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Chapitre n°3 : La pragmatique :

1. Définition de la pragmatique
« Il y a pragmatique linguistique si l'on considère que l'utilisation du langage, son appropriation par un
énonciateur s'adressant à un allocutaire dans un contexte déterminé, ne s'ajoute pas de l'extérieur à un
énoncé en droit autosuffisant, mais que la structure du langage est radicalement conditionné par le fait qu'il
est mobilisé par des énonciations singulières et produit un certain effet à l'intérieur d'un certain contexte,
verbal ou non verbal. » Maingueneau (1997 :37)
La pragmatique émerge au début du XIXe siècle avec la théorie sémiotique du philosophe
américain Charles Pierce qui a remis en question la définition dyadique du signe de Saussure en
proposant une autre triadique. Mais la notion de pragmatique est introduite par Morris en 1938 pour
désigner à l’intérieur de la sémantique (théorie générale des signes) la branche qui devait s’occuper
de la relation entre les signes et son utilisateur (indexicaux, déictiques …etc) en faisant distinction
entre syntaxe (étude de la relation des signes entre eux), pragmatique (étude l’usage des signes par
des utilisateurs) et sémantique (étude la relation des signes à ce qu’ils représentent)par la
délimitation de l’objet d’étude pour chaque branche. Avec ces deux linguistes le sens est fonction
d’usage.
Par la suite, cette notion est devenue comme la décrit J.Bernicot « une étude cognitive, sociale et
culturelle de l’usage du langage dans la communication (…) se donne comme objectif de répondre à
la question : Comment définir et étudier l’utilisation du langage ? »1afin de pouvoir le comprendre
et analyser la façon dont le contexte influence l’interprétation des énoncés dans l’interaction
verbale, comme l’adaptation des pratiques langagières aux divers interlocuteurs, c’est-à-dire l’étude
de la mise en scène du système linguistique avec ses conditions d’emploi (l’ancrage de l’énoncé, les
actes de langage directs et indirects, la coopération dans le discours et l’intentionnalité) :
La pragmatique s’intéresse à l’utilisation des structures (telles que décrites par la
linguistique), par un individu donné dans une situation de communication déterminée
(J-L Nespoulos, 1992)
Le langage est une mise en scène du ″je″ et ″tu″ dans une situation de dialogue qui selon
Moeschler et Reboul ne se limite pas à un simple processus d’encodage (pour la production) et de
décodage (pour l’interprétation). Il est aussi comme le montre Austin et Searle, un moyen d’agir et
faire aboutir une intention. C. Kerbrat-Orecchioni résume leur conception en expliquant que :
« parler, c’est sans doute échanger des informations, mais aussi effectuer un acte, régi par des

1
J.BERNICOT, « De l’usage et de la structure des système communicatifs chez l’enfant », eds : J.BERNICOT,
H.MARCOS, C.DAY, De l’usage des gestes et des mots chez l’enfant, Armand-Colin,1998, (5-26), p7.
1
règles qui prétend transformer la situation du récepteur et modifier son système de croyance et/ ou
son attitude comportementale, sa visée pragmatique c’est-à-dire sa valeur et sa force illocutoire »2.
Cette conception du langage qui sert à agir sur le monde, était le point de départ de la théorie des
actes de langage qui consiste à intégrer la communication linguistique dans une philosophie de
l’action.
2 Les approches pragmatiques
2.1. La linguistique énonciative (ou intégrée) [voir le cours précédent]
2.2 Théorie des actes de langage : (speech act)
 Principe de base : Austin : quand dire c’est faire (1962)
la signification du mot dépend du contexte de son utilisation
la pragmatique linguistique (philosophie analytique) est développée par Austin et Searle(1969-
1972) en faisant élargir le territoire de la pragmatique qui se voit passer du niveau de mot à la
phrase, en mettant l’accent sur le fait que le sujet parlant produisant des énoncés qui « ne se borne
pas d’ordinaire à transmette des informations, mais il poursuit aussi une intention communicative
en relation avec son auditeur »3dans le but d’accomplir des actions qui se réalisent dans leur
contexte de production, d’où la notion d’acte de langage, représentant « une unité
fonctionnelle »4qui « n’est pas seulement un acte de dire et de vouloir dire, mais d’abord,
essentiellement un acte social par lequel les membres d’une communauté interagissent »5.C’est
pourquoi « l’étude du langage en acte »6suppose la connaissance et la détermination préalable de la
situation concrète d’énonciation, ainsi que la connaissance des interprétations possibles.
A partir des actes de langage, Searle a fait la distinction entre :
* le contenu d’un énoncé et la force avec laquelle cet énoncé est utilisé,
* ce qui est communiqué et la façon dont il est communiqué.
* Il a aussi tenté de comprendre la notion de signification en termes d’intention communicative.
Selon lui, tout acte de langage contient trois aspects qui sont :
 Acte locutoire est l’action de dire quelque chose par l’articulation et la combinaison des
mots selon les règles grammaticales. Autrement dit, prononcer certaines expressions
pourvues d'un sens et d'une référence : « l’ensemble de ce que nous faisons en disant quelque
chose » (Austin,1970 :119)

2
C.KERBRAT-ORECCHIONI,L’énonciation,de la subjectivité dans le langage, Armand- Colin,1980,p185
3
S.BOLTON, Evaluation de la compétence communicative étrangère,Hatier-Crédif,1987,p26.
4
R.VION,La situation de communication : analyse des interactions,Hachette,1992,p173.
5
P.BANGE,cité par J.LARRUE, « Analyse conversationnelle et psychologie sociale une rencontre
prometteuse », in : Connexion, n°53,1989,p15.
6
Kerbrat-ORECCHIONI, les actes de langage dans le discours.T héorie et fonctionnement, Armand-Colin,2001
2
 Acte illocutoire est un acte réalisé par le fait de parler et qui modifie ou précise la
situation respective des interlocuteurs (accuser, affirmer…etc.), c’est un acte
communicatif accompli par l’énoncé. « ″illocution″ consiste à accomplir par le fait de
dire un acte autre que simple fait d’énoncer un contenu et notamment en disant
explicitement (mais pas toujours) comment la ″locution″ doit être interprétée dans le
contexte de son énonciation »7en permettant à l’auditeur de reconnaître l’intention qu’a
le locuteur d’accomplir par cet énoncé (saisir le sens communicatif de cet acte). Il s’agit
des énonciations ayant une valeur conventionnelles (Austin,p119) telles que les
verdictifs, les expositifs, les comportatifs et les exercitifs
 Acte perlocutoire : l’ensemble des conséquences qui découlent de l’acte de parler (les
effets produits par l’acte illocutoire)sur les sentiments, les pensées de l’interlocuteur. Sa
fonction n’est pas contenue directement dans l’énoncé, elle dépend entièrement de la
situation d’énonciation.
Exemple : acte de séduire, de mettre en colère
En établissant une nouvelle classification des actes de langage pour expliquer la différence entre
l’illocutoire et perlocutoire par des règles ( reprendre le travail d’Austin en insistant sur la
dimension intentionnelle et conventionnelle des actes partant du fait que parler est une forme de
comportement régie par des règles), il fait remarquer que « le locuteur communique plus que le
contenu littéral de l’énoncé grâce à un arrière-plan des données contextuelles partagées et de
conventions sociales »8et que le destinataire doit effectuer une opération logique dite inférence pour
pouvoir comprendre l’énoncé en l’expliquant avant de l’interpréter. L’interlocuteur doit le décoder,
l’inscrire dans un cadre et le contextualiser pour réussir à identifier ce que le locuteur a voulu lui
dire et quelle est son intention en prononçant tel énoncé.
Pour étudier les actes de langage indirects (exp :illusion, ironie, l’implicite…etc) s’agissant des
énoncés par lesquels le locuteur veut dire de façon implicite autre chose que le sens littéral, il s’est
inspiré de la théorie de l’intention de P.Grice dans le but d’étudier les rapports existant entre la
façon de réaliser un acte de langage indirectement et les conditions de satisfaction(règles de réussite
chez Austin) en question. Pour lui, tout acte est un comportement intentionnel régi par des règles de
satisfaction permettant d’aboutir sa visée illocutoire (celles-ci sont des sources de variation dans une
catégorie d’acte de langage):
Acte de langage = valeur illocutoire + contenu propositionnel

7
P.BNLANCHET, La pragmatique d’Austin à Goffman, Bertrand la Coste,1995, p32.
8
P.BLANCHET, , La pragmatique d’Austin à Goffman, Bertrand la Coste,1995, p38.
3
Les composants de la force illocutoire : Les composants impliqués dans la constitution de la force
illocutoire des actes de langage ont été définis par Searle et Vanderveken (1985). Ils distinguent au total sept
composants :
1- le but illocutoire : il traduit l'aspect intentionnel de l'acte, ce qui est visé lors de l’accomplissement de
l’acte. Le but détermine aussi la direction d’ajustement de l’acte – le rapport entre le contenu propositionnel
et le monde. Cinq types de but ou force illocutoire sont développés :
1.les assertifs : dire comment sont les choses
* Les mots s’ajustent au monde
*le but est d’engager le locuteur (à des degrés divers) à la vérité de la proposition exprimée, à ce que
quelque chose soit effectivement le cas
*l’état psychologique est la conviction :
[vanter -se vanter – louer- critiquer - dénoncer - confesser - réprimander - blâmer - accuser - se lamenter - se
plaindre - admettre/reconnaître - avouer -contester - maintenir - assurer - certifier - déclarer - suggérer -
relater - rappeler -informer - témoigner - attester - jurer - confier - proclamer - asserter - penser - conjecturer
- dire- prédire - insister - soutenir - notifier - s’objecter - contredire – démentir]
2.les directifs :essayer de faire faire des choses à autrui
*le but est d’obtenir que l’auditeur fasse quelque chose
* direction d’ajustement : le monde s’ajuste aux mots
*l’état psychologique : désir/volonté
[ordonner, conseiller, demander, questionner ]
3. les commissifs (promessifs) :s’engager à faire des choses
* le but est d’engager le locuteur à l’accomplissement d’une action future
*direction d’ajustement : le monde s’ajuste aux mots
* l’état psychologique : la sincérité de l’intention
[promesse, serment, vœux, accepter]
4.les expressifs :exprimer nos sentiments et nos attitudes
*le but est d’exprimer l’état psychologique du locuteur par rapport à un état du monde
*la direction d’ajustement est vide
*le contenu attribue une propriété soit au locuteur, soit à l’interlocuteur
[excuse, remercier, féliciter, louer]
5.les déclaratifs :provoquer des changements dans le monde par l’énonciation
*le but est de changer l’état du monde par l’énonciation même de ce type d’actes [instaurer une réalité]
*la direction d’ajustement est double : les mots s’ajustent au monde et le monde s’ajuste aux mots= il existe
une correspondance entre le mot et le monde.
[ajourner, bénir, licencier,

4
2- le mode d'accomplissement : il détermine la manière dont le locuteur doit atteindre le but ; « le mode
d’accomplissement (...) détermine comment son but doit être accompli sur le contenu propositionnel lors de
l’accomplissement d’un acte ayant cette force « (Vanderveken, 1988 : 113),
3- les conditions de contenu propositionnel : ce sont les contraintes syntaxico-sémantiques qui pèsent sur
l’expression linguistique de la proposition représentant les conditions de satisfaction de l’acte, c’est-à-dire la
nature du contenu de l’acte]
4- les conditions préparatoires (préliminaire) : elles représentent les états de chose que le locuteur
présuppose ou tient pour vrais lors de l’accomplissement de l’acte ; elles concernent des propriétés du
locuteur, de l’auditeur, de leurs relations et du monde,. Ces conditions définissent le savoir ou la croyance
concernant les capacités, intérêts, intentions de l’interlocuteur, ainsi que la nature des rapports entre
interlocuteurs.
5- les conditions de sincérité : elles déterminent le mode des états mentaux que le locuteur devrait avoir s'il
voulait accomplir sincèrement un certain type d'acte,
6- le degré de puissance : il détermine l'intensité avec lequel le but illocutoire est atteint, il est fonction de
l’engagement du locuteur. Cette condition essentielle spécifie le type d’obligation contracté par le
locuteur ou l’interlocuteur par l’énonciation en question.
7- le degré de force : il mesure le degré d'expression d'états psychologiques.
En étudiant les actes de langage indirects, il fait la distinction entre les deux valeurs qui
s’additionnent dans le même acte ; la première représente la valeur dérivée de l’acte (ce que veut
dire le locuteur dans la situation concrète) et l’autre est secondaire et renvoie au sens littéral. Pour
les décoder, l’interlocuteur doit tenir compte du contenu propositionnel et la structure de l’énoncé
afin d’arriver à expliquer la façon avec laquelle la signification linguistique d’un énoncé et son
contexte interagissent et déterminent la manière dont cet énoncé sera compris (le sens
communicatif).
INFORMATIONS EN PLUS :
1)- Austin et Searle s’inscrivent dans une vision traditionnelle étant donné qu’ils considèrent que
l’étude du langage est envisagée comme un code et « l’intention du locuteur qui produit un acte de
langage donné est récupérée via la convention linguistique »9. Ajoutant à cela, le fait que le langage
n’est pas appréhendé comme une donnée authentique, mais fabriquée.
2)- la première catégorisation D’Austin était de distinguer les énoncés qui décrivent le monde ou un
fait et correspondant à dire quelque chose par le langage appelés constatifs(actes représentant la
description faite par un énoncé assertif-) et les énoncés qui ne représentent pas un état de chose

9
MOESCHLER ET REBOUL, Dictionnaire encyclopédique de pragmatique, Seuil,1994, p18
5
mais accomplissent une action appelés performatifs (faire quelque chose à l’aide du langage):
c’est des actes conventionnels ou institutionnels.
Les actes constatifs « peuvent recevoir une valeur de vérité »10 ou de fausseté ce qui fait que
l’énoncé «La température moyenne de la planète a subi une augmentation » représente un état du
monde qui a été confirmé par des études d’où sa valeur de vérité qui n’est pas conditionnée par le
fait de l’énoncer. Donc il y a une correspondance entre l’énoncé et l’état de choses
Les actes performatifs agissent sur le monde par le fait de les prononcer ; ils ne décrivent ni un état de
choses empirique, ni une prise de position émotive ou psychologique sur un état de choses, ni un effet sur
autrui, ils visent tous les énoncés décrivant l’accomplissement d’un acte (comme une promesse, un ordre, une
déclaration, etc.) et reçoivent la condition de félicité qui se traduit ainsi :

 l’acte accompli par le performatif l’est de manière immanente à l’énoncé (in saying), qui donc ne
décrit pas un état de choses (intérieur ou extérieur)
 pour être valide, un performatif (je promets, je lègue, etc.) doit (entre autres conditions) être énoncé
par le locuteur suivant une certaine procédure conventionnellement déterminée, et dans l’intention
d’adopter un certain comportement, qu’il lui faut, pour que le performatif réussisse, effectivement
adopter. Cela conduit assez naturellement à une conception « institutionnelle » du performatif, qui en
définit les conditions de validité en termes sociaux.
Exemple :Dire « je baptise ce vaisseau... » dans les circonstances appropriées, c’est accomplir l’acte
de baptiser le bateau
Cependant la distinction entre constatif et performatif n’est pas facile étant donné que qu’il existe des
énoncés qui répondent aux deux conditions :
Exemple : cas de performatif implicite qui est« tout énoncé constatif peut se laisser paraphraser en « je dis
que » « Je ne supporte pas la fumée, au cas où tu ne le saurais pas »
3)- Austin propose cinq catégories d'actes illocutoires:
1. Les "verdictifs", qui consistent à juger: "acquitter, condamner, comprendre, décréter, calculer,
estimer, évaluer, classer, diagnostiquer, décrire, analyser... "
2. Les "exercitifs", qui consistent à décider d'actions à suivre: "renvoyer,
excommunier, nommer, commander, condamner, accorder, léguer, pardonner, démissionner,
supplier, proclamer, promulguer, dédier, déclarer ouvert ou clos..." Les exercitifs sont des actes
d'exécution des verdicts, et non les verdictseux-mêmes
3. Les "promissifs", qui obligent le locuteur à agir d'une certaine manière:"promettre, convenir,
contracter, avoir décidé, avoir l'intention, jurer de,consentir, favoriser..."

10
Moeschler, Introduction à la linguistique contemporaine. Armand colin ,2000,p135
6
4. Les "comportatifs", qui consistent à réagir aux actes d'autrui: "s'excuser,remercier, féliciter,
compatir, critiquer, souhaiter la bienvenue,provoquer..."
5. Les "expositifs", qui consistent à exposer: "affirmer, nier, décrire,corriger, mentionner,
argumenter, dire, interpréter, témoigner, rapporter,illustrer, expliquer, signifier, se référer..."

4) .Searle décrit l’approche pragmatique comme étant ˝ l’étude de la dépendance de ce qui est dit
du contexte dans lequel il est dit ˝ en mettant l’accent sur la conception du langage comme :
* acte : dire des mots et d’agir à la même occasion sur l’interlocuteur et le monde.
* contexte11 : les circonstances dans lesquels sont employées les expressions.
* performance : c’est l’effet de l’acte de langage (voir l’accomplissement de l’acte en contexte).
Il est à rappeler que Searle a distingué entre les règles constitutives (établissent de nouvelles formes
de comportement) des règles normatives (régissent les formes de comportements existants en dehors
de ces règles)qui conditionnent les échanges entre les interlocuteurs. Leur non respect entraine des
difficultés de compréhension

2.3. Théorie de pertinence :


P.Grice a eu le mérite de fonder une pragmatique inférentielle, en expliquant que la convention
linguistique ne suffit pas à elle seule de saisir l’intention du locuteur et qu’il faut ajouter le
processus inférentiel12basé sur les règles pragmatiques (le principe de coopération et les maximes
conversationnelles) et en s’appuyant sur des considérations contextuelles pour arriver à interpréter
le vouloir dire d’un locuteur, à savoir son intention informative. Wilson et Sperber ont proposé une
approche pragmatique d’inspiration gricienne qui est dite ″la pragmatique de pertinence″, une
théorie d’interprétation des énoncés en situation de dialogue « qui a pour objectif principal de
décrire comment et pourquoi un énoncé s’interprète de façon préférentielle de telle ou telle
façon »13 . D’après eux, un seul principe ″le principe communicationnel de pertinence″ suffit à
l’interprétation qui est une activité cognitive de traitement d’information et qui consiste non
seulement à en tirer la signification, mais encore à en déduire les différentes implications. Ils

11
Il y a une distinction entre le contexte linguistique qui se rapporte à la langue entourant l’expression en
question et le contexte situationnel qui met l’accent sur les facteurs non linguistique qui affecte la
signification d’une expression.
12
Selon P.SPERBER &D. WILSON,le processus inférentiel se définit comme « le locuteur fournit par son
énonciateur expression interprétative d’une de ses pensées et (…) l’auditeur construit sur la base de cet
énoncé une hypothèse interprétative portant sur l’intention informative du locuteur » voir : La pertinence,
communication et cognition, Minuit,1989,p346.
13
J.MOESCHLER, Théorie pragmatique et pragmatique conversationnelle,Aramnd-Colin,1996,p30.
7
soutiennent que ce principe d’expliquer comment la structure d’un énoncé et les connaissances
antérieures de l’auditeur interagissent et déterminent la compréhension verbale.
Le principe de pertinence selon Moeschler « stipule en effet que tout acte de communication
ostensive-inférentielle (à savoir qui indique qu’il est un acte de communication et qui requiert un
processus inférentiel pour l’interpréter) communique la présomption de sa propre pertinence
optimale »14 parce que celui-ci (le locuteur) doit s’assurer que l’interprétation qu’il souhaite
transmettre va correspondre à celle qui sera faite par l’auditeur dans le but de se faire comprendre.
A retenir :
1)-Le terme inférence désigne une opération logique par laquelle on admet une proposition en vertu de sa
liaison avec d'autres propositions déjà tenues pour vraies. L'inférence correspond, selon Catherine Kerbrat-
Orecchioni, (1986 :24) à : « Toute proposition implicite que l’on peut extraire d’un énoncé, et déduire de son
contenu littéral en combinant des informations de statut variable ». Il existe deux types d’inférence :
 Inférence logique (démonstrative) : la vérité des prémisses (ou hypothèses) garantit la vérité de
la conclusion
Exemple :si tu travailles, tu réussiras
Implication : si (p) alors (q)
 Inférence pragmatique (non-démonstrative) : On appelle non démonstrative toute inférence
qui ne garantit pas la vérité de ses conclusions étant donnée la vérité de ses prémisses. (Moeschler et
Auchlin 1997: 157).
Exemple :
Si je suis fatiguée, (1) je rentre chez moi
(2) je ne vais pas au travail hypothèses interprétatives
(3) je ne peux t’accompagner inférées à partir du contexte
Les propriétés des inférences pragmatiques:
(i) l'interprétation d'un énoncé dépend de son contexte et
(ii) elles sont annulables, dans le sens qu'elles peuvent être vraies dans certains contextes et fausses dans
d'autres.

Pour ce qui est la classification de Charaudeau, il existe trois formes d’inférence :


Inférence actionnelle (pragmatico-énonciative)
inférence référentielle (savoir sur le monde)
inférence véridictoire (évaluation et argumentation axiologisée) )

14
J.MOESCHLER, « Pragmatique : Etat de l’art et perspective », in : Marges linguistiques n°1,2001, (1-
16),p13.
8
Exemple d’analyse :
E52:qu’est ce tu aime en tout ?
P253 : j’aime seulement chanter
E54 : la dernière fois t’as pas dansé\
P255 : j’aime entendre la musique\
Le sujet parlant P2 utilise des procédures présuppositionnelles (le recours à des énoncés qui
dissimulent l’intention que nous appelons les énoncés allusifs) en sachant quand et comment le
faire, c’est-à-dire :il sait coder son énoncé en choisissant ce qu’il doit dire de ce qu’il ne doit pas ;
dans sa première intervention(P253), il fait introduire dans la structure de son assertion une locution
adverbiale "seulement " qui correspond à la forme négative " ne…que" pour l’opposer à la
préposition " en tout" utilisée par son interlocuteur dans le but de spécifier son objet conversationnel
dans son assertion, et dans sa deuxième intervention, l’enfant soulève le sous-entendu qui est
produit sous forme d’une requête indirecte(question implicite) énoncée par E comme étant une
assertion dans l’intention de savoir si le sujet P2 aime danser. Ce dernier fait à son tour un
commentaire approprié en faisant coder l’élément le plus important (la signification implicite) et
apporte une information nouvelle qui renvoie à la signification linguistique (entendre la musique).
Nous pouvons reformuler son énoncé en disant :
/P255 : j’aime entendre la musique et non danser sur son rythme
Le sujet P2 juge qu’il n’est pas nécessaire d’ajouter une phrase complétive (et non danser sur
son rythme) à son énoncé puisqu’il a déjà précisé dans sa première intervention qu’il aime
seulement (unité modale)chanter, ce qui permet à son interlocuteur de déduire que P2 n’aime pas
danser .

3. Les actes de langage indirects:


ils sont liés à une certaine subjectivité du locuteur concernant le choix des formes linguistiques. Un
énoncé n’est pas seulement une information, il véhicule aussi l’intention communicative de
l’énonciateur qui a pour but d’accomplir une action sociale, c’est pourquoi l’acte de langage est le
reflet d’une attitude comportementale qui renvoie à une stratégie discursive. L’interprétation d’un
acte demande à l’interactant d’aller plus loin que le décodage linguistique, il faut arriver à calculer
les implications, à savoir l’ensemble des hypothèses qui ne sont pas communiquer explicitement.
Selon Selman (2013) L’implicite désigne ce qui se trouve dans le discours sans être littéralement
prononcé. L’interlocuteur peut le saisir soit par inférence soit par connotation ou encore par le biais
d'autres éléments, tels que les faits prosodiques et la gestualité. Il s'agit d’informations
9
supplémentaires éclairant la signification explicite. Ce locuteur préfère laisser entendre ou faire
entendre, à son interlocuteur ce qu’il ne veut pas ou n'ose pas dire explicitement/Oswald Ducrot
souligne ce cas de l'implicite volontaire en disant qu’ : « il ne s’agit pas seulement de faire croire, il
s’agit de dire, sans avoir dit » (Ducrot, 1972, p.15.) L’implicite volontaire (intentionnel) c’est une
ruse du locuteur . L’implicite fait référence à une vision du monde partagée

Nous distinguons, parmi ces actes indirects :


3.1. la présupposition :est une information implicite véhiculée par un énoncé. Elle est
tout ce qui est tenu pour acquis par le locuteur lorsqu’il prononce cet énoncé : « la présupposition
nécessite un antécédent contextuel afin d’établir sa contribution sémantique dans le discours. le contenu
présupposé doit établir un lien avec un antécédent au moyen d’une relation rhétorique » (Asher &
Lascarides, 1998, 2003). Sa compréhension est assimilée aux diverses inférences qui accompagnent
cet énoncé. Autrement dit, Ce procédé énonciatif est un moyen automatique d’informativité et les
informations sont « entrainées par la formulation de l’énoncé dans lequel elles se trouvent intrinsèquement
inscrites, quelle que soit la spécificité du cadre énonciatif » (Catherine Kerbrat-Orecchioni,1986 :25).
Ces caractéristiques sont :
 les informations présupposées se trouvent intrinsèquement inscrites dans l’énoncé ;
 le présupposé doit avoir un caractère de vérité pour que l’énoncé qui le contient puisse être considéré
comme vrai et que sa valeur argumentative soit mise en relief ;
 les informations véhiculées par les présupposés sont considérées comme connues du destinataire ;
l’énonciateur d’un présupposé est à la fois une instance collective et une instance individuelle
Exemple :
E154: qui tu aimes parmi elles ? P1155 : je n’aime pas tata naima
Pour comprendre cet échange nous devons d’abord le schématiser en établissant pour chaque
énoncé ce qu’il pose et ce qu’il présuppose :
Le posé : E154 : qui tu aimes parmi elles ?
Le présupposé : elles sont nombreuses
tu ne les aimes pas toutes
Le posé : P1155 : je n’aime pas tata naima
Le présupposé Les autres je les aime
Dans cet échange nous constatons que l’enchaînement se fait sur le contenu implicite(le présupposé)
.Autrement dit, l’intervention de E154 qui est une question directe implique une deuxième question
déduite par P1 en interprétant l’intention de E. selon lui, E cherche à savoir non quelles sont les

10
institutrices qu’il préfère mais découvrir celles qu’il déteste. Cette présupposition est introduite par
l’adverbe ″parmi″ qui souligne deux catégories de « elles » que nous représentons par ″toutes″ :
Toutes

Certaines sont aimées les autres ne le sont pas


D’après P1, la question de E est fausse et la vraie qui est non dite correspond à son inverse
d’ailleurs P1155 enchaîne sur l’inverse de cette question en répondant par la négation « je n’aime
pas » après avoir effectué un calcul inférentiel.
Reprenons cet échange qui se présente comme enchaînement implicite sur un contenu explicite
puisque la réponse de P1155 est marquée (enchaînement non préféré par la négation), nous
remarquons que P1 est plus direct puisque non seulement il saisit l’intention de E mais en même
temps, il l’explicite en répondant sur le non dit : /P1155 :je sais que tu veux savoir qui sont celles
que je n’aime pas alors je vais tedire je n’aime pas tata Naima.
A sa façon de répondre, P1 interprète non la question mais sa présupposée « qui tu n’aimes pas
parmi elles » véhiculée par la question, ce qui fait que l’enchaînement n’est pas erroné, au contraire,
il s’agit d’un enchaînement pragmatique réussi des deux cotés :
* E partant de l’hypothèse que P1 saura repérer la valeur réelle de la question
* P1 de sa part a effectivement identifié la nature de l’acte .

3.2. le sous entendu : une technique rhétorique qui conduit à réfléchir avec
circonspection sur les intentions. Cet acte de langage implicite « englobe toutes les manifestations
qui sont susceptibles d’être véhiculées par un énoncé donné mais dans l’actualisation reste
tributaire de certaines particularités du contexte énonciatif et pour décrypter la valeur cela
implique un calcul interprétatif s’actualisant dans des circonstances déterminées »15
Exemple :
E34 : ne lui parle pas comme ça/il n’est pas ton serviteur/
P235 :il n’obéit pas(il pousse la chaise de P1 avec son pied)
L’enchaînement dans cet échange est réalisé par un acte indirect qui permet à E non seulement
d’adresser un reproche traduit par un acte directif explicité dans le premier acte constituant son
intervention, mais aussi elle utilise l’acte assertif pour véhiculer une information de type
interrogative que nous représentons comme :
E\34 : pour qui tu te prends ?

15
Ibid, p39.
11
Cet acte assertif a la valeur d’une replique par laquelle E reproche à P2 sa façon de parler à P1
et lui fait remarquer la conception qu’il fait du système de position où il se prend pour le supérieur
alors qu’il attribue le rôle de serveur à P1.
L’implicite dans cet énoncé se fait d’une manière elliptique calculée par E qui choisit de viser
P2 par P1.
P1 de son coté procède de la même manière, c’est-à-dire par sa réplique de type insinuation16, il
ne se défend pas ouvertement, il détourne le reproche pour s’innocenter de la manière suivante :
P2/35 :si je lui parle comme ça c’est parce qu’il n’obéit pas

puisqu’il n’écoute pas

car il est têtu
Par Ice processus d’inférence que E doit suivre pour arriver à saisir la réplique de P2.

« je dirais qu’un implicite sémantique est le produit du seul matériel


linguistique, alors que les implicites pragmatiques sont liées à des règles et des
normes discursives ». (Moescler, 1985 :35)
3.3. La connotation : « le langage de connotation ne nécessite pas la production de
nouveaux vocables ou la modification de signes habituels […]. Il s’agit simplement de tisser entre
les signes des rapports nouveaux producteurs d’une réalité autre » (Adam, 1976 :90)
La connotation n'en fournit pas moins, au plan de l'énonciation, d'importantes informations sur
l'attitude affective du locuteur, sur son appartenance socio-culturelle, sur le type de communication
qu'il entend (ou feint) d'adopter, sur le réseau subjectif qu'il constitue dans l'ensemble des signes.
Par l'aspect connotatif de la signification, le locuteur se décrit lui-même, intentionnellement ou non,
et la connotation tient ainsi, dans les mécanismes paraphrastiques, un rôle de première importance :
les variations connotatives laissent intact le sens « logique » ou « dénotatif »2Martin, Robert,
Inférence, Antonymie et paraphrase : éléments pour une théorie sémantique, Paris : Librairie C.
Klincksieck, coll. « Bibliothèque française et romane », 1976, p.101
Kerbrat-Orecchioni les définit en : « unités linguistiques qui apportent des informations, non sur le
référent du message, mais sur son énonciateur » (1977 : 91) et classe comme suit

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« L’insinuation est un sous entendu malveillant (…) consiste à faire entendre autre chose que ce que nous disons , pas
forcément le contraire comme dans l’ironie, mais autre chose qu’est cachée et que l’auditeur doit pour ainsi dire trouver »(
voir :C.Kerbrat-Orecchioni,L’implicite, Armand-Colin,1986,p43-93).Le locuteur fait entendre un fait sans le dire ouvertement ni
clairement (il laisse entendre quelque chose à moitié ou sans en avoir l’air) de sorte à planer le doute sur la vérité de l’énoncé et
sur l’intention véritable de l’interactant .Elle est une accusation dont l’énoncé reste partiel.
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a- Les connotations socio-géographiques, indices de l’origine géographique et de l’appartenance
socio-culturelle du locuteur.
b- Les connotations émotionnelles ou affectives qui peuvent être « des indices de l’engagement
émotionnel du locuteur ».
c- Les connotations axiologiques : « unités linguistiques qui reflètent un jugement d’appréciation,
ou de dépréciation, porté sur l’objet dénoté par le sujet d’énonciation ».
d- Les connotations idéologiques. Des façons d’envisager le réel/ELLE RENVOIE à une culture à
une situation

3.4. l’insinuation : . est, « un sous entendu malveillant (…) consiste à faire entendre autre
chose que ce que nous disons , pas forcément le contraire comme dans l’ironie, mais autre chose
qu’est cachée et que l’auditeur doit pour ainsi dire trouver »( .Kerbrat-Orecchioni,1986,p43-93).Le
locuteur fait entendre un fait sans le dire ouvertement ni clairement (il laisse entendre quelque
chose à moitié ou sans en avoir l’air) de sorte à planer le doute sur la vérité de l’énoncé et sur
l’intention véritable de l’interactant .Elle est une accusation dont l’énoncé reste partiel :
Exemple :
MT18 : [moi je te parle/je ne m’adresse pas au mur
Dans cet énoncé constitué de deux actes assertifs, nous avons affaire à un sous entendu
malveillant déclenché par un procédé de chosification qui sert à comparer implicitement l’attitude
deMT au (‫~ الحيط‬mur) afin de remettre en question sa capacité de compréhension à travers une
expression locale utilisée pour souligner l’acte d’entêtement.
L’insinuation qui s’est installée à l’aide de la formule de négation ayant permis de transformer
l’assertion n°2 à un commentaire dépréciatif, a influencé sur le premier acte qui a donné
l’impression de rétablir la connexion communicative par la fixation du système d’allocation. L’acte
assertif (je te parle) qui fonctionne comme une désignation de l’interlocutrice à recevoir la parole a
fait d’elle une participante ratifiée, mais lorsque cette dernière ne répondant pas son statut
d’allocution, sa réaction a créé une rupture interactive qui a été interprétée par le biais d’un objet de
comparaison qui est le mur.
La confusion interprétative réside au niveau de cet objet;l’accent est mis sur sa composition dure
et non sur sa position figée. Et en comparant la femme à lui, cela ne veut pas dire que celle-ci ne
réagit pas mais que sa réaction n’a pas de sens. Elle parle pour rien ne dire parce qu’elle ne
comprend pas. A partir de cette déduction nous pourrons reformuler l’énoncé du départ comme
suit :
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MT : moi je te parle mais toi tu ne comprends pas puisque ta tête est dure comme le mur
3.5. L’allusion : appelée aussi par d’autres linguistes « renvoi intertextuel »,« discours
allusif », est à la limite du présupposé et du sous-entendu. C’est « un énoncé faisant une référence
implicite à des faits connus par les interactants, ce qui crée une certaine connivence entre eux. Il s’agit donc
d’informations convoquées de l’extérieur d’un savoir en principe partagé ou supposé partagé par les
membres d’un groupe, qui n’a pas besoin d’être explicité, mais dont le décodage devient ambigu, voire
inaccessible, par ceux qui ne possèdent pas une même compétence « encyclopédique ».( Cicurel etAll, 1994)

3.

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