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Fiche Cours

Nº : 91038 FRANÇAIS Toutes séries

Biographie de Balzac

Plan de la fiche :
1. Enfance, études, débuts littéraires (1799-1829)
2. Naissance d’un monde : les premiers chefs-d’oeuvre (1829-1841)
3. La Comédie humaine comme système(1842-1950)
4. Annexe : textes de Victor Hugo

Enfance, études, débuts littéraires (1799-1829)

Issu d’une famille paysanne du Tarn, Bernard François Balssa(1746-1829), le père d’Honoré, put faire carrière à la faveur de la
Révolution. Il fut directeur des vivres militaires à Tours,où Honoré naquit le 20 mai 1799. Issue de la bourgeoisie parisienne, sa
mère, Laure Sallambier, était beaucoup plus jeune que son père. Honoré eut deux soeurs : Laure quideviendra Laure de Surville,
et Laurence devenue ensuite Madame de Montzaigle. Honoré souffrit du manque d’affection de sa mère qui préférait Henry, fils
adultérin dont le père était Jean de Margonne, châtelain de Saché-en-Touraine, où Balzac a souvent séjourné et travaillé.

De 1807 à 1813, Honoré est pensionnaire au collège des oratoriens de Vendôme, qui devint plus tard le lycée Ronsard.Balzac
a évoqué la discipline austère qui régnait chez les oratoriens dans Louis Lambert, roman autobiographique.Voici un demi-siècle,
les élèves sanctionnés du collège de Juilly, également tenu par les oratoriens, devaient apprendre des actes entiers du Cid de
Corneille.
Marginal et imaginatif, Honoré n’était guère motivé par les exercices scolaires du collège et séjournait souvent au cachot, dans les
« alcôves » ou les « culottes de bois », réduits où il se passionnait pour les livres et les dictionnaires.
Pendant six ans, il ne revoit les siens que très rarement, confiné dans l’univers claustral du collège, comme l’étaient sous l’Ancien
Régime les cadets du collège militaire de La Flèche. Mais il s’intéresse à des textes « philosophiques » et aurait même initié le projet
d’un Traité de la volonté.

En 1813-1814, Honoré est pensionnaire à Paris où son père poursuit sa carrière dans l’intendance. Sa mère reste toujours aussi
distante et, dans une lettre amère, l’informe par exemple qu’elle le laisse en retenue dans sa pension pour un mauvais résultat en
version latine.
Un peu plus tard, il devient étudiant en droit comme il est convenable pour un jeune bourgeois attentif aux ambitions conçues pour
lui par sa famille. Bachelier en droit, il suit des cours de philosophie, devient bachelier-ès-lettres, entre comme clerc chez Maître
Guionnet-Merville, avoué, puis dans celle d’un notaire. Marqué par ses stages, Balzac évoquera plus tard cet univers pittoresque,
routinier et poussiéreux de la basoche dans Le Colonel Chabert, avec la figure de Maître Derville.

Mais au printemps 1819, Honoré déclare vouloir rompre avec toute profession bourgeoise et affirme sa volonté dêtre écrivain. Il
entend devenir un homme de lettres célèbre, à l’image des ambitions de Lucien de Rubempré dans les Illusions perdues. Déjà atteinte
par une diminution de revenus et désormais installée à Villeparisis, hors de Paris, sa famille est râpée par cette décision.
Bourgeoise austère, la mère d’Honoré désapprouve ce choix d’une vie de bohème hasardeuse. Pour devenir un grand écrivain,
Honoré est alors installé dans une mansarde à prix modique, rue Lesdiguières, où on lui accorde deux ans pour réaliser sa
vocation.
Les dessins en coupe des immeubles bourgeois, comme la description de Paris dans Ferragus, montrent que la distribution étagée
de l’habitat est à l’époque très connotée socialement : les étudiants pauvres logent dans les mansardes, « espèce de tête pleine de
science et de génie », écrit Balzac.
Ainsi, c’est dans un très modeste logis que Rubempré s’installe à Paris dans les Illusions perdues, et c’est de là que sont observées
les moeurs du boulevard dans Facino Cane, avec la chance pour le romancier de devenir un autre par l’imagination.

Mais c’est dans La Peau de chagrin qu’apparaît l’écho littéraire le plus saisissant de l’univers de la mansarde, chaude en été et froide
en hiver comme il se doit, espace métaphorique de la marginalité mais aussi de la création esthétique, solitaire et féconde. « Rien
n’était plus horrible que cette mansarde qui sentait la misère [...] Pendant les dix premiers mois de ma réclusion, je menais cette vie pauvre
et solitaire [...]. Cette cage était digne des plombs de Venise [...]. Je vécus dans ce sépulcre aérien [...] travaillant nuit et jour sans relâche avec
tant de plaisir que l’étude me semblait être la plus heureuse solution de la vie humaine. »

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Poète, dramaturge ou romancier, Honoré écrit des textes divers et parvient à achever un drame en vers, Cromwell, destiné à lui
apporter la gloire et la fortune. Mais les exigences convenues du genre tragique ne conviennent guère au style impétueux d’Honoré
et l’oeuvre, une fois lue en public devant le cercle familial, est jugée mauvaise par Andrieux, professeur au Collège de France et
académicien. Honoré poursuit néanmoins ses débuts d’écrivain. Il avait déjà entrepris des textes de spéculation philosophique, les
Notes sur la philosophie de la religion et les Notes sur l’immortalité de l’âme. Deux récits, Falthurne (1820) et Sténie (1821), sont suivis
d’un Traité de la prière.
Plus particulièrement, Honoré porte son énergie à la réalisation d’aventures romanesques dans le goût romantique du temps.
Le public veut des romans excitants, « violents, romantiques, exotiques » remarque Stefan Zweig dans la biographie consacrée
au romancier. C’est « une mixture de poison et de larmes, de vierges vertueuses, de corsaires, de sang et d’encens, de crapulerie et de
générosité, de magiciennes et de troubadours » réunis « en une boulette romantico-historique », à l’image des romans noirs d’Ann Radcliffe
en Angleterre. La mode est au style néo-médiéval avec les romans de Walter Scott. Prisonniers, pages, corsaires, condotierri et
sorcières peuplent ainsi le roman Falthurne.

En 1821, Honoré quitte sa mansarde et s’associe à Auguste Le Poitevin de L’Egreville en vue d’une production de romans en
série dans le genre naissant du feuilleton sous le pseudonyme de Lord R’ Hoone. Honoré écrit et Poitevin commercialise. Cette
quarantaine de romans lui procure quelques revenus, à la satisfaction familiale. Honoré perçoit de huit cents à deux mille francs
pour chaque oeuvre (mille francs de l’époque équivalent environ à deux mille euros).
Charles Pointel, Les Deux Hector, Jean-Louis ou La Fille trouvée, Le Tartare ou Le Retour de l’exilé, Le Vicaire des Ardennes, Aroow le pirate
et Clotilde de Lusignan figurent parmi ces oeuvres dont les dernières sont signées Horace de Saint-Aubin. La critique littéraire
académique n’y verra que produits marchands de consommation, « cochonnerie littéraire ». D’autres, plus lucides, comprendront
qu’Honoré fait là son apprentissage littéraire : à côté de cette littérature facile, il rédige des codes et des physiologies, à la fois
textes didactiques et descriptions satiriques des moeurs du temps, vendus à plusieurs milliers d’exemplaires, sans oublier des textes
politiques comme une Histoire impartiale des Jésuites.

Dans ces prémices de sa future oeuvre romanesque, Honoré est déjà contraint à un travail de plusieurs dizaines de pages par jour,
dans un retranchement du monde nécessaire à la conquête de la gloire littéraire et de la réussite sociale. Sa liaison avec Laure de
Berny, la « Dilecta », de plus de vingt ans son aînée, va le libérer de la tutelle familiale.
Madame de Berny va aider matériellement, financièrement et surtout moralement Honoré qui rencontre ainsi confiance, bienveillance
et amour, alors qu’il n’avait été soumis jusqu’ici qu’à l’autoritarisme maternel. Madame Balzac ne voyait que prétention dans le
génie du jeune homme. Or,Honoré bénéficie maintenant d’une conseillère maternelle et protectrice. En 1825, Balzac connaît une
nouvelle amie en la personne de la duchesse d’Abrantès qui lui ménage de nombreuses relations mondaines.

Après la fabrique de « marchandise littéraire », Honoré connaît une nouvelle étape de sa vie dans le monde des affaires, un levier de
la réussite sociale dans le nouvel univers postérieur à la Révolution. Littérature, affaires, Bourse, journalisme, politique : tels furent
pour Balzac les vecteurs de la réussite. Ni rentier ni écrivain installé, Balzac est plutôt un de ces fils de la génération issue de la
Révolution, ambitieux, actif et libre d’esprit comme son père.
Il entend sortir de l’obscurité et devenir acteur de son siècle, comme Chateaubriand le préconisait pour l’écrivain moderne
dans les Mémoires d’outre-tombe. L’artiste classique avait été trop longtemps un homme d’esprit ou de cabinet, distant des réalités
sociales et économiques, vivant de ses rentes. Balzac entend au contraire réussir par ses entreprises et son propre travail. Idéaliste
et imaginatif, il s’enthousiasme pour une affaire de librairie et d’édition proposée par Urbain Canel à qui il avait confié son dernier
roman, Wann-Chlore : réédition en petits caractères d’oeuvres classiques, ouverture d’une imprimerie puis d’une activité de fonderie
de caractères se soldent en définitive par des échecs financiers, malgré le concours de sa famille et de Madame de Berny.
En 1828, Balzac doit soixante mille francs à la suite de sa famille. Sa prodigalité fut telle dans les années qui suivirent que ces dettes
ne furent jamais éteintes.

Si cette aventure ruineuse a pu révéler l’inexpérience technique et économique de Balzac ainsi que sa difficulté à mener à bien
ses multiples projets dans la vie réelle, elle prouve néanmoins que Balzac n’a jamais méprisé les affaires par vanité intellectuelle,
l’essentiel étant d’imaginer, de concevoir de multiples voies de la réussite au prix d’un travail, d’un investissement intense. Cette
dure expérience le familiarise enfin avec le monde des affaires, de l’édition et du journalisme. L’aventure du commerce figurera au
centre de César Birotteau, celle de l’édition dans les Illusions perdues.
Balzac a acquis une connaissance de la société et de l’entreprise, des créanciers et des procès, réalités étrangères à l’esthétisme de
ses contemporains. Ses grandes épopées littéraires du monde de la bourgeoisie, exactes métaphores fictives d’une réalité sociale
devenue mythologie, n’auraient pu être conçues sans ces expériences et ces déceptions des années de jeunesse.

Naissance d’un monde : les premiers chefs-d’oeuvre (1829-1841)

Surmontant son découragement, Balzac commence une nouvelle étape de sa vie marquée par une installation discrète rue Cassini

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dans un logis meublé avec goût, où il entend échapper aux créanciers. Il songe à faire son chemin et à gagner la gloire littéraire,
comme Bonaparte a gagné la gloire militaire : « Ce qu’il a accompli par l’épée, je l’accomplirai par la plume » écrit-il.
Soucieux jusqu’ici de faire de l’argent à court terme, sous des pseudonymes, il va désormais écrire sous son nom, Honoré Balzac, et
fait paraître en 1829 son premier grand roman,Les Chouans qui ne connaît que le succès relatif de cinq cents exemplaires vendus la
première année. Juste après, la Physiologie du mariage, refonte d’un Code conjugal précédent,le fait accéder à la célébrité et lui ouvre
la porte des salons.
Les conditions sont alors favorables à l’expression de son génie : expérience stylistique acquise par des dizaines d’essais, connaissance
de la société beaucoup plus lucide qu’en 1820, forte imagination romanesque, amitiés et relations nombreuses, introductions dans
le monde du journalisme et de la politique.

La production des années 1830 et 1831 est considérable à travers diverses collaborations à des journaux, soit près de cent
cinquante publications en deux ans. La littérature n’est pour Balzac qu’une voie possible de la réussite, l’essentiel étant de dominer
le monde par la gloire et par l’argent. Il écrit à sa mère en 1832 : « Tôt ou tard, la littérature, la politique, le journalisme, un mariage ou
une grande affaire me feront une fortune ».

Désormais lancé, Balzac écrit et publie La Peau de chagrin en 1831, La Femme de trente ans la même année, Le Colonel Chabert et Louis
Lambert en 1832, Eugénie Grandet et Le Médecin de campagne en 1833, La Recherche de l’absolu en 1834. Dès 1830, Balzac organise
des regroupements afin de conférer à son oeuvre une organisation d’ensemble : il rassemble les Scènes de la vie privée puis viennent
les Etudes de moeurs en 1834. Il regroupe également les Romans et contes philosophiques. Vingt volumes d’Etudes philosphiques vont
ainsi paraître de 1834 à 1840.
En 1833, Balzac signe un contrat pour la publication des Etudes de moeurs au XIXe siècle, dont les douze volumes parus jusqu’en
1837 comprennent les Scènes de la vie privée, les Scènes de la vie de province et les Scènes de la vie parisienne. Dans une lettre
d’octobre 1834 adressée à Madame Hanska, Balzac décrit son système de manière synthétique, distribue son oeuvre en Etudes de
moeurs, Etudes philosophiques, Etudes analytiques : il entend créer un monde romanesque rivalisant avec le monde réel, unifiant tout
en un seul système, avec comme principe le retour des personnages, lequel est appliqué de manière systématique dans Le Père
Goriot paru en 1835. Tout peut être décrit grâce à des « types » humains symboliques et significatifs. Les observations sociales de la
jeunesse prennent corps dans le roman. Balzac veut « devenir l’historien de son propre temps, le psychologue et le physiologue, le peintre
et le médecin, le juge et le poète de ce monstrueux organisme qui s’appelle Paris, laFrance, le monde » (Stefan Zweig).
Cette conscience de sa tâche oriente désormais sa vie. Il écrit en 1835 : « Je veux gouverner le monde intellectuel en Europe ; encore
deux ans de patience et de travaux et je marcherai sur toutes les têtes de ceux qui veulent me lier les mains, retarder mon vol ! »
Les publications se poursuivent tout au long de la décennie : Le Lys dans la vallée en 1835, L’Histoire des treize de 1833 à 1835, le
début des Illusions perdues, César Birotteau en 1837 et Le Curé de village en 1839.

La vie mondaine de Balzac est active, ses voyages à l’étranger multiples et ses relations féminines le lient à Laure de Berny, à Madame
d’Abrantès et à la duchesse de Castries qui l’introduit après 1830 dans le milieu légitimiste dont l’influence sociale est certaine en
dépit de la mutation politique de 1830 qui voit l’arrivée des orléanistes au pouvoir avec Louis-Philippe.
Introduit dans les salons aristocratiques du faubourg Saint-Germain, Balzac affiche ses distances avec le nouveau pouvoir bourgeois
dont il méprise la médiocrité. Il affiche même quelques ambitions politiques en 1831 et 1832. Ironisant sur les dirigeants de la
Monarchie de Juillet, Balzac s’adresse à eux en mettant en cause leurs « habits mesquins », leurs « révolutions manquées », leurs «
bourgeois discoureurs », leur « religion morte, leurs pouvoirs éteints » et leur « roi en demi-solde ». Le choix du légitimisme permet à
Balzac, fils de plébéien, d’affirmer sa singularité.

Quel portrait faire de Balzac dans le monde ? Balzac avait hérité de la verve et de la vitalité de son père, libre d’esprit, ouvert aux
idées nouvelles, aux opportunités de carrière et lui-même auteur de brochures sur divers sujets sociaux.
Apparu sur la scène du monde parisien après 1830, Balzac était fasciné par l’aristocratie et menait volontiers un mode de vie
ostentatoire : dandy, il possède un tilbury, des chevaux, une loge à l’Opéra, du mobilier de luxe et des objets d’art ; sa tenue
vestimentaire est plutôt voyante en dépit de sa critique de ceux qui en font trop dans leur mise (Traité de la vie élégante).
Toutefois, il reste perçu comme un plébéien par son refus des règles mondaines et son exubérance d’autant plus forte qu’il reste
ordinairement cloîtré dans le silence de son travail de romancier. Il est jugé trop loquace et coupe souvent la parole. Soucieux
de son indépendance et conscient de la valeur de son travail, il lui est difficile de s’intégrer à l’univers des mondains oisifs qui
n’effectuent pour leur part aucun travail littéraire et qui méconnaissent précisément son propre travail.
Tout en subissant les railleries de la « bonne société » et des journalistes aigris et jaloux, il éprouve la difficulté concrète de briller
dans le monde tout en étant supérieur en littérature. Sans pouvoir toutefois se dispenser de la mondanité, Balzac éprouve la
superficialité des salons et veut en être indépendant.
On rapporte une anecdote selon laquelle Balzac, fatigué d’une discussion mondaine, décida de rentrer chez lui pour retrouver
l’univers plus réel de son roman. Ne voyant en lui qu’un original, certains méconnaissent sa démarche, cette nécessité de l’isolement
indispensable à la création, ce qui explique son « exubérance » dans les moments de liberté après une tension intense.
Loin de la mythologie de l’écrivain génial et inspiré, Balzac est avant tout un travailleur de la plume. Ses soixante-quatorze romans
– sans compter ses articles et nouvelles – lui ont permis de créer un monde autonome, tout un peuple romanesque, un espace
aux dizaines de lieux et aux milliers de personnages (plus de deux mille) dont plusieurs centaines sont présentées au visiteur par

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des gravures sur bois dans l’une des salles de la maison qu’il loua pendant sept ans à partir de 1840, sous le nom de Monsieur de
Breugnol, rue Basse, actuellement au 47 de la rue Raynouard.
Dans ce « trou de Passy où je vis comme un rat […] il n’y a que solitude pour un homme qui travaille seize heures par jour. » De la petite
table de son cabinet de travail, Balzac affirme qu’« elle fut témoin de mes angoisses, de mes misères, de mes détresses, de mes joies, de
tout [...] Mon bras l’a presque usée à force de s’y promener quand j’écris ». Après avoir dormi de dix-huit heures à minuit, Balzac passe
de longues heures à écrire, vêtu d’une robe de chambre blanche qui lui confère une allure monacale. Il veille au type de papier et de
plume employé. « Excitant moderne », le café qu’il consomme se compose de trois types de grains, bourbon, martinique et moka,
achetés chez trois marchands distincts.
Le silence de la nuit et les rideaux tirés l’isolent du monde extérieur ; les difficultés financières comme les déconvenues auprès des
journalistes se dissipent et seul le monde fictif intérieur s’exprime désormais. Balzac s’en libère sur le papier sans le secours de
notes préparées. Le matin venu, il poursuit son travail de galérien des Lettres avec la correction des épreuves apportées par des
coursiers, et l’on pense à ce vers de Boileau issu de L’Art poétique : « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ».

A la différence de Flaubert qui contracte, Balzac crée presque systématiquement un nouveau texte par une série d’expansions
autour du texte initial. Il réécrit plusieurs fois la même page et, comme en atteste le manuscrit de La Vieille Fille, il est très soucieux
de la perfection de son texte et exige le bon à tirer de ses éditeurs-imprimeurs.
Les relations de Balzac avec ses éditeurs ont d’ailleurs été souvent orageuses. Sans dépenses somptuaires et sans dettes, Balzac
aurait pu vivre de ses textes, romans, feuilletons et collaborations aux journaux, en particulier grâce à Emile de Girardin. Les
rémunérations sont assez conséquentes et permettent de vivre largement à Paris avec trois mille francs par an. Un roman rapporte
l’équivalent de 1 000 à 10 000 euros et un journaliste peut gagner six mille euros mensuels. Et, au XIXe sicèle, la fiscalité n’existe
pas ; il en va de même pour les investissements informatiques.

Toutefois, si Balzac n’a pas le profil « bohème » de Rimbaud ou de Baudelaire, il n’est pas non lus un écrivain installé et consacré
comme le furent Hugo et Chateaubriand, sa réussite ne fut pas définitive et on ne peut pas parler à son propos de « carrière »
au sens académique. Lié aux salons et au journalisme, Balzac pensait néanmoins qu’il était difficile de réussir dans le monde sans
renoncer à soi-même.
Aussi, défend-il sans cesse son travail face aux éditeurs, bataillant, comptant sur ses seules forces, se chargeant de tous les papiers,
sans secrétaire ni avocat, du moins en ses débuts. Il est souvent en retard dans la remise de ses manuscrits et doit compter, pour
régler ses dettes, sur des avances financières, des « à-valoir » perçus avant même d’écrire ses romans...
Avant 1841, il travaille avec plusieurs éditeurs : Madame Louise Béchet à partir de 1831, qui va éditer les Etudes de moeurs de 1834
à 1837, puis Werdet, Buloz, Bohain, Mame et Gosselin qui vont le menacer d’un procès au civil pour infidélité au moment de la
parution du Médecin de campagne.

Après 1841, Balzac confie à Furne toute l’édition de La Comédie humaine. Balzac défend la condition de tous les écrivains, les cite
avec bienveillance mais lui-même doit subir les critiques acerbes de Saint-Beuve. Néanmoins, Jules Sandeau, George Sand et Victor
Hugo lui témoignent leur amitié ; mais ses échecs successifs à l’Académie française en 1839 et en 1848 montrent qu’il ne jouit pas
de l’estime de la classe littéraire installée qui sera également indifférente à des écrivains comme Proust ou Céline.
Pour sa part, Balzac est soucieux de solidarité : il soutient Stendhal et le félicite pour La Chartreuse de Parme. Il se préoccupe du
devenir et de la promotion de ses propres ouvrages comme il cherche à unir les écrivains pour la défense du droit des auteurs, à
travers son activité au sein de la nouvelle Société des Gens de Lettres.

S’il est vrai que Balzac a connu ce retranchement, cette distance nécessaire à la création romanesque, il est essentiel de comprendre
par ailleurs qu’il différait totalement des notables des Lettres, individualistes esthétisants, indifférents aux réalités de l’édition
comme au devenir de leurs oeuvres.
Balzac passait son temps à écrire, mais aussi à veiller à de meilleures éditions de ses ouvrages, à entretenir des contacts avec la
presse, à relancer des projets, ce qui révèle qu’il fut pleinement en phase avec son temps.
La décennie que nous examinons montre que Balzac fut l’enfant de son siècle, manifesta sa prodigieuse vitalité dans ses activités,
au-delà de la littérature  : journalisme, projets théâtraux, vie mondaine, voyages, entreprises financières, projets immobiliers et
économiques, relations féminines.

Les journalistes parisiens qui « font l’opinion » lui sont souvent défavorables, ce qui ne l’écarte pas pour autant du monde des
journaux. Il entretient des contacts avec Emile de Girardin. Certains romans paraissent en feuilletons ; il collabore à divers journaux
tels que La Revue de Paris, La Revue des Deux Mondes ou le Rénovateur qui est une feuille légitimiste.
Il prend une participation majoritaire et dirige en 1836 La Chronique de Paris, autre feuille légitimiste qui ne lui apporte pas le succès
escompté. Il fonde, quatre ans après, l’éphémère Revue parisienne où il publie un article en hommage à Stendhal pour La Chartreuse
de Parme.
Le théâtre, tout comme les textes philosophiques, était une ancienne et constante préoccupation de Balzac, qu’il estimait à l’égal
du roman et dont il espérait une forte rentabilité financière. Une pièce réussie pouvait rapporter cent ou deux cent mille francs.
Il porte à la scène des romans dramatisés, Vautrin, L’Ecole des ménages, Les Ressources de Quinola et Paméla Giraud, avec des succès
très inégaux : les sifflets et les chahuts succèdent aux salles presque vides.

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La vie mondaine était riche de rencontres avec ses amis, de fréquentation des salons et de voyages. Balzac visite la duchesse
d’Abrantès et la duchesse de Castries qui l’introduit dans le milieu légitimiste qu’il rallie a rès 1830. Il fréquente la comtesse
Guidoboni-Visconti, rend visite à ses amis Carraud à Frapesle, Margonne à Saché-en-Touraine. Il voyage en Suisse, en Autriche et
en Italie, séjour de prédilection des écrivains romantiques dans la tradition du voyage de loisir qui dure plusieurs mois. Il rencontre
Metternich en Autriche, Talleyrand en Touraine et George Sand à Nohant dans le Berry. La gloire littéraire lui semble mieux
honorée à l’étranger, en Italie surtout, à Milan et à Venise, que dans le milieu parisien.

Le travail intensif et la notoriété lui procurent des revenus confortables. En 1832, il reçoit par exemple vingt-sept mille francs de
Madame Béchet pour la réédition des Scènes de la vie privée, de la vie de province et de la vie parisienne. En 1837, il écrit César Birotteau
pour vingt mille francs, et ses cinq romans par an lui rapportent de soixante à cent mille francs, ce qui lui permet de régler une
partie de ses dettes. Mais l’année antérieure, 1836, malgré les succès récents du Père Goriot et d’Eugénie Grandet, fut plutôt difficile
: en retard sur les échéances des contrats, Balzac se brouille avec Buloz, l’un de ses éditeurs et ailleurs directeur de revue influent.
Buloz exige des dommages et intérêts si l’oeuvre n’est pas achevée à temps. Pour liquider ses dettes, Balzac se lance dans deux
projets : celui des Jardies à Sèvres, en 1837, l’autre en Sardaigne. Le premier projet est une spéculation foncière : Balzac achète un
domaine à Sèvres, y étend des constructions coûteuses en travaux et souhaite même, dit-on, y développer la culture de l’ananas
et des vignes. L’entreprise devient un gouffre financier et échoue en liquidation. L’autre projet le mène en Sardaigne pour devenir
propriétaire de mines d’argent : voyage inutile puisque Balzac découvre le terrain déjà exploité. Ces deux exemples révèlent une
faculté d’imaginer, de concevoir de multiples projets mais dont la concrétisation devient difficile et ruineuse.

La situation financière catastrophique de Balzac le mène à fuir les huissiers et les créanciers en dissimulant son identité et en
s’installant dans plusieurs domiciles successifs ; rue Cassini, rue des Batailles, rue Basse, puis rue Fortunée – actuellement rue
Balzac.
Installé par exemple rue Cassini, Balzac use de ruses pour tenir les créanciers à distance : mots de passe périodiquement changés
ou sorties multiples... Il est également recherché en 1836 et en 1839 pour s’être soustrait aux obligations de service de la Garde
nationale, milice bourgeoise de l’époque de Louis-Philippe.

Faire fortune, s’installer et se marier : tels sont les buts de Balzac, écrivain de l’âge romantique et bourgeois. Il reçoit à la fin de
1832 une lettre d’une admiratrice, signée « L’Etrangère », une aristocrate polonaise qui réside à Wierzchownia en Ukraine et qui
est mariée à un mari âgé. Balzac va entretenir avec Madame Hanska une longue amitié littéraire, une correspondance passionnée,
dont le premier jalon est une réponse faite à sa première lettre par le biais de La Gazette de France.

Il rencontre celle qu’il surnomme « L’Etoile polaire » à Neufchâtel en 1833. Il la reçoit à Vienne en 1835, avant une séparation de
huit ans. C’est Balzac qui doit se déplacer, organiser des voyages coûteux et complexes dans des conditions parfois aventureuses
ou rocambolesques pour voir Madame Hanska sans éveiller les soupçons du mari ; celui-ci découvre un jour une lettre d’amour
passionnée dont Balzac dut avouer qu’elle « n’était qu’un modèle littéraire », ce qui était un mensonge opportun.
On a beaucoup dit et écrit sur la relation de Balzac et de Madame Hanska. Si Balzac lui portait de sincères sentiments amoureux
et espérait le mariage, Madame Hanska tint le romancier à distance pour plusieurs années et ne vit là qu’une forte amitié littéraire.
Elle appréciait le talent de Balzac, jugeait sa compagnie plaisante tout en conservant des réticences de classe face à un plébéien dans
une Russie à l’époque plutôt fermée à la France issue de la Révolution.

La Comédie humaine comme système (1842-1850)

Ce qui ouvre cette période est la constitution de l’oeuvre de Balzac en système organique, sous le titre La Comédie humaine,
dont Furne et Hetzel doivent procéder à l’édition complète. Dix-sept volumes vont paraître jusqu’en 1848. Des dessinateurs et
caricaturistes comme Cavarni, Daumier et Monier sont chargés des illustrations. Balzac lui-même s’occupe du classement : aux
dix-sept volumes parus viennent s’ajouter trois autres tomes, dont un de théâtre et un autre de contes drolatiques. L’ensemble
comprend trois parties : études de moeurs, études philosophiques, études analytiques. La première partie est elle-même divisée en
multiples scènes.

L’Avant-propos de 1842 est un texte théorique à valeur de manifeste où Balzac affirme ses convictions catholiques et légitimistes : «
J’écris à la lumière de deux vérités éternelles : la Religion et la Monarchie ». Mais il explique surtout la démarche littéraire de La Comédie
humaine. Tout comme les espèces animales – étudiées en particulier par Geoffroy Saint-Hilaire –, les espèces humaines et sociales
sont différenciées et très complexes.
Balzac veut donc peindre cet univers, « faire concurrence à l’Etat civil, devenir le secrétaire de la société française », écrire l’histoire
des moeurs, oubliée par les historiens. Il faut donner la vie à quelques milliers de personnages et de types humains : étudiants,
anciens forçats, aristocrates, rentiers, employés, commerçants, courtisanes... Il faut parcourir tous les lieux, du boulevard parisien
qui s’anime, des magasins, des bureaux et des salons aux ruelles les plus silencieuses et les plus étroites de la province, là où se
jouent des drames muets. Balzac se fait donc démiurge omnicient. « La Comédie humaine », c’est l’imitation de « Dieu le Père », écrivit
Thibaudet à propos de l’oeuvre.

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Balzac pensait avoir tout achevé en quelques années, avoir parcouru tous les univers professionnels, politiques et militaires... jusqu’à
l’écriture d’une Anatomie des corps enseignants. Cent quarante-quatre volumes sont mentionnés par lui dans le catalogue de l’oeuvre
établi en 1845, mais cinquante ne furent pas exécutés. Le titre lui-même, La Comédie humaine, utilise la métaphore théâtrale pour
désigner la société comme jeu d’apparences, selon les leçons amères de l’observation des salons mondains par Balzac, comme par
ses personnages, Rastignac et Rubempré.

Dans cette décennie, Balzac publie les oeuvres de la maturité : Le Curé de village en 1841, La Femme de trente ans sous sa forme
ultime, La Rabouilleuse et Les Parents pauvres (Le Cousin Pons et La Cousine Bette) en 1847. Il achève les Illusions perdues ainsi que
Splendeurs et Misères des courtisanes. L’évocation puissante des passions l’emporte dans ses dernières oeuvres.

La vie affective le mène en cette période vers Madame Hanska. En janvier 1842, on apprend le décès de Monsieur Hanski ; Balzac
relance alors son projet de mariage avec une épouse idéale qui pourrait le libérer de ses dettes. Après huit ans de séparation,
Honoré retrouve Eva en 1843 à Saint-Petersbourg et parcourt l’Europe avec elle.
Les années suivantes, Eva diffère sa réponse positive dans l’attente du mariage de sa fille, qui a lieu en 1846. La même année, Balzac
est désespéré par la naissance d’un enfant mort-né venu de leur union. Il fait installer pour Madame Hanska la maison parisienne de
la rue Fortunée, lourdement et richement ornée. Il court les antiquaires, achète de nombreux objets d’art, monte des collections.
Il séjourne plusieurs mois en Ukraine auprès d’Eva en 1847 et au début de 1850. Balzac n’est pas un notable : sa vie est jugée plutôt
instable. Eva le qualifie de « Bilboquet » ou de « pauvre Balzac » mais consent à l’épouser en mars 1850. Ils s’installent à Paris en
mai de la même année. La distance sociale est évidente entre Eva et la mère de Balzac qui se tient à l’écart de la rue Fortunée.
Le mariage comble l’écrivain. « J’ai épousé la seule femme que j’ai aimée... J’aurai le plus brillant de tous les étés, le plus doux de tous les
automnes » écrit-il à Zulma Carraud.
Mais la santé de Balzac se dégrade. Il ne peut plus lire ni écrire et souffre de pathologies cardiaques, pulmonaires et cérébrales. Selon
la formule consacrée, il décède le 18 août 1850 « épuisé par le travail ». Ainsi s’achève le roman d’une vie où Balzac a pu surtout
donner force à ses rêves par l’écriture.

Annexe : textes de Victor Hugo

Le premier texte qui suit est extrait de Choses vues et raconte la dernière visite que fit Hugo à Balzac au soir du 18 août 1850, le
second est celui qu’il prononça sur sa tombe le 22 août.

La mort de Balzac

Nous traversâmes un corridor, nous montâmes un escalier couvert d’un tapis rouge et encombré d’objets d’art, vases, statues,
tableaux, crédences portant des émaux, puis un autre corridor, et j’aperçus une porte ouverte. J’entendis un râlement haut et
sinistre.

J’étais dans la chambre de Balzac.

Un lit était au milieu de cette chambre. Un lit d’acajou ayant au pied et à la tête des traverses et des courroies qui indiquaient
un appareil de suspension destiné à mouvoir le malade. M. de Balzac était dans ce lit, la tête appuyée sur un monceau d’oreillers
auxquels on avait ajouté des coussins de damas rouge empruntés au canapé de la chambre. Il avait la face violette, presque noire,
inclinée à droite, la barbe non faite, les cheveux gris et coupés court, l’oeil ouvert et fixe. Je le voyais de profil et il ressemblait ainsi
à l’Empereur [...].

Une odeur insupportable s’exhalait du lit. Je soulevais la couverture et je pris la main de Balzac. Elle était couverte de sueur. Je la
pressais. Il ne répondit pas à la pression.

C’était cette même chambre où j’étais venu le voir un mois auparavant. Il était gai, plein d’espoir, ne doutant pas de sa guérison,
montrant son enflure en riant.

Nous avions beaucoup causé et disputé politique. Il me reprochait ma « démagogie ». Lui était légitimiste [...].

Il me disait aussi : « J’ai la maison de M. de Beaujon, moins le jardin, mais avec la tribune sur la petite église du coin de la rue. J’ai là
dans mon escalier une porte qui ouvre sur l’église. Un tour de clef et je suis à la messe. Je tiens plus à cette tribune qu’au jardin. »

Quand je l’avais quitté, il m’avait reconduit jusqu’à cet escalier, marchant péniblement, et m’avait montré cette porte, et il avait crié
à sa femme : « Surtout, fais bien voir à Hugo tous mes tableaux ».

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Fiche Cours

Nº : 91038 FRANÇAIS Toutes séries


La garde me dit :
– Il mourra au point du jour.

Je redescendis, emportant dans ma pensée cette figure livide ; en traversant le salon, je retrouvais le buste immobile, impassible,
altier et rayonnant vaguement, et je comparai la mort à l’immortalité.

Le discours de Victor Hugo au Père-Lachaise

Tous ses livres ne forment qu’un livre, livre vivant, lumineux, profond, où l’on voit aller et venir et marcher et se mouvoir, avec je
ne sais quoi d’effaré et de terrible mêlé au réel, toute notre civilisation contemporaine : livre merveilleux que le poète a intitulé
comédie et qu’il aurait pu intituler histoire, qui prend toutes les formes et tous les styles, qui dépasse Tacite et qui va jusqu’à
Suétone, qui traverse Beaumarchais et qui va jusqu’à Rabelais ; livre qui est l’observation et qui est l’imagination ; qui prodigue le vrai,
l’intime, le bourgeois, le trivial, le matériel, et qui par moments, à travers toutes les réalités brusquement et largement déchirées,
laisse tout à coup entrevoir le plus sombre et le plus tragique idéal.

A son insu, qu’il le veuille ou non, qu’il y consente ou non, l’auteur de cette oeuvre immense et étrange est de la forte race des
écrivains révolutionnaires. Balzac va droit au but. Il saisit corps à corps la société moderne. Il arrache à tous quelque chose, aux
uns l’illusion, aux autres l’espérance, à ceux-ci un cri, à ceux-là un masque. Il fouille le vice, il dissèque la passion. Il creuse et sonde
l’homme, l’âme, le coeur, les entrailles, le cerveau, l’abîme que chacun a en soi. Et, par un don de sa libre et vigoureuse nature,
par un privilège des intelligences de notre temps qui, ayant vu de près les évolutions, aperçoivent mieux la fin de l’humanité et
comprennent mieux la providence, Balzac se dégage souriant et serein de ces redoutables études qui produisaient la mélancolie
chez Molière et la misanthropie chez Rousseau.

L’homme qui vient de descendre dans cette tombe était de ceux à qui la douleur publique fait cortège. Dans les temps où nous
sommes, toutes les fictions sont évanouies. Les regards se fixent désormais, non sur les têtes qui règnent, mais sur les têtes qui
pensent et le pays tout entier tressaille lorsqu’une de ces têtes disparaît. Aujourd’hui, le deuil populaire c’est la mort de l’homme
de talent ; le deuil national c’est la mort de l’homme de génie. Messieurs, le nom de Balzac se mêlera à la trace lumineuse que notre
époque laissera dans l’avenir...

Sa mort a frappé Paris de stupeur. Depuis quelques mois, il était rentré en France. Se sentant mourir, il avait voulu revoir la patrie,
comme la veille d’un grand voyage on vient embrasser sa mère ! Sa vie a été courte, mais pleine : plus remplies d’oeuvres que de
jours !

Hélas ! Ce travailleur puissant et jamais fatigué, ce philosophe, ce penseur, ce poète, ce génie a vécu parmi nous cette vie d’orages,
de luttes, de querelles, de combats, commune dans tous les temps à tous les grands hommes. Aujourd’hui le voici en paix. Il sort
des contestations et des haines. Il entre le même jour dans la gloire et le tombeau. Il va briller désormais au-dessus de toutes ces
nuées qui sont sur nos têtes parmi les étoiles de la patrie !

Non, ce n’est pas l’Inconnu ! Non, je l’ai déjà dit dans une autre occasion douloureuse et je ne me lasserai pas de le répéter, non,
ce n’est pas la nuit, c’est la lumière ! Ce n’est pas la fin, c’est le commencement ! Ce n’est pas le néant, c’est l’éternité. N’est-il pas
vrai, vous tous qui m’écoutez ?
De pareils cercueils démontrent l’immortalité.

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