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LA SEMAINE DU DROIT LIBRES PROPOS

RÉFORME DU DROIT DES CONTRATS


L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve
des obligations entre en vigueur le 1er octobre 2016. Retrouvez chaque semaine un commentaire des principales
innovations issues de l’ordonnance

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Dits et non-dits sur l’application


dans le temps de l’ordonnance du
10 février 2016
POINTS-CLÉS ➜Les précisions sur l’application dans le temps de la réforme étaient attendues
➜ Elles sont à l’article 9 de l’ordonnance n° 2016-131, qui fixe l’entrée en vigueur des règles
nouvelles au 1er octobre 2016, précise leur application aux contrats et, silencieux quant au
reste, renvoie aux principes des conflits de lois dans le temps ➜ Autant de questions avec
lesquelles doctrine et pratique devront composer et dont on donne ici quelques illustrations

En premier lieu, rien n’exclut que la ratifi- la jurisprudence anticipe – effet déclaratif
Sophie Gaudemet, professeur à cation de l’ordonnance intervienne après le aidant – les solutions du droit nouveau :
l’université Paris-Sud
1er octobre 2016 (la loi d’habilitation laisse parfois en fixant dans le sens des règles nou-
un délai de six mois à compter de la publi- velles des questions encore incertaines, par-
cation de l’ordonnance pour le dépôt devant fois aussi en procédant à un revirement de
le Parlement du projet de loi de ratification : jurisprudence. Selon toute vraisemblance, la

L
e projet d’ordonnance soumis à L. n° 2015-177, 16 févr. 2015, art. 27, II, 2° ). Si réforme du 10 février 2016 comportera son
consultation ne comportait aucune tel est le cas, on s’achemine vers la probable lot d’anticipations jurisprudentielles, qui
disposition de droit transitoire, non juxtaposition de trois droits : celui antérieur sortiront leurs effets dans les contrats en
plus que les avant-projets doctrinaux qui à l’ordonnance, celui issu de l’ordonnance cours (rappr. C. François, Application dans le
l’avaient précédé. L’article 9 de l’ordon- et celui résultant des modifications que temps et incidence sur la jurisprudence anté-
nance n° 2016-131 du 10 février 2016 lève comportera le cas échéant la loi de ratifica- rieure de l’ordonnance de réforme du droit des
– pour partie – le voile. Il fixe l’entrée en tion. Cette dernière pourra sans doute faire contrats : D. 2016, p. 506).
vigueur des dispositions de l’ordonnance usage de dispositions interprétatives, pour Au bénéfice de ces précisions, l’ordonnance
au 1er octobre 2016 ; précise que les contrats autant que les corrections apportées au texte détermine les conditions de son application
conclus avant cette date demeurent soumis de l’ordonnance puissent être considérées dans le temps aux contrats (1), mais ne fait
à la loi ancienne ; réserve trois dispositions comme telles. Au-delà, on sait combien la pas de même pour le régime général des
d’application immédiate ; et rappelle que faculté pour le législateur de disposer pour le obligations (2), les quasi-contrats (3) ni le
les instances introduites avant l’entrée en passé est encadrée par des exigences consti- droit de la preuve (4), renvoyant ainsi aux
vigueur de l’ordonnance seront poursuivies tutionnelles et conventionnelles. Le Conseil principes des conflits de lois dans le temps.
selon la loi ancienne, en ce compris en appel constitutionnel l’a rappelé dans sa décision Et si les enjeux pratiques sont assurément
et en cassation. On s’autorisera à cet égard à sur la loi d’habilitation : la loi de ratifica- perceptibles là où le droit nouveau innove,
reprendre une terminologie connue en usant tion, comme toute loi, sera tenue au respect ils ne sont pas absents là où il n’innove
dès à présent des expressions « loi ancienne » de ces exigences (Cons. const., 12 févr. 2015, guère, voire pas, ne serait-ce que pour déter-
pour désigner les dispositions antérieures à n° 2015-710 DC, consid. 6 et 7). miner s’il y a lieu de se prévaloir des anciens
l’ordonnance et « loi nouvelle » pour dési- En second lieu, il faudra aussi compter avec ou des nouveaux textes. On ne reviendra
gner celles qui en sont issues. de probables anticipations jurisprudentielles. cependant pas sur les dispositions, simple-
Deux observations préalables. Les hypothèses ne sont pas rares en effet où ment déplacées, relatives à la responsabilité

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extracontractuelle et à la responsabilité du ceux conclus de toute pièce sous l’empire donnance retient le système de la réception
fait des produits défectueux ; les principes du droit nouveau. Mais le seront aussi ceux (C. civ., art. 1121) et que l’on ne peut exclure
des conflits de loi dans le temps applicables renouvelés, dont ceux tacitement recon- que la jurisprudence, aujourd’hui hésitante,
en matière de responsabilité permettront de duits, à compter du 1er octobre 2016 (sur les consacre à l’avenir cette solution – d’une
déterminer la version applicable en la cause. formes que peut prendre le renouvellement : offre émise et acceptée avant le 1er octobre
exprès, stipulé ou tacite, V. A. Bénabent, La 2016, mais dont l’acceptation parvient à l’of-
prolongation du contrat : RDC 2004, p. 117). frant après cette date. La logique des conflits
1. Le contrat Les textes désormais consacrés à « la durée de lois dans le temps voudrait que le contrat
du contrat » le rappellent : le renouvellement soit conclu sous l’empire du droit nouveau
Le principe est posé par l’ordonnance de la et la tacite reconduction donnent naissance (rappr. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Les
survie de la loi ancienne (A) et la réserve faite à un nouveau contrat, dont le contenu est obligations : Dalloz, 11e éd., 2013, n° 166), lais-
de trois dispositions déclarées d’application certes en principe identique au précédent (C. sant dans le premier cas l’offrant tributaire
immédiate (B). civ., art. 1214 et art. 1215), mais qui n’en sera du délai de réponse de l’acceptant, dans le
pas moins soumis au droit nouveau, et ce second l’offrant et l’acceptant tributaires des
A. - Principe de survie de la faisant aux dispositions impératives de celui- délais d’acheminement postaux… Tout ceci
loi ancienne ci. D’où la précaution qui pourrait consister, n’est guère propice au respect des prévisions
pour ceux qui voudraient écarter ou aména- contractuelles. Aussi pourrait-on imaginer
L’article 9 de l’ordonnance énonce que ger le droit nouveau là où ils le peuvent, à le de prévenir la situation : le cas échéant en po-
« les contrats conclus avant [le 1er octobre faire explicitement avant le renouvellement sant à titre de condition la conclusion défini-
2016] demeurent soumis à la loi ancienne ». de leur contrat afin d’éviter des difficultés tive du contrat sous l’empire du droit ancien
Le droit nouveau n’aurait en toute hypo- d’interprétation sur ce point. voire, à l’inverse, en faisant le choix du droit
thèse pu, sans rétroactivité, s’appliquer aux
conditions de validité non plus qu’aux effets « D’où la précaution qui pourrait consister,
passés des contrats en cours à la date de
son entrée en vigueur. Les effets à venir des pour ceux qui voudraient écarter ou aménager
contrats en cours sont, quant à eux, en prin- le droit nouveau là où ils le peuvent, à le faire
cipe, régis par la survie de la loi ancienne,
celle sous l’empire de laquelle les volontés se explicitement avant le renouvellement de leur
sont rencontrées. Il n’y a lieu à application contrat. »
immédiate de la loi nouvelle qu’au terme
d’une disposition transitoire en ce sens ou Prorogation. - Différente est la proroga- nouveau même non encore en vigueur (V.
pour la raison que les règles en cause sont tion. Elle procède d’un accord des parties en ce sens, Cass. 3e civ., 23 mars 1977, n° 75-
jugées, soit d’ordre public particulièrement pour différer le terme initialement convenu, 14.708 : Bull. civ. 1977, III, n° 151 ; D. 1978,
impérieux, soit relever d’un statut légal (V. qui ne doit par hypothèse pas être atteint. p. 163, note E. Agostini. – Rappr. Cass. 2e civ.,
spéc. P. Roubier, Le droit transitoire - Conflits Elle emporte ainsi prolongation d’un contrat 19 mars 2009, n° 07-19.506 et n° 07-19.559 :
des lois dans le temps : Dalloz, Sirey, 2e éd., en cours, lequel demeure régi par le droit JurisData n° 2009-047544 ; Bull. civ. 2009,
1960, réimp. Dalloz, 2008, no 82 et s., p. 411 sous l’empire duquel il a été conclu (V. not. II, n° 80).
et s.). C’est semble-t-il pour prévenir ces A. Bénabent, préc. - Pour une autre ana- Second exemple : les avant-contrats. Conclus
discussions que les auteurs de l’ordonnance lyse, J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau, Les avant l’entrée en vigueur du droit nouveau,
ont expressément consacré la survie de la loi effets du contrat : LGDJ, 2001, n° 223 in fine, ils seront régis par le droit ancien. Ce qui
ancienne, afin « de ne pas susciter d’inter- citant not. I. Pétel, Les durées d’efficacité du posera d’ailleurs une autre question : celle de
rogation sur ce point » est-il précisé dans le contrat, thèse Montpellier, 1984, n° 616), sauf, savoir si la jurisprudence anticipera les solu-
rapport au président de la République. ainsi qu’il a été ajouté, « à s’interroger sur tions de l’ordonnance sur l’exécution forcée
Le domaine d’application de la loi ancienne une fraude à la loi consistant à faire échec à de la promesse unilatérale (C. civ., art. 1124),
n’en soulève pas moins différentes ques- une loi nouvelle par un accord de proroga- par abandon de la solution de 1993 (Cass.
tions, dont on ne saurait donner ici que des tion des contrats antérieurs » (A. Bénabent, 3e civ., 15 déc. 1993, n° 91-10.199 : Juris-
illustrations après quelques éléments sur préc.). Data n° 1993-002405). Au-delà, la situation
l’identification des anciens et des nouveaux pourra notamment se rencontrer d’une pro-
contrats. Contrat en voie de formation. - Deux messe unilatérale conclue sous l’empire du
exemples peuvent être pris de situations dont droit ancien et d’une option levée à compter
• Identification des anciens et des nou- la constitution s’échelonne dans le temps. du 1er octobre 2016, scellant la conclusion
du contrat définitif. On en revient alors à la
veaux contrats Premier exemple : l’offre et l’acceptation.
Renouvellement et tacite reconduction. Ainsi d’une offre émise avant le 1er octobre question de savoir s’il ne conviendra pas de
- Seront assurément des nouveaux contrats 2016 et acceptée après ; voire – puisque l’or- prévenir conventionnellement ces difficultés.

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Contrats-cadre et contrats d’appli- à elle que les contrats en cours à cette date traditionnellement, de l’effet immédiat, la
cation. - La distinction est connue, que demeurent régis par le droit ancien, non seu- question étant de savoir où passera la ligne
consacre la réforme. Les contrats-cadre, lement dans leurs conditions et effets passés de partage. Ce d’autant plus que la Cour de
conclus suivant le droit ancien, demeureront mais aussi dans leurs effets à venir. Les rai- cassation n’a pas exclu, dans un avis de 2015,
régis par celui-ci. Les contrats d’application sonnements anciens seront reconduits, sans de compléter les dispositions transitoires
quant à eux, s’ils « précisent les modalités exclure l’anticipation de telle ou telle solu- d’une loi pour y ajouter un texte d’applica-
d’exécution » des contrats-cadre selon la dé- tion par la jurisprudence. tion immédiate (Cass., avis, 10 févr. 2015,
finition qu’en donne l’ordonnance (C. civ., Ceci rappelé, on s’en tiendra à deux ques- n° 14-70.011, sur lequel V. spéc. RTD civ.
art. 1111), n’en sont pas moins de nouveaux tions, aux extrémités de la formation et de 2015, p. 569, obs. P. Deumier). Sans doute les
circonstances étaient différentes, et l’ajout
« Il n’en résulte pas moins une forme visait semble-t-il à remédier à un oubli, qui
plus est en donnant effet à une règle protec-
d’incertitude sur le traitement par la Cour trice des locataires (V. P. Deumier, préc.)…
de cassation des dispositions de droit Il n’en résulte pas moins, de façon générale,
une forme d’incertitude sur le traitement
transitoire. » par la Cour de cassation des dispositions de
droit transitoire ; et en l’occurrence, sur les
accords de volonté. Raison pour laquelle les l’exécution du contrat. limites de l’application de la loi contractuelle
contrats d’application conclus à compter du La première procède davantage du rappel : et par là même de la survie de la loi ancienne.
1er octobre 2016 devraient relever du droit les négociations précontractuelles relèvent Autant de questions à propos desquelles,
nouveau, quand bien même ils interviennent non pas de la loi applicable au contrat, mais d’ailleurs, les considérations de politique ju-
en exécution d’un contrat soumis au droit de celle qui l’est au jour où le fait domma- ridique l’emportent parfois sur celles de pure
ancien (rappr. J. Gatsi, Le contrat-cadre : geable a eu lieu, comme c’est le principe en technique juridique.
LGDJ, 1996, n° 284). Il y a lieu de penser, en matière de responsabilité délictuelle.
effet, que les contrats-cadre ne peuvent figer La seconde question est plus délicate, rela- B. - Exceptions en faveur de
la législation ancienne pour y soumettre les tive à l’inexécution du contrat (on aurait pu l’application immédiate
contrats à venir. raisonner aussi sur l’annulation). Roubier
distinguait en la matière les questions tenant Les exceptions expressément posées par
Cession de contrat. - La cession de contrat aux « conditions mêmes de l’existence du l’ordonnance à la survie de la loi ancienne
conclue à compter du 1er octobre 2016 relè- droit » (exemple pris d’une loi transformant concernent les trois nouvelles actions ou
vera du droit nouveau. Il semble en revanche en une clause opérant ipso facto une clause « interpellations » interrogatoires qui visent,
que le contrat cédé devrait rester régi par le qui n’opérait pas de la sorte) de celles tenant s’agissant de l’existence d’un pacte de pré-
droit sous l’empire duquel il a été conclu. Sa aux « formes du droit » (exemple pris d’une férence (C. civ., art. 1123), des pouvoirs du
cession, ou plus exactement la cession par loi édictant de nouvelles formalités de mise mandataire (C. civ., art. 1158) et des causes
le cédant de sa qualité de partie au contrat en œuvre d’un droit existant) ; les premières de nullité (C. civ., art. 1183), à permettre à
pour reprendre l’analyse consacrée par l’or- relevant de la survie de la loi ancienne, les celui qui s’apprête à conclure ou à exécuter
donnance (C. civ., art. 1216), « est destinée à secondes de l’effet immédiat de la loi nou- un contrat d’interroger une partie ou un tiers
permettre la continuation du contrat » (Ph. velle (op. cit., n° 81, spéc. p. 405 et s.). Que qui disposerait du moyen de contester l’opé-
Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Les penser à ce titre de la faculté de solliciter ration (V. A. Bénabent, Les nouveaux méca-
obligations : LGDJ, 7e éd., 2015). Elle peut une réduction du prix (C. civ., art. 1223), nismes : RDC 2016, p. 17). L’objectif est de
être considérée, selon la même doctrine, des formalités posées pour la résolution par prévenir les contestations ; celles-ci devant
« comme une forme de modification subjec- notification (C. civ., art. 1226) ou encore des s’exprimer en réponse à l’interpellation. De
tive du contrat : la force obligatoire reste la textes sur les restitutions (C. civ., art. 1352 et ces mécanismes, les auteurs de l’ordonnance
même, la cause demeure, l’objet est inchan- s.) ? On pourrait être tenté de répondre que, ont voulu que les intéressés puissent user
gé ; seule une des parties est remplacée par quelle que soit l’analyse retenue, l’ordon- sans tarder, quand bien même les contrats
une autre » (ibid. - Adde L. Aynès, La cession nance a tranché en prévoyant que les anciens en cause seraient soumis au droit ancien, et
de contrat et les opérations juridiques à trois contrats demeurent régis par le droit ancien non sans possible influence des solutions re-
personnes : Economica, 1984). sous les trois seules exceptions qu’elle réserve tenues en matière procédurale (V. en ce sens
(V. infra). Pourtant, il n’est guère certain que le rapport au président de la République).
•LesDomaine de la survie de la loi ancienne
contrats conclus à compter du 1 oc-
l’on puisse en conclure que le départ ne sera L’application des dispositions correspon-
er
pas fait entre ce qui relève de la loi du contrat dantes « dès l’entrée en vigueur de la présente
tobre 2016 seront régis par le droit nouveau. et ce qui n’en relève pas. Les questions qui ordonnance » s’entend selon toute vraisem-
La consécration par l’ordonnance du prin- débordent le domaine proprement contrac- blance du 1er octobre 2016, par application
cipe de survie de la loi ancienne veut quant tuel pourraient bien relever, comme il en est de l’article 1er du Code civil qui pose le prin-

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cipe de l’entrée en vigueur des lois « à la date régis par la loi applicable au jour de leur de responsabilité [délictuelle] est vrai aussi
qu’[elles] fixent » (contra M. Mignot, Com- naissance, reste la question du sort des obli- des autres faits matériels qui engendrent
mentaire article par article de l’ordonnance gations ainsi transmises ou transformées. une obligation (autrefois nommés quasi-
du 10 février (I) : LPA 26 févr. 2016, p. 8). Ne faudrait-il pas précisément distinguer contrats). Par exemple c’est la loi du jour de
les unes et les autres ? Lorsque l’obligation l’enrichissement qui dira s’il y a ou non enri-
est transmise, au terme d’une cession de chissement sans cause ; c’est la loi en vigueur
2. Le régime général des créance, reprise de dette, subrogation, on au jour du paiement qui fixera les conditions
obligations enseigne que le rapport d’obligation initial de la répétition de l’indu, et qui dira ce que
se poursuit, malgré le changement de titu- le défendeur doit restituer » (op. cit., n° 42,
laire, en sorte qu’il semble qu’il puisse rester p. 189).
Si elle indique les modalités de son appli- soumis à la loi qui l’a vu naître. Lorsqu’en
cation aux contrats, l’ordonnance ne com- revanche l’obligation initiale est éteinte
porte pas de précisions du même ordre sur et remplacée par une obligation nouvelle, 4. La preuve
le régime général des obligations, lequel a comme c’est le cas dans la novation, le nou-
pourtant été réorganisé, mais aussi complé- veau rapport d’obligation devrait être sou- L’ordonnance enfin ne précise pas l’appli-
té et amendé. Nombre de questions doivent mis à la loi en vigueur au jour de sa nais- cation dans le temps du titre nouveau sur
en réalité pouvoir se résoudre à partir de sance et ainsi aux dispositions impératives la preuve, fait de reconductions mais aussi
ce qui a été dit du contrat. D’abord, parce de celle-ci (V. A. Bénabent, Droit des obli- d’aménagements et de consécrations juris-
que lorsque le droit de créance est d’ori- gations : LGDJ, Lextenso-éditions, 14e éd., prudentielles. Les solutions dégagées par
gine contractuelle, c’est la loi applicable 2014, n° 834). Roubier devraient ici encore servir de guide
au contrat qui le régit. Ensuite, parce que Mention peut du reste être faite ici, dans le (op. cit., nos 53 et s., p. 234 et s. - Adde L. Bach,
les modes de circulation de l’obligation, prolongement, de la distinction de la nova- préc., no 376 et s.).
dès lors qu’ils constituent eux-mêmes des tion, qui emporte extinction d’une obliga- L’auteur réservait les « hypothèses où la loi
conventions, devraient en tant que tels être tion préexistante et création d’une obliga- a prévu un établissement antérieur de la
régis par la loi en vigueur au jour où ils tion nouvelle, et des simples modifications, preuve », en tant qu’elles retentissent sur le
interviennent. Ainsi, la cession de créance, qui laissent perdurer le rapport d’obligation fond du droit. Dans cette catégorie, il ran-
la reprise de dette, la novation, à quoi l’on initial (V. not. F. Terré, Ph. Simler et Y. Le- geait les preuves préconstituées, œuvre des
peut ajouter la subrogation, relèveront du quette, op. cit., nos 1428 et s. - A. Ghozi, La parties, et les présomptions légales, œuvre
droit nouveau lorsqu’elles interviendront modification de l’obligation par la volonté des de la loi ; les premières relevant de la loi en
à compter du 1er octobre 2016 ; mais elles parties : LGDJ, 1980). La frontière est parfois vigueur au jour de leur préconstitution, les
devraient rester soumises au droit ancien, délicate et la jurisprudence s’ordonne pour secondes de celle en vigueur au jour où se
dans leurs conditions comme leurs effets, l’essentiel autour d’un arrêt ancien suivant sont produits les faits auxquels elles sont
lorsqu’elles seront intervenues antérieure- lequel « il ne suffit pas » pour qu’une modi- attachées. Ce qui devrait par exemple signi-
ment (rappr. P. Roubier, op. cit., p. 316, note fication emporte novation « d’augmenter ou fier l’application aux anciens contrats des
1). de diminuer la dette, de fixer un terme plus anciens articles (modifiés dans leur numéro-
Au-delà, on s’en tiendra à deux questions. long ou plus court, et d’ajouter ou de retran- tation davantage que dans leur contenu) sur
En premier lieu, le statut légal des créances. cher une hypothèque ou une autre sûreté, ou l’exigence d’une preuve littérale ou la défini-
Le concernant Roubier distinguait : d’une même de changer l’espèce de l’obligation, à tion du commencement de preuve par écrit.
part, les effets produits au jour de la nais- moins que les parties n’expriment une in- Le reste consiste en ce que Roubier appelait
sance de la créance, régis par la loi applicable tention contraire » (Cass. req., 8 nov. 1875 : « la preuve débattue en justice ». Ces ques-
à cette date-là, et parmi lesquels les moda- DP 1876, 1, p. 438, I). tions, écrivait-il, « ne concernent jamais
lités de l’obligation, divisible ou indivisible, que l’œuvre du juge ; dès lors il ne faut pas
solidaire ou conjointe… ; d’autre part, les hésiter à dire que le juge se basera sur les lois
effets à venir de la créance, régis par la loi en 3. Les quasi-contrats qui sont en vigueur au moment du procès,
vigueur au jour où ils se produisent, et parmi c’est-à-dire au moment où son activité est
lesquels les formes de la mise en demeure, L’ordonnance ne précise pas non plus l’ap- en œuvre » (op. cit., n° 54, p. 239). Étant
qu’il rapprochait des moyens de préservation plication dans le temps de ses dispositions encore précisé – et c’est ici l’ordonnance qui
des créanciers que sont les actions oblique et sur les quasi-contrats. Ce qui renvoie aux réserve la solution, comme il est de coutume
paulienne (P. Roubier, op. cit., n° 67, p. 315 et principes des conflits de lois dans le temps, en droit transitoire – que, dans les instances
s.- L. Bach, Rép. civ. Dalloz, V° Conflits de suivant lesquels les obligations nées d’un introduites avant qu’elle n’entre en vigueur,
lois dans le temps, no 504 et s.). quasi-contrat, trouvant leur source dans un « l’action est poursuivie et jugée conformé-
Seconde question : le sort des obligations fait juridique, sont régies par la loi en vigueur ment à la loi ancienne. Cette loi s’applique
objet de la circulation. Si les modes de cir- au jour de celui-ci. On relira là aussi Rou- également en appel et en cassation » (Ord.
culation de l’obligation sont eux-mêmes bier : « ce qui est vrai des faits générateurs n° 2016-131, art. 9, al. 4).

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