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Ce titre m’a été suggéré, mais je ne voudrais pas m’y enfermer. Le problème essentiel
demeure surtout : Etre chrétien dans le monde tout court. Je reviendrai sur la question de
l’identité chrétienne ou orthodoxe. Il est trop facile d’opposer l’Orthodoxie orientale à un
Occident qu’il faudrait encore définir : latin, réformé, areligieux, laïque, sécularisé, et donc de
nous glorifier de notre Orthodoxie, de notre identité orientale. Certes l’Orthodoxie a une
tradition bimillénaire de culture, de sainteté, de martyrs, tout cela est vrai, important, mais
trop souvent cela demeure superficiel, acquis une fois pour toutes. C’est tout d’abord le terme
“occidental“ qui me pose problème.
Quand donc le chrétien se tourne vers le Christ, vers l’Orient véritable, il s’orientalise,
mais être oriental n’est pas un privilège des orthodoxes, c’est un devenir, une vocation de tout
chrétien. Quand ce même chrétien se tourne vers l’Occident, c’est-à-dire vers le monde, soit il
reflète la lumière du Christ, demeure véritablement oriental et transmet au monde le message
d’amour et de vie. Mais s’il oublie le message du Christ, le relativise ou le renie, il se fond
dans le monde ambiant occidental ou au contraire s’isole et s’enferme dans un ghetto ou une
tour d’ivoire.
Ainsi, être chrétien dans le monde c’est porter la Lumière du Christ, Soleil d’Orient dans
un Occident qui recouvre notre globe terrestre. Ce monde est dans l’attente du message de
l’Evangile, cherchant désespérément son identité, son unité dans un processus de
mondialisation et de progrès technologique rapide qui nous font transcender les frontières des
pays et des continents. Un monde traversé par des courants contraires, par un nationalisme
exacerbé auquel nos églises orthodoxes sont loin d’échapper, mais aussi un monde gangrené
par un courant profond de sécularisation et qui ignore ou oublie ou rejette et renie son propre
trésor, son histoire chrétienne, son origine et sa finalité en Dieu. “France, s’écriait Jean Paul
II, qu’as-tu fait de ton baptême ?“ Cette même question se pose à chacune de nos pays de
chrétienté, d’Orient ou d’Occident.
Certes les termes d’orientaux et d’occidentaux ont une longue histoire, en particulier dans
les deux millénaires de chrétienté, mais il n’est ni crédible, ni possible aujourd’hui de nous
enfermer dans ces catégories qui évoquent un trop long et dramatique processus
d’estrangement réciproque des deux pôles ou poumons de la chrétienté : Rome affirmant sa
juridiction universelle et instaurant des diocèses latins sur des terres traditionnellement
orthodoxes, y compris à Jérusalem et à Constantinople. Tandis qu’au 20e s.par une migration
massive des centaines de milliers d’orthodoxes arabes, grecs ou slaves se trouvent projetés en
terres étrangères, déracinés, meurtris dans leur corps et leur âme, orphelins, mais cherchant à
maintenir brûlante et brillante la flamme spirituelle de leur foi. Des paroisses et des diocèses
orthodoxes s’instaurent en ces terres d’accueil. Pour la 3e et 4e génération l’Europe
Occidentale ou l’Amérique du Nord ne sont plus des terres étrangères, mais notre véritable
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patrie, même lorsque nous sommes écartelés entre notre double appartenance, notre double
identité, d’orthodoxes grecs, arabes, slaves, roumains, mais vivant pleinement la vie
culturelle, sociale, politique de leurs nouvelles patries.
C’est ici que j’aimerais rendre hommage et dire toute notre reconnaissance à notre patrie
la France qui est devenue pour nos parents et pour nous-mêmes une terre d’accueil,
hospitalière, où nos enfants ont pu grandir, étudier, s’installer, s’intégrer pleinement à la
culture française, sans pourtant abdiquer nos langues, cultures et traditions d’origine. C’est
ainsi que projetés violement dans ces terres d’Occident, nous y avons discerné la volonté de
Dieu et sa bénédiction pour y vivre, y grandir, y témoigner de notre foi et des richesses de
notre tradition religieuse, sans pourtant tomber dans un prosélytisme primaire, mais dans le
respect de l’histoire chrétienne de ces pays d’accueil et dans l’ouverture aux églises
chrétiennes que nous avons appris à connaître et à aimer, découvrant chez eux des trésors
insoupçonnés de sainteté et de sagesse. Ainsi la dimension œcuménique de notre vie
chrétienne est devenue une évidence, un impératif d’obéissance au Seigneur Lui-même.
Des lieux de culte sont sortis de terre comme des champignons après la pluie, chapelles
modestes, puis églises. Des communautés monastiques se sont fondées un peu partout en
Europe, des mouvements de jeunesse se sont organisés enfin, une école de théologie s’est
créée au cœur même de Paris il y a plus de 80 ans et a formé des centaines de ministres du
culte, prêtres, évêques, théologiens, catéchètes. J’y reviendrai. Ainsi au bout de 80 ans
d’histoire, cette Diaspora orthodoxe s’organise, se fédère, non sans peine il est vrai, se
structure, en particulier autour de nos évêques dans l’Assemblée des Evêques Orthodoxes en
France, Celle-ci est reconnue par l’Etat français et possède ses entrées auprès des instances
gouvernementales. La plupart des patriarcats orientaux sont représentés dans cette
Assemblée : Constantinople, Antioche, Moscou, Belgrade, Bucarest, Tbilissi, mais aussi les
communautés francophones de la Diaspora. La finalité à longue échéance de cette Assemblée
Episcopale est la création de la structure épiscopale unifiée d’une Eglise locale. Par ailleurs,
et je lance ici un pavé dans la mare, on ne peut totalement dissocier le devenir unifié des
communautés orthodoxes en Occident de l’avenir du dialogue œcuménique et de l’attente de
notre unité ecclésiale avec Rome et avec les églises non chalcédoniennes. Mais là je déborde
du sujet qui m’est imparti.
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philosophes, gens de lettres, des arts, tout cela intimement nourri de la tradition et de la
spiritualité orthodoxe. Le 20e siècle a été une époque de rencontre et de découverte par
l’Occident des richesses de l’Orthodoxie que nous-mêmes souvent ne soupçonnions guère ou
peu. La rencontre avec la pensée religieuse ou philosophique occidentale, pour ne nommer
que Bergson, Mounier, Maritain, Péguy, Congar, Daniélou, de Lubac, Boegner, Pierre Maury
et tant d’autres fut l’occasion d’un enrichissement réciproque inestimable.
Certes l’Institut Saint Serge à Paris et son héritier à New York le Séminaire St Vladimir
ont été aux avant-postes d’une réflexion théologique créatrice, à la fois scientifique, mais non
moins engagée et enracinée dans la vie concrète de nos églises, inséparable d’une authentique
expérience spirituelle à la fois ecclésiale et personnelle. J’aimerais mentionner ici le P.Serge
Boulgakov, fondateur et doyen de l’Institut St Serge, le P.Georges Florovsky représentant
avec Vladimir Lossky du courant de néo-patristique orthodoxe, le P.Nicolas Afanassieff,
initiateur du concept d’ecclésiologie eucharistique qui a profondément marqué les pères de
Vatican II, Mgr Cassien qui renouvela l’exégèse néotestamentaire orthodoxe, Léon Zander,
un des acteurs les plus engagés dans le dialogue œcuménique. Après cette première
génération des fondateurs de l’Institut il faut évoquer les figures du P.Alexandre Schmemann
et du P.Jean Meyendorff qui migrèrent tous deux aux Etats-Unis et furent des figures de proue
au Séminaire St Vladimir, le premier en tant que porteur d’une vision renouvelée de la liturgie
et du culte, le second en tant qu’historien de la théologie byzantine.
Parmi les vivants, parlons en France d’Olivier Clément, de Mgr Jean Zizioulas, de
Christos Yannaras, Mgr Kallistos, (P.Lev Gillet, le Moine de l’Eglise d’Orient, Elisabeth
Behr-Sigel) et toute notre génération actuelle dont je tairai les noms.
Je ne peux pas ne pas évoquer ce soir les noms de quelques unes des figures d’exception
de la communauté orthodoxe antiochienne, du Liban, de la Syrie et certes de la Diaspora
antiochienne dans le monde.. Tout d’abord de l’actuel patriarche d’Antioche Ignace IV et de
son ami de jeunesse le métropolite du Mont Liban Georges Khodre tous deux diplômés de
notre Institut. Je suis heureux de cette longue amitié qui nous a unis dès notre jeunesse. Leur
témoignage à la fois dans la pensée orthodoxe et œcuménique d’une part et d’autre part dans
le dialogue avec l’Islam dont ils sont parmi les meilleurs connaisseurs aujourd’hui est
inestimable. Rappelons que dans les premières années qui suivirent la seconde guerre
mondiale, ils furent avec d’autres encore, Albert et Edouard Laham, Spiridon Khoury,
Raymond Rizk les artisans d’un renouveau spirituel dans la chrétienté orthodoxe d’Antioche,
par la fondation du fameux MJO, le Mouvement de Jeunesse Orthodoxe au Proche-Orient.
Soulignons que tout en vivant en un milieu musulman ils surent non seulement préserver leur
foi et les richesses de notre tradition orthodoxe, mais vivre eux aussi un renouveau
théologique et spirituel animant un Mouvement de Jeunesse Orthodoxe d’où sont sortis les
meilleurs théologiens et hommes d’Eglise du Patriarcat d’Antioche aujourd’hui.
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jaillit toute la puissance du message évangélique à travers le temps et l’espace. L’Eglise nous
en rend les contemporains et les semences de résurrection germent et éclosent dans nos cœurs
et dans nos vies. L’Esprit Saint nous rend contemporains du Christ ressuscité. Toute la vie
liturgique et sacramentaire de l’Eglise sera une conformation au mystère du Christ mort et
ressuscité. Sa mort et sa résurrection constituent la loi même de notre vie et de notre devenir
ici et maintenant. Nous connaissons tous l’impact de la célébration de la nuit pascale sur ceux
qui peuvent y assister, orthodoxes, chrétiens ou même incroyants. J’ai été particulièrement
bouleversé à la lecture d’une lettre provenant des détenus des camps de déportés du grand
Nord de l’Arctique au fameux Monastère des Solovki devenu un des lieux les plus terribles de
détention des croyants pendant la grande persécution des années 30. On y décrivait la
célébration nocturne de la Vigile pascale par ceux dont ce fut peut-être la dernière occasion et
la dernière grâce de pouvoir crier que “le Christ est ressuscité“.
2. Le concept de Tradition
Il est essentiel dans la vie de l’Orthodoxie. Une distinction nécessaire doit être faite entre
La Tradition et les traditions, ces dernières vénérables, mais relatives, locales. Dans son
essence la Tradition consiste en la transmission du Message évangélique dans le temps et
l’espace, à travers les catégories de pensée, de sensibilité des nations, des cultures, dans ce
qu’on appelle une inculturation à la fois importante mais délicate dans la culture de telle
époque ou pays. Ainsi se dégageront à travers l’histoire les grandes familles chrétiennes avec
leurs caractéristiques liturgiques, leurs accents théologiques, leur art musical et
iconographique, mentionnons les chrétiens de l’Irak et les langues sémitiques, la tradition
antiochienne et syriaque, l’Orthodoxie byzantine puis slave et roumaine, les familles
occidentales, romaine, milanaise, celtique, hispanique. Aujourd’hui c’est une orthodoxie
française qui se cherche sans ignorer les racines historiques de la chrétienté locale et de ses
origines orientales.
Il faut préciser ici que nos sociétés modernes sont profondément marquées par ce qu’on
pourrait appeler une dévaluation de la tradition. Ce qui prédominait en celle-ci c’est la
continuité à travers le changement des générations ainsi que l’autorité dont la tradition est
investie pour gérer l’action présente et l’avenir. La modernité marque une rupture décisive.
Par son développement même elle marque une rupture de la tradition, sa disqualification que
ce soit dans le domaine religieux ou social et familial.
Mais la transmission même du dépôt de la foi se fait toujours à la fois en Eglise, dans la
vie et la conscience et le discernement de la communauté ecclésiale et liturgique vivante, mais
aussi et non moins dans une relation personnelle par une transmission vivante dans ce que
j’appellerai au sens large du terme une paternité (ou maternité) spirituelle. Précisons ici que
nous pouvons distinguer entre la paternité spirituelle au sens strict et personnel du terme, en
tant qu’un véritable engendrement en Dieu, et par ailleurs dans le sens large par l’impact que
peuvent exercer sur chacun de nous les personnes, les saints de tous les temps, les “pères“ de
l’Eglise. Ainsi ces derniers, depuis St Ignace d’Antioche ou St Irénée, Basile, les deux
Grégoire, Jean de Damas, Grégoire Palamas, les spirituels, Séraphin de Sarov, Silouane de
l’Athos, les saints donc du passé et d’aujourd’hui, ces saints qui sont parmi nous, ils nous
engendrent et leurs gènes spirituels se retrouvent dans notre propre consistance et identité.
Finalement, cette tradition ecclésiale nous ramène aux temps apostoliques, à l’Eglise des
apôtres et des martyrs, car l’Eglise est toujours apostolique et martyrielle et c’est dans l’Esprit
Saint que la transmission s’opère dans la fidélité, sans rien omettre ni ajouter.
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Je dis bien sans rien ajouter. Et c’est là que les orthodoxes devons être attentifs à ne pas se
laisser submerger et endormir par les richesses de notre histoire et de notre culture
bimillénaire et d’être capables de revenir toujours à l’essentiel, c'est-à-dire à notre message
chrétien commun.
3. La beauté
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russe, “Notre programme social, c’est la Trinité“. Elle est tout entière à l’œuvre dans le
monde et à travers chacun de nous.
Et revenant donc au titre de cet exposé, ne faudrait-il pas peut-être moins parler
d’Orthodoxie et davantage de l’Evangile et de la Résurrection, moins nous glorifier et nous
prévaloir de nos richesses “orientales“ qui sont si souvent dormantes et inopérantes et surtout
être témoins de Celui qui est venu non pour être servi, mais pour servir et pour donner sa vie
pour le salut du monde.