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Lofts Steve G. Une nouvelle approche de la philosophie d'Ernst Cassirer. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième
série, tome 90, n°88, 1992. pp. 523-538.
http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1992_num_90_88_6760
11 «(...) wie Ià8t sich die Transzendenz der Idee mit der Immanenz des Lebens
vereinen?» (E. Cassirer, «Geist» und «Leben» in der Philosophie der Gegenwart, in
Die Neue Rundschau, I (1930), p. 252. C'est nous qui traduisons).
12 Phil, des formes symbol., t. 1, p. 57.
13 Ibid., p. 58.
14 «Eine Selbsterfassung des Lebens ist nur moglich, wenn es nicht schlechthin in
sich selbst verbleibt. Es muB sich selber Form geben; denn eben in dieser 'Andersheit'
der Form gewinnt es, wenn nicht seine Wirklichkeit, so doch erst seine 'Sichtigkeit'».
(E. Cassirer, Philosophie der symbolischen Formen, t. 3, p. 46; trad, française corrigée
par nous: t. 3, p. 53).
15 «(...) er [scil., der Geist] kann als eine Wendung und Umkehr des Lebens selbst
verstanden werden — (...) in dem MaBe, als es aus dem Kreise des bloB organischen
Bildens und Gestaltens in den Kreis der 'Form', der ideellen Gestaltung, eintritt».
(E. Cassirer, «Geist» und «Leben»..., p. 260. C'est nous qui traduisons).
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quand il fait de celle-ci une des formes primaires. Qui plus est, dans les
explications de Krois, toute mention des autres formes culturelles fait
défaut: comment est-ce qu'elles dérivent des formes primaires, et
quelles sont les relations qui les relient à celles-ci? Voilà quelques
questions, parmi d'autres, auxquelles Krois aurait dû répondre.
Mais retournons pour un instant aux trois formes primaires. Encore
qu'il doive être avéré que Cassirer n'a jamais explicitement consacré
un exposé à la topologie des formes culturelles, il paraît sûr qu'il en
avait une en tête. Comme cette topologie sous-jacente semble avoir
échappé à Krois, nous nous permettons d'en esquisser ici les grandes
lignes. D'abord, il faut souligner que s'il y a une troisième forme
culturelle primaire, c'est l'«art» et non pas la technologie. Ecoutons
Cassirer: «Mythe, langage et art forment d'abord une unité concrète encore
indivise, qui ne se déploie que progressivement en une triade de modes
de figuration spirituels et indépendants» 22. «Nous pouvons dire que
nous trouvons dans le mythe une objectivation imaginative, que l'art
est un processus d'objectivation intuitive ou contemplative et que le
langage et la science sont une objectivation conceptuelle» 23. En effet,
le langage occupe une place tout à fait centrale dans la topologie: «en
tant que forme d'ensemble de l'esprit, [le langage] se trouve à la
frontière entre mythos et logos, et (...) représente par ailleurs le milieu et
la médiation entre les visions théorique et esthétique du monde» 24.
On voit que le monde spirituel est divisé en deux sphères
diamétralement opposées, à savoir mythos et logos, ou la dimension de la «pure»
signification expressive et le domaine du «pur» signifier. «L'image
mythique et l'image théorico-scientifique du monde ne peuvent ni
coexister ni se juxtaposer à l'intérieur du même espace mental: elles
s'excluent rigoureusement, le commencement de l'une équivalant à la
fin de l'autre» 25. La signification expressive est la plus fondamentale
parce qu'elle «ignore (...) la différence entre 'image' et 'chose', entre
'signe' et 'désigné'» 26. Ce qui ne veut pas dire que cette différence n'y
22 E. Cassirer, Langage et mythe: à propos des noms de dieux, trad, par Ole
Hansen-Love. Paris, Éd. de Minuit, 1973, p. 121.
23 E. Cassirer, Language and Art I (1942), trad, par D.P. Verene, in D.P. Verene
(éd.), Symbols, Myth, and Culture. Londres, Yale University Press, 1979, p. 187.
(L'original allemand de ce texte restant encore inédit, nous traduisons à partir de
l'anglais).
24 Phil, des formes symbol., t. 1, p. 269.
25 Ibid., t. 3, p. 95.
26 Ibid., p. 112.
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existe pas, mais seulement qu'elle n'est pas reconnue comme telle. Si la
signification expressive «constitue un premier pas au-delà du donné, il
n'en retombe pas moins, avec son produit, dans la forme du 'donné'»27.
Au niveau expressif, l'image n'est pas vue autant qu'elle est vécue:
c'est-à-dire que la perception mythique est «physiognomique» et pas
objective. «Le mythe s'en tient exclusivement à la pensée de son objet,
à l'intensité avec laquelle celui-ci assaille la conscience à un instant
déterminé et prend possession d'elle» 28. «Toute réalité effective que
nous saisissons est moins, dans sa forme primitive, celle d'un monde
précis de choses, érigé en face de nous, que la certitude d'une efficience
vivante, éprouvée par nous» 29. Toutefois, sans langage, le monde
mythique manquerait la stabilité qu'il lui faut pour être expérimenté;
dès lors, «le mythe et le langage sont en contact perpétuel et
réciproque, ils se portent et se conditionnent l'un l'autre» 30. Le mythe crée
un monde par son orientation vers le sacré, mais c'est seulement par le
langage que cette orientation est transformée et devient une orientation
stable et fixée. «C'est cette détermination en objet ou en activité, et non
la simple dénomination de l'objet ou de l'activité qui s'exprime dans le
travail spirituel du langage comme dans le travail logique de la
connaissance» 31. «L'homme ne se borne pas à penser et à concevoir le monde
par l'intermédiaire de la langue; mais c'est déjà la façon dont il voit
intuitivement et dont il vit dans cette intuition que cet élément
médiateur conditionne» 32. Cassirer parle souvent de «langage et science»
ensemble: c'est parce que pour lui, «ce qui distingue (...) la conscience
que la perception a de l'objet et la conscience scientifique d'un objet
est une différence de degré et non de nature, dans la mesure où les
distinctions de valeur qui sont déjà présentes et à l'œuvre dans la première
sont élevées dans la seconde à la forme de la connaissance, autrement
dit son fixées dans le concept et le jugement» 33. Le langage ne reflète
pas seulement le monde comme il est vécu, mais y est
fondamentalement enchevêtré. Voilà pourquoi il n'est pas en mesure d' «effectuer ce
pas décisif que la pensée mathématique exige des concepts de nombre,
27 Ibid., t. 2, p. 42.
28 Ibid., p. 57.
29 Ibid., t. 3, p. 90.
30 Ibid., t. 2, p. 62.
31 Ibid., t. l,p.234.
32 Ibid., t. 3, p. 235.
33 Ibid., t. 2, p. 56.
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réel des choses acquiert une validité et une vérité qui lui sont
proprement immanentes» 39.
L'art nous donne une unité de l'intuition; la science nous donne
une unité de la pensée; la religion et le mythe nous donnent une
unité du sentiment. L'art nous ouvre l'univers des «formes
vivantes»; la science nous montre l'univers des lois et des
principes; la religion et le mythe commencent par la conscience de
l'universalité et l'identité fondamentale de la vie 40.
Ainsi sommes-nous amenés à une triade des fonctions psychologiques
que sont l'intuition, la pensée et le sentiment, triade à laquelle
correspond une autre, à savoir respectivement les formes symboliques de
l'art, du langage ou de la science, et du mythe ou de la religion.
Avant de terminer, penchons-nous encore brièvement sur les trois
chapitres finaux. Dans le troisième, Krois traite du problème de la
«vérité». Cassirer partage la position de Hegel quand il affirme que «la
vérité est le 'tout' — mais ce tout ne peut s'offrir d'un seul coup et doit
au contraire être déployé progressivement par la pensée selon son
propre mouvement intime et conformément au rythme de ce dernier»41.
Toutefois, contrairement à Hegel, Cassirer n'admet pour ce
développement aucune forme nécessaire et logique. Car dans le «système»
hégélien, chaque stade de l'évolution de l'Esprit acquiert sa vérité dans une
étape suivante plus puissante et, enfin, dans la totalité même des étapes.
Pour Cassirer, au contraire, il y a une discontinuité radicale entre les
formes culturelles — nous avons eu l'occasion de le faire remarquer
plus haut 42. «Nous devons, dit en effet notre philosophe, découvrir
dans ces formes elles-mêmes l'échelle et le critère de leur vérité, de
leur signification interne» 43. Ceci soulève évidemment la question de
la relativité de la vérité. Si, en effet, chaque forme culturelle revendique
pour elle-même une vérité, qu'en est-il alors de «la» vérité? Or dans
le contexte de la philosophie des formes symboliques, il n'est plus