reconstitution of half century of
historiography work, in France, from 1940 to 1990. Historiography has not yet turned to its own
history. Only a history of the historiography historians could provide the knowledge of its
gradual and progressive transformation, of the transposed obstacles, of the directions taken in
different moments and now abandoned. And mostly, the fact that historiography, in France, is
only well accepted after its justification being legitimized by other previously well accepted
research fields.
INDEX
Mots-clés : Annales, école historique française, Glénisson (Jean), historiographie, Mandrou
(Robert), Marrou (Henri-Irénée), théorie de l’histoire
Palavras-chave : escola histórica francesa, historiografia, teoria da história
Keywords : French historiography, historiography, theory of history
AUTEUR
FELIPE BRANDI
Doctorant à l’EHESS, CRH, boursier CAPES
brandifelipe@yahoo.com