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Royaumes
combattants
Géographie
La période des Royaumes combattants (chinois simplifié : 战国 ; chinois traditionnel : 戰國 ;
pinyin : zhànguó ; litt. « pays (guó) en guerre (zhàn) ») s'étend, dans l'histoire de la Chine, du
ve siècle av. J.-C. à l'unification des royaumes chinois par la dynastie Qin en 221 av. J.-C. Ce
nom lui est donné tardivement, par référence aux Stratagèmes des Royaumes combattants,
ouvrage portant sur cette période. Elle correspond dans la chronologie dynastique à la fin de
la période des Zhou orientaux ( 東周, Dōng Zhōu, 771-256 av. J.-C.). Cette chronologie, qui
repose sur l'historiographie traditionnelle, ne correspond pas nécessairement à la datation
précise des évolutions sociales, politiques, économiques et culturelles : ce qui caractérise les
Royaumes combattants date principalement du début du ive siècle av. J.-C.
Les sources
Laissez-passer inscrit sur du bronze retrouvé dans une tombe de Chu en 1957, exemple des découvertes modernes de
textes administratifs des Royaumes combattants dans des tombes antiques.
Les sources qui traditionnellement permettent de se faire une idée de la période des
Royaumes combattants sont des sources littéraires conservées depuis l'Antiquité[1]. Elles ont
été rédigées ou compilées durant la période pré-impériale ou sous les premiers empires
chinois. De toutes ces sources, les Mémoires historiques (Shiji) de Sima Qian (145-86),
rédigées au début de la dynastie Han, sont les plus importantes pour l'histoire des Royaumes
combattants. La première partie des Mémoires se fonde sur les chroniques du royaume de
Qin auxquelles l'auteur, archiviste à la cour des Han, avait accès, et raconte l'histoire de la
Chine depuis les origines. La dernière partie de l'ouvrage consiste en des biographies narrant
la vie de personnages éminents dont certains sont contemporains des Royaumes
combattants[2]. D'autres chroniques complètent l'œuvre de Sima Qian, comme les Annales de
Bambou (Zhushu Jinian), retrouvées dans une tombe à la fin du iiie siècle apr. J.-C. de notre
ère, contenant les annales du royaume de Wei[3]. Il semble que chaque État faisait rédiger sa
propre chronique, mais la plupart d'entre elles ont été perdues. Il s'agit de textes produits par
les officiels de ces États, donc de sources biaisées, plus encore chez Sima Qian qui a désiré
dispenser des leçons de morale à travers les récits qu'il rapporte. Mais la description des
événements de la période des Royaumes combattants y est généralement fiable,
contrairement à celle des périodes antérieures qui comprend des récits légendaires ou semi-
légendaires.
Le même problème se pose pour les autres sources écrites de la période, conservées par la
tradition chinoise ultérieure. Une partie de celles-ci sont des écrits d'hommes politiques
décrivant leurs projets ou leurs stratagèmes politiques, une autre, des traités militaires écrits
par des stratèges. Les textes les plus nombreux qui aient été sauvegardés sont ceux des
penseurs ou philosophes des Royaumes combattants, qui avaient la volonté de les archiver
contrairement à d'autres et parce que cette période a été très productive dans ce domaine[4].
Cependant, beaucoup de ces textes posent un problème de contextualisation historique
puisqu'ils ont souvent été très remaniés a posteriori ; l'auteur auquel ils sont attribués n'est
pas forcément celui qui les a rédigés dans leur totalité. Le même type de problème se pose
pour les textes rituels datant de la période des Royaumes combattants ou qui lui
préexistaient et qui ont survécu à l'épreuve du temps ou encore d’autres productions
littéraires comme des traités de médecine, de lexicographie, des poésies ou des récits. Ces
œuvres sont souvent composites et difficiles à dater. Cependant, la compréhension de leur
genèse et du contexte de leur rédaction progresse grâce aux méthodes modernes d'analyse
critique.
Grâce à ces découvertes, il est possible de connaître l'état antérieur de certains textes que la
tradition chinoise a « canonisés » par la suite. Cela permet aussi d'accéder à une plus grande
variété de textes, notamment des écrits administratifs et juridiques mettant en lumière des
pratiques sur lesquelles les seules sources écrites connues avant ces découvertes donnaient
très peu d'informations. D'autres études de ces textes anciens ont une approche
épigraphique et linguistique, ces textes témoignant d'un état de l'écriture chinoise où
plusieurs variantes régionales coexistent (styles de la « grande écriture sigillaire », dazhuan)
avant l'uniformisation de l'écriture sous la dynastie Qin (le petit style sigillaire)[9],[10].
Localisation des principaux États de la période des Royaumes combattants au milieu du ive siècle av. J.-C.
Diversité et unité
Au milieu du ve siècle, sept grands royaumes dominent la Chine, les « Sept héros » (qixiong)
des Royaumes combattants. Ces royaumes se caractérisent par leur puissance militaire : ils
disposent chacun de plus de 10 000 chars de bataille[11]. Ce sont les Wei, Zhao, Han, Qi, Yan,
Chu et Qin. À côté de ces grands royaumes subsistent plusieurs autres royaumes de moindre
importance militaire, parmi lesquels se trouvent d'anciens États prestigieux situés dans la
Plaine centrale autour du territoire de la dynastie des Zhou, dans les actuelles provinces du
Shandong et du Henan. Ces États possèdent des identités propres et se distinguent même
parfois par des cultures spécifiques. Les études en matière d'archéologie et d'art, combinées
à celles des textes, permettent de définir plusieurs aires culturelles relativement stables
durant la période de la dynastie Zhou. Certaines d'entre elles bénéficient d'un très grand
rayonnement à l'époque des Royaumes combattants : elles correspondent souvent à des
unités géographiques naturelles homogènes[12].
Pour autant, les frontières sont très poreuses et beaucoup de personnes et d'idées les
traversent[13]. La conception d'un espace homogène, Tianxia (« Tout ce qui se trouve sous le
Ciel »), s'impose, correspondant à une sorte de « monde civilisé » chinois opposé à celui des
peuples considérés comme « Barbares » dont les entités politiques se trouvent en périphérie,
notamment ceux situés au nord et que les textes désignent par le terme Hu[14]. Mais cette
frontière est aussi toute relative et évolutive puisque la différence est avant tout perçue
comme culturelle et que certains États jadis considérés comme barbares (à l'exemple de Qin,
Chu et Zhongshan) ont adopté les traditions culturelles chinoises, ce qui leur permet d'être
considérés comme civilisés. Toutefois, les régions plus anciennement sinisées les regardent
encore avec dédain. Ces stéréotypes reposent souvent sur l'idée d'un déterminisme
géographique : par exemple, les peuples du Sud étaient considérés comme impétueux et
difficiles à gouverner en raison de la chaleur de leur climat[15].
L'autre grande puissance politique proche de la Plaine centrale est le royaume de Qi, au nord-
est, dans la dernière partie de la plaine alluviale du fleuve Jaune, jusqu'à son embouchure
(l'actuel Shandong)[19]. Il dispose de riches terres agricoles et d'importantes ressources en
sel, constituant sans doute l'une des plus puissantes économies de la période. Sa capitale
Linzi passe pour être la plus grande ville de l'époque.
À la périphérie, les royaumes puissants ont la possibilité d'agrandir leur territoire malgré la
présence menaçante de peuples « barbares ». Ils peuvent ainsi nous défricher des terres en
vue de se renforcer face aux États centraux dont les perspectives d'expansion sont plus
limitées[20]. Ils sont d'ailleurs souvent considérés comme peu civilisés voire semi-barbares
par les royaumes centraux, notamment en raison de leurs contacts avec des voisins
étrangers au monde chinois. Au nord-est, le royaume de Yan, dont la capitale est proche de
l'actuelle Pékin, est un allié de Qi durant une bonne partie de la période[21]. Le fleuve Jaune se
jette alors dans la mer plus au nord qu'actuellement, dans son territoire, lui assurant des
terres agricoles fertiles. Comme Zhao, qui est situé au nord-ouest, il est au contact direct des
peuples nomades du nord, en plus d'être éloigné des royaumes chinois les plus menaçants.
Entre les deux, Zhongshan joue un certain rôle politique et possède des affinités culturelles
avec les autres entités politiques septentrionales[22].
Qin
À l'ouest s'étend le territoire de l'État de Qin avec, en sa région centrale, la riche vallée de la
Wei au cœur du plateau de Lœss, le berceau de la dynastie Zhou avant son déplacement vers
l'est (au début de la période des Zhou orientaux en 771)[23]. Il est encore perçu comme un
royaume arriéré au début de la période des Royaumes combattants. Il se trouve au contact
de peuples « barbares » particulièrement redoutables qu'il ne réussit à réduire qu'après de
longues guerres qui le détournent souvent des conflits avec les autres Royaumes
combattants. Après la conquête des principautés de Shu et de Ba sur sa frontière
méridionale à la fin du ive siècle av. J.-C., il dispose du plus grand potentiel agricole des
royaumes combattants. Qin est aussi le royaume qui a accompli les réformes les plus
poussées, notamment au milieu du ive siècle sous l'impulsion du ministre Shang Yang qui en
fait un État totalement organisé en vue de la guerre. À dater de cette époque, c'est en grande
partie autour de lui que se joue le jeu politique inter-étatique. Il constitue la matrice du
premier empire chinois qui sera proclamé par son roi Zheng (qui devient alors l'empereur Qin
Shi Huangdi) en 221[24].
Le nord du bassin du Sichuan, ancien pays de Ba, une des plus riches régions agricoles de la Chine ancienne.
À l'ouest de Chu, les États de Shu et Ba dans le bassin de la Min (Sichuan actuel), de riches
régions agricoles et minières constituent un ensemble culturel appelé « Ba-Shu », voisines de
peuples barbares comme ceux qui fondent le royaume de Dian (au nord du Yunnan) vers la
fin de la période[27]. De l'autre côté, à l'est, la basse vallée du Yangzi est occupée par des
royaumes qui ont une grande importance politique au début de la période : Wu et son voisin
Yue qui l'élimine avant de l'être à son tour par Chu en 334[28].
Histoire
Royaumes principaux au début de la période des Royaumes combattants, avant l'éclatement du Jin.
La période des Royaumes combattants est considérée par l'historiographie chinoise comme
une phase de la longue période de la dynastie Zhou, qui a pris le pouvoir vers 1046 av. J.-C.
Mais depuis 771 sa prééminence n'est plus que théorique et symbolique, et la Chine est
partagée entre plusieurs principautés rivales qui ne se soucient plus vraiment de son
influence dans leurs affaires politiques et militaires. Durant les trois siècles de la Période des
Printemps et Automnes (771-ve siècle), quelques principautés s'affirment progressivement,
absorbant les plus faibles, et au début du ve siècle moins d'une dizaine d'entre elles jouent un
rôle politique de premier plan.
d'environ 450 à 350 l'alliance des trois royaumes héritiers de l'ancien Jin joue un rôle
moteur, sous l'impulsion de Wei ;
d'environ 350 à 250 les conflits sont de plus en plus violents et les alliances fluctuantes
pour empêcher qu'un royaume ne domine les autres, Qin sortant renforcé de ces luttes ;
les années de 250 à 221 voient la victoire décisive de Qin, qui unifie la Chine, ce qui ouvre
la période de la dynastie Qin.
Localisation des principaux États de la période des Royaumes combattants au milieu du ive siècle av. J.-C. Le tracé
des frontières est approximatif.
Le ve siècle voit se produire plusieurs événements décisifs qui modifient la scène politique
chinoise et justifient le passage à une nouvelle période, quelle que soit la date retenue pour le
début de la période des Royaumes combattants (481, 476, 453 ou 403)[29].
En 481, quand finit la Chronique des Printemps et Automnes, le clan des Tian, qui dirige de
facto la politique du royaume de Qi après avoir éliminé les autres grandes familles nobles
précédemment, se débarrasse de la majorité de la famille royale après une guerre civile. Le
chef du clan laisse un souverain fantoche diriger en apparence une faible part du royaume,
puis prend définitivement la direction des affaires[30].
L'événement le plus important survient en 453, quand les trois clans alliés de Wei, Zhao et
Han se débarrassent du dernier lignage puissant du royaume de Jin après une longue période
marquée par plusieurs guerres civiles qui ont vu les forces centrifuges s'affirmer[31]. La
partition de Jin en trois entités politiques est alors effective et elle est officialisée en 403 par
le souverain Zhou.
Pendant que ces royaumes du centre sont dans la tourmente, plusieurs royaumes des
périphéries se réorganisent. Au sud, les conflits entre Chu, Wu et Yue cessent après la
conquête du deuxième par le troisième en 473[32]. Par la suite, Yue, Chu, Qin et Qi
connaissent une phase d'expansion territoriale après l'annexion de plusieurs petites
principautés[33].
Une fois leur situation stabilisée, les trois royaumes héritiers de Jin s'allient et se lancent
dans plusieurs conflits qui marquent la première phase de la période des Royaumes
combattants[34]. Qi, Chu et Qin font les frais de ces offensives, ainsi que Zhongshan. Parmi
les descendants de Jin, c'est Wei qui affirme sa supériorité militaire, après les victoires de
son grand général Wu Qi. La disgrâce et l'exil de ce dernier vers 401 profitent à Chu qui
l'engage : le général restaure la puissance de Chu grâce à des réformes et des victoires
militaires. De son côté, Han annexe Zheng en 375. Après 366, c'est au tour de Qin de
réaffirmer sa puissance. Au sortir de conflits difficiles avec des peuples barbares du nord-
ouest, il bat une coalition de Wei et de Han, puis Wei à nouveau.
Le nouveau souverain de Wei, Hui, réagit à la nouvelle situation en réorganisant son royaume
et en engageant une politique de normalisation des relations entre les grands rois à la suite
de différentes rencontres. La diplomatie prend alors une importance plus grande[35]. Durant
la seconde moitié du ive siècle, les monarques des grands royaumes prennent le titre de roi
(wang) et entreprennent des réformes capitales qui font d'eux des royaumes centralisés plus
solides, ce qui explique l'escalade militaire qui se produit durant les décennies suivantes.
La période qui va en gros de 350 à 250 est marquée par de nombreux conflits de plus en plus
violents, des renversements d'alliance et la réorganisation des rapports de force, dans
lesquels la montée en puissance de Qin devient le facteur déterminant dans le jeu des
coalitions. Au cours de ce siècle, les effectifs militaires gonflent considérablement et le rôle
des ministres et diplomates s'accroît. C'est alors que s'affirment les traits caractéristiques de
la période des Royaumes combattants.
La première phase voit Wei perdre sa position dominante. Elle est marquée par deux grandes
batailles. La première est celle de Guiling en 353 et la seconde est celle de Maling en 341,
face aux armées de Qi dirigées par le général Tian Ji et son conseiller Sun Bin[36],[37],[38]. Le
duc Xiao de Qin bénéficie alors des réformes entreprises par le ministre Shang Yang, qui
permettent à son État de pousser très loin la militarisation de la société[39]. Qin, qui jouait
jusqu'alors un faible rôle militaire dans la Plaine centrale, accroît sa puissance[40]. Ses
généraux, notamment Bai Qi, mais aussi Shang Yang en personne, remportent plusieurs
victoires contre Wei. Le roi de ce dernier se voit imposer Bai Qi pour ministre et se retrouve
sous la tutelle de Qin. Désormais, le jeu politique est dominé par Qi et Qin, avec un avantage
de plus en plus net pour le second. C'est alors que se mettent au point deux principes
d'alliances opposés dictés par la position adoptée vis-à-vis du royaume le plus puissant :
Le premier est l'alliance verticale (hezong), dans un sens nord-sud : les royaumes situés au
centre s'allient pour couper la progression de Qin à l'ouest, et dans certains cas pour celle
de Qi à l'est.
Le second est l'alliance horizontale (lianheng), dans un sens ouest-est : un royaume s'allie à
Qin (en général à l'instigation des diplomates de ce dernier) pour profiter de sa puissance
et s'assurer d'avantages sur les autres[41].
En 316, le roi Huiwen de Qin, après s'être débarrassé de Shang Yang dont le pouvoir devenait
gênant, poursuit sa politique et sa montée en puissance. Ses généraux parachèvent
l'annexion des deux principautés situées au sud, les riches territoires de Shu et Ba (actuel
Sichuan), puis remportent des victoires déterminantes contre les nomades Rong du nord, qui
dès lors ne constituent plus une menace. Pendant ce temps, Chu a annexé Yue en 334,
étendant son territoire jusqu'à la mer à l'est[42]. Alors qu'un conflit successoral secoue Qin en
307, Qi renforce sa puissance sous l'impulsion de son ministre Tian Wen et s'allie avec Han
et Wei contre le royaume occidental[43]. Le conflit avec ce dernier éclate finalement et Qi et
ses alliés remportent plusieurs victoires. Par la suite, ils s'imposent également face à Chu et
Yan. Mais en 294 Tian Wen est chassé de Qi et l'alliance se rompt. Qin profite alors de la non-
intervention de l’État de Qi pour vaincre Han et Wei au cours de conflits terriblement
meurtriers qui culminent avec la bataille de Yique en 293. Mais le jeu des alliances n'en finit
pas de se retourner contre le royaume Qin qui pense avoir établi sa domination : il est forcé
de restituer ses conquêtes quand Qi allié à d'autres royaumes menace de l'attaquer ; ensuite,
Qi est à son tour attaqué par Yan, Han, Zhao et Wei qui le défont malgré l'appui de Chu,
mettant un terme à ses prétentions de domination ; peu après, en 278, Qin inflige une terrible
défaite à Chu, prenant sa capitale Ying et constituant ainsi un bloc territorial compact autour
de son centre ancien, le bassin de la Wei, avec le Sichuan nouvellement acquis. Le vaincu est
quant à lui forcé à réorganiser son territoire autour de sa partie orientale.
Zhao, qui a renforcé l'efficacité de son armée sous le règne du roi Wuling avec l'adoption de la
cavalerie, puis conquis Zhongshan vers 295, est alors la seule puissance en mesure de
s'opposer à Qin après ces conflits sanglants au cours duquel il a plusieurs fois changé
d'alliance entre les deux plus puissants royaumes, tout en se dotant d'une armée plus
performante[44]. D'abord défaites à Huayang en 273, les troupes de Zhao parviennent à
repousser les offensives de Qin quelques années plus tard. Le roi Zhaoxiang de Qin fait alors
appel à un nouveau premier ministre, Fan Sui, qui met au point une politique reposant sur
l'affirmation de la royauté contre les nobles du royaume et l'expansion militaire face aux
voisins directs grâce à l'alliance avec les royaumes plus lointains, le tout combiné avec la
conquête de territoires et l'élimination des vaincus. Une nouvelle étape est franchie dans
l'escalade de la violence militaire en même temps qu'est mise au point une stratégie militaire
stable qui permet à Qin d'utiliser pleinement le potentiel acquis auparavant (les réformes de
Fan Sui complétant en quelque sorte celle de Shang Yang)[45]. La première cible est le Han, le
plus faible des voisins directs du Qin, qui est appuyé par le Zhao, son plus grand rival. Le
général du Qin, Bai Qi, remporte une victoire décisive en 260 à la bataille de Changping, à la
suite de laquelle plus de 400 000 soldats du Zhao seraient morts, dont une bonne partie
exécutés après la bataille[37]. Mais des troubles internes à Qin aboutissant à la mort de ses
deux hommes forts et rivaux, Bai Qi et Fan Sui, offrent un répit aux autres grands royaumes
même si désormais la prééminence de Qin est incontestée avec l'élimination du gros des
forces de son dernier grand adversaire.
La victoire de Qin
Article détaillé : Guerres d'unification de Qin.
Extension approximative des royaumes combattants en 260, avant les annexions effectuées par Qin. Le tracé des
frontières est approximatif.
Les trois dernières décennies de la période des Royaumes combattants sont marquées par la
victoire définitive de Qin sur tous ses rivaux qui n'ont pas été en mesure d'arrêter son
irrésistible montée en puissance. La supériorité de ce royaume sur ses rivaux est due à divers
facteurs[46] : situation géographique (protégé par des montagnes au sud et le Fleuve Jaune à
l'est), richesse des terres agricoles réunies et mises en valeur par des travaux d'irrigation
dans le bassin de la rivière Wei et dans le Sichuan, technique et organisation militaires,
stabilité dynastique et, surtout, appareil administratif extrêmement efficace dû aux réformes
entreprises à la suite de celles de Shang Yang[47].
C'est sur ces bases que se construit le premier Empire chinois. La possibilité d'un
changement dynastique devient effective en 256 quand le roi Zhou meurt sans que son titre
soit revendiqué par ses héritiers, avant que son domaine ne soit annexé par Qin en 249. Dans
ce royaume, le roi Zheng monte sur le trône en 246, mais ne règne effectivement qu'en 238
quand il atteint l'âge adulte[48]. Son règne est essentiellement connu par ce que l'historien
Sima Qian rapporte dans son Shiji. Il évoque notamment le rôle de Lü Buwei, marchand
devenu premier ministre en 250, poste qu'il occupe jusqu'à sa disgrâce et sa mort en 237[49].
Son remplaçant, Li Si, dirige le royaume pendant la dernière phase de la victoire de Qin sur les
autres grandes puissances, conduite sur les champs de bataille par plusieurs grands
généraux, dont Meng Ao, Wang Jian puis Meng Tian. En 230, le plus faible des adversaires,
Han, est le premier à être annexé, sans combats. En 228, Zhao est vaincu à son tour après le
siège difficile de sa capitale Handan qui est suivi d'un massacre. Cependant, un membre de
la dynastie de Zhao fuit au nord d'où il tente de restaurer ce royaume. Deux ans plus tard, Yan
est envahi à la suite d'une tentative d'assassinat du roi de Qin fomentée par un de ses
princes ; la capitale est prise, mais le roi réussit à fuir plus au nord alors que son fils est
exécuté. En 225 c'est Wei qui se rend après le siège de sa capitale, inondée par les
assaillants qui ont détourné le cours du fleuve Jaune. En 223, c'est au tour de Chu d'être
attaqué : il repousse une première invasion mais succombe à la seconde, après des combats
auxquels ont participé des centaines de milliers de combattants, sans doute les plus gros
effectifs engagés de toute la période. L'année suivante, l'armée de Qin élimine les derniers
résistants du nord à Zhao puis à Yan. En 221, Qi se rend quand Qin y conduit ses troupes. Le
processus d'unification de la Chine est achevé et le roi Zheng de Qin devient l'empereur Qin
Shi Huangdi, maître du premier Empire de l'histoire chinoise, celui de l'éphémère mais
décisive dynastie Qin (221-206).
La centralisation étatique
La dynamique guerrière de la période des Royaumes combattants conduit les États majeurs
à renforcer leur autorité. Les plus puissantes des anciennes principautés deviennent au fil
des réformes de véritables royaumes centralisés, dirigés par un monarque concentrant de
plus en plus de pouvoir, lui-même appuyé sur une nouvelle classe politique spécialisée dans
la direction des affaires de l'État et vouée à son service. Cette période voit donc se produire
une « révolution étatique » (J. Gernet)[50]. Ce phénomène est surtout connu pour le royaume
de Qin et annonce les expériences impériales de la dynastie Qin et de la dynastie Han. Il reste
cependant difficile de se faire une idée des modalités concrètes de l'exercice du pouvoir, car
les sources disponibles sont avant tout des récits historiques, des vies de personnages
importants, ou bien des traités de ministres qui ne contiennent pas d'informations détaillées
sur l'organisation de l'administration des Royaumes combattants ; de plus, la documentation
est déséquilibrée car elle concerne en priorité les institutions de Qin. Néanmoins, les
découvertes de textes juridiques et administratifs dans des tombes depuis un demi-siècle
permettent de mieux connaître les pratiques administratives.
La période des Printemps et Automnes est marquée par des entités politiques peu
centralisées où la noblesse dispose de solides assises territoriales et d'une large autonomie,
concurrençant le pouvoir des princes locaux. Les conflits croissants, mobilisant des troupes
plus importantes, ont concentré plus de pouvoirs entre les mains de certains lignages, qui
après de longues luttes internes ont diminué en nombre. Finalement, plusieurs principautés
voient des lignages nouveaux accéder au pouvoir en renversant la dynastie régnante. Durant
le ive siècle, les sept grands royaumes combattants sont dirigés par un monarque et sa cour,
concentrant entre leurs mains un pouvoir sans précédent. Le roi incarne l'État
symboliquement. C'est ce que Mark Edward Lewis a qualifié de « ruler-centered state », « État
centré sur la personne du souverain ». Ces évolutions préparent l'idéologie impériale des Qin
et des Han[51].
Les écoles de pensée de la période sont liées à ces mutations. Plusieurs d'entre elles
développent leur conception du monarque idéal, qui doit gouverner un empire unifié, alors
que leur monde est marqué par la division politique. En dépit de leurs divergences, ces
différentes écoles se rejoignent pour affirmer la suprématie du souverain unique[57], en le
considérant notamment comme le pendant terrestre de la divinité suprême qui organise
l'univers depuis le Ciel[58]. Dans cette optique, le monarque doit plus avoir une fonction
symbolique et morale. Paradoxalement, les penseurs qui l'élèvent symboliquement lui
déconseillent de mener effectivement la conduite des affaires du royaume (ou même les
troupes au combat) : il doit surtout faire preuve de discernement dans le choix de ses
conseillers, ce qui est sans doute une manière pour les ministres de chercher à s'assurer une
position de force et n'est pas forcément du goût de tous les souverains[59]. Ces réflexions
nourrissent la pensée politique des grands ministres réformateurs qui participent eux aussi à
l’affirmation de l'autorité royale. Le cas le plus emblématique vient, comme souvent, de Qin,
où le ministre Fan Sui écarte les nobles les plus en vue à la cour et cesse de leur concéder
des domaines, un usage qui leur permettait d’amasser à la longue une fortune et de
constituer des armées personnelles menaçantes pour le pouvoir royal. Il fait en sorte que
tout le pouvoir se concentre entre les mains du souverain[60]. À Chu, le premier ministre Wu Qi
tente lui aussi de rabaisser les familles nobles, mais celles-ci s'opposent à ses réformes et le
font mettre à mort, rendant ces changements éphémères.
Fonctionnaires et ministres
Les souverains s'appuient sur un nouveau groupe de serviteurs très différents des élites
politiques des périodes précédentes, qu'ils supplantent[65]. Les royaumes sont
traditionnellement dominés par des grands lignages nobles disposant de bases territoriales
et occupant les principaux postes civils et militaires, jusqu'à celui de « premier ministre »
dirigeant dans les faits la majorité des affaires du royaume. Tout en conservant une place
élevée, comme l'illustrent les « Quatre Seigneurs des Royaumes combattants » dont Sima
Qian a rédigé les biographies (quasiment tous liés à la famille régnante de leur royaume), ces
aristocrates sont de plus en plus concurrencés par la classe des « gentilshommes » (shi)
dont les membres, issus de branches secondaires des lignages nobles, occupent
traditionnellement des fonctions administratives et militaires de second rang. C'est parmi eux
que se recrutent désormais les principaux serviteurs du souverain[66]. Il s'agit d'un groupe de
spécialistes du savoir ou des armes, donc à même d'assumer les charges qui leur sont
attribuées. Leurs motivations sont diverses : sens du devoir envers le souverain et le bien
public ou bien appât du gain, arrivisme et carriérisme, car le service de l'État est alors le
moyen le plus efficace et le plus rapide pour s'enrichir et s'élever socialement. Désormais
dépendants de la seule volonté du roi (car leur charge procède du pouvoir de celui-ci), ils se
distinguent par leurs capacités et non plus par leur hérédité[67]. Cela aboutit à l'époque
impériale à la constitution d'une élite de fonctionnaires lettrés spécifique de la Chine
(justement désignée par le terme de shi dont le sens a progressivement évolué), qui tire son
prestige du service de l'État où elle fait la preuve de ses talents intellectuels et jouit d'une
autorité morale sur le reste de la société.
La classe politique lettrée est à l'origine d'une production littéraire abondante qui contient
des conseils sur le bon gouvernement, les réformes à appliquer, aussi bien dans le domaine
de la fiscalité que de l'économie, ou encore l'organisation et l'art militaire qui sont une
préoccupation majeure. C'est le cas de tous les grands penseurs de la période qui seront
abordés plus loin, dont les écrits sont d'abord à finalité politique. Des écrits politiques sont
également associés au nom d'un ministre prestigieux sans qu'on sache s'il les a réellement
écrits. Parmi les figures fameuses de ce type d'écrivains-hommes politiques (supposés), on
compte Li Kui, ministre de Wei à la fin du ve siècle, Shen Buhai qui officie à Han un demi-
siècle plus tard[68], Wu Qi à Wei puis Chu au début du ive siècle et surtout Shang Yang,
ministre de Qin au milieu du ive siècle, à qui sont attribuées les principales réformes qui ont
fait de cet État la plus grande puissance de la Chine, bien qu'il soit probable qu'il ne soit pas à
l'origine de toutes celles-ci[69],[39]. Lui-même originaire de la petite principauté de Wey, il sert
Wei avant d'être obligé de le fuir et se réfugie à Qin où il assiste le souverain Xiao pendant
plusieurs années, avant d'être exécuté à la suite des manigances de ses rivaux après la mort
du prince qui le protégeait.
Cette période se caractérise par une grande instabilité du personnel politique. À la différence
du souverain qu'ils veulent élever et qu'ils érigent en autorité symbolique, la fonction plus
active des conseillers les expose aux aléas politiques, et nombreux sont ceux à connaître une
fin malheureuse, emportant également leur lignée avec eux suivant les pratiques pénales du
temps. On comprend donc le contexte de luttes âpres pour gagner les faveurs des
monarques qui s'est installé à cette période. Les hauts serviteurs de l'État sont souvent des
déracinés à la loyauté fluctuante, qui se déplacent de royaume en royaume à la recherche
d'un souverain acceptant de les employer, ce qui constitue un véritable « marché des
talents » politiques où les cours se concurrencent[70]. Ils préparent des plans d'action souvent
fondés sur la ruse et la violence, qu'ils proposent à celui qui voudra bien les écouter. Cela
confère une relative autonomie à ces hommes politiques, ce qui est une source de méfiance
pour les rois qui les accueillent, leur loyauté ne leur étant pas acquise.
Certains d'entre eux (appelés shui, quelque chose comme « sophistes » ou « rhétoriciens »)
se sont spécialisés dans l'art du langage, de la persuasion et donc de la ruse, de la duplicité
et de la tromperie[72]. Leurs procédés ont été relatés dans des traités du début de l'époque
impériale, ceux de l'« école de la diplomatie », comme le Zhanguoce (Stratagèmes des
Royaumes combattants), listant des anecdotes sans doute peu fiables historiquement, mais
traduisant l'état d'esprit de la vie politique et diplomatique de l'époque des Royaumes
combattants[73].
Quelle que soit leur origine, les proches conseillers du roi profitent de leur statut pour
amasser des fortunes considérables. Ils peuvent constituer de véritables cours autour d'eux,
attirant des petits gentilshommes lettrés qui deviennent leurs clients et serviteurs. Le
prestige d'un ministre se mesure à l'ampleur et à la qualité de sa clientèle[74]. C'est bien
souvent sous les auspices des hauts dignitaires que se développent les courants de pensée
de la période des Royaumes combattants, leurs cours étant des lieux de débats intenses. La
richesse de ces personnages se mesure également à la taille des tombes de plus en plus
vastes et richement dotées qu'ils se font construire[75]. La menace que représentent les
puissants dignitaires pour le pouvoir central n'a en fin de compte jamais été totalement
éliminée, et c'est l'opposition des descendants des grandes familles des Royaumes
combattants qui entraîne la chute de l'empire Qin[76].
Les réformes mises en place dans plusieurs des principaux États durant la période des Zhou
de l'Est contribuent à la constitution de véritables entités politiques centralisées. Ce
mouvement de réformes commence dès la période des Printemps et Automnes, où il y a déjà
des figures marquantes comme Zi Chan à Zheng et Guan Zhong à Qi. Au cœur de la période
des Royaumes combattants, le mouvement bénéficie du succès des idées légistes[77], qui
sont appliquées le plus strictement à Qin sous l'impulsion de Shang Yang, Fan Sui et Li Si.
Telles qu'elles ont été mises en évidence, notamment par L. Vandermeersch[78], les réformes
se concentrent sur quelques points principaux visant à bouleverser l'ordre ancien remontant
à la période des Zhou de l'Ouest :
les agents de l'État sont recrutés en fonction de leurs mérites et non plus de leur
appartenance à un groupe familial influent ;
la société rurale est réorganisée autour de familles regroupées formant des unités
économiques et militaires disposant de leurs propres terres ;
des lois qui s'appliquent le plus souvent à tous visent à instaurer l'ordre en châtiant
durement les délits et en récompensant les agissements conformes aux directives de
l’État.
L'application de ces réformes connaît des fortunes diverses, mais elles contribuent à une
importante recomposition des institutions et de la société.
Dans les détails, l'administration territoriale n'est pas homogène dans les différents
royaumes et les réformes les éloignant des formes traditionnelles d'organisation politique
ont été plus ou moins poussées selon les pays. L'unité de base est généralement le
« district » ou « canton » (xian) qui apparaît à Chu durant la période des Printemps et
Automnes. C'est à l'origine un territoire conquis attribué à des membres de la noblesse de
façon héréditaire, leur permettant de se constituer une base locale de puissance. Avec le
temps, le gouvernement central prend l'habitude de conserver ces circonscriptions et de s'en
servir pour attribuer des fiefs non héréditaires à ses serviteurs des couches basses de la
noblesse, de façon à éviter la constitution de pouvoirs locaux tels qu'il en existait auparavant.
Les réformes de Shang Yang à Qin ont pour effet d'étendre le modèle du district aux
territoires plus anciens. Cette unité devient progressivement la circonscription de base de la
Chine, ce qu'elle est encore aujourd'hui. Les districts sont regroupés dans des unités plus
vastes, les « commanderies » (jun). Ces circonscriptions disposent généralement d'un
gouverneur civil et d'un gouverneur militaire et, au niveau local, des administrateurs servent
de relais entre la population et l’État[79].
Les agents du pouvoir sont de plus en plus recrutés en fonction de leurs mérites, suivant une
volonté mise en avant en particulier par Shen Buhai alors qu'il était ministre à Han dans le
troisième quart du ive siècle av. J.-C. Les archéologues ont découvert dans une tombe de
Shuihudi (Qin) un extrait des codes et des lois prescrivant les tâches prioritaires d'un
fonctionnaire ainsi que les pratiques à observer (tenue des documents officiels, inspections,
enquêtes, interrogatoires) et un texte qui décrit le fonctionnaire idéal (obéissance à la
hiérarchie, loyauté au pouvoir, impartialité, etc.)[60]. On cherche ainsi à façonner l'image du
serviteur idéal de l'État qui délaisse les solidarités lignagères et locales. Les moyens pour
contrôler ces agents de l'État et pour s'assurer de leur compétence et de leur loyauté sont
mis en place : les actes administratifs doivent être authentifiés suivant des principes stricts,
les administrateurs doivent rendre des comptes tous les ans et, d'une manière générale, les
fonctionnaires sont rétribués suivant leurs mérites. Ils peuvent être révoqués en cas
d'incompétence[80]. Se constitue ainsi un appareil bureaucratique au service de l’État, de plus
en plus élaboré et contrôlé par le pouvoir central[81].
Fiscalité et lois
Les relations des paysans avec le pouvoir sont ainsi réorganisées, créant de nouveaux
rapports entre eux et le pouvoir, écartant les aristocrates locaux, qui auparavant encadraient
les travaux ruraux, et plus largement les groupes familiaux, grâce à l'autorité de leur
lignage[79]. Les communautés familiales paysannes sont également organisées en groupes
qui ont à assumer une responsabilité collective : la faute d'un seul peut rejaillir sur tout le
groupe, ce qui incite à la surveillance collective et à la délation. Ces principes d'encadrement
s'alignent sur ceux des unités militaires constituées sur la même base locale[84].
Représentation hypothétique d'une arbalète montée sur roues, servant pour les sièges.
Soldats de l'armée en terre cuite du tombeau de Qin Shi Huangdi, équipés de façon similaire aux troupes de la fin des
Royaumes combattants.
L'organisation des armées connaît de grands bouleversements qui découlent des évolutions
de l'armement[96],[101]. Alors qu'à la période des Printemps et Automnes, l'arme principale
étaient les chars de guerre conduits par la noblesse traditionnelle, désormais l'infanterie la
supplante en importance dans le déroulement des batailles, en particulier des grandes
batailles. Le gros des troupes est constitué de paysans, véritable « chair à canon » si l'on en
juge par la mortalité élevée lors des combats. Les méthodes de mobilisation varient. Un
système incitatif de recrutement par versement de primes ou attribution d'exemption
d'impôts semble avoir d'abord été utilisée. Par la suite, Qin instaure au ive siècle le premier
système de recrutement obligatoire, équivalent à une corvée due à l'État, selon une
organisation quasi militaire de la société avec des unités de combat constitués sur une base
familiale et locale (ce qui est censé favoriser la cohésion des troupes)[102].
Ces unités sont commandées par des officiers (issus de la classe des gentilshommes, shi)
chargés d'orienter leurs mouvements suivant les ordres des stratèges plutôt que de
combattre à proprement parler. Les soldats de Qin reçoivent une récompense pour chaque
tête d'ennemi rapportée et ce type d'accomplissement leur permet de monter en grade selon
une échelle de statuts honorifiques qui se traduit en avantages pour toute leur famille. Les
Royaumes combattants ont aussi mis en place des troupes d'élites sélectionnées puis
entraînées, qui constituent les gardes spéciales des généraux et disposent de privilèges
(soldes élevées, exemptions de taxes et de corvées pour leurs domaines)[103]. Le Xunzi décrit
les troupes d'élites de Wei, dont les soldats portent de lourdes armures, disposent d'arbalètes
et de hallebardes.
La place centrale de l'infanterie et les évolutions de son armement vont de pair avec la forte
augmentation des effectifs des armées. Alors qu'elles étaient constituées au maximum de
30 000 soldats à la fin de la période des Printemps et Automnes, les armées mobilisées par
les Royaumes combattants comptent des centaines de milliers d'hommes. Les chiffres de
soldats en armes et surtout ceux des morts à l'issue d'une bataille que donnent les sources
anciennes ne sont pas toujours fiables, mais démontrent au moins que la tendance à la
croissance des effectifs est bien réelle. Ainsi, les infanteries des royaumes les plus puissants
(Qin, Qi et Chu) sont évaluées à environ 1 million d'hommes, en incluant les troupes de
garnison et celles chargées de travaux et de logistique. Les troupes effectivement mobilisées
en campagne atteignent les 100 000 soldats au début de la période, bien plus à la fin : les
textes anciens font état de 400 000 soldats de Zhao morts à la bataille de Changping[104].
De nombreux traités militaires ont été rédigés au cours de cette période[106]. Le plus célèbre
de nos jours est L'Art de la guerre de Sun Zi[107], l'autre traité militaire majeur de la période qui
nous soit parvenu est celui de Sun Bin, retrouvé dans une tombe en 1972[108]. Ces écrits
mettent en exergue la figure du chef militaire idéal, qui sait préparer ses troupes de façon
optimale, reconnaissant les moments idéaux pour lancer l'offensive décisive. Concrètement,
ces traités abordent divers sujets comme le choix des soldats, les formations de combat, les
différents types d'attaques, l'organisation des défenses, l'espionnage, etc. Le but est
l'efficacité et les plus longs développements concernent la préparation des combats plutôt
que leur déroulement. Les écrits stratégiques ont une dimension spirituelle, car il s'agit avant
tout d'être supérieur en esprit à son adversaire, cette supériorité ne pouvant que se
concrétiser par la victoire. La victoire à coût minimum voire sans combat est considérée
comme l'idéal, suivant le précepte du « non-agir » (wuwei), base de la pensée stratégique
chinoise[109]. Ces écrits relèvent à proprement parler d'un authentique courant de pensée,
l'« école des stratèges » qui use de concepts similaires à ceux des autres écoles de pensée
de l'époque (yin et yang, Cinq phases, dao) et emprunte des idées au légisme ou au
confucianisme.
La réflexion sur la place du fait militaire dans la société ne concerne pas que cette école,
mais aussi d'autres penseurs comme Xunzi, ou les légistes qui recherchent les conditions
favorables à la constitution d'une puissante armée, ou même les moïstes qui par esprit
pacifique réfléchissent sur les techniques de poliorcétique pour défendre les places
assiégées. Des lois militaires et des textes sur la façon d'administrer l'armée et d'organiser
sa discipline existent également[110]. Au fur et à mesure que les conflits deviennent plus
meurtriers et destructeurs, et que les valeurs guerrières d'antan s' évanouissent, et à rebours
de ces évolutions, se développe dans certains de ces discours philosophiques un idéal de
guerre juste, par ses finalités mais aussi par sa mise en œuvre, qui doit faire en sorte d'éviter
les carnages inutiles[111].
Les bouleversements que subissent les pratiques militaires accompagnent les évolutions
des sociétés des Royaumes combattants à cette période. La guerre devient essentielle du
fait du changement d'échelle : non seulement les effectifs mobilisés sont considérables —
les fronts lors des grandes batailles peuvent s'étendre sur des dizaines de kilomètres de long
—, mais, de plus, les campagnes peuvent désormais s'étaler sur plus d'une année et non plus
seulement une saison comme auparavant[112]. Les liens entre construction étatique et guerre
sont discutés : il est souvent reconnu que la guerre est un facteur important dans la
dynamique de bureaucratisation des États de cette période, en premier lieu à Qin, même s'il
convient d'admettre que la relation n'est pas à sens unique et que le renforcement des
souverainetés et des États explique les rivalités et la régularité des conflits, ainsi que le fait
que les guerres deviennent « totales »[113].
Les États doivent en effet renforcer leur organisation et disposer de plus grands moyens
financiers pour assurer l'équipement, l'entretien et la logistique de ces troupes. La conduite
de la guerre devient leur priorité essentielle et mobilise une quantité considérable de leurs
ressources et de leurs énergies ainsi que le travail théorique de leurs penseurs[114]. Les
gouvernants prennent pleinement conscience du fait que la puissance économique — avant
tout la richesse agricole — est essentielle s'ils veulent acquérir la supériorité militaire. Les
problématiques économiques n'en deviennent que plus importantes à leurs yeux[115].
Plus largement, les évolutions militaires accompagnent les recompositions sociales[116].
Elles consacrent la déchéance de l'ancienne noblesse et de ses valeurs rituelles et morales
face aux nécessités de l'efficacité au combat et de la victoire à tout prix. Elles bénéficient
dans une certaine mesure aux paysans qui dépendaient auparavant des nobles et deviennent
les premiers producteurs, contribuables et combattants pour le compte de l'État[117]. Mais
d'un autre côté, le coût humain à payer par ces mêmes paysans pour satisfaire les ambitions
des hommes de pouvoir est très lourd, puisqu'ils deviennent de simples pions sacrifiés dans
des combats souvent très meurtriers, les vaincus étant parfois tous passés au fil de
l'épée[118].
Indépendamment des cercles du pouvoir et des élites, la période des Royaumes combattants
voit des changements importants affecter l'ensemble de l'économie et de la société. Une
partie de ces évolutions est sans doute liée au rôle croissant de la guerre et à la
centralisation étatique. Cela a au moins une incidence sur les nombreux progrès techniques
qui soutiennent la croissance économique et sur les améliorations de la productivité de
l'agriculture et de l'artisanat, sources de revenus pour l'État[119]. Cette période est aussi
marquée par une forte croissance démographique qui a des conséquences aussi bien dans
le monde rural que dans le monde urbain.
Vue d'une partie du système d'irrigation de Dujiangyan dans le bassin du Sichuan, construit au iiie siècle av. J.-C. par
des ingénieurs du Qin et qui a continué à être développé depuis.
La production agricole de la Chine de la période des Zhou orientaux repose avant tout sur les
céréales, dont la répartition géographique se présente en gros comme suit : le bassin du
Fleuve Jaune est une zone de culture du millet, de l'orge et du blé, tandis que plus au sud,
dans le bassin du Yangzi, le riz domine aux côtés du millet[120]. La principale culture
spéculative de l'époque semble être celle du mûrier dans le cadre de l'élevage de vers à
soie[121].
L'agriculture connaît un essor sous l'influence de plusieurs facteurs dans lesquels les
dirigeants des États ont joué un rôle incitatif[115]. La progression des défrichements a permis
l'exploitation de nouvelles terres. D'autres ont été gagnées par le drainage et l'assèchement
de zones humides. Ensuite, plusieurs grands projets d'aménagements hydrauliques
permettent d'étendre les périmètres irrigués. Certains ingénieurs sont passés à la postérité
grâce aux grandes réalisations qu'ils ont mises au point dans le cadre de grands projets
publics : les douze canaux de la région de Ye, près de Handan (Hebei actuel) creusés par
Ximen Bao ; le système d'irrigation de Dujiangyan sur la Min (Sichuan) conçu par Li Bing ; le
canal construit par le fils de ce dernier, Zheng Guo, reliant les rivières Luo et Jing, deux
affluents de la Wei. C'est la région de cette rivière, située dans le royaume de Qin, qui
bénéficie de la plus forte croissance agricole (et donc démographique) avec la région de
Chengdu, dans l'État de Shu puis Qin après sa conquête. En dehors des frontières de Qin, la
région du cours inférieur du Fleuve Jaune possède également une agriculture prospère
(notamment à Wei et à Qi). Mais ces grands aménagements ne sont sans doute pas les
facteurs les plus déterminants de l'essor agricole de la période. Les systèmes d'irrigation
semblent plutôt secondaires, et leur construction et leur fonctionnement peuvent
généralement se réaliser à l'échelle des communautés locales[122].
L'artisanat
Alors que durant les périodes précédentes le commerce concerne avant tout des produits de
luxe destinés aux élites, les échanges portent maintenant de plus en plus sur des produits de
consommation courante : les étoffes, les peaux, le cuir, le bois, le sel, ou même les
céréales[140]. Ceci est dû au développement de l'agriculture et de l'artisanat, ainsi qu'à la
croissance démographique. D'où l'émergence d'une classe marchande de plus en plus riche
qui contribue à enrichir l'État par les taxes qui frappent les marchandises, taxes parfois
prélevées dans des marchés officiels contrôlés par le pouvoir politique. Les membres les
plus puissants de la classe marchande, dirigeant des expéditions commerciales très
importantes, sont aussi plus influents que par le passé, puisque certains d'entre eux
obtiennent des charges importantes dans les cours royales. L'exemple le plus illustre est
celui de Lü Buwei, premier ministre de Qin et régent du royaume pendant la minorité de Ying
Zheng[49]. Comme lui, les marchands ont une influence croissante sur la pensée politique et
scientifique de leur temps, même s'ils ne sont pas toujours bien considérés, notamment par
les confucéens qui affichent souvent un mépris prononcé à l'égard de ceux qui vivent du
commerce. L'essor des échanges et l'usage de plus en plus répandu de la monnaie amènent
de nombreux penseurs de l'époque à développer des théories économiques. Ils élaborent des
concepts rappelant ceux de profit voire de marché prenant en compte les mécanismes de
celui-ci (en particulier dans le Guanzi). Ces réflexions se nourrissent des débats sur
l'intervention de l’État dans les activités économiques, notamment par le biais de la
taxation[141].
Dao, objets en forme de couteau servant de moyen de paiement, provenant du Yan.
La croissance des échanges bénéficie des progrès techniques de la période, par exemple
avec le développement des moyens de transport plus performants au iiie siècle grâce au
perfectionnement de l'attelage et des roues à rayons[142].
Les échanges des royaumes chinois avec les peuples voisins se développent au cours des
ive – iiie siècles[145]. Cela profite avant tout aux États périphériques : Yan qui est en contact
avec la Mandchourie et la Corée ; Zhao et Qin avec les peuples des steppes du nord-ouest et
par là vers l'Asie centrale et même l'Inde ; Chu vers les régions méridionales de la Chine
actuelle. Ces contacts commerciaux vont de pair avec des conflits militaires qui portent en
germe les futures expéditions lointaines des empires Qin et Han[146].
Plans schématiques de Handan (Hebei) et Linzi (Shandong), capitales des royaumes de Zhao et de Qi, exemples de
« villes doubles » de l'époque finale des Royaumes combattants.
Tentative de reconstitution en maquette de la ville de Linzi, capitale du royaume de Qi. Premier plan : espaces
marchands et artisanaux. Au fond : le complexe palatial avec les pavillons sur terrasse.
Parmi les plus vastes cités figurent Handan à Zhao, Ying à Chu avant sa prise par Qin et
surtout Linzi, capitale de Qi, qui passe pour être la plus vaste. Elle aurait compté selon Sima
Qian plus de 70 000 foyers, soit peut-être 350 000 habitants. Les fouilles ont révélé que ses
murailles mesuraient de 28 à 38 mètres de large, prolongées par un large fossé. Elles
s'étendaient sur environ 16 kilomètres de long, enserrant un espace de plus de
1 600 hectares[150].
Les capitales sont traditionnellement dominées par un quartier palatial isolé par des
murailles internes et construit en hauteur sur une plateforme, montrant la prééminence du
pouvoir politique dans le paysage urbain, impression renforcée par l'érection de hautes
portes-tours (que). À partir de ce principe s'est développé un modèle de « ville double », dans
lequel était adjointe à l'ancienne enceinte urbaine une nouvelle abritant généralement le
centre du pouvoir organisé autour du palais, qui se différencie donc du reste de l'espace
urbain. Par exemple, à Linzi le secteur palatial s'étend sur environ 300 hectares regroupant le
palais royal et ses dépendances (dont des ateliers monétaires), tandis que le reste de la ville
recouvre environ 1 300 hectares[151]. Cette organisation est le reflet de la société urbaine qui
s'est alors mise en place, reposant sur une séparation plus nette entre ceux qui exercent des
fonctions politiques et ceux qui exercent des activités artisanales et commerciales, de statut
moins honorable. La partie dominée de la ville est aussi celle où se retrouvaient des gens
plus démunis ainsi que des troupes de brigands, représentant une menace potentielle pour la
partie dominante lors des périodes de tensions[152].
L'intérieur des villes est organisé autour de larges avenues menant aux portes de la ville, d'où
part une nébuleuse de ruelles étroites. Son organisation est mal connue car les fouilles se
sont avant tout concentrées sur les lieux de pouvoir. Quelques zones résidentielles,
commerciales et artisanales, ont néanmoins été mises au jour[151].
Confucius entouré de ses disciples en train d'étudier, selon une vision idéalisée de la période de la dynastie Ming
(1368-1644).
La période des Royaumes combattants est marquée par des personnages ayant obtenu un
grand renom pour leurs réflexions, qui peuvent être qualifiés de « penseurs » ou de
« philosophes »[153]. Les textes chinois leur attribuent le statut de « maître » (zi, zhuzi), dont
les réflexions apparaissent dans des ouvrages synthétisant leur pensée et qui portent en
général leur nom (par exemple le Mozi de « Maître Mo », ou le Xunzi de « Maître Xun »). Sur la
forme, ces textes se présentent en général comme des restitutions de l'enseignement des
maîtres, souvent sous forme de conversations entre celui-ci et d'autres personnes, les
mettant en scène dans le rôle de protagoniste (cas de Confucius, Mencius, Mozi, Zhuangzi),
hommes de discours et non d'écrits puisqu'il est rare qu'un maître soit présenté comme
l'auteur de l'ouvrage censé contenir son enseignement[154]. Les Entretiens de Confucius sont
ainsi une compilation de préceptes et d'anecdotes courtes mettant en scène ce maître,
arrangés en une vingtaine de chapitres sans principe directeur[155]. Une évolution se produit
néanmoins dans les derniers temps de l'époque pré-impériale, avec l'apparition d'exposés
plus construits, le Xunzi et le Han Feizi, dont les chapitres se présentent sous la forme de
traités théoriques abordant des sujets précis, et dont l'essentiel du contenu philosophique
voire de sa mise par écrit peuvent être attribués à un auteur-penseur unique[156].
En fait plus que la pensée des maîtres, c'est celle de ces ouvrages qui est étudiée, vu qu'ils
sont pour la plupart des œuvres composites constituées à partir d'enseignements transmis
oralement, puis couchés par écrit par diverses personnes, et remaniés puis compilés jusqu'à
leur version stabilisée, sans auteur unique même s'ils peuvent effectivement être dominés
par la pensée d'un maître ou d'une école. Les versions connues sont pour la plupart le produit
d'un travail d'édition des lettrés de l'époque Han, en particulier l'équipe de Liu Xiang qui
dirigeait la bibliothèque impériale dans les dernières décennies su ier siècle av. J.-C. (mais le
Zhuangzi est édité plus tard, au début du ive siècle de notre ère). Ces érudits ont procédé à
des sélections, des classements et des compilations, afin d'éliminer parmi le large corpus de
documents sur lamelles de bambou et de bois qui circulait à leur époque ceux qui
revendiquaient refléter l'enseignement de ces maîtres mais dont l'origine et l'attribution leur
paraissaient douteuses[157]. Les travaux de la critique textuelle moderne, permettant de
resituer plus précisément dans le temps l'origine de ces textes et le cas échéant leurs
différentes phases de rédaction et de compilation, indiquent néanmoins que plusieurs d'entre
eux sont constitués en partie et même parfois en totalité de textes trop tardifs pour être
attribuables à l'époque du maître éponyme ou de ses disciples, s'écartant parfois de leur
pensée d'origine[158]. Un des cas extrêmes, le Guanzi, qui tire son nom d'un célèbre ministre
du vie siècle, est composé de chapitres hétéroclites datables du ve au ier siècle, et son
contenu ne doit probablement rien aux enseignements de ce maître[159] ; c'est « un bon
exemple du caractère protéiforme des ouvrages de la Chine ancienne : les chapitres y sont
anonymes et composés sur plusieurs générations ; ceux qui se sont perdus ont été
remplacés, d'autres complétés ; des commentaires ont parfois été interpolés au texte
original » (R. Graziani)[160]. Les biographies des penseurs des Royaumes combattants
rapportées sous les Han (avant tout dans les Mémoires historiques) sont utiles pour mieux
les connaître, quoi qu'elles comprennent dans plusieurs cas des invraisemblances, quand il
ne s'agit pas d'éléments légendaires comme pour Laozi, au point qu'il est autorisé de douter
que ce personnage ait existé[161].
De fait il reste difficile d'apprécier quel était le contenu et la façon dont étaient reçus ces
textes sous leurs premières formes circulant à l'époque des Royaumes combattants, même
si on parvient en général à replacer les idées d'un ouvrage ou du moins d'une partie de celui-
ci dans le contexte philosophique de l'époque pré-impériale et donc à dater assurément leur
origine de cette époque. Les découvertes archéologiques effectuées dans des tombes
anciennes peuvent apporter des éclairages sur les versions qui circulaient effectivement à la
période pré-impériale et l'évolution de la pensée à cette période : plusieurs textes datés de la
fin du ive siècle furent ainsi retrouvés dans un tombeau à Guodian dans le Hubei en 1993,
dont une version du Daodejing de Laozi attestant d'un état précédant celui de sa version
classique, cette dernière étant en revanche attestée parmi les textes trouvés dans une tombe
de Mawangdui, datée du début du iie siècle[162].
La relation des penseurs au pouvoir politique est essentielle dans le développement de leurs
réflexions[163]. Ils proviennent du milieu des gentilshommes lettrés, la catégorie des shi, qui
occupent des fonctions diverses au service du pouvoir : exercice de responsabilités dans
l'administration, célébration de rituels, expertise militaire, conseils politiques, tenue d'archives
et rédaction de textes officiels, etc. Leurs discours sont donc aussi un moyen d'obtenir des
fonctions élevées afin d'accomplir les réformes qu'ils conseillent. Ils bénéficient d'une
relative autonomie dans leurs mouvements : ils peuvent se déplacer de cour en cour, changer
d'allégeance ; l'exception est Zhuangzi qui n'a aucun intérêt pour les affaires politiques et
aurait refusé un poste important proposé par le roi du Chu[164]. De fait les rois et les
puissants politiques cherchent à attirer les lettrés les plus renommés pour bénéficier de leurs
conseils et asseoir leur prestige en se les attachant. Les « Quatre Seigneurs des Royaumes
combattants » entretiennent ainsi une cour de lettrés. Le roi Xuan du Qi, à la fin du ive siècle,
héberge quant à lui les plus grands esprits de son temps dans un pavillon de Linzi. Ce lieu,
propice au développement de débats, devait passer à la postérité sous le nom d'« Académie
Jixia »[165], et jouer un rôle majeur dans le développement de la pensée à cette époque. Plus
tard, le grand ministre Lü Buwei du Qin réunit à la cour les plus grands lettrés de son temps
pour leur faire rédiger les Printemps et Automnes de Lü Buwei ; il a pour ambition de
rassembler tous les savoirs dans cet ouvrage encyclopédique, achevé en 239[166].
Les idées de l'époque des Royaumes combattants sont donc formulées dans un contexte de
libération et d'intensification des débats politiques, dans lesquels les esprits les plus brillants
s'affrontent souvent directement, cherchant à montrer leur prééminence par la qualité de leur
discours et leur argumentation[167]. Le travail des penseurs est donc à finalité politique
d'abord, au service de l'État alors en pleine réorganisation et auquel ils proposent différentes
pistes de réformes politiques et sociales, préparant en quelque sorte l'unification politique en
proposant un idéal de souverain unique gouvernant un pays unifié et centralisé[168]. Ils
souhaitent contribuer au bien-être du peuple par leurs projets, notamment en contribuant à la
pacification de la société, à sa mise en ordre et à son amélioration morale[169]. Du reste toute
la littérature de la période à vocation historique et mythologique (voir plus bas) traduit ce
même arrière-plan politique[170].
La vie et la pensée des maîtres de ce temps reflètent aussi le contexte des rivalités
croissantes entre des royaumes de mieux en mieux organisés, des conflits de plus en plus
violents, du rejet de la tradition ancienne[171]. L'évolution des idées semble suivre celle de la
situation politique et l'histoire de la pensée des Royaumes combattants peut être divisée en
deux périodes. Selon A. Cheng, la première période est caractérisée par une pensée plus
spéculative (Zhuangzi, Mencius, logiciens) alors que la seconde, influencée par le
« durcissement des enjeux politiques » de la seconde moitié du ive siècle et du iiie siècle, est
moins idéaliste, plus tournée vers l'action, plus polémique aussi (Laozi, Xunzi et les
légistes)[172]. On retrouverait plus largement dans la Chine de cette période des tendances
similaires à celles qui se retrouvent dans d'autres régions du monde vers la même période
(Grèce, Inde, Israël), renvoyant au concept d'« Âge axial » développé par K. Jaspers : division
politique entre plusieurs États rivaux, générant une situation très conflictuelle, et mettant fin à
un ordre ancien (ici celui hérité des Zhou de l'Ouest) qui est questionné par les penseurs qui
cherchent à trouver une nouvelle « voie »[173].
Il n'y a pas vraiment de courant de pensée structuré disposant d'une identité forte à l'époque
des Royaumes combattants, hormis à la rigueur ceux des héritiers de Confucius et de Mozi
qui ont une tradition durable de maîtres formant des disciples devenant à leur tour maîtres.
L'époque pré-impériale ignore ce genre de classification : ces courants de pensée devaient
être distingués, classés et nommés par les lettrés de la période de la dynastie Han, à
commencer par Sima Tan (m. v. 110 av. J.-C.) qui distingua six principales « écoles » (jia) :
celles du yin et du yang, des lettrés (confucianistes), des moïstes (disciples de Mozi), des
nominalistes, des légistes et des taoïstes. Par la suite le grand travail de classification et
d'édition conduit par Liu Xiang affina ces regroupements. Cela donna lieu à des choix
masquant dans une certaine mesure la diversité des pensées de l'époque, par exemple celle
de Xun Zi, classé parmi les lettrés alors qu'il est également proche des idées légistes[174].
Les écrits de pensée font souvent référence à des traditions identiques, mêlant un héritage
de littérature ancienne, notamment les ouvrages de la cour royale des Zhou occidentaux
(Livre des documents, Livre des Odes, Livre des Mutations), citant des anecdotes historiques
issues des textes historiographiques et rapportant des faits édifiants et les
accomplissements de personnages antiques pris pour modèles ou contre-modèles[175], ainsi
que divers récits issus du fonds mythologique chinois[176]. Est mobilisé un ensemble de
concepts sinon identiques du moins proches, bien qu'un même terme puisse avoir un sens
différent selon l'auteur, ce qui les rend difficilement traduisibles[177] : li (« rite »), de (« vertu »),
dao (habituellement traduit par « voie »), qi (une sorte de « souffle »), ren (« humain » ou
« sens de l'humain »), yi (« juste » ou « sens du juste »), les idées de mutations et de rythmes
cycliques (avec notamment les concepts de yin et yang), etc., se retrouvent ainsi chez divers
auteurs.
Bien que les idées circulent entre les royaumes en même temps que les hommes qui les
formulent, certaines pensées semblent avoir été liées à un contexte géographique déterminé,
car les différences culturelles de la Chine des Royaumes combattants affleurent dans les
textes et certaines tendances semblent avoir une assise régionale bien précise (parce que le
maître en est originaire ou que c'est là que les études se développent). Les confucianistes
proviennent du Lu natal de Confucius et nombre de ses disciples, où la pensée ritualiste
conserve un ancrage fort ; ils ont une grande influence dans la Plaine centrale (à Wei et Qi).
Le légisme est plus représentatif des trois Jin et surtout de Qin. Les théories naturalistes,
voire occultes, notamment l'« école du yin et du yang », sont bien développées à Qi
(notamment autour de l'académie Jixia) et Yan. La pensée de Zhuangzi et du futur taoïsme
est manifestement marquée par les traditions de Chu où la réflexion sur la nature prend aussi
beaucoup de place[178].
C'est donc dans cette effervescence que naissent de nombreux courants de pensée, justifiant
l'expression des « Cent écoles » des Royaumes combattants qui fut formulée par la suite. Il
s'agit maintenant de voir quels sont les plus marquants, sans revenir sur ceux déjà évoqués
(l'« école des stratèges » et l'« école de la diplomatie »). Les limites entre toutes ces
mouvances ne sont pas nettes et leur catégorisation, entamée par les lettrés de la dynastie
Han, bien qu'utile, masque dans une certaine mesure leur diversité.
Le premier courant à mettre en avant est l'école de Confucius, amenée à jouer un rôle capital
dans l'histoire chinoise, où elle est souvent présentée comme l'« école des lettrés » (rujia).
Elle trouve son origine dans les enseignements de Confucius (version latinisée de Kong zi,
« maître Kong »), qui a vécu à la fin des Printemps et Automnes (551-479 selon la
tradition)[179]. Il n'a jamais écrit d'ouvrage qui aurait synthétisé sa pensée, même s'il passe
pour avoir remanié plusieurs des ouvrages « classiques ». Ce sont ses successeurs qui se
sont chargés de mettre en forme son enseignement, notamment dans le Lunyu (Entretiens de
Confucius), collection de préceptes et d'anecdotes qui a pris sa forme définitive au plus tard à
l'époque Han[180]. La pensée de Confucius se veut un retour à l'ordre ancien, à la tradition qu'il
voit se dégrader avec la déliquescence des cadres politiques traditionnels. L'homme est au
centre de sa philosophie et, pour lui, la société n'atteindra son harmonie que par l'étude, le
rétablissement et le respect des rites, la rectification des noms. Cela permettra de créer des
gens moralement irréprochables, compétents, qui mériteront d'occuper les charges
importantes dans les royaumes à la place des élites héréditaires.
L'enseignement de Confucius a connu le succès après sa mort, il a été repris par ses
disciples, notamment Zengzi qui a rédigé la Grande Étude (Daxue), ou encore Zi Si (petit-fils
de Confucius) a qui est attribué l'Invariable Milieu (Zhong Yong). Plusieurs textes retrouvés
dans une tombe de Guodian (Hubei) semblent relever de ses enseignements[182], qui ont
influencé ceux de son disciple Mencius (Mengzi, 380-289), l'un des penseurs majeurs du
confucianisme, en portant la réflexion sur la qualité des hommes, le sens de la droiture et la
sagesse. Mencius croit profondément en la bonté naturelle de l'homme, dont il faut éviter la
corruption en l'éduquant correctement afin que la société se développe harmonieusement. Si
un gouvernant se montre indigne moralement, le peuple a le droit de le destituer, car il a
perdu le Mandat du Ciel[183]. Le deuxième penseur majeur du confucianisme des Royaumes
combattants est Xunzi (310-230), qui peut être considéré comme le pendant pessimiste de
Mencius[184]. Rédacteur du premier ouvrage à ne pas être présenté sous la forme d'une
discussion ou d'aphorismes mais exprimant directement ses idées, Xunzi pense que la
nature humaine est mauvaise et propose de l'améliorer par l'éducation et les rites suivant la
tradition confucéenne, mais aussi par la loi, idée d'inspiration légiste. Les écrits de Xunzi ont
été particulièrement influents dans l'affirmation du confucianisme des premiers empires
chinois, tandis que ceux de Mencius ont été repris par la tradition néo-confucéenne qui l'a
emporté sous la dynastie Song. Intégrés dans les textes canoniques, ils contribuent par là à
la prééminence de ce courant de pensée dans le monde chinois.
Mozi (460-400), vivant peu après Confucius et opposé à la pensée de ce dernier, est à
l'origine du courant moïste, qui est particulièrement influent durant la période pré-impériale
mais disparaît ensuite[185]. D'origine modeste, apparemment issu d'un milieu d'artisans, il
dénonce les inégalités sociales, pense que l'être humain est par nature égoïste, doit être en
conséquence discipliné et moralisé à travers des pratiques ascétiques dans une organisation
sociale autoritaire valorisant l'altruisme (et non par les rites). Mozi pense que le Ciel surveille
les humains en permanence, envoie des démons les châtier s'ils agissent mal. À sa suite, ses
disciples forment un mouvement organisé en groupes vivant dans la frugalité et
l'égalitarisme, professant le pacifisme, passés experts dans l'art de la poliorcétique pour
défendre les cités injustement attaquées. Certains moïstes s'illustrent également dans le
domaine de la logique.
L'« école des formes et des noms » (ses penseurs sont considérés tantôt comme des
« sophistes », tantôt comme des « logiciens ») s'affirme dans les écrits moïstes et aussi dans
ceux de Hui Shi (380-305) et Gongsun Long (333-250). Elle propose une méditation sur le
langage, les noms et l'art du discours en général qui, une fois suffisamment maîtrisé,
permettrait de bien diriger la politique[186]. Le langage est important parce qu'il permet
d'édicter des normes, de convaincre et pas seulement de désigner les choses de façon vraie
ou fausse. Le Gongsun Longzi reste célèbre pour la vigueur de ses raisonnements ainsi que
les paradoxes qu'il formule (« cheval blanc n'est pas cheval »). Ce courant, important durant
les Royaumes combattants, n'a cependant pas de postérité.
Le légisme
L'« école des lois », ou légisme, représente le courant de pensée le plus orienté pratiquement
et théoriquement vers la réflexion politique[188]. Il est le seul à compter parmi ses
représentants les plus fameux des ministres importants, tels que Li Kui, Shen Buhai ou Shang
Yang[189]. L'œuvre considérée comme fondatrice du légisme par les penseurs qui s'en
réclament, le Guanzi, est attribuée à Guan Zhong, célèbre ministre du Qi durant la période des
Printemps et Automnes, bien qu'elle soit vraisemblablement le résultat d'une compilation
beaucoup plus tardive de sources diverses datant de la période des Royaumes
combattants[159]. Quant à l'œuvre maîtresse de ce courant, elle a été rédigée par Han Feizi,
issu de la noblesse du Han et disciple de Xunzi ayant adopté certaines conceptions proches
du taoïsme[190]. Les légistes partent d’une analyse de la société telle qu'elle est et proposent
la manière la plus efficace de la gouverner par un renforcement des institutions politiques qui
doivent s'imposer à toute la société. L'instrument essentiel en est la « loi » (fa), qui doit
s'appliquer à tous sans distinction, pour permettre à l’ordre de régner et au royaume de
gagner en puissance. Le système s'appuie sur des méthodes autoritaires, notamment la
crainte inspirée par les peines infligées aux personnes ne respectant pas la loi et sur les
récompenses escomptées par ceux qui agissent de leur mieux pour le compte de l'État. Le
légisme est souvent lié à l'ascension du royaume du Qin et à la fondation de l'empire, cet État
ayant eu pour premiers ministres deux représentants majeurs de ce courant, Shang Yang et
Li Si (un autre disciple de Xunzi).
Fortifier les os
F i t l li ' t i f i
Faire en sorte que les malins n'osent rien faire
Deux penseurs majeurs de la période des Royaumes combattants ont été ultérieurement
rattachés au courant ensuite qualifié de « taoïsme », ou « école du dao », cela à partir de la
dynastie Han, quoi qu'ils ne forment pas à proprement parler une école de pensée à l'époque
pré-impériale. Ces penseurs n'ont pas le monopole du concept de dao (« voie »), même s'ils
lui accordent une place et un sens particulier qui les rapproche. Il s'agit de Laozi et de
Zhuangzi. Bien que la tradition veuille que le premier ait vécu avant le second, il se pourrait
que le Zhuangzi ait été rédigé avant le Laozi, au ive siècle[192]. Cet ouvrage, reconnu pour ses
grandes qualités littéraires, se divise en chapitres « internes » attribués à « Maître Zhuang » et
en chapitres « externes » et « mixtes » sans doute remaniés ou rédigés par d'autres. Penseur
couramment considéré comme anticonformiste, prônant un affranchissement des normes et
des limites en général, il privilégie la spontanéité et le rapport des humains avec la nature, se
détachant de la société pour faire corps avec le dao, la « voie » naturelle des choses. Le Laozi
ou Daodejing (« Livre de la voie et de la vertu »)[193] est une succession de poèmes qui font du
dao un principe cosmique supérieur à l'origine de l'Univers et auquel retournent toutes
choses. Y est préconisé le « non-agir » (wuwei), l'action sans intention, vue comme la
meilleure manière de gouverner la société en évitant de contrarier le dao. Avec le Laozi et le
Zhuangzi comme textes fondateurs intégrés dans un même courant de pensée, le taoïsme
devient progressivement une religion durant les premiers siècles de l'époque impériale, après
avoir intégré d'autres éléments religieux et cosmologiques (notamment ceux de l'école du yin
et du yang, et diverses pratiques magiques). Un autre grand texte de la tradition taoïste
postérieure, le Liezi, est attribué à un personnage qui aurait vécu vers la fin du
ve siècle av. J.-C. Néanmoins dans sa version classique cette œuvre composite est
manifestement surtout constituée de textes d'époques plus tardives, plusieurs étant repris
d'autres œuvres, aussi il est en général écarté des études sur la pensée des Royaumes
combattants[194].
Courants cosmologistes
La pensée de Laozi et surtout celle de Zhuangzi sont significatives du succès des tendances
naturalistes et cosmologistes qui s'imposent à la fin de la période des Royaumes
combattants[195]. Leurs principes dominent manifestement d'autres œuvres contemporaines
importantes comme le Guanzi, ouvrage abordant une grande variété de sujets, rédigé dans
les cercles de l'académie Jixia où l'on sent en particulier l'influence de Zou Yan, représentant
de l'« école du yin et du yang », mais aussi une approche renvoyant au courant Huanglao de
l'époque Han[196]. Les Printemps et Automnes de Lü Buwei[166], d'où ressortent probablement
les idées de Yang Zhu, sont également une source majeure sur ces courants cosmologistes.
Ces courants de pensée reposent sur plusieurs concepts censés expliquer l'organisation du
cosmos que l'on retrouve couramment à cette époque dans la pensée et la religion : le qi,
énergie vitale traversant tout l'univers et les êtres vivants, le yin et le yang (principe de deux
forces contraires liées et interdépendantes), les Cinq Phases. Toutes les parties de l'univers
sont conçues comme se modifiant sans cesse, se recomposant en de nouvelles positions
qu'il faut chercher à connaître voire à influencer (voir plus bas). Sur cette base, les penseurs
naturalistes et cosmologistes élaborent des réflexions ésotériques et des systèmes en vue
tant d'expliquer l'univers que d'en tirer des interprétations politiques concluantes. Ils
s'appuient aussi sur la divination traditionnelle qui est réinterprétée, avant tout celle du Livre
des mutations (Yijing)[197]. Certaines de ces réflexions se retrouvent plus tard dans le taoïsme
religieux.
Bien que soit souvent mis en avant le rôle crucial de la période des Royaumes combattants
dans le domaine de la pensée, cette époque voit plus largement une diversification des
usages de l'écriture que l'on retrouve dans toute la production littérature. Bien que des
incertitudes pèsent sur la datation de la plupart des textes attribués à l'époque pré-impériale
qui ont en général une histoire complexe et ont pour beaucoup fait l'objet d'un travail d'édition
sous la dynastie Han, les textes retrouvés dans les tombes de cette période ou le début de la
suivante, rédigés sur des supports en bronze, bois ou bambou, témoignent d'une évidente
diversité : inventaires d'offrandes pour les funérailles, rituels de divination, traités de
stratégie, de médecine, de mathématique, textes juridiques, chroniques, etc.[198]. Si les lettrés
rédigent et utilisent des ouvrages inspirés directement de ceux des périodes anciennes,
avant tout dans le domaine de l'histoire et des rituels, ils produisent aussi des textes neufs
(commentaires, récits, ouvrages lexicographiques), qui attestent d'une grande créativité.
Cette diversification des textes ne rend pas facile leur classification : souvent le même
ouvrage peut rentrer dans des catégories diverses, notamment quand il s'agit d'ouvrages
composites contenant des textes de natures très différentes, ou bien de commentaires qui
peuvent être rattachés à des courants de pensée. Les visées politiques sont en effet sous-
jacentes à une bonne partie de la production littéraire.
Textes historiques
La catégorie des textes historiographiques est apparemment l'une des plus populaires dans
les cercles lettrés des Royaumes combattants[199]. Parmi ce genre, se trouvent les écrits des
scribes des cours royales, qui rédigent des annales, sur le modèle des Annales des Printemps
et Automnes qui est en fait un texte annalistique du pays de Lu. Il semble que chaque cour
importante ait eu ses propres annales, mais la grande majorité de celles-ci a disparu. Les
annales du royaume de Wei ont été retrouvées dans une tombe en 279 apr. J.-C. écrites sur
du bambou, d'où leur surnom d'« Annales de Bambou » (Zhushu Jinian)[3]. Celles de Qin ont
été reprises pour fournir la base des Mémoires historiques (Shiji) de Sima Qian sous les
Han[2]. Il s'agit de textes rapportant en termes brefs des événements année par année dans
l'ordre chronologique.
Le Commentaire de Zuo (Zuo Zhuan), est un ouvrage à l'histoire débattue, désormais plutôt
considéré comme datant de l'époque pré-impériale, qui fut sous la dynastie Han considéré
comme un commentaire des Annales des Printemps et Automnes car il recouvre en gros la
même période, mais a un contenu plus vivant s'appuyant sur des récits et discours
remarquablement écrits, ayant servi de modèle pour les Mémoires historiques de Sima
Qian[200],[201]. Ce texte n'a pas simplement pour but de rapporter des faits anciens, mais a
avant tout une visée moralisatrice, les cas décrits ayant un rôle exemplaire[202]. Les Adages
des Royaumes (Guo Yu) sont l'autre grand ouvrage historique daté des Royaumes
combattants, constitué de discours et également à finalité morale, reflétant sans doute un
idéal confucéen[203],[204]. Autre traité politique (et aussi militaire) reposant sur des exemples
historiques daté de cette période : les Restes des documents des Zhou (Yi Zhou shu)[205].
Dans un style voisin, des compilations de textes relatifs à des stratagèmes politiques
provenant de l'histoire des Royaumes combattants et relevant de l'école de la diplomatie
circulaient sous la forme d'anecdotes ou récits édifiants, de correspondance, de dialogues ou
d'exposés d'arguments plus théoriques ; certains ont été retrouvés dans des tombes de
Mawangdui ou ont servi de base à la rédaction des Stratagèmes des Royaumes combattants
(Zhanguoce) sous les Han occidentaux[206]. Les textes des penseurs faisaient du reste
couramment usage d'anecdotes historiques pour illustrer leurs propos[175].
Parmi d'autres textes visant à décrire le passé pour servir d'exemple aux générations
actuelles et futures, il convient de mentionner les Rites de Zhou (Zhouli ou Zhouguan),
description idéalisée de l'administration des Zhou occidentaux et des tâches exécutées par
ceux qui en sont membres (en particulier les rituels). Il daterait de la période des Royaumes
combattants même si par la suite la tradition chinoise qui l'a élevé au rang de classique en a
fait un document issu de la cour des premiers rois Zhou[207].
Les textes rituels faisaient également partie du corpus de textes de cette période, comme le
célèbre Livre des Mutations (ou Mutations des Zhou, Zhou Yi), ouvrage divinatoire dont les
origines remontent à la fin de la période des Zhou de l'Ouest et qui fait alors l'objet d'une
réinterprétation suivant les nouvelles conceptions religieuses[208]. Certains textes rituels
perdus ont été repris sous les Han dans les Rites et Cérémonies (Yili), un autre « classique »
qui a été attribué aux Zhou[209]. D'autres textes techniques, pour d'autres formes de divination
(astrologie, hémérologie) ou la médecine/exorcisme, devaient exister mais ne sont connus
avec certitude que pour les débuts de l'époque impériale (voir plus bas). Le Classique interne
de l'empereur Jaune (Huangdi Nei Jing), ouvrage fondamental de la médecine chinoise
traditionnelle, est vraisemblablement daté de la période des Han antérieurs et non pas de
celle des Royaumes combattants comme on l'a longtemps pensé[210].
Poésie
Certains textes recueillent une littérature orale dont la majeure partie est irrémédiablement
perdue. Ils ne sont pas nombreux mais témoignent du développement de plusieurs genres
littéraires majeurs des périodes postérieures. Ainsi, le long Livre des monts et des mers
(Shanhaijing), dont les premières parties au moins remontent à l'époque pré-impériale, est
une sorte de description de la géographie de la Chine antique sous un angle mythologique,
rapportant des récits merveilleux et des rituels liés aux lieux décrits à côté d'informations
plus terre-à-terre (distances, aspects, faune, flore)[212]. La Chronique du Fils du Ciel Mu (Mu
Tianzi Zhuan) racontant les exploits du roi Mu des Zhou, retrouvé en 281 de notre ère dans
une tombe et rédigé (au moins pour sa majeure partie) vers le milieu du ive siècle, peut être
considérée comme le premier roman chinois connu[213].
Ces textes illustrent l'existence d'un folklore chinois : une géographie mythique qui apparaît
alors (notamment dans les contrées occidentales comme les monts Kunlun) et l'histoire de
héros civilisateurs servant de modèles politiques (comme l'Empereur jaune et Yu le Grand),
qui sont souvent présents dans toutes les œuvres littéraires, notamment les textes
philosophiques et religieux, sans pour autant que la littérature mythologique ne jouisse d'une
popularité égale à celle de nature historiographique[176],[170].
Lexicographie
Le fait religieux dans la Chine ancienne tourne autour des relations entre les humains et le
monde des esprits (shen). Ces croyances s'expriment à travers divers rites de contact, les
plus importants étant traditionnellement le sacrifice accompagné de chants, de musiques, de
danses et la divination[215]. La période des Royaumes combattants voit s'affirmer diverses
évolutions profondes de la religiosité chinoise, qui s'articulent autour d'une nouvelle
perception de l'univers, de ses mécanismes, des rituels et autres usages suivis par les
humains en accord avec le cosmos. S'élabore alors ce qu'on peut caractériser comme un
système de « philosophie de la nature » dont les principes, d'une part, influencent des
pratiques qui seraient caractérisées comme « religieuses » d'un point de vue contemporain,
et d'autre part, commandent l'évolution de disciplines qui seraient vues comme
« scientifiques », telle la médecine[216]. En réalité, c'est tout un système disposant de sa
rationalité propre et qui, embrassant des domaines aussi variés que la divination,
l'hémérologie, l'astrologie, l'exorcisme, la médecine, etc., joue un rôle crucial dans le
développement des sciences chinoises, entendues ici dans un sens large[217].
Certains textes nous informant sur la religion des Royaumes combattants ont été par la suite
modifiés suivant des conceptions qui ont pu différer de celles de leurs premiers rédacteurs.
C'est particulièrement vrai pour les ouvrages canoniques des rituels des Zhou : remaniés par
les lettrés confucéens, ils ont été marqués par leur esprit profondément ritualiste qui est
pourtant loin d'être partagé par toutes les écoles de pensée pré-impériales. Mais le domaine
de la religion et de la philosophie naturelle est peut-être celui qui a le plus bénéficié des
récentes découvertes de textes et œuvres d'art dans les tombes antiques. Des textes
astrologiques, hémérologiques et médicaux, mettant en lumière des pratiques jusqu'alors
mal connues, ont permis d'approfondir nos connaissances relatives à ces sciences. C'est
notamment le cas de ceux exhumés à Shihuidi dans le Hubei et à Mawangdui dans le Hunan,
datés des débuts de la période impériale et donc proches de celle des Royaumes
combattants. Si les écrits techniques se sont considérablement développés sous les
Royaumes combattants, c'est à l'instigation non seulement des spécialistes de ces
différentes disciplines — scribes, spécialistes des rituels, devins, astrologues, « physiciens »
(médecins), chamans/sorciers — mais aussi des élites nobles et administratives comme en
témoigne la découverte de ces textes dans leurs tombes[218].
Les « divinités » des anciens Chinois, plutôt désignées comme étant des « esprits » (shen)
sont un ensemble hétéroclite peuplant toutes les parties de l'Univers[219]. Ils se trouvent un
peu partout sur la Terre : les cours d'eau, les montagnes, les points cardinaux, le sol, le grain,
les animaux, etc. ont un aspect sacré qui entraîne leur vénération sous les traits d'un esprit.
Les humains aussi pouvaient devenir des esprits à leur mort : c'est le cas des rois ou des
ministres sages ayant vécu dans un passé légendaire, comme Shennong le divin laboureur,
Huangdi l'Empereur jaune, ou encore Yu le Grand qui a permis la maîtrise des crues des
fleuves, considérés comme des modèles de sages et de dirigeants d'États en fonction des
préoccupations des lettrés de l'époque[176]. L'autre grande catégorie d'esprits humains
vénérés dans la Chine antique, ce sont les ancêtres familiaux qui, après leur mort, continuent
d'être associés aux destinées de leur famille, les conceptions religieuses chinoises ne
dressant pas de barrière infranchissable entre les vivants et les morts. La vénération des
fondateurs du lignage et des quatre ascendants du chef de famille actuel, qui dirige ce culte
en présence du reste de la famille, est au centre de ces conceptions religieuses. Enfin, le ciel
est également habité par une foule d'esprits, notamment les astres et on y trouve la
principale divinité de la Chine de la période des Zhou, le « Ciel » (Tian), ou « Seigneur du
Ciel », Tiandi.
Lamelles de bambous retrouvées à Guodian (Hubei) portant le texte cosmogonique « Le Grand Un (Tai Yi) donne
naissance à l'eau », v. 300 av. J.-C., musée provincial du Hubei.
Depuis l'époque des Shang et des Zhou, le culte des ancêtres est de loin le plus attesté par
les sources et semble primer chez les souverains et les élites. Il s'agit d'un moyen d'affirmer
la cohésion et le prestige des lignages — qui sont socialement centraux — autour de leurs
fondateurs. Mais les recompositions politiques et sociales à l'œuvre tout au long de la
période des Zhou de l'Est mettent cette centralité en question. Tout d'abord, la primauté des
ancêtres de la maison Zhou sur ceux des autres lignages est rejetée de la même manière que
leur autorité politique : les nouveaux lignages royaux mettent en place un culte des ancêtres
autonome magnifiant leurs propres ancêtres, quitte à élaborer une généalogie faisant
remonter le lignage à un ancêtre légendaire prestigieux choisi parmi les « sages » anciens ou
même les esprits de la nature. Les rois de Chu se disent ainsi descendants de Yi Yin, ministre
du fondateur de la dynastie Shang et même du « Grand Un » (Tai Yi), divinité céleste
suprême[220], qui apparaît par ailleurs dans un texte aux accents taoïsants retrouvé dans la
tombe de Guodian, qui en fait une divinité participant à la création du monde[221].
L'essor des États territoriaux et de leurs politiques de conquêtes incite aussi les royaumes à
mettre l'accent sur les cultes locaux aux divinités de la nature, en particulier ceux célébrés
aux autels dédiés au Sol. En pratiquant ces cultes, ils se relient symboliquement aux
territoires qu'ils ont soumis et même à leurs populations dont ces rituels impliquent la
participation[56]. Plus largement, la disparition de l'ancienne aristocratie au profit de nouveaux
lignages dédiés au service de l'État, qui ont plus intérêt à mettre en avant leurs mérites que
leurs ancêtres peu prestigieux, a dû jouer un rôle dans la perte de primauté du culte des
ancêtres. Celui-ci reste un élément important du culte, car les esprits des aïeux conservent
une place dans la religion, mais dans un cadre privé[220].
Ce n'est donc pas tant la composition du monde des esprits que son organisation qui connaît
de grands changements. La période des Royaumes combattants voit en effet l'élaboration
progressive d'une cosmologie spécifique, souvent qualifiée de « corrélative », qui apparaît
notamment dans les textes astrologiques et les calendriers de cette période ainsi que chez
les penseurs, en particulier ceux élaborant des théories naturalistes souvent très prisées
(comme l'école du yin et du yang) qui tentent de lui donner une cohérence (elle est formulée
clairement pour la première fois dans les Printemps et Automnes de Lü Buwei)[223],[195]. Les
phénomènes naturels et surnaturels sont désormais vus comme tous liés les uns aux autres
dans une cosmologie corrélative où tout est synchronisé, où ce qui s'observe dans le ciel et le
monde invisible des esprits renvoie à des événements dans le monde visible des humains.
C'est dans le cadre d'un univers perçu comme en perpétuel mouvement que se développent
et se redéfinissent sur le long terme plusieurs conceptions. La plus importante est sans
doute celle de qi, le « souffle » qui parcourt l'univers reliant les différents êtres entre eux, tout
en étant de plus en plus considéré comme déterminant pour la santé des individus. Il s'agit
donc d'une énergie animant les différentes parties des êtres vivants et qui les relie au reste
du cosmos[224].
Le Ciel devient une divinité totalisante autour de laquelle s'organisent des milliers d'esprits et,
vers la fin de la période pré-impériale, cette figure donne naissance au « Grand Un » (Tai Yi),
divinité astrale symbolisant le pôle céleste au centre du cosmos[225]. Les esprits ancestraux
ne sont dès lors plus vus que comme de simples intercesseurs, alors qu'ils avaient une
position centrale dans la destinée des humains aux périodes précédentes[226].
Il en résulte une redéfinition de l'univers qui fait évoluer la manière de percevoir l'espace et le
temps, les pratiques rituelles, la divination, mais aussi l'hygiène. Elle renvoie évidemment à
l'évolution politique de la période : de la même manière que le monde des esprits s'organise
autour d'une figure centrale unificatrice, le monde des humains doit s'organiser autour d'un
seul maître unificateur qui s'accorde avec l'ordre cosmique et le fait respecter[58]. À la fin des
Royaumes combattants et au début de l'époque impériale, cette vision aboutit à une synthèse
entre les idées confucianistes, légistes et taoïstes pour constituer un système de pensée
« absolutiste et unifié » (J. Lévi) centré sur l'État et l'empereur, « Fils du Ciel »[227].
Les rituels
Bouteille hu servant lors des rituels pour les offrandes de boissons fermentées, bronze avec décor incrusté curviligne
et animalier en cuivre rouge. Musée Cernuschi.
Le contact entre les humains et les esprits se noue d'abord grâce à divers rituels (li) décrits
dans différents ouvrages supposés issus de la cour des Zhou et d'autres royaumes de la
Plaine centrale (même si en fait seule une partie d'entre eux le sont réellement). Ceux qui
concernent les Rites de Zhou datent de la période des Royaumes combattants et sont
particulièrement instructifs sur les pratiques de cette époque. Ainsi, ils établissent une
typologie des rituels : les plus importants, qui servent de modèles aux autres, sont les « rites
fastes » (jili), à savoir les sacrifices ; viennent ensuite les « rites sinistres » (xiongli), rituels
funéraires du culte des ancêtres, puis les « rites de réception » (binli), à savoir les protocoles
des audiences et réceptions de visiteurs, les « rites militaires » (junli) pour tout ce qui
concerne ce qui se fait les armes à la main, soit la guerre, la chasse ou encore les concours
de tir à l'arc très importants dans l'idéal rituel. Il y a enfin les « rites joyeux » (jiali) pour les
événements heureux de la vie de famille (naissance, majorité, mariage, etc.)[228].
Ces rituels se pratiquent en de nombreuses occasions et dans différents lieux : en plein air
sur des autels dédiés aux esprits de la nature (le dieu du Sol en particulier), dans des temples
ou des résidences pour les ancêtres. Ils prennent différentes formes : sacrifices souvent
accompagnés de musiques et de chants, exorcismes. L'essentiel pour les personnes est de
déterminer l'esprit avec lequel on doit entrer en contact et quel rituel choisir, ainsi que le
moment opportun pour l'exécuter : il doit être correctement conduit en vue de l'harmonie
entre les hommes et le cosmos[229]. L'idéal ritualiste est notamment très présent dans les
réflexions des lettrés confucéens pour lesquels la transformation des rites d'actes
formalistes en attitudes spontanées permet de rendre les êtres humains meilleurs et de les
moraliser[230].
Si les personnes conduisant les rituels décrits ci-dessus ne peuvent pas vraiment être
considérées comme des « prêtres », parce que leur responsabilité religieuse découle souvent
d'une position sociale ou administrative spécifique, il existe malgré tout de véritables
spécialistes des rituels religieux : les « chamans » (wu). Ils sont surtout connus pour le Chu
où ils semblent avoir eu une grande importance. Certains passages des Chants de Chu,
notamment les Neuf Chants, évoquent ces spécialistes des rituels, hommes ou femmes,
entrant en contact avec les esprits par des transes s'exprimant par des chants et des
danses : leur tâche était d'accomplir des exorcismes, de guérir des malades, de faire tomber
la pluie ou encore d'entrer en contact avec les défunts. Les rituels magiques et chamaniques
de la Chine ancienne apparaissent également dans des textes issus des élites ayant des
affinités avec ces rituels plutôt populaires. Ces pratiques sont très durement critiquées par
les courants de pensée qui dominent la période des Royaumes combattants. Ils les jugent
inefficaces et ridicules. On peut cependant supposer qu'elles reflètent une religion populaire
qui ne partage pas les préoccupations des élites lettrées[231].
La compréhension de l'univers, la bonne observation des rites et même de tous les actes de
la vie passent par différentes pratiques, en premier lieu celles qui permettent de constituer
une sorte de grille de lecture du cosmos, à savoir l'art de la réalisation et de l'interprétation
des calendriers, ou hémérologie, et l'art de l'interprétation des mouvements des astres ou
astrologie.
Ces deux disciplines ont en commun le fait que leurs spécialistes observent l'évolution de
l'espace et du temps pour y déceler l'organisation de l'univers et leurs évolutions à partir de
calculs complexes. L'observation des astres (et des phénomènes météorologiques au sens
large) est considérée comme importante pour déceler ce que peuvent être les évolutions de
l'univers, d'autant plus que les astres sont assimilés à des esprits : tout ce qui se passe dans
le ciel est relié à ce qui se passe sur terre. Plusieurs représentations de la structure du ciel
ont été trouvées dans des tombes, notamment des planches cosmiques (shi) servant pour
les calculs astrologiques et hémérologiques. Dans le courant du ive siècle, apparaît la
conception selon laquelle la voûte céleste est divisée en 28 « loges » ou « étapes » (xiu)
stellaires identifiées par les étoiles qu'on y trouve et qui ont un esprit tutélaire (comme les
constellations) ; la Lune passe dans chacune d'elles une nuit durant son cycle. Les
spécialistes d'astrologie et d'hémérologie observent alors les mouvements des astres pour
les interpréter en fonction de leur position dans le ciel à un moment précis ; les phénomènes
sortant de l'ordinaire (comètes, conjonctions des trajectoires de planètes habituellement
éloignées, etc.) sont les plus importants à étudier, car ils sont susceptibles d'annoncer des
événements majeurs[232].
Après ces observations et interprétations, sont élaborés des almanachs (rishu, « livres
journaliers ») présentant les jours fastes et les jours néfastes suivant les activités souhaitées,
notamment celles liées au culte. Il convient en effet de bien ordonner son temps, pour ne pas
bouleverser la bonne marche de l'univers. Certains exemplaires de ces almanachs ont été
retrouvés dans des tombes, le plus ancien étant celui écrit sur soie mis au jour dans une
tombe de Zidanku près de Changsha (une nouvelle fois à Chu). La présence d'un tel ouvrage
dans la dernière demeure d'un personnage de rang social élevé indique que les élites sont
très à l'écoute des astrologues et hémérologues[232].
La divination
D'autres pratiques divinatoires permettent d'établir un contact avec le monde des esprits et
servent à connaître l'opportunité d'un rituel ou d'une action et décision quelconques[233].
La forme traditionnelle de divination héritée des premières dynasties est la divination par les
écailles de tortue, chéloniomancie. Il s'agissait d'exposer une carapace de tortue à une
flamme provoquant les craquelures de ses écailles. Les formes de celles-ci étaient ensuite
interprétées en vue de répondre à une question posée au préalable aux esprits. Cette forme
traditionnelle de divination demeure importante, mais n'accompagne pas les évolutions de la
pensée cosmologique à la différence de l'autre forme majeure de divination, celle qui utilise
des bâtonnets d'achillée millefeuille, l'achilléomancie, documentée par le Livre des Mutations
(Yijing), dans sa forme ancienne les Mutations des Zhou (Zhouyi), manuel divinatoire qui a
aussi des aspects cosmologique et moral, développés notamment dans ses commentaires
qui commencent à être élaborés durant l'époque des Royaumes combattants et se fixent
sous les Han antérieurs. Le principe des mutations est progressivement associé à ceux du
yin et du yang et des Cinq Phases qui se stabilisent à l'époque impériale. La procédure
divinatoire, qui est explicitée par un passage du Yijing remontant au plus tard à l'époque des
Han, consiste dans ce cas à jeter des tiges d'achillée, dont la disposition est ensuite
observée afin de constituer après plusieurs jets des hexagrammes constitués de lignes
pleines (yang) ou brisées (yin) qu'il faut ensuite interpréter à l'aide du manuel divinatoire. À la
différence de la divination par les écailles de tortue qui donne une réponse sur la structure du
réel, celle par l'achillée donne une réponse sur les évolutions de cette structure, en observant
les mutations des hexagrammes au fil de jets successifs[197],[234].
Les pratiques divinatoires font cependant de plus en plus l'objet de critiques dans divers
textes de la période des Zhou de l'Est, qui se montrent sceptiques quant à l'utilité de solliciter
l'avis des esprits dans la conduite des affaires humaines. C'est aussi bien le cas de Sun Zi qui
rejette l'idée du recours aux esprits pour les décisions militaires, préférant s'en remettre au
renseignement humain, que Han Fei Zi pour les affaires gouvernementales, critiques que fait
aussi le Commentaire de Zuo dans lequel les devins sont tournés en dérision à plusieurs
reprises[235].
Un des manuscrits médicaux retrouvés à Mawangdui, début de la période des Han antérieurs (première moitié du
iie siècle), témoignant des pratiques médicales du iiie siècle et donc de la fin des Royaumes combattants.
Les remèdes de cette période mêlent exorcismes et magie, potions et autres pharmacopées.
Ces pratiques magico-médicales traditionnelles reposent sur l'idée que la maladie est causée
par des agents pathogènes, qui peuvent être des esprits malveillants. Elles sont combattues
par de nouveaux courants, qui se construisent autour d'une vision physiologique de la
maladie reposant sur le concept de qi. Suivant la cosmologie dominante, ce « souffle » lie
tous les éléments de l'Univers et traverse les corps vivants (conçus comme des
microcosmes reproduisant en miniature les éléments constituant l'Univers) pour les animer.
Sa mauvaise circulation serait la cause des maladies et l'art de guérir consiste donc à agir
sur lui. Ces idées se retrouvent notamment dans des manuscrits retrouvés à Mawangdui,
laissant entrevoir l'état d'avancement de la médecine vers la fin des Royaumes combattants
et les débuts de l'époque impériale, mais elles ont des antécédents dans des ouvrages
comme le Guanzi. Ces ouvrages préconisent une hygiène reposant sur des exercices
gymnastiques, une diététique, l'utilisation de drogues, la méditation et une sexualité agissant
sur la circulation du qi afin d'obtenir bonne santé et longévité. À l'époque impériale, cette
conception physiologique de la maladie débouche sur l'élaboration de l'acuponcture, non
attestée sous les Royaumes combattants. Se dessine donc une tendance à des pratiques
plus individualistes de culture de soi, supposées bénéficier tant physiquement que
moralement aux personnes qui les observent et visant plus à les prévenir de la maladie qu'à
les guérir[237].
Les documents dont nous disposons à propos des croyances sur la mort et l'au-delà à la
période des Royaumes combattants ne nous informent pas suffisamment sur les
conceptions de l'époque. On peut avoir le sentiment qu'elles sont similaires à celles de
l'époque impériale qui, elles, sont bien connues. En réalité, il est très difficile de se faire une
idée exacte de ce en quoi elles consistaient aux ve – iiie siècles, car on ne dispose pas
d'informations claires[238]. Il faut admettre qu'il n'y avait pas de croyances unifiées. On
pensait que les corps des êtres vivants étaient animés durant leur vie par des forces
naturelles liées à tout le cosmos, une sorte d'« âme » désignée selon les textes par différents
termes aux sens apparemment fluctuants suivant les auteurs : hun, po, ou des termes au
sens encore plus vague comme shen qui désigne couramment un « esprit » et qi qui désigne
l'énergie vitale. À la mort, ces énergies vitales quittaient le corps et l'âme du défunt devait
accomplir un long voyage vers un au-delà situé souvent dans des contrées lointaines aux
confins du monde connu, pour rejoindre le monde des esprits.
Cette idée d'un voyage du souffle du défunt se retrouverait dans les peintures sur soie des
tombes de Zidanku et de Chenjia dashan représentant des personnages suivant des animaux
réels ou imaginaires (dragons, grues) qui auraient eu pour fonction de guider l'âme vers sa
demeure céleste[239]. Les rituels funéraires sur le lieu d'inhumation devaient permettre à
l'âme d'accomplir ce voyage, tandis que le culte dans le temple ancestral ne se célébrait
qu'au moment où le défunt avait pu intégrer le monde des esprits. Ne pas prendre soin des
âmes des morts faisait courir le risque d'être hanté par leurs spectres. Si le défunt est mort
prématurément avant d'avoir accompli sa destinée terrestre ou de façon violente, cela
entraîne aussi le risque de voir son spectre venir troubler les vivants. Il apparaît également
dans certains textes que le monde des morts s'organise rationnellement avec un ensemble
d'esprits-bureaucrates participant à une administration à l'image de celle d'ici-bas[240].
Les sépultures étaient généralement regroupées dans des cimetières, parfois dédiés à un
clan, notamment pour les familles royales et princières érigeant des tombes plus
somptueuses situées à l'écart des nécropoles communes[241]. De nombreux cimetières de
communautés locales ont été dégagés par les fouilles. Ils ont parfois été utilisés sur
plusieurs siècles. Les tombes y sont de même type et orientation. Des cimetières ont été
retrouvés sur les territoires de plusieurs des Royaumes combattants, mais Chu est
surreprésenté dans la documentation archéologique avec plusieurs milliers de tombes
connues. De ce fait, l'étude des sépultures de cette période repose largement sur les données
provenant de ce royaume. Malgré leur grande dispersion géographique, la plupart des
tombes de la période des Royaumes combattants ont un modèle similaire : celui de la tombe
à fosse, en forme de coffre. Leur forme et leur taille peuvent être très variables. Les tombes
des riches sont plus profondes, accessibles par des rampes et constituées de plusieurs
compartiments séparant le ou les cercueil(s) d'espaces où sont entreposées des offrandes.
Leur structure est réalisée en madriers séparant les différentes parties de la tombe et elles
sont entourées de couches d'argile et de charbon pour assurer leur étanchéité. Un tumulus
les surmontait couramment. Les tombes des plus pauvres, à l'inverse, sont petites, à
compartiment unique, avec peu voire pas d'offrandes et parfois aucun cercueil. Quelques
variantes apparaissent : des tombes dont la structure est constituée de briques creuses à la
place des grosses planches de bois, surtout dans le Henan occidental, et des tombes à
chambre souterraine, surtout à Qin[242].
Les tombes les plus riches formaient un ensemble parfois complexe et richement doté. Les
cas les plus spectaculaires sont les complexes funéraires royaux comme celui des rois du
Zhongshan qui ont été décrits plus haut. La tombe princière la mieux connue est celle du
« marquis » Yi de Zeng, principauté dépendant de Chu, dégagée à Leigudun (district de
Zengdu, Hubei) et datée du début des Royaumes combattants (vers 430), donc encore très
proche des traditions des Printemps et Automnes. Elle a fourni depuis sa découverte en 1977
des informations inestimables sur cette période. Elle est divisée en compartiments qui sont
en fait de véritables salles formant une résidence post-mortem : espace rituel ou salle
d'audience avec son mobilier caractéristique (notamment un carillon), chambre funéraire
comportant le tombeau du marquis accompagné de huit femmes et d'un chien et une sorte
de gynécée où reposaient treize jeunes femmes (danseuses ou musiciennes ?) et un dernier
compartiment avec un arsenal d'environ 4 500 armes et des inventaires funéraires. Par la
suite, les riches tombes du pays de Chu reprennent ce modèle de résidence post-mortem,
comprenant parfois jusqu'à neuf compartiments. Les tombes riches des royaumes du Nord
sont moins bien connues et d'une manière générale la plupart des tombes princières ont été
pillées dans l'Antiquité[243],[244].
Les défunts du milieu des élites étaient placés dans des cercueils, en laque peinte pour les
plus puissants. Les objets placés dans les tombes pour les accompagner vers l'au-delà
pouvaient être très divers. Ils étaient classés dans différentes catégories, distinguant les
objets utilisés dans le monde des vivants et qui sont de plus en plus entreposés dans les
tombes pour accompagner les défunts après la mort (vases rituels ou profanes, instruments
de musique, armes et autres objets en bronze, etc.), de ceux qui étaient conçus
spécifiquement pour les tombes, les mingqi, qui connaissent un développement important
sous les Royaumes combattants[245]. Les premiers sont les mêmes objets que ceux
employés par les vivants dans leur vie quotidienne, tandis que les seconds ont des
caractéristiques propres dans leur fonction comme dans leur réalisation. Ainsi, un premier
type de mingqi est la céramique de qualité moyenne imitant l'apparence des bronzes rituels,
reprenant sa symbolique mais n'étant pas utilisée par les vivants[246]. Dans certains cas, ce
sont des vases en bronze de qualité inférieure à ceux servant les vivants qui sont réalisés.
Mais dans plusieurs tombes des élites les mingqi sont très élaborés[247].
Les figurines funéraires sont un autre type de mingqi. Elles se répandent au cours de la
période, peut-être en guise de substitution aux sacrifices humains qui accompagnent
l'enterrement des nobles et des princes mais tendent à se raréfier sous les Royaumes
combattants[248]. Elles sont en bois dans les tombes du Chu et en argile dans celles du Nord.
Dans les régions méridionales, il existe également une tradition de sculptures en bois
d'animaux hybrides. Appelées zhenmushou (« animal protecteur de tombes ») par les
chercheurs actuels en raison de leur rôle initial consistant apparemment à protéger les
défunts, ces sculptures tendent progressivement à remplir surtout une fonction
ornementale[249].
Poterie à but funéraire (mingqi) imitant la forme des vases rituels en bronze de type ding.
Figure gardienne de tombes (zhenmushou), portant des bois de cerf, pays de Chu, Birmingham
Museum of Arts.
L'art de la période des Royaumes combattants est avant tout connu par les objets exhumés
dans les milliers de tombes de cette époque, mises au jour pour une bonne partie sur les
terres de l'ancien royaume méridional de Chu. Gardons à l'esprit qu'il s'agit d'un pays dont la
culture, certes, subit les influences des royaumes chinois « traditionnels » de la vallée du
Fleuve Jaune, mais conserve néanmoins de fortes originalités[26]. Parmi ces découvertes, la
sépulture du marquis Yi de Zeng qui date du début de la période des Royaumes combattants
(433) occupe une place centrale dans les histoires de l'art de l'époque, de par la quantité et
aussi la qualité des objets qui y ont été exhumés. Les réalisations artistiques connues des ve,
ive et iiie siècles av. J.-C. chinois sont donc pour la plupart destinées à accompagner le
défunt dans l'au-delà, même si elles n'ont pas forcément toutes été réalisées dans ce but et
peuvent donc être similaires à des objets conçus pour les vivants. Il s'agit en tout cas de
productions destinées aux élites sociales dont les tombes sont les plus richement pourvues,
accomplies par des artisans travaillant donc pour les élites liées au pouvoir politique.
Par rapport à la période des Printemps et Automnes, l'art des Royaumes combattants
connaît plusieurs évolutions importantes, aussi bien thématiques que techniques et
stylistiques[251]. Ainsi, les vases en bronze qui servaient auparavant essentiellement à des
fonctions rituelles perdent cette finalité et semblent en majorité destinés à des besoins
profanes. C'est une rupture majeure avec le millénaire précédent. Les objets sont aussi de
moins en moins décorés d'inscriptions ; une attention centrale est désormais portée à
l'iconographie, ce qui renouvelle l'art pictural avec le développement des scènes de récits de
combat et de rituels. Liée à cette mutation, la technique de l'incrustation sur métaux connaît
une popularité croissante. Toujours dans le domaine de la métallurgie, la technique de la cire
perdue est aussi employée, mais rarement. L'art de la laque connaît également une grande
vogue et les peintures sur soie les plus anciennes qui soient connues datent de cette
période.
Vases en bronze
Article connexe : Bronzes chinois.
La période des Royaumes combattants voit le déclin des vases rituels en bronze si courants
durant les siècles précédents. Ils semblent alors de plus en plus destinés à des besoins
profanes, même si certains servent toujours pour des rituels. Comme à la période
précédente, les formes les plus répandues restent les vases ding servant à la cuisson de la
viande et les gui pour les grains, ainsi que les vases hu pour les boissons fermentées.
Représentatifs de l'art de la période de transition entre les Printemps et Automnes et les
Royaumes combattants, les vases en bronze de la tombe du marquis Yi de Zeng sont
particulièrement impressionnants et ce à plusieurs titres. D'abord par leur quantité et leur
taille, puisque deux grands conteneurs à vin mesurent plus de 1 mètre de haut. Ensuite, la
décoration de certains d'entre eux est remarquable, d'autant plus qu'elle est originale : la
technique de la cire perdue a permis aux artisans de réaliser des décors de créatures et
autres motifs entrelacés, soudés au vase qu'ils ornent, qui lui est moulé suivant la pratique
traditionnelle. Mais l'évolution caractéristique de la période est la technique d'incrustation,
qui se développe en premier pour les vases en bronze sur lesquels elle devient très courante.
Elle fait appel à une grande variété de matériaux : cuivre, or, argent, pâte de verre, laque, ou
des pierres comme le jade, la malachite, la turquoise. Les incrustations sont réalisées à part
puis fixées dans le moule dans lequel le vase est fondu. Les décors ainsi confectionnés
représentent des récits de scènes religieuses (rituels sur des plates-formes, danses et
chants) ou guerrières (batailles, assauts de villes, chasses), parfois sur plusieurs registres.
D'autres incrustations consistent en des motifs abstraits, linéaires ou curvilignes. Les
artistes réalisant ces décors s'inspirent peut-être des motifs réalisés pour décorer des
tissus[252].
Flasque bian hu pour boissons fermentées, à décor incrusté en argent.
Vase rituel ding pour la cuisson des aliments, à décor incrusté en or et en argent.
Vase rituel ding, à décor curviligne incrusté en laque.
Vase rituel dui pour servir des grains, à décor en forme de dragons dont les incrustations ont
disparu.
Les artistes de la période des Royaumes combattants sont également passés maîtres dans
la réalisation de miroirs en bronze très finement exécutés, dont un millier d'exemplaires
environ ont été retrouvés, ce qui témoigne de leur succès[255]. Il existe divers types de miroirs
suivant la forme des motifs qui y sont gravés ou incrustés et se complexifient au cours du
temps : tracés rectilignes, trapézoïdaux, curvilignes, entrelacés, motifs floraux, animaux,
scènes de chasse, etc. Cela reflète en partie des traditions régionales.
Les objets en forme de crochet ou agrafes ayant une fonction ornementale sont d'autres
exemples de créations en bronze caractéristiques de cette période. Ils ont pu être portés sur
des vêtements ou bien servir à accrocher des effets personnels à l'intérieur des
habitations[256]. Leur forme et surtout leur décoration se complexifient au cours du temps et
certains sont remarquables par la qualité de leurs incrustations.
Enfin, les artisans des Royaumes combattants se sont illustrés dans la confection d'armes
d'apparat en bronze incrustées d'autres matières, avant tout des épées[257], et de cloches en
bronze caractéristiques de la Chine antique, évoquées plus bas.
Figure d'un félin bondissant (lion ou chat), bronze incrusté d'or et d'argent. British Museum.
Tigre et sanglier combattant, formant un cercle. Bronze incrusté d'or et d'argent. British
Museum.
Miroir en bronze décoré de motifs géométriques (en forme de T.L.V.) et floraux, gravés.
Agrafes/crochets ornementaux en bronze incrusté d'or et turquoise. Arthur M. Sackler Museum.
Éléments d'arbalète en bronze, en forme d'animal et décor incrusté d'or et d'argent de motifs
géométriques. British Museum.
Objets en jade
Disque percé bi à décor de petites spirales et orné sur ses côtés par deux dragons.
Le jade reste un matériau servant à réaliser de beaux objets prisés par les élites.
Extrêmement dur et dense, il faut une grande dextérité pour le travailler, mais les artistes ont
atteint à l'époque des Royaumes combattants un niveau de maîtrise élevé. Ils sont à même
de créer les objets les plus variées : ornements à fonction apotropaïque ou rituelle, manches
de dagues ou d'épées, parures diverses. Les disques percés bi en jade sont les plus
appréciés. Ils soulignent le prestige de leur propriétaire et constituent des présents de grande
valeur que s'échangent les élites, notamment les rois. Leur forme arrondie symboliserait le
Ciel. Ils sont ornés de petites spirales (guliwen)[258]. Comme toutes les réalisations
artistiques de l'époque, les objets en jade ont au fil du temps une ornementation de plus en
plus sophistiquée, avec par exemple des dragons au corps qui ondule[259].
Arts de la laque
Les laques deviennent de plus en plus populaires au cours de la période. Ce terme désigne
des objets (meubles dont des coffres, vaisselle, cercueils) recouverts de laque, une résine
appliquée en plusieurs couches afin de protéger les matériaux (bois mince, diverses fibres
végétales, toiles épaisses). Cet art est surtout connu grâce aux tombes de l'ancien royaume
de Chu qui semble avoir été le cadre privilégié de son développement. Toutefois, à la
différence des objets en bronze, ceux en laque sont acquis par des personnes de niveaux
sociaux bien plus diversifiés : ils se retrouvent aussi bien dans les tombes les plus richement
pourvues d'objets que dans celles en contenant moins, même si les pièces des tombes les
plus riches sont plus nombreuses et de meilleure qualité. Les décorations des objets en
laque du début de la période des Royaumes combattants, dont on a des exemples grâce aux
découvertes de la tombe du marquis Yi de Zeng, sont des incrustations peintes représentant
essentiellement des motifs curvilignes entrelacés et quelques scènes rituelles. Les
réalisations du ive siècle se diversifient : la palette des couleurs est plus large et celle des
motifs géométriques aussi qui sont plus complexes. Les scènes où apparaissent des
animaux ou des êtres humains sont d'une facture plus aboutie[260].
Arts de la soie
Détail d'une soierie brodée de Mashan, représentant des dragons entrelacés de motifs curvilignes.
Bien que seuls quelques exemplaires aient survécu aux injures du temps, les rares pièces de
soie décorées retrouvées dans des tombes datant de la période des Royaumes combattants
peuvent être aisément situées dans le développement d'un nouvel art pictural et le lien avec
les incrustations sur bronze et sur laque est évident. On a trouvé dans une tombe de Mashan
dans la province de Jiangling (Hubei) plusieurs exemplaires d'étoffes en soie : couvertures,
draps servant à envelopper le corps du défunt, vêtements. On a pu différencier plusieurs
types d'étoffes selon l'espacement des fils. Les motifs brodés sur plusieurs d'entre eux
représentent des animaux réels ou imaginaires qui jouxtent ou s'entrecroisent avec des
motifs géométriques, linéaires ou curvilignes[261].
Les plus anciennes peintures individuelles chinoises connues ont été réalisées sur de la soie
et datent de la période des Royaumes combattants. L'une d'elles dans la tombe de Mashan et
deux autres près de Changsha (à Chenjia dashan et Zidanku), également dans l'ancien
territoire du Chu. Elles sont monochromes et représentent des humains de profil, en présence
d'animaux dessinés à l'encre avec des traits fermes et des lignes courbes, comme c'est le
cas dans de nombreuses peintures des périodes suivantes prenant pour modèle les
peintures sur soie antiques. Celle de Zidanku représente un homme chevauchant un dragon,
abrité par un parasol, entouré d'oiseaux et d'un poisson, tandis que celle de Chenjia dashan
représente une femme qui suit un dragon et un oiseau. Bien que l'unité de style soit évidente,
la première est reconnue comme ayant une plus grande qualité esthétique que la seconde en
raison de sa disposition harmonieuse, la qualité du trait et le dynamisme du mouvement
qu'arrive à exprimer le peintre. Leur sens est débattu, mais il est probable qu'il ait un rapport
avec le destin des défunts dans l'au-delà[239].
Instruments de musique
L'élément le plus imposant de cet orchestre est le carillon, constitué de 64 cloches en bronze
(pesant plus de 2 500 kilogrammes en tout) suspendues sur trois niveaux, les plus grandes
cloches (mesurant jusqu'à 1 mètre de haut et pesant plus de 130 kilogrammes) se trouvant
en bas, les plus petites en haut. Elles ont pour la plupart une bouche à section en forme
d'amande, avec les extrémités pointues, ce qui permet de produire deux tons avec chacune
d'elles selon qu'elles sont frappées au milieu ou sur les côtés. Ce trait caractéristique des
cloches chinoises anciennes se perd apparemment après le ive siècle. Les cloches sont
classées en fonction des sons qu'elles produisaient, les plus petites situées en haut servant
peut-être de diapason[263],[262].
Vue générale du carillon.
La musique a un rôle important dans de nombreux rituels des cours royales et princières,
rituels accompagnés de danses. Des livres « classiques » traitent de cela : le Livre de la
musique (Yuejing) et le Livre des odes (Shijing). Pour de nombreux penseurs, notamment ceux
liés au confucianisme, la musique a même un rôle moral, au même titre que les autres
rituels[264].
Notes et références
3. (en) D. S. Nivison, « Chu shi chi nien », 19. Li 1985, p. 126-138 ; Lewis 1999, p. 595
dans Loewe (dir.) 1993, p. 39-47.
20. C'est la proposition développée dans A.
Traduction en français par É. Biot dans
Reynaud, Une géohistoire, La Chine des
Journal Asiatique XII, 1841, pp. 537-578
Printemps et des Automnes, Paris, 2000,
« En ligne sur Gallica » (https://gallica.bn
pour la période précédente et qui semble
f.fr/ark:/12148/bpt6k93138h.image) [ar
encore valable pour celle qui nous
chive] et Journal Asiatique XIII, 1842,
intéresse.
pp. 381-431 « En ligne sur Gallica. » (http
s://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k93139 21. Li 1985, p. 108-125 ; Lewis 1999, p. 594-
v.image) [archive] 595
6. Voir par exemple les discussions dans 24. Bodde 1986, p. 30-52
Falkenhausen 2006, p. 382-394. 25. Li 1985, p. 154-169 ; Lewis 1999, p. 597.
7. Li 1985, p. 415-416 Voir aussi (en) J. S. Major et C. A. Cook
(dir.), Defining Chu, Image and Reality in
8. Li 1985, p. 434-435
Ancient China, Honolulu, 1999
9. Li 1985, p. 447-449
26. Elisseeff 2008, p. 56-57
10. O. Venture, « La question des « écritures
27. Li 1985, p. 204-221. Voir aussi A. Thote
chinoises » à l'époque des Royaumes
(dir.), Chine, l'énigme de l'homme de
combattants », dans Arts asiatiques 61,
bronze, Archéologie du Sichuan (XIIe-IIIe
2006, pp. 30-44.
avant J-C), Paris, 2003, pp. 216-266
11. Li 1985, p. 7
28. Li 1985, p. 189-203
12. Li 1985, p. 13-14
29. Gernet 2006, p. 82 ; Elisseeff 2008, p. 54
13. Ebrey 1999, p. 55-58
30. Lewis 1999, p. 598
14. (en) N. Di Cosmo, Ancient China and Its
31. Maspero 1985, p. 297-307 ; Lewis 1999,
Enemies: The Rise of Nomadic Power in
p. 599-600
East Asian History, Cambridge, 2002,
p. 127-158 32. Lewis 1999, p. 600-602
33. Lewis 1999, p. 616-617 54. Lewis 1999, p. 637
34. Maspero 1985, p. 325-328 ; Lewis 1999, 55. Lewis 2007, p. 52
p. 617-618
56. (en) C. Cook, « Ancester worship during
35. Lewis 1999, p. 619 the Eastern Zhou », dans Lagerwey et
Kalinowski (dir.) 2009, p. 241-250
36. Lewis 1999, p. 634-635
57. Pines 2009, p. 25-53
37. Sun Tzu (trad. Lévi) 2000, p. 22
58. J. Lévi, « Le Rite, la norme, le Tao :
38. Sima Qian (trad. Pimpaneau) 2002, p. 49-
Philosophie du sacrifice et
53
transcendance du Pouvoir en Chine
39. Sima Qian (trad. Pimpaneau) 2002, p. 64- ancienne », dans Lagerwey (dir.) 2009,
78 p. 191-207
40. Lewis 2007, p. 31-35 59. Pines 2009, p. 106-107
41. Lewis 1999, p. 632-633 ; Li 2013, p. 189 60. Lewis 2007, p. 37
42. Maspero 1985, p. 330-331 61. Wu 1999, p. 660-662 et 665-673
43. Maspero 1985, p. 330-347 ; Lewis 1999, 62. Wu 1999, p. 673-675. J.-P. Desroches,
p. 636-638 « L'irrésistible ascension de l'État de Qin
44. Maspero 1985, p. 347-350 ; Lewis 1999, (ixe – iiie siècle av. J.-C.) », dans J.-P.
p. 638-641 Desroches, G. André et W. Han (dir.),
Chine, le siècle du premier empereur,
45. Lewis 2007, p. 37-38
Arles et Monaco, 2001, pp. 134-138.
46. Bodde 1986, p. 45-52
63. Wu 1999, p. 709-717 ; Falkenhausen
47. Gernet 2006, p. 111-113 ; Gernet 2005, 2006, p. 328-338
p. 82-83
64. D. Elisseeff et J.-P. Desroches (dir.),
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Annexes
Articles connexes
Dynastie Zhou
Dynastie Qin
Sima Qian
Tombe du marquis Yi de Zeng
Liste des chefs d'État dans la seconde moitié du Ier millénaire av. J.-C.
Liens externes
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p://classiques.uqac.ca/classiques/chine_ancienne/chine_index1A.html) [archive]
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