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L Expression de La Quantification Nomina PDF
L Expression de La Quantification Nomina PDF
EN TACHELHIT
Abdallah El Mountassir
Université d’Agadir
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Nous avons également en tachelhit certains verbes qui peuvent fonctionner comme des
quantificateurs nominaux : igut « être en grande quantité » et drus « être en petite quanti-
té »; v. plus loin
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Dans ces exemples, nous remarquons que les numéraux varient en genre
selon les noms auxquels ils se rapportent. Ces noms sont toujours au pluriel
et prennent la forme d’état d’annexion.
Pour les numéraux de 11 à 19, nous avons la structure suivante : nombre
de l’unité + cordonnant d + nombre de la dizaine (mraw / mrawt) + prép. n
+ nom :
(8) yan d mraw n ufrux « onze garçons » (litt. un et dix de garçon)
(9) snat d mrawt n tfruxt « douze filles » (litt. une et dix de fille)
Dans cet emploi, les deux numéraux, liés par le coordonnant d « et »,
s’accordent en genre avec le nom. Celui-ci reste toujours à la forme du sin-
gulier et à l’état d’annexion. Les nombres supérieurs à 19 sont formés selon
une autre construction où le deuxième numéral est constitué d’un chiffre de
l’unité :
(10) ɛcrin d yan n ufrux « vingt-et-un garçons » (litt. vingt et un de gar-
çon)
(11) ɛcrint d yat n tfruxt « vingt-et-un filles » (litt. vingt et une de fille)
Nous avons dans cette catégorie de quantification déterminée des entités
nominales qui dénotent un ensemble de plusieurs unités : tayyuga « paire »,
rrbiɛt « unité de quatre », ẓẓint « douzaine », etc. Ces noms expriment donc
une pluralité :
(1) tayyuga n idukan « paire de babouches »
(12) ẓẓint n lkisan « douzaine de verres »
Dans ce contexte, le nom qui vient après la préposition n- « de » est tou-
jours au pluriel. Par ailleurs, ces entités nominales peuvent être précédées
des numéraux cardinaux :
(13) snat tiygiwin n idukan « deux paires de babouches »2
2
Il faudrait ajouter que l’emploi des noms de nombre en tachelhit est attesté dans d’autres
contextes. Ces noms indiquent le rang ou l’ordre d’apparition dans une série, et sont pré-
cédés de l’élément support wi (masc.) « celui » ou ti (fém.) « celle » suivi de la préposi-
tion s « avec » (à partir de deuxième rang) : wi-s kraḍ « le troisième » ti-s kraḍt « la troi-
sième ». Dans ce contexte, wi-s et ti-s sont obligatoirement employés avec le nom de
nombre : tigmmi ti-s kraḍt « la troisième maison » (litt. maison celle trois ), car nous ne
pouvons jamais avoir *tigmmi kraḍt « maison trois ». Pour le premier rang, le tachelhit
utilise le terme amzwaru / tamzwarut, mot en am- dérivé à partir du verbe zwur « être
premier », de même pour le dernier rang, nous avons le terme amggaru / tamggarut, du
verbe ggru « être dernier ». Les noms de nombre expriment également le distributif dans
des tournures composées d’une répétition du numéral : sin sin « deux par deux ».
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D’autres verbes quantificateurs sont employés également dans le contexte de la comparai-
son quantitative, v. plus loin.
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Il importe de préciser que pour exprimer une quantité faible avec les ver-
bes quantificateurs, le tachelhit recourt le plus souvent à un procédé qui
consiste à nier une quantité forte :
(23) ur gguten iferxan ɣ-tgmmi « les garçons ne sont pas nombreux à la
maison = il y a peu de garçons à la maison »
Ces verbes quantificateurs peuvent être suivis d’adverbes de degré
comme bahra « très » :
(24) drusen bahra iferxan ɣ-tgmmi « il y a très peu de garçons à la mai-
son »5
Ajoutons que ces verbes quantificateurs s’appliquent également à des en-
tités non dénombrables :
(25) drusen bahra waman ɣ-wanu « il y a très peu d’eau dans le puits ».
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Il est à noter que bahra est employé également comme adverbe de degré dans le contexte
de la quantification verbale (propriété et événement) : iɣzzif bahra « il est très grand ».
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Ajoutons que la négation de ce dernier énoncé (ce qui est possible) per-
met d’exprimer une quantité insuffisante :
(30) ur bahra gguten iferxan ɣ-tgmmi « les garçons ne sont pas trop
nombreux à la maison = il n’y a pas assez de garçons à la maison »
Le quantificateur nominal tugett n- « beaucoup de, grande quantité de »
est un dérivé du verbe igut. Tugett n- peut s’appliquer à des entités dénom-
brables ou non dénombrables et suivi selon les cas du pluriel (+ dénombra-
ble) ou du singulier (- dénombrable) :
(31) dar-s tugett n-isan « il a beaucoup de chevaux »
(32) icca tugett n-tfiyya « il a mangé beaucoup de viande »
Tugett n- s’oppose au quantificateur imikk n- « peu de». Nous retrouvons
ce dernier dans une forme composée urd imikk qui exprime une quantité
forte. Comme nous le constatons, cette forme est composée de urd mor-
phème de négation nominale « ne … pas » + imikk « peu » (litt. « ce n’est
pas peu »), ce qui signifie « grande quantité de, beaucoup de ». Nous avons
ici un principe assez fréquent dans le domaine de la quantification : la néga-
tion d’une quantité faible équivaut à l’affirmation d’une quantité forte. Dire
en tachelhit qu’il n’a pas une petite quantité de chevaux (33) dar-s urd imikk
d-isan (litt. ce n’est pas peu de chevaux qu’il a), cela veut dire qu’il a beau-
coup de chevaux (31) dar-s tugett n-isan.
Il faut ajouter que urd imikk, suivi de la préposition d-, s’emploie avec
des noms qui représentent des entités dénombrables et non dénombrables :
(34) icca urd imikk d-tfiyya « il a mangé beaucoup (grande quantité) de
viande »
Par ailleurs, nous avons en tachelhit plusieurs termes qui permettent
l’évaluation de grandes quantités de masse (avec le sens d’excès) : agudi,
abadud, agg°a « une grande quantité de, une masse de, un tas de » :
(35) agudi n-umlal « tas du sable »
Tous ces termes sont au masculin du singulier. La forme du féminin est
possible, et dans ce cas ces termes expriment des quantités réduites et fai-
bles :
(36) tagudit n’umlal « un petit tas du sable »
Ces termes quantificateurs admettent également une forme du pluriel :
igudiyen, ibudad et agg°ten « des grandes quantités de, des tas de ». Autre
procédé qui est employé pour exprimer une multitude ou l’excès consiste à
répéter deux fois le terme quantificateur :
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(37) igudiyn f-igudiyn n-umlal « des tas et des tas du sable » (litt. des tas
sur des tas du sable)
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Le quantificateur mncekk s’applique également à des propriétés : mncekk as isggan !
« qu’est-ce qu’il est noir ! »
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V. Quantification et comparaison
Le tachelhit ne possède pas de terme spécifique signifiant « comparer ou
comparaison ». Toutefois, l’absence de terme ne signifie pas que la notion
de comparaison est inexistante. « Comparer » en tachelhit est l’équivalent
du verbe « différencier » snaḥya. Ce dernier est dérivé du verbe naḥya
« être différent ». Lorsque deux objets sont différents, on dit naḥyatn (litt.
différents-ils) ce qu’on peut traduire par « comparables ». Personnes, objets,
propriétés peuvent être, soit identiques saswa, soit différents naḥya. En ta-
chelhit, nous avons un système binaire qui repose sur deux relations compa-
ratives essentielles : identité et différence. La relation de différence corres-
pond à deux autres relations : l’infériorité et la supériorité (El Mountassir
1995).
Si une comparaison quantitative de différence porte sur les entités dé-
nombrables, on recourt au verbe ati « surpasser, dépasser en quantité / nom-
bre »7. Nous avons ici un verbe qui fonctionne comme un quantificateur. Le
verbe ati s’emploie uniquement dans une structure comparative. Son em-
7
Selon le contexte, ce verbe peut s’employer également dans le domaine d’une comparai-
son portant sur les entités non dénombrables. Nous pouvons avoir l’énoncé : yuti Idder
Amnay. ɣ-tiddi « Idder est plus grand que Amnay » (litt. I dépasse A dans-taille).
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Conclusion
Notre objectif dans ce travail est de montrer en quoi consiste l’opération
de quantification nominale en tachelhit et quels en sont les différents
moyens d’expression. Nous avons vu que cette quantification est exprimée
dans ce parler par plusieurs procédés linguistiques : le pluriel, les numéraux
cardinaux, les indéfinis, les noms et les verbes exprimant des quantités, les
adverbes quantitatifs, etc.
Il faudrait ajouter ici qu’il y a en tachelhit d’autres moyens d’expression
de la quantification nominale. La réduplication consonantique par exemple
est un autre procédé qui permet d’exprimer la quantification des unités dé-
nombrables. En effet, la réduplication consonantique, procédé morphologi-
que bien connu en lexique berbère, constitue un mode de formation lexicale
d’origine expressive avec un sens fréquentatif et augmentatif. Les mots for-
més à partir de ce modèle traduisent souvent des réalités qui se caractérisent
par la multitude, l’affluence et l’abondance : akerkur « tas de pierre », avec
le redoublement des consonnes k et r, doit être interprété comme une multi-
tude de pierres; amoncellement de pierres; des pierres ici et là.
Références
CHAKER, S. 1995. Linguistique berbère. Etude de syntaxe et de diachro-
nie. Paris.
DELHEURE, J. 1987. Dictionnaire ouargli-français. Paris.
EL MOUNTASSIR, A. 1995. Comparer, différentier : l’expression de la
comparaison en berbère (Tachelhit) du sud-ouest marocain. Faits de lan-
gues 5 : 99-107.
EL MOUNTASSIR, A. 2003. Dictionnaire des verbes tachelhit-français.
Paris.
EL MOUNTASSIR, A. (à paraître). L’expression de l’indéfini en tachelhit.
Procédés syntaxiques et enjeux énonciatifs. Colloque international
L’amazighe : faits de syntaxe (IRCAM, 9-10 novembre 2009). Rabat.
FOUCAULD, Ch. de. 1951-52. Dictionnaire touareg-français, dialecte de
l’Ahaggar. Paris.
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C’est également le cas pour beaucoup de langues où l’expression linguistique d’infériorité
s’exprime souvent par la négation de supériorité, (v. Rivara 1990)
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