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MARIA GIULIA LONGHI baron de Vaux, Tireurs au pistolet, Paris, Marpon et Flammarion, 1883, p. 99-101). ‘Ce portrait, qui insite sur I"habileté Ia boxe et 2 la natation du préfacier, est une réponse i larticle paru dans le Gil Blas le 8 décembre 1881, Le duel, 4 Maupassant, renant postion contre cette coutume de son €poque, mentionnait Ie livre du baron de ‘Vaux préfacé par Sareey ; “Quant & moi, malgré le séduisant plaidoyer de mon comtrére le baron de Vaux en faveur de Part qu'il adore, et malgré 'imérét de cette salerie écrte : Les Hommes d'Epée [| je tens pour des exercices plus pratiques : la savate ot 1a natation.” (Chroniques, f, 354). IHL. Chronigues, 3 p. 327, 12, Guy de Maupassant, Contes et Nouvelles, &d. par L. Forestier, Paris, Gallimard, “Bibliotheque de Ia Pléiade”, 1974, p. 1166, Un Lacke parut dans Le Gaulois du 7 janvier 1884, 113, Genette, Gérard, Op. cit, p. 10. 114, Pia, Pascal, Op. cit, ps 14. 15. Uzanne, Octave, Préface a Léon Cladel, L'amour romantique, Paris, Rouveyte ec Blond, 1882, p. VII 116. biden. MARIANE BURY Le goiit de Maupassant pour I'équivoque ALA Lumtére des nombreux travaux récents auxquels I'ceuvre de Mau- passant a donné le jour, il apparaft comme une constante de notre appro- che actuelle de cette ceuvre que s’y exprime un certain nombre 4’ oppositions, voire de contradictions, aussi bien sur les plans biographi- que et psychologique, que sures plans thématique, axiologique ou rhéto- rique. Le caractére indécidable ou réversible des interprétations frappe les lecteurs avertis d’aujourd’hui, quels que soient horizon critique dod ils viennent et le mode d’approche qu’ ils choisissent’. On rencontre par- tout le mystére, la densité expressive d’un silence sur-saturé de signific tions, 'ambiguité d'un discours équivoque : le critique se trouve confronté un texte qui se dérobe, ou qui au mieux se laisse capturer par une grille herméneutique réconfortante et “opératoire” en apparence, mais néces- sairement appauvrissante, voire banalisante. Plus on progresse dans la connaissance de cette ceuvre de romancier, de nouvelliste, de chroniqueur, de podte, plus diverses se font entendre les voix maupassantiennes. Les spécialistes doivent affronter les paradoxes du rustre estiéte, du classique moderne, du naturaliste romantique et tenter de comprendre les profon- deurs de la surface, la complexité du simple, les ruses de la sincérité ‘Comme bilan des acquis actuels de la recherche, Louis Forestier constate avec raison que “l’écrivain prend plaisir 4 la multiplcité des attitudes, aux paradoxes, parfois aux contradictions, se montrant toujours multiple et variable”. C'est ce goat de I’équivoque que je voudrais interroger ici u MARIANE BURY On sait bien sdr, et je commencerai par Ia, que accumulation des paradoxes provient dune volonté délibérée, chez Maupassant, de ne pas intervenir dans son ceuvte, pour éviter toute forme de didactisme intem- pest. Il tient de Flaubert, c’est bien connu, ce mépris pour les interven- tions d’un auteur qui s’exhibe dans son texte, et c"est une question qui lui tient a cceur, revenant & plusieurs reprises dans les Chironiques. Citons un passage significatif de “Romans” (Gil-Blas, 26 avril 1882), 0iil s'agit de a absence de commentaires rappeler les divers mérites li “Chez le romancier, le pilosophe doit éte voi Le romancier ne doit pas plider, ni bavarder, ni expliquer. Les faits et les personages seuls doivent pasler, Et le romancier n'a pas 3 conclure ; cela appartent au lecteur™, D’od il ressort que Maupassant refuse le parasitage du texte par un discours qui ferait écran entre le récit et le lecteur, un discours forcément dogmatique, et qu'il parie sur intelligence de ce méme lecteur, de ces lecteurs qui tireront des faits des legons & leur convenance. C’est ain: que l’équivoque se situe d’emblée dans le programme narratif. On ne doit point pouvoir connaitre l’opinion da romancier dans une ceuvre qui porte pourtant sa marque, ‘car il faut une géniale et tout originale impersonna- lité pour étre un romancier vraiment personnel et grand*”, Paradoxe de la présence absente ; on le reconnait & proportion de ce qu'il sait mieux se cacher derriére les faits et les personages. Le lecteur compléte done le récit, le termine, tente de lui donner un sens. En bon lecteur spécialiste, le critique littéraire pergoit le montage de coup et se heurte pourtant & la difficulté de déterminer les fins du discours, dans un récit fortement argu- ‘menté, rhétoriquement tourné vers la persuasion’. Pourquoi développer alors une stratégie argumentative, si l'on ne veut rien prouver ? Car lais- ser délibérément libre l'interprétation revient a se moquer, au fond, d’étre compris ou non. Pourquoi requétir la complicité du lecteur, si-c'est pour Iuj laisser au bout du compte la possibilité de s"égarer ? On peut s'inter- roger sur la signification de cette préférence pour lallusif, le suggestif, Pelliptique. Francis Marcoin insiste tres justement sur ces vertus trou- blantes du ‘mutisme” de Maupassant, qui autorise la “possibilité cons- tante d’une inversion des valeurs”. La “faite”, le “refus de choisit” d'un Gcrivain qui peut tout a la fois critiquer un lieu commun et se 'approprier LE GOUT DE MAUPASSANT POUR LEQUIVOQUE a5 illustre cette profonde “contradiction interne*”. Finalement, si ’écrivain ne conclut pas, c’est non seulement parce qu’il ne le veut pas, mais aussi parce qu'il ne le peut pas. Cette impuissance provient de la conscience ironique de I’instabilité de toutes les formes de définitions et de frontié- res, dans le domaine de la connaissance comme dans celui de la morale. Chez Maupassant, le fou est un sain d’esprit, la prostituée une sainte, le criminel un innocent, la mére un monstre, le soldat un sentimental, Vhomme de la rue un héros, la vieille fille ridicule une héroine romanes- que, en méme temps... qu’ils ne le sont pas. Le choix de l'anticonfor- misme, de la provocation, de la transgression n’implique pas, loin de la, tun militantisme qu'on trouverait plus regosant, d’ailleurs, pour l’esprit, que cette question sans fin qui nous est posée, constamment : quel est le sens de tout cela ? et alors ? Dans cette perspective, l'ceuvre apparait comme une entreprise de confrontation des contraires, qui s"accorde sans doute avec l'idée forte de “I’éternelle misére de tout”, de I"“A quoi bon” du pessimiste entrainant la mise & épreuve de toute forme de valeur, ‘mais qui vient aussi de plus loin, d'une tradition de la lucide connais- sance de soi telle que Montaigne la définit dans son essai sur “I'incons- tance de nos actions” *Ceux qui s'exercenta contreroller les actions humaines, ne se trowvent en aucune partic si empeschez, qu’ les Pappiesser et mettre A mesme lustre ; car elles se ‘contredisent communément desi estrange fagon, qu'il semble impossible qu’elles soient parties de mesme boutique...J Notrefagon ordinate est aller apres les inclinations de nostre apett, 3 gauche, a dex re, selon que le vent nous emporte..] Sije parle diversement de moy, c'est que je me regarde diversemnent, Touts les contrarietez s'y trouvent selon quelque tour et en quelque fagon. Honteux, insolent ;chast,luxurieux ;bavard, taciture :laborieux, deliat :[..Jetquicon sestudie bien attentivement trouve en soy |] cette volubilité ct discordance’. Les “contrarietez” d'un étre divers aux actions discordantes défi rajent assez bien l'homme maupassantien, d’autant qu’il ne cherche pas, précisément, & travestir cette diversité per la reconstruction artificielle d'une cohérence factice. II préfere au contraire donner & son lecteur Ie vertige du multiple. Une telle attitude suppose le recours &"ironie, ce qui ne va pas sans poser probléme. Si le point de vue global de I ivain sur les hommes et 6 MARIANE BURY les choses est ironique, puisqu’aussi bien sur le plan métaphysique I'iro- nie domine la vie, si Vironie englobe l'ensemble du discours, on peut S‘interroger alors sur les conditions de lisibilité du texte, L’ironie peut apparaftre par des marques rhétoriques (I"hypertole par exemple) ou ty- pographiques (les italiques), par des effets de mention repérables, mais en cas d’absence de marquage spécifique, elle se révéle difficile & perce- voir ou omniprésente, surtout lorsque I’auteur, comme c'est le cas pour Maupassant, refuse d’intervenir explicitement dans son texte et n’affiche aucune espace 4 idéologie. Ilse produit un trouble de 'interprétation qui nous invite a chercher les raisons du choix de la distaneiation ironique. Vladimir Jankélévitch définissant le “mouvement de conscience ironi- {que dans la premiere partie de son livre sur Vironie donne de sa figure ‘emblématique, Socrate, une définition pleine de sens pour le sujet qui nous occupe Jocrate est done pour i it rivole une espéce de remords vivant il la délasse, mais aussi il inguidte ; c'est un trouble-@te. Les hommes perdent & son contact la sécurité trompeuse des fauses évidences, car on ne peut plus avoir éeouté Socrate et continuer & dormir sur Uoreller des viilles certimdes :c'en est lini ; au lieu que, « dans la mort véritable, il n'y aura pas d’autre lui-méme », gémissant de se voir livré w MAKIANE BURY sla manire de le prépater, de le présenter et de Iexprimer, il n'a pas le sens de Part, in Chironiques, éd. cit, vol.3, p. 108. 16, In “Gustave Flaubert” (La République des Lettres, cit, p. 20. 17.Ontrouvedes 2 oct. 1876), Chromiques, él hos particulidrementexplicites de cette propension la contradiction dans le journal de voyage Sur L'Eau, biti & partir d’extraits de chroniques et done consciemment metteur en scéne des diverses aspirations de I'artiste, Citons pour imémoire ce passage exemplaite : “Certes, en certains jours, ’éprouve I'horreur de ce aqui est jusqu’a désirer Ia mort, Je sens jusqu’d la souffrance suraigué la monotonic invariable des paysages, des figures et des pensées. La médiocrité de univers ‘m’étonne et me révolte, la petitesse de toutes choses m'emplit de dégott, la pauvreté des étzes humains manéanti. En certains autres, au contrare, je jouis de tout la fagon dun animal. Si mon esprit inguiet, tourmenté, hypertrophié par le travail, s’élance & des espérances qui ne sont point de notre race, et puis retombe dans le mépris de tout, apres en avoir constaté I néant, mon corps de béte se grise de toutes les ivresses de la vie". (Gallimard, 1993, p. 78, coll. “Folio Classique”) 18, In Romans, é. cit, p. 1033. 19, dem, p. 1661 20. In Correspondance, édition établie par Jacques Suffel, Evreux, Le Cercle du bibliophile, 1973, 3 vol. lett n® 571 21. Antonia Fonyi, Maupassant 1993, Editions Kimé, 1993, p. 179 et. 29. Siellc est pleinement justifige par ce que Ton sait de Maupassant et par la Pangoisse qui se manifeste dans une ceuvre qui réserve une plave centrale i la folie, analyse de type psychanalytique contient pourtant le danger extréme de banaliser Pauvre. Le mythe originaire existe, mais y ramener systématiquement tous les cits, est précisément faire fide ladiversité teliementessentielle 1" euvre de Maupassant 22. In“La polyphonie de I'encadrement dans es contes de Maupassant”, Maupassant et l'Eeriture, op. city p. 185, uurence de JEAN SALEM Maupassant, la mort et le probleme du mal « Je crotsal'anéantissement définitif de chaque étre qui disparait »' cette profession de foi proprement matérialiste qui se trouve consignée dans “Lui 7”, nous pouvons sans risque d’erreur la mettre, comme Ia fait André Vial’, au compte de Maupassant lui-méme, |. Un trou plein d'ossements Petit traité de décomposition & 'usage des désespérés L-horreur qu’ inspire la mort, dans les écrits de Maupassant, c’est tout particuligrement celle de la putréfaction du corps mort. On pourrait ailleurs fabriquer sans peine, & l'aide des propos qu'il préte & tel ou tel de ses personnages, un petit traité de décomposition a I'usage des déses- pérés. Car, aprés qu'elle a mis un terme & nos jours, la nature parachéve avec acharnement et méthode son travail de démolition de tout ce qui vit, ce travail dont notre prompte décrépitude constitue le premier effet. Lu- créce opposait & effroi de celui « qui se représente que son corps, apres la mort, sera déchiré par les oiseaux et les bétes de proie » une objection censément consolante : un tel homme, déclarat le podte romain, « ne se. distingue pas assez de ce cadavre étendu, il se confond avec lui, et, de~ bout 2 ses cOtés, il Iui préte sa sensibilité »* ; au lieu que, « dans la mort véritable, il n'y aura pas d’autre Iui-méme », 26 JEAN SALEM aux morsures des flammes ou des bétes*. Un « aiguillon secret » (III, 874 : caecum aliquem...stimulum), affirmait Lucréce, se cache en effet dans le coeur de celui qui tremble ; et’est a son insu (IIT, 878 : inscius ipse) qu'il forge un étre de fiction, — un double, un fantéme pleurant son corps mort et souffrant des mutilations que subit celui-ci. Mais c’est préter subrepti- cement de la sensibilité au cadavre, c'est autrement dit altérer sa nature (qui est, précisément, Pinsensibilité absolue) que de se lamenter ainsi ! — Cette thérapeutique de I’horreur, ces apaisantes arguties, Maupassant, désespérément, les repousse : parce que, tout d’abord, notre apitoiement est irréfutable, quand c’est l'autre qui va pourrir, ~ autre que j'aime et quinn'est plus, l'autre dont j’ai vu le cadavre étendu et qu’on a cloué dans tune caisse’ ; ensuite, parce qu'il m’est aisé de renouer, pour peu que j’ima- gine au-dela du bout de mon nez, avec cette épouvantable vision, invinci- ble a tous les sophismes, d’un moi désagrégé rendu a la poussitre* Reprenons donc successivement les deux catégories d’arguments qui, & lire Maupassant, rendent parfaitement inefficace le discours des conso- lations. 1. La mort de l'autre, de l'autre avec lequel on avait le sentiment de composer tn tout désormais brisé, disjoint, amputé a jamais’, c’est celle dont parle la lettre que la comtesse de Guilleroy, la maitresse du peintre Olivier Bertin, adresse & son compagnon quatre jours aprés la mort de sa propre mere : « Je suis si brisée, si désespérée, que je n'ai plus la force de rien faire. Jour et nuit je pense ma pauyre maman, clouée dans cette boite, enfouie sous cette terre, dans ce champ, sous la pluie, et dont la vieille figure que j’embrassais avec tant de bonheur n’est plus qu'une pourriture affreuse, Oh ! quelle horreur, mon ami, quelle horreur ! »*, Cette mort, c’est aussi, dans “La Tombe”, celle de la bien-aimée qu'un homme perdu de souffrance a été déterrer au cimetiére afin d°étreindre une fois encore le corps enseveli. « L’idée me hantait de ce corps décomposé », explique a ses juges le désespéré : « et je pensais que son corps, son corps frais, chaud, si doux, si blanc, si beau, s’en allait en pourriture dans le fond d’ une boite sous la terre »', Et si Maupassant évoque volontiers « les hhortibles phases de 'ensevelissement »" (ainsi, dans “La Morte”, un amou- reux narre-til avec horreur les obséques de sa maitresse : « Je me rap- pelle trés bien le cercueil, le bruit des coups de marteau quand on le ctoua MAUPASSANT, LA MORTET LE PROBLEME DU MAL 7 dedans. Ah! Mon dieu ! Elle fut enterrée ! Enterrée ! Elle ! Dans ce. trou ! >"), c*est toujours pour mieux faire entendre le glas du pulverem reverteris, angoisse métaphysique que suscite imminente et inéluc- table restitution de tous les étres que nous aimons a la terre et & la pous- sidre, « Elle était 1a ‘méme amoureux lorsqu’il évoque la premiére visite effectuée par lui sur la tombe de sa chére défunte' la-dessous, pourrie ! Quelle horreur ! », déclare le 2. Cette « persistance d'une simple poussiére, de Ia matiére brute », cette palle « continuité promise & notre re » (dans laquelle Schopenhauer voulait voir I'« ombre » que projette au sein méme de la représentation la parfaite indestructibilité de notre étre en soi), cette certitude que « notre cendre et poussiére [...] une fois dissoute dans l'eau », redeviendra peu & peu cristal, puis métal produisant des étincelles électriques, puis se méta- morphosera derechef « en plante et en animal »: il n’y a [a rien, vrai- ‘ment rien, qui permette de suivre auteur du Monde lorsqu’il proclame. que «c'est toujours quelque chose >" ! La putréfaction sous terre, « dans ceite bofte close od le corps devient bouillie, une bouillie noire et puante », comporte assurément quelque chose de répugnant et d'atroce. Aussi, écrit Maupassant dans “Le Bi cher” (il s'agit d’un texte qui tient de la chronique autant que du conte), est-il d'antiques coutumes qui semblent avoir pour but de la contourner. Un prince indien, venu en Europe avec une dizaine d°hommes de sa suite, est brutalement décédé. Il est incinéré de nuit, selon le rite asiatique, au pied des hautes falaises d’Etretat qu’illamine Pardente clarté du brasier. De tels rites, semble dire le narrateur, ont ceci de grand qu’ils hatent et qu’ils “désinfectent” en quelque fagon le lent processus d anéantissement. Le feu qui purifie ruse avec le destin, ill'accélére, il 'aseptise : il achbve en quelques heures de réduire en cendres et de disperser ce qui fut un étre, alors que « le hideux cercueil od l'on sedécompose pendant des mois »", laisse servilement la nature accomplir dans un trou fangeux son travail infame et inexorable qui est de nous annuler a petit feu. Plus rien. Est-ce possible ? Allons plus loin : ce qui parait proprement fou dans la mort, c’est tout simplement que ce qui a été puisse disparaitre a tout jamais, Plus rien. 8 JEAN SALEM. ‘C'est cela qui parait proprement impensable un « étre unique » qui dis- ‘parait™, et il disparait pour jamais’. Jamais un étre ne revient, insecte, homme ou plangte !" « Quand on réfigchit & cela pendant un jour tout entier, une démence vous emporte > s’écrie, dans la nouvelle intitulée “La Tombe”, le jeune homme dont on a parlé tout a lheure. « Est-ce possible ? On devient fou en y songeant ! »2" ‘Au reste, n'y a-til pas quelque chose de stupéfiant dans ce gigan- tesque divertissement auquel s’adonne une humanité pourtant parfaitement informée de I’inéluctabilité du néant ? Comment se fait-il que, bien que connaissant leur destin avant l’heure, les animaux doués de raison nen soient pas venus dés longtemps & pousser, toutes affaires cessantes, un hhurlement ininterrompu ?® qu’ ils contiauent, comme si de rien n’était, de ‘vaquer & leur agitation quotidienne ? « On nait, on grandit, on est heu- eux, on attend, puis on meurt »®, D’oi vient alors qu’aux yeux de ses semblables, on passe aisément pour atrabilaire si, pareil A ce Lazare de Zola, & ce velléitaire qui remache « la grande poésie noire de Schopen- hhauer »*on se laisse transir un instant par « 'horreut froide de ne plus @tre »* et si l'on confesse avec lui cet invraisemblable vertige : « mon Dieu ! mon Dieu | il faut mourir ! » 1 — « On n'y songe jamais, pour- tant », s’exclame la comtesse de Guilleroy ; « on ne regarde pas autour de soi la mort prendre quelqu’un & tout instant, comme elle nous prendra bient6t. Sion la regardait, si on y songeait, si on n’était pas distrat, réjoui et aveuglé par tout ce qui se passe devant nous, on ne pourrait plus vivre, car la vue de ce massacre sans fin nous rendrait fous »** La mort seule est certaine Et pourtant, derriére tout ce que l'on regarde, c'est bien elle qu'on apergoit ! «La mort seule est certaine » “c'est cette rude et implacable legon qui ressort de la promenade que Georges Duroy — Bel-Ami ~ fait nuitamment avec un vieux podte, Norbert de Varenne, effrayante figuration du pessimisme maupassantien. Jeunesse, audace, ambition : pour Pheure, Bel-Ami paraft ne connaitre rien d’autre que son projet ascensionnel au sein la société parisienne. « Oh ! vous ne compre~ nez. méme pas ce mot-la, vous, la mort »*, Iui déclare Norbert de Va- renne. « A votre Age, ga ne signifie rien. Au mien, il est terrible ». La vie MAUPASSANT, LA MORT ET LE PROBLEME DU MAL 99 met et on se sent heureux ; mais, lorsqu’on arrive en haut, on apergoit tout d'un coup la descente, et la fin qui est la mort »®. Le viewx célibataire conseille & Duroy le mariage, car Ia solitude, avoue-t-il, l'emplit d'une angoisse horrible et inconsolable. Partout, il découvre la mort: «les peti- tes bétes écrasées sur les routes, les feuilles qui tombent, le poil blanc apergu dans la barbe d'un ami, me ravagent le cceur et me crient : “La voila!” » La peur de la mort est bien, comme le dit une nouvelle datant de 1889, « la grande gacheuse de joies sur la terre», Nous mourons & toute heure : « respirer, dormir, boire, manger, travailler, réver, tout ce que nous faisons, déclare encore Varenne, c'est mourir. Vivre enfin, c’est mourir ! »™, Prima quae vitam dedit, hora capsit®. Lorsque Duroy prend congé du désespéré, il Iui semble qu'on vient de « lui montrer quelque trou plein d’ossements, un trou inévitable » od il faudra qu'il tombe un jour”, Et Tolstoi a peut-étre tort d'affirmer que Duroy « comprend sans comprendre »™, car lorsqu’a quelque temps de [a il est au chevet de son ami Forestier, il éprouve « une terreur confuse, immense, écrasante », « la terreur de ce néant illimité » dans lequel le mort vient d’entrer Duroy/ Bel-Ami est épouvanté a l'idée qu’il s'évanouira bient6t, lui aussi, dans Pimmonde « fumier des germes nouveaux »®. IL Deus Ridens ou la mort comme mal radical Contre toute théodicée Ainsi Maupassant fourit-il dans son ceuvre lessentiel de l'argumen- taire permettant de rendre toute théodicée impensable. Aucun systeme ne peut en effet, selon lui, résorber le mal raclical que constituent notre fini- tude et la connaissance que nous en avons ; de méme, aucune disser‘ation ne pourra jamais résorber ce que Leibniz appelait le « mal moral »*" (autre- ment dit: le mal de coulpe, la méchanceté de certaines actions ou de certains hommes) dans un optimisme métaphysique que l'expérience vient si constamment contredire. — « Innocenter Dieu», « mettre hers de cause la volonté divine »* : c'est & le projet de Leibniz, lequel prétend que Dieu 1° st pas Tesponsable du mal, ni des crimes, ni des sere UY puisqu’il a seulement fait passer de la région des possibles & la région ded>+ ‘J * étres actuels l'ensemble qui — tout bien compté — surpasse en perfection NANTES Sect, est, dit-il, comparable & une céte : « tart qu’on monte, on regarde le som- 109 JEAN SALEM tous les autres “, « C’est la cause de Dieu qu'on plaide » ici, éerivait le méme Leibniz dans la Préface de ses Essais de Théodicée sur la bonté de Dieu, laliberté de "homme et Porigine du mal [1710]. ‘Tout.il’inverse, dans les quelques pages qui nous restent de PAngélus (ce roman ultime et inachevé dont Maupassant assurait qu’il devait étre son « chef d'ceuvre » *), le docteur Paturel, qui enrage de ne recueillir au fond d’une province que de la « gloite d’arrondissement » “, de n’avoir affaire qu’a la petite mistre du commun des hommes et de ne pas guérir les princes, les ambassadeurs, les artistes qu’il eGt pu soigner dans lacapi- tale, représente a I'abbé Marvaux « les injustices, les férocités, les mé- faits de la Providence ». Puis il ajoute, comme pour mieux dauber le projet ibnizien : « Moi qui suis médecin de pauvres gens, je les vois ces mé- faits, je les constate tous les jours. [...] Si j'avais écrire un livre, un recueil de documents la-dessus, je 'intitulerais : Le Dossier de Diew : et il serait terrible, monsieur le curé » “”. — L’Angélus, si son auteur avait pu le rédiger complétement, edt certainement constitué un véhément réqui- sitoire contre la guerre, cet épouvantable accélérateur du destin. Horreurs, de la guerre, horreur que peuvent susciter les images de la décomposition, horreur de notre condition mortelle : en tout état de cause, les trois the- ‘mes sont religs intimement dans les trop rares pages de ce roman & peine entamé Maugassant oppose donc aux théologiens la difficulté la plus radicale, c’est-a-dire celle que les philosophes ont coutume d’appeler le probléme du mal, problame qu’Epicure avait formulé le premier : « Ou bien; décla- rait cet ancien philosophe, Dieu veut supprimer le mal et ne le peut pas ; ‘ou il le peut et ne le veut pas ; ou il ne le veut ni ne le peut ; ou il Ie veut et le peut. S*il le veut et qu’ ne le puisse pas, il est impuissant, ce qui ne convient pas a Dieu ; s'il le peut et ne le veut pas, il est envieux, ce qui ne peut pas onvenir davantage & Dieu ; s'il ne le veut ni ne le peut, ilest dla fois envieux et impuissant, donc il n'est pas Dieu ; s'il le veut et le peut, ce qui seul convient & Dieu, alors d’od vient fe mal ?. Ou pourquoi Diew ne le supprime-t-il pas ? » “. Cet argument, qui fut maintes fois cité au XVIIF siécle (on le retrouve notamment chez Mandeville, chez Voltaire, chez d’Holbach et chez Sade lui-méme ®), Maupassant ~ incon- testablement - I’ fait sien, Si Diew existait, il pourrait interdire le péché et la mort, — dont I'apétre prétend plaisamment qu’elle est le « salaire du MAUPASSANT, LA MORT ET LE PROBLEME DU MAL 101 péché ». Et s'il a rejoint Schopenhauer moins souvent qu’on a 9u le dire®, auteur de I'Angélus aurait fort bien pu placer dans Ia bouche de "un de ses personages ces quelques mots que nous lisons sous la plume du « plus grand saccageur de réves qui ait passé sur la terre »® : « prenez Te plus endurci des optimistes, promenez-le a travers les hépitaux, les lazarets, les cabinets od les chirurgiens font des martyrs ; & travers les prisons, les chambres de torture, les hangars & esclaves ; sur les champ: de bataille, et sur les lieux d’exécution ; ouvrez-Iui toutes les noires re~ traites od se cache la misére, fuyant les regards des curieux indifférents ; pour finir, faites-lui jeter un coup d’eil dans la prison d’ Ugolin, dans la Tour de la Faim, il verra bien alors ce que c’est que son meilleur des mondes possibles »* Dieu produit pour détruire. Dieu est méchant « Sais-t comment je congois Dieu ? », déclare un certain Roger de Salins dans “L'Inutile beauté” (1890) : « comme un monstrueux organe ceréateur inconnu de nous, qui séme par espace des milliards de mondes, ainsi qu’un poisson unique pondrait des ceufs dans la mer. Il erée parce que c’est sa fonction de Dieu...» I semblerait, comme Ia écrit Marie~ Claire Banequart, que nous ayons affaire chez Maupassant 2 un Dieu qui «ne cesse de produire, pour ne cesser de détruire » , A un Dieu stupi dement prolifique, inconscient des combinaisons de toutes sortes aveu~ ‘glément constituées par ses germes éparpillés Mais « Dieu » (c’est-i-dire la nature) ne peche pas seulement par indif- férence. Au fond, Dieu est méchant. La cause premiére, qui est en méme temps cause de l’existence du mal dans le monde, parait tre la volonté maligne d’un Etre ayant présidé a la mise en place dun désordre uriver- sel et d’une inadéquation radicate entre nos aspirations infinies et ke tri- vial effroi que suscite en nous le sentiment de la finitude. Dieu est méchant ! C'est ft la legon des aveux que passe linstituteur Moiron, sur son lit de mort ; Moiron, homme « trés religieux »®, qui avait obtenu la grace de empereur Napoléon TIT malgré les charges accablantes qui avaient jadis pesé contre Ini, avoue finalement avoir jou & Diew un bon tour en tui subtilisant sept victimes (« Ce n’est pas lui qui les a eus, ceux-la. Cen’est pas lui, c'est moi »*) ! $i Moiron a fait mourir sept de ses petits éleves en leur faisant croquer des sucreries remplies de fragments de verre et de Ww JEAN SALEM morceaux d’aiguilles cassées, c'est, ditil, qu’il devait assouvir son désir tout naturel de « vengeance » contre le mal qui lui fut fait : « Une fois marié, j‘eus des enfants et je me mis & les aimer conmne jamais pére ou mre n’aima les siens. Je ne vivais que pour eux. J’en étais fou. Ils mou- rurent tous les trois ! », raconte-t-il avant de quitter la terre. « Pourquoi ? pourquoi ? Qu'avais-je fait, moi ? ». Latroce plaisanterie des prétres en vertu de laquelle il faut bien que des innocents paient pour les péchés que d'autres ont commis ne prend pas ici... «J’eus une révolte, mais une volte furieuse ; et puis tout a coup j"ouvris les yeux comme lorsqu’on s'éveille ; et je compris que Dieu est méchant, Pourquoi avait-il tué mes enfants 7 Pouvris les yeux, et je vis qu'il aime tuer, II n’aime que ga, Monsieur. II ne fait vivee que pour détruire ! Dieu, monsieur, c'est un massacreur. II lui faut tous les jours des morts, Il en fait de toutes les fagons pour mieux s'amuser »”. - « Dieu », figure de la mystification, capture les étres humains au piége de l'espérance : tout se passe comme si ce fantome gotitait un malin plai- sir 4 contempler nos miséres. Deus ridens : le cours des choses, selon Moiron, ne peut dépendre que d’un Dieu qui se moque et rit lorsqu’il contemple les tourments des matheureux qu’il a délibérément livrés aux supplices. Et ce discours lugubre n'est pas, chez Maupassant, réservé au squelette grimagant d'un criminel en proie au délire ultime. Ce « mons- tre », ce « reptile »* tapi dans l'immensité de tout ce qui est, "homme du monde Olivier Bertin le reconnait (en termes & peine plus choisis) sur son propre lit de mort : « Ah ! celui qui a inventé cette existence et fait les hommes a été bien aveugle, ou bien rréchant... »*. Quant & Ja maitresse de Bertin, la comtesse de Guilleroy, elle implore pareillement, sur la tombe de sa défunte mere, « inexorable Dieu qui a jeté sur la terre toutes les pauvres créatures », — Maupassant met donc Dieu en accusation, Ou plutat: la chimére divine n’est jamais hypostasiée par ses personages ‘que le temps d'un réquisitoire, Des imprécations contre Dieu : c'est [8 la fagon dont ceux-ci expriment leur révolte (qui est celle méme de Mau- passant) contre une nature parfaitement indifférente & nos cris, La Provi- dence « ment, triche, vole, trompe les humains comme un simple député ses électeurs »*, déclare dans ce méme sens un protagoniste de la nou- velle de 1889 intitulée “L’Endormeuse”* MAUPASSANT, LA MORT ET LE PROBLEME DU MAL los Haine de Dieu : Maupassant, débiteur de Sade Orc’est surtout chez le marquis de Sade que Maupassant aura, croyons- ‘nous, glané [es éléments qui permettent & plusieurs de ses personnages de réfuter ainsi l'idée méme de théodicée. Car ce ne sont pas seulement les frasques d'une jeunesse agitée ni quelques hasards pittoresques qui lient Maupassant a Sade. Certes, Edmond de Goncourt déplora chez lui le gofit pour les « noires méchancetés sadiques », Certes, lorsqu’il est in- vité par Swinburne et son compagnon G. E. J. Powell dans Ia « chau- migre Dolmaneé », ces deux inquiétants personages paraissent fasciner ‘Maupassant, au point qu'il confiera & Goncourt : « C’étaient de vrais hé- ros du Vieux (c"est-i-dire de Sade) qui n’auraient pas reculé devant un crime »* Et le 13 avril 1875, comme il érivait a son ami Edmond Laporte pour linviter & la premitre des deux représentations d’une farce « abso- Jument lubrique »” intitulée A la Feuille de Rose, Maison turque, il préci- sait : « Ne seront admis que les hommes au-dessus de vingt ans et les femmes préalablement déflorées. La loge royale sera occupée par l'om- bre du grand Marquis... »*. — Mais ce sont, plus précisément, des the- ‘mes et des consonances innombrables qui relient Maupassant & Sade : Maupassant se plait en effet & donner la parole & des « gens chez. qui détruire la vie est une volupté »® (car détruire, « c'est ce qui ressemble le plus & créer »™) ; il met en sone cent personnages a propos desquels on parlerait tres volontiers de “sadisme””. Ici, il parait justifier linceste”, que Sade déclarait tenir pour une loi de nature — non sans déplorer qu'il ft réprimé par la loi civile”. La il prolonge cette thése sadienne™ selon laquelle il n'y a point de godt coupable, selon laquelle —autrement dit - Ie crime est impossible & homme : comment la nature engendrerait-elle, en effet, des étres susceptibles de troubler ou de déranger sa marche ? « Ona fait des lois qui combattent nos instincts », déclare une aieule qui est restée fidele aux principes du « grand sidcle galant », « il le fallait ; mais les instincts toujours sont les plus forts, et on ne devrait pas trop leur résister, puisqu’ils viennent de Dieu, tandis que les lois ne viennent que des homies »” : tout étant permis, voire commandé par la nature, nul n'est donc entidrement responsable de ses actions, écrivait semblablement Sade, « pas plus que la guépe qui vient darder son aiguillon dans ta peau »* Et plus encore que tout cela, les malécictions lancées contre Dieu ainsi que I'argument du mat (lequel démontre Pextréme impuissance de ce Dien 04 JEANSALEM et, partant, son inexistence), Maupassant a pu les trouver chez Sade, au milieu de implacable querelle que celui-ci avait menée contre tout ce que teligion et morale s'entendent & tenir pour sacré. Car c'est bien le Dolmaneé de la Philosophie dans le boudoir qu: déclarait que Dieu est un «abominable fantéme », « fruit de la frayeur des uns et de la faiblesse des autres »”", C'est bien Ini qui définit le « Dieu de ce culte infame » qu’est, des yeux, la religion chrétienne, comme « un étre inconséquent ct barbare, créant aujourd'hui un monde, de la construction duquel il se repent demain, [...] Quel étre faible que ce Dieu-Ia ! »,s'éeriait 4 ce pro- pos Dolmancé”. (Que n'a-t-il fait 'homme « tout 8 fait bon » ! ainsi celui-ci « n’aurait jamais pu faire le mal ». Du fait de sa prescience infinie, Dieu savait bien cce qui résulterait de la liberté du choix ! « De ce moment, c'est done @ plaisir qu’il perd la créature que lui-méme a formée. Quel horrible Diew que ce Diew-lé ! quel monstre ! quel seélérat plus digne de notre haine et de notre implacable vengeance ! >”. — Maupassant a done cru pouvoir exprimer I'horreur de notre humaine conditionen empruntant & Sade, les invectives et les insultes que celui-ci avait réservées au Dieu de la Ié- gende chrétienne : car la eruauté dont les croyants nimbent leur « chi- mere dé elon Maupassant, qu’une fantasmagorie suscitée par la trs réelle cruauté d'un univers exempt de sens et géné rateur de la mort. La haine de Dieu, ainsi que lécrivait A.-M, Schmidt, rest ici que la « projection théologique » d! unnoir « pessimisme cosmi: que »**: Dieu, sous la plume de Maupassant, est bien l'analogue de ce que Sade appelle fa nature®. fique »® n’est jamais, Le mal ~ le mal « moral », tout comme le « mal métaphysique » constituent ainsi, selon Maupassant le fond de I'humaine condition. Le crime, reconnaissait Leibniz, paraft triompher en pl in royaume de Dieu tout-puissant : mais Dieu, répondait-il aussitét, n'est ni le complice, ni auteur du péché, lequel n'est qu’une privation résultant de la limitation originelle des eréatures®. Quelques lignes de “Boule de suif™, dans les- quelles il décrit « Parmée glorieuse massacrant ceux qui se défendent, ‘emmenant les autres prisonniers, pillant au nom du Sabre et remer- ciant un Dieu au son du canon », suffisent & Maupassant pour évoquer ces « fléaux effrayants qui déconcertent toute croyance & Ia justice MAUPASSANT, LA MORT ET'LE PROBLEME DU MAL. tos éternelle, toute la confiance qu’on nous enseigne en la protection du ciel et la raison de homme »™ : la méchanceté fait loi parmi les humains. Quant au mal le plus radical, c'est !"abbé Marvaux qui, dans I'Angé- us, en exprime parfaitement la nécessité et l"horreur, lorsqu’il en vient & maudire avec force le Grand Dieu qui rit de notre déréliction et de notre fin annoneée™ : «ttemel meurtrior gui semble ne godter le plaisir de produire que pour savouter insaiablement sa pasion achamnée de tuer de qouvean, dé teeommencer ses eatrmiations mesure qu'il erée des étes, Etomel fiseur de cadaves et pourvoyeur de cimetiées, qui s'amuse ensuite semer des graines et parler Ges germes de vie pour satsfaie sans cesse son besoin insatiable de desirucion, Meurtir affamé de mort embusqué dans espace poor exéer des étes eles dre, les mutiler, eur imposer touts les soufTances ls fraper de touts les maladies, comme un destructer infatigable qu continue sans cess son horible thesogne. a invent le cholo, la peste, le typhus, tous les microbes qui rongent ie corps, es carnnsiers qui d&vorent les fables animaux. Seues,cependan), es betes sont ignorantes de cette férocit, ear elles ignorent cette Toi dela mort qui les tmenace atant que nous Le cheval qi bondi au soleil dans une prairie la chevre Avi grimpe sur les roches de son allure Iégre et souple, suivie du bove gai la pours, es pigeons qui roucoulent sur Is tls, les combs Ie bee dans le bee Sou a Verde des arbres, pares des aman qui se dsent eur tendresse, etl rossigno qui chante au lait de lune aupés de sa femelle qui coove ne saven pos Tterel massacre doce Dieu qui les aeréés»™. ‘Au lieu que chez nous autres, humains, l’aiguillon du désir au prin- temps, aussi bien que la parade amoureuse, le baiser, les caresses tout comme I'attente d’un heureux événement, tout cela est mélé de mort, puisque c'est précisément dans la connaissance anticipée de la mort que git fa source d’amertume *. SEAN SALEM NOTES 1.“Lui ?", CN, 1, 870, — Nos rééences renvoient & : Maupassant (G. de), Contes et nouvelles (éd.L. Forestier), Paris, Gallimard (Bibl. dela Pléiade), 1974-1979, 2 vl. 106 JEAN SALEM et: Maupassant (G. de), Romans (éd. Louis Forestier) Paris, Gallimard (Bibl. dela Piéiade), 1987. Nous désignons respectivement ces ouvrages par les sigles CN et R. 2. Ci. Vial (A.), Guy de Maupassant et l'art du roman, Patis, Nizet, 1954, pp. 222- 223, 3, Lucréce, Delanature, Il, 879-881 : Vivos enim sibicum proponitquisquefuturum! corpus uti volucres lacerent in morte feraeque, ipse sui miseret 4. Ibid. II, 881-883. 5. Ibid, IL, 885-887. 6.Cf. Une Vie, R,p. 123 : [8 propos de la mare de Jeanne de Lamare ~] « On allt la clouer dans une caisse et lenfoui...» 7.Cf. Vial (A.), Guy de Maupassant et l'art du roman, op. cit, p.223 : «La mort d'autrai, sa propre mort », Maupassant les appréhende dans son ceuvre « sous les aspects les plus répugnants de la charogne, et son épouvante y décele, avant toutes choses, abolition de cette unitéirréductible qui se sasit et se désigne dans son &tre unique et vivant, et la cessation de cette joie qu’une sensiblitéregoit du mouvement cet de toute Ia beauté du monde ». 8. Voyez : Fort comme la mort,R, p. 921 : {la comtesse de Guilleroy parle ici de sa défunte mére -] « C'est done une partie de moi qui est morte, la plus viele, Ia mmeilleure » 9.R, p.921 10. CN, Il p. 216. — Voyez “Yvette”, CN, H, p. 292 [Yvette arésolu de se suicider et s‘observe dans un miroir): « Morte. Dans huit jours cette figure, ces yeux, ces joues ne seront plus qu'une pourrture noire, dans une bofte, au fond de la terre», 11. CN, IL, p. 215, 12. CN, I, p. 940, 13,P, 941 14, Toutes les formules citées dans Ia phrase qui précédent proviennent de Schopenhauer (A.), Le Monde comme volontéetcomme représentation, Suppléments chap. XLT; 11° éd. rang. : Paris, P. U. F., 1984, p. 1214-1215, 15. Schopenhauer (A.), Le Monde comme volonté et comme représentation, op. cit, p. 1214. 16. "Le Bacher", 17. Ibid, p. 324, 18, Cf, Une Vie, R, p. 122-123 : « Elle a mére de Jeanne] ne remuerait plus, ne parlerait plus, ne rirait plus. ...] Elle était morte ! [...] On ne la verrait plus. Etait-ce possible ?», Les lois de nature paraissent violer de manigre incompréhensible le principe de contradiction, 19, Voyez, dans “LaTTombe”, CN, Ip. 215-216 :« Jamaiscette voix, jamaisune voix patille, parmi toutes les voix humaines, ne prononcera de la méme fagon un des mots NN, UL, p. 325. MAUPASSANT, LA MORT BT LE PROBLEME DU MAL or «que pronongat la sienne, Jamais aucun visage ne evar semblable au sien [uo] Et pourtantilen nats des millers de eéatures, es millions, es milliads et bien pes Encore et dari toues ls femmes futures, jamais celle ne se retouvera ». —On trouve un passage du méme genre dans BeAr (R,p. 300) 20, Voyer "La mére Sauvage", une nouvelle datant de 1884 (CN, 1, p. 1220); une mre aporendparune lettre que son fils até tué au combat: « Ele ne embrasserat plus, son enfant, son gran, plsjamais!..] avait té coupé endeux parun boule » 21.R, 335 22. CN, IL p. 215, 23..216 24, Rapport par G. Normandy il suit nterminablement« son propre enerrement », Maupassant focmutea peu pres cette idx dans une ete privée, adress ée& Mine X.. cf, Correspondance (é. J Suite), Evreux, Le Cercle du Bibliophile, 1973, vol «Certainschiens qui hurent, rit, expriment ts bien mon dat, C'est une paint lamentable qui ne sadresse ren, qui ne va nll par, qui ne ditriem et qui ete dans Jes nuts le cri angoisse enchainée que je vousrais pouvoir pouser. Si je pouvais sémir comme eux, je men iis quelquefcis, souvent, dans une grande paine ov au fond d'un bois et je hurlerais ainsi, durant des heures entitres, dans les ténébres ». 25, Bel-Ani,R,p. 335, 26, Zola.) La Joie de vivre 1884) chap. II ;Paris,GF-Flammarion,1974:p. 116 27. Ibid., p. 153. 28.P.281 29, Lamort,R,p. 921 30. BeAr, Rp. 300, 31. Ibid., p. 299. —Cf. également : “La Tombe”, CN, Il, p. 215 : « Un étre est a, que ‘ous adorez, un ére unique. Sn il vous semble pls vate que espace... Ce te ‘ous aime. Et tout coup il dispar |. Iest mort. Comprenez-vaus ce tet ?». 32.Ryp. 29 33. bid, 9.299. 34, id, 300. 35."L'Endormeuse", CN Tl, p. 1163 36, BebAni,R,p. 299. 37. Séntqu, Hercule fries, I: «la prmidreheare quit’ donné la ves elle te relrée» 38, BebAni.R,p. 302 39. Tolst’ (L), Preface ax CEwvres competes de Guy de Maupassant (Postednik, 1894); red. E, Halpécine-Kaminski: Pais, L' Anabase, 1995.25. 40, Bel-Ani,R,p. 335, 41, id, 9.335. 108 JEAN SALEM 42.(G. W. F), Essais de théodicée, § 21 (1710 ; Paris, Gamnier-Flammarion, 1969 116 43. Leibniz (G. W. F), La Profession de foi du philosophe [1673] ; Paris, Vin, p. 67 Deum absolut 44 Ibid, p. 67. 45, Leibniz (G. W. F.), Essais de théodicée, § 416 t passim ; ainsi que : Discours de métaphysique, § 1. — Voyez Platon, La République, X, S\7e: « Dieu est imresponsable » 46. A. Lumiroso, Souwenirs sur Maupassant, Rome, Bocca, 1905, p. U8. 47. L’Angétus, Rp. 1220 48, fbi, p. 122. 49. Durant I'Année terrible, la comtesse de Brémontal, enceinte, est torurée par atroces pressentiments : « OU esti & cette heure, lui, son mari, dont elle n°a regu epuis cing mois aucune nouvelle ? Prisonnier des Prussiens ou tué ? Martyrisé dans tune forteresse ennemie ou entemé dans un trou, sur un champ de bataille, avee tant «autres cadavres dont la chair décomposée est mélée& la chair des voisins ettous les ossements confondus. Oh! quelle horreur! quelle horreur ! » (p. 1202) 50. Uipa J, « tantle monde estentaché de défauts !», série pacillement 'épicurien Lueréce, dans son poBme De la nature (chant I, vers 181), 51. Voyer.les Pensées ibres sur la religion de Mandeville, Le Bon sens de d’Holbach ouce quécrit Voltaire (Euvres |. XXX1, p. 177) au sujet des « romans inventés pour deviner Porigine du mal » 52. Saint Paul, Epitre aus Romans, VI, 23. 53. Bien malin serait, par exemple, celui qui pourrait trouver ls él ‘métaphysique de l'amour dans les éerits de Maupassant! 54, Formule appliquée & Schopenhauer dans Ia nouvelle de Maupassant intitulée ““Auprés d'un mort” (CN, I, p. 728) 55. Lesdemiersmots(enitaliques)figurentenfrangaisdansletextesef. Schopenhauer (A), Le Monde comme volonté et comme représentation (1° éd.: 1818), livre 1V, $59 strad, A. Burdeau : Pars, P. U. F, 11°. : 1984, p. 410. 56. “L'Inutile beauté”, CN, I, p. 1217, 57. Bancquart (M.-C.), Préface & Boule de uif ; Paris, L. G.F. (Le Livrede Poche”), 1984, p13 ‘58. "Moiron’” (1887), CN, Il p. 984 —Le méme qualificatif (« religieux ») réappa un peu plus loin dans le texte (ibid, p. 985). 59. Ibid. p. 989 ~ Comme Pécrivait André Vial (Maupassant et art du roman, op. Cit, p. 244, ila pu ariver & Maupassant « de prétr& la Fatalité un étre personne! et ‘un autre nom, celui de Diew, et de concevoir, chez la eréature, le désir de ravir au ments dune MAUPASSANT, LA MORT ELE PROBLEME DU MAL. 109) CCréateur ses pouvoirs » 60, “Moiton’”, CN, I, p. 989, 61, Ibi, p. 989. 62. Fort comme la mort, R, p. 1024, 63, Ibi, p. 946. 64, “L'Endormeuse”, CN, IL p. 163, 65. Ils'agitduseerétaire de CEuvre dela mort volontare”, une socistéde bienfuisance, protectrice des désespérés i laquelleréve lenarrateur : unclub quituerat proprement, ‘doucement, eeux qui ont résolu de prendre congé, On y anéantit, sur simple demande, les gens du monde (qui sont « rares > & se présenter) et les pauvres diables (qui bondent), ceux pour qui « ga ne peut pas continuer » (CN, Ip. 1165-1166), 66, Goncourt (Bet J.de), Journal, 1 février 1891 ; Paris, R. Laffont,t. 11, 1989, p. 534 67, Ibi, 28 Févtioe 1875 ; loc. cit. :t. TL, 1989, p. 631 68. A sa mere, 8 mars 1875; in Chronigues, études, correspondance de Guy de Maupassant, recucillies, préfacées et annotées par R. Dumesnil, Paris, Griind, 1938, p. 206, 69, Souligné par nous~C estprécisément ce Laporte quilui avait pr&téLa Philosophie dans fe boudoir. 70. I! s'agit, en occurrence, du magistrat que Maupassant fait parler dans le conte intitulé Un fou (CN, M1, p. $40). 11. Abid, CN, I, p. 540 ~ Cf. Sade (D. A. F. de), Histoire de Juliette (1797), Paris, 1970, p. 145,~oi Deleour, bourreau de profession, déclare ceci: « Des qu'il n’existe pasun seul procédé de la nature qui ne nous prouve que Iadestruction luiestnécessaire cet qu’elle ne parvient&enéer qu’a force de détruite, assurément tout étre qui se livrera ja destruction n’aura fait qu'imitr la nature », 72. Voyez parex., “Les Bécasses", CN, I, p. $69 : cocufier Gargan, le sourd-muct, . 85. Leibniz (G. W. F), La Cause de Dieu, § 69 et 79 [1710] ; ef. Théodiede, § 156. 86. "Boule de Suit” (1880), CN, 1. p. 85. 87.Ce demier, « nourri de philosophic » est entré dans les ordres aprés avoir ‘commeneé par embrasser la eartire militaire : mais la « vue de ces massacres, de ces troupeaux dhommes broyés par les mitrailles» ui a bient6t donné «la haine et Phorreurde la guerre ».La-dessus, sa jeune femme et sa pat fille ont été emportées parla fiévee typhoide..(R : p. 1206-1207) 88. L'Angélus, Rp. 1223-1224, —Mariane Bury note ts justement que « Vidéal de ‘bonheur qui s'exprime » dans tel passage de la nouvelle ittulée “Allouma” (1889) consisteprécisément « en une dispartion de la conscience et de a pensée, sources de touslesmaux » je. Bury (M.),La Poétique de Maupassant, Pati, Sedes, 1994, p. 64 89. Cf. “L'lnutle beaut", CN, I, p. 1219 : « Ceux-laseuls qu se rapprochent de Ia brute sont contents et satistits», onc Vintlue cy Ente) ES

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