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INTRODUCTION

1. Quels droits fondamentaux faut-il garantir et comment peut-on leur donner pleine
effectivité ? Cette préoccupation classique et lancinante de la doctrine juridique1 a pris une
actualité nouvelle en raison des nombreuses mutations du droit induites par la mondialisation
et la globalisation économiques. Ce souci constant permet sans doute de donner raison à
monsieur Alexis Le Quinio 2 qui argue qu’une discipline scientifique peut connaître une
évolution radicale lorsqu’intervient une révolution qui touche irrémédiablement la matière
dans ses fondements mêmes. Concernant spécifiquement la science juridique, de nombreux
phénomènes3 ont concouru à sa mutation au cours du siècle précédent. La mondialisation y
prend une place de choix. Phénomène historique, protéiforme et polysémique 4 , la
mondialisation exerce à l’échelle internationale une profonde influence sur les phénomènes
juridiques, au point d’en imprimer sur le droit des remises en cause conséquentes 5 . Pour
monsieur Henri R. Pallard 6 , le changement est un élément inhérent à l’expérience des
communautés humaines. La mondialisation en tant que phénomène historique observable
pourrait être considérée comme à la source de toutes les grandes transformations des sociétés
humaines. Fruit du processus de l’extension progressive du modèle économique occidental, la

1
Yves Poirmeur, « Synthèse-Les droits fondamentaux en quête de protection », in, François Collart Dutilleul
et Fabrice Riem (dir.), Droits fondamentaux, ordre public et liberté économique, Institut Universitaire Varenne,
Collection « Colloques et Essais », LGDJ, 2013, pp. 265-304.
2
Alexis Le Quinio, « La mondialisation, vecteur de la mondialisation des solutions juridiques », Mision juridica
revista de Derecho y ciencas sociales, Bogota Colaboradores Externos Internationales, Nùmero 12, 2017 Enero-
junio, p. 47.
3
L’internationalisation du droit, la naissance et la progression de l’Etat de droit, la démocratie, la généralisation
de la justice constitutionnelle dans les Etats démocratiques ou encore la juridicisation de la société, la montée en
puissance du juge dans les sociétés occidentales et partant la quête incessante d’un juge compétent, indépendant
et impartial dans sociétés non occidentales ayant hérité de ce droit, en l’occurrence les sociétés africaines.
4
G. Dufour, O. Barsalou & P. Mackay (2006), « La mondialisation de l’État de droit entre dislocation et
recomposition : le cas du Codex Alimentarius et du droit transnational », Les Cahiers de droit, 47 (3), 475–514 ;
Etudes Caribéennes, Mondialisation : différents visages, différentes perspectives, 22, Aout 2012.
5
D. Turpin, « Mondialisation et normes juridiques (Pour un nouveau contrat social global) », In L’esprit des
institutions, l’équilibre des pouvoirs. Mélanges en l’honneur de Pierre Pactet, Paris, Dalloz, 2003, p. 437.
6
Henri R. Pallard, « Histoire et mondialisation. Diversité culturelle et droits fondamentaux », in Henri R.
Pallard et Stamatos Tzitzis (dir.), La mondialisation et la question des droits fondamentaux, Sainte-Foy, Les
Presses de l’Université Laval, 2003, p. 9.

1
mondialisation désigne selon le Professeur Ibi Ijayi7, le processus de mise en relation et en
interdépendance des activités économiques des sociétés humaines à travers le monde et leur
intégration de plus en plus poussée dans un marché unique de « système monde »,
conséquence de l’extension et de l’intensification des échanges économiques et culturels à
travers la planète 8 . Elle se traduit surtout par une intensification des flux et échanges
économiques entre les principaux poles de croissance que sont le continent Nord américain,
l’Europe occidentale, le Japon, et les nouveaux pays industrialisés que sont la Chine, l’Inde,
l’Indonésie. Mais la globalisation 9 n’est pas qu’économique 10 , elle est aussi juridique. Un
auteur caractérise la mondialisation du droit 11 par « l’apparition d’un processus ou plutôt
d’une série de processus qui ne sont pas affectés par les frontières ou les autres barrières et
qui favorisent certaines pratiques dans les domaines institutionnel, économique, politique,
culturel, social »12.

Pour autant, le phénomène n’est pas nouveau. On pouvait déjà en déceler les
caractéristiques dans les mariages internationaux et les faillites internationales. Le phénomène
connait toutefois, une autre ampleur avec l’accélération de la globalisation 13 . Véritable «
paradigme » rendant compte des transformations de tous ordres induites par l'émergence d'un

7
S. Ibi Ijayi, « Comment l’Afrique peut bénéficier de la mondialisation », Finances et développement,
Décembre 2001, p. 6 ; Jean-Pierre Allegret, Pascal Le Merrer, Économie de la mondialisation Vers une rupture
durable ?, De Boeck Supérieur, 2e éd., 2015.
8
Pour Jan Art Scholte la mondialisation est le développement des interconnections transplanétaires entre les
personnes. Marie Guimezanes, « Mondialisation, démocratie, état de droit : une analyse juridique de la
mondialisation », Études caribéennes, 22, Août 2012, mis en ligne le 15 août 2012, consulté le 20 juillet 2019
sur http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/5876.
9
Les vocables « mondialisation » et « globalisation » seront utilisés ici de manière interchangeable sans faire
echo des distinctions retenues par une frange de la doctrine juridique parmi laquelle M.-A. Frison Roche, « Le
versant juridique de la mondialisation », in Revue des deux mondes, Etudes et réflexions, Décembre 1997, pp.
45-53 ; M. Delmas-Marty, « La mondialisation du droit : chances et risques », D. 1999, p. 43 ; B. Stern, « Vers
la mondialisation juridique ? », RGDI publ. 1996, p. 4; H. Gherari et S. Szurek, Sanctions unilatérales,
mondialisation du commerce et ordre juridique international, Montchrestien, 1998 ; « Le droit à l’épreuve de la
mondialisation », séminaire de philosophie du droit 1999-2000 disponible sur
http://www.justice.gouv.fr/actua/ihej1999.htm.
10
Si le vocable mondialisation est le plus souvent usité pour désigner et qualifier un phénomène relatif à
l’ensemble des activités économiques, celle-ci est régulièrement présentée sous deux prismes distincts. Le
premier est économique. Il repose sur le libéralisme, la libre concurrence, l’abaissement des frontières,
l’interconnexion des Etats. Le second quant à lui concerne la mondialisation du droit.
11
Par « mondialisation du droit », il faut entendre tout à la fois l'émergence d'un « droit mondialisé », forgé à
partir de références communes et dans lequel les droits nationaux se trouvent, au moins en partie subsumés, et la
construction d'un « droit de la mondialisation », « droit instrumental qui organise la circulation des échanges ».
Cf. Jacques Chevallier, « Mondialisation du droit ou droit de la mondialisation ? », in C.A. Morand (dir.), Le
droit saisi par la mondialisation, Bruylant, 2001, pp. 37-61.
12
Alexis Le Quinio, « La mondialisation, vecteur de la mondialisation des solutions juridiques », Op. Cit, p.
50.
13
Voir en ce sens A.-J. Arnaud, Entre modernité et mondialisation. Leçons d’histoire de la philosophie du
droit et de l’État, 2e éd., LGDJ, 2004, pp. 19 et suiv.

2
monde où les frontières s’abaissent de plus en plus14, la mondialisation du droit s’exprime par
la constitution d'un fonds commun de règles d'application générale. Les droits de l'homme15
constituent à cet effet, le socle autour duquel sera formé ce fonds commun, la protection de
l’Homme étant devenue d’une impérieuse nécessité. Progressivement, on assiste à
l'édification d'un bloc de « droits fondamentaux » 16 , « véritable patrimoine commun de
17
l'humanité, applicable par-delà la diversité des configurations étatiques » . Aussi,
l’utilisation des droits fondamentaux pour assurer protection et sûreté va-t-elle se concrétiser
par la nécessaire prise en compte du respect de l’Homme tant au niveau de l’élaboration du
droit que de son application. De cette globalisation du droit, s’il est un concept sur lequel tout
le monde s’accorde aujourd’hui – non pas dans sa définition mais dans sa fonction – c’est
celui de « droits fondamentaux »18. L’on19 y a vu un espoir à même de garantir un espace
public utile à une médiation heureuse entre individu et mondialisation. Ainsi s’articule ce qui
n’est qu’une des expressions du phénomène de la mondialisation à savoir, l’aboutissement de
la modernité 20 et l’exportation d’une vision, d’une manière de faire occidentale à laquelle
participe le discours des droits fondamentaux21. L’observation des conditions de l’émergence
des droits reconnus à l’espèce humaine, montre cependant, qu’il en fallait d’avantage pour

14
Jacques Chevallier, « Mondialisation du droit ou droit de la mondialisation ? », Op. Cit.
15
Karel Vasak (réd. gén.), Les dimensions internationales des droits de l’homme, Unesco, 1978. Sont
traditionnellement reconnus comme droits de l’Homme, trois grandes catégories de droits : les droits de l’homme
et libertés publiques « classiques » (liberté, sécurité, propriété, etc.) ; les droits civils et politiques (citoyenneté,
droit de vote, éligibilité, séjour et circulation, droit à la justice etc.) ; les droits économiques et sociaux (droit au
travail, à la santé, à l’éducation, à un revenu décent etc.).
16
Le glissement vers la qualification « fondamental » implique une modification des rapports
entre les droits et libertés et les ordres juridiques. Arnaud Remedem, La protection des droits fondamentaux par
la Cour de justice de l’Union européenne, Thèse, Droit, Université d’Auvergne - Clermont-Ferrand I, 2013, p. 3.
Sur les changements terminologiques droits de l’Homme, libertés publiques, libertés fondamentales ou droits
fondamentaux et la complexité à appréhender la notion, voir utilement Véronique Champeil Desplats, « Des «
libertés publiques » aux « droits fondamentaux » : effets et enjeux d’un changement de dénomination »,
www.juspoliticum.com/Des-libertes-publiques-aux-droits.html ; P.-G. Pougoué, « Droits fondamentaux et corps
du travailleur : esquisse d’une réflexion sur l’apport des droits fondamentaux à l’évolution du droit du travail »,
Annales de la Faculté des Sciences Juridiques et politiques de Dschang, t.1, vol. 1, 1997, p. 5 ; Louis Favoreu et
alii., Droit des libertés fondamentales, Dalloz, coll. Précis, 6ème éd., 2012, pp. 83-84 ; Étienne Picard, «
L’émergence des droits fondamentaux en France », AJDA, 1998, pp. 6-42 ; Danièle Lochak, Les droits de
l’homme, Éditions La Découverte, collection Repères, 2009, pp. 5-6.
17
Jacques Chevallier, « Mondialisation du droit ou droit de la mondialisation ? », Op. Cit.
18
S. Guinchard (dir.), Lexiques des termes juridiques, 18e éd., Lexis Nexis, 2011, v° droits fondamentaux.
L’expression y est définie comme « l’ensemble évolutif des droits considérés en raison de leur importance
comme s’imposant aux législateurs et au pouvoir réglementaire, et qui englobe actuellement pour l’essentiel les
droits de l’homme et des droits sociaux comme le droit de grève ».
19
Bjarne Melkevik, « Prolégomènes à une problématique : mondialisations et droit », in Henri Pallard et
Stamatos Tzitzis (dir.), La mondialisation et la question des droits fondamentaux, Sainte-Foy, Les Presses de
l’Université Laval, 2003, p. 109 et suiv.
20
Hassan Abdelhamid, « Les projets du droit cosmopolitique. Histoire et perspectives », in Henri Pallard et
Stamatos Tzitzis (dir.), La mondialisation et la question des droits fondamentaux, Op. Cit., p. 69. Pour cet
auteur, la mondialisation n'est plus un modèle à suivre, mais une condition d’accession à la modernité : la
mondialisation pouvant être considérée ici comme la dernière étape de la modernité.
21
Bjarne Melkevik, « Prolégomènes à une problématique : mondialisations et droit », Op. Cit.

3
assurer efficacement la protection de l’Homme. Compte tenu de son extrême vulnérabilité,
l’atteinte à une liberté fondamentale suscite en effet, et presque toujours commentaires et
indignation.

2. La recherche d’une meilleure protection des droits de l’homme, en vue de les


soustraire à l’absence d’effectivité22, pour en garantir leur réalisation concrète, s’est traduit
par l’émergence de la notion de droits fondamentaux. Celle-ci répondait à un renforcement de
leur protection au travers de garanties juridictionnelles de plus en plus perfectionnées23. Des
libertés publiques aux droits fondamentaux, l’on est passé récemment aux droits effectifs.
Animé par la recherche du mécanisme institutionnel le plus adapté à la protection juridique
des droits depuis la fin du XXe Siècle, cet « enthousiasme » international24 et national25 s’est
traduit par la dynamique de l’irruption des droits et libertés fondamentaux dans les différents
recoins de l’activité juridique. Cette « fondamentalisation »26 a été perçue comme le creuset
de toutes les rancunes, de toutes les rancœurs qui perturberait depuis plusieurs décennies les
mœurs et les humeurs de nombre d’acteurs du droit privé27. La fondamentalisation du droit
privé mettra en évidence, l’influence grandissante des droits fondamentaux en ce qu’ils
rendraient plus concrets et plus effectifs les droits de l’homme. Si elle est répandue,
l’expression « fondamentalisation du droit » reste d’apparition récente. Le néologisme se
réfère à la fondamentalité, c’est-à-dire au « caractère de ce qui est fondamental » 28 .
L’Académie française considère ce dernier adjectif comme ce « qui sert de fondement, de
base » 29 , « de fondation » 30 . De manière générale, le terme renvoie à ce qui peut être

22
Concept faussement évident, l’effectivité désigne de façon minimale l’application correcte de la règle du droit
ou encore « le caractère d'une règle de droit qui produit l'effet voulu, qui est appliquée réellement » G. Cornu
(dir.), Vocabulaire juridique, Paris, Quadrige-PUF, 9e éd., 2011 V. « Effectivité ».
23
Le passage s'opère progressivement dans la translation d’un niveau de protection à l’origine légale
(développement des libertés publiques) et aujourd’hui à la recherche de l’effectivité dans le niveau de protection
constitutionnelle et l’articulation entre normes constitutionnelles et normes internationales (emergence des droits
fondamentaux).
24
Expansion des déclarations de droits Déclaration française des droits de l’Homme et du citoyen, Déclaration
universelle des droits de l’Homme de 1948, Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, Convention
européenne des droits de l’Homme.
25
Pluralité des traditions constitutionnelles et des ordres juridiques aussi bien nationaux que sur la diversité des
juges et des interprétations données aux droits fondamentaux.
26
Fondamentalisation ou juridicisation des droits fondamentaux, expression employée pour
désigner « l’entreprise qui consiste à créer un corps d’élite de droits et de principes en les dotant d’une valeur
supérieure dans l’ordonnancement juridique ». Grégoire Loiseau, « La fondamentalisation du droit des
personnes », in RDA, n° 11, Octobre 2015, p. 37.
27
Cf. Jean-Pierre Marguénaud, « La fondamentalisation du droit privé », in RDA, Op. Cit., p. 33-36. C’est
aussi l’irruption des droits et libertés fondamentaux au coeur du système juridique. Cf. Thomas Piazzon, « Le
droit de la consommation et la fondamentalisation du droit », in RDA, Op. Cit., p. 84.
28
Dictionnaire de l’Académie française, 2013.
29
Ibid.
30
Gérard Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Op. Cit.

4
considéré comme essentiel, déterminant, en référence à la valeur juridique importante de
l’élément étudié, c’est-à-dire, sa valeur constitutionnelle, ou internationale31. Le rayonnement
des droits de l’homme dans les matières du droit privé n’y a été pourtant, que très récemment
pleinement mesuré32. Le changement des droits de l’homme en libertés publiques, puis en
droits fondamentaux et leur incursion dans le droit privé (fondamentalisation) coïncide avec
l’adoption de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme33. Mais il a fallu attendre en
Europe, l’avènement de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales (appelée en pratique Convention européenne des droits de l’homme, CSEDH)
pour que l’incursion des droits fondamentaux dans le droit privé soit précisée 34 . La
fondamentalisation du droit privé a, pour reprendre les propos de Monsieur Marguénaud,
déployé un éventail de profond bouleversements qu’il était sans « doute inéluctable que le
profond humanisme irradiant le conservatisme des juristes de droit privé soit submergé par la
paresse intellectuelle et les réactions épidermiques »35. L’évolution des droits de l’homme en
droits fondamentaux va au-delà d’un simple changement de terminologie. Elle place au cœur
du système de protection des libertés fondamentales, un acteur neutre à la fois dans son
activité, dans son organisation et quant à personne : le juge. Elle est l’aboutissement du
changement du fondement, de la finalité et des modes d’effectivité des droits en question.
Plus qu’un remplacement de terminologie, le passage des droits de l’homme aux droits
fondamentaux effectifs, marque une mutation profonde, celle de la portée structurante de ces
36
droits primordiaux . Le succès rencontré par le discours des droits fondamentaux
accompagné par le mouvement particulier de la fondamentalisation dans l’univers juridique
en général et du droit privé en particulier, s’est immédiatement répercuté sur leur mise en
œuvre, et surtout sur la figure du tiers chargé d’en garantir la protection effective. Aussi, la

31
Selon une conception constante des positivistes, les droits fondamentaux sont exclusivement les droits
consacrés par la Constitution, « Droits fondamentaux », in Denis Alland et Stéphane Rials (dir.), Dictionnaire
de la culture juridique, Lamy-PUF, « Quadrige », 1re éd., 2003 ; Louis Favoreu et al, Droits des libertés
fondamentales, Dalloz, coll. Précis, 6ème édition, 2012, pp. 83-84. Pour les auteurs, les droits fondamentaux font
partie d'un système hiérarchisé dans le cadre duquel le rang est constitutif d'une certaine fonction.
32
Léna Gannagé, « A propos de l’absolutisme des droits fondamentaux », in Vers de nouveaux équilibres entre
ordre juridique, Mélanges en l’honneur d’Hélène Gaudemet–Tallon, Paris, Dalloz, 2008, pp. 265 et s.
33
P. Lerebours-Pigeonnières, « La Déclaration universelle des droits de l’homme et le Droit international
privé français », in Le droit privé français au milieu du XXe Siècle, Etudes offertes à Georges Ripert, Paris,
LGDJ, 1950, p. 255 et s.
34
Léa Gannagé, « A propos de l’absolutisme des droits fondamentaux », Op. Cit, p. 268 ; M.-L. Pavia, «
Eléments de réflexion sur la notion de droit fondamental », LPA, 6 mai 1994, n°54, p. 6 et s.
35
Op. Cit.
36
Cf. Bernard Pellegrini, « La portée structurante des droits fondamentaux », VST-Vie sociale et traitement,
2005/2, n° 86, pp. 137-156. Les droits fondamentaux désignent des droits considérés à la fois comme
« essentiels, particulièrement immuables, important ou inviolables ».

5
fondamentalisation du droit à la justice souvent qualifiée « d’humanisme processuel » par la
doctrine37, reste une invariable des systèmes juridiques contemporains.

3. Réfléchir sur les droits primordiaux, mieux sur un droit fondamental en particulier,
revient à s’interroger sur le fonctionnement de l’ensemble de la structure étatique. Ce qui, très
tôt, submerge l’esprit du jeune chercheur d’une multitude de questions. Quels droits sont
fondamentaux?38 Pourquoi certains droits sont-ils fondamentaux ? Les mêmes droits sont ils
fondamentaux dans tous les systèmes ? La quête de réponses à ces interrogations, nous a
conduits à la définition du Doyen Favoreu selon qui, trois critères participent à l’identification
des droits fondamentaux. Ils « sont, en premier lieu, protégés contre le pouvoir exécutif mais
aussi contre le pouvoir législatif […] En deuxième lieu, les droits fondamentaux sont garantis
en vertu non seulement de la loi mais surtout de la Constitution ou des textes internationaux
ou supranationaux. En troisième lieu, la protection des droits fondamentaux nécessite, pour
être assurée contre les pouvoirs exécutif et législatif, en application des textes constitutionnels
(ou internationaux) qui en sont chargés, non plus seulement les juges ordinaires, mais aussi
les juges constitutionnels et même les juges internationaux » 39 . Cette définition met en
évidence la prépondérance de la dimension juridictionnelle de la protection dévolue aux droits
fondamentaux. Cette approche reflète simplement, le besoin de la société de garantir à
l’espèce humaine, ses droits les plus essentiels. Le tableau des transformations des droits de
l’Homme au degré de réalisation des mécanismes juridiques de protection en vigueur, justifie
cette étude sur le Droit à la justice réalisée à l’aune du droit camerounais.

4. La doctrine contemporaine enseigne que les droits fondamentaux actualisent pour


chaque sujet de droits, les dimensions les plus émancipatrices d’un état de droit (garanti par
l’État de droit) 40 . Autrement dit, substantiellement, l’Etat de droit repose sur un socle
constitué des droits fondamentaux. Quoi donc de plus fondamental que le droit à la justice.
Principe fondamental de l’Etat de droit 41 , et de l’égalité juridique des citoyens, il répond

37
Soraya Amrani Mekki, « La fondamentalisation du droit du procès », in RDA, Op. Cit., pp. 72-83.
38
Lire Theodoor C. Van Joven, « Introduction : Les critères de distinction des droits de l'homme », in Karel
Vasak (dir.), Les dimensions internationales des droits de l’homme, Op. Cit., p. 45-59.
39
Louis Favoreu, « Universalité des droits fondamentaux et diversité culturelle », in L’effectivité des droits
fondamentaux dans les pays de la communauté francophone, colloque international de l’Ile Maurice, 29
septembre-1er octobre 1993, Ed. Aupelf-Uref, 1994, p. 48, in Rémy Cabrillac, M.-A Frison-Roche, Thierry
Revet (dir.), Libertés et droits fondamentaux, 13e édition, Paris, Dalloz, 2007, p. 6. Les droits fondamentaux
désignent des droits considérés à la fois comme « essentiels, particulièrement immuables, important ou
inviolables ».
40
Bernard Pellegrini, « La portée structurante des droits fondamentaux », Op. Cit.
41
S. Guinchard et alii, Droit commun processuel, droits fondamentaux du procès, 7e éd., « précis », Dalloz,
2011, spéc., n° 6, p. 9 ; E. Jeuland, Droit processuel général, 2e éd., « Domat droit privé », Montchrestien-
Lextenso éditions, 2012, spéc. n° 156, p. 173.

6
aisément aux trois critères posés par l’auteur de « l’universalité des droits fondamentaux et
diversité culturelle »42, qui se traduit dans la prévalence de celui-ci sur les autres droits en
raison de son caractère essentiel à l’humanité. Le droit fondamental à la justice, en raison de
sa valeur, recouvre des éléments divers et coextensifs – droit au juge, droit au procès, droit au
recours, droit au juge naturel 43 , modalités d’accès au juge, « garantie juridictionnelle,
garantie de procédure »44 – selon les appellations, sans qu’on ne sache exactement où s’arrête
l’énumération. Aussi, la fondamentalité du droit à la justice est un truisme. Le débat à ce
propos semble ne plus être aujourd’hui, c’est l’ampleur de cette réalité qui impose une
attention méticuleuse. Instrument juridique plurifonctionnel, le juge lui-même s’est fait
l’artisan de sa fondamentalité. Les différentes phases de son évolution permettent de mieux
comprendre en quoi ce droit à un tribunal est un instrument juridique plurifonctionnel.
Constitue le point de départ de cette évolution, la jurisprudence des plus hautes juridictions
françaises. Après la libération et le régime de Vichy, le Conseil d’Etat, pendant une période
relativement courte, rend une série de grands arrêts qui consacrent différents principes
généraux comme les droits de la défense 45 , le droit au recours contre les décisions
administratives46. Le juge constitutionnel français, en l’absence d’une source constitutionnelle
expressément identifiée perméttant d’affirmer le droit au juge, va se référer en premier au
principe d’égalité47, puis, par deux décisions48 fondées sur les dispositions de l’article 1649 de
la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en déduira la solution suivante : « en
principe, il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées
d'exercer un recours effectif devant une juridiction » 50 . Le juge du Conseil pose pour la
première fois en droit français, un principe essentiel selon lequel, « la garantie des droits est
assurée par un recours effectif au juge, faute de quoi il n'y a pas de Constitution »51. Cette
décision sera source de bouleversements fondamentaux pour le système juridique français car,
42
Louis Favoreu, « Universalité des droits fondamentaux et diversité culturelle », Op. Cit.
43
A. Jeuland, « Le droit au juge naturel et l’organisation judiciaire », Revue française d’administration
publique, 2008/1, n°125, pp. 33-42 ; Jacqueline Dutheil LaRochère, « Droit au juge, accès à la justice
européenne », Pouvoirs, 2001/1, n°196), pp. 123-141 ; Jocelyn Ngoumbango Kohetto, L’accès au droit et `a la
justice des citoyens en République Centrafricaine, Thèse Droit, Université de Bourgogne, 2013, p. 1.
44
Marie-Joelle Redor, « Garantie juridictionnelle et droits fondamentaux », CRDF, n° 1/2002, p. 91-101.
45
CE, 5 mai 1944, Dame Veuve Trompier-Gravier, req. n° 69751, publié au recueil Lebon.
46
CE, 17 février 1950, Dame Lamotte, req. n° 86949, publié également au recueil Lebon.
47
Cf. Décision n° 73-51 DC du 27 Décembre 1973, dans laquelle, au-delà de l’application stricte du principe de
l’égalité devant la loi, le juge va chercher à imposer au législateur le droit de recourir au juge.
48
Statut de la Polynésie française, 9 Avril 1996, décision n° 96-373 (JO 13 avril p. 5724 et DC n° 93·335. JO
26 Janvier 1994.
49
Aux termes duquel « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des
pouvoirs déterminée n’as point de constitution ».
50
Décision du Conseil constitutionnel reprise par William Baranès et M.-A. Frison Roche, « Le souci de
l’effectivité du droit », Recueil Dalloz, Chronique, 1993, pp. 301-303.
51
Ibid. à la p. 302.

7
la disposition n’avait en effet jamais été évoquée concernant la garantie des droits, mais
seulement sur la séparation des pouvoirs52.

Mais c’est l’interprétation dynamique et luxuriante de la Cour européenne des droits


de l’homme (CEDH) sur le fondement de l’article 6 § 1 53 de la Convention éponyme
(CSEDH) dans l’affaire Golder contre Royaume Uni54, qui va en affirmer la teneur en posant
l’existence d’un droit fondamental au recours. Le droit au recours est conformément à cet
arrêt majeur, et à titre de droit comparé, un élément inhérent au droit qu’énonce l’article 6 § 1,
la pierre angulaire, l’épine dorsale de la catégorie des droits fondamentaux et de la
jurisprudence de la CEDH 55 . Les termes de la première phrase de cet article 6 § 1, sont
respectivement lus dans leur contexte, à la lumière de l’objet, du but de la CEDH, et des
règles d’interprétation formulées dans la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit
des traités et des principes généraux du droit. Si la lecture de la lettre de cet article ne prévoit
pas stricto sensu le droit d’accès au tribunal, la cour va le déduire de l’esprit de cette
disposition et de l’ensemble des droits qui y sont garantis, pour énoncer qu’ « [...] on ne
comprendrait pas que l’article 6, § 1er, décrive en détail les garanties de procédure accordées
aux parties à une action civile en cours et qu’il ne protège pas d’abord ce qui seul permet
d’en bénéficier en réalité : l’accès au juge. Equité, publicité et célérité du procès n’offrent
point d’intérêt en l’absence de procès »56. L’expression « reine » sera utilisée. C’est ainsi que
monsieur M. Dallozo 57 considère les termes de l’article 6 § 1er, puisqu’ils garantissent à
chacun, le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et
obligations de caractère civil et du bien fondé de toute accusation en matière pénale.

52
Décisions du 23 janv. 1987, Conseil de la concurrence (RDP 1987. p. 1341, note Y. Gaudemet) et du 17 janv.
1989, Conseil supérieur de l’audiovisuel (RDP 1989, p. 399. Note 1, note Favoreu).
53
Aux termes de cet article « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement,
publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui
décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute
accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la
salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans
l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les
intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée
strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à
porter atteinte aux intérêts de la justice ». Sur l’étude de l’article 6 de CEDH, voir J.-Cl. Soyer et M. de Salvia,
« Article 6 », in L.E. Petiti (dir.), La convention européenne des droits de l’homme, Commentaire article par
article, Economica, 1999, 2e éd., pp. 239-279.
54
CEDH, Golder c/ Royaume-Uni, Arrêt de plénière du 21 février 1975, Série A, n° 18 ; CJCE, 15 mai 1986,
Marguerite Johnston, affaire 222-84, Rec. CJCE, p. 1651.
55
J. M. Sauvé, N. Polge, « Les principes généraux du droit en droit interne et en droit communautaire. Leçons
croisées pour un avenir commun », in L’union européenne : Union de droit, Union des droits. Mélanges en
l’honneur de Philippe Manin, Paris, Pedone, 2010, p. 727.
56
Ibid. § 35.
57
Michael Dallozo, La réalisation de l’accès à la justice dans l’espace européen de justice. Une contribution à
la réflexion des litiges commerciaux transfrontières, Thèse, Droit, Université Toulouse 1 Capitole, p. 87.

8
L’extension continue de la garantie juridictionnelle consacre de la sorte, non plus la simple
prétention d’accès à un tribunal, mais le droit à un recours non pas théorique ou illusoire,
mais concret et effectif58, auquel viennent s’ajouter les garanties relatives à l’organisation, à la
composition du tribunal et au déroulement de l’instance. Par cette extension, l’on est passé à
la fondamentalité technique d’interprétation du contenu d’un texte conventionnel. C’est une
phase intermédiaire, qui induit la détermination empirique du contenu de la notion. Enfin,
depuis son affirmation en 1975, la doctrine y a vu un instrument d’effectivité des droits59 et un
60
droit processuel fondamental . Le résultat de cette oeuvre prétorienne a conduit
inéluctablement à positionner le droit au juge au carrefour des droits.

5. L’émergence des droits fondamentaux a pour fondement essentiel une valeur : la


sécurité en général, laquelle a conduit dans le droit contemporain, à une reformulation du rôle
du juge. Ce qui en conséquence place cet acteur au cœur des mécanismes de sauvegarde des
droits fondamentaux. Aussi, Ripert estime-t-il que « tout homme civilisé a dans le cœur le
désir de sécurité »61. Elle constitue la première valeur à atteindre, la plus essentielle pour
l’harmonie des rapports humains62. La diversification et multiplication des sources juridiques,
internationales et internes, porteuses de prescriptions constitutives d'un droit au procès
équitable, aura d’importantes répercussions sur les représentations savantes de la fonction de
juger. Le respect de la règle de droit étant classiquement assuré par la perspective
d'intervention d'un juge indépendant et impartial, le droit au juge doit être considéré comme la
traduction opérationnelle la plus aboutie de la sécurité juridique. Sécurité par le droit et
sécurité des droits et intérêts de chacun soutenu par l’idée des qualités exigées du système
juridique pris en tant que tel, et des normes du système juridique. La sécurité juridique par le
droit fondamental au procès, reflète l’obligation faite au juge d’apprécier la demande en
fonction du droit applicable au jour de la demande ou au jour des faits qui la fondent. C’est à
cause de la relation inextricable entre sécurité juridique et droit au juge qu’il est requis de tout

58
Cour EDH, Airey c/ Irlande, 9 Octobre 1979, Série A, n° 32.
59
Le droit fondamental par excellence, condition de l’effectivité de tous les autres fondamentaux. En ce sens
qu’en son absence, les citoyens ne peuvent se faire entendre, l’exercice et la protection des droits serait remise en
cause, la contestation des mesures discriminatoires, l’engagement la responsabilité des décideurs quasi
impossible. V. par exemple Soraya Amrani Mekki, « La fondamentalisation du droit du procès », Op. Cit. ; M.-
A. Frison-Roche, « Le droit d’accès à la justice et au droit », in Rémy Cabrillac, M.-A. Frison-Roche, Thierry
Revet (dir.), Libertés et droits fondamentaux, Dalloz, 18 éd., 2012, pp. 535 et s ; M.-A. Frison-Roche et Jean-
Marie Coulon, « Le droit d’accès la justice », in Droits et libertés fondamentaux, Op. Cit., Dalloz 4e édition
1997, pp. 439-453 ; Marie-Joelle Redor, « Garantie juridictionnelle et droits fondamentaux », Op. Cit.
60
D. d’Ambra, F. Benoit-Rohmer et C. Grewe (dir.), Procédure(s) et effectivités des droits, Bruxelles,
Bruylant, coll. « Droit & justice », 2004.
61
Cf. François Tulkens, « La sécurité juridique : un idéal à reconsidérer », Revue interdisciplinaire d'études
juridiques, 1990/1 Vol. 24, pp. 25-42.
62
P. Roubier, Théorie générale du droit, Paris, Sirey, 1951, p. 323 et 333.

9
système judiciaire : prévisibilité quant à son organisation, son administration, que
l’effectivité, l’efficacité des règles et autres mécanismes juridiques de droit processuel soient
assurés. C’est en considération de la sécurité juridique dans le processus juridictionnel, que
par un arrêt du 9 décembre 1994, Raffineries grecques Stran et Stratis Andreatis c. Grèce, la
CEDH a jugé que « le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable
par l’article 6 s’opposent à toute ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la
justice dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire d’un litige. La conformité de la loi
de validation à l’article 6 est subordonnée à la triple condition du caractère non définitif de
la procédure juridictionnelle, de la proportionnalité de l’atteinte au droit d’accès à un
tribunal et de l’existence d’un motif d’intérêt général impérieux »63.

Il faut donc relever que, il n’y a pas de sécurité juridique sans procès juste et équitable,
sans recours juridictionnel. Aussi nécessaire soit-il, la consécration ou l’adoption de
l’exigence de sécurité juridique ne saurait être garantie par une simple prétention. Tout
dispositif normatif ne satisfaira à l’exigence de sécurité juridique – accessibilité, intelligibilité,
stabilité – que si les citoyens disposent de la possibilité de faire valoir leurs points de vue sous
le regard protecteur d’un organe juridictionnel. L’impératif de sécurité juridique64 n’a de sens
que par la certitude de l’intervention d’un tiers présentant des garanties d’impartialité, de
neutralité et d’accessibilité65. Le droit au juge dans ce registre, est indétachable de l’impératif
de sécurité juridique66. Il est vêtu comme l’Etat de droit, de vertus positives aptes à assurer le
respect et la protection des droits parce qu’il implique « la liberté de décisions des organes de
l’Etat à tous les niveaux, limités par l’existence de normes juridiques supérieures, dont le

63
CEDH du 9 déc. 1994, Raffineries grecques Stran et Stratis Andreatis c. Grèce, affaire 301-B.
64
La sécurité juridique est généralement considérée sous deux aspects. L’un objectif (par rapport aux
sources du droit). À cet égard, la sécurité juridique est dans la plupart des cas rattachée aux sources formelles du
droit, surtout de la loi), à la stabilité du droit et la non-rétroactivité de la loi. Cet aspect requiert que soit respecté
l’état du droit. L’approche subjective tient compte de la perception du sujet de droit (protection des situations
établies, des droits acquis). J.-L. Bergel (2008), « La sécurité juridique », Revue du notariat, 110 (2), 271-285.
65
Bruno Deffains et Catherine Kessedjian, Index de la sécurité juridique (ISJ), Rapport pour la Fondation
pour le droit continental, Université Panthéon-Assas, Centre de recherche en économie et droit, Fondation pour
le droit Continental, Mai 2015 , p. 10 ; G. Farjat, « Observations sur la sécurité juridique, le lien social et le
droit économique », in L. Boy, J.-B. Racine, et F. Siirainien, (dir.), Sécurité juridique et droit économique,
Larcier 2007.
66
Voir en ce sens J.-L. Bergel (2008), « La sécurité juridique », Revue du notariat, 110 (2), 271-285 ; F.
Sagaut, « Avant-propos » à l’ouvrage La sécurité juridique, un défi authentique, 111ème congrès des notaires de
France, Lexis Nexis 2015 ; Thomas Piazzon, La sécurité juridique, Thèse, Paris, Université Paris II, 2006 ; A.
Levade, « La sécurité juridique. Propos introductifs », in La sécurité juridique. Supplément, La Semaine
juridique, 1er juillet 2013 ; R. Mariller, (2008), « La sécurité juridique : un concept européen multiforme »,
Revue du notariat, Op. Cit., 463-480.

10
respect est garanti par l’intervention d’un juge »67. Indissociable de la mondialisation du droit
et de celle de l'État de droit68, et même de la sécurité juridique, la montée en puissance des
juges comme garant des libertés fondamentales, est en effet la symbolique du mouvement qui
marque l’apparition d’un véritable « droit substantiel » au juge69, régulateur de la vie sociale.
En somme, conçu comme un instrument de la garantie effective des droits fondamentaux, le
droit au juge constitue la sanction juridictionnelle de laquelle dépend aujourd’hui l’effectivité
de la norme. On s’étonnera en conséquence de voir un droit aussi essentiel que celui d’avoir
accès à un juge soumis à des distorsions. Ainsi, c’est en analysant le sort réservé à ce droit
fondamental que l’on pourra en mesurer le niveau de garantie dans l’optique d’en esquisser
des mesures correctives. Mais, un préalable s’impose : d’une part, une conscience plus précise
des notions polysémiques qui forment notre sujet, d’autre part, une perception plus aigue du
fond, qui permettra d’en préciser le sens de l’étude.

6. Un sujet de thèse porte en général sur un de ces trois phénomènes juridiques : une
règle de droit, un concept juridique ou une institution juridique70. Dans le cas d’espèce, le
concept du droit à la justice forme l’essentiel de la démonstration dont la thèse est l’objet. Les
théories de la connaissance s’accordent en général sur l’idée selon laquelle, il y a deux modes
de connaissance de la réalité : l’intuition et la connaissance par concept 71 . Si nous nous
appuyons sur les propos de monsieur Francis-Paul Bénoit72, le concept par opposition à la
notion73 est « l’expression de la réalité d’une institution à chaque stade de sa progression
vers le rationnel absolu de l’Idée. Le concept révèle donc la réalité d’une institution à un

67
J. Chevallier, « L’Etat de droit », Op. Cit, p. 149 ; Voir aussi Eric Millard, « L’Etat de droit : Idéologie
contemporaine de la démocratie », in J. M. Février, P. Cabarel, Questions de démocratie, Presses universitaires
du Mirail, p. 2 et s.
68
J. Chevallier, « Mondialisation du droit ou droit de la mondialisation ? », Op. Cit., voir cependant
singulièrement « La mondialisation de l'État de droit », in Mélanges Philippe Ardant - Droit et politique à la
croisée des cultures, Paris, LGDJ, 1999, p. 325.
69
V. S. Guinchard, « Le procès équitable : garantie formelle ou droit substantiel », in Philosophie du droit et
droit économique. Quel dialogue ? Mélanges en l'honneur de Gérard Farjat, Paris, Éd. Frison-Roche, 1999, p.
139 ; « Le procès équitable : droit fondamental ? », AJDA, 1998, n° spécial « droits fondamentaux », p. 191.
70
Raymond Gassin, « Une méthode de la thèse de doctorat en droit », RRJ Méthodologie de la recherche
juridique, vol. 4, PUAM, 1996, n° 67, pp. 1167-1198.
71
Voir Jean Ladrière, « Concept », in Dictionnaire de la Philosophie, Encyclopaedia Universalis France, 2016,
pp. 691-703.
72
Francis-Paul Benoit, « Notions et concepts, instruments de la connaissance juridique. Les leçons de la
philosophie du droit de Hegel », in Jean-Michel Galabert et Marcel-René Tercinet (dir.), Mélanges en
l’honneur du Pr Gustave Peiser, P.U.G., Hors collection, 1995, pp. 20-29.
73
Par opposition à la notion qui peut être définie comme la « connaissance immédiate, intuitive de quelque
chose ». Cf. CNRTL, s.v. « notion », en ligne : http://www.cnrtl.fr/definition/notion. Mais la « notion » parce
qu’elle demeure la connaissance immédiate et intuitive d’une chose soutien le Professeur F.-P. Benoit, a pour
inconvénient inhérent qu’elle ne permet qu’une connaissance superficielle des institutions, qu’elle prend
essentiellement en compte les apparences immédiatement perceptibles, les formes extérieures ou encore les
finalités qui paraissent évidentes.

11
moment de sa progression vers l’Idée ». Il met en évidence des aspects de la réalité. Aussi, la
définition du concept droit à la justice dans le cadre de cette étude se veut être au-delà de sa
connaissance intuitive pour rendre compte de sa représentation générale. Il représente ainsi,
l’expression la plus aboutie d’une institution (la justice), sa « vérité », son essence,
l’institution dans sa réalisation idéale 74 . Le concept autorise selon l’auteur, une meilleure
connaissance des institutions, car il permet et doit être compris comme un « dépassement de
la notion » que nous pouvons en avoir, autrement dit la connaissance élémentaire ou
superficielle 75 . Le concept permet le « retournement » de l’institution pour aller au plus
profond de son analyse, le dépassement des contradictions qui nous apparaissent aux premiers
abords transmis par la notion grâce à un effort de synthèse. Bref, le concept en tant
qu’instrument de connaissance juridique, plus qu’une approche générale superficielle de la
notion, permet au fond, une fine connaissance des institutions, la réalité profonde de l’objet
considéré 76 . La caractérisation du droit à la justice si elle est importante pour la suite de
l’analyse, ne nous renseigne cependant pas sur sa signification.

7. Que recouvre exactement le concept droit à la justice ? Figurant parmi les expressions
les plus usitées dans les sphères juridiques, le concept est composé sur le plan sémantique, de
deux mots : « droit » et « justice », qui renvoie chacun une à réalité particulière.

8. A la question qu’est ce que le droit, les éléments sont parfois si divers et


contradictoires qu’il en devient selon plusieurs théoriciens du droit, difficile de se représenter
avec précision le phénomène juridique et ses contours, difficile de déterminer sa substance et
délimiter ses frontières77. C’est dans ce sens que Boris Barraud souligne que, « la définition la
plus traditionnelle du droit est celle qui quête son essence, qui cherche à spécifier le contexte
historique tel que cultivé par la nature des choses. Cette dernière étant figée, les traits du
droit seraient invariables. Pourtant, le droit est un phénomène, un processus, et il n’a pas

74
Francis-Paul Benoit, « Notions et concepts, instruments de la connaissance juridique. Les leçons de la
philosophie du droit de Hegel », Op. Cit., p. 29.
75
Ibid. p. 27.
76
Le concept s’oppose à la donnée intuitive, cette dernière étant considérée comme un point de vue limité à une
totalité. Jean Ladrière, « Concept », in Dictionnaire de la Philosophie, Op. Cit.
77
Selon un auteur qui promeut la théorie syncrétique du droit, dans l’objectif de réconcilier les théories du droit
en suivant le chemin du syncrétisme juridique, la définition du droit varierait d’une théorie à l’autre. Il en résulte
un conflit des théories du droit : jusdogmatisme contre juspragmatisme ; juspositivisme contre jusnaturalisme ;
jusnormativisme contre jusréalisme ; panjuridisme contre rigorisme juridique ; monisme juridique contre
pluralisme juridique ; postmodernité juridique contre modernité juridique etc. La conséquence serait ainsi que
chaque théorie proposerait non pas la « définition du droit », mais « sa définition du droit ». Boris Barraud,
Qu’est ce que le droit ? Théorie syncrétique et échelle de juridicité, Paris, L’Harmattan, Coll. Le Droit
aujourd’hui, 2017, p. 10 et s.

12
certainement existé de tout temps »78. Le droit est la résultante des sociétés qui l’ont spécifié
comme tel79. Une description de l’essence naturelle du droit apparaitrait donc impossible80. Il
est possible d’en tirer quelques conséquences. Le concept de « droit » est certainement l’un
des concepts le plus polysémique de toute la culture juridique occidentale au regard des
différentes approches que pourraient lui donner les différentes théories du droit. La définition
que l’on peut donner du droit dépendra alors de la conception retenue, car le nombre de
conceptions est si élevé qu’on ne peut que s’aligner sur le point de vue du Doyen Carbonnier
qui remarque avec emphase dans un article éponyme, qu’« il y a plus d’une définition dans la
maison du droit »81. Ce qui, pour René Sève82 est tout à fait naturel parce que le droit est un
« objet impur »83. Son sens « s’affine et se complexifie avec le temps »84 et au fur et à mesure
que « chaque juriste y va de sa définition » 85 . Toutefois, au-delà de la pluralité des
conceptions, des écoles et même du penchant de chaque théoricien, tous s’accordent en effet
sur un minima. La reconnaissance largo sensu que le droit est une discipline sociale
constituée de l’ensemble « des règles de conduite d’une société, qui dans une société plus ou
moins organisée, régissent les rapports sociaux et dont le respect est assuré au besoin, par la
contrainte publique »86 ou selon Jacques Picotte comme la « science qui ordonne de par son
objet principal l’ensemble des conduites et des règles de principes obligatoires gouvernant ou
régissant les rapports des individus en société, l’ensemble des commandements, des préceptes
qui régissent l’activité humaine et qui sanctionnent les contraintes sociales »87. C’est dire que
le pouvoir de l’emploi d’une expression linguistique se révèle dans le ou les sens qui peuvent
lui être attribués. Sens qui peut faire l’objet, soit d’une « disputation haute en couleur »88, soit
d’une convention largement acceptée. Selon une convention largement admise, le droit
recouvre deux sens. Dans son sens objectif, au mot droit s’accommode « ce qui est

78
Boris Barraud, « L’échelle de juridicité : un outil pour mesurer le droit et fonder une théorie syncrétique
(1ere partie : présentation) », in Arch. de Phil. du droit, 2013, p. 7.
79
L. Assier-Adrieu, « Le juridique des Anthropologues », Droit et sociétés, n° 5, 1997, p. 102.
80
Boris Barraud, « L’échelle de juridicité : un outil pour mesurer le droit et fonder une théorie syncrétique
(1ere partie : présentation) », Op. Cit., p.12.
81
Jean Carbonnier, « Il y a plus d’une définition dans la maison du droit », Droits, n°11, 1990, pp. 5 et suiv.
82
R. Sève, « La juste diversité des définitions du droit », Droits, n°10, 1989, pp. 89 et s.
83
Voir L. Habib, « L’impur objet de la science du Droit », Droits, 1989, pp. 93 et suiv.
84
Boris Barraud, « L’échelle de juridicité : un outil pour mesurer le droit et fonder une théorie syncrétique
(1ere partie : présentation) », Op. Cit.
85
Boris Barraud, « L’échelle de juridicité : un outil pour mesurer le droit et fonder une théorie syncrétique
(1ere partie : présentation) », Op. Cit, p. 12.
86
J.-Louis Bergel, Théorie générale du droit, 5e éd., Dalloz, Collections ‘’Méthodes du droit’’, 2012, p. 19.
87
Jacques Picotte, Juridictionnaire, Recueil des difficultés et des ressources du Français juridique, Centre de
traduction et de terminologie juridique, Faculté de Droit, Université de Moncton, 2018, p. 1550.
88
L’expression est empruntée à Boris Barraud, « L’échelle de juridicité : un outil pour mesurer le droit et
fonder une théorie syncrétique (1ere partie : présentation) », Op. Cit, p. 13.

13
exigible »89. Par conséquent, dans son acception générale et première, le mot droit traduit « un
ordre », un système juridique dans lequel s’organise un ensemble de « règles destinées à régir
ou réglementer soit des rapports entre les personnes et les institutions, soit des
comportements ou des conduites » 90 . En ce sens, le terme désigne des règles juridiques
entendues comme « tout modèle justiciable d’action consacré à l’organisation équilibrée des
rapports sociaux respectueux de la qualité de chacun »91. Le droit objectif regroupe la totalité
des règles juridiques en vigueur dans une société à un moment donné. Les bases de la
définition sont donc posées. Le droit, ou encore droit objectif est composé de règles et de
principes, il est l’instance normative par excellence.

Dans son sens subjectif, le terme équivaut à la « faculté d’exiger »92 et désigne selon
monsieur Serges Guinchard, « une prérogative attribuée à un individu par le droit objectif
dans son intérêt lui permettant de jouir d’une chose, d’une valeur ou d’exiger d’autrui une
prestation » 93 . Il est également défini comme des prérogatives individuelles sur autrui ou
contre autrui, le droit d’exiger d’autrui une action ou une abstention94. On parlera donc de
« droit à » ou de « droit de » par exemple du droit au respect à la vie, du droit de propriété ou
respect des biens, du droit à la santé, du droit à la justice. Il s’agira alors de droit subjectif,
pouvoir reconnu à la personne sujet de droit et garanti à l’égard des tiers en général. En
somme, le droit, forme de régulation sociale pour paraphraser Michel Miaille95 désigne un
système de règles édictées par une autorité souveraine dotée du pouvoir de coercition, qui
tendent à organiser les rapports sociaux entre les acteurs d’une société déterminée sous des
formes spécifiques et « le droit à », la prérogative attribuée à un sujet de droit, du droit
d’exiger d’autrui dans l’intérêt du premier, une action ou une abstention. Ces approches
tendent à montrer que les droits de l’individu ne s’opposent pas au droit applicable dans un
État à un moment donné, ils y trouvent au contraire leur achèvement, « leur transfiguration
dialectique »96.

9. Pour bien saisir le sens qui doit être celui du concept « droit à la justice », la
méthode adoptée consiste à définir les différents termes qui le composent. En l’espèce, le
89
Michel Levinet, Théorie générale des droits et libertés, LGDJ, 4e éd. 2012, p. 62.
90
Jacques Picotte, Juridictionnaire, Recueil des difficultés et des ressources du Français juridique, Op. Cit.
91
L. Robert Wang, « Règle de droit », in D. Alland, S. Rials (dir.), Dictionnaire de la Culture juridique, PUF,
Collection « Quadrige », 2003, p. 1326 ; Voir aussi, Denys de Béchillon, Qu’est ce qu’une règle de droit, Odile
Jacob, Paris, 1997.
92
Michel Levinet, Théorie générale des droits et libertés, Op. Cit.
93
S. Guinchard, Lexiques des termes juridiques, 2011, 18e éd., Lexis Nexis, p. 185.
94
Michel Levinet, Théorie générale des droits et libertés, Op. Cit.
95
Michel Miaille, « La critique du droit », (1992) 20:21, Droit et société 75, p. 79.
96
Bernard Pellegrini, « La portée structurante des droit fondamentaux », Op. Cit.

14
terme essentiel de l’expression étant « justice », il est utile de rechercher dans l’étymologie un
premier éclaircissement, sans qu’il soit nécessaire de reprendre les études déjà complètes sur
l’évolution historique et la signification du terme « justice » 97 . De là en ressortira les
différentes facettes du mot justice, à partir desquelles nous tenterons d’élaborer une définition
du droit à la justice à la fois cohérente, pratique et utile pour la thèse.

Le terme « justice », loin d’être simple et univoque98, vu la pluralité des sens qu’il charrie. Il
est, comme l’amour, l’art, le temps ou encore le droit. Le mot semble donné ou connu par
avance, docile aux définitions simplistes, mais qui emporte nécessairement celui qui cherche à
l’appréhender vers le constat d’une paradoxale et profonde ignorance 99 . Hantant les plus
grands penseurs100 en raison de son inaccessibilité ontologique101, la justice fait partie de ces
thèmes pluridisciplinaires qui apparaissent clairs aux yeux des profanes, alors qu’elle est sans
cesse depuis la période des philosophes grecs, un concept sujet à interprétation et discussion.
Sur le plan de son étymologie, le terme « justice » met en évidence une pluralité de sens. Du
latin Justicia, il renvoie à « la vertu morale par laquelle on rend à chacun ce qui lui
appartient ». Le Littré 102 , dictionnaire de langue française dénombre plus de seize sens
différents. Peuvent y être trouvés, les sens philosophique, moral, institutionnel ou encore
téléologique de l’emploi du mot.

97
Voir par exemple H.M. Moneboulou Minkada, « Justice idéale et justice juridique : plaidoyer pour une
justice juridique légitime », in Annales africaines, Nouvelle série, Vol. 2, Décembre 2016, n° 5, pp. 229-247 ;
Ch. Perelman, « Réflexions sur la justice », Revue de l’Institut de sociologie, n° 2, 1951, publié initialement
sous le titre de « De la justice », Office de publicité, Bruxelles, 1945 (Actualité sociale 23) ; G. Cornu (dir.),
Vocabulaire juridique, PUF, 7e éd., 2005, v. Justice. Une littérature assez riche et diversifiée témoigne de la
multiplicité des acceptions ainsi que du rayonnement de la notion.
98
Pierre Mackey, « Les notions de justice et d’équité dans les sciences sociales québécoises (1935-1985) :
ruptures et continuités… absences et apparences », in Continuité et rupture. Les sciences sociales au Québec (2
tomes). Textes réunis par Georges-Henri Lévesque, Guy Rocher, Jacques Henripin et al., éditeurs. Tome II,
chapitre XXII, pp. 337-359. Montréal : Les Presses de l'Université de Montréal, 1984, tome II, pp. 311 à 670.
99
Voir G. Vedel, « Indéfinissable mais présent », Droits, n° 10, 1989, pp. 67 et s. (repris par Boris Barraud,
« L’échelle de juridicité : un outil pour mesurer le droit et fonder une théorie syncrétique (1ere partie :
présentation) », Op. Cit, p. 12).
100
Platon, La République, traduit par E. Chambre, 1948, Emmanuel Kant, Fondement de la métaphysique des
mœurs, VRIN, 1948, Jeremy Bentham, Introduction aux principes de législation et de morale, VRIN, 2012,
John Rawls, Théorie de la justice, traduit par C. Audard, 2009 ; Benoît Frydman, Les transformations du droit
moderne, Réflexion prospective "Citoyen, Droit et Société", Centre de Philosophie du Droit - ULB -
BRUXELLES, Septembre 1998.
101
Johanna Noel, « Qu’est ce que la justice ? De Hans Kelsen, traduit par Pauline Le More et Jimmy Plourde »,
Note de lecture, in : Revue Civis Europa, 2013/1, n° 30, p. 249 disponible sur https://www.cairn.inforevue-
civitas-europa-2013.
102
Le Littré, Dictionnaire de langue française, V. « justice », en ligne : littre.reverso.net
http://littre.reverso.net/dictionnaire-francais/definition/justice [Le Littré].

15
10. Saisie par essence comme une valeur morale, le terme « justice » s’emploie dans
divers sens et presque toujours en relation avec l’ordre à établir entre les hommes103. Cette
justice comme valeur s’exprimerait aussi bien chez Platon, que chez Aristote comme une
vertu essentielle qui permet l’harmonie de l’homme avec lui-même et avec ses concitoyens.
Antigone, la considérait comme « une valeur divine » et la plus haute « exigences morale
qu’il faut prendre l’habitude d’assumer »104. Pour le philosophe grec Aristote, la justice est
« le refus de toute pleonexia, c’est-à-dire l’acquisition d’avantage pour soi même en
» 105
s’emparant de ce qui appartient à quelqu’un d’autre . Dans une logique identique,
Cicéron définit la justice comme une « disposition de l’esprit, qui tout en envisageant l’intérêt
général, accorde à chacun ce qu’il mérite » 106 . Pour Ulpien, elle est une « Suum cuique
tribuere » ou volonté constante de rendre à chacun ce qui lui est dû107. Dans cette perspective,
la justice est une vertu, une maxime d’action comme l’explique Aristote à son fils
Nicomaque : « c’est par des actions justes, que l’on devient juste » 108 . Madame Simone
Goyard-Fabre ajoute que « sa magnanimité est de permettre que la pensée et l’action se
mêlent »109. Clé de tout devoir, et ce en tous domaines, Platon en fait la source du « courage,
de la tempérance et de la sagesse »110. Elle serait la déterminatrice des intentions et actions.
Ici, la justice correspond à un idéal que l’homme découvre en lui-même, elle est à chercher au
fond de l’être humain, elle est une qualité immatérielle, intangible. Allant plus loin, John
Rawls disait qu’elle est « la vertu absolument première des institutions sociales »111. L’auteur
remarque que les hommes sont des sujets moraux c'est-à-dire, « des êtres rationnels ayant
leur propre système de fin et capables selon moi d’un sens de la justice »112. Rawls se place
ainsi, dans une position de la justice qui doit être équitable. Dans sa théorisation de la justice
comme équité, il confie à la justice sociale, la tache d’assurer non seulement l’égalité de tous
devant la loi, mieux encore de réparer les inégalités socio-économiques. La théorie de l’auteur
s’articule autour de deux principes : le principe d’égalité113 et le principe de différence114.

103
Jacques Leclercq, « Note sur la justice », in : Revue néo-classique de philosophie, Deuxième série, n° 11,
1926, pp. 229-283 disponible.
104
Simone Goyard-Fabre, « La justice une problématique embarrassée », Delagrave, Edition 2002, p. 3,
disponible sous format pdf sur https://www.philopsis.fr consulté le 22 Aout 2018.
105
John Rawls, Théorie de la justice, Op. Cit, p. 36.
106
Cicéron, De l’invention, II, 160, Traduction de Guy Achard, Paris, Les belles lettres, 1994, p. 225.
107
Cicéron, De la République-Des lois, Paris, G.F. Flammarion, 1965, pp. 130 et s.
108
Aristote, Ethique à Nicomaque, Traduction Gauthier-Jolif, Nauwelaerts, Louvain-Paris, 1103 a-b.
109
Simone Goyard Fabre, « La justice une problématique embarrassée », Op. Cit.
110
Platon, La République, 433 b.
111
John Rawls, Théorie de la justice, Op. Cit.
112
Ibid., p. 29.
113
Le premier principe, dit « d'égale liberté », reconnaît à tout un chacun la jouissance des libertés
fondamentales, celles-là mêmes garanties par les Déclarations de droits libérales.

16
Consacrée par le constituant camerounais de 1996 comme un principe 115 , l’idée de la
conception de la justice en tant que valeur morale subjective116 ne convient pas tout à fait à
l’objet du droit au juge tel qu’il sera entendu dans le cadre de notre analyse, mais elle reste
toutefois utile. La justice désigne ici en somme, une valeur que tout le monde invoque et que
personne n'ose désavouer 117 . La justice en tant que vertu morale, ne présuppose pas
nécessairement de conflit, de litige, et n’induit donc pas systématiquement l’idée de trancher
une contestation. Elle est appréhendée comme un ensemble de valeurs de référence.

11. Une autre conception du substantif est donc possible, la justice en tant que institution
ou pouvoir. Du latin Jus qui signifie « droit », la justice désigne une institution dont la
fonction est d’appliquer des lois, institution à qui le souverain a confié la fonction de trancher
les litiges par l’application de la Loi. Contribuant comme phénomène d’autorité au maintien
de la paix sociale, la fonction juridictionnelle est l’un des attributs de l’Etat. Elle est au même
titre que les fonctions exécutive et législative, une prérogative régalienne attachée à l’exercice
de la souveraineté. Elle est la manifestation d’un « un acte de souveraineté : une mission
confiée par le souverain et exercée en son nom »118. Saisie par la doctrine du droit public, la
justice l’est en tant que service public119. Le service public répond aux besoins de la justice
que l’Etat assure, et assume en vertu du pouvoir régalien exercé en son nom et de « façon
indivisible » même dans « les hypothèses où il est délégué à une instance dépendant d’une
autre personne morale de droit public que l’Etat »120. Si rendre la justice est une fonction
essentielle de l’Etat, celle-ci désigne aussi lato sensu, l’ensemble des mécanismes qui
contribuent à la régulation des rapports sociaux et à la protection des droits. Envisagée comme
une res publica, l’exercice de la justice appartient à la catégorie des missions régaliennes

114
Celui-ci oriente le partage des richesses. Les parties se détachent cette fois du « laissez faire » libéral et
s'accordent finalement sur le principe de différence qui admet la distribution inégale des richesses produites pour
autant que celle-ci améliore en tout cas le niveau de ressources des plus démunis.
115
Loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972, modifiée et complétée
par la loi n° 2008/001 du 14 avril 2008, Préambule.
116
Chacun adaptant la notion à ses propres besoins, à sa vision du monde dans laquelle telle ou telles valeurs
sont mises en avant.
117
Ch. Perelman, « Réflexions sur la justice », Op. Cit.
118
Pierre Pactet, « Justice interne et justice internationale », in Académie internationale de droit
constitutionnel, constitution et justice, onzième session, Tunis, 1995, Presses de l’Université des Sciences
sociales de Toulouse, 1996, p. 120 (cité par Brou O. Saint-Omer Kassi, Francophonie et justice : contribution de
l’organisation de la Francophonie à la construction de l’Etat de droit, Thèse, Droit, Université de Bordeaux
2015, p. 21).
119
Voir F. Houquerbie, Le pouvoir juridictionnel en France, extrait, paris LGDJ, Lextenso, 2010.
120
Maryse Deguergue, « Les dysfonctionnements du service public de la justice », In Revue française
d’administration publique, n° 125, 2008, pp. 151-167.

17
dévolues à tout Etat 121 . Dans ce registre, l’on oppose habituellement à la justice étatique
service public, la justice privée. Rendue au nom de l’Etat ou du peuple, la justice publique
relève d’un service public très organisé, subdivisé entre divers ordres de juridictions et dotés
d’organes hiérarchisés propres à la faire fonctionner122. La fonction juridictionnelle y est ainsi
rattachée à une institution, elle-même prévue, organisée, gérée et assurée par l’État. Mode
traditionnel de résolution des différends, « c’est l’État qui impose sa justice » 123 ou l’on
pourrait dire aussi que « la justice est par essence publique »124. Peu de marge de manœuvre
est laissée aux parties au litige. Cette conception d’une justice uniquement rendue par l’Etat,
s’est estompée. Les tribunaux étatiques ne détiennent plus à nos jours l’exclusivité de rendre
justice, de même qu’il n’est pas de droit que dans la Loi. Reste néanmoins que les théories
contemporaines de la justice demeurent principalement dominées par une vision
juridictionnelle de la justice et sur la mission du juge chargé de départager et de séparer les
parties.

Mais la justice ne peut être réduite à sa seule dimension institutionnelle. En face de la


justice publique dominée par les mécanismes étatiques de régulation juridique et sociale, se
dresse de plus en plus à l’opposé, une justice privée 125 érigée en alternative à la justice
étatique que seule la volonté conjointe des parties permet d’y recourir. Le développement et
l’incitation du recours aux modes alternatifs de résolution des différends prennent sources
d’une part, dans les constantes et nombreuses récriminations dont fait l’objet le système
étatique de résolution des litiges (pesanteurs de rigidité, lourdeur, durée et complexité
excessive, formalisme excessif qui caractérisant le mode statutaire de la justice) et la
recherche d’autre part, d’une « autre justice ». Y figure notamment 126 , la médiation, la
transaction, la conciliation, l’expertise, les mini-trials, espèce de procès fictif qui consiste en
une simulation de procès en présence d’un « neutral advisor » (tiers indépendant) et

121
Daniel Cohen, « Justice publique et justice privée », Arch. Phil. Drt., 41, 1997, pp. 149-161 ; F. Terré,
Justice étatique et justice arbitrale », discours au Colloque du 24 Septembre 1987 à la chambre de commerce et
d’industrie de Paris, Association française d’arbitrage ; Cathérine Poli, L’unité fondamentale des accords
amiables, Thèse, Droit, Université Aix-Marseille, 2018, pp. 241 et s.
122
Daniel Cohen, « Justice publique et justice privée », Op. Cit. p. 154.
123
G. Cornu et J. Foyer, Procédure civile, PUF « Thémis », 1958, p. 71.
124
F. Zénati, « Le procès, lieu du social », Arch. Phil. Droit, T. 39, Op. Cit. p. 239 et s. spéc. p. 240
125
Précisons sur l’expression de justice privée, que celle-ci ne renvoie pas à l’idée d’une justice « domestique »
ou d’une justice basée sur la vengeance que chacun voudrait se rendre à lui-même. La signification donnée à
l’expression se réduit à une alternative à la forme traditionnelle de traitement des litiges représentée par la justice
étatique.
126
La liste présentée n’étant pas exhaustive, pour une typologie des Modes alternatifs de résolution des
différends (MARD) voir C. Jarrosson, « Les modes alternatifs de règlement des différends : présentation
générale », RIDC, 1997, n° 2, § 14-21.

18
l’engagement de négociations entre les parties pour parvenir à un accord à la fin des débats127,
les procédures collaboratives et l’arbitrage128.

12. Dans sons sens téléologique, la justice renvoie à la finalité d’une procédure, d’un
processus129. C’est à la formule « rendre justice » qu’elle convient le plus. Traduite dans le
registre juridique comme ce qui est idéalement juste, conforme aux exigences de l’égalité et
de la raison, elle consiste à rendre à chacun le sien et demander justice signifie « dire ce qui
est juste dans l’espèce concrete soumise au tribunal »130. Considérée par Aristote comme une
justice particulière, celle-ci recouvre deux catégories. La première, prend le vocable de justice
distributive. Elle concerne la répartition des biens et des honneurs entre les membres de la
cité131. La seconde, est une justice corrective ou commutative destinée à régler les transactions
privées volontaires (ventes, achats) et involontaires (crimes et délits). Son esprit exprime
l’idée d’une égalité voulue par le droit en une proportion arithmétique132. Pour le Professeur
Jean-Louis Bergel, elle se confond avec « la volonté constante et continue de rendre à chacun
ce qui lui revient »133, d’assurer la protection, la réalisation effective des droits substantiels134.
Ici est perceptible le sens de donner à chaque individu sa part dans une chose. Transparait
également, l’idée de partage ou de division quand il s’agira de diviser ou de partager une
chose. On pense à la répartition de biens dans une société, ou entre des personnes appelées à
la succession, à l’usage de choses communes, la distribution de ressources limitées, etc. Ce
sera aussi remettre une chose, un bien à celui à qui il appartient, à le restituer. Dit autrement,
rendre une chose à son propriétaire légitime ou de rétablir une personne dans ses droits ou
dans une situation dont elle a été illégitimement évincée. Appliquée à la justice, l’approche
signifie remettre en place un équilibre qui a été illégitimement, illégalement ou arbitrairement

127
Voir pour plus de détails, L. Edelman, et F. Carr, « The mini-trial : an alternative resolution procedure »,
Arbitration journal, 1987, Vol. 42, p. 7 et s ; Daniel Cohen, « Justice publique et justice privée », Op. Cit.
128
Pour la description des modes énumérés voir O. Cachard, Droit du commerce international, LGDJ, 2e éd.,
2011.
129
J. Ngoumbango Kohetto, L’accès à la justice et au droit des citoyens en République Centrafricaine, Op.
Cit.
130
S. Guinchard, Lexique des termes juridiques, Op. Cit.
131
Voir Alexia Leseur, « Les théories de la justice », 2005, hal-00242968. L’auteur propose un survey des
principales théories modernes de la justice (Welfarisme, théorie de Rawls, Dworkin, Sen, Roemer, Fleurbaey) ;
Michel Forsé, Maxime Parodi, « Justice distributive. La hiérarchie des principes selon les européens », Revue
de l’OFCE 98, 2006, pp. 214-244 ; J.P. Brodeur, « Justice distributive et justice rétributive », Philosophiques,
24(1), 1997, pp. 71-89 ; Marc Fleurbaey, « La justice distributive en questions Rapport moral sur l’argent dans
le monde », in Justice et équité dans la politique économique et sociale, 2001.
132
S. Guinchard, Lexique des termes juridiques, Op. Cit.
133
Jean-Louis Bergel, Théorie générale du droit, Op. Cit
134
Michael Dallozo, La réalisation de l’accès à la justice dans l’espace européen de justice. Une contribution à
la réflexion des litiges commerciaux transfrontières, Op. Cit.

19
rompu. C’est principalement cette conception de la justice qui est au centre du concept droit à
la justice telle qu’elle a été appréhendée tout au long de cette étude.

13. La justice est une valeur. Le Professeur Dorothé C. Sossa y voit la clé de voûte qui
maintient le système administratif apte à assurer l’application objective et équitable des
normes et des règlements et à empêcher toute discrimination135. Et en tant que telle, elle ne
saurait être appréhendée de manière identique dans toutes les sociétés. A l’instar de toutes les
sociétés humaines, « les sociétés africaines » dans lesquelles sont inclues les camerounaises
avaient leur perception de la justice. Celle-ci constituait un tout dans lequel se trouvait
imbriqué les diverses facettes de la justice. La définition proposée par le Professeur Maurice
Kamto du concept, semble illustrer cette perception. Pour l’auteur, « la justice organique ne
peut être séparée de l’idée morale de justice. Dans l’ordre social, la Justice est, en effet, à la
fois un concept et une institution : c’est un concept éthique, en tant qu’elle se confond avec le
juste, entendu comme un principe moral de conformité à l’idée de droit prévalant à un
moment donné ; c’est une institution publique, dotée du pouvoir de faire régner le droit en
veillant à l’articulation des conduites sociales à la loi positive. Mais qu’est ce que le droit
positif sinon la transcription de l’axiologie du groupe ? Il n’est donc pas douteux sous cet
éclairage, que la Justice relève, pour une bonne part au moins, du monde des valeurs. D’où
son enracinement dans la culture de la société considérée. D’où, aussi, et en conséquence, sa
singularité voire son écartèlement dans les sociétés hétéroculturelles »136. L’hétéroculturalité
à laquelle fait allusion l’auteur y est aujourd’hui déniée par le choix et la supériorité du droit
et du concept exogène de « colonie »137 hérité de la colonisation qui interdisent la prise en
compte des valeurs des populations dominées. La philosophie de la justice dans les sociétés
traditionnelles africaines telle quelle est pratiquée renvoie à la conciliation. Le juge Kéba
Mbaye en essayant d’être plus précis et bref affirmera qu’« en Afrique, la justice c’est la
conciliation »138. I. Nguema quant à lui, établit une corrélation entre la justice ancestrale et la
recherche de l’équilibre lorsqu’il retient que « les rites ancestraux et les communautés
traditionnelles gabonaises sont orientés vers la réalisation de l’objectif principal poursuivi
par la justice ancestrale qui est, avant tout de rapprocher les points de vue contraires, de

135
Dorothé C. Sossa, « Le système judiciaire en Afrique francophone », in La réforme des systèmes de sécurité
et de justice en Afrique francophone, OIF, Paris, mars 2010, pp. 131-135.
136
Maurice Kamto, « Une justice entre tradition et modernité », in Jean du Bois de Gaudusson et Gérard
Conac (dir), La Justice en Afrique, La documentation Française, 1990, p. 57.
137
Voir Etienne Le Roy, « Afrique », in Loïc Cadiet (dir.), Dictionnaire de la justice, Op. Cit., pp. 9-15.
138
Keba Mbaye, « L’organisation judiciaire au Sénégal », Penant, 1965, p. 194 ; Voir aussi Boubacar Hassane,
« Autorités coutumières et régulation des conflits en Afrique de l’Ouest francophone : entre l’informel et le
formel », in La reforme des principes de justice et de sécurité en Afrique francophone, Op. Cit., p. 172.

20
réconcilier les parties en conflit, de dissiper les ressentiments, d’instaurer au sein de la
communauté un climat d’union, d’équilibre et d’harmonie »139. C’est dans l’idée de conforter
cette approche de la justice en Afrique que monsieur Bé-Kogho-Bé affirme que « l’idée de
conciliation domine l’organisation de la procédure africaine. Le juge est, dans tous les
tribunaux indigènes, avant tout un organe conciliateur : cela tient même à l’organisation de
la société africaine »140. Ces réflexions traduisent le rôle assez singulier de la conciliation et
du droit dans la régulation des rapports sociaux en Afrique. Le terme « justice » ne renvoie
pas dans ces sociétés, à l’archétype de l’univers juridique occidental, mais plutôt à l’idée « du
traitement bon ou approprié d’un conflit ou d’une allégation de transgression des normes de
comportement au sein d’une collectivité donnée »141. Aussi peut-on conclure que les concepts
de « droit » et de « justice » occupent presque toujours une place importante dans nos rapports
moraux et juridiques.

Eu égard à ce qui précède, le terme justice est un concept pluriforme. A l’image d’un
dieu multi faces, il est défini en fonction de son contenu, des sociétés, ou encore en rapport
avec la fonction que l’on souhaite lui donner. Ainsi, il y a une justice distributive ou
commutative, une justice africaine, occidentale ou encore une justice économique 142 , une
justice parallèle143, une justice juridique144 . Plus ou moins en relation avec les différentes
facettes examinées, la conception retenue désigne la justice comme l’ensemble des
mécanismes de régulation sociale destinés par un traitement bon et approprié, à rétablir
entre les acteurs d’une société donnée, l’équilibre, l’harmonie ou la paix sociale qui a été
illégitimement, illégalement ou arbitrairement rompu.

139
I. Guema cité par J. Ngoumbango K., L’accès à la justice et au droit des citoyens en République
Centrafricaine, Thèse, Op. Cit, p. 2.
140
J.R. Bé-Kogho-Bé, « La persistance de la justice traditionnelle au Gabon : quelques réflexions », publié le
28 Aout 2006 in Le portail de l’Anthropologie, mis en ligne, http://www.ethno-web.com/articles.php consulté le
5 juin 2018.
141
G. Otis et S. Bellina, « Le traitement des conflits », in G. Otis (dir.), Contribution à l’étude des systèmes
juridiques autochtones et coutumiers, PUL, 2018, p. 139. Rappr. E. Leroy, Les africains et l’institution de la
justice : entre mimétismes et métissages, Paris, Dalloz, 2004, p. 84.
142
Franco Frattini (sous le patronage), Pour une justice économique efficiente en Europe. Enjeux et
perspectives d’une harmonisation, CREDA, 2007.
143
P. Nkou Mvondo, « La justice parallèle au Cameroun : la réponse des populations camerounaises à la crise
de la justice de l’Etat », Droit et société 51/52-2002, pp. 369-381. La « justice parallèle est une justice alternative
qui a vu le jour et se développe en marge de la justice étatique et en réponses des justiciables à la crise de la
justice étatique reflétée par le divorce entre cette justice et les justiciables. C’est aussi selon M. Kamto le recours
à des structures informelles de résolution des litiges. Cf. Maurice Kamto, « Une justice entre tradition et
modernité », Op. Cit. p. 60.
144
H.M. Moneboulou Minkada, « Justice idéale et justice juridique : plaidoyer pour une justice juridique
légitime », Op. Cit. La justice juridique est définie comme étant « une justice rendue par l’application du droit ».

21
14. La signification du droit à la justice peut ainsi refléter, intégrer ou même parfois être
confondue avec une vaste gamme de valeurs et d’objectifs distincts en rapport avec une
grande diversité d’enjeux et d’activités145. Par cette réflexion, madame M.J. Jossman met en
avant, le caractère polysémique du concept droit à la justice. Problème récurrent, l’exigence
du droit à la justice est loin de constituer une nouveauté. C’est un thème majeur, une
problématique pour laquelle les jurisconsultes et les philosophes s’emploient à réfléchir. La
thèse ne s’inscrit donc pas dans un champ théorique vierge. L’expression est l’objet d’un
engouement sans précédent et constant depuis qu’elle a fait son apparition dans les années
1960 en Afrique146. Engouement qui n’a guère cessé jusqu’ici. Sous l’effet de la globalisation,
la justice et le droit sont à un tournant majeur de leur essor. Ils doivent s’affermir durablement
comme offres efficientes, efficaces et crédible de règlement des différends. La multiplicité des
acceptions du droit à la justice, le caractère extensif du concept, justifient la prudence et exige
que soit conduit au préalable une revue de la littérature scientifique pour se prémunir d’une
définition approximative et peu rigoureuse.

15. Le thème du droit à la justice, au-delà des concepts théoriques qu’il recouvre a des
implications sociales cruciales. Il sert de lien entre la question de la gestion des conflits dans
une société démocratique et la primauté du droit. Le droit à la justice permet aux personnes de
se protéger des atteintes portées à leurs droits, de réparer des fautes civiles, de demander des
comptes au pouvoir exécutif et de se défendre dans les procédures pénales. C’est un élément
important de l’État de droit qui s’applique de manière transversale au droit civil, pénal et
administratif. Crucial pour la mise en œuvre d’autres droits procéduraux et fondamentaux, il
soulève au-delà des stricts conflits, la question de la réalisation du droit au quotidien tel que
les citoyens le vivent et le perçoivent. La recherche de la définition à donner au concept nous
a conduits vers des revues, ouvrages généraux et spécialisés, publiés aussi bien dans l’espace
géographique de notre champ d’étude, que des revues publiées en dehors, des actes de
colloques, des études de jurisprudences de droit et de théorie de droit.

145
Mary Jane Mossman, « Access to Justice: A Review of Canadian Legal Academic Scholarship », Access to
Civil Justice, Alan Hutchinson (éd.), Carswell, 1990, p. 55.
146
Voir par exemple R. Degni-Ségui, « L’accès à la justice et ses obstacles », in Law and Politics in Africa,
Asia and Latin America, Vol. 28, n° 4, 1995, p. 449-467 ; Richard Crook, « access to justice and land disputes
in Ghana », Journal of legal pluralism, 2004 – nr. 50 ; Guillaume Joseph Fouda, « L’accès au droit : richesse et
fécondité d'un principe pour la socialisation juridique et l'état de droit en Afrique noire francophone », Afrilex,
2000/01, www.afrilex.u-bordeaux4.fr, consulté et téléchargé le 1er déc. 2017 ; Kéfing Konde, Camille Kuyu,
Étienne Le Roy, « Demandes de justice et accès au droit en Guinée », Laboratoire d’Anthropologie Juridique de
Paris, Université Paris I Panthéon- Sorbonne, Droit et Société 51/52-2002, p. 383-393.

22
16. Classiquement, l’expression la plus utilisée pour désigner aussi bien l’accès au droit et
à la justice, que le droit à la justice est « accès à la justice ». Définir l’accès à la justice c’est
poser la question de l’amélioration des possibilités individuelles d’accès aux tribunaux ou la
garantie pour tous d’y être représentés. Mission régalienne de l’Etat, la justice est présentée
par la doctrine postulant de cette tendance comme une justice gratuite et accessible à tous, au
riche comme au pauvre, désormais fondée sur le principe d’un égal accès à la justice pour
tous147. Cette tendance sera à l’origine de l’affirmation de principes généreux de l’accès à la
justice par le biais de la charité inspirée par la philanthropie et la bienfaisance judiciaire148 que
l’on retrouve dans la doctrine et qui fonda les bases de ce que Marie-Hélène Renaut traduit
sous l’expression de « charité légalisée » 149 , désignée aujourd’hui selon les systèmes
juridiques sous le vocable « d’assistance judiciaire », ou d’« aide juridictionnelle » 150 . La
condition de base de l’accès à la justice, est celle à laquelle on pense le plus souvent, c'est-à-
dire une justice ouverte à tous sans discrimination, abordable et efficace151. L’utilisation du
concept d’accès à la justice s’étend ici à la conception du « droit à un défenseur ». Le droit à
un défenseur signifiant le droit de pouvoir bénéficier de l’assistance d’un professionnel
compétent dans la matière, de manière à pouvoir défendre ses droits dans une procédure
criminelle ou civile. Le défi du droit à la justice est ici réduit aux questions d’assistance
judiciaire, de droit à un avocat, de frais de justice. Or le droit à la justice dépasse les enjeux de
l’aide à l’accès au juge, du droit à un avocat, des provisions pour frais ou de mitigation des
dépens même si ces éléments participent indéniablement du droit au juge. Il est plus question
dans cette tendance d’accessibilité que d’accès.

147
Marie-Hélène Renaut, « L’accès à la justice dans la perspective de l’histoire du droit », Revue historique de
droit français et étranger (1922), Vol. 78, n° 3 (Juillet-septembre 2000), pp. 473-495.
148
Voir F. Dreyfus, « L’association de bienfaisance judiciaire », in Rev. Hist. Moderne et contemporaine,
1904, pp. 385-411 ; Lamarche, L. (2016), « Les enjeux de l’accès à la justice à l’heure de la philanthropie, de
l’empowerment et de l’austérité : illusions et confusion », Nouveaux Cahiers du socialisme, (16), 22-33.
149
Marie-Hélène Renaut, « L’accès à la justice dans la perspective de l’histoire du droit », Op. Cit.
150
V. par exemple, F. Dreyfus, L’assistance judiciaire sous la seconde République, 1907 ; F. Roux,
L’assistance judicaire, Thèse, Droit, 1896 ; Myriam Doriat-Duban, « Analyse économique de l’accès à la
justice : les effets de l’aide juridictionnelle », Revue internationale de droit économique, 2001/1 t. XV, 1, pp. 77-
100 ; M. Le Friant, « L'accès à la justice », in Droits et libertés fondamentaux, Dalloz, 1996, p. 269 ; B.
Oppetit, « L'aide judiciaire », D. 1972, ch. 41 ; B. Cerveau, « L'assurance de protection juridique en Europe »,
Gaz. Pal. 1996, 2, doct., p. 1140 et suiv. ; Raguin Catherine, « L'indépendance de l'avocat. Réflexions sur deux
réformes récentes : la rénovation de la profession et l'aide judiciaire », in Sociologie du travail, 14ᵉ année n° 2,
Avril-juin 1972, Les professions, pp. 164-184 ; Hiil Innovating Justice, Les besoins des maliens en matière de
justice : vers plus d’équité, 2015, [en ligne] Hiil Innovating Justice.
http://www.hiil.org/data/sitemanagement/media/HiiL_Mali_Report_lores.pdf , pp. 71 et 83 (Rapport Hiil) ;
Penal Reform International et Bluhm Legal Clinic (Faculté de droit de Northwestern University), L'accès à la
justice en Afrique et au-delà. Pour que l’Etat de droit devienne une réalité, 2007 PRI.
151
Beverley McLachlin, B. (2016), « Accès à la justice et marginalisation : l’aspect humain de l’accès à la
justice », Les Cahiers de droit, 57(2), 339-350.

23
17. A l’ opposé de la thèse d’un accès à la justice identifié comme la simple accessibilité à
l’institution judiciaire ouverte à tous sans discrimination, d’autres auteurs comme Xavier
Souvignet considère que « l’accès des citoyens au droit apparaît essentiellement comme une
question de fait, plus qu’une question, justement de droit »152. Dans une deuxième approche,
plus globale, l’accès au droit marque, selon Jacques Faget 153 , « au plan symbolique la
conquête de la citoyenneté, l’accès au statut de sujet de droit, et au plan instrumental l’accès
à l’information sur le droit, la capacité d’agir sur le droit soit offensivement (mettre en œuvre
son droit), soit défensivement (faire respecter son droit) ». L’accès au droit désigne donc en
tant qu’instrument, les moyens nécessaires au citoyen pour comprendre, avoir accès à une
information juridique disponible et connaître la loi afin de pouvoir résoudre les problèmes
juridiques ou de saisir aisément la justice en cas de conflit154. L’accès au droit suppose que les
citoyens puissent effectivement avoir accès au juge. C’est la traduction de l’idée du « droit au
droit »155, ou encore du droit à comprendre le droit. La question de la connaissance du droit
par les citoyens, c'est-à-dire son accessibilité est le principal objectif dévolu aux
gouvernements, donc à la législation. Déclarer des droits, c’est aussi en donner connaissance à
tous. Pour J. Bentham, l’Accessibilité c’est porter le droit à la connaissance du plus grand
nombre pour permettre aux individus de maximiser leur bonheur156 ou le respect d’une « sous
exigence » du principe de sécurité juridique selon Thomas Piazzon157.

18. Dans le prolongement et l’élargissement des travaux des auteurs précédemment cités,
le Professeur Frison-Roche estime que le renversement qui peut s’opérer entre l’accès au droit
et l’accès à la justice n’est pas étonnant, il est naturel. Si l’accès à la justice est un moyen
d’accéder au droit, alors l’accès droit peut être obtenu sans faire recours à la procédure
judiciaire. L’accès au droit se présente ainsi comme alternative à la justice et vice versa158.
Monsieur Mustapha Mekki s’inscrit dans ce registre lorsqu’il formule que l’accès au droit et à

152
Xavier Souvignet, « L’accès au droit, Principe du droit, principe de droit », Jurisdoctoria, n° 1, 2008, pp.
23-24 ; Lire aussi Jacques Ribes, « L’accès au droit », in Libertés, Mél. Jacques Robert, Montchrestien, 1998,
pp. 415 et s ; Yvon Desdevises, « Accès au droit/accès à la justice », Op. Cit, p. 1, pour qui le concept désigne la
possibilité pour chacun de faire reconnaitre et ses respecter ses droits, au besoin en saisissant les juridictions
appropriées.
153
Jacques Faget, « L’accès au droit : logiques de marché et enjeux sociaux », Droit et société, vol. 30-1, 1995,
p. 368.
154
Cf. Rapport préliminaire du Congrès de l’Association Nationale des Avocats de France sur l’accès à la
justice, Mulhouse 12-13-14 Mai 1977.
155
Jean-Marc Varaut, Le droit au droit. Pour un libéralisme institutionnel, PUF, coll. « Libre échange », 1986,
pp. 86 et s. et 123 et s ; Laurent Cohen-Tanugi, Le droit sans l’Etat. Sur la démocratie en France et en
Amérique (1985), PUF, coll. « Quadrige », 1992, pp. 86 et s.
156
Samir Mazari, L’accessibilité du droit et l’esprit de codification Chez Jeremy Bentham, Thèse, Droit,
Université Paris-Est, 2019, p. 24.
157
Thomas Piazzon, La sécurité juridique, Op. Cit., p. 17.
158
M.-A. Frison-Roche, « Le droit d’accès à la justice et au droit », Op. Cit, pp. 535 et s.

24
la justice entretiennent un « lien dialectique » 159 , « circulaire » 160 , l’un s’épanouissant par
l’autre et inversement. Un constat que partage d’ailleurs la doctrine africaine qui s’est
exprimée sur le sujet. Les auteurs sont unanimes qu’il intègre les « deux aspects
complémentaires intimement liés : l’accès au juge et l’accès au droit, l’un étant un moyen
d’accès à l’autre »161. On parle d’ailleurs désormais du « droit d’accès à la justice et au droit
» 162 , de droit d’accès à la justice ou encore de droit à la justice. Les deux concepts sont
désormais enchevêtrés, complémentaires. C’est du reste aussi, la conclusion à laquelle
parvient Antoine Steff 163 lorsqu’il utilise expressément de manière interchangeable, les
vocables de droit d’accès à un tribunal ou encore de droit au recours164 juridictionnel, droit au
juge, accès à un juge. La CSEDH et la CEDH se rapportent au droit à un procès équitable
(article 6) et au droit à un recours effectif (article 13). Autrement dit, l’accès à la justice peut
être assimilé au droit au juge.

19. Ce qui donne suite à un droit à la justice largement considéré, comme la prérogative
permettant à toute personne qui y a un intérêt légitime et qui présente la qualité
éventuellement requise, d’accéder à une juridiction pour que celle-ci statue sur sa
prétention165. Pour Antoine Steff et Diane Roman, Louis Favoreu, le droit au juge, c’est le
« droit pour toute personne physique ou morale, française ou étrangère, d’accéder à la
justice pour y faire valoir ses droits »166. Pour d’autres, c’est le droit d’intenter une action en

159
Cf. Mustapha Mekki, « L’accès au droit et à la justice », in Rémy Cabrillac (dir.), Libertés et droits
fondamentaux, Dalloz, 21 éd., 2015, p. 587.
160
Jacques Ribes, « L’accès au droit », Op. Cit.
161
Amina Balla Kalto, « La problématique de l’accès à la justice au Niger », Revue électronique Afrilex, juillet
2013, disponible sur www.afrilex.u-bordeaux4.fr, consulté le 30 novembre 2019 ; Voir aussi Guillaume Joseph
Fouda, « L’accès au droit : richesse et fécondité d’un principe pour la socialisation juridique et l’état de droit
en Afrique noire francophone », Op. Cit., pp. 2 et s ; F.M. Sawadogo (1994), « L’accès à la justice en Afrique
francophone, problèmes et perspectives », in Effectivité des droits fondamentaux dans les pays francophones, éd.
AUPEL-UREF ; Pierre E. Kenfack, « Accès à la Justice au Cameroun », in Cahier de l'UCAC, n°1, Dignité
humaine en Afrique, Henri Decker (Hommage à), Presse UCAC, pp. 201-214 ; Jocelyn Ngoumbango Kohetto,
L'accès au droit et a la justice des citoyens en République centrafricaine, Op. Cit.
162
M.-A. Frison Roche, « Le droit d’accès à la justice et au droit », Op. Cit.
163
Antoine Steff, « La protection de l’accès au juge judiciaire par les normes fondamentales », in Les annales
de droit, 11, 2017, p. 1 ; Lire aussi Cécile Chainais, Frédérique Ferrand, Serge Guinchard, Procédure civile
Droit interne et européen du procès civil, Paris, Dalloz, 33e éd., 2016 ; Christian Panier, « L’accès au droit et à
la justice. Jalons pour une démocratie juridique et judiciaire », Revue interdisciplinaire d'études juridiques,
1980/2, Vol. 5, pp. 1-34 ; Serge Guinchard, Procédure civile, Paris, Dalloz, 2012 ; G. Kere Kere, Droit civil
processuel : La pratique judiciaire au Cameroun et devant la CCJA, SOPECAM, 2006.
164
Fréquemment utilisée en droit public dans le cadre du contentieux administratif. Le droit à un recours
juridictionnel peut, en effet, en dehors du procès pénal ou civil ne pas être juridictionnel. Il est plus large que le
droit d’accès à un tribunal et comprend le droit à un recours administratif, gracieux ou hiérarchique. Voir Olivier
Le Bot, « Le droit au recours comme garantie des droits fondamentaux : l’article 8 de la déclaration universelle
des droits de l’homme », CRDF, n° 7, 2009, pp. 107-116.
165
M.-A. Frison Roche, « Le droit d’accès à la justice et au droit », Op. Cit.
166
Louis Favoreu et T.-Serge Renoux, « Le contentieux constitutionnel des actes administratifs », extrait du
Répertoire Dalloz du contentieux administratif, Paris, Sirey, 1992, p. 90 et suiv.

25
justice contre un justiciable. Le droit au juge s’entend également, du droit de saisir un juge de
premier degré pour trancher une contestation ou se prononcer sur le bien-fondé d’une
prétention 167 . C’est encore le droit de toute personne reconnu par l’article 7 de la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples, l’article 10 de la Déclaration universelle des
droits de l’homme de 1948, renforcé par l’article 14 du Pacte relatif aux droits civils et
politiques « à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal
compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute
accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et
obligations de caractère civil ». L'indéniable succès remporté par ces conceptions du droit à
la justice au plan matériel laisse cependant de côté d’autres aspects du concept. En d’autres
termes, l’accès à la justice semble réduit au droit à une juridiction ou au droit à un recours de
nature juridictionnelle, limité à la conception institutionnelle168, monolithique de la justice et
de son accès tournée vers le système de justice étatique.

20. Cependant, il est possible d’appréhender autrement l’accès à la justice. Une


appréhension conciliant la dimension objective et subjective du concept. Plaidant pour un
renouvellement de la conception de l’accès à la justice dans le système de justice canadien,
Sèdjro Axel-Luc Hountohotegbè169 prône une conception élargie du droit à la justice et le
défini comme : « l’action, ou la possibilité ainsi que les mesures permettant d’accéder à
l’ensemble des mécanismes de régulation sociale inspirés de la vertu morale ( par laquelle
l’on rend à chacun ce qui lui appartient), et qui tentent de pacifier les relations entre les
différentes composantes de la société ». Si la définition a le mérite de prendre en compte
l’ensemble des mécanismes de régulation sociale, elle se limite à l’aspect subjectif du
concept. Le Professeur Frison-Roche allait déjà dans ce sens lorsqu’elle soutenait que la loi
française du 18 décembre 1998 opère le lien en associant accès au droit et résolution amiable
des litiges. En effet, le droit au juge n’est pas méconnu par les modes alternatifs de règlements
de litiges, bien au contraire, et l’on notera que les juridictions elles mêmes participent
activement à leur mise en place170. L’effectivité des droits fondamentaux nécessite que soit

167
Cécile Chainais, Frédérique Ferrand, Serge Guinchard, Procédure civile Droit interne et européen du
procès civil, Op. Cit.
168
L’approche institutionnelle du droit à la justice est celle qui conçoit le droit comme une institution et qui
confine l’accès à la justice aux organes juridictionnels d’application des normes et règles de l’ordre juridique
étatique d’une part, et aux modalités d’accès à ces organes d’autre part.
169
Sèdjro Axel-Luc Hountohotegbè, Repenser la procédure civile Les enjeux théoriques de l’accès à la justice
et l’hypothèse de la régulation sociale par l’intégration des modes extrajudiciaires de prévention et de règlement
des différends (PRD), Thèse, Droit, Université de Laval, Université de Sherbrooke, 2017, p. 237.
170
M.-A. Frison Roche, « Le droit d’accès à la justice et au droit », Op. Cit. ; Nathalie Fricero, « Modes
Alternatifs de Règlement des Conflits et procès équitable », in Libertés, Justice, Tolérance, Mélanges en

26
développées et renforcées ces « nouvelles méthodes ». La Penal Reform international,
envisage également le droit à la justice dans le sens subjectif, mais il est plus large que celui
du précédent auteur. Pour elle, le droit à la justice renvoie « à l’accès d’un ensemble de lois
justes et équitables ; l’accès à l’éducation pour tous en matière de droit et de procédure
judiciaire ; ainsi que l’accès aux tribunaux formels et, si cela paraît plus intéressant dans,
une affaire particulière, à un mécanisme de résolution des conflits fondé sur la justice
réparatrice […] »171. Bien que ces représentations du droit d’accès à un tribunal soit assez
séduisantes, elles n’en restent pas moins cantonnées à la dimension subjective du concept.
Mais il faut néanmoins leur reconnaitre le mérite de placer désormais le justiciable, au cœur
des mécanismes de résolution des litiges. Et il y a lieu d’affirmer à la suite du Doyen
Roubier 172 qu’il n’y a rien d’excessif à placer les modes amiables parmi les modes
d’organisation des situations juridiques, à côté des mécanismes institutionnels classiques
d’actions en justice.

Le droit à la justice intègre au-delà des questions traditionnelles relatives à


l’accessibilité à la juridiction, d’autres telles que : le prix des services juridiques, des
questions que pose l’accès à l’information juridique et judiciaire, les questions liées à la
qualité requise d’un « bon juge » c'est-à-dire un juge et un système de justice présentant des
garanties d’indépendance (institutionnelle et personnelle), d’impartialité (objective et
subjective), une justice de qualité, la facilitation de l’accès aux modes alternatifs de règlement
des différends (MARD), un service public régulièrement évalué, tourné vers la satisfaction de
la demande de justice garanti par l’offre d’un service de qualité. A l’issue de cette revue de
littérature, on perçoit aisément, la spécificité et la particularité, mais plus encore, la polysémie
et la relativité du concept choisi. Lequel peut dès à présent, être définit sur la base de la
distinction classique entre droit objectif et droit subjectif.

21. Si le droit objectif est d’une part, un système de règles édictées par une autorité
souveraine dans le but d’organiser les rapports sociaux entre les acteurs d’une société
déterminée ; d’autre part, le droit subjectif, la prérogative attribuée à un sujet de droit, ou le
droit d’exiger d’autrui dans l’intérêt du premier, une action ou une abstention, nous définirons

hommage au doyen Gérard Cohen-Jonathan, Vol. 1, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. 839-853 ; « Les garanties
d’une bonne justice », dans Serge Guinchard (dir.), Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz-Action, 4e
éd., Paris, Dalloz, 2004.
171
V. Wilfried Scharfe (dir.), Access to Justice in sub-Saharan Africa : the role of traditional and informal
justice systems, Penal Reform International (PRI), Janvier 2000. Ci-après Justice in Sub-Saharan Africa.
www.penalreform.org consulté le 14 Octobre 2019.
172
P. Roubier, Droits subjectifs et situations juridiques, Paris, Dalloz, 2005, p. 42.

27
le droit à la justice dans le sens objectif comme l’ensemble des règles dont la mise en œuvre
assurent une bonne administration de la justice. C’est aussi, la totalité des règles juridiques
en vigueur dans une société à un moment donné, dont la mise en œuvre permet une bonne
administration de la justice.

Dans le sens subjectif, le concept désigne, la prérogative ou l’action reconnue à tout


sujet de droit, à toute personne poursuivie d’ester en justice. Il peut aussi être défini comme
la possibilité offerte de faire usage de l’ensemble des moyens ou mécanismes de régulation
sociale destinés par un traitement bon et approprié, à rétablir entre les acteurs d’une société
donnée, l’équilibre, l’harmonie ou la paix sociale qui a été illégitimement, illégalement ou
arbitrairement rompu.

Cette définition appelle quelques brefs commentaires. Le premier critère de la définition du


concept prend en compte l’aspect objectif du droit c'est-à-dire le droit à une bonne justice. Le
deuxième, l’ensemble des dimensions subjectives requises pour la réalisation du droit par
l’accès à la justice. Sont visés, les différends modes de traitement des litiges. L’accès au mode
traditionnel étatique de traitement des contentieux, et les modes privés connus de règlement
des litiges. Ce critère implique l’accès concret et direct au mode de régulation sociale de son
choix. Le troisième élément met en exergue l’objectif de pacification des relations sociales
que doit renfermer tout mécanisme de règlement des conflits.

22. Le chemin sur la conscience aigue des termes du sujet nous conduit à présent au
substantif « Cameroun ». Le nom Cameroun mérite d’être approché sous deux dimensions
pour en avoir une idée complète. La dimension géographique ou spatiale du terme situe le
Cameroun au centre de l’Afrique, limité à l’Ouest par le Nigeria, au Nord et au Nord-Est par
le Tchad, à l’Est par la République centrafricaine, au Sud par le Congo, le Gabon et la Guinée
équatoriale.

La dimension juridique quant à elle fait du Cameroun un Etat, un sujet de droit


international. L’évolution du terme « Rio Dos Camaroes » à celui de Cameroun traduit
l’histoire juridique de cet Etat qui a subi tour à tour la colonisation allemande, la tutelle
française et britannique, ainsi que l’expansion de l’islam. Tutelle et colonisation qui ont fait
de cette « rivière des crevettes », une rivière des droits. En raison de cette histoire singulière,
le Cameroun se caractérise de manière traditionnelle et contemporaine par son dualisme
inégal, son bijuridisme, son pluralisme juridique et de manière plus récente par la montée en

28
puissance de la dynamique de régionalisation du droit, notamment le droit OHADA173, et sa
tendance à l’unification de l’ensemble du système juridique. Pour le dire plus clairement, au
moins quatre systèmes de droit sont présents au Cameroun : la Common Law, le droit romano-
germanique, le droit traditionnel et le droit musulman. L’interrogation de Kouassigan sur «
quelle est ma loi ? » se révèle ici d’une particulière acuité. Par Cameroun il faut en effet
entendre, le ou les droits applicables au Cameroun. Mais parler de droit camerounais dans le
sens strict du terme de règles juridiques est réducteur au regard de la diversité juridique
camerounaise et du sujet.

C’est pourquoi, le syntagme droit camerounais mériterait-il d’être appréhendé dans le


sens de « système juridique ». Le Littré définit le « système » comme un composé de parties
coordonnées entre elles 174 . Dans le système, les éléments qui le composent entrent en
interaction. C’est également ce qui ressort des propos de Monsieur G. Minati selon qui, un
système est avant tout composé soit d’un ensemble, soit d’une « collection d’éléments, munis
de caractéristiques propres » mais « qui n’interagissent pas entre eux »175. La définition du
droit de Parsons révèle cette logique de système. L’auteur voit dans le droit, « tout ensemble
relativement formalisé et intégré de règles, qui impose des obligations aux personnes
remplissant des rôles particuliers dans des collectivités particulières »176. Pour le Professeur
Bergel, « le droit constitue […] un système organisé autour d’un certain nombre de principes,
de notions fondamentales, de procédés techniques dont la mise en œuvre suppose certaines
méthodes » 177 . Le système rassemble les structures et les modes de fonctionnement des
instances reliées à l’application des règles de droit ainsi que les services qui en découlent. Le
système juridique comprend ainsi l’appareil juridictionnel et l’appareil non juridictionnel.

173
Droit issu du Traité de même nom ou Traité de Port-Louis signé le 17 Octobre 1993 et entré en vigueur le 18
Septembre 1995. Depuis, celui-ci a été modifié par le Traité de Québec intervenu en 2008. L’Organisation pour
l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires a été créée comme une réponse aux exigences du
développement économique relativement à l’éclosion du monde des affaires dans la zone franc. Sa création se
justifie notamment par le souci de mettre un terme à la trop grande diversité et à l’obsolescence des textes pour
la plus part hérités de la colonisation, mettre un terme à l’insécurité juridique et faciliter les investissements et les
échanges entre les pays de la zone franc, facilité l’intégration économique et par ricochet booster le
développement économique de la zone franc.
174
Le Littré, Dictionnaire de langue française, Op. Cit.
175
Etienne Vergès, Les principes directeurs du procès judiciaire Etude d’une catégorie juridique, Thèse, Droit,
Université d’Aix-Marseille, 2000, n° 280, p. 283.
176
Guy Rocher, « Le droit et la sociologie du droit chez Talcott Parsons », Sociologies et sociétés, 1989, 21, p.
143 et s. spéc. p. 147 ; Martine Valois, Évolution du droit et de la fonction de juger dans la tradition juridique
occidentale. Une étude sociohistorique de l’indépendance judiciaire, Thèse, Droit, Université de Montréal,
2009, p. 102.
177
J.-L. Bergel, Théorie générale du droit, Op. Cit., n° 180, p. 207.

29
23. La précision terminologique effectuée sert à définir la question de recherche de notre
thèse. Le droit à la justice est un des droits fondamentaux de l’être humain ; son respect est
une condition de réalisation des autres droits humains. Aussi se pose-t-il la question de savoir
si le système juridique camerounais permet de garantir ou garant-il efficacement ce droit ? Est
efficace, un produit, une chose, le moyen qui produit ou permet d’atteindre le résultat
souhaité178 ou encore sans autre précision et en particulier, sans porter de jugement sur le
caractère approprié ou proportionné du moyen179. Ce qui est au cœur de la notion d’efficacité
du droit, c’est le but poursuivi. Une norme juridique est efficace lorsqu’elle est adaptée aux
fins poursuivies. L’examen de cette problématique conduit à rechercher la protection
juridique du droit à la justice, interroger la pratique judiciaire des professionnels, en
l’occurrence celles des magistrats et des autres professions juridiques et judiciaires ; de
l’interroger au sens d’un usage pratique qui permette de répondre aux exigences de bonne
justice ; évaluer et concourir à l’amélioration du dispositif actuel dans le souci de concilier au
mieux, exigences de bonne justice et protection des droits que le justiciable tire du corpus
juridique ; dégager le degré de mise à jour à envisager pour une meilleure protection du droit
au juge, et partant la réalisation du droit.

24. Le sujet n’est donc pas dénué d’intérêt et fait déjà l’objet d’une vaste littérature.
Toutefois, les études qui lui sont consacrées l’identifie soit de manière sectorielle 180 , soit
comme un élément essentiel au regard du développement d’autres droits et de renforcement

178
Le Grand Larousse Universel : Efficace : « se dit d’un produit, d’une méthode, qui produit l’effet attendu, ou
de quelqu’un qui remplit bien sa tâche, se dit de son action, de ses paroles qui atteignent leur but, qui
aboutissent à des résultats utiles » ; Le Robert, Dictionnaire de la langue française : Efficace : « 1. qui produit
l’effet qu’on en attend. 2. Capacité de produire le maximum de résultats avec le minimum d’effets, de dépense ».
179
Selon la doctrine, le terme « efficacité » est certes fréquemment employé par la doctrine, mais sans être
assorti d’un contenu juridique précis. En vogue, il n’en reste pas moins emprunt d’obscurité. V. Anne-Lise
Sibony, « Du bon usage des notions d'efficacité et d'efficience en droit. L'efficacité des normes juridiques », in
S. Fatin-Rouge, M. Gay, A. Vidal-Naquet, L'efficacité de la norme juridique Nouveau vecteur de légitimité,
Bruylant : Bruxelles2012, p. 61-84
180
P. Etienne Kenfack, « L'accès à la justice au Cameroun », Op. Cit. ; M. Sawadogo Filiga, « L'accès à la
justice en Afrique Francophone : problèmes et perspectives. Les cas du Burkina-Faso », pp. 295-309 in
"Colloques sur l'efficacité des droits fondamentaux dans les pays de la communauté
Francophone à Port Louis les 29, 30 septembre et 1er octobre 1993, AUPELF, UREF, Montréal 1984 ; P. Sy,
Le droit d’accès à la justice au Sénégal, Thèse, Droit, Université Gaston Berger, 2010 ; A. Nedelcheva, Le droit
au juge dans l’Union européenne, Thèse, Droit, Université Nice-Sophia Antipolis, 2015 ; E. Putman (dir.),
L’accès à la justice, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2007 ; J. Rideau (dir.), Le droit au juge dans
l’Union européenne, LGDJ, 1998 ; Y. Desdevises, « Accès au droit et à la justice », in L. Cadiet (dir.),
Dictionnaire de la justice, PUF, 2004, pp. 1-6 ; M. Doriat-Duban, « Analyse économique de l’accès à la justice :
les effets de l’aide juridictionnelle », RIDE, 2001, n° 1, p. 77-100 ; A. Rials, L’accès à la justice, coll. « Que
sais-je » ?, PUF 1993 ; P. Terneyre, « Le droit constitutionnel au juge », PA, 4 décembre 1991, p. 4 ; Julien
Bétaille (dir.), Le droit d’accès à la justice en matière d’environnement, New edition [online]. Toulouse :
Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2016.

30
de la protection juridique181 dont l’utilité pour notre étude ne saurait être remise en cause. En
revanche, la question de la manière dont le Cameroun pourrait s’illustrer en la matière, a
jusqu’à présent peu retenu l’attention. Alors, quel intérêt pourrait-on tiré d’une nouvelle étude
sur le droit à la justice ? Le premier intérêt réside dans l’émergence d’une véritable culture
juridique. Celle-ci instaurerait d’un côté, la confiance des justiciables par rapport à la
connaissance de leurs droits et devoirs, de l’autre, par rapport à la garantie d’une protection
effective du droit à la justice. Par conséquent, une meilleure culture juridique des acteurs du
social serait nécessaire pour réintroduire l’Etat de droit dans les institutions et les pratiques.

Le deuxième intérêt quant à lui concerne, la fonction économique des tribunaux182


dont l’accès est consacré par la constitution camerounaise. Les relations commerciales sont en
effet, un des moteurs de la croissance économique de tout Etat. Le Cameroun183 est depuis
1993, membre du Traité de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des
Affaires (OHADA). Les tribunaux jouent un rôle important dans la régulation économique, en
tant qu’ils constituent un lieu de reconnaissance des règles et de règlement des conflits issus
de l’activité économique. Dans cette perspective, la justice constitue un levier de la croissance
économique. Son accès facilité, la justice doit favoriser la mobilité des acteurs, la croissance
économique et ou juridique et la confiance en s’attelant à réduire d’avantage chaque jour, les
difficultés pratiques et juridiques pour faire valoir ses droits. Dans le contexte actuel du
dialogue des systèmes juridiques et de la mondialisation des économies (inter-connection
planétaire des individus), il apparaît primordial que le système de justice de l’OHADA et ceux
de ses Etats membres répondent aux nombreuses aspirations de son environnement en tenant
compte de deux aspects complémentaires : l’évolution de l’exigence des demandes de
l’usager et son pouvoir financier généralement limité.

Le troisième intérêt concerne l’appréciation du degré de pénétration des alternatives à


la justice institutionnelle. Le traitement alternatif des contentieux se trouve à la croisée des
chemins. A priori, il est nécessaire de développer d’avantage et rendre un peu plus accessible
181
V. Donier, B. Lapérou-Scheneider, (dir.), L’accès au juge. Recherche sur l’effectivité d’un droit, Bruylant,
2013 L. Pailler, Le respect de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dans l’espace
judiciaire européen en matière civile et commerciale, Thèse, Droit, Université de Limoges, 2015 ; M.-A. Frison-
Roche, Jean-Marie Coulon, « Le droit d’accès la justice », Op. Cit. ; G. Cohen-Jonathan, « Le droit au juge »,
in Gouverner, administrer, juger, Mélanges R. Chapus, Dalloz, 2002, pp. 471-504 ; Lycette Corbion, Le déni de
justice en droit international privé, Aix-en-Provence : Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2004.
182
Par fonction économique il faut entendre, la garantie apportée par les tribunaux aux échanges. Celui-ci
constituant le point de rencontre entre le droit et l’économie. V. Evelyne Serverin, « Des fonctions économiques
des tribunaux », Economie et institutions, 4, 2004, 97-127.
183
L’organisation compte actuellement 17 Etats membres que sont Bénin, Burkina Faso, Cameroun,
Centrafrique, Comores, Congo, Côte d'Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée Bissau, Guinée Equatoriale, Mali, Niger,
Sénégal, Tchad, Togo, la République démocratique du Congo.

31
les modes alternatifs de règlement des conflits, tels que la conciliation, la médiation ou
l’arbitrage. La garantie la plus importante dans les procédures tant civiles que pénales réside
dans le droit pour tout sujet de droit d’agir en justice pour que sa cause soit entendue
équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable.

Le dernier intérêt est doctrinal. L’étude s’inscrit sur le cheminement de la doctrine


juridique et sociologique qui s’est intéressée aux questions liées à la régulation dans les
sociétés. Il s’agit de mener un plaidoyer dans le but de contribuer à la connaissance et à la
transformation des pratiques en la matière.

25. Dans les systèmes de droit continentaux encore appelés systèmes de droit romano
germanique ou encore Civil law auquel appartient le droit applicable au Cameroun, il est une
distinction de base importante autour de laquelle ces systèmes juridiques se construisent. La
distinction droit privé et droit public qui entraine également un dualisme juridictionnel, peu
observé dans les systèmes de Common law. Au nom du dualisme juridique, legs de la
colonisation européenne, le droit privé camerounais traditionnel dans ses facettes coutumières
s’est enrichi des caractéristiques de cette distinction184. Le champ matériel étudié se limite dès
lors à la richesse disciplinaire du droit privé classique. Aussi l’étude du concept induit-il de
faire recours à des outils adaptés aussi bien inhérents à la particularité du sujet, que du droit
objet de l’étude. De ce fait, nous avons porté notre choix sur l’interdisciplinarité. A cause de
celà, l’analyse a été enrichie des éléments de droit constitutionnel 185 , d’anthropologie
juridique186, et de théorie du droit187. Le droit comparé188 a été pris en compte pour plusieurs
raisons. Il permet respectivement de mieux connaitre les droits étrangers car, c’est un
instrument privilégié de la théorie et de la philosophie du droit, donne les moyens de mieux

184
G.-A., Kouassigan, Quelle est ma loi ? Tradition et modernisme dans le droit privé de la famille en Afrique
noire francophone, Paris, Pedone, 1974, p. 75 ; Stanislas Melone, « Les juridictions mixtes de droit écrit et de
droit coutumier dans les pays en voie de développement. Du bon usage du pluralisme judiciaire en Afrique :
l'exemple du Cameroun », RIDC, Vol. 38, n° 2, 1986, p. 331
185
Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 ; Dominique Zambo Zambo, « Protection des droits
fondamentaux et droit à la jurisdictio constitutionnelle au Cameroun : continuité et ruptures », La Revue des
droits de l’homme, 15, 2019, mis en ligne le 10 janvier 2019, consulté le 31 janvier 2019. URL :
http://journals.openedition.org/revdh/5847. Article issu du Colloque sur le thème, « L’accès à la justice Les
évolutions récentes », Université de Maroua, 2013.
186
Norbert Rouland, Anthropologie juridique, PUF, 1995, Québec, Chicoutimi, Les Classiques des Sciences
Sociales, Édition complétée, 26 juillet 2011 ; R. Sacco, Le droit africain. Anthropologie et droit positif, Paris,
Dalloz, 2009.
187
J.-L. Bergel, Théorie du droit, Op. Cit.
188
Bruno de Loynes de Fumichon, Introduction au droit comparé, Journal de Droit Compare du Pacifique,
Collection 'Ex Professo', Volume II (2013) ; R.H. Graveson, « L'influence du droit comparé sur le
rapprochement des peuples », in Revue internationale de droit comparé, Vol. 10, n° 3, Juillet-septembre 1958,
pp. 501-509 ; Pierre Langeron, « La recherche en droit comparé », in RRJ Méthodologie de la recherche
juridique, Op. Cit., p. 1101-1111.

32
comprendre et d’améliorer le droit national et constitue un important facteur d’harmonisation
des diverses règles nationales. Le recours aux données statistiques judiciaires189 a également
été mis à contribution. A travers ces diverses disciplines, sera examinée la garantie du droit à
la justice.

26. Afin d’appréhender correctement l’« univers de référence » choisi (le droit à la justice
dans le droit camerounais), symbole d’un certain état du système de justice, la démarche optée
a été d’aborder notre sujet « de l’extérieur »190. La justice, cette institution juridique qui
prétend atteindre un besoin socio-économique (ou politique, ou criminologique…) en vue de
satisfaire tel ou tel besoin social, comment fonctionne-t-elle dans la réalité, comment est-elle
comprise, appréciée et mise en œuvre pas ses destinataires ? Il s’est agit de pratiquer dans une
logique apolitique, avec prudence et modestie, et de façon marginale certainement, une
approche interdisciplinaire.

27. Cette approche interdisciplinaire a commandé chacun en ce qui le concerne,


l’approche documentaire et la méthode d’analyse. L’approche documentaire conduite s’est
orientée vers la réunion du maximum de matériau nécessaire en rapport avec notre objet
d’étude. Constituent ce matériau : textes de droit en vigueur et parfois en projet, décisions de
justice et note de jurisprudence, ouvrages généraux et spéciaux, articles de revues juridiques
et autres périodiques, mélanges, cours magistraux, ressources internet enrichissantes191, actes
de colloques, thèses et mémoires, dictionnaires juridiques, philosophiques et littéraires.

28. « Dès que le droit s’éloigne des réalités concrètes qu’il doit régir, il ne sert plus à rien
». Par ces propos, le Professeur J-L. Bergel souligne l’importance du raisonnement dans la
recherche de solutions aux problèmes juridiques192. Mais surtout, celui-ci doit être adapté à la
recherche envisagée parce qu’il n’y a pas qu’une méthode en droit193. Il a donc fallu opérer
certains choix. L’imprudence méthodologique aurait été de vouloir analyser, en appui d’un
nombre imposant de méthodes et courir le risque de se reprocher le caractère incohérent de la
démarche. La nature du sujet a commandé le choix de la méthode juridique. La méthode
juridique selon le Professeur Charles Eisenmann a deux composantes : la dogmatique et la
189
Annuaires statistiques de l’Institut National de la Statistique (INS) et Annuaire du Ministère de la justice.
190
Juriste observateur de son système. Chaque élément de cet univers et a fortiori l’univers lui-même n’a pas été
envisagé comme déjà connu.
191
Michel Beaud, L’art de la thèse Comment préparer et rédiger un mémoire de Master, une thèse de doctorat
ou tout autre travail universitaire à l’ère du net, Edition révisée, mise à jour et élargie, Paris, La découverte,
2006 ; Paul N’da, Recherche et méthodologie en sciences sociales et humaines Réussir sa thèse, son mémoire de
master ou professionnel, et son article, Paris, L’Harmattan, 2015.
192
J.-L. Bergel, Théorie du droit, Op. Cit., pp. 283 et s.
193
Ibid.

33
casuistique194. La méthode dogmatique consiste à analyser les textes et les conditions de leur
édiction. Il s'agit d’une étude de la norme juridique au sens strict, et plus spécifiquement du
droit positif tel qu'il ressort de l'armature législative « lato sensu ». En d'autres termes, il
s'agira d'une prospection pour découvrir les cohérences et les incohérences du droit. La
dogmatique permettra l’étude du droit positif camerounais au sens strict, des règles existantes.

Normes juridiques qui nécessitent d’être confrontée aux réalités sociales car, la
fonction essentielle du droit est de régenter l'ordre social. C’est à ce moment qu’intervient la
casuistique, seconde composante de la méthode juridique. La jurisprudence jouissant de sa
qualité de source du droit, l’étude casuistique consiste en l’examen de la jurisprudence
(nationales, régionales ou encore étrangères), l’environnement juridique et social dans lequel
baigne les institutions juridictionnelles, le statut et le comportement des acteurs de la justice,
le fonctionnement du service public de la justice, dans le but d’apprécier le niveau de garantie
– en recourant au besoin à certaines conditions de l’effectivité notamment la réception des
normes, leur articulation, la sanction de la norme, la mise en œuvre de la norme entre
autres 195 – du droit à la justice. Ce qui fait de la casuistique, une véritable théorie de la
pratique196.

29. A cet égard, la question du droit d’accès à un tribunal n’est rien d’autre qu’un éloge
voilé à l’institution juridique 197 et aux divers modes juridiques de régulation des rapports
sociaux. A partir de ce constat, c’est la définition du droit à la justice, pour chacune des
qualifications envisagées, qui nous aura permis d’apprécier le droit fondamental à la justice
dans le système juridique camerounais et de résoudre la problématique de la garantie efficace
de ce droit. Il s’est agit d’envisager d’une part, la pertinence de la garantie efficace du droit à
la justice dans le droit objectif camerounais (Première partie) et d’autre part, la pertinence de
la garantie de ce droit primordial en tant que droit subjectif (Seconde partie).

194
Charles Eisenmann, Cours de droit administratif, Volume 2, LGDJ, Anthologie du droit, 2013, p. 5 ; Voir
Frédéric Rouvière, « Apologie de la casuistique juridique », Recueil Dalloz, 2017, p. 118-123.
195
V. Julien Bétaille, Les conditions juridiques de l’effectivité de la norme en droit public interne, illustration
en droit de l’urbanisme et droit de l’environnement, Thèse, Droit, Université de Limoges, 2012.
196
Frédéric Rouvière, « Apologie de la casuistique juridique », Op. Cit.
197
L’expression institution juridique recouvre : les tribunaux, les lois et règles de droit, les professions
juridiques.

34
PREMIERE PARTIE

LE DROIT À LA JUSTICE EN TANT QUE DROIT OBJECTIF

30. L’affirmation est classique, nous dirions même, un « théorème juridique ». Le droit
objectif regroupe l’ensemble des règles juridiques, règle de conduite qui régissent la vie en
société, gouvernent les rapports des hommes. Il représente alors à la lumière des réflexions de
Gaius lu par un autre auteur198, un ensemble « de règles qui, destiné à régir, au besoin par la
contrainte directe ou indirecte, une société politique déterminée dans le temps et l’espace,
trouve sa source dans les organes auxquels le consensus social reconnaît le pouvoir
spécifique de réguler les rapports entre individus ». Ce qui fait de ce droit objectif extérieur
aux membres du corps social, l’ensemble de toutes les règles obligatoires indispensables au
maintien de l’harmonie du groupe social. Il va donc de soi que le droit à la justice dans sa
dimension objective soit nécessairement régi par un droit objectif qui, sous une autre
terminologie est désigné par le vocable droit positif. Dans ce sens objectif, le droit à la justice
représente « l’ensemble des règles dont la mise en œuvre assure une bonne administration de
la justice ». C’est aussi, « la totalité des règles juridiques en vigueur dans une société à un
moment donné dont la mise en œuvre permet de garantir une bonne administration de la
justice ».
La dimension objective du droit à la justice repose sur le caractère objectif de l’attente,
de l’espérance posée par le citoyen, un effet recherché, celle de la mise en œuvre des règles
conduisant à une bonne administration de la justice. L’attente objective, partagée par toute
personne ayant recours à un objet déterminé, procède de la fonction de celui-ci. Autrement
dit, c’est « ce qu’on ne peut faire que par lui, ou ce qu’on fait le mieux avec lui ». Il apparaît
qu’une garantie, quelle qu’elle soit, et dans le cas d’espèce le droit au juge, est efficace
objectivement, lorsque sa mise en œuvre a pour effet de concrétiser sa fonction, c'est-à-dire de
protéger le citoyen, d’éviter une injustice, d’assurer la sûreté d’avoir accès à une bonne
justice.

198
Gilbert Hanard, « Chapitre I. Le droit objectif », In : Droit romain. Tome 1: Notions de base. Concept de
droit, sujets de droit [online], Bruxelles: Presses de l’Université Saint Louis, 1997 consulté le 26 mai 2020.
Disponible sur http://books.openedition.org/pusl/4230.

35
31. Principe de protection juridictionnelle effective, le droit à la justice a connu une
irrésistible ascension dans la hiérarchie normative des Etats199, au point d’être érigé en attribut
essentiel de l’Etat de droit200. Présenté d’un côté comme un droit fondamental en raison des
liens étroits qu’il entretient avec l’accès au droit, de l’autre comme un vecteur d’autres droits,
ou encore un instrument ou une garantie de la concrétisation des droits, son essence a fait de
lui un « droit passerelle » situé au carrefour des questions relatives à la réalisation des droits
et libertés201. Ce qui place dorénavant le « tribunal », au-delà de ses missions classiques de
traitement des litiges, au centre de l’idée d’un droit marqué par le respect de certaines
exigences dans la réalisation de la justice.

32. Le droit camerounais constitue la trame de lecture de cette réalisation. Cet Etat, lié par
sa constante volonté de progresser au rythme du droit international, est aujourd’hui de plein
pied à l’ère des droits fondamentaux. Les mutations imprimées au droit applicable ces
dernières années peuvent en rapporter la preuve202. Seulement, le législateur, le juge et le
citoyen peuvent-ils exprimer à ce jour un satisfecit du devoir accompli en faveur de ce droit
fondamental au juge en droit interne ? Des textes aux structures, des organes aux institutions
en charge de sa mise en œuvre, peut-on se satisfaire de la manière dont ce droit est garanti au
Cameroun ? Rien n’est moins sûr. La réflexion reste donc entière. Dans l’analyse de la
dimension objective, il importe de bouleverser toutes les données du problème. Un droit au
juge efficacement garanti est subordonné à la réunion de deux conditions générales et
complémentaires. L’examen du droit du justiciable à bénéficier d’une bonne administration de
la justice (Titre premier), droit objectif au juge, précédera utilement l’administration de la
fonction de juger (Titre second). Pour rendre compte de cette dimension objective du droit à
la justice, l'architecture de notre étude repose sur un principe diagnostic/remèdes, en partant
du constat que la justice camerounaise évolue dans un contexte de crise.

199
Ce droit fondamental fait l’objet d’une consécration dans le préambule de la Loi n° 96/06 du 18 janvier 1996
Portant révision de la Constitution du 02 juin 1972, modifiée et complétée par la loi n°2008/001 du 14 avril
2008.
200
Bruno Deffains et Catherine Kessedjian, Index de la sécurité juridique (ISJ), Op. Cit.
201
Virginie Donier et Béatrice Lapérou-Scheneider (dir.), L’accès au juge Réflexion sur l’effectivité d’un
droit, Op. Cit.
202
Erection d’un Code de procédure pénale, amendement de son droit pénal substantiel, l’avènement de
l’OHADA, organisation dans laquelle le Cameroun est membre depuis les premières heures du Traité et dont il
abrite le siège, la réorganisation de la Cour suprême, inscription des grands principes des droits et libertés
fondamentales dans sa constitution entre autres éléments.

36
TITRE PREMIER

LE DROIT DU JUSTICIABLE À UNE BONNE ADMINISTRATION DE


LA JUSTICE

33. Pour mettre en évidence le droit du justiciable à une bonne administration de la justice,
il est nécessaire de mener une étude approfondie autour du concept lui-même. La formule
réunit l’ensemble des préoccupations relatives à la qualité et à l’efficacité de la justice. Ce qui
soulève un certain nombre d’interrogations. Qu’est ce qu’une bonne administration de la
justice ? Quel en est le contenu, les pesanteurs ? Quels sont les traits qui marquent une bonne
justice ? Ensemble de questions qui nécessitent que soient définis au préalable le présupposé
« bonne administration de la justice » qui forme l’assise de la réflexion.

34. L’expression bonne administration de la justice est une de ces locutions que l’on peut
aisément considérer comme assez acquise aux juristes203. En dépit de cette présomption de
familiarité, extraire de la notion une définition que l’on considérerait comme précise ne
constitue pas une tache aisée. Et pour cause, sur ce qu'est une « bonne justice », l'unanimité au
sein de la doctrine est loin de se faire. La notion navigue dans une double dynamique
aisément observable. Elle n’est pas ou semble peu définie, même si de nombreuses études lui
ont été consacrées 204 . Ce qui contraste paradoxalement avec la « valeur normative très

203
Même si l’expression n’est pas toute récente, la Cour de cassation française y fait déjà allusion dans un arrêt
du 04 Août 1876 à propos du français langue des actes publics. Elle énonçait à l’occasion que le français, langue
des actes publics constitue un « un principe essentiel et de droit public qui importe, au plus haut degré, à la
bonne administration de la justice et garantit l’unité de la langue nationale ». Cass. Req., Giorgi c. S.
Masaspino, 1876, 819.
204
Daniel Jousse, Traité de l’administration de la justice, Tome I et II, Paris, 1771 ; P. de Montalivet, Les
objectifs de valeur constitutionnelle, Thèse Droit public, Université Panthéon-Assas Paris II, 2006 ; R. Bousta,
Essai sur la bonne administration de la justice, L’Harmattan, coll. « Logiques juridiques », 2010 ; P. Yolka,
« La bonne administration de la justice : une notion fonctionnelle ? », AJDA, 2005 ; Hélène Apchain, « Retour
sur la notion de bonne administration de la justice », AJDA, 2012 p. 587 et s. ; O. Gabarda, « L'intérêt d'une
bonne administration de la justice », RD publ. 2006 ; J.-M. Favret, « La « bonne administration de la justice »
administrative », RFDA 2004 ; Jacques Robert, « La bonne administration de la justice », AJDA, 1995, pp. 117
et s ; Ariane Meynaud, La bonne administration de la justice et le juge administratif, Mémoire, Master Droit
public approfondi, Université Panthéon Assas, 2012. A l’origine étudié exclusivement en droit public, ce concept
connait également un essor notable en matière judiciaire. Voir singulièrement Loïc Cadiet, « Introduction à la
notion de bonne administration de la justice en droit privé », in Sylvie Faye-Payot, Hélène Farge, Denis
Garreau, Martine Luc-Thaler (dir.), La bonne administration de la justice, Justice & Cassation, Revue annuelle
des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, Paris, Dalloz, 2013, pp. 13 et s. ; P. Buffeteau,
« Réflexions sur l’« intérêt d’une bonne administration de la justice » en matière pénale », in Revue pénitentiaire
et de droit pénal, 1998 ; L. Sinopoli, « Le procès équitable en droit international privé français et européen », in
H. Ruiz-Fabri (dir.), Procès équitable et enchevêtrement des espaces normatifs, Société de législation comparée,
2003, p. 159.

37
élevée »205 que lui accorde nombre de systèmes juridiques. Le droit interne français la traite à
l’égal de l’ordre public ; le Conseil constitutionnel français quant à lui en a fait un objectif à
valeur constitutionnelle206 . La difficulté que pose la notion de bonne administration de la
justice parait être précisément sa définition. Parce que le terme reste une formule juridique
difficile à saisir, madame N. Laval y a vu une « notion gigogne »207. Certains y décèlent « un
sens étroit » et « un sens large »208, d’autres y voit « une notion fonctionnelle », « un standard
du droit »209. Ses nombreuses exigences en ont fait une notion floue210 et vicieuse211. Opaque,
l’approche que lui a jusqu’ici réservée l’ensemble de la doctrine juridique reste fortement liée
à son interprète et extrêmement dépendante de celui-ci. Son caractère fonctionnel rendrait son
contenu et son sens extrêmement incertains. Toutefois, de ses différents emplois émerge un
dénominateur commun : son rôle212. Aussi, la singularité de l’ensemble de la notion réside-t-
elle dans l’introduction d’un adjectif en tête de ces termes traditionnellement reliés au droit
public qui fait de l’épithète « bon » le centre d’impulsion de la notion. Les vives critiques
d’opacité et de flous reprochés à la bonne administration de la justice, constituent tout de

205
Sylvie Faye-Payot, Hélène Farge, Denis Garreau, Martine Luc-Thaler, La bonne administration de la
justice, Op. Cit.
206
La bonne administration de la justice a été reconnue par le Conseil constitutionnel comme un objectif de
valeur constitutionnelle par sa décision du 3 décembre 2009. Le Conseil constitutionnel parle expressément pour
la première fois des objectifs de valeur constitutionnelle dans une décision n° 82-141 DC du 27 juillet 1982, Loi
sur la communication audiovisuelle, où il déclare qu'« il appartient au législateur de concilier [...] l'exercice de la
liberté de communication telle qu'elle résulte de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme, avec [...] les
objectifs de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de l'ordre public, le respect de la liberté d'autrui et la
préservation du caractère pluraliste des courants d'expression socioculturels ». La bonne administration de la
justice avait été auparavant qualifiée de « but légitime » ou encore d'« impératif constitutionnel ». Voir P. Le
Roux, « La question prioritaire de constitutionnalité à la lumière de la décision du Conseil constitutionnel du
3 décembre 2009 », RD publ. 2010. 233, spéc. p. 236.
207
Voir N. Laval, « La bonne administration de la justice », Les Petites Affiches, 1999, n° 160, p. 12.
208
Jacques Robert, « La bonne administration de la justice », Op. Cit. ; H. Apchain, « Retour sur la notion de
bonne administration de la justice », Op. Cit.
209
Sur la qualification de la bonne administration de la justice comme notion fonctionnelle et standard du droit
V. particulièrement R. Chapus, G. Vedel, « L’actualité d’une notion fonctionnelle : l’intérêt d’une bonne
administration de la justice », RDP, 2003, pp. 3 et s.
210
En raison de la profusion de synonymes utilisés. Le conseil d’Etat utilise indifféremment les expressions «
l'intérêt d'une bonne justice », « motifs de bonne administration de la justice », de « bonne administration de la
justice », voire de « bon fonctionnement du service public de la justice ». Le Conseil constitutionnel, retient en
revanche « l'intérêt de la bonne administration de la justice » (Cons. const. 10 juin 2009, n° 2009-580 DC,
AJDA 2009. 1132 ), « souci de bonne administration de la justice » (Cons. const. 20 janvier 2005, n° 2004-510
DC, D. 2006. 826 , obs. V. Ogier-Bernaud et C. Severino ), ou encore le concept de « bonne administration de la
justice » (Cons. const. 28 déc. 2006, n° 2006- 545 DC, D. 2007. 1166, obs. V. Bernaud, L. Gay et C. Severino ).
La Cour de cassation française quant à elle met l’accent sur les formules de « bonne administration de justice »
ou « exigences de bonne administration de la justice » ainsi que les expressions « principe d'ordre public de la
bonne administration de la justice » et « principes de sécurité juridique et de bonne administration de la justice
». Voir O. Gabarda, « L'intérêt d'une bonne administration de la justice », Op. Cit., p. 175.
211
Pour W. Jean Didier, « la notion est intrinsèquement perverse, n’ayant d’autre signification que celle que
chacun consent à lui donner », note sous Cass. crim. 17 avril 1980, JCP 1981, II, 19632. L’auteur estime même
qu’il s’agit d’un « concept fumeux », note sous Cass. crim. 10 décembre 1987, JCP 1988, II, 20988.
212
Voir Jérôme Bossan, L’intérêt général dans le procès penal, Thèse, Droit, Université de Poitiers, 2007, p.
516.

38
même son principal atout, ceux qui justifient l’énorme considération que lui portent la
jurisprudence et la doctrine. La recherche d’une définition n’a pas su taire le flou conceptuel.
A l’exception du Vocabulaire juridique de l’association Henri Capitant dirigé par monsieur
Cornu, les dictionnaires juridiques se montrent avares d’entrées correspondant à la bonne
administration de la justice. Le dictionnaire Cornu, dans une entrée « bonne justice », définit
la locution comme « le bienfait attendu du service de la justice, dette de l’Etat, devise du
juge », que ce soit au sens de « celle qui est dans le jugement lorsque la solution qu’il donne
au litige est fondée en vérité, droit ou équité » ou de « celle qui doit guider le juge […]dans la
recherche des meilleures solutions à donner à des problèmes de procédure et de compétence,
afin que soient jugées dans le temps raisonnable qui convient les affaires ou les questions qui
vont ensemble »213. Le Professeur Loïc Cadiet en revanche, part de la signification du verbe
administrer pour définir « l’administration de la justice ». Pour lui, administrer c’est
« servir » et « administrer la justice est servir la justice, rendre à chacun le sien, assurer la
paix civile »214. Ce qui fait du juge, administrateur de la justice, un ministre de justice, comme
le prêtre est ministre de culte 215 . La bonne administration de la justice concerne en effet
l’œuvre de justice, à savoir la solution du litige conforme au droit et à l’équité, « celle qui est
dans le jugement » pour reprendre les termes du Vocabulaire juridique Cornu216.

35. Les conceptions doctrinales de l’administration de la justice bien que plurielles, ont le
mérite de mettre en exergue l’œuvre de justice ; celle qui se donne à voir dans l’ensemble des
procédures juridictionnelles chargées de guider le juge dans la recherche des solutions aux
problèmes de droit. C’est le sens traditionnel, premier et ancien de l’administration de la
justice, son versant procedural, celui qui constitue le cœur de la notion en droit privé. Quelle
qu’importante que soit ce sens procédural de l’administration de la justice, s’y limiter
réduirait également la portée de notre analyse. L’administration de la justice excède le pan des
procédures juridictionnelles conduisant au jugement, de principes directeurs de l’organisation
du contentieux ou de fonctionnement de la justice. Ce pan n’est rendu possible que par la mise
en place d’une organisation au sens plein du terme chargé d’en administrer le déroulement,
c’est le versant administratif217. L’idée d’organisation de la justice renvoie aux moyens mis en

213
G. Cornu (dir), Vocabulaire juridique, Op. Cit, V. « Bonne administration de la justice » et « Bonne
justice ».
214
Loïc Cadiet, « Introduction à la notion de bonne administration de la justice en droit privé », Op. Cit, p. 14.
215
Ibid.
216
G. Cornu (dir), Vocabulaire juridique, Op. Cit.
217
Voir not. Pascal Gonod, « Introduction à la bonne administration de la justice en droit public », in Sylvie
Faye-Payot, Hélène Farge, Denis Garreau, Martine Luc-Thaler (dir.), La bonne administration de la justice,
Op. Cit. pp. 31 et s.

39
place par les organes juridictionnels sur le plan local, par le système de justice sur le plan
national en vue de réaliser les objectifs du service public de la justice. De ce sens
« nouveau », il faut retenir qu’administrer la justice, c’est administrer les moyens de la justice.
Ce qui donne à l’administration de la justice deux dimensions : procédurale et administrative ;
à la qualité de l’administration de la justice deux prismes : la conformité au droit et la qualité
du processus administratif. Ainsi, l’administration de la justice est prise ici dans son sens
large à savoir, son sens administratif et son sens procédural. Aussi peut-on dire que la quête
d’une bonne administration de la justice est passée aujourd’hui, du statut de concept à peine
esquissé218, à celui de composante de dispositifs essentiels constituant une « exigence, qui
peut être satisfaite aussi bien par la juridiction judiciaire que par la juridiction
administrative » 219 . Son utilité ne peut donc être remise en cause. Elle fait partie des
exigences attendues par l'Etat de droit 220 , son existence et la nécessité de son application
indéniables. Si comme le dit monsieur Jacques Robert que la justice « est faite pour les
justiciables », ceux-ci sont en droit d’en attendre un certain standard. Ainsi, l’objet de
l’administration de la justice, est de permettre à cette institution d’avoir la capacité de remplir
sa mission de juger, dans des conditions satisfaisantes : qu’il s’agisse des délais ou de
la qualité des décisions rendues, que de la gestion de l’organisation. La bonne administration
de la justice apparaît, à cet égard, comme « l’une de ces variables d’ajustement au cœur de la
justice »221.

36. C’est la raison pour laquelle, une protection juridictionnelle effective ne peut se
concevoir sans l’idée d’offrir une justice apte à assurer à chaque membre du corps social, une
juste rectification de la violation de la règle commune222. Ainsi, la perspective de la garantie
du droit au procès est-elle inhérente à l’esprit que véhicule l’idée d’une bonne justice.
Autrement dit, la solution judiciaire à un litige doit être donnée en toute indépendance et
impartialité. Ce qui inscrit au cœur du droit à une bonne administration de la justice, la
question de l’équilibre entre, d’une part, le droit à un tribunal adéquat (Chapitre I), exigence
première d’une bonne justice, et d’autre part, le droit à un bon procès (Chapitre II) dans un
souci de bonne administration de la justice.

218
Daniel Jousse, Traité de l’administration de la justice, Op. Cit.
219
Conseil constitutionnel 28 juillet 1989, n° 89-261 DC, D.1990. 161, note X. Prétot.
220
Hélène Apchain, « Retour sur la notion de bonne administration de la justice », Op. Cit.
221
Ariane Meynaud, La bonne administration de la justice et le juge administratif, Op. Cit., p. 2.
222
J.-Cl. Soyer et Michel de Salvia, « Article 6 », Op. Cit.

40
CHAPITRE PREMIER

LE DROIT À UN TRIBUNAL ADÉQUAT

37. Le rôle des juridictions de dire le droit progressivement consacré par la science
juridique est révélateur de la montée en puissance du juge aussi bien dans la vie du droit que
dans sa réalisation. Qu’il inquiète ou non, ce phénomène contemporain tend « désormais à
s’imposer dans les représentations dogmatiques comme une figure centrale »223 parce qu’elle
replace l'activité judiciaire au cœur du système juridique et le juge comme un acteur essentiel
à l'organisation de l'ordre juridique. En ce sens, peut-on parler de bonne justice sans la liberté
pour le juge de conduire et d’exposer son analyse pour aboutir à une décision ?
L’indépendance de la justice constitue l’une des caractéristiques essentielles, l’exigence
fondamentale première du droit à un tribunal adéquat. Cette indépendance de la fonction de
juger est, selon une vision particulière de la théorie de la séparation des pouvoirs, le pilier
central de l’administration de la justice224. Dit autrement, la question de l’indépendance de la
justice, telle qu’elle est conçue de nos jours comme une norme juridiquement valide, est un
principe relativement récent. Toutefois, l’idée de garantir une nette séparation entre la
personne du juge et ses autres rôles sociaux – liens de parenté, systèmes d’amitié, les
préjugés, les attitudes et ambitions du juge – quant à elle n’est pas nouvelle. Pour Aristote225,
la seule façon de prévenir l’intervention des liens subjectifs du juge dans les cas pour lesquels
il est saisi, était de lui imposer l’application des prescriptions légales visant des cas futurs.
Sans être identifiée sous les vocables par lesquels ils sont désignés dans le droit moderne,
l’idée que les juges appelés à trancher les différends devaient être impartiaux et indépendants
de leurs autres liens sociaux figurait déjà dans l’Antiquité au nombre des conditions
essentielles attachées à la fonction de juge. L’impartialité du tiers-arbitre chargé d’apporter
une solution aux litiges était représentée en ces temps là par un vocable précis, celui de la

223
Renaud Colson, La fonction de juger : Etude historique et positive, Op. Cit., p. 241.
224
Martine Valois, Évolution du droit et de la fonction de juger dans la tradition juridique occidentale. Une
étude sociohistorique de l’indépendance judiciaire, Op. Cit., pp. 287 et s.
225
Pierre Aubenque, « La loi selon Aristote », (1980) Archives de philosophie du droit 147, p.154 ; Martine
Valois, Évolution du droit et de la fonction de juger dans la tradition juridique occidentale. Une étude
sociohistorique de l’indépendance judiciaire, Op. Cit., p. 432.

41
« conscience du juge »226. Celle-ci relevait à cette période, plus de l’éthique que du normatif.
L’impartialité semblait être une attitude que le juge adopte pour lui-même, dans la mesure où,
la conception contemporaine du juge qui tranche un différend en appliquant un droit
préconstitué à des faits qu’il établit « judiciairement » était étrangère au droit prémoderne227.

38. L’avènement du phénomène constitutionnel et avec lui la multiplication des recours


contre l’Etat au XXe siècle consacré par le juge administratif, la réaffirmation du principe
d’indépendance judiciaire en sa forme actuelle s’est imposée à l’ensemble des Etats, au point
d’en faire en droit international228 et en droit interne, l’un des sujets les plus discutés de la
dogmatique juridique. Si en définitive, l’indépendance de la justice semble constituer la
première exigence d’une bonne justice, celle-ci comporte deux volets, signe de l’évolution du
discours sur l’activité judiciaire 229 . Le premier, se réduit à la conception traditionnelle de
l’indépendance judiciaire. Il place la personne du juge derrière la fonction exercée par le
tribunal, c’est l’indépendance de la fonction juridictionnelle (Section I). Le second volet
quant à lui est « nouveau », marqué par un important changement de paradigme qui
transcende la personne du juge. C’est le volet institutionnel de la garantie qui mérite que l’on
aille à sa recherche (Section II).

SECTION I. L’INDÉPENDANCE DE LA FONCTION JURIDICTIONNELLE

39. Une garantie juridique efficace peut utilement être comparée à un refuge mettant
son titulaire à l’abri du danger que représente le monde extérieur. De la même façon qu’un
refuge ne peut être protecteur que s’il est bâti selon certaines normes et avec certains
matériaux, le droit au juge ne peut être efficacement garanti que si des moyens à même de

226
Marie-France Renoux-Zagamé, « Répondre de l’obéissance. La conscience du juge dans la doctrine
judiciaire à l’aube des Temps modernes », in J. M. et L. Depambour-Tarride (dir.), La conscience du juge dans
la tradition juridique européenne, coll. « Droit et justice », Paris, PUF, 1999, p. 155 et s.
227
Ibid.
228
Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, Charte Africaine des droits de l’homme et des
peuples, Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, 1950, Déclaration
universelle sur l'Indépendance de la Justice, adoptée par la Conférence mondiale sur l'Indépendance de la Justice,
Montréal, juin 1983, dans S. Shetreet et J. Deschênes, eds., Judicial Independence : The Contemporary Debate,
Dordrecht, The Netherlands, Martinus Nijhoff Publishers, 1985 ; Nations Unies, Commission des droits de
l’Homme, Projet de déclaration universelle sur l’indépendance de la justice, 1988; Nations Unies, Septième
Congrès pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, Principes fondamentaux relatifs à
l’indépendance de la magistrature, New York, Nations Unies, Département de l’information, 1988.
229
Selon une jurisprudence de Cour suprême du Canada, cette transformation est requise pour « répondre aux
besoins et aux problèmes modernes des sociétés libres et démocratiques », La Reine c. Beauregard, 1986, 2
R.C.S. 56. parag. 22, « les tribunaux ne sont pas chargés uniquement de statuer sur des affaires individuelles. Il
s'agit là évidemment d'un rôle », « C'est également le contexte pour un second rôle différent et également
important, celui de protecteur de la constitution et des valeurs fondamentales qui y sont enchâssées - la primauté
du droit, la justice fondamentale, l'égalité, la préservation du processus démocratique, pour n'en nommer peut-
être que les plus importantes », parag. 24.

42
satisfaire les attentes objectives et subjectives des justiciables sont mis en œuvre. L’efficacité
de ce droit primordial repose donc sur la réunion de divers facteurs. L’indépendance du juge
représente pour la fonction juridictionnelle, ce que représentent les fondations pour un
bâtiment, le « socle naturel de la justice »230. Dans l'ordre des représentations juridiques, la
valorisation du droit au juge entre en résonance avec l'exigence d'une effectivité accrue du
droit 231 . Le juge et sa fonction de juger se trouvent donc être au centre de l’exigence de
sécurité juridique et judiciaire prônée par le droit uniforme OHADA. Celui-ci exigeant en
effet pour sa saine application, le respect d’un certain nombre de prérequis traditionnel liés à
la bonne administration de la justice. Prérequis en mesure de susciter chez l’opérateur
économique l’esprit d’initiative. A ce titre, l’indépendance de la justice, et en particulier celle
de ses acteurs constitue l’une des caractéristiques fondamentales d’une justice indépendante
(Paragraphe II). Toutefois, il est impératif pour une clarté de l’étude, d’examiner au
préalable le droit du justiciable aux qualités originelles de la justice (Paragraphe I), dont la
suite de l’analyse ne constitue qu’un examen concret du modèle d’indépendance qu’offre le
système juridique camerounais.

Paragraphe I. Le droit du justiciable aux qualités originelles de la


justice
40. Manifestation pertinente de la fondamentalité du droit à la justice, droit au procès, la
justice n’a de sens que si celle-ci peut supporter l’intrusion de principes. L'existence de
principes fondamentaux réglant le fonctionnement de l'institution judiciaire afin de garantir à
la justice rendue une certaine prévisibilité, n'est pas une donnée récente de l'ordre juridique.
Ils datent des règles juridiques françaises qu’héritent le Cameroun territoire anciennement
sous tutelle française, des principes de bonne administration de la justice auxquels ne peuvent
déroger ni les juridictions, ni le législateur. Il s’agit de l’indépendance de la justice (A) et de
la déontologie des professions judiciaires (B) qualifiés de droit au « bon juge »232.

230
Bertrand Louvel, « L’indépendance du juge dans son contexte judiciaire et social », Intervention à
l’Académie de droit européen sur l’indépendance du juge, 14 septembre 2018, consulté le 23 octobre 2020 sur
www.courdecassation.fr.
231
W. Baranès et M.-A. Frison Roche, « Le souci de l'effectivité du droit », Op. Cit.
232
S. Guinchard et alii, Droit commun processuel, droits fondamentaux du procès, Op. Cit. ; voir aussi Diane
Roman, « L’accès à la justice sociale et l’effectivité des droits fondamentaux : quelle justice sociale pour le 21e
siècle ? », Le droit ouvrier, Novembre 2014, n° 796, pp. 749-755.

43
A. L’indépendance de la justice

41. La garantie pleine, entière et efficace de tous les droits peut-elle être séparée de
l’indépendance ? L’indépendance du juge figure, au même titre que l’impartialité au nombre
des vertus indémodables de la justice, mais aussi des valeurs protégées par l’Etat de droit.
L’idée d’indépendance judicaire apparait pour la première fois en Angleterre à la suite de
l’échec de l’absolutisme 233 . L’une de ses manifestations fut la lutte pour l’indépendance
judiciaire, qui prit naissance lors de la polémique opposant le juge Coke au Roi Jacques 1er.
Tirant son analyse d’une interprétation historiciste de la Common law, le juge Coke refuse au
monarque anglais la faculté de juger sur quelque cause que ce soit234. Ce principe, et bien
d’autres relatifs à l’administration de la justice, trouveront consécration dans la Bill of Rights
en 1688, par la fin des juridictions dépendant directement du roi. Présente et recherchée dans
tous les systèmes de justice, l’indépendance de la justice est devenue un dogme. Dogme et
corollaire du « vieux principe » 235 de la séparation des pouvoirs chère à Montesquieu qui
empêche à l’un d’empiéter sur les attributions de l’autre. Sauf à n’être qu’un concept creux, la
séparation du pouvoir judiciaire des autres pouvoirs publics implique que l’institution
judiciaire soit dotée d’un statut la protégeant contre l’envahissement des pouvoirs législatif et
exécutif. Partagé à l’unanimité par la doctrine, ce constat se prolonge dans la volonté de voir
garantir l’indépendance des magistrats et celle de l’avocat, élément fondamental d’une bonne
administration de la justice. La doctrine trouve dans le principe de la séparation des pouvoirs
la condition nécessaire d’une saine organisation et du bon fonctionnement de la justice « car
[…] c’est en lui et par lui que cette dernière trouve essentiellement la source fondamentale et
la sauvegarde de sa qualité primordiale : l’indépendance »236. Mais tout d’abord, comment
appréhender cette notion d’indépendance ? Le terme est rarement défini en dehors de la
trilogie qu’elle forme avec deux autres notions : la responsabilité et l’impartialité. Si bien
qu’elle n’est généralement abordée le plus souvent avec la responsabilité. La difficulté à en
saisir la substance a été palliée par le recours à des définitions générales à l’image de celle
selon laquelle l’indépendance du juge consiste à refuser toute contrainte, toute influence, toute

233
Luís María Díez-Picazo, « La fonction jurisdictionnelle », InDret, Análisis del derecho, InDret 1, Barcelone,
Février 2009.
234
KING’S BENCH DIVISION: (1572-1616) 12 Co Rep 63, English Reports Citation: 77 E.R. 1342,
Prohibitions Del Roy. Mich. 5 Jacobi 1 : “The King in his own person cannot adjudge any case, either criminal
or betwixt party and party ; but it ought to be determined and adjudged in some Court of Justice, according to
the law and custom of England. The King may sit in the King's Bench, but the Court gives the judgment”.
235
Montesquieu (1689-1755), De l’esprit des lois, 1748.
236
H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, préc, p. 474.

44
soumission 237 ou encore de l’établissement de l’absence de subordination des juges aux
différents pouvoirs 238 . La conception retenue par Jean-Marc Varaut en restitue néanmoins
l’esprit. Par indépendance il faut entendre, « la situation d’une collectivité, d’une institution
ou d’une personne qui n’est pas soumise à une autre collectivité, institution ou personne. Il
faut que son titulaire n’ait rien à attendre ou à ne redouter de personne. [Appliquée à la
justice], l’indépendance se manifeste par la liberté du juge de rendre une décision non liée
par une hiérarchie ou des normes préexistantes »239. Dit autrement, l’autorité sous laquelle la
dépendance de la justice est admise est celle de la Loi. Le caractère absolu de la définition est
alors clairement affiché. Elle ne semble pouvoir souffrir d’aucune exception : l’indépendance
est totale ou ne l’est pas. Elle n’est rien d’autre que la traduction institutionnelle du principe
de la séparation des pouvoirs dans la mesure où elle ne fait qu’exprimer « l’ensemble des
conditions et des conséquences que s’impose à lui-même un Etat démocratique pour garantir
le juge de toutes pressions extérieures, qu’elles émanent des autres organes de souveraineté
ou de n’importe quel groupe d’intérêt »240. Il s’agit ici d’une conception de l’indépendance de
la justice, appréhendée au-delà du prisme de la séparation des pouvoirs. Celle qu’on peut aussi
retenir de la plume de Charles Debbasch 241 à savoir que l’indépendance de la justice, est
l’absence de toute soumission des juges dans l’exercice de leur fonction juridictionnelle à des
pouvoirs extérieurs. Sans cette indépendance, aucune communauté de droits n’existe.

42. Le sacre de l’indépendance va bien souvent de pair avec le sacre de la constitution


dans les sociétés démocratiques242. En droit camerounais, les alinéas 1 et 2 de l’article 37 de
la constitution du 18 janvier 1996 disposent que « la justice est rendue sur le territoire de la
République au nom du peuple camerounais. Il est indépendant du Pouvoir exécutif et du
Pouvoir législatif ». Ce qui en fait un principe protégé et qui a amené le conseil
constitutionnel français à décider que tout Etat où la séparation des pouvoirs n’est pas garantie
n’a point de constitution. Plus qu’une dimension incantatoire dans laquelle nos Etats sont
anglués, par la proclamation de l’indépendance du pouvoir judiciaire dans les constitutions,

237
Maité Ambert, L’indépendance du juge d’affaire, Mémoire, Institut d’Etudes Politiques de Lyon, 2006, p. 6.
238
Thierry Montéran, « Impartialité, droits de l’homme et QPC », Etudes, Revue des procédures collectives-
Revue Bimestrielle LexisNexis Jurisclasseur, Juillet-Août 2015, p. 13-17.
239
J.-M. Varaut, « Indépendance », in L. Cadiet (dir.), Dictionnaire de la justice, Op. Cit., pp. 622-623.
240
D. Commaret, « Une justice distance ou réflexions sur l’impartialité du magistrat », Dalloz, 1998, p. 262.
241
Charles Debbasch, « L’indépendance de la justice », in Mélanges Dubouis, Dalloz, 2002, p. 27.
242
Fabrice Houquerbie, « L’indépendance de la justice dans les pays francophones », Les cahiers de la justice,
2012/2, pp. 41-60. C’est l’occasion d’ajouter que vu l’importance et la valeur juridique accordé au principe, tous
les pays de l’espace francophone ont adopté la Déclaration de Bamako du 3 novembre 2000, texte politique et
normatif de référence en Francophonie, au terme duquel les États et gouvernements ont pris l’engagement
d’«assurer l’indépendance de la magistrature, la liberté du barreau et la promotion d’une justice efficace et
accessible, garante de l’État de droit » (point 4-A.3).

45
l’incantation peut servir d’alibi à une véritable incarnation du principe. Celle-ci pouvant à elle
seule servir d’outil de mesure de la bonne administration de la justice et de performance d’un
système de justice. Toutefois, ce qu’on appelle l’indépendance des juges n’est pas un
principe corporatif243. Il ne s’agit pas ici de protéger les juges. De même que le principe
d’indépendance des professeurs d’université n’est pas fait pour protéger les enseignants mais
celui-ci vise à garantir aux étudiants la transmission d’un savoir élaboré à l’abri de toute
pression politique, économique, financière ou religieuse, de même l’indépendance de la
magistrature est la garantie pour les justiciables qu’ils vont être jugés sur la seule base des
faits déclarés constants et des dispositions légales qui leur sont applicables, et que tout l’office
conduisant au jugement sera effectué par des personnes à l’abri de toute influence plus ou
moins occulte « susceptible de polluer la recherche »244 d’une solution juste et équitable à
donner au litige.

43. Quelle serait la fonction particulière de l’indépendance judiciaire proclamée en rapport


à la fonction du droit dans une société différenciée ? La réponse à cette intérrogation dépend
selon que l’on prend en compte l’aspect individuel axé sur la personne du juge, ou la
perspective collective ou institutionnelle de l’indépendance. Pour ce qui est du volet
individuel de l’indépendance judiciaire, la substance de la fonction juridictionnelle réside
dans la circonstance que le juge statue en droit et seulement en droit. Les garanties juridiques
liées au statut des juges tendent à détacher ceux-ci des conséquences de leurs décisions dans
le système social245. Ils sont en cela, les gardiens de l’affermissement de l’Etat de droit. Cette
fonction ne saurait être assurée si le juge, gardien des libertés est soumis à quelque instruction
ou pressions dans l’exercice de son office provenant tantôt des autorités politiques ou des
justiciables. Ce lien entre la réalisation effective du droit et le droit au juge explique à
suffisance le rapport qu’entretien l’exigence d’indépendance et la fonction de juger.
La protection constitutionnelle de la fonction juridictionnelle vise quant à elle à
dépolitiser la justice et à garantir le rôle constitutionnel des tribunaux de gardiens de la
primauté du droit dans le système juridique. « Dans chacune de ses dimensions,
l’indépendance vise à empêcher toute ingérence indue dans le processus de décision
judiciaire, lequel ne doit être inspiré que par les exigences du droit et de la justice » comme

243
Jean de Codt, « L’indépendance fonctionnelle de la justice sera-t-elle mieux garantie par la décentralisation
de sa gestion ? », Pyramides, 29, 2017, pp. 37-60.
244
Ibid.
245
Martine Valois, Évolution du droit et de la fonction de juger dans la tradition juridique occidentale. Une
étude sociohistorique de l’indépendance judiciaire, Op. Cit., p. 446, Stanislas Adam et Peter Van Elsuwege,
« L’exigence d’indépendance du juge, paradigme de l’Union européenne comme union de droit », Journal de
droit européen, 2018, pp. 334-345.

46
le fait si bien remarquer la Cour suprême du Canada246. Le principe de primauté du droit
assure la prééminence du droit à l’égard de tous, du simple citoyen aux autorités
gouvernementales, et l’égalité juridique de tous devant la loi. Ces trois concepts, primauté du
droit, indépendance judiciaire et égalité de tous devant la loi, doivent être considérés comme
liés. D’où la nécessité de s’éloigner du fétichisme d’une indépendance de la justice proclamée
dans la norme fondamentale que se soit au rang d’autorité ou de pouvoir judiciaire ou dans
d’autres instruments internationaux pour donner corps au principe, en assurer une mise en
œuvre effective. L’inscription du principe quel que soit son nombre d’occurrences dans les
textes de lois n’en garantie en rien son effectivité s’il n’est ancré dans les mœurs. C’est dans
cet ordre de chose qu’il faut classer la justesse des propos de monsieur Loïc Cadiet selon
lesquels « la réalité de leur application quotidienne au sein même des juridictions et de
l’institution judiciaire en est une autre, de nature à démentir les proclamations les plus
appuyées. L’effectivité de l’indépendance de la justice s’observe plus sûrement dans la vie
quotidienne de la justice qu’à la lecture des constitutions, des codes et des lois. C’est bien là
que tout se joue »247.

44. L’indépendance de la fonction juridictionnelle devient d’avantage aujourd’hui plus


qu’hier, une impérieuse nécessité depuis l’entrée en vigueur du droit OHADA et pour deux
raisons qu’il ne faut guère négliger. Dans la première, le législateur du droit uniforme fait du
juge national camerounais et ceux des Etats membres le juge de droit commun chargé de
l’application en instance et en appel des règles contenues dans son droit primaire et dérivé. Ce
sont là les prescriptions des termes de l’article 13 du Traité OHADA, en vertu duquel : « le
contentieux relatif à l’application des actes uniformes est réglé en première instance et en
appel par les juridictions des Etats-Parties ». En disposant ainsi, les rédacteurs du Traité ont
pris le risque de déposer la garantie des droits que le justiciable tire du droit uniforme entre les
mains des juges internes. Même s’il est dévolu à la Cour commune de justice et d’arbitrage
(CCJA) la charge de veiller à la validité de l’interprétation et de l’application uniforme du
droit faites par les juges internes248. Cette consécration par les textes de l’OHADA équivaut à
une consécration en droit interne car le droit OHADA est un droit intégré à l’ensemble des

246
Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances); Rice c. Nouveau-Brunswick, [2002] 1 R.C.S. 405,
parag. 39.
247
Loïc Cadiet et al, Pour une administration de la justice, Le club des juristes, Mai 2012, p. 9 ; Voir aussi
utilement B. Frydman et E. Jeuland (dir.), Le nouveau management de la justice et l’indépendance des juges,
Dalloz, 2011 ; H. Pauliat, J.-P. Jean et L. Cadiet (dir.), Mieux administrer la justice pour mieux juger, Agence
nationale de la recherche, Programme Gouverner et Administrer, 2008-2012.
248
Cf. Article 14 du Traité.

47
Etats qui en constitue son espace, conséquence de la supranationalité du droit commun
OHADA249.
Quant à la seconde raison, elle est relative à l’originalité du modèle spécifique
d’organisation procédurale du droit uniforme. Celui-ci est en effet articulé autour de
l’autonomie procédurale et institutionnelle250 des Etats membres. Il nous a paru étonnant que
le droit OHADA, chantre de la sécurité juridique et judiciaire et droit profondément
unificateur n’impose à son juge de droit commun, lui qui est chargé à titre principal d’assurer
l’effectivité de ce corps de règles, aucun respect « d’un modèle juridictionnel particulier ou
d’un ensemble de règles de procédure spécifiques »251. Cette autonomie procédurale reconnue
aux Etats membres se trouve néanmoins limitée par l’effet utile252 et l’érection d’institution253

249
Article 10 du Traité « Les actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats-
Parties, nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure ».
250
Pour Sébastien Platon, le principe d’autonomie institutionnelle et procédurale est « un marqueur de la
souveraineté interne de l’Etat membre », dont l’appartenance au droit communautaire le laisse « libre
d’organiser comme il le souhaite ses organes, ses structures et ses institutions, pour peu que celles-ci soient
aptes à assurer les fonctions » S. Platon, « L’autonomie institutionnelle des Etats membres de l’Union
européenne : parent pauvre ou branche forte du principe d’autonomie institutionnelle et procédurale ? », in L.
Potvin-Solis (dir.), Le statut d’Etat membre de l’Union européenne, Quatorzièmes Journées Jean-Monnet,
Bruxelles, Bruylant, 2018. Le concept d’autonomie institutionnelle auquel sont adjoints les adjectifs
« institutionnel », « procédural » et parfois organisationnel, est un concept que l’on retrouve dans les
organisations internationales et dans le droit interne de type fédéral, destinés à irriguer le processus d’intégration
communautaire. C’est très souvent au principe globalisant d’« autonomie institutionnelle et procédurale » que
les études sont consacrées. Généralement associés, les concepts relèvent de l’autonomie plus générale des Etats
parties dans l’exécution du droit communautaire. Ce dernier s’accomplissant à l’intérieur des ordres juridiques
nationaux. Qualifié par l’auteur de « concept-valise » chacun des termes du principe recouvre un sens précis. Le
principe de l’autonomie institutionnelle renvoie Selon Bakary Diallo de manière générale, à la possibilité pour
l’Etat membre de s’auto-organiser. Bakary Diallo, « Principe de l’autonomie institutionnelle et procédurale des
Etats parties face à l’application des Actes Uniformes du droit OHADA », Jurifis, édition spéciale, n° 12,
Octobre 2012, p. 16. Ohadata D-13-13 ; Isaac et Blanquet, Droit général de l’Union européenne, 10ème
édition, 2012, p. 444 ; D. Simon, « Les exigences de la primauté du droit communautaire : continuité ou
métamorphoses ? », in L’Europe et le droit, Mélanges en hommage à Jean Boulouis, éd. Dalloz, 1991, p.484 et
S. ; Joël Rideau, « Le rôle des États membres dans l'application du droit communautaire », In: Annuaire
français de droit international, volume 18, 1972. pp. 864-903 ; Marjolaine Roccati, « Quelle place pour
l’autonomie procédurale des États membres? », RIDE, Association internationale de droit économique, 2016,
29(4), pp.429–439 ; « Les principes généraux du droit communautaire », Colloque Cour de Cassation française,
2000, disponible sur le site www.courcassation.fr, consulté le 05 Septembre 2019, à 09h32 ; D. Simon, « Les
fondements de l’autonomie du droit communautaire », in Droit international et droit communautaire,
perspectives actuelles, Pedone, Paris, 2000, pp.207-249.
251
Bakary Diallo, « Principe de l’autonomie institutionnelle et procédurale des Etats parties face à
l’application des Actes Uniformes du droit OHADA », Op. Cit.
252
Voir sur la question Hélène Ruiz Fabri, « Les principes généraux du droit communautaire et droit
comparé », Droits, 2007/1 (n°45), pp.127-142. Téléchargeable depuis www.cairn.info; G. Soulier, « Droit
harmonisé, droit uniforme, droit commun ? », in D. Simon (dir), Le droit communautaire et les métamorphoses
du droit, PUS, 2003, pp.57-80 ; Denis Alland, « L’applicabilité directe du droit international considérée du
point de vue de l’office du juge : des habits neufs pour une vieille dame ? », RGDIP, 1998, p. 230.
253
Le législateur de l’OHADA investit le champ de la procédure des Etats, sans chercher à remettre en cause
l’autonomie institutionnelle et procédurale préexistante. L’article 49 de l’AUPSRVE aux termes duquel : « La
juridiction compétente pour statuer sur tout litige ou tout de mande relative à une demande d’exécution forcée
ou à une saisie conservatoire est le président de la juridiction statuant en matière d’urgence ou le magistrat
délégué par lui » est le signe de la place que le législateur Ohadien accorde à l’exécution des décisions de
justice. Le législateur OHADA choisit de ne pas rester en marge de l’évolution certaine de l’institution
présidentielle au sein du tribunal. Dans plusieurs matières, qu’il s’agisse de l’Acte uniforme relatif au droit

48
qui viennent encadrer l’autonomie procédurale, traduction de la volonté d’assurer une
application du droit nécessaire à la protection juridictionnelle effective des droits dont
jouissent les citoyens des Etats parties et qui peuvent être considérés comme des dispositifs
mis en place par les rédacteurs des Actes uniforme pour assurer une bonne administration de
la justice.

45. L’indépendance de la justice revêt une telle importance et un défi que nous sommes
d’avis avec le Professeur F. Houquerbie qu’il faut arriver à militer en faveur de
l’indépendance : la promouvoir, la défendre, la revendiquer254, l’incarner. Lorsque les parties
formulent leurs demandes, le juge quel que soit son office, public ou privé doit rendre son
acte juridictionnel en toute indépendance. Plus qu’une prérogative, un privilège pour le juge,
c’est un devoir. Ainsi que le soulignait une certaine doctrine, « la meilleure indépendance est
celle qui s’affirme dans la force du raisonnement, la hauteur de vue, l’absence de parti pris
»255. Bien articulée, l’indépendance de la justice constitue avec la déontologie des professions
judiciaires, l’un des socles de la confiance de l’usager dans l’administration de la justice.

B. La déontologie des professions judiciaires

46. Y a-t-il une déontologie dans l’exercice de la fonction de la justice ? La question ne


mérite peut être pas d’être posée tant la réponse parait évidente, mais elle demeure essentielle
si l’on tient compte des nombreuses récriminations dont le service public de la justice fait
l’objet. Attestant de son omniprésence dans tous les domaines, il ressort d'une étude
statistique sur le vocabulaire des hommes politiques français, conduite au cours de l'année
2007, que le terme « déontologie »256 est celui qui a été le plus souvent utilisé après celui de «
changement » et celui de « jeune » ! Le concept semble être un phénomène de société
tellement les attentes envers les juges sont élevées, les espérances qu’engendre la déontologie
grandes. La préservation et le renforcement des normes déontologiques et éthiques au sein de
la magistrature deviennent plus que jamais un enjeu juridique et social de grande importance

commercial général 14 al. 2, art. 20 al. 1er AUDCG) et celui des Sociétés commerciales et du groupement
d’intérêt économique (art. 60, art. 135 al. 1er, art. 159, art. 233, art. 314, in fine, art. 241 al. 2 AUSCGIE) ainsi, et
sans être exhaustif, que de celui portant Organisation des procédures collectives d’apurement du passif (Le
Président de « la juridiction compétente » assure, au travers de l’Acte uniforme portant organisation des
procédures collectives d’apurement du passif, une omniprésence dans la correction des maux dont souffre une
entreprise. Au cœur du règlement préventif, est placée la juridiction qui déclenche la procédure, art. 5 et s.
AUPCAP), il fait un appel constant à l’office du président du tribunal.
254
Fabrice Houquerbie, « L’indépendance de la justice dans les pays francophones », Op. Cit.
255
Ch. Debbasch, « L’indépendance de la justice », Op. Cit, p. 33.
256
Voir Edouard De Lamaze et Christian Pujalte, « Considérations générales sur la déontologie des avocats »,
in L’Avocat, le juge et la déontologie, Paris, PUF, 2009, Chapitre Premier, pp. 1-24.

49
depuis la fondamentalisation du droit d’accès à un tribunal et la judiciarisation croissante de la
société 257 . La déontologie judicaire constitue un complément indispensable au statut
particulier garanti au juge par les différentes facettes de l’indépendance judiciaire 258 . Elle
représente un critère primordial du succès et de la crédibilité des systèmes judiciaires dont elle
assure la légitimité. Déontologie et indépendance de la justice sont intimement liées que les
pratiques régulièrement constatées de l’absence de participation des membres de la
magistrature au processus de définition des obligations déontologiques des juges est
considérée comme comportant un risque réel d’immixtion dans l’indépendance de l’institution
judiciaire. C’est dire, qu’il apparait nécessaire d’impliquer les concernés à la définition de ce
corps de règles. La déontologie est fondée sur des règles ou des devoirs, définis de façon plus
ou moins large, et sanctionnés disciplinairement259.
Si l’éthique a indiscutablement sa place dans la déontologie, elle s’en distingue tout de
même. L’éthique est définie « comme une science ayant pour objet le jugement
d’appréciation en tant qu’il s’applique à la distinction du bien et du mal » alors que la
déontologie est une « théorie des devoirs » 260 . L'éthique est une discipline morale, la
261
recherche personnelle d'une sagesse de l'action . Le droit déontologique regroupe
précisément « l’ensemble des règles ayant pour objet de maintenir la conduite des juges
compatible avec les exigences de la fonction judiciaire »262. La déontologie doit être comprise
à la fois comme « la théorie des devoirs en morale » et l’ensemble « des devoirs qu’impose à
des professionnels l’exercice de leur métier »263. Elle analyse la conduite du magistrat dans
une perspective qui n’est pas celle de la morale, mais celle du droit 264 . Ce qui fait de la
déontologie judiciaire une obligation légale.

257
Voir Benoit Frydman, « L’évolution des critères et des modes de contrôle de la qualité des décisions de
justice », in Pascal Mbongo (coord.), La qualité des decisions de justice, Les Études de la CEPEJ, Ed., du
Conseil de l’Europe, 2008, pp. 18-29 ; Antoine Vauchez, « Les jauges du juge. La justice aux prises avec la
construction de sa légitimité (Réflexions post-Outreau) », in La qualité des décisions de justice, Op. Cit., p. 60-
77.
258
Luc Huppé (2004), « Les fondements de la déontologie judiciaire », Les cahiers du droit, 45 (1), 93-131 ;
H.P. Glenn, « Indépendance et déontologie judiciaire », (1995) 55 R. du B. 295-303.
259
Eric Alt et Marie-Astrid Le Theule, « La justice aux prises avec l’éthique et la performance », Pyramides,
22, 2011, pp. 137-159.
260
Pierre Noreau et Chantal Roberge, « Emergence de principes généraux en matière de déontologie judiciaire
: éléments d’une théorie générale », in Revue du Barreau canadien, Vol. 84, 2006, pp. 457-449.
261
Eric Alt et Marie-Astrid Le Theule, « La justice aux prises avec l’éthique et la performance », Op. Cit.
262
Luc Huppé, Op. Cit, spéc. p. 125 ; Edouard De Lamaze et Christian Pujalte, « Considérations générales sur
la déontologie des avocats », Op. Cit.
263
Guy Canivet, « La conception française de la déontologie des magistrats », Esprit, n° 299 (11), Novembre
2003, pp. 5-22.
264
Luc Huppé, Op. Cit, p. 126 ; Pierre Noreau, Emmanuelle Bernheim, La déontologie judiciaire appliquée,
3e éd., Wilson & Lafleur Litée, Montréal, 2013, pp. 11 et s.

50
47. Le Cameroun, en prenant l’option d’un régime constitutionnel axé sur la
reconnaissance d’un pouvoir judiciaire, laisse entrevoir que des lois spéciales prises en
conformité de la norme fondamentale accordent un statut particulier aux magistrats, aux
avocats inscrits au barreau du Cameroun. Statut qui détermine le cadre de recrutement des
membres de la magistrature, l’exigence de la prestation de serment. La caractéristique
essentielle de l’organisation judiciaire de tels statuts, consiste à exiger des personnes
souhaitant accéder à la magistrature ou encore à l’avocature de s’astreindre à l’exigence d’une
prestation de serment préalable à l’entrée en fonction265. C’est une condition d’ordre public.
Ni l’identité, ni le prestige d’un candidat ne le dispense de cette obligation et ce à tous les
niveaux de la hiérarchie judicaire. La charge du juge ne s’obtient qu’au prix de cet
engagement solennel que comporte le serment judiciaire. Les fondements de la déontologie
sont les règles législatives et réglementaires au cœur desquels trône en bonne place, le
serment judiciaire : engagement personnel et solennel du candidat aux fonctions de magistrat
ou encore d’avocat. En droit camerounais, la portée du serment varie d’un corps judiciaire à
un autre. L’avocat avant tout acte prononce devant la Cour d’appel le serment dont la teneur
suit : « Je jure comme avocat d’exercer mes fonctions de défense et de conseil en toute
indépendance avec dignité, conscience, probité et humanité, conformément aux règles de ma
profession et dans le respect des cours et tribunaux et des lois de la République » 266. Le
magistrat dès son intégration dans la magistrature et avant qu'il n'accomplisse tout acte de ses
fonctions prête le serment suivant : « Moi ………, je jure devant Dieu et devant les hommes de
servir honnêtement le peuple de la République du Cameroun en ma qualité de magistrat, de
rendre justice avec impartialité à toute personne, conformément aux lois, règlements et
coutumes du peuple camerounais, sans crainte ni faveur, ni rancune, de garder le secret des
délibérations et de me conduire en tout, partout et toujours en digne et loyal magistrat » 267.
L’objet du serment judiciaire étant d’obtenir de l’impétrant, magistrat, avocat, huissier de
justice, un engagement, celui de mettre sa personne au service de l’exercice de la fonction
judiciaire en promettant de servir l’idéal de justice sur lequel repose la primauté du droit. A
cet effet, le titulaire accepte sur sa personne, le respect des contraintes qui peuvent lui être
imposées en raison de l’exercice de la fonction judiciaire. Par ce serment, le juge en

265
Luc Huppé (2004), « Les fondements de la déontologie judiciaire », Op. Cit. p.120 et s.
266
Article 15 de la loi n° 90/059 du 19 Décembre 1990 portant organisation de la profession d’avocat au
Cameroun.
267
Article 23 du Décret n°95/048 du 8 mars 1995 portant statut de la magistrature. Le serment n'est pas
renouvelable.

51
particulier s’engage à « être extraordinaire »268, « être le juste juge, celui en qui il n’y a ni
fraude ni favoritisme, qui est par essence libre »269. Le serment constitue pour le magistrat,
l’avocat et les autres auxiliaires de justice, la source la plus directe des obligations
déontologiques qui lui incombent dans l’exercice de ses fonctions, puisqu’il repose sur leur
consentement, librement et publiquement exprimé devant un officier dont l’autorité est
supérieure à la sienne270. Par l’engagement solennel qu’il contient, le serment judiciaire donne
aux justiciables la garantie que des magistrats et auxiliaires de justice consciencieux acceptent
personnellement d’être liés par les contraintes d’une justice fondée sur le droit. Ce serment est
une obligation inhérente à la fonction exercée. Serment qui semble toutefois fragilisé par la
certitude de la dépendance du juge aux soubresauts de son environnement.

Les divers éléments qui composent le serment et constituent la déontologie judiciaire,


paraissent si intrinsèquement liée à la fonction judiciaire que le seul exercice de la fonction
suffit à les rendre contraignantes. C’est la nature même de la fonction exercée qui exige que
les juges ou les autres acteurs préservent leur impartialité, leur indépendance, ou d’éviter des
situations susceptibles de générer le doute sur l’honorabilité de la fonction. Il en résulte que la
déontologie judiciaire est une obligation consubstantielle à la fonction judiciaire, dans la
mesure où elle s’avère indispensable à sa réalisation. Si la déontologie judiciaire regroupe
l’ensemble des règles ayant pour objet de maintenir la conduite des juges compatible avec les
nécessités de la fonction juridictionnelle, il est impérieux que les juges se conforment aux
exigences requises par la fonction qu’ils occupent en évitant des écarts. La déontologie
imposée au juge est un appel à mieux faire par l’observation de contraintes personnellement
imposées. C’est un « système normatif constitué d’exhortations générales à bien se
comporter »271. Mais qui à de nombreuses reprises subit des assauts. Dans ce contexte, nous
ne pouvons que souscrire avec Joël Moret-Bailly, Didier Truchet272 que le fait d’être un juriste
professionnel engage deux dimensions cumulatives : des compétences techniques et des
questions déontologiques, souvent à propos d’intérêts importants des personnes ou des
institutions concernées. Pris globalement, l’indépendance et la déontologie tendent
essentiellement vers un seul et même objectif : ils visent à protéger le juge de toute influence
268
Brigitte Djuidje, « Le statut du juge judiciaire camerounais : un tableau contrasté », in Annales FSJP
Université de Dschang, Tome 3, PUA, 1999, pp. 45-66.
269
Citation de passages bibliques.
270
Luc Huppé (2004), « Les fondements de la déontologie judiciaire », Op. Cit.
271
Y. M. Morissette, « Comment concilier indépendance et déontologie judiciaire », (2003) 48 Rev. Dr.
McGill, 297.
272
Joël Moret-Bailly, Didier Truchet, « Nécessité de la déontologie », in Pour une autre déontologie des
juristes, 2014, pp 15-30 ; L. Husson, « Les activités professionnelles et le droit », APD, Déontologie et
discipline professionnelle, 1954, n° 2.

52
extérieure au litige qu’il doit trancher. « Sans déontologie, l’indépendance ne se justifie pas.
Sans indépendance, la déontologie aujourd’hui ne suffit pas. Les deux sont essentielles et se
renforcent mutuellement »273. Si le nombre de personnes qui envisage positivement l’idée de
se présenter devant le juge est très peu, mais lorsque cette situation venait à s’imposer chaque
usager espère au pire pouvoir s’appuyer sur une magistrature à la fois compétente, impartiale,
indépendante et intègre. Ce qui suppose inéluctablement un ajustement continu de l’institution
judiciaire aux exigences déontologiques de la profession. En matière judiciaire, les « balises
déontologiques » ne visent pas tant la protection de la magistrature que celle du public274.
Malgré l’attachement des Etats africains dont le Cameroun à ces principes, la déontologie et
l’indépendance des acteurs de la justice reste un réel défi.

Paragraphe II. L’indépendance des acteurs du système judiciaire


camerounais
48. Les attentes bien légitimes des citoyens envers les juges et l’ensemble du système de
justice sont élevées, tout comme elles le sont envers ceux des acteurs de la société à qui ils
confient de grandes responsabilités. L’indépendance de la justice est régie par des normes275.
Elle n’est pas une option, mais une exigence principielle qui permet de stabiliser la balance
des pouvoirs et la garantie des droits. Il est d’évidence qu’on ne saurait parler d’indépendance
de la justice que si les acteurs de la réalisation de la justice au premier rang desquels le juge
dont la place dans l’échiquier institutionnel de la justice (A) doit être naturellement conforme
avec l’évolution de son rôle qui devrait concomitamment s’accompagner de la garantie de son
impartialité (B). Le bon fonctionnement de la justice ne peut en aucun cas être assuré au
détriment de l’indépendance de ses acteurs.

A. La place du juge dans l’échiquier institutionnel

49. Le juge incarne « la puissance de juger ». Il occupe un espace public important


lorsqu’il interprète et structure le champ des droits et libertés de chacun. Sa présence est un
facteur d’efficacité. La dévolution de cette puissance implique du bons sens dans
l’organisation de son office, celui de son indépendance. Malgré le prestige de la fonction, de

273
Patrick Glenn, « Indépendance et déontologie judiciaires », Op. Cit, p. 303.
274
Pierre Noreau, Emmanuelle Bernheim, La déontologie judiciaire appliquée, Op. Cit., p. 14.
275
Le préambule de la loi constitutionnelle de 1996 « assure à tous les hommes le droit de se faire rendre justice
par la loi » et affirme son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la déclaration universelle des
Droits de l’Homme, la Charte des Nations-Unies. Il fait l’objet de l’article 10 de la Déclaration universelle des
droits de l’Homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politique en son article 14, la Charte africaine
des droits de l’homme et des peuples en son article 7.

53
l’idée que l’on se fait généralement d’un organe chargé de la réalisation des droits, sa
crédibilité semble tanguer, son indépendance pourtant garanties sur du papier, dans les esprits,
l’absence de subordination du juge fait l’objet de discussion et parfois de réfutation. La
dimension objective du droit au juge ne peut éluder celle de l’indépendance du juge, sa
protection constituant une des garanties du procès équitable. Signe de l’ampleur de l’exigence
du droit à un tribunal adéquat, deux éléments méritent attention l’indépendance fonctionnelle
comme valeur (1), et l’indépendance comme garantie (2).

1. L’indépendance fonctionnelle du magistrat comme valeur

50. A l’ère des droits fondamentaux, toute réflexion sur l’institution de la justice gravite
autour d’une idée centrale qui n’en cesse pas, l’indépendance judiciaire. L’indépendance
considérée comme valeur est celle que l’on désigne de manière générale comme
l’indépendance fonctionnelle ou encore indépendance « substantive » ou « décisionnaire » du
juge. Le magistrat n’est dans l’exercice de sa fonction soumis qu’à la légalité, ou pour être
plus concret, au système des sources du droit. Les Magistrats du siège ne relèvent dans leurs
fonctions juridictionnelles en dehors de la loi, que de leur conscience276. Ce qui signifie que le
juge doit instruire et juger les affaires qui lui sont soumises ; décider seul, en son âme et
conscience, oser son indépendance. C’est le syndrome de la « solitude du juge » auquel fait
allusion Peter Leuprecht277. Solitude qui exige davantage de caractère et de courage que la
servilité à l’égard du pouvoir, quel qu’il soit. Cette indépendance individuelle ou
fonctionnelle ainsi garantie signifie que le juge doit juger en son âme et conscience sur la base
des faits et du droit, libre de toutes influences ou pressions extérieures, que celles-ci
proviennent de pouvoirs autres que le pouvoir judiciaire, par exemple du pouvoir exécutif,
qu’elles proviennent de l’intérieur même du pouvoir judiciaire, des juridictions ou même des
parties en cause. Le principe de l’indépendance fonctionnelle du magistrat est garanti en droit
camerounais par l’article 37 al. 2 de la constitution applicable aux termes duquel « le pouvoir
judiciaire est exercé par la Cour Suprême, les Cours d’appel, les Tribunaux. Il est
indépendant du Pouvoir exécutif et du Pouvoir législatif ». Cet élément essentiel demeure à ce
jour au centre du principe de l’indépendance judiciaire. Le juge doit trancher le litige en
s’appuyant sur le droit qui lui est applicable. Par conséquent, la décision du juge serait autant
fondée que si celle-ci a été prise en conformité de la règle de droit qui lui sert de base

276
Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, Article 37 alinéa 2.
277
Peter Leuprecht, « Conférence d’ouverture », in Actes du Colloque 2002, L’indépendance judiciaire…
Contrainte ou gage de liberté ?, Conseil de la magistrature du Québec, 2003, p. 25.

54
légale278 . Cette obligation de trancher les intérêts divergents dont il doit s’acquitter dans
l’exercice quotidien de sa fonction interpelle en premier lieu, sa conscience professionnelle et
en second lieu, sa conscience individuelle279. Par conséquent, le juge ne peut se limiter à dire
ce qui est conforme au droit, il doit le faire « en conscience », pour se rapprocher, le plus
possible, de l’idéal de justice en faisant prévaloir la justice juridique. L’indépendance
décisionnaire consacre l’absence de pouvoir hiérarchique dans la prise de la décision. Elle
relève de la seule conscience de chaque juge, soumis à la loi et son intime conviction. Le juge
du siège reste maitre de sa décision. La fonction de juger implique en ce sens une part
irréductible d’autonomie relevant de la seule conscience du juge. Vue sous cet angle,
l’indépendance du juge reste un objectif à atteindre, un vœu pieux. Le constituant
camerounais de 1996 s’est inscrit dans le respect et la concrétisation de cette valeur. En droit
comparé, une importante jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme pose en
effet que, l’indépendance judiciaire qu’elle soit individuelle ou collective, se juge aussi sur le
fait qu’il y ait ou non apparence d’indépendance280. C’est le sens de l’adage : « Justice must
not only be done; it must also be seen to be done ». De la même manière, on peut dire : «
Justice must not only be independent; it must also be seen to be independent » 281 . Une
indépendance au service de la primauté du droit, de la sécurité juridique, de l’État de droit, de
l’être humain et de ses droits fondamentaux.

2. L’indépendance à titre de garantie

51. Pour que le droit prime, il est essentiel de préserver l’indépendance du juge. Celle-ci
est le « moyen » pour atteindre cette « fin ». En tant qu’ensemble de mécanismes juridiques
visant la réalisation concrète de l’indépendance substantive, l’indépendance comme garantie
peut être personnelle (a) à laquelle s’agrège l’indépendance interne, prolongement de
l’indépendance statutaire (b).

278
Th. Le Bars, Le défaut de base légale, LGDJ, 1997 cité par A. Akam Akam, « La loi et la conscience dans
l’office du juge », Revue de l’Ersuma, Pratiques professionnelle, n° 1, 2012, pp. 501-526.
279
A. Akam Akam, « La loi et la conscience dans l’office du juge », Op. Cit.
280
C.E.D.H., Langborger c. Suède, 22 Juin 1989, série A n°155, p. 32.
281
Peter Leuprecht, « Conférence d’ouverture », Op. Cit, p. 19.

55
a. L’indépendance personnelle

52. L’indépendance personnelle du magistrat282 camerounais prend corps dans un statut.


Une relation avec autrui destinée à protéger, à faire échapper les magistrats d’éventuelles
pressions ou interférences des organes politiques de l’Etat et plus spécialement du pouvoir
politique283, des intérêts des entreprises ou des sociétés. Le recrutement et la formation du
juge constitue le socle de départ de l’indépendance personnelle du juge. L’impétrant s’y
familiarise avec les règles et obligations que requiert sa fonction. Pour assurer l’indépendance
des juges, il faut d’abord qu’ils soient recrutés de manière indépendante et impartiale. Le
risque d’un processus de nomination opaque et de désignation arbitraire par l’exécutif,
conduirait à nommer des hommes et des femmes dépendants et partant liés à l’organe qui les a
choisis. D’où l’importance qu’aucun des deux autres pouvoirs de l’Etat ne viennent jouer un
rôle prépondérant dans le processus de nomination. Le recrutement des magistrats dans le
système juridique camerounais adossé sur l’exigence de compétences vérifiables à l’issu d’un
processus exigeant de nomination fondé sur la réussite d’un concours public semble à priori
garantir l’indépendance personnelle du magistrat. Le statut universel du juge284 prévoit dans
son article 9 que : « Le recrutement et chacune des nominations du juge doivent se faire selon
des critères objectifs et transparents fondés sur la capacité professionnelle ». Le recrutement
par concours sur épreuves écrites et orales met l’accent sur les compétences théoriques des
candidats et non sur leur expérience professionnelle. La logique du concours est sans doute la
résultante de la tradition juridique de droit civil embrassée par le Cameroun. C’est
l’importance du texte écrit, de la sacralité de la loi source de savoir que l’on retrouve à travers
ce mode de recrutement285. L’expérience, elle, n’est pas à titre principal une condition d’accès
à la fonction, elle se forge ensuite. Aux termes de l’article 11 nouveau, du décret de 2004
modifiant certaines dispositions du décret de 1995 portant statut de la magistrature « nul ne
peut être recruté comme magistrat s'il ne justifie outre des conditions requises par le statut
général de la Fonction Publique […]»286 les conditions énumérées de manière exhaustive par
ce texte. On retrouve donc bien à travers tous ces textes, la nécessité d’un processus de

282
Le magistrat renvoie au sens large à toute personne qui dispose d’un pouvoir. Au sens strict, il désigne «
toute personne appartenant au corps judiciaire et investie, à titre professionnel, du pouvoir de rendre la justice
ou de la requérir », Gérard Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Op. Cit, p. 629, « Magistrat ».
283
Luís María Díez-Picazo, « La fonction jurisdictionnelle », Op. Cit.
284
Statut universel du juge, approuvé à l’unanimité par le Conseil Central de l’Union Internationale des
Magistrats, 17 novembre 1999.
285
Cf. Perrine Ponchaud, L’indépendance judiciaire en France et au Canada, Op. Cit, p. 50.
286
Décret n° 2004/080 du 13 avril 2004 modifiant certaines dispositions du décret n° 95/048 du 08 mars
1995 portant statut de la magistrature, les articles 11 à 14 de ce décret, les dispositions du décret portant statut
de la fonction publique, les dispositions de l’article 11 nouveau.

56
recrutement qui aboutit à la désignation d’un juge à la fois indépendant et compétent.
Seulement, la quête de l’excellence en ce domaine semble ternie par les révélations de
scandales qui remettent en cause l’objectivité du processus de recrutement des magistrats
relayés ces dernières années par la presse.
Au delà du processus de recrutement, l’indépendance personnelle du juge dépend
fortement aussi du modèle de juge bureaucratique ou européo-continental hérité de la tradition
juridique française. L’entrée dans la magistrature est subordonnée principalement depuis
l’introduction du principe de méritocratie que reflète le concours 287 , à la détention d'une
maîtrise en droit d'une université camerounaise, du diplôme de l'Ecole Nationale
d'Administration et de Magistrature division judiciaire section magistrature ou encore d'un
stage d'attaché de justice288. Ce mode de recrutement est devenu selon les mots d’un garde des
sceaux français, « la voie royale »289. Le concours est introduit, fondant le mode de sélection
des magistrats sur des bases plus démocratiques 290 , tout en faisant du procédé la norme
d’entrée dans la magistrature et l’inscription de la pérennité de la formation comme une
tradition de la pratique professionnelle291.

53. Le savoir du juge, somme de connaissances juridiques et générales, supposé acquis par
son passage en faculté de droit, renforcé par la formation d’ordre technique et générale,
constituée « d’un savoir faire pour préparer le futur magistrat à l’exercice quotidien de ses
fonctions »292, font du juge le point de convergence entre la règle de droit telle qu’érigée par
l’organe compétent et sa concrétisation dans les faits. La qualité de la formation
professionnelle est devenue un critère à même d’assurer la liberté d’esprit et intellectuelle du
magistrat dans la mesure où l’éminence des fonctions judiciaires crée à la charge des

287
Si le passage et l’admission à un concours constitue le principe, des voies latérales d’accès à la magistrature
sont possibles notamment pour ceux disposant d’une expérience professionnelle acquise au Cameroun,
postérieurement à la maîtrise en droit au titre de cinq ans en qualité d'avocat, le professeur agrégé des facultés de
droit ou professeur titulaire du L.L.D (Doctor of Laws), chargé de cours à la faculté de droit, huissier, greffier,
administrateur de greffe ou notaire, lorsque la compétence et l'activité du candidat en matière juridique le
qualifient pour l'exercice des fonctions judiciaires. Article 11 nouveau du décret de 2004 modifiant certaines
dispositions portant statut de la magistrature.
288
Article 11 alinéa 1 du Décret de 1995 portant statut de la magistrature au Cameroun.
289
Pierre Martaguet, « comment devient-on magistrat ? », Pouvoirs, 16, 1981, pp. 108-117 ; Demba Sy, « La
condition de juge en Afrique : l’exemple du Sénégal », in Les défis des droits fondamentaux, Actes des
deuxièmes journées scientifiques du réseau Droits fondamentaux de l’Agence Universitaire de la Francophonie
(AUF), tenue à Québec du 29 septembre au 2 octobre 1999, AUPELF-UREF, éd. Bruylant/ AUF 2000, pp. 347-
374, spéc. p. 354.
290
Anne Boigeol, « Les transformations des modalités d’entrée dans la magistrature : de la nécessité sociale
aux vertus professionnelles », Pouvoirs, 74, 1995, pp. 28-41 ; « La formation du magistrat De l’apprentissage
sur le tas à l’école professionnelle », in Actes de la recherche en sciences sociales, Vol. 76-77, mars 1989, Droit
et expertise, pp. 49-64.
291
Ibid.
292
Pierre Martaguet, « comment devient-on magistrat ? », Op. Cit.

57
magistrats des devoirs supérieurs à ceux qui incombent aux autres fonctionnaires293. La quête
d’indépendance qui résulte du statut du magistrat explique l’étendue de ses droits et
obligations. Ainsi, les prérogatives, incompatibilités et avantages posés par le statut de la
magistrature doivent être appréhendés par les titulaires de la fonction non pas comme des
faveurs qui leur serait accordées, mais plutôt comme des conditions d’exercices d’un pouvoir
judicaire seul à même d’assurer l’équilibre de la société et la confiance des investisseurs
nationaux et étrangers en une bonne justice.

54. Mais tout ceci est remis en cause par le modèle bureaucratique de juge – la fonction
juridictionnelle de même que les autres fonctions de l’Etat restaient jadis des prérogatives du
monarque – qui impose au magistrat à faire carrière au sein de l’institution judicaire. C’est la
figure du « juge-fonctionnaire » qui doit « faire carrière »294. Le juge est dans la majorité des
cas dans ce modèle bureaucratique appelé à la magistrature (à l’opposé du modèle anglo-
saxon), sans expérience préalable, aspirant à intégrer et évoluer dans un corps de
fonctionnaires. Ce qui le rend sensible à tout ce qui pourrait constituer un obstacle à son
cursus honorum 295 . Le modèle particulier de juge oriente la magistrature vers la haute
fonction publique. Ici, les garanties d’indépendance touchent aussi bien le déroulement de la
carrière, à savoir : recrutement, avancement, pouvoir hiérarchique et mobilité. Le statut donne
à la carrière du magistrat, l’image et la configuration de tout autre fonctionnaire. S’il est vrai
qu’on est toujours mieux protégé lorsqu’on appartient à un corps qu’en étant isolé, il n’en
demeure pas moins que le juge, est un être de chair et de sang emprunt à ses doutes,
certitudes, passions et désirs. L’inconscient 296 intervient ainsi dans le procès, teintant les
décisions de justice de nombreuses divergences individuelles. Ces facteurs, mettent en
exergue la fragilisation que peut subir l’indépendance personnelle du juge.

b. L’indépendance interne, prolongement de l’indépendance statutaire

55. Du deuxième congrès de l’Association des Hautes juridictions de cassation des pays
ayant en partage l’usage du français (AHJUCAF), consacré à L’indépendance de la justice il
ressort que « les garanties d’indépendance du juge, principe non défini, sont en droit français,

293
Demba Sy, « La condition de juge en Afrique : l’exemple du Sénégal », Op. Cit.
294
François Colcombet, « Faire carrière », Pouvoirs, 74, 1995, pp. 108-122.
295
L’expression est empruntée à Luís María Díez-Picazo, « La fonction jurisdictionnelle », Op. Cit.
296
M. Westermann, « L’inconscient dans le procès juridique », in Le juge : une figure d’autorité, Harmattan,
1996, p. 325 ; Brigitte Djuidje, « Le statut du juge judiciaire camerounais : un tableau contrasté », Op. Cit.

58
dominée(s) par le principe d’inamovibilité des juges du siège » 297 . C’est dire que
l’inamovibilité des magistrats du siège apparaît clairement érigée au rang de garantie de
référence de l’indépendance des juges dans les pays membres de l’Association.
L’inamovibilité constitue pour l’ensemble des juges du siège une garantie de la bonne
administration de la justice. Garantie d’indépendance des juges à l’égard de la chancellerie sur
laquelle les justiciables doivent pouvoir compter298. Son appréhension suppose au préalable
de s’interroger sur la manière dont elle est définie par la doctrine, caractérisée au demeurant
par sa disparité299. Dans le langage courant l’inamovibilité désigne le caractère de ce qui ne
peut être ôté d’un poste, destitué de sa place à volonté300.

56. Aux antipodes de l’inamovibilité, se situe l’amovibilité, terme issu du latin amovere,
correspondant aux mots « éloigner » ou « déplacer ». Les rédacteurs du dictionnaire juridique
de l’association Henri Capitant définissent le fonctionnaire amovible comme celui : « qui peut
être déplacé, changé d’emploi, dans l’intérêt du service et en dehors de toute sanction
disciplinaire, par décision discrétionnaire d’un supérieur hiérarchique »301. Selon une autre
définition suggérée par le Professeur Lavigne cité par Olivier Pluen, « l’inamovibilité est la
technique d’investiture d’un emploi public selon laquelle la personne qui en bénéficie ne peut
en être désinvestie […] »302. Si le droit positif n’offre pas de définition formelle et intégrale,
de l’inamovibilité des magistrats du siège de l’ordre judiciaire, le sens du terme en droit est
néanmoins acquis. L’inamovibilité apparaît pour le magistrat, comme une garantie de
maintien dans ses fonctions pour une certaine durée, une garantie de stabilité associée à la
dévolution de la fonction judiciaire. L’idée d’une indépendance personnelle du magistrat dans
le contexte du modèle bureaucratique de l’institution judiciaire pose sans discontinuité une
question qui jusqu’ici ne semble pas trouver une solution concrète : comment garantir
l’inamovibilité du juge ? Sur cette question, il convient très brièvement d’évoquer deux
aspects : il y a d’une part, l’inamovibilité liée à la condition de magistrat303 et d’autre part,

297
AHJUCAF, L’indépendance de la justice, Actes du deuxième congrès de Dakar des 7 et 8 novembre 2007,
www.ahjucaf.org, Question n° 5.
298
Baî Aimée Koovi, « Les mécanismes de garantie de l’indépendance judiciaire au Bénin et les enjeux de
réforme », Konrad Adenauer Stiftung Librairie africaine d’études juridiques, Vol. 10, pp. 21-39, spéc. p. 26.
299
Sur l’évolution de la définition de l’inamovibilité, ce qu’elle n’est pas, ses premiers sens, voir l’étude de
Olivier Pluen, L’inamovibilité des magistrats : un modèle ?, Thèse, Droit public, Université Panthéon –Assas,
2011, Introduction générale, pp. 15 et s.
300
Dictionnaire de l’Académie française, 5e éd. 1798.
301
G. Cornu, Vocabulaire juridique, Op. Cit, p. 54.
302
P. Lavigne, « Les personnes inamovibles dans les services publics français », in Mélanges Robert-Edouard
Charlier, éd. de l’Université et de l’enseignement moderne, Paris, 1981, p. 164 (cité par Olivier Pluen,
L’inamovibilité des magistrats : un modèle ?, Op. Cit, p. 24).
303
C’est le sens le plus ancien donné à l’inamovibilité. Celle-ci est dans la majorité des cas inscrite dans les
constitutions.

59
celle relative à la fonction occupée. La première hypothèse est relative à l’interdiction de
priver tout magistrat de sa fonction en dehors des cas de procédure disciplinaire ou de
sanction et le second aspect concerne quant à lui la prohibition de mutation forcée et
injustifiée d’un poste judiciaire à un autre304.
Considérée comme une garantie minimale dans un système de carrière, l’inamovibilité
du juge est le principe le plus évocateur de son indépendance statutaire305. Si pour certains
auteurs, elle est la première garantie d’indépendance 306 , pour d’autres, elle est la garantie
d’indépendance des magistrats. Elle reste une « condition nécessaire et essentielle » 307 de
l’indépendance du magistrat du siège. Considérée à juste titre par le Professeur Loïc Cadiet308
comme revêtant un caractère absolu, la règle d’inamovibilité est un droit pour tout juge et les
« droits du juge garantissent ceux du justiciable ». Mais le rapport des droits africains à
l’inamovibilité du magistrat est non pas comme dirait Guy Canivet309 complexe, encore moins
une lutte mais plutôt un échec du droit camerounais à garantir des règles minimales
d’inamovibilité. Profondément liée aux diverses traditions judicaires, l’inamovibilité du juge
est diversement réglée par les Etats. Il est évident qu’un ordre de mutation pourrait constituer
un moyen de pression sur les juges. Le traitement qu’en donne les constitutions et les statuts
particuliers n’est pas toujours clair310. Selon l’article 5 de la loi organique sénégalaise, « les
magistrats du siège sont inamovibles. Ils ne peuvent recevoir une affectation nouvelle, même
par voie d’avancement sans, leur consentement préalable » 311 . En vertu d’un tel principe
d’inamovibilité, le juge ne saurait être muté sans son consentement. Les conditions légales à
l’affectation ont fait l’objet d’une jurisprudence de la Cour constitutionnelle du Bénin très
appréciée par la doctrine de ce pays. Saisie d’une requête en constitutionnalité d’affectation
de magistrat, le juge constitutionnel béninois affirme que : « le respect du principe
d’inamovibilité exige que le magistrat du Siège ait été individuellement consulté à la fois sur
les nouvelles fonctions qui lui sont proposées et les lieux précis où il est appelé à les exercer ;
que les éléments de cette consultation constituent les conditions de la procédure minimale
exigée pour la garantie de l’indépendance des magistrats du Siège ; que la lettre précitée du
304
V. L. María Díez-Picazo, « La fonction jurisdictionnelle », Op. Cit.
305
Brou Olivier Saint-Omer Kassi, Francophonie et justice : contribution de l’organisation internationale de
la francophonie à la construction de l’état de droit, Thèse, Droit, Université de Bordeaux, 2015, p. 99.
306
Pour Esmein par exemple, il est peu utile d’encadrer le mode de nomination des juges d’autant plus que
l’inamovibilité suffit à les affranchir de l’emprise du pouvoir exécutif. Esmein Adhémar, Eléments de droit
constitutionnel et comparé, Tome 1, Paris, Recueil Sirey, 8e éd., 1927, p. 559.
307
Olivier Pluen, L’inamovibilité des magistrats : un modèle ?, Op. Cit., p. 32.
308
Loïc Cadiet, Découvrir la justice, Dalloz, Paris, 1997, p. 182.
309
Guy Canivet, « La conception française de la justice », en ligne, www.uio.no, consulté le 13 Janvier 2019.
310
Demba Sy, « La condition du juge en Afrique : l’exemple du Sénégal », Op. Cit.
311
Ordonnance n° 60-16 du 3 septembre 1960 portant loi organique sur l’organisation et le fonctionnement de la
magistrature modifiée par la loi organique n° 92-26 du 30 mai 1992.

60
Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, de la Législation et des Droits de l’Homme n’ayant
porté que sur le lieu d’affectation ne satisfait pas au principe d’inamovibilité des juges ; que
dès lors, les décrets d’affectation déférés ne sont pas conformes à la Constitution»312. Cette
décision illustre fort bien l’importance du rôle dont doit s’approprier les juridictions
constitutionnelles dans l’effectivité des garanties d’indépendance.

Le caractère absolu de la garantie est mis en échec par des exceptions légales tel que le
déplacement dans l’intérêt du service et par l’intérim 313 . Cet échec de l’inamovibilité est
d’autant plus perceptible qu’aussi bien le constituant camerounais de 1996, que le rédacteur
du décret portant statut de la magistrature au Cameroun est resté absolument muet sur la
question. L’article 6 alinéa 1 du décret précise l’option vers laquelle penche l’Etat
camerounais lorsqu’il dispose que : « les nominations, mutations, promotions, détachements,
[…], à la disposition ou à la retraite des magistrats sont décidés par décret ». L’introduction
d’un système de carrière au sein de la magistrature, en raison de sa complexité, a fortement
préjudicié à la lisibilité de la fonction impartie à l’inamovibilité. Le déplacement d’office du
magistrat est la norme en droit camerounais. Les mutations peuvent répondre à deux raisons.
Elles peuvent intervenir pour sanctionner une faute, ou être dictée par les nécessités de service
et de l’administration de la justice. L’inamovibilité en droit camerounais s’exerce
essentiellement sur l’emploi, le grade, c'est-à-dire la position administrative qui exprime la
place de l’intéressé dans la hiérarchie. Si le magistrat du siège reste inamovible dans son
emploi, il ne l’est pas en revanche dans sa fonction. Cette dernière désigne la catégorie de «
poste effectivement occupé(e) » par un magistrat. L’absence de l’inamovibilité absolue en
droit camerounais semble avoir été remplacée par les garanties offertes par l’encadrement de
l’avancement314. Dans une logique bureaucratique, fondée sur le juge-fonctionnaire comme
celui du Cameroun, « une garantie implacable d’inamovibilité n’est pas toujours compatible
avec la gestion des nécessités de service » 315 . Si l’indépendance personnelle du magistrat
semble relative, il est donc indispensable de s’attacher à l’analyse de son impartialité.

B. L’impartialité du tribunal

312
Cour Constitutionnelle du Bénin, Recueil des Décisions et avis, 1997. éd. CNPMS Porto-Novo, p. 137 à 141.
313
Demba Sy, « La condition du juge en Afrique : l’exemple du Sénégal », Op. Cit. p. 354-355 ; Voir aussi
Joseph Djogbenou, Bénin, Le secteur de la justice et l’Etat de droit, une étude de d’AfriMAP et l’Open Société
Initiative for West Africa, Publication du Réseau OPEN SOCIETY INSTITUTE, Dakar, 2010 ; Salif Yonaba,
Indépendance de la justice et droit de l’homme : Le cas du Burkina Faso, éd. Pioom, Netherlands, 1997 ; Baî
Irène Aimée Koovi, « Les mécanismes de garantie de l’indépendance judiciaire au Bénin et les enjeux de
réforme », Op. Cit.
314
Voir les Articles 6, 7, 26 et suivants du Décret de 1995 portant statut de la magistrature.
315
María Díez-Picazo, « La fonction jurisdictionnelle », Op. Cit.

61
57. L’indépendance et l’impératif d’impartialité sont « presque-frères jumeaux »316 avec
lesquels il ne faut pas composer car ils constituent la condition sine qua none du système
juridique entier 317 . Ce sont là, deux garanties essentielles à la bonne administration de la
justice et indispensables à la confiance que celle-ci doit inspirer. L’une est le début de la
garantie de l’autre318, utilisés parfois comme des concepts équivalents mais qui pour autant ne
se confondent pas. L’indépendance suppose l’absence de lien matériel ou intellectuel de
nature à affecter le jugement du tiers saisi qui constituerait un risque de prévention à l’égard
de l’une des parties. L’impartialité du tiers quant à elle suppose qu’il soit « dépourvu de
préjugés » 319 . La notion réfère à la capacité du tribunal d’éviter d’avoir une opinion, des
conclusions d’un litige sans avoir au préalable procédé à un débat contradictoire des parties en
cause. Pour madame Emmanuelle Jouannet, l’impartialité est « l’absence de parti pris, de
préjugé et de conflit d’intérêt chez un juge, un arbitre, un expert ou une personne en position
analogue par rapport aux parties se présentant devant lui ou par rapport à la question qu’il
doit trancher »320. Considéré par la Cour de cassation française comme « une indépendance
d’esprit »321, l’impartialité est soit personnelle (2), soit fonctionnelle (1).

1. L’impartialité fonctionnelle

58. L’impartialité fonctionnelle en tant que critère d’une bonne administration de la justice
conduit à se demander si certains faits vérifiables au sein d’un droit positif donné, offre des
garanties suffisantes excluant tout doute légitime. Celle-ci s’entend d’une « démarche (qui)
conduit à se demander, lorsqu’une juridiction est en cause, si, indépendamment de l’attitude
personnelle de tel ou tel de ses membres, certains faits vérifiables autorisent à mettre en
316
W. Brillat-Capello, « Le difficile argument de l’impartialité », Recueil Dalloz, 2020.
317
M.-A. Frison Roche, « L’impartialité du juge », Recueil Dalloz, 1999, 6e Cahier, Chronique, pp. 53-57.
318
L’utilisation ensemble dans les énoncés des textes juridiques de l’exigence du « droit à un tribunal
indépendant et impartial » est loin d’être anodine. Elle fait écho à la nécessité du premier principe pour garantir
le second. En ce sens, les magistrats privés d’indépendance sont dans l’impossibilité d’accéder à l’impartialité.
Dans une telle situation, il est légitime de soupçonner ces magistrats de partialité. Toutefois, il est utile de le
relever, l’indépendance n’entraîne pas systématiquement l’impartialité, elle est un moyen indispensable pour y
parvenir mais en aucun cas ne se confond avec elle ; un magistrat indépendant peut être partial.
319
W. Brillat-Capello, « Le difficile argument de l’impartialité », Op. Cit.
320
Emmanuelle Jouannet, « Actualité des questions d’indépendance et d’impartialité des juridictions
internationales : la consolidation d’un tiers pouvoir international ? », in Indépendance et impartialité des juges
internationaux, Sous la direction de Hélène Ruiz Fabri et Jean-Marc Sorel, Collection contentieux international,
éditions Pedone, 2010, pp. 271-302. Pour le juge canadien, « l’impartialité constitue la qualité fondamentale du
juge et l’attribut central de la fonction judiciaire. (…) L’essence de l’impartialité réside dans l’obligation qui
incombe au juge de divulguer une cause de récusation et d’aborder avec un esprit ouvert l’affaire qu’il doit
trancher, en évitant tout acte ou toute inclination conduisant une personne sensée et raisonnable à penser que le
juge privilégie une partie ou un résultat particulier », Ruffo (Re), 2006, R.J.Q. 26, au parag. 53.
321
La Cour de cassation l’a utilisée pour la première fois il y a un demi-siècle à une époque où l’arbitrage ne
bénéficiait pas de l’essor dont il bénéficie aujourd’hui pour annuler une convention d’arbitrage pour vice du
consentement de la partie qui ignorait une circonstance de nature à porter atteinte à cette qualité . Civ. 2e, 13 avril
1972, n° 70-12.774, Gaz. Pal. 1972. II. 17189.

62
cause l’impartialité de celle-ci » 322 . Elle se fonde principalement, sur le principe de la
séparation des fonctions caractérisé par la prohibition des cumuls des fonctions judiciaires (a),
et sur le droit au double degré de juridiction (b).

a. L’impartialité par la prohibition du cumul des fonctions judiciaires

59. Portée et défendue dans l’ordre juridique français par la Cour de cassation à chaque
fois que l’occasion s’y est prêtée, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire relevait déjà en
1960 l’existence d’un « principe absolu et de portée générale selon lequel les fonctions du
ministère public sont par essence incompatibles avec celles de juge »323 pour condamner la
présence d’un magistrat de la chambre d’accusation d’une juridiction inférieure ayant connu
de l’affaire en tant que représentant du ministère public. Les mêmes juges ont par la suite à
l’occasion d’un pourvoi pour lequel leur compétence était requise, refusé le droit de siéger
dans une Cour d’assises au « magistrat qui a été antérieurement conduit à porter une
appréciation sur les faits de viols et agressions sexuelles aggravés reprochés à l’accusé, à
l’occasion d’une instance en divorce opposant ce dernier à son épouse et au cours de laquelle
étaient invoqués les faits poursuivis »324. Les articles 127 et suivants325 du Code de procédure
pénale camerounais sont conformes au principe de séparation des fonctions de justice326 que
sont la séparation des fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement et parfois selon une
certaine classification celle de l’exécution 327 . La dimension centrale de l’impartialité
fonctionnelle du tribunal fondée sur l’idée de l’interdiction du cumul des fonctions de justice
dont véhicule le principe séparatiste signifie que chaque étape de la procédure doit être
confiée à une autorité distincte de la précédente. Un même magistrat ne saurait exercer

322
Charles Goyet, « Remarques sur l’impartialité du tribunal », Recueil Dalloz, 2001, p. 328 et s.
323
Cass. crim. 15 mars 1960, Bull. crim. n°148.
324
Cass. crim. 21 février 1996, Bull. crim. n°82.
325
Spécifiquement l’ensemble des articles 127 à l’article 426 du Code de procédure pénale.
326
Sur la systématisation du principe voir J.-L.-E. Ortolan, Eléments de droit pénal : pénalité - juridictions -
procédure suivant la science rationnelle, la législation positive et la jurisprudence avec les données de nos
statistiques criminelles, E. Plon Frères, Paris, 1855. L’auteur relève que, « […], la fonction correspond à chaque
effet particulier à produire, l’autorité ou la personne chargée de la fonction à chaque rouage de la force à mettre
en jeu. Pour savoir quelles sont les autorités à créer, il faut donc savoir préalablement quelles sont les fonctions à
remplir : car c’est pour la fonction qu’est faite l’autorité, et non pour l’autorité la fonction », p. 781 ; Voir aussi
Nicolas Jeanne, Juridictionnalisation de la répression pénale et institution du ministère public Etude
comparative France-Angleterre, Thèse, Droit, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 2015.
327
Certains auteurs distinguent trois fonctions, la poursuite, l’instruction et le jugement parmi ceux-ci figurent
Bernard Bouloc, Philippe Conte et Patrick Maistre du Chambon. D’autres en distinguent quatre, en adjoignant
aux fonctions précédentes la fonction d’exécution des peines : Geneviève Giudicelli-Delage. Une autre frange en
distingue quatre fonctions, en remplaçant l’exécution par la fonction de jugement de l’instruction : Franklin
Kuty. Voir ainsi utilement, B. Bouloc, Procédure Pénale, Dalloz, coll. Précis, 24ème éd., Paris 2014, n° 44, p.
38 ; P. Conte et P. Maistre du Chambon, Procédure pénale, Op. Cit. n° 74, p. 49 ; G. Giudicelli-Delage, «
Justice pénale », in L. Cadiet (dir.), Dictionnaire de la justice, Op. Cit. p. 782 ; F. Kuty, L’impartialité du juge
en procédure pénale, Larcier, Bruxelles, 2005.

63
simultanément plusieurs fonctions dans la même affaire. Il constitue la matérialisation de
l’idée selon laquelle les fonctions doivent être exercées en toute indépendance 328 tout en
assurant la spécialisation des organes329. De ce principe de la division du travail judiciaire en
matière répressive, il revient au ministère public d’exercer les poursuites, l’action publique et
l’exécution des décisions de justice. Au juge d’instruction rechercher les délits et leurs
auteurs, recueillir, rassembler les preuves, et livrer le tout à l’autorité chargée de juger. Ce
sont ici des opérations préliminaires, qui ont pour but principal de préparer tous les éléments,
tous les moyens propres à instruire le juge, et qu’on nomme à cause de cela les opérations
d’instruction330.

Enfin, à la juridiction de jugement composée des différentes degrés de juridictions


selon le type d’infraction et composée de juges n’ayant pas participé à l’instruction, revient la
charge de statuer conformément à la loi sur les faits dont elle est saisie et de prononcer, le cas
échéant, les peines et mesures prévues par la loi331, c'est-à-dire débattre, peser, discuter tout
l’ensemble des preuves, et finalement décider : « ou opération de jugement »332. Parce que
l’institution judiciaire doit se montrer irréprochable, les magistrats chargés de conduire les
différentes phases de la procédure doivent être constamment renouvelés. Telle est l’objectif
poursuivi par la séparation des fonctions impliquant le droit du justiciable à être jugé sans
partialité, sans parti pris. Par là-même, la séparation des fonctions constitue pour la procédure
pénale, ce que la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire est au droit public.
Son but est « d’instaurer un équilibre entre ces autorités et leurs pouvoirs : indépendantes les
unes des autres et donc impartiales, elles n’en procèdent pas moins à un contrôle mutuel »333,
un moyen de protection des libertés individuelles par le contrôle de l’office, des erreurs des
uns par les autres.

60. Sur l’orientation du principe séparatiste, le législateur camerounais semble avoir opté
pour une séparation stricte des autorités telle que posée par l’arrêt Piersack c. Belgique et plus

328
Pour Merle et Vitu, la règle de la séparation des autorités de poursuite, d’instruction et de jugement exprime
l’indépendance des juridictions d’instruction à l’égard du ministère public et des juridictions de jugement d’une
part, et des juridictions de jugement à l’égard des juridictions d’instruction et du ministère public. R. Merle et A.
Vitu, Traité de droit criminel, Tome II, Cujas, 2ème éd., Paris, 1973, n° 989, p. 215.
329
D. Roets, Impartialité et justice pénale, Rapport ?, n° 18, p. 43.
330
Nicolas Jeanne, Juridictionnalisation de la répression pénale et institution du ministère public Etude
comparative France-Angleterre, Op. Cit. p. 522.
331
Voir Article 288 du Code de procédure pénale
332
Nicolas Jeanne, Juridictionnalisation de la répression pénale et institution du ministère public Etude
comparative France-Angleterre, Op. Cit.
333
Ibid.

64
tard renforcé par la jurisprudence De Cubber c. Belgique334 de la CEDH fondée sur la théorie
de l’apparence appliquée à l’impartialité, elle-même dérivant de l’adage anglais bien connu
selon lequel, « Justice must not only be done, it must also be seen to be done ». Autrement dit,
le tribunal ne doit pas seulement être indépendant, il doit être perçu comme tel, c'est-à-dire
refléter une apparence d’indépendance. Il s’agit à titre de droit comparé, selon une analyse
faite par un auteur sur la question de l’impartialité en droit européen de l’homme – d’une
interprétation téléologique de la CEDH afin de réaliser le but de la Convention – de la théorie
de « l’apparence de partialité objective » ou encore « apparence de partialité
fonctionnelle »335. Principe séparatiste rigoureux, l’apparence de partialité fonctionnelle est
fondée comme l’exprime le vocable « apparence » sur l’observation que le justiciable peut
faire du fonctionnement quotidien des fonctions judiciaires. La seule constatation du cumul
des fonctions suffit pour qu’il y ait partialité ou apparence de partialité. C’est dire que, la
CEDH adopte une appréciation in abstracto du principe séparatiste, qui rime avec une
conception rigide de la séparation des fonctions 336 . Le seul fait pour un magistrat d'avoir
connu de l'affaire à quel que titre que ce soit lui interdit de participer à son jugement.
Appliqué au modèle camerounais de la séparation des fonctions de justice, la lecture des
dispositions du Code de procédure pénale relatives à l’information judiciaire conduite par le
juge d’instruction, juge du siège met en évidence une remise en cause de cette séparation
stricte par la double mission d’investigation et de juridiction du juge d’instruction à lui
expressément concédée par le législateur. Le juge d’instruction peut à titre d’illustration se
transporter sur toute l’étendue du ressort territorial de sa juridiction pour effectuer tous les
actes d’information utiles à la manifestation de la vérité, et notamment procéder à des
perquisitions et à des saisies337, convoquer ou faire citer tout témoin utile à la manifestation de
la vérité338, décider du placement en détention provisoire. Les décisions du juge d’instruction
pourraient par conséquent être sujettes à partialité en raison de ce cumul de l’investigation et
de son pouvoir de juridiction.

61. De plus, le critère fonctionnel de l’impartialité du magistrat peut être remis en cause
notamment par la faculté de se saisir d’office à l’exemple notamment des pouvoirs d’office du

334
CEDH, 26 octobre 1984, De Cubber c. Belgique, parag. 26.
335
Audrey Oudoul, L’impartialité des magistrats dans la procédure pénale française à l’aune du droit de la
convention EDH, Thèse, Droit, Université d’Auvergne - Clermont-Ferrand I, 2016, pp. 48 et s.
336
Charles Goyet, « Remarques sur l’impartialité du tribunal », Op. Cit. ; F. Kuty, L’impartialité du juge en
procédure pénale, Op. Cit. p. 313 ; J. Van Compernolle, « Évolution et assouplissement de la notion
d’impartialité objective, obs. sous l’arrêt Nortier », RTDH, 1994, p. 429 et s.
337
Article 177 al. 1 CPP
338
Cf. Article 180 CPP

65
juge des procédures collectives du droit uniforme OHADA 339 . Or, selon le principe de
l’impartialité par la division du travail judiciaire qu’incarne l’interdiction du cumul des
fonctions, une juridiction ne peut se saisir et rendre une décision dans la même instance. La
garantie du droit à un procès équitable nécessite en toute circonstance un juge impartial.
Qualité qui ne peut s’apprécier qu’au regard des conditions objectives qui entourent son
intervention. Pourtant, lorsque le tribunal est en mesure de se saisir lui même, c’est parce qu’il
estime qu’il y a lieu à statuer dans le sens pour lequel il s’est auto saisi. La finalité particulière
des procédures collectives qui mettent en avant certes, la protection des intérêts collectifs,
l’intérêt économique que la situation de l’entreprise en difficultés risque de compromettre
durablement justifieraient l’auto-saisine. Au soutien de ce pouvoir du juge national saisi d’une
question relative aux procédures collectives, monsieur Biboum Bikay affirme que, « dans sa
fonction anticipative, la saisine d’office permet d’éviter que les difficultés de l’entreprise ne
s’aggravent à cause de l’inertie des créanciers ou du débiteur lui-même. Il faut noter que le
législateur ne l’a prévue que pour les procédures de redressement judiciaire et liquidation
des biens. Cela suppose que l’état de cessation des paiements de l’entreprise soit avéré ou
risque de l’être si aucune mesure n’est prise. En plus, de l’état de cessation des paiements, la
condition juridique du débiteur peut justifier la faculté d’autosaisine du juge » 340 .
L’accomplissement d’une « telle mission justifie certainement l’existence des pouvoirs
d’office qui lui ont été attribués par le législateur du droit OHADA »341. Le juge légitime
aussi sa faculté de s’autosaisir en matière de contrôle des décisions du juge-commissaire342.
Sans doute, cette saisine d’office semble être fondée sur un motif d’intérêt général et utile,
mais il remet en revanche en cause l’impartialité du tribunal gage d’une bonne administration
de la justice et le principe dispositif qui fait du procès civil la chose des parties. Cette
possibilité pour le juge de s’auto saisir en cette matière du droit uniforme peut sérieusement
remettre en cause l’impartialité du juge national, juge de droit commun et faire courir un
grand risque à la mise en place d’une justice économique efficiente. Surtout, qu’on ne peut
espérer en l’état actuel du droit OHADA et de son juge de cassation, encore moins du juge

339
Voir F. Biboum Bikay, « Les pouvoirs d’office du juge des procédures collectives de l'Organisation pour
l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) et les principes cardinaux du procès », in Juridical
Tribune Volume 5, Issue 2, December 2015, pp. 233-254.
340
Ibid.
341
Ibid.
342
En effet, les décisions rendues par cet organe sont susceptibles d’opposition jugée hors sa présence. CCJA n°
07/2008 du 28 février 2008 : SFIC SA c/ Liquidation Banque Méridien BIAO Cameroun, Actualité juridique, n°
62, p. 64, Ohadata J-09-319. Par ailleurs, l’article 40, alinéa 2 de l’AUPC autorise la juridiction compétente à se
saisir d’office pour réformer ou annuler les décisions du juge-commissaire.

66
constitutionnel 343 des Etats membres, une position semblable à celle qu’adopta le conseil
constitutionnel français qui a décidé dans l’affaire société des Pyrénées et autres 344 que
relativement aux procédures collectives, la faculté d’auto-saisine du juge est
inconstitutionnelle 345 . Juger exige en effet une éthique, une éthique de l’impartialité, une
morale de l’équité, une discipline de l’indépendance346. Être juge économique, juge en charge
de l’application du droit OHADA, juge répressif, ou juge civil, c’est d’abord être juge. Il est
nécessaire dans la recherche d’une bonne justice que cette autorité soit neutre et garde une
certaine distance aussi bien par rapport aux parties, que des situations qui lui sont soumise347.

b. Le droit au double degré de juridiction348

62. La voie de recours est définie par le Professeur N. Fricero comme « un instrument
procédural permettant de remettre en cause une décision de justice, soit pour contester la
régularité de son élaboration (error in procedendo), soit pour contester le mal jugé (error in
juricando), dans l’appréciation des faits ou dans l’application du droit par le juge » 349 .
Doctrine et jurisprudence multiplierait les appellations pour une règle de droit dont le contenu
désigne dans la pratique une même réalité. Le double degré de juridiction en est une
illustration significative. Sous ses différentes acceptions, le principe du double degré de
juridiction vise de façon générale « les principes généraux du droit » pour déterminer les
modalités d’application du droit d’appel. Généralement, il est admis qu’il y a double degré de
juridiction lorsque la juridiction saisie statue sur des questions de fait et de droit et non pas
seulement sur des questions de droit350. En ce sens, le double degré de juridiction désigne le

343
L’article 10 du Traité contient bien une règle de supranationalité qui exclut tout examen de constitutionnalité.
Voir en ce sens, CCJA Avis N°001/2001/EP du 30 avril 2001 à la demande de la république de Côte d’Ivoire.
Lire aussi Jean Gatsi, « L’applicabilité et l’effectivité des normes », Revue communautaire de droit et des
affaires, n° 1 Janvier-Mars 2013, pp. 153-159, spéc. p. 154.
344
Conseil constitutionnel, QPC n° 2012-286 du 07 Décembre 2012, Sociétés Pyrénées services et autres.
345
Xavier Delpech, « Procédure collective : la faculté d’auto-saisine du juge est inconstitutionnelle », Recueil
Dalloz, 2014 ; Vincent Mosquet, « Sur la constitutionnalité de la saisine d’office en application de l’article L
631-15 II du Code de commerce », paru le 12 mai 2014 sur www.villagedelajustice.com consulté le 21 décembre
2020 à 21h07 ; Julien Fanen, « Redressement judiciaire : fin de la saisine d’office du tribunal », paru le 22
février 2013 sur www.villagedelajustice.com consulté le 21 décembre 2019.
346
Guy Canivet, « Réflexions préliminaires », in Pour une justice économique efficiente en Europe Enjeux et
perspectives d’une harmonisation, Centre de Recherche sur le Droit des Affaires, Actes de colloques du 4
Septembre 2017, p. 11.
347
D. Commaret, « Une juste distance ou réflexion sur l’impartialité du magistrat », Op. Cit. p. 53.
348
Faut-il parler de droit d’appel ou de double degré de juridiction ? L’une de ces deux notions englobe-t-elle
l’autre ? Recouvrent-elles toutes les deux un double examen au fond de l’affaire devant une juridiction
supérieure ou différemment constituée ? Voir sur la question Etienne Verges, Les principes directeurs du procès
judiciaire Etude d’une catégorie juridique, Thèse, Droit, Université Aix-Marseille, 2000, Introduction générale.
349
N. Fricero, « Double degré de juridiction :de la « bonne justice » à la « bonne administration de la justice »,
in S. Faye-Payot, et al, (dir.), La bonne administration de la justice, Op. Cit., pp. 67-72.
350
G. Cornu (dir), Vocabulaire juridique, Op. Cit, p. 310.

67
« droit pour une partie de bénéficier d’un double examen au fond de sa cause »351. Cette
définition met en exergue la certitude selon laquelle le droit d’appel est légitimement, un
élément essentiel du double degré de juridiction. Il trouve sa source en droit camerounais dans
les dispositions de la loi camerounaise portant organisation judiciaire mettant en exergue les
différents degrés de juridictions352. Considéré à juste titre comme un droit d’accès au juge, en
ce sens que la possibilité d’effectuer une voie de recours est admise353, le droit d’accès à la
cour d’appel354 ou encore droit au renouvellement du procès355 constitue la voie royale dans la
famille des voies de recours car elle symbolise le principe du double degré de juridiction. Le
processus d’appel est destiné à faire réformer par la Cour d’appel la décision du juge
inférieur, traduction à son égard de la considération de « degré supérieur de confiance ».
D’une part, il protège le justiciable contre l’éventuelle partialité du ou des premiers juges356 ;
d’autre part, double degré de juridiction et droit au recours en cassation constituent
incontestablement des instruments de contrôle de la qualité des jugements et arrêts sur le fond
et sur le droit357. Aussi, dans le souci de rendre une meilleure justice, le principe directeur du
double examen de l’affaire tient-il une place de choix au sein de la notion de tribunal
indépendant et impartial358.

63. Le processus du double degré irrigue l’ensemble du droit camerounais, aussi bien en
matière pénale, qu’en matière civile et commerciale et la possibilité de former un appel contre
une décision de justice a toujours été considéré comme une garantie de « bonne justice »359.
L’ensemble de l’organisation judiciaire est établie sur le fondement d’un « principe de double
degré de juridiction » comportant les juridictions d’instance chargées d’appliquer la règle de
droit appropriée en premier ressort, puis les cours d’appel. Plus concrètement, en matière
pénale, on retrouve ce principe dans les règles contre les actes pris par le Juge d’Instruction au
stade de l’information judiciaire. Les recours contre les actes du Juge d’Instruction sont régis

351
Etienne Verges, Les principes directeurs du procès judiciaire Etude d’une catégorie juridique, Op. Cit. p.
421. Par conséquent tout recours exercé devant une juridiction qui ne statue que sur des points de droit, n’est pas
un degré de juridiction.
352
Loi n° 2006/015 du 29 décembre 2006 portant Organisation judiciaire, modifiée et complétée par la loi
n° 2011/027 du 14 décembre 2011, Articles 3, 13 et suivants.
353
M.S.J. Mgba Ndjié, « De l’application du principe du double degré de juridiction en procédure pénale
camerounaise », Misión jurídica Revista de Derecho y Ciencias Sociales Bogotá, D.C., (Colombia), n° 13, 2017,
Julio-Diciembre, pp. 93-108.
354
Jean-Pierre Marguénaud, « Le droit d’accès à la cour d’appel », RTD Civ., 2011 p. 313.
355
Natalie Fricero, Procédure civile, 16e éd. Collection « Mémentos », 2020, Gualino, Lextenso, p. 167.
356
Ibid. p. 130 ; J. Van Compernolle et Achille Saletti (dir.), Le double degré de juridiction Etude de droit
comparé, Bruxelles, Bruylant, 2010.
357
Ibid. p. 149.
358
J-L. Gillet, « Le second degré de juridiction en matière civile, sa place et sa portée », Gaz Pal., 1996, 2, doct,
p. 996.
359
On peut le lire dans René Morel, Traité élémentaire de procédure civile, Sirey, Paris, 1932, p. 132.

68
par les articles 267 à 287 du Code de procédure pénale. Aux termes de l’article 267 de ce
texte, « les actes du Juge d’Instruction peuvent être frappés d’appel devant la Chambre de
Contrôle de l’Instruction, dans les formes et délais prévus aux articles 271 et 274 ». La
séparation des fonctions de poursuite et d’instruction tant voulue par la doctrine à la suite de
l’unification de ces fonctions intervenue en 1972 360 , a été entendue par le législateur
camerounais 361 , au point où l’on y a vu un pan de la construction de la justice pénale
impartiale au Cameroun362. Le législateur de la procédure pénale a institué une chambre de
contrôle de l’instruction au sein de chaque Cour d’appel 363 , une procédure devant ladite
instance définie par les articles 274 et suivants. Le double examen des décisions du juge
d’instruction est aussi perceptible dans les termes de cet article du Code de procédure pénale
qui dispose que : « le Ministère Public peut, sauf dispositions contraires, interjeter appel
contre les ordonnances rendues par le Juge d’Instruction »364. Du deuxième syntagme de
l’énoncé de ce texte, on peut déduire un droit général au double degré de juridiction
d’instruction au profit du ministère public. Le même constat peut être établi en matière de
pourvoi. Les décisions de la Chambre du contrôle de l’instruction sont susceptibles d’être
contestées devant la Cour Suprême365. Loin d’être exhaustif, la possibilité de faire valoir son
droit au double degré de juridiction n’a pas été limitée.

64. En matière civile et commerciale, L’exercice de la voie de recours est l’expression


d’une garantie fondamentale communautairement protégée. L’Acte uniforme sur les voies
d’exécution identifie la juridiction compétente « pour toute demande à une mesure
d’exécution forcée ou à une saisie conservatoire » 366 . De plus, la lecture combinée des
Articles 49 alinéa 2 qui dispose que : « sa décision est susceptible d’appel à compter de son
prononcé. Le délai d’appel comme l’exercice de cette voie de recours n’ont pas de caractère
suspensif, sauf décision contraire spécialement motivée du président de la juridiction
compétente », et 172 du même texte aux termes duquel « la décision de la juridiction
tranchant la contestation est susceptible d’appel dans les quinze jours de sa notification. Le

360
Voir F. Anoukaha, « Le Procureur de la République, « JANUS » de la magistrature camerounaise », Penant
1985, pp.111 et s.
361
J.C. Mebunchimi, « Le procureur de la république décoiffé de sa casquette de magistrat instructeur… », In
J.M.Tchakoua (dir.), Les tendances de la nouvelle procédure pénale camerounaise, Vol.1, 2007, pp. 241 et s.
362
Spener Yawaga, « Le retour du juge d’instruction et son impact sur la construction d’une justice pénale
impartiale », De l’esprit du droit africain, Mélanges en l’honneur de Paul Gérard Pougoué, Wolters Kluwer,
2014, pp.769-799.
363
Code de procédure pénale, Article 272.
364
Code de procédure pénale, Article 268.
365
Ibid.
366
Article 49 alinéa 1.

69
délai pour faire appel ainsi que la déclaration d’appel sont suspensifs d’exécution sauf
décision contraire spécialement motivée de la juridiction compétente » consacrent le principe
du double degré de juridiction pour les procédures sus-évoquées. La CCJA va s’inspirer de
ces dispositions de l’AUPSRVE, véritable droit procédural uniforme pour imposer le respect
du principe du double degré de juridiction, dans l’ensemble des litiges relatifs à l’exécution
des décisions de justice. A cet effet, l’auguste juridiction déclare que le texte qui attribue
compétence au « président de la juridiction statuant en matière d’urgence pour connaitre de
tout litige […] et que d’autre part l’article 172 du même Acte Uniforme a institué le double
degré de juridiction »367. Par conséquent, en se déclarant compétent, le premier président de la
Cour d’Appel d’Abidjan a violé les dispositions sus-évoquées normalement applicables en la
cause, d’où la cassation de l’ordonnance rendue par cette juridiction pour incompétence. La
cour détermine par conséquent le caractère d’ordre public des dispositions de cet Acte
uniforme. Les juridictions de droit commun ne peuvent se dérober d’assurer l’effectivité du
droit d’appel des justiciables s’il ne veulent soumettre leur décision à la sanction du juge
chargé d’assurer l’application conforme du droit des activités économiques OHADA.

65. En outre, de la lecture des articles 13 et 14 du Traité, il peut être déduit, l’impérieuse
obligation pour les juridictions étatiques d’appliquer spécifiquement le principe du droit à un
renouvellement du procès et des voies de recours en général dans les litiges impliquant
l’application du droit des affaires africain. La substance du texte est la suivante : « le
contentieux relatif à l’application des actes uniformes est réglé en première instance et en
appel par les juridictions des Etats-Parties » 368 . Cependant, l’article 14 du traité, énonce
quelque atténuation à cette obligation des Etats de respecter le principe du droit d’appel. Selon
le texte « Saisie par la voie du recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions
rendues par les juridictions d’Appel des Etats Parties dans toutes les affaires soulevant des
questions relatives à l’application des Actes uniformes […] se prononce dans les mêmes
conditions sur les décisions non susceptibles d’appel rendues par toute juridiction des Etats
Parties dans les mêmes contentieux ». Autrement dit, la cour a compétence pour se prononcer
sur les décisions n’ayant pas objet d’appel – car rendues par les juridictions de premier degré
– à condition que cette décision soit insusceptible d’appel. C’est une constante, il appartient
au juge de cassation de déterminer et d’assurer l’effectivité des principes protecteurs qu’il
transpose dans le système de droit OHADA. Une autre mise en œuvre du double degré de

367
CCJA, Affaire 012/2002, Total Fina Elf c/ Cotracom, Op. Cit.
368
Article 13 du Traité.

70
juridiction inspirée par l’efficacité procédurale résulte de la possibilité pour la Cour d’appel
saisie d’une simple question de procédure, et même de la CCJA d’étendre sa saisine à
l’examen sur le fond du dossier : c’est l’évocation. Le droit au renouvellement du procès,
droit au recours effectif tient une place 369 significative dans l’ensemble des normes
applicables au Cameroun. Il mérite d’être considéré comme un mécanisme juridique
permettant d’éviter une décision injuste370.

66. Le principe du double degré de juridiction et l’application que l’on en fait détermine la
conduite efficace ou non du procès. Il permettra selon le cas, de se prémunir contre les risques
d’erreur des juges371 ayant statué en premier ressort en redressant l’erreur de fait commise par
ce dernier. En concevant l’appel non comme une voie de réformation, mais comme une voie
d’achèvement du litige, il est alors possible de donner à cette institution les moyens de
répondre globalement et définitivement à l’ensemble des questions soulevées tout au long de
l’instance372. C’est la seule méthode qui permette d’envisager le règlement efficace du conflit.
Le principe du double degré de juridiction est une garantie d’impartialité et de qualité des
décisions de justice 373 . Pour que l’impartialité objective soit efficace, grâce à sa mise en
œuvre, elle a été renforcée par l’impartialité personnelle.

2. L’impartialité personnelle

67. L’exigence d’une impartialité subjective qu’impose le droit positif au juge à l’opposé
de la dimension objective, ne réside pas qu’à des incompatibilités fonctionnelles qui
s’analysent comme l’interdiction pour un juge de connaître d’une affaire dans laquelle il est
déjà intervenu. Elle réside dans la personne du magistrat. Monsieur A. Kojève soutenait la
délicatesse à appréhender l’impartialité du tiers. Si elle traduit pour lui une exigence
fondamentale, elle constitue en même temps un comportement impossible à atteindre car ne
369
Pour plus de détails sur la question en droit OHADA consulter entre autres, Félix Fanou, « La place du
recours en cassation en droit communautaire OHADA », Revue de l’ERSUMA, Droit des affaires, Pratique
Professionnelle, n° 4, Septembre 2014, Doctrine ; P.G. Pougoué, Idrissa Kéré, J. Fometeu, Augustin Berceau
Omgba, « Règlements et décisions », in Encyclopédie du droit OHADA, Op. Cit, pp.1566-1599 ; Jean-Marie
Tchakoua, « L’arbitrage selon l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage », in Encyclopédie du droit
OHADA, pp. 236-292 ; Pierre Meyer, « Arbitrage sous l’égide de la CCJA », in Encyclopédie du droit OHADA,
pp. 293-320 ; Solène Ringler, « Un procès équitable sans juge, le choix de l’arbitre », in Benjamin Lavergne
(ed.), Mehdi Mezaguer (éd.), Regards sur le droit au procès équitable, Toulouse : Presses de l’université
Toulouse 1 Capitole, 2012, p. 25-40, disponible sur http://books.openedition.org/putc/578.
370
Iréné Aclombessi, « La solution du litige en droit OHADA », in Konrad Adenauer Stiftung, Librairie
africaine d’Etudes juridiques, Volume 10, 2012, pp. 1-20.
371
M.-A. Frison Roche, « L’erreur du juge », RTD Civ, Octobre-Décembre, 2001, pp. 819-831 ; Ch. Atias,
« L’erreur grossière du juge », Dalloz, 1998, Chron., pp.280-282.
372
E. Verges, Les principes directeurs du procès judiciaire Etude d’une catégorie juridique, Op. Cit. p. 151.
373
Natalie Fricero, « La qualité des décisions de justice au sens de l’article 6 § 1 de la Convention européenne
des Droits de l’Homme », La qualité des décisions de justice, Op. Cit, p.49-59.

71
peut être accompli que par un Dieu 374 . Ce qui nécessiterait pour l’auteur, non pas une
impartialité relative, mais radicale dénuée de tout ce qui est de nature à affecter son jugement
et par conséquent faire preuve tel un moine, d’une ascèse parfaite, c’est-à-dire faire
abstraction de conflits d’intérêts375, de toutes ses précompréhensions, ses préjugements et ses
déterminants sociaux376. Loin de l’ascèse requise, le juge ou le tribunal remplit l’exigence
d’impartialité lorsqu’il « ne préjuge pas une question et ne manifeste pas de préférence pour
une partie »377. On s’éloigne de la dimension externe, des manifestations extérieures de la
partialité garantie par la séparation stricte ou souple des fonctions judiciaires pour requérir du
tiers désigné une impartialité interne précise ; celle qui relève cette fois de son attitude
subjective et de son éthique, dans la mesure où on touche aux mécanismes de pensée à
l’œuvre dans la conscience du juge et donc à un domaine qui échappe précisément au droit378.
En cela, les difficultés soulevées par l’impartialité sont plus importantes que celles liées à
l’indépendance car, on n’a plus affaire à une situation externe mais au « for interne du juge
»379. L’impartialité subjective réside dans les « convictions » personnelles du juge, celles à
même de guider son choix. Ici, la « personne du juge l’emporte sur la fonction qu’il exerce

374
A. Kojève, Esquisse d’une phénoménologie du droit, Gallimard, Bibliothèques des idées, 1981, p. 75. La
relation entre l’impartialité radicale à laquelle fait allusion A. Kojève et les écrits des textes sacrés semble
établie. Car il est il est demandé au magistrat indifféremment de la fonction juridictionnelle exercée d’incarner
l’impartialité et « juger sans considération de personnes. Vous écouterez le petit comme le grand ; sans crainte
de personne, car le jugement relève de Dieu ». (Deutéronome, 1, 17, Bible Chrétienne version Louis Second) «
Tu ne feras pas fléchir la justice et tu n'auras pas égard aux personnes ; tu n'accepteras pas de présents, car les
présents aveuglent les yeux du sage et compromettent la cause des justes». (Deutéronome, 16, 19). Voir aussi G.
Wiederkehr, « Qu'est-ce qu'un juge ? », In Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs ? Mélanges en l'honneur de R
Perrot, Dalloz, 1996, p. 575, spéc. p. 582, pour qui l'impartialité est, en effet, une vertu inhérente à la fonction de
juger, si ce n’est la première de ses vertus.
375
Intérêt et désintérêt semble notamment être le centre de la notion d’impartialité. Intérêt pour les parties au
procès et désintérêt pour le juge. Cependant, l’idée du désintéressement du juge, assise et recherchée par les
règles de procédure, ne signifie pour autant pas qu’il est totalement désintéressé. Cela veut dire que l’intérêt
personnel, concret du juge saisi n’entre pas en compte et qu’on en recherche les traces éventuelles en détectant
de possibles « conflits d’intérêt » pouvant exister à propos d’une affaire donnée. D’où l’absence d’impartialité
radicale ou complètement désincarnée défendue par le théoricien A. Kojève. Le seul intérêt qui devrait animer le
tiers (arbitre, juge étatique, conciliateur, médiateur) est celui de régler le différend et de rendre la justice. Cette
compréhension d’une impartialité non neutre permet ainsi au juge de conserver un regard critique sur son propre
discours et ne pas s’enfermer dans une prétention à la neutralité à laquelle plus beaucoup de personnes ne
croient. Une impartialité entendue de façon trop radicale comme celle requise du divin au regard « de la stricte
neutralité ou du complet désintéressement du juge est impossible à exiger quels que soient les malheureux efforts
d’abstraction que le juge pourrait faire en ce sens ». A. Kojève, Esquisse d’une phénoménologie du droit, Op.
Cit.
376
E. Jouannet, « Actualité des questions d’indépendance et d’impartialité des juridictions internationales : la
consolidation d’un tiers pouvoir international ? », in Indépendance et impartialité des juges internationaux, Op.
Cit, pp. 271-302.
377
A. Kojève, Esquisse d’une phénoménologie du droit, Op. Cit.
378
E. Jouannet, « Actualité des questions d’indépendance et d’impartialité des juridictions internationales : la
consolidation d’un tiers pouvoir international ? », Op. Cit.
379
Ibid.

72
» 380 . Le grief de partialité est fondé sur les convictions – préjugés religieux, moraux,
politiques ou sur un lien trop étroit avec l’une des parties etc. – et le comportement personnel
du magistrat. « Ce type de partialité est le plus connu et le plus craint du public tant il
s’apparente à de la forfaiture, à la violation de l’idéal de la justice » 381 . Le magistrat
impartial vis-à-vis des parties doit s’abstenir d’entretenir des liens suspects avec les parties et
ne doit pas avoir d’intérêt personnel, de quelque ordre que ce soit, dans l’affaire qui lui est
soumise. Un juge impartial désintéressé doit pouvoir rendre un jugement sans tenir compte de
ses intérêts propres ou de sa situation personnelle. Un juge sans idées préconçues ne doit pas
avoir préjugé l’affaire sous peine d’être pré-conditionné par ce premier jugement382. Ainsi,
l’impartialité personnelle du magistrat se présume jusqu’à preuve du contraire 383 . En
conséquence, parvenir à renverser cette présomption est très difficile car il s’agit d’émettre
des doutes quant à l’apparence d’impartialité par une démonstration concrète de la partialité
du juge. La condition de l’impartialité objective par la séparation des fonctions fournissant
une garantie supplémentaire en faveur du juge.

68. Toutefois, la sanction procédurale semble être le moyen le plus adéquat permettant de
rétablir le respect d’un principe de procédure. L’action procédurale sanctionnant les
magistrats est dominée par le principe d’impartialité. Le devoir d’indépendance et
d'impartialité est également imposé par sa nature juridictionnelle à l'arbitre384. Le principe
directeur va ouvrir la voie à la récusation 385 , mécanisme ayant pour finalité d’évincer du

380
Audrey Oudoul, L’impartialité des magistrats dans la procédure pénale française à l’aune du droit de la
convention EDH, Op. Cit. p. 18.
381
Ibid., p. 60.
382
Ibid. ; E. Jouannet, « Actualité des questions d’indépendance et d’impartialité des juridictions
internationales : la consolidation d’un tiers pouvoir international ? », Op. Cit. p. 293.
383
La Cour EDH a admis pour la première fois cette présomption d'impartialité personnelle dans son arrêt
CEDH, 23 juin 1981, Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique, requêtes n° 6878/75 ; 7238/75, §58.
384
Cass. 1re civ. 16 mars 1999, D. 1999, Jur. p. 497, note P. Courbe. L'indépendance et l'impartialité de l'arbitre
peuvent être mises en cause si est établie l'existence de « toute circonstance de nature à affecter le jugement de
celui-ci et à provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable sur ces qualités, qui sont de l'essence
même de la fonction arbitrale ». Même s'il est impossible de transposer purement et simplement le concept
d'impartialité développé par la Cour européenne des droits de l'homme et par la Cour de cassation pour le juge
étatique, la démarche suivie par la Haute juridiction dans le domaine de l'arbitrage n'en est pas très éloignée.
Voir Pierre Boubou, « La notion de l’indépendance et l’impartialité de l’arbitrage dans le droit OHADA »,
Ohadata D-05-05 ; B. Bayo Bybi, « L’efficacité de la convention d’arbitrage en droit OHADA », in Revue de
l’Ersuma, Mars 2013 ; Eric Loquin, « La bonne administration de la justice arbitrale », in S. Faye-Payot, H.
Farge, D. Garreau, M. Luc-Thaler (dir.), La bonne administration de la justice, Op. Cit., pp. 73-94 ; Yves
Capron, « L’arbitrage interne Composition et constitution du tribunal arbitral », Bulletin d’information de la
Cour de cassation, Hors série, téléchargé depuis le lien www.courdecassation.fr.
385
Instituer dans l’objectif d’écarter ou révoquer un magistrat de l’exercice de ses fonctions dans un dossier, la
récusation du magistrat peut être définie comme un droit à la disposition de toute partie au procès et l’acte « de
défense contre le soupçon avéré de partialité » d’un magistrat, un arbitre, un technicien, un expert dans les cas
spécifié par la loi. Voir N. Fricero, Sophia Antipolis, « Récusation et abstention des juges : analyse

73
procès un magistrat qui ne possède pas cette qualité 386 . La possibilité de récuser un juge
soupçonné de partialité est autorisée en principe dans toutes les procédures judiciaires en droit
camerounais. L’action procédurale tire son fondement juridique en matière pénale des articles
591 à 599 du Code de procédure pénale (CPP), dont les causes y sont exhaustivement
énumérées387. L’article 592 du CPP prévoit une procédure d’abstention qui ne fera pas ici
l’objet d’une attention particulière 388 ainsi que la prise à partie objet des dispositions des
articles 246 à 257 du Code de Procédure Civile et Commerciale (CPCC)389. Tenant compte de
la spécificité du juge privé qu’est l’arbitre, la jurisprudence390 considère que les causes du
défaut d’indépendance de l’arbitre ne se limitent pas aux causes de récusation prévues pour
les magistrats par le code de procédure pénale et le code de procédure civile, mais résultent de
toutes circonstances de nature à affecter le jugement de celui-ci (Articles 5 et 8 de l’Acte
uniforme sur le droit de l’arbitrage (AUDA). L’arbitre est tenu de révéler tous faits de nature à
créer dans l’esprit des parties un doute légitime sur son indépendance ou son impartialité
(Article 7 de l’AUDA). Le périmètre de cette obligation est plus large que les faits

comparative de l'exigence commune d'impartialité », in Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel,


2013/3 n°40, pp. 37-48, spéc. p. 40.
386
E. Verges, Les principes directeurs du procès judiciaire Etude d’une catégorie juridique, Op. Cit. p. 430.
387
Des dispositions de cet article 591 la récusation du juge du siège résulte de a) si lui-même ou son conjoint est
parent, tuteur ou allié de l’une des parties jusqu’au degré d’oncle, neveu, cousin germain et cousin issu du cousin
germain inclusivement ; b) si lui-même ou son conjoint est employeur, employé de l’une des parties, héritier
présomptif, donataire, créancier, débiteur ou une personne qui mange habituellement à la même table que l’une
des parties, administrateur de quelque établissement ou société partie dans la cause ; c) s’il a déjà connu de la
procédure ou s’il a été arbitre, conseil ou témoin ; d) si lui-même ou son conjoint a un procès devant être jugé par
l’une des parties ; e) s’il y a eu entre lui-même ou son conjoint et l’une des parties, toute manifestation d’amitié
ou d’hostilité pouvant faire douter de son impartialité.
388
Aux termes des dispositions de cet article « Tout magistrat du siège qui sait qu’il existe en sa personne une
cause de récusation (…) ou qui estime qu’il a de bonnes raisons de s’abstenir de connaître d’une affaire, doit en
informer son supérieur hiérarchique ». L’abstention est une action équivalente à la récusation dotée d’un effet
préventif mais à l’initiative du juge. Si celui-ci constate qu’une cause de récusation existe à son encontre, ou
encore, qu’il estime « en conscience » devoir s’abstenir, il lui est donné la possibilité de demander à son
supérieur hiérarchique, dans le cas d’espèce le président de la juridiction à être remplacer. Ce mécanisme
possède plusieurs avantages sur la récusation. Outre son caractère préventif car il permet d’obvier et de se mettre
à l’abri des désagréments d’une éventuelle récusation en cours d’audience, d’apprécier sa propre partialité, de
jauger ses propres convictions dans le traitement d’un dossier et de se placer à l’écart de toute suspicion. Voir
pour plus de développements C. Ango Assoumou, Les garanties d’impartialité du juge dans le Code de
procédure pénale, Mémoire DEA, Université Yaoundé II – Soa, 2008 ; A. Minkoa She, Droit de l’homme et
droit pénal au Cameroun, Paris, Economica, 1999, pp. 186 et s. ; N. Fricero, S. Antipolis, « Récusation et
abstention des juges : analyse comparative de l'exigence commune d'impartialité », Op. Cit. ; Ph. Nérac, « Les
garanties d’impartialité du juge répressif », JCP 1978, I, 2890 ; Cécile Chainais, Frédérique Ferrand, S.
Guinchard, Procédure civile Droit interne et européen du procès civil, Op. Cit. ; Sargos, « Devoir
d'impartialité, fondement de la légitimité du juge dans un État démocratique », Discours de rentrée du premier
président de la Cour d’Appel de Rouen, Gaz. Pal. 24 au 26 mai 1992.
389
Voir sur la question A. D Wandji Kamga, Le droit à l’exécution forcée Réflexion à partir des systèmes
juridiques Camerounais et français, Thèse, Droit, Université de Yaoundé II – Soa, Université de Limoges, 2009,
pp. 242-243.
390
Arbitrage, Sentence, Recours en annulation, Tribunal irrégulièrement composé, Applications diverses,
Courant d’affaires entre un arbitre et les sociétés d’un même groupe 1re Civ., 20 octobre 2010, Bull. 2010, I,
n°204, pourvoi n° 09-68.131 ; 1re Civ., 20 octobre 2010, Bull. 2010, I, n° 204, pourvoi n° 09-68-99.

74
susceptibles de causer la récusation du juge. Une fois de tels faits révélés, l’arbitre ne peut
être désigné qu’avec l’accord des deux parties. Le défaut de révélation est sanctionné par la
récusation de l’arbitre si le fait caché est connu lors de l’instance arbitrale ; par la nullité de la
sentence s’il est connu après son prononcé si et seulement si les faits révélés portent atteinte à
l’indépendance ou l’impartialité de l’arbitre391.
En matière civile et commerciale, la récusation du juge civil est fondée légalement sur
les termes de l’article 159 du CPCC qui pose les conditions de la récusation de tout juge sur
qui pèseraient des soupçons évidents de partialité. Depuis l’avènement du droit OHADA et
l’entrée en vigueur de l’Acte Uniforme sur les Procédures simplifiées de recouvrement et
voies d’exécution (AUPSRVE), le Juge du contentieux de l’exécution (JCEX) de l’article 49
de cet acte uniforme et de la loi Camerounaise instituant le juge du contentieux de
l’exécution392 et tout autre juge auquel est reconnu cette qualité sont soumis aux règles de
l’impartialité du tribunal et donc à la récusation. La récusation du juge de la CCJA par contre,
est un concept inconnu des règles de droit dérivé et primaire du droit OHADA. Et pour cause,
il n’est pas possible de récuser un juge, puisque le concept même de récusation est étranger à
ce droit des affaires. Les rédacteurs du droit originaire et dérivé du droit uniforme de
l’OHADA et les juges de la CCJA semblent en l’état actuel de ce corpus juridique avoir
choisi l’option contraire. La juridiction de cassation ohadienne s’est prononcée à ce sujet à
l’occasion d’une espèce sur la possibilité offerte ou non de récuser l’ensemble des juges de la
Cour. Elle y décide que : « la demande en récusation de tous les juges composant la CCJA est
irrecevable, dès lors qu’il ne résulte ni du traité constitutif de l’OHADA, ni du règlement de
procédure de la CCJA, la possibilité de récusation d’un juge, à fortiori de tous les juges
composant la juridiction communautaire et que la demanderesse, qui a elle-même reconnu à
l’occasion de sa plaidoirie que sa demande ne repose sur aucun fondement juridique ne
rapporte à l’appui de sa requête, aucune preuve des faits qu’elle allègue et n’offre de le
faire » 393.
Si la récusation du juge est une garantie pour s’assurer de l’absence ou encore la
négation de partis pris, d’influences et de préjugés de la part du juge, c’est le lieu de relever
cependant que, la récusation ne peut être dirigée contre tout juge. Elle doit être initiée contre

391
Pierre Boubou, « La notion de l’indépendance et l’impartialité de l’arbitrage dans le droit OHADA », Op.
Cit.
392
Loi n°/2007/001 du 19 avril 2007 instituant le juge du contentieux de l’exécution et fixant les conditions de
l’exécution au Cameroun des décisions judiciaires et actes publics étrangers ainsi que les sentences arbitrales
étrangères.
393
CCJA, Ass. Plén. Arrêt Avant-Dire-Droit n° 084/2015 du 18 juin 2015, Etat du Bénin c/ Société Bénin S.A,
Sté Commune de participation dite SCP-SA, Monsieur Patrice Talon.

75
les juges uniquement appelés à connaître l’affaire, et enchâssée dans un délai précis. La
récusation peut être demandée jusqu’à la clôture des débats mais la partie qui souhaite s’en
prévaloir doit faire preuve de diligence. Elle a l’obligation de former sa requête dès qu’elle a
connaissance de l’existence d’une cause de récusation à peine d’irrecevabilité. A titre
indicatif, un arrêt rendu le 19 décembre 2018 par la première chambre civile de la Cour de
cassation française décide que la requête en récusation est tardive dès lors qu'elle a été
introduite plus d'un mois après que la partie eut reçu les renseignements qui auraient altérés sa
confiance dans le président du tribunal394. Avant le début de la plaidoirie, les magistrats du
siège ou ceux du Ministère public lorsqu’ils sont parties jointes 395 , les avocats lorsqu’ils
complètent une juridiction, les magistrats commis pour procéder aux mesures d’instruction ou
délégués à une procédure quelconque, peuvent faire l’objet, de la part des parties ou de l’une
d’elles, d’une procédure de récusation. Au regard des effets396 que la récusation va générer si
elle est admise397, celle-ci ne saurait s’étaler durablement dans le temps. Certes la protection
légitime des intérêts du justiciables justifie l’impartialité subjective du juge, cependant,
l’exercice de la récusation doit aussi ménager les impératifs pragmatiques de bon
fonctionnement de la justice. Il faut en effet éviter que les plaideurs utilisent cette exigence
comme une arme contre le juge, qui a un « droit tout aussi légitime à être respecté dans sa
fonction, ou comme un instrument de stratégie procédurale pour remettre en cause
indirectement la décision rendue » 398 . Clôture des débats après laquelle le plaideur est
irrecevable à invoquer l’éventuelle partialité du juge, que ce soit sous la forme d'un appel ou
d'un pourvoi en cassation : il est présumé avoir renoncé à se prévaloir de l’exigence
d’impartialité du juge399.
Dans la pratique, la demande de récusation doit être fondée sur une preuve de la
partialité du juge. La preuve reste difficile et c’est en cela d’une part que réside le problème
394
Récusation du juge Tonye Pierre président du TPI Yaoundé Centre administratif introduite par le journaliste
Dieudonné Ambassa, Cour d’Appel du Centre, Arrêt n° 183/CIV du 06 Juin 2006, requête rejetée pour avoir été
introduite longtemps après l’ouverture des débats ; Arrêt n° 1220 du 19 Décembre 2018 (16-18.349), Cour de
cassation, Première chambre civile.
395
Article 161 CPCC.
396
Le remplacement du juge récusé, mal appliquée, elle risque de constituer une atteinte à l'honorabilité et à la
dignité de la magistrature. Dans ce sens, la récusation des juges sans fondement peut porter atteinte à la
considération et à l'honorabilité du juge. Voir Cl. Shamashanga Minga, « Récusation du Juge dans la
Procedure Civile : Cadre Juridique et Enjeux Actuels », In Librairie Africaine d’Etudes Juridiques 6, 2019, pp.
186-204.
397
Admise, la récusation permet à la Cour d’Appel par exemple de renvoyer l’affaire devant un autre membre de
la juridiction à laquelle appartient le juge récusé. Voir Ordonnance n°47/CAB/PCA/Douala du 19 mai 2000,
inédit qui confirme la récusation du juge dans l’affaire MP et enfants Ngangue c/Ebene Seke Jean Bernard et
recompose la Cour collégiale.
398
Natalie Fricero, « La qualité des décisions de justice au sens de l’article 6 § 1 de la Convention européenne
des Droits de l’Homme », Op. Cit.
399
Ibid.

76
de la récusation, d’autre part, le risque pour le plaideur de payer une amende et même des
dommages et intérêts en cas de demande irrecevable apparaît comme une technique de
dissuasion des parties400. Car pour être établie, c’est au récusant qu’incombe la preuve. S’il est
plus ou moins facile d’établir l’alliance ou la parenté du juge avec l’une des parties, il en est
autrement des autres causes de récusation. En outre, la démonstration des croyances et
opinions du juge à elle seule ne saurait emporter la récusation du tiers saisi. L’établissement et
l’influence que ses affinités avec l’une des parties, croyances et opinions sont de nature à
remettre en cause le prononcé d’une décision impartiale sont capitaux. Cela justifie le rejet
dans la majorité des cas, des demandes en récusation du juge401.

69. La juridiction, pierre angulaire de l’effectivité du droit402, l'impartialité de l’arbitre, du


magistrat « âme du délibéré »403, est devenue aujourd'hui un principe directeur du procès.
Aussi, la possibilité de récuser le juge constitue, en droit camerounais, une garantie
traditionnelle de l’impartialité de celui-ci. Le ministère public se trouve toutefois exclu du
champ d’application de ce corollaire par le droit positif camerounais. On peut en effet lire
dans la formulation de l’article 593 du CPP les termes suivants : « un magistrat du Ministère
Public ne peut être récusé ». En matière civile, le ministère public n’est récusable que
lorsqu’il est partie jointe404. Or, si une telle exclusion peut apparaître tout à fait cohérente, elle
semble en revanche bien plus discutable et incompréhensible au regard de l’objectif général
d’accès à un magistrat impartial.
Cohérente, au regard de la place dévolue à ce magistrat dans les différentes
procédures, le ministère public est traditionnellement en matière de droit processuel une partie
considérée comme irrécusable. Sa qualité de partie justifie qu’il ne puisse être récusé ou faire
l’objet direct d’une demande de récusation, car l’on ne saurait, enseigne-t-on classiquement,
récuser son adversaire au procès. Michèle-Laure Rassat relève ainsi que, « [p]ar définition
même adversaire de la personne poursuivie, son impartialité, bien que souhaitable, serait

400
CPCC, Article 175.
401
Cour d’Appel du Centre, Arrêt n° 396/CIV du 17 juin 2005 récusation du juge Ndzana Nkolo Louis
Marie par le sieur Emah Basil Junior; voir aussi le rejet de la demande de récusation du juge Toua Bobo, TPI de
Douala, 24 novembre 1999. Il sied d’ajouter qu’un regard sur l’activité judiciaire de l’année 2017 permet de
constater que l’impartialité du juge a été remise en cause au moyen de procédures de récusation présentées.
Toutes les demandes de récusation introduites aussi bien devant les Cours d’Appel (20) qu’auprès de la Cour
Suprême (02) ont été rejétées. Source Rapport du Ministère de la Justice sur l’état des Droits de l’Homme au
Cameroun en 2017, p. 51 et 52.
402
En ce sens qu’elle lui donne seule et elle seule son véritable sens. Jusqu’au moment « M » de leur application,
les dispositions abstraites des règles ne sont qu’une simple ébauche. Elle ne devienne abstraite qu’une fois
appliquées à des espèces concrètes. G. De G. De la Pradelle, « Les pouvoirs du juge Variations sur un thème
éculé », Pouvoirs, 5, Journal 1978, pp. 171-175.
403
Christian Atias, « Au plaisir du juge ! », D. 1999, n° 19, Dernière actualité, p. 1.
404
CPCC, Article 161.

77
impossible à apprécier et rend donc la méthode impraticable »405. L’auteure ajoute, en outre,
que « le principe de l’indivisibilité du parquet interdit de faire un choix entre les différents
hommes qui le composent et dont l’individualité se fond dans la fonction le ministère public
»406. Et l’article 127 en son alinéa 1 du CPP aux termes duquel « le Ministère Public est
indivisible. Tout acte de procédure accompli par un magistrat d’un Parquet est censé l’être
au nom du Parquet tout entier » ne fera que transcrire dans le code de procédure pénale
camerounais une jurisprudence française discutable consacrée dès les premiers temps de
l’application du code d’instruction criminelle et à plusieurs reprises depuis407.
Discutable d’abord, au regard de la doctrine qui s’est penchée sur la question. La
traditionnelle irrécusabilité du ministère public a notamment fait l’objet de vives critiques.
Hélie soulignait avec pertinence que le ministère public « remplit une mission de la loi, et [...]
doit être [...] impartial [...] ; il n’est plus impartial dès qu’il trouve dans ses intérêts ou dans
ses affections d’autres désirs et d’autres vues que ceux que son ministère exige »408. Damien
Roets considérait en effet que « si, effectivement, le ministère public n’exerce pas de fonctions
juridictionnelles, ses prérogatives sont suffisamment importantes pour influer sur le cours du
processus répressif, parfois de façon déterminante » et que mettre en avant l’argument de
l’indivisibilité pour le mettre à l’abri d’une éventuelle récusation est des plus discutables.

Ensuite, de la distinction faite entre impartialité objective et impartialité subjective, la


récusation a pour objet l’individu, la personne du magistrat et non l’institution qu’incarne ce
dernier, dans le cas d’espèce, le parquet. De la lecture combinée de la définition du parquet
donnée par le lexique des termes juridiques 409 et l’alinéa 2 de l’article 127 du CPP, le
ministère public est l’ensemble des magistrats de carrière constituant le parquet chargés
devant certaines juridictions de requérir à l’application de la loi et de veiller aux intérêts
généraux de la société. Ce qui fait du ministère public, une institution regroupant des
individualités. On peut donc arguer sans réserve avec F. Hélie que « Affirmer qu’en récusant
la partie on récuse le tout relève d’une fiction […] Au contraire, d’un point de vue
fonctionnel, l’indivisibilité du parquet tendrait à faciliter le remplacement du magistrat
405
N. Jeanne, Juridictionnalisation de la répression pénale et institution du ministère public Etude comparative
France-Angleterre, Op. Cit., p. 485 et s.
406
Ibid.
407
Cass. crim. 6 janv. 1998, Bull. crim. n° 1, s’agissant d’un représentant du ministère public, parrain du fils du
principal prévenu : « Le ministère public ne décidant pas du bien-fondé de l’accusation en matière pénale, le
moyen pris de la partialité éventuelle de ce magistrat est inopérant ». Dans le même sens, Cass. crim. 22 mai
2001, pourvoi n° 00-83.793 ; Cass. crim. 22 janv. 2002, pourvoi n° 00-87.322 ; Cass. crim. 1er sept. 2009,
pourvoi n° 08-87.765.
408
F. Hélie, Traité de l’instruction criminelle ou théorie du code d’instruction criminelle, Tome II, Op. Cit., p.
39.
409
R. Guillien, J. Vincent (dir.), Lexique des termes juridiques, Op. Cit., v. Ministère public.

78
éventuellement récusé »410. Par ailleurs, il serait juste et logique de souscrire aux remarques
formulées par Evelyne Bonis-Garçon et Olivier Décima 411 qui ont pensé qu’à l’égard du
magistrat du parquet, l’impartialité du ministère public devrait être considérée non plus dans
le sens juridique comme « une obligation processuelle » parce que inexistante, mais plutôt
comme « une obligation déontologique interdisant de confier à un magistrat du parquet un
pouvoir (de contrôle ou de décision) dans une affaire dont il a déjà eu à connaître » que nul
n’est alors besoin d’inscrire dans un texte.
Cette consécration de l’indépendance des acteurs de la justice, qui est réalisée dans le
droit positif au profit d’une bonne administration de l’institution judiciaire, s’éclaire
davantage lorsqu’on envisage l’indépendance du barreau tel que appréhendé par le droit
camerounais.

C. L’indépendance du barreau

70. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement
et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi […].
». Le texte met en évidence les critères d’une bonne administration de la justice telle que
conçue par l’ensemble des systèmes judiciaires : l’existence d’un tribunal indépendant et
impartial devant lequel une cause est équitablement entendue. Toutefois, la cause équitable
dont il s’agit ici, implique également l’indépendance de l’ « avocature ». L’avocat « est un
professionnel libéral et assuré, qui conseille ses clients en droit et/ou les représente, en
plaidant leurs causes devant les cours et tribunaux »412. Il est membre d’un Barreau et soumis
à une déontologie généralement appliquée par un ordre ou une association professionnelle,
sous le contrôle de la juridiction suprême de son lieu d’exercice. Non membre du pouvoir
judiciaire, l’avocat concourt cependant à son expression, non comme simple figurant, mais en
tant qu’acteur-clé. Son indépendance figure par conséquent au centre de l’identité de la
profession. Nous ne serions mieux apprécier l’indépendance de l’avocat (2), sans avoir
précisé les éléments essentiels qui composent l’autonomie des barreaux (1).

410
F. Hélie, Traité de l’instruction criminelle ou théorie du code d’instruction criminelle, Tome II, Op. Cit.
411
Cité par N. Jeanne, Juridictionnalisation de la répression pénale et institution du ministère public Etude
comparative France-Angleterre, Op. Cit.
412
Article 1er de la loi n° 81-588 du 27 juillet 1981 réglementant la profession d’avocat en Côte d’Ivoire. C’est
le même sens retenu par l’article 1er de la loi n° 90/059 du 19 décembre 1990 portant organisation de la
profession d’avocat au Cameroun qui retient l’expression profession d’avocat.

79
1. Le critérium de l’autonomie

71. « Les avocats tant du parlement que des baillages et autres justices royales, jureront
sur les saints évangiles qu’ils ne se chargeront que de causes justes, et qu’ils les défendront
diligemment et fidèlement ; et qu’ils les abandonneront dès qu’ils connaîtront qu’elles ne sont
point justes. Et les avocats qui ne voudront point faire ce serment seront interdits jusqu’à ce
qu’ils l’ayent fait » 413 . Ce texte fondateur, dans lequel s’ancre la mémoire des avocats
d’aujourd’hui, est considéré comme le point de départ de l’histoire ordinale française, mais
également comme la première et forte atteinte à l’indépendance de l’avocat414. Mécanisme
d’exclusion et de contrôle établi par le roi qui allait assurer plus tard au corps qu’il constituait,
il permet aujourd’hui à ses membres de s’enorgueillir d’avoir été, dans l’histoire de la
monarchie centralisatrice et autoritaire, le premier contre-pouvoir institutionnel véritablement
efficace415. Une société libre et démocratique fondée sur le respect du droit garanti par une
416
justice indépendante se caractérise par l’indépendance du Barreau dont-il en est
l’expression. La doctrine évalue l’indépendance des barreaux sous un diptyque basé sur la
libre désignation des instances ordinales et la libre administration de l’ordre.

72. Lors d’un colloque consacré à l'indépendance de la justice, Maître Abderham Diouf,
avocat général à la Cour de cassation du Sénégal, déclarait : « l'indépendance de la justice,
c'est l'indépendance des juges et de son corollaire naturel : l'avocat ». M. Ancel, président de
chambre à la Cour de cassation de Paris soulignait que l'indépendance de la justice devait aller
au-delà du juge pour prendre en considération deux éléments consubstantiels : l'accès au juge,
l'exécution ponctuelle des jugements 417 . L’indépendance de la justice limitée à la seule
indépendance du juge est réductrice. Autant il n’y a pas de magistrat indépendant sans une
magistrature indépendante, il n’y a pas non plus d’avocat libre sans un barreau indépendant418.
L’indépendance du professionnel est indissociable de l’indépendance du corps auquel il

413
Extrait de l’Ordonnance Royale du 23 octobre 1274 sur les fonctions et honoraires des avocats in Recueil
général des anciennes lois françaises d’après Isambert, T.2, p. 652-654.
414
Guillaume le Foyer de Costil, « L’indépendance de l’avocat Une vertu à travers les siècles », disponible sur
www.cna.fr le site du Conseil national des avocats de France, consulté le 09 Septembre 2019.
415
Ibid.
416
Albert-Louis Dupont-Willemin (2001), « Le rôle des avocats dans l’amélioration de la justice », Les cahiers
de droit, 42 (3), 439-454.
417
Jacques Isnard, « L’indépendance de la justice », Janvier 2008, consulté le 20 novembre 2019 à 14h30
disponible sur https://www.uihj.com/l-independance-de-la-justice_1020615.html.
418
Bertrand Favreau, « L’indépendance des avocats et des magistrats : une condition de l’Etat de droit », in
Séminaire sur la promotion de la règle de droit comme élément du développement durable, Bruxelles, 3-4 juillet
2003, p. 4. Disponible en ligne sur http://www.favreaucivilise.com/pdf/090901.indep.pdf.

80
appartient. Etre avocat aujourd’hui, cela veut dire être membre d’un ordre419. La conception
de l'Etat de droit repose sur le principe suivant lequel le juge a pour fonction de juger, l'avocat
de représenter les parties. Il s’agit de deux facettes d’un même combat, la première perdrait de
sa substance sans l’autre. Elle constitue l’une des conditions insécables de la profession
d’avocat. La liberté, le caractère individualiste de la profession va de pair avec sa soumission
à l’ordre. L'organisation en Ordre de la profession ne vise pas à défendre uniquement dans un
but corporatiste les intérêts particuliers de ses membres. Il s'agit fondamentalement de veiller
à ce que les avocats défendent les droits et les intérêts légitimes de leurs clients en toute
indépendance, avec diligence et équité420 en respect du serment de la profession. L’avocat
obéit aux règles de fonctionnement de sa corporation en échange duquel, il bénéficie de la
protection contre les juges, gouvernement et pressions extérieures421. L’autonomie du barreau
est autrement dit, un élément essentiel du droit à l’avocat, lequel induit l’indépendance de ce
dernier par rapport à l’Etat.

La libre désignation des instances ordinales est dans l’espace juridique camerounais
reconnue et ancrée sur le principe démocratique de l’élection expression de l’article 52422 de
la loi organique régissant la profession d’avocat au Cameroun. Le mode de fonctionnement du
barreau est similaire à celui des systèmes politiques autonomes, avec deux organes, une
assemblée générale et un conseil de l’Ordre423 doté de la personnalité morale424. Le bâtonnier

419
La notion d’"ordre professionnel" correspond à une certaine conception de l’organisation professionnelle « La
marque caractéristique de cette conception consiste dans la conjugaison de trois données : 1° l’ordre est une
organisation chargée non seulement de représenter la profession mais aussi d’assurer sa discipline interne par
des mesures réglementaires consistant à édicter les règles obligatoires de la profession ou la sanction des fautes
commises (allant jusqu’à l’exclusion) ; 2° la soumission des membres de la profession à ces compétences de
l’ordre n’est pas facultative pour eux mais obligatoire ; elle ne résulte pas d’une affiliation libre ; l’ordre est un
groupement forcé ; 3° l’ordre comprend un personnel dirigeant issu de la profession elle même ; il n’est pas un
régime administratif fourni par l’Etat ; il a une structure corporative. La conjugaison des deux premières
données confère aux compétences de l’ordre à la fois leur efficacité et leur caractère de prérogatives de droit
public ; elle différencie le système de l’ordre de celui du syndicat, de l’association libre, dans lequel les
ressortissants relèvent également du groupement mais peuvent échapper à ses contraintes en demeurant en
dehors de lui ». A. De Laubadere ; J.C. Venezia et Y. Gaudemet, Traité de droit administratif, LGDJ, Tome 1,
12e éd., 1992, pp. 793 et 794 ; Alexandre Cordahi, « Les garanties de l’indépendance des avocats », Tunis,
Mars 2013.
420
Alexandre Cordahi, « Les garanties de l’indépendance des avocats », Op. Cit.
421
Catherine Raguin, « L’indépendance de l’avocat Réflexions sur deux réformes récentes : la rénovation de la
profession et l’aide judiciaire », in Sociologie du travail, 14e année n° 2, Avril-Juin 1972, Les professions, pp.
164-184.
422
Loi n° 90/059 du 19 décembre 1990 portant organisation de la profession d’avocat au Cameroun. Aux termes
de cet Article 52 « (1) le Bâtonnier est élu parmi les membres du conseil de l’Ordre. (2) Le conseil de l’Ordre et
le Bâtonnier sont élus pour deux ans. Le conseil de l’Ordre comprend sept (7) membres si le nombre des avocats
est de 50; neuf(9) membres lorsqu’il est compris entre 50 et 100; onze(11) membres lorsqu’il est compris entre
100 et 200 et quinze(15) membres lorsque le nombre des avocats est supérieur à 200. (3) Ne peuvent être
membres du conseil de l’Ordre, les avocats: - visés à l’article 51 al. 5 ; - sanctionnés et non réhabilités - n’ayant
pas exercé au moins pendant cinq ans au Cameroun, à la date du scrutin ».
423
Article 46 loi organique.

81
est élu par l’assemblée générale constituée de tous les avocats inscrits au barreau parmi les
membres du conseil de l’ordre et préside le barreau qui représente l’Ordre dans tous les actes
de la vie civile et en justice425 . La libre désignation des instances ordinales donne à voir
l’établissement d’un régime démocratique, et d’une démocratie formelle au sein de l’ordre426.
Le gouvernement de l’ordre, couvre toute question intéressant les droits 427 et devoirs des
membres, l’exercice de la profession et le bon fonctionnement de l’instance428. Les principes
de base relatifs au rôle du Barreau, s’ils affirment l’exigence de la protection adéquate des
libertés fondamentales, ils supposent également que tout sujet de droit ait effectivement accès
aux services d’avocats indépendants, et soulignent, par ailleurs, le rôle essentiel, crucial que
les associations professionnelles d’avocats doivent « jouer en ce qui concerne le respect des
normes établies et de la déontologie de leur profession, la défense de leurs membres contre
toute restriction ou ingérence injustifiée »429. La revendication d’indépendance de l’ordre des
avocats ne relève donc pas de préoccupations simplement corporatistes. Ayant pour mission
de préserver l’honneur et la dignité de la profession, l’ordre est un acteur essentiel de
l’administration de la justice. Un barreau indépendant, composé d’avocats libres vis-à-vis des
pouvoirs publics, constitue un élément important de tout ordre juridique. Le souci de
protection de cette indépendance, ainsi que la volonté tenace d’autonomie des avocats, sont de
nature à justifier en grande partie la mise en place et le renforcement de principes
d’autoréglementation des professions juridiques au Cameroun430. Les pouvoirs publics ont,
par conséquent, l’obligation positive de veiller à ce que l’ordre professionnel des avocats soit
indépendant et participent au renforcement de l’Etat de droit. Si, par principe, le Barreau ne
doit pas être sous l’emprise des pouvoirs publics, en réalité son indépendance fait
généralement l’objet de sérieuses atteintes de la part du pouvoir politique. Placé sous la tutelle
du pouvoir judiciaire, la tutelle du ministère de la justice pourrait se transformer en véritable
pouvoir hiérarchique. Le Barreau doit pour s’en prémunir défendre l’indépendance des
tribunaux et des avocats face à l’État pour assurer la défense des citoyens, dans le respect de la
primauté du droit.
424
Article 45 alinéa 1 loi organique.
425
Lecture combinée des articles 55 et 52 de la loi organique.
426
Catherine Raguin, « L’indépendance de l’avocat Réflexions sur deux réformes récentes : la rénovation de la
profession et l’aide judiciaire », Op. Cit.
427
Le premier droit collectif des avocats est sans doute celui de pouvoir se regrouper autour d’organes
professionnels autonomes et indépendants des autorités et du public ; le droit d’assurer l’autoréglementation de
leur corporation qui est, pour les Barreaux, un droit fondamental que l’Etats se doit impérativement de garantir.
428
Article 55 de la loi organique.
429
Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, Principes de
base relatifs au rôle du barreau, 8ème session, La Havane, 27 août - 7 septembre 1990. Ces principes ont été
consacrés par l’Assemblée générale des Nations Unies en sa 45e session le 18 décembre 1990 (A/RES/45/166).
430
Voir le régime d’accès et à l’exercice de la profession de la profession contenus dans la loi organique.

82
73. La libre administration du barreau suppose deux choses : la totale indépendance de la
gestion de l’ordre et coopération de l’organe avec les autorités du pouvoir judiciaire. En
d’autres termes, un contrôle du barreau. D’abord, le contrôle de l’entrée dans la profession431,
et la formation des membres dans la mesure où l’exercice de la profession d’avocat est soumis
à un préalable, celui de l’admission au barreau. Il statue disciplinairement sur les cas de
manquements aux principes déontologiques commis par des avocats432. Il veille à maintenir
les principes de probité, de désintéressement, de modération et de confraternité sur lesquels
repose la profession contenu dans le serment que prononce le jeune avocat. Il veille également
à ce que les avocats se comportent aux audiences en loyaux auxiliaires de la justice. Si ces
quelques éléments mettent en évidence le souci de garantir efficacement au Cameroun une
libre administration du barreau, force est cependant de noter que dans la réalité, le barreau
camerounais, dans l’exercice de ses prérogatives, se heurte bien souvent à des obstacles de
nature à diluer son indépendance notamment, la faiblesse de l’institution, la pauvreté des
instances ordinales, le manque de siège à la dimension de l’importance de la profession et de
structures adaptées au réel épanouissement des membres.

2. Appréciation in concreto de l’indépendance professionnelle de l’avocat

74. L’indépendance de l’avocat est aujourd’hui une vertu, le signe de sa noblesse433. Elle
constitue avec le secret professionnel, l’absence de tout conflit d’intérêt, les devoirs de
diligence, de compétence434, de probité, le socle de la profession et le sens de l’humanité de
principes essentiels à l’exercice de la profession d’avocat. Profession qui se veut moderne,
capable de répondre au besoin du droit et de justice qui s’exprime de plus en plus dans nos
sociétés435. Apprécions l’indépendance individuelle de l’avocat à l’aune de la présentation
suggérée par Lucien Karpik 436 qui envisage l’indépendance individuelle ou personnelle de
l’avocat dans ses rapports avec le client, les autres avocats, et, enfin, les autorités ordinales et
politiques.

431
Article 5, 9 et suivants de la loi organique.
432
Article 56 et suivants de la loi organique.
433
Raymond Dossa, « Rôle de l’avocat dans la cite : du juridique au judiciaire », Revue de l’Ersuma n° Spécial
2011, Pratique professionnelle, p. 153.
434
Voir sur le sujet Pierre Boubou, Marie-Colette Kamwe Mouaffo, « Conseils à un jeune avocat », Revue de
l’Ersuma, Pratique professionnelle, n° 2, mars 2013, pp. 359-376.
435
Kayudi Musamu Coco, « L’indépendance de l’avocat menacée », Kinshasa 26 novembre 2015, disponible
sur https://www.tribunejustice.com/lindependance-des-avocats-menecée.html consulté le 30 décembre 2019 à
17h20.
436
Lucien Karpik, « Les avocats, entre l’Etat, le public et le marché XIIIème/XXème siècles », Gallimard,
Bibliothèque des Sciences Humaines 1995.

83
75. Si le serment437 de l’avocat l’astreint au respect des règles déontologiques inhérentes à
la profession, elle lui garanti surtout l’indépendance dans l’exercice de sa fonction. Construite
autour de la liberté438, l’indépendance de l’avocat, est dans l’institution judiciaire, la garantie
du caractère libéral de la justice. Aussi la liberté d’exercice de l’avocat, mais surtout sa liberté
de la parole devant le prétoire sans craindre d’être interrompu par le juge439 constitue-t-elle le
caractère expressif de la profession. L’avocat bénéficie de l'immunité civile et pénale pour
toute déclaration pertinente faite de bonne foi dans des plaidoiries écrites ou orales ou lors de
leur parution ès qualités devant un tribunal ou devant une autre autorité juridique ou
administrative. Sans la qualification d'immunité, les avocats ne devraient pas subir ou être
menacés de subir ou de faire l'objet des sanctions de pression d'aucune sorte lorsqu'ils agissent
en conformité avec la déontologie de leur profession. Le respect est dû au juge. Mais tout en
faisant preuve de respect et de loyauté envers l’office du juge, l’avocat défend son client avec
conscience et sans crainte, sans tenir compte de ses propres intérêts, ni de quelque
conséquence que ce soit pour lui-même ou toute autre personne 440 . Toute justice réputée
indépendante devrait par conséquent être soutenue par des avocats libres441. Puisqu’ « il n’y a
pas de justice, ni de démocratie, sans défense libre »442, l’indépendance de l’avocat apparaît
comme un élément fondamental et imprescriptible443 de la bonne gouvernance judiciaire. La
saine administration de la justice ne saurait en faire l’économie. Trois menaces pèsent donc
sur l’avocat : les autorités publiques et ordinales, le client, et les structures d’exercice.

76. Autant les clients peuvent choisir librement leur Avocat, autant celui-ci dispose à
l’égard de ceux-ci de la même liberté sous réserve des dispositions relatives à la commission
d’office. L’Avocat, dit l’article 19 (1) de la loi organique, « a le choix des moyens de défense
et de la forme sous laquelle il entend les présenter ». Seule la conscience de l’Avocat doit le

437
Selon Article 15 loi de 1990 portant organisation de la profession d’avocat au Cameroun, L’avocat prête
serment devant la cour d’appel en ces termes: « Je jure comme avocat d’exercer mes fonctions de défense et de
conseil en toute indépendance avec dignité, conscience, probité et humanité, conformément aux règles de ma
profession et dans le respect des cours et tribunaux et des lois de la République ».
438
Brou Olivier Saint-Omer Kassi, Francophonie et justice : contribution de l’organisation internationale de
la francophonie à la construction de l’état de droit, Thèse, Op. Cit., p. 137.
439
Alinéa 2 Article 19. La défense du client entrant dans le cadre du débat avec le juge, Il faut donc que son
temps de parole ne soit pas limité.
440
Bertrand Favreau, « L’indépendance des avocats et des magistrats : une condition de l’Etat de droit », Op.
Cit.
441
Ibid., p. 136.
442
Jean-Claude Magendie, « Actes du XXe Congrès sur les rôles respectifs et les rapports entre le juge et
l’avocat comme sentinelles de l’état de droit, de la démocratie et des libertés collectives et individuelles », in
CIB, Ouagadougou, 9-13 décembre 2005, Bulletin du Bâtonnier, Périodique d’information des barreaux du
Burkina Faso, numéro V, Edition spéciale, mai 2006, p. 30.
443
Union Internationale des Avocats, Principes fondamentaux de la profession d’avocat, adoptés par
l’assemblée générale du XXe congrès de l’UIA à Bonn le 4 avril 1964, Point 4 et 12.

84
renseigner sur la justesse, à ses yeux, de la cause qui lui est confiée, sur l’opportunité de
l’accepter ou non et sur la manière d’en assurer la gestion444. L’auxiliaire de justice n’est
guère tenu de demeurer le conseil ou le défenseur d’un client dont il ne partage aucunement la
conception et l’orientation du dossier. Il peut s’en dessaisir à tout moment mais sans
compromettre les intérêts du client auxquels l’avocat accordera la plus haute importance sous
réserve de leur incompatibilité aux devoirs de l’avocat vis-à-vis de la cour, des intérêts de la
justice et le secret professionnel445. Lié par sa conscience, « rien de plus misérable qu’une
mauvaise conscience », renchérit un proverbe latin, l’humanité intimement inhérente à son
serment et à son indépendance, l’avocat doit se garder de tout lien quelconque de
subordination morale, intellectuelle, juridique ou économique envers le client.
Malheureusement, et il faut le déplorer, des attitudes de soumission, de sujétion ou même de
compromission de certains avocats à l’endroit de leurs clients sont à déplorer. Un déséquilibre
économique entre l’avocat et son client est parfois à l’origine de la remise en cause de
l’indépendance du premier. Très souvent, l’indépendance de l’avocat est compromise dans les
cas suivants: participation à une transaction commerciale avec un client en l’absence de
déclarations appropriées et de consentement dudit client ; mandataire d’un client dans le cadre
d’une opération dans laquelle l’avocat devient partie prenante d’une, d’un travail ou d’une
activité dont les intérêts l’emportent ou sont susceptibles de l’emporter sur les intérêts du
client ; détention ou acquisition d’une participation financière dans ce qui constitue l’objet
même d’une affaire dont il assure la conduite, que ce soit ou non devant une cour ou un
organe administratif 446 . Menace subtile mais pourtant réelle, la présence dans l’espace
OHADA des firmes internationales et leur puissance financière, la corruption croissante au
sein de l’avocature prennent le pas sur l’indépendance de ce professionnel remettant ainsi en
cause la juste distance prônée entre l’avocat et les personnes qu’il doit assister.

77. A l’égard tant des instances ordinales, que des autorités publiques, un constat
s’impose, l’avocat n’aime pas obéir447. C’est souvent pour ce motif qu’il a choisi d’exercer
une profession libérale de nature à garantir son indépendance. La tendance naturelle de
l’avocat à remettre en cause, les lois, décrets et règlements des autorités publiques est

444
Charles Patie Tchakoute, « La protection du titre d’avocat au Cameroun », Formation professionnelle des
avocats stagiaires au barreau du Cameroun, Douala 9 juin 2015.
445
Ibid. ; Voir aussi articles 29, 39 et suivants de la loi organique camerounaise relative à la profession d’avocat.
446
Les principes internationaux de déontologie de la profession juridique de l’association internationale du
barreau (IBA) Adoptés par l’association internationale du barreau (IBA) 28 mai 2011, p.14 et s ; A. Cordahi,
« Les garanties de l’indépendance des avocats », Op. Cit.
447
V. Guillaume le Foyer de Costil, « L’indépendance de l’avocat Une vertu à travers les siècles », Op. Cit.

85
légendaire 448 . L’immixtion des autorités publiques dans la profession est caractérisée par
l’insuffisance de la protection au sein de la corporation et l’étendue du contrôle qu’exerce le
ministère sur la profession et les avocats. L’Ordre des Avocats n’a pas la maîtrise de
l’ensemble du processus relatif à l’accès à la profession d’Avocat, qui devrait à notre sens être
entièrement laissée à l’initiative de l’organisation professionnelle. L’organisation de l’examen
d’aptitude au stage d’Avocat449 et de celui de fin de stage d’Avocat450, la date et le lieu de ces
examens, la proclamation des résultats ressortissent au Ministère chargé de la Justice.
De plus, l’organisme doit être le garant du respect de la déontologie et de la sanction
des manquements451. Certains ténors du barreau camerounais ont suggéré l’élaboration d’un
Code de déontologie professionnelle qui décrirait la conduite et le champ de responsabilité de
l’Avocat, à l’aune de l’éthique professionnelle452. En outre, il existe dans chaque Cour d’appel
et au sein du ministère de la justice, un service chargé du contrôle des professions judiciaires.
La protection de leurs membres et la défense de leur indépendance à l'égard de toute
restriction ou ingérence injustifiée a justifié l’absence de ce corps judiciaire des cours et
tribunaux, suite au mouvement de grève de cinq jours annoncé par l’ordre des avocats au
barreau du Cameroun, protestant contre les multiples entraves à leur profession et la violation
des droits de leurs clients453. Dans un communiqué rendu public le 31 août, le Conseil de
l’ordre dénonçait, parmi le chapelet des atteintes, les interpellations et détentions arbitraires
d’avocats, la récurrence de violences physiques exercées contre eux par des éléments des
forces de l’ordre, l’audition et la conduite des débats dans des langues autres que celles des
personnes poursuivies, la comparution nue des détenus aux audiences publiques, l’obtention
d’aveux par la torture et le dol, la transformation illégale des gardes à vue judiciaires en

448
Ibid.
449
Prévu par le Décret n°91/305 du 04 Juillet 1991.
450
Prévu et réglementé par le Décret n°95/033 du 20 Février 1995.
451
La question est cependant loin d’être simple. Les ordres, et leurs conseils de discipline, sont dans une
position ambiguë et de plus en plus équivoque (Guillaume le Foyer de Costil, « L’indépendance de l’avocat
Une vertu à travers les siècles », Op. Cit.). Initialement, et utilement, conçus comme des autorités
administratives (ils sont les maîtres du tableau) et disciplinaires (ils sont les maîtres du respect des devoirs de
l’état d’avocat), les conseils des ordres sont généralement composés d’avocats amoureux de la défense, qui
peinent à « surveiller et punir » ; leurs arrêtés, qui laissent souvent transparaître leurs combats intérieurs,
succombent souvent devant la Cour d’Appel pour n’avoir pas su clairement prendre parti pour la loi. Pour plus
de détails sur la question voir Jacques Hamelin et André Damien, Les règles de la profession d’avocat, Paris,
Dalloz, 2000 ; voir aussi, J. Gallot, Le beau métier d’avocat, Editions Odile Jacob, 1999.
452
Patie Tchakoute, « La protection du titre d’avocat au Cameroun », Op. Cit. ; Me Tchoungang, Me Jean-
Paul Ngalle Miano et Me Blanchard Samnick, « L’état de la profession d’Avocat au Barreau du Cameroun :
bilans et perspectives », présenté à l’Assemblée Générale Extraordinaire des Avocats le 25 Janvier 1992 ; Me
Black Yondo, « Avant-propos », Recueil des Lois et Règlements des Avocats au Barreau du Cameroun,
Novembre 1982.
453
Josiane Kouageu, « Au Cameroun, vaste mouvement de grève des avocats », in Le monde, 20 Septembre
2019, disponible sur https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/09/20/au-cameroun-vaste-mouvement-de-
greve-des-avocats.html, consulté le 03 janvier 2020.

86
gardes à vue administratives, ainsi que la non-réponse à certaines requêtes des avocats454.
Force est de constater, donc que, l'indépendance traditionnelle relève parfois, plus de
l'incantatoire ou de l'optatif que de la réalité.

L’avocat, qu’il soit mandaté par un particulier, une société ou un État, son rôle est
celui de conseil et de représentant de confiance du client, de professionnel respecté des tiers et
d’intervenant indispensable pour la bonne administration de la justice. Dit autrement,
l’indépendance de l’avocat comme celle du magistrat est un processus permanent. Il doit
veiller à préserver son indépendance et pouvoir bénéficier de la protection qu’offre cette
indépendance dans ses missions de conseil et de représentation. Indépendance et impartialité
doivent servir de fondement à son action. Seulement, l’avocature est de plus en plus dominée
par une dynamique située entre ordre professionnel et ordre marchand 455 susceptible
d’influencer grandement la permanence et la qualité de cette indépendance. Si l’indépendance
de la fonction juridictionnelle incarnée par le juge semble trouver un terreau favorable mais
parasité, celle de l’institution qu’il incarne suscite inquiétude et interrogation.

SECTION II. A LA RECHERCHE D’UNE INDÉPENDANCE INSTITUTIONNELLE DE


LA JUSTICE

78. La confiance du justiciable, de l’opérateur économique, de l’investisseur est plus


tournée vers l’institution que vers ceux de ses acteurs. La crédibilité sera d’autant plus
accordée aux acteurs de la justice que l’institution qu’ils représentent parait aux yeux de tous
comme crédible et indépendante. L’environnement juridique constitué des normes érigées par
le législateur camerounais, ne permettent pas à eux seul de garantir efficacement, de rassurer
le justiciable, l’investisseur qui se méfie d’un système judiciaire dont les apparences
présenteraient toutes les conditions de l’absence de sécurité judiciaire. L’indépendance de la
justice, est un critère de sécurité judiciaire, et même du droit. Mais au delà, l’efficacité de
l’institution dans son action et sa crédibilité aux yeux des citoyens dépendent également d’une
combinaison de plusieurs facteurs notamment, l’indépendance institutionnelle ou collective de
la justice, mais qui semble mal autonomisée (Paragraphe I), dont la complexité des rapports
entretenu avec son environnement renforce ce postulat (Paragraphe II).

454
Ibid.
455
Cf. Favereau Olivier (dir.), Les avocats entre ordre professionnel et ordre marchand, Rapport pour le CNB,
La Gazette du Palais, 2010.

87
Paragraphe I. Une institution mal autonomisée

79. Quelle autorité, dans nos sociétés modernes, peut décider et quelles sont les frontières
des sphères décisionnelles qui relèvent de chaque institution ? Voici les termes actuel du
débat pour ce qui de la différenciation entre la politique et le droit, du moins en ce qui
concerne la fonction judiciaire 456 . Le concept d’indépendance est selon Joël Ficet 457 un
principe pertinent d’organisation de l’Etat, et que le respect de la séparation organique des
instances gouvernementales et juridictionnelles constitue une garantie des libertés
individuelles et une condition de la légitimité des dirigeants. La séparation entre les instances
judiciaires et les autres pouvoirs font l’objet de nombreuses dénonciations au point où il ne
serait pas exagéré d’affirmer que la justice au Cameroun souffre d’une part de la sujétion de
l’institution au pouvoir politique (A) et d’autre part de la bureaucratisation de son
administration (B).

A. La sujétion de l’appareil judiciaire à l’exécutif

80. Le Cameroun comme les autres Etats a dès son accession à l’indépendance,
logiquement institué un appareil judiciaire à côté des organes législatif et exécutif. Appareil
judiciaire et institutionnel qui est pour une large part, une reproduction fidèle du modèle
français. Pourtant, la séparation des pouvoirs consacrée avec opiniâtreté dans la constitution
avec l’emprise qu’exerce le pouvoir exécutif (1) sur l’appareil judiciaire, et les incertitudes de
l’indépendance du Conseil supérieur de la magistrature (2), rendent difficile l’atteinte d’une
autonomie essentielle dans un système juridique comme le nôtre.

1. L’emprise de l’exécutif

81. L’emprise du pouvoir exécutif sur l’appareil judicaire est double : le Président de la
République est garant de l’indépendance de la justice (a), le parquet est rattaché au ministère
de la justice (b).

456
Alain Bancaud, La haute magistrature judiciaire entre politique et sacerdoce ou le culte des vertus
moyennes, coll. «Droit et société», Paris, L.G.D.J., 1993.
457
Joël Ficet, Indépendance et dépendances de la justice Le concept d’indépendance de la justice comme enjeu
de luttes politiques en France, 1954-1986, Thèse, Science politique, Institut d’études politiques de paris, 2005, p.
10.

88
a. Le Président de la République, garant de l’indépendance de la justice

82. Dans sa conception la plus simple, le principe d’indépendance signifie que le juge,
acteur, et la justice, institution sont séparés de l’exécutif comme du législatif, par leurs
fonctions. Le juge dit le droit et applique la loi, sans en référer à l’un ou à l’autre de ces deux
autres organes constitutionnels, ou à aucune autre instance étrangère à l’institution judiciaire,
encore moins subir influence ou pression lorsqu’il rend la justice à l’occasion de tout litige
résultant de son office458. Si le problème de l’indépendance du juge se pose tant dans les
Etats et tous les systèmes judiciaires qui se réclament de la démocratie, c’est parce qu’elle a
non seulement le pouvoir de produire un certain effet sur le système judiciaire, en plus de la
particularité qu’elle a d’être à la lisière de la justice et du politique 459 . Ainsi, son degré
d’effectivité dépend-t-elle très étroitement de celui de la démocratisation du système politique
considéré et de l’existence ou non d’un Etat de droit460.

83. L’indépendance de la justice en tant que institution au Cameroun est caractérisée par
les paradoxes du droit positif. Le Président de la république, chef de l’exécutif est garant de
l’indépendance de la justice 461 . Garant d’un autre pouvoir constitutionnel, le pouvoir
judiciaire, est censé être à l’abri de son influence. Pourtant, l’alinéa 2 paragraphe 1 du même
corps de règles précédant l’alinéa 3 querellé de l’article 37 de la constitution dispose que « le
pouvoir judiciaire est exercé par la Cour Suprême, les Cours d’appel, les Tribunaux. Il est
indépendant du Pouvoir exécutif et du Pouvoir législatif » (nos soulignés). Grâce à cette
disposition, le contrôle de la justice par le pouvoir exécutif est loin « d’être une simple vue de
l’esprit »462, un simple artifice juridique comme l’a pu expliquer une doctrine autorisée dans
le cas français463. Le constituant national a choisi à l’image de la constitution française de
1958 d’opérer un subtil mélange entre indépendance et subordination de la justice à l’exécutif.

458
Alioune Badara Fall, « Le menaces internes de l’indépendance », in L’indépendance de la justice, Actes du
deuxième congrès de l’Association des Hautes juridictions de cassation des pays ayant en partage l’usage du
français (AHJUCAF), Dakar, 7 et 8 novembre 2007, pp. 43-70.
459
Ibid.
460
Ibid.
461
Article 37 alinéa 3 constitution camerounaise du 18 janvier 1996. Il s’agit là de formules empruntées à
d’autres législations (L’article 64 de la Constitution Française du 4 octobre 1958 dispose en effet que: « le
Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire ». Elles y sont d’ailleurs très
décriées. La reprise des dispositions de la constitution française ne poserait pas grande difficulté si elles
traduisaient effectivement la réalité du terrain.
462
Boubacar Issa Abdouramane, « Les juges à l’épreuve de la démocratisation au Niger : l’exemple du
Niger », in Les défis des droits fondamentaux, AUF, Op. Cit. pp. 375-388.
463
Guy Carcassonne, La Constitution introduite et commentée, préface de G. Vedel, Seuil, Points, 9ème éd.,
Paris, 2009, p. 312 ; Ambert Maité, L’indépendance de la justice à l’épreuve des affaires, Mémoire, Institut
d’Etudes Politiques de Lyon, 2006, p. 9.

89
Si l’indépendance est bel et bien consacrée, elle l’est au prix d’une garantie qu’assure le
Président de la République. Tempérance qui cache mal dans le dispositif organisationnel
actuel le contrôle de l’appareil judiciaire par l’exécutif déjà en charge de gouverner. Loin de
réfuter l’idée d’une orientation de l’organisation judiciaire qui pourrait échapper au
politique 464 en charge de son développement, l’économie politique de l’organisation de
l’appareil judiciaire fait apparaitre comme acteur principal de la garantie de l’indépendance de
la justice, critère de la sécurité judiciaire, le Président de la République. Choix et formules «
incongru(es)»465 ou à tout le moins « curieuses »466 que de faire du Président de la République,
comme le Roi dans un jeu d’échec, le garant de l’indépendance judiciaire. « Autant proclamer
que le loup est garant de la sécurité de la bergerie »467. Ce n’est pas tant la consécration dans
la réalité d’une indépendance relative de l’appareil judiciaire qui fait problème dans nos Etats,
que l’organe en charge d’assurer l’indépendance du pouvoir judiciaire, à savoir, le Président
de la République. Comment le Président de la République pourrait-il être garant de
l’indépendance de l’autorité judiciaire quand il concentre entre ses mains l’essentiel du
pouvoir exécutif ? Comment le principe de séparation des pouvoirs y trouverait-il son compte,
lorsque le Président de la République abandonne la posture arbitrale qui pourrait être la sienne
au profit d’un activisme qui conduit les observateurs de la scène politique à parler d’«
hyperprésidence » pour caractériser la pratique présidentielle 468 . La position d’arbitre du
Président de la République qui ne semble pas limitée, sans cesse soulevée, fait l’objet de
dénonciations et les polémiques s’en trouvent encore plus amplifiées que le statut de la
magistrature dans certains Etats africains comme le Cameroun relève du décret 469 , acte
réglementaire. La constitution fait de la plus haute autorité de l’Etat, le garant du pouvoir
judiciaire en fournissant ainsi une couverture juridique qui sert de justification à la soumission
de la justice au pouvoir exécutif470. De plus, la déclaration du Ministre de la justice, garde des
sceaux à l’issue du dernier Conseil Supérieur de la Magistrature qui semble magnifier la
position de garant attribuée au Chef de l’exécutif et l’état atonique dans lequel se trouve la
justice semble de notre point de vue justifier les critiques. Il déclare que : « la Justice
Camerounaise est à la hauteur des attentes des Camerounais. Le problème, c'est que l'image

464
Une indépendance totale de la justice serait inconvenue et ferait craindre un gouvernent de juges. Sur
l’inconvenance d’une indépendance absolue du juge, Rodrigue Davakan, « L’indépendance de la justice », en
ligne www.academia.edu.
465
Guy Carcassonne, La Constitution introduite et commentée, Op. Cit.
466
Jacques Robert, « La nation et ses juges », RDP, 2006, n° 3, p. 547. Disponible sur www.lextenso.fr.
467
Guy Carcassonne, La Constitution introduite et commentée, Op. Cit. p. 312.
468
Loïc Cadiet et alii, Pour une administration au service de la justice, Op. Cit., p. 8.
469
Décret n°95/048 du 8 mars 1995 portant statut de la magistrature.
470
Joseph Djogbenou, Bénin, Le secteur de la justice et l’Etat de droit, Op. Cit, p. 6.

90
de la justice est telle que voulue par la presse. La justice, c'est la réalité du contenu des
dossiers que le magistrat examine. Parfois il y a un monde. Le magistrat juge sur la base d'un
dossier. L'opinion publique est une opinion, le magistrat a prêté un serment, c'est son métier.
Ceux qui pensent que la justice est inféodée, c'est mal connaître le fonctionnement des
mécanismes judiciaires. Le président de la République est garant de l'indépendance du
pouvoir judiciaire. Et ce ceci ne dépend pas des états d'âme du magistrat »471. La justice a vu
s’étioler au fil des années son indépendance minée par des sérieuses immixtions inappropriées
de l’exécutif dans le fonctionnement de la justice.

b. Le rattachement du parquet au ministre de la justice

84. Aborder la question délicate et complexe de l’indépendance du juge et de l’institution


qu’il incarne s’avère incomplète si l’on met de côté la situation à la fois spécifique et délicate
des magistrats du parquet472. Acteur majeur de la scène judiciaire, le parquetier requiert au
nom de l’intérêt général, l’application de la loi pénale. Du reste, la question du parquet a été
volontairement éludée par les rédacteurs du Traité OHADA. L’immixtion de l’exécutif et les
manifestations de la soumission organique de la justice au pouvoir exécutif s’étendent à
l’autorité qui incarne dans le droit pénal moderne et le droit en général les fonctions de
poursuite et de défense de l’intérêt général, qu’est le parquet. Le statut de l’institution est en
effet précisé par l’article 3 du statut de la magistrature qui dispose que « les magistrats du
parquet et les attachés de justice relèvent administrativement de la seule autorité du ministre
de la justice. Ils lui sont hiérarchiquement subordonnés. Leur liberté de parole ne s'exerce à
l'audience, lorsque des instructions leur ont été données, qu'à condition qu'ils aient
préalablement et en temps utile, informé leur chef hiérarchique direct de leur intention de
s'écarter oralement des réquisitions ou conclusions écrites déposées conformément aux
instructions reçues ». On peut aisément percevoir le décalage entre les dispositions
constitutionnelles consacrant l’indépendance de la justice et la sujétion du parquet au ministre
de la justice. Subordination qui impacte essentiellement la fonction de poursuite sur deux
plans : le pouvoir d’instruction individuel reconnu à la chancellerie et la gestion des carrières

471
Déclaration de Laurent Esso, Ministre de la justice, Garde des sceaux, au micro de la CRTV Radio à la fin de
la réunion le 10 août 2020, du Conseil Supérieur de la Magistrature.
472
La situation statutaire du parquet a été considérée quelques fois par la doctrine comme une originalité. Elle
consistait en la coexistence, dans le droit judiciaire français, et aujourd’hui camerounais d’un principe d’« unité
du corps judiciaire » et d’un principe de subordination au pouvoir exécutif desdits magistrats. Pascal Mbongo,
« L'originalité statutaire des magistrats du parquet et la constitution », Le Seuil, « Pouvoirs », 2005/4 n° 115,
pp. 167-176.

91
des membres du parquet. Au-delà donc du « trompe l’œil constitutionnel »473 de l’unité du
corps judiciaire, les parquetiers en raison de leurs sujétions fonctionnelles se trouvent, dans
une situation statutaire à bien des égards différente de celle de leurs collègues du siège. Statut
dominé par la hiérarchisation et le rattachement des parquets à la chancellerie. Le principe
hiérarchique auquel est soumis le ministère public revêt une dimension à la fois interne et
externe. Au plan externe, les parquetiers sont enserrés dans une chaîne hiérarchique au
sommet de laquelle se trouve le Garde des Sceaux 474 . A la nomination, les membres du
ministère public sont hiérarchisés dans un cadre administratif strictement défini. Les
nominations et l’avancement des magistrats du parquet relèvent de la discrétion décisionnaire
du pouvoir exécutif. Aussi s’élève-t-il un constat ! Au plan national et sur le fondement des
principes de dépendance du parquet aux instructions générales du garde des sceaux, le choix
des procureurs dans les grands tribunaux reste un point crucial pour l’orientation et
l’application de la politique pénale dont est politiquement responsable le ministre de la
justice. Ce qui d’une certaine manière justifierait la logique des injonctions transmises aux
procureurs de poursuivre données par la hiérarchie ou des injonctions de classer sans suite. Ce
pouvoir hiérarchique se manifeste non seulement dans le droit d’exprimer des directives
générales, mais encore dans le « fléchage des lignes budgétaires du parquet »475.

Au niveau de la structure interne des parquets, le lien hiérarchique se perçoit dans


l’autorité que chaque procureur général exerce sur les officiers du ministère public de son
ressort. En raison de cette hiérarchie, les magistrats du parquet peuvent recevoir des
injonctions. Si par principe, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de poursuite est libre et
indépendant476, le ministère public peut recevoir de la part du Garde des sceaux, au-delà des
orientations générales de politique pénale, des injonctions individuelles écrites et positives477,
auxquelles il est tenu, au nom de l’obligation statutaire de loyauté et sous peine de poursuites
disciplinaires, de se conformer dans ses réquisitions écrites478. C’est dire que, quel que soit
l’encadrement des instructions individuelles ou leur interdiction, « l’insuffisance des garanties

473
Fabrice Houquerbie, « L’institution du parquet au sein du pouvoir judiciaire », Op. Cit., p. 18.
474
Christian Raysseguier, « Le « Parquet à la française » : tensions et apaisements », Constitutions, septembre
Dalloz, 2011, pp. 281-294.
475
Pour une illustration de l’impact du budget du ministère de la justice sur l’indépendance du ministère public,
voir par exemple, Darina Svabyova, « Rôle et statut du ministère public », in Quel ministère public en Europe au
XXIe siècle, Editions du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2000, p. 89.
476
Association Internationale des Procureurs et Poursuivants (AIPP), Normes de conduite professionnelle
pour tous les procureurs et poursuivants et Déclaration de leurs droits et devoirs essentiels des Procureurs et
poursuivants, 23 avril 1999, § 2.1.
477
Article 3 du décret portant statut de la magistrature précité.
478
Ibid.

92
concernant la nomination des magistrats », est un facteur sans conteste sensible « rendant
possible des pratiques illégitimes, voire illégales et un contrôle de la plupart des décisions
sensibles par le pouvoir exécutif »479. Il sied de relever aussi que le ministre de la justice est
libre de solliciter, sur toutes les procédures en cours, toutes les transmissions d’informations
qu’il souhaite voir porter à sa connaissance, aussi souvent qu’il le souhaite. Sans condition et
sans contrôle – ni juridictionnel, ni administratif, ni parlementaire – d’aucune sorte. Ce qui a
le mérite de jeter, même dans des cas justifiés un « soupçon injuste sur le degré d’autonomie
des procureurs dans la conduite des enquêtes » 480 . La prégnance de l’exécutif sur le
parquetier est à l’origine de l’attribution à tort ou à raison de l’arrestation ou de l’exercice des
poursuites dans certains dossiers au pouvoir exécutif ou à ses représentants. Ce qui
inévitablement couvre d’une ombre épaisse l’indépendance du parquet même dans les cas
injustifiés 481 . Ces dispositions subordonnantes fragilisent de toute évidence les rapports
parquet et ministère de justice et font inféoder les parquets nationaux à l’exécutif482 aliénant à
cet effet, un pan entier de la magistrature. Des réformes sont requises en ce sens dans le but de
soustraire le parquet et l’importance de ses attributions à l’exécutif pour une indépendance
plus à même de susciter un effet entrainant sur une justice garante des libertés. Parce que la
poursuite et l’enquête sont pour le justiciable, des actes aussi importants que l’acte de juger,
l’indépendance fonctionnelle et personnelle des magistrats du parquet doit être posée et
garantie à l’égard de tous les pouvoirs. La subordination statutaire du ministère public
camerounais au gouvernement fait du parquetier un magistrat relativement exposé.

Pour le dire autrement, l’indépendance effective des institutions et des acteurs sont des
facteurs favorisant une garantie efficace objective du droit au juge. Ne le sont pas moins les
facteurs rendant plus sûre la réalisation des attentes subjectives des magistrats tel que le
Conseil supérieur de la magistrature dont le doute persiste sur sa réelle indépendance.

479
Florie Winckelmuller, La mutation de la mise en état des affaires pénales à l’épreuve des droits européens,
Op. Cit., p. 287 ; E. Vergès, « Politique pénale et action publique : la difficile conciliation du modèle français
du ministère public et des standards européens », RCS, 2016.
480
Xavier Ronsin, « Statut du parquet : élargir la question à la problématique plus générale des rapports entre
un ministre et un procureur », Dalloz actualité, Interview, 3 sept. 2020. Disponible sur https://www.dalloz-
actualite.fr/interview/statut-du-parquet-elargirquestion-problematique-plus-generale-des-rapports-entre-un-
ministre-et-un-procureur.html ; voir également Amaury Bousquet et Sélim Brihi , « Clarifier le statut du
parquet pour restaurer la confiance », Dalloz actualité, Le droit en débats, 25 sept. 2020.
481
Voir M. Aminou A. Koundy, « La réalité de l’indépendance de la magistrature nigérienne », in Le bulletin
d’information et de liaison du barreau nigérien, Février 2015, pp.18-23.
482
Ibid.

93
2. Les incertitudes sur l’indépendance du Conseil Supérieur de la magistrature

85. Le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) participe à assurer l’indépendance de


la justice. Mais sa finalité (a) ainsi que son administration (b) répondent-ils à l’objectif
recherché lors de son érection ?

a. La finalité du Conseil supérieur de la magistrature

86. Dans le but de garantir et de renforcer l’indépendance judiciaire, de nombreux pays en


Europe au premier rang desquels la France, en Amérique latine, en Asie, au Moyen-Orient et
en Afrique comme le Cameroun, ont mis en place une institution dont le rôle est d’aider à la
garantie de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Cette instance qui peut être diversement
dénommée, a été nommée par le constituant de 1996 « Conseil supérieur de la
magistrature»483. Traduction du prestige de la fonction, de son importance, la doctrine l’a
qualifié de « clef de voûte »484 de l’indépendance du pouvoir judicaire. Le CSM est un organe
établi par la loi, indépendant des pouvoirs exécutif et législatif, chargé essentiellement des
décisions clés en matière de carrière judiciaire. Généralement, il s’agit de nomination, des
sanctions disciplinaires concernant les magistrats du siège et du parquet. La fonction
principale de ce Conseil est de garantir le respect des règles de fonctionnement du service
public de la justice et la protection des magistrats contre les éventuelles pressions du pouvoir
politique485. La mission centrale dévolue au Conseil Supérieur de la Magistrature camerounais
est d’assister le Président de la République en tant qu’autorité de nomination et garant de
l’indépendance des magistrats486. A priori destiné à garantir l’indépendance de la justice dans
les différents ordres juridictionnels telle que conçue dans la conception française, le Conseil
supérieur de la magistrature peut parfois constituer « un obstacle à l’indépendance et plus
qu’un véhicule à cet effet, tout particulièrement [...] lorsque le pouvoir judiciaire est asservi à
l’exécutif »487. Le CSM jouit de la prérogative essentielle de contribuer à l’indépendance de la

483
Article 3 paragraphe 2 constitution du 18 janvier 1996.
484
L’expression est de Haenel reprise par J. Gicquel, « Le Conseil supérieur de la Magistrature : une création
continue de la République », in Mélanges Ph. Ardant, Droit et politique à la croisée des cultures, LGDJ, p. 289.
485
Alioune Badara Fall, « Le menaces internes de l’indépendance », in L’indépendance de la justice, Actes du
deuxième congrès de l’Association des Hautes juridictions de cassation des pays ayant en partage l’usage du
français (AHJUCAF), Op. Cit.
486
Constitution du 18 Janvier 1996 article 37 al. 3 ; E. Gildas Nonnou, « Le conseil supérieur de la magistrature
et l’indépendance du pouvoir judiciaire dans les États francophones d’Afrique », 2018, 4, pp. 777-733.
487
Différentes raisons ont justifié et justifient à nos jours, la création des Conseils supérieurs de la magistrature.
Dans les pays d’Europe du sud-ouest, d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient, les Conseils supérieurs de la
magistrature ont été créés dans le cadre de réformes destinées à protéger le pouvoir judiciaire des interférences
de l’exécutif. Cf. International Foundation for Election System (IFES), Global Best Practices: Judicial Council :
Lessons Learned from Europe and Latin America, avril 2004, p.6-7

94
justice. Mais l’est-il effectivement ? Les Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de
la magistrature des Nations unies, bien que ne faisant pas expressément référence au Conseil
supérieur de la magistrature, rappellent que pour y parvenir, le processus de sélection et
d’évolution de la carrière des juges doit se faire indépendamment des pouvoirs exécutif et
législatif488. D’autres instruments internationaux et régionaux tels que : le Statut universel du
juge489 ou encore le Statut du juge en Afrique490, les Directives et principes sur le droit à un
procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique491 fixent les conditions dans lesquelles
le Conseil supérieur de la magistrature492 peut effectivement contribuer à l’établissement et à
la garantie d’un système judiciaire indépendant. Ces dispositions prévoient d’une part, la non-
immixtion de l’exécutif dans la composition et les méthodes de nomination des membres du
Conseil. Elles établissent aussi, les attributions et les prérogatives du Conseil qui lui
permettent de jouer le rôle qui lui est dévolu en matière de gestion de la carrière des juges. Il
est paradoxal malgré la convergence d’idées vers la nécessité d’assurer au sein des Etats
membres des Nations unies et de l’OHADA une indépendance tenue du pouvoir judiciaire, de
constater que dans le droit camerounais, le fonctionnement et l’administration du CSM soient
marqués par la prééminence de l’exécutif à la fois dans sa composition que dans son
administration.

b. L’administration du Conseil supérieur de la magistrature

87. Calquée sur la conception française de l’indépendance de la justice, le CSM


camerounais est dominé aussi bien dans sa composition que dans son fonctionnement par
l’exécutif 493 . Réalité qui influe sur sa capacité réelle à garantir l’indépendance du corps
judiciaire. Les différentes constitutions placent le contrôle du CSM sous la présidence du
Président de la République garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire et maitre de
l’exécutif, assisté du ministre de la justice, garde des sceaux. Les magistrats ne cessent de
dénoncer les dysfonctionnements constatés au sein de cet organe devenu de type

488
Cf. les articles 7, 10 et 13 de ces Principes, adoptés par le septième Congrès des Nations unies pour la
prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à Milan du 26 août au 6 septembre 1985 et
confirmés par l’Assemblée générale des Nations unies dans ses résolutions 40/32 du 29 novembre 1985 et
40/146 du 13 décembre 1985.
489
Adopté en 1999 par l’Union internationale des magistrats. Texte approuvé à l’unanimité par le Conseil
central de l’Union internationale des magistrats lors de sa réunion à Taipei, Taiwan, le 17 novembre 1999.
490
Elaboré et adopté par le Groupe régional africain de l’Union internationale des magistrats, à Tunis, Tunisie le
l0 septembre 1995.
491
Principes adoptés par la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples en juillet 2003.
492
Ces textes font tous référence à la création d’une instance ou d’un organe indépendant correspondant au
CSM tel défini ici ou à tout le moins à une instance disposant de la plupart de ses prérogatives.
493
Voir Loi n° 82-014 du 26 novembre1982 fixant l’organisation et le fonctionnement du Conseil Supérieur de
la Magistrature.

95
gouvernemental. De leur avis et de celui du Professeur Alioune Badara Fall494, la notation, les
nominations et autres promotions, dans bon nombre des pays de l’OHADA, sont loin d’être
transparentes et ne semblent obéir à aucun critère précis et objectif. Les conseils font l’objet
de suspicion, de connivence avec le régime en place, de réticences et de vives critiques par les
justiciables de plus en regardant sur l’état de la justice qui leur est offert. Les magistrats
africains n’ont pas réussi à se défaire de la dépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif qui, telle
une pieuvre, étend ses tentacules dans le domaine de la justice. L’exécutif garde la main sur la
gestion de la carrière des magistrats. En contrôlant ainsi son fonctionnement, l’exécutif assure
une tutelle encore plus évidente du CSM. Le financement du CSM est assuré par un budget
voté au parlement au titre du budget de la présidence de la république495. Pour laisser le CSM
et la justice dans un état d’étroite dépendance496, les pouvoirs du Président de la République
sont considérables, notamment en matière de nomination des magistrats. De plus, le Conseil
supérieur de la magistrature est composé de personnalités désignées par lui. « La carrière du
magistrat passe ainsi par la quasi-discrétion du pouvoir politique ». Les réformes jusqu’ici
attendues devraient de notre point de vue être celui d’un organe composé et dirigé par des
magistrats et personnalités indépendantes du gouvernement pour donner un contenu réel à
l’indépendance des juges « sans pour autant les couper du corps social et des pouvoirs
exécutif et législatif »497. La création d’un CSM est une réponse au problème, mais il nous
parait important de mettre fin à toutes les manifestations soumission du pouvoir judiciaire au
pouvoir exécutif, pour privilégier une collaboration. Le pouvoir exécutif dispose en matière
d’indépendance institutionnelle externe, de sérieuses garanties de nature à limiter le principe
sacro saint de l’indépendance de l’appareil judicaire. L’emprise du pouvoir exécutif sur le
pouvoir judiciaire est révélée par le fait que celui-ci pourvoit à la fois au recrutement des
membres du Conseil supérieur de la magistrature et à l’organisation de son travail. L’organe
est noyauté et contrôlé498. Aussi le statut se révèle relativement accessoire dans la protection
offerte au magistrat contre les influences du pouvoir exécutif. Si la solution ne peut résider
abstraitement dans le statut, peut être viendrait de la situation administrative de la justice.

494
Alioune Badara Fall, « Le menaces internes de l’indépendance », Op. Cit.
495
Cf. Loi n°82-014 du 26 novembre1982 portant organisation et fonctionnement du CSM précitée.
496
Ambert Maité, L’indépendance de la justice à l’épreuve des affaires, Op. Cit, p. 13.
497
François Colcombet, « Faire carrière », Pouvoirs, Op. Cit.
498
E. Gildas Nonnou, « Le conseil supérieur de la magistrature et l’indépendance du pouvoir judiciaire dans
les États francophones d’Afrique », Op. Cit.

96
B. La bureaucratisation de l’administration de la justice

88. Dans le modèle du juge-fonctionnaire tel que hérité du droit français, le


fonctionnement hiérarchique de la juridiction (2) n’est pas incompatible avec la notion
d’indépendance, mais pourrait constituer une sérieuse entrave à celle-ci au même titre que la
fonctionnarisation de l’administration de la justice (1) s’il n’est entouré de garanties.

1. La fonctionnarisation du corps

89. Systématisé par Max Weber499, le modèle d’organisation bureaucratique constitue le


modèle de référence qui permet d’appréhender la logique de construction et d’aménagement
des systèmes administratifs contemporains. C’est le modèle qui sous-tend la logique
organisationnelle du juge européo-continental ou celle des systèmes judiciaires issus du droit
romano germanique. Héritage reçu de la tutelle française, la justice camerounaise demeure
indissolublement liée à une institution étatique, à un service public 500 . La fonction
juridictionnelle, partage certaines caractéristiques essentielles avec les autres fonctions de
l’Etat : bureaucraties publiques et organismes gouvernementaux501. Les juges sont considérés
comme formant un corps de fonctionnaires en dépit d’un statut particulier, recrutés
principalement par concours et formés dans une école nationale. Dotés certes d’une
indépendance consacrée par la Constitution, ils font une carrière le plus souvent assez linéaire,
en franchissant par voie de mutations et de promotions, divers échelons et grades auxquels
sont attachés des niveaux de rémunération distincts502.
A cet égard, même si la justice n’est pas au même titre que les autres administrations
eu égard à la spécificité de ses activités ainsi que des ses fonctions, il faut bien admettre que la
justice est une administration de l'Etat, dont le chef est le Garde des Sceaux, politiquement
responsable. Elle est un « organe du gouvernement », et bien que indépendant de jure parce
que pouvoirs constitutionnel dans le système de l’Etat unitaire camerounais, elle demeure
néanmoins, un élément central de la structure d’autorité et contribue par conséquent à la
légitimation de l’ordre social503. Dans cette optique de service public, les juridictions sont des

499
Max Weber, Economie et société, Tome 1, Les catégories de la sociologie, 1ere éd., 1921 ; Voir aussi Renate
Mayntz, « L’idéal type wébérien de la bureaucratie et la sociologie des organisations », Trivium [En ligne], 7,
2010, consulté le 10 juin 2020, http://journals.openedition.org/trivium/3781.
500
Antoine Garapon, in « Les juges, un pouvoir irresponsable ? », éditions Nicolas Philippe 2003.
501
V. Jean-Louis Costa, « Nécessité, conditions et limites d'un pouvoir judiciaire en France », In : Revue
française de science politique, 10ᵉ année, n°2, 1960. pp. 261-286
502
Alain Girardet, « La réalité de l’indépendance judiciaire », 2007, en ligne :
https://www.courdecassation.fr/IMG/File/pdf_2007/10-05-2007/10-05-2007_girardet.pdf
503
V. Heydebrand Wolf, Valet Bénédicte, « Technocratie et indépendance du pouvoir judiciaire », in
Sociologie du travail, 23e année, n°1, Janvier-Mars 1981, Sociologie et justice, pp. 66-77.

97
services extérieurs, les magistrats sont des fonctionnaires, réserve faite de leur statut spécial504
qui leur confère la stabilité dans l'emploi, mais qui n'a pas que des avantages. Si la
fonctionnarisation croissante des magistrats a pu les aider à gagner leur indépendance vis-à-
vis des justiciables, on peut évidemment douter qu'il en soit de même quant aux conséquences
immédiates qu’entraine le modèle bureaucratique d’un point de vue extrinsèque d’une part,
par la subordination de l’administration de la justice « au politique érigée partout à la hauteur
d’un dogme incontesté »505 l’administration n’ayant aucun titre à gouverner. Mais encore, elle
est tenue à une stricte obéissance vis-à-vis de ceux qui détiennent la légitimité politique.
Aussi, les magistrats n’en sont pas moins amenés à entretenir des rapports avec les
professionnels de la politique 506 de nature à altérer la garantie d’indépendance attendu du
juge. D’un point de vue extrinsèque d’autre part, l’administration de la justice est caractérisée
par l’existence de réseaux, de relations informelles au sein de l’appareil judiciaire507. C’est
dire que du point de vue politique et juridique, les tribunaux sont plus dépendants
qu’autonomes.
L’effet de la fonctionnarisation du corps ainsi déterminée sur l’indépendance de la
justice, qu’en est-il de la hiérarchie juridictionnelle ?

2. Le fonctionnement hiérarchique de la juridiction

90. La bureaucratie est un type particulier d’organisation caractérisée par la


hiérarchisation des fonctions508. Elle introduit un ordonnancement dans les composantes de
l’organisation. L’organisation hiérarchique repose ainsi sur le principe de l’autorité
hiérarchique qui en est la condition et la garantie509 calquée sur « l’image d’une intégration
verticale »510 dans laquelle chaque élément du « réseau » occupe une fonction spécialisée le
long de la chaine à l’image d’un produit ou d’un service offert sur un marché stable ou
prévisible. Traditionnellement, la justice a presque toujours été caractérisée par une forte
hiérarchisation511. Evoquer la notion d’hiérarchie en matière de justice ne saurait donc être
paradoxal, dans la mesure où la notion renvoie à l’idée de subordination. C’est donc un rappel

504
Lecture combinée des dispositions portant statut de la fonction publique et statut de la magistrature.
505
Manassé Aboya Endong, Cours de Science administrative, Troisième année de Licence, 2008-2009.
506
Ibid.
507
Développement des hiérarchies parallèles, dispositifs officieux de communication au sein de l’organisation
qui influent sur l’exercice de l’autorité au sein de ladite organisation en favorisant l’apparition de leaders
informels placés en marge des lignes hiérarchiques formellement consacrées.
508
Renate Mayntz, « L’idéal type wébérien de la bureaucratie et la sociologie des organisations », Op. Cit.
509
Manassé Aboya Endong, Cours de Science administrative, Op. Cit.
510
Christophe Assens, « Du modèle bureaucratique au modèle organique (L’organisation en réseau) », In :
Flux, n°23, 1996, pp. 38-42.
511
Cf. Jean-Louis Costa, « Nécessité, conditions et limites d'un pouvoir judiciaire en France », Op. Cit.

98
que « la justice, en tant que service public, est également concernée par la hiérarchie »512.
Certes instituée dans l’objectif d’assurer une bonne administration de la justice, il n'en
demeure pas moins que la hiérarchisation des juges, quelle qu'en soit l'origine, est en
contradiction avec le principe de leur indépendance. L’antinomie entre indépendance des
juges et hiérarchisation de la fonction juridictionnelle marque ici plus que jamais la recherche,
en même temps que la fragilisation du difficile équilibre qui peut exister entre plusieurs
principes directeurs du procès pour assurer une bonne administration de la justice. La lecture
des textes organiques relatifs au statut du magistrat 513 met en évidence le caractère très
hiérarchisé de la magistrature. Il est l’un des corps les plus hiérarchisés de la fonction
publique. L’organisation hiérarchique mise en place vise un objectif double à savoir,
structurer le corps judiciaire et protéger les justiciables contre les risques d’arbitraire grâce à
la possibilité offerte d’obtenir la saisine d’un autre juge514. Le principe hiérarchique concerne
à la fois les magistrats515 et les juridictions516.

91. La hiérarchie au sein des juridictions ne soulève pas de difficultés particulières. Le


principe du double degré de juridiction appliqué au sein de toutes les juridictions, est destiné à
rendre une meilleure justice en permettant au requérant qui n’est pas satisfait de la décision
rendue par la première juridiction, de saisir la juridiction hiérarchiquement supérieure. La
question est plutôt complexe concernant les juges du siège – soumis dans la prise de décision
au diktat de la loi et de leur conscience – les membres du parquet étant soumis dans leur
fonction au ministre de la justice. La juridiction est dirigée par un président du tribunal,
magistrat exerçant son office au sein de la juridiction. Président investi de pouvoirs
administratifs pouvant constituer des menaces à l’indépendance du juge si les pouvoirs
dévolus au chef de juridiction ne sont limités aux nécessités de service. Il appartient
notamment au chef de juridiction d’assurer l’organisation des audiences, de pourvoir aux
affectations au sein de sa juridiction et de procéder à l’évaluation de l’activité professionnelle
des magistrats placés sous son autorité. L’ordre hiérarchique y est donc une réalité et chaque
président de juridiction est comptable des ordres qui y sont donnés. Il est garant de toutes les
décisions rendues au sein de sa juridiction, veille à la discipline dans sa juridiction, supervise
le personnel qui travaille sous sa direction et sa surveillance.

512
Roger Perrot, Institutions judiciaires, Op. Cit., p. 76.
513
Article 7 du décret de 1995 portant statut camerounais de la magistrature
514
Bai Aimée Koovi, « Les mécanismes de garantie de l’indépendance judiciaire au Bénin et les enjeux de
réformes », Op. Cit.
515
Décret de n° 95/048 du 8 mars 1995 portant statut de la magistrature au Cameroun.
516
Cf. Loi de 2006 sur l’organisation judicaire et autres textes complémentaires.

99
Pierre Coulange517 éclaire dans une analyse, l’importance de la structure hiérarchique
des juridictions et juges. A l’opposé du modèle de juge anglo-saxon, le juge dans le modèle de
type bureaucratique fait carrière dans l’institution judiciaire. Dans cette optique, il est
tributaire de ses supérieurs, qui, soit l’appuierons ou le proposerons pour une promotion. Bien
que le statut de la magistrature énonce les différents critères d’avancement518, connaitre les
véritables critères de notation et d’avancement dans cette profession écrit Coulange, est une
« entreprise audacieuse »519. Son activité démeure difficile à évaluer par la hiérarchie. Les
chefs de corps vont se baser sur des éléments les plus facilement observables par exemple, le
nombre d’arrêts rendus. De son coté le juge va se « signaler » au près de son supérieur en
cherchant à lui faire plaisir520. Si des garanties entourent ces pouvoirs pour se prémunir de
tout excès, le juge n’est pas à l’abri de pressions ou de sanctions de la part de ses supérieurs
hiérarchiques, si les rapports qui les lient dans le service ne sont pas d’une parfaite sérénité521.
Aussi, l’indépendance institutionnelle de la justice camerounaise paraît-elle d’une portée
relativement limitée bien que garantie. Car, il nous semble bien que, la véritable soumission
résulte d’une subordination juridique de l’action, non d’une soumission statutaire de l’organe
juridictionnel. Et cette portée toute relative de la soumission d’une institution censée incarnée
la primauté du droit, se manifeste tout autant vis-à-vis de son environnement.

Paragraphe II. La complexité des rapports entre la justice et son


environnement
92. « Bien administrer la justice, c’est d’abord bien la rendre, dire le droit de la meilleure
façon. Les citoyens attendent des magistrats qu’ils appliquent la loi, en veillant
scrupuleusement au respect des normes et en s’assurant que leurs décisions contribuent, de
façon équilibrée, à l’harmonie sociale » 522 . Vu sous cet angle, les problèmes récurrents
reprochés à la justice en Afrique restent liés aux questions relatives à l’indépendance de la
magistrature, à son accessibilité. Pourtant, l’institution judiciaire et ses acteurs restent soumis
à un certain nombre d’interactions tant avec le milieu social, qu’avec l’environnement
politique dont les effets sur la régulation des rapports sociaux ne saurait être édulcorés.

517
P. Coulange, « Economie du judiciaire », in Politiques et management public, Vol. 12, n° 1, 1994, pp. 1-26.
518
Article 26-45 décret portant statut de la magistrature.
519
Pierre Coulange, « Economie du judiciaire », Op. Cit.
520
Ibid. p. 15 ; Jan Mattijs, « Management de l’institution judiciaire et indépendance des magistrats : un
paradoxe ? », Vème journée d’analyse économique du droit et de la justice-Workshop du laboratoire CERAS-
EDJ, Université de Reims Champagne-Ardennes, 22 juin 2000.
521
Alioune Badara Fall, « Le menaces internes à l’indépendance de la justice », Op. Cit.
522
Vincent Lamanda, « Discours d’audience solennelle de début d’année judiciaire », 14 janvier 2010, in
Cour de cassation, Les personnes vulnérables dans la jurisprudence de la cour de cassation, Rapport annuel
2009, Paris, La documentation française 2010, Op. Cit., p. 40.

100
L’indépendance institutionnelle de la justice se trouve en raison de ces interactions limitée par
l’emprise qu’exercent certains phénomènes socioéconomiques sur la justice (A), et, le poids
de l’appareil politique sur l’office du juge (B).

A. La justice sous l’emprise de certains phénomènes socioéconomiques

93. L’espace des rapports entre « justice » et « environnement socioéconomique » est sans
doute l’un des plus fantasmés du débat public. L’offre de justice en Afrique en général et dans
l’espace judiciaire camerounais en particulier, serait insuffisant 523 à satisfaire la demande
existante. L’institution judiciaire et ses infortunes524 auraient même contribuée à la régression
économique de l’Afrique car accusée régulièrement d’être mortifiée par la corruption. Si le
phénomène n’est pas exclusivement attaché à l’Afrique dans la mesure où tous les Etats de la
planète subissent le phénomène525, mais il est caractérisé au sein de la justice camerounaise,
par son ampleur et ses conséquences sur l’attractivité des investissements526, la protection
juridictionnelle des droits que le particuliers tirent du droit positif. Pour mettre en évidence
l’influence d’un phénomène, il est nécessaire de préciser la notion (1). Ce n’est qu’après ce
préalable, que pourra être étudié le fait « corruptionnel »527 en milieu judiciaire (2).

1. Précision sur la notion « corruption »

94. Pour comprendre l’ampleur du phénomène, il faut consentir à le définir (a) et en


exposé les formes (b), de manière à situer celui rencontré dans le milieu judiciaire.

523
J. Du Bois Gaudusson, « Le statut de la justice dans les Etats d’Afrique francophones », Afrique
contemporaine, n° 156, 4e trimestre 1990, p. 6 ; Du même auteur, « La justice en Afrique : nouveaux défis,
nouveaux acteurs introduction thématique », Afrique contemporaine, Op. Cit. ; F. Hourquebie (dir.), Quel
service public de la justice en Afrique francophone ?, Paris, Bruylant, 2013 ; Jocelyn Ngoumbango Kohetto.
L’accès au droit et à la justice des citoyens en République centrafricaine, Thèse, Op. Cit., p. 168 et s.
524
Mahaman Tidjani Alou, « La justice au plus offrant Les infortunes du système judiciaire en Afrique de
l’Ouest (autour du cas du Niger) », in Politique africaine, 2001/3, n° 83, pp. 59-78.
525
Ce qui généralement diffère d’un pays à un autre, ce sont ses dimensions, son intensité et plus important, la
façon dont le gouvernement et la société dans son ensemble s’attaquent à ce problème pour le réduire ou
l’éliminer.
526
J. Cartier-Bresson, « Les analyses économiques des causes et des conséquences de la corruption : quelques
enseignements », in Affairisme : la fin du système. Comment combattre la corruption, OCDE, 2000, pp. 15et
suiv.
527
Le néologisme suggéré est utilisé pour désigner aussi bien les faits relatifs à la corruption que l’infraction de
corruption. Simon Pierre Hemle Djob Sotong, L'indépendance judiciaire à l'épreuve de la «grande corruption»
Illustration à travers la réception des instruments internationaux de lutte contre la corruption dans les systèmes
judiciaires de Common Law et de Droit Civil et selon les contextes sociaux Nord/Sud (Canada, France,
Cameroun), Thèse, Droit, Université Laval, 2019.

101
a. Définition

95. « Quid faciant leges ubi sola pecunia régnât ? »528, s’interrogeait déjà Pétrone, il y a
dix-neuf siècles. Aujourd’hui encore et peut être plus qu’hier, l’argent continue à régner sur
les mœurs et les habitudes si bien que la corruption, au sens étymologique du latin cum-
rumpere, c'est-à-dire celle qui « brise » tout, (détériore, abime, dénature, altère) domine le
monde politique, économique et judiciaire. Phénomène social complexe 529 , l’acception
définitive du terme corruption semble encore déficiente en droit positif. Des notions parentes,
voisines, complémentaires issues du droit ou du langage quotidien : concussion, trafic
d’influence, prévarication, pots de vin, etc. revendiquent en effet leur originalité. S’il est un
mal qui mortifie l’appareil judiciaire tant il est le sujet de toutes les récriminations, des
opérateurs économiques, aux professionnels du droit en passant par la société civile, c’est la
« corruption ». Sur la question, les conventions internationales se bornent généralement à
énoncer le but qu’elles s’assignent 530 et les infractions 531 assimilées à la corruption. Aux
termes de l’article 1er de la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics
étrangers dans les transactions commerciales internationales, ci-après, la « Convention de
l’OCDE », la corruption est définie comme le fait « pour toute personne, d’offrir, de
promettre ou d’octroyer un avantage indu […] »532. Cette conception semble aussi limitée
que celle de Karamoko Kané qui, dans une étude de la corruption des fonctionnaires
africains 533 semble réduire la corruption aux marchés publics étendue aux non agents de
l’Etat. L’auteur définit la corruption comme : « (l’utilisation) abusive d’une fonction à
caractère public à des fins d’enrichissement personnel privé, le phénomène revêtant de
multiples formes : distorsions dans la passation des marchés publics, fraudes en douane,
racket administratif, trafic d’influence, népotisme, détournement de fonds, etc. »534.

528
« Que peuvent faire les législateurs lorsque l’argent règne seul ? » Petrone repris par Frédérique Farouz-
Chopin, « Introduction », In : La lutte contre la corruption, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan,
2003, [En ligne], Disponible via le lien http://books.openedition.org/pupvd/1982, consulté le 27 janvier 2020.
529
Karamoko Kané, La corruption des fonctionnaires africains. Comment sortir d’un système de capitulation
générale, Yaoundé, Éditions Clé, 2009.
530
Il en est ainsi de l’article 1er (a) de la Convention des nations unies contre la corruption selon lequel, le but
de la convention est de « promouvoir et renforcer les mesures visant à prévenir et combattre la corruption ».
Convention des Nations Unies contre la corruption, 31 octobre 2003, 2349 RTNU 41.
531
Il s’agit de réfère au trafic d’influence, à l’abus de fonctions, à l’enrichissement illicite, au blanchissement du
produit du crime, etc.
532
Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales
internationales, 17 décembre 1997, 2802 RTNU 248.
533
Karamoko Kané, La corruption des fonctionnaires africains. Comment sortir d’un système de capitulation
générale, Op. Cit., p.
534
Ibid., p. 17.

102
Sur le plan interne, le législateur pénal camerounais dans sa loi n° 2016/007 du 12
juillet 2016 portant Code pénal, érige deux articles pour définir la corruption active et la
corruption passive. Dans la première hypothèse, il s’agit de « […] tout fonctionnaire ou agent
public national, étranger ou international qui, pour lui-même ou pour un tiers, sollicite, agrée
ou reçoit des offres, promesses, dons ou présents pour faire, s’abstenir de faire ou ajourner
un acte de sa fonction » 535 . Dans la seconde, il s’agira de « quiconque, pour obtenir soit
l’accomplissement, l’ajournement ou le refus d’accomplissement d’un acte, soit des faveurs
ou des avantages tels que prévus à l’article 134 ci-dessus, fait des promesses, offres, dons,
présents ou cède à des sollicitations tendant à la corruption […] »536. S. P. Hemle Djob
Sotong ira dans le même sens lorsqu’il définit la corruption en englobant cette fois les deux
cas retenus par le Code pénal comme, « l’ensemble des manœuvres frauduleuses initiées ou
corroborées, de quelques manières que ce soient, par un individu, peu importe son
appartenance ou non à une entité étatique ou privée, qui vise pour lui-même ou pour autrui
l’obtention d’un gain, d’un bénéfice ou d’un intérêt quelconque, qu’il n’est pas possible de
justifier par l’exercice des fonctions légales au sein d’un organisme public ou privé » 537 .
C’est aussi, la mise en œuvre des moyens pour susciter d’un individu dans le cas d’espèce, le
juge, exerçant une fonction déterminée, à agir contre sa conscience et les devoirs de sa charge,
notamment en posant des actes illégaux538. La corruption est en définitive, le fait de se laisser
détourner de son devoir par des dons des promesses539. Ainsi défini, la corruption sera ici
appréhendée en ses actes constitutifs au sens large des conventions internationales540. Elle
revêt plusieurs actes caractéristiques dont la corruption proprement dite, la concussion,
l’enrichissement illicite, la prise illégale d’intérêt notamment dans le domaine des marchés
publics ; le domaine de l’immobilier constitue un autre domaine de prédilection de cette
malveillance financière. Envisagée comme telle, la corruption revêt encore une multitude de
facettes qui en font « un délit caché par excellence »541. En 2017, dans son rapport Doing

535
Code pénal camerounais, art.134 alinéa 1.
536
Ibid., article 134-1 alinéa 1.
537
Simon Pierre Hemle Djob Sotong, L'indépendance judiciaire à l'épreuve de la «grande corruption»
Illustration à travers la réception des instruments internationaux de lutte contre la corruption dans les systèmes
judiciaires de Common Law et de Droit Civil et selon les contextes sociaux Nord/Sud (Canada, France,
Cameroun), Thèse, Op. Cit, p. 14.
538
Voir Jocelyn Ngoumbango Kohetto, L’accès au droit et à la justice des citoyens en République
centrafricaine, Thèse, Op. Cit., p. 168.
539
Sékou Faco Cissouma, « La corruption : un fléau rampant nécessitant une panacée thérapeutique », Revue
CAMES/SJP, n° 001/2017, p. 219-241.
540
Voir Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption, 11 juillet 2003, 2860
RTNU 167, art. 4 para.2 : « […] tout autre acte ou pratique de corruption et infractions assimilées non décrit
dans la présente Convention » ; art. 1er « […] ‘corruption’, les actes ou pratiques, y compris les infractions
assimilées, prohibées par la présente Convention ».
541
Cf. Frédérique Farouz-Chopin, « Introduction », In: La lutte contre la corruption, Op. Cit.

103
Business, la Banque mondiale fait une description lugubre de la justice camerounaise et la
considère comme la principale cause de la faible attraction que ce pays exerce sur les
investisseurs dont en voici les termes exacts. « La corruption est endémique au Cameroun et
augmente significativement les coûts et les risques de faire des affaires. La corruption et le
népotisme sont répandus dans presque tous les secteurs du gouvernement camerounais et de
l'économie ; mais est particulièrement répandue dans le pouvoir judiciaire ... La corruption
est effrénée dans le pouvoir judiciaire du Cameroun, présentant pour les entreprises de
risques très élevés. De nombreuses entreprises rapportent une haute fréquence de dessous-de-
table en échange des jugements favorables. Les fonctionnaires de la justice acceptent des
dessous-de-table en échange de la baisse de charges, une réduction des peines de prison, ou
une sortie. La moitié au moins des camerounais perçoivent le pouvoir judiciaire comme très
corrompu. Le pouvoir judiciaire n'est pas toujours indépendant pour examiner et poursuivre
les affaires de corruption. Les juges sont susceptibles d'être influencés. Le pouvoir judiciaire
est inefficace, manque de ressources adéquates. Les entreprises devraient se méfier que leurs
droits légaux, y compris les contrats et leurs droits de propriété ne soient pas protégés en
raison de la vaste corruption dans les juridictions ». Les différents rapports publiés par la
Commission nationale anti corruption (CONAC) ne remettent pas en cause la réalité ainsi
présentée.

96. Quel que soit le bout, les formes par lesquelles le fléau est appréhendé, une
constante s’en dégage : la vénalité du juge. Pourtant, ce que la loi a voulu punir c’est l’un des
« crimes qui mettent le plus grièvement en péril la sécurité d’un pays : la vénalité de tous
ceux qui à un degré quelconque participe à la gestion des affaires publiques »542. Le juge et
sa justice aurait donc une valeur marchande. Elle s’estimerait en dons, promesses, offres,
présents, rapports sexuels, intérêts quelconques. Les relations complexes que la justice
entretient avec son environnement favoriseraient le développement des pratiques vénales et
des règles parallèles de fonctionnement génératrices d’insécurité juridique543. Ces pratiques
ont pris au cours des dernières décennies, des dimensions qui donnent à voir une justice
gangrénée par le « virus de l’argent » 544 . L’issue d’un litige dépend essentiellement de la

542
Eric Peuchot, « La corruption des fonctionnaires devant la justice », Pouvoirs 31, 1894, pp. 37-52 ; Cass.
crim. 24 février 1893, Sirey, 1893.1.220.
543
Mahaman Tidjani Alou, « La justice au plus offrant Les infortunes du système judiciaire en Afrique de
l’Ouest (autour du cas du Niger) », Op. Cit, p. 64.
544
Ibid.

104
disposition des parties à faire des arrangements secrets avec le juge 545 . Les meilleurs
arguments seraient financiers et non juridiques. Ceux-ci dépendent du montant des sommes
mises en jeu. Des largesses des justiciables dont le juge n’en serait pas le seul bénéficiaire.
Les greffiers auraient eux aussi droit au chapitre par quelques cadeaux, dans le but d’assurer
une meilleure diligence des pièces du dossier, ou tout autre document et service lié à l’affaire
pour laquelle le juge a été saisi. Le rapport du justiciable à la justice dépend donc fortement
de son poids social et économique et des relations que l’usager est capable de réunir et de
mettre à profit dans l’appareil judiciaire546. Ce poids social et économique constitue la grille
officieuse des prix.

97. L’auteur 547 d’un diagnostic sur les systèmes judiciaires des Etats qui constituent
l’espace OHADA 548 mettent en exergue une idée répandue selon laquelle « les juges ont
tendance à condamner systématiquement ceux qui peuvent payer, même si par ailleurs la
limite en leur faveur ». L’auteur ajoute, qu’il est déjà arrivé qu’un juge après avoir dans sa
décision ordonné la restitution d’une somme importante d’argent en faveur d’un plaideur,
s’est arrogé le droit de procéder lui-même à l’exécution de la décision rendue en violation des
dispositions OHADA en la matière. Corrompre le juge constitue désormais une démarche
classique pour l’usager soucieux du traitement diligent de son dossier et d’une décision en sa
faveur. Avec le temps, un sentiment a pris corps : celui selon lequel les décisions de justice
s’achètent. « A la justice, c’est celui qui a le plus déboursé qui a raison ; il n’y a pas de
justice, c’est la vente (de la décision de justice) aux enchères »549. A l’analyse de ces propos,
la justice a une valeur marchande indéniable, que complexifie l’intervention des acteurs
professionnels, les convergences et divergences des intérêts des différents acteurs. Dans ce
contexte de sabordement des normes, se profile une certaine anomie de la justice ; un

545
Laurent Roger Nguimbog, « La justice administrative à l’épreuve de la corruption au Cameroun », Droit et
société, 2002/1, n° 51-52, pp. 301-322.
546
Mahaman Tidjani Alou, « La justice au plus offrant Les infortunes du système judiciaire en Afrique de
l’Ouest (autour du cas du Niger) », Op. Cit., p. 65.
547
V. M. Dan Dah, « Contribution à un diagnostic du système judicaire nigérien en vue de sa moralisation »,
multigr., juillet 2000 ; Sékou Faco Cissouma, « La corruption : un fléau rampant nécessitant une panacée
thérapeutique », Op. Cit.
548
Au Cameroun, sur une série d’interview menées, voici la question et la réponse donnée par un justiciable
camerounais sur le fait corruptionnel. « Q : Qu’est ce que vous pensez de la justice au Cameroun ? R : Il suffit
que tu aies de l’argent, on te donne justice ; la corruption est de taille… ». Voir pour l’intégralité des interviews,
Isaac Bolivar René Njupouen, Dynamiques alternatives pour l’accès au droit et à la justice dans un contexte de
pauvreté: enjeux de l’état de droit, de la gouvernance et du développement durable, Thèse, Sociologie, Op. Cit.,
p. 322 et s.
549
Propos d’un usager au tribunal de Kandi, Niger rapporté par M. L. Dan Dah, « Contribution à un diagnostic
du système judicaire nigérien en vue de sa moralisation », Op. Cit.

105
dysfonctionnement du système judiciaire renforcer par la corruption550. La corruption semble
ainsi devenir, le moyen privilégié de défense de certains plaideurs, une stratégie au droit
d’accès à un tribunal indépendant et impartial et donc de la protection juridictionnelle des
droits. Le juge est sorti de son lit, pour faire lit commun avec une infraction. Les acteurs du
monde des affaires soumettent les magistrats par la force de leur pouvoir économique, le
pauvre justiciable rassemble ses petits moyens et conjugue ses efforts pour s’assurer la
sympathie et la bienveillance du magistrat au moment de conclure et de prononcer le verdict.
Les actions diffuses des uns et des autres contribuent à changer le cours de la justice et jouent
ainsi des fonctions autant qu’elles occasionnent des dysfonctions551. Une simple expression
nous permet de caractériser le fléau, le détournement du service public de la justice par une
dimension plurielle de la corruption.

b. Les formes de corruption

98. Les justiciables en général et ceux d’affaires en particulier sont engagés dans une
compétition où toute possibilité d’échec semble exclue. Les modalités de la compétition varie
selon qu’il s’agit de la grande ou de la petite corruption. À travers un célèbre article intitulé «
The cost of corruption »552, Moody-Stuart apporte quelques précisions quant à la distinction à
établir entre la « petite corruption » et la « grande corruption »553. Sa distinction est basée sur
deux éléments : l’auteur du fait corruptionnel et les résultats de la corruption. La grande
corruption inclue les hauts responsables des grands services publics, de l’administration, les
ministres et chefs d’Etat. La corruption est appréhendée par ces acteurs comme un privilège,
un défi, ou une redistribution, fixant ou obtenant par des négociations partenariales en
fonction du rang facilitée par la position occupée au sein de l’administration554. L’exercice
des fonctions donne droit à l’exploitation de la petite faille offerte par de nombreuses
occasions parmi lesquelles, les opérations d’urbanisme, l’attribution des terrains et les

550
Isaac Bolivar René Njupouen, Dynamiques alternatives pour l’accès au droit et à la justice dans un contexte
de pauvreté: enjeux de l’état de droit, de la gouvernance et du développement durable, Thèse, Op. Cit.
551
Ibid.
552
George Moody-Stuart, «The Cost of Grand Corruption », Ethic and Governance Reform Today, 4, 1996 En
ligne, http://groups.google.com/forum/topic/soc.culture.venezuela.html, consulté le 15 mars 2020.
553
Ibid. « […] it is useful to distinguish between ‘‘grand corruption’’, which involves senior officials, ministers,
and heads of state and ‘‘petty corruption’’, which entails immigration officials, customs clerks, policeman, and
like. This is not simply a difference of scale. Petty corruption is usually about getting routine procedures
followed more quickly or not followed at all. Grand corruption involves influencing decision-makers. To focus
on grand corruption is not in any way to condone petty corruption, which can seriously damage the quality of
life of the ordinary citizen – particularly of the most vulnerable members of society. But grand corruption can
destroy nations: where it is rampart, there is no hope of controlling petty corruption ».
554
Laurent Roger Nguimbog, « La justice administrative à l’épreuve de la corruption au Cameroun », Droit et
société, Op. Cit.

106
marchés publics relatifs à la voirie sont des aubaines permettant de s’enrichir au détriment de
la collectivité, l’exécution des contrats donne droit à des surfacturations de marchés. Ses
résultats sont la destruction systématique des nations à tel point qu’elle a été considérée
comme étant un crime contre l’humanité555, une indigène spoliation, une violation grave et
systématique des droits fondamentaux des citoyens556. Sur le plan du droit pénal, la corruption
est assimilée par les spécialistes de la discipline aux crimes internationaux et à la violation des
droits de l’homme557.

99. La petite corruption quant à elle, concerne les fonctionnaires et agent de l’Etat qui sont
en contact avec les usagers confrontés généralement, mais pas toujours, à la précarité de leurs
conditions de vie et de travail. C’est ici que l’on situe la corruption en milieu judiciaire.
Contrairement à la grande corruption où l’auteur est un décideur, l’auteur de la petite
corruption est un justiciable ordinaire. Mais il est difficile de tracer une frontière avec la
grande corruption558. D’une manière générale, l’usager doit être à mesure d’offrir quelque
chose pour obtenir le résultat recherché. La pratique de la corruption en milieu judiciaire
provoque des attitudes paradoxales. Tous la dénoncent, la critique mais s’en accommodent.
La justice est l’objet « de nombreux procès qui tous s’accordent sur un acte d’accusation
étoffé, sévère et sans appel : absence du pouvoir judiciaire indépendant, subordination de la
justice au pouvoir politique, vénalité des juges, misère financière et documentaire des
tribunaux… »559. La corruption, « petite » ou « grande », est perçue ici comme une nécessité.
Le justiciable est persuadé qu’il doit payer pour atteindre son objectif. Ne pas l’accepter c’est
vouloir perdre son temps et se placer volontairement « en dehors de la course »560. Tout se
paye et celui qui ne donne rien n’a rien561. La corruption se manifeste dans toutes les relations
sociales et professionnelles562. Elle se donne à voir aussi bien dans les affaires privées que
dans le secteur public, on la rencontre non seulement dans les marchés des entreprises qu’à

555
Ilias Bantekas, « Corruption as an International Crime and Crime against Humanity. An outline of
Supplementary Criminal Justice Policies », (2006) 4 Journal of International Criminal Justice ; Ndiva Kofele-
Kale, The international law of responsibility for economic crimes: holding state officials individually liable for
acts of fraudulent enrichment, 2nd Ed., Hampshire, Ashgate Publishing Limited, 2006, ix. 13.
556
Ndiva Kofele-Kale, The international law of responsibility for economic crimes: holding state officials
individually liable for acts of fraudulent enrichment, Op. Cit.
557
Voir Martine Boersma, Corruption : a Violation of Human Rights and a Crime under International Law?
Cambridge/Antwerp/Portland, Intersentia, 2012.
558
Pour une distinction précise entre les deux formes de corruption, voir A. Doig et R. Théobald (eds),
Corruption and democratisation, Londres, Frank Cass, 1999, pp. 4-8.
559
Jean du Bois de Gaudusson, « Le statut de la justice dans les Etats d’Afrique francophone », Afrique
contemporaine, Op. Cit.
560
Laurent Roger Nguimbog, « La justice administrative à l’épreuve de la corruption au Cameroun », Op. Cit.
561
Ibid.
562
Dans les médias, les relations économiques, la politique, etc. Cf. Pierre Titi Nwel (Coord.), De la corruption
au Cameroun, Etude, GERDDES Cameroun, Fondation Friedrich Ebert, Juin 1999.

107
propos des décisions de justice563. Le fléau est désormais comme de l’« huile dans les rouages
» d’une machine, une composante de la fonctionnalité des stratégies des acteurs et qu’ils
entretiennent au quotidien564. Violation des devoirs de probité, de loyauté et d’impartialité
requis dans l’exercice d’une charge publique, au détriment de l’usager, la corruption s’est
disséminée dans le milieu judiciaire impactant la sécurité judiciaire et l’attractivité des
investissements.

2. La corruption en milieu judiciaire

100. L’idée que la « justice est un monde corrompu » semble être de plus en plus affirmée.
Perçue comme un « instrument de servitude du pauvre par le riche ». Mais il est toutefois
difficile d’en avoir la mesure exacte. Cependant, la dénonciation courante des pratiques et
faits de corruption fait qu’il faille considérer les modes (a) et les conséquences juridiques du
phénomène (b).

a. Les modes de corruption en milieu judiciaire

101. Le milieu judiciaire est considéré au Cameroun comme l’une des scènes privilégiées
de la manifestation de la corruption. Les différentes statistiques que fournissent les différents
rapports de l’organisme national de lutte contre la corruption CONAC en sont l’illustration.
Ils classent le service public de la justice parmi les administrations les plus corrompues565. Les
modes ou voies et moyens de corruption dans le milieu judiciaire n’ont d’égal que
l’ingéniosité et la prudence des auteurs. Le choix des modes de corruption semble
essentiellement dicté par des considérations d’intérêt, de commodité et de discrétion 566 .
Depuis toujours, la remise d’espèces numéraire de main à main, opération simple et discrète
est le procédé des corrupteurs et corrompus désigné tantôt par diverses expression comme
« pots de vin », « faire un geste », « tchoko » et autres. La circulation monétaire est devenue
très rapidement détentrice d’un véritable pouvoir de corruption567. Le député français Pierre
Bas dans un ouvrage568 illustre le pouvoir de l’argent par une anecdote chargée singulièrement

563
Philippe Ardant, « Introduction », Pouvoirs, 31, La corruption, 1984, p. 3.
564
Marilou Mathieu, « Projets de développement et corruption. Prédispositions et effets d’entraînement », in
Giorgio Blundo, (ed.). Monnayer les pouvoirs: Espaces, mécanismes et représentations de la corruption. New
edition [online]. Genève: Graduate Institute Publications, 2000, pp.123-155 (consulté le 06 janvier 2020).
Available on the Internet: http://books.openedition.org/iheid/2610
565
La justice dans les rapports de la CONAC publiés ces dernières années parmi les meilleurs élèves en la
matière. Troisième dans le rapport de l’année 2018, première ou deuxième dans les rapports précédents.
566
Louis Fougère, « Les voies et moyens de la corruption », in Pouvoirs, La corruption 31, Op. Cit., p. 13-18 ;
Marilou Mathieu, « Projets de développement et corruption. Prédispositions et effets d’entraînement », Op. Cit.
567
Philipe Decraene, « La corruption en Afrique noire », in Pouvoirs, Op. Cit, pp. 95-104.
568
Par ordre du Sultan, une tête…, Paris, Hachette, 1980, p. 103.

108
de signification. Il déclare : « Je me souviens d’une vielle femme noire, qui, sur un marché du
Congo, brandissait un billet de 5 F, un mapata, en criant : « Dieu ? Où est Dieu ? Mais le
voilà, le voilà celui qui peut tout… ». L’argent a bouleversé les structures sociales
africaines569 et celles de la justice avec. Avec lui est venu l’oubli de la soumission aveugle à
la loi naturelle et à la morale qui codifient la coutume. Avec lui, prennent naissance la
concussion, la prévarication, la corruption et l’immoralité 570 . Ousmane Dianor donne
d’ailleurs dans un article une juste image de l’opération corruption, telle qu’elle a cours sur le
terrain. La corruption y est considérée comme le prix de la transaction, caractérisée par la
rencontre entre les « offreurs » et les « demandeurs » de corruption571. La corruption est un
jeu à trois acteurs : le corrompu (le juge ou assimilé), le corrupteur (une personne physique ou
morale) et le lésé (une entreprise concurrente ou un particulier) censé avoir droit à une
décision juste et équitable.

102. Si la transaction des espèces sonnantes et trébuchantes est la voie la plus utilisée, elle
ne bénéficie certainement pas de l’exclusivité, dans la mesure où le corrupteur peut choisir en
lieu et place d’une transaction financière d’opter pour l’activation des liens personnels avec le
juge. La solidarité, la cohésion sociale, la famille élargie : voici des concepts qui ont fait la
gloire de l’Afrique et de ses populations. Il faut en effet se souvenir que dans le système
coutumier tribal, « à l’état pur », l’individu n’a pratiquement pas de vie sociale propre. Celle-
ci se fond dans la communauté, car il fait partie d’une société dont la base est la famille
élargie. Dans un tel système axé sur une forte conscience familiale et de l’appartenance à un
groupe, elle-même fondée sur « un ensemble de perceptions, de sentiments, de sens de valeurs
communs au groupe »572, on est présence d’une culture de soumission aux us et coutumes du
groupe. Si la situation de nos jours n’est plus comparable à celle de nos sociétés
traditionnelles de départ, il n’en demeure pas moins que ces us et coutumes semblent résister,
les cercles de la solidarité, « facilitateurs », « banalisateurs » des processus locaux de
corruption se sont d’ailleurs élargis.
Le juge est constamment soumis en plus de la famille aux pressions de ses cercles de
solidarité que sont le parti politique, l’association à caractère spirituel, social, professionnel,

569
Philipe Decraene, « La corruption en Afrique noire », in Pouvoirs, Op. Cit.
570
Ibid. ; Hyacinthe Sarassoro, La corruption en Afrique des fonctionnaires, Coll. « La vie du droit en
Afrique », éd. Economica 1980 ;
571
Ousmane Dianor, « « Manger l’argent ». Les dimensions économique et socioculturelle de la corruption en
Afrique », in Giorgio Blundo, (ed.). Monnayer les pouvoirs: Espaces, mécanismes et représentations de la
corruption, Op. Cit., pp. 157-175.
572
R. Breton, Les ethnies, PUF, coll., « Que sais-je ?, 1981, p. 47 (cité par B. Djuidje, « Le statut du juge
judiciaire camerounais : un tableau contrasté », in Annales FSJP Université de Dschang, Op. Cit., p. 49).

109
l’amitié, le voisinage, l’ethnie, la promotion, la liste n’est pas exhaustive. Il n’est jamais rare
qu’un parent, une connaissance, un ami intervienne auprès du juge au profit d’un justiciable.
L’intervenant convoque alors les liens d’amitié pour lui et sa famille, voire des services qu’il
aurait rendus au juge. Le plus souvent, ce type de transaction a lieu en dehors des locaux des
juridictions. Le juge devient ainsi malgré lui, le juge de la famille, de la tribu, du village, tenu
en tant que tel d’intervenir en faveur de ses pères, mères, sœurs, pouvant être accusé de
trahison envers les siens573 en cas de refus. On vera ainsi, en matière de procédure collective,
le tribunal de grande instance de Ouagadougou violer les dispositions de l’Acte uniforme sur
les procédures collectives en décidant de la liquidation des biens d’une société dont la
cessation des paiements n’était pas établie ; la persistance des juges à désigner certaines
personnes à titre de syndic ou d’administrateur d’entreprise en état de cessation des paiements
malgré le fait qu’elles se sont illustrées plutôt dans le démantèlement des entreprises, en sorte
qu’aucun des objectifs poursuivis n’ai été atteint574, c’est-à-dire sans jugement de clôture,
sans concordat avec à la clé, la désagrégation de l’entreprise, le non paiement des créanciers
et une totale impunité des débiteurs auxiliaires de justice fautifs. Il peut aussi arriver que des
intermédiaires perçoivent des rétributions pour le compte du juge. Ces quelques exemples
sont l’illustration de la corruption par activation de liens personnels avec le juge. Le juge se
trouve inséré dans « des réseaux d’interconnaissance de corruption » 575 , porteurs de
rétributions diverses conditionnant et influençant négativement son office. Ce qui amènera le
Professeur Maurice Kamto à conclure que « l’indépendance du juge camerounais n’est pas
menacée par le pouvoir politique ? Elle l’est d’avantage par des pressions intempestives des
affinités tribales et des comportements irresponsables de certains citoyens »576.

103. Les avocats et autres auxiliaires de justice ne sont pas en marge du phénomène. Ils
sont perçus comme des vecteurs de corruption lorsqu’ils incitent les justiciables parties à un

573
B. Djuidje, « Le statut du juge judiciaire camerounais : un tableau contrasté », Op. Cit.
574
Congrès 2008 de Lomé : le rôle du droit dans le développement économique, « la perception du droit et de la
justice dans les villes de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso Burkina Faso », Op. Cit.
575
Monsieur Cartier-Bresson met l’accent sur les réseaux de corruption. Il estime que c’est dans cette optique
qu’il faut envisager la lutte contre la corruption car la force des réseaux réside dans la communication d’un
système alternatif de valeurs qui permet aux individus de s’intégrer et de justifier ensuite la violation des lois.
L’organisation en réseaux aurait selon l’auteur deux fonctions : le réseau est tout d’abord un intermédiaire dans
le cadre d’échanges complexes et c’est ensuite un espace de relations individuelles grâce auxquelles des liens de
confiance se nouent entre les différents acteurs. J. Cartier-Bresson, « les réseaux de corruption et la stratégie
des 3 S : Sleep-Silence-Smile », in La corruption : l’envers des droits de l’homme, Ed. Universitaire de Fribourg,
suisse, 1994, pp.81-106 ; J. Cartier-Bresson « Les analyses économiques des causes et des conséquences de la
corruption : quelques enseignements », Op. Cit, pp. 11-27 ; L’économie de la corruption, Thèse, 1996, Paris
XIII, Villetaneuse.
576
M. Kamto, « Les mutations de la justice à la lumière des développements constitutionnels de 1996 », Exposé
tenu le 25 octobre 1999, lors de l’ouverture des premières journées portes ouvertes de la justice. Extrait dans le
Cameroon tribune du 26 octobre 1999, p. 4.

110
procès de prévoir « la part du juge ». Il s’agira dans le cas d’espèce « d’acheter » la décision
du juge au profit de leur client participant ainsi à forger l’image d’une justice « monnayable et
achetable » 577 . L’inconduite de la défense 578 peut tout aussi épouser des configurations
variées : détournement des fonds appartenant au client à l’issue du procès, l’achat de
conscience de l’avocat par la partie adverse. Les prêts et ouvertures de crédit sont aussi un
moyen séduisant de se concilier les faveurs d’un personnel judiciaire ou encore la mutation
d’un acte de propriété de son titulaire originaire au juge. Les rapports sexuels, les cadeaux
occupent aussi une place importante dans l’éventail des moyens de corruption ; une place
aussi importante que particulière579. Il est fréquent en Afrique, pour obtenir un service quel
qu’il soit de devoir « faire un geste ». Ces pratiques entrent dans la logique du « cadeau »580,
du remerciement par anticipation du service rendu 581 . De plus, les mécanismes financiers
modernes permettent d’avoir recours à des procédés de corruption encore plus sophistiqués
qui peuvent aller de l’offre de parts sociales ou d’actions au sein d’entreprises, à la création et
approvisionnement de compte sur un prêt nom etc. Eu égard à ce qui précède, certains
prétoriens ne sont pas fatalement voués à la morale et au respect des règles déontologiques et
d’éthique professionnelles. Il leur arrive de céder aux tentations auxquelles avaient cédé ceux
dont ils sont censés arbitrer le litige. Comportement lourd de conséquences sur l’organisation
régionale dont ils sont censés garantir l’application du droit.

b. L’impact du phénomène de la corruption sur l’OHADA

104. La corruption est avec l’insécurité politique, des raisons qui pousseraient les
investisseurs étrangers de s’abstenir de s’engager à investir dans un Etat, dissuader le
justiciable de saisir le juge sur une solution à son litige qu’il connait d’avance. Si la corruption
est un fléau universel, phénomène rampant dans les économies modernes, la corruption qui
sévit au sein des systèmes judiciaires africains et camerounais en particulier, produit un effet

577
Mahaman Tidjani Alou, « La justice au plus offrant Les infortunes du système judiciaire en Afrique de
l’Ouest (autour du cas du Niger) », Op. Cit. ; Ousmane Dianor, « « Manger l’argent » Les dimensions
économique et socioculturelle de la corruption en Afrique », Op. Cit.
578
Ibid.
579
Louis Fougère, « Les voies et moyens de la corruption », Op. Cit. ; Laurent Dartigues and Emmanuel de
Lescure, « La corruption, de l’« économie de bazar » au bazar de l’économie ? », in Giorgio Blundo, (ed.).
Monnayer les pouvoirs: Espaces, mécanismes et représentations de la corruption, Op. Cit., pp. 315-344.
580
Les auteurs reprennent la distinction faite par J.-P. Olivier de Sardan qui distingue ainsi six « logiques de
comportement » qui peuvent influer sur des pratiques diverses de la corruption : une logique de la négociation et
du marchandage, une logique du courtage ou de l’intermédiaire, une logique du cadeau, une logique du devoir
d’entraide de réseau, une logique de l’autorité prédatrice et une logique de l’accumulation redistributrice.
581
Olivier J.-P. de Sardan, Concepts et conceptions songhay-zarma (histoire, culture, société), Paris, Nubia,
1982 ; Les sociétés songhay-zarma. Chefs, esclaves, guerriers, paysans, Paris, L’Harmattan, 1984 ; «
L’économie morale de la corruption en Afrique », Politique africaine, n° 63, octobre, 1996, pp. 97-116.

111
néfaste sur les investisseurs et compromet gravement la possibilité des systèmes judiciaires
nationaux à garantir la sécurité juridique par l’application correcte des règles de droit et
judiciaire par la recherche d’une solution juste et équitable. En Afrique, de nombreux
investisseurs hésitent encore à investir par peur de la corruption et ce malgré le succès
incontesté de l'OHADA582. Sur le plan interne, cela a déjà été relevé, la justice figure au
nombre des administrations les plus corrompues.
Sur le plan international, Les dernières décennies ont vu un développement croissant
d’indicateurs cherchant à mesurer les niveaux de corruption dans les pays. Ces indicateurs
proviennent d’organisations internationales (Banque Mondiale, PNUD, FAO, …),
d’initiatives privées ou de la société civile (ONG, comités d’éthiques, …). Nous retenons ici
deux indicateurs parmi les plus utilisés : l’indice de perception de la corruption (IPC)583 établi
par Transparency International et l’indice Control of Corruption provenant de la Banque
Mondiale. Les études destinées à établir l’indice de perception de la corruption dans le monde
de Transperency international classent les pays membres de l’OHADA parmi les plus
corrompus de la planète. Le classement rendu public en 2011 par l’organisation non
gouvernementale et la position des Etats membres de l’OHADA illustre le degré de corruption
de la justice au sein desdits Etats584. Si les Etats essayent de réduire cet indice de perception, il
n’en demeure pas moins que la corruption a entamé l’attractivité de la zone OHADA. La
corruption qui menace le droit OHADA585, est aussi le pire ennemi du développement586, le
bourreau du droit à un procès équitable. Ses conséquences sur le système économique ne sont
plus à démontrer : augmentation du prix des services publics, mauvaise allocation et
gaspillage des ressources, frein aux investissements et méfiance envers les institutions587. Ces

582
Thorsten Vogl, « La lutte contre la corruption : condition essentielle pour la réussite de l'OHADA », Penant
n° 867, 2009, pp.206-214.
583
Depuis 1995, l’IPC a pour objectif de mesurer la perception qu’ont les acteurs locaux (experts du pays ou
professionnels) de la corruption de la sphère publique. L’IPC est un indice composite, c’est-à-dire construit à
partir de plusieurs autres indicateurs et enquêtes (appelés « indicateurs sources »). Pour l’indice IPC de 2016
(relatif à 176 pays), treize sources de données ont ainsi été exploitées, certaines provenant de la Banque
Africaine de Développement, d’autres de la Banque Mondiale, du World Economic Forum ou encore du World
Justice Project. L’ensemble de ces données sont traitées et standardisées afin d’établir un score entre 0 (fort
niveau de perception de la corruption, pays hautement corrompus) et 100 (faible niveau de perception de la
corruption, pays « vertueux »). Pour les details voir. A. Rohwer, (2009), « Measuring Corruption; A comparison
between the Transparency International’s corruption perceptions index and the world bank’s worldwide
governance indicators », Research report, CESifo DICE Report, pp. 42-52.
584
Sur 183 pays que comptent l’enquête, la Guinée équatoriale occupe la 11e position, le Tchad 15e, la Guinée
19 ; la Guinée Bissau 27e, la Côte d’Ivoire 28e, République du Congo 29e, le Niger 44e, la Cameroun 50e, le Mali
e

65e, le Sénégal 68e, le Gabon 80e, Burkina Faso 82 et le Bénin 83e.


585
Thorsten Vogl, « La lutte contre la corruption : condition essentielle pour la réussite de l'OHADA », Op. Cit.
586
L. Roger Nguimbog, « La justice administrative à l’épreuve de la corruption au Cameroun », Op. Cit.
587
Voir pour plus de détail A. Shleifer, & R. Vishny (1993), « Corruption », The Quarterly Journal of
Economics, 108 (3), 599-617; T. Eicher, García Peñalosa, C., & T. Van Y Persele (2009), « Education,
Corruption, and the Distribution of Income », Journal of Economic Growth, 14(3), 205-231; T. Aidt, (2009),

112
effets cumulés constituent de sérieux freins pour la croissance, au développement économique
des entreprises et plus largement des Etats et de leur attractivité. La corruption accroît aussi le
coût de la conduite des affaires et entraîne un gaspillage des ressources et dans une perception
dynamique, la corruption va apparaître plutôt comme un frein de l’activité économique, une
désagrégation progressive des échanges588 parce que « la corruption se présente comme une
forme d’appropriation privée et illicite d’un bien qui devrait appartenir à la collectivité, à
savoir l’information » 589 . C'est-à-dire que le taux d’investissement est fonction de la
prévisibilité ou de l’imprévisibilité du taux de la corruption. La Banque mondiale a noté que
les pays qui ont une corruption prévisible ont des taux d’investissement plus élevés590. Le fait
corruptionnel décourage l’investissement privé parce qu’elle accroît les coûts de production
indirects – la corruption agit comme une « taxe » sur l’investissement, une taxe sur le
capital 591 , et même, une taxe pour l’impartialité et l’indépendance du juge. Pour s’en
apercevoir il suffit d’examiner les taux d’investissement dans les autres Etats de l’espace
francophone africain non membres de l’OHADA et la place des Etats membres de cette
organisation dans le rapport Doing business 2018. Le critère investissement, développement a
d’ailleurs été l’une des raisons sur laquelle se fonda l’Ile Maurice en 1993 lors de la signature
du Traité par les autres Etats pour refuser d’y être partie. La situation des économies de
l’espace OHADA est sensiblement la même, les Etats en plus d’être soumis à la même
réglementation des affaires, partagent les mêmes insuffisances quant aux systèmes judiciaires
appelés à mettre en œuvre ce droit commun.

105. Sur le plan individuel, la corruption du système judiciaire sape la confiance 592 du
justiciable et génère la méfiance, voire le rejet du public vis-à-vis du système de justice.
Conscient des effets que la corruption exerce sur l’OHADA, les Etats ont mis sur pied chacun
à son niveau et selon ses moyens, sa volonté des mesures répressives en érigeant la corruption
et ses diverses manifestations en infractions contenues dans les textes juridiques nationaux et

« Corruption, institutions, and economic development », Oxford Review of Economic Policy, 25(2), 271-291 ;
D. Acemoglu (2010), « Theory, General Equilibrium, and Political Economy in Development Economics », The
Journal of Economic Perspectives, 24(3), 17-32.
588
Hervé Magnouloux, « Analyse économique de la corruption », in Rapport moral sur l’argent dans le monde,
2005, pp. 41-56 ; Mina Baliamoune-Lutz et Léonce Ndikumana, « Corruption et croissance dans les pays
africains : le canal de l’investissement », in Actes de la conférence 2007, Corruption et croissance dans les pays
africains, pp. 433-447.
589
Ibid.
590
Ibid.
591
Mina Baliamoune-Lutz et Léonce Ndikumana, « Corruption et croissance dans les pays africains : le
canal de l’investissement », Op. Cit.
592
Trois critères peuvent être considérées inclus dans l’élément de confiance vis-à-vis d’un système de justice :
la connaissance du système et le sentiment de compétence des citoyens c'est-à-dire le sentiment du justiciable
d’en comprendre l’activité, la légitimité du système et des acteurs et enfin l’accès concret au système de justice.

113
internationaux applicables. Si ces mesures portent quelques fruits la tache reste ardue. La
justice en tant qu’institution ne trouvent pas, dans les rapports quelle entretient avec le
microcosme social, une expression de son indépendance. Par ailleurs, la dépendance de cet
appareil judiciaire déjà mortifié ne nous semble que renforcée par le poids du pouvoir
politique.

B. Le poids du pouvoir politique sur l’appareil judiciaire

106. Le poids du pouvoir politique sur l’appareil judiciaire semble concevable lorsque ledit
poids se caractérise par un lien implicite de dépendance (1). Ce lien influe avec l’ensemble
des autres causes qui entachent l’indépendance de la justice, sur le regard que le justiciable
portera désormais sur le juge et l’institution qu’il incarne (2).

1. Le lien implicite de dépendance

107. le lien de dépendance est soit un lien de droit et de fait (a), soit une influence directe
de l’exécutif sur le judiciaire (b).

a. Le lien de droit et de fait

108. Si la séparation des pouvoirs est le pilier central de l’édifice conceptuel élaboré par
Montesquieu pour donner forme juridique aux pouvoirs publics en général et à
l’administration de la justice en particulier, la pratique contraste cependant avec le lien de
dépendance du judiciaire au politique qui est d’abord de droit, notamment à travers la sanction
des lois et règlements c'est-à-dire au stricte respect de la formule de Montesquieu selon
laquelle « les juges de la nation ne sont (…) que la bouche qui prononce les paroles de la loi
»593. Le célèbre auteur ajoute que, « Des trois puissances (…), celle de juger est, en quelque
façon, nulle »594. Contrairement à ce que les systèmes juridiques africains postcoloniaux ont
hérité du droit français et que la succession des constitutions semblent confirmer, certains
Etats tardent dans le déploiement des pouvoirs à suivre l’enseignement de Montesquieu. C’est
que le système juridique français dont s’inspirent ceux des Etats africains est construit sur un
principe, celui de l’égalité 595 . Si le juge y est considéré comme la figure protectrice des
libertés et de la réalisation du droit596, selon la théorie des sources du droit la jurisprudence
vient après la loi. La justice se trouve ainsi placée en « état de double subordination », à
593
Montesquieu, L’esprit des lois, Op. Cit., p. 216.
594
Ibid., p. 212.
595
Martine Valois, Évolution du droit et de la fonction de juger dans la tradition juridique occidentale. Une
étude sociohistorique de l’indépendance judiciaire, Op. Cit, p. 334.
596
Dany Cohen, « Le juge, gardien des libertés », Op. Cit. ;

114
l’égard de l’exécutif et de la loi 597 . Seule la Loi, expression de la volonté générale, est
susceptible de borner l’exercice des droits. La puissance judiciaire semble limitée à traduire
cette volonté générale dans les cas particuliers, sans plus. Le juge est le gardien traditionnel
des Lois598. Même si l’on peu constater une légère évolution en la matière avec un juge
désormais plus attentif aux revendications sociales, à la sanction des dérives599, le juge reste
considéré comme un rouage accomplissant, dans ses décisions individuelles, les plans dressés
par le législateur 600 , un juge assez respectueux de la Loi 601 manifestant expressément sa
volonté de substituer le droit dit moderne – droit écrit – au droit dit traditionnel – coutume –
pour conférer primauté au premier ou abrogeant le second par le recourt à la théorie de l’ordre
public qualifié par le Professeur P. Gérard Pougoué « d’ordre public d’occidentalisation »602.

109. S’agissant enfin du lien de fait, le statut, les moyens et le sort du juge dépendent du
politique. Dans nos systèmes juridiques, politiques et droits ne sont pas encore au-delà des
textes constitutionnels tout à fait différenciés, du moins en ce qui concerne la fonction
judiciaire 603 . Théoriquement, la magistrature jouit des garanties d’inamovibilité et de la
sécurité financière que confère l’emploi dans l’administration publique. Cependant, l’appareil
judiciaire est entièrement dominé par l’organisation bureaucratique qui contrôle non
seulement l’administration de la justice, mais aussi l’avancement des juges dans la hiérarchie.
Tant les juges du parquet que ceux du siège sont soumis pour la nomination, l’avancement, le
déroulement de la carrière au CSM, donc à l’autorité du ministre de la Justice Garde des
Sceaux604. Du fait de cette absence de différenciation d’avec le système politique, la justice
africaine peine encore à trouver les moyens d’atteindre une autonomie essentielle dans un
système juridique universaliste. Si le contrôle politique sur la justice fait l’objet de
dénonciations, l’institution se présente comme si l’on avait oublié qu’elle aussi a besoin des

597
Ibid. ; Voir aussi Jean-Paul Jean, « Les gardes des Sceaux et les magistrats », in Jean-Pierre Royer (dir.), La
justice d’un siècle à l’autre, Paris, PUF, 2003, p. 200.
598
Renaud Colson, La fonction de juger : Etude historique et positive, Op. Cit., p. 66.
599
Voir F. Anoukaha, « L’apport de la jurisprudence à la construction d’un droit de la famille au Cameroun »,
in La création du droit en Afrique, Sous la direction de Dominique Darbon et Jean du Bois de Gaudusson,
Karthala 1997, pp. 409 et s. ; Jean Marie Bretton, « L’égalité et Etat de droit : statut et perception du juge de
l’administration en Afrique francophone Contribution à une réflexion transversale », in Les défis des droits
fondamentaux (AUF), Op. Cit, pp. 389-421.
600
Renaud Colson, La fonction de juger : Etude historique et positive, Thèse, Op. Cit., p. 65.
601
V. B. Djuidje, « Le statut du juge judiciaire camerounais Un tableau contrasté », Op. Cit.
602
Cf. P.G. Pougoué, « Considérations sur le droit ‘’traditionnel’’ devant le Cour suprême camerounaise », in
Les cours suprême en Afrique, Economica, 1990, p. 26 et s (cité par B. Djuidje, Op. Cit.)
603
Jean Marie Bretton, « L’égalité et Etat de droit : statut et perception du juge de l’administration en Afrique
francophone Contribution à une réflexion transversale », Op. Cit.
604
Alioune Badara Fall, « Le juge, le justiciable et les pouvoirs publics : pour une appréciation concrète de la
place du juge dans les systèmes politiques en Afrique », Op. Cit.

115
attributs de pouvoir605. La justice camerounaise serait donc une justice qui se cherche606. Le
droit ne saurait être la simple expression du pouvoir politique, parce que le pouvoir du droit et
celui du peuple ne sont respectivement pas de même nature et ne doivent pas céder à une
tentative mutuelle d’inféodation607. Pouvoir politique et pouvoir judiciaire doivent s’épauler,
plutôt que chercher à s’asservir. Cette recherche semble renforcée et fragilisée par l’ambiguïté
du statut politique du juge.

b. L’influence grandissante du pouvoir politique

110. L’influence du pouvoir exécutif sur son homologue judiciaire se manifeste sous trois
auspices : l’accroissement des prérogatives de l’exécutif, l’importance de la nature du
contentieux, et les attitudes du juge.

111. A l’époque des monarchiens, la puissance de juger est une simple émanation de
l’exécutif et doit à ce titre rester dans sa « dépendance ». Cette position, bien que soutenue en
1789 en France pourrait, être convoquée pour traduire dans les faits l’influence qu’exerce le
pouvoir politique (pouvoir exécutif) sur le pouvoir judiciaire. S’il est établit, d’une part que,
c’est principalement le législateur qui détermine l’étendue de la fonction juridictionnelle, des
prérogatives du juge et sa compétence, le constituant camerounais de 1996, énonce aussi que
le parlement partage cette compétence avec le Président de la République608. Disposition qui
justifie que l’on a pu soutenir que « le gouvernement est devenu le législateur de droit
commun tandis que le Parlement n’est qu’un législateur d’exception : il ne possède en effet et
de compétence législative qu’en vertu d’une disposition formelle, tandis que le gouvernement
édicte les règles de droit dans les autres domaines de la vie juridique »609. Il en résulte qu’en
dehors des compétences et attributions dévolues à l’exécutif par la norme fondamentale
notamment, la gestion des affaires étatiques dans le sens plein du terme, qu’en outre les
privilèges conférés au gouvernement en matière de procédure législative se sont
considérablement accrus : « il en résulte une prépondérance écrasante de l’Exécutif dans
l’initiative des lois »610. On assiste donc là, à une reconversion du droit, à un transfert du

605
B. Djuidje, « Le statut du juge judiciaire camerounais Un tableau contrasté », Op. Cit.
606
Voir « Le statut du juge en Afrique », in Les défis des droits fondamentaux (AUF), Op. Cit.
607
Jean Marie Bretton, « L’égalité et Etat de droit : statut et perception du juge de l’administration en Afrique
francophone Contribution à une réflexion transversale », Op. Cit.
608
« L’initiative des lois appartient concurremment au Président de la République et aux membres du
Parlement ». Article 25 Loi n°96/06 du 18 janvier 1996 Portant révision de la Constitution du 02 juin 1972,
modifiée et complétée par la loi n°2008/001 du 14 avril 2008.
609
P. Durand, « La décadence de la loi dans la Constitution de la Ve République », in Semaine juridique, 1959,
1, p. 1470 et s.
610
Ibid.

116
pouvoir législatif au pouvoir exécutif 611 , mieux encore pour emprunter l’expression de
Richard Makon, à « l’hypertrophie du pouvoir exécutif » 612 ou encore la description du
pouvoir judiciaire de simple appendice du pouvoir exécutif 613 . Désormais législateur et
détenteur de la puissance exécutrice des lois dans les faits, comment le pouvoir exécutif peut-
il protéger le judiciaire des empiètements que ce pouvoir politique a tendance, par la nature
des choses, à exercer sur le judiciaire. Cette structuration des pouvoirs au sein de l’Etat remet
à bout du jour la dialectique au-delà de la simple distinction terminologique faite au sein des
constitutions, entre la justice pouvoir judiciaire, et la justice autorité. L’influence du politique
sur les prérogatives du juge ne peut apparaitre plus que certaine si l’on intègre les règles de
recrutement et d’avancement, tout comme celles qui assurent en principe l’inamovibilité.

112. L’importance réelle des prérogatives du juge est aussi fonction de la nature et du
volume des affaires qu’il a à traiter614. Ses prérogatives s’étendent peut-être en droit, mais en
fait, le volume des affaires s’amenuise, des litiges sont réglés en dehors des tribunaux615, et le
pouvoir du juge devient fort illusoire 616 . S’il est difficile de mesurer les évolutions du
contentieux judiciaire617 au Cameroun, il est plus difficile encore d’apprécier le rôle que le
pouvoir exécutif joue dans ces transformations618. Ce rôle n’apparaît nettement qu’au travers
des pratiques du Parquet en matière pénale car lié au Ministre de la justice par le principe de
la subordination hiérarchique du ministère public. Selon A. Vauchez, les prérogatives du juge
peuvent aussi être limitées et provoquées par un « théâtre de justice » caractérisé par la
création des tribunaux d’exception, la formation de juridictions ad hoc, la duplication des

611
Voir J. Commaille, « Justice : crise de confiance », in Français qui êtes-vous ?, sous la direction de J. D.
Reynaud et Y. Graemeyer, Paris, La Documentation française, 1981.
612
Richard Makon, « L’hypertrophie du pouvoir exécutif », Chronique, Les chroniques du Bled, 2019.
613
Jean Marie Breton, « L’égalité et Etat de droit : statut et perception du juge de l’administration en Afrique
francophone Contribution à une réflexion transversale », Op. Cit. p. 407. Voir aussi R. Boure et P. Mignard, La
crise de l’institution judiciaire, Ch. Bourgeois, Paris, 1977, p. 9 pour qui l’institution judiciaire, dotée d’une
autonomie purement relative et fonctionnelle, se bornerait à posséder des pouvoirs sans pour autant constituer en
elle-même un pouvoir.
614
Anne Lagneau-Devillé, « Influences du pouvoir exécutif sur les prérogatives du juge en France, sous la Ve
République », in: Philippe Gérard, (ed.) ; F. Ost, (ed.) et M. Van de Kerchove, (ed.), Fonction de juger et
pouvoir judiciaire: Transformations et déplacements [En ligne], Bruxelles: Presses de l’Université Saint-Louis,
1983, pp. 469-492, (consulté le 08 février 2020). Available http://book.openedition.org/pusl/7577.
615
P. Nkou Mvondo, « La justice parallèle au Cameroun : la réponse des populations camerounaises à la crise
de justice de l’Etat », Op. Cit. ; « La crise de la justice de l’Etat en Afrique noire francophone. Etude des causes
du « divorce » entre la justice et les justiciables », Penant, 824, 1997, pp. 208-228 ; F. Ost, (ed.) et M. Van de
Kerchove, (ed.), Fonction de juger et pouvoir judiciaire: Transformations et déplacements, Op. Cit.
616
Ibid.
617
Les systèmes juridiques africains n’ayant pas dans la tradition du fonctionnement des tribunaux de mesurer le
fonctionnement de ces derniers par des statistiques. Lorsqu’elles existent, elles sont limitées à quelques aspects :
le nombre de saisine, le nombre de décisions rendues, les délais, les juridictions ayant rendues la décision. Voir
infra, Titre II, Chapitre I.
618
Ibid.

117
juridictions, la création de crimes et délits politiques, ou encore le recours au procès
politiques619. La justice n’est pas qu’un enjeu et objet de luttes politiques. Par la variété des
situations et des affaires dont elle est saisie, elle interfère et affecte en effet, le fonctionnement
même d’un ensemble d’espaces politiques et sociaux620. Tous ces éléments ainsi examinés
suffisent à changer le regard du justiciable sur la justice.

2. Le regard critique du justiciable sur l’institution judiciaire

113. La première idée qui peut être dégagée est que la relation entre la justice et les
justiciables semble fondée sur des rapports de puissance et de soumission621. La justice a en
effet de par ses différents symboles a presque toujours suscité à l’égard du justiciable africain
de la crainte. La relation entre la justice et les justiciables apparait donc tout à fait spécifique
en raison même de la finalité de l’institution judiciaire. Seulement, il ne s’agit là que des cas
normaux. Mais les rapports, mieux le regard que le justiciable africain a du juge et de la
justice est fonction de l’environnement socioéconomique, sociopolitique, dans lequel baigne
le service public de la justice. A cause de l’environnement de nos institutions judiciaires, ce
sont souvent de longues réflexions, hésitations qui précèdent la décision que prendra le
justiciable de saisir une juridiction. Et dont il est devenu un usager assez particulier622. Avant
d’entreprendre une action en justice, il s’interrogera longuement sur ce monde constitué
d’avocats, de juges, d’huissiers de justice, de greffiers ou de procureurs. Et pour cause, en
dehors des cas de résistances des justiciables au droit moderne parce que sa logique n’est pas
celle des valeurs et des références coutumières, l’institution judiciaire a perdu aujourd’hui au
Cameroun l’essentiel de la confiance et de la crédibilité des individus, parce que la vision que
ceux-ci en ont ne correspond pas forcément à la qualité qu’ils en entendent. Pourtant l’usager
de cette justice est désormais au centre de la réflexion sur la qualité des services publics, « la
légitimité de la décision judiciaire à travers le sentiment de confiance envers la justice »623. Il
en résulte inexorablement des attitudes de « rejet latent ou ouvert »624 ou engendrant un appel
à d’autres modes de régulation des conflits étrangers à la justice étatique. Le développement
de la justice populaire peut être cité en exemple.

619
Antoine Vauchez, « Le pouvoir judiciaire », Op. Cit.
620
Ibid.
621
M. Dorwling-Carter, « Le justiciable face à l’institution judiciaire », Op. Cit.
622
Jean-Paul Jean, « Du justiciable à l'usager de la justice », in Les Cahiers de la Justice, 2013/1 n° 1, pp.13-
20. Téléchargeable à partir du lien https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-la-justice-2013-1-page-13.htm.
623
Ibid.
624
Jean Marie Breton, « L’égalité et Etat de droit : statut et perception du juge de l’administration en Afrique
francophone Contribution à une réflexion transversale », Op. Cit.

118
114. Les facteurs partisans ne sont pas étrangers à une telle situation. Le magistrat, citoyen
comme tous les autres a le droit d’avoir une opinion politique. L’orientation politique choisie
pourra traduire chez lui une prise de conscience des réalités sociales et économique625. Pour le
dire autrement, le juge a le droit d’opérer en tant que citoyen, un choix politique. Cependant,
la politisation de la justice est de nature à susciter des doutes sur sa capacité à rendre ses
décisions en toute impartialité626. Cette politisation est de manière générale dissimulée selon
la doctrine dans des notions importées telles que l’ordre public, l’intérêt général, l’atteinte à la
sureté de l’Etat, la haute trahison627 ou encore dans un défilé des juridictions d’exception628.
La dissimulation du caractère politique des décisions juridictionnelles prises en interprétation
de ces notions est d'autant plus aisée et les solutions retenues plus difficilement remises en
cause, qu'elle s'opère à travers des notions étroitement liées à l'existence de l'Etat629. Tantôt
sournoise630, parfois flagrante631, la politisation de la justice reste une réalité. La dépendance
fonctionnelle, de fait, ou même organique en droit, d'une justice demeurant sous le « contrôle
» du ou des partis, rendent difficile sinon impossible son extraction de la sphère d'influence
d'une autorité autre que celle que lui reconnaît le législateur. La Loi ne peut à cet égard
ajouter qu'à l'ambiguïté du statut du juge renforçant ainsi le désarroi du justiciable632 et la
remise en cause de la légitimité du juge633.

115. La légitimité634 de l’institution judiciaire comme celle de toute institution sociale est
fonction de ce que son autorité est considérée comme désirable635. Elle peut être abordée

625
Jean Libman, « La politisation des juges : une vielle histoire ? », Pouvoirs, 16, 1981, pp. 43-53.
626
Ibid.
627
Alioune Badara Fall, « Le juge, le justiciable et les pouvoirs publics : pour une appréciation concrète de la
place du juge dans les systèmes politiques en Afrique », Op. Cit., p. 328.
628
Jean Libman, « La politisation des juges : une vielle histoire ? », Op. Cit.
629
Alioune Badara Fall, « Le juge, le justiciable et les pouvoirs publics : pour une appréciation concrète de la
place du juge dans les systèmes politiques en Afrique », Op. Cit.
630
Ibid. ; S. Yonaba, Indépendance de justice et droit de l’homme : le cas du Burkina Faso, Op. Cit. p. 94 ;
Boubacar Issa Abdourhamane, « Les juges à l’épreuve de la démocratisation : l’exemple du Niger », Op. Cit.
631
Voir M. B. Boshab, « La misère de la justice et justice de la misère en République Démocratique du Congo
», Revue de la Recherche Juridique, 1998, 3, p. 1169 et s.
632
Jean Marie Breton, « L’égalité et Etat de droit : statut et perception du juge de l’administration en Afrique
francophone Contribution à une réflexion transversale », Op. Cit.
633
Il y a le plus souvent dans cette référence une expression de contestation et tous les magistrats savent trop
bien qu’ils sont exposés à une remise en cause permanente de leur légitimité car ils ne peuvent prétendre rendre
une justice messianique mais seulement une justice humaine, rendue par des hommes et des femmes, donc, par
essence susceptible de défaillance.
634
Notion complexe à définir, nous nous en tiendrons à la définition par une seule question simple dans l’ancien
droit dont la formule était « Qui t’a fait juge des litiges d’autrui ? ». Cependant le terme regroupe de manière
générale le mode de désignation des juges, la compétence et l’éthique. Voir par exemple Jacques Raibaut,
« Être juge et légitime », in Jacques Raibaut, Jacques Krynen (dir.), La légitimité des juges, New edition
[online], Toulouse: Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2004, 13-17. Consulté le 10 Janvier 2020,
disponible sur Internet: http://books.openedition.org/putc/2426.

119
comme une valeur intrinsèque, c’est le cas de toute autorité de type traditionnel. C’est alors la
pérennité de l’institution qui fonde sa légitimité, notamment parce qu’elle garantie ou parce
qu’elle exemplifie celle de la société dans son ensemble. La légitimité de l’institution peut
également être construite sur la valeur constamment démontrée de son activité. Et dans le cas
d’espèce, l’activité de la justice dans l’espace OHADA, essentiellement les systèmes de
justice nationaux abritant le juge uniforme de droit commun, tant dans son administration que
de la manière dans laquelle elle est rendue. C'est-à-dire aussi bien la qualité et la quantité de
ses ressources humaines que de la qualité de ses décisions. Les justiciables pour qui la justice
est faite exigent de plus en plus, une forme de correspondance entre les valeurs portées par
l’institution et son activité. S’agissant de l’institution judiciaire, cette autorité tient notamment
à la mise en œuvre des principes qui sous-tendent cette autorité et justifient, dans un contexte
démocratique, l’exercice de la puissance publique: égalité juridique des sujets de droit, équité
procédurale, indépendance judiciaire, impartialité des tiers et, plus globalement encore,
confiance dans les acteurs du système judiciaire. La confiance entre la justice et son
justiciable est en berne. Les institutions dans lesquelles les africains ont le plus confiance
demeurent celles qui sont représentées par les leaders religieux, les structures coutumières et
de notabilité orientées vers la médiation et la conciliation en application du sage précepte
populaire de la préférence de l’arrangement au procès. Les critères de légitimité du juge636
bien que garantis par les textes, semblent remis en cause par ces mêmes textes ainsi par les
attitudes des acteurs judiciaires et extra judiciaires : emprise de l’exécutif sur le judiciaire,
corruption endémique, trafic d’influence, mainmise des autres pouvoirs sur le système
judiciaire, « impunité et de la tentative de démolissage de la société civile »637. On ne peut que
convenir avec le Professeur Jacques Krynen que la justice est loin mais alors loin d’être « un
simple service public, institution de la défense solennelle des droits, des libertés et des valeurs
d’une société, la justice requiert l’adhésion des esprits pas seulement une vague
reconnaissance de sa capacité à statuer dans des délais normaux et à des coûts réduits »,

635
Pierre Noreau, « Accès à la justice et démocratie en panne: constats, analyses et projections », in
Révolutionner la justice : constats, mutations et perspectives d’avenir, Montréal, Thémis, 2003, pp. 16-39 ;
Voir aussi Jacques Raibaut et Jacques Krynen, (ed.), La légitimité des juges, New edition [online], Toulouse:
Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2004 consulté le 10 décembre 2019, disponible sur Internet:
http://books.openedition.org/putc/2426.
636
Modes de désignation des juges par nomination qui n’appellent pas grands commentaires parce que se situant
dans la nature des choses dans un modèle bureaucratique de justice, la compétence de magistrats ayant en charge
cette mission suprême de rendre la justice, l’indépendance et l’impartialité, le respect des règle de discipline et
de déontologie rigoureuse. Voir Joël Molinier, « La légitimité du juge communautaire », pp. 151-161 in La
légitimité des juges, Op. Cit ; André Cabanis, Michel Louis Martin, « La justice depuis le XIXe siècle: Attentes
sociales et dérives professionnelles », pp. 25-35.
637
Papa Oumar Sakho, « Quelle justice pour la démocratie en Afrique ? », Pouvoirs, 2009/2 n°129, pp. 57-64.

120
mais aussi « le maintien du lien communautaire dépend plus que jamais de la confiance du
citoyen envers ceux qui les jugent »638.

638
J. Krynen (dir.), L’élection des juges. Bilan historique français et contemporain, PUF, 1999.

121
Conclusion du Chapitre I

116. Le principe de l’indépendance du pouvoir juridictionnel et des magistrats n’est pas un


simple objet de design institutionnel ; une simple norme juridique décorative. Il s’agit d’une
règle fondamentale pleinement dirigée vers l’intérêt de la société et des individus, du
justiciable principal usager de la justice qui la composent. Elle doit être assurée vis-à-vis des
parties, du pouvoir exécutif, vis-à-vis des juges eux-mêmes si l’on veut garantir au tribunal la
plénitude de sa fonction. De manière générale, la règle contribue à assurer l’effectivité des
libertés face au risque d’abus de l’autorité publique ; une garantie du procès équitable. Dans le
domaine particulier de la justice, l’indépendance de la fonction de juger constitue le socle sur
lequel repose le procès équitable, une bonne administration de la justice. Colonne du procès
équitable qui, à son tour, devient une passerelle indispensable de l’impartialité du tribunal et
donc de la jouissance effective des droits et libertés et la primauté du droit. Cette
indépendance constitue le concept central de toute réflexion sur l’administration de la justice.
La norme d’indépendance n’a de sens qu’au service du justiciable : elle assure la protection
du juge en vue de garantir la protection du justiciable639. La bonne administration de la justice
est conçue et organisée autour de l’indépendance de la fonction de juger.

117. En somme, les atteintes que subit le principe sont suspectes et ne peuvent que susciter
des craintes légitimes. Si l’on veut et attend que le tribunal joue pleinement le rôle qui lui est
dévolu au sein du système juridique comme vecteur de réalisation des droits que le justiciable
tire du droit positif, garantie d’« un certain nombre de valeurs et d’utilités sociales »640, il est
nécessaire de lui assurer de franches coudées. La sécurité juridique n’a de sens que si le
justiciable peut sans inquiétude, à l’abri d’une pression environnementale et institutionnelle
avoir accès à un tiers indépendant et impartial. La profusion des éléments de dépendance ne
peut qu’entrainer le phénomène inverse. L’indépendance de la fonction de la fonction de juger
est le premier étage de la garantie efficace d’une bonne justice. La prégnance de cette
exigence en amont du procès, s’étend également en aval.

639
Loïc Cadiet et alii, Pour une administration au service de la justice, Op. Cit., p. 37.
640
Frédéric Bouhon et Quentin Pironnet, « Le pouvoir judiciaire et l’équilibre des pouvoirs : réflexions à
propos des récentes réformes », Pyramides, 29, 2017, 93-118.

122
CHAPITRE SECOND

LE DROIT À UN BON PROCÈS

118. La fondamentalité des droits du procès se fond dans une formule qui regroupe
aujourd’hui l’ensemble des préoccupations rattachées à la qualité641 et à l’efficacité642 de la
justice, soit la bonne administration de la justice. Sa qualification de « notion transversale du
droit » à l’aune du droit moderne et la relecture de sa définition au regard du principe de la
séparation des pouvoirs, ont permis de mettre en relief, de postuler l’indépendance de la
fonction de juger comme concept central, exigence a minima du versant procédural de
l’exigence d’une bonne administration de la justice. Mais l’effectivité du droit fondamental au
procès est aussi tributaire du respect de garanties fondamentales pendant le déroulement du
procès. On dira notamment que le droit au juge et les droits fondamentaux du procès
« s’épaulent mutuellement »643.

119. L’analyse à laquelle est parvenue la doctrine est fondée sur une idée
d’interdépendance des principes de l’administration de la justice. Plus précisément, sur une
analyse de la « notion fonctionnelle »644, en tant quelle est dépendante et soutenue par d’autres
principes de procédure, on parlera du droit à un bon procès. La bonne administration de la
justice n’est donc pas cloisonnée, mais à l’opposé protégée, facilitée, garantie plus aisément
en présence de certains principes procéduraux. Le concept de principe juridique est délicat à
approcher. Les juristes qui se sont livrés à cet exercice l’on fait avec le sens de la mesure.

641
Dans le sens originel du concept, la qualité désigne un « ensemble de caractéristiques d’une entité qui lui
confère l’aptitude à satisfaire des besoins exprimés et implicites ». Instrument éminent des sciences de gestion, a
qualité est généralement conçue « comme un instrument au service de la recherche de l’amélioration ». V.
Laurent Berthier, La qualité de la justice, Thèse, Op. Cit, pp. 15 et s ; Stéphane Leyenberger, « Propos
introductif », in Pascal Mbongo (coord.), La qualité des décisions de justice, Op. Cit. pp. 5-10 ; H. Pauliat, «
Justice, performance et qualité », in Mélanges en l’honneur du Professeur Lachaume, Permanences et
convergences du droit administratif, Dalloz, 2007, pp. 823-845 ; J.-M. Sauvé, « Les critères de la qualité de la
justice », discours prononcé à l’occasion de la célébration des vingt ans du Tribunal de première instance des
Communautés européennes, Luxembourg, le 25 septembre 2009.
642
Voir F. Rouvillois, « L’efficacité des normes, Réflexions sur l’émergence d’un nouvel impératif juridique »,
Op. Cit. ; E. Blankenburg, « La recherche de l’efficacité de la loi. Réflexions sur l’étude de la mise en œuvre
(Le concept d’« implementation ») », Droit et société, n° 2, 1986, pp. 83 et S.
643
Loïc Cadiet, « La légalité procédurale, en matière civile », BICC, 15 mars 2006, n° 636, spéc, n° 21 : «
Impartialité et contradiction s’épaulent mutuellement. L’une est la condition de l’autre et toutes les deux sont la
condition d’une procédure équitable susceptible de conduire à un juste jugement, en y ajoutant l’égalité des
armes qui ferme le triangle ».
644
P. Yolka, « La bonne administration de la justice : une notion fonctionnelle ? », Op. Cit, p. 233.

123
Pour cette raison, on ne trouve pas à l’heure actuelle de définition unique et précise du «
principe » ou de « principe de procédure », mais des approches successives et des éclairages
différents645, signe de la prise de la pleine mesure du rôle fondamental joué par les principes
dans le droit processuel. Toutefois, nous retiendrons que c’est autour de son étymologie latine
« principium » dans le sens de « commencement » que la doctrine va tenter de donner un sens
au terme. Jean Boulanger cité par monsieur Etienne Vergès646 voit dans les principes « des
éléments de l’ordre juridique positif », en ce sens qu’ils constituent pour l’auteur des «
propositions directrices », ils « règnent sur le droit positif ; ils en dirigent le
développement ». Le Professeur G. Cornu, donne au terme principe sept sens. Selon le sens
deuxième du terme notamment, le principe est une « règle juridique établie par un texte en
termes assez généraux destinée à inspirer diverses applications et s’imposant avec une
647
autorité supérieure » . La pluralité d’approches laisse entrevoir une certitude,
l’administration de la justice se laisse pénétrer par des principes procéduraux qui vont
permettre au justiciable d’accéder plus facilement au juge ou qui l’inciteront à faire recours au
juge parce que rassuré qu’il bénéficiera d’une « bonne justice ». En d’autres termes, ces
exigences procédurales constituent le socle de la garantie du droit à un bon procès.

120. L’administration de la justice connaît dès lors, des principes et règles juridiques qui
perdurent et structurent la procédure, la marche du procès dans la quête d’une justice
impartiale, juste, et équitable. La juridiction constitue à ce titre le lieu par excellence de la
mise en œuvre des principes de procéduraux gages d’une bonne administration de la justice.
Les principes procéduraux vont ainsi constituer des garanties conformes à l’idée d’une bonne
justice (Section I). Par ailleurs, la proximité des garanties avec la nécessité de rendre effectif
le droit au juge est nourri non seulement par des garanties formelles, que par des garanties
institutionnelles aussi essentielles que les premières à l’intérêt d’une bonne justice (Section
II).

SECTION I. LES GARANTIES CONFORMES À L’IDÉE D’UN BON PROCÈS

121. De nombreuses garanties procédurales doivent absolument être mises en œuvre pour
assurer au justiciables le droit à une bonne justice. Le droit à un bon procès consiste dans
l’accomplissement de certaines exigences, attentes objectives nées de la protection effective
des droits des parties pendant le procès. Plus précisément, le droit à un bon procès dépend,

645
E. Vergès, Les principes directeurs du procès judiciaire Etude d’une catégorie juridique, Op. Cit. p. 10.
646
E. Vergès, Les principes directeurs du procès judiciaire Etude d’une catégorie juridique, Op. Cit. pp. 19-20.
647
G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Op. Cit., v° « principe ».

124
d’une part, des garanties procédurales « formelles » (Paragraphe I) et, d’autre part, du temps
de la procédure (Paragraphe II). Exigences qui se sont invitées dans le débat de l’efficacité,
celui qui consiste à rendre des décisions de qualité dans un délai raisonnable.

Paragraphe I. Les garanties procédurales formelles


122. Dans la recherche d’une bonne administration de la justice, l’objectif poursuivi, à
partir des droits fondamentaux du procès, fut de s’assurer que les plaideurs qui sollicitent
l’appareil de justice aient une réelle possibilité d’accéder au juge, en faisant bénéficier au
justiciable ses traditionnels droits procéduraux que sont les garanties d’audience (A) et les
garanties post-audience (B).

A. Les garanties procédurales d’audience

123. Les garanties procédurales d’audience reposent autant sur la publicité de la justice (1)
que sur le principe de l’oralité des débats (2). Phase judiciaire au cours de laquelle émerge et
se forge « petit à petit » durant le procès, l’intime conviction du juge sur la cause à juger.

1. La publicité de la justice

124. La procédure doit-elle être publique ou secrète ? La réponse à cette question ne dépend
ni de la matière ni de la juridiction concernée par le litige. Le législateur camerounais a opté
pour le critère de la cohérence et de la confiance du public en la justice648 en consacrant la
publicité des débats. Le dispositif juridique applicable en la matière énonce notamment
que sous réserve des dispositions légales « les audiences des tribunaux sont publiques, (…)
» 649 . Lié au déroulement du procès, le Code de procédure pénale exprime cette option
législative en des termes identiques 650 . La publicité de l’audience de jugement est
d’application générale651 en matière civile comme en matière pénale. Le principe est affirmé
avec emphase par les dispositions des articles 26 652 du CPCC et 302 al. 2 653 du CPP.

648
On ne peut pas se contenter de demander aux justiciables de faire confiance ; il faut leur donner des raisons
d’avoir confiance.
649
Code de Procédure civile et commerciale, Article 26. N’importe qui peut assister aux débats à condition de
garder une attitude digne dû au respect de la justice. L’assistance ne doit pas troubler le débat ni donner des
signes d’approbation ou de désapprobation.
650
Aux termes de l’Article 302 en ses al. 1 et 2 « les audiences sont publiques [...] ».
651
Pour être suffisamment motivé, la décision qui ordonne le huis clos doit indiquer en quoi la publicité des
débats est dangereuse pour l’ordre, la sérénité des débats, la dignité de la personne ou les intérêts d’un tiers.
D’ailleurs, le législateur camerounais soumet le huis clos à un jugement préalable. Lire utilement Dorothée
Goetz, « La publicité des débats judiciaires : une règle d’ordre public », Dalloz actualité, 28 Novembre 2016
consulté le 13 Septembre 2020Téléchargeable sur
https://www.dalloz-actualite.fr/printmail/flash/publicite-des-debats-judiciaires-une-regle-d-ordre-public.
652
« Dans tous les cas, les jugements en toute matière sont prononcés publiquement »

125
Toutefois, la phase préparatoire de la mise en état, secrète, car dominée par la nature
inquisitoire de la procédure pénale échappe à ce principe 654 . Le procès se déroule par
l’admission du public à l’audience dans une salle prévue pour l’accueillir et considéré comme
« d’un objet relatif à tout un peuple, commun à tous, accessible à tous, appartenant à tous,
connu de tous (…) »655. En d’autres termes, l’opinion devient témoin du bon déroulement du
procès et du respect des formes. Il contribue à donner corps à un principe considéré par un
auteur anglais du XIXe siècle comme « l’âme de la justice »656. Au moment des délibérés la
publicité cède la place au secret. L’élaboration de la décision de justice est faite dans le
respect du secret des délibérations. Publicité et secret s’alternent ainsi sans se rencontrer. Le
temps du procès constitue à n’en point douter, le critère qui détermine leur intervention ou
leur retrait dans la procédure. Chacun possède son champ d’action mais ne nuit pas à
l’autre657.

125. Si la garantie et l’accès à la publicité judiciaire caractérisée traditionnellement par


l’ouverture du prétoire au public, le pragmatisme du droit positif contemporain impulsé par
l’idée d’une bonne administration de la justice pour la réalisation des droits fondamentaux a
permis l’émergence d’une publicité judiciaire en dehors du prétoire en complétude de son
versant originel. Celle-ci peut être le fait aussi bien du tiers à l’institution, que de l’institution
judiciaire elle-même. La publicité de la justice à l’initiative des tiers est sujette à deux volets.
Le premier réside dans la garantie d’une décision de justice régulièrement publiée. La
publicité des jugements et arrêts n’est que le prolongement de la publicité des débats. Elle est
assurée non seulement par la lecture publique, c'est-à-dire la lecture à haute voix de la
décision de justice faite en audience publique658 (solennité du moment où le droit est dit),
mais surtout par la possibilité pour toute personne sans justification particulière, de se faire
remettre une copie du jugement prononcé publiquement par le greffier 659 . Le greffier a
l’obligation de les délivrer aux tiers qui en font la demande. Il ne peut toutefois délivrer

653
« Dans tous les cas, le jugement est prononcé en audience publique ».
654
Cf. Chapitre III, article 164 et suivants du CPP relatif au déroulement de l’information judiciaire. Le juge
d’instruction qui ne se prononce pas, au sens strict sur le « bien fondé d’une accusation », échappe à l’exigence
de publicité. Il en résulte que les débats de la chambre d’instruction se déroulent en chambre de conseil, la
juridiction étant appelée à statuer sur l’examen des charges avant renvoi devant la juridiction de Jugement.
655
Philippe Piot, Du caractère public du procès Pénal, Université de Lorraine, Thèse, Droit, 2012, p. 12.
656
« Publicity is the very soul of justice ». Voir Jeremy Bentham, Traité des preuves judiciaires, Paris,
Bossange, 1823, p. 146. Pour l’auteur, l’idée de publicité se confond historiquement avec l’idée même de procès
pénal.
657
E. Vergès, Les principes directeurs du procès judiciaire Etude d’une catégorie juridique, Op. Cit. p. 294.
658
« Le Président donne lecture du jugement en audience Publique », Article 389 al. 6 du Code de procédure
pénale.
659
Articles 38 et suivants du Code de procédure civile et commerciale.

126
expédition d'un jugement que s’il a été au préalable signé 660 . Les parties, une fois les
formalités accomplies peuvent « lever le jugement »661. La première expédition fournie à la
partie gagnante est revêtue de la formule exécutoire et s’appelait naguère la grosse du
jugement ; on parle aussi de « copie exécutoire », même si l’usage du terme « grosse » reste
présent. Si la garantie d’une publication régulière des jugements et arrêts est un principe
fondamental du droit qui garantit une bonne justice, de plus en plus, une forme particulière de
publicité consiste à porter surtout en matière civile et commerciale l’acte juridictionnel à la
connaissance de son adversaire par le biais d’une notification.

126. Communication, transparence, publicité, accès, open data : les notions foisonnent
aujourd’hui. C’est en termes de l'élargissement du principe de publicité des débats
judiciaires662 que se posent les débats récents sur la publicité de la justice à l’initiative des
tiers à savoir, la presse et les médias numériques. La prise en compte contemporaine du droit
du public à être informé semble bouleverser les équilibres anciens outre atlantique. La loi
reconnaît le droit du public à l’information, et le droit de rechercher cette dernière dans le
principe général de l’accès aux documents publics, même si les documents judiciaires
constituent une exception. Ce mouvement structurel par lequel l’institution chargée d’incarner
la légalité – à savoir le juge – serait concurrencée par les médias apparaît comme un élément
moteur de l’ouverture de l’institution judiciaire vers le citoyen663. En effet, tout en rappelant «
que la finalité des médias n’est pas la finalité judiciaire et qu’il y a une sorte d’hétérogénéité
entre leurs démarches »664, la nécessité d’une transparence sur le fonctionnement de la justice
trouve sa justification dans le fait que « ce souci de transparence participe de la nature même
de la démocratie. Les citoyens ont le droit d’être informés sur le fonctionnement de
l’institution judiciaire qui doit pouvoir répondre à cette demande »665. Cela s’est manifesté
par la reconnaissance à la presse la possibilité de publier un « compte rendu d’audience ». Au
Cameroun, le débat pourrait être analysé dans la perspective de la liberté de la presse ou droit
du public à l’information et secret de l’activité judiciaire, mais dont l’objet ne fait pas partie
directement de notre étude.

660
Article 42 du Code de procédure civile et commerciale.
661
C'est-à-dire en demander une expédition, une copie certifiée conforme au greffe.
662
Sandrine Roure, « L'élargissement du principe de publicité des débats judiciaires : une judiciarisation du
débat public », Revue française de droit constitutionnel, 2006/4 n° 68 pp. 737-779. Article disponible en ligne à
l'adresse : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2006-4-page-737.htm.pdf ; Voir aussi
Yves Lavoinne, « Publicité des débats et espace public », Études de communication, 22, 1999, pp. 115-132.
663
Ibid.
664
Ibid.
665
Ibid. C. Bléry, « Quel statut pour les conclusions visées au jugement ? », Gaz. Pal., 22 déc. 2015, n° 253a8,
p. 45 disponible sur : https://www.lextenso.fr/gazette-du-palais/GPL253a8.

127
127. La publicité de la justice a d’abord été celle de l’audience, par l’admission du public
dans le prétoire666. Celle-ci a évolué de la simple possibilité de présence à l’audience, à un
huis clos par décision motivée du juge667, ensuite pris la forme de la publication dans la presse
du compte-rendu d’audience et enfin, par le développement de la garantie des jugements et
arrêts régulièrement publiés et notifiés en en tirant des conséquences juridiques. C’est dire
que la forme de la publicité judiciaire n’est donc pas figée. L’évolution du principe, de même
que sa fonction essentielle de protection justifient tout l’intérêt que les différentes législations
accordent au principe de la publicité de la justice, au point d’être considéré comme un
principe assurant la sauvegarde de l’ordre public processuel « de nature à permettre d’éviter
la suspicion sur l’impartialité des juges qui se prononcent au nom du peuple et sous son
contrôle »668. Il est des principes qui trouvent leur raison d’être principalement dans le soutien
d’un ou plusieurs autres. Tel est le cas d’espèce du principe de la « publicité de la justice ».
Les interactions entre les acteurs qui participent au procès installent un premier cercle
de publicité. Cette publicité est renforcée par un cadre solennel, celui de la salle d’audience,
abritée par un monument imposant souvent majestueux, le palais de justice669. Cette norme a
été décrite par un célèbre processualiste comme « un principe second qui n’a pour raison
d’être que de permettre le contrôle du contradictoire et n’a donc pas de valeur par lui même
»670. Cette opinion, certes tranchée, a le mérite de mettre en avant l’idée que le principe de
publicité est avant tout inspiré par l’idée d’un contrôle sur le bon déroulement de la procédure
et en particulier des débats. Mais la vision ainsi accordée par l’auteur semble de notre point de
vu assez restrictive. Le contrôle va au-delà des débats pour s’étendre à l’exécution de la
sanction judiciaire prononcée par la décision de justice. Mieux encore, il concourt à une
meilleure compréhension des décisions et des mécanismes judiciaires, un indispensable outil
de contrôle démocratique, car la justice est rendue au nom du peuple camerounais. Vecteur de
confiance du justiciable en la justice dont il est le destinataire originel, la publicité vient au
soutien du principe du contradictoire671. D’ordre public, la publicité des débats apporte une
certaine crédibilité à la justice en dissipant d’une part, le doute sur la partialité des magistrats,

666
Cette conception originelle exprimée par la Cour de cassation date de 1869, lorsqu’elle jugeait que « la
publicité des débats judiciaires (…) consiste non pas dans leur reproduction par voie de presse, circonstance
accessoire et non essentielle de la publicité, mais dans le libre accès du prétoire ouvert à tous les citoyens »,
Cass. crim., 13 janvier 1869, Bull. crim. 1869, n° 14. 2539.
667
Cass. crim., 12 novembre 1968, Bull. crim. 1968, n° 339.
668
CA Douai 2 octobre 1997, Dalloz 1997, n°37, actualités, p. 1 ; Dalloz 1997, IR, p. 230.
669
Christiane Besnier, « La cour d’assises. Approche ethnologique du judiciaire », Droit et cultures, 54, 2007,
pp. 179-202.
670
G. Wiederkehr, « Droits de la défense et procédure civile », Dalloz 1978, Chron., p. 36.
671
Philippe Piot, Du caractère public du procès Pénal, Op. Cit., pp. 198 et suiv.

128
d’autre part, confère à la décision rendue une certaine légitimité672. La publicité possède donc
une existence propre673, justifiée notamment pas la nécessité d’une bonne administration de la
justice. Son action protectrice doit être regardée comme une fonction parmi d’autres. Par la
transparence qu’elle donne à l’administration de la justice, elle aide à instaurer un processus
de garantie efficace du droit à la justice.
Le droit commun de la publicité judiciaire est donc, eu égard à ce qui précède, un droit
pluriel, « un principe procédural aux confins des droits fondamentaux »674. La dynamique
n’en restera pas là car il y a fort à parier que la diffusion des nouvelles technologies fera
rapidement son œuvre pour créer une publicité judiciaire numérique. Et pour cause, en raison
de la crise sanitaire Covid-19 et confinement oblige, l’effectif des personnes pouvant assister
aux audiences a été réduite. Situation qui devrait conduire à la mise en place d’un système de
développement des « télé-audiences ». Cependant, rien n’est moins sûr, car le procédé
nécessite d’assurer le développement des tribunaux en moyens matériels, humains et les
résultats de la modernisation actée du système de justice semblent critiquables. L’effectivité
de cette publicité ne peut ignorer les moyens techniques qui offrent aujourd’hui la possibilité
de rendre la justice, non plus seulement au nom du peuple, mais aussi aux yeux du plus grand
nombre que la procédure soit écrite ou orale.

2. L’oralité du procès

128. L’oralité est la qualification juridique originelle de la procédure menée devant le


tribunal 675 . Forme d’expression des débats, celui-ci implique un échange de parole ou de
discours entre les acteurs du procès. Ce qui fait du procès, le lieu d’expression par excellence
de la parole, instance d’échange et de rencontre entre le représentant de l’autorité judiciaire et
le justiciable676. La juridiction de la parole677 qu’est la « palabre africaine »678 constitue au
sein du continent noir le moyen de résolution des litiges. Conversation, discussion ou encore
« lutte verbale » entre plaideurs, l’oralité constituait à ce moment le support primordial de la

672
E. Vergès, Les principes directeurs du procès judiciaire Etude d’une catégorie juridique, Op. Cit. p. 267 et
S. ; P. Hammje, « Droits fondamentaux et ordre public », Rev. Crit. DIP 1997, p. 27.
673
Ibid. p. 294.
674
Sandrine Roure, « L'élargissement du principe de publicité des débats judiciaires : une judiciarisation du
débat public », Op. Cit.
675
Christiane Besnier, « La cour d’assises. Approche ethnologique du judiciaire », Op. Cit. Spéc. p. 182.
676
D. Carlyne Wagoue Tchokotcheu, L’oralité dans le procès civil : Plaidoyer pour la reconsidération de
l’oralité à la lumière du procès équitable, Thèse, Droit, Université de N’Gaoundéré, Université de Nantes,
2016, p. 3.
677
J.-G. Bidima, La palabre, une juridiction de parole, Op. Cit.
678
Voir Etienne Le Roy, Les Africains et l’institution de la justice, entre mimétisme et métissage, Paris, Dalloz,
2004, pp. 44 et s.

129
vie judiciaire679. Cet échange « convivial » entre les acteurs au procès repose nécessairement
sur l’emploi de la forme d’expression orale, présentée dès l’origine comme un principe
directeur du procès680. Si théoriquement l’oralité se réduit à la parole, ce n’est pas pour autant
pas qu’elle en est la seule forme d’expression. Elle est susceptible d’emprunter les supports de
l’écriture, du langage des signes ou des technologies de l’information et de la
communication681. Considérée par les dictionnaires de langue française comme ce qui est ce
qui est oral ou verbal. Elle correspond à ce qui est transmis de vive voix682. Pour la chambre
criminelle de la Cour de cassation c’est : « un principe fondamental que la cour d’assises doit
juger l’accusation telle que le débat la fait apparaître et non telle que la procédure écrite
l’avait établie »683. Dans la pratique, l’oralité du procès ou principe de l’oralité correspond à
l’hypothèse selon laquelle “tout” et “seulement” ce qui a fait l’objet d’un débat oral peut
constituer la base de la décision. L’intime conviction des juges doit se former à partir des
débats qui se déroulent devant eux, à partir des propos exposés et développés au cours de
l’audience et non à partir de la procédure écrite qui les a précédés. Seul le président a
connaissance du dossier d’instruction. Tout doit être débattu oralement dans le cadre d’un
débat contradictoire. Sous quelles formes s’exprime le principe de l’oralité à l’audience ?
Trois configurations se dégagent sur le plan juridique. « 1) La déclaration du témoin doit être
spontanée. 2) La lecture du procès verbal ne doit pas être antérieure à la déposition du
témoin. 3) Les parties doivent discuter toutes les pièces du dossier susceptibles d’être
évoquées pendant les plaidoiries et au cours de la délibération »684. C’est dire que les avocats
et les juges ne peuvent faire état que des éléments qui ont été soumis à la discussion orale et
contradictoire. La procédure orale semble ainsi caractérisée par la simplicité, l’accessibilité, la
rapidité, la limitation des coûts en vue de favoriser la proximité entre le juge et le
justiciable685. La prise en compte de l’oralité en droit camerounais semble évidente et réelle.
C’est le constat que l’on peut aisément faire en raison du maintien des juridictions
traditionnelles686, qui traduisent le prolongement du modèle de justice traditionnelle687 et qui

679
Ibid., p. 32.
680
E. Vergès, Les principes directeurs du procès judiciaire Etude d’une catégorie juridique, Op. Cit., p. 34 et S.
681
Voir L. Cadiet, « Renouveler la parole du justiciable », in La parole, l’écrit et l’image en justice – quelle
procédure au XXIème siècle ?, PULIM, 2010, pp. 17 et s.
682
Dictionnaire Le Grand Larousse illustré, Op. Cit.
683
Jurisprudence du 12 mai 1970. Bulletin criminel n° 158.
684
Christiane Besnier, « La cour d’assises. Approche ethnologique du judiciaire », Op. Cit.
685
D. Carlyne Wagoue Tchokotcheu, L’oralité dans le procès civil : Plaidoyer pour la reconsidération de
l’oralité à la lumière du procès équitable, Op. Cit., p. 10.
686
Selon des sources du Ministère camerounais en charge de la justice, il existe au Cameroun, quatre cent
quarante-sept (447) juridictions de droit traditionnel, dont soixante-quinze (75), rattachées au TPI.
687
Voir à cet effet les textes relatifs à l’organisation judiciaire camerounaise notamment l’article 3 de la loi 2006
portant organisation judiciaire, Voir aussi R. Sockeng, Les institutions judiciaires au Cameroun, 4éme éd.,

130
donne selon un auteur688, une opportunité à la “survie” de la parole judiciaire. En outre, le
droit commun anglais ou commun law dans l’ex-Cameroun occidental privilégie le recours à
la parole 689 . À cet effet, bien que l’écrit soit favorisé au moment du déclenchement de
l’instance par le recours fréquent aux writ of sommons, la suite de la procédure accorde une
importance à un échange oral entre les acteurs du procès690. L’option d’attribuer une place
importante au principe de l’oralité se déduit également de la lettre des dispositions du Code de
procédure civile et commerciale camerounais. Aux termes de son article 2 « en matière civile
et commerciale, les parties pourront, devant toutes les juridictions, agir et se défendre elles-
mêmes, verbalement ». L’oral pouvant se caractériser par l’absence de représentation par un
avocat. Si les procédures devant les juridictions de cassation, requièrent obligatoirement le
recours à un ministère d’avocat691, les parties sont libres de comparaître en personne devant
toutes les juridictions de fond. Le principe de l’oralité est également envisageable en matière
sociale692 ainsi qu’en matière de prévoyance sociale693.
A ces éléments du droit interne viennent se greffer les spécificités du droit OHADA.
L’article 34 alinéa 1 du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage consacre expressément une procédure orale dans les termes suivants : « la
procédure devant la cour est essentiellement écrite. Toutefois la cour peut, à la demande de
l’une des parties, organiser dans certaines affaires une procédure orale ».

129. Si l’audience se développe essentiellement au travers de l’expression orale, la parole


s’appuie sans cesse et de plus en plus sur l’écrit694. Au point où l’importance croissante de ce

Macaos, Yaoundé, 2005, pp. 4 et S. ; G. Kere Kere, Droit civil processuel, Sopécam, Yaoundé, 2006, pp. 47 et
s.; M. A. Yanou, Practice and procedure civil matters the courts of records Anglophone Cameroon, Wusen
Publishers, Nigeria, 2012, pp. 16 et s. ; A. Marticou-Riou, « L’organisation judicaire au Cameroun », Penant,
n° 723, pp. 1969, pp. 33 et S. ; J. A. Orien-Quin, « L’organisation judiciaire au Cameroun oriental », RCD, n°
3, 1973, pp. 28 et S. ;
688
B. Banamba, « Regard nouveau sur un texte déjà trentenaire : cas du décret du 19 décembre 1969 portant
organisation et fonctionnement des juridictions traditionnelles de l’ex-Cameroun oriental », RASJ, vol. 1, 2000,
pp. 102 et s.
689
Les juridictions locales du système de l’ex-Cameroun occidental sont composées par les Alkali Courts (Les
Alkali Courts sont compétents pour juger de tous les litiges où les musulmans sont impliqués. v. loi n° 79- 04 du
29 juin 1979 portant rattachement des Customary courts et alkali courts au ministère de la justice) et des
Customary Courts (Les Customary courts, comme l’indique leur nom, sont les tribunaux indigènes chargés
d’appliquer le droit coutumier. Ils connaissent des litiges intéressant les personnes non musulmanes soumises
aux droits et aux coutumes locales v. loi n° 79-04 du 29 juin 1979 portant rattachement des Customary courts et
alkali courts au ministère de la justice).
690
M. A. Yanou, Practice and procedure civil matters the courts of records Anglophone Cameroon, Op. Cit.
691
Voir à titre d’illustration l’article 23 du Règlement de procédure de la CCJA.
692
Voir Loi n° 92-007 du 14 août 1992 portant Code du travail.
693
Loi n°84/06 du 4 juillet 1984 modifiant et complétant l’ordonnance n° 73/17 du 22 Mai 1973 portant
organisation de la prévoyance sociale.
694
Sur la pertinence du débat entre écrit et oralité en droit camerounais sur lequel nous ne souhaitons pas nous
étendre, voir l’analyse de D. Carlyne Wagoue Tchokotcheu, L’oralité dans le procès civil : Plaidoyer pour la
reconsidération de l’oralité à la lumière du procès équitable, Thèse, Op. Cit.,

131
dernier a conduit à une affirmation selon laquelle le chevauchement de l’écrit et de l’oral
prévu par le législateur camerounais semble davantage théorique que réel695. Le quotidien des
prétoires laisse apparaître la prééminence des éléments écrits sur l’oral. Plusieurs sources
servent d’appui aux débats : le Code pénal, le Code de procédure pénale, le Code civil, le
Code de procédure civile et commerciale, les actes uniformes de l’OHADA, les pièces qui
constituent le dossier de l’instruction et la décision de mise en accusation qui résument les
faits et la personnalité de l’accusé, l’établissement des procès verbaux, la nécessité d’une
requête introductive d’instance, la citation directe, la rédaction d’une plainte, assignation,
recours croissant à l’écrit devant les juridictions de droit traditionnel du fait de leur progressif
rattachement aux ressorts des juridictions de première instance, procédure essentiellement
écrite en cassation696 entre autres. De plus, l’idée de possibilité de la procédure orale inscrite
dans le Règlement de procédure de la CCJA ne parait pas non plus évidente. Et pour cause, un
arrêt de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage en date 27 février 2014, dans une espèce
opposant le Sieur TANG à la BICEC et la CAA, le juge suprême ohadien décide : « […] Mais
attendu que le dossier ne présente aucune difficulté particulière ; que toutes les parties ont
conclu en produisant les pièces utiles ; qu’il échet de dire qu’il n’y a pas lieu à une procédure
orale». On constatera que le juge de cassation OHADA, pose là une nouvelle condition à
possibilité pour les plaideurs de recourir à la procédure orale : celle de la complexité de
l’affaire apparaissant ainsi comme étant la condition sine qua none de la mise en œuvre de la
procédure orale. Or, l’appréciation juridique de cette exigence de complexité ne semble pas
acquise et précisée. C’est dire que, l’observation de l’audience telle qu’elle ressort de la
pratique met en exergue que l’oralité n’a de sens que rattachée à l’écrit qui est la référence
constante et incontournable des échanges 697 . Les procédures combinent élément écrit et
élément oral, dans des proportions variables. Cela s’applique aussi bien aux actes des parties
qu’aux décisions du juge, de l’introduction de l’instance jusqu’au jugement qui en constitue le
dénouement. On assiste à un chevauchement continu entre l’écrit et l’oral, entre la parole et le
texte. L’idée avancée par la doctrine pour justifier l’évincement de l’oralité semble celui de la

695
D. Carlyne Wagoue Tchokotcheu, L’oralité dans le procès civil : Plaidoyer pour la reconsidération de
l’oralité à la lumière du procès équitable, Thèse, Op. Cit., p. 16. L’auteure fait tout au long de son étude le
plaidoyer pour la reconsidération du principe de l’oralité et les bienfaits qui sont les siens en matière civile.
696
A l’exception de la déclaration orale, qui constitue l’unique moyen pour former le pourvoi. L’article 65
alinéa 1 de la loi n° 2006 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême
prévoit qu’à l’audience, le rapporteur lit son rapport, les conseils des parties et le Procureur Général développent
leurs arguments à l’appui de leur mémoire ; ils peuvent aussi présenter leurs observations sur le rapport.
Seulement, le recours éventuel à la parole contribue simplement à expliquer les éléments écrits. (Nos soulignés)
CS, arrêt n° 94/civ. du 22 mars 2012, SOCOPAO Cameroun S.A. c/ Etablissement NGUEWA.
697
Christiane Besnier, « La cour d’assises. Approche ethnologique du judiciaire », Op. Cit.

132
volatilité de la parole698 qui, en raison de ce caractère constituerait une cause d’insécurité
procédurale 699 et des inégalités entre les plaideurs qui paraissent peu compatibles avec un
procès équitable700. L’oralité génèrerait une part d’incertitude dans le déroulement des débats
et oblige le président à faire face aux événements inattendus : aveux, revirement de
témoignage, pleurs, colère701, arguments de dernière minute auxquels l’adversaire n’a pas la
possibilité de répondre702.

130. En dépit de l’évincement que parait subir l’oralité dans le droit contemporain, l’oralité
existe à l’audience dans sa relation avec la procédure écrite. Elle est un instrument de
garanties des prérogatives procédurales attendues d’une saine justice. Elle acquiert sa
dimension réelle une fois confrontée aux pièces du dossier. La lecture de la décision de mise
en accusation faite par le président du tribunal ouvre les débats. C’est cette lecture qui
symbolise le passage de la phase écrite de l’instruction à la phase orale. Elle rappelle les liens
inextricables de l’écrit et de l’oral au cours de la procédure. Alors que l’instruction écrite est
la retranscription des déclarations orales (interrogatoires, dépositions, confrontations),
l’expression orale quant à elle, est la mise en scène d’un dossier figé par l’écriture703. Elle est
un instrument qui met en valeur ce qui n’apparaît pas à la lecture du dossier : l’intime
conviction du juge sur la cause à juger. L’orientation des échanges durant le débat est en
direction de la Cour et en particulier du président qui dirige les débats et assure la police de
l’audience. Tous les intervenants, témoins, experts, avocats, avocat général, accusé, partie
civile s’adressent à lui. Le réaménagement des salles d’audience a renforcé visuellement cette
position centrale qui place le président du tribunal au « point de convergence d’une
organisation spatiale symétrique »704.
Plus encore, il existe un lien entre l’oralité et les autres principes directeurs du procès.
L’oralité entretient un lien avec la publicité des débats à deux niveaux : ouverture au public en
ce sens que les débats s’adressent aux citoyens présents dans la salle. La justice qui se
déroule devant eux les concerne ; elle est rendue en leur nom. L’audience publique s’oppose à
l’instruction préparatoire qui se veut privée et secrète. Elle assure les échanges entre les
698
Serge Trassoudaine, « La place de l’écrit dans la procédure orale », Bulletin d’information de la Cour de
cassation, Hors série, 2000 disponible sur www.courdecassation.fr.
699
Voir sur la question F. Ekollo, « Le rôle des écritures dans les procédures orales », Gaz. Pal., 2000, 1, doctr.
p. 190 ; R. Martin, « Le point noir de la procédure orale », Procédures, 2000, étude 13 ; B. Travier, « Le
principe de sécurité juridique et les procédures orales », Procédures, 2006, étude 6 ; B. Boccara, « La
procédure dans le désordre – Le désert du contradictoire », JCP, 1981, Doct., n°197, pp. 3004 et s.
700
B. Travier, « Le principe de sécurité juridique et les procédures orales », Op. Cit.
701
Ibid.
702
Voir R. Perrot, « Tribunal d’instance, la procédure et ses surprises », Procédures, 1er déc. 1998, p. 7 et s.
703
Christiane Besnier, « La cour d’assises. Approche ethnologique du judiciaire », Op. Cit.
704
Ibid.

133
parties : c’est l’expression du contradictoire. Le principe du contradictoire mis en valeur par
l’oralité des débats réunit dans la même salle d’audience les parties qui s’affrontent. Cette
confrontation au sein du prétoire, sans doute la première depuis les faits, est d’abord spatiale,
avec les places affectées à chaque partie, visuelle par des regards fuyants ou inquisiteurs et
enfin, orale par les propos échangés705. L’oralité est au service du contradictoire706 car elle
implique la possibilité d’une discussion contradictoire entre les parties devant le juge. Ce lien
s’étend à la discussion des pièces produites tout long des débats et pendant la plaidoirie,
moyen d’expression et de persuasion 707 . Plus qu’un lien avec des principes directeurs du
procès, l’expression du principe de l’oralité au sein de l’espace judiciaire renforce
symboliquement la fonction de juger, garanti une bonne administration de la justice.
Plus concrètement, premièrement, le président du tribunal interroge l’accusé, les
parties, les témoins et les experts sur tous les points qui sont de nature à apporter des éléments
nécessaires à la compréhension des faits et de la personnalité de l’accusé ou des plaideurs. Au
travers de ces échanges, « l’intervention du président prend toute sa dimension au-delà du
rôle que lui confère la loi. Plus que diriger les débats, le magistrat établit un lien singulier
avec chaque interlocuteur en passant outre le caractère solennel et public de l’audience. Le
magistrat instaure ainsi une forme d’intimité propice à la confidence »708, à la manifestation
de la vérité judiciaire. Deuxièmement, contrairement aux préceptes bien connus de l’adage
"verba volant, scripta manent", l’oralité d’une procédure induit le plein engagement de la
partie par ses paroles prononcées devant le juge lors de l’audience709.
Enfin, les écrits sont certes pris en compte, mais si des écritures ont été déposées
auparavant, comme c’est le cas en matière civile, on doit considérer qu’elles ne l’ont été qu’en
vue de l’audience et pour ne produire effet qu’à cet instant, sans égard à la date de leur dépôt,
et encore à condition que le concluant soit présent à l’audience pour en reprendre la teneur
verbale, car, selon la formule du professeur Perrot qui n’y voit cependant pas une panacée :
« lorsque la procédure est orale, ce qui compte c’est l’audience, toute l’audience et rien que
l’audience » 710 . Les écritures échangées ou déposées par les parties antérieurement à
l’audience n’ont donc, en réalité, le plus souvent, sur le plan juridique, qu’une « existence
virtuelle » conditionnée à la présence physique effective de la partie ou de son représentant à
705
Ibid.
706
D. Carlyne Wagoue Tchokotcheu, L’oralité dans le procès civil : Plaidoyer pour la reconsidération de
l’oralité à la lumière du procès équitable, Op. Cit., p. 172 et suiv.
707
Voir J. Van Compernolle, « La plaidoirie : rapport de synthèse », in B. Frydman (dir.), La plaidoirie,
Bruylant, Bruxelles, 1998, pp. 167 et suiv.
708
Christiane Besnier, « La cour d’assises. Approche ethnologique du judiciaire », Op. Cit.
709
Civ. 1ère, 3 févr. 1993, Bull. civ., I, n° 57, p. 38 ; Gaz. Pal. 1993.1, panorama 123.
710
R. Perrot, « Tribunal d’instance, la procédure et ses surprises », Op. Cit., p. 7 et s.

134
l’audience et à leur reprise par celui-ci, au moins par « référence », devant le juge du fond,
lors des débats 711 . L’oralité de la procédure impose donc, en premier lieu, à la partie de
comparaître ou de se faire représenter pour formuler valablement des prétentions et les
justifier712. Ainsi, nous ne pouvons que souscrire face à la montée en puissance de l’écrit aux
propos de madame Christiane Besnier selon lesquels « l’on risque de perdre en qualité des
débats, du fait de la réduction de l’oralité » 713 . L’écrit ne peut suppléer l’absence de
comparution ou de représentation de la partie. « Facile d’accès par les modes de saisine
simplifiés et l’absence de représentation obligatoire, le principe de l’oralité est l’un des
éléments qui caractérisent » avec le principe de la motivation des décisions de justice,
« l’accessibilité et la proximité du tribunal »714.

B. Les garanties post-audience : la motivation des décisions de justice

131. Technique juridictionnelle715 essentielle, la motivation des décisions de justice est au


cœur de la fonction de juger. Un argument majeur semble le justifier : il ne peut y avoir de
bonne justice, sans que le juge, ne motive de manière claire et exhaustive ses décisions. La
motivation des décisions de justice (1), exerce une fonction importante dans la construction
du droit processuel (2).

711
V. Serge Trassoudaine, « La place de l’écrit dans la procédure orale », Op. Cit.
712
Civ. 2, 2 déc. 1992, Bull. civ. II, n° 297, p. 147, en matière de demande d’inscription sur une liste en vue
d’élections prud’homales ; Soc., 16 nov. 1993, Bull. civ., V, n° 279, p. 189, en matière de contestation de
délégué syndical ; JCP 1994.IV.181 ; JCP 1994.IV.181 ; Soc., 10 juin 1997 ; RGDP 1998.111, obs. Y.
Desdevises ; Civ. 2, 21 mars 2002, pourvoi n° 02-60.114, en matière de demande d’inscription sur une liste
électorale politique. Considéré en jurisprudence comme un principe d’ordre public, l’oralité des débats est un
principe essentiel de la procédure de jugement. Dans un arrêt du 31 mars 1965, la Cour de cassation affirmait
clairement qu’« il est de principe qu’en Cour d’assises, le débat doit être oral ». Sur ce fondement, elle a cassé un
arrêt qui refusait d’entendre un témoin qui avait été interrogé pendant l’instruction par les autorités de police et
le juge d’instruction en affirmant que « la Cour a méconnu le principe du débat oral et porté atteinte aux droits de
la défense ». Cass. crim. 31 mars 1965, JCP 1966, II, note A. R.
713
Julien Mucchielli, « Cours criminelles : « L’oralité des débats doit être repensée dans son ensemble »,
Dalloz actualité, 3 juin 2020, sur https://www.dalloz-actualite.fr/printmail/flash/cours-criminelles-l-oralite-des-
debats-doit-etre-repensee-dans-son-ensemble consulté le 07 Octobre 2020 à 17h56.
714
Caron-Deglise, « Procédure orale et procédure écrite et garantie de l’expression des parties », in La parole,
l’écrit et l’image en justice : quelle procédure au XXIème siècle, PULIM, 2010, p. 105.
715
Entendue au sens de « l’ensemble des méthodes, c’est-à-dire procédés d’investigation, de raisonnement et
même de présentation par lesquels le juriste élabore et exprime ses conclusions sur un problème particulier ou
sur un groupe de problèmes de droit », Manon Chateau-Grine, La motivation des décisions du juge
administratif, Thèse, Droit, Université de Bretagne Loire, Université de Nantes, 2018, p. 2.

135
1. La motivation des décisions juridictionnelles

132. Le Conseiller Ancel716 rappelle une évidence désormais acquise en droit, la décision
de justice est l’expression écrite des fonctions symbolique du juge, de régulation sociale, de
recours aussi, dans la mesure où, dans des situations de crise ou de détresse, le juge constitue
bien l’ultime moyen de rétablir, au sein de la société civile, ce qui doit être considéré et vécu
comme « juste et bon ». Au sens courant, et selon le Dictionnaire philosophique de C. Godin,
la motivation désigne à la fois l’« action de justifier une action (déjà faite ou à accomplir) par
l’exposé des motifs » et le « résultat de cette action »717. La motivation juridictionnelle, quant
à elle est, « l’“exposé” de l’ensemble des motifs, c’est-à-dire de l’ensemble des raisons de fait
ou de droit, sur lequel repose une décision » 718 ou encore « la partie d’un arrêt, d’un
jugement ou d’une sentence arbitrale qui expose l’ensemble des motifs à la base de la
719
décision énoncée dans le dispositif » . Aussi consiste-t-elle à rendre compte du
raisonnement du juge, et peut être définie avec d’Estoup720 comme « la réponse du Tribunal
aux moyens […] développés par les parties à l’appui de leurs demandes, de laquelle est tirée
la solution qu’il donne au litige ». Il s’agit donc de la justification factuelle et le raisonnement
juridique par lesquels le juge met fin à la cause pour laquelle il a été saisi. Communication des
motifs721, le jugement est fondé sur des motifs et il est motivé en ce sens que le juge exprime
et expose ses motifs au sein de la décision qu’il prononce722. La motivation du juge, qui donc
précède et « accompagne » la décision de celui-ci, est contenue et prend corps dans les motifs
du jugement. À travers la motivation, le juge ne fait donc que justifier sa décision et n’établit
pas une « vérité » judiciaire723. L’existence de la motivation selon une doctrine bien établie se

716
P. Ancel, « La rédaction de la décision de justice en France », Revue internationale de droit comparé, 1998,
n° 3, pp. 841-852 ; François Martineau, « Critères et standards rhétoriques de la bonne décision de justice », in
Pascal Mbongo (coord.), La qualité des décisions de justice, Op. Cit., pp. 89 et s.
717
Voir Manon Chateau-Grine, La motivation des décisions du juge administratif, Thèse, Op. Cit., p. 4.
718
Christophe Alonso, « La motivation des décisions juridictionnelles : exigence(s) du droit au procès
équitable », In: Benjamin Lavergne (ed.) et Mehdi Mezaguer, (ed.), Regards sur le droit au procès équitable,
[En ligne] Toulouse : Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2012 Consulté et téléchargé le 16 décembre
2020. Disponible sur http://books.openedition.org/putc/589.
719
H. Ruiz Fabri, « La juridictionnalisation du règlement des litiges économiques entre Etats », Revue de
l’arbitrage, 2003, n°3, pp. 881-947.
720
Pierre Estoup, « Du nécessaire rappel de principes élémentaires en matière de rédaction des jugements
civils », Gaz. Pal., 1990, pp. 242-246, spéc. p. 244.
721
La motivation se distingue ainsi des motifs en ce qu’elle est la « communication » de ceux-ci. Les motifs ce
sont les raisons du juge qui l’ont conduit à juger comme il l’a fait ; un « principe objectif de la volonté ». Ils
correspondent à la raison d’agir, une adhésion raisonnée par la motivation. Pour le législateur répressif
camerounais, « la partie du jugement appelée « motifs » énonce les raisons de fait et de droit qui servent de base
au jugement. Elle porte sur l’action publique et, le cas échéant, sur l’action civile ». Article 389 al. 3 du Code de
procédure pénale. Voir F. Zénati-Castaing, « La signification, en droit, de la motivation », in S. Caudal (dir.),
La motivation en droit public, Paris, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2013, pp. 25-46, spéc. p. 25.
722
Manon Chateau-Grine, La motivation des décisions du juge administratif, Op. Cit.
723
E. Jouannet, « La motivation ou le mystère de la boîte noire », Op. Cit.

136
résumerait donc à amener, expliquer ou justifier la décision prise dans le dispositif. Elle doit
servir à éclairer, contrôler et appliquer un jugement 724 . Ce qui fait du jugement, un acte
soumis à la « contrainte argumentative »725. Celle-ci exige que les juges donnent leurs raisons
; qu’ils expliquent comment ils sont parvenus à la décision, ce qui est un moyen de les
exposer à la critique. En ce sens, l’obtention de la persuasion par la décision de justice peut
être considérée comme le standard majeur auquel, selon la Rhétorique, doit obéir tout discours
argumentatif 726 . Ce qui permet indiscutablement d’établir un lien substantiel entre la
motivation, l’acte juridictionnel, construction du droit processuel et bonne justice.

2. Motivation et construction du droit processuel

133. L’office du juge se confond avec l’acte juridictionnel qui traduit la fonction judiciaire
dans son essence. Ce qui, le distingue à l’occasion, de tout autre acte public notamment
administratif. Jadis retranché dans son unique « office processuel » 727 , entendu ici stricto
sensu comme le simple fait de trancher les litiges soumis à son office, le juge se voit
désormais imposé l’obligation de motivation juridictionnelle par l’élaboration d’un
raisonnement rigoureux au terme duquel, la décision du juge doit normalement apparaître
comme la conclusion de l’argumentation qui la précède. En d’autres termes, la motivation des
décisions de justice, occupe une place importante dans la construction du droit processuel.
C’est un acte d’autorité et de persuasion.

134. La motivation des décisions de justice constitue une garantie essentielle de l’équité de
la procédure. C’est un principe général de procédure. Ce qui justifie la logique qu’emprunte la
doctrine, où le principe apparait notamment selon A. Oudoul comme un « point procédural
inhérent à l’activité juridictionnelle. Il n’est pas même pertinent de se demander s’il existe ou
non un droit à la motivation. La motivation est consubstantielle à l’activité de juger : « je
juge donc je motive » »728. Cela veut dire et implique que sans être désigné explicitement dans
un article de loi, chaque juge n’en est pas moins tenu par le principe de la motivation des
724
Ibid.
725
L’expression est empruntée à A. Garapon, S. Perdriolle et B. Bernabé, La prudence et l’autorité : L’office
du juge au XXIe siècle, Rapport de l’IHEJ (Institut des Hautes Etudes sur la Justice), sur l’évolution de l’office
du juge et son périmètre d’intervention, Mai 2013, p. 59. Rapport disponible sur www.ihej.org.
726
François Martineau, « Critères et standards rhétoriques de la bonne décision de justice », Op. Cit.
727
A. Garapon, S. Perdriolle et B. Bernabé, La prudence et l’autorité : L’office du juge au XXIe siècle, Op.
Cit., p. 65 et suiv. Les auteurs y distingue six critères de l’office du juge contemporain à savoir : l’office
jurisprudentiel, l’office processuel, l’office de vérité, l’office tutélaire, l’office sanctionnateur, l’office libéral et
l’office processuel, p. 20. Ce dernier renvoie selon les auteurs au fait de « trancher les litiges qui n’ont pu être
résolus ailleurs par les intéressés eux-mêmes, par leurs conseils, ou par les institutions avec lesquelles ils étaient
en conflit ; en y apportant un traitement efficace, équitable et individualisé », p. 65.
728
Audrey Oudoul, L’impartialité des magistrats dans la procédure pénale française à l’aune du droit de la
convention EDH, Thèse, Op. Cit. p. 146.

137
décisions de justice. Elle existe de façon intrinsèque dans le système juridique sans qu’il y ait
besoin d’une disposition spécifique qui l’établisse. Mais le législateur camerounais a choisi de
la consacrer explicitement dans son corps de règles. Formalisée dans la décision de justice,
laquelle est, en droit camerounais structurée et coulée dans un moule formel spécifique, la
structure des jugements est normalisée car elle fait l’objet d’une disposition légale. Le
jugement compte trois parties729 qui le composent : les qualités730, les motifs731 et le dispositif
qui contient la décision du juge sur le cas d’espèce soumis à son office. Ce dernier indique la
nature du jugement, le degré de la juridiction, la déclaration de culpabilité ou de non-
culpabilité 732 . De son côté, le Code de procédure civile et commerciale contient des
dispositions qui énoncent que « les jugements contiendront en outre les noms, profession,
domicile des parties, l'acte introductif d'instance et le dispositif des conclusions, les motifs et
le dispositif. (…) »733 (Nos soulignés). C’est dire que le législateur fait de la motivation des
décisions juridictionnelles une obligation légale. Le jugement doit exposer les prétentions
respectives des parties et leurs moyens ; il doit être motivé. La division du droit processuel
camerounais conduit inévitablement à la répétition des règles communes dans les différents
textes concernés. Tel qu’il est exprimé dans les Codes de procédures civile et pénale, le
principe prévoit l’exigence d’une motivation simple, mais il existe des hypothèses en droit
substantiel dans lesquelles l’obligation de motivation est renforcée. Celle-ci trouve son
fondement dans le Code pénal, notamment dans les dispositions de l’article 24 aux termes
duquel, « l’emprisonnement est une peine privative de liberté pendant laquelle le condamné
est astreint au travail sauf décision contraire et motivée de la juridiction ». Le texte pose
comme condition préalable de la non astreinte ferme au travail durant la peine privative de
liberté, que la juridiction ait motivée ce choix. Cette motivation « spéciale » représente une
extension du principe de motivation. Plus personne ne conteste désormais que la motivation
de ses décisions par le juge est centrale dans l’activité de celui-ci et essentielle à la justice.
La motivation des décisions juridictionnelles est aujourd’hui de principe. L’obligation
de motiver les jugements bénéficie désormais d’une assise nationale, mais également
supranationale sous l’effet du règlement de procédure de la CCJA734. De même que le juge

729
Article 389 al. 1 du CPP.
730
Article 389 al. 2 du CPP
731
Article 389 al. 3 du CPP précité.
732
Article 389 al. 4 du CPP.
733
Article 39 du CPCC
734
Article 39 du Règlement de procédure de la CCJA qui exige en dehors des mentions relatives à l’indication
des parties, les noms des avocats des parties, les juges et le greffier ayant pris part, les motifs et le dispositif de
l’arrêt de la Cour entre autres.

138
professionnel, l’arbitre est également tenu de motiver les sentences qu'il rend735. C’est sans
conteste pour cette raison que la jurisprudence a toujours considéré la motivation comme
d'ordre public736. De cette double consécration législative et conventionnelle de l’obligation
considérée, il apparaît une appréhension rénovée de la motivation juridictionnelle. Celle-ci
n’est plus seulement présentée comme une obligation pesant sur le juge, elle est un « droit
fondamental »737 reconnu au bénéfice des justiciables. Pour le dire autrement, elle est aussi
bien indispensable à la bonne administration de la justice, que l’expression et l’instrument
« d’un pouvoir (hégémonique) silencieux »738 du juge. Ainsi, en raison de ce pouvoir du juge,
la motivation des décisions juridictionnelles n’a pas eu de difficultés à être qualifiée de
condition même de la formation d’un droit jurisprudentiel et de la connaissance de celui-ci par
les sujets de droit739. La motivation, parce que écrite, participe de la construction d’un droit
jurisprudentiel en permettant de garder trace du raisonnement mené par le juge.

135. Pour rendre effectif l’accès au juge, le justiciable doit, sur un plan rétrospectif être en
mesure de connaître avec suffisamment de clarté les motifs sur lesquels les juges se sont
fondés pour rendre leur décision 740 . Dans une logique de prospective, dans la possibilité
d’actions judiciaires futures, mais également pour les juridictions supérieures éventuellement
saisies pour un jugement nouveau des affaires 741 . Du côté du juge, la motivation de ses
décisions lui permet de se prémunir d’erreurs. Motiver ses jugements « incite le juge à faire
scrupuleusement son travail et à penser avec justesse »742. La motivation est également le
moment pour le juge d’effectuer une sorte d’auto-contrôle par lequel il vérifie lui-même la
rigueur et la pertinence de son raisonnement.
Du côté des parties au procès, la motivation juridictionnelle revêt une fonction
explicative : elle leur permet de comprendre les raisons du jugement rendu. Aussi, la
motivation protège les parties contre les erreurs et l’arbitraire du juge. Elle protège des erreurs
du juge en permettant aux parties de vérifier que leur cause a été entendue et effectivement

735
Il ressort de l’Acte uniforme sur le droit de l’arbitrage dans le cadre du Traité OHADA en son article 19 que
la sentence arbitrale « doit être motivée ».
736
2e Civ., 3 novembre 1960, Bull., II, n° 633.
737
Cf. H. Ruiz Fabri, « La juridictionnalisation du règlement des litiges économiques entre Etats », Op. Cit.
738
E. Jouannet, « La motivation ou le mystère de la boîte noire », Op. Cit., p. 251.
739
François Martineau, « Critères et standards rhétoriques de la bonne décision de justice », Op. Cit. p. 94.
L’auteur soutien que la disposition interne de la décision, l’ordre de ses parties, doit par ailleurs adopter un plan
méthodique qui facilite sa compréhension. La formalisation textuelle de la décision de justice doit prendre en
compte deux éléments cumulés : la compréhension et la clarté. En somme, la qualité de l’expression (elocutio)
doit être une préoccupation constante du rédacteur de la décision de justice.
740
Christophe Alonso, « La motivation des décisions juridictionnelles : exigence(s) du droit au procès
équitable », Op. Cit.
741
Ibid.
742
Manon Chateau-Grine, La motivation des décisions du juge administratif, Thèse, Op. Cit.

139
examinée par le juge. La motivation juridictionnelle occupe d’autant plus une place
importante en droit processuel qu’elle permet de conférer au dispositif, l’autorité de la chose
jugée. Par la qualité de son argumentation, la motivation peut conférer une autorité
considérable au dispositif, renforçant par là même, le jugement ; et ce, à la condition sine qua
none que le Tribunal discute chaque chef de prévention et réponde aux conclusions dont il est
saisi. C'est-à-dire qu’il rende une décision « omnia petita »743, celle qui se prononce sur tous
les chefs de saisine et uniquement sur ceux-ci. On parlera à ce moment de motivation
substantielle 744 . En tant que principe destiné à procurer à l’ensemble des plaideurs une
justification de la décision fondée sur un raisonnement juridique rigoureux suivi par le juge et
obtenu après les débats, la motivation exprime une fonction essentielle du procès745. Elle est
d’ailleurs comprise, en ce sens, comme un « devoir à la charge du juge »746. Elle devient par
là même, un moyen de contrôle aussi bien du juge suprême national, que du juge
supranational en tant qu’il est juge-garant de la « bonne » interprétation et de la conformité au
droit OHADA de la jurisprudence issue de l’application du droit uniforme. C’est dire que la
motivation du juge du fond, doit être conforme au principe de légalité des jugements, s’il ne
veut guère voir sa décision, censurée par les juridictions de cassation en fonction de leur
respective compétence ratione materiae. Le législateur camerounais faisant dans le cas de la
juridiction nationale du « défaut, la contradiction ou l'insuffisance de motifs » 747 un cas
d’ouverture à pourvoi. Concernant ses caractères, la motivation doit en règle générale, être à
la fois suffisante, opérante et licite. C’est sur le fondement de ces caractères que s’exercera le
contrôle de la Cour Suprême748.

743
Par opposition à une décision est dite « infra petita », lorsqu’en présence de demandes nombreuses elle ne
tranche que certaines d’entre elles (Voir 2e Civ., 5 octobre 1983, n° 82-14161, Bull., II, n° 159, RTD civ., 1984,
p. 357, obs. J. Normand. ; RTD civ., 1984, p. 364, obs. R. Perrot) Ou lorsqu’elle se contente d’une phrase
générale qui contenait le rejet d'autres demandes, sans indiquer de motifs concernant le rejet de ces autres
demandes ; ou « ultra petita », décision qui accorde plus qu’il n’est demandé ou enfin « extra petita », celle qui
accorde des avantages non seulement non demandés, mais qui non aucun lien avec les demandes. Voir pour des
développements portant spécifiquement sur la question Jacques Normand, « La part des motifs dans la
détermination de la chose jugée », RTD civ. 1988, p. 386 ; Norah Alshatti, La motivation des décisions
judiciaires civiles et la Cour de cassation: étude de droit comparé franco-koweïtien, Thèse, Op. Cit., pp. 213 et
suiv.
744
Sur les différentes catégories de motivations lire utilement Manon Chateau-Grine, La motivation des
décisions du juge administratif, Thèse, Op. Cit., pp. 33 et s. ; G. Giudicelli-Delage, La motivation des décisions
de justice, t. I, Thèse, Poitiers, 1979.
745
Christophe Alonso, « La motivation des décisions juridictionnelles : exigence(s) du droit au procès
équitable », Op. Cit.
746
Cf. not. S. Gjidara, « La motivation des décisions de justice : impératifs anciens et exigences nouvelles »,
LPA 26/05/2004, n° 105, pp. 3 et suiv.
747
Article 35 de la Loi n° 2006/16 du 27 décembre 2006 fixant l'organisation et le fonctionnement de la Cour
Supreme.
748
Ibid. Voir Arly-Aymar Djofang, « Le nouveau visage de la Cour Suprême du Cameroun : vers une plus
grande efficacité ? (A propos de la loi n° 2006-016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le

140
136. Au delà de son importance pour les parties et le juge, la technique juridique spécifique
de la motivation de ses décisions promeut dans le droit moderne, l’impératif de sécurité
juridique. Celle du droit objectif et du système juridique dans leur ensemble, un vecteur
privilégié de sécurité du droit. « Le souci de garantir aux justiciables une certaine sécurité
juridique conduit à assurer une unité et une continuité de la jurisprudence »749. Continuité de
la jurisprudence imposée non seulement par un souci d’égalité de traitement des justiciables,
mais également par l’impératif de sécurité juridique750. Par la motivation substantielle de ses
décisions, le juge assure la stabilité et l’évolution du droit, preuve du pouvoir silencieux de
création du juge, exprimé et visible dans les motifs.

137. Mieux qu’une exigence destinée à une meilleure articulation du procès, la motivation
devient avec l’intrusion des droits fondamentaux dans l’office du juge, la garantie d’un usager
de la justice effectivement protégé, d’une justice de qualité. Le contrôle susceptible d’être
exercé par les juridictions d’appel et de cassation est un exemple. Revendiquée comme un
instrument de transparence, de contrôle des juridictions inférieures ou encore comme un
élément de la qualité de la justice, la motivation se pare de nouvelles dimensions. Elle
s’émancipe du cadre processuel pour devenir un droit, un droit à part entière, au profit du (ou
des) justiciable(s), la preuve de l’impartialité du juge susceptible de révéler la déviation du
juge lorsqu’il prend cause et partie après comparaison entre les motifs évoqués par les parties
dans leurs demandes (conclusions) et, ce que le jugement a apporté comme motifs751. Elle est
aussi, l’outil de la meilleure compréhension, de l’acceptation de la décision, la possibilité
d’évaluer l’opportunité du succès d’un éventuel recours, et un indicateur des chances de
succès dudit recours752 ; un instrument de persuasion753, un critère de qualité de la décision de
justice. Car comme le dit François Martineau, professeur à l’École de Formation du Barreau
de Paris, « on peut exécuter un jugement que l’on trouve exécrable ; on peut, au contraire,
trouver bonne une décision qui, pourtant, vous donne tort »754. La qualité de la décision de

fonctionnement de la cour suprême) », in Revue de l’Ersuma, Droit des Affaires-Pratiques professionnelles, n° 1


Juin 2012, pp. 370-396.
749
Manon Chateau-Grine, La motivation des décisions du juge administratif, Thèse, Op. Cit. p. 363.
750
Ibid.
751
Norah Alshatti, La motivation des décisions judiciaires civiles et la Cour de cassation: étude de droit
comparé franco-koweïtien, Thèse, Op. Cit., p. 69.
752
L. Cadiet, E. Jeuland, Droit judiciaire privé, Op. Cit.
753
De l’exigence en effet de persuasion attachée à la décision de justice par le biais de la motivation Tony
Sauvel écrit : « Nous ne demandons pas seulement au juge de mettre fin à nos différends, nous demandons de
nous expliquer, de nous faire comprendre, nous voudrions non pas être seulement jugés, mais si possible
persuadés, ce qui est bien autre chose ». Benoît Frydman, « L’évolution des critères et des modes de contrôle
de la qualité des décisions de justice », in Pascal Mbongo (coord.), La qualité des décisions de justice, Op. Cit.,
pp. 18 et s.
754
François Martineau, « Critères et standards rhétoriques de la bonne décision de justice », Op. Cit. p. 91.

141
justice ne se mesure donc plus uniquement à son exactitude ni à ses effets, mais bien à la
qualité de l’argumentation qui la soutient et que le juge développe dans la motivation de son
jugement. Cette conception déplace l’évaluation de la qualité du jugement de la décision elle-
même vers la motivation qui en rend compte 755 . En cela, la motivation des jugements
participe de l’égalité des justiciables devant la justice. Cette fonction qualitative tend à élargir
le champ de la portée décisionnelle ainsi qu’à redéfinir les rapports qui sont inhérents à la
décision.

L’émergence de la dimension qualitative de la décision juridictionnelle vient


pleinement justifier la critique régulièrement faite à l’approche classique de la rédaction de
l’acte juridictionnel dans laquelle semble s’inscrire le juge camerounais. Approche
rédactionnelle que madame B. Djuidje décrit comme dominée par l’usage de locutions
surannées et de phrases archaïques, inutiles et creuses ; composée d’expressions peu
intelligibles ou ambigües 756 , un style considéré comme hermétique et rébarbatif 757 ; une
motivation caractérisée par sa concision, une certaine brièveté fondée sur un moule
traditionnel classiquement organisée en une phrase unique divisée en « considérants » ou
« attendu que »758, traduction de la dépendance du juge camerounais à un héritage français et
sa difficulté à s’en départir pour appeler à la modernisation du langage judiciaire. C’est donc à
la fois par rapport au justiciable, au juge et à l’autorité de contrôle, mais surtout à l’exigence
d’une justice de qualité que l’exigence de motivation trouve sa légitimité.

138. En droit, la motivation des décisions, garantie procédurale post-audience est toute
aussi importante pour garantir une bonne justice. Cependant, son importance n’élimine pas la
contribution de la célérité, du temps du procès dans la définition de ce qu’est une bonne
justice, dans la garantie efficace du droit au juge. Un bon procès dépend également de la
manière dont le temps de la procédure est géré.

Paragraphe II. Le temps de la procédure

139. Une justice de qualité ou si l’on veut une « bonne administration de la justice » en
termes de meilleure lisibilité ou prévisibilité du temps de l’office processuel se situe moins au
niveau des principes procéduraux, garanties formelles d’un bon procès, mais en amont, c'est-

755
Benoît Frydman, « L’évolution des critères et des modes de contrôle de la qualité des décisions de justice »,
Op. Cit. p. 23.
756
Brigitte Djuidje, « Le statut du juge judiciaire camerounais : un tableau contrasté », Op. Cit., p. 55-56.
757
Cf. Mimin, Le style des jugements, Librairie technique, 6e éd.
758
R. Sockeng, Les Institutions judiciaires au Cameroun, Op. Cit., p. 168.

142
à-dire, la manière dont les cours et tribunaux organisent le temps dont ils disposent. Il faut
donc que le temps qui est au cœur de tout processus judiciaire soit pris au sérieux (A). Temps
dont l’articulation semble entachée par un certain nombre de facteurs (B), qui entrainent par
voie de conséquence, une discordance.

A. Le temps au cœur de tout processus juridictionnel

140. La fonction du temps est de définir le rythme commun des activités d’une société
disait le Sociologue Emile Durkheim759. Le droit aussi, comme les autres branches du savoir
assigne au temps diverses fonctions760. Le droit a donc toujours eu un rapport particulier avec
le temps qu’il cherche à apprivoiser 761 . Le droit est pétri de faits dit-on souvent 762 ! La
situation factuelle constitue en effet, le point de départ de l’analyse de la cause soumise au
juge. Celle qui décide les parties à requérir l’intervention du juge. Si le droit est pétri de faits
il l’est aussi de temps. La confrontation des rapports entre temps et droit laisse entrevoir deux
catégories de temps : le temps du législateur en général et dans le cas d’espèce le temps du
juge qui nous amènera, néanmoins, à nous intéresser in fine au législateur.

141. Le juge, dit le droit. Il peut le dire en faisant une application de la loi, en s’inscrivant
dans le sens des décisions précédentes comme c’est le cas dans le droit commun anglais ou en
interprétant une règle de droit. Quelle que soit la source dans laquelle le juge puise
l’instrument de sa décision, dispose-t-il d’un temps indéfini pour le faire ? La réponse est
forcément négative, car il y a un temps pour dire le droit, il y a un temps du procès. A ce
moment, le temps pour dire le droit, le temps du procès, de la justice devient synonyme de
durée parce que les exigences du droit au juge, du procès équitable ne peuvent être réalisées
que dans la durée, dans un espace de temps qui potentiellement, risque de s’opposer au
759
E. Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse : le système totémique en Australie, éd. F. Alcan,
1912.
760
L’étude que la Cour de Cassation française confère au temps juridique dans son rapport annuel 2014 en est
une parfaite démonstration. Cour de Cassation, Le temps dans la jurisprudence de la Cour de cassation,
Rapport annuel 2014, Livre 3 Etude, Sous la direction du Professeur Cécile Chainais, Paris, La documentation
française, 2015.
761
Voir à cet effet, Le Temps dans la procédure, XVe colloque des instituts d’études judiciaires, Clermont-
Ferrand, 13-15 octobre 1983, Annales de la faculté de droit et de science politique de Clermont-Ferrand, 1,
Fasc. 20, 1983, LGDJ, 1984, spéc. S. Guinchard, « Rapport de synthèse », in Le temps dans la procédure civile,
p. 21-65 ; J.-M Coulon et M.-A. Frison Roche, Le Temps dans la procédure (colloque, 5 décembre 1995,
organisé par le tribunal de Nanterre et l’association française de philosophie du droit), Dalloz, 1996 ; S. Amrani-
Mekki, Le Temps et le procès civil, Dalloz, 2002 ; S. Gaboriau et H. Pauliat (dir.), Le Temps, la justice et le
droit, Actes du colloque organisé à Limoges les 20 et 21 novembre 2003, Presses universitaires de Limoges,
2004, Justice & Cassation, 2007, dossier « Le temps dans le procès». On parlera donc de temps juridique ou de
« temps apprivoisé par le droit ». Cf. Cécile Chainais, « Avant propos », in Le temps dans la jurisprudence de la
Cour de cassation, Rapport annuel, Op. Cit., p. 99-123.
762
C. Kessedjian, (2005), « Le temps du droit au XXIe siècle – Compatibilité avec la codification ? », Les
Cahiers de droit, 46 (1-2), 547–560.

143
principe de célérité763, du délai raisonnable. Synonymes entendus ici non comme la rapidité,
encore moins une exigence minimum, mais plutôt comme un délai optimal, une juste mesure
du temps, « un temps sur mesure »764, un juste équilibre, une durée harmonieuse765, pour nous
une juste cadence766 du temps de la justice, calquée sur la maitrise du temps du procès au
service de l’effectivité et de la qualité de la justice. Pour le dire autrement, le juge, pour dire le
droit et remplir son office a besoin de sérénité et de sagesse767. Ces deux vertus demandent du
temps, un temps apaisé permettant une calme réflexion. Le juge ne doit ni s’empresser de
rendre sa décision ni dépasser un temps raisonnable parce que le temps est « un instrument de
la politique processuelle, il s’insinue dans la définition de la justice » 768 . En ce sens, le
principe de célérité, juste cadence du procès est un critère de bonne justice, la garantie du
justiciable d’avoir droit à une décision de justice dans un délai raisonnable.

142. Le législateur camerounais en instaurant des délais et en choisissant leur régime, a


voulu enserrer le procès dans un cadre temporel, dont il entend déterminer le rythme par la
mesure qu’il voudrait harmonieuse. Mesure qui s’induit par le rôle décisif qu’occupent les
délais maximaux. A cet égard, toute atteinte à la liberté d’aller et venir, dès lors qu’elle
concerne une personne non déclarée définitivement coupable, est strictement encadrée dans sa
durée. Il en est ainsi en matière de garde à vue769, comme de la détention provisoire770 dont le
strict respect des délais de privation de liberté avant condamnation est conçu comme une ligne
directrice de la loi et du juge en matière de détention provisoire. Le législateur multiplie par
ailleurs les procédures destinées à accroitre la célérité de la réponse pénale. La comparution
apparait justement comme une procédure essentiellement régulatrice assurant une meilleure

763
S. Amrani-Mekki, « Le principe de célérité », RFAP, 2008/1, n° 125, pp.43-53. Téléchargeable depuis le
site https://www.cairn.info/revue-francaise-d-administrationpublique-2008-1-page-43.htm.
764
Cécile Chainais, « Avant propos », in Le temps dans la jurisprudence de la Cour de cassation, Op. Cit.
765
C. Jauffret-Spinosi, « Le temps et le droit », Allocution à l’inauguration de la chaire Jean-Louis Baudouin.
766
La justesse à laquelle il est fait allusion est celle de l’intonation d’une note de musique.
767
C. Jauffret-Spinosi, « Le temps et le droit », Op. Cit.
768
J.M. Coulon, « Les solutions relatives à l’office du juge », in J.M. Coulon et M.-A. Frison Roche (dir.), Le
temps dans la procédure, Op. Cit., pp. 57 et s. Le magistrat ajoute spécifiquement à la p. 59 que : « Le temps
devient pour le juge la recherche du mariage de quatre logiques estimables, mais par essence peu compatibles :
la logique judiciaire du plaideur, la logique économique de l’auxiliaire de justice, la logique juridique du juge et
la logique d’administration judiciaire du gestionnaire ».
769
Il existe une durée maximale de garde à vue, dont le droit organise à titre exceptionnel la prolongation. Le
principe est que la durée de cette mesure contraignante ne peut excéder quarante huit heures renouvelable une
fois. Le caractère exceptionnel de la garde à vue n’a toutefois pas empêché le législateur de prévoir des cas de
rallongement de sa durée maximale. Sur autorisation écrite du Procureur de la République, ce délai peut, à titre
exceptionnel, être renouvelé deux fois. Article 119 al. 2 du CPP. Voir également article 120 relative aux délais
en fonction de la distance du lieu d’arrestation avec le local de police. Le régime de la garde à vue est régi par les
articles 118 à 126 du CPP.
770
Aux termes de l’Article 221 (1) La durée de la détention provisoire est fixée par le Juge d’Instruction dans le
mandat. Elle ne peut excéder six (6) mois. Toutefois, elle peut être prorogée par ordonnance motivée, au plus
pour six (6) mois en cas de crime et deux (2) mois en cas de délit.

144
gestion du flux des dossiers pénaux, en permettant une présentation rapide dès la réalisation
de l’infraction du prévenu devant la juridiction. C’est le cas de la flagrance des délits et crime
objet des articles 103 et suivants du Code de procédure pénale. Elle permet de réprimer dans
des brefs délais, les infractions qui viennent de se commettre. Plus le temps écoulé entre le
jugement et l’infraction est long, plus ce dernier est atténué dans sa portée. Il est donc
nécessaire de concilier célérité et personnalisation 771 . L’autorité de poursuite ne disposait
avant 2016, face à la connaissance d’une infraction que d’une option : soit il poursuit l’auteur
ou les coauteurs du fait délictueux, soit il classe sans suite. Certains contentieux étant
considérés comme pas assez graves peuvent bénéficier d’un traitement juridictionnel
simplifié. Le législateur a institué en guise de réponses pénales à ces cas, instituer des
alternatives aux poursuites tels que, le travail d’intérêt général, la sanction réparation772. Le
législateur est allé plus loin. Il a prévu la transaction pénale comme mode d’extinction de
l’action publique lorsque la loi en dispose expressément 773 . Définie comme un contrat à
travers lequel les parties à un litige y mettent fin en se faisant des concessions réciproques,
soit devant le juge ou de façon conventionnelle774, elle désignerait aussi, un mode d’extinction
de l’action publique par lequel une administration publique renonce à l’exercice des
poursuites en contraignant le délinquant à verser une certaine somme d’argent775. Sur ce point,
l’on pourrait dire que la restitution du corps du délit serait une transaction, car celui qui
rembourse peut obtenir l’arrêt des poursuites et par conséquent constitue dans le cas d’espèce,
un vecteur de célérité de la réponse pénale en droit camerounais. L’avènement de la
restitution du corps du délit en échange d’un abandon des poursuites contenu expressis verbis
dans les dispositions de l’article 18 de la loi créant le Tribunal Criminel Spécial, qui permet à
la personne poursuivie de restituer le corps du délit à tous les stades de la procédure, n’a pas
tout à fait reçu les éloges de la doctrine. Cette dernière l’interprétant comme la consécration
d’« une légitimation des détournements au Cameroun »776. Bien reçue ou pas, l’intérêt de la
mise en œuvre du mécanisme est de nature à assurer une réponse judiciaire dans un délai
assez réduit, le recouvrement des sommes détournées, ainsi qu’une prise en compte adaptée
771
A. Mihman, Contribution à l’étude du temps de la procédure pénale : pour une approche unitaire du temps
de la réponse pénale, Thèse, Droit, Université Paris Sud, 2007, p. 172.
772
Code Pénal, Article 18-1.
773
Article 62 (f) du Code de procédure pénale.
774
Article 2044 du code civil.
775
Marc José Mgba Ndjie, « L’efficience discutée de la restitution du corps du délit devant les juridictions
répressives camerounaises », Pyramides, 28, 2016, pp. 165-203.
776
Voir particulièrement J.E. Ongolo Foe, « La transaction pénale au Cameroun et la morale : licence pour le
pillage de la fortune publique et le trafic d’influence », Miroir du droit, n° 2, 2010, pp.19 et s. Aussi F. Djonko
et B. Embolo Bina, « Essai comparé et critique du nolle prosequi : réflexions combinées autour des articles 62
alinéa1(f) et 64 du code de procédure pénale », Miroir du droit, Op. Cit, pp. 27 et suiv ; F-E. Mani Ayong, « La
transaction en matière pénale au Cameroun : un droit étroit », in Miroir du droit, Op. Cit., pp. 53 et s.

145
de la technicité du dossier. Mieux, elle soulage les magistrats des contentieux considérés
généralement comme étant complexes par ce que nécessitant des compétences particulières en
matières économiques, comptables et financières.

143. Il n’y a pas qu’en matière pénale que ce souci accordé à la célérité du temps de la
justice est observé. En procédure civile, l’exigence d’une justice rendue dans le cadre d’un
délai raisonnable est consacrée en droit positif non seulement par le droit camerounais mais
aussi par le droit OHADA qui fait désormais partie intégrante du droit des Etats membres. La
célérité semble avoir été placée au service de l’efficacité, de l’effectivité et de la qualité de la
justice. Celle-ci réside essentiellement dans l’adoption de procédures d’« urgence »777 pour
accélérer le temps du procès. Les procédures adoptées présentent la particularité de permettre
au demandeur d'obtenir une décision provisoire. Il s’agit notamment d’un coté, de la
procédure en référé778. Les juridictions nationales compétentes mettent en œuvre la volonté
d’accélération des procédures avec promptitude chaque fois que les conditions de leur saisine
sont remplies779. La procédure de référé présente la particularité de procéder de la nécessaire
célérité, qui est une composante de l’efficacité de la justice. Le succès de la juridiction des
référés répond au besoin d’obtenir une réponse juridictionnelle rapide, fût-elle seulement
provisoire, lorsque sont en question ou en péril le droit du demandeur, en matière civile780.
Comme toute procédure qui intègre un souci d’efficacité, elle est issue de la pratique. Conçue
à l’origine comme une procédure d’urgence, dans le souci de préserver les droits des parties
en vue du procès qui interviendrait ultérieurement, le référé visait alors à remédier aux
lenteurs du déroulement ordinaire des procédures. Avant d’être une technique de traitement
rapide aussi bien de l’urgence que de plusieurs cas d’évidence, les référés ont aussi été le
moyen de traiter l’urgence née du retard d’une justice lente 781 . Urgence appréciée
souverainement par le juge dont seule la déclaration suffit782.

777
Article 49 de l’AUPSRVE.
778
Le régime des référés est régi par les articles 182 à 187 du CPCC.
779
Ordonnance n° 09/civ du 17 janvier 2008 rendue par le Président du Tribunal de première instance de
Yaoundé-Ekounou ; Ibrahim Ndam, « La protection du droit à un procès dans un délai raisonnable dans
l’espace Ohada », Revue de l’Ersuma, Droit des Affaires, pratiques professionnelles, n° 2, Mars 2013, pp. 83-
129.
780
Cour de Cassation, Le temps dans la jurisprudence de la Cour de cassation, Op. Cit., p. 356.
781
Un premier président honoraire de la cour d’appel de Paris faisait œuvre de franchise en écrivant que les
référés ont « [sauvé] l’honneur judiciaire de la France ». Le contexte est aujourd’hui différent. Les fonctions des
référés se sont profondément diversifiées. Dans bien des cas, l’ordonnance de référé est rendue en l’absence
même d’urgence. Mieux encore, lorsqu’elle satisfait pleinement le demandeur, il arrive que, provisoire en droit,
elle devienne définitive en fait – en l’absence d’instance ultérieure au fond. J. Vassogne, « Préface », in Ch.
Cezar-Bru, P. Hébraud et J. Seignolle, La Juridiction du président du tribunal, Tome 1, Des référés, Librairies
techniques, 5e éd., 1978. Voir aussi, Y. Strickler, Le juge des référés, juge du provisoire, Thèse, Droit,

146
De l’autre coté, nous avons l’ordonnance sur requête régie par les dispositions de
l’article 148 du CPCC, rendue non contradictoirement par le président du tribunal de première
instance dans le ressort duquel la mesure doit être appliquée ou par son délégataire. Procédure
utilisée en matière gracieuse, c'est l'hypothèse où le juge n'a pas à trancher un conflit de
prétentions, se limite à contrôler l'activité juridique des parties. Quant à l’injonction de
paiement, elle est prévue par l’article 1 à 18 de l’Acte uniforme sur les procédures simplifiées
de recouvrement et voies d’exécution de l’OHADA. Injonction de paiement prononcée au
courant d’une procédure accélérée. Elle peut être utilisée pour le recouvrement des créances
fondée soit sur un titre soit sur une reconnaissance de dette783. Elle permet aussi à un créancier
dont la créance porte sur une somme d’argent, d’obtenir rapidement la délivrance d’un titre
exécutoire de façon non contradictoire et avec un minimum de frais784 qui lui permettra de
contraindre son débiteur sans la lourdeur et le coût d’une comparution devant une
juridiction785 par simple requête. Elle vise, par inversion du contentieux, à rendre une décision
en faveur du créancier, à forcer l’autre partie à se reconnaitre débiteur. Il s’agit là, d’une
alternative à l’action qui peut être exercée sur le fond et qui peut aboutir au même résultat. La
procédure civile camerounaise prend toute aussi en compte, la nécessité de favoriser un temps
adapté, un temps sur mesure par la modulation des délais au service de l’équité. Les délais de
grâce puisqu’il s’agit d’eux, permettent aux justiciables d’obtenir un moratoire ou un
rééchelonnement de leurs obligations. A l’origine, le Code civil applicable prévoyait, en son
article 1244, la possibilité d’accorder de tels délais, mais à la condition que ceux-ci fussent «
modérés »786.

144. Cette analyse du panorama des règles en matière de délai raisonnable érigé aussi bien
en droit national qu’en droit supranational, bien que parcellaire, met en évidence le souci de

Université Robert Schuman de Strasbourg, 1993 ; C. Chainais, La Protection juridictionnelle provisoire en


droits français et italien, Dalloz, 2007, n° 392 et s.
782
CSCO Arrêt n° 18 du 18 Novembre 1959, Bull n° 19, p. 2331 ; CSCO Arrêt n° 10 du 27 Octobre 1970, Bull
n° 23, p. 2834.
783
Article 2 AUPSRVE.
784
Twengembo, « Injonction de payer, de délivrer ou de restituer », in P.G. Pougoué (dir.), Encyclopédie du
droit OHADA, Lamy, 2011, pp. 1010 et S.
785
Ibid.
786
Art. 1244 - Le débiteur ne peut point forcer le créancier à recevoir en partie le payement d'une dette, même
divisible. Les juges peuvent néanmoins, en considération de la position du débiteur et usant de ce pouvoir avec
une grande réserve, accorder des délais modérés pour le payement et surseoir à l'exécution des poursuites, toutes
choses demeurant en l'état. En cas d'urgence, la même faculté appartient, en tout état de cause, au juge des
référés. S'il est sursis à l'exécution des poursuites, les délais fixés par le Code de procédure civile pour la validité
des procédures d'exécution seront suspendus jusqu'à l'expiration du délai accordé par le juge.

147
l’accélération générale du temps juridique, en réponse à l’accélération du temps social787 qui
préoccupe législateurs et usagers de la justice. Le délai raisonnable est devenu un critère de
mesure du temps et de la santé de la justice ; le droit à un délai raisonnable ou à la célérité, un
critère de bonne administration de la justice. Aussi, la juste cadence du procès ou de la justice
a de multiples justifications. La première justification est sans doute le respect des droits des
justiciables : présomption d’innocence, droits de la défense. Une personne mise en cause que
ce soit en matière pénale ou civile ne devrait pas subir pendant une longue période,
l’incertitude de son sort. Des arguments de politiques judiciaires justifient aussi l’exigence de
célérité. « Le retard pris par les décisions (de justice) jettent le discrédit sur le droit (…) et
porte atteinte à une bonne administration de la justice »788. Le parcours juridictionnel d’un
litige débute par une introduction d’instance devant la juridiction compétente, suivi, en cas
d’insatisfaction, par un autre traitement qu’ouvre la voie d’appel, et se termine, le cas échéant,
par une décision en cassation. Pendant toutes ces phases, les différentes étapes à savoir la
communication de la requête, des mémoires en défense et en réplique, la désignation d’un
expert judiciaire, prennent du temps. Il en est ainsi notamment, des délais procéduraux qui
doivent s’écouler avant que la décision ne puisse être prise, comme par exemple les délais
impartis pour l’invitation des parties à l’audience. Des retards sont de nature à compromettre
l’efficacité et la crédibilité de la justice. Mieux, l’exigence de célérité est au dessus des parties
et du juge. La réponse célère de la justice concerne aussi bien les parties au lien d’instance,
que la société dans son entièreté. Pour cela, il est devenu nécessaire d’adopter un certain
nombre de critères pour pouvoir percevoir le caractère raisonnable du délai de jugement.
Faute desquels, les délais excessifs de jugement porteront indubitablement atteinte au droit du
justiciable de bénéficier de son droit à un délai raisonnable. Malgré cette évidence et la
volonté de soumettre la justice au principe de célérité, le temps de la justice demeure
discordant. Et la discordance semble constante.

B. La sujétion de la justice camerounaise à des facteurs de discordance du temps

145. Progressivement, le temps (durée) est devenu consubstantiel au procès et sa qualité, un


élément essentiel du droit à une protection juridictionnelle effective. Seulement, les règles
judiciaires transposées ont héritée des mêmes maux que la justice occidentale d’où elles tirent

787
Voir en l’occurrence la démonstration de François Ost et Michel Van de Kerchove (dir.) dans,
L’Accélération du temps juridique, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 2000.
788
A. Mihman, Contribution à l’étude du temps de la procédure pénale : pour une approche unitaire du temps
de la réponse pénale, Thèse, Op. Cit, p. 308.

148
leur origine, tels que : lenteur, saturation des rôles. De ces maux, il faut distinguer les facteurs
naturels de lenteurs (1), des facteurs pathologiques de ralentissement (2).

1. Les facteurs naturels de lenteurs

146. « La justice est lente, c’est regrettable »789. C’est par cette envolée sentimentale que
le Professeur Yves-Marie Morissette décrit le discours conventionnel sur le difficile temps du
procès. La justice, depuis qu’elle est organisée, sa lenteur lui est constamment reprochée. Si
l’exigence de célérité semble dans la majorité des systèmes juridiques la chose la mieux
partagée, les lenteurs de la justice peuvent toutefois être considérées à certains degrés, dans
l’ordre des choses où la patience juridique semble être un éloge790. Inhérents à tous les procès,
le temps en devient même un facteur naturel ralentissement. Par facteurs naturels de
ralentissement ou de lenteurs il faut entendre, ceux qui sont dans la nature des choses, ceux
relatifs à la façon par laquelle on a choisi de rendre la justice 791 . Les justiciables et les
potentiels investisseurs de l’espace OHADA dénoncent régulièrement la justice et ses
lenteurs. Sujet récurrent et fort ancien792, il y a peu de temps, Jean-Claude Marin, procureur
de la République français, insistait sur les « nécessaires équilibres entre les voies
procédurales aux fins de parvenir à contenir le temps de la justice pénale dans le respect du
délai raisonnable » en relevant que « la justice [était] aussi malade de son anachronisme et
du caractère souvent historique de sa réponse aux agissements les plus graves, les plus
complexes ou les plus systémiques »793. De même, monsieur Alexis Dipanda Mouelle, ancien
premier président de la Cour suprême du Cameroun, parlait « d’enlisement des procédures »

789
Yves-Marie Morissette, « Les lenteurs de la justice sous un angle qui les avantage », McGill Law Journal,
vol. 33, 1987, pp. 137-151.
790
Raphaël Draï, « Éloge de la patience juridique », in F. Ost, M. Van de Kerchove (dir.), L’accélération du
temps juridique, Op. Cit., pp. 127-153.
791
Yves-Marie Morissette, « Les lenteurs de la justice sous un angle qui les avantage », Op. Cit.
792
Jean-Claude Farcy, Magistrats en majesté Les discours de rentrée aux audiences solennelles des cours
d'appel XIXe-XXe siècles, CNRS Editions, 1998. De cette analyse on peut ainsi retenir que, dès 1811, le
procureur général Roulhac (CA Limoges) traitait de la question, dans une intervention intitulée « L'activité et la
célérité dans l'expédition des affaires ». Il fut suivi, en 1823, par l'avocat général Lébé (CA Agen), lequel
exprimait « La nécessité d'une étude approfondie des lois de la part du magistrat et l'obligation d'impartir une
bonne et prompte justice », exigence confirmée, l'année suivante, par le procureur général Blanquart de Bailleul
(CA Douai), dans son discours consacré aux « Devoirs des magistrats dans l'instruction criminelle : sagacité et
célérité ». En revanche, en 1828, l'avocat général Saverot (CA Dijon), mettait en garde contre « Les dangers que
représente l'amour de la célérité chez les magistrats ». Seule note discordante, semble-t-il, puisque le procureur
général Thourel (CA Nîmes) reprenait, en 1855, le thème sous un titre plus neutre « De la célérité dans la
distribution de la justice civile », la même sobriété revenant, en 1862, dans le discours de l'avocat général
Gautier (CA Grenoble) « La célérité dans la justice ». Etrangement, peut-être, il a fallu plus d'un siècle pour que
la question soit, de nouveau, placée au premier plan des préoccupations des chefs de cour, le conseiller Le Foyer
de Costil (CA Paris) centrant son propos, en 1986, sur « La justice et le temps ».
793
Jean Claude Marin, Discours de rentrée solennelle du TGI de Paris, le 12 janvier 2005.

149
et de non respect des délais dans le prononcé des jugements pour l’illustrer794. S’il est vrai
qu’une justice qui n’intervient pas à temps peut être qualifiée d’une justice de mauvaise
qualité, il faut souligner que le caractère raisonnable du délai ne se détermine pas dans
l’absolu. Les problèmes de lenteurs ne se réduisent pas à une simple question de délais
judiciaires entendus au sens premier du terme, comme le laps de temps fixé par la loi pour
accomplir une chose. Nous l’avons souligné, le juge pour rendre sa décision a besoin de
sérénité et de sagesse. Ces adjuvants destinés à renforcer la qualité de la justice doivent être à
la mesure de la nature et de la complexité de la matière litigeuse795.
Le délai de résolution du litige dépend donc en premier d’un facteur essentiel : la
nature et la complexité du litige. Il s’agit là, de la dimension objective du procès sur lequel le
juge et les acteurs du procès censés avoir la maitrise du temps n’auront sur celui-ci qu’une
emprise des plus limitée, en ce que le temps se rapporte à la matière sur laquelle porte le
litige796. La complexité de l’affaire, dépendra du nombre de personnes à entendre pour la
manifestation de la vérité, du caractère international des infractions reprochées où des
investigations nécessaires, pourront justifier une certaine lenteur de la procédure. On ne
saurait en effet exiger du juge les mêmes obligations de célérité pour une affaire simple que
pour une affaire complexe. Ici, la procédure dépend fondamentalement du droit qu’elle sert797.
Ce sont les circonstances de fait de l’affaire concernée, le droit substantiel envisagé qui
imposent une rythme aux acteurs du procès, le degré de technicité de l’affaire (des procédures
pour délits financiers par exemple) nécessitant des expertises particulièrement techniques.
Référence peut aussi être faite, aux questions liées à l’état des personnes tel que le divorce
soumis à une étape préalable de conciliation ou les atteintes causées à l’environnement qui
nécessitent d’avantage de maturation798, aux litiges impliquant des questions complexes de
droit international privé par exemple. Par contre, les affaires relatives au droit des affaires,
aux licenciements, aux procédures collectives doivent être résolues avec promptitude, en
raison des possibles conséquences économiques d’une décision de justice attendue comme un

794
Alexis Dipanda Mouelle, Discours de rentrée solennelle de la Cour Suprême, 23 Février 2013.
795
CEDH, 24 octobre 1989, H. c/ France, RFDA 1990, p. 203, note O. Dugrip et F. Sudre, LPA, 28 février
1990, p. 12. Quatre critères d’appréciation des délais se sont dégagés de la jurisprudence de Strasbourg : la
complexité de l’affaire, le comportement du requérant, le comportement des autorités compétentes et, enfin,
l’enjeu du litige pour le requérant. Voir notamment, Serge Guinchard, « Les normes européennes garantes d’un
procès de qualité », in Marie-Luce Cavrois, Hubert Dalle et Jean-Paul Jean (dir.), La qualité de la justice, Op.
Cit., p. 104 ; Soraya Amrani-Mekki, « Le principe de célérité », Op. Cit., pp. 43-53.
796
Yves-Marie Morissette, « Les lenteurs de la justice sous un angle qui les avantage », Op. Cit.
797
La conduite du procès comme celle de la guerre, est irrémédiablement dépendante du temps. Le procès est
une succession d’actes, des mesures et des incidents de procédure, le débat sur la preuve, le cadre processuel
contradictoire prend fin dans un arrêt rédigé par le juge faisant du temps, une donné majeure pour les
intervenants au procès ainsi que pour les professionnels du droit.
798
Yves-Marie Morissette, « Les lenteurs de la justice sous un angle qui les avantage », Op. Cit.

150
« messie ». Pour le dire autrement, la matière sur laquelle porte le litige revêt un effet
considérable sur la durée du procès dans la mesure où toutes les disciplines du droit ne sont
pas soumises à aux mêmes exigences temporelles799. Le juge doit y consacrer le temps, la
rigueur et l’énergie nécessaires à la maturation de son jugement, tout en s’efforçant de
préserver au mieux les droits des parties. Si le temps est clairement nécessaire dans la
conduite du procès800, ce qu’il faut dénoncer et c’est ce qu’on constate sur la scène judiciaire
en Afrique francophone, c’est plutôt la négligence et l’excès de lenteur qui frappent toutes les
juridictions et contribuent à ternir l’image de la justice dans son ensemble.

147. Le délai dépendra également de l’enjeu du litige pour le requérant. Il s’agit ici, de la
dimension subjective. L’appréciation subjective dudit délai se fait au cas par cas, chaque
affaire étant singulière. Elle tiendra donc compte, des enjeux du litige pour le requérant car ils
peuvent parfois justifier une plus grande diligence de la part des juridictions. L’intérêt qui est
en jeu pour le justiciable, et qui dépend de l’issue de la procédure judiciaire, est tel qu’il exige
un délai raisonnable du jugement 801. La célérité doit par conséquent, être poursuivie avec
mesure pour que le gain de temps n’engendre pas une perte de qualité. Seulement, « le temps
propre à l’action »802 du juge ne saurait signifier attentisme. C’est sur ce plan que temps et
action se découvrent une connivence secrète 803 . L’action doit bénéficier du « temps
propice »804 pour prendre sens et le temps, apporter la justification nécessaire à la légitimation
de l’action. La justice, lorsqu’elle se transforme en « droit d’être lent et de prendre tout le
temps, et même au-delà de ce qu’il faut »805, peut sembler être « une divine comédie »806.
Aussi, une fois le juge saisi, les parties mettront en œuvre les moyens procéduraux à même
d’accélérer ou de retarder le process. Le droit de patienter en vue d’un bien jugé est avant tout
savoir attendre 807 . Néanmoins, pareille attente ne saurait se « confondre avec l’attentisme
indéfini qui n’est qu’une forme stérile de passivité ; celle qui laisse imaginer que ce que l’on

799
M.-A. Frison Roche, « Les droits fondamentaux des justiciables au regard du temps dans la procédure », in
J. M. Coulon et M.-A. Frison Roche (dir.) Le temps dans la procédure, Op. Cit., p. 13.
800
Jean-Claude Magendie, Célérité et qualité de la justice. La gestion du temps dans le procès, Rapport au
Garde des sceaux, Paris, La documentation française, 2004, p. 19.
801
Cf. CEDH, 24 octobre 1989, H. c/ France, RFDA 1990, Op. Cit.
802
Lambros Couloubaritsis, « Le temps propre à l’action », in: F. Ost, M. Van de Kerchove (dir.),
L’accélération du temps juridique, Op. Cit. pp. 75-92.
803
Ibid.
804
C’est ce dernier type de temps qui, selon le professeur L. Couloubaritsis semble le plus adapté à l’action. Ce
« temps propice » (kairos) qui concerne une temporalité en accord avec des événements singuliers et
contingents. Lambros Couloubaritsis, « Le temps propre à l’action », Op. Cit.
805
C’est nous qui soulignons.
806
J. Georgel, « Le juge et la montre », Mélanges Georges Dupuis, Paris, LGDJ, 1997, p. 118 (cité par
Alexandre Claudo, « La maitrise du temps en droit processuel », Jurisdoctoria, Op. Cit.)
807
Raphael Drai, « Eloge de la patience juridique », Op. Cit.

151
attend se produira de soi, sans qu’on y intervienne »808. La patience, c’est la survenance dans
un délai acceptable de la survenance de l’objet ou de l’événement, attendu. Mais elle exige en
retour, que les plaideurs sachent où et quand se placer en retrait, précisément pour respecter la
temporalité propre de cet être ou de cet objet, pour laisser au juge le temps de mâturer sa
décision809. Le temps, même long peut être porteur d’une bonne justice. Pour supprimer et
écourter les délais facteurs naturels de ralentissement de la justice, il faut nécessairement
changer la nature du système et peut être même, changer le système. Ce qui en est autrement
des facteurs pathologiques.

2. Les facteurs pathologiques de ralentissement

148. Sous l’expression facteurs pathologiques de ralentissement il faut voir les lenteurs
auxquelles des solutions peuvent être apportées sans avoir à remettre en question l’intégrité du
système ou son principe organisateur. Si le problème des lenteurs de la justice se réduisait à
une simple question de gestion de temps, il serait facile de le reproduire en changeant les
délais judiciaires 810 . Le problème est plus complexe dans la mesure où, les attitudes des
requérants, des autorités compétentes, et l’enjeu du litige entrent en ligne de compte. Bref, le
comportement des acteurs est déterminant. Le législateur OHADA, consacre un certain
nombre de pistes de réflexion susceptibles d’apporter des réponses à cette discordance des
temps caractéristiques de la période contemporaine. Ces réponses viennent de l’imposition
verticale d’un temps juridique protecteur notamment, de brefs délais avant l’expiration
desquels le juge 811 ne peut agir sans être accusé de précipitation, et des délais pour se
prémunir de l’inertie des acteurs du procès 812 . Seulement, les pratiques des intervenants
généralement rencontrées au sein des juridictions nationales ne sont pas exclure des causes de
lenteurs de la justice. Qui du juge ou des parties dispose réellement de la maitrise du temps
dans le procès ?

808
Ibid.
809
Ibid.
810
Yves-Marie Morissette, « Les lenteurs de la justice sous un angle qui les avantage », Op. Cit. ; Voir aussi,
Maryse Deguergue, « Le dysfonctionnement du service public de la justice », Op. Cit, pp. 155 et s.
811
Le souci d’assurer le droit au juge dans un délai raisonnable, le législateur a pensé se prémunir d’une justice
hâtive d’une part, le juge est soumis à des délais avant lesquels il ne peut statuer sous peine de rendre une
décision dans la précipitation (Voir les articles 133 alinéa 5 relatif au droit commercial général, 247 de l’Acte
uniforme sur le droit des sociétés commerciales et du groupement économique) et des lenteurs judiciaires. Voir
en ce sens, les articles 14, articles 15 alinéa 4, 23 alinéa 2, 219, 220, 221 alinéa 2 de l’Acte uniforme sur les
procédures collectives d’apurement du passif obligeant le juge à statuer dans le mois de sa saisine.
812
Voir Article 25 de l’AUPSRVE.

152
149. Le procès civil met en cause, pour l’essentiel, des intérêts privés. En ce sens, il
demeurerait la chose des parties. La longueur ou le délai raisonnable du procès ou encore sa
lenteur dépendra en cette hypothèse de la diligence des parties. Les parties ont seules, en vertu
du principe du dispositif, l’initiative procédurale – le demandeur étant à ce moment, le seul
maitre du temps qu’il prend à faire intervenir le juge813 – et de l’impulsion processuelle.
Cette phase procédurale peut durer quelques jours ou quelques semaines si les procédures sont
conduites avec le maximum de diligence, mais aussi plusieurs mois et parfois des années dans
les affaires complexes ou encore les dossiers dans lesquels une des parties au moins cherche
à gagner du temps et se servir de ce dernier comme d’un élément de stratégie procédurale. Le
temps du procès peut donc faire l’objet d’une instrumentalisation par les parties814 notamment
815
par l’usage et l’exercice des manœuvres dilatoires dans l’optique de décourager
l’adversaire, entraîner pour lui un coût dissuasif du procès, et le cas échéant, une déperdition
des preuves, succomber à la tentation de demander à leur avocat de retarder l’issue du procès
ou encore de mettre en œuvre l’ensemble des moyens nécessaires pour une instruction à bref
délai de l’affaire. En cette matière, les stratégies des avocats dans la gestion temporelle d’une
affaire sont essentielles dans la mesure où les interactions entre acteurs du procès sont
susceptibles de construire un véritable « système » au sens sociologique du terme, parce
qu’« une affaire mobilise une pluralité de logiques d’actions qui s’appuient sur une
temporalité propre »816. Par conséquent, il est aisé de comprendre l’expression de Mireille
Delmas Marty, qu’« il y aurait une ‘’rythmologie’’ de la procédure à dessiner entre les
paroles et les silences, l’agir et le non agir »817 .
En somme, chaque partie perçoit différemment le temps du procès. A cet égard,
l’influence que peut avoir les actions des uns et des autres sur la cadence du procès sera
fonction des intérêts des intervenants et de la nature du procès : pénal, civil ou administratif.
Tout ce passe à l’audience, où lors de débats oraux lorsque sont présentées les preuves. La
preuve par témoignage (puisque les débats sont oraux) joue un rôle important. Et ce sont les
parties, leurs avocats qui conduisent le procès. Souvent le temps du procès, peut être long,
813
Jean-Claude Magendie, Célérité et qualité de la justice. La gestion du temps dans le procès, Op. Cit. p. 29 ;
Voir Aussi, Cécile Chainais, Frédérique Ferrand, Serge Guinchard, Procédure civile Droit interne européen
du procès civil, Op. Cit, pp. 351 et S.
814
Cf. D. De Béchillon, « Deux caractères du temps contentieux », Justice & Cassation 2007.
815
Dans son arrêt de n° 034 rendu le 23 mars 2006, la Cour d’appel de Lomé lutte explicitement contre les
lenteurs judiciaires résultant de l’appelant. Dans le cas d’espèce, la Cour constate que bien qu’ayant relevé appel
de la décision du tribunal d’instance, conformément aux délais en vigueur, l’appelant n’a, cependant, accompli
aucun acte de procédure pour soutenir son recours. Elle en conclut que cet acte constitue un « manque de
diligence » qui « frise le dilatoire », confire le jugement attaqué et condamne l’appelant aux dépens. Voir
Recueil de jurisprudence nationale de l’OHADA, n° 02, décembre 2010, p. 260.
816
Cf. Marc Bessin, « La temporalité de la pratique judiciaire », Droit et Société, 1998.
817
Mireille Delmas Marty, Le flou du droit, Quadrige, PUF, édition 2004, p. 305.

153
parce que l’une des parties n’a pas intérêt à obtenir dans des délais raisonnables une décision
de justice, et l’exercice des voies de recours, appel, cassation, révision, peut être aussi, pour
les parties, l’occasion de retarder, des mois, souvent même des années, le prononcé d’une
solution définitive.

150. L’un des principaux défauts de la justice camerounaise est sa lenteur. Pour cette
raison, le juge ne peut être totalement exempté de sa participation à la crise du temps de la
justice, aux lenteurs judiciaires tant décriées. Cette idée repose sur le postulat qui fait du juge
omnipotent, le maître incontesté du temps du procès 818 . Le temps du procès est un bien
partagé entre les parties à l’action, un temps commun qui appartient à tous ses acteurs819, mais
le juge reste cependant en sa qualité d’arbitre, responsable et garant du calendrier du procès820
car de la loi il tire son pouvoir de délibérer, trancher ou décider. Le juge est en effet, au centre
du procès qu’il contrôle d’après les dispositions des Codes de procédures. Le juge peut agir
sur trois mouvements du procès que sont l’instruction, le délibéré et l’exécution de la décision
de justice. Car comme l’a rappelé à juste titre l’assemblée plénière en 1989 de la Cour de
cassation française, « si les parties ont la libre disposition de l’instance, l’office du juge est de
veiller au bon déroulement de celle-ci, dans un délai raisonnable ». Le déroulement de la
procédure, et par conséquent sa durée, dépend en grande partie des pouvoirs qui lui sont
conférés. Il peut en effet rythmer le procès en imposant des délais pour la production des
mémoires et des pièces, fixer la date de l’audience, condamner l’auteur de procédés dilatoires,
ordonner une mesure d’instruction ou d’expertise, limiter les prétentions des parties par la
suppression des nouvelles instances821. C’est donc dire que lorsque la loi donne au juge les
moyens d’accélérer le cours du procès il a le devoir de le faire822.
De nombreux moyens à la disposition du juge permettent de le contourner. Il en est
ainsi du gain de temps des décisions de cassation qui donne à la CCJA d’exercer son pouvoir
d’évocation pour les litiges dont elle est saisie. La haute juridiction fait du respect des délais
réglementaires et contrôle de leur application par les juridictions nationales et les parties à un
procès devant elle, un outil indispensable du droit à une décision de justice dans un délai
818
Alexandre Claudo, « La maitrise du temps en droit processuel », Op. Cit.
819
Il est avéré que le facteur temps intéresse à des degrés divers et souvent dans le cadre de stratégies opposées,
tous les acteurs du procès civil : juge, parties, avocats, avoués à la cour, greffe, mais aussi huissiers de justice
(pour les significations d’actes et l’exécution des décisions) et experts.
820
Alexandre Claudo, « La maitrise du temps en droit processuel », Op. Cit. p. 28.
821
Le législateur OHADA restreint les prétentions des parties au procès en supprimant, dans certains cas, la
possibilité d’ouverture de nouvelles instances. Il en est ainsi de la procédure immobilière, voir article 279 de
l’AUPSRVE, article 22 et 23 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du
passif.
822
M. Dworling-Carter, « Le justiciable face à l’institution judiciaire », Revue de Psychologie et science
administrative, 2002, pp. 70-92.

154
raisonnable823. Si la procédure est relativement simplifiée, le juge doté d’un certain nombre de
pouvoir, doit pouvoir intervenir dans le sens de rendre sa décision dans un délai raisonnable,
mais la justice demeure cependant lente. Le traitement des procédures prend plusieurs mois,
parfois des années, et les anomalies sont susceptibles d’intervenir à tout moment du process
notamment, au cours de l’instruction, du jugement et de l’exécution. Celui-ci est notamment
caractérisé par de longues mesures d’instruction, le renvoi systématique de l’audience et
parfois la demande – parfois dilatoire – de renvoi de l’affaire « source de désorganisation des
“rôles” et de retard dans la fixation des autres dossiers »824, le mauvais fonctionnement du
greffe au stade de la fixation de l’affaire à une audience de débats générateur des retards dans
la transformation des dossiers. Une autre source de lenteur peut être observée à la phase de
délibéré et de décision. Le temps du délibéré est parfois extensif et non mesuré. La décision
du juge intervient parfois bien longtemps après les débats. Le temps entre la saisine du juge et
le prononcé de la décision est de plus en plus discordant. Participe également à cette absence
de concordance juridique de temps et décadence de l’institution judiciaire, l’état du service
public de la justice caractérisée par sa pauvreté en ressources humaines. Le contrôle du juge
par son pouvoir d’injonction (de conclure, de communiquer des pièces...) devrait permettre
aux parties d’obtenir un jugement dans le délai raisonnable imposé par le droit.

151. Certaines de ces sources de lenteurs, peuvent être résolues en augmentant les budgets,
les moyens matériels et la compétence professionnelle des acteurs. La justice a besoin certes
d’un « temps suffisant », non d’un temps excessif, mais surtout, d’une juste cadence, d’un
temps équilibré, « un temps évolutif », un temps du litige qui s’adapte à la promptitude de la
réponse judiciaire et à la nature du procès825. En conclusion, « un temps utile »826. Le temps
judiciaire est devenu un droit subjectif du justiciable, une obligation pour le juge mais dont le
véritable débiteur est l’État dont la responsabilité devrait pouvoir être engagée lorsque le litige
n’a pas été tranché dans un délai raisonnable827. La mauvaise utilisation du temps judiciaire
entraine des arriérés judiciaires.

152. S’il est vrai que le temps judiciaire varie en fonction de nombreux paramètres,
notamment des acteurs et selon les affaires, l’éloignement géographique du justiciable
823
Voir à cet effet, CCJA, arrêts n° 005/2001 du 11 octobre 2001, RCCJA n° spécial 2003, p. 4 ; 017/2005 du
24 février 2005, RCCJA, n° 5 vol. 1, Jan.-Juin 2005, p. 11 et 003/2006 du 09 mars 2006, RCCJA n° 7, Janv.-Juin
2006, p. 54.
824
Jean-Claude Magendie, Célérité et qualité de la justice. La gestion du temps dans le procès, Op. Cit. p. 30.
825
Jean-Claude Magendie, Célérité et qualité de la justice. La gestion du temps dans le procès, préc. p. 15.
826
Ibid.
827
M.-A. Frison Roche, « Les droits fondamentaux des justiciables au regard du temps dans la procédure »,
Op. Cit, p. 13.

155
constitue tout comme le temps judiciaire un instrument de mesure de la qualité d’un système
judicaire. Le temps judiciaire n’est pas un temps illimité ; sa mauvaise utilisation entraine
inéluctablement des conséquences, que le Professeur F. Ost décrit comme un « dérèglement
juridique ». L’auteur écrit ainsi à propos de l’arriéré judiciaire : « accélération et retard se
rejoignent comme les deux faces d’un même phénomène qu’on peut nommer “dérèglement du
temps juridique »828. Arriéré judiciaire, dont les manifestations se traduisent par d’énormes
retards de juger, un stock important d’affaires en attente de jugement, la saturation des rôles.
Les litiges prennent beaucoup plus de temps, se prolongent pendant des années, surtout en
matière civile et commerciale et même pénale. Un important arriéré judiciaire s’est formé, en
dépit des mesures prises par les législateurs pour accélérer les procédures. Parallèlement, la
confiance des justiciables dans le système a été entamée. La célérité devrait par conséquent
être placée au service de l’efficacité, de l’effectivité et de la qualité de la justice. Elle doit être
une valeur communément partagée, qui profiterait à tous les justiciables. Pour y arriver, il est
nécessaire de faire de l’instance, de nouvelles charges qui pèsent sur les juges nationaux qui
doivent faire preuve d’une diligence certaine en utilisant tous les pouvoirs que leur confère le
dispositif législatif national et le droit uniforme pour accélérer le déroulement du procès, et
ce, quel que soit le type de procédure adopté - accusatoire ou inquisitorial - en contrôlant le
déroulement les mesures d'instruction (l’expertise est très souvent mise en cause, et le juge de
la mise en état se doit d’adresser des injonctions à l’expert, de sanctionner la carence des
parties), en évitant les renvois d'audience non justifiés, « en ne restant pas inactifs pendant de
longues périodes »829.

153. Les garanties procédurales débordent donc largement le cadre du droit processuel
entendu au sens strict du terme, pour permettre une bonne administration de la justice à
laquelle doit bénéficier ceux pour laquelle est faite. Cet intérêt pour une bonne justice est
édulcoré par un arriéré judiciaire sans cesse constant qui remet ainsi en cause la place de la
célérité dans une justice de qualité. Pour autant, la quête d’une meilleure administration de la
justice par le droit à un bon procès, ne devrait cependant pas être limitée à celui-ci, pour
trouver place dans l’ensemble des principes destinés à encadrer l’action des acteurs du procès.

828
F. Ost, « L’accélération du temps juridique », in L’Accélération du temps juridique, Op. Cit., p. 9.
829
Voir par exemple, pour une procédure en droit du travail qui s’est éternisée : CEDH, Seguin c/France, 16
avril 2000, Recueil Dalloz, 2002, sommaires, p. 2573, observations de N. Fricero ; CEDH, Brochu c/France, 12
juin 2001, Recueil Dalloz, 2002, sommaires, p. 689, observations de N. Fricero.

156
SECTION II. LES EXIGENCES ENCADRANT L’ACTION DES PARTIES ET DES
INTERVENANTS

154. S’interroger sur les exigences encadrant l’action des acteurs du procès, c’est aussi
poser la question : « Comment ces exigences soutiennent elles une bonne administration de la
justice ? ». On peut répondre qu’il existe aujourd’hui, entre ces exigences, un lien indéfectible
qui les unit. Ces exigences sont des « principes-cadre ». Le principe-cadre est une norme qui
contient en son sein une pluralité d’autres principes830. Le droit processuel est ainsi dominé
par des principes-cadre tels que : les droits de la défense dont la puissance (Paragraphe I) et
la compétence des juridictions (Paragraphe II). Le premier de ces « principes matriciels »
est une norme jurisprudentielle universellement partagée et appliquée par l’ensemble des
acteurs au procès dans tous les systèmes judiciaires. Pour autant, les difficultés relatives à son
appréhension demeurent 831 . Le second, est un signe distinctif pour une juridiction 832 . La
compétence permet de distinguer une juridiction d’une autre suivant la matière qu’elle
connait : on parle de compétence matérielle ou rationae materiae ou encore de compétence
d’attribution833. Les juridictions sont en effet en référence à la matière dénommées : civile,
commerciale, pénale, administrative, nationale, internationale et parfois même
communautaire ou supranationale. Un lien s’établit entre la compétence matérielle de la
juridiction et son appellation. Au delà de la substance qui les caractérise, ces principes
matriciels sont pour autant très proches.

Paragraphe I. La puissance du droit de défense


155. Le concept de droit de défense834 représente une valeur fondamentale dans tout Etat de
droit. Il est même considéré comme un droit naturel 835 , c’est-à-dire un droit inné et
inaliénable836 appartenant à la conscience collective avant même de relever du droit positif837.

830
E. Vergès, Les principes directeurs du procès judiciaire : Etude d’une catégorie juridique, Op. Cit., p. 111.
831
Les droits de la défense constituent une notion difficile à appréhender. Ils peuvent à la fois désigner un
contenant c'est-à-dire l’ensemble des droits et être utilisés en qualité d’hyperonyme, ou indiquer un contenu
spécifiquement un droit parmi l’ensemble. Ils dénomment à la fois la partie et le tout.
832
Maxence Perrin, Essai sur la compétence matérielle des juridictions pénales de jugement, Thèse, Droit, sous
la direction d’Annie Beziz-Ayache, Lyon : Université Jean Moulin (Lyon 3), 2013, p. 20.
833
G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Op. Cit., voir compétence d’attribution.
834
Si par nature les droits de la défense sont des moyens de défense, ils peuvent prendre également l’apparence
de prérogatives, d’actions concrètes menées par la défense, un « matelas de protection » pour l’individu menacé
en tant qu’il constitue au travers de la procédure, une méthode de réalisation du droit. C'est intentionnellement
que nous traitons non pas des droits de la défense, mais du droit de défense. Le singulier suggère mieux
l'existence du principe, tandis que le pluriel viserait plutôt ses applications.
835
René-Lucien Morel, Traité élémentaire de procédure civile, Op. Cit, n° 426.
836
G. Cornu, Vocabulaire juridique, Op. Cit. p. 673.
837
Giorgio Del Vecchio, La justice – la vérité. Essai de philosophie et morale, Paris, Éd. Dalloz, 1955, p. 129.

157
Considéré à l’origine sous le seul angle de l’inculpé 838 , la conception « des droits de la
défense » se limitait à la phase préparatoire du procès. Désormais élargi à l’ensemble du
procès, le concept de droit de défense est une notion de droit processuel qui recueille les
éléments communs à toutes les procédures, il est présent dans tous les contentieux. C’est cette
conclusion qui conduit le Professeur Frison-Roche839 à le définir au singulier ou au pluriel
comme « des droits que possède toute personne pour se protéger de la menace que constitue
pour elle un procès ». Il s’agit également « d’un ensemble de règle de procédure de fond et de
procédure destinées à protéger toute personne physique ou morale menacée de sanctions »840
dans lesquelles prennent place le droit de défense. Le trait caractéristique du droit de se
défendre réside dans la notion de protection de l’individu dans le sens du passif, défensif. Il
s’agit de se protéger contre une menace, un danger, celui né d’une arrestation, du procès, du
comportement de la partie adverse, du ministère public841. C’est dire que la puissance du droit
de défense est fondée à la fois dans la préservation de l’équilibre entre les parties (A) et sur le
contradictoire, élément essentiel d’une saine justice (B).

A. La préservation de l’équilibre entre les parties

156. La puissance du droit de la défense par la préservation, mieux la recherche de


l’équilibre entre les plaideurs est soutenue par de puissantes garanties qui peuvent être
catégorisées selon une classification traditionnelle. Il s’agit du droit à l’égalité des armes (1)
et du droit de se faire représenter (2).

1. Le droit à l’égalité des armes

157. Parce que le droit comme la littérature sont friands de métaphores, une avocate
canadienne va se poser la question de savoir, « le droit est-il une arme ?» 842 Le « bel
esprit »843 va déclarer à la suite de cette interrogation pour illustrer ce lien unissant métaphore

838
Pour Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, Op. Cit, il s’agit de « l’ensemble des prérogatives qui
garantissent à l’inculpé la possibilité d’assurer effectivement sa défense dans le procès pénal et dont la violation
constitue une cause de nullité de la procédure même si cette sanction n’est pas expressément attachée à la
violation d’une règle légale. Exemple : le droit à l’assistance d’un avocat, information de la procédure,
contradictoire des débats… ».
839
Rémy Cabrillac, Marie-Anne Frison-Roche, Thierry Revet, (dir.), Libertés et droits fondamentaux, Op.
Cit., pp. 469 et s.
840
Dominique Lefort, « Les droits de la défense », in La vie des affaires et la responsabilité pénale, Gaz. Pal.,
du 26 et 27 mars 1999, pp.29-32.
841
Stéphane Clément, Les droits de la défense dans le procès pénal : du principe du contradictoire à l’égalité
des armes, Thèse, Droit, Université de Nantes, 2007, p. 19.
842
L. Bich-Carrière, (2016), « Le droit est-il une arme? », McGill Law Journal / Revue de droit de McGill, 62
(2), 567-574. Disponible en pdf sur https://doi.org/10.7202/1040055ar.
843
Esprit plein d’imagination

158
et droit que, le « droit est une rapière844 parce qu’il permet de faire mouche de finesse, une
arme nucléaire, un lance-pierre, aussi, pensant à David et Goliath »845. Si un conseiller à la
Cour de cassation française846 semble regretter le caractère combatif de l’expression en ce
qu’elle traduit une certaine violence847, mais il ne s’agit là que d’un principe en tant qu’il est
une des pierres angulaires fondamentales du procès équitable848. S’il faille s’inscrire dans le
sillage du vocabulaire de la combativité ou de celle de l’image d’arme, nous dirions qu’il
s’agit d’un « canon » dans le sens de normatif, destiné à assurer au justiciable une bonne
justice ou encore une « lutte judiciaire » dans le sens de pouvoir disposer de la faculté de faire
valoir ses droits devant le juge dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation
désavantageuse par rapport à la partie adverse849. Le principe de l’égalité des armes constitue,
avec le droit fondamental au contradictoire, un des fondements majeurs du droit à un procès
équitable, et donc des principes directeurs issus des garanties fondamentales d’une bonne
justice. Le principe signifie et impose que les parties au procès disposent des mêmes droits.
Qu’il doit en être ainsi, spécialement pour les voies de recours. Il ne s’agit pas d’une égalité
arithmétique et ne réside pas en l’emploi par les adversaires d’armes identiques, mais
seulement d’une exigence constante dans l’enceinte judiciaire d’un juste équilibre entre ceux
qui ont pris l’initiative d’engager une action civile ou une procédure pénale et ceux qui ont à
assurer leur défense et d’une attention vigilante à ce que rien, dans le processus judiciaire ne
place injustement une partie dans une situation désavantageuse850. Aucune partie ne doit se
voir confier une position privilégiée même en présence d’un service public, du représentant de

844
Epée longue et fine, à garde filiforme ou hémisphérique, Le Littré, Dictionnaire de langue française, Op.
Cit.
845
L. Bich-Carrière, (2016), « Le droit est-il une arme? », Op. Cit.
846
J.-P. Dintilhac, « L’égalité des armes dans les enceintes judiciaires », in L’égalité, Rapport annuel 2003,
Paris, La documentation française, 2004, pp. 129-150. Disponible sur www.courdecassation.fr consulté le 29
janvier 2020.
847
L’origine du terme « égalité des armes » semble se situer dans les ordalies ou jugements de Dieu
moyenâgeux, le jugement découlant de la réussite des épreuves imposées, ou dans les duels, dont l’issue
tranchait le litige de manière définitive. Ces ordalies ou duels étaient minutieusement régis en ce qui concerne
les armes, l’armement, la protection et l’équipement afin d’assurer une parfaite égalité des chances entre les
adversaires. J. Sterling Silver, J., « Equality of Arms and the Adversarial Process : A New Constitutional
Right », Wisconsin Law Review, 1990, p. 44 ; J.-P. Didier, et F. Melin-Soucramanien, « Le principe de
l’égalité des armes », Revue de la recherche juridique, 1993, pp. 489 et s.
848
Voir G. Cohen-Jonathan, « L’égalité des armes selon la Cour européenne des droits de l’homme », Petites
affiches, 28 novembre 2002, n° 238, p. 21 ; J.-P. Didier, et F. Melin-Soucramanien, « Le principe de l’égalité
des armes », précité ; J.-P. Dintilhac, « L’égalité des armes dans les enceintes judiciaires », Op. Cit. ; M.
Masclet de Barbarin, « Du principe de l’égalité des armes à l’égalité des droits des parties en matière fiscale »,
Revue de la Recherche Juridique-Droit prospectif, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2005, pp. 1449-1461.
849
Sens et définition que donne la CEDH du principe de l’égalité des armes dans ses nombreuses décisions.
Voir par exemple CEDH Struppat c/ RFA, 16 juillet 1968, req. 2804/66 : Annuaire de la Convention, volume XI,
p. 400 ; J. et R. Kaufman c./ Belgique, 9 décembre 1986, DR 50.105.
850
J.-P. Dintilhac, « L’égalité des armes dans les enceintes judiciaires », Op. Cit. p. 150.

159
l’Etat comme le ministère public 851 . C’est donc non pas une stricte « égalité dans la
procédure »852 qui est recherchée, mais plutôt un équilibre entre les parties ou une « égalité
raisonnable » pour reprendre monsieur Serge Guinchard853. Si l’égalité est plus une recherche
d’équilibre d’armes, elle ne saurait par conséquent avoir un caractère absolu, elle est
relative854. La notion d’égalité des armes présente une « valeur ajoutée »855 par rapport au
principe du contradictoire. Elle implique en effet, une comparaison avec la situation de la
partie adverse. En d’autres termes, il ne s’agit pas de rechercher l’équivalence des arguments,
étant donné que ceux-ci ne sauraient toujours être favorables de la même manière à chacune
des parties, mais de rechercher l’occasion équivalente pour chacune de ces parties d’invoquer
ses propres arguments et de contester ceux de la partie adverse, sans que cela doive par
ailleurs impliquer que le temps de parole (par exemple) alloué à chaque partie soit le même. Il
suffit que chaque partie ait pu disposer du temps nécessaire pour développer ses propres
moyens et pour contester ceux des autres parties856. Le droit à l’égalité des armes au procès
s’oppose donc à un droit d'appel élargi du parquet général.

158. Le principe de l’égalité des armes est entendu de façon extrêmement large,
puisque la jurisprudence de la Cour européenne a étendu son champ d’application « à
toutes les phases de la procédure, et notamment à l’instruction »857. Le principe de l’égalité
des armes n’est pas ignoré du droit positif camerounais. Il convient donc à présent de
rechercher dans ce droit positif les moyens d’assurer au justiciable le respect du principe de
l’égalité des armes. Pour être plus concret, l’égalité raisonnable des armes entre les parties est
double. Elle concerne en premier les armes dites juridiques. L’accès au dossier est un droit
dont l’absence peut placer le justiciable dans une position de net désavantage. Le dossier858
sert inévitablement les intérêts de la défense, parce que « … la consultation d’un dossier est
indispensable à l’organisation d’une bonne défense : point de « préparation de la défense »

851
Ibid.
852
Voir X. Magnée, « La place du ministère public à l’audience pénale », J.T., 1998, pp.177-182.
853
Dalloz Action, n° 2166.
854
X. Magnée, « La place du ministère public à l’audience pénale ? », Op. Cit.
855
Sara Faga, L’égalité des armes dans la phase préliminaire du procès pénal au regard de la jurisprudence,
Mémoire Master, Université Catholique de Louvain, 2014-2015, p. 5.
856
J.-P. Didier, et F. Melin-Soucramanien, « Le principe de l’égalité des armes », Op. Cit.
857
Marie Masclet de Barbarin., « Du principe de l’égalité des armes à l’égalité des droits des parties en
matière fiscale », Op. Cit. ; Consultez utilement en ce sens F. Sudre, J.-P. Marguénaud, J.
Andriantsimbazovina, A. Gouttenoire, M. Levinet, Les grands arrêts de la Cour européenne de Droits de
l’Homme, Coll. Thémis, PUF 2003, p. 233.
858
Article 165 al. 2, 3 et 4.

160
efficace sans accès au dossier (ou à sa copie) »859. Certes consacré, le droit d’accéder au
dossier en matière pénale en droit camerounais avant la première comparution devant le juge
d’instruction pendant la phase préliminaire, reste une exception 860 . L’absence d’accès au
dossier placerait le suspect, le prévenu ou l’inculpé dans une situation de désavantage net pour
présenter ses arguments au juge. En d’autres termes, l’avocat ou le conseil devrait avoir accès
au dossier immédiatement, ce qui constitue naturellement un intérêt évident, dans la mesure
où le dossier revêt une certaine consistance. Le législateur semble atténuer ce fait par la
possibilité offerte aux parties de se faire délivrer à leur requête par tout procédé de
reproduction copie de tous les actes de procédure861. C’est dire qu’en droit processuel, et au
regard de toutes les parties y compris le ministère public partie principale au procès pénal,
l’égalité des armes inclue et s’étend à toute intervention susceptible d’exercer un ascendant
sur la décision du juge en faveur ou en défaveur de l’un des plaideurs862. C’est ainsi que
toutes pièces de procédure doivent respecter le principe du contradictoire et par conséquent
l’égalité des armes. Toute restriction à l’exercice effectif des droits peut être considérée
comme inégalitaire, spécialement face au droit à l’exercice des voies de recours 863 .
L’ensemble de la procédure doit revêtir un caractère équitable. Ce qui implique y compris en
matière d’administration de preuve, de comparution, de confrontation864, la possibilité de faire
entendre les témoins une certaine contradiction. Il en résulte la faculté pour une partie de
prendre connaissance des observations et pièces produites par la partie adverse et d’en
discuter. L’inculpé est notamment autorisé à poser directement aux témoins, aux autres
inculpés et à la partie civile toutes questions qu’il estime utiles. La partie civile a également le
droit de poser des questions aux témoins865. Le droit d’interroger ou de faire interroger les
témoins à charge a pour but essentiel une complète « égalité des armes » en la matière »866.
Toutes les parties y compris le Procureur de la république peuvent assister aux interrogatoires

859
Sara Faga, L’égalité des armes dans la phase préliminaire du procès pénal au regard de la jurisprudence,
Op. Cit., p. 24 ; C., Ribeyre, La communication du dossier pénal, Aix-en-Provence, Presses universitaires
d’Aix-Marseille, 2007, p. 129.
860
Aux termes des article 171 (1) du CPP relatifs aux droits de l’inculpé, « Si l’avocat de l’inculpé assiste à la
première comparution, le Juge d’Instruction n’est pas tenu de lui communiquer le dossier à l’avance » et article
172 al. 3, « Le dossier de procédure est tenu à la disposition de l’avocat au cabinet d’instruction, vingt-quatre
(24) heures avant chaque interrogatoire ou confrontation ».
861
Article 165 al. 5 et 6 du CPP.
862
J.-P. Dintilhac, « L’égalité des armes dans les enceintes judiciaires », Op. Cit, Spéc. p. 131.
863
Cass. Crim. 11 mars 2010, n° 10.80.953 : respect du contradictoire pour les pièces de procédure.
864
Voir article 171 du CPP.
865
Article 175 al. 1 du CPP ; voir aussi les articles 373 al. 1, 377, 330 du CPP.
866
Bertrand Favreau, « Les droits de la défense dans l’espace judiciaire européen », Conférence prononcée à
l’Université de CATANE, le 10 juin 2005, dans le cadre du colloque Action Jean Monnet « L’espace de liberté,
de sécurité et de justice à la recherche d’un équilibre entre priorité répressive et exigence de garantie ».

161
et confrontations867. Si une partie estime qu’un acte d’instruction, « fait grief à ses intérêts ou
à la bonne administration de la justice, elle adresse au Juge d’Instruction une requête tendant
à l’annulation dudit acte » 868 . L’égalité des armes irrigue ainsi l’ensemble de procédure
pénale applicable. Les articles 321 relatifs au transport des lieux, 330 sur la déposition des
témoins, l’article 382 sur l’égalité des armes au cours des débats, les articles 331, 332 relatifs
au régime de l’interrogatoire des témoins sont des exemples.
A l’accès au dossier, il faut ajouter le droit de participation et le droit d’appel. Le droit
de participation est accordé à toutes les parties au procès. Le ministère public assiste à la
plupart des actes d’instruction 869 . L’inculpé ou l’accusé assiste aux perquisitions, aux
confrontations870. Institué par la loi et mis à la disposition des plaideurs, le droit d’appel est un
instrument permettant aux parties de contester les actes du juge d’instruction. Le législateur a
prévu en la matière deux régimes distincts. Le premier est relatif aux actes qui ne peuvent être
contestés que par le procureur871. Le second concerne les actes contestables par toutes les
parties. Les articles 254 al. 3, 267 à 271 énoncent les domaines pour lesquels les parties
peuvent relever appel.
159. Le second point de la distinction concerne les armes non juridiques. Il faut aller au-
delà des armes juridiques pour considérer si dans un système juridique considéré, le
justiciable dispose des moyens adéquats pour faire usage des armes juridiques mis à
disposition par le droit applicable. Par moyens adéquats il faut entendre, des moyens
financiers872, du temps pour préparer sa défense. Toute personne mise en cause dans le cadre
d’un conflit, doit pouvoir disposer du temps optimal et des facilités nécessaires à la
préparation de sa défense. La préparation d’une défense nécessaire et utile suppose
inéluctablement, la prise de connaissance pointue du dossier, l’obtention des contre expertises
pertinentes déchiffrant les éléments techniques de la preuve à charge afin de contester
efficacement la preuve du ministère public. La faculté de prendre connaissance des
observations ou éléments de preuves produites par l’autre partie et d'y répondre en bénéficiant
du temps pour une défense bien préparée est une exigence du procès équitable. Le législateur
camerounais appréhende la question à l’article 300 du Code de procédure pénale en matière
de flagrant délit. Lorsque le prévenu comparait à la première audience des flagrants délits, il

867
Article 176 al. 1 du CPP.
868
Article 254 al. 1 a du CPP. Voir aussi l’article 276 du même code.
869
Article 176 du CPP.
870
Voir en ce sens, les articles 179, 92, 93 et 145 al. 4 du CPP.
871
Voir Article 252 al. 3 du CPP.
872
Sur les développements relatifs aux moyens financiers, à l’aide juridique, voir Infra, Seconde partie
consacrée au droit à la justice en tant que droit subjectif.

162
est informé par le Président qu’il a le droit de demander un délai de trois (3) jours pour
préparer sa défense873. La brièveté du délai accordé au prévenu dans le cas d’espèce, semble
être fondée par le caractère flagrant de l’infraction. Seulement, le législateur reste muet pour
ce qui est des infractions non flagrantes. Dans la pratique, le délai accordé par le juge à la
partie qui sollicite un temps en vue de préparer sa défense, réside dans le renvoi ferme de
l’audience qu’accorde le juge aux parties. La reconnaissance du droit de disposer du temps
nécessaire à la préparation de se défendre vise à permettre à un accusé de pouvoir prendre une
décision mûre et non précipitée en ce qui concerne les moyens et les stratégies de défense874.
En droit européen, les juges de la CEDH suivent scrupuleusement les conséquences tirées de
la jurisprudence Golder C. Royaume uni. L’effectivité du droit à un procès équitable suppose
dans ce droit européen, non pas le respect purement formel des règles de la procédure, mais
une traduction dans les faits du temps et des facilités nécessaires à la préparation de la défense
de la personne poursuivie875.

L’égalité des armes non juridiques intègre également le droit de comprendre la langue
utilisée tout au long du procès. La langue du procès est favorable à l’intelligibilité de
l’échange entre les acteurs du procès et à la garantie par les parties, de la défense de leurs
intérêts respectifs. Le recours à l’interprète consacré par l’article 354 alinéa 1876 et l’article
357877 du Code de procédure pénale confortent cette hypothèse. La participation personnelle
du plaideur au débat suppose que le barrage de la langue et du langage ne le prive pas de
comprendre les échanges au cours du procès. Pour mieux résoudre le litige, la même exigence
s’applique au juge878. Quoi qu’il en soit, la décision faisant recours à un interprète est laissée à
l’appréciation souveraine du juge. Eu égard à ce qui précède, l’égalité des armes partage cette
caractéristique essentielle d’équilibre des droits qui la rattache au procès équitable avec le
droit de se faire représenter.

873
Article 300 al. 1 du Code de procédure pénale.
874
Sadou Wane, « Le temps de la défense dans le procès pénal sénégalais à l’épreuve de l’équité processuelle »,
En ligne sur www.villagedelajustice.fr paru le 1er juillet 2020 consulté le 30 Novembre 2020 à 17h05.
875
J.-P. Dintilhac, « L’égalité des armes dans les enceintes judiciaires », En ligne sur www.villagedelajustice.fr
paru le 1er juillet 2020 consulté le 30 Novembre 2020 à 17h05.
876
« Si le prévenu ne s’exprime pas dans l’une des langues officielles comprises des membres de la juridiction
ou s’il est nécessaire de traduire un document versé aux débats, le Président désigne d’office un interprète âgé
de vingt et un (21) ans au moins et lui fait prêter le serment d’interpréter fidèlement les paroles des personnes
parlant des langues différentes ou de traduire fidèlement le document en cause ».
877
« Si le prévenu est sourd-muet et ne sait pas écrire, le Président désigne d’office en qualité d’interprète, la
personne qui peut converser avec lui ».
878
V. Carlyne W. Tchokotcheu, L’oralité dans le procès civil : Plaidoyer pour la reconsidération de l’oralité
à la lumière du procès équitable, Thèse, Op. Cit., p. 116.

163
2. Le droit de se faire représenter

160. En droit romain, les plaideurs ne pouvaient se faire représenter. Le principe était celui
de la comparution personnelle, qu’elle soit de gré ou de force. Ensuite, la complexité des
actions a fait naitre la possibilité pour les plaideurs de se faire assister, puis représenter par le
procurator. L’institution de la profession d’avocats et d’avoués dans l’ancien régime a suivi
sensiblement la même évolution. Les avocats étant chargés de l’assistance des parties,
c'est-à-dire de les conseiller et de plaider et les avoués de leur représentation c'est-à-dire
d’effectuer les actes de procédure et de conclure. Ce bref rappel du fil de l’histoire permet à la
fois d’illustrer avec simplicité le rôle de l’avocat, mais aussi les raisons qui on prévalu à
l’émergence et au développement de l’un des aspects du droit à se faire représenter dans le
procès : la représentation à l’instance ou représentation ad litem879. Ad litem veut littéralement
dire à l’instance. La représentation à l’instance peut donc être définie comme : « la
représentation d'une personne ayant la capacité ou le pouvoir d'ester en justice, mais qui,
dans le cadre de l'instance, choisit ou a l'obligation de se faire représenter dans
l'accomplissement des actes de la procédure »880. On peut donc dire que les interrogations sur
l’équilibre raisonnable des droits dans les enceintes judiciaires et la complexité du droit a
donné à la représentation juridique sa coloration actuelle. Equilibre qui ne peut être
significatif et réel sans représentation juridique. Si le droit au procès constitue une garantie
des droits substantiels protégés par le droit camerounais, la nécessité d’avoir accès à la
représentation juridique y trouve également être la garantie du droit à un bon procès. En
matière criminelle, ce droit est consacré par le Code de procédure pénale. Le prévenu qui
comparait peut se faire assister d’un conseil881. Le principe est celui de la liberté du choix
d’être assisté ou non dans la conduite de la défense. En matière civile et commerciale, le
principe est la liberté de défense. Les parties pourront, en effet, devant toutes les juridictions,
agir et se défendre elles-mêmes, verbalement ou par le ministère des avocats-défenseurs882.
Toutefois, la loi impose une obligation de représentation par avocat dans certaines
circonstances, notamment, devant la CCJA883 et la Cour suprême884. Les avocats disposent

879
Le second aspect du droit à se faire représenter concerne la représentation ad agendum ou à l’action. Dans le
cas d’espèce, le représentant agit au lieu et place du titulaire de l’action lorsque celui-ci, pour une raison
quelconque, n’est pas en mesure de l’exercer lui-même. Voir D. Cholet, « Représentation et assistance en
justice », Rép.pr.civ, 2012, spéc. n° 3.
880
G. Maugain, « Actes de procédure », Rép.pr.civ, 2014, spéc. n°36.
881
Article 352 du Code de procédure pénale.
882
Article 2 du Code de procédure civile et commerciale.
883
Article 23 du Règlement de procédure de la CCJA.
884
Lecture combinée des articles 49 et 50 de la loi n° 2006/16 du 27 Décembre 2006 fixant l'organisation et le
fonctionnement de la Cour suprême.

164
ainsi désormais au regard de ces dispositions, d’un monopôle devant les juridictions où la
représentation est obligatoire. A-t-on besoin en tout temps en matière judiciaire, d’être assisté
d’un avocat ? La réponse par la négative est certainement admise. Seulement, il existe en
matière contentieuse plusieurs circonstances où le besoin de conseils juridiques est non
comblé et où ce manque est susceptible de causer un préjudice évident à la partie non
représentée. La structure actuelle du droit qui va en se complexifiant (malgré les discours sur
la simplification du droit885) fait en sorte que l’accompagnement d’un professionnel aguerri
devient indispensable, pour faire valoir ses arguments juridiques dans les procédures
judiciaires complexes, et dont la meilleure connaissance du droit judiciaire permettrait
d’éviter systématiquement tous les pièges de la procédure. Parce qu’indiscutablement de tels
pièges existent886. Les affaires sont devenues complexes, tant en fait qu’en droit, rendant la
présence d’un avocat auprès du client à tous les stades de la procédure pour une protection
efficace des droits essentielle. Il ne saurait être contesté qu’aujourd’hui, l’avocat pour assurer
au mieux les intérêts de son client doive établir une véritable stratégie.
L’article 122 alinéa 3887 du Code de procédure pénale ouvre désormais la possibilité
pour le gardé à vue de rencontrer son avocat et de bénéficier de l’assistance d’un homme de
loi dès les premiers stades des interrogatoires de police888. La disposition met ainsi un terme
en droit camerounais avec l’avènement en 2005 d’un Code de procédure pénale unifiée, à la
conception de l’enquête de police qui exclut les droits de la défense sous le prétexte que la
procédure n’est qu’un domaine ancillaire du droit889. En d’autres termes, l’intervention de
l’avocat est dorénavant possible dès le début de la garde à vue et non pas seulement lors des
comparutions devant le juge. Partant, le droit à s’entretenir avec un avocat dès le début de la
garde à vue ne doit pas être purement et simplement remplacé par un droit à l’assistance de
l’avocat lors des interrogatoires. Le droit à un entretien avec un avocat constitue selon un
spécialiste du droit criminel camerounais890, l’une des plus importantes innovations résultant
de l’extension en amont des droits de la défense. La défense ne se conçoit plus avec cette

885
V. not. Frédérique Rueda, Jacqueline Pousson-Petit, Qu'en est-il de la simplification du droit ? New edition
[En ligne], Toulouse: Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2010 Disponible sur Internet :
http://books.openedition.org/putc/126.
886
V. Jacques Englebert, « Les pièges de la procédure civile », in Les pièges de la procédure, Jeune Barreau,
Bruxelles, 2005, pp. 7-68, spéc. p. 8.
887
« La personne gardée à vue peut, à tout moment, recevoir aux heures ouvrables la visite de son avocat
(…) ».
888
Jean-François Dreuille, « Droits de la défense au cours de la garde à vue : la réforme des juges et le projet
de loi », in Revue de l’institut Rhône-Alpin de sciences criminelles, L’Harmattan 2011, Les lumières du droit
pénal, p. 209-230.
889
Spener Yawaga, La police judiciaire au Cameroun, PUA, 2009, p. 156 et s.
890
Ibid. ; Voir aussi Spener Yawaga, « La garde à vue », in Les nouvelles tendances de la procédure pénale
camerounaise, Tome I, PUA, 2007.

165
mutation, sans la présence d’un conseil. Sollicitée par le Barreau, ce dernier obtint finalement
l’insertion dans le Code de procédure pénale, des dispositions admettant la visite d’un avocat
dès la garde à vue891. Plus qu’un droit à s’entretenir avec un avocat, c’est la consécration d’un
« droit à communiquer du gardé à vue », car l’entretien visé ne se limite pas seulement à
l’avocat, pour s’étendre à un membre de la famille ou tout autre personne que celui-ci aura
choisi 892 . Il ne serait pas exagéré d’arguer que les droits de la défense, lors de la phase
d’enquête, arrivent à maturité893. L’avocat peut enfin exercer son métier au cours de cette
mesure privative de liberté, au bénéfice de la personne gardée à vue. Le principe semble gravé
dans le marbre à l’issue d’une réforme attendue. La garde à vue, mesure exceptionnelle très
fréquente dans les activités de la police judiciaire semble aujourd’hui conforme aux
engagements internationaux que le Cameroun inscrit dans le préambule de sa constitution. En
tant que partie intégrante au droit de défense, la Cour de Strasbourg voit dans le droit à être
représenté à l’instance, une exigence de l’équité de la procédure qui requiert que l’accusé «
puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. A cet égard
la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à
l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle
des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit
librement exercer »894. Le législateur camerounais a conduit « une véritable révolution en ce
domaine, en consacrant ce qui, sous le régime du Code d’instruction criminelle n’était pas
admis même devant la juridiction de jugement où les parties ne pouvaient pas poser
directement de question à leurs adversaires, coinculpé et témoins »895. En inscrivant le droit
de la représentation du prévenu et l’égalité des armes dans le droit interne, le législateur
semble ainsi bien prendre en compte les exigences de la dense jurisprudence de la Cour de
Strasbourg consacrée à l’article 6 § 1 relative au droit à un procès équitable. Œuvre
juridictionnelle qui tend à équilibrer deux intérêts opposés : d'une part, l'intérêt du prévenu à
comparaître à l'audience en vue d'une administration équitable et complète de la preuve et
l’intérêt d’une défense adéquate en matière pénale, et d'autre part, en matière civile et
commerciale, les intérêts antagonistes des plaideurs, et par conséquent, le souci d’une bonne
administration de la justice par le droit de défense. Le juge suprême camerounais s’est inscrit

891
Ibid.
892
Article 122 al. 3 précité du Code de procédure pénale.
893
Jean-François Dreuille, « Droits de la défense au cours de la garde à vue : la réforme des juges et le projet
de loi », Op. Cit.
894
CEDH, 13 oct. 2009, Dayanan c/ Turquie, n° 7377/03, § 32.
895
Spener Yawaga, L’information judiciaire dans le Code camerounais de procédure pénale, PUA, Coll.
Vadémécum, 2007, p. 54.

166
dans la même logique lorsqu’il sanctionne les violations subies par le droit inné et inaliénable
au droit de défense 896 . Il serait vain de nier les rééquilibrages qui ont été opéré avec
l’avènement d’un Code de procédure pénale unifiée. Seulement, cet embelli législatif n’a pas
apporté grand changement dans la pratique. Les avocats, acteurs coutumiers du prétoire,
fustigent sans cesse le non respect de ces dispositions par les juges et certains membres du
ministère public. L’évolution positive de la législation contraste cependant, avec la fragilité
du droit de défense en dépit des réformes.

161. Ainsi, malgré la puissance des droits de la défense, symbolisée ici par l’équilibre
recherchée entre les parties, le lien entre le droit fondamental au contradictoire et l’égalité des
armes est si étroit qu’ils sont souvent pris pour synonymes897. L’égalité des armes se présente
donc comme une exigence de qualité des autres droits de la défense, et notamment du
contradictoire.

B. Le droit fondamental au contradictoire, élément essentiel d’une saine justice

162. Principe d’éthique et d’équité898, le contradictoire à l’origine rattaché au droit civil,


constitue aujourd’hui en droit processuel, le cœur du principe de droit de la défense. Du latin
contradictio dérivé du verbe contradicere qui veut dire contredire, dire le contraire, contester
ou s’opposer, le sens commun du terme contradiction est très proche de son sens juridique. Le
principe « exige qu’une personne mise en cause dans une procédure judiciaire soit en mesure
de faire valoir les arguments en sa faveur, se protégeant ainsi contre la perspective d’une
décision judiciaire défavorable »899. De l’adage « audiatur et altera pars » ou de la maxime «
audi alteram partem » que l’on peut traduire par : Entends l’autre partie, le principe de la
contradiction est centré autour des acteurs, c’est un mode d’organisation du procès. C’est la
traduction de la garantie du droit à être informé en temps utile (1). Il s’impose certes aux
parties, mais il exige du juge une certaine attitude (2).

1. Le droit à être informé en temps utile

163. En droit judiciaire, la contradiction suppose une égale information des parties sur
l’existence et l’état d’avancement de la procédure. Nul ne peut être jugé s’il n’a été entendu

896
Arrêt n° 56/CC du 03 avril 1980 ; Arrêt n° 67/CC du 05 mars 1981 ; Arrêt n° 16/CC du 09 décembre 1993 ;
Arrêt, n° 21/CC du 17 février 1994, Répertoire chronologique de la jurisprudence de la Cour Suprême du
Cameroun, droit civil et commercial, deuxième partie, 1980-2000, pp. 410 et suiv.
897
L. Cadiet et al., Théorie générale du procès, n° 173, p. 634.
898
S. Amrani Meki, « La fondamentalisation du droit du procès », RDA, Op. Cit, p. 78.
899
M.-A. Frison Roche, « Contradiction », in Dictionnaire de la justice, Op. Cit., p. 236.

167
ou appelé. Cette disposition appartenant aux principes directeurs du procès peut être
considérée comme le fondement du droit à l’information des parties dans sa dimension
contradictoire en droit processuel français 900 mais qui trouve à s’appliquer en droit
camerounais. L’existence d’un droit à l’information dans le procès ne fait pas de doute. Il
apparaît directement ou en filigrane dans de nombreux textes. La lecture des dispositions des
codes camerounais de procédures met en scène le droit permanent à l’information des parties.
Le droit d’être informé c’est le droit de porter une information à autrui, un élément à la
connaissance d’autrui. Les différents dispositifs d’assignation, de notifications, significations
et de citations le consacrent901. Il en résulte la nécessité pour la partie qui prend l’initiative du
procès d’utiliser l’une des formes de la demande en justice prescrites par les codes de
procédures. Les modalités prévues pour chacune d’entre elles garantissent l’information
nécessaire au débat contradictoire. En procédure civile, tous les modes d’introduction
d’instance comprennent des informations de nature à remplir ce devoir d’informer. Il s’agit de
la juridiction devant laquelle l’affaire est portée, le lieu, la date, et l’heure de l’audience, les
éléments de désignation du défendeur, l’huissier instrumentaire902. Le principe du dispositif
qui fait du procès civil la chose des parties fait peser en l’occurrence sur chacune d’elles, la
charge impérieuse de l’information à l’égard de l’autre, un devoir de communication des
pièces et conclusions.
En procédure pénale, les mandats de justice903 et les différents acteurs du procès pénal
constituent en droit camerounais, les véhicules de ce droit à être informé. Les parties ne
jouissent pas que du droit à être informées, mais surtout du droit à être informées en temps
utile. Aussi le procureur de la république jouit-il d’un droit à l’information sur l’état
d’avancement de l’instruction qu’il exerce à travers la possibilité de se faire communiquer le
dossier d’instruction à charge pour ce magistrat de le restituer au juge d’instruction assorti de
son réquisitoire supplétif 904 . Le réquisitoire introductif d’instance, acte de saisine du juge
d’instruction par le procureur de la république, vaut information du juge d’instruction. Ce
dernier est tenu de notifier au ministère public tous les actes de procédure notamment, des
ordonnances dont il peut faire appel905. Le droit à l’information des autres parties est soit

900
Voir Cécile Chainais, Frédérique Ferrand, Serge Guinchard, Procédure civile Droit interne et européen du
procès civil, Op. Cit., p. 557 et s.
901
Cf. Articles 39 et suivants du Code de procédure pénale ; articles 6 et suivants du Code de procédure civile et
commerciale.
902
Article 6 du Code de procédure civile et commerciale.
903
Articles 11 et suivants du CPP.
904
Article 145 al. 2 du CPP.
905
Article 256 al. 1er du CPP.

168
directe, soit indirecte 906 . Elle est directe à travers l’inculpation qui permet à la personne
poursuivie de prendre connaissance des charges retenues contre elle907. L’information se fait
régulièrement à travers l’avocat de la personne mise en cause. Le juge d’instruction est tenu,
c’est une obligation légale, d’informer l’avocat du mis en cause avant tout interrogatoire ou
comparution 908 . Ce droit à l’information s’exécute tout au long du procès. On retrouve
d’évidence ce souci sur le terrain du prononcé du jugement. Les juges énoncent
systématiquement après avoir rendu la décision de justice, le délai dévolu aux parties pour
interjeter appel. Le renvoi est obligatoire lorsque le prévenu est absent et s’il ne ressort pas du
dossier qu’il a été régulièrement cité909. Ce qui fait du juge, l’un des débiteurs de l’effectivité
du droit à être informé en droit camerounais. L’obligation d’informer qui s’impose à toutes les
parties, qu’elles agissent ou qu’elles se défendent, concerne l’instance dans son ensemble. Il
en découle à la charge de ces dernières, une obligation d’information particulièrement
impérative sous-jacente au principe de la contradiction dont elle assure l’effectivité910.

164. L’information est délivrée par des exploits d’huissier de justice911. Ce qui constitue un
gage de sécurité de la délivrance de l’information contenue dans l’acte. Faisant ainsi de
l’information judiciaire, un élément intrinsèque du droit de la défense. Le principe du
contradictoire, principe de droit naturel 912 , ne peux exister sans information 913 . En cela,
l’information elle-même, savoir ce qui est reproché ou demandé, est l’expression d’un droit de
la défense. Le principe de l’administration et la discussion de la preuve produite se veut aussi
être un moyen efficace d’information. L’information pouvant être considérée comme une
condition de l’effectivité des droits de la défense914. Viole par conséquent au regard de tout ce
qui précède le droit de défense, la décision de condamnation qui modifie la date des faits de la
prévention sans que le prévenu ait été averti de la modification alors que cette date constituait
un élément de la défense du prévenu, qui invoquait la prescription de l'action publique915. Le
juge de cassation français décide en effet que le respect du droit de défense et, plus

906
Spener Yawaga, L’information judiciaire dans le Code camerounais de procédure pénale, Op. Cit., p. 52.
907
Article 167 et suivants du CPP.
908
Article 172 du CPP.
909
Article 340 al. 1 du Code pénal.
910
Cf. Cour de Cassation, Le droit de savoir, Rapport annuel 2010, Etude, La documentation française, Paris,
2011, p. 169 ; voir aussi C. Tirvaudey, « L’information des droits de la défense dans le procès civil », in
Dossier, Civil, L’information dans le cadre d’une procédure juridictionnelle, en ligne sur www.actu-juridique.fr
publié le 30 Avril 2019 consulté le 31 Janvier 2021.
911
Voir articles 6 et suivants du CPCC et les articles 4 et suivants du CPP.
912
Cass. 7 mai 1828, S. 1828. 1. 93 : « la défense étant un droit naturel, personne ne doit être condamné sans
avoir été interpellé et mis en demeure de se défendre ».
913
C. Tirvaudey, « L’information des droits de la défense dans le procès civil », Op. Cit.
914
Ibid.
915
Cass., 21 avril 1991, Bull. et Pas., 1991, I, n° 419.

169
spécialement, du droit à l’information relatif à des pièces nouvellement jointes au dossier, est
garanti par la notification à l'inculpé et à son conseil que le dossier est à leur disposition pour
consultation avant l'audience, sans que l'existence de pièces nouvelles doive être spécialement
mentionnée916. C’est dire que les parties au procès ont l’obligation de verser au débat, et à
tous les stades du procès, spontanément et en temps utile pour que le juge puisse rendre une
décision éclairée tous les éléments nécessaires à la solution du litige 917 . Le droit à
l’information, c’est le droit de savoir 918 . Le droit de savoir, de prendre connaissance des
prétentions et les arguments sur lesquels l’adversaire dans une procédure fonde son action. Il
correspond à ce que le Professeur Agathe Lepage919 appelle « la reconnaissance, par la loi ou
la jurisprudence, d’un intérêt légitime, un intérêt légitime à obtenir d’autrui une information
ou à prendre connaissance d’une information ». Le principe de la contradiction apparaissant
ici, comme l’élément central des droits de la défense. C’est le droit de savoir et de discuter
toute pièce présentée au juge. Pour illustrer cette réalité, l’Avant-projet camerounais du Code
de procédure civile unifiée traite essentiellement du principe du contradictoire dans la section
réservée aux droits de la défense 920 . L’exercice de ce droit de la défense suppose une
information entre les parties ainsi qu’entre le juge et elles. Information qui oblige le juge en
raison de sa qualité d’arbitre impartial d’observer la contradiction.

2. Le juge et le contradictoire

165. Le juge doit savoir pour agir. La philosophie fait une distinction entre « savoir pour
agir et savoir pour savoir ». Le savoir pour le savoir est le savoir théorique. Il trouve sa fin
en lui-même et « réside dans le sentiment qu’a le sujet de connaître son monde, de
comprendre ce qui est, de se comprendre et de se situer par rapport à ce qui est, sentiment
qui s’exprime par la joie de connaître »921. Le savoir pour agir à l’opposé, est le savoir qui
invite à l’action, en perméttant à la personne du juge de se faire une exacte représentation de
la réalité, lui permet d’agir de façon efficace, avisée, rationnelle922. C’est un savoir pratique
que celui auquel correspond le savoir en droit. Le juge doit savoir pour rendre une solution
éclairée au litige. La solution ne sera acceptée que s’il prend une juste distance d’avec les
informations fournies par les parties devant son office. Autrement dit, le juge lui-même doit

916
Cass., 13 juillet 1999, Bull. et Pas., 1999, I, n° 415.
917
Bruno Odent et Jean-Christophe Balat, « La communication dans le procès », in Communication et libertés,
Justice et cassation, Paris, Dalloz, 2006, pp. 91 et s.
918
Cour de Cassation, Le droit de savoir, Op. Cit. pp. 63 et suiv.
919
Agathe Lepage, « Avant propos », in Le droit de savoir, Op. Cit, pp. 65-92, spéc. p. 89.
920
Cf. Articles 3-6 de l’Avant-projet du CPC.
921
Cf. Jacques Schlanger, Une théorie du savoir, Vrin, 1978, p. 45.
922
Agathe Lepage, « Avant propos », Op. Cit.

170
observer le contradictoire et le faire respecter. L’obligation pour le juge d’observer le
contradictoire a été posé pour la première fois, lorsque le juge était tenu de soulever d’office
un moyen de droit 923 . Ce magistrat du siège, en plus d’être indépendant et impartial, a
l’obligation, d’avertir les parties des moyens qu’il soulève de sa propre initiative. Le juge
n’est rien moins en matière de contradiction comme l’écrit madame Cécile Chainais, « le
gardien de l’obligation d’information ou de communication »924 à laquelle il est tenu de se
soumettre. Obligation générale, le devoir du juge de soumettre ses initiatives à un débat
contradictoire des parties est valable pour toutes ses activités. Le principe a produit une règle
jurisprudentielle selon laquelle, le juge qui fonde sa décision sur ses connaissances
personnelles ou encore sur des éléments de fait ou des renseignements recueillis en dehors de
l'instruction et des débats que les parties n'ont pu contredire, viole le droit de défense925. Le
droit de défense est ainsi systématiquement associé à toute contestation qui porte sur un droit
ou sur un intérêt. En cela, il est inhérent à tout acte juridictionnel, dont il est le corollaire
nécessaire, son respect constitue la garantie d'une bonne justice. Viole le droit de défense, le
juge qui fonde sa décision sur un moyen qui n'a pas été invoqué par les parties ou sur un
moyen invoqué d'office, sans donner à celles-ci la possibilité de se défendre à cet égard926.

166. Un constat mérite alors d’être soulevé, si le principe général du droit de défense
impose dans sa mise œuvre un grand nombre d'obligations procédurales, il requiert aussi un
minimum de diligence de la part du justiciable lui-même. Certes le respect de la contradiction
doit être considéré comme un impératif qui ne se conçoit pas sans son exercice de manière
optimale, toutefois, sa concrétisation suppose, comme il en va de tout principe, sa mise en
balance avec d'autres impératifs concomitants, notamment celui d'une bonne administration de
la Justice, rendue dans un délai raisonnable, et celui de la manifestation de la vérité dans le
cadre d'un droit au juge. Tout est donc question d'équilibre, non seulement entre les parties
qui s'opposent, mais aussi entre le droit des parties et les nécessités de la Justice. Le droit de
défense est le principal droit en matière processuelle accordé aux parties. Il est lui-même
composé de règles techniques : l’obligation de donner connaissance de l’introduction de
l’instance, de permettre la comparution des parties, l’obligation d’instaurer une discussion. Le

923
CE, 12 octobre 1979.
924
Cécile Chainais, Frédérique Ferrand, Serge Guinchard, Procédure civile Droit interne et européen du
procès civil, Op. Cit., p. 573.
925
Cass., 14 février 2001, Bull. et Pas., 2001, I, n° 92; 25 septembre 2002. Voir aussi Jean du jardin, « Le droit
de défense dans la jurisprudence de la Cour de cassation (1990-2003) », discours prononcé par Monsieur Jean
du Jardin, Procureur général près la Cour de cassation, à l’audience solennelle de rentrée, le 1er septembre 2003.
926
Jean du Jardin, « Le droit de défense dans la jurisprudence de la Cour de cassation (1990-2003) », Op.
Cit. ; Y. Strickler, « L’office du juge et les principes », Formation Ecole nationale de la magistrature, 2012.

171
principe représente de ce point de vue un conglomérat de principes réunis au sein d’une
notion susceptible d’évoluer en permanence desquels il tire sa puissance. Autant d’exigences,
de garanties procédurales qui semblent promouvoir l’émergence en droit camerounais, d’une
administration de la justice de qualité. Autant de principes qui sont, en fait, liés aux valeurs de
la justice, celle des procédures, que celle de la compétence des juridictions.

Paragraphe II. La compétence des juridictions


167. « Les choses dont tous les Juges peuvent connaître en général, sont, ou de Juridiction
contentieuse, ou de Juridiction volontaire. […] Les Juges extraordinaires ne connaissent que
des choses, dont la connaissance leur a été attribuée en vertu des règlements qui fixent leur
compétence »927. Par ces propos, monsieur Daniel Jousse identifiait déjà en son temps, le sens
du terme compétence tel qu’il est défini de nos jours. Il s’agit de l’« habileté reconnue dans
certaines matières et qui donne un droit de décider »928. Se voir attribuer une compétence
consiste à disposer d’une prérogative et tous Juges ont instruction des causes pendantes en
leur Siège. Si l’on souhaite que le juge joue pleinement son rôle, il est nécessaire que les
règles qui régissent ses compétences l’aident à remplir au mieux sa mission. Dire le droit,
trancher les litiges est l’objet de la fonction juridictionnelle. Celle-ci est loin d’être une affaire
simple pour ceux qui en sont chargés. Le respect des règles attributives de compétence rend
plus facile cette tâche, à condition que les règles soient conformes au rôle qui est attribué à
l’institution judiciaire. La recherche d’une meilleure attribution et articulation des règles de
compétence des juridictions constitue en quelque sorte, les prémices d’une justice de qualité.
Celles-ci en matière des juridictions de cassation se veulent être exclusives (A). Encore
faudrait-t-il que le fonctionnement global des juridictions, en l’occurrence les rapports entre
les juridictions de cassation ne présentent pas d’ambigüités (B) qui puissent entacher leur rôle.
Les compétences juridictionnelles étant alors utilisées pour garantir une bonne distribution de
la justice.

A. La compétence exclusive des juridictions de cassation

168. Juger et trancher un litige en droit est de la responsabilité des juridictions de jugement.
La justice étant un régulateur social, il faut l’empêcher de s’éparpiller sinon d’une part, elle
perdrait de sa consistance et de son bien-fondé. D’autre part, « elle s’éloignerait du rôle qui
lui incombe non seulement dans la sphère judiciaire, mais plus largement dans le domaine de

927
D. Jousse, Traité de l’administration de la justice, t. 1, Op. Cit, p. 170 et 173.
928
Le nouveau Littré, Paris, Garnier, 2012, 2 vol., V° Compétence.

172
la société civile ou politique »929. La compétence des juridictions de jugement, qu’elles soient
des juridictions de fond ou de droit, devrait par conséquent être limitée car, considérée comme
une entité autonome, elle ne doit pas se disperser. Il est impérieux, essentiel de la réguler, la
façonner et la garnir de bornes indispensables à sa légitimité. Il reste qu’en matière
d’organisation de la justice au Cameroun, l’analyse des règles juridiques applicables destinées
à assurer la promotion de l’efficience de la distribution de la justice par le règlement du
conflit dépend de deux juridictions de cassation : la compétence de la Cour suprême (1), et
celle de la Cour commune de justice et d’arbitrage, CCJA (2).

1. La compétence de la Cour suprême

169. Les juridictions, « organes ayant l’aptitude à rendre des décisions de justice :
tribunal, cour, conseil »930, rendent la justice. Elles le font en application du droit, en fonction
des compétences de ce même droit et par le truchement que la loi leur accorde. Pour donc
faire application du droit en quelque matière que ce soit, la juridiction doit avoir été reconnue
habile en cette matière. C’est une compétence matérielle que détient une juridiction pour
connaître d’un litige. La notion de compétence matérielle se définit d’abord au profit d’une
juridiction. Il s’agit de « la juridiction compétente pour connaître d’une affaire […]
déterminée en fonction de la nature de l’infraction réalisée par le délinquant »931, définie en
fonction de la matière du litige : civile, commerciale ou sociale ; de la qualité des parties :
commerçante, civile ou militaire ; de la nature ordinaire ou extraordinaire des voies de
recours, du degré de juridiction. Si l’on adjoint à la notion de « compétence », celle de
« matérielle » 932 , on obtient une définition plus large. En ce sens, nous dirons que la
compétence matérielle d’une juridiction signifie et correspond à « la jurisdictio, l’action de
dire le droit, (qui) se distingue de l’imperium, le pouvoir de commandement appartenant au
juge »933. C’est la faculté, la capacité et finalement, le pouvoir qu’une juridiction détient pour
trancher un litige934. Ainsi définit, le pouvoir de la Cour suprême réside dans sa faculté de

929
Maxence Perrin, Essai sur la compétence matérielle des juridictions pénales de jugement, Thèse, Op. Cit., p.
62.
930
M.-C. Rivier, « Juridiction », in : L. Cadiet, (dir.), Dictionnaire de la justice, Op. Cit., p. 702.
931
A. Beziz-Ayache, Dictionnaire de droit pénal général et procédure pénale, 5ème éd. Paris, Ellipses, 2011,
Compétence matérielle.
932
V° Matériel. C'est-à-dire relatif à la matière.
933
M.-C. Rivier, « Juridiction », Op. Cit.
934
Maxence Perrin, Essai sur la compétence matérielle des juridictions pénales de jugement, Thèse, Op. Cit, p.
21. « On la repère sur une sorte de tableau à double entrée : « horizontalement », on recherche la nature de la
juridiction parmi l’ensemble des juridictions de droit commun ou d’exception, compte tenu de la nature et de
l’importance du litige ; « verticalement », on détermine le degré de juridiction compétent (…) ». Pour René
Garraud, « la compétence matérielle est la mesure du pouvoir, c’est-à-dire l’aptitude d’exercer tel pouvoir en un
cas donné », Traité de l’instruction criminelle, t. II, Paris, Librairie du Recueil Sirey, 1909. Cette appréhension

173
rendre justice. Le pouvoir juridictionnel en matière de cassation lui est attribué935. Elle statue
sur les pourvois en cassation formés contre les jugements en dernier ressort rendus par les
juridictions inférieures statuant matière civile, commerciale résultant de l’application
exclusive du droit national à l’exclusion du droit OHADA, pénale, sociale et de droit
traditionnel ; du droit administratif et des comptes936. L’ordre judiciaire, administratif et des
comptes présentent la particularité en droit camerounais, d’être placé sous l’égide de la Cour
suprême. Cette dernière exerce un rôle fédérateur aussi bien en matière de jurisprudence que
s’agissant de l’identité de l’ordre judiciaire. Dans un sens commun général, la juridiction
suprême a pour fonction, à travers ou par la jurisprudence : d’appliquer les règles de droit, en
précisant éventuellement leur portée selon les cas, bref d’unifier le droit ; de remédier aux
lacunes ou obscurités que renferme inévitablement tous textes ; enfin, d’adapter le droit à
l’évolution de la société et des mœurs en entérinant ou en sanctionnant les pratiques
nouvelles937. Cela le distingue déjà des autres ordres de juridictions. Organe d’incarnation du
pouvoir judiciaire dans la conception Montesquieuse de la séparation des pouvoirs, la
compétence matérielle de la Cour suprême, est un attribut du pouvoir judiciaire. Le
législateur, dans la recherche d’une figure institutionnelle idoine, mieux, le souci d’adapter la
Cour au besoin de son usage, la mettre dans les conditions d’une meilleure justice va modifier
sa composition938. Il ira plus loin par la création au sein de la haute juridiction, d’une section
de common law. Sa compétence territoriale est nationale.

170. Une règle essentielle incarne ainsi la compétence des juridictions : c’est le principe de
légalité. Il établit une règle fondamentale en matière d’organisation judiciaire. Il est « garant
d’un ordre institutionnel libéral et démocratique » 939 , une « exigence étatique » 940 . La
compétence matérielle des juridictions de jugement est régie et réduite par le principe de

en termes de pouvoir de la compétence matérielle se retrouve également chez un autre auteur pour qui « la
compétence est la mesure du pouvoir. C’est la vocation que possède, d’après la loi, telle ou telle juridiction de
connaître telle ou telle affaire », Henri Donnedieu de Vabres, Traité de droit criminel et de législation pénale
comparée, 3ème éd. Complétée et mise à jour, Paris, Librairie du Recueil Sirey, 1947, p. 158.
935
Articles 36 et suivants de la loi n° 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême, article
38 al. 1 de la Constitution du 18 janvier 1996.
936
Articles 37, 39, 39 de fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême.
937
Darly-Aymar Djofang, « Le nouveau visage de la cour suprême du Cameroun : vers une plus grande
efficacité ? (A propos de la loi n° 2006-016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de
la Cour suprême) », Op. Cit., p. 372.
938
Avec la loi 2006-016, la composition de la Cour suprême a été refondue. Conformément à l’article 4 la Cour
suprême actuelle est composée : « au siège : d’un Premier Président, Président de la Cour suprême ; de
Présidents de Chambre ; de Conseillers ; de Conseillers Maîtres ; de Conseillers référendaires ; du Greffier en
chef de la Cour suprême ; de Greffiers en chef de Chambre ; de Greffiers. Au Parquet général : d’un Procureur
général ; d’un Premier Avocat général ; d’avocats généraux ».
939
Maxence Perrin, Essai sur la compétence matérielle des juridictions pénales de jugement, Thèse, Op. Cit, p.
61.
940
Ibid., p. 62.

174
légalité. C’est un principe de discipline et de rigueur941. Technique d’organisation judiciaire,
sa mise en œuvre constitue surtout le canevas de la compétence matérielle des juridictions et
la limite de leurs compétences. Ce qui justifie, depuis l’avènement du droit OHADA et de sa
haute cour spécialisée, l’incompétence des juridictions suprêmes nationales et dans le cas
d’espèce de la Cour suprême du Cameroun à être compétente des pourvois intentés devant
elle lorsque ceux-ci portent sur des jugements et arrêts des juridictions inférieures portant sur
l’application du droit uniforme.

2. La compétence de la Cour commune de justice et d’arbitrage

171. En réalité, il serait plus juste de parler des compétences de la CCJA. La fonction
consultative de l’auguste juridiction ne sera ici qu’effleurée. La fonction juridictionnelle est
répartie en différentes matières s’apparentant de plus en plus à une spécialisation du
contentieux porté devant le juge. Précisément, la juridiction de cassation chargée de dire le
droit lorsque le juge de droit commun a statué est une juridiction spécialisée. Au sein de cette
organisation spécifique, le juge national a mission de mettre en œuvre le droit issu du droit
primaire et dérivé dans les litiges qui lui sont soumis. Il participe nécessairement à la finalité
d'intégration économique à laquelle ils tendent, modifiant ainsi la dimension institutionnelle
de son office942. Le juge de la CCJA quant à lui, assure la conformité de l’application et de
l’interprétation du droit dont il reste le garant. Les promoteurs de l’OHADA n’ont donc pas
choisi de lui soumettre l’intégralité des litiges nécessitant l’application du droit uniformisé. La
CCJA n’exerçant en la matière qu’une compétence d’attribution943 corollaire du principe de
subsidiarité juridictionnelle. Le souci de garantir une imbrication du droit uniforme dans
l’ordre juridique interne des Etats, a conduit les auteurs du Traité à une savante répartition des
compétences entre la juridiction supranationale et les juridictions nationales. C’est la
conclusion de la lecture combinée des articles 13, 14, 15 et du règlement de procédure de la
CCJA.

172. De cette même lecture combinée, la CCJA est considérée comme la clé de voute du
système de l’OHADA. L’unification juridictionnelle944 à laquelle est parvenue les rédacteurs
de l’OHADA a suscité l’appréciation du Professeur Gilles Istac qui en soulignait la pertinence

941
Ibid.
942
Guy Canivet, « Le droit communautaire et l'office du juge national », In: Droit et société, n°20-21, 1992.
Une science sociale pour la pratique juridique ? pp. 133-141.
943
Louis Sawadogo, « Le traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique », In: Annuaire
français de droit international, volume 40, 1994. pp. 823-847.
944
L’expression est empruntée à Gaston Kenfack Douajni, « L’état actuel de l’OHADA », Revue Camerounaise
de l’arbitrage, n° 22, Juillet-Août-Septembre 2003, p. 3. Ohadata D-08-51.

175
en affirmant que, « l’attractivité du système OHADA procède largement de la confiance en
une instance judiciaire supranationale, à l’abri de l’incompétence, de la corruption, des
pressions politiques et du trafic d’influence. Ainsi, la création d’une juridiction
945
supranationale contribue à promouvoir la sécurité judiciaire » . La compétence
juridictionnelle dévolue à la CCJA s’articule autour du dyptique fonctionnel, dont le principal
est consubstantiel à son statut juridictionnel et l’autre consultative.

173. Si « tout droit réclame un juge pour le servir » comme le soutiennent sans réserve
Gérard Cornu et Jean Foyer946, le juge reste le veilleur et la sentinelle de l’interprétation et de
l’application de corpus juridique. Dans sa fonction juridictionnelle, la CCJA bénéficie du
statut de haute juridiction de l’ensemble du dispositif judiciaire en matière de droit des
affaires. A cet effet, les Cours suprêmes des Etats parties ont été dépouillées au profit de la
CCJA de leurs compétences matérielles relatives aux litiges dans lesquels le droit uniforme
des affaires est en cause 947 . Le traité OHADA reconnait exclusivement à la CCJA la
compétence en matière de cassation soulevant des questions relatives à l’application du Traité,
des actes uniformes et des règlements y relatifs. « Le critérium de la compétence de la
CCJA »948 ne porte donc exclusivement que sur le droit uniforme de l’OHADA. La CCJA
saisie d’un recours en cassation, se prononce sur toutes les décisions rendues en appel et
insusceptibles d’appel pour l’ensemble des litiges de droit OHADA949. Les dispositions du
droit applicable 950 , posent le principe de la supranationalité de la CCJA, opérant ainsi un
transfert de compétence des juridictions nationales de cassation à la CCJA951. La rigueur du
principe réside encore plus dans le fait qu’il est reconnu à la haute juridiction le pouvoir de
statuer à nouveau sur le fond. Ce pouvoir d’évocation entraine de plein droit la substitution de
la Cour commune aux juridictions nationales de droit commun en cas de cassation. C’est en

945
Gilles Istac, « L’intégration dans tous ses Etats : SADC et OHADA », In : L’harmonisation du droit
commercial et avantages pour les investissements chinois en Afrique, Université de Macao, Faculté de droit, 27
Novembre 2007.
946
Gérard Cornu et Jean Foyer, Procédure civile, Coll. Thémis, Paris, 1996, p.2.
947
G. Kenfack Douajni, « L’état actuel de l’OHADA », Op. Cit. ; Emmanuel Kagisye, « Environnement
juridique des affaires en Afrique : système juridique et judiciaire de l’OHADA », 2017, téléchargeable sur
https://hal-auf.archives-ouvertes.fr ; Placide Moudoudou, « Réflexion sur les fonctions de la Cour commune de
justice et d’arbitrage de l’Ohada », Ohadata D-14-14.
948
Traoré Mandiou, « Les reformes du droit des affaires en Afrique, les imperfections du règlement des litiges
selon le traité de l’OHADA », Ohadata D-17-01.
949
Article 14 § 3.
950
Règlement de procédure tel modifié le 30 Janvier 2014 à Ouagadougou.
951
Joseph Sayegh, « La fonction juridictionnelle de la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’arbitrage »,
Ohadata D-02-16 ; Voir aussi Seydou Ba, « La Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) de l’OHADA »,
Journée d’étude sur l’Organisation de l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA). De sa création
à l’adhésion de la République démocratique du Congo, Université Catholique de Louvain – Belgique – et
INEADEC (Institut euro-africain de droit économique), Acte n°2 du 11 Mars 2010.

176
ce domaine particulier que se situe la spécificité de cette fonction juridictionnelle. En cas de
cassation, et à la différence des juridictions de cassation d’ordre interne peut ne pas renvoyer
l’affaire devant une autre juridiction ou la même juridiction autrement composée 952 . Les
stipulations du Traité l’obligent à statuer sur le fond en vertu de son pouvoir d’évocation. La
haute juridiction se mue en ce moment en troisième degré de juridiction953 et se transforme
par la même occasion en juge de fond 954 . Pouvoir d’évocation qui vient atténuer une
affirmation largement connue selon laquelle « l’institution de la cassation repose sur la
distinction fondamentale du fait et du droit en sorte que les fonctions du juge de cassation et
du juge de fait sont, par nature antinomiques »955. L’auteur rappelle le principe bien établi
qu’une juridiction de cassation ne peut statuer en fait mais en droit. Les raisons de son
institution ne manquent pas et oscillent entre l’idée d’accélérer la justice 956 , une volonté
d’allègement procédural pour éviter aux parties le renvoi à une autre juridiction957, un souci
de célérité, rendre la justice dans un délai raisonnable pour aligner le temps de la justice à
celui du marché. Il convient à notre avis, d’aller plus loin et constater la méfiance des
rédacteurs du Traité à l’égard du système de justice des Etats membres. Enfin, il faut rattacher
la fonction juridictionnelle issue de l’arbitrage opéré par la CCJA, aux stipulations de l’article
56 du Traité : « Tout différend qui pourrait surgir entre les Etats-Parties quant à
l’interprétation ou à l’application du présent Traité et qui ne serait pas résolu à l’amiable
peut être porté par un Etat Partie devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage » et sa
compétence pour tout litige pouvant opposer l’OHADA à l’un de ses fonctionnaires.

174. L’autorité acquise par l’arrêt rendu par la CCJA s’impose à l’ensemble des Etats
membres avec la possibilité d’une exécution forcée dans les mêmes conditions que les
décisions nationales958. Cependant l’écueil de l’exequatur est une sérieuse atteinte à un tel
effet. Au total, le juge commun de cassation exerce un impérium supranational, mais celui-ci
n’est que partiel, car subordonné à l’apposition de la formule exécutoire.

952
G. Kenfack Douajni, « L’état actuel de l’OHADA », Op. Cit.
953
Le degré de juridiction désigne toute phase au cours de laquelle le juge, dans la succession des étapes du
procès aussi bien en instance qu’en appel, est appelé à connaitre des éléments du litige en statuant en fait et ne
droit. Gérard Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Op. Cit.
954
Eugène Assepo Assi, « La Cour commune de justice et d’arbitrage : 3e degré de juridiction ? », RIDC, 4,
2005 ; E. N’Sie, « La Cour commune de justice et d’arbitrage », Rec. Penant, 1998, n°828, p. 308 et S ; Voir
aussi D. N’Doye, « La nouvelle cour de cassation de l’OHADA », Dakar, 1998, p.18, pp.102-103 ; Règlement de
procédure de la CCJA ; A. P. Santos et J. Y. Toe, OHADA, Droit commercial général, Bruxelles, Bruylant,
2002, n°78.
955
A. Perdriau, « Les chambres civiles de la cour de cassation jugent elles en fait ? », JCP, 1993, I, n°3683, p.
267.
956
E. N’Sie, « La Cour commune de justice et d’arbitrage », Op. Cit.
957
J. Lohoues-Oble, « L’apparition d’un droit international des affaires en Afrique », Op. Cit.
958
Article 20 du Traité.

177
175. Les promoteurs de l’OHADA ont fait de la CCJA une « curiosité juridique ». Deux
points permettent de le justifier. Le premier, la CCJA exerce une fonction consultative
obligatoire posée par l’article 6 du Traité. Le texte énonce que les actes uniformes sont
délibérés et adoptés par le conseil des ministres après avis de la Cour commune de justice et
d’arbitrage. Elle donne son avis dans le délai de 30 jours à compter de la demande de
consultation du Secrétariat compétent. On peut notamment lire en début de l’AU relatif à la
médiation « Vu l’avis de la Cour commune de justice et d’arbitrage » et facultative prévue par
le paragraphe 2 de l’article 14. Il peut être demandé à la cour de formuler un avis959 sur des
questions d’interprétation et d’application du droit OHADA émanant d’un Etat membre, du
conseil des ministres formés en termes précis960 ou de juridictions nationales. Le second point,
concerne la fonction administrative en matière arbitrale961 de la CCJA. La mission de la Cour
est non pas en ce domaine de mettre fin à un contentieux, elle agit plutôt comme un centre des
procédures arbitrales dont le role consiste à faciliter le déroulement de la procédure
arbitrale962.

176. Des nécessités purement pragmatiques produisent des conséquences juridiques


directes à l’égard de la compétence matérielle des juridictions de cassation. Il en est ainsi de
la bonne administration de la justice, et de nombreux autres principes qui en découle : équité,
proportionnalité de la justice. Elle va justifier que les législateurs puissent soustraire certaines
des compétences dévolues à des juridictions anciennes, pour les confier à des nouvelles.
C’est aussi une notion, « standard du droit »963 ; une notion qui va être prise en compte pour
l’aménagement des règles de compétence juridictionnelle. Entre le droit préexistant et le droit
futur, ou entre le droit rigide et le droit flexible, la bonne administration de la justice va
induire des évolutions du « service public de la justice » 964 . Il est même possible de la

959
Pour des exemples d’avis, CCJA, Avis, 4 juin 2003, Rec. 2003, p. 59 ; CCJA, Avis, 7 Juillet 1999, Avis sur
saisine du Sénégal, CCJA, Avis, 26 Avril 200.
960
Article 52 du Règlement de procédure.
961
Elle tire son fondement de l’article 21 du traité. « En application d’une clause compromissoire ou d’un
compromis d’arbitrage, toute partie à un contrat, soit que l’une des parties ait son domicile ou sa résidence
habituelle dans un des Etats-Parties, soit que le contrat soit exécuté ou à exécuter en tout ou partie sur le
territoire d’un ou plusieurs Etats-Parties, peut soumettre un différend d’ordre contractuel à la procédure
d’arbitrage prévue par le présent titre. La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ne tranche pas elle-même
les différends. Elle nomme ou confirme les arbitres, est informée du déroulement de l’instance, et examine les
projets de sentences, conformément à l’article 24 ci-après ».
962
Jacques M’bosso, « Organisation et fonctionnement de la cour commune de justice et d’arbitrage de
l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires », Revue de droit uniforme africain, n° 3,
p.12. Du même auteur, « Le role des juridictions nationales et le droit harmonisé », In Revue de droit des
affaires internationales, n° 2, 2000, p. 216 et s.
963
N. Laval, « La bonne administration de la justice », Op. Cit. p. 17.
964
Voir particulièrement, R. Perrot, « Le service public de la justice », in : Institutions judiciaires, 15ème éd.,
Montchrestien, 2012, n° 58 et s., p. 61 et s.

178
retrouver expressément dans chaque évolution relative aux lois de compétence965. La bonne
administration de la justice est une nécessité ; d’aucun dirait qu’elle constitue une des
premières qui viendrait à l’esprit d’un juriste aguerri.

177. Au-delà de la dimension objective, les principes, les règles et les compétences
s’apprécient mieux lorsqu’ils sont appliqués à des situations réelles. Sur cette question,
l’avènement de la CCJA qui a causé l’exclusion des cours suprêmes nationales, pourtant
précédemment compétentes en matière de droit des affaires a semble-t-il laissé un « gout
amer » qui pourrait être à l’origine des rapports qualifiés parfois d’ambigüe entre les
juridictions.

B. Les rapports entre Cour suprême et Cour commune de justice et d’arbitrage

178. La bonne administration de la justice, standard du droit nécessite qu’il existe entre
juridictions nationales et régionales une certaine cordialité, un dialogue constructif au service
du droit et de la justice. Seulement, les rapports entre Cours suprêmes nationales et Cour
commune de justice et d’arbitrage semblent plus être gouvernée par la « méfiance », mieux, se
présentent sous le signe de conflits (1). Toutefois, les caractères de ces rapports cachent mal
d’autres facteurs sous-jacents : un vraisemblable primat de la logique souverainiste (2).

1. Des rapports dominé par les conflits

179. L’aptitude d’une juridiction à être saisie directement d’un contentieux contient deux
perspectives : celle de la compétence générale ou internationale de l’ordre juridictionnel en
question et celle de la compétence spéciale d’un tribunal donné au sein d’un système de
justice ou de droit donné966. Les compétences de la Cour commune de justice et d’arbitrage et
des Cours suprêmes n’échappent pas à cette exigence. Les règles de compétence judiciaire, et
c’est une lapalissade en droit, détermine l’aptitude de tribunaux à connaitre d’un litige. Droit
uniforme « à effet communautaire », le droit OHADA est intercalé entre le droit régional et le
droit communautaire tel que évoqué par monsieur Kuassi Deckon967. Sa création a bouleversé
les données de l’ordonnancement juridique, provoqué des mutations dans les rapports entre
juridictions nationales de cassation des Etats membres et sa Cour commune, au regard de la
compétence en matière d’application du droit. Les conflits de compétence entre les
965
Voir notamment Le règlement de procédure de la CCJA tel que modifié en 2014 ; la loi de 2006 sur
l’organisation et le fonctionnement de la Cour suprême, le récent texte créant au sein de la Cour suprême une
section common law.
966
M.-Laure Niboyet, G. De Geouffre de La Pradelle, Droit international privé, 2e éd., LGDJ, 2009, p. 335.
967
F. Kuassi Deckon, « Les conflits de compétence », Revue de droit uniforme africain, n° 3, pp. 65 et suiv.
Ohadata D-11-69.

179
juridictions sont réels, le risque de division, évident. La possibilité de ces conflits semble
entretenue par la compétence dévolue à la CCJA de régler lorsqu’elle est saisie d’un pourvoi,
les contentieux internes relatifs au droit uniforme 968 . Pourtant les règles de compétences
judiciaires semblent suffisamment précises, mais il n’en demeure pas moins que l’analyse de
la jurisprudence des deux ordres de juridictions laisse entrevoir des conflits de compétence.
La résistance à l’attraction des pourvois par la CCJA, « Cour suprême commune » 969 de
l’OHADA est le dénominateur commun par lequel se manifeste le conflit. Elle est aussi bien
active que passive. Le caractère actif de la résistance est le fait des acteurs du procès : parties
et juge. Les parties au procès, implicitement ou explicitement peuvent se mettre d’accord pour
porter le recours en cassation devant la Cour suprême estimant la Cour suprême commune
éloignée et sa procédure lourde, ou encore, elles saisissent la Cour commune hors délai,
notamment celui des 2 mois prévue par l’article 18 du Traité970. La juridiction saisie va se
déclarer compétente du pourvoi et ne s’en dessaisira pas au profit de la CCJA, en violation
complète des dispositions de l’article 15 du Traité 971 . Certaines juridictions nationales de
cassation préfèrent tout simplement ignorer l’exigence conventionnelle de déclaration
d’incompétence pour connaitre proprio mutu de la Cassation. Le cas de l’arrêt de la Cour
suprême du Congo- Brazzaville, est le plus éloquent972. La CCJA ne disposant pas en l’état
actuel de son règlement de procédure, de la possibilité ni de s’autosaisir ni d’être saisie par la
Cour d’Appel de renvoi. Elle ne peut l’être que par l’une des parties au procès973 ou par une
juridiction nationale saisie d’un pourvoi dont elle s’estime incompétente. Les parties peuvent
également, et ce choix est de plus en plus l’option choisie par les parties qui souhaitent
intenter un pourvoi de la décision rendue en appel, décider, dans le but de contourner la
compétence de la Cour Commune de l’OHADA, saisir la Cour suprême nationale pour des
moyens en relation avec l’application du droit national. En effet, il n’est pas interdit aux

968
L’article 13 du Traité fait des juges nationaux des Etats, des juges de droit commun du droit OHADA.
969
L'expression est de P.-G. Pougoué, « OHADA, Instrument d'Intégration Juridique », RASJ, Vol.2, n° 2,
2001, p. 24.
970
Benjamin Kagina Senga, « De la competence exclusive de la CCJA a la lumière de l’article 32(2) de la loi
congolaise de 2013 relative aux juridictions de l’ordre judiciaire de 2013 », RDAA, Septembre 2018, p. 6 ; J-V.
Mahutodji Kodo, « Sur un conflit inédit de juridictions entre la Cour commune de justice et d’arbitrage de
l’OHADA et la Cour suprême du Congo », in Journal du Droit International, n° T. 144 Juillet-Août-Septembre
2017, p.6.
971
C’est l’occasion de souligner ici que la solution de dessaisissement correspond à l’état d’esprit du système de
résolution des conflits de compétence entre CCJA et cours nationales de cassation. L’une se dessaisissant au
profit de l’autre indiquant son incompétence toutes les fois lorsque le litige pour lequel l’une a été saisie ressort
de la compétence de l’autre.
972
Cour suprême du Congo, arrêt n°35/GCS-2016, du 30 novembre 2016.
973
Avis CCJA n° 1/2004/JN du 28 Novembre 2004, Recueil de jurisprudence de la CCJA, Janvier-Juin 2004, p.
15. ; J. Issa-Sayegh, « Conflits entre droit communautaire et droit régional dans l’espace OHADA », Ohadata
D-06-05, p. 6.

180
législateurs de l’ensemble des Etats de légiférer en matière de droit des affaires. La seule
contrainte étant d’éviter la contrariété entre les règles du droit uniforme et celles du droit
interne974. Les deux droits trouveront donc à s’appliquer. En droit congolais, les parties, selon
une observation faite par B. Kagina Senga, les parties ont régulièrement recours à la
procédure de prise à partie975 pour contourner la compétence de la Cour suprême commune.
Aux termes de l’article 61 de la loi congolaise relative à la procédure devant la Cour de
cassation, « si la prise à partie est déclarée fondée, la Cour annule les arrêts, jugements,
ordonnances, procès-verbaux ou tous les autres actes attaqués sans préjudice des dommages
et intérêts dus au requérant ». S’il est vrai que la prise à partie ne peut remplacer le recours en
cassation, elle peut néanmoins subtilement servir à le contourner. Déclarée fondée, elle au
aura pour effet l’annulation de la décision et à l’organisation d’un nouveau procès.

La résistance à la compétence de la Cour suprême commune est passive, lorsque le


litige porte à la fois sur des questions de droit uniforme et de droit interne. Dans ce cas,
lorsqu’il est possible de fractionner le procès, porter devant la CCJA la fraction du litige
relevant du droit uniforme et à la Cour suprême l’autre fraction976. La Cour suprême du Niger
a pris position par rapport à un tel contentieux dans un Arrêt du 16 Août 2001977. Elle a
d’abord considéré que l’article 18 978 du Traité signifie que la compétence de la Cour
commune n’est pas exclusive de celle des juridictions nationales. Elle ajoute que la CCJA
n’étant compétente que pour l’interprétation et l’application des Actes uniformes, la Cour

974
Article 10 du Traité ; D. Abarchi, article précité.
975
La prise à partie, est défini par le dictionnaire Cornu comme une voie de recours ouverte en vue de faire
condamner à des dommages et intérêts un magistrat qui s’est rendu coupable, dans l’instruction ou dans le
jugement d’un procès, d’une faute lourde professionnelle, d’un dol, d’une fraude, de concussion ou d’un déni de
justice. G., Cornu, « Prise à partie », Vocabulaire juridique, Op. Cit., p. 700.
976
La question du fractionnement du procès figure de ces litiges à propos desquels doctrine et jurisprudence
n’arrivent pas à s’entendre, s’ils doivent relever ou pas de la compétence de la Cour suprême commune. C’est la
question des pourvois hybrides ou complexes (pourvois soulevant des questions de droit OHADA et des
questions de droit national) et des litiges connexes. La question du débat se pose dans les termes suivants : quid
de la CCJA ou de la juridiction de cassation nationale est le tribunal compétent en cas de pourvoi hybride. Sur la
synthèse des débats sur la question voir utilement P. S. Owona Levoa, « La Cour commune de justice et
d'arbitrage », in P.-G. Pougoué, (dir.), Encyclopédie du droit OHADA, Op. Cit., p. 596 et suiv, n° 31 et suiv ; J.
Fometeu, « Le clair-obscur de la répartition des compétences entre la Cour commune de justice et d'arbitrage
de l'OHADA et les Juridictions nationales de cassation », in A. Akam Akam (dir.), Les mutations juridiques
dans le système OHADA, Op. Cit., pp. 37-98.
977
Cour suprême du Niger (chambre judiciaire), 16 août 2001, n° 01-158/C, Ohadata-j-02- 28, obs. D. Abarchi
; sur cette affaire, V. A. Kanté, « La détermination de la juridiction compétente pour statuer sur un pourvoi
formé contre une décision rendue en dernier ressort en cas d'application des Actes Uniformes (observations sur
l'arrêt de la Cour Suprême du Niger du 16 août 2001) », Ohadata, D-02-29 ; P. Meyer, « La sécurité juridique et
judiciaire dans l'espace OHADA », Penant, n° 855, Ohadata D-06-50.
978
« Toute partie qui, après avoir soulevé l’incompétence d’une juridiction nationale statuant en cassation
estime que cette juridiction a, dans un litige la concernant, méconnu la compétence de la Cour Commune de
Justice et d’Arbitrage peut saisir cette dernière dans un délai de deux mois à compter de la notification de la
décision contestée ».

181
suprême n’a pas à renvoyer le pourvoi devant la Cour suprême commune aux motifs que,
dans ce cas, le renvoi de l'affaire à la CCJA, ne peut se justifier que « si
l'application des Actes uniformes a été prépondérante pour la prise de la décision attaquée, et
que le pourvoi est surtout basé sur ces Actes". Et, "qu'en l'espèce, le moyen mis en exergue est
la violation de la procédure de référé, que la CCJA n'est exclusivement pas compétente que
lorsque le pourvoi est basé uniquement sur l'application des Actes uniformes »979 mais, sur les
règles du Code civil et du Code CIMA. Le juge nigérien fonde sa démonstration sur un
argument curieux, celui de la prépondérance des Actes uniformes980. Le problème du facteur
de prépondérance sur lequel l’auguste juridiction nigérienne fonde son analyse réside dans
son incertitude 981 , sa dangerosité 982 . C’est dans la même querelle relative au conflit de
compétence entre la CCJA et la Cour suprême du Congo, qu’il faut ranger cette autre
espèce983. Dans un va et vient qui ressemble à un jeu de ping-pong entre la Cour suprême du
Congo, CCJA, Cour suprême du Congo, le juge de la haute juridiction congolaise sur les
questions de procédure fera primer la juridiction suprême nationale sur la CCJA, compétente
pour connaitre en cassation et au fond des Actes uniformes. Le juge congolais va ainsi poser
le principe de la primauté de la juridiction suprême nationale sur la CCJA en présence d’un
litige mixte. L’ambigüité de la décision sera relevée à plusieurs égards. L’analyse critique de
ladite décision de justice par le Professeur Moneboulou Minkada, l’amènera à poser trois
idées : le principe de la répartition des compétences, la négation de la primauté de la CCJA
sur les juridictions suprêmes nationales, et l’étatisation de l’exécution des décisions de
justice984. Si la pratique du « fractionnement du procès » a été évoquée, il n’est pas toujours
possible de fractionner en deux parties le procès985 et qu’il est indispensable, voire impérieux
pour une bonne justice que les deux parties soient jugées ensemble, notamment lorsque la
solution de certaines questions de droit interne dépendent de celles du droit uniforme ou
inversement.

979
Cour suprême du Niger (chambre judiciaire), 16 août 2001, Op. Cit.
980
Sur la réaction qu’a suscité la position dudit juge dans la doctrine voir particulièrement P. S. Owona Levoa,
« La Cour commune de justice et d'arbitrage », in P.-G. Pougoué, (dir.), Encyclopédie du droit OHADA, Op.
Cit., p. 602, n° 48.
981
Voir en ce sens A.-F. Tjouen, Les rapports entre Cours suprêmes nationales et Cour commune de justice et
d’arbitrage de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA), Thèse, Paris II,
2006, p. 290.
982
P. S. Owona Levoa, « La Cour commune de justice et d'arbitrage », Op. Cit. p. 600, n° 41.
983
H.M. Moneboulou Minkada, « Du conflit entre la CCJA et les juridictions suprêmes nationales », Actualités
du Droit, Wolters Kluwer France, publié le 19 juin 2017, consulté le 15 Mai 2020, (A propos de l’arrêt de la
Cour suprême du Congo, 2e ch. civ. audience publique, 30 nov. 2016, n° 35/gcs-2016) disponible en ligne sur
https://www.actualitesdudroit.fr/browse/afrique/ohada/7526/du-conflit-entre-la-ccja-et-les-juridictions-
supremes-nationales.
984
Ibid.
985
J. Issa-Sayegh, « Conflits entre droit communautaire et droit régional dans l’espace OHADA », Op. Cit.

182
180. Quel que soit les nombreuses solutions proposées par la doctrine986, il faut s’interroger
sur leur intérêt car les dispositions du Traité paraissent précises. La CCJA assure
l'interprétation et l'application communes du Traité ainsi que des règlements pris pour son
application, des Actes uniformes et des décisions. Lorsqu’elle est « saisie par la voie du
recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions
d'Appel des Etats Parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à
l'application des Actes uniformes et des règlements prévus au présent Traité (...) ». Le degré
de précision desdites règles notamment sur les modalités de saisine de la CCJA, tend à
proscrire toute interprétation susceptible de remettre en cause le caractère supranational et
transnational du droit OHADA 987 . La supériorité de la CCJA sur les cours suprêmes
nationales est une évidence. Elle est fondée sur les dispositions du Traité. La saisine de la
CCJA "suspend toute procédure de cassation engagée devant une juridiction nationale contre
la décision attaquée » 988 . Les parties ont la possibilité de soulever une déclaration
d'incompétence de la Cour ; laquelle « peut être soulevée d'office ou par toutes les parties in
limine litis »989. Il reste donc possible dans ce cas, que la déclaration d'incompétence soulevée
soit partielle, renvoyant ce qui est dû aux juridictions nationales. Il faut ajouter que la CCJA
peut être saisie a posteriori, par toute partie, dans un délai de deux mois à compter de la
notification de la décision attaquée, rendue par une juridiction nationale statuant en cassation
en méconnaissance de sa compétence. Dans le cas d’espèce, « si la Cour décide que cette
juridiction s'est déclarée compétente à tort, la décision rendue par cette juridiction est
réputée nulle et non avenue »990. Les litiges hybrides et connexes n'échappent donc pas à la
compétence de la CCJA 991 , laquelle peut se déclarer incompétente sur des points qui ne
relèvent pas de l'application des Actes uniformes, d'office ou sur demande de l'une des parties.
986
Voir en ce sens P. S. Owona Levoa, « La Cour commune de justice et d'arbitrage », Op. Cit. ; B. Diallo,
« L'OHADA : un exemple de convergences. Vaincre la résistance des juridictions suprêmes nationales les pistes
possibles de réformes », Revue Jurifis info, n° 5, septembre-novembre 2009, pp. 7-12 ; Les rapports entre les
juridictions de cassation nationales et la CCJA : bilan et perspectives d’avenir. Organisé par l’Association
Africaine des hautes juridictions francophones (AA- HJF), Abidjan du 26 au 28 janvier 2005 ; J. Fometeu, « Le
clair-obscur de la répartition des compétences entre la Cour commune de justice et d'arbitrage de l'OHADA et
les Juridictions nationales de cassation », Op. Cit., pp. 55 et s.
987
V. par exemple L. Bahoken, « La compétence extracommunautaire des tribunaux judiciaires OHADA
(première partie) », in La lettre juridique, n° 724 du 21 décembre 2017, Ohada, Lexbase, disponible en ligne à
partir du lien https://www.lexbase.fr/revues-juridiques/44005501-doctrine-la-competence-extracommunautaire-
des-tribunaux-judiciaires-ohada-premiere-partie.
988
Article 16 du Traité.
989
Article 15 du Traité.
990
Article 18 du Traité.
991
Plusieurs arrêts dans le cadre des pourvois hybrides ou complexes ont déjà été rendus par la CCJA : Arrêt n°
013 du 29 juin 2006, Rec., n° 7 Janvier-Juin 2007, p. 70 et s. ; Adde CCJA, arrêt n° 014 du 29 juin 2006, Sté
EQUIPAGRO-CI SARL c/ Boubacar Keita, Rec., n° 7 Janvier-Juin 2006, p. 45 et s.. CCJA, Arrêt n° 023 du 16
Novembre 2006, Sté africaine de crédit automobile dite SAFCE et Sté africaine de crédit bail dite SAFBAIL c/
Sté Air continental, Rec., n° 8, juillet-Décembre 2006, p. 27 et s.

183
Le conflit de juridiction entre la CCJA et les Cours suprêmes nationales semble prendre
racine dans d’autres justifications. Il ne serait pas exagéré de parler plutôt de résistance à
l’attraction de litiges devant la CCJA que de conflits de juridiction. Et pour cause, le droit
OHADA fait partie intégrante du droit national de chaque État membre de l’OHADA992. Il
n’y a pas de distance à établir entre les deux droits. Il est à la fois un droit national et un droit
supranational. Il intègre le droit commun des Etats parties et s’applique avec lui. Les règles de
compétence judiciaire encadre le service public de la justice et influence par la suite les
structures étatiques des Etats. La vocation des conflits de compétence ou conflit de juridiction,
si elle n’est pas théoriquement impossible993, semble entre les deux ordres de juridictions,
moins justifiée. Résistances, bien que sporadiques après plus de vingt années de droit
OHADA, traduisent selon un auteur, l’absence d’« un minimum de courtoisie à l'égard de la
CCJA découlant du caractère supranational du droit OHADA et de la nature quasi fédérale
de cette haute juridiction (…) »994. Les juridictions nationales de cassation marquent par la
résistance active et passive, leur contestation de la compétence dévolue à la Cour commune de
justice et d’arbitrage. Si les raisons généralement évoquées pour contester la compétence de la
juridiction supranationale peuvent plus ou moins être fondées sur les conflits de compétence,
seulement, les racines semblent être plus profondes et surtout que les Etats ont acceptés en
connaissance de cause, la compétence de la CCJA en s’engageant comme parties au Traité de
l’OHADA. Ce problème qui devrait avoir été résolu par le Traité, est une tache que porte le
système de justice et d’intégration souhaitée à l’orée de la mise en place de ce corps de règle.
Une mauvaise application du droit OHADA et du droit en général, déteint sur la sécurité
juridique et judiciaire, une tache sur la bonne administration de la justice dans l’espace
OHADA, la justice exemplaire voulue par les paires fondateurs. Le sentiment et la logique
souverainiste semblent appropriés pour comprendre ces résistances.

2. Le vraisemblable primat de la logique souverainiste

181. Dans l’ordre judiciaire interne camerounais, la Cour suprême est l’organe premier
d’ajustement du droit national. La Cour suprême procède à cet ajustement au regard des
principes généraux du droit, du droit applicable et des dispositions des conventions auxquelles
le Cameroun s’est obligé. De ce mécanisme d’adaptation et de cohérence de l’ordre

992
H.M. Moneboulou Minkada, « Du conflit entre la CCJA et les juridictions suprêmes nationales », Op. Cit.
993
Voir V.L. Bahoken, « La compétence extracommunautaire des tribunaux judiciaires OHADA (première
partie) », Op. Cit.
994
L'expression est empruntée à B. Arabit, cité par V.L. Bahoken, « La compétence extracommunautaire des
tribunaux judiciaires OHADA (première partie) », Op. Cit.

184
juridique995 de la plus haute juridiction judiciaire, administrative et des comptes, est dévolue
un rôle traditionnel d’adaptation par la jurisprudence du droit interne dont il est le garant, au
droit applicable. La CCJA en droit de l’OHADA exerce des attributions juridictionnelles
similaires. De manière plus inattendue, l’avènement de la CCJA a entrainé un bouleversement
de l’ordre juridictionnel national, allant jusqu’à retiré aux cours suprêmes nationales
l’essentiel du contentieux en matière du droit des affaires, pour la confier à la CCJA. « Le
Traité OHADA ne consacre plus seulement la primauté du droit communautaire sur le droit
national, il affirme la substitution du droit communautaire au droit national ainsi qu’une
institution unique de contrôle et de règlement des différends »996. Les juges de droit, comme
on a coutume de les appeler, l’acceptent mal et leur réticence est illustrative que le juge de
l’interprétation et de la conformité du droit uniforme puisse avoir prise sur une partie de leur
compétence traditionnelle en matière commerciale et a fortiori qu’il puisse en annuler des
décisions. L’avènement du droit OHADA et de la Cour commune de justice et d’arbitrage a
bouleversé l’ordre des sources du droit des affaires. Le législateur ohadien prime désormais
sur le législateur étatique. Les textes érigés par le dernier ne doivent pas être contraires aux
dispositions du droit uniformisé. Le renversement des rapports est considérable puisqu’il lui
fait « perdre sa souveraineté »997 et qu’il conduit même, dans certains cas, à une remise en
cause de l’autorité juridictionnelle des décisions des cours suprêmes nationales 998 . Le
bouleversement des sources du droit des affaires a conduit d’une certaine manière à une perte
de souveraineté des juridictions supérieures des Etats parties dans la mesure où leurs décisions
sont, ne fût-ce qu’indirectement, soumises au contrôle a posteriori de la Cour commune de
justice et d’arbitrage 999 . Sur un autre plan, l’interprétation des dispositions des Actes
uniformes, du Traité et des règlements de ce droit supranational, le contrôle de la CCJA sur
les arrêts et jugements des juges nationaux, juges de droit commun du droit uniforme, ne
saurait être discuté1000. La primauté du droit uniforme semble être une source d’opposition. Il

995
Guy Canivet, « Cours suprêmes nationales et Convention européenne des droits de l’homme Nouveau rôle
ou bouleversement de l’ordre juridique interne ? », Discours prononcé lors du séminaire organisé à la Cour
européenne des droits de l’homme le 21 janvier 2005 disponible dans la rubrique archive du site de la Cour de
cassation française www.courdeassation.fr.
996
J. Lohoues-Oble, « L’apparition d’un droit international des affaires en Afrique », Op. Cit., p. 547.
997
Guy Canivet, article précité.
998
Aux termes de l’Article 18 du Traité, parag. 2 et 3 « La Cour se prononce sur sa compétence par un arrêt
qu’elle notifie tant aux parties qu’à la juridiction en cause. Si la Cour décide que cette juridiction s’est déclarée
compétente à tort, la décision rendue par cette juridiction est réputée nulle et non avenue ». (Nos soulignés)
999
Voir articles 18 et 16 du Traité.
1000
Guy Canivet, « Cours suprêmes nationales et Convention européenne des droits de l’homme Nouveau rôle
ou bouleversement de l’ordre juridique interne ? », Op. Cit. ; « Le droit communautaire et l'office du juge
national », Op. Cit. ; Olivier Dord, « Systèmes juridiques nationaux et cours européennes : de l’affrontement à
la complémentarité », Pouvoirs, 2001/1, n° 96, pp. 5-18.

185
est normal, logique et souhaitable que les interprétations données par la Cour suprême de
l’OHADA du texte qui la fonde, priment sur celles que formulent les juridictions des Etats
parties. La primauté d’interprétation de la Cour commune de justice et d’arbitrage est
indispensable à l’application uniforme du droit et à la conformité de l’ensemble de la
jurisprudence aux objectifs du Traité. La contester serait une aberration politique autant que
juridique1001. La situation particulière des cours suprêmes des Etats membres, qui ne statuent
qu’en droit, est à d’autant plus particulière puisqu’elles se trouvent par la force des choses
entre deux juridictions qui se prononcent en fait autant qu’en droit, les juridictions nationales
d’un côté, qui leurs sont légalement et naturellement subordonnées, la Cour commune de
justice et d’arbitrage de l’autre 1002 . La perte de souveraineté des juridictions suprêmes
nationales va jusqu’à une remise en cause de l’autorité de leurs décisions, l’atteinte à
l’autorité de la chose jugée. Il en est ainsi, lorsque l’une des parties bien qu’ayant soulevée
l’incompétence du juge de cassation national, l’article 18 permet de soumettre à un nouveau
jugement une affaire qui avait cependant épuisé les voies de recours internes, en ouvrant la
possibilité de saisir la CCJA dans un délai de deux mois à compter de la notification de la
décision contestée.

182. La logique souverainiste semble donc, plus que l’option des conflits de compétence,
justifier les résistances nationales à la compétence de la CCJA. Deux courants de pensée aux
objectifs opposés semblent présents dans l’espace OHADA. Un courant supranational, qui
milite pour faciliter la pénétration du droit uniforme dans le droit interne, l’affaissement des
souverainetés nationales et l’autre qui soutient une démarche plutôt progressiste. De cette
simple opposition de courant de pensée, l’OHADA apparaît comme un cadre très pertinent
d’analyse de la confrontation entre intégration et souveraineté 1003 . Logique souverainiste
fondée sur la protection de l’Etat, en l’occurrence des cours suprêmes nationales, d’une
grande influence du droit supranational sur les institutions. De tout temps, depuis les
indépendances, la dynamique de l’intégration sur le continent africain est dominée par cette
dualité 1004 . Aujourd’hui, l’Afrique est un paradoxe en matière d’intégration. Elle « est le

1001
Ibid.
1002
Ibid.
1003
V. Ami Collé Seck, Intégration et Souveraineté étatique, approche comparative entre l’Europe et l’Afrique
à travers l’UE, l’UEMOA et l’OHADA, Thèse, Droit, Normandie Université, 2018 ; A. P. C. Bernier (2018), La
France et le droit communautaire 1958-1981: Histoire d'une réception et d'une coproduction, Thèse, Histoire du
droit, Det Humanistiske Fakultet, Københavns Universitet.
1004
Deux conceptions de l’unité africaine s’opposaient : d’une part, le continentalisme incarné par les partisans
d’une unité immédiate à l’échelle continentale, sanctionnée par l’instauration de pouvoirs exécutif et législatif
uniques et d’autre part, le régionalisme incarné par les chefs d’Etat qui estimaient plutôt que l’unité africaine ne
pouvait être envisagée tout de suite ; en d’autres termes, que l’étape sous régionale était indispensable.

186
continent de la planète qui compte le plus d’organisations continentales, régionales, sous
régionales, sectorielles et commerciales alors qu’elle est la région où les processus
d’intégration et de régionalisation sont les plus embryonnaires » disait un politique
africain1005 que l’on ne présente plus. Elle est toujours à la recherche de sa recette qui lui
permettra enfin, d’allier conséquemment intégration et souveraineté. L’obtention de la recette
de modèle d’intégration ou du renforcement du modèle ohadien trouve une limite dans la
persistance des réflexes souverainistes des Etats. Les intérêts nationaux entrent aisément en
conflit avec les intérêts dits communautaires et la défense des uns peut influencer l’orientation
des politiques des autres. Mieux encore, l'acceptation des arbitrages communautaires dans le
cadre de l’OHADA par exemple, ne va pas sans frustration parfois des intérêts nationaux
immédiats1006. Tout ces faits semblent parfois occasionner au niveau des Etats du continent
fortement ancrés à leur fibre souverainiste et intérêts nationaux, une certaine résistance à
respecter les règles qu’ils se sont eux-mêmes posées et dont ils ont confié le contrôle aux
autorités communautaires. Or, la réussite d’un processus d’intégration fiable implique avant
tout la mise en commun des intérêts nationaux. C’est justement pour souligner les
conséquences de ces réflexes souverainistes que le Professeur Bruno Békolo-Ebé utilise
fièrement l’expression « la persistance et la résurgence des irrédentismes »1007. C’est peu de
le dire, la logique souverainiste porte un sérieux coup à l’intégration judiciaire, la bonne
administration de la justice « cassationnelle » avec, que l’on aurait pensé pouvoir être garantie
par la complémentarité entre les cours suprêmes nationales et la Cour commune de justice et
d’arbitrage.

Finalement, c’est une démarche graduelle ou séquentielle du régionalisme qui s’est imposée à l’issue du sommet
d’Addis-Abeba, avec la création d’une OUA conçue comme un cadre de coopération sans impact sur les
souverainetés nationales mais destiné à s’appuyer d’abord sur l’unité des sous-régions africaines pour tendre
ensuite, progressivement, vers une unité du continent africain. Ami Collé Seck, Intégration et Souveraineté
étatique, approche comparative entre l’Europe et l’Afrique à travers l’UE, l’UEMOA et l’OHADA, Thèse, Op.
Cit., p. 312.
1005
Abdou Diouf, « Afrique : l’intégration régionale face à la mondialisation », Politique étrangère, 2006,
Hiver, n° 4, p. 786.
1006
Ami Collé Seck, Intégration et Souveraineté étatique, approche comparative entre l’Europe et l’Afrique à
travers l’UE, l’UEMOA et l’OHADA, Thèse, Op. Cit. p. 344.
1007
Bruno Békolo-Ebé cité par Ami Collé Seck, Intégration et Souveraineté étatique, approche comparative
entre l’Europe et l’Afrique à travers l’UE, l’UEMOA et l’OHADA, Thèse, Op. Cit. p. 345.

187
Conclusion du Chapitre Second

183. La procédure est constituée d’un ensemble de principes procéduraux interdépendants.


Dès lors, lorsque l’on parle de droit objectif au juge, la notion de bonne administration de la
justice en constitue l’exigence. En ce sens, la bonne administration de la justice est
dépendante de nombreuses garanties procédurales que sont la séparation des fonctions
d’instruction et de jugement, la motivation, le contradictoire, la publicité, l’oralité, la célérité
ou juste cadence du procès, le droit de défense, la compétence de la fonction juridictionnelle.
On a là, dans la scène judiciaire, un exemple de compromis. Un compromis qui ne doit pas
faire oublier que les principes directeurs visent aussi à assurer la bonne administration de la
justice, une autre qualité procédurale 1008 . Les justiciables sont en droit d’attendre du
fonctionnement de la justice, une décision de justice qui ne soit pas sujette à caution,
prononcée dans un délai correct ou raisonnable. Les règles de procédure organisent le
déroulement du procès et le contrôle des décisions judiciaires. Ce sont elles qui balisent le
sentier de la bonne administration de la justice. Les principes directeurs participent à cette
action en contribuant au bon déroulement de la procédure et en établissant un contrôle des
décisions de justice1009.

184. En conclusion, les principes procéduraux participent en droit camerounais à une


meilleure garantie droit à la justice. Ils préservent le contradictoire, l’oralité, l’égalité des
parties en matière judiciaire, un réel débat par la présence à l’audience de ceux pour lesquelles
elle est faite, pour que chacun puisse voir qu’elle est rendue. Pourtant, bien qu’objectivement
prévues par le législateur camerounais, les garanties fondamentales du droit à une bonne
justice ne cessent de subir des atténuations. Ce qui les affaiblit d’avantage chaque jour, au
détriment de la qualité de la justice, d’une protection efficace. Premièrement,
l’affaiblissement de la bonne administration de la justice peut être qualifiée d’inquiétante en
matière de respect du principe du délai raisonnable. La justice camerounaise en particulier et
celle de l’espace OHADA est connue pour sa lenteur. La profusion des stratégies mises en
place n’ont pas encore eu raison de cette lenteur. Les plaideurs rivalisent désormais d’artifices
et de vivacité d’esprit pour faire trainer le procès. Le juge, chef d’orchestre du temps

1008
E. Vergès, Les principes directeurs du procès Etude d’’une catégorie juridique, Thèse, Op. Cit. p. 145.
1009
Ibid.

188
processuel, et en dehors des facteurs naturels de ralentissement, semble devenir le membre de
la symphonie qui imprime une arythmie au tempo du procès. La justice, sans se leurrer et sans
fausse modestie est lente disait monsieur Alexis D. Mouelle 1010 . Le droit d’être lent est
devenu un objectif judiciaire.
Le second degré d’affaiblissement prend source dans les garanties procédurales
d’audience qui sont quelque peu affectées par la constante prédominance de l’écrit, au
détriment de nombreux justiciables illettrés. Cette lacune est néfaste pour le principe de
l’oralité, mais peut être tempérée, ce qui justifie de parler d’affaiblissement modéré. A cela il
convient d’ajouter la fragilité du droit de défense. Les choses ont certes évoluées en raison de
l’avènement en 2005 d’un Code de procédure pénale qui consacre le droit à l’assistance d’un
avocat à tous les stades de la procédure, ou de garder le silence, mais ce droit reste fragile.
Enfin, la compétence des juridictions est un critère important de l’accès à une
meilleure justice. Le système de compétence de l’OHADA oscille entre deux types de règles :
la compétence de la Cour suprême commune pour des litiges nécessitant l’application des
règles et règlements du droit uniforme, la compétence des cours suprêmes nationales pour des
litiges en relation avec le droit national. Les relations entre lesdites juridictions au regard de
leur jurisprudence respective ne sont pas des plus cordiales. L’ambigüité de leurs rapports va
au-delà d’un simple conflit de compétence, d’une simple résistance à la compétence de la
CCJA, où l’on peut percevoir les réflexes issus de la logique souverainiste, la défense des
intérêts nationaux au détriment des intérêts communs. De la situation actuelle, il résulte des
tensions qui peuvent aller jusqu’au développement de stratégies d’opposition ouvertes et de
rupture tant de la part des juridictions que des autorités politiques. Cela n’est pas sain et doit,
trouver solution si l’on entend promouvoir l’application diligente du Traité et des actes
uniformes dans les Etats parties. La bonne application des garanties de sécurité juridique et
judiciaire recherchées par l’érection de ce droit, la bonne administration de la justice
cassationnelle ne se feront certainement pas par la guerre des juges mais dans la sérénité
d’une coopération, d’une complémentarité permanente entre la Cour suprême commune de
l’OHADA et les juridictions suprêmes nationales.

1010
Alexis Dipanda Mouelle, « Allocution à l’occasion de la rentrée solennelle de la Cour suprême », Op. Cit.

189
Conclusion du Titre Premier

185. Le justiciable doit bénéficier du droit camerounais, une justice bien administrée.
L’étude du droit à bénéficier d’une bonne administration de la justice, signe d’un droit
objectif au juge apporte deux enseignements essentiels. Du premier, il ressort que
l’indépendance de la justice dans toutes ses composantes est l’exigence première d’une bonne
justice. L’indépendance est la courroie centrale de laquelle dépendent les autres exigences
critériologique du souci d’une bonne administration de la justice. Le principe peut, à juste titre
être considéré comme une norme juridique ayant une existence positive. Mais il fait l’objet
d’atteintes récurrentes aussi bien venant des acteurs que de l’environnement immédiat de la
justice, au point où l’on pourrait le qualifier ici, d’affaiblissement accentué et prononcé à la
bonne administration de la justice. Le second enseignement quant à lui, réside dans le lien
étroit qui existe entre les principes procéduraux et la notion fonctionnelle de bonne
administration de la justice. Cette proximité confère aux principes et au droit au procès
équitable une place et une puissance singulières au sein du droit processuel. Pour autant, la
diversité des applications, les habitus des acteurs parfois sains, mais aussi malsains en
réduisent la portée. Habitus et pesanteurs auxquels il faut adresser des solutions compatibles à
la nature du système.

186. Il est par conséquent nécessaire de rechercher jusqu’où le législateur se souci de la


garantie de l’accès à une meilleure justice, en considérant l’intérêt d’une bonne administration
de la justice au-delà de son sens procédural traditionnel, pour examiner son versant le plus
recent. Face au traditionnel critère de la bonne administration du procès, se dresse le sens
organisationnel, qui inclut la bonne gestion de l’institution juridictionnelle. Si le droit au juge
peut être considéré comme le principe qui justifie l’ensemble des règles qui mettent en œuvre
le devoir de juger, le justiciable doit aussi pouvoir bénéficier d’une gestion optimale de
l’organisation juridictionnelle.

190
TITRE SECOND

L’ADMINISTRATION DE LA FONCTION DE JUGER

187. Peut-on administrer la justice ? Depuis la diffusion des travaux de Montesquieu sur la
Séparation des pouvoirs, la magistrature a mutée. Elle s’est organisée. L’ordre judiciaire au
sein de l’appareil d’Etat s’est autonomisé, empruntant progressivement « les contours d’une
bureaucratie individualisante »1011. D’une justice considérée comme un instrument au service
de l’aristocratie et/ou de la monarchie 1012 , l’on assiste désormais au sein des cours et
tribunaux, à l’émergence d’un paradigme organisationnel nouveau : le management judiciaire.
Seconde composante de la notion de bonne administration de la justice, entendue au sens
large comme « l’ensemble des critères et conditions que doit remplir toute justice pour être
bien administrée »1013, la notion ne se limite plus à l’œuvre de justice ni à l’ensemble des
procédures juridictionnelles qui mènent au jugement, conception à laquelle la notion semble
surtout s’intéresser, pour renvoyer à un sens plus contemporain, celui des processus
administratifs1014 qu’empruntent le rendu de la justice. L’administration de la justice est prise
ici dans son sens strict : la gestion d’un service public destinée à rendre des décisions
juridictionnelles. Il s’agit alors d’analyser qui gère, avec quels moyens humains et financiers,
quels sont les objectifs et avec quels résultats ? L’œuvre de justice n’est rendu possible que
par l’existence d’une administration au sens d’organisation. L’organe prend ici le pas sur la
fonction1015. En ce sens, en tant que administration de l’Etat, la justice est un service public
financé dans le cadre du budget de l’Etat. Administrer la justice implique de compter,
organiser, contrôler. Administrer la justice c’est aussi gérer les moyens qui sont mis à sa
disposition pour remplir les missions qui lui sont dévolues. Bien administrer la justice c’est
bien gérer les moyens affectés à la justice. La bonne administration de la justice est par
conséquent, une notion à la fois finaliste et fonctionnelle. La garantie efficace du droit au juge

1011
F. Schoenaers, « Chapitre 5. Lorsque le management entre au tribunal : évolution ou révolution ? », Rev.
Dr. ULB-41, 2014, pp. 172-209 ; Voir aussi M. Favri et P. Langbroeck, The challenge of change for judicial
systems, IOS Press, 2000.
1012
Ibid.
1013
Jacques Robert, « La bonne administration de la justice », Op. Cit. p. 118.
1014
La notion de bonne administration n’est pas aussi récente que l’on pense et le propos mérite d’être nuancé. Il
s’agit en réalité d’une préoccupation ancienne d’économie de la justice qui prend racine dans le droit de l’ancien
régime et dont les codes contemporains en porte toujours la trace. La nouveauté tient au vocable qui promeut la
bonne administration de la justice : processus administratif ou case management.
1015
Loïc Cadiet, « Introduction à la notion de bonne administration de la justice en droit privé », Op. Cit. p. 14.

191
impose aussi le droit à une bonne administration, le droit à un management efficace de
l’organisation judiciaire.

La conformité des procédures juridictionnelles au droit ne constituant plus par voie de


conséquence l’unique caractéristique d’une bonne justice. Elle intègre désormais, le
management judiciaire des juridictions (Chapitre Premier) qui constitue une extension de
l’exigence minimale de bonne administration de la justice. Nous verrons que la logique
managériale de l’organisation juridictionnelle camerounaise, cumulée à celle du versant
procédural de l’administration de la justice, n’est pas exclusive de reproches, qui appellent la
nécessité de moderniser le modèle initial de l’administration de cette justice (Chapitre
Second).

192
CHAPITRE PREMIER

LE MANAGEMENT CAMEROUNAIS DE JURIDICTION

188. Le droit à la justice est une composante essentielle de l’Etat de droit. Sa consécration
fait peser sur l’Etat, l’obligation à l’égard des personnes qui relèvent de sa juridiction en
organisant les moyens qui permettront aux justiciables de faire valoir leur droit à une
protection effective. Confortée par des exigences de qualité, la quête d’un droit à la justice
efficacement garanti a eu des conséquences sur la manière de concevoir l’administration de la
justice et partant l’exigence de qualité qui y attachée. La qualité des procédures
juridictionnelles à l’aune de ce droit fondamental, n’est plus le seul étalon de la mesure d’une
bonne justice. Le curseur s’est déplacé. Les exigences d’une justice de qualité1016 s’étendent
désormais depuis la montée en puissance du mouvement du management judiciaire à
l’ensemble du système judiciaire, plus spécifiquement à un versant considéré au départ
comme secondaire, à savoir les processus administratifs de la juridiction ou encore sa gestion
managériale. Issu des critiques résultant des lenteurs du système judiciaire faites à l’endroit
des juges américains, le mouvement du management judiciaire fait son apparition au XXe
siècle dans le but de rendre une justice plus rapide, en réponse au célèbre et provocateur
article de Edward Gallas 1017 dans lequel il comparait une justice dénuée de management
professionnel à des opérations médicales effectuées par des barbiers ! Mais c’est
essentiellement à partir de la fin des années soixante, à la suite de la très forte augmentation
du nombre d’affaires à juger, que la discipline du « Court management » prend définitivement

1016
Soulignons ici que dans une approche managériale de la justice, la notion de qualité ne fait pas référence à la
qualité du contenu des décisions judiciaires individuelles, mais à la qualité de l’ensemble du système judiciaire.
Autrement dit, dans cette approche, la qualité de la justice place le justiciable au centre de son attention, tandis
que dans une approche judiciaire, la qualité de la justice place la qualité de la rédaction juridique au coeur de ses
préoccupations. Paychère met en évidence l’amalgame possible entre ces deux notions, en particulier pour
les juristes : « La qualité de la justice ne doit pas être confondue avec celle de la qualité des décisions de justice
; certes, les tribunaux s’expriment avant toute autre chose par le biais de leurs décisions ; ce « produit fini » est
la marque la plus tangible et la première à laquelle pensent à tout le moins les juristes lorsqu’ils s’expriment sur
la qualité de la justice », F. Paychère, « Comment mesurer la performance des tribunaux en respectant les
principes fondamentaux de la justice ? », Session d’études organisées par la CEPEJ le 9 décembre 2009.
http://www.coe.int/t/dghl/cooperation/cepej/thematiques/measuring_perf/study_session_14th_plenary_contrib_p
aychere_fr.asp? Consulté le 11 février 2021 ; La notion de « qualité » au sens du nouveau management est une
notion essentiellement mesurable. La qualité est une quantité ou, à tout le moins, une mesure par référence à une
échelle de niveaux ou de seuils. Voir aussi C. Vigour (2004), « Réformer la justice en Europe. Analyse
comparée des cas de la Belgique, de la France et de l’Italie », Droit et société, Vol. 56-57 (1), pp. 292-323.
1017
Edward Gallas (1968), « The Profession of Court Management », Judicature, Vol. 51(9), pp. 334-336.

193
son essor aux Etats-Unis1018 et dans le monde anglo-saxon. Depuis lors, le mouvement s’est
étendu aux Etats européens et même au-delà. La justice essuie des critiques tant de la part des
citoyens que des professionnels de la justice (magistrats, avocats, juges) eux-mêmes1019. Le
court management n’aurait pas eu un tel essor si les constantes récriminations adressées à la
justice n’étaient pas la trame quotidienne des justiciables : jugements rendus dans des délais
raisonnables d’une part, et si la justice avait été d’une qualité irréprochable de l’autre. Parfois
mis en œuvre à la suite de « crises » ayant mis en évidence des dysfonctionnements dans les
appareils judiciaires 1020 , celles-ci ont donné au management judiciaire dans les systèmes
judiciaires européens, une importance particulière. Pour saisir au mieux les implications de la
notion dans la sphère judiciaire, une définition des termes nous est exigée.

189. Etymologiquement, le terme « management », emprunté à la langue anglaise,


proviendrait d’un ancien terme français proche du verbe italien « maneggiare », qui veut dire
« manier, conduire, gérer ». Le grand Robert définit le terme management au sens large
comme l’ensemble des techniques d’organisation et de gestion de l’entreprise. Quant au
Trésor de la langue française, il y voit « l’ensemble des méthodes d’organisation efficaces
(définition et partage de responsabilités) et de gestion rationnelle (en fonction d’objectif ou
de programmes fixés) employées dans la direction d’une affaire, d’une entreprise » 1021 .
Seulement, le management n’est pas une fin en soi : ses outils managériaux sont déployés
pour atteindre des résultats répondant à la vocation de l’organisation concernée. Ainsi, le
management apparait à la fois, comme organisation de la gestion et gestion de
l’organisation1022. Appliqué à la justice, le management vise à atteindre des objectifs généraux

1018
Voir J. Resnik (1985), « Managerial Judges : The Potential Costs », Public Administration Review, Vol. 45,
pp. 686-690.
1019
Voir Matthieu Tankeu, L’administration de la justice au Cameroun Vers un dépassement de la colonialité,
Op. Cit. ; M. Fabri, J.P. Jean, Ph. Langbroeck et M. Pauliat (dir.), L’administration de la justice en Europe et
l’évaluation de sa qualité, Paris, éd. Montchrestien, 2005 ; W. Ackermann et B. Bastard, Innovation et gestion
dans l’institution judiciaire, Coll. Droit et Société, LGDJ, 1993 ; F. Schoenaers et Ch. Dubois (dir.), Regards
croisés sur le nouveau management judiciaire, Liège, éd. de l’ULg, 2010 ; F. Schoenaers, « Le nouveau
management : tentatives de définition et enjeux », in F. Schoenaers et Ch. Dubois (dir.), Regards croisés sur le
nouveau management judiciaire, Op. Cit. ; Loïc Cadiet et al., Pour une administration au service de la justice,
Op. Cit. ; B. Frydman & E. Jeuland (dir.), Le nouveau management de la justice et l’indépendance des juges,
Dalloz, Paris, 2011.
1020
La célèbre affaire Dutroux en Belgique (marquée par l’évasion de Marc Dutroux, le 23 avril 1998), l’affaire
d’Outreau en France en sont de parfaites illustrations.
1021
Le management désigne aussi, « un ensemble de processus, de techniques et de décisions visant la conduite
d’une organisation privée ou publique, dans le but d’atteindre des résultats ». Mina-Claire Prigioni, Le
management de juridiction Analyse comparative de l’organisation et du fonctionnement managérial de cinq
juridictions du pouvoir judiciaire à Genève, Cahier de l’IDHEAP 287/2014, p. 9, Voir également pour une
approche strictement spécialisée le bel ouvrage d’A. Bartoli, Le management dans les organisations publiques,
Dunod, Coll. Management public, 2e éd., 2005 ; L. Zampiccoli, « Le management public : approches
conceptuelles et enjeux de pilotage », Gestion et Management Publics, vol. 9, Mai 2011.
1022
Loïc Cadiet, « Introduction à la notion de bonne administration de la justice en droit privé », Op. Cit. p. 24.

194
semblables à ceux qui sous tendent toute démarche de management public. Dans le cas
d’espèce, il s’agit d’une meilleure qualité, efficacité et efficience du système de justice.
Objectifs généraux auxquels il faut adjoindre les objectifs spécifiques du milieu judiciaire
notamment : la célérité des jugements, une plus grande stabilité, prévisibilité et intelligibilité
des décisions rendues, une meilleure qualité de la relation entre juge et parties, entre acteurs
de la justice, l’établissement et l’accroissement de la confiance suscitée par le système
judiciaire1023. En ce sens, le management judiciaire renvoie à l’ensemble des facteurs destinés
à produire un impact sur le processus d’élaboration et de reddition des décisions de justice, et
non au contenu des décisions judiciaires elles même1024 bien que ceux-ci représentent le coeur
même de la prestation de la justice. C’est dire que l’étude de la justice dans un registre
managérial implique de se départir de la conception traditionnelle de la justice, celle qui
s’inscrit dans l’optique de l’interprétation des lois et du prononcé des jugements, pour
l’appréhender sous un nouvel angle, celui de l’institution organisation, c’est-à-dire « une
collectivité structurée dont l’action est définie par les interdépendances entre professionnels
impliqués dans le processus de production (greffiers, secrétaires du parquet, avocats et
magistrats) et qui, à partir d’inputs, produit des outputs »1025.

190. L’irrésistible ascension de la logique managériale dans le domaine de la justice a des


mérites 1026 , mais ne saurait être une panacée. Elle a même été qualifiée par un éminent
processualiste français de « pente dangereuse » 1027 . Le problème résiderait ici dans la
dimension par laquelle se manifeste essentiellement le management : une gestion
administrative rationnelle, en rapport avec les objectifs fixés. L’organisation doit être efficace,
et celle-ci est conçue en fonction des critères établis dans les modes de gestion privée1028.
Seule compte la recherche des résultats, l’efficacité de la gestion des moyens affectés à la
justice. L’objet de l’institution judiciaire semble relégué au second plan. Le taux de
satisfaction du justiciable devenu consommateur, mieux client, sont désormais placés au cœur

1023
Mina-Claire Prigioni, Le management de juridiction : Analyse comparative de l’organisation et du
fonctionnement managérial de cinq juridictions du pouvoir judiciaire à Genève, Cahier de l’IDHEAP, Op. Cit.
1024
Ibid., p. 17 ; J.-P. Vicentini, « Le management et l’action du parquet », in B. Frydman & E. Jeuland (dir.),
Le nouveau management de la justice et l’indépendance des juges, Op. Cit., pp. 25-36.
1025
C. Vigour (2008), « Ethos et légitimité professionnels à l’épreuve d’une approche managériale : le cas de
la justice belge », Sociologie du travail, Vol. 50, pp. 71-90. Voir aussi Loïc Cadiet, « Introduction à la notion de
bonne administration de la justice en droit privé », Op. Cit. p. 24.
1026
Notamment par la mise en place d’un ensemble clair de principes du case management : économie de la
justice, maitrise du temps du procès, pouvoirs du juge, coopération des parties, ajustement de la procédure à la
réalité du litige, incitation au règlement des différends, recours aux nouvelles technologies, prompte exécution
des décisions de justice.
1027
Loïc Cadiet, « Introduction à la notion de bonne administration de la justice en droit privé », Op. Cit. p. 30.
1028
Thierry Kirat, « La qualité des décisions de justice au prisme de la science économique », in P. Mbongo
(coord.), Les qualités des décisions de justice, Op. Cit., pp. 78 et suivants.

195
du système. Les préoccupations d’économie de la justice semblent devenir l’étalon de
mesure1029 de l’administration de la justice, de nature à remettre en cause l’indépendance de la
fonction de juger contre ce qui peut être perçu comme une ingérence indue du pouvoir
législatif et de l’administration dans les attributions du pouvoir judiciaire1030 . Le domaine
judiciaire se distingue pourtant du secteur privé et des autres domaines étatiques par le fait
qu’il repose sur le principe d’indépendance de la justice et de ses magistrats. Aussi, la notion
de management a longtemps été considérée comme contradictoire, du moins étrangère au
contexte judiciaire1031.

L’approche managériale n’est pertinente qu’à condition de tenir compte des


spécificités et de la vocation de l’organisation à laquelle elle s’applique. Si le management
public s’appuie sur « un principe général » de contingence1032, cela suppose qu’il est possible
d’adapter les méthodes de gestion issues du secteur privé à la diversité des situations et des
enjeux de l’appareil judiciaire. La promotion du registre managérial doit être combinée avec
le principe du procès équitable. Le management de la justice n’est qu’un moyen de rendre une
justice de qualité, dans des délais raisonnables, il n’est pas une fin en soi. Le défi réside dans
la mise de la logique managériale transposée à la justice, au service de la fonction sociale du
procès, mettre l’efficience au service de l’équité1033, subordonner le versant organisationnel de
la bonne administration de la justice, à la justice.

191. Du reste, il n’est pas question, dans cette analyse de se poser la question de savoir si la
logique gestionnaire de la justice fait l’objet d’une quelconque appréhension en droit
camerounais, car elle l’est. La diffusion de nombreux termes et procédures qui pouvaient être
considérés comme étrangers à l’institution judiciaire tels que service public de la justice,
usagers, sécurité juridique et judiciaire, bonne administration de la justice, délais raisonnables,
principes procéduraux entre autres l’attestent. Le législateur camerounais a mis en place un
appareil judiciaire chargé d’administrer les processus administratifs et juridictionnels. Aussi,
il serait intéressant de partir des principes qui sous-tendent la rationalité de type managérial au
1029
G. Canivet, « Economie de la justice et procès équitable », JCP, 2001, 1.361.
1030
B. Frydman, « Le management judicaire comme alternative à la procédure », disponible sur le lien
www.philoma.org-uploads-docs-FrydmanB consulté le 13 décembre 2020.
1031
Voir sur cette question l’intéressante étude d’Anne-Lyse Sibony, « Quelles leçons tirer des expériences
étrangères ? », in Evaluer la justice, Paris, P.U.F., 2002, p. 77 et s. spéc. p. 86-87.
C. Vigour, « Justice : l’introduction d’une rationalité managériale comme euphémisation des enjeux
politiques », Droit et société, 2006/2, n° 63-64, pp. 425-455 ; Bartolomeo Cappellina, Quand la gestion
s’empare de la Justice : de la fabrique européenne aux tribunaux, Thèse, Science politique, Université de
Bordeaux, 2018.
1032
Annie Bartoli, Le management dans les organisations publiques, Op. Cit. p. 98.
1033
Loïc Cadiet, « Introduction à la notion de bonne administration de la justice en droit privé », Op. Cit. ; B.
Frydman, « Le management judicaire comme alternative à la procédure », Op. Cit.

196
sein de l’institution judiciaire pour mener une analyse sur le modèle d’administration
camerounais de la justice. Dans un système judiciaire, les méthodes de gestion des tribunaux
exercent une influence sur les procédures juridictionnelles et inversement. Ces relations
peuvent aussi bien être cohérentes que contradictoires. C’est autour de ces interactions que
s’établira notre analyse.
Afin de déterminer celles-ci, il est permis de prendre pour point de départ les
dimensions de ce management judiciaire. Il en ressort deux traits caractéristiques, à savoir une
dimension interne du management judiciaire (Section I) et une dimension externe du
management judiciaire (Section II).

SECTION I. LA DIMENSION INTERNE DU MANAGEMENT JUDICIAIRE

192. Du point de vue organisationnel, le pouvoir judiciaire en général, et les tribunaux en


particulier peuvent être considérés comme des « bureaucraties professionnelles »1034, c'est-à-
dire, organisation constituée de professionnels de la justice. Cela permet de mettre en exergue
certaines caractéristiques organisationnelles du pouvoir judiciaire qui ont une influence sur la
mise en œuvre du management au niveau de l’institution judiciaire et de ses juridictions. La
dimension interne du management judiciaire concerne d’un côté, le management de
l’ensemble des activités juridictionnelles (Paragraphe I) pour s’étendre de l’autre, à
l’ensemble des ressources allouées au système judiciaire (Paragraphe II).

Paragraphe I. Le management des activités juridictionnelles


193. Désormais auréolée de cet aspect organisationnel qui caractérise la montée en
puissance du registre managérial, rendre correctement la justice ne se limite plus seulement à
rendre une décision techniquement et juridiquement correcte, mais aussi la rendre dans des
délais raisonnables. Ce qui met en avant la manière dont le système en interne est structuré.
Parler de management des activités juridictionnelles conduit à traiter de l’ensemble des
organes chargés d’assurer l’œuvre de justice, mieux au modèle camerounais d’administration
de la justice. Le modèle est caractérisé par un bicéphalisme qui met en scène le ministère de la
justice (A) et les juridictions (B).

1034
Werner Ackermann, Benoit Bastard, « La gestion du changement dans les tribunaux de grande instance :
une étude organisationnelle », Op. Cit. La bureaucratie professionnelle est une forme d’organisation qui permet
aux professionnels d’exercer leur fonction de manière très indépendante, et leur accorde une grande liberté dans
le contrôle de leur travail.

197
A. Le Ministère de la justice

194. Le ministère camerounais de la justice est caractérisé par une organisation et des
fonctions (1) inspirées du modèle français de par les organes qui le composent. Organe appelé
à assumer des attributions dans les limites des compétences qui lui sont dévolues, qui nous
permettra d’en déterminer le modèle d’administration judiciaire (2). Etude des fonctions qui
permettra de se familiariser avec l’organe, de connaitre des fonctions dont elle dotée pour
réaliser ses objectifs. Ce qui permettra aussi d’en faire une évaluation critique.

1. Organisation et fonctions

195. Parce qu’elles incarnent le cœur des fonctions de l’État, la justice fait partie avec la
défense, la diplomatie, la fiscalité, la monnaie et la police de ces secteurs sur lesquels l’Etat
exerce un « monopole régalien »1035. On dira ainsi que, la fonction judiciaire est au sein de
tout Etat, une expression de sa souveraineté 1036 . Représentée sous forme humaine par le
ministre de la justice, garde des sceaux, la justice est administrée au Cameroun par le
ministère de la justice, que l’on désigne également sous le vocable de chancellerie 1037 .
Comme service public, et à l’instar des autres départements ministériels et conformément à
son texte organique 1038 , la justice est gérée par une administration centrale organisée en
ministère. Le ministère de la justice pour l’accomplissement de ses missions et exercice de ses
fonctions est composé aux termes de l’article 2 du texte qui organise son fonctionnement des
services suivants : d’un (01) Secrétaire Particulier placé sous l’autorité d’un Chef de
Secrétariat Particulier : Secrétariats Particuliers chargés respectivement des affaires réservées
du Ministre, du Ministre Délégué et du Secrétariat d’Etat 1039 ; de trois (03) Conseillers
Techniques1040 ; de deux (02) Inspections générales dont l’une a en charge l’inspection des
1041
services judiciaires et l’autre, en charge de l’inspection de l’administration
1042
pénitentiaire ; d’une Administration Centrale constituée de (08) huit directions
coordonnées par le Secrétariat général (la direction de la législation, la direction des affaires

1035
Le concept de monopole régalien découle de la théorie de la souveraineté élaborée depuis le XVIème siècle
par des juristes tels que Jean Bodin, Les six livres de la République, 1593, Fayard, 1986. Il recouvre le champ
des compétences que l’État ne saurait déléguer sans dénaturer ses missions fondamentales.
1036
Léo Vanier, « Régalien », in Nicolas Kada et al, Dictionnaire d'administration publique, PUG, 2014, pp.
418-419, disponible sur le lien https://www.cairn.info/dictionnaire-d-administration-publique---page-418.htm.
1037
En référence à l’Ancien Régime français, quand l’équivalent de l’actuel ministre de la Justice portait le titre
de « Chancelier de France ».
1038
Décret n°2012/389 du 18 septembre 2012 portant organisation du ministère de la justice.
1039
Article 3 du Décret portant organisation du ministère de la justice.
1040
Article 4 du texte précité.
1041
Article 5 du texte organique.
1042
Article 6-8 du texte organique.

198
non répressive et du sceau, la direction des affaires pénales et des grâces, la direction des
professions judiciaires, la direction des droits de l’homme et de la coopération internationale,
la direction de l’administration pénitentiaire, la division du contentieux de l’Etat, la direction
des affaires générales) régies par les articles 10 et suivants du décret de 2012 ; de services
déconcentrés constitués essentiellement des délégations Régionales de l’Administration
Pénitentiaire ; des Etablissements Pénitentiaires1043.

196. Les missions de la justice que sont : assurer le respect des libertés individuelles,
trancher les litiges pour lesquels l’office processuel du juge est requis et rechercher,
poursuivre et sanctionner les infractions à la loi pénale, qui incluent au sens large, tant le rôle
des juridictions que celui du Ministère, semble en constante évolution 1044 . Evolution
directement liées à la place accordée au droit dans l'organisation sociale et aux relations entre
les pouvoirs. Si les fonctions dévolues au ministère de la justice sont essentiellement
administratives, elle ne s’en limite pas. L’ensemble de ces fonctions administratives se
rattachent à la diversité et à la spécialité des directions qui le constitue. Le ministère de la
justice exerce également une fonction législative propre et une fonction de conseil. Le
Ministère a en charge les domaines civil, commercial et pénal1045, du droit traditionnel et celui
de l'organisation judiciaire. Il s'agit de tout le droit le plus classique, « celui qui intervient
dans la vie quotidienne des gens »1046. Il est fondamental pour une vie harmonieuse entre les
citoyens et essentiel pour réguler leurs rapports les uns avec les autres. En effet le rédacteur
du décret de 2012, fait du garde des sceaux le responsable de l’élaboration des textes
législatifs et réglementaires relatifs à la nationalité, aux règles concernant les conflits de lois,
au statut des magistrats, à l’organisation et au fonctionnement de la Haute Cour de Justice, de
la Cour Suprême, du Conseil Supérieur de la Magistrature et à l’organisation judiciaire ; de
l’élaboration des textes législatifs et réglementaires relatifs au statut des personnes et des
biens, au régime des obligations et contrats en matière civile et commerciale (législation civile
et commerciale), aux règles de procédure et de compétence devant toutes les juridictions

1043
Voir articles 103 et suivants du texte organique.
1044
L’abrogation de toutes les dispositions antérieures contraires, notamment celles du décret n° 2005/122 du 15
avril 2005 portant organisation du Ministère de la Justice, au profit du décret de 2012 est dans le cas du
Cameroun un parfait exemple.
1045
La matière pénale et l'organisation des juridictions peuvent être considérées en droit camerounais comme
appartenant exclusivement au ministère de la justice.
1046
M. Imbert-Quaretta, (2001), « L'évolution du rôle du ministère de la Justice français », Les Cahiers de
droit, 42 (3), 499-509.

199
civiles, au droit pénal général et spécial ; de l’élaboration et de la mise en œuvre de la
politique pénitentiaire1047.
Conseil du Gouvernement en matière judiciaire1048, il s’agit là de la fonction de conseil
assumée par le ministre de la justice. L'essor du droit, les avancées de la science, la montée en
puissance des nouveaux domaines du droit, qu'il s'agisse des questions dérivées de l'usage du
nucléaire, de la connaissance de l'être humain – bioéthique, clonage, « port du foulard
islamique », sectes – ou mêmes des questions relatives à la santé, des questions liées à la
protection de l’environnement ou celles liées aux nouvelles technologies de l’information et
de la communication et l'évolution des consciences ont des conséquences directes ou
indirectes sur le champ d'action de la Chancellerie. En outre, l'intrusion de l'économie dans
tous les secteurs de l'activité humaine a provoqué l'émergence d'un droit de l’activité
économique autonome 1049 , dont le périmètre s'étendra sans doute. Les discussions sur les
projets d’actes uniformes sur les contrats et sur le droit du travail en sont une illustration. Il
doit par conséquent, en tant que conseiller juridique des autres départements ministériels, à
l’image du service juridique et du contentieux d’une entreprise privée, assurer une veille
juridique, veiller à la cohérence des normes.

197. Sur le plan international, les fonctions du ministère de la justice se sont avec
l’avènement du droit OHADA accrues. Il est dévolu à la chancellerie, le suivi des dossiers
OHADA, il est en relation avec les organes internationaux et les Départements Ministériels
(ministères des finances, relations extérieures) concernés 1050 , s'agissant de la transposition
dans l'ordre juridique interne des conventions internationales. Le rôle de la Chancellerie, en
tant que ministère du droit, l'amène à défendre la position du gouvernement dans les
négociations sur les textes à dominante juridique1051. Au-delà de ses attributions purement
législatives et de conseil, le ministère de la Justice dispose également des pouvoirs
d’instruction. Ceux-ci résident essentiellement dans l’instruction des dossiers de recours en
grâce et de libération conditionnelle ; en matière non répressive, de l’instruction des dossiers
relatifs à la nationalité1052 ; de l’instruction des dossiers relatifs à l’acquisition, la perte, la
déchéance de la nationalité camerounaise et du suivi des procédures en ces matières ; de
l’instruction des dossiers d’habilitation des graveurs ; de l’instruction des demandes de

1047
Article 1er al.2 du décret de 2012.
1048
Article 1er al. 8.
1049
Référence est faite au Droit uniforme OHADA.
1050
Article 1er al. 7 et 8 du texte organique et Traité OHADA.
1051
M. Imbert-Quaretta, (2001), « L'évolution du rôle du ministère de la Justice français », Op. Cit.
1052
Voir Article 28 al. 1 du texte organique.

200
changement de nom, prénoms et pseudonyme et du suivi des procédures en cette matière1053.
Les fonctions dévolues au ministère de la justice sont plurielles. De celles-ci, émergent la
nature du modèle d’administration judiciaire.

2. Le modèle d’administration judiciaire

198. L’analyse des dispositions du décret de 2012 relatif à l’organisation du ministère de la


justice laisse entrevoir les critères caractérologiques du modèle d’administration judiciaire
camerounais. Sur l’approche définitionnelle de l’expression modèle d’administration
judiciaire, il s’agit « des cadres organisationnels qui déterminent la façon dont les décisions
sont prises pour établir les politiques administratives et les activités opérationnelles des
tribunaux » 1054 . Le cadre organisationnel place le ministère de la justice au cœur de
l’ensemble des orientations des politiques administratives et activités opérationnelles des
juridictions. Il élabore les textes législatifs, suit la mise en œuvre de la politique pénale, assure
le suivi et la discipline des professions judiciaires, de la coopération judiciaire, assure le
fonctionnement des juridictions, élabore et discute le budget du département ministériel, il est
aussi responsable de l’élaboration et de la mise en œuvre de la politique pénitentiaire1055. Le
ministre de la justice garde des sceaux est membre du gouvernement, et donc du pouvoir
exécutif. Ce dernier donne son nom et imprègne largement le modèle d’administration
judiciaire mis en œuvre au Cameroun : le modèle exécutif. S’il est composé de nombreuses
variantes1056, les décisions relatives aux règles et au fonctionnement de l’administration des
tribunaux judiciaires dans la mise en œuvre du modèle « exécutif » relèvent d’un ministre en
titre et dans le cas d’espèce, le ministre de la Justice. Les décisions stratégiques et
opérationnelles, ainsi que les éventuelles visions du développement de l’appareil judiciaire lui
sont dévolues. Le modèle exécutif est centralisé. Son succès a souvent été par le passé associé

1053
Voir Article 30 al. 1 du texte précité.
1054
Conseil canadien de la magistrature, Modèles d’administration des tribunaux judiciaires, Rapport,
Septembre 2006, p. 1.
1055
Article 1er du texte organique.
1056
Notamment le modèle de la commission indépendante consiste à confier toute une gamme de décisions
dans l’administration des tribunaux judiciaires à une commission indépendante laquelle, par définition, ne relève
ni du pouvoir exécutif, ni du pouvoir judiciaire ; Le modèle de partenariat comporte divers mécanismes
décisionnels par lesquels l’appareil judiciaire et l’exécutif collaboreraient dans l’établissement de l’orientation
pour l’administration des tribunaux judiciaires ; Le modèle exécutif tutélaire prévoit un rôle prépondérant de
l’exécutif dans le processus décisionnel pour l’administration des tribunaux, mais il permet l’intervention de
l’appareil judiciaire dans certains cas ; Le modèle d’autonomie limitée prévoit un contrôle judiciaire et
l’autonomie de l’appareil judiciaire quant à certains domaines du processus décisionnel administratif des
tribunaux ; Le modèle d’autonomie limitée avec commission intègre les caractéristiques du modèle
d’autonomie limitée, mais il l’associe à une commission indépendante pour les questions concernant le budget
général ; Le modèle judiciaire établit le droit de regard de l’appareil judiciaire sur presque toutes les décisions
administratives des tribunaux, y compris l’établissement du budget général.

201
au degré de confiance et de communication qu’il instaure entre les personnes occupant les
postes décisionnels importants, ainsi qu’à leur intérêt et à leur empressement d’apporter des
modifications au modèle exécutif pur1057. Seulement, la justice est faite pour ses destinataires
et non pour ceux qui sont chargés d’une manière ou d’une autre d’assurer le fonctionnement
du modèle. En dépit des réussites et des réalisations importantes de l’administration des
tribunaux judiciaires, le modèle exécutif comporte de nombreuses lacunes. L’administration
des tribunaux relève du pouvoir exécutif, lequel à son tour rend compte au Président de la
République, érigé en garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire par la constitution. La
reddition des comptes par « les administrateurs » des tribunaux est faite à l’exécutif ; la
volonté et la capacité du procureur général de représenter l’intérêt des tribunaux dans le
processus décisionnel du gouvernement semble absent ; les rapports entre les exécutifs
juridictionnels et l’exécutif tutélaire peuvent se transformer en confrontations ; le personnel
des tribunaux, magistrat du parquet, juge du siège et les fonctionnaires du greffe relèvent tous
du ministre, aussi bien au niveau disciplinaire que de la carrière 1058 nonobstant les
dispositions du décret portant statut de la magistrature1059.
Par ailleurs, le « premier » représentant de l’« exécutif » est le ministre de la
justice 1060 , l’échelon déconcentré étant la cour d’appel. Si le Conseil supérieur de la
magistrature exerce quelques fonctions, c’est surtout l’exécutif qui exerce les prérogatives en
relation avec l’administration de la justice. Le choix de ce modèle entraine un certain nombre
de conséquences qui génèrent un impact sur la perception que l’on peut avoir des juridictions
qui sont, aux termes de la loi fondamentale camerounaise, les organes à qui le constituant de
1996 attribue l’exercice du pouvoir judiciaire1061. Les tribunaux sont considérés comme un
sous-ensemble du ministère. Il peut aussi arriver que, ce qui semble mineur ou banal dans ce
modèle exécutif soit néanmoins perçu comme symptomatique de cette dynamique1062. Tous
ces éléments, grands et petits, négligeables ou non, contribuent à créer et maintenir
l’impression que les tribunaux et le ministère ne sont pas séparés ou du moins réellement
distincts des institutions gouvernementales. Les juridictions semblent constituer une certaine
extension du ministère et de son administration centrale. C’est en référence aux
caractéristiques de ce modèle, qu’un magistrat camerounais estime qu’il faut dépasser la

1057
Conseil canadien de la magistrature, Modèles d’administration des tribunaux judiciaires, Op. Cit, p. 13.
1058
Voir les dispositions de l’Article 1er du décret portant organisation du ministère de la justice.
1059
Voir Article 3 al. 1 du décret n° 95 – 048 du 08 mars 1995 portant statut de la magistrature.
1060
Conseil canadien de la magistrature, Modèles d’administration des tribunaux judiciaires, Op. Cit.
p. 13.
1061
Article 37 al. 2 de la Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996.
1062
Conseil Canadien de la Magistrature, Modèles d’administration des tribunaux judiciaires, Op. Cit., p. 18.

202
1063
colonialité de l’administration de la justice camerounaise . La dépendance de
l’administration judiciaire de l’exécutif est encore trop importante. Le modèle
d’administration de la justice ne doit pas avoir pour effet d’accroitre ou de créer une nouvelle
dépendance1064. L’indépendance de la magistrature, l’efficacité, l’efficience des tribunaux et
la confiance du public dans le système de justice nécessitent un modèle mieux adapté et plus
solide afin que l’usager de la justice tire entièrement parti d’améliorations qui pourraient se
révéler avantageuses. Le pouvoir judiciaire a pour mission de rendre la justice avec dignité,
rigueur, assiduité et diligence pour tous. Ce qui justifie pleinement l’étude d’un autre élément
de cet édifice : les juridictions.

B. Les juridictions

199. La justice sur le plan technique est une affaire de juge, de magistrats, des opérateurs du
droit, des juridictions en somme. Celles-ci sont directement liées à la fabrication des
jugements, à l’application à des situations factuelles des règles juridiques. Ce qui en fait des
« centres opérationnels » de l’organisation judiciaire. Pour déterminer le déploiement des
juridictions, nous nous appuierons sur le management judiciaire et la production
juridictionnelle (1) avant d’envisager leur contrôle (2).

1. Management judiciaire et production juridictionnelle

200. D’une horloge bien réglée, on attend bien qu’elle donne l’heure juste, c’est-à-dire
l’heure exacte. D’un bon management de la procédure juridictionnelle on attend une réponse
judiciaire de qualité et dans des délais raisonnables à la demande de justice des justiciables.
Pour y parvenir efficacement, le choix de la manière d’organiser la production judiciaire y a
une place non négligeable. Production judiciaire entendue ici, non pas tant le procès que le «
process », c’est-à-dire non pas les procédures judiciaires elles mêmes, mais plutôt les
processus de « production » de la justice1065. Le législateur camerounais a choisi d’aligner le
management de sa production juridictionnelle sur le principe de la dyarchie 1066 . Mais

1063
Matthieu Tankeu, L’administration de la justice au Cameroun Vers un dépassement de la colonialité, Op.
Cit.
1064
Hélène Pauliat, « Le modèle français d'administration de la justice : distinctions et convergences entre
justice judiciaire et justice administrative », Revue française d'administration publique, 2008/1 n° 125, p. 93-
110.
1065
H. Pauliat, « Processus, procédures : à la recherche de la qualité de la justice… », CIAJ n° 13, pp. 305-
325, spéc. pp. 306-307.
1066
Principe de droit constitutionnel, il évoque une institution dont la gestion ou la direction revient à deux
personnages distincts selon des attributions exercées de façon séparée ou singulière. La dyarchie dans le
management judiciaire réside dans l’avantage d’être à deux pour réfléchir, dialoguer et acter sur le management
de la juridiction.

203
l’efficacité, le rendement fourni par la dyarchie dépend d’un certain nombre de principes. La
question managériale de l’organisation ne se réduit pas au fait d’ajouter une touche morale et
affective, une pincée d’humanisme naïf et de psychologie molle au noyau dur de la gestion
(déontologie, éthique des professions judiciaires), à ce qui serait sérieux et rigoureux1067. La
qualité du fonctionnement organisationnel fait la différence des performances d’une
organisation au moins autant que l’engagement des acteurs à remplir leur mission. Il est
nécessaire pout toute administration, qu’une bonne organisation des services soit établie pour
assurer un bon rendement. C'est indiscutablement dans cette optique que s'inscrit le décret n°
80/299 du 26 juillet 1980 portant organisation administrative des juridictions modifié et
complété par le décret n° 81/264 du 8 juillet 1981 et le décret n° 2013/202 du 28 juin 2013
modifiant et complétant le décret n° 80/299 du 26 juillet 1980 portant organisation
administrative des juridictions. La quête d’une justice organisée, soucieuse de la protection
des droits que les particuliers tirent de la règle de droit, a eu pour conséquence l’emergence au
sein des juridictions d’un personnage déterminant, « le Président du tribunal ». Il détermine
les règles d’organisation interne de la juridiction dans le but d’optimiser le travail des
différents acteurs. L’intérêt d’une bonne administration de la justice justifiera par conséquent,
la prise d’un acte d’administration judiciaire1068 permettant au président du tribunal d’avoir
une certaine marge de manœuvre dans le déroulement de la procédure, qui s’avère être un «
argument de choc », permettant, à elle seule, de prendre une mesure sans la justifier telle que
la représentation des parties, l’attribution de l’assistance judiciaire ; la répartition des
magistrats entre les différents services, la distribution des affaires ; le traitement par
ordonnance ou par formation collégiale, la radiation, le retrait du rôle, la jonction et la
disjonction des affaires, la réouverture de l’instruction, etc. Cette lourde charge investit le
président de toutes les compétences normalement dévolues à un chef de personnel et à un chef
de service en prenant toutes les mesures nécessaires pour le bon fonctionnement de
l’administration placée sous ses ordres1069. Placé au sommet de la hiérarchie interne de la

1067
Organisation
Jean-Claude Thoenig, « Chapitre 9 : Organisation », in Collection Mention, Gestion et management
Commencez avec les meilleurs professeurs, Eyrolles, 2007, p. 197-219. L’ouvrage analyse avec une simplicité
dont seuls les auteurs en maitrisent le secret, les effets entrainant de la personnalité, touche personnelle et la
bonne organisation dans la qualité du management.
1068
Le concept français englobe au sens large trois différentes catégories d’actes : les actes de pure gestion
administrative, les actes d’organisation juridictionnelle et les actes de gestion procédurale qui visent
respectivement, au bon fonctionnement des juridictions et au bon déroulement de l’instance. Voir sur la question
l’étude comparative de R. Azambuja de Magalhães Pinto, Les actes d'administration judiciaire en droit
français et en droit brésilien Etude de procédure civile comparée, Thèse, Droit, Université Paris 1-Panthéon-
Sorbonne, 2017.
1069
P.-Olivier Parguel, Le président du tribunal administratif, Thèse, Droit, Université Lumière Lyon 2, 2005,
p. 25.

204
juridiction, il a le devoir de diriger et superviser toute son activité. À la fois superviseur des
investigations judiciaires, interlocuteur privilégié de la chancellerie, chef de la juridiction, son
rôle en tant que garant de la politique pénale donne une consistance spécifique à sa position
professionnelle.
Le Parquet en revanche, aura à sa tête le Procureur de la République ou le Procureur
Général selon qu'on est dans un Parquet d'instance ou Près la Cour. Il est le second membre de
la dyarchie. Poste avancé de la justice, lui seul peut en effet investir les territoires et avoir une
lecture globale des contentieux1070. A coté de ces autorités judiciaires, il convient de souligner
l’importance du greffe. Il réalise les taches administratives. Il est divisé en sections. Les
fonctionnaires de Greffe assurent selon leur catégorie, des fonctions de direction, conception
et contrôle ; des fonctions d'élaboration et d'application ; exercent les tâches d'exécution
spécialisées ou courantes1071. Le service du greffe de la juridiction à la tête duquel se trouve le
greffier en chef, matérialise la frontière entre le monde des requérants et celui de l’exercice de
la fonction juridictionnelle. De l’introduction de la requête, à sa notification aux parties, le
greffe de la juridiction prépare et collabore étroitement à l’élaboration de la décision
juridictionnelle1072. De cette analyse, s’élève un constat, le président du tribunal occupe la
place d’animateur au sein de la juridiction ; le procureur de la république chef du parquet, met
en mouvement l’action publique ; le greffier en chef représentant du greffe de la juridiction,
sont tous des managers1073. Désormais devenues indispensables, les qualités de gestionnaire
côtoient celles de juriste1074. Enfin le registre managérial, bien que partiel, fait bien partie
intégrante du management des juridictions camerounaises. L’esprit du serment judiciaire, les
obligations déontologiques et éthiques, le traitement des dossiers et la gestion des affaires
exige pour ces professionnels d’agir avec diligence et efficacité. La conversion managériale
de la justice, semble donc acquise et irréversible.

1070
Philip Milburn, Denis Salas, Les procureurs de la République : De la compétence personnelle à l’identité
collective, Mission de recherche Droit et Justice. 2007, p. 3 ; Voir aussi Marianne Cottin, Safa Bouabdallah,
Nathalie de Jong, Pascale Deumier, Olivier Gout, et al, Le parquet en matière civile, sociale et commerciale :
recensement des textes et étude empirique des activités non pénales du parquet, Rapport de recherche, Mission
de recherche Droit et Justice, 2011.
1071
Cf. Articles 1er et 2 du décret n° 81/264 du 8 juillet 1981 et décret n° 2013/202 du 28 juin 2013 précités.
1072
Dès la réception de la demande contentieuse, les services du greffe cotent et préparent le dossier au
magistrat chargé de l’instruction de celui-ci. Présent tout au long de la procédure, il est l’intermédiaire entre le
juge et les parties. De la même manière il assiste à l’audience et signe conjointement avec le président la minute
de la décision rendue.
1073
Voir J.-P. Vicentini, « Le management et l’action du parquet », in B. Frydman et E. Jeuland (dir.), Le
nouveau management de la justice et l’indépendance des juges, Op. Cit., p. 33.
1074
Nicolas d'Hervé, « La magistrature face au management judiciaire », Revue de science criminelle et de
droit pénal comparé, 2015/1 n° 1, pp 49-66. Article disponible en ligne à l'adresse :
https://www.cairn.info/revue-de-science-criminelle-et-de-droit-penalcompare-2015-1-page-49.htm.

205
201. L’augmentation prodigieuse de la demande judiciaire a révélé l’importance
grandissante de l’administration interne des juridictions. Dans la pratique, la division du
travail judiciaire et la spécialisation des taches dévolues aux membres de la dyarchie, les
missions du greffier en chef, font qu’en réalité, « la production judiciaire est une
coproduction »1075. En conséquence, la bonne administration de la production juridictionnelle
tant au sens procédural, qu’organisationnel, est subordonnée à la dynamique de
fonctionnement et d’organisation des cours et tribunaux définis par le système judiciaire.
C’est dire qu’au-delà de l’organisation administrative, des fonctions et attributions de chaque
organe, la qualité du management de la production juridictionnelle dépend cumulativement de
trois critères. Le premier concerne l’organisation du travail judiciaire. Les modalités
particulières de l'organisation du travail, plus que les caractéristiques individuelles de
magistrats, sont de nature à infléchir l'orientation donnée aux affaires et les solutions qui leur
sont effectivement apportées. Le mode d’organisation bicéphaliste (Président du tribunal et
Procureur de la république) voire tricéphaliste (Président du tribunal et Procureur de la
république et greffier en chef), confère à chaque professionnel, la fonction de contrôle ultime
de la qualité du travail accompli. En se penchant de plus près sur la question, il est possible de
déceler quatre attitudes, susceptibles d’être adoptées par les magistrats : résistance générale,
résistance technique, résignation et promotion.
La promotion renvoie à un changement dirigé, une solidarité active entre chefs de
juridiction : une gestion volontariste 1076 . Le management volontariste vise une meilleure
efficacité des services qu'une plus grande maîtrise du flux des affaires et de l'impact des
décisions rendues. Sa mise en œuvre s’accompagnera autant que nécessaire, de la concertation
et de l’action commune, des responsables du siège et du parquet. L’on a affaire ici, à une
gestion plus orientée sur les aspects organisationnels internes de l’activité du tribunal, animée
par la volonté de créer un cadre propice au travail et capable de restaurer l'image de la justice
autant auprès du personnel que dans l'esprit du justiciable, faciliter une coopération entre les
services et les personnes. Mais elles sont toutes aussi dirigées sur l'amélioration de l'action
judiciaire à l’égard des justiciables. L’engagement des responsables de la juridiction est et
reste le socle de la définition commune des priorités judiciaires et des moyens de les réaliser.
Ce management suppose une bonne entente et une collaboration entre le chef de la juridiction
et le chef du parquet.

1075
Nicolas d'Hervé, « La magistrature face au management judiciaire », Op. Cit.
1076
Werner Ackermann, Benoit Bastard, « La gestion du changement dans les tribunaux de grande instance :
une étude organisationnelle », Op. Cit, p. 306.

206
La résistance technique équivaut à une absence de concertation, à une gestion
d’opportunités et d’alliances. Elle porte la caractéristique d’un manque d’intérêt de la part de
l’autre responsable de juridiction et une absence de concertation sur les moyens d’améliorer
les modalités du travail judiciaire. Ce qui entraine le responsable soucieux d’une amélioration
de la gestion de la juridiction, notamment le juge du siège, à la mise en œuvre d’innovations
ponctuelles en fonction des opportunités d’action 1077 attachées aux fonctions dévolues au
responsable par la législation 1078 . La position générale de gestion dans cette attitude
contrairement à la première, se résume à se fier à la compétence et à la volonté du personnel
pour répondre aux tâches qui lui incombent dans chaque section. L'intervention du
responsable consistera à repérer les retards ou les insuffisances notoires et à y porter des
solutions de manière ponctuelle, sans vouloir ou sans pouvoir agir sur le fonctionnement de
l'ensemble.
Dans l’hypothèse de la résistance générale, les responsables de la juridiction «
regrettent de ne pas disposer des moyens suffisants pour assurer un traitement adéquat de
toutes les affaires. Ils regardent les réformes prônées par la Chancellerie en vue de la
simplification du travail avec un grand scepticisme »1079. C’est l’attitude qui génère le plus
d’inertie dans la conduite du travail judiciaire. Le travail au sein de la juridiction est
caractérisé certes, par une bonne entente, des relations fréquentes et cordiales entre les cadres
du tribunal. Leur bonne entente est fondée sur un large accord, l'appréciation des problèmes
qui se posent à eux. Toutefois, cet accord contraste avec leur immobilisme.
La résignation enfin, est une acceptation par défaut 1080 . Soucieux d’une procédure
judiciaire de qualité, dont les processus administratifs contribuent largement à améliorer la
qualité du service fourni, les magistrats et autres intervenants, n’ont d’autres possibilités que
d’adhérer au principe d’une meilleure articulation du travail judiciaire. Ces différents
comportements et attitudes s’observent au sein des juridictions camerounaises, principalement
en la personne des chefs des juridictions et parquets que l’on peut à juste titre considérer
comme des managers de la chose judiciaire. Le management ne peut être productif que si son
application est concertée entre l’ensemble des magistrats. Si la dyarchie est un avantage en ce
qu’il met en présence deux cadres, mais il peut aussi constituer un facteur d’immobilisme ou
1077
Ibid., p. 308.
1078
Lorsque le président du tribunal est partisan de l’amélioration significative du fonctionnement judiciaire, le
procureur de la République est exclusivement soucieux de la conduite de l'action publique et ne s'engage pas
dans la gestion de la juridiction, pas plus qu'il ne cherche à coopérer avec les partenaires de la justice. Voir
Nicolas d'Hervé, « La magistrature face au management judiciaire », Op. Cit, p. 54.
1079
Werner Ackermann, Benoit Bastard, « La gestion du changement dans les tribunaux de grande instance :
une étude organisationnelle », Op. Cit, p. 314.
1080
Nicolas d'Hervé, « La magistrature face au management judiciaire », Op. Cit, p. 54.

207
de réelle difficulté dans le fonctionnement de la juridiction. L’exigence de la qualité du
service fourni nécessite une certaine solidarité entre les diverses autorités impliquées dans le
fonctionnement de la justice. Ce qui implique la mise en place d’une chaine dans laquelle
chacun des acteurs judiciaires doit jouer sa partition en ayant à l’esprit « la cohérence de
l’ensemble »1081.

202. La qualité du management de la production juridictionnelle dépend également des


contraintes auxquelles font face les cadres de la juridiction. C’est le deuxième critère. Celles-
ci sont liées aux conditions dans lesquelles les fonctions sont exercées. Si les deux membres
de la dyarchie sont tous deux magistrats, le statut de l’un et l’autre ne sont guère identique. Le
juge n’a pour seule autorité que celle de la loi et de sa conscience. Le procureur de la
république chef du parquet, n’est pas indépendant. Le cordon ombilical qui le lie au ministre
de la justice fait de lui une autorité qui lui est subordonnée. Il faut aussi rappeler que les
modes et principes qui président à la désignation de chacun de ces magistrats n’est pas le
même. Il convient d’ajouter à ce registre des contraintes, l’origine des mesures de gestion.
Celle-ci n’est pas uniforme. Certaines découle de la règle de droit, pendant que d’autres
peuvent être le fait de l’administration centrale, d’autres encore initiées par les juridictions
lorsqu’il est réservé à la juridiction une certaine marge de manœuvre. S’il s’agit là en raison
du modèle de justice d’une particularité avec laquelle il faut composer, celle-ci ne doit pas
mettre en péril la cohérence qui doit exister entre la gestion des dossiers et la qualité de la
justice. En tant qu’organisation, les juridictions sont soumises à des contraintes ; elles sont
tant internes et qu’externes.

203. Le troisième critère à prendre en compte, c’est la personnalité des dirigeants. Les
résultats des tribunaux dépendront donc aussi, de la culture professionnelle et de la sensibilité
personnelle de chaque professionnel. Cela est connu et transposable dans l’ensemble des
disciplines. Pour être plus concret, un excellent magistrat, juge, ne fait pas forcément un
excellent manager. La demande de justice introduite par le plaignant ne se résume pas en une
intervention juridictionnelle. Elle doit également pouvoir s’appuyer sur un process permettant
à l’ensemble des parties et usagers de la justice de bénéficier d’un service public performant
et efficace 1082 . C’est la raison pour laquelle, la gestion et la bonne administration de nos

1081
Caroline Boyer-Capelle, « Gestion des dossiers et qualité de la justice administrative », Revue française
d'administration publique, 2016/3 n° 159, pp. 727-738.
1082
Le process ou processus est avant tout chose orienté vers le service public de la justice, mais il se situe aussi
à la frontière du juridictionnel. Son rôle : il sert de guide utile à la compréhension des procédures, du procès, du
circuit procédural, du travail de l’institution judiciaire dans son ensemble, du rôle de chacun dans le système
judiciaire ; il est conçu comme un outil de transparence, de cohérence et de lisibilité.

208
juridictions doivent être placées entre des mains de magistrats disposant de profil de manager.
C’est pourquoi dans une approche managériale de la justice, l’organisation et le pilotage
stratégique des juridictions sont essentiels. Le décret sur l’organisation administrative des
tribunaux au Cameroun place à leur tête le président du tribunal, qui en assure la gestion
administrative. C’est à lui que revient la charge de définir l’organisation interne de la
juridiction, notamment l’affectation dans les différents postes les ressources humaines mis à
sa disposition afin que le tribunal soit le plus efficient possible. Compte tenu des compétences
propres qu’il est susceptible d’exercer, un bon chef de juridiction doit d’abord être un bon
juge, mais un juge qui soit également gestionnaire1083. Pour y arriver, si la nomination de ce
personnage est basée sur la progression à l’ancienneté 1084 , l’équation personnelle de cette
autorité joue un rôle déterminant. Il est essentiel d’être légitime et respecté par ses collègues
dans l’exercice de la fonction juridictionnelle. Il doit notamment faire preuve de charisme, de
capacités d’administration et d’animation et avoir le sens de la décision, de l’organisation et
des relations, autant que des compétences juridiques éprouvées1085. Ce qui impose à la justice
camerounaise plus que jamais de se soumettre, et même de s’imposer un impératif de bonne
administration afin d’être en mesure de rendre des décisions de qualité. Une décision
juridictionnelle de qualité ne peut être rendue que lorsque l’environnement judiciaire s’y
prête 1086 . L’environnement judiciaire camerounais n’est pas exempte de reproches. Après
avoir mis en place la meilleure organisation possible pour produire les décisions, il est
important de surveiller attentivement les indicateurs de la juridiction. Il convient de veiller au
bon écoulement des dossiers dans les différentes chambres, sur le plan individuel, des dossiers
traités par chaque juge ou formation de jugement et Mettre sur pied une instance indépendante
de contrôle.

2. Le contrôle des juridictions

204. La confiance n’exclu pas la méfiance, a-t-on coutume de dire. De même


l’indépendance de l’organisation n’exclu pas le contrôle. Le sacro saint principe de la
séparation des pouvoirs au sein d’un Etat n’exige en aucun cas la soustraction des tribunaux
au contrôle. Ce dernier résulte de l’obligation pour les agents publics de rendre compte de leur

1083
Jean-Marc Sauvé, « Diriger une juridiction : perspectives comparées », Intervention, Conseil d’État, Mardi
20 juin 2017.
1084
Voir Articles 26 et suivants du Décret de 1995 portant statut de la magistrature.
1085
Jean-Marc Sauvé, « Diriger une juridiction : perspectives comparées », Op. Cit. L’auteur se fonde sur son
expérience de plus de 40 ans de carrière et près de 11 ans d’administration de la juridiction administrative pour
proposer les critères d’un bon chef de juridiction.
1086
H. Pauliat, « L’administration de la justice et la qualité des décisions de justice », in P. Mbongo (coord.),
La qualité des décisions de justice, Op. Cit., p. 122.

209
administration1087. Par ailleurs, le budget de la justice est financé par l’impôt. Enfin, la faculté
d’inspecter se rattache directement à celle d’administrer 1088 . Pour le dire autrement,
l’indépendance de la justice ne fait pas obstacle à l’existence d’une inspection des
juridictions, fût-elle placée auprès du ministre de la justice. Le principe d’indépendance de la
fonction de juger n’a pas vocation à soustraire les juridictions à l’obligation de « rendre
compte de son administration »1089. Seulement, le contrôle opéré ne doit pas avoir pour effet
de fragiliser d’avantage l’indépendance de l’autorité judiciaire. Véritable pierre angulaire du
new public management, le contrôle qualité vise généralement l’organisation et ses structures.
Le contrôle des processus ne touche ni au fond ni à la procédure. Il n’a pas vocation à être
sous le contrôle d’instances judiciaires mais davantage d’instances à caractère plus
administratif. Mais qui pour contrôler le respect des processus mis en place ? L’article 51090
du Décret de 2012 portant organisation du ministère de la justice confie la mission de contrôle
des services judiciaires et des juridictions à l’inspection générale des services judiciaires.

205. Certes, il serait farfelu de considérer le pouvoir judiciaire comme exclu de toute
procédure de contrôle1091, mais il existe une sérieuse question de fond qui mérite que l’on s’y
attarde. Ce pouvoir de contrôle est attribué à un corps d’inspection générale placé directement
auprès du ministre de la justice expression du pouvoir exécutif. Ce qui n’est nullement
respectueux du principe de l’indépendance de la justice. Le rédacteur du texte organique du
ministère de la justice, utilise l’expression généraliste de « contrôle interne et de l’évaluation
du fonctionnement des services centraux, des services judiciaires et des juridictions »1092. Ce

1087
Charles M. Du Vignaux et Mathias Nieps, « De la possible conciliation de l’inspection générale de la
justice et de l’indépendance des juridictions judiciaires », JP blog, le blog de Jus Politicum,
http://juspoliticum.com/la-revue, publié le 03 Juillet 2019.
1088
Jean-Jacques Urvoas, « L’inspection générale de la justice, au service du renforcement de l’efficacité des
juridictions et du système judiciaire », Le droit en débats, Dalloz-actualités, 13 janvier 2017. Disponible sur
https://www.dalloz-actualite.fr/printmail/chronique/l-inspection-generale-de-justice-au-service-du-renforcement-
de-l-efficacite-des-juridictio consulté le 03 janvier 2021.
1089
C.E. Avis d’Assemblée générale, 19 Janvier 2009 ; Jean-Jacques Urvoas, « L’inspection générale de la
justice, au service du renforcement de l’efficacité des juridictions et du système judiciaire », Op. Cit.
1090
Aux termes de ce texte « (1) Placé sous l’autorité d’un Inspecteur Général, l’Inspection Générale des
Services Judiciaires est chargée : Du contrôle interne et de l’évaluation du fonctionnement des services
centraux, des services judiciaires et des juridictions ; De l’information du Ministre, du Ministre Délégué et du
Secrétaire d’Etat sur la qualité du fonctionnement et du rendement des services judiciaires ; De l’évaluation de
l’application des techniques et méthodes d’organisation ainsi que de la simplification du travail administratif, en
liaison avec les services chargés de la réforme administrative ; De la mise en œuvre de la stratégie de lutte
contre la corruption au sein du Ministère ; De l’instruction des dossiers disciplinaires des Magistrats.
(2) Elle comprend outre l’Inspecteur Général des services judiciaires, huit (08) Inspecteurs, six (06) Contrôleurs
et un (01) Secrétaire des Missions, tous Magistrats ».
1091
Les prescriptions de l’article 15 de Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen impliquent en effet
une obligation de contrôle de l’accomplissement de la mission juridictionnelle en tant qu’elle est une mission
publique, tant d’un point de vue individuel (manière de “servir” d’un magistrat) que collectif (organisation des
juridictions).
1092
Article 5 al. 1 précité.

210
qui semble inclure dans le principe d’inspection administratif des juridictions, l’ensemble des
tribunaux de premier et de second degré et qui peut aller au delà, bien au-delà de ces deux
degrés pour s’étendre à la Cour suprême ou aux autres cours dites supérieures. Il faut
souligner avec regret, l’absence de disposition d’auto-contrôle dans la loi relative à
l’organisation et au fonctionnement de la Cour suprême. Celle-ci pourrait ainsi tomber sous le
champ de la compétence de l’inspection générale des services judiciaires. Ces préalables
posés, c’est en réalité le rattachement au garde des sceaux qui suscite méfiance. En effet,
l’auteur du décret camerounais relatif à l’organisation du ministère de la justice, comme un
fervent admirateur de son homologue français, semble résolu à suivre la même orientation, où
le dispositif de contrôle juridictionnel dès sa création en droit français, n’a jamais relevé de
l’autorité judiciaire. Ainsi, dès sa création par le décret n° 64-754 du 25 juillet 1964,
l’inspection des services judiciaires a été placée directement auprès du ministre de la Justice,
avec, pour missions traditionnelles, le contrôle du fonctionnement, les études thématiques et
enquêtes administratives pré-disciplinaires 1093 . La méfiance et l’incompréhension semblent
d’autant plus renforcées que les magistrats en service au ministère de la justice sont, y
compris ceux de l’organe administratif chargé du contrôle et de l’évaluation, assimilés aux
magistrats du parquet1094 et donc relèvent administrativement de la seule autorité du ministre
de la justice, duquel ils sont hiérarchiquement subordonnés1095. C’est dire que la question des
garanties statutaires des membres de l’inspection générale consiste le nœud du problème
(procédure de nomination, révocation, appartenance à la magistrature). L’on peut toutefois, se
féliciter que l’étendue des missions de l’inspection générale préserve tout au moins dans une
certaine mesure, l’indépendance de l’autorité judiciaire, car aucune ne peut porter sur l’acte de
juger. Ce qui serait revenu à mettre l’ensemble de l’administration de la justice sous le
contrôle du gouvernement.

206. Plus importante encore que les éléments attachés aux garanties statutaires, emerge la
question des missions confiées à l’inspection générale qui peuvent être réunies en trois
ensembles. Le premier vise le contrôle et l’évaluation du fonctionnement des services
judiciaires et des juridictions en considérant l’institution sur son versant collectif. Le
deuxième ensemble, concerne l’évaluation de l’application des techniques et méthodes
d’organisation ainsi que de la simplification du travail administratif en liaison avec les

1093
Jean-Jacques Urvoas, « L’inspection générale de la justice, au service du renforcement de l’efficacité des
juridictions et du système judiciaire », Op. Cit.
1094
Article 4 du Décret de 1995 portant statut de la magistrature.
1095
Article 3 Ibid.

211
services chargés de la réforme administrative qui évalue en d’autre termes, la manière de
servir des magistrats. Le troisième ensemble enfin, concerne l’information du Ministre, du
Ministre Délégué et du Secrétaire d’Etat sur la qualité du fonctionnement et du rendement des
services judiciaires, information qui reste orientées vers l’intérieur et de l’instruction des
dossiers disciplinaires des Magistrats. De quels magistrats s’agit-il ? De ceux du parquet ou
du siège, ou encore des deux ? Il est utile de rappeler que le Conseil Supérieur de la
Magistrature sert d’organe disciplinaire pour les magistrats du siège1096. Toutes ces missions
amènent à s’interroger sur la nature et la pertinence des indicateurs d’évaluation, les
procédures périodiques d’évaluation, l’exploitation faite des rapports d’évaluation et de la
remontée des informations recueillies, les objectifs de performance et de rendement sont-ils
définis 1097 sans mettre en danger la qualité des procédures, la justice camerounaise étant
toujours dans un mauvais état de santé, mieux en crise. Ce qui, plus généralement amène à
s’interroger sur les performances de cette inspection générale elle-même, censée être si l’on
tient compte de ses missions, le centre d’impulsion de la modernisation du service public de la
justice camerounaise, de l’amélioration de ses performances dans le traitement des affaires
notamment. Il y a donc lieu de relever que l’administration de la justice est traitée comme
n’importe quelle autre administration, ce qu’elle n’est pas1098. Ce dispositif comporte une part
de risque, puisque l’estimation de l’activité d’un magistrat fut-elle uniquement orientée vers le
process, sa manière de servir, peut aisément se confondre avec l’appréciation de la manière
dont il rend son jugement. Et là on se situe au cœur de la fonction juridictionnelle, dans
laquelle l’immixtion du pouvoir exécutif doit absolument être empêchée pour préserver
l’indépendance de l’office processuel du juge déjà fragilisée.
Placer le contrôle des organes chargés d’exercer le pouvoir judiciaire entre les mains
du ministre de la justice garde des sceaux, ce n’est rien d’autre que la traduction d’un
processus de renforcement de « la tutelle gouvernementale sur la justice, qui s’ajoute déjà au
protectorat constitutionnel du président de la République sur l’autorité judiciaire,
éminemment discutable dans son principe dès lors que le président de la République, loin

1096
Article 13 de loi n° 82-014 du 26 novembre 1982 fixant l’organisation et le fonctionnement du Conseil
Supérieur de la Magistrature.
1097
Par exemple, la réduction du temps des procès, du coût de traitement des affaires, la réduction du phénomène
de la détention provisoire à l’origine exception devenue principe, indicateurs chiffrés de mesure de la charge de
travail des magistrats, etc. Voir aussi utilement, Benoit Frydman, « L’évolution des critères et des modes de
contrôle de la qualité des décisions de justice », in Pascal Mbongo (coord.), La qualité des décisions de justice,
Op. Cit., p. 18 et suiv. spéc. p. 27-28.
1098
Cf. Loïc Cadiet, « Inspecter la justice : vous avez dit gouvernement des juges ? », in Procédures-Revue
mensuelle, LexisNexis Jurisclasseur - avril 2017, pp. 1-2.

212
d’être un arbitre au-dessus de la mêlée, est le détenteur du pouvoir exécutif suprême »1099.
C’est l’ensemble des tribunaux de l’ordre judiciaire qui devrait échapper aux missions
confiées à l’inspection générale de la justice. Ce qui soulève avec plus d’acuité encore,
notamment dans le système camerounais et les autres membres de l’OHADA, l’interrogation
suscitée par le Professeur Loïc Cadiet selon laquelle « Quand donc la société politique
sortira-t-elle donc de sa crainte fantasmatique, et archaïque, du « pouvoir » des juges, qui
n’est que celui de juger ? » 1100. La justice est tenue est par une laisse qu’il est temps de
débrider, car l’y maintenir n’est pas rendre service à l’Etat de droit1101. Au final, l’érection et
la conduite de missions de contrôle devrait non pas être des véhicules d’atteinte à
l’indépendance de la justice, mais plutôt un outil destiné au renforcement de l’efficacité des
juridictions et du système judiciaire, en participant à la crédibilité et de l’efficacité des
juridictions et du système de justice camerounais, qui mérite bien plus qu’un organe
administratif soumis au garde des sceaux. Ainsi on le voit bien, le processus d’amélioration de
la qualité de la justice par le court management soulève des questions importantes et délicates,
parmi lesquelles celle de l’autorité en charge du contrôle. Pour des raisons d’indépendance, on
conçoit mal qu’une telle charge soit confiée à un service dépendant du gouvernement ou du
pouvoir exécutif en général. Pour répondre au besoin d’une justice de qualité dont le préalable
constitue le droit à une bonne administration, il faut en plus d’organiser au mieux
l’administration de la justice, lui assurer un contrôle propice et adapté au service public de la
justice, en plus de répondre aux défis du management de ses ressources.

Paragraphe II. Le management des ressources allouées au système


207. Dans les sciences de gestion, la qualité est l’aptitude d’un ensemble de caractéristiques
intrinsèques à satisfaire des exigences (ISO 9000 2005). En d’autres termes, c’est l’aptitude à
satisfaire des besoins exprimés ou implicites ou à rendre le service attendu : « il incombe à
ceux qui conçoivent et réalisent un produit d’identifier les exigences nécessaires pour l’usage
ou le service rendu »1102. Dans le cas spécifique de la justice, le besoin de justice reste la
quête essentielle du justiciable qui choisit à un moment donné lorsqu’il estime que ses droits
ont été violés de saisir le juge. Pour parvenir à cet objectif intrinsèque de qualité, il convient
dans la logique d’une bonne administration de la justice, de mettre en place des processus1103.

1099
Ibid.
1100
Ibid.
1101
Ibid.
1102
B. Froman, Du manuel qualité au manuel du management, éd. Afnor, 2013.
1103
Un résultat escompté est atteint de façon plus efficiente, lorsque les ressources et activités afférentes sont
gérées comme un processus.

213
Processus dont la mise en place nécessite de disposer des ressources. Et pour cela, la qualité
du personnel judiciaire est un des éléments très importants dont dépend la gestion des
procédures et des juridictions. Pour être en mesure de remplir ses missions, garantir un droit à
la justice à tous, atteindre ses objectifs de production juridictionnelle, les juridictions doivent
disposer d’une logistique (A) adaptée à la particularité de ses missions. Bien au-delà de la
logistique mise à disposition, la charge de travail (B) du magistrat camerounais pourrait
justifier une performance dégradée.

A. La logistique judiciaire camerounaise

208. La justice, comme toute autre organisation a besoin de moyens logistiques pour
fonctionner. Celle-ci conditionne d’une certaine manière ses résultats. Il s’agit essentiellement
des ressources humaines (1) et des ressources financières et matérielles (2).

1. Les ressources humaines

209. Fonction vitale au sein de toute organisation et donc applicable à la justice, la fonction
RH est « une fonction support »1104 dont la mission essentielle est d’assurer au service public
de la justice, la disponibilité des individus nécessaires en termes de nombre ou d’effectif (b),
de compétences (a) et d’implication, pour atteindre ses objectifs.

a. La compétence technique du juge

210. Si la compétence est la fonction attribuée à un organe, à une autorité publique ou


encore à une institution créée par la loi, de l’idée du juge l’on retiendra la délicate mission de
juger, d’exercer « un office processuel ». Ce qui fait du procès, le milieu naturel du juge1105.
Autorité judiciaire, il arbitre les conflits entre particulier ou groupes sociaux tout en respectant
le droit de chacun. « Homme de cabinet »1106, il s’agit là des missions traditionnelles qui ont
toujours été dévolues au juge et qu’il semble tant bien que mal, remplir. A ces fonctions, se
sont juxtaposées les « fonctions de l’homme d’action et de décision »1107. « L’explosion du
rôle du juge » voilà selon Girard Pâquerette1108, le titre qui pourrait désormais être attribué à
l’extension des domaines d’interventions du juge. Originellement, il est confié au juge, une
mission unique, celle de dire le droit. Mission qui, dans la tradition juridique de laquelle

1104
Fabienne Autier, Sylvie Roussillon, « Gestion des ressources humaines », in Collection Mention, Gestion
et Management Commencez avec les meilleurs professeurs, Op. Cit, p. 173.
1105
Michèle Giannotti et Anne José Mourier, « L’agenda du magistrat », in Pouvoirs 16, 1981, p. 120.
1106
Ibid.
1107
Ibid.
1108
Girard Pâquerette (2001), « L’évolution du rôle du juge », in Les Cahiers de droit, 42(3), 361-371.

214
s’inspire le droit applicable au Cameroun, le juge est décri comme un rouage accomplissant,
dans ses décisions individuelles, les plans dressés par le législateur. De son intervention
ponctuelle, les maximes telles que « les parties sont maitres du procès », ou « le juge ne peut
statuer ultra petita » sont l’illustration de cette conception. Son rôle de « bouche de la loi »
auquel le cantonnait Montesquieu, s’estompe progressivement par l’émergence d’un « office
jurisprudentiel » 1109 . Aux domaines traditionnels du droit : pénal, civil et commercial, la
fonction de juger a connu de sérieuses mutations au point de faire du juge, « l’homme à tout
faire, l’homme miraculeusement protecteur de tous les domaines sensibles »1110. Désormais
plus inquisitoriale, la mission du juge est devenue d’abord protectrice, puis gestionnaire1111.
L’exemple qui illustre au mieux cette évolution, c’est le juge-gestionnaire civil en matière
économique. Il lui est demandé de gérer des situations de crise économique (redressement
économique, de liquidation d’une entreprise, d’apurement du passif) ou sociale (cas des
conflits de travail ou plan social de l’entreprise), les difficultés des entreprises. Enfin,
l’évolution de la mission du juge répressif s’est consolidée avec le développement de la
pénalisation de la vie économique (émergence d’un droit pénal des affaires, droit pénal du
travail). Les manquements aux droits économiques font désormais l’objet de sanctions
pénales, dont la récente évolution du droit répressif camerounais vers la responsabilité pénale
des personnes morales mérite amplement d’être soulignée1112.
Nous sommes donc là, très loin de la définition d’origine du rôle du juge. Si cette
évolution est plus que compatible avec la désormais érection du judiciaire en pouvoir
constitutionnel, le juge camerounais est-il réellement préparé à ces missions ? La réponse par
l’affirmative serait hasardeuse. En dehors de quelques éclats comme au Sénégal, au
Cameroun où le juge administratif a dès l’indépendance, obligé l’administration à se
conformer au droit applicable en annulant pour excès de pouvoir les actes administratifs qui
lui sont déférés ; de la hardiesse de la Cour constitutionnelle du Niger et celle du Sénégal1113,
la fonction juridictionnelle correspond pour l’essentiel à la dimension classique du juge1114.
Les décisions du juge en droit privé et commercial sont de plus en plus remises en cause. Il
apparaît en effet que le traitement des litiges commerciaux n'est guère apprécié et manque de
1109
« Dire le droit d’une manière explicite en tenant compte de ce qui a été décidé précédemment par les autres
juges nationaux », régionaux, ou internationaux. L’expression est d’Antoine Garapon et al, La prudence et
l’autorité L’office du juge au XXIe siècle, Op. Cit., p. 20.
1110
Girard Pâquerette (2001), « L’évolution du rôle du juge », Op. Cit.
1111
Ibid. p. 365.
1112
Voir Articles 74 et suivants du Code pénal et dispositions de l’Acte uniforme sur les sociétés commerciales
et groupement d’intérêt économique relatives à la responsabilité des personnes morales.
1113
Voir Cheikh N’diaye (2001), « L’évolution du rôle des juges dans le développement des systèmes juridiques
africains », in Les Cahiers de droit, 42(3), 379-388.
1114
Ibid.

215
crédibilité. Les milieux économiques estiment en premier lieu que les litiges dans le domaine
du droit des affaires traînent au tribunal ou subissent une application différentielle du droit
OHADA. Si les critiques dont fait l’objet certains magistrats en raison de leurs décisions
semblent prendre racine dans l’exigence de compétence technique, il ne faut également pas
perdre de vue que le magistrat est le produit d’un système, qui parfois n’a pas le choix de faire
autrement 1115 . La déficience du magistrat trouve sa source dans la qualité du système
judiciaire mis en place1116. La limite ou une injustice constatée dans un acte juridictionnel
peut résulter aussi bien des lacunes personnelles de l’officier de justice ou d’une action à lui
intimée à l’origine d’un maillon dont la position dans la chaine judiciaire serait plus élevée
que celle du juge querellé1117. L’aspiration à mener une carrière prometteuse au sein de la
magistrature, peut conduire le juge à remettre en cause l’application correcte de la règle de
droit, si l’impétrant estime que celle-ci pourrait avoir une quelconque influence positive ou
négative sur l’évolution de sa carrière1118. La mauvaise appréciation du juge de la fonction
économique des tribunaux1119 occasionne d'importantes pertes de ressources qui auraient pu
être réinvesties ailleurs. Du point de vue des économistes et des membres du secteur privé,
l’administration de la justice en l’état actuel est un élément important de ralentissement de la
justice et un sérieux obstacle à l’investissement1120. Selon la banque mondiale, « Le manque
de transparence de l’administration de la justice » est une entrave « à la capacité [d’un Etat]
à attirer les investisseurs étrangers. Par exemple, de nombreux entrepreneurs estiment que
les lois sont appliquées injustement ; que les juges n'ont pas d'expérience en matière de droit
des sociétés et autres questions économiques! Les procédures des tribunaux sont longues et
coûteuses et que les décisions de justice sont imprévisibles et arbitraires » 1121 . La vision
globale de l’état de la justice présentée ici est celle généralement partagée par les
chancelleries occidentales présentes dans l’espace OHADA1122. La convenance des juges à

1115
Matthieu Tankeu, L’administration de la justice au Cameroun Vers un dépassement de la colonialité, Op.
Cit. p. 17.
1116
A. Badara Fall, « Les menaces internes à l’indépendance de la justice », in L’indépendance de la justice,
Actes congrès de l’AHJUCAF, Op. Cit., p. 43-76.
1117
Les actions diffuses comme celles de la Chancellerie, du Conseil supérieur de la magistrature, dans un
quelconque dossier sont généralement moins perceptibles dans la procedure contrairement à celles des officiers
de police judiciaire, des huissiers de justice, avocats visibles, car versés dans le dossier, ou à l’occasion des
débats.
1118
A. Badara Fall, « Les menaces internes à l’indépendance de la justice », Op. Cit., p. 62.
1119
Garanties apportée par les tribunaux ordinaires aux échanges. Ces dernières constituent le point de liaison
entre le droit et l’économie. Voir E. Serverin, « La fonction économique des tribunaux », Economie et
institutions, 4, 2004, pp. 97-127.
1120
Demba Sy, « La condition de juge en Afrique : l’exemple du Sénégal », Op. Cit, p. 364.
1121
V. Banque mondiale : « Le Sénégal et le défi de la mondialisation », 1998.
1122
Voir l’intervention de l'ambassadeur des Etats-Unis le 10 février 1998 sur le thème : « Amélioration de
l'environnement pour le secteur privé au Sénégal », annexée aux « Recommandations... ».

216
leur destination est la condition nécessaire de leur légitimité1123. La compétence du juge ne
semble plus convenir à ses missions. Pour garantir l’une et l’autre, les représentations
savantes et populaires du droit ont, depuis le Moyen Âge, inclue des références à la
conformité des juges à certains standards de bonne justice. Celui qui s’attache aux fonctions
de l’administration de la justice, pour s’acquitter pleinement de son devoir, doit joindre des
« qualités de cœur » et des « qualités d’esprit »1124. Les Juges doivent savoir par nécessité et
pratiquer par devoir1125. Dit autrement, l’officier de justice doit faire preuve de « compétence
technique »1126. Complétant les exigences de l’article 6§1 de la convention européenne des
droits de l’homme, qui se borne à poser des exigences en terme d’indépendance et
d’impartialité des juges, l'article 14 du Pacte des droits civils et politiques1127 exige en premier
du juge sa « compétence ». Pour le Conseil de l’Europe, cette compétence est le troisième
devoir du juge, aux côtés de son indépendance et de son impartialité. Elle constitue d’ailleurs
tant un devoir qu’un droit pour le juge1128 . Ces trois exigences sont complémentaires : la
connaissance et la maîtrise des règles de droit substantiel et de procédure, en permet une
application plus neutre à tous, de façon égalitaire.

211. Le juge africain en général et camerounais spécifiquement, fait donc face à de


nouveaux défis. Trois phénomènes convergents, sinon cumulatifs, contribuent à la prise en
compte de ce changement. La prééminence croissante de la logique économique est le premier
facteur. Le deuxième et non le moindre, c’est la certitude d’une perte d’influence de l’autorité
politique ou du moins l’incapacité relatives des institutions étatiques à peser de manière
durable et efficace sur le cours des échanges et de la répartition des biens et des richesses.
Enfin, la mondialisation qui, avec la large diffusion dont elle bénéficie, malgré le flou
conceptuel qui la caractérise, « met en évidence, de manière spectaculaire, l’étonnant hiatus
entre les activités économiques qui se développent sur une échelle régionale, voire mondiale,

1123
J. Renaud Colson, La fonction de juger Etude historique et positive, Thèse, Op. Cit. p. 99.
1124
Voir L. Mayali « Entre idéal de justice et faiblesse humaine : le juge prévaricateur en droit savant », in
Justice et justiciables, Mélanges à Henri Vidal, Montpellier, Faculté de droit, 1994, p. 91 et s. spéc. p. 102.
1125
« Avertissement » à l’ouvrage sur Les qualités nécessaires à un juge, avec la résolution des questions les
plus importantes sur les devoirs de la profession, Lyon, 1699 (Extrait).
1126
V. Martin Bleou, « Quel service public de la justice en Afrique francophone ? Constat, interrogations et
suggestions », in F. Houquerbie (dir.), Quel service public de la justice en Afrique francophone ?, Bruylant,
2013, pp. 11-16.
1127
Selon l’Article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Onu, 16 décembre 1966) ,
(….) Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal
compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en
matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (nos
soulignés).
1128
Voir E. Jeuland (dir.), La prise en compte de la notion de qualité dans la mesure de la performance
judiciaire. La qualité : une notion relationnelle, Département de recherche sur la justice et le procès de l’IRJS,
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne Juin 2015, p. 106.

217
et des réglementations juridiques, qui demeurent rattachées, pour une large part, à l’empire
et au territoire de l’Etat-nation » 1129 . A cet égard, au fur et mesure que le droit se
complexifie, la justice devient elle-même plus complexe, exigeant du juge un savoir
encyclopédique. Il est de plus en plus reproché aux juges dans de nombreux systèmes
juridiques, – le Cameroun ne faisant pas exception – la faiblesse de leurs connaissances des
affaires, des finances, du droit commercial en général et du droit économique en particulier.
Les décisions seraient en décalage par rapport aux réalités économiques1130. Chaque année, le
juge national, juge de droit commun OHADA, est saisi de milliers de litiges qui requièrent
l’application du droit uniforme et l’espace africain est de plus en plus embrasé par le
1131
développement de plusieurs droits dit communautaires . Le droit des affaires
s’internationalise et se complexifie d’avantage chaque jour entrainant avec lui, la méfiance
entre les milieux d’affaires et le monde juridique et judiciaire 1132 . Par delà les affaires
hautement médiatisées, l’une des questions constante est celle du juge, de sa formation et de
sa spécialisation. Car pour trancher les litiges du monde des affaires, le juge a à la fois toutes
les qualités et tous les défauts1133. Indépendant, il devrait présenter les garanties d’impartialité
qui s’imposent lorsque l’on doit arbitrer entre des intérêts puissants, mais son éloignement de
la chose économique1134, son ignorance même, le rend parfois suspect de ne pas appréhender
toutes les subtilités des affaires qui lui sont soumises. Juriste, sa connaissance des différents
domaines du droit lui permet d’affronter la complexité des dossiers, mais il lui est

1129
Benoit Frydman, « Les nouveaux rapports entre droit et économie : trois hypothèses concurrentes », in
Thierry Kirat et Evelyne Serverin (dir.), Le droit dans l’action économique, Paris, CNRS éditions, 2000 ; Voir
aussi, Anne-Marie Frison-Roche, « Le versant juridique de la mondialisation », in Revue des deux mondes,
Etudes et Réflexion, 1997, pp. 45-53 ; Arlette Martin-Serf, « La mondialisation des instruments juridiques », in
La mondialisation du droit, p. 179-205, spéc. p. 179-180 : « Les instruments juridiques subissent ainsi une
modélisation ou une standardisation dans la version anglo-saxonne qui est une sorte de sélection naturelle des
instruments les plus performants, ces derniers supplantant les autres avant de les éliminer ».
1130
Demba Sy, « La condition de juge en Afrique : l’exemple du Sénégal », Op. Cit, p. 365.
1131
A titre d’illustration, l’ensemble des Etats parties au traité de Port-Louis en fonction de sa localisation en
Afrique est membre des Communautés économiques suivantes : l’OHADA, La CEMAC, la CEEAC,
l’UEMOA, la CEDEAO, chacune disposant de règles propres et de juridictions chargées d’appliquer les règles
secrétées par chacun des systèmes de droit.
1132
Cf. Bertrand Warusfel, « Le droit économique et ses juges », in Rue Saint Guillaume n° 152, Dossier,
Octobre 2008, pp. 24-27.
1133
Ibid.
1134
« La science économique n’est certes pas une science exacte ; ce n’est pas une science occulte ». Voir les
Conclusions de l’avocat général Lagrange sous l’arrêt de la Cour du 16 juillet 1956, Fédération charbonnière de
Belgique/Haute Autorité, 8/55, Rec. p. 231, p. 284 ; Par ces mots adressés aux juges qui devaient trancher l’une
des premières affaires dont la Cour de justice Belge ait eu à connaître, l’avocat général Lagrange soulignait ce
que l’économie peut avoir d’incertain, mais également ce qu’elle peut avoir d’ordinaire. Il invitait à l’occasion
ces juges à considérer l’économie comme un outil somme toute assez banal du point de vue de l’application du
droit.

218
régulièrement reproché de ne pas avoir une approche suffisamment pragmatique des enjeux
financiers ou sociaux1135.

Savoir juger c’est connaitre le droit, mais aussi comprendre le contexte économique et
social dans lequel s’est noué le litige et dans lequel sera reçu le jugement. « Juger c’est
trancher en situation, en même temps qu’agir sur une situation » 1136 . Aussi, savoir juger
suppose deux choses : connaitre le droit et comprendre la société1137. Il ne suffit donc plus de
savoir quel est le juge compétent, quel est le droit applicable, le droit OHADA et
l’organisation judiciaire des Etats membres ayant parfaitement résolu ce problème, mais sur la
façon dont le juge saisi va intervenir et rendre la justice. Pour le Vice-président d’un Tribunal
d’instance français de l’ouest1138, le bon magistrat est défini en référence à la qualité de la
justice. A cet effet, le bon magistrat désigne celui qui est rigoureux, c’est-à-dire qui respecte
la règle de droit, tout en s’inscrivant dans un environnement social, économique et humain (en
particulier en ce qui concerne les décisions du Tribunal d’instance). Un bon magistrat est celui
qui parvient à appliquer le droit avec suffisamment de souplesse pour s’adapter à la réalité. Le
taux de recours en est un bon indicateur. Là réside l’importance des enjeux de qualité d’esprit
et de cœur exigées du magistrat. Il est donc nécessaire que les magistrats se donnent les
moyens de la réception du raisonnement économique et d’une bonne connaissance du monde
des entreprises, pour éviter un mal jugé, des erreurs judiciaires. Et l’exigence dépasse le seul
stade de la formation initiale pour s’étendre à la formation continue tout au long de la carrière
en fonctions des diverses affectations1139. Le juge n’est plus seulement le censeur à qui l’on a
confié la tâche de dire le droit, il est dorénavant plus que cela. C’est un gestionnaire des
situations collectives et individuelles qui requerront de lui bien d’autres qualités que celles de
juriste1140. Le juge camerounais est par conséquent obliger de s’adapter à l’évolution ou de

1135
Bertrand Warusfel, « Le droit économique et ses juges », Op. Cit.
1136
Guy Canivet, « Au nom de qui, au nom de quoi jugent les juges ? De la gouvernance démocratique de la
justice », Après demain, 2010/3, n° 15, pp. 3-7. Pour juger un contentieux simple de la vie quotidienne, le juge
ne peut s’affranchir de la connaissance du droit. Pour le corps judiciaire, la connaissance du droit concerne aussi
bien le droit matériel que la méthode de jugement, la connaissance de la loi, que le savoir pour l’appliquer. Le
jugement suppose un savoir-faire que le brillant magistrat français qualifie de « tour de main » qui permet de
distinguer le bon professionnel. Le posséder nécessite formation, transmission, expérience, assistance,
conservation, perfectionnement.
1137
Guy Canivet, « Au nom de qui, au nom de quoi jugent les juges ? De la gouvernance démocratique de la
justice », Op. Cit. ; Voir aussi, D. Salas, « Le juge aujourd’hui », Droits, n° 34, 2002, p. 61-71 ; Philippe
Coppens, « La fonction du droit dans une économie globalisée », Revue internationale de droit économique, Op.
Cit, Bertrand Warusfel, « Le droit économique et ses juges », in Rue Saint Guillaume n° 152, Dossier, Op. Cit.
1138
E. Jeuland (dir.), La prise en compte de la notion de qualité dans la mesure de la performance judiciaire.
La qualité : une notion relationnelle, Op. Cit. p. 35.
1139
Voir Eric Balate et Sévérine Menétrey, « Des magistratures économiques à la régulation judiciaire »,
Revue internationale de droit économique, 2013/4 t. XXVII, pp.533-543.
1140
Demba Sy, « La condition de juge en Afrique : l’exemple du Sénégal », Op. Cit, p. 372.

219
déposer « sa robe ». Sur un tout autre plan, le souci des investisseurs étrangers est de ne
placer leurs avoirs que dans des Etas où le système judiciaire est fiable. Que vaut l’efficacité
de l’action du juge si le droit est mal compris, mal appliqué, pas grand-chose.

212. La manière de rendre justice influe sur l’engouement des acteurs économiques à
investir d’une part et le citoyen à solliciter un juge qu’il pense incompétent à protéger ses
intérêts. La sécurité juridique dépend aussi de la manière dont est rendue la justice, le droit
appliqué. Dans un contexte où la mondialisation a changé le visage des échanges et la manière
de faire les affaires, le droit économique prend de l’ampleur, les opérateurs économiques sont
régulièrement déçus de ne pas obtenir de la justice Etatique dans l’espace OHADA, des
décisions pertinentes auxquelles ils peuvent s’entendre. Le justiciables de cet espace porte un
jugement sévère à l’endroit de son juge et de l’institution qu’il représente. La formation du
juge africain sans cesse critiquée, remet sur la table la question de la bonne manipulation des
outils face aux nouveaux défis auxquels est confrontée la justice africaine.

213. Nombreuses sont les appréciations qui sont portées sur le fonctionnement et
l’administration de la justice. Celles-ci sont loin d’être élogieuses1141. La justice semble en
« panne »1142. Si la qualité de la justice impose une réflexion sur la qualité du système, sur le
plan processuel, la qualité du système se ramène à celle du procès, aux qualifications du juge.
La justice étatique se doit donc de satisfaire à des principes qualitatifs qui pourraient justifier
jusqu’ici, l’absence de confiance des citoyens qui la caractérise. Certes, le justiciable a droit à
un « bon juge ». Cependant, l’expression semble pour nous assez réductive. Il faudrait plutôt
parler de droit à un « bon » professionnel de la justice ou à un professionnel compétent. Des
termes de l’article 5 alinéa 5 de loi du 19 décembre 1990 portant organisation de la profession
d’avocat au Cameroun, l’exercice de la profession d’avocat, est subordonnée entre autres
conditions, à la production d’un certificat d’aptitude à la profession d’avocat. Le texte
organique ajoute par ailleurs que, « l’avocat a le monopole de la représentation des parties
devant les juridictions » 1143 . C'est en s'appuyant largement sur « le paradigme d'une
présomption de compétence » 1144 que les ordres professionnels réclament le monopole des
services juridiques qu'ils offrent au public. Mais il faut souligner avec regret au passage que,
1141
Les tares des appareils judiciaires africains sont connues : lourdeur, lenteur aussi bien dans le rendu de la
justice que dans l’exécution juridictionnel qui en résulte. La liste est très loin d’être exhaustive. Une des réponses
possibles à apporter à cette ‘’panne’’ de la justice serait de s’essayer à une nouvelle conceptualisation de la
bonne administration de la justice qui prenne en compte les données du milieu.
1142
Demba Sy, « La condition de juge en Afrique : l’exemple du Sénégal », Op. Cit.
1143
Article 2 de la loi du 19 Décembre 1990 portant organisation de la profession d’avocat.
1144
L’expression a été empruntée au professeur R. Laperrière, « L'éthique et la responsabilité professionnelle
des juristes en matière de compétence », (1995) 33 Alta L Rev. 882, 884.

220
la recension des dispositions du texte organique de la profession d’avocat et mêmes des autres
auxiliaires et officiers publics, permet de constater, sur le plan qualitatif, que peu d'entre elles,
sinon pas du tout, ne traitent de la compétence de leurs membres en tant que professionnels du
droit. Compétence envisagée ici, non comme équivalente à la compétence territoriale, mais
plutôt sous l’angle de la qualité des connaissances juridiques de l'avocat et de sa capacité
intellectuelle à les appliquer à une situation concrète. Selon certains ténors du barreau
camerounais, la formation dispensée, essentiellement fondée sur le stage reste incomplète,
particulièrement lorsque les maîtres de stage n’ont pas le temps de s’occuper de leurs
stagiaires. Avant d'accepter un mandat, l'avocat doit tenir compte de ses connaissances, de ses
aptitudes et des moyens dont il dispose. Il ne doit pas en l’occurrence entreprendre ou
continuer un mandat pour lequel il n'est pas suffisamment préparé sans obtenir l'aide
nécessaire1145.

Malgré l'existence d'un cadre institutionnel qui établit des structures1146 permettant de
contrôler la compétence des avocats, il est très peu fait état de décisions, ou pas du tout,
rendues par le Comité de discipline du Barreau qui font état de la possibilité de sanctionner
une conduite contraire aux normes élémentaires de connaissances juridiques. Or la
performance du juge et l’excellence de cet officier de justice en particulier n’est pas réductible
à une simple efficace application des règles de procédure, de la discipline et de l’organisation
de l’institution, il faut encore que soit garantie, la compétence et une bonne manipulation des
outils. Un droit au recours effectif présuppose en effet, des juges, des juristes dotés des
qualifications nécessaires. Dans l’espace délimité par les règles procédurales, le magistrat
occupe une place cruciale exigeant « intégrité, honnêteté, courage, diligence et discernement
»1147. Ces valeurs constituent autant de qualités subjectives dont la doctrine du bas Moyen
Âge s’était déjà érigée en défenseure1148. Les juristes du moyen âge avaient déjà compris la
place de la compétence de l’officier de justice. Ceux-ci considéraient à juste titre la pureté
des intentions du magistrat comme étant le premier de ses devoirs. Toutefois, si la corruption
des juges est à lui seul l’écueil qui menace l’exercice de la justice, l’incompétence peut
également lui être fatal. Ce qui conduit à requérir des juges, une aptitude particulière à
1145
Eve-Marie Arbour citant les dispositions de l’Article 3.01.01 du Code de déontologie des avocats du
barreau du Québec.
1146
Suivi des professions judiciaires par le ministère de la justice et dans les différentes Cours d’Appel, Barreau.
1147
L. Mayali, « Entre idéal de justice et faiblesse humaine : le juge prévaricateur en droit savant », Op. Cit. p.
96.
1148
Pour une ébauche de problématique sur ces questions, V. C. Delprat, « Magistrat idéal, magistrat ordinaire
selon La Roche-Flavin : les écarts entre un idéal et des attitudes », in J. Poumarède et J. Thomas (dir.), Les
parlements de province. Pouvoirs, justice et société du XVe au XVIIe siècle, Toulouse, Framespa, 1996, pp. 707
et suiv.

221
résoudre les différends et autres professionnels de la justice compétence. En son acception la
plus large, l'incompétence comprend notamment la fraude, la négligence, l'erreur, le manque
de connaissances générales, l'exécution fautive momentanée et la pratique du droit avec
facultés affaiblies1149. Il est tout à fait normal et justifié que le justiciable se refuse de voir
cette tâche exercée par « ceux qui n’ont pas encore l’esprit formé, ou qui sont malades des
maladies de l’esprit »1150, et réclament des professionnels de la chose judiciaire, qu’ils aient,
un savoir-faire propre à leur fonction. Autant de qualité dont l’absence, si elle nuit à l’exercice
de la justice, doit pouvoir déboucher sur la responsabilité du professionnel. La compétence
technique devient ainsi, tout comme l’effectif, un instrument d’objectivisation de
l’administration de la justice.

b. L’effectif du personnel judiciaire

214. Nul doute que les préoccupations de gestion sont omniprésentes aujourd’hui dans
l’institution judiciaire camerounaise. Le principe selon lequel l’institution judiciaire comme
les autres administrations publiques doive s’orienter vers le processus d’un service de qualité
n’est plus guère mise en doute au nom de la spécificité de la justice 1151 . Cependant, les
modalités de cette réalisation semblent faire face à des écueils. Cela est vrai en matière
judiciaire comme en toute autre matière, la disposition d’un personnel en quantité suffisante
est une donnée importante pour toute organisation. La ressource humaine est l’une des clefs
de la réalisation des missions d’une institution. La justice camerounaise ne semble pas mal
lotie non plus, mais son effectif numérique global est encore jugé insuffisant. Selon les
statistiques du Ministère de la justice produits en 2004-2005, à la date du 30 septembre 2005,
on dénombre au Cameroun 850 magistrats, 1351 avocats1152, 37 notaires, 315 huissiers, 1230
greffiers, 37 agents d’affaires, 24 agents d’exécution et 415 agents et autres fonctionnaires ;
ce qui fait un magistrat pour 18 000 habitants, un avocat pour 11 000, un notaire pour 406 000
et un huissier pour 48 000. Si ces chiffres ont changé depuis lors, la situation numérique de

1149
Marie-Eve Arbour, « Réflexions portant sur le contrôle de la compétence professionnelle des membres du
Barreau du Québec », Op. Cit. p. 1067.
1150
J. Renaud Colson, La fonction de juger Etude historique et positive, Thèse, Op. Cit.
1151
W. Ackermann, B. Bastard, « Efficacité et gestion dans l’institution judiciaire », Revue interdisciplinaire
d’études juridiques, 1988/1 Vol. 20, pp. 19-48. L’institution judiciaire a longtemps bénéficié d’une exception
qui lui a valu d’être à l’abri de la logique managériale : celle d’être un service public pas comme les autres. Cette
singularité de la justice s’est construite autour quatre caractéristiques majeures : l’autonomie et l’indépendance
des magistrats, le statut particulier du droit ; la qualité de la justice ou « l’éloge de la lenteur » et enfin,
l’incapacité à penser l’institution judiciaire comme une organisation. C. Vigour, « Justice : l’introduction d’une
rationalité managériale comme euphémisation des enjeux politiques », Op. Cit.
1152
Au bénéfice de l’examen d’entrée en stage d’avocat de 2008 et de fin de stage de mars 2011 et après, il y a
actuellement plus de 1700 avocats.

222
ces ressources humaines judiciaires, dans l’ensemble reste insuffisante. Les besoins en
personnel exprimés en 2005 par l’ensemble des juridictions pour l’amélioration du rendement
s’élèvent à 103 magistrats, 541 greffiers, 132 agents contractuels et 214 agents décisionnaires,
soit au total 990 personnes. Ces besoins se chiffrent à 177 personnes pour Yaoundé et Douala
soit 43 magistrats, 92 greffiers, 23 agents contractuels et 19 agents décisionnaires 1153 . Si
d’énormes efforts sont faits en ce sens, il reste à faire en matière de renforcement des
capacités humaines pour une justice étatique mieux assurée. Le secteur de la justice souffre
d’un manque quantitatif de ressources humaines, que nous nous garderons de qualifier de
chronique 1154 . Il y a deux grandes catégories de personnel dans les juridictions chargés
d’animer le service public de la justice : le personnel magistrat et le personnel non magistrat.
La catégorie du personnel magistrat regroupe essentiellement les magistrats du siège et ceux
du parquet. Le service public de la justice fonctionne avec un personnel magistrat en effectif
réduit et les heures et les journées de travail ne sont pas extensibles. En outre, il a été constaté
que le recrutement chaque année des auditeurs de justice excède difficilement quarante. Le
nombre de places offertes à l’ENAM oscille généralement entre trente et quarante ; le retard
de l’intégration des nouvelles promotions des auditeurs de justice qui prends parfois trois à
quatre ans pour être effective, qui dans l’idéal, permet d’assurer en terme d’effectif, le
remplacement des magistrats atteints par l’âge pour faire valoir leurs droits à la retraite.

215. Outre les personnels magistrats déjà cités, il y a d’autres personnels qui concourent à
l’œuvre de justice. Ce sont d’une part, les fonctionnaires du greffe et d’autre part, les
auxiliaires de justice, avocats, notaires, huissiers de justice. L’effectif numérique des greffiers
paraît lui aussi insuffisant au regard du volume de travail à accomplir. Auxiliaires de justice
chargés d’assister les magistrats dans toutes les procédures tendant au règlement des litiges,
les greffiers, au-delà de cette mission, sont aussi des agents d‘encadrement, responsables du
respect de l’authenticité des procédures. Leur rôle est essentiel puisque toute formalité ou acte
accompli en leur absence pourrait être frappée de nullité soit, l’ensemble des éléments
constitutifs d’une profession et sans la réunion desquels elle cesse d’exister en tant que telle

1153
Sources du Ministère de la justice, 2005.
1154
A l’opposé de certains auteurs respectivement centrafricain et sénégalais qui eux retiennent l’expression de
manque de ressources humaines chronique pour caractériser l’effectif réduit de son personnel judiciaire. Voir
Demba Sy, « La condition de juge en Afrique : l’exemple du Sénégal », Op. Cit. p. 366 ; Jocelyn Ngoumbango
Kohetto, L’accès au droit et à la justice des citoyens en République centrafricaine, Thèse, Op. Cit. p. 139 et
suiv. ; Cheikh Tidiane Lam, La modernisation de la Justice au Sénégal: vers la recherche de la performance,
Thèse, Op. Cit. p. 24 et suiv.

223
pour devenir une simple catégorie d’emploi ou d’activité1155. L’insuffisance numérique du
personnel des greffes, pourrait expliquer le phénomène de la corruption dans cette catégorie
du personnel judiciaire. Les effectifs sont réduits et le personnel est appelé à faire plus de
travaux que ne le permettent les aptitudes physiques : d’où le monnayage dont les justiciables
sont victimes. D’où la difficulté à rédiger un nombre de plus en plus croissant de décisions de
justice. Face à une demande forte et devant des milliers de dossiers qui attendent d’être traités,
le greffier est tenté d’offrir ses services de rédaction ou recherche des dossiers, aux mieux
« disants » des justiciables1156. Les effectifs des greffiers sont en deçà des attentes.
Parmi les huissiers de justice, dont la fonction est celle d’accompagner et d’aider à
l’effectivité de la justice, à travers l’exécution des décisions de justice 1157 , en dehors des
titulaires de charges, les clercs et stagiaires forment le gros de la troupe et vivent les
conditions des autres Camerounais. Ceux qui attendent des charges ne sont pas nommés, les
stagiaires ne sont pas rémunérés, d’où une misère qui fait le lit au manque de probité, Etat
auquel s’ajoute les tractations auxquelles donnent lieu la liquidation d’une charge. De plus, les
charges sont anormalement reparties sur le territoire national. Si les charges d’huissier et de
notaire se chiffraient respectivement en 2005 à 620 et 112 sur tout le territoire, seules 315
charges d’huissier et 37 de notaire sont pourvues, ce qui représente 51% et 33%
respectivement. Ce qui fait un gap respectif de 49% et 77% à combler. L’on s’achemine peut
être à une mort programmée de la profession d’huissier de justice au Cameroun. Selon
certaines statistiques glanée par monsieur Roland Tsapi 1158 , 350 charges d’huissiers sont
vacantes, 150 huissiers de justice toujours en fonction sont atteints par la limite d’age à faire
valoir leurs droits à la retraite fixé à soixante ans par le droit applicable 1159 . Arrêt des
fonctions subordonnées à un décret1160. L’implicite de la disposition semble évidente. 186
dossiers pour l’attribution des charges ont été introduits. Encore selon ces statistiques,
aujourd’hui, « les charges actualisées avoisinent les 500 charges à pourvoir, et seulement 186
dossiers d’attribution en attente. Ceux qui attendent depuis 27 ans sont issus de la promotion
de 1994, 1996 pour ceux dont l’attente dure 25 ans et 2000 pour ceux qui ont rongé leurs

1155
Franck Darty, Cathérine Froissart, F. Ménard, La professionnalité des greffiers, La documentation
française, 1997, p. 2.
1156
A.-Didier Olinga, « La corruption vu par Alain-Didier Olinga », in P. Titi Nwel (dir.), De la corruption au
Cameroun, Op. Cit, pp. 143-157 ; « La perception du phénomène corruption », in P. Titi Nwel (dir.), De la
corruption au Cameroun Etude, Op. Cit., p. 68.
1157
Sur l’éventail des fonctions de l’huissier de justice voir O. Blanchet et X. Bariani, « Huissier de justice »,
Jurisclasseur des huissiers de justice, 2011, Fasc. n°10.
1158
Roland Tsapi, « Justice : les huissiers de justice en voie de disparition au Cameroun », en ligne
www.hekok.org, consulté le 15 avril 2021 à 08h46.
1159
Décret n° 79/448 du 05 novembre 1979 modifié par le Décret n° 85/238 du 22 février 1985, Article 50.
1160
Ibid.

224
freins pendant 21 ans, la dernière promotion. Et si l’on attribuait les charges aux 186 qui ont
déjà achevé le parcours du combattant qui leur est prescrit, il resterait encore 314 charges à
pourvoir, et sans candidat, puisqu’il n’y pas eu de nouvelles admissions en stage depuis l‘an
2000. C’est dire que la relève n’est pas assurée, on s’achemine ainsi lentement, mais
sûrement à la disparition de la profession »1161. Sans moyens de faire face à une abondante
demande de ses services, le personnel judiciaire s’installe dans un commerce parallèle de ses
prestations au plus offrant1162.
La profession d’avocat est de loin la profession juridique et judiciaire la plus
importante au Cameroun. Elle compte aujourd’hui, plus de 3000 professionnels1163. L’avocat
bénéficie d’un monopole dans le cadre de ses activités judiciaires exclusivement assistance,
conseil et représentation en justice1164. Les avocats sont libres de créer leur cabinet dans la
localité qu’ils auraient choisi sur l’étendue du territoire1165. Le siège du cabinet est fixé par
acte du Conseil de l’Ordre, dans la localité choisie par l’avocat. Bien que le nombre des
avocats soit en constante augmentation ces cinq dernières années, il reste insuffisant d’autant
plus qu’il n’existe pas de maillage territorial, l’essentiel de l’effectif est cantonné dans les
villes de Yaoundé et Douala, lesquelles concentrent l’essentiel du contentieux, au détriment
des autres juridictions, entrainant ainsi un déséquilibre entre les sièges des différentes Cours
d’Appel. Bien que les avocats fournissent de nombreux services aux justiciables, il reste que
que, les justiciables et les autres professionnels du droit ont une perception critique de la
profession1166. Ce déséquilibre se traduit sur le terrain par des sortes de « déserts juridiques »
où la justice se résume à personnel judiciaire réduit. Ce qui oblige certaines juridictions,
devant l’insuffisance, l’absence ou le manque de formation adaptée des personnels d’appoint,
notamment des greffiers exerçant en cas de décès ou d’affectation des fonctions de greffier
principal, soit de maintenir des personnes au-delà de leur date de retraite pour pallier à
l’insuffisance de leur personnel. Cette situation fait peser un risque sérieux sur le service
public de la Justice, car les vacataires peuvent se libérer à tout instant des tâches qu’ils
exécutent, d’autant que leurs revenus sont très modestes et leur statut précaire. La
conséquence de tout cela peut aussi se traduire par un nombre plus important de magistrats
que de greffiers, d’avocats, de secrétaires des greffes et parquets. Dans tous ces aspects
1161
Roland Tsapi, « Justice : les huissiers de justice en voie de disparition au Cameroun », Op. Cit.
1162
« La perception du phénomène corruption », in P. Titi Nwel (dir.), De la corruption au Cameroun, Etude,
Op. Cit., p. 67.
1163
Cf. chiffre publié par le Barreau sur son site internet. www.barreau.cm
1164
Lecture combinée des Articles 1er et 2 de la loi portant organisation de la profession d’avocat.
1165
Cf. Article 4, loi organique précitée.
1166
Matthieu Tankeu, L’administration de la justice au Cameroun Vers un dépassement de la colonialité, Op.
Cit.

225
relatifs à l’allocation des moyens en personnels, les centres de décisions se situent hors des
juridictions et généralement hors des ordres professionnels concernés. Selon deux auteurs1167
français, l’obtention des solutions sur ce plan nécessite l’entreprise de démarches répétées ou
la survenance d’une situation catastrophique. Il s’agit là des caractéristiques d’administration
héritée de l’école française d’administration : l’administration par les crises. L’ensemble de
ces éléments enseigne que le développement des moyens de la justice, des compétences des
ressources humaines et de leur effectif revêt une importance stratégique, que les processus de
recrutement et de sélection sont cruciaux, et que la mobilité fonctionnelle constitue une
assurance contre l’incapacité d’adaptation future1168.

2. Les ressources financières et matérielles

216. L’attente, l’exigence, mieux l’objectif généralement adressé à la justice est celui de la
maîtrise des délais de jugement. Ces délais doivent pouvoir être réduits sans nuire à la qualité
des décisions rendues. Pourtant l’objectif recherché contraste avec les moyens de la justice.
Les ressources de la justice aussi bien au Cameroun, que dans d’autres Etats africains, y
compris occidentaux sont marquées par un fait commun que nous qualifierons comme mon
sieur Farcy1169, de lamento des représentations contemporaines, celui de la grande misère du
budget de la Justice. Une perte de crédibilité auprès des justiciables et de son indépendance
vis-à-vis des autres pouvoirs de l’Etat pourrait en résulter. Les allocations budgétaires
accordées au secteur de la justice lui sont allouées annuellement et prévues dans le budget
global de l’État. Divisé en budget de fonctionnement et d’investissement, ce budget est bien
déterminé et est reconduit d’année en année, majoré éventuellement d’un budget additionnel
qui exprime les besoins particuliers d’une année déterminée. Le budget défendu et accordé à
la justice n’excède généralement pas un pour cent du budget national. Si l’on peut constater,
une enveloppe croissante, le budget accordé au ministère de la justice reste néanmoins bas au
regard de ses missions 1170 . Un budget partagé entre l’enveloppe accordé à l’assistance
judiciaire, celle accordée à l’administration pénitentiaire, à la justice civile, pénale et

1167
W. Ackermann, B. Bastard, « Efficacité et gestion dans l’institution judiciaire », Op. Cit.
1168
Louise Lemire, Yves-Chantal Gagnon, « La gestion des ressources humaines dans les organisations
publiques », in Louise Lemire, Yves-Chantal Gagnon (dir.), La gestion des ressources humaines dans les
administrations publiques : Etudes de cas et facteurs critiques de succès, Montréal : Presses de l’Université de
Montréal, 2002, pp. 15-28.
1169
Jean-Claude Farcy, « Jean-Charles Asselain, L’argent de la justice. Le budget de la justice en France de la
Restauration au seuil du XXIe siècle », Criminocorpus [Online], Années antérieures, 2010, publié le 23 June
2010, connection on 18 February 2021. URL : http://journals.openedition.org/criminocorpus/291.
1170
Soit une enveloppe globale de 68 354 816, 56 euros pour l’année 2016 et 90 760 430, 17 euros pour l’année
2017. Le budget de la Cour Suprême a par contre connu une baisse en 2017 par rapport à 2016. Sources Rapport
2017 du ministère de la justice.

226
administrative. La grande part de ce budget est consacrée au paiement des salaires des
magistrats. Devant la multiplicité des tâches et l’impossibilité d’en faire ici une liste
exhaustive, force est de constater que la charge du travail à laquelle est soumise le magistrat
contraste avec les conditions de travail qui sont les siennes. Un rapport d’évaluation du
système judiciaire ivoirien1171 insiste sur l’insuffisance et la vétusté des équipements et de
moyens matériels financiers. Les conditions de travail dans les juridictions ne sont pas les
mêmes. Selon une enquête sociologique menées par Bolivar Njupouen, un enquêté affirme
que les conditions de travail qu’occasionnent le manque de moyens « ce sont les réels
problèmes, parce que, lorsqu’on parle des conditions de travail, c’est déjà les locaux dans
lesquels on travaille, beaucoup d’efforts sont faits aujourd’hui pour améliorer ces conditions,
mais, il faut beaucoup de moyens, je dis beaucoup de moyens. Parce que jusqu’à ce que les
Etats en développement parmi lesquels le Cameroun, […] comprennent que […] la justice est
un maillon essentiel du développement, […] il faut beaucoup de temps pour que les gens le
comprennent, et on a toujours, on a toujours un peu considéré la justice comme […],
globalement on a toujours un peu ignoré son rôle dans le processus du développement, parce
que quand, vous voyez un magistrat, vous voyez le nombre de dossiers – déjà parce que le
nombre de magistrats est déficitaire – oui. Bon je voulais préciser que l’effort est fait pour
combler un peu ce gap parce que par exemple cette année, cette année….au concours de
l’ENAM pour la première fois, on va recruter 195, après l’effort d’il y a quelques années , où
on a fait des recrutements spéciaux, bon, mais on se rend toujours compte qu’il en faut
beaucoup, mais l’effort il faut déjà le reconnaître, 195 c’est jamais vu, cela suppose quand
même que si c’est fait comme ça 2ans, 3ans, parce que on passe de 35 places à 195, c’est
pratiquement 6 fois le nombre, donc il y a cette volonté… »1172. Pour éviter une arithmétique
des bâtiments et des matériels, relevons qu’en 2005, le nombre de ces infrastructures était
pour le moins insatisfaisant et que les besoins en renforcement exprimés par l’ensemble des
juridictions pour accroître le rendement étaient les suivants, pour Yaoundé et Douala : 16
voitures, 27 motocyclettes, 105 climatiseurs, 126 ventilateurs, 74 ordinateurs, 20
photocopieurs, 113 machines à écrire et 59 machines à calculer1173. Relativement aux moyens
accordés aux juridictions, les études généralement faites sur leurs conditions matérielles et
financières, ont montré de criardes insuffisances de nature à affecter l’exercice d’une « bonne

1171
Rapport ONUCI sur l’évaluation du système judiciaire ivoirien, 2007.
1172
Isaac René Njupouen, Dynamiques alternatives pour l’accès au droit et à la justice dans un contexte de
pauvreté : enjeux de l’état de droit, de la gouvernance et du développement durable, Thèse, Sociologie,
Université Paris Dauphine – Paris IX, 2013, p. 141.
1173
Ibid., p. 105.

227
justice » et au-delà, entraîner une incapacité du juge à bien mener sa tâche1174. Une perte de
crédibilité auprès des justiciables et de son indépendance vis-à-vis des autres pouvoirs de
l’Etat pourrait en résulter.
S’agissant de l’autonomie financière des juridictions, si le président du tribunal est
l’ordonnateur des dépenses, cette autonomie est superficielle, car la gestion des fonds est
assurée par le ministère de la justice. Il est l’ordonnateur réel de l’administration des biens
ainsi que de la gestion financière des juridictions dont les fonds sont contenus dans le budget
accordé au département ministériel. Les tribunaux ne disposent pas d’un budget suffisant pour
pouvoir exercer adéquatement leurs fonctions 1175 . La revendication d’une autonomie
financière totale est cependant difficilement compatible avec le fait que des fonds publics sont
1176
en jeu . La quantité insuffisante du personnel judiciaire lui aussi est l’une des
caractéristiques fondamentales des systèmes judiciaires nationaux de l’OHADA. Le point
commun de toutes ces insuffisances d’effectifs dans les divers secteurs de l’activité judiciaire,
est l’arriéré judiciaire devenu de plus en plus intolérable et équivalant dans certains cas à un
déni de justice compte tenu de l’ampleur des délais.

217. Plus généralement, l’indépendance et les conditions idoines de l’exercice de l’office


des magistrats sont sous-tendues par un droit pour les juges à recevoir les moyens nécessaires
à leur action ou des « conditions de travail adéquates ». Ce qui suppose en particulier, que
soient recrutés « suffisamment de juges … », que soit mis « à la disposition des juges un
personnel d'appui et des équipements adéquats, en particulier du matériel de bureautique et
d'informatique, afin qu'ils puissent agir efficacement et sans retard injustifié »1177. Le Statut
Universel du Juge de l'Union Internationale des Magistrats (UIM) va plus loin lorsqu’il
énonce qu’ « il appartient aux autres pouvoirs publics de l'Etat de donner au pouvoir
judiciaire les moyens nécessaires à son action. Le pouvoir judiciaire doit pouvoir participer
ou pouvoir être entendu en ce qui concerne les décisions relatives aux moyens matériels »1178
en rendant le législatif et l’exécutif débiteur de moyens matériels nécessaire à l’action de
l’appareil judiciaire. Pour le juge qui perçoit un traitement, l’indépendance est préservée par

1174
Alioune Badara Fall, « Le menaces internes à l’indépendance de la justice », Op. Cit., p. 65.
1175
Nicole Duple, « Les interventions externes qui menacent l’indépendance et l’impartialité de la justice », in
L’indépendance de la justice, Op. Cit. pp. 84-105.
1176
Ibid.
1177
Bertrand Favreau, « L’indépendance des avocats et des magistrats : une condition de l’Etat de droit », in,
Op. Cit.
1178
Article 14 relatif aux moyens matériels du Statut Universel du Juge de l'Union Internationale des Magistrats.

228
le montant de sa rémunération que les textes déclaratifs hésitent à qualifier1179. Mais, quelle
soit « appropriée », « suffisante » ou « à la mesure de dignité de leur profession » c’est du
niveau de la rémunération qui lui est assurée que dépend l’indépendance financière du juge.
Statut social du magistrat, le principe d’une rémunération confortable est le principe. Or la
rémunération constitue l’un des problèmes les plus importants de la condition du juge en
Afrique. Leur niveau de traitement est parfois largement supérieur à celui perçu par les autres
corps de la fonction publique. Malgré tout, les magistrats jugent leur rémunération
insuffisante.

218. Plus que des crédits de fonctionnement suffisants, parce que la justice est financée par
le budget de l’Etat et que celui-ci n’est pas extensible à souhait, la justice a besoin d’une
logistique bien gérée. Là se situe le point épineux de la question sur la qualité de
l’administration des fonds mis à la disposition du ministère de la justice. Il faut en effet que
soit trouvé « le bon niveau d’administration »1180. La question est celle d’une administration
efficace et efficiente, capable de gérer au mieux, le peu de crédits mis à la disposition de
l’institution judiciaire permettant de faire des économies et assurer une bonne administration
de la justice. Une augmentation adéquate du budget de la justice est nécessaire certes, mais
sans pour autant nier l’intérêt d’une telle mesure, que cela n’aurait pas forcément pour effet de
diminuer le stock d’affaires en attente et de réduire les délais de jugement. Au regard de la
frilosité des gestionnaires des finances publiques camerounais à confondre la fortune
nationale avec la fortune privée. L’attribution des crédits demandés, une augmentation de
l’offre de justice ne constitue pas forcément la garantie d’une justice bien administrée, si les
moyens de la justice sont utilisés à d’autres fins que d’assurer aux justiciables, une justice
qu’ils sont en droit d’attendre. Ce qui pose généralement le problème du casting des hommes
choisies et placées à la tête des juridictions. L’effet de l’augmentation de l’offre de justice
déprendra en effet de la qualité des hommes, du style de gestion de la juridiction, de
l’organisation du travail, de la motivation des collaborateurs. Pour le dire autrement, il faut
placer les bonnes personnes aux bonnes places et assurer une mesure objective du travail des
uns et des autres.

1179
Bertrand Favreau, « L’indépendance des avocats et des magistrats : une condition de l’Etat de droit », in
Séminaire sur la promotion de la règle de droit comme élément du développement durable, Op. Cit.
1180
Luce Cavrois, « L’administration des juridictions de l’ordre judiciaire en France », Op. Cit.

229
B. La mesure de la charge de travail judiciaire

219. L’objectif initial de la mesure de la charge de travail comme l’a noté un acteur,
est de rationaliser l’administration de la justice1181, en objectivant la charge de travail. Le chef
de la juridiction a en charge la répartition des affaires. Il s’agit là d’une prérogative de gestion
des ressources humaines. Outil de gestion, la mesure de la charge de travail permet d’évaluer
le flux des activités, les réorienter le cas échéant et en mesurer l’efficience et l’efficacité1182.
En langage gestionnaire, la mesure de la charge de travail constitue donc une condition sine
qua non de l’affectation des moyens et du contrôle des résultats1183. Par conséquent, il paraît
difficile de parler de la mesure de la charge de travail sans établir un lien entre l’agenda du
magistrat (1) et l’outil de Gestion des Ressources Humaines qu’est l’évaluation des magistrats
(2).

1. L’agenda du magistrat

220. Les fonctions de magistrat ne sont pas totalement inconnues du « grand public ». Elles
sont généralement perçues par les non-initiés sous les traits du procureur de la République, du
juge d’instruction ou encore de président de juridiction. Appellations qui regroupent une
grande variété de fonctions. La limitation à cette simple image de l’officier de justice, est
capable de générer et installer une vision figée et fausse du magistrat, faute d'avoir pu suivre
dans son cabinet et lors de ses multiples activités, l'homme sur lequel repose une telle charge.
A titre d’illustration, la simple évocation du ministère public conduit irrésistiblement et de
manière générale à associer et limiter son activité à la matière pénale. Pourtant, en matière
civile, les magistrats du parquet disposent de nombreuses compétences, inhérentes à la
mission confiée à ce magistrat spécialisé, la défense et la préservation de l’intérêt général.
Cette mauvaise connaissance de l’activité non pénale du parquet, a conduit des auteurs, à
soutenir que l’activité non pénale du parquet constitue un « point aveugle »1184, mal connu, du
fonctionnement du système judiciaire. L’ambition de mesurer l’activité du magistrat est
d’emblée illusoire1185. L’activité du magistrat se révèle en effet très difficilement mesurable.
Mais il existe des outils qui permettent tout au moins, d’en avoir une idée précise.

1181
Jean Mattijs, « Implications managériales de l’indépendance de la justice », Pyramides, Op. Cit., pp. 65-
102, spéc. p. 89.
1182
Benoît Bernard et Jan Mattijs, « Introduction : du sens de la mesure », Pyramides, n°12, 2006, 13-16.
1183
Ibid.
1184
Voir Marianne Cottin, Safia Bouabdallah, Nathalie De Jong, Pascale Deumier, Olivier Gout, et al. Le
parquet en matière civile, sociale et commerciale : recensement des textes et étude empirique des activités non
pénales du parquet, Op. Cit.
1185
Ibid.

230
1186
L’ « agenda du magistrat » peut légitimement être considéré comme l’instrument
traditionnel de la connaissance précise de la charge de travail du magistrat. Ledit agenda
apparait en effet comme un outil utile pour offrir au lecteur un éventail plus ou moins complet
des activités du magistrat qu’il soit du siège ou du parquet, de donner un exemple de l'emploi
du temps d'un officier de justice, ses fonctions traditionnelles1187, ses fonctions solitaires1188, à
celles d’ « homme d’action »1189 chargé d'organiser et d'animer des services selon l'importance
de la juridiction dans laquelle il exerce. Un bref aperçu de l’activité du magistrat tend à
apporter un éclairage sur ces acteurs de la vie judiciaire. L’analyse systématique des textes1190
révèle un domaine d’intervention pléthorique, par conséquent, un agenda surchargé. Cet
immense domaine d’intervention contraste avec l’effectif numérique réduit de magistrats et
greffiers disposés à tout faire pour l’accomplissement de ces tâches. La première
préoccupation du magistrat, du greffier aujourd’hui, c’est la maitrise de sa charge de
travail1191. Ceci au prix de ce qu’un magistrat désigne comme, « une souffrance massive au
travail dans les tribunaux »1192. Quatre magistrats des tribunaux d’instance camerounais sur
cinq interrogés affirment que l’essentiel de leur temps de repos est généralement réservé à
l’exercice de leur fonction : certains affirment travailler le samedi et même dimanche. Ce qui
entraine une situation bien connue des magistrats français, à savoir, « un tribunal en situation
de fragilité » avec comme principaux indicateurs : le sous dimensionnement humain et des
délais de traitement anormaux1193. Les Juges, les greffiers, les personnels judiciaires subissent
la masse de travail qu’ils ont à traiter, et qui ne cesse de se reconstituer tous les jours, avec
parfois un effet sur la qualité des décisions. Le travail judiciaire ne s’arrête jamais, à peine un
dossier est-il jugé que plusieurs autres s’empilent, et la demande judiciaire ne cesse de croître
alors que parallèlement, les moyens logistiques sont modiques : juges insuffisants, personnels
décédés non remplacés à temps, postes vacants, entre autres. Ce personnel judiciaire en raison

1186
Cf. Michèle Giannotti et Anne José Mourier, « L’agenda du magistrat », Op. Cit.
1187
Il assure la lourde et délicate mission de « juger », accomplir les fonctions traditionnelles les plus connues de
juge civil ou de juge pénal ; les missions traditionnelles connues du parquet pour la défense de l’intérêt général.
1188
S'adapter aux situations sociales, sociologiques et économiques, le juge aura des services ou des fonctions
spécialisées qui le plonge dans la complexité de la vie sociale, pour lesquelles il doit prendre des décisions
rapidement et seul.
1189
L’expression est empruntée à Michèle Giannotti et Anne José Mourier, « L’agenda du magistrat », Op.
Cit.
1190
Lecture combinée des textes portant organisation administratives des juridictions, lois portant organisation
judiciaire, loi portant organisation et fonctionnement de la Cour suprême, dispositions des Actes uniformes du
droit OHADA.
1191
Stella Bisseuil, « La première préoccupation du juge d’aujourd’hui : maîtriser sa charge de travail ! »,
www.villagedelajustice.fr, publié le 20 mai 2019, consulté le 11 mars 2021 à 05h30.
1192
Thomas Coustet, « La souffrance au travail des juges », Dalloz Actualité, 18 juin 2019, https://www.dalloz-
actualite.fr/printmail/flash/souffrance-au-travail-des-juges.
1193
Ibid.

231
des réalités du terrain a toutefois, appris à composer avec ces contradictions. Les acteurs
judiciaires doivent pouvoir dans cet environnement et emplois de temps surabondés
d’éléments, trouver le juste milieu de manière à réaliser chacun, dans sa vie professionnelle,
l'équilibre idéal entre ses fonctions juridictionnelles et ses tâches administratives1194. Mais cet
agenda, bien que utile, semble parcellaire, limité à mettre en exergue la connaissance et
l’évaluation précise de l’activité des magistrats, de manière à anticiper sur les besoins des
juridictions tant sur le plan gestionnaire, que de la procédure.

221. L’accroissement de l’activité des magistrats, devenue plus ou moins, une fonction
spécialisée à part entière, nécessite des indicateurs, référentiels supplémentaires. Il n’existe
actuellement en droit camerounais, aucun appareillage élaboré pour mesurer la charge des
travaux judiciaires, civils et pénaux. L’objectif poursuivi de l’emploi de temps ou « time
sheet », étant de déterminer le temps moyen nécessaire au traitement d’une affaire, en évitant
un contrôle du temps individuel du magistrat 1195 . La particularité de la fonction de juger
nécessite une mesure de la charge de travail. C’est une réflexion que nous pensons déjà
amorcée au niveau national qui a permis d’élaborer les statistiques du Ministère de la justice
produits en 2004-2005 mentionnés plus haut1196, et de mesurer le gap des ressources humaines
à résorber pour améliorer le traitement des affaires et atténuer la charge actuelle de travail des
magistrats et qui mériterait d’être amplifiée pour chacune des tâches de leur charge de travail,
preuve que l’accroissement d’activité avait été pris en compte.

222. La connaissance précise de la charge de travail dans les juridictions et l’élaboration de


référentiels d’activité détaillés, concernant aussi bien les magistrats que les fonctionnaires du
greffe, et autres personnels en fonction dans les juridictions constituent des préalables
essentiels à une stratégie efficace de définition des besoins, estime la Cour des comptes
française à l’occasion d’une communication 1197 . En raison de « l’extrême » diversité des
tâches assumées par les magistrats, celle-ci rend en effet difficile la mesure de l’activité des
magistrats qu’il soit du siège ou du parquet ; du tribunal de première instance au tribunal de
1194
C’est ce que Joël Hubin appelle, une justice comptable de l’application de ses devoirs, « Entre efficience et
efficacité. Mesures et démesures de la charge de travail des juges. Commentaires de l’article 352 bis du Code
judiciaire », Pyramides, n° 12, 2006, p. 17-146.
1195
Ibid.
1196
Au 30 septembre 2005, on dénombre au Cameroun 850 magistrats, 1351 avocats141, 37 notaires, 315
huissiers, 1230 greffiers, 37 agents d’affaires, 24 agents d’exécution et 415 agents et autres fonctionnaires ; ce
qui fait un magistrat pour 18 000 habitants, un avocat pour 11 000, un notaire pour 406 000 et un huissier pour
48 000.
1197
Cour des Comptes, « Approche méthodologique des coûts de la justice Enquête sur la mesure de l’activité
et l’allocation des moyens des juridictions judiciaires », Communication à la commission des finances, de
l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, Décembre 2018, p. 67. Disponible sur
www.ccomptes.fr.

232
grande instance, en passant par la cour d’Appel. Les compétences matérielles des uns et des
autres n’étant pas tout à fait similaires. Missions articulées autour des activités pénales, non
pénales, et même administratives, ces catégories de magistrats assument en effet une grande
variété de missions. L’intérêt de l’administration, des professionnels du droit comme du
champ de la recherche scientifique 1198 , s’inscrit dans un contexte sans cesse croissant de
l’activité juridictionnelle qui remet sans cesse sur la table les préoccupations relatives à
l’allongement des délais de jugement. La méconnaissance de la charge de travail des
magistrats et des juridictions en général a pour effet de dégrader la qualité du management des
juridictions judiciaires 1199 . La matière est marquée au Cameroun, par l’absence d’une
cartographie connue des activités juridictionnelles, c'est-à-dire une sociologie de l’activité des
juridictions, établie et diffusée au niveau national, afin d’équilibrer la charge de travail au sein
des juridictions et d’évaluer, en fonction des ordonnances de roulement des audiences, le
temps moyen consacré par les magistrats et greffiers au traitement des affaires, une allocation
budgétaire des moyens aux juridictions plus transparente et plus objective. L’évaluation de la
charge de travail des magistrats constitue un enjeu à la fois essentiel pour le ministère de la
justice, et pour une bonne administration de la justice.
Mais que mesurer en définitive ? Le nombre d’actes posés par chaque magistrat ou la
qualité des procédures sous-jacentes à leurs activités ? Les pratiques individuelles ou l’activité
collective de la juridiction ? Pour J. Hubin1200, la mesure de la charge de travail dépasse la
seule analyse du temps de travail passé sur un dossier ou à un moment de procédure. La
mesure de la charge du travail, est un outil composite qui prend en compte les rationalités, les
routines et les pratiques de l’ensemble des acteurs d’un tribunal et non vers le seul
comportement des magistrats1201, et qui peut s’étendre à l’activité de contrôle de l’inspection
générale des services judiciaires. En effet, seule une connaissance précise du travail
juridictionnel permettrait de mener une réflexion d’ensemble sur la réorganisation des
juridictions appelées à garantir une amélioration de la qualité du service rendu au justiciable
tout en améliorant significativement les conditions de travail, déterminer l’ensemble des
moyens logistiques généraux nécessaires au traitement d’une activité. Le domaine reste
1198
Voir Al. Piraux, « Plan Thémis de modernisation de l’Ordre judiciaire, projet Phénix d’informatisation,
mesure de la charge de travail : les difficultés du management judiciaire », Pyramides, 12, 2006, pp. 7-12.
Téléchargé le 29 novembre 2020 et Disponible à l’adresse : http://journals.openedition.org/pyramides/287 ;
Benoit Bernard, « Mesurer la qualité au sein du ministère public : un vade-mecum », Pyramides, 11, 2006, pp.
103-126.
1199
Cour des Comptes, « Approche méthodologique des coûts de la justice Enquête sur la mesure de l’activité
et l’allocation des moyens des juridictions judiciaires », Op. Cit., p. 75.
1200
Joël Hubin « Entre efficience et efficacité. Mesures et démesures de la charge de travail des juges.
Commentaires de l’article 352 bis du Code judiciaire », Op. Cit.
1201
Bernard et Jan Mattijs, « Introduction : du sens de la mesure », Op. Cit.

233
évalué par les dénombrements pas toujours facilement accessibles. Les évaluateurs,
contrôleurs, de la vie judiciaire sont invités à la mise en place des indicateurs d’une meilleure
appréciation de la performance du service public de la justice, facteur essentiel et déterminant
de la régulation sociale. La performance aussi se mesure, s’organise, et son coût sur l’offre de
la justice ne saurait désormais être négligé. Cette absence de théorisation se conjugue avec
une visibilité statistique insuffisante qui elle aussi fait incontestablement obstacle à toute mise
en lumière. La mesure de la charge de travail à elle seule ne suffit pas, elle implique
également l’évaluation du magistrat et de l’institution qu’il représente.

2. L’évaluation des magistrats

223. L’évaluation a toujours été placée au cœur de la science juridique1202. Elle est la sœur
jumelle de la qualité, comme la qualité est coeur du new public management1203. C’est en
effet parce que le système judiciaire, c'est-à-dire l’organisation et le fonctionnement de
l’institution « Justice » au sens large, est évaluée qu’un aperçu de sa qualité d’ensemble et de
ses évolutions est possible1204. L’évaluation du fonctionnement du système judiciaire a pour
objectif de considérer l’efficacité, l’efficience et les aspects économiques du système dans une
perspective managériale. Phénomène récent, mesurer son impact sur le fonctionnement de la
justice et sa qualité reste dès lors une entreprise hasardeuse comme le souligne fort
heureusement Ph. Bouvier1205, auditeur général au Conseil d’Etat de Belgique. Il est des Etats
dans lesquels l’évaluation des magistrats n’est pas à l’ordre du jour et qui, semble-t-il, ne s’en
portent pas plus mal. D’autres qui, ne connaissant pas non plus ce régime, seraient plutôt
demandeurs de sa mise en place 1206 . Cela ne signifie pour autant pas que dans ces pays,
aucune observation critique n’est exercée sur les activités des magistrats ; celle-ci n’est
simplement pas faite sur la base d’un texte législatif ou réglementaire. Le Cameroun a fait le
choix d’un système d’évaluation des magistrats similaire à celui de l’appareil judiciaire
français. Le principe de l’évaluation des magistrats est inscrit dans la loi. L’évaluation prévue

1202
Gérard Timsit, « L’évaluation en science juridique : retour sur une querelle théorique à propos de la notion
de gouvernement des juges », Revue européenne des sciences sociales [En ligne], XLV-138, 2007, mis en ligne
le 01 juillet 2010, consulté le 17 janvier 2020. URL : http://journals.openedition.org/ress/196. L’évaluation tient
une place de choix au coeur de la science juridique de deux manières : d’abord par la place que tient l’évaluation
dans le domaine de la responsabilité; ensuite par celle qu’elle a naturellement dans le domaine de la légalité.
1203
B. Frydman, in Le nouveau management de la justice et l’indépendance du juge, Op. Cit.
1204
La qualité revêt deux facettes : un résultat de qualité et un processus d’amélioration. L’évaluation alimente
ainsi la perception des progressions du système judiciaire vers plus de qualité en pointant, et en tentant d’y
remédier, les dysfonctionnements.
1205
Voir Ph. Bouvier, « L’évaluation des magistrats », Rapport général du séminaire organisé par l’Association
des Conseils d’Etat et des Juridictions administratives suprêmes de l’Union européenne avec le soutien
scientifique du Conseil d’Etat de Belgique, Bruxelles, 30 novembre 2009.
1206
Ibid.

234
est basée sur la notation 1207 du magistrat évalué. Le principe posé par le statut de la
magistrature est celui de la notation annuelle prescrit en ces termes : « l'activité et la valeur de
chaque magistrat à l'exception du président de la Cour Suprême donnent lieu, chaque année,
avant le 1er mars à une appréciation générale qui résume et, le cas échéant, discute les
autres éléments de notation. Cette appréciation générale est formulée par les autorités et
dans les conditions indiquées ci-après, le cas échéant, au vu d'avis obligatoires.
L'appréciation générale et les avis sont exclusifs de toute note chiffrée. En même temps que
son appréciation générale, l'autorité compétente peut proposer tout magistrat qu'elle est
habilitée à noter et qui justifie de l'ancienneté requise, soit à une promotion de grade, soit en
ce qui concerne les magistrats visés à l'article 14, à une nomination à un emploi du premier
grade »1208. Mais le texte reste muet sur ce qu’il désigne sous l’expression des autres éléments
de notation. Les critères d’évaluation de la justice judiciaire sont fixés au niveau central. Ils
sont les mêmes pour l’ensemble des juridictions de l’ordre judiciaire. Ils prennent en compte
l’activité de l’ensemble des acteurs : greffier, membres du parquet, juges. Dans le système
judiciaire camerounais, une première évaluation des magistrats a lieu au moment du concours
d’entrée à l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (ENAM). Les auditeurs de
justice sont d’autre part, soumis à une évaluation pendant la scolarité et à un examen de sortie.
Le résultat global obtenu détermine généralement le lieu de leur première affectation et le
choix de leur fonction. Certains auditeurs peuvent aussi ne pas être admis comme magistrats à
l’issue de leur scolarité, mais comme attaché de justice. Le jeune magistrat recruté s’engage à
consacrer sa vie professionnelle aux fonctions judiciaires. Au cours de sa carrière, il peut
aspirer à gravir les marches de la hiérarchie judiciaire. Il est donc nécessaire et normal au fur
et à mesure que l’on monte de la base vers les grades les plus élevés, que soient organisés des
procédés de choix des magistrats les plus aptes. L’organisation judiciaire pyramidale de la
législation camerounaise en la matière, conçoit deux modalités pour l’avancement du juge-
fonctionnaire : l’avancement automatique à l’ancienneté1209 et l’avancement au choix par voie
d’inscription sur un tableau d’avancement 1210 . Tout magistrat, à l’exception du premier
président de la Cour suprême, fait en effet, l’objet d’une évaluation professionnelle chaque
1207
Voir sur la notation du magistrat au Cameroun, le Chapitre VII du décret de 1995 portant statut de la
magistrature au Cameroun. L’appréciation de la performance du magistrat n’est pas chiffrée.
1208
Article 26 alinéa 1 décret portant statut de la magistrature.
1209
Ibid. Alinéa 4 et article 28. Il s’agit de l’avancement d’échelon se traduisant par une augmentation du
traitement sans changement de poste de travail. Il s’agit en quelque sorte d’une prime conditionnée par une
évaluation favorable. De l’avis du juge administratif camerounais, contrairement aux autres statuts particulier,
l’inscription d’un magistrat au tableau d’avancement lui confère un droit à avancement imprescriptible jusqu’à
l’intervention d’une mesure disciplinaire. CS/CA Jugement du 31 décembre 1992, Affaire Kengne Pokam
Emmanuel.
1210
Cf. Article 30 du décret portant statut de la magistrature.

235
année élaborée par l’autorité compétente 1211 . L’autorité de notation doit établir une note
littérale de synthèse qui retrace les activités du magistrat, porte une appréciation générale sur
son activité1212. Appréciation générale axée sur deux fondements de l’activité du fonctionnaire
que sont l’environnement professionnel et les qualités requises1213. Le pouvoir de notation
appartient au « chef », ici, le président de la juridiction, ou tout autre magistrat à la tête d’un
service de l’administration centrale 1214 . Par son grade, sa fonction, et certainement son
ancienneté, il est logique de confier au « chef », le pouvoir d’appréciation et de notation qui
exprime les valeurs et aptitudes professionnelles à l’égard du personnel judiciaire placé sous
ses ordres. De la même manière, il les proposera à l’avancement. Cette procédure reste
cependant théorique 1215 . La quête de la transparence et l’objectivité dans le processus de
notation, d’avancement et de nomination et autres promotions, dans bon nombre des Etats
membres de l’OHADA, sont loin d’être transparentes et ne semblent obéir à aucun critère
précis et objectif selon le Professeur A. Badara Fall1216, laissant ainsi parfois entrevoir une
opacité sans cesse décriée par les membres du corps1217. Ces dysfonctionnements, s’observent
aussi au niveau des sanctions prises à leur encontre dans le cadre de procédures disciplinaires.
La notation des magistrats ferait l’objet de plus de suspicion parce qu’elle ne se fairait pas, «
dans les meilleures conditions »1218. Il est donc déplorable que dans un système de justice en
crise comme le nôtre, que l’évaluation professionnelle des magistrats porte essentiellement
sur les qualités individuelles du magistrat, utilisée à l’appui du déroulement de carrière. Elle
est surtout un outil destiné à la nomination et à l’avancement. L’évaluation individuelle des
magistrats sert avant tout, la carrière du personnel judiciaire au détriment du système de
justice qu’il sert. En mesurant principalement leur activité, l’idée est qu’ils soient
récompensés de leurs efforts par un avancement, voire une prime, par une augmentation du
traitement1219. Par conséquent, c’est une vision assez tronquée, déviée, une image alarmante,

1211
Sur la désignation des autorités compétentes d’évaluation en fonction de chaque juridiction voir les articles
31 et suivants du statut de la magistrature applicable ; Voir aussi Jy McKee, « Le recrutement et l’avancement
des juges français », Rennes, Mars 2006.
1212
Article 26 précité.
1213
Pour plus de détails sur lesdits fondements ou modalités d’évaluation voir le Décret n° 2001/108/ du 20
mars 2001 fixant les modalités d’évaluation du fonctionnaire.
1214
Articles 26 et suivants du décret portant statut de la magistrature.
1215
Article 40 du statut de la magistrature.
1216
A. Badara Fall, « Les menaces internes à l’indépendance de la justice », Op. Cit., p. 58.
1217
V. not. Matthieu Tankeu, L’administration de la justice au Cameroun Vers le dépassement de la
colonialité, Op. Cit.
1218
A. Badara Fall, « Les menaces internes à l’indépendance de la justice », Op. Cit.
1219
Laurent Berthier, « Le point sur... Qualité et évaluation des magistrats de l’ordre administratif », Revue
française d'administration publique, 2016/3 n° 159, pp. 739-750.

236
dévoiée1220 de l’évaluation qualitative de la justice qui nous est proposée, car réduite à la
simple mesure du professionnalisme du magistrat1221.

224. Pourtant, qualité, bonne administration de la justice, évaluation, efficacité et


management judiciaire entretiennent nécessairement des liens évidents d’interdépendance.
C’est en effet parce que le système judiciaire dans son entièreté (tant du point de vue
organisationnel que du point de vue fonctionnel) sera évalué que pourront être révélés les
dysfonctionnements dans une perspective d’amélioration constante de sa qualité et de
satisfaire à l’attente des justiciables. L’évaluation de l’activité judiciaire des magistrats doit se
réinventer, suivant en cela les multiples acceptions qu’il est possible de donner au concept de
qualité dans une perspective d’amélioration globale du service public de la justice en y
intégrant au-delà du système initial d’évaluation tournée essentiellement vers les mérites
individuels du juge, y intégrer à la fois, l’aptitude à exercer des fonctions d’encadrement ;
l’implication dans le fonctionnement de la juridiction, l’aptitude à fonctionner en équipe ; la
qualité des services rendues par la juridiction prise dans son ensemble et à tester les aptitudes
de chacun des magistrats y exerçant son office. Il faut « resituer l’évaluation professionnelle
individuelle des magistrats dans une perspective plus générale d’appréciation de la qualité
globale de la justice en en dépersonnalisant les enjeux. L’appréciation portée sur les mérites
professionnels des magistrats alimenterait alors un processus constant d’amélioration de la
qualité de la justice en ne réduisant donc plus cette dernière à celle, additionnée, des juges
pris isolément. Parée de multiples acceptions, la qualité de la justice ne saurait en effet se
satisfaire des enseignements tirés des seules évaluations professionnelles individuelles qui,
nécessaires, paraissent toutefois insuffisantes»1222. Confondre et réduire la performance des
personnels judiciaires dans une perspective d’avancement, de carrière ou simplement
indemnitaire risquerait, de « masquer les déficiences, pourtant bien réelles, au détriment de la
bonne administration de la justice »1223. C’est à un véritable changement de cap, une mutation
que nous appelons. Il convient d’introduire dans l’appréciation de travail du magistrat et du
fonctionnaire de justice la qualité du service rendu au justiciable. L’évaluation objective doit
être détachée des éléments attachés à la personne du magistrat. Le juge doit remplir ses
obligations professionnelles dans un délai raisonnable et mettre en œuvre tous les moyens

1220
Maman A. Koundy, « La réalité de l’indépendance de la magistrature », Op. Cit.
1221
Laurent Berthier, « Le point sur... Qualité et évaluation des magistrats de l’ordre administratif », Op. Cit.
1222
Ibid. p. 747.
1223
Association des conseils d’État et des juridictions administratives suprêmes de l’Union européenne, 2009, p.
6.

237
nécessaires pour tendre à l’efficacité 1224 , inscrire son action et son office dans le sens de
l’effectivité des droits dans la mesure où le juge est le moyen ultime de revendication de
l’effectivité du droit. En même temps qu’il a le droit à une procédure équitable d’évaluation.

225. Le management judiciaire est porté vers l’atteinte des objectifs qui sous-tendent
l’émergence du nouveau management public, c'est-à-dire une meilleure qualité, efficacité et
efficience du système judiciaire. Les développements qui précèdent ont permis d’appréhender
la dimension interne du management judiciaire appliquée au modèle de justice camerounais.
Mais le management judiciaire ne vit pas reclus sur lui-même et le système qu’il compose est
ouvert sur l’extérieur. C'est-à-dire sur les relations que la justice en tant qu’institution,
entretient avec l’extérieur. Celles-ci constituent la dimension externe du management
judiciaire.

SECTION II. LA DIMENSION EXTERNE DU MANAGEMENT JUDICIAIRE

226. Dans un système judiciaire, les méthodes de gestion des tribunaux exercent une
influence sur les procédures juridictionnelles et inversement. Ces relations peuvent aussi bien
être cohérentes que contradictoires. Le même modèle de justice impacte également la nature,
le type de rapports, de relations que peuvent avoir les différents acteurs chargé d’assurer la
cohérence du système. Concrètement, la dimension externe du management judiciaire
concerne essentiellement l’aspect relationnel, les rapports, l’interaction de la justice avec son
environnement. Elle implique une idée de caractéristique ou de spécificité, du contenu de la
relation et d’atteinte d’un résultat consistant à rendre un service aux justiciables. Il faut dire
d’emblée que, cette dimension est caractérisée par des faiblesses et manquements. Ceux-ci
concernent respectivement la représentation de la communication dans le système de justice
(Paragraphe I) et les relations entre instances du secteur judiciaire, tels que les professions
judiciaires (Paragraphe II).

Paragraphe I. La représentation de la communication dans le système


de justice
227. Justice et Communication sont indiscutablement liées. Que serait l’œuvre de justice
sans une quelconque interaction entre les acteurs du procès en priorité, possibilité de
transmettre des informations. La communication donne une transparence à l’administration de
la justice en plaçant son exercice sous le regard du peuple. La circulation des informations, la

1224
Article 6-3 du statut universel du juge, Union Internationale des Magistrats, adopté par le conseil central de
l’UIM à Taiwan le 17 novembre 1999 mis à jour à Santiago du chili le 14 novembre 2017.

238
courtoisie et la sérénité des relations reste un enjeu majeur pour les instances présentes,
manifestés par les acteurs dans et en dehors du procès ou la communication des informations
sur la justice. Aussi nous sommes nous interrogés d’un côté sur la communication entre le
pouvoir judiciaire et le pouvoir politique (A), de l’autre, sur la communication entre le
pouvoir judiciaire et l’usager de la justice (B).

A. La communication entre le pouvoir judiciaire et le gouvernemental

228. Parler de communication entre la fonction de trancher les litiges et les autres pouvoirs
ou fonction de l’Etat peut sembler déroutant. Le verbe communiquer traduit l’idée d’être en
rapport avec quelqu'un ou quelque chose, d’avoir des relations, le résultat de cette action. Un
lien semble ainsi établi entre communication et relation. Ce dernier terme sur le plan
philosophique, traduit le rapport entre deux personnes, entre deux choses qui se fréquentent,
qui se rencontrent, qui communiquent ; considérer respectivement l'une à l'autre1225 ou encore
ensemble des rapports et des liens existant entre elles. Il peut aussi refléter, la position
respective d’organes, des parties, de personnes, de fonctions l'une par rapport à l'autre1226.
C’est en définitive dans le cas d’espèce, l’interaction ou les rapports qu’entretiennent entre
eux les différentes fonctions régaliennes de l’Etat. De cette séparation 1227 des fonctions
régaliennes doit donc découler la structure institutionnelle d’un État. Si l’on se penche sur le
pouvoir judiciaire, on remarque dans la réalité que les principes de collaboration, de
« préséance ou priorité de rang » et non de hiérarchie1228 qui doivent présider les relations
entre ces pouvoirs de l’Etat, se sont transformés, en hiérarchisation des fonctions régaliennes.
Le droit constitutionnel camerounais donne ainsi au pouvoir politique, au-delà d'importants
moyens d'action officiels sur le judiciaire1229, des moyens d'interventions officieuses et de
tentatives d'association de l’élément que nous considérons comme le plus important de la
séparation des pouvoirs, celui qui protège le citoyen de l’arbitraire. Les deux autres pouvoirs
n'ont pas, pour influencer le judiciaire, que les moyens officiels que leur fournissent les
principes régissant l'organisation judiciaire. Ils peuvent aussi y aller de leur propre initiative.
1225
Le Littré, Dictionnaire de langue française, Op. Cit. V. Relation, sens 2.
1226
Ibid., Sens n° 5.
1227
Si le terme traditionnel utilisé est celui de la séparation des pouvoirs, principe d’organisation politique des
Etats, mais le terme semble de plus en plus dominant pour le désigner est celui d’équilibre des pouvoirs pour
insister sur le fait que l’objectif n’est pas tant la séparation hermétique entre les pouvoirs, que leur équilibre et
leur interaction. V. Frédéric Bouhon et Quentin Pironnet, « Le pouvoir judiciaire et l’équilibre des pouvoirs :
réflexions à propos des récentes réformes », Pyramides, 29, 2017, pp. 93-118.
1228
Caroline Sägesser, « Législatif, exécutif et judiciaire. les relations entre les trois pouvoirs », CRISP, «
Dossiers du CRISP », 2016/2, n° 87, pp. 9-71..
1229
Les principales interactions entre l’exécutif et le pouvoir judicaire se situent, d’une part, au moment de la
nomination des magistrats, destitution des officiers de judicature, administration de la justice et, d’autre part et
de façon continue, dans le rôle du ministère public.

239
Et les mécanismes d’ascendance qui prévalent à ce chapitre sont particulièrement révélateurs
de l'état d'indépendance d'un système judiciaire et l’expression du modèle exécutif
d’administration de cette justice et de la qualité d’un système. Ces moyens passent parfois par
la suggestion. Il peut arriver que, voulant peser sur le jugement, le pouvoir politique agisse
d’une façon qui tende à orienter la décision qu'est appelée à prendre le juge. Par contrainte et
bien que non voulue, l’officier de justice ne dispose pas des techniques d’immunisation
appropriées1230 pour contrer la suggestion. Au gré des contingences politiques, il peut être de
la volonté de la chancellerie d’inspirer ou d’exiger du juge une certaine attitude dans la
conduite des affaires pour lesquelles son indépendance et son impartialité sont requises.
L’argument de politique judiciaire ou de politique pénale sera généralement ici l’élément
justificatif. « Vous voici donc au front, face à un crime qui doit être sanctionné avec la plus
grande sévérité. Vous vous en doutez bien, il ne s’agit pas d’une injonction du gouvernement.
Le gouvernement se fait simplement l’écho d’une attente du Cameroun profond. Le
gouvernement vous apporte un éclairage qui doit rester dans la conscience des hauts
magistrats que vous êtes. Il s’agit d’un éclairage qui interpelle votre intime conviction. Le
législateur, à travers l’article 184 du Code pénal, a déjà balisé le chemin indiquant, en cas de
culpabilité, le taux et les peines à appliquer. Et j’ai failli dire, les peines qu’il ne reste plus
qu’à appliquer en cas de culpabilité » ; « … les textes organiques donnent au ministre de la
justice le soin de suivre ces activités pour que la politique répressive soit construite. Je dis
bien la politique répressive et non activités juridictionnelles. Et j’ajoute que, construire une
politique répressive ne veut pas dire mener une répression politique »1231. Il faut y ajouter, la
déclaration du Président Ahmadou Ahidjo appréciant la contribution de la réalisation de la
justice à sa politique de lutte contre le grand banditisme selon laquelle il se réjouit « de
constater que les tribunaux ont appliqué ces mesures avec courage et discernement. Ils ont
ainsi contribué en particulier dans les grandes villes à restaurer la confiance : et surtout la
sécurité » 1232 . Si la construction d’une meilleure politique pénale justifie les interventions
gouvernementales dans le cours d’une affaire en cours, ces dernières doivent être dépourvues
de toute pression ou incitation pour être fondées sur motif d’intérêt public1233. Lorsque la

1230
Henri Brun, & Denis Lemieux (1977), « Politisation du pouvoir judiciaire et judiciarisation du pouvoir
politique : la séparation traditionnelle des pouvoirs a-t-elle vécu ? », in Les Cahiers de droit, 18 (2-3), p. 265-
313.
1231
Allocution de Monsieur Laurent Esso, ministre d’Etat, Ministre de la justice, garde des sceaux, au cours de
l’audience inaugurale du Tribunal criminel spécial tenue à Yaoundé, le 15 Octobre 2012.
1232
Discours prononcé lors de la rentrée solennelle de la Cour suprême le 15 décembre 1973 cité par Matthieu
Tankeu, L’administration de la justice au Cameroun Vers un dépassement de la colonialité, Op. Cit., p. 18.
1233
Henri Brun et Denis Lemieux (1977), « Politisation du pouvoir judiciaire et judiciarisation du pouvoir
politique : la séparation traditionnelle des pouvoirs a-t-elle vécu ? », Op. Cit. p. 279.

240
suggestion est consciente, elle s'appelle incitation1234. Et lorsque l'incitation est une demande
du gouvernement elle peut facilement devenir ou être considérée comme de la pression1235. La
dénonciation du juge Matthieu Tankeu qualifiant de coloniale l’administration de la justice
camerounaise1236 ainsi que d’autres acteurs et observateurs du système judiciaire camerounais
est simplement la preuve que le phénomène est d’une récurrence telle que les juges semblent
mal équipés pour se soustraire à ces interventions du pouvoir politique.
Parfois et d’habitude officieuse, la pression du gouvernement sur la justice peut
s'exprimer plus ouvertement. Le pouvoir politique peut enfin usiter de menaces plus ou moins
voilées. Selon une étude de professeurs canadiens menée sur la question, lorsque
l’intervention prend la forme d’une menace, la décision est tellement dépourvue de pertinence
juridique qu'elle ne peut être fondée que sur des considérations d’ordre politiques 1237 .
L’immixtion du politique dans les décisions de justice est un fait réel au Cameroun1238. Si
l’immixtion n’est pas toujours apparente, elle n’en n’exerce pas moins une ascendance
certaine sur les décisions de justice. Elle se manifeste par des avantages ou faveurs accordés
ou à accorder au magistrat, par des intimidations ou menaces subtiles pouvant mettre en péril
l’avenir ou la carrière du magistrat1239.

229. L’influence des pouvoirs législatif et exécutif sur le cours de l’action judiciaire ou des
litiges à venir ne dépend pas que de l’action unilatérale de ces fonctions régaliennes. Elle peut
prendre l’image de démarches communes auxquelles la chancellerie (en conformité avec la
fonction législative du Ministère de la justice) et les tribunaux peuvent être associés de bon
gré, parfois malgré eux de nature à produire une collusion. La collusion désigne une démarche
commune qualifiée d’Action d’ « association du judiciaire au gouvernement » 1240 , de
mandarinat ou encore un shopping politique et institutionnel1241 dont l’une des illustrations
consiste dans la nomination de hauts magistrats respectés, invitant ainsi le judiciaire à
participer à ses activités. Il donne ainsi à certains actes du politique, des apparences

1234
Ibid., p. 277.
1235
Ibid.
1236
Matthieu Tankeu, L’administration de la justice au Cameroun Vers un dépassement de la colonialité, Op.
Cit.,
1237
Henri Brun et Denis Lemieux (1977), « Politisation du pouvoir judiciaire et judiciarisation du pouvoir
politique : la séparation traditionnelle des pouvoirs a-t-elle vécu ? », Op. Cit.
1238
Matthieu Tankeu, L’administration de la justice au Cameroun Vers un dépassement de la colonialité, Op.
Cit., p. 77 et suivantes.
1239
Ibid.
1240
Voir Henri Brun, & Denis Lemieux (1977), « Politisation du pouvoir judiciaire et judiciarisation du
pouvoir politique : la séparation traditionnelle des pouvoirs a-t-elle vécu ? », Op. Cit. p. 282 ; Joseph
Djogbenou, Bénin, Le secteur de la justice et l’Etat de droit, Op. Cit., p. 6 et suiv.
1241
Joseph Djogbenou, Bénin, Le secteur de la justice et l’Etat de droit, Op. Cit.

241
d'objectivité. Cependant, pour le judiciaire, l'effet est inverse, la participation de magistrats à
des tâches de nature gouvernementale diminue son image d'impartialité1242. Le lieu privilégié
de cette association volontaire gouvernement et judiciaire est la commission d'enquête, de
vérité ou de réconciliation1243 ou à des postes de responsabilité liés au politique1244. Cet aspect
de la question semble être celui qui menacerait le plus aujourd'hui dans l’espace OHADA,
l'indépendance du judiciaire, d'autant plus que les magistrats ne réagissent que très rarement
ou pas du tout à l'une ou l'autre de ces sortes d'atteintes à leur intégrité1245.

En outre, les procédés mis en œuvre dans le but d'associer le pouvoir judiciaire à
l’œuvre des autres pouvoirs, peuvent prendre la forme de la conscription. Les fonctions
exécutrice et législative n’iront pas toujours directement, choisissant plutôt le canal de la
législation1246. Ce détour procure l'avantage, pour les forces à l’origine du texte, de laisser peu
de choix aux tribunaux, qui se comporteront lorsque les conditions nécessaires sont réunies,
comme dans les hypothèses de compétence liée, faisant des juges des agents du
gouvernement1247.

230. Facteurs de « déstructuration de l’indépendance du magistrat »1248, on assiste par le


biais de ces pratiques à une marchandisation de la fonction régalienne de juger. Elle contribue
à la défaillance de l’institutionnalisation du pouvoir du magistrat. Ce que Jean Codt dénonce
par la question de « Quel respect donner à un État qui marchande sa fonction la plus
archaïque, qui est de rendre la Justice ? […] Cet État n’est plus un État de droit, mais un
État voyou »1249. La justice au regard de la constitution camerounaise est un pouvoir, mais qui
s’apparente en réalité comme la simple délégation aux cours et tribunaux d’une fonction
régalienne effectivement détenues par un autre. La dotation à l’officier de judicature d’un
statut particulier n’y produisant aucun effet. Pour que le judiciaire soit en état de remplir sa

1242
Ibid.
1243
L'expérience semble démontrer que trop souvent les problèmes à caractère politique ou para-politique, sont
référés à des commissions d'enquête ce qui permet alors le recours à des membres de la magistrature respectés (.
. .) pour « lessiver » pour ainsi dire les problèmes que le gouvernement trouverait trop délicats à régler lui-même
ou encore pour rechercher les solutions suggérées par ces mêmes commissions, solutions que le gouvernement
n'aurait pas eu la volonté de prendre lui-même, précisément pour des raisons politiques.
1244
Ibid. Voir aussi Henri Brun, & Denis Lemieux (1977), Article précité, Op. Cit. ; Djie Bouin Wilfried, Le
droit à un procès équitable et la justice transitionnelle dans la reconstruction du système juridique et politique
ivoirien, Thèse, Droit, Université de Toulouse, 2018.
1245
Joseph Djogbenou, Bénin, Le secteur de la justice et l’Etat de droit, Op. Cit.
1246
Henri Brun, & Denis Lemieux (1977), Article précité, Op. Cit., p. 285-286.
1247
Ibid.
1248
Mamadou Fomba, La profession du magistrat au Mali. La difficile quête d’indépendance du juge, Thèse,
Science politique, Université de Bordeaux, 2013, pp. 156 et suiv.
1249
V. De Mulder, « La Belgique se rapproche d’un État voyou, pour le plus haut magistrat du pays »,
RTBF.be, 15 mai 2016, disponible à l’adresse suivante : https://www.rtbf.be/, consulté le 1er janvier 2020.

242
fonction, il est nécessaire que les tribunaux et la magistrature soient le moins possible associés
à l'activité gouvernementale qui peut indûment influencer les tribunaux. Le principe de la
séparation des pouvoirs n’est pas un simple objet de design institutionnel, il s’agit d’une règle
fondamentale pleinement dirigée vers l’intérêt de la société et des individus qui la
composent1250. La réalisation de la norme officielle érigée doit prévaloir sur la domination des
pratiques dites informelles1251. Sans quoi le justiciable peut douter de tout, surtout dans un
système de justice où l’avènement du principe de la séparation des pouvoirs a été greffé du
fait de l’héritage colonial, constitué par un phénomène de mimétisme à l’opposé des systèmes
occidentaux où il est le résultat d’une évolution institutionnelle et politique1252. Le justiciable,
l’opérateur économique souffrent en silence de cette ascendance portée à la justice. Le
judiciaire ne peut être utile que s'il inspire confiance. La conclusion ne saurait donc être
heureuse. La justice telle qu’elle implémentée répond de manière insuffisante à l’idéal du
développement, édification et affermissement d’un État de droit prôné dans le Traité révisé de
l’OHADA. Son image, écornée par des allégations de corruption, sa relation reste minée par
les interventions inappropriées, dans le fonctionnement de la justice. Fonctionnement dont le
mutisme reste légendaire.

B. La communication entre le pouvoir judiciaire et l’usager de la justice

231. La vocation première de la justice en tant qu’institution est de trancher les litiges en
appliquant le droit pour rendre à chacun ce qui lui revient. A cette vocation traditionnelle que
l’on ne saurait lui disputer, s’ajoute une « nouvelle » dont l’essor doit à l’émergence du
registre managérial de l’administration de la justice : la diffusion de l’information1253 sur la
justice ou information judiciaire. Cette participation de la justice se manifeste essentiellement
par la communication1254. Ce n’est pour autant pas avec le management judiciaire que nait la
relation entre justice et communication. Dès l’antiquité, les relations entre justice et
communication se conçoivent à travers la rhétorique et l’art de l’éloquence au service du

1250
Frédéric Bouhon et Quentin Pironnet, « Le pouvoir judiciaire et l’équilibre des pouvoirs : réflexions à
propos des récentes réformes », Op. Cit.
1251
Mamadou Fomba, La profession du magistrat au Mali. La difficile quête d’indépendance du juge, Op. Cit.
1252
A. Badara Fall, « Les menaces internes à l’indépendance de la justice », Op. Cit. p. 53.
1253
Voir Jean-Marie Palach, « Le droit de l’information », En ligne sur
http://www.cairn.info/article.php?ID_revue=rs&id_numpublie=rs_048&id_article=rs_048_006 consulté le 9
Octobre 2020.
1254
C’est aussi l’action établissant un échange et des liaisons d’une certaine relation bilatérale ou multilatérale.
Lire Louay Abdelfettah, « Droit à l'information et à la communication: notion et enjeux », Working Paper,
January 2011, p. 5.

243
droit 1255 . Sur le plan moderne, la communication renvoie à l’information. En matière de
justice, cela revient à promouvoir une « information claire, utile et efficace ». A cet égard, il
n’est plus simplement question de transmettre une information, « mais de donner sens et
autorité à sa mission, de cultiver son image auprès des citoyens, de faire un lien »1256. Mais la
communication entre le justiciable camerounais et sa justice notamment sur le plan externe,
sont difficiles et bien loin des caractéristiques que lui donne le Professeur Jean-Jacques
Bouteaud. La tradition de secret et de distance vis-à-vis des justiciables, est une constante au
sein de ce ministère. Des trois pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, la fonction de rendre
justice reste le moins visible des citoyens. La communication ne fait guère partie de l’ADN
des responsables chargés de l’administration de la justice, non habitués à y consacrer du
temps et des efforts, l’accent étant mis sur les déterminants internes de l’institution. Le
système des relations avec l’environnement constitue une donnée importante dans l’étude et
l’appréhension d’une institution. Il révèle sa nature profonde, renseigne sur son adaptabilité,
donne la mesure de son efficacité sociale 1257 . Deux modèles différents d’agencement,
considérés comme des « idéaux-types » peuvent gouverner les relations entre une organisation
et son environnement : soit l’organisation s’ouvre à son environnement par un ensemble de
dispositifs informationnels qui permettent un échange constant d’informations, ou bien
l’organisation se replie sur elle-même, devient peu réceptive aux sollicitations de son milieu,
prétendant agir unilatéralement, sans subir en retour d’influence1258. Pour le dire autrement, en
matière de justice, le système de relation entre l’organisation et son environnement (les
citoyens) peut être basé soit sur « l’ouverture », soit sur « la fermeture ».
Le système de relation entre l’administration à laquelle fait partie la justice et les
justiciables hérité du système colonial porte l’empreinte du modèle bureaucratique. Les
principes qui sous-tendent ce modèle entrainent, postulent un certain mode de communication
avec l’environnement social. Résultat de ce modèle bureaucratique, le principe de fermeture
est celui qui gouverne les relations entre l’administration de la justice et ses usagers. Parler de
fermeture ne signifie pas que l’administration soit totalement coupée de l’environnement
social, privé de tout contact, close, aucune organisation ne pouvant vivre en situation
d’autarcie. La fermeture, signifie plutôt « non pas l’absence, mais la non-réversibilité des
1255
V. J.-M. Adam et M. Bonhomme, L’argumentation publicitaire. Rhétorique de l’éloge et de la persuasion,
Paris, Nathan Université, 1997, p. 3. La rhétorique a, depuis l’Antiquité selon les auteurs été, « une théorie (et
une didactique) de ce qu’on appellerait aujourd’hui la "communication" ».
1256
J.-J. Bouteaud, « Justice : la communication en procès », in C. Caseau-Roche et S. Grayot-Dirx (dir.),
Dossier justice et communication. La communication sur la justice, Paris, Dalloz, Avocats, 2020, pp. 59-63.
1257
J. Chevalier, « L’administration face au public », in La communication administration-administrés, PUF,
1983, pp. 13-60, spéc. p. 13.
1258
Ibid.

244
échanges entre l’administration et la société : l’administration prétend dicter sa loi au milieu
social sans être en retour influencé par lui »1259. Le schéma de cette relation administration-
usager s’illustre par deux comportements. L’un négatif : la relation prend la forme d’une mise
à l’écart des usagers1260. Elle se caractérise d’une part, par la distanciation, pour éviter de
subir des immixtions dans son fonctionnement interne. Le principal outil réside dans la
différenciation permanente. De multiples signes extérieurs parfois évocateurs ou subtils sont
là pour le rappeler : la dimension étatique des missions et fonctions, le costume pour marquer
la différence des rôles et des statuts, le passage de la volonté administrative par le canal du
droit, suffisent pour installer la différenciation fondamentale, le mode de contact avec le
justiciable qui doit se borner à mettre à disposition, les éléments qui permettront à l’officier de
justice de statuer en toute indépendance, rituel complexe de réception basé sur le principe
d’audience etc.1261 Le guichet est révélateur de cette relation distanciée et autoritaire1262. En
situation de quémandeur, le justiciable semble soumis au bon vouloir de l’autorité. La rigidité
du système de relation est purement et simplement le symbole d’une administration de plus en
inaccessible. Le décideur est placé hors de portée de l’usager. D’autre part, le moyen le plus
sûr d’assurer la distanciation est de cultiver le secret, d’entourer le service public de la justice
de silence et de mystère, à l’abri des regards indiscrets, signe d’une administration secrète,
opaque. La tradition de secret et de distance vis-à-vis des justiciables, et peut-être plus encore
des journalistes, est une constante au sein de la chancellerie1263. Conséquence, le public ne sait
pas grand-chose du processus et des conditions d’élaboration des décisions qui lui seront
appliquées. Ce modèle à base d’autorité et de distanciation, imprègne l’ensemble des relations
entre l’administration et le public. Pour l’autorité, le justiciable n’est qu’un assujetti1264. La
justice est plutôt mal connue et mal comprise par les justiciables, qu’il s’agisse par exemple
du fonctionnement général des institutions judiciaires, des méthodes de traitement des
dossiers ou encore des limites que la loi fixe aux prononcés des tribunaux. Pour beaucoup, le
fonctionnement de la justice demeure obscur, ce que l’usage, notamment au cours des débats
en audience, d’un langage parfois hermétique n’arrange pas. Les institutions judiciaires –
administration centrale et tribunaux – ne peuvent se contenter d’améliorer leur
communication, par la simple érection d’une direction ou d’une simple cellule de

1259
Ibid.
1260
Ibid.
1261
Voir H. Desroche, Les mythes administratifs, PUF, 1996, p. 134 et suiv.
1262
J. Chevalier, « L’administration face au public », Op. Cit.
1263
Carole Thomas, « La communication par le bas au ministère de la Justice », Communication et
organisation, 35, 2009, pp. 170-181.
1264
J. Chevalier, « L’administration face au public », Op. Cit.

245
communication logée au sein de la chancellerie1265. Les responsable de la communication de
l’administration centrale, gèrent essentiellement la communication interne site Intranet du
ministère, éditions diverses, et des outils de communication pour le cabinet : études d’opinion,
baromètre Justice, revues de presse. L’absence de relations avec les usagers de la justice au
sein de ce service constitue une vraie contrainte pour ces acteurs lorsqu’il s’agit d’asseoir leur
crédibilité auprès des autres acteurs. La justice est mal perçue par le justiciable. Elle est
constamment décriée dans les discours politiques et populaires. Le désarroi du justiciable est
encore plus grand que la justice camerounaise est connue pour son mutisme. Pour la justice,
communiquer semble douloureux. Les stratégies de communication visant à renforcer la
confiance et le respect du public à l’égard de la justice ainsi que l’autorité des tribunaux sont
quasi inexistante. Pourtant, la tâche de transmettre aux citoyens les messages de la justice et
de faire comprendre à ceux-ci que cette dernière, en tant que troisième branche du pouvoir,
joue un rôle crucial, sinon essentiel dans leur vie quotidienne. Selon la juge Radmila
Dragičević, « l’anticipation est la règle d’or d’une bonne stratégie de communication de la
justice avec le public. Si les tribunaux s’abstiennent de livrer leur propre version de tel ou tel
événement, d’autres s’en chargeront à leur place »1266. Autrement dit, ne pas communiquer
c’est aussi communiquer. Une judicieuse et proactive stratégie de communication est un
facteur de cohérence, et la cohérence constitue pour toute institution et les tribunaux en
particulier en raison de la spécificité de service public de la justice, un moyen de défense et de
protection. L’attitude des justiciables et du public à l’égard des tribunaux est d’autant plus
sensible qu’elle est en mesure de susciter plus confiance en la justice que le fonctionnement
de la justice lui est compréhensible. La transparence appelle le respect, le secret entraîne la
défiance1267.
Les développements précédents appellent donc un constat, la légitimité du juge est
fragilisée sinon constamment remise en cause. La diffusion de l’information sur le

1265
Du texte portant organisation et fonctionnement du ministère de la justice, l’on retient que la cellule de
communication est chargée de la mise en œuvre de la stratégie de communication gouvernementale au sein du
Ministère ; de la conception et de la mise en forme des messages spécifiques du Ministre ; de la collecte, de la
conservation et de l'analyse de la documentation journalistique et audiovisuelle du Ministère ; de l'exploitation
des articles relatifs à l'administration pénitentiaire et à la justice, parus dans la presse nationale ou internationale ;
de la promotion permanente de l'image de marque du Ministère ; du protocole et de l'organisation des
cérémonies auxquelles participent le Ministre, le Ministre Délégué ou le Secrétaire d'Etat ; de la réalisation des
émissions spécialisées du Ministère dans les médias ; de l'organisation des conférences de presse et autres
actions de communication du Ministre, du Ministre Délégué ou du Secrétaire d'Etat ; de la rédaction et de la
publication du bulletin d'informations et de toutes autres publications intéressant le Ministère.
1266
Radmila Dragičević, « Stratégies de communication », in L’autorité du pouvoir judiciaire 1. Défis pour
l’autorité du pouvoir judiciaire 2. Réponses aux défis, Cour européenne des droits de l’homme, Dialogues entre
juge 2018, p. 43.
1267
Ibid.

246
fonctionnement de la justice, n’est pas qu’un objet décoratif. L’ensemble des corps sociaux a
besoin d’informations que l’institution judiciaire peut leur fournir. La seconde peut profiter de
ses contacts avec les premiers pour expliquer son activité et renforcer son image. Une
communication adéquate est à même de renforcer – ou restaurer – la confiance des citoyens
dans les institutions judiciaires, en montrant que ces institutions et les personnes qui les
composent ne défendent pas que l’intérêt général et veillent à statuer dans les limites de la loi
et dans des délais aussi raisonnables que le permettent les moyens mis à leur disposition.
L'information est l'oxygène de la démocratie1268. Si les gens ne savent pas ce qui se passe,
comment fonctionne leur justice, si leurs dirigeants agissent sous le voile du secret, ils ne sont
pas en mesure de participer d'une manière positive à la vie de leur société 1269 . Mais
l'information n'est pas seulement nécessaire au public, elle est un élément constitutif majeur
de la transparence de toute organisation. La diffusion de l'information constitue pour les
organismes publics, une obligation qui a pour pendant le droit du public de recevoir
l'information1270. La défiance du justiciable vis-à-vis de sa justice constitue un enjeu majeur
dans la problématique de l’institutionnalisation de la justice étatique. Elle doit être surmontée
par la refondation des relations entre les magistrats, principal maillon dans la fourniture de la
prestation de justice, et les justiciables. En effet, la justice est décriée à cause du
comportement de certains de ses acteurs. Cependant, peu de justiciables peuvent se targuer de
la maitrise des règles et procédures de fonctionnement de la justice. La justice fait partie
intégrante de l’ensemble du macrocosme social dans lequel elle évolue. Il n’est pas
souhaitable de créer une césure entre elle, et ceux pour lesquels elle est destinée. Par
conséquent, l’idéal serait de s’en tenir à une information parée de toutes les vertus : simple,
utile, efficace. Autrement dit, la communication judiciaire doit servir la justice et le
justiciable, elle ne doit pas compromettre la dignité de la justice. Dans cette veine s’est
inscrite une conception fonctionnaliste de la communication1271. L’administration de la justice
doit devenir une réalité tangible aux yeux des justiciables, des citoyens. Un meilleur accès aux
informations relatives au pouvoir judiciaire et à son fonctionnement, ainsi que le
développement de mécanismes d’échange d’expériences entre pays, régionalement et
internationalement, permet d’atteindre un certain nombre d’objectifs à court, moyen et long

1268
Andrew Puddephatt, « Avant-propos », in Droit du Public à l’Information Principes relatifs à la législation
sur la liberté de l’information, International Standards Series, 2011.
1269
Ibid.
1270
Ibid.
1271
J.-J. Bouteaud, « Justice : la communication en procès », Op. Cit.

247
terme dans le cadre d’une meilleure administration de la justice par la communication, de
nature à influer positivement les relations entre les différents opérateurs du droit.

Paragraphe II. Les relations entre les professions juridiques et


judiciaires
232. Les professions juridiques et judiciaires, entendues, dans leur globalité, comme
l’ensemble des professionnels du droit1272, occupent une place singulière dans chaque système
de droit. Elles en sont ainsi, en raison de la place qui est la leur dans le processus
d’application de la règle de droit, le miroir de pratiques judiciaires. Une logique peut dès lors,
être établie entre la qualité des rapports qu’entretiennent les professions judiciaires et
juridiques entre elles et la nature de leurs relations. Elles sont les garantes du bon
fonctionnement de l’Etat. Les relations apaisées, équilibrées entre les professions judiciaires
favorisent une bonne administration de la justice et un procès équitable. Ainsi, face à la
divergence des intérêts en présence – intérêt des litigants, intérêt de la société, des opérateurs
du droit, les relations entre le pouvoir judiciaire et le barreau (A), les relations entre le
pouvoir judiciaire et la chambre des huissiers (B), doivent prendre en considération le souci
d’une bonne justice.

A. Les relations entre la magistrature et le barreau

233. Le droit à la justice, qu’il soit appréhendé dans sa dimension objective ou dans sa
dimension subjective est une composante essentielle de l’Etat de droit. De ce droit, le
Procureur Général François Molins tire la conviction selon laquelle, « le droit libère
l’individu, et que sa règle est faite pour protéger son épanouissement, instaurer un équilibre,
assurer une répartition équitable des moyens et des richesses »1273. C’est la démonstration
d’une conception humaniste qui justifie l’organisation traditionnelle des rôles et des statuts
des professionnels au sein de tout ordre juridique. Le juge, les magistrats sont des opérateurs
du droit au service de la loi, le notaire, l’huissier de justice, le commissaire-priseur et le
greffier du tribunal sont des officiers publics ministériels, l’avocat représente les parties, et
l’avocat aux conseils est un officier ministériel1274. Magistrats et avocats œuvrent ensemble au
cours normal de la justice. Si l’un en est le dépositaire et l’autre, l’auxiliaire, ils s’imposent et
1272
C. Gauthier, « Introduction », in C. Gauthier et L. Grard (dir.), Les professions juridiques et judiciaires en
Europe, avril 2014, p. 5 et suiv.
1273
François Molins, « Quelles professions réglementées du droit pour demain ? », Discours prononcé par M.
procureur général près la Cour de cassation, en ouverture du colloque « Quelles professions réglementées du
droit pour demain ? », qui s’est tenu à la Cour de cassation, le jeudi 7 novembre 2019, Disponible sur le site de
la juridiction www.courdecassation.fr.
1274
Ibid.

248
s’opposent sur la scène judiciaire comme deux maillons incontournables1275. Tous sont donc
au service du justiciable, du peuple, dont les droits et devoirs sont garantis, et au nom duquel
la justice est rendue. C’est dire que la fonction juridictionnelle comme la fonction de défense
sont d’essence légale pour ne pas dire constitutionnelle, voire supra constitutionnelle pour ce
qui concerne tout au moins les droits de la défense reconnus à tout citoyen1276. Il est donc
impossible aujourd’hui d’imaginer une justice sans juge et sans avocat. Ce dernier étant la
passerelle nécessaire entre le droit et la justice. En ce sens, les défis à relever pour ces
opérateurs du droit sont légions1277.
L’un de ces indispensables défis est la relation entre magistrats et avocats. Chacune de
ces professions réglementées peut être jalouse de sa particularité, de sa différence, de ses
missions, du caractère essentiel et étroit des échanges entre elles. Mais il faut toutefois relever
que, les rapports entre ces acteurs sont difficiles, entachés de méfiance. Unis jusqu’au début
du XIXème siècle, séparés par Napoléon, réformés et éloignés plus encore en 1958 avec la
création de l’École nationale de la magistrature française et plus tard l’Ecole Nationale
d’Administration et de Magistrature du Cameroun1278, le juge, serviteur de la loi, et l’avocat,
contradicteur naturel1279, vivent aujourd’hui des relations difficiles entachées de méfiance qui
mettent en exergue les difficultés de communication entre magistrats et avocats. Il n’existe
pas de manuel, aucune règle du jeu 1280 claire cristallisant les règles qui doivent régir les
rapports entre ces deux professions, les stabiliser. Le règlement intérieur du Barreau du
Cameroun consacre à la question un article 73 de trois alinéas1281. Dans un contexte où l’appel

1275
Anne Boigeol, « Les transformations des modalités d’entrée dans la magistrature : de la nécessité sociale
aux vertus professionnelles », in Pouvoirs, 7 4, 1995, pp. 28-41.
1276
Me Sylvain Souop, « Les relations avocats magistrats », Plaidoiries à l’Audience solennelle de prestation
des avocats stagiaires au Tribunal de Grande Instance de l’océan, Kribi, 19 février 2015.
1277
Voir Institut des Hautes Etudes sur la justice, Les quatre défis de l’avocat français du XXIe siècle,
Rapport, Octobre 2017. Disponible à l’adresse www.cnb.avocat.fr.
1278
Sur le processus complet de la mutation des professions lire utilement Anne Boigeol, « Les transformations
des modalités d’entrée dans la magistrature : de la nécessité sociale aux vertus professionnelles », Op. Cit. ;
Lucien Karpik, Les Avocats. Entre l’Etat, le public et le marché, XIIIe-XXe siècle, Paris, Gallimard, 1995 ;
Pierre-Olivier Sur, Histoire des avocats en France, Paris, Dalloz, 2013.
1279
Manuel Carius, « Dialogue entre avocats et magistrats : pour une approche culturelle », Dalloz-Actualité,
Le droit en débats, du 29 Novembre 2019, disponible à l’adresse
https://www.dallozactualite.fr/printmail/node/dialogue-entre-avocats-et-magistrats-pour-une-approche-culturelle.
1280
Par règle du jeu, il faut entendre « un encadrement structurant, une organisation qui assigne à chacun une
place bien définie, la disposition dans un même espace social, en bref, une règle implicite plus profonde que les
règles elles-mêmes mais indispensable à la bonne application de celles-ci ». Antoine Garapon, « Magistrats -
avocats, des relations sans règle du jeu », in Les Cahiers de la Justice, 2020/3, n°3, pp.449-457.
1281
Arrêté n° 41/DPJ/SG/MJ du 12 avril 2005 de Monsieur le vice premier ministre, ministre charge de la
justice, garde des sceaux, portant homologation et publication du Règlement Intérieur du Barreau. Aux termes de
cet article : « Tout en faisant preuve de respect et de loyauté envers l’office du Juge, l’Avocat défendra son client
avec conscience et de la manière qu’il considère être la plus appropriée à la défense des intérêts du client, dans
le cadre de la Loi. Dans l’observation du principe du caractère contradictoire des débats judiciaires, l’Avocat
s’interdit de prendre contact avec un Juge au sujet d’une affaire, sans en informer préalablement l’Avocat de la
partie adverse. Il ne peut remettre des pièces, notes ou autres documents à un Juge sans qu’ils soient

249
à la modernisation de la justice camerounaise est pressant, il conviendrait d’identifier
clairement les causes de la mésentente, de la dégradation des liens entre magistrats et avocats.
En se référant à leur expérience, à l’éthique de l’avocature, certains ténors du barreau
ont pu avancer l’absence de culture commune, justifiée par un exercice cloisonné des
professions et fondée sur l’émergence de deux méthodes distinctes de formations, la
conférence de stage pour les membres du barreau, la formation à l’ENAM pour les magistrats,
une déontologie de l’avocat et une autre pour les magistrats1282 ; la dureté des rapports entre
les individus plus ou moins fondées que l’on peut reconnaitre dans le regard sévère de certains
officiers de justice sur l’avocature qu’ils considèrent comme un obstacle à la vérité ou ses
membres principalement animés par l’appât du gain1283 ; la précarité économique et financière
de certains avocats, les conduit à l’adoption d’un comportement radical à l’endroit de
magistrat, à la rupture de la juste distance entre l’avocat et son client, des manquements
déontologiques observables à travers la multiplicité des actes de procédure jugées inutiles1284 ;
l’exacerbation des émotions et des frustrations dans les médias. En effet la surexposition de
certaines affaires sur la scène publique entrainent parfois les prises à partie personnelles, dans
la presse ou à l'audience, sont de plus en plus mal vécus par les magistrats visés. De plus, des
avocats considèrent que certains juges ne sont pas assez compétents et les juges le leur
rendent bien, ce qui peut parfois aboutir à des positions de dédain, voire de mépris, qui ne
vont certes pas dans un sens souhaitable1285. Les magistrats également ne sont pas épargnés
d’un faisceau de critiques, car considérés à l’origine des pesanteurs rencontrées par les
avocats dans l’exercice de leurs fonctions. Il leur est notamment reproché d’être discourtois,
d’organiser les audiences sans associer de manière suffisante les avocats, ce qui porte un coup
à la qualité du travail de l’auxiliaire ; exigence de l’avocat, révérence en tout temps et en tous
lieux, signe d’une confusion entre allégeance servile et respect1286.
En tout état de cause, l’avocat est un auxiliaire de la justice et non un auxiliaire du
juge. La justice camerounaise précisément sur cette question souffre d’un certain clair obscur
de statut et notamment celui des avocats dont la position « d’auxiliaire de la justice » soulève

communiqués en temps utile à l’Avocat de la partie adverse. L’Avocat doit s’interdire de donner sciemment au
Juge des informations fausses ou susceptibles de l’induire en erreur ».
1282
Me Sylvain Souop, « Les relations avocats magistrats », Op. Cit.
1283
Ibid.
1284
Ibid.
1285
Georges Teboul, « Les relations magistrats/avocats : conflit ou apaisement ? », Dalloz-Actualité, Le droit
en débats, 1er Octobre 2020. Disponible à l’adresse : https://www.dalloz-actualite.fr/printmail/node/relations-
magistratsavocats-conflit-ou-apaisement.
1286
Me Sylvain Souop, Op. Cit.

250
tout de même une incertitude, une ambigüité susceptible d’aggraver les tensions1287. La notion
d’auxiliaire charrie un contenu latent de subalterne que certains avocats comprennent mal et
qui les place, au-delà de leur serment d’obéissance, de loyauté1288 et de respect des magistrats,
dans une position inconfortable. Les avocats ne sont pas au service des juges. Il ne saurait
exister un lien hiérarchique entre la fonction juridictionnelle et la fonction de défense. Les
exigences de respect sont réciproques, même s’il serait préférable de parler de
« considération », « considération du magistrat pour l’exercice de la défense, considération
de l’avocat à l’égard de l’accusation ou de la présidence d’audience et du jugement. Dans
leurs rapports mutuels, le manque de considération, c’est-à-dire la désinvolture me semble
aussi à proscrire, a fortiori l’agressivité, la vulgarité, le mépris. Quels que soient les intérêts
en jeu ou les tensions, la perte de contrôle est une faute »1289. Si le fait n’est pas nouveau, elle
tend néanmoins à prendre de l’ampleur et à devenir l’œuvre d’une nouvelle génération
d’avocats. Dès lors, les outils déployés par les deux parties pour atteindre l’autre semblent ne
pas manquer. Pour souligner l’intensité de la dégradation des relations avocats-magistrats,
madame Christiane Féral-Schuhl, Présidente du Conseil national des barreaux français, le «
couple avocat/magistrat vit une relation asymétrique dans laquelle les deux protagonistes ne
sont pas égaux. Alors que le magistrat représente l’autorité judiciaire et que ses pouvoirs
sont étendus, l’avocat ne représente que le client dont il défend les intérêts avec les armes
qu’il a à sa disposition »1290

234. Mais il faut, dans cette recherche des causes de cette distension aller plus loin. D’un
point de vue sociologique, les rapports entre magistrats et avocats étaient paisibles parce que
sous-tendues par une homogénéité sociale du XIXe siècle aux années 60/70. Des relations
régulées par la classe sociale, ils ne restent plus que comme « cercles de socialisation
commune » pour les deux professions, l’université, colloques, activités de nature militante,
cercles de pensées, associations entre autres1291. Du point de vue des affiliations symboliques,
celles-ci ne sont plus les mêmes. Les fougues des réformes sur l’accès à ces différentes
professions ne les ont pas rapprochées. Elles évoluent désormais en rang contraires. La

1287
Voir en effet sur le dernier mouvement des Avocats en réponse de deux avocats placés sous mandat de
détention provisoire à la prison centrale de New Bell à Douala pour outrage à magistrat, tentative de corruption
et escroquerie, l’article de Armand Essogo, « Avocats – Magistrats : aux sources du malaise », Cameroun
Tribune, 25 novembre 2020. Disponible à l’adresse :
https://www.cameroontribune.cm/article.html/36316/fr.html/bonanjo-du-rififi-au-tribunal-de-premiereinstance.
1288
Aux termes de l’article 73.3 du Règlement Intérieur du Barreau du Cameroun « l’avocat doit s’interdire de
donner sciemment au juge des informations fausses ou susceptibles de l’induire en erreur ».
1289
Guy Canivet, Discours à l’occasion de la rentrée solennelle de la Cour de cassation, en 2007.
1290
Georges Teboul, « Les relations magistrats/avocats : conflit ou apaisement ? », Op. Cit.
1291
Antoine Garapon, « Magistrats - avocats, des relations sans règle du jeu », Op. Cit.

251
magistrature a cédée à la force magnétique de la haute fonction publique 1292 , les avocats
voient leur mission naturelle de porte-parole des aspirations du public concurrencée par des
nouveaux entrants, une nouvelle typologie : les « avocats d’affaires » 1293 , les activistes
numériques – réseaux sociaux, legal tech, etc. – ont vu le jour. La profession d’avocat s’est
ouverte à la diversité. Sous une même dénomination coexistent des réalités très différentes et
parfois la cohabitation est difficile. Avec le numérique, les avocats subissent de plein fouet la
crise de la représentation. Ces deux aimants que sont la nouvelle typologie, la profession
commerciale d’une part et la fonction publique de l’autre, génèrent deux troubles
identitaires1294. D’un point de vue procédural enfin, la place des deux acteurs dans le procès,
en particulier répressif n’est pas la même. Le procès en droit camerounais et français repose
sur une enquête demandée, diligentée par un officier de police judiciaire auxiliaire du
magistrat du ministère public, puis évaluée publiquement pendant une audience par des juges
étatiques lorsque les faits reprochés ont pu être établis, bien élaborés et vérifiés. L’avocat est à
l’origine, un invité dans cette procédure, dans laquelle il est désormais un permanent. Cette
place contraste avec celle accordée à l’avocat dans les procès issus du droit commun anglo-
saxon. Le procès de Common law met au premier plan l’action des parties et de leurs avocats,
le juge est initialement en retrait, un simple arbitre de la qualité de la procédure. A l’opposé,
dans le procès romano germanique, le juge occupe la place centrale. L’avocat joue certes un
rôle de garantie, mais il est plus en droit camerounais, un défenseur, qu’un attaquant1295. Ce
qui a décidé Antoine Garapon, magistrat français à soutenir que « le procès français repose
trop souvent sur un échange de non-respect mutuel : le juge fait la vérité par les moyens qui
lui sont propres – instruction ou expertise – mais largement indépendamment des avocats
»1296. Le décryptage des sentiers parfois rocailleux empruntés par cet attelage ambivalent et
souvent tumultueux révèle que l’histoire des relations entre les avocats et les magistrats n’est
pas un long fleuve tranquille, loin s’en faut ! Ces rapports oscillent au mieux entre
l’indifférence et le conflit. Ce qui n’est pas sans produire des conséquences sur la qualité de la
justice.

1292
Ibid.
1293
V. Caura Barszcz, « La typologie de la profession d’avocat : l’exemple des avocats d’affaires », in
Pouvoirs, 140, 2012, pp. 20-32 ; Gilles August, « L’internationalisation de la profession d’avocat », in
Pouvoirs, Op. Cit. pp. 49-57.
1294
Antoine Garapon, « Magistrats - avocats, des relations sans règle du jeu », Op. Cit. p. 452 ; V. également à
ce sujet l’ouvrage incontournable de L. Karpik, Les avocats entre l’État, le public et le marché, XIIIe-XXe
siècles, Op. Cit.
1295
Ibid. p. 454.
1296
Ibid. p. 455 ; Voir aussi A. Garapon, B. Bernabé, S. Perdriolle, La prudence et l’autorité. Juges et
procureurs du XXIe siècle, Op. Cit.

252
Celles-ci sont d’une part, subjectives. La souffrance des deux parties est réelle, ainsi
que le relevait B. Louvel, ancien premier président de la Cour de cassation française. « La
souffrance ressentie par un nombre croissant de magistrats dans leurs relations avec certains
avocats » et « réciproquement », ajoutait-il, « on imagine aisément que des avocats aussi
souffrent du comportement de certains magistrats » 1297 . C’est donc cette souffrance qu’il
conviendrait d’identifier et de caractériser. Les avocats peuvent en être affectés mais les juges
peuvent en être aussi les premières victimes. Ce qui est de nature à provoquer des réflexes
corporatistes dans les deux sens et notamment chez certains juges qui, au gré de leur
sensibilité, ont parfois considéré que l’avocat est leur ennemi alors qu’il subit lui aussi la
dégradation des conditions dans lesquelles est rendue la justice1298.
Elles sont d’autre part, objectives. Soumettre les relations avocats-magistrats à une
guerre asymétrique porte un sérieux coup à la crédibilité de la justice, à la foi du palais. Tout
cela porte évidemment atteinte à l’autorité même de la justice1299, cet ordre formel chargé
d’organiser l'interaction et la communication entre les personnes ou les corps professionnels
de la justice1300.

235. Avocats et magistrats exercent des professions ontologiquement différentes, cela est
une certitude. Seulement, cette différence ne doit pas être considérée comme une opposition,
elle constitue une garantie de notre système juridictionnel. Malgré cette différence, la
coexistence, mieux la collaboration entre la fonction de juger et la fonction de défense est une
nécessité ; car la qualité des rapports, de la relation judiciaire entre magistrats et avocats est
une condition indiscutable pour avoir une justice efficace. L’enjeu est que ces désaccords,
l’ « antagonisme marqué » souligné par Maitre Sylvain Souop1301, les relations informelles ne
se transforment en obstacles à une bonne justice. La « considération » prônée par le Président
Guy Canivet est un dialogue de qualité qui, pour être effectif suppose que chacun des acteurs
prenne sur lui d’appréhender la culture de l’autre et ses codes. À l’inverse, la défiance des uns
vis-à-vis des autres ne peut que dégrader la qualité de la justice rendue et impacter la
confiance que les citoyens peuvent accorder à l’office des uns et des autres, et partant du
système de justice. La relation à l'autre peut quel que soit le domaine, être une source
d'ignorance, d'incompréhension, mésentente voire conflit. Le temps des simples constats est

1297
Bertrand Louvel, Discours de rentrée solennelle de la Cour de cassation, Janvier 2017.
1298
Georges Teboul, « Les relations magistrats/avocats : conflit ou apaisement ? », Op. Cit.
1299
Guy Canivet, Discours à l’occasion de la rentrée solennelle de la Cour de cassation, Op. Cit.
1300
Benoit Bastard, Werner Ackermann, « Une coopération conflictuelle : les relations entre les barreaux et
les tribunaux de grande instance », In : Droit et société, n°23-24, 1993. Professionnels et organisations dans le
champ juridique, pp. 59-78.
1301
Me Sylvain Souop, « Les relations avocats magistrats », Op. Cit.

253
depuis révolu et, il faut restaurer la confiance mutuelle dans le sens d’un décloisonnement,
mettre plus que jamais en place, une « éthique de la relation judiciaire »1302. Les deux acteurs,
en dépit de la différence des fonctions, partagent des valeurs communes dont Guy Canivet se
fait l’echo : honneur, probité, dignité, délicatesse, humanité, indépendance, secret
professionnel, respect de la justice, loyauté, contradictoire à préserver, qu’il est convenu
d’appeler, « une morale des gens de justice, une éthique de la « compagnie judiciaire »,
mieux encore une « déontologie judiciaire » 1303 . L’objectif étant d’atteindre et de faire
travailler davantage ensemble les professions juridiques et judiciaires, dans l’objectif
d’améliorer significativement la qualité du service rendu aux justiciables, aux usagers de la
règle de droit, à l’économie et à la société camerounaise, ohadienne et à la bonne
administration de la justice.

B. Les relations entre magistrats et huissiers de justice

236. Professionnel du droit, l’huissier de justice est un acteur très ancien de la justice.
Responsable jadis de l’ouverture et de la fermeture de l’« huis» suggère que la première
fonction de l’huissier était de maintenir l’ordre lors des audiences1304. Dès le Moyen-âge, ce
fonctionnaire1305 était chargé de faire parvenir les actes judiciaires à leurs destinataires. Il était
également habilité, lorsqu’il était en chemin, à procéder à toutes sortes de constats pour le
compte du tribunal et à adopter des actes (d’exécution). Profession réglementée1306, l’intérêt
d’une analyse des relations que la profession d’huissier entretient avec les magistrats tient à la
complexité du statut dont jouissent ses membres, lesquels sont à la fois officiers ministériels,
mandataires et professionnels libéraux. Ainsi, dans le cadre de l’exécution de nombreuses de
ses fonctions, l’huissier qui représente son créancier travaille à la fois pour ce dernier et pour
lui-même en vertu de la délégation de pouvoir dont il bénéficie de la part de l’État. Titulaire
de la délégation de puissance publique, celle-ci fait de lui un acteur indispensable de la
sécurité juridique en droit camerounais. Cette reconnaissance lui attribue en voie de
conséquence un monopole en matière de signification des actes, exploits, notification

1302
L’expression a servi de base à un colloque dont le thème était « Ethique de la relation judiciaire :
Magistrats et avocats », organisé par l’Ecole Nationale de Magistrature en partenariat avec le Conseil National
des Barreaux français le 9 Mars 2018.
1303
Guy Canivet, Discours à l’occasion de la rentrée solennelle de la Cour de cassation, Op. Cit.
1304
Sur les aspects historiques de la profession, voir utilement, X. Lesage, L’huissier, l’histoire de la fonction
d’huissier de justice. Kapellen, 1993 ; Alexandre Mathieu-Fritz, Évolution et dynamique de la profession
d’huissier de justice des années 1970 à nos jours, Thèse, Sociologie, Université Paul Verlaine - Metz, 2003.
1305
Voir Alexandre Mathieu-Fritz, « Les mutations de la profession d’huissier de justice depuis les années
1970 », Sociologie du travail, Vol. 48 - n° 1, 2006, 55-71.
1306
La profession est régie au Cameroun par le Décret n° 79/448 du 5 novembre 1979, modifié par le Décret n°
85/238 du 22 février 1985 portant réglementation des fonctions et fixant le statut des Huissiers.

254
prescrites par les lois et règlements, et exécution des titres exécutoires. En d’autres termes, le
monopole de l’huissier de justice est garant du service public de la justice1307. Dès lors, face à
des actes pour lesquels les besoins de sécurité juridique, d’impartialité et de probité sont
accrus, l’huissier de justice constitue à l’égard du justiciable, un interlocuteur privilégié1308.
Cependant, en contrepartie de cette délégation de puissance publique accordée par l’Etat, les
huissiers de justice sont soumis à un contrôle exercé par le ministère de la justice1309 et des
magistrats du ministère public 1310 . Le caractère complexe et libéral de la profession
précédemment évoqué, postule en réalité, l’absence d’un « lien hiérarchique statutaire direct
» 1311 entre magistrats et huissiers de justice. C’est dire que dans la relation qui les lie,
l’officier ministériel n’a pas vocation à être soumis aux ordres émanant du magistrat comme
l’est un fonctionnaire par rapport à son ministère, ou encore au supérieur hiérarchique. Il n’a
d’autorité que dans l’exercice de ses fonctions, que du dispositif de l’acte juridictionnel, du
titre exécutoire. L’intervention de l’autorité à qui est dévolue le pouvoir de contrôler, se fait
surtout pour garantir l’efficacité et l’effectivité de son activité1312, le respect dans l’exercice
de sa charge conformément aux règles déontologiques et statutaires. Le contrôle n’a pas pour
objectif d’imposer à l’huissier de justice une façon de procéder dans l’exercice de sa charge.
Si le contrôle destiné à assurer la discipline des huissiers ne doit pas porter atteinte à
l’indépendance et à la probité des membres de la profession, dans la pratique, c’est un
renversement de cette situation qui est observée. La réalité du terrain fait montre de
l’émergence d’un effet pervers du contrôle. Dans l’exercice des fonctions de sa charge, les
pouvoirs confiés au magistrat lorsqu’ils sont détournés, peuvent installer une relation de
dépendance entre magistrat et huissier de justice. Il s’agit de l’autorisation préalable du
procureur, pour l’huissier qui désire se faire assister par la force publique1313, la signature des
états des émoluments des officiers ministériels. Sur le terrain, selon une Etude1314, l’huissier
payerait auprès du commissaire de police pour se faire assister. Les magistrats du parquet,
trafiqueraient leur influence en pesant lourdement sur les huissiers dans le but d’entraver

1307
Nawel Belmanaa, « Le monopole persistant des huissiers de justice en France », Les Annales de droit, 11 ?
2017.
1308
Patrick Sanino, « L’huissier de justice, un professionnel libéral, privé et indépendant », disponible sur
www.bibliotheco.cejeaamericas.org.
1309
Voir Article 1er Alinéa 6 du Décret de 2012 portant organisation du ministère de la justice.
1310
Aux termes de l’article 40 du décret 79/448 modifié par le décret 85/235, du 22/2/85 : « Les huissiers de
justice exercent leur activité sous la direction et le contrôle des magistrats du ministère public. Le pouvoir
disciplinaire à l’égard des huissiers appartiennent aux procureurs généraux près les cours d’appel et au
ministre de la justice garde des sceaux ». Voir aussi les dispositions des articles 46, 14 du même texte.
1311
Patrick Sanino, « L’huissier de justice, un professionnel libéral, privé et indépendant », Op. Cit.
1312
Ibid.
1313
Voir article 2 Al. 2 du décret précité.
1314
P. Titi Nwel (dir.), De la corruption au Cameroun Etude, Op. Cit., p. 56-57.

255
l’action entreprise, par des injonctions de sursoir à l’action légalement engagée. L’auxiliaire
de justice est obligé de s’incliner, entérinant de la sorte, indirectement, le phénomène de
corruption. Mettant à mal la relation d’équilibre qui doit prévaloir entre magistrats et huissier
de justice, ces pratiques, ne sont pas des faits rares et occasionnels, ils sont vécus au quotidien.

237. La confiance du public dans une bonne administration de la justice doit être au cœur
de l’ensemble des relations entre les différentes professions juridiques et judiciaires. Cette
confiance serait en effet trop dangereusement affectée si les principes devaient sans cesse être
inversés. Dans l’administration de la justice, la place grandissante accordées aux droits des
usagers, victimes et justiciables ou encore l’introduction d’une logique managériale au sein
des juridictions, les relations qu’entretiennent les divers acteurs du droit dans la scène
judiciaire, méritent d’être protégés de tout risque de dépendance. À ce stade, il paraîtrait
logique qu’une transformation de la justice s’accompagne d’une transformation de ses
métiers, des mentalités pour se prémunir de tous dysfonctionnements.

256
Conclusion du Chapitre Premier

238. Le nouveau management de la justice, au même titre que le nouveau management


public1315 sont une réalité. Parce que la justice doit être efficace, accessible et de qualité, il
s’est agi dans les développements qui précèdent d’étudier l’administration de la justice
camerounaise à l’aune des principes du nouveau management de la justice. Pour la conduire,
il faillait distinguer entre la dimension interne du management de la justice et sa dimension
externe. Pour ce faire, il a fallu définir la notion de management, puis celle de management de
la justice. À cette occasion, il est apparu que la notion doit être comprise comme renvoyant à
l’ensemble des facteurs destinés à produire un impact sur le processus d’élaboration et de
reddition des décisions de justice, et non au contenu des décisions judiciaires elles mêmes. Il
est apparu que la dimension interne du management de la justice concerne essentiellement le
management de l’ensemble des activités et des ressources (matérielles, financières et
humaines) permettant de garantir le fonctionnement de l’appareil judiciaire ; la gestion du
personnel employé dans les tribunaux pour permettre aux juges de réaliser les missions
judiciaires ; le management des services centraux administratifs d’un système judiciaire.
Quant à la dimension externe, elle concerne respectivement la communication entre le
pouvoir judiciaire d’une part, et les pouvoirs législatifs et exécutif de l’autre ; la
représentation et la communication du pouvoir judiciaire auprès du public ; les relations
qu’entretient le pouvoir de rendre justice avec les professions juridiques et judiciaires.

239. Sans revenir en détail sur le contenu de chacun des éléments qui innervent les
dimensions interne et externe du management de la justice, nous dirons un mot sur chacun
d’eux. Elément fondamental qui structure tout système de justice, le modèle d’administration
camerounais de la justice est un modèle exécutif : de la gestion des cours et tribunaux, à celle
des carrières du personnel judiciaire, caractérisé par son insuffisance, la modicité de ses
ressources et parfois même un questionnement récurrent sur la compétence, les tares qui
irriguent l’organisation du travail judiciaire. Ce qui d’une certaine manière justifie la
confiance limitée que semble lui accordée ses usagers. Enfin, considérée comme une
composante essentielle de l’administration de la justice, les relations entre les professions

1315
Pour améliorer tout ce qui relève de la fonction exécutive de l’État et pour servir de catalyseur à cette action,
il a été créé au Cameroun, un Institut Supérieur de Management Public en abrégé ISMP.

257
juridiques et judiciaires ne sont pas toujours caractérisées par la considération, le respect et
l’équilibre qui doit constituer l’identité remarquable des rapports avocats et magistrats,
magistrats et huissiers de justice. Les relations sont dans la pratique fondée sur l’influence, la
flagellation des procédures entre autres, qui installent dans le système de justice une
atmosphère de suspicion et de défiance. Et ce sont là sans doute, les grandes faiblesses du
système judiciaire camerounais. L’établissement d’une relation de confiance entre le
justiciable, l’investisseur étranger et la justice ne saurait s’arrêter, en amont, à la seule mise en
place d’un droit moderne des affaires ; en aval, la rigueur d’un système juridique doté de
moyens nécessaires, la célérité dans le traitement des affaires judiciaires et sur l’assurance de
disposer de juges indépendants et crédibles, sont incontournables. Il est alors impérieux,
nécessaire d’adapter le système juridique à un environnement concurrentiel, innovant et
cohérent avec les réalités du milieu socioéconomique et les garanties d’un droit à la justice
efficacement garanti.

258
CHAPITRE SECOND

LA NÉCESSITÉ DE MODERNISER LE
MODÈLE INITIAL DE JUSTICE

240. A l’origine de l’essor des enjeux contemporains de l’administration de la justice1316,


l’émergence dans le management de la justice de principes de gestion, d’efficacité,
d’efficience, de transparence, de responsabilité et d’imputabilité qui servent de catalyseurs
pour observer, revoir, évaluer, l’action judiciaire. Le droit du justiciable à une bonne justice
ou droit objectif au juge considéré comme « l’ensemble des règles dont la mise en œuvre
assure une bonne administration de la justice » exprime l’idée d’une justice objective de
caractère universel. Invoquer de plus en plus, il n’y aurait aucune action de Cours, qu’elle
soit normative, administrative ou décisionnelle, qui ne s’inscrive au coeur de considérations
relatives à la bonne administration de la justice ou n’appelle a être scrutée de près à l’aune de
ce principe1317. Principe de protection juridictionnelle effective, le droit objectif à la justice a
connu certes une irrésistible ascension, mais il suscite des justiciables, acteurs du système
judiciaire et de la population camerounaise au regard des développements qui précèdent, un
certain mécontentement. Les plaintes à l'égard de la justice figurent parmi les principaux
griefs exprimés contre l'État et ses représentants. Les motifs d'insatisfaction, de lamentation,
de la crise de confiance varient, mais il demeure que les justiciables s'en prennent souvent à la
lenteur excessive de leur justice, à son indépendance, à la modicité de ses moyens, à son
indifférence malgré l’avènement de l’OHADA, des réalités de la vie économique. Ces
déficiences récurrentes trouvent vraisemblablement leur fondement dans les institutions elles-
mêmes et dans les comportements des acteurs du monde judiciaire. Le droit à bonne
administration de la justice est une voie constituée. Il s’agit d’un instrument institué par la
jurisprudence et mis à la disposition de l’institution judiciaire. Si la difficulté que pose la
notion de bonne administration de la justice parait être précisément sa définition, ce sont les
finalités poursuivies qui donnent sa consistance à la notion. Ses finalités sont évolutives,

1316
En complément des enjeux traditionnels où l’on examine tout ce qui regarde la juridiction en général à
savoir : la compétence, les fonctions, les devoirs, rangs, séances et prérogatives des officiers de judicature et
autres justices ordinaires, tant royales que subalternes ; ainsi que ceux qui concernent les greffiers, notaires,
avocats, procureurs, huissiers, et autres personnes employées pour l’exercice de la justice. Daniel Jousse, Traité
de l’administration de la justice, Op. Cit.
1317
Robert Kolb, « Le principe de la bonne administration de la justice dans la jurisprudence internationale »,
L'Observateur des Nations Unies, Op. Cit., p. 5.

259
appréhendées au gré des nécessités et des impératifs d'ordre social, économique ou politique,
voire pour ce qui nous concerne, servir comme auxiliaire dans un processus de
« législation » 1318 . On perçoit immédiatement l’intérêt d’un tel système. Il donne aux
juridictions un pouvoir d'agir ou de veiller au respect plus ou moins strict de telle ou telle
exigence d'un procès satisfaisant, permet au système de justice de limiter les moyens, de
remettre en cause le fonctionnement de la justice donc d’améliorer le système de justice. Il en
résulte que la notion peut servir en droit camerounais, d’outil pour combler les lacunes
1319
constatées dans ses règles, dans son système judiciaire , en somme, achever
l’autonomisation de la justice. La bonne administration de la justice offrira au législateur, à la
fois le repère normatif d'une étoile polaire et la base juridique pour exercer une telle
compétence1320, une « ambition », une « justification »1321 lui donnant la possibilité d’ajuster
les textes et normes, ainsi que le renforcement de la protection qu’offre son dispositif
juridique et judiciaire. Dans ce sens générique, la bonne administration de la justice signifie le
pouvoir et la responsabilité pour le législateur ou de toute autre autorité compétente, de veiller
à ce que le droit mis en œuvre, les règles prévues pour garantir aux citoyens le droit
fondamental à la justice, soit conforme aux standards les plus élevés de la procédure judiciaire
et qu'elles tiennent dûment compte des exigences légitimes de chaque participant à l'instance
et des exigences d’une bonne justice. Le droit applicable devra chercher à dégager à chaque
fois un équilibre satisfaisant entre les exigences d'une bonne procédure et d’une gestion
efficace de la justice.

241. Pour enfin autonomiser la justice camerounaise, il faut une bonne administration,
synonyme d’un modèle pertinent d’administration de la justice, une bonne justice, de bons
opérateurs du droit. Il faut donc améliorer, rationaliser, mieux, réformer, moderniser les
instruments et mécanismes destinés à la concrétisation du droit à la justice. La modernisation
suggérée nécessite d’être orientée et axée sur les objectifs fixés par l’OHADA, d’un

1318
Robert Kolb, « Le principe de la bonne administration de la justice dans la jurisprudence internationale »,
Op. Cit.
1319
C'est ce que fit la CPJI en 1924, lorsqu'elle mentionna d'ailleurs pour la première le principe. Dans l'affaire
des Concessions· Mavrommatis (1924), elle affirma : « Ni le Statut, ni le Règlement [en 1924 !] ne contiennent
aucune disposition relative à la procédure à suivre dans les cas où la juridiction serait contestée in limine litis.
Dans ces circonstances, la Cour est libre d'adopter la règle qu'elle considère comme la plus appropriée à la
bonne administration de la justice, à la procédure devant un tribunal international, et la plus conforme aux
principes fondamentaux du droit international ». CPJI, Concessions Mavrommatis en Palestine, exception
d'incompétence, 30 Août 1924, Série A, n"2, p. 16.
1320
Robert Kolb, « Le principe de la bonne administration de la justice dans la jurisprudence internationale »,
Op. Cit. p. 6 et suiv.
1321
Elle est considérée par J. Robert, « La bonne administration de la justice », Op. Cit., p. 118, à la fois
comme une « notion ambition » et une « notion justification ».

260
raffermissement constant de l’Etat de droit1322. Modernisation qui à notre sens passe par la
mise à niveau de l’ensemble du système axée sur une double dynamique, c'est-à-dire d’une
part, la mise à niveau du schéma institutionnel (Section I) et d’autre part, la mise à niveau du
dispositif juridique (Section II).

SECTION I. LA MISE À NIVEAU DU SCHÉMA INSTITUTIONNEL

242. Terme récurrent respectivement dans le domaine de l’informatique et celui des


entreprises, l’expression désigne dans le premier, le processus d’actualisation d’un matériel ou
d’un logiciel ; C’est aussi, remplacer un système informatique – logiciel et matériel – ou une
partie de celui-ci, par un modèle plus puissant ou par une version plus perfectionnée, ou
encore modifier ce système sur le plan matériel par l’ajout de nouveaux éléments, de manière
à le rendre soit plus puissant, plus perfectionné1323. Dans le second, il s’agit d’un processus
d’amélioration continu qui vise à préparer et adapter l’entreprise aux exigences du libre-
échange, et introduire une démarche de progrès, de renforcement des points forts et de
résorption des faiblesses de l’entreprise, par une démarche d’anticipation et de remise en
cause de ses fonctions1324. Il s’agit dans l’un ou l’autre cas, mais aussi dans le cas d’espèce,
d’ériger une construction à la hauteur voulue ; propre à rattraper un retard de compétence par
rapport à un groupe donné1325, à un objectif visé1326. Revenant au système de justice, la mise à
jour souhaitée repose sur des secteurs de la justice (Paragraphe I) et sur une mise à niveau
spécifique (Paragraphe II).

Paragraphe I. La mise à niveau reposant sur les secteurs de la justice


243. La mise à niveau touchant plusieurs secteurs de la justice se traduit par la nécessité
d’une autre approche des structures de gestion (A) et la revalorisation de la logistique
judiciaire (B).

A. La nécessité d’une autre approche des structures de gestion

244. L’intérêt commandant cette autre approche est que par le droit à la justice soit garantie
une bonne justice. Cette nécessité transparaît dans la redéfinition du périmètre des attributions

1322
Préambule, Traité révisé.
1323
Le Grand dictionnaire terminologique, www.m.gdt.oqlf.gouv.qc.ca-mettre-a-niveau.
1324
Pape Jean Fall, Plan de mise à niveau Guide méthodologique, Programme de mise à niveau 2006, p. 9.
1325
Définition tirée du Dictionnaire Reverso, consulté sur www.dictionnaire.reverso.net le 26 Décembre 2020 à
12h09.
1326
Le terme est synonyme d’actualisation, réactualisation, mise à jour, restructuration.

261
du ministère de la justice (1) comme dans la restructuration du Conseil supérieur de la
magistrature (2).

1. La redéfinition du périmètre des attributions du ministère de la justice

245. Le juge et la justice, sont gardiens du droit, des libertés, interprète du droit et arbitre
des litiges. Il intervient désormais dans tous les domaines de la vie du sujet de droit. Ce rôle
transversal de l’officier de justice exige une indépendance tenue de toute autre entité dans
l’exercice de ses fonctions judiciaires. L’orientation manifeste du discours des acteurs
judiciaires et celui de ses observateurs sur la question de l’indépendance de la justice se
résume : au Cameroun et en Afrique par, « la volonté de mettre le système judiciaire à l’abri
des irritants de l’environnement du système juridique tout particulièrement en ce qui
concerne les communications issues du système politique » 1327 . Cette indépendance se
rapporte « essentiellement à la nature de la relation entre un tribunal et toute autre entité
»1328. Cette relation doit être caractérisée, justifiée par la séparation des pouvoirs, par ce que la
Cour suprême du Canada appelle, « une séparation intellectuelle qui permet au juge de rendre
des décisions que seules les exigences du droit et de la justice inspirent »1329. Ce qui fait de
l’indépendance de la justice, un élément essentiel de « la gouvernance de la justice »1330. Le
modèle camerounais de justice – structuration des organes et intervenants à l’échelle national
– est au fondement de toute suspicion sur l’immixtion des pouvoirs publics dans la fonction
judiciaire, quand bien même celle-ci respecterait à certains moments cette indépendance. En
conséquence, s’il faut à l’évidence achever l’autonomisation de la justice pour ménager les
exigences d’une bonne justice, rompre avec l’ « archaïsme » de la tradition française de
dépendance de la justice, cela passe nécessairement par la redéfinition du périmètre des
1327
Martine Valois, Évolution du droit et de la fonction de juger dans la tradition juridique occidentale. Une
étude sociohistorique de l’indépendance judiciaire, Thèse, Op. Cit., p. 462. L’idée de séparation intellectuelle est
une autre manière de décrire la distance qui doit être respectée entre le juge, gardien du droit, et les influences
qui proviennent de toute autre entité, autrement dit, les différentes communications qui émanent des autres
systèmes sociaux. En plaçant les tribunaux au centre du système juridique, la différenciation interne du système
a justement pour effet de les mettre à l’abri des influences qui ne sont pas dictées par les exigences du droit et de
la justice.
1328
Ibid. p. 463.
1329
Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances); Rice c. Nouveau-Brunswick, 2002, 1, R.C.S., 405,
parag. 37. L’idée de « séparation intellectuelle » est simplement décrire d’une autre façon, la distance qui doit
être respectée entre le juge, gardien du droit, et les influences qui proviennent et qu’il subirait de toute autre
entité, autrement dit, les différentes communications qui émanent des autres acteurs de son environnement. En
plaçant les tribunaux au centre du système juridique, régulateur des relations sociales, la différenciation interne
du système a justement pour effet de les mettre à l’abri des influences qui ne sont pas dictées par les exigences
du droit et de la justice.
1330
Loïc Cadiet et al, Pour une administration au service de la justice, Op. Cit., p. 8 ; Voir également Joël Ficet
(2008), « Les ambigüités de la gouvernance judiciaire : autorégulation et qualité dans le Ministère public
belge », Revue gouvernance, Vol. 5, n° 1.

262
attributions du ministère de la justice. L’état actuel de la Justice inspire beaucoup de choses
mais assez peu la confiance, elle est perçue comme partiale. Nous faisons ici, acte de
réquisition ; celui d’une différenciation des juridictions et des officiers de justice en rapport
avec tout ce qui touche de près ou de loin susceptible de dénaturer la communication entre le
pouvoir judiciaire qu’exerce les cours et tribunaux et les pouvoirs publics. La chancellerie
exerce, cela a été souligné, d’une part, une fonction législative, de conseil, des pouvoirs
d’instruction, en plus des actes d’administration de la justice1331 et d’autre part, il est l’organe
en charge du contrôle et de l’évaluation de l’activité juridictionnelle. Indispensable à une
bonne administration de la justice, l’indépendance de la fonction de juger postule que soit
retirée à la chancellerie, émanation de l’exécutif, ses attributions de contrôle et d’évaluation
de l’activité juridictionnelle, de gestion des carrières des magistrats dans le but d’affirmer
pleinement la séparation intellectuelle des magistrats par rapport au pouvoir politique. Affiner
et circonscrire ses missions à l'accompagnement de la justice dans le but d’en améliorer la
gouvernance, sa performance. L’érection d’une sous direction de la performance et des
méthodes au sein de la chancellerie pourrait constituer un élément en faveur de la quête d’une
justice efficace et efficiente. Cette modification des attributions aujourd’hui dévolues à la
chancellerie poserait ainsi, le socle du premier niveau de l’intégrité de la magistrature
camerounaise (indépendance judiciaire et confiance). « Impossible n’étant pas camerounais »,
nous choisissons d’être optimiste et penser qu’il existe des marges de progression
substantielles pour donner au ministère de la Justice et à la fonction de juger, la légitimité et
l’autorité qui lui sont nécessaires dans un régime démocratique et républicain ; d’améliorer la
qualité et l’exécution des services judiciaires. Ces attributions anciennement dévolues au
ministère de la justice, seraient transférées à un Conseil Supérieur de la Magistrature
restructuré et transformé.

2. La restructuration du Conseil supérieur de la magistrature

246. Le conseil supérieur de la magistrature est la « clé de voûte » la plus à même de


garantir l’indépendance et l’impartialité de la justice au nom du peuple camerounais.
Seulement, dans l’observation du rôle joué par cet organe, en dépit des textes, la fascination
que l’on a pu lui voué, semble s’être transformée en railleries. Un auteur1332 ira, prenant appui

1331
Actes de gestion administrative : actes relatifs à la répartition des moyens des juridictions, à l’exclusion de
ceux de la Cour suprême, au recrutement (définition du nombre de recrutement chaque année), gestion de la
carrière des magistrats et des fonctionnaires de greffes, carte judiciaire, politique judiciaire et répressive,
mobilité du personnel judiciaire, exécution des politiques publiques etc.
1332
Énagnon G. Nonnou, « Le conseil supérieur de la magistrature et l’indépendance du pouvoir judiciaire
dans les États francophones d’Afrique », Op. Cit., p. 717.

263
sur la célèbre fable de Jean de La Fontaine du Geai paré des plumes du paon, le comparer à
un organe « bafoué, berné, sifflé, moqué, joué ». La dureté de la comparaison ne semble
pourtant pas injustifiée. Le Conseil supérieur de la magistrature a été placé sous le protectorat
du Président de la république, garant par ailleurs de l’indépendance de la justice, irresponsable
par nature, et assisté dans sa tache par le Ministre de la justice, garde des sceaux, responsable
devant le premier. Ce n’est rien d’autre que la consécration dans les faits des propos de Guy
Carcassonne selon lesquels, « le loup est garant de la sécurité de la bergerie »1333. L’énoncé
d’une justice indépendante et impartiale au Cameroun ne se suffirait pas à elle même, il lui
faudrait un garant, qui mieux que le Président de la République pour jouer ce rôle. Bien
qu’élevé au rang de pouvoir constitutionnel, il ne serait pas exagéré de penser que le pouvoir
judiciaire dans ses relations avec le pouvoir politique, cache une acception de la justice en tant
qu’autorité. Voulant bien faire, le constituant a renforcé la suspicion sur l’absence de
crédibilité de cet organe, en plus d’une justice camerounaise régulièrement perçue comme un
pouvoir influencé par les forces politiques au pouvoir et de celles de l'argent. Il faut donc
« sauver le soldat justice » 1334 et partant le Conseil Supérieur de la Magistrature pour lui
permettre de jouer efficacement la place centrale que lui attribue la constitution en matière
d’indépendance de la justice. Sa légitimité, sa crédibilité et partant son autorité appellent une
restructuration, une transformation en profondeur sur deux plans : sa composition et ses
missions.
Sur la composition du CSM en effet, celle-ci installe irrémédiablement dans le
subconscient collectif, l’inféodation du pouvoir de juger à l’exécutif incarné par le Président
de la République. De ce point de vue, il est nécessaire de trouver un équilibre dans la
composition de cet organe entre le poids des institutions politiques dont les membres sont
majoritaires1335 et celui de la représentation des juges. La nouvelle composition de cet organe
pourrait voir placer à sa tête le Premier Président de la Cour suprême, assisté par le Président
du Conseil constitutionnel ou un magistrat auprès dudit conseil, trois magistrats du siège au
moins du 4e grade en activité, désignés par la Cour Suprême en Assemblée Plénière, trois
députés désignés par l’Assemblée Nationale au scrutin secret, et à la majorité des deux tiers
1333
Guy Carcassonne, La constitution introduite et commentée, Op. Cit., p. 312.
1334
L’expression est empruntée à Bertrand Louvel, « Comment sauver le soldat justice ? », pour Le Point, paru
le 06 Avril 2016, consulté en ligne sur www.courdecassation.fr le 21 Janvier 2021 à 12h51. Il s’est tenu en
France un procès symbolique dans lequel L’État était mis en cause pour « non-assistance à justice en danger ».
Le procès qui s’est tenu dans plusieurs tribunaux de France à l’initiative d’avocats du Syndicat des avocats de
France et de magistrats du Syndicat de la magistrature prend des airs de gravité à l’heure où l’autorité
judiciaire traverse une crise sans précédent depuis le début de la Ve République. Asphyxiée financièrement, en
décrépitude morale, la justice est au bord du dépôt de bilan selon le haut magistrat français.
1335
Voir Article 1er de la loi n° 82-014 du 26 Novembre 1982 fixant l’organisation et le fonctionnement du
Conseil Supérieur de la Magistrature.

264
des membres la composant ayant des compétences en matière juridique, « deux représentants
de l'Ordre des Avocats dont le Bâtonnier et le membre le plus ancien du Conseil de l'Ordre, le
président de la Chambre des huissiers, le président de la Chambre des notaires, deux
professeurs de droit de rang magistral, un représentant d'associations de défense des
justiciables désigné par le Ministre de la justice, garde des sceaux »1336 ou un représentant de
la Commission des droits de l’Homme. Ce qui ferait passer le nombre des membres dudit
CSM de neuf (09) à quinze (15) membres titulaires. Les membres non magistrats doivent être
des personnalités qualifiées, choisies en fonction de leur compétence, de leur éthique, de leur
indépendance. L’arrivée du Premier président de la Cour suprême à la présidence du Conseil
supérieur de la magistrature aura pour effet de décrisper les réunions du Conseil Supérieur de
la Magistrature qui ne se réunit que sur convocation du Président de la République1337, qui ne
sont en pratique tenues en moyenne que tous les vingt quatre mois, voire plus ; avec pour
conséquence de retarder l’intégration et les affectations des nouveaux magistrats, l’apport de
solutions aux problèmes auxquels font face les tribunaux.

247. La restructuration ou réforme des attributions du CSM, consiste à rénover, transformer


en profondeur l’actuel Conseil supérieur de la magistrature, qui deviendra Conseil supérieur
du pouvoir judiciaire ou Conseil supérieur de justice en mesure de disposer d’un pouvoir sur
la carrière des magistrats. Le CSM dans sa forme actuelle a pour attribution l’établissement
des tableaux d’avancement des magistrats du siège, en vue d’une promotion de grade et sert
d’organe disciplinaire des magistrats du siège 1338 , donc d’autorité de nomination et
disciplinaire des juges. Le Conseil n’est pas en charge de la gestion du corps judiciaire qui est
dévolue aux services du ministère de la Justice. L’institution du Conseil supérieur du pouvoir
judiciaire ou Conseil supérieur de justice répond à l’intention de retirer au Ministère de la
Justice, la maîtrise exclusive sur les ‘’mouvements’’ de la carrière des magistrats 1339 . La
gestion de la carrière des magistrats par le Conseil supérieur peut se faire par deux modes de
gestion : une gestion directe, les services de la direction des affaires générales du ministère de
la justice seraient transférés au Conseil supérieur qui serait en charge de sa gestion ou par une

1336
Propositions de Maitre Christian Bomo Ntimbane, « Onze propositions pour doter le Cameroun d'un
système judiciaire digne de ce pays et de ses citoyens : Cameroon », en ligne sur
https://www.camer.be/75298/30:27/cameroon-onze-propositions-pour-doter-le-cameroun-dunsysteme-judiciaire-
digne-de-ce-pays-et-de-ses-citoyens.html, consulté le 27 janvier 2020 à 09h06.
1337
Article 38 de la loi fixant l’organisation et le fonctionnement du Conseil Supérieur de la Magistrature.
1338
Articles 12 et 13 Ibid.
1339
Georges Burdeau cité par Énagnon G. Nonnou, « Le conseil supérieur de la magistrature et l’indépendance
du pouvoir judiciaire dans les États francophones d’Afrique », Op. Cit., p. 728.

265
« gestion déléguée ou mandat de gestion »1340. En l’espèce, au Conseil sera dévolu le pouvoir
d’arbitrage et de décision mais l’exécution des attributions et la mise en œuvre des décisions
seraient déléguées à la direction des affaires générales, elle-même rattachée au ministère de la
Justice, avec un directeur nommé sur avis conforme du Conseil supérieur du pouvoir
judiciaire ou de la justice1341.
Dans la mesure où l’évaluation et le contrôle de l’activité juridictionnelle est une
nécessité, les juridictions doivent faire l’objet d’une évaluation opérée avec des critères
qualitatifs. Deux hypothèses ici également s’offrent. La première verrait la création d’une
institution indépendante séparée du Conseil, avec des membres recrutés parmi les plus hauts
magistrats et nommés par avis conforme du conseil, dont les missions sont similaires à celles
conduites par l’Inspection générale des services judiciaires, afin que l’autorité chargée de la
gestion des carrières, de la protection de l’indépendance, soit distincte de l’organe qui en
évalue le fonctionnement. La seconde assisterait à une inspection générale intégrée comme
entité du Conseil dont l’inspecteur général et ses collaborateurs, tous magistrats du siège,
désigné parmi les magistrats ayant la légitimité nécessaire par le Conseil, parmi les plus
gradés et bénéficiant d’une indépendance dans l’exercice de leur fonction de contrôle.
Maintenir la possibilité pour le ministre de la Justice de saisir l’inspection pour toute
problématique interne au ministère ou une mission de prospective.

248. Par ailleurs, de nombreuses modifications sont à apporter à l’institution judiciaire pour
lui permettre de bien instruire et de bien juger. Il faut modifier l’article 37 de la Constitution
pour supprimer la mention selon laquelle le président de la République est garant de
l’indépendance judiciaire au profit du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ou justice
(CSJ) ; confier le pouvoir disciplinaire au Conseil supérieur de la magistrature, mais en
offrant la possibilité au ministre de la Justice, garde des sceaux, de disposer de la possibilité
de saisir le Conseil supérieur sur des faits pouvant relever du disciplinaire et dont il aurait eu
la connaissance ; des nominations des magistrats du parquet et du siège, après avis conforme
du Conseil supérieur de la magistrature. Comme l’a indiqué M. Jean-Paul Sudre, membre du
Conseil supérieur de la magistrature français, la confiance du citoyen dans la justice passe par
des modes de nomination garantissant totalement l’indépendance des magistrats au service de
l’indépendance de la justice 1342 . Enfin, pour surprenantes qu’elles soient, l’absence de

1340
Loïc Cadiet et al, Pour une administration au service de la justice, Op. Cit., p. 67.
1341
Ibid. Nous souscrivons là aux propositions des auteurs.
1342
Audition de Mme Hélène Pauliat, MM. Georges Bergougnous, Didier Guérin et Jean-Paul Sudre, membres
du Conseil supérieur de la magistrature, du 18 juin 2020.

266
possibilité de saisine du CSM par un magistrat en cas d’atteinte à son indépendance ou à son
impartialité par le pouvoir politique ou l’autorité hiérarchique, ainsi que l’absence de
reconnaissance de la capacité du CSM doté de pouvoirs d’investigation de se saisir d’office de
toute question relative à l’indépendance de la justice qu’elle aurait connaissance, constitue de
véritables obstacles à l’indépendance de la justice. L’objectif recherché étant essentiellement
d’améliorer la qualité de la justice et de son administration. Le principe d’indépendance, n’a
d’existence que celui de garantir à toute personne le droit fondamental de voir son cas jugé
équitablement, sur le seul fondement de l’application du droit et en l’absence de toute
influence indue1343. L’indépendance des juges, qu’elle soit appréhendée sur le plan externe ou
interne n’est pas une prérogative, un privilège accordé aux officiers de justice dans leur intérêt
personnel, mais dans celui de l’État de droit et de l’égalité de tous devant la justice, de toute
personne n’attendant de la justice, qu’un traitement objectif et impartial de sa cause.
Indépendance et égalité fondées sur des relations constructives – équilibre, considération, et
collaboration – entre les acteurs et institutions considérés comme intégrés à la justice.
L’affermissement des garanties relatives à l’indépendance des magistrats postule, à tout le
moins, de renforcer les pouvoirs du CSM à l’égard des magistrats. Tout en s’assurant que le
pouvoir judiciaire dispose d’une logistique adaptée à ses missions, et à une meilleure
utilisation des ressources disponibles.

B. La revalorisation de la logistique judiciaire

249. A l’échelon national, il faut revaloriser la logistique judiciaire. Toute organisation


requiert des moyens et une gestion efficiente de ses ressources pour atteindre ses objectifs ou
satisfaire au minimum requis. La revalorisation concerne la modernisation et l’amélioration
des conditions de travail (1), la modernisation des greffes (2) et la recherche d’une justice plus
légitime (3).

1. La modernisation et l’amélioration des conditions de travail

250. Lié directement à la question du nombre excessif des litiges, conséquences de


l’augmentation rapide de la demande de justice, par rapport à l’offre existante, le nombre
insuffisant de personnels judiciaires conduit à une lourde charge de travail pour ceux en
fonction. Cet effectif réduit ne concerne pas seulement les magistrats, mais aussi le personnel
auxiliaire, auquel l’augmentation du nombre de personnel recruté et intégré semble être la

1343
Loïc Cadiet et alii, Pour une administration au service de la justice, Op. Cit., p. 113.

267
première solution pour ce qui est du personnel non magistrat. Quant au personnel magistrat, il
faut donner corps à la procédure latérale de recrutement des magistrats prévue par l’auteur du
Décret modifiant certaines dispositions du décret n° 95/048 du 08 mars 1995 portant statut de
la magistrature à savoir les titulaires d’une expérience professionnelle acquise au Cameroun,
postérieurement à l'obtention de la maîtrise en droit ; en économie, en finance ou diplôme
reconnu équivalent, de cinq (05) ans au moins en qualité d'avocat, professeur agrégé, maître
de conférences ou professeur titulaire du Ph.D (Doctor of Laws), chargé de cours des facultés
de droit ou des sciences économiques, d'huissier de justice, de notaire ou de fonctionnaire de
la catégorie A, lorsque la compétence et l'activité du candidat en matière juridique,
économique, financière ou comptable, le qualifient pour l'exercice des fonctions de juge
judiciaire, de juge administratif ou de juge des comptes1344.
D’un autre côté, il faut donner une portée éminemment pratique aux attachés de
justice. Le magistrat pourrait en effet travailler en équipe et tirer profit de l’assistance que
pourrait lui apporter dans la préparation des décisions juridictionnelles, les attachés de justice.
Il convient dans cette optique, de s’appuyer sur les professionnels du droit, comme les jeunes
avocats ou les universitaires, recrutés pour quelques années. Cette collaboration ne remet
aucunement en cause la situation des attachés de justice, auditeurs de justice n'ayant pas à
l'issue de leur scolarité, obtenu le diplôme de l'Ecole Nationale d'Administration et de
Magistrature (ENAM)1345. L’institution judiciaire et ces attachés de justice y gagneraient. Une
justice qui privilégie la qualité du service rendu au justiciable et qui anticipe sur l’évolution de
ses missions1346. Faire le point sur les besoins humains du ministère de la justice, les tâches de
magistrats évoluent sans cesse.

251. Les conditions de travail doivent également être améliorées. Sont pointées du doigt les
infrastructures judiciaires caractérisées par l’exigüité des locaux, déficientes, l’insuffisance
des équipements informatiques, l’absence de base de données commune pour les instances,
permettant l’accès direct des juges aux études de cas et à la jurisprudence. La qualité des
équipements et des infrastructures varie grandement d’un tribunal à l’autre, du siège d’une
cour d’appel à une autre. Tous ne sont pas logés en la même enseigne. Ce problème lié aux
conditions effectives de travail de l’ensemble du personnel judiciaire est celui que nous
considérons par ailleurs, comme le plus difficile à résoudre, car il exige des investissements

1344
Article 11 nouveau al. 3.
1345
Voir Article 13 du Décret de 1995 portant statut de la magistrature.
1346
Didier Marshall, « Introduction », in Les juridictions du XXIe siècle une institution qui, en améliorant
qualité et proximité, s’adapte a l’attente des citoyens, et aux métiers de la justice, Rapport à Mme la garde des
sceaux, ministre de la justice, Décembre 2013, pp. 15 et suiv.

268
colossaux que la modicité de l’enveloppe budgétaire ne serait en l’état de satisfaire 1347 .
L’augmentation de l’enveloppe budgétaire ne suffirait pas. C’est à une véritable amélioration
et opérationnalisation du plan de développement et de construction des infrastructures
judiciaires en cours qu’il faut arriver. L’augmentation significative du budget de la justice
reste une solution, mais celui-ci n’est extensible à souhait. De plus, « La seule augmentation
des moyens est insuffisante pour refonder une institution quelque peu exsangue » 1348 . La
modernisation doit se poursuivre et il convient en particulier d’accélérer l’informatisation des
tribunaux, par la mise en place progressive d’un système de gestion intégrée des affaires
d’abord, dans certaines juridictions, puis son extension à l’ensemble des tribunaux du pays ;
l’informatisation du casier judiciaire et l’état-civil reste attendue. Jusqu’à présent, on a du mal
à avoir de la fiabilité et de la complémentarité dans ces deux secteurs. Le casier judiciaire est
bien réglementé1349. L’article 1er du décret dispose en effet que « le casier judiciaire institué
près du tribunal de première instance est tenu par le Greffier en chef du tribunal sous la
surveillance du Procureur de la République et du Procureur général de la Cour d’appel ». Il
existe bien au sein du ministère de la justice, une sous-direction du casier judiciaire central
chargée de la supervision des activités des greffes des juridictions et du Ministère Public en
matière de confection des Fiches et des Bulletins du Casier Judiciaire, de la centralisation et
du classement des Fiches du Casier Judiciaire reçues des juridictions nationales et
étrangères1350. Malheureusement, dans la pratique ces dispositions sont elles respectées par les
juridictions camerounaises. Le doute est permis. Les fiches du casier judiciaire tant au niveau
des TPI, des TGI que de la Cour d’appel, semblent difficilement établies, et transmises. Il en
résulte que sur la réalité du terrain, il est difficile d’avoir parfois la situation pénale exacte des
demandeurs de casiers judiciaires. La présentation d’une pièce d’identité et le paiement des
frais de timbres suffisent pour obtenir un casier. Une modernisation en appelle une autre.

1347
A cet effet, le Programme d'Appui à la Justice au Cameroun de l'Union européenne apporte un soutien
financier au Cameroun pour le développement de la justice commerciale et administrative en priorité, pour la
construction et l'équipement de deux nouveaux tribunaux de première instance (TPI) Yaoundé et Douala,
l'équipement de deux chambres commerciales auprès des tribunaux de Grande instance de Yaoundé et Douala,
informatisation et réhabilitation de la chambre administrative de la cour suprême, sélectionner 26 tribunaux
d'instance à réhabiliter et équiper ; identifier les locaux susceptibles d'abriter les futurs tribunaux administratifs
est une avancée considérable, mais reste cependant insuffisant.
1348
Didier Marshall, « Introduction », Op. Cit.
1349
Par le Décret n° 65-727 du 30 octobre 1965.
1350
Article 37 du texte organique du ministère de la justice.

269
2. La modernisation des greffes

252. L’animation de la justice est une véritable mosaïque où s'agencent et s'entremêlent


organes et personnes 1351 . Il faut donc en garder l’image d’un véritable théâtre où chaque
acteur est appelé à jouer convenablement son rôle1352. Les greffiers sont des personnages clés
au sein de cette scène de l’activité judiciaire. Déjà sous l’ancien régime et à la fin de celui-ci,
ils disposaient de larges attributions. Ce sont d’abord des « scribes dont le principal emploi
est d’écrire les ordonnances, appointements et jugements qui sont prononcés par les juges et
de les expédier et délivrer aux parties »1353. Au service de la cour et des justiciables, ils leur
est de manière générale dévolue la tâche de rédiger tous les actes nécessaires à
l’administration de la justice civile et criminelle, en dehors d’être des « dépositaires des
registres et des expéditions de justice » 1354 . Les missions des greffiers n’ont donc pas
beaucoup évoluées, ils sont à la fois des secrétaires et des archivistes. En d’autres termes, ils
ont une responsabilité énorme dans la manière dont le fonds judiciaire est conservé. Le
greffe1355 est essentiel au bon déroulement de la vie judiciaire, il est « la plume et la mémoire
»1356 des juridictions, c’est le lieu où l’on expédie les actes de justice et où se gardent ces
mêmes actes et aussi les registres qui s’en font, le service requis pour avoir à la fin de l’ancien
régime des expéditions1357. Il accueille jusqu’aujourd’hui, le justiciable aux différentes étapes
de son parcours judiciaire. Ce bref aperçu historique de la profession de greffier, place en
effet ce fonctionnaire au cœur des différents versants de l’activité judiciaire.

253. Porte d’entrée et de sortie de toute juridiction 1358 , le greffe constitue un service
essentiel qui détermine et conditionne le bon fonctionnement de la juridiction et sert par
conséquent de baromètre de la bonne distribution de la justice1359, pouvant en être considéré
comme l’une des « chevilles ouvrières ». Dans chaque juridiction, il y a, à côté du siège et du

1351
Luc Désiré Ntimba, Le greffe dans le système répressif camerounais, Mémoire DEA Droit Fondamental,
Université de Douala, 2006, p. 1.
1352
Norbert Messanga Atangana, Pratique des greffes, Edition MINOS, 2002, p. 60.
1353
Fabrice Mauclair, « Greffes et greffiers des justices seigneuriales au XVIIIe siècle », In : Olivier Poncet,
Isabelle Storez-Brancourt (dir.), Une histoire de la mémoire judiciaire: De l’Antiquité à nos jours, Paris:
Publications de l’École nationale des chartes, 2009, pp. 253-266. Disponible en ligne sur le portail internet
http://books.openedition.org/enc/1586 consulté le 31 mars 2021.
1354
Voir Claude-Joseph Ferrière, Dictionnaire de droit et de pratique […], 2 t. Paris, 1769, t. I, p. 657.
1355
Par « greffe », il faut entendre l’ensemble de la profession constituée de greffiers (du siège et du parquet). A
distinguer avec l'appellation « Greffe » utilisée régulièrement pour désigner les greffiers du siège.
1356
Fabrice Mauclair, « Greffes et greffiers des justices seigneuriales au XVIIIe siècle », Op. Cit.
1357
Claude-Joseph Ferrière, Dictionnaire de droit et de pratique […], Op. Cit., p. 656 ; voir également Jean
Bailly, L’histoire du greffier, Paris, 1987 ; Viviane Genot, Justices seigneuriales de Haute-Auvergne au XVIIIe
siècle, 1695-1791, Thèse, Histoire du droit, Université Toulouse I, 2004.
1358
Luc Désiré Ntimba, Le greffe dans le système répressif camerounais, précitée.
1359
Cheikh Tidiane Lam, La modernisation de la Justice au Sénégal: vers la recherche de la performance,
Thèse, Op. Cit., p. 183.

270
parquet, un service de greffe, divisé en section. Cependant, la configuration de l’exercice de
la profession dans le système judiciaire camerounais et globalement celui des Etats membres
de l’OHADA n’est guère reluisant. En raison de ses nombreuses missions : enrôlement, casier
judiciaire, exécution des peines, tenue du registre de commerce et de crédit immobilier
(RCCM), archives, scellés, mise en état des dossiers, etc., le service emploie outre les
administrateurs des greffes, les greffiers principaux, greffiers-adjoints, commis de greffes,
parfois des agents décisionnaires et agents contractuels d'administration relevant du Code du
travail. Si la formation du personnel des greffes est assurée par l’ENAM, malgré de
nombreux efforts pour assurer un environnement fonctionnel, sécurisé, bien équipé, pour
assurer aux justiciables un service public de la justice adéquat et aux fonctionnaires du greffe
des conditions optimales de travail, l’état de nos greffes reste encore préoccupant du fait de la
vétusté de son matériel lorsqu’il existe et parfois de l’inadaptation de la plupart des locaux qui
abritent les juridictions, du manque d’équipements, de la vétusté et de l’insuffisance du
mobilier de bureau, du défaut de sécurité, de sûreté et d’hygiène. Le personnel s’en trouve
ainsi exposé. Autrement dit, au delà de l’effectif réduit des greffiers, deux éléments
constituent les principaux obstacles techniques à l’action de cet acteur de la justice : la
saturation des rôles et l’inadaptation du matériel, la qualité du personnel constitué en majorité
de commis de greffe, des bénévoles et des contractuels formés sur le tas, parfois au gré des
supérieurs hiérarchiques 1360 , ainsi qu’un statut vieillissant. Le besoin de formation du
personnel des greffes non sorti de l’ENAM est énorme. Les pesanteurs à l’efficacité du greffe
dans l’administration de la justice camerounaise trahissent l’action de ce professionnel de la
justice1361. Celles-ci sont multiformes et plurielles au point d’en faire une étude spécifique
réservée à la question.

254. L'article 7 de l'ordonnance n° 74/4 du 26 Août 1972 portant organisation judiciaire


dispose en des termes clairs et non équivoques que « tout acte juridictionnel est accompli
avec l'assistance d'un greffier ». Cette disposition pose de manière définitive la place que le
greffier occupe dans toute procédure judiciaire. Aussi, une modernisation s’impose dans le
sens d’optimiser son fonctionnement et le rendement qui est le sien dans la distribution de la
justice. Courroie de la relation justiciables et magistrats, la masse d’informations et de
documents nécessite une gestion rationnelle des tâches et des services défaillant dans
certaines juridictions. Celle-ci pourrait par exemple donner lieu à un organigramme précis et
connu dans le but de clarifier les tâches des uns et des autres en fonction de la question du
1360
Luc Désiré Ntimba, Le greffe dans le système répressif camerounais, Op. Cit.
1361
Norbert Messanga Atangana, Pratique des greffes, Op. Cit. p. 125 et suiv.

271
Quand, Quoi et Comment ; l’affichage systématique d’informations sur un tableau
d’affichages d’information à destination du public ; une gestion prévisionnelle efficace du
matériel de bureau et autres consommables informatiques pour une bonne maitrise du circuit.
Par ailleurs, toute activité mérite contrôle. Améliorer le contrôle régulier du fonctionnement
des services du greffe pour relever les pratiques innovantes afin de les généraliser et pour
identifier les dysfonctionnements pour en adresser rapidement des solutions curatives et enfin,
en cas de fautes avérées, en établir les responsabilités. Ce contrôle doit être confié sur le plan
local, aux chefs de juridiction, et à l’inspection générale des services judiciaire sur le plan
national comme prévu dans le texte organique du ministère de la justice1362 ; l’uniformisation
à l’échelle nationale, des registres dans leur existence et tenue dont la nomenclature serait
fonction des degrés de juridiction auraient les mêmes rubriques et le même format ;
l’évaluation chiffrée des besoins du greffe. Pour un greffe efficient, efficace et performant, il
est impérieux de disposer d’un « un manuel de procédures pour uniformiser les registre,
faciliter le recueil et l’exploitation des données statistiques, faciliter le contrôle, sécuriser les
procédures, accroître la lisibilité et la traçabilité des procédures, faciliter l’exercice du
travail aux différents agents, garantir la sécurité juridique et judiciaire »1363. Sur le plan de la
formation, structurer la formation du personnel non formé par l’ENAM pour le soumettre à
des impératifs de performance – efficacité et efficience – que requiert l’administration de la
justice ; mener une réflexion sur l’introduction de la sténotypie de conférence 1364 dans les
curricula de formation des fonctionnaires du greffe et des juges, chargés depuis l’avènement
du Code de procédure pénale de la tenue du plumitif d’audience pour améliorer la prise et la
sincérité des notes pendant les débats. La formation, l’informatisation et même la
spécialisation de ce greffe est d’autant plus impérative que le droit uniforme fait du greffier,
un acteur incontournable dans les procédures collectives du droit OHADA. La densité des
obligations qui lui sont dévolues par l’Acte uniforme sur les Procédures collectives
d’apurement du passif permet d’arriver à la conclusion selon laquelle, les rédacteurs de cet
important corps de règles ont fait de cet auxiliaire un acteur de la double sécurité juridique et
judiciaire dans l’espace OHADA1365. Le statut spécial du corps des greffes de 19751366 avait
pour but de différencier et surtout de spécifier les attributs du fonctionnaire greffier par

1362
Voir Article 5 Al 1 du Décret de 2012 portant organisation du Ministère de la justice.
1363
Cheikh Tidiane Lam, La modernisation de la Justice au Sénégal: vers la recherche de la performance,
Thèse, Op. Cit., p. 184.
1364
Méthode de transcription phonétique simplifiée de la parole à l’aide d’une machine appelée sténotype.
1365
Voir l’analyse d’E. Y. Tchatchuing Djethege, Le rôle du greffe dans les procédures collectives OHADA,
Mémoire Master Droit des affaires et de l’entreprise, Université de Dschang, 2011.
1366
Décret n° 75/771 du 18 Décembre 1975 portant statut particulier du corps des fonctionnaires des greffes.

272
rapport aux autres fonctionnaires. La refondation et l'adaptation des textes aux impératifs de
la modernité doit être le souci de toute administration. La réforme de 20111367 confirme le
caractère spécial de cette profession. Dans cette optique, pour permettre au greffier d’exercer
ses tâches dans des conditions optimales, le texte améliore la condition statutaire du greffier
pour lui permettre d'être encore plus efficace1368.
Sur l’état des relations entre greffiers et magistrats, il est fait état d’un constat d’écarts
de comportements 1369 . Certains magistrats s’opposeraient par exemple à l'apposition de la
signature par le greffier sur les actes juridictionnels, au mépris des règles préétablies 1370 .
Relations qu’il faut résolument améliorer, en insistant pour une bonne et saine collaboration
entre magistrats et greffiers, sur le respect de la délimitation juridique des attributions des uns
et des autres. Cinq conditions doivent être réunies pour qu’une profession se constitue et se
développe1371. Celles-ci peuvent être déclinées comme suit : la délimitation d’un objet, qui
permet d’identifier le domaine d’intervention et de préciser les finalités de l’action ; la
constitution d’un système d’expertise1372 ; la définition implicite ou explicite d’un système de
références1373 ; l’existence d’un système de contrôle des systèmes d’expertise et de références
qui peut notamment passer par l’institutionnalisation de l’accès à la profession – formation,
diplôme, "ordre"... – et qui, de manière générale, a pour objectif d’assurer une certaine
autonomie de la profession. Ces conditions peuvent servir d’outil d’évaluation et de base sur

1367
Décret n° 2011/020 du 04 février 2011 du Président de la République portant statut spécial du corps des
fonctionnaires des greffes.
1368
L’article 2 du Décret énonce que les administrateurs sont recrutés par voie de concours professionnel ouvert
aux greffiers Principaux titulaires d’une Licence en droit ou d’un diplôme équivalent et justifiant d’une
ancienneté d’au moins 5 années de service. Concernant les Administrateurs Principaux des Greffes, c’est une
innovation apportée par ce décret du 04 février 2011, parce que jusque-là le corps des fonctionnaires des Greffes
ne bénéficiait pas de ce grade. Voir aussi sur les modifications apportées par le texte de 2011, Alain Richard
Edzente, « Les fonctionnaires du greffe », in Justitia-Magazine d’informations générales du ministère de la
justice, n° 012, 2019, pp. 77-78.
1369
Njoya Mouncherou, Rapport de stage pratique professionnel effectué à la Cour d'Appel de l'Ouest, ENAM,
p. 54.
1370
Voir par exemple l’Article 38 du Code de procédure civile et commerciale. D'ailleurs une jurisprudence
assez récente conforte cette position : Cour Suprême du Cameroun, Arrêt n° 71/P du 03 février 2000 : Affaire
Tchokocam Jean Marie c/ Ministère Public et Kameni Moïse, Tientchieu Maurice ; et C.S. Arrêt n° 75/P du 03
février 2000 : Affaire Daignon Laurentine c/ Ministère Public et Sangue Missie et autres. Dans les deux affaires,
la haute juridiction a estimé que les ordonnances du magistrat instructeur ayant indiqué que ces actes ont été
accomplis avec l'assistance du greffier devraient également être signés par le greffe et ce à peine de nullité
d'ordre public.
1371
Franck Darty, Cathérine Froissart, F. Ménard, La professionnalité des greffiers, Op. Cit., p. 3 et suiv.
1372
L’expertise devant être comprise comme un ensemble de savoirs théoriques, pratiques ou procéduraux
relatifs à un champ d’activité précis et qui permet d’être « juge », sans avoir à recourir à un tiers, de la qualité
des productions de ce champ au regard des critères en vigueur dans celui-ci. Le terme regroupe trois dimensions
: la dimension technique (la maîtrise des "règles de l’art", des procédures et connaissances nécessaires à
l’accomplissement de l’activité), gestionnaire (relative à l’optimisation des compétences techniques), et sociale
(elle concerne plus particulièrement, la maîtrise du système social dans lequel s’inscrivent les activités).
1373
Ensemble de valeurs et de normes communes au groupe professionnel, qui participe à son identité, et qui
donne un sens à la pratique et encadre son action.

273
lesquelles pourraient être fondées la modernisation des greffes, dans un système où l’exigence
de formation continue de ce personnel semble absente pour un métier atypique qui nécessite
une grande polyvalence.

La modernisation du greffe n’est pas le seul pan de la revalorisation de la logistique


judiciaire à considérer. Cette revalorisation concerne également la quête d’une justice plus
légitime.

3. La quête d’une justice plus légitime

255. « Heureux le magistrat qui, successeur de la dignité de ses pères, l’est plus encore de
leur sagesse ; qui, fidèle comme eux à tous ses devoirs, attaché inviolemment à son état vit
content de ce qu’il est, et ne désire que ce qu’il possède. Persuadé que l’état le plus heureux
pour lui est celui dans lequel il se trouve, il met toute sa gloire à demeurer ferme et
inébranlable dans le poste que la République lui a confié : content de lui obéir, c’est pour
elle qu’il combat et non pour lui-même » 1374 . L’auteur de cette mercuriale sur l’état du
magistrat ajoutait que, « oserions nous avouer publiquement que la justice gémit du mépris
que les juges ont conçu pour leur profession et que la plaie la plus sensible qui ait été faite à
la magistrature, elle l’a reçue de la main même du magistrat ». Le juge à l’origine interpelé
est celui de la fin du XVIIe siècle, mais qui a le mérite de susciter toutefois des interrogations
dans le cas camerounais. Le juge se satisfait-il de sa profession, de son statut, en est il fier ?
Une réponse rapide serait hasardeuse. La déontologie du magistrat, pourrait néanmoins faire
pencher la balance du mauvais côté, elle qui met en situation un ensemble de règles et
d’obligations d’éthique professionnelle, et constitue en effet le plus grand écueil à
l’indépendance personnelle du magistrat1375. En conséquence, peu de justiciables fondent une
confiance « religieuse » en la justice camerounaise qui voit de ce fait sa légitimité remise en
cause. Si la justice dispose a fortiori des règles destinées à garantir l’impartialité de la
décision du juge comme celles relatives à la récusation, aux incompatibilités ou encore à la
collégialité, nous pensons que la légitimité – au sens d’acceptation par le corps social – de
cette justice pourrait être renforcée par la mise en place d’un mécanisme qui s’inspirerait d’un

1374
Guy Canivet, Discours d’audience solennelle du début d’année judiciaire, 9 janvier 2004, in Cour de
Cassation, Etude sur le thème de l’égalité, Op. Cit., p. 25, citant un célèbre avocat général de 1698, dans
« l’amour de l’état du magistrat ».
1375
En 2013, l'indice de perception Transparency international de la corruption en milieu judiciaire au
Cameroun avait atteint le pic de 4,2/5 ! Il n'a pas trop évolué depuis cette date. Le rapport Doing Business de la
Banque mondiale en 2017 expose le sombre tableau de la justice camerounaise et la considère comme la
principale cause de la faible attraction que ce pays exerce sur les investisseurs. Voir supra, l’analyse consacrée à
la corruption.

274
autre déjà prévu 1376 et destiné à prévenir des conflits d’intérêts et servant de mesures
déontologiques des magistrats : la déclaration d’intérêts. L’obligation déclarative des
magistrats comporterait par exemple : les activités professionnelles donnant lieu à
rémunération ou gratification exercées à la date de la nomination ; des éventuelles activités de
consultant ; la participation aux organes dirigeants d’un organisme public ou privé ou encore
d’une société à la date de la nomination ; ses participations financières directes dans le capital
d’une société ; les activités professionnelles du conjoint, ou encore les fonctions bénévoles
susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts. Toute modification substantielle des intérêts
fera l’objet d’une déclaration complémentaire dans le but d’actualiser la déclaration initiale et
indiquant la nature et la date de l’événement ayant conduit à la modification.

256. Les procédures juridictionnelles et particulièrement les questions relatives à


l’administration de la justice, à l’activité judiciaire sont d’intérêt public. Mais le droit à
l’information judiciaire constitue le ventre mou de l’administration actuelle de la justice.
Même si le ministère de la justice dispose respectivement d’un site internet fonctionnel mais
non mis à jour, d’un magazine d’information à parution irrégulière, le public semble
déconnecté d’informations sur le fonctionnement de la justice. La majorité des acteurs
judiciaires ignore totalement les programmes déclinés par le ministère de la Justice, puisque
les supports de communication tels que les rapports d’activités, les recommandations issues
de séminaires importants, les rapports de suivi-évaluation et les rapports de contrôle ne sont
pas diffusés ni partagés avec le plus grand nombre d’acteurs. Il faut améliorer le droit à
l’information des citoyens, encourager la mise sur pied de stratégie de communication dans
les différents sièges de cours d’appel, mais en tenant compte des limites imposées par
l’indépendance de la justice et sous le contrôle du ministère et du Conseil de la justice. Une
réflexion sur le rapport des magistrats aux médias ainsi que sur l’équilibre entre indépendance
de la justice et droit à l’information mérite d’être menée. La communication ne saurait être un
aspect secondaire, elle doit être intégrée à l’action et l’activité de juridictions.

257. La loi sur l’organisation judiciaire de 2006 prévoit dans les formations de la Cour
1377
d’appel, une Assemblée générale , dotées de compétences juridictionnelles et
consultatives 1378 . L’assemblée générale examine et émet des avis sur toutes les questions

1376
Article 66 de la Constitution du 18 janvier 1996. Dans le cas d’espèce, le constituant avait déjà pensé dans le
cas précis des magistrats à un mécanisme de renforcement de l’impartialité, l’intégrité et la probité du magistrat.
Le texte dispose en effet que : « Le Président de la République, […], les Magistrats, […], doivent faire une
déclaration de leurs biens et avoirs au début et à la fin de leur mandat ou de leur fonction ».
1377
Article 20 al. 2a.
1378
Article 20 al. 2f.

275
relatives au fonctionnement de la juridiction qui lui sont soumises par le Président, le
Procureur général ou par un tiers de ses membres1379. Lieu d’échanges et de communication
entre les différents magistrats de la Cour d’appel sur le fonctionnement de la juridiction, la
création à côté de cet organe et dans les juridictions d’instance, d’un conseil consultatif de
juridiction permettrait la mise en place d’un organe de concertation sur les bonnes pratiques
procédurales et les pesanteurs auxquels sont confrontés les professionnels du droit et usagers
de la justice, pour contribuer à la création d’un dialogue constructif entre les juges, le
ministère public, le greffe, les avocats et les autres protagonistes de la scène judiciaire, dans
l’objectif d’améliorer l’administration de la justice sur l’étendue du siège de la Cour d’appel.
La mise en œuvre et le succès d’un tel dispositif suppose que soit conduite une mise à niveau
spécifique.

Paragraphe II. La mise à niveau spécifique


258. La principale critique faite à la Justice est liée aux difficultés de sa mise en oeuvre
mais aussi et surtout à son efficacité. Du fait des lenteurs dans la disponibilité des décisions et
du comportement de ses acteurs, la justice camerounaise donne en effet l’impression parfois
d’une machine tournant à vide. La mise à niveau spécifique envisagée ici, désigne le
processus de modernisation de la justice orienté sur le gain de performance et d’amélioration
significative de l’administration de la justice. Cette option repose sur ses fonctions
juridictionnelles (A), et la performance de l’appareil judiciaire (B).

A. Améliorer les fonctions juridictionnelles

259. L’amélioration des fonctions juridictionnelles doit se manifester par la spécialisation


des juridictions (1) et les contours des fonctions de poursuite et d’exécution (2).

1. La spécialisation des juridictions

260. Les lacunes de la justice camerounaise ce sont certainement encore plus révélées au
grand jour ces deux dernières décennies qu’au cours des trente dernières années. Ici comme
ailleurs, le sentiment de l’attente d’assister à une véritable mutation de l’institution « justice »
devient une exigence prégnante. Face à une augmentation de la demande de justice
caractérisée par le nombre de plus en plus élevé d’affaires portées devant le juge 1380 , au
nombre de recrutement progressant moins vite que le nombre de litiges traités chaque année, à
1379
L’Assemblée générale est composée de l’ensemble des magistrats en poste à la Cour d’appel et du Greffier
en chef.
1380
Cf. Source Statistiques du ministère de la justice.

276
la saturation des rôles, à la multiplication des affaires techniques et complexes, et
l’importance désormais acquise de la célérité de la justice, il est nécessaire d’optimiser
l’usage fait des ressources de magistrats disponibles en augmentant leur rendement1381 par une
spécialisation du traitement du contentieux. Les lexicographes français 1382 définissent la
spécialisation, comme étant « l’action de spécialiser » et le verbe « spécialiser » a deux sens.
Dans le premier sens, spécialiser c’est « rendre compétent dans un domaine déterminé, rendre
apte à un métier, à un travail particulier » et selon le second, il s’agit de « restreindre le
domaine d’action d’une activité, d’une entreprise, (d’une organisation) tout en les rendant
plus performantes dans la voie choisie »1383. Le juge spécialisé est par conséquent l’officier de
judicature dont la compétence est limitée à une ou plusieurs matières de droit, tout en le
rendant plus performant par opposition au juge de droit commun1384. Ainsi définit, le juge
camerounais est spécialiste du général. C’est en réalité en matière judiciaire, un principe de
non spécialisation des juridictions. Les mêmes juges siègent aussi bien en matière pénale,
qu’en matière civile. Mais non, ce n’est pas de cette forme de spécialisation dont il s’agit ici,
mais au contraire, celle d’une sous-spécialisation au sein de la forme de spécialisation
existante. C’est ainsi qu’il y a un juge de l’exécution. Le rédacteur de la loi sur l’organisation
judiciaire a en effet donné dans la composition de la Cour d’appel, le chemin à suivre. Selon
ce texte, la Cour d’appel est composée selon les nécessités de service d’une ou plusieurs
chambres de référés, d’une ou plusieurs chambres du contentieux de l’exécution, chambres
civiles et commerciales, de droit traditionnel, criminelles, correctionnelles et de simple police,
d’une ou plusieurs chambres de contrôle de l’instruction1385. Il s’agira simplement d’étendre
ladite composition aux tribunaux d’instance en fonction des compétences de chacun et d’en
rajouter une chambre de la grande délinquance économique et financière, diviser en deux sous
chambres : la chambre civile et commerciale ; la dernière jouant le rôle d’un tribunal de
commerce.

1381
Le recrutement de magistrats n’est pas extensible à souhait. L’absence de recrutement en nombre suffisant
de magistrats, nous oblige à utiliser le terme « choquant » de rendement. Du coup, si la rentabilité peut paraitre
en effet choquante en matière judiciaire, elle est pourtant une réalité.
1382
Le Petit Larousse, Dictionnaire de langue française, 2015.
1383
Le « spécialiste », est quant à lui, la « personne qui a des connaissances théoriques ou pratiques dans un
domaine précis ».
1384
Corinne Bléry, « Rapport introductif. La notion de spécialisation », in Catherine Ginestet, La spécialisation
des juges, Toulouse : Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2012, pp. 13-22. Disponible sur internet :
http://books.openedition.org/putc/523, consulté le 19 septembre 2019 à 16h45. Selon le Vocabulaire Cornu, le
juge de droit commun a « vocation à connaître de toutes les affaires, à moins qu’elles n’aient été attribuées par
la loi à une autre juridiction ».
1385
Article 20 al. 2b, Loi de 2006 sur l’organisation judiciaire.

277
261. La spécialisation des magistrats et l’adaptation des circuits procéduraux à la nature et
aux enjeux de l’affaire pourraient être mieux assurées à effectifs constants. L’avantage
principal de la spécialisation permet de confier le traitement des affaires complexes et
techniques à des spécialistes. En d’autres termes, à des magistrats ou des juges rompus à
certains contentieux pour éviter le ralentissement de l’ensemble des juridictions, parce que ces
contentieux sollicitent toute l’attention des magistrats, nécessitent de regrouper des dossiers
techniques. Cela permettrait de libérer les magistrats non spécialisés d’une lourde charge de
travail, d’accélérer le processus juridictionnel, où l’on assiste de plus en plus devant les
prétoires à des litiges avec constitution de parties civiles, impliquant un grand nombre de
personnes. Faute de compétence particulière, la procédure pourrait s’enliser, le traitement du
litige pourrait n’être qu’approximatif, à l’exemple du reproche généralement fait par les
entreprise au juge de droit commun OHADA. Les procédures de règlement des différends
sont lentes et inefficaces, avec pour conséquences des décisions incertaines et sélectives. Les
entreprises trouvent également que les juridictions sont inefficaces lorsqu'il s'agit des
procédures contre les décisions gouvernementales 1386 . La répartition du contentieux serait
faite sur la base de la compétence des différentes chambres. Il faut souligner à titre de droit
comparé que l’institution des juridictions de commerce par la loi béninoise n° 2020-15 du 28
juillet 2016 a eu un impact positif immédiat sur le traitement des litiges commerciaux et sur la
perception par le monde des affaires de la justice béninoise1387.

262. Toutefois, la réponse judiciaire ne se verrait accélérée que si la spécialisation


envisagée est nécessairement accompagnée d’une augmentation moyens humains (juges,
experts, officiers de police judiciaire) et matériels. D’où l’importance de poursuivre
l’ouverture de l’accès à la magistrature ; des juges spécialisés recrutés par la voie latérale
côtoieraient les magistrats de métier dont l’expérience variée profiterait à l’appareil judiciaire.
La spécialisation des juridictions et la création d’un pôle sur la délinquance économique et
financière, prendra place dans le cadre d’un processus de développement d’une justice
économique camerounaise et sur la nécessité d’une justice économique efficiente. C’est
l’ensemble de la justice qui pourrait être conçu de manière à satisfaire aux exigences
d’efficacité qu’appelle le règlement des contentieux. Amélioration des fonctions
juridictionnelles qui s’étendrait aux fonctions de poursuite et d’instruction.

1386
Banque mondiale, Rapport Doing Business 2017.
1387
Julien Coomlan Hounkpe, « Bénin : une loi pour moderniser la justice », www.villagedelajustice.fr, publié
le 10 Juin 2020, consulté le 25 Mars 2021 à 16h02.

278
2. Les fonctions de poursuite et d’instruction

263. Le droit camerounais a connu ces vingt dernières décennies de nombreuses


réformes 1388 , qui ont fonctionnellement renforcé la place et le rôle du magistrat dans le
système juridique camerounais. Ces réformes font qu’il est désuet de continuer à considérer le
parquet comme un simple agent de l’action pénale chargé de défendre et assurer dans
l’activité judiciaire, l’implémentation des orientations gouvernementales alors même que le
parquet exerce en prime, des fonctions de nature judiciaire ou juridictionnelle1389, envisagées
comme fonction d’application de la loi ou fonction de garantie1390. Le ministère public n’est
plus seulement celui qui accuse et demande au juge de prononcer des peines, mais également
celui à qui, il est désormais dévolu d’apprécier la plus juste et la plus opportune réaction
judiciaire. Si la fonction du magistrat du parquet ne doit pas être confondue avec celle du
juge, il est néanmoins tenu comme ce dernier, d’interpréter la loi de manière impartiale en
procédant à un arbitrage constant entre l’intérêt général et les libertés individuelles. Ses
différentes fonctions en matière judiciaire font de ce magistrat spécialisé, un professionnel du
droit indispensable1391 du pouvoir judiciaire et complémentaire du juge. En cas de poursuite,
le ministère public, peut parfois être considéré comme un « pré-jugement » et même dans le
cas contraire, il donne à l’affaire une solution qui dans la plupart des cas est confirmée par le
juge saisi. Ce qui lui a valu d’être considéré avant l’arrêt Moulin1392 comme une « autorité
judiciaire ». La dénomination que l’on lui attribue dans quasiment tous les systèmes
juridiques, permet d’en saisir la pleine mesure de la fonction : « Procureur de la République »
ou « ministère public »1393. Dit autrement, il est gardien au même titre que le magistrat du
siège de la présomption d’innocence de toute personne, de l’égalité devant la justice et de la
sécurité juridique ; défenseur de la société et de l’intérêt général devant les juridictions. La
fonction du magistrat du parquet, comme celle du juge est une « fonction d’application du

1388
Avènement d’un Code de procédure pénale, la consécration dans le Code pénal issue de la modification
intervenue en 2016 de la responsabilité pénale des personnes morales de droit privé et autres incriminations, le
droit OHADA,
1389
Les attributions du parquet sont contenues par les Articles 132 à 142 du Code de procédure pénale et plus
globalement le livre II relatif à la constatation et la poursuite des infractions.
1390
Pierre Tcherkessoff, « Le statut du parquet est-il cohérent avec l’évolution contemporaine du ministère
public ? », Op. Cit.
1391
Le caractère indivisible du Ministère public dans le procès pénal n’en que la preuve irréfutable de son
importance ; partie au procès certes, in n’en est pas pour autant comme une autre ; les agents et officiers de
police judiciaire sont ses auxiliaires, il veille au déroulement des contrôles d’identité etc.
1392
CEDH n°37104/06, 23 février 2011, Moulin c/ France § 57, confirmé par la cour de cassation française.
1393
Qui signifie, porte-parole de la République auprès des juridictions, gardien des valeurs essentielles
républicaines dans tout le processus judiciaire, du premier acte d’enquête jusqu’au dernier acte d’exécution de la
sentence, le parquet participe de manière effective et essentielle à l’exercice du pouvoir judiciaire.

279
droit »1394. C’est au regard des missions qui sont les siennes que son statut mériterait d’être
appréhendé. Pour éviter toute suspicion sur la dépendance du parquet au ministre de la justice,
il faut clarifier le statut du parquet et restaurer la confiance. Le lien juridique de subordination
qui lie les membres du parquet au ministre de la justice, laisse penser à un magistrat aux
ordres, qui rejaillit sur sa capacité à faire preuve d’impartialité et d’indépendance. C’est un
« poison qui mine la crédibilité de l’institution judiciaire et met à mal sa nécessaire
exemplarité »1395. Sans remettre en cause le rattachement du parquet au ministre de la justice
dans le cadre de la mise en œuvre de la politique judiciaire, il faut prévenir les possibles
d’interférences en renforçant les garanties d’impartialité du parquet qui devrait cesser, si l’on
s’en tient tout au moins aux dispositions du Code de procédure pénale, d’être vu comme un
« préfet judiciaire »1396 et de confier à un organe impartial le pouvoir de décider des affaires
qui méritent d’être l’objet de l’intervention judiciaire ou limiter l’intervention de la
chancellerie seulement dans les cas légitimes, vérifiés et objectifs en précisant une ligne de
démarcation entre les interventions relative à la politique pénale et les pressions, ou encore
permettre au magistrat du parquet en cas de pressions exercés contre lui, la possibilité de
saisir le conseil de la magistrature. En tout état de cause, c’est une solution d’équilibre qu’il
faut mettre en place, neutraliser les soupçons d’instrumentalisation qui pèse sur la justice,
soupçon qui nuit à sa légitimité. Plus qu’un enjeu de procédure pénale, la question de fond est
en réalité relative au modèle de procédure pénale. Tourner le dos au système de l’opportunité
des poursuites, pour celui de la légalité des poursuites, serait une réflexion à mener.

264. L’innocence comme la culpabilité sont des états importants en justice. Ceux-ci
illustrent parfaitement les fonctions du juge d’instruction. Il instruit à charge et à décharge. Ce
qui fait de ce magistrat de siège, une fonction juridictionnelle fondamentale dans le
déroulement du procès pénal et l’administration de la justice pénale. Le magistrat instructeur,
est obligatoirement saisi en cas de crime et facultativement en cas de délit ou de
contravention. Sa mission est de rechercher l’auteur ou les auteurs présumés de l’infraction,
de rassembler les preuves et d’apprécier si les charges relevées sont suffisantes pour traduire
les inculpés devant la juridiction de jugement. Cependant, la fonction du juge d’instruction
fait parfois qu’il manque d’impartialité, car il est des affaires où ce magistrat est forcément
juge et partie. En tant que magistrat de siège, il doit toujours être objectif. Mais seulement,

1394
Pierre Tcherkessoff, « Le statut du parquet est-il cohérent avec l’évolution contemporaine du ministère
public ? », Op. Cit.
1395
Amaury Bousquet, Selim Brihi, « Clarifier le statut du parquet pour restaurer la confiance », Op. Cit.
1396
Ibid.

280
comment voudrait-on qu’il soit objectif et impartial s’il est contact avec les officiers de police
judiciaire par qui il peut faire procéder des enquêtes1397. De plus, la liberté est le principe, la
détention l’exception. Le juge d’instruction comme le parquet, peut ordonner des
investigations même si celles-ci doivent tendre à la recherche de tous les éléments favorables
ou défavorables à l’inculpé. En raison de l’effectif réduit de ce magistrat spécialisé et du
modèle de séparation des fonctions de poursuite et fonction d’instruction, la vérité du
procureur ou du parquet, la « vérité policière », est susceptible de devenir la « vérité
judiciaire » 1398 . Peut-on parler à ce moment, d’instruction à décharge ? Notre système
inquisitoire place le parquet au cœur de la procédure1399.

Par ailleurs, le principe du contradictoire et l’égalité des armes doivent ainsi être
renforcés au stade de l’enquête liminaire, mais aussi à l’instruction dont on peut
opportunément s’interroger sur le caractère collégial. Il faut impérativement éviter que la
présomption d’innocence ne se transforme en présomption de culpabilité. Vers quelle réforme
faut-il tendre pour l’éviter ? Il n’existe pas de système judiciaire parfait. La solution Roland
Agret l’a évoqué ; il s’agit pour ce dernier, d’instaurer « une défense présente dans la
recherche de la vérité, avec des vrais moyens d’intervention »1400 en donnant à l’avocat la
possibilité de procéder lui-même ou de faire procéder à des investigations, intervenir dans la
recherche de la vérité. Mais il faudrait peut être allé plus loin. S’il est devenu coutumier
d’appeler à l’évolution du droit, nous pensons que, du fait de l’inflation législative qui
s’inscrit de plus en plus dans le paysage juridique camerounais, l’efficacité et l’efficience de
ce juge se trouve dans les années avenir dans une véritable réflexion sur l’opportunité de la
disparition du juge d’instruction au profit de la juridiction d’instruction, qui verrait sa
fonction1401 améliorée, afin de garantir plus efficacement les libertés individuelles. Juge de
siège, il incarnerait toute la mesure d’un véritable juge, limiter son pouvoir à celui de juger,
les missions de juge et d’enquêteur étant incompatibles, il faut limiter son pouvoir
d’investigation, lui donner la possibilité de décider sur requête, au contrôle de l’ensemble des
actes et de toutes les atteintes aux libertés individuelles que nécessite l’information

1397
Article 151 du Code de procédure pénale.
1398
V° notamment R. Agret, La justice en marée basse, Editions Austral, 1994, p. 120-135.
1399
« Sous réserve des dispositions de l’article 157, le Juge d’Instruction ne peut ouvrir une information
judiciaire que s’il est saisi par un acte du Procureur de la République », Article 143 du Code de procédure
pénale.
1400
R. Agret, La justice en marée basse, Op. Cit., p.
1401
En France, le Rapport M. Delmas-Marty de 1990 avait déjà envisagé une similaire hypothèse. Il prévoyait
«la suppression du juge d’instruction et son remplacement par une juge chargé de contrôler l’ensemble des
procédures préparatoires et le soin de confié au parquet de conduire les investigations tout en renforçant les
prérogatives de la défense ».

281
judiciaire et lui confier un rôle fondamental, la protection des libertés individuelles. Ce qui
permettrait d’accroitre substantiellement la performance de l’appareil judiciaire.

B. La performance de l’appareil judiciaire

265. La recherche de la performance judiciaire par la mise à niveau des fonctions


juridictionnelles, nous offres semble-t-il, trois manifestations d’avantage inspirées par la
nécessité de garantir un minimum d’efficacité : la formation des professionnels du droit (1),
l’évaluation de la justice (2) et la planification stratégique (3).

1. La formation des professionnels du droit

266. Si l’indépendance des magistrats et des autres professionnels du droit est garantie
statutairement, dire le droit pour les uns et exercer les fonctions de défense et d’exécution
pour les autres de manière indépendante nécessite un état d’esprit, un savoir-être et un savoir
faire qui doivent être enseignés, cultivés et approfondis tout au long de la carrière. Ce qui
place inexorablement la formation judiciaire et la compétence, comme l’indépendance et
l’impartialité au nombre des exigences inhérentes à l’exercice des professions juridiques et
judiciaires. De toute évidence, la question de la formation des professions juridiques « de plus
en plus articulées, en raison de la complexité croissante et de la nature multicouche du
phénomène juridique »1402 représente une occasion privilégiée pour réfléchir sur les nouvelles
exigences et attentes des systèmes juridiques. Incontestablement la mondialisation et la
globalisation des relations et des situations, l’avènement d’un droit uniforme des affaires, ont
nécessairement des conséquences dans la formation des juristes, qui eux produisent
inévitablement un accroissement du rôle du juriste et des opérateurs du droit appelés à y faire
face. Pour cela, la qualité des hommes est déterminante. Certes, le droit OHADA est crédité
d’un bilan positif, mais tout droit a besoin pour assurer au mieux sécurité juridique et
judiciaire, « d’apôtres » 1403 formés, d’un personnel de justice et une communauté des
opérateurs économiques imbus du droit OHADA 1404 pour réaliser la vision de la sécurité
juridique et judiciaire contenue dans le préambule du Traité originaire. La formation demeure

1402
Orlando Roselli, « Formation, culture juridique, rôle du juriste et des opérateurs du droit à l’époque
contemporaine de transition », Revue interdisciplinaire d'études juridiques, 2014/1 Volume 72, pp. 87-98.
1403
Anaclet Nzohabonayo, « Préservation de la sécurité juridique et judiciaire des affaires à travers les
formations : cas de l’ERSUMA et des commissions nationales OHADA », Uniform Law Review, Vol. 23, 2018,
127-143.
1404
Ibid., p. 129.

282
« le parent pauvre du droit OHADA »1405 et des droits africains en général. C’est un impératif
auquel les auteurs du Traité ont naturellement songé, à travers la création de l’ERSUMA.

267. L’ERSUMA constitue un véritable instrument qui vise au soutien de la formation des
magistrats, des personnels de justice et des opérateurs du droit en droit des affaires. Pour
autant, la question de la formation de cette catégorie d’individus n’est pas nouvelle ; la
compétence originaire de la formation des professionnels du droit revient au premier chef
dans l’espace OHADA aux ordres juridiques nationaux qui partagent celle-ci s’agissant du
droit des affaires avec l’ERSUMA qui a pour rôle principal d'assurer la formation et le
perfectionnement des magistrats et des auxiliaires de justice des États membres en droit
harmonisé et en droit des affaires. En ce sens, l’idée de la qualité de la justice est inscrite dans
la genèse même de l’École nationale de la magistrature. C’est dans le souci de
professionnaliser la fonction de juger que la professionnalisation de la formation a été
instituée dans la quasi majorité des Etats membres sous le modèle français d’une école
spécialisée chargée de la formation des magistrats et personnel de justice. Les Etats s’attèlent
à remplir tant bien que mal la formation initiale1406 de son personnel judiciaire. La formation
initiale des avocats et des huissiers de justice quant à elle demeure une formation sur le tas,
simple produit de l’activité professionnelle, est un des facteurs du discrédit dont pourrait
souffrir l’avocature. Pour autant, force est, en effet, de constater que le réflexe en matière de
formation malgré la création de l’ERSUMA, demeure cantonné au plan national. D’où la
nécessité de développer une stratégie commune en complément des stratégies nationales de
formation des opérateurs du droit. L’objectif d’une stratégie commune de formation est
simple. Pour former juristes et opérateurs du droit, il est nécessaire de promouvoir une «
science de la formation juridique »1407, une ingénierie de la formation en mesure de placer la
réflexion dans le contexte des changements que connaissent nos sociétés ; de mener une
enquête sur l’offre de formation dans les différents pays, et de promouvoir l’échange

1405
Ibid. p. 130.
1406
La formation initiale des magistrats alterne les périodes de formation à l’école et les stages dans les
tribunaux, les administrations, etc. Elle permet d’acquérir les compétences professionnelles dans l’exercice de
toutes les fonctions de juge ou de magistrat du parquet, de greffier au sein d’un tribunal d’instance ou de grande
instance. A l’issue de leur scolarité, les auditeurs de justice savent analyser une situation, mener à bien une
procédure, prendre une décision, en formaliser la motivation, veiller à son exécution, conduire un entretien ou
présider une audience. Au-delà de la maîtrise de ces gestes professionnels – maîtrise sans laquelle la qualité des
décisions judiciaires serait un vain mot – une partie importante de la formation a pour objectif de constituer une
culture judiciaire ouverte aux réalités de la résolution des différends.
1407
Orlando Roselli, « Formation, culture juridique, rôle du juriste et des opérateurs du droit à l’époque
contemporaine de transition », Op. Cit.

283
d’expériences ; d’encourager les synergies entre les juristes des universités1408, la mobilité des
enseignants entre institutions universitaires et les praticiens ; de mettre en valeur également
l’apport d’expertises non juridiques, indispensables pour promouvoir une formation de qualité
; d’encourager des formes d’expérimentation se fondant sur la multidisciplinarité et, le cas
échéant, sur l’interdisciplinarité ; améliorer la compréhension réciproque des systèmes
juridiques et judiciaires des États membres, faire prendre conscience des convergences entre
eux et par là réduire les obstacles à la coopération judiciaire entre États membres ;
d’encourager l’intégration du droit OHADA dans les curricula de formation des écoles
nationales de magistrature pour celles qui en sont dépourvus. Par une plus grande
sensibilisation au droit uniforme des praticiens du droit, de l’ensemble des citoyens et des
entreprises pour développer davantage de confiance vis-à-vis de la justice grâce à cette
familiarisation avec le droit uniforme. Dit autrement, il s’agit de permettre aux professionnels
du droit d’acquérir le réflexe OHADA.

268. En outre, la formation continue du magistrat et autres professionnels demeure encore


en droit camerounais une démarche individuelle, une initiative personnelle pour éviter de faire
preuve soit d'insuffisance professionnelle, soit d'inadaptation professionnelle1409. De surcroît,
elle s’inscrit encore trop rarement dans un parcours de formation correspondant à des choix
d’évolution de carrière. Les enjeux en ce qui concerne la formation continue des magistrats,
avocats, huissiers de justice, notaires, sont donc encore plus cruciaux. En effet, la carrière des
magistrats et autres professionnels du droit est longue. De plus, les magistrats ont vocation à
occuper successivement tout au long de leur carrière des fonctions diversifiées. La qualité de
la décision de justice dépendra, pour une large part, de la faculté des magistrats à actualiser
leurs connaissances, à mesurer les évolutions de la société, à intégrer de nouvelles méthodes
de travail, à gérer efficacement les moyens mis à leur disposition. Il est donc de notre point de
vue, important que les différentes Écoles nationales de la magistrature en collaboration avec
l’ERSUMA, les Commissions Nationales OHADA, développent une importante offre de
sessions de formation continue sur des questions considérées comme les « nouveaux marchés
du droit ». Il est temps de développer l’effectivité du droit à la formation continue pour les
magistrats et inscrire l’obligation de la formation continue dans le décret portant statut de la
magistrature. L’importance de la mise sur pied des programmes d’approche globale en

1408
V° not. P.G. Pougoué « Propos introductifs », in L’OHADA. Un passé, un présent et un avenir, Op. Cit., p.
16. Sur cette question précise, le professeur d’université avait proposé de soutenir la recherche de haut niveau,
seule susceptible d’apporter des réponses solides aux questions de fond. Il milite ainsi pour des partenariats
solides signés autour des masters et des doctorats entre l’OHADA et les Universités africaines et d’ailleurs !
1409
Article 71 alinéa 1 du Décret de 1995 sur le Statut de la magistrature.

284
matière de formation des professionnels n’est pas à minimiser pour renforcer le sentiment de
compétence des acteurs du monde des affaires et de la justice. Le défi à relever en matière de
formation est considérable. Il ne sera atteint qu’à la condition que l’offre de formation
réponde aux besoins des professionnels et de l’attente des justiciables. La qualité d’un
système de justice et sa célérité dépendent évidemment, avant tout, « des hommes et des
femmes qui rendent la justice et qui en sont les comptables. Il est normal, dans ces conditions,
de veiller scrupuleusement à la qualité de leur formation »1410.

269. L’efficacité est devenue une condition nécessaire à la protection des droits, à la
sécurité juridique et à la confiance des citoyens. Il faut par conséquent, ouvrir les professions
juridiques et judiciaires sur la société. La vraie question est de savoir si l’Avocat, le juge,
occupent réellement toute la place qui est la leur dans « le marché du droit » ? Pour vivre
pleinement de son art, magistrat, avocat, huissier, chacun en qui le concerne, ne devrait
laisser aucun pan du marché du droit lui échapper, afin de donner « pleine satisfaction » au
justiciable pour le juge, à qui il reproché d’ignorer les réalités de la vie économique, au client
de plus en plus exigeant pour l’avocat et les autres professions. Le droit semble plus complexe
qu’avant et il importe désormais de savoir guider les clients qui naviguent parfois malgré eux
« en eaux troubles »1411. Il faut se former aux matières jusqu’ici délaissées que sont : le droit
de l’environnement, le droit de la normalisation et de la compliance, droit sectoriel de la
régulation, droit bancaire (aspects nouveaux), droit financier et boursier, droit collaboratif et
coopératif, droit du numérique, droit de la propriété intellectuelle, droit et contentieux des
comptes publics, droit des marchés publics, Règlements Alternatifs des Conflits, droit
pétrolier et minier, droit du sport, droit de la Presse, droit de la protection des dirigeants
sociaux des sociétés commerciales, droit des nouvelles technologies, fiducie, droit de la
concurrence etc. Le Barreau du Cameroun en a compris la nécessité en organisant en prélude
de sa rentrée solennelle en 2019, un colloque sur « les nouveaux marchés du droit »1412. Le
juge en particulier doit s’ouvrir au raisonnement économique.
En conclusion, la formation des professionnels doit être « aujourd’hui plus variée et
diversifiée que la simple connaissance du droit pour comprendre aussi la connaissance de la
culture juridique, la négociation et la collaboration avec les régulateurs ». L’enjeu étant « la

1410
Éric Veyssière, « La formation du magistrat judiciaire et la qualité des décisions de justice », in Pascal
Mbongo (coord.), La qualité des decisions de justice, Op. Cit., pp. 104 et s ; Michel Bénichou, « La formation
de l’avocat et la qualité des décisions de justice », Ibid., pp. 112 et s.
1411
A-L-Hélène des Ylouses, Gilles Pillet, « Editorial », in Les quatre défis de l’avocat français du XXIe siècle,
Op. Cit., p. 8.
1412
Les 05 et 06 Juin 2019 au Palais des sports de Yaoundé.

285
formalisation et la constitution d’un savoir théorico pratique global à reproduire »1413. La
technicité accrue de certaines disciplines et des procédures mises en oeuvre, nécessitent que
soit étoffée la formation juridique des juges. La vérification, et la sanction de cette exigence
de formation, s’avèrent aujourd’hui indispensables. Quant au contenu de cette formation, elle
porterait non seulement sur le fond du droit mais aussi sur la déontologie, la rédaction des
jugements (motivation si l’on accepte l’idée selon laquelle la bonne compréhension des
décisions de justice et leur acception est un facteur important permettant de limiter des
interprétations et surenchères médiatiques peser d’une manière ou d’une autre sur la sérénité
et l’indépendance de la justice) et la procédure1414. La formation conditionne la compétence,
qui elle en retour est un facteur de crédibilité.

2. L’évaluation de la justice

270. Les organisations publiques se doivent aujourd’hui d’être efficaces, efficientes et


économes. L’évaluation constitue dans le prolongement de cette logique tant pour la justice,
que pour toute autre organisation, la jauge du fonctionnement de ses procédures, l’utilisation
qui est faite de ses ressources, ses méthodes, en somme l’instrument de la mesure de cette
efficacité, efficience et économie. Seulement, l’évaluation de la justice camerounaise semble
orientée et réduite à celle de son personnel, même si on peut lire dans les attributions de
l’Inspection générale des services judiciaires du ministère de la justice, l’émergence de
l’évaluation de la performance de l’activité juridictionnelle dans son ensemble. Quelles
réformes apporter donc à la manière dont la justice est évaluée au Cameroun. Nous pensons
que l’évaluation de la qualité de la justice, et éventuellement de son administration, mériterait
d’être articulée sur la base des questions suivantes, pour être certain d’intégrer dans le
processus d’évaluation l’ensemble des questions importantes et nécessaires à la bonne
administration de la justice et pouvoir mettre sur pied des indicateurs adaptés à une
administration au service de la justice. Le questionnaire est le suivant : l’évaluation est elle
individuelle ou collective ? Qui détermine les indicateurs de qualité et vérifie qu’ils sont
remplis ? L’évaluation de la Justice est-elle différente de celle qui s’applique aux autres
services publics ? Existe-t-il des enquêtes de satisfaction auprès des usagers ? A quel usage
les ressources budgétaires allouées à la justice sont elles dirigées ? L’utilisation qui en faite
est elle compatible avec les résultats fournis et attendus ? L’informatisation s’est elle imposée
à la justice camerounaise, ou a-t-elle été un choix ? Quel est son niveau d’implémentation ?

1413
IHEJ, Les quatre défis de l’avocat français du XXIe siècle, Op. Cit., p. 50.
1414
Cf. sur ces trois aspects proposition n° 11.6. 6 du rapport Marshall, Op. Cit.

286
271. De l’ensemble de ces questions ressort un certain nombre d’attentes. Les acteurs
judiciaires doivent assurer une réponse de qualité pour répondre à la mission qui leur est
impartie. Le dispositif juridique admet un système d’évaluation de l’activité des magistrats
par leurs pairs sous le contrôle de la Chancellerie. Du texte qui attribue à l’Inspection générale
des services judiciaires la compétence en matière de contrôle interne, l’on retient qu’il s’agit
d’une évaluation collective dans son ensemble mais les critères ne sont pas rendus publics par
l’autorité en charge de l’évaluation. Pour garantir un minimum d’objectivité, l’évaluation de
la mise en œuvre des indicateurs de qualité et de performance, devrait être confiée à l’organe
chargé d’assurer l’intégrité de la magistrature. Les indicateurs d’évaluation sont plus
quantitatifs, chiffrés et concernent le nombre d’affaires, leurs caractères civil, pénal ou
administratifs, le stock, mais devraient également intégrer les délais, la durée ou encore l’âge
des procédures, mais ne pas être réduits à l’aspect quantitatif.
Pour être plus concret, le système d’évaluation devrait être d’une part, quantitatif et
qualitatif1415, d’autre part, reposer sur des éléments distincts tels que l’évaluation individuelle,
l’évaluation administrative et l’évaluation du processus juridictionnel. Enfin, donner la
possibilité à chaque agent évalué, la possibilité de contester l’évaluation à laquelle donne lieu
leur activité judiciaire devant une autorité indépendante. L’idée fondamentale est de
développer et renforcer la qualité de l’administration judiciaire de façon à ce que la procédure
judiciaire et la décision du tribunal, et tout ce qui les accompagne, répondent toujours mieux
aux attentes en matière de protection juridique attendues par la population des tribunaux. Au-
delà de l’évaluation des juges et des juridictions, c’est une « satisfaction » des impératifs de
sécurité juridique et judiciaire qui est recherchée.

3. La planification stratégique

272. Si les résultats statistiques ne sont que des indices d’une réalité humaine, et non la
formulation d’une vérité indiscutable, ce sont des indices plus ou moins représentatif d’une
réalité 1416 . Les statistiques qui sont traditionnellement définies comme « des documents
chiffrés ayant pour but de dénombrer soit les individus eux-mêmes, soit des éléments de

1415
Dimension procédurale du procès, jugement et décisions, attitude envers les participants au procès et le
public, rapidité du procès, Savoir-faire et compétence professionnelle des juges, magistrats du parquet et
personnel du greffe.
1416
Philippe Bonfils, « L’outil statistique et son étude dans les sciences juridiques », in RRJ, Op. Cit, pp. 1129-
1140. V° aussi, Joëlle Affichard, « Normes juridiques, concepts statistiques et fonctionnement des tribunaux
africains », La Revue des droits de l’homme, 16, 2019, mis en ligne le 27 juin 2019, consulté le 23 janvier 2020.
Disponible en format pdf : http://journals.openedition.org/revdh/6696.

287
production, soit des événements faits »1417, la méthode statistique1418 constitue aujourd’hui un
instrument important de mesure de l’activité judiciaire, car il donne d’importantes indications
sur le fonctionnement et l’évolution de l’institution judiciaire. Ainsi les statistiques sont des
données d’une utilité non négligeable pour le législateur, les acteurs de la justice et le
justiciable. Si la validité de la méthode statistique doit être relativisée, elle ne doit pour autant
pas être négligée 1419 et ignorée, car le développement de la statistique juridique offre
d’excellents points d’observation sur le fonctionnement des institutions judiciaires en Afrique
et la mise en œuvre des normes procédurales qui s’appliquent au règlement des litiges. On
peut d’ailleurs noter qu’elle est prise en compte en droit camerounais, car le Cameroun
dispose d’un Institut National de la Statistique (INS), le Ministère de la justice possède
également une Cellule des Systèmes d’Information, des Réseaux et des Statistiques rattachée
au Secrétariat général 1420 dont l’activité est la collecte des données et de l’élaboration des
bulletins de statistiques judiciaires en conformité avec les recommandations du gouvernement
en la matière, de la production des états statistiques de l’activité judiciaire et pénitentiaire1421.
Insérées dans des projets de modernisation de la justice, les statistiques bien que appréhendés
comme un instrument neutre destiné à observer quantitativement le fonctionnement des
institutions judiciaires et à en constater les retards ou les progrès, la méthode statistique dans
les tribunaux africains, restent alignée sur les standards occidentaux, par leurs modes
opératoires. La méthode statistique n’a pas encore permis d’avoir un regard particulièrement
original sur les questions soulevées, au sens classique du pluralisme juridique 1422 , par le
transfert de règles juridiques d’inspiration européenne dans les contextes africains. L’analyse
du Chapitre 10 du rapport 2010 de l’INS1423 et de ceux qui l’ont précédé et suivi, font état de
l’absence d’informations quantitatives sur l’activité des tribunaux de droit traditionnel. Il
existe, une production statistique (Bulletin statistique du ministère, Annuaire statistique
annuel de l’INS) de qualité, assurée qui mérite d’être améliorée dans son contenu et la
régularité de sa publication. L’amélioration concerne les données quantitatives présentées

1417
Ibid.
1418
Ensemble de procédés qui permettent d’élaborer et d’utiliser des données chiffrés en vue d’une analyse.
1419
V° notamment J.-L. Chabot et N. Macarez, Méthodes des sciences sociales, Coll. Droit fondamental, PUF,
1995. On dit généralement que les chiffres ne disent que ce qu’on leur fait dire. « Un calcul juste des données
erronées (provenant de questions mal formulées ou d’observations fausses) donnera des un résultat erroné, et on
ne peut incriminer ni les mathématiques, ni les ordinateurs : ce qu’il faut revoir, c’est la méthode (de collecte)
retenue ou son application ».
1420
Article 11 Décret 2012 portant organisation du Ministère de la justice.
1421
Article 15 Al. 1, Texte organique précité.
1422
Sur le Concept, voir Infra, Seconde Partie, Titre II, Chapitre II sur « L’uniformisation par l’émergence d’un
droit hybride ou symbiotique nouveau ».
1423
Annuaire Statistique de l’INS pour l’année 2010, Le bulletin statistique 2005-2006 du Ministère de la
justice.

288
dans ces annuaires et bulletins, les éléments relatifs à l’activité judiciaire des formes
coutumières de résolution des différends, le comptage des radiations, décisions
d’incompétence, d’irrecevabilité ou désistement prononcées par le tribunal, rendement
mensuel des magistrats 1424 entre autres. L’outil statistique utilisé de manière sérieuse et
rigoureuse, est un outil complémentaire qui « peut prétendre à devenir un instrument essentiel
de connaissance du phénomène juridique » 1425 . Le pilotage de la performance suppose de
disposer de données statistiques fiables et complètes sur la production et la productivité des
juges et autres personnels de la justice.

273. La justice camerounaise doit s’ouvrir aux principales évolutions de la société,


qu’elles soient économiques, technologiques, géographiques pour mieux anticiper sur les
besoins de justice tant au plan national, que régional. Dans cette optique une profonde
réflexion pourrait voir le jour pour juger de l’opportunité de doter le système judiciaire d’un
Observatoire national de la justice. La création d’un tel organisme ne sera pas inopportune.
Finement étudiée et discutée, principalement en ce qui concerne son statut et ses modalités, la
création d’un organisme à compétence élargie chargée de l’étude et de l’anticipation des
besoins de la justice et l’évolution de ces derniers est susceptible de contribuer efficacement à
la résolution des nombreux problèmes que soulève notamment l’offre de la justice. Organisme
indépendant, placé auprès du garde des sceaux et du Conseil supérieur de la magistrature
réformé, composé des membres des professions judiciaires, des universitaires, des
personnalités qualifiées ainsi que des représentants des médias, tous désignés par le Président
de la République. Structure légère doté de moyens propres de fonctionnement, de
communication et de diffusion, l’observatoire devra donner assurer une large publicité à ses
travaux.

274. La mise à niveau du schéma institutionnel de l’administration de la justice est donc


tout à la fois l’échelon local et national des structures de gestion, les fonctions
juridictionnelles et performances de l’appareil judiciaire. Cette mise à niveau n’est pas
exclusive à la structuration des organes, elle vise aussi le dispositif juridique.

SECTION II. LA MISE À NIVEAU DU DISPOSITIF JURIDIQUE

275. La mise à niveau du dispositif juridique va reposer sur deux dimensions. D’une part, la
dimension interne, c’est-à-dire la mise à niveau du dispositif juridique interne (Paragraphe I)

1424
Rapport entre le nombre de dossiers jugés/clôturés et le nombre de magistrats ayant exercé pendant le mois.
1425
Philippe Bonfils, « L’outil statistique et son étude dans les sciences juridiques », Op. Cit., p. 1138.

289
pour tenir compte de la garantie pérenne du droit à la justice ; et d’autre part, la dimension
régionale, autrement dit, la mise à niveau relevant du droit uniforme OHADA (Paragraphe
II) pour essayer de limiter l’influence de la particularité des droits États membres dans
l’application de ce droit uniforme.

Paragraphe I. La mise à niveau du dispositif juridique interne


276. La manifestation de la vérité dans tout procès au sein de tout système de règlement des
différends est effectuée dans l’intérêt de tous. D’abord celui des parties, ensuite celui de la
société. Elle oriente les acteurs et détermine les actions en son sein. Aussi, la mise à niveau
des textes et normes sur le plan interne doit elle aboutir au renforcement des droits
fondamentaux (A) et à la libéralisation de l’institution judiciaire(B).

A. Le renforcement des droits fondamentaux

277. Doivent être renforcés, la présomption d’innocence (1) et les droits de la défense (2)
car les deux droits s’harmonisent l’un, l’autre et participent de la reconnaissance d’un statut
protecteur au justiciable.

1. Le droit à la présomption d’innocence

278. La reconnaissance d’un droit à l’innocence s’inscrit dans ce rapport procédural


particulier qui s’établit entre les plaideurs, l’accusé et le juge. Ce dernier ne pouvant
condamné que si la culpabilité du premier a été rapportée. Cela pose un préalable qui sera
tenu pour vrai, qui permet de prédéterminer le regard procédural qui sera porté sur le
suspect 1426 , le prévenu 1427 , l’inculpé 1428 ou l’accusé 1429 dès le début de l’enquête jusqu’au
jugement1430. Il s’agit de considérer que la culpabilité de la personne poursuivie ne soit pas
immédiatement supposée1431. Dans ces conditions, le principe de la présomption d’innocence
« repose sur une attitude de l’esprit qui, avant toute preuve, arrête un préjugé pour désigner
1426
Code de procédure Pénale, 2005, Article 9 al. 1. Le suspect y est définit comme toute personne contre qui,
il existe des renseignements ou indices susceptibles d’établir qu’elle a pu commettre une infraction ou participer
à la commission de celle-ci.
1427
Ibid., Alinéa 3 ; Le prévenu est toute personne qui doit comparaître devant une juridiction de jugement pour
répondre d’une infraction qualifiée contravention ou délit.
1428
Ibid., Alinéa 2, l’inculpé désigne la personne à qui le juge d’instruction notifie qu’il est présumé désormais
comme étant soit auteur ou co-auteur, soit complice d’une infraction.
1429
Ibid., Alinéa 3, L’accusé est toute personne qui doit comparaître devant une juridiction de jugement pour
répondre d’une infraction qualifiée crime
1430
L'alinéa 2 de l'article 8 du Code de procédure pénale énumère respectivement les personnes pouvant faire
l'objet de la présomption d'innocence. En sont destinataires le suspect, l'inculpé, le prévenu et l'accusé au sens de
ce texte.
1431
P. Férot, La présomption d’innocence : Essai d’interprétation historique, Thèse, Droit, Sciences de
l’Homme et Société, Université du Droit et de la Santé - Lille II, 2007, p. 6.

290
un sujet de la preuve et déterminer celui des plaideurs qui devra fournir la preuve »1432. La
présomption d’innocence sera définit par monsieur François Fourment comme « une valeur
en mutation : d’un droit processuel relatif à la détermination de la charge de la preuve, elle
s’étend aujourd’hui à un droit substantiel de ne pas être présenté publiquement comme
coupable »1433. La définition traduit alors l’approche nouvelle de la présomption d’innocence
comme d’un droit fondamental ayant une double dimension : une dimension objective à
savoir une règle de preuve et une dimension subjective porteuse de droits subjectifs pour la
personne contre laquelle pèse la présomption de la commission d’une infraction. Le droit
fondamental qui à l’origine intéresse le seul droit pénal1434, a vu son champ d’application
s’élargir à l’ensemble de la matière pénale au sens de ce texte1435 et concerne aussi le droit
civil1436, le droit de la concurrence1437.

279. Le principe de la présomption d’innocence a pour fonction première d’une part, de


déterminer sur qui repose la charge de la preuve entre l’autorité de poursuite et la personne
poursuivie 1438 . Celle-ci incombe à l’accusation, donc à l’autorité de poursuite dans
l’hypothèse de poursuites pénales. Sur le principe en droit interne1439, la preuve qui pèse sur
l’accusation porte sur tous les éléments constitutifs de l’infraction, tant les faits positifs que
les faits négatifs1440. Selon la formule de la Cour de cassation, « la partie poursuivante doit
établir tous les éléments constitutifs de l’infraction et l’absence de tous les éléments
susceptibles de la faire disparaître »1441. D’autre part, le principe fonde aussi la maxime in
dubio pro reo, qui doit guider l’appréciation que porte le juge sur les preuves1442. Enfin, le

1432
Jalade Anissa-Ait Ouaret, La présomption d’innocence et la preuve pénale, Mémoire de D.E.A droit pénal
et sciences criminelles, 2003 2004, Bordeaux IV, p.12.
1433
François Fourment, Procédure pénale, 2002, p. 29.
1434
C. Lazerges, « La présomption d’innocence », in R. Cabrillac, M-A. Frison-Roche et T. Revet (dir.),
Libertés et droits fondamentaux, Op. Cit, pp. 509-522.
1435
V° notamment M.-L. Rassat, Traité de procédure pénale, PUF, coll. « Thémis », 2001, n° 195, p. 305. Pour
Motulsky, il s’agit d’un principe applicable même sans texte, d’un « précepte de droit naturel de la procédure ».
H. Motulsky, « Le droit naturel dans la pratique jurisprudentielle : le respect des droits de la défense en
procédure civile », in Mélanges Paul Roubier, Paris, Dalloz et Sirey, 1961, T. II, p. 181, (cité par M.-A. Frison
Roche, « Les droits de la défense en matière pénale », Op. Cit.)
1436
L’article 1349 du Code civil fait de la présomption une règle de preuve indirecte fondée sur la probabilité. Il
dispose que « les présomptions sont les conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait
inconnu ».
1437
V° sur cette question Anne-Lyse Sibony, Le juge et le raisonnement économique en droit de la concurrence,
Droit & Economie, LGDJ, 2008, pp. 180 et suiv.
1438
M.-L. Rassat, Traité de procédure pénale, Op. Cit., n° 194, p. 304, et n° 196, p. 307.
1439
Sur le procès pénal international voir utilement, Brusil Miranda Metou, « De la présomption d’innocence
dans le procès pénal international », in L’Afrique et le droit international pénal, Colloque de la SADI, éditions
A. Pedone, 2015, pp. 37 et Ss.
1440
Cass. crim. 24 mars 1949.
1441
Ibid.
1442
M.-L. Rassat, Traité de procédure pénale, Op. Cit.

291
principe de la présomption d’innocence a pour autre conséquence, l’interdiction d’annoncer
publiquement une culpabilité qui n’est pas établie1443.

280. Une constante mérite dès lors d’être relevée, le postulat de « l’innocence
supposée »1444 repose sur un mécanisme de présomption. La présomption est une supposition
fondée sur des signes de vraisemblance ou encore une anticipation sur ce qui n’est pas
prouvé1445. Il s’agit aussi, d’un jugement fondé non sur des preuves mais sur des indices, des
apparences, sur ce qui est probable sans être certain1446. Sur le plan juridique, la présomption
désigne, le « mode de raisonnement juridique en vertu duquel, de l’établissement d’un fait, se
déduit un autre fait qui n’est pas prouvé »1447. La présomption d’innocence signifie donc que
toute personne mise en cause pour une action ou une omission reprochable, ne peut être
sanctionnée tant que sa culpabilité n’a pas été dûment établie 1448 . C’est donc un droit
fondamental, qui empêche d’enfermer la personne poursuivie « dans une situation juridique
marquée, dès le début, par l’existence d’un a priori défavorable »1449, pour le maintenir en
dépit de la suspicion dont il fait l’objet, dans le statut d’innocent reconnu à tout sujet de droit
ou encore bénéficie d’un traitement équivalent à celui d’une personne qui n'est pas en procès.
La recherche d’une autre justice, de la protection effective des droits fondamentaux, a conduit
le juge1450, le constituant1451, comme le législateur camerounais1452, à la suite de la déclaration
des droits de l’homme de 1948 1453 à consacrer expressis verbis, le droit à la présomption
d’innocence.

1443
Ibid.
1444
P. Férot, La présomption d’innocence : Essai d’interprétation historique, Op. Cit., p. 9.
1445
André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Op. Cit., vol. 2, « Présomption ».
1446
Larousse, Dictionnaire de la langue française, Op. Cit., voir « présomption ».
1447
Brusil Miranda Metou, « De la présomption d’innocence dans le procès pénal international », Op. Cit.,
spéc. p. 39.
1448
J. Andriantsimbanzovina, H. Gaudin, J-P. Marguénaud, S. Rials, F. Sudre (dir.), Dictionnaire des droits
de l’homme, Op. Cit., p. 528.
1449
P. Férot, La présomption d’innocence : Essai d’interprétation historique, Op. Cit., p. 6.
1450
Principe essentiel du droit à un procès équitable, le droit à la présomption d’innocence a fait l’objet d’une
consécration jurisprudentielle. CS. Arrêt du 03 janvier 1980, Affaire ONAMBELE Martin. L’auguste juridiction
y affirme en effet que « Jusqu’à la déclaration de culpabilité et à sa condamnation, le prévenu bénéficie de la
présomption d’innocence (…) » ; Cour EDH, Arrêt MINELLI contre SUISSE, 25 mars 1983.
1451
Le principe est inscrit dans le préambule de la Constitution camerounaise dans les termes suivants : « tout
prévenu est présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité soit établie au cours d'un procès conduit dans le strict
respect des droits de la défense ».
1452
Code de procédure pénale, Article 8.
1453
La Déclaration Universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 en son article 11 (1) systématise
l'esprit de ces chartes devancières (Déclaration française des droits de l'homme et du citoyen de 1789, La magna
carta libertatum ou Grande Charte anglaise de 1215, l’Habeas corpus). Cette disposition affirme en substance
que « toute personne accusée d'un acte délictueux est présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité ait été
légalement établie au cours du procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été
assurées ».

292
Dans la pratique et au-delà de cette consécration textuelle, l’image procédurale de suspects,
prévenus, inculpés, accusés avilis et jetés en pâture à l’opinion publique au seuil des
procédures déclenchées à leur encontre n’est pas respectueux du principe. Elle traduit
cependant au contraire, une autre cosmogonie, celle d’une personne éminemment coupable,
ou même un coupable supposé. On a souvent vu des hommes et des femmes, interpellés dans
des affaires judiciaires, exposés aux caméras de télévision. À peine mis en cause, ils sont
considérés comme coupables, comme si les procédures suivies n’avaient pour but que de
valider les charges d’emblée constituées. Même si le statut de la personne poursuivie pour
avoir commis une infraction, mais présumée innocente justifie des actes de convocation,
suspicion, inculpation, interrogation, arrestation, jugement, etc. posés conformément à la loi
ne devrait pas offusquer1454, cette image amène néanmoins à la considérer avec un a priori
défavorable. C'est-à-dire que la pratique semble promouvoir « la présomption de
culpabilité »1455. En consacrant le droit à la présomption d’innocence, le constituant entend
protéger la liberté de la personne poursuivie des actions coercitives du pouvoir judiciaire1456,
mieux rééquilibrer le rapport antagoniste entre l’accusateur et l’inculpé. Personne ne viendrait
à contester l'importance des médias comme acteur majeur de la surveillance face à l'exercice
des pouvoirs législatif et exécutif mais aussi à l'égard du pouvoir judiciaire, mais l’exercice de
la fonction de communication des médias1457 doit s’exercer dans le respect de la présomption
d’innocence, la bonne administration de la justice. En d’autres termes, mise en perspective par
rapport à d'autres valeurs démocratiques qui méritent tout autant d'être défendues1458. Il faut
donc limiter et prévenir les atteintes qui peuvent être portées à la réputation de la personne
poursuivie. Certes, elle parait étrangère à l’objet originaire du procès, mais elle est d’une
particulière acuité, au regard de l'importance de plus en plus accordée aux médias dans notre
société.

281. Le conflit patent entre les intérêts procéduraux de l’accusé (droits de la défense,
principe du contradictoire) et celui de la société (intérêt général, intérêt individuel, sécurité
publique) qui l’accuse, conduit à une certaine atonie de la présomption d’innocence fragilisée

1454
Léon C. Ambassa, « La présomption d’innocence en matière pénale », Juridis Périodique, n°58, 2004, pp.
43-52.
1455
H. M. Moneboulou Minkada, « La crise de la présomption d’innocence: regard croisé sur la procédure
pénale camerounaise et de la Cour pénale internationale », Juridical Tribune, Volume 4, Issue 2, 2014, pp. 69-
103.
1456
F. Férot, La présomption d’innocence : Essai d’interprétation historique, Op. Cit., p. 412.
1457
D'ailleurs, le Cameroun reconnaît la liberté de la presse et l’élève au rang de garantie constitutionnelle dans
sa constitution.
1458
Louise Viau, (2003), « Justice criminelle et médias : l’encadrement juridique de la liberté de la presse au
Canada », Revue générale de droit, 33(4), 609-634.

293
qui préfigure une présomption de culpabilité. Dans la démonstration de la vérité judiciaire, la
présomption d’innocence connait des atteintes de différents ordres. Il en est ainsi de la mise
en œuvre de certaines institutions lors de la phase préparatoire au procès (garde à vue,
détention provisoire, fouilles saisies, perquisitions...), la considération du juge dans la
recherche des preuves et de la vérité, et la charge de la preuve qui peut parfois peser sur la
personne poursuivie1459. Le postulat de la preuve repose sur le plaignant ; le principe actori
incumbit probatio qu’il appartient au Ministère public, ou à la victime, quand cette dernière
engage la procédure, d’établir l’existence qu’une infraction a bien été commise, et que la
personne poursuivie a effectivement participé, en connaissance de cause, à la réalisation des
faits objet des poursuites pénales. Toutefois, la procédure d’instruction, qui participe de cette
construction, peut avoir pour conséquence de dilater la portée juridique de la présomption
d’innocence. Dans ce cadre d’intervention des différentes parties au procès pénal, il se trouve
établi que l’on donne à celui qui poursuit, une plus grande aisance dans l’administration de la
preuve judiciaire1460. L’accusé voit sa situation amoindrie. Plus précisément, en favorisant,
l’action du demandeur, c'est-à-dire du ministère public, il est programmé d’une certaine
manière et de fait une anticipation de la culpabilité, avec une mise en avant de la présomption
d’innocence 1461 . Lorsque le magistrat instructeur prend une ordonnance de renvoi à la
juridiction du jugement, l’ensemble des éléments constitutifs d’une infraction sont
parfaitement réunis. La présomption d’innocence semble immédiatement ignorée, alors même
qu’elle doit s’appliquer. Ce comportement qui préjuge une culpabilité en devenir se retrouve
également à l’article 150 al. 2 du Code de procédure pénale aux termes duquel : lorsque le
juge décide d’informer, « il a pouvoir d’inculper toute personne identifiée ayant pris part à la
commission de l’infraction comme auteur, co-auteur ou complice ». Inculpation qui dans un
sens plus large, intégrera les personnes telles que les officiers de police judiciaire, procureur
de la République, juge d’instruction et juge de jugement. Tous ces éléments mettent en
exergue combien le droit à la présomption d’innocence peut être vulnérable1462.

282. Cette brève analyse ne prétend pas tenter une synthèse sur la difficile question de la
présomption d’innocence, qui a fait l’objet d’une foisonnante analyse par la doctrine
1459
V° not. Jean Pradel, Procédure pénale, 16è édition, Cujas, 2011, pp. 313 et s.
1460
Voir dispositions du Code de procédure relatives aux attributions du ministère public précitées ; Articles 145
et Ss
1461
H. M. Moneboulou Minkada, « La crise de la présomption d’innocence: regard croisé sur la procédure
pénale camerounaise et de la Cour pénale internationale », Op. Cit. L’universitaire, met en avant la réalité du
terrain selon laquelle, une application quotidienne des effets de la présomption de culpabilité tout en excipant de
la présomption d’innocence.
1462
Voir Wilfrid JeanDidier, « La présomption d’innocence ou le poids des mots », Revue de sciences
criminelles, 1991, p. 49 et s.

294
camerounaise 1463 . Elle se limite à ce qui est nécessaire pour signaler que le droit à la
présomption d’innocence mériterait d’être renforcé pour une meilleure protection des libertés
individuelles. La protection de la présomption d’innocence doit conduire le juge à faire
montre de prudence. Pour ce faire, d’une part, l’option d’une juridiction d’instruction en lieu
et place du juge d’instruction, constitue une solution à envisager, à laquelle il faudrait ajouter
1464
la solution proposée par le Professeur Moneboulou de délimiter la présomption
d’innocence, lui donner un contenu nouveau 1465 pour efficacement la distinguer de la
présomption de culpabilité.

2. Les droits de la défense

283. Partagée et appliquée par l’ensemble des acteurs au procès dans tous les systèmes
judiciaires, la notion de droits de la défense est positivement appréhendée en droit
camerounais. Pour autant, les difficultés relatives à son effectivité demeurent. Depuis
l’avènement du Code de procédure pénale, les droits de la défense ont connu une progression
verticale à toutes les phases du procès. La phase policière est transcendée par la légitimation
dans ce Code, de l’arrivée de l’avocat et des droits reconnus au gardé à vue. Pour
l’instruction, la réforme organise les débats contradictoires. Même l’audience de jugement,
phase a priori respectueuse des droits de la défense, profite également de cette croissance,
avec l’ensemble du dispositif juridique tant pénal, que civil qui reconnaît la voie d’appel aux
décisions des différentes juridictions, le contre interrogatoire des témoins pendant les débats.
Ce renforcement progressif au plan de la procédure pénale se vérifie également à l’aune de la
chronologie du procès. C’est donc dire que le renforcement progressif des droits de la défense
au sein du procès pénal correspond à l’affermissement proportionnel des principes du
contradictoire et de l’égalité des armes pour les besoins d’une bonne administration de la

1463
Léon C. Ambassa, « La présomption d’innocence en matière pénale», Op. Cit. ; « La théorie des preuves
pénales », Revue africaine des sciences juridiques, Volume 7, n°1, 2010, pp.85-109 ; H. M. Moneboulou
Minkada, « La crise de la présomption d’innocence: regard croisé sur la procédure pénale camerounaise et de
la Cour pénale internationale », Op. Cit. ; Brusil Miranda Metou, « De la présomption d’innocence dans le
procès pénal international », Op. Cit. ; V. E. Bokalli, « La protection du suspect dans le code de procédure
pénale », Revue Africaine des Sciences Juridiques, n° 4, Vol. 7, Université de Yaoundé II, 2007 ; Solange
Ngono, « La présomption d’innocence », in Revue africaine des sciences juridiques, 2001, pp.151-162 ; Le
procès penal camerounais au regard des exigences de la charte africaine des droits de l'homme et des peuples,
Harmattan, 2001, pp. 85-94 ; A. Minkoa She, Droits de l’Homme et droit pénal au Cameroun, Op. Cit. ; M. S.
José Mgba Ndjie, « La présomption d’innocence a l’épreuve de la consécration de l’infraction d’enrichissement
illicite (cas spécifique du Cameroun) », in Revista Misión Jurídica, Vol. 8 - Núm. 9/ Julio - Diciembre de 2015,
pp. 29 – 47 ; N. C. Ndoko, La culpabilité en droit pénal camerounais, Paris, LGDJ, 1985 ; S.T. Nga Essomba,
La présomption d’innocence dans le procès pénal camerounais, Mémoire de DEA en droit privé fondamental,
Université de Douala, 2003-2004
1464
H. M. Moneboulou Minkada, « La crise de la présomption d’innocence: regard croisé sur la procédure
pénale camerounaise et de la Cour pénale internationale », Op. Cit., Spéc. 87 et s.
1465
Ibid., p. 88.

295
justice. Presque ignorés, pour ne pas dire totalement lors de l’arrestation, les droits de la
défense s’appliquent avec parcimonie pendant la garde à vue pour se voir appliquer pendant
l’information judiciaire et l’audience de jugement.
Par ailleurs, si la réforme a introduit une croissance des droits de la défense et de
principes à l’orée de l’avènement du Code de procédure pénale, la réforme de 2005 a
également eu pour effet de renforcer les pouvoirs d’enquête de la police et du ministère
public 1466 . Force est donc de constater que, le législateur semble avoir simplement plus
procédé à un équilibre entre les forces en présence qu’à une refonte en profondeur des droits
de la défense. Si les droits de la défense sont garantis, il subsiste néanmoins un certains
nombre de pesanteurs qui fragilisent ceux-ci. A cet effet, l’affermissement de l’administration
de la justice et partant des droits de la défense, nécessite de remédier aux défauts de
transparence ou de contrôle de certaines procédures menées par les procureurs de la
République, mais également par les juges d’instruction. Le législateur souligne l’importance
du secret de l’enquête et de l’instruction en consacrant le secret de l’information judiciaire1467.
Cependant, au détour d’un échange avec quelques acteurs de la vie judiciaire, on constate que
des magistrats, et parfois des avocats sont souvent au carrefour de violations du secret de
l’enquête. L’échange nous apprend crûment « que le respect du secret de l’enquête et de
l’instruction sont des fables et que l’exécutif (et même parfois la presse) est tenu informé de
tous les éléments pouvant avoir une importance politique ou médiatique ». Nous pensons
donc qu’il faut plus strictement contrôler le respect du secret de l’enquête et de l’instruction,
au moyen d’une sanction proportionnée à la gravité de cette atteinte en fonction de son auteur.
La sanction1468 envisagée jusqu’ici étant de notre point de vue légère et moins dissuasive.

284. La durée de l’enquête préliminaire constitue également un fait non négligeable au


nombre des pesanteurs majeures sur le chemin d’une bonne justice. La durée est un multiple
ou un sous multiple de la pulsation. La pulsation peut changer, elle peut être plus rapide ou
plus lente, mais le rythme, dans ses deux sens, ne change pas : la durée et les figures restent

1466
Articles 11 et suivants, 116 et suivants ; 127 et suivants ; 145 al. 2 du Code de procédure pénale.
1467
L’information judiciaire est secrète, Article 154 al. 1 du CPP. La diffusion par quelque moyen que ce soit,
de nouvelles, photographies, opinions relatives à une information judiciaire avant l’intervention d’une
ordonnance de non-lieu ou, en cas de renvoi est interdite jusqu’à, à la comparution de l’accusé devant les
juridictions de jugement, et sanctionner.
1468
Des commentaires tendancieux objet de l’Article 169 du Code pénal. La peine est de 15 jours à 03 mois
d’emprisonnement et d’une amende de 10 mille à 100 mille francs pour celui qui relate publiquement une
procédure judiciaire non définitivement jugée. La peine est de 3 mois à deux ans d’emprisonnement et l’amende
de 100 mille à cinq millions, si l’infraction est commise par voie de presse.

296
les mêmes1469. Sur cette question de durée qui se rapporte encore au rythme, au temps, le
Professeur André Vitu a une position sur laquelle tout le monde peut être d’accord. Il soutient
en effet que, « de même que la vie des hommes, de leur naissance à leur mort, s’inscrit dans
la durée, le droit est lui-même assujetti à la loi draconienne du temps » et, il précise aussi, «
plus que les autres branches de la science juridique, la procédure en subit la marque
puisqu'elle est succession d'actes ordonnés en vue d'un but précis : la décision de justice
»1470. Ramenée à la question de la durée de l’investigation pénale1471, le temps de l’enquête
préliminaire se présente alors comme une contrainte avec laquelle il faut compter. Mais la
durée généralement excessive de cette investigation en droit camerounais, surtout en matière
de crime, ou en raison de la complexité de l’affaire, constitue un souci constamment déploré
et dénoncé par la fonction de défense, et ce d’autant plus que notre droit ne prévoit aucune
phase contradictoire et de contrôle en dehors de la présence de l’avocat pendant la garde à vue
et où l’exception de la détention provisoire, prime désormais sur le principe de la liberté1472.
C’est une situation non moins sensible qui place nombre de justiciables dans une situation
d’insécurité et d’ignorance, peu compatibles avec les droits de la défense, propres à un État de
droit. Ainsi, le temps est-il une préoccupation essentielle pour les acteurs de toute procédure
judiciaire et plus encore pour ceux de l'investigation pénale1473. L'investigation pénale, c'est-à-
dire la recherche effectuée pour établir la réalité de l'infraction, pour administrer les preuves
et pour confondre le coupable, est étroitement liée au temps. Et donc le délai raisonnable court
à partir de l’accusation portée contre la personne en matière pénale et de la saisine du juge en
matière civile. Pour la CEDH, l’accusation désigne « la notification officielle, émanant de
l’autorité compétente, du reproche d’avoir accompli une infraction pénale ». Cette
notification doit avoir selon la Cour de Strasbourg, « des répercussions importantes sur la
situation du suspect »1474 Ainsi, il peut s’agir de l’arrestation, de l’inculpation ou encore de
l’ouverture des enquêtes préliminaires 1475 . C’est dire que même l’investigation pénale ou

1469
Solomos Makis, « Rythme, temps et émergence: sur quelques enjeux de la musique récente », sous la
direction de Christian Doumet et Aliocha Wald Lasowski, Rythmes de l’homme, rythmes du monde, Hermann,
2010, pp. 53-74.
1470
André Vitu, « Les délais des voies de recours en matière pénale », in Mélanges Chavanne, 1990, p. 179.
1471
V. Claire Etrillard, « L'investigation pénale à l'épreuve du temps : la recherche d'un équilibre », in : Revue
juridique de l'Ouest, 2002-2, pp. 171-191.
1472
Code de procédure pénale, Op. Cit., Article 117 al. 2. A la clôture de l’enquête, le suspect qui n’a pas de
résidence connue ou qui ne présente aucune des garanties prévues à l’article 246 (g) est arrêté et conduit devant
le Procureur de la République s’il existe contre lui des indices graves et concordants.
1473
Le temps (délai raisonnable) constitue en effet une préoccupation permanente pour le policier, le gendarme,
le parquetier, le magistrat instructeur, les parties ou la formation de jugement sont soumis à la pression du temps.
Ils doivent, pour parvenir à1'élucidation de l'affaire, dans les délais raisonnables éviter le « dépérissement
des preuves » en rassemblant tous éléments nécessaires à la manifestation de la vérité.
1474
CEDH, Deweer c. Belgique 27 févr. 1980.
1475
CEDH, Eckle c. Allemagne, 15 juillet 1982.

297
l’audition d’experts et autres procédés de collecte d’informations en matière civile, est
soumise au principe du délai raisonnable. S'il faut nécessairement se « hâter lentement »1476,
en pratique, les autorités tentées d'aller parfois trop vite, laissent finalement filer le temps.
Cela est bien sûr dommage car d'une part, l'efficacité de l'investigation pénale ou des
investigations en général peut être compromise et parce que, d'autre part, les droits de
l'individu ne sont pas respectés. On peut par conséquent affirmer que le rythme de
l'investigation pénale s’en trouve altéré. D’où la nécessité de trouver un équilibre conciliant
« excessive célérité et excessive lenteur ». En définitive, trouver ce que nous avons désigné
précédemment comme une « juste cadence », la cadence étant le caractère qui donne un
sentiment vif de la mesure 1477 . Le contrôle de l’activité du procureur, pourrait permettre
d’arriver à une durée acceptable de l’enquête ; contrôler dans le temps, les actes faits par le
procureur de la République, les autoriser. Qui mieux que la juridiction d’instruction pour
assurer ce contrôle. Cette proposition pourrait éviter que l’enquête préliminaire, qui permet au
procureur d’agir parfois à sa guise, ne traîne en longueur.

285. Si le renforcement des droits fondamentaux consiste à consolider, donner plus de


place, de vivacité, affermir l’exercice et le contrôle d’une éventuelle violation des droits
fondamentaux reconnus au justiciable, il donne aussi au citoyen en procès, plus de garanties
quant au traitement judiciaire qui sera réservé au litige qui l’oppose à la société ou à un autre
justiciable. Ainsi, ce renforcement partage un trait commun avec la libéralisation de
l’institution judiciaire à savoir la confiance du citoyen en sa justice.

B. La libéralisation de l’institution judiciaire

286. La libéralisation est une action économique qui consiste à rendre plus libéral. En
d’autres termes rendre les marchés financiers davantage maitres de leurs faits et gestes. Il
s’agit en ce sens de désengager au maximum l’Etat et réduire son intervention1478. Appliqué à
l’institution judiciaire, il est question de diminuer les responsabilités de l’Etat, pour
augmenter celles des magistrats. Pour être plus concret, il s’agit de mettre fin au juge
dissimulé derrière le service public (1) et d’améliorer la réponse judiciaire (2).

1476
Cl. Etrillard, « L'investigation pénale à l'épreuve du temps : la recherche d'un équilibre », Op. Cit. p. 173 ;
V. aussi, P.-H. Bolle, « Les lenteurs de la procédure pénale », R.S.C, 1982, p. 291, spec. p. 292.
1477
Terme musical synonyme ici de rythme. Comme le rythme est indissociable de la notion de note, le temps
est indissociable du droit, de la recherche d’une bonne administration de la justice.
1478
Larousse, Dictionnaire de langue française, Op. Cit., v° Libéralisation.

298
1. Mettre fin au juge dissimulé derrière le service public

287. « Ne juger point, afin que vous ne soyez point jugé »1479, voici une exhortation posée
par un texte sacré qui demeure d’actualité. Ce qui veut autrement dire que, « juger les autres a
pour contrepartie d’être jugé par eux »1480. Ces propos de Guy Canivet1481, sonne comme une
note de rappel, mais surtout comme un appel à un débat sur la figure du juge, sa déontologie,
sa responsabilité. Un pouvoir, certes proclamé, mais un pouvoir retenu 1482 . Le pouvoir
judiciaire jouit au Cameroun, comme dans les autres Etats de l’OHADA, d’un statut
particulier, en témoigne le Titre V, objet des articles 37 et suivants de la Constitution de la
République du Cameroun. Il est indépendant du Pouvoir exécutif et du Pouvoir législatif1483.
En effet, « là où la proclamation puis la mise en œuvre du principe de séparation des
pouvoirs suffisent, formellement, à assurer l’indépendance de la justice, saisie collectivement,
bien d’autres garanties sont requises pour assurer celle des juges, pris individuellement »1484.
La responsabilité du juge ou du magistrat en lien avec sa fonction juridictionnelle figure au
nombre de ces autres garanties. Une des conditions d’un « système de justice efficient et
effectif » rappelle Bruno Pireyre1485. La responsabilité des acteurs du procès en général et des
magistrats en particulier est un sujet qui, d’une certaine manière, reste chargé d’affect. L’on a
coutume de le résumer par l’adage « Quis custodiet ipsos custodes » 1486 . Le terme
responsabilité, tiré du latin « respondere », signifie promettre. Il est appréhendé comme le fait
de « se porter garant », de « répondre de ». Il se distingue de celui de culpabilité pour se
rapprocher de celui d’imputabilité. En ce sens, la responsabilité est « la conscience aiguë que
celui qui prend une décision, qui exerce une activité ou qui détient un pouvoir doit en assumer
les conséquences lorsque celles-ci sont dommageables pour autrui » 1487 . On peut y lire

1479
La sainte Bible, Matthieu 7 : 1, Version Louis Second.
1480
G. Canivet, « Audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation », 6 janvier 2006, in L’innovation
technologique, Rapport d’activités 2005, p. 34, disponible sur
http://www.courdecassation.fr/IMG/pdf/cour_cassation-rapport_2005-3.pdf.
1481
La question est dense et ces quelques lignes que nous lui consacrons ne sauraient en effet faire le tour. Mais
il n’est question ici de ne tabler que sur quelques points en lien direct avec notre étude, e n faire un bref
diagnostic, en ce sens que celui-ci pourrait améliorer la crédibilité du magistrat dans une société où, s’il est
craint, il demeure « isolé ».
1482
Jane-Laure Bonnemaison, La responsabilité juridictionnelle, Thèse, Droit, Université Paul Verlaine – Metz,
2011, p. 8 ; voir également Serge Jahier, Responsabilité comparée des acteurs du procès Eléments d’une théorie
générale, Thèse, Droit, Université Aix-Marseille, 2015.
1483
Article 37 al. 2.
1484
G. Carcassonne, « Rapport introductif », in L’indépendance de la justice, Actes du deuxième congrès de
l’AHJUCAF, Op. Cit., p. 35-36.
1485
Bruno Pireyre, « Responsabilité et responsabilisation des tribunaux et des magistrats », Séminaire Cour
Européenne des Droits de l’Homme sur l’autorité du pouvoir judiciaire Défis pour l’autorité du pouvoir
judiciaire, vendredi 26 janvier 2018, Intervention disponible sur www.courdecassation.fr.
1486
Expression latine qui signifie, « Qui gardera ces gardiens ».
1487
Y. Lambert-Faivre, « L’éthique de la responsabilité », RTD civ. 1998, p. 5.

299
l’expression de l’obligation de réparer le dommage causé à autrui par son fait, mais encore de
celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a
sous sa garde 1488 . Ayant donc vocation à infliger une sanction pour le désordre causé, la
responsabilité poursuit une double finalité : réparation et répression. Pourrait également
s’ajouter la prévention, laquelle réside en la crainte de voir un régime de responsabilité
actionné à son encontre. L’intérêt qui lui est reconnu réside dans le rétablissement de
l’équilibre, précisément rompu par le fait dommageable1489. Le responsable sera alors celui à
qui ce fait dommageable sera imputé. Sont ainsi considérés comme responsables, les
personnes pouvant être convoquées devant quelque juridiction, du fait qu’il repose sur celles-
ci une certaine obligation, que leur dette procède ou non de leur volonté libre1490. Aussi la
responsabilité procèderait t-elle de la liberté d’agir1491. De l’utilité de la responsabilité a ainsi
émergé divers types de responsabilités : la responsabilité civile 1492 , la responsabilité
pénale1493, la responsabilité disciplinaire1494.

288. Investi d’une « mission extraordinaire »1495, celle de rendre justice au nom du peuple
camerounais, le magistrat jouit d’un statut particulier1496. Ce statut contraste néanmoins avec
l’absence très discutée 1497 d’un principe de la responsabilité en lien avec sa fonction
juridictionnelle. Pourtant, et au regard précisément de l’indépendance du juge, de son statut et
du pouvoir que celui-ci exerce, une responsabilité du fait des décisions de justice mérite d’être
promue. Dans l’hypothèse d’un magistrat auteur d’une faute dépourvue de tout lien avec le
service public de la justice, en l’occurrence une faute exclusivement personnelle, ce sont alors
les dispositions de droit commun qui s’appliquent. Celle-ci réputée réalisée en dehors de
l’exercice normal de ses prérogatives. C’est un principe ancien qui date d’un arrêt du 30

1488
Article 1384 du Code civil applicable.
1489
Jane-Laure Bonnemaison, La responsabilité juridictionnelle, Thèse, Op. Cit., p. 19, n° 16.
1490
Ibid.
1491
J.P. Sartre définissait-il la responsabilité comme « la conscience [d’] être l’auteur incontestable d’un
évènement ou d’un objet ». J.-P. Sartre, L’être et le néant, Gallimard, 1976, p. 612.
1492
Elle s’entend généralement de l’obligation de réparer le dommage causé à autrui. La réparation pouvant
prendre la forme d’un équivalent ou par le versement d’une indemnité.
1493
Obligation de répondre d’infractions commises, laquelle se matérialise par le prononcé d’une sanction
pénale.
1494
Moyens mise en œuvre afin de sanctionner toute violation d’une norme professionnelle devant être respectée
par les membres d’une même profession.
1495
Paul Biya, Discours prononcé à l’occasion de la célébration du cinquantenaire de l’Ecole Normale
d’Administration et de magistrature, Yaoundé, le 1er décembre 2010.
1496
Objet du Décret n°95 /048 du 8 mars 1995 portant Statut de la magistrature, modifié et complété par le
Décret n°2000/310 du 3 novembre 2000 et le Décret n° 2004/080 du 13 avril 2004 en est la consécration.
1497
M.-A. Frison Roche, « La responsabilité du magistrat : L’évolution d’une idée », JCP. G. 1999. I. 174, n°5,
p. 1869.

300
juillet 18731498. Si le régime des responsabilités du magistrat en droit camerounais a bien
évolué en matière pénale 1499 , celui relatif à l’exercice de la fonction juridictionnelle est
appréhendé selon deux déclinaisons distinctes : un régime de responsabilité-réparation à la
charge de l’Etat et un régime de responsabilité-sanction visant personnellement le juge. Aux
termes de l’article 11-1 de l’ordonnance française du 22 décembre 1958 sur le statut de la
magistrature : « Les magistrats du corps judiciaire ne sont responsables que de leurs fautes
personnelles... La responsabilité des magistrats qui ont commis une faute personnelle se
rattachant au service public de la justice ne peut être engagée que sur l’action récursoire de
l’État … ». La puissance publique est le véritable garant de la responsabilité civile du
magistrat du fait du dysfonctionnement du service public de la justice, quid à l’Etat d’exercer
à son tour une action récursoire contre le magistrat. C’est dire que les fautes et manquements
des magistrats composant le service de la justice sont pris en charge par l’Etat. En ce sens, la
responsabilité mise en place est plus une responsabilité de système que de personne. Ce qui
est facilement compréhensible dans un régime qui se veut protecteur du juge1500. Mécanisme
traditionnel du droit de la responsabilité administrative1501, ce recours permet à l’Etat de se
retourner contre le magistrat, auteur de la faute pour lequel il s’est porté garant. Il consacre
ainsi, une absence de la mise en cause personnelle du magistrat du fait de l’activité
professionnelle. Ce régime de responsabilité semble fondé d’abord sur les spécificités
alléguées de la fonction juridictionnelle, notamment l’autorité de l’acte juridictionnel, et les
voies de recours ; ensuite les garanties de fonction juridictionnelle que sont l’indépendance et
l’autorité de la justice1502. L’inconvénient de cette action récursoire contre le magistrat, est
qu’elle est rarement exercée en pratique. Pour Guy Canivet, les systèmes judiciaires qui ont
construit le régime de responsabilité des magistrats sur l’action récursoire ont développé des «
immunités »1503 substantielles et procédurales afin de protéger les magistrats. Ce qui fait du

1498
Arrêt Pelletier du 30 juillet 1873, le GAJA, Dalloz 1996, n°1.
1499
V. not. Aude Doka Boura, « Réflexion sur l’effectivité de la responsabilité pénale du magistrat au
Cameroun et ailleurs », Revue libre de Droit, 2019, pp. 50-67 ; A. Foko, « les immunités et privilèges de
juridiction : Evolution, Stagnation, ou Déclin ? », Cahiers Juridiques et Politiques, Revue de la Faculté des
sciences juridiques et politiques de l’Université de Ngaoundéré, n°1, 2008, p. 98 ; Prosper Nkou Mvondo, « Le
choix du cadre du procès relatif à la commission d’une infraction pénale », Cahiers Juridiques et Politiques, Op.
Cit., n°2, 2009, p.73.
1500
Cass. civ., 1re, 7 janv. 1992, n°89-18.685, Bull. civ I, n°5.
1501
J. Joly-Hurard, « La responsabilité civile des magistrats professionnels de l’ordre judiciaire », in Ecole
nationale de la magistrature, Etre magistrat dans la cité, entre attentes légitimes et tentations démagogiques, Les
cahiers de la justice, 2007, n° 2, Dalloz, p. 155 ; voir aussi René Chapus, Droit administratif général, Paris,
Montchrestien, 2001, 15 éd., p. 1398.
1502
Jane-Laure Bonnemaison, La responsabilité juridictionnelle, Thèse, Op. Cit.
1503
Cf. Guy Canivet, « La responsabilité des juges: approche comparative », in Simone Gaboriau, Hélène
Pauliat (dir.), La responsabilité des magistrats, Actes du colloque organisé à Limoges le 18 nov. 2005, Presse
Universitaire de Limoges, 2008, p.116.

301
magistrat, une autorité perçue comme « un pouvoir irresponsable »1504. Et pour cause, la
responsabilité du magistrat de celle de l’Etat, se mêlent indéniablement lorsqu’est en cause
l’activité juridictionnelle elle-même. Lorsque ce n’est pas la responsabilité de l’Etat qui est
mise en cause du fait du magistrat, c’est la responsabilité disciplinaire du magistrat qui est
concernée. Elle est le complément utile du régime de responsabilité centré sur l’action
récursoire.

289. L’action disciplinaire1505 contre le magistrat s’analyse comme une sanction fondée sur
la violation du serment prêté par le magistrat, lors de son entrée en fonction de : « […] Servir
honnêtement le peuple de la République du Cameroun en sa qualité de magistrat, de rendre
justice avec impartialité à toute personne, conformément aux lois, règlements et coutumes du
peuple camerounais, sans crainte ni faveur, ni rancune, de garder le secret des délibérations,
et de se conduire en tout et partout et toujours, en digne et loyal magistrat ». La
responsabilisation du magistrat offerte par le droit camerounais est « une responsabilisation
dans l’engagement »1506, objectivée par le serment. Structurée certes, sur le modèle du procès
équitable – Instruction des poursuites disciplinaires (enquête, audition du plaignant et des
témoins s’il y a lieu 1507 , mise à disposition du dossier des poursuites disciplinaires à la
disposition du magistrat poursuivi pour consultation, quinze (15) jours avant la date de la
session pour les magistrat du parquet et dix (10 jours) pour les magistrats du siège) 1508 ;
comparution en personne avec la possibilité de se faire assister par un de ses pairs ou par un
avocat 1509 ; avis motivé de la Commission de discipline 1510 – la procédure disciplinaire
comporte néanmoins des lacunes. La saisine des instances de poursuites disciplinaires
(commission permanente de discipline pour les magistrats du parquet et le Conseil supérieur
de la magistrature pour les magistrats du siège) est restée confiée au seul ministre de la
justice1511. Attribuer la possibilité de saisine au Garde des sceaux suppose qu’il puisse agir de
manière juste et impartiale dans la mise en mouvement d’une quelconque action disciplinaire.

1504
A. Garapon (dir.), Les juges. Un pouvoir irresponsable ? , Ed. Nicolas Philippe, 2003.
1505
Constitue une faute disciplinaire imputable à un magistrat aux termes de l’article 46 du Décret portant statut
de la magistrature, « tout acte contraire au serment du magistrat ; tout manquement à l'honneur, à la dignité et
aux bonnes mœurs ; tout manquement aux devoirs de son état tout manquement résultant de l'insuffisance
professionnelle ».
1506
Jane-Laure Bonnemaison, La responsabilité juridictionnelle, Thèse, Op. Cit., p. 216.
1507
Article 55 du Décret de 1995 sur le Statut de la magistrature.
1508
Article 57 du décret précité et Articles 26, 27 et 30 de la loi du 26 Novembre 1982 portant organisation et
fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature.
1509
Article 58 du décret précité et 31 de la loi du 26 Novembre 1982 portant organisation et fonctionnement du
Conseil supérieur de la magistrature.
1510
Article 59 du décret précité.
1511
Cf. Articles 22 de la loi portant statut organisation et fonctionnement du CSM et 54 du décret portant statut
de la magistrature.

302
Mais l’action peut ne pas toujours être désintéressée lorsque sont concernés les magistrats du
parquet qui pourrait se transformer en moyen de pression 1512 . Bien que la procédure
disciplinaire soit formulée sous le modèle d’une procédure judiciaire dans le but de préserver
les droits de la défense de l’officier de justice poursuivi, l’exclusivité de la procédure de
saisine est limitativement confiée au Garde des sceaux ou au président de la République en
tant que ce dernier préside le Conseil supérieur de la magistrature. Ce qui limite les
possibilités d’engager la responsabilité des magistrats du fait de la fonction juridictionnelle.

290. Si l’on part du postulat selon lequel ces mécanismes apportent des remèdes au
préjudice subit par le justiciable né de l’activité juridictionnelle, ils n’autorisent pas à réparer
et/ou sanctionner le mal jugé. En conséquence, l’engagement de sa responsabilité résultera de
la violation des obligations générales des fonctionnaires1513. Pourtant la mission du magistrat
ne saurait être comparée ou assimilée à celle des autres fonctionnaires. Dans cette logique, le
cœur même de la fonction juridictionnelle qui réside à trancher les litiges par application de la
norme juridique préexistante, semble exclure en l’état actuel de ce droit, toute forme de
responsabilité. Le droit nous enseigne pourtant que les erreurs sont multiples, diverses, et de
gravités variables : des erreurs indifférentes volontaires, involontaires, graves, énormes,
inexcusables, grossières, techniques, correctibles, ineffaçables, manifestes1514. C’est la raison
précisément pour laquelle, il faut établir une distinction entre les différentes menaces pesant
sur le juge, d’y d’apporter une solution qui concilie les spécificités de la fonction processuelle
et les différentes problématiques pouvant naître d’un office défaillant. Défaillance que le
Président de la République refusait de tolérer en son temps, lorsqu’il soulignait que « rendre
justice est une noble mission, mais aussi, une lourde responsabilité…la République qui confie
aux magistrats le soin de veiller au respect des lois ne peut tolérer les défaillances … »1515.
En prenant pour point de départ que chaque justiciable, tout citoyen dispose d’un droit au
respect de la légalité, l’énoncé d’une responsabilité en lien avec l’activité juridictionnelle
(mal jugé, erreur du juge), pourrait s’entendre comme la réponse au préjudice constitué par
un mal jugé. La question de la responsabilisation du juge est primordiale, car la justice

1512
Voir Matthieu Tankeu, Op. Cit.
1513
Aude Doka Boura, « Réflexion sur l’effectivité de la responsabilité pénale du magistrat au Cameroun et
ailleurs », Op. Cit.
1514
Cf. P. Malaurie, « Rapport de synthèse (droit privé) », in Académie des sciences morales et politiques,
Centre de recherches en théorie générale du droit et Association française de philosophie du droit, L’erreur,
Colloque, Paris, Institut de France, 25 et 26 octobre 2006, PUF, 2007, p. 295 ; Voir aussi sur la question de
l’Erreur, M.-A. Frison-Roche, « L’erreur du juge », RTD civ. 2001, p. 819-382 ; F. Bussy, « L’erreur
judiciaire », D. 2005, p. 2553.
1515
Paul Biya, Discours prononcé à l’occasion de la célébration du cinquantenaire de l’Ecole Normale
d’Administration et de magistrature, Op. Cit.

303
juridique incarne le juste en application du droit. Celle-ci doit commencer dès sa formation.
La spécificité de la fonction juridictionnelle et ses pouvoirs justifient que soit posée la
responsabilité du magistrat en cas de mal jugé. Et donc, adapter la responsabilité de la
magistrature à l’évolution de son office, tout en s’assurant d’améliorer la réponse judiciaire.

2. Améliorer la réponse judiciaire

291. La réponse judiciaire pourrait être caractérisée par deux périodes. La première, est
celle pendant laquelle une réponse judiciaire sera apportée à la situation litigieuse qui a décidé
les parties à se présenter devant le juge, c'est-à-dire le traitement du contentieux. La seconde,
est celle qui donnera lieu à une sanction pouvant être présentée comme le remède à l’équilibre
initial rompu. Cette sanction « est la mesure prononcée par une juridiction en raison de la
commission d’une infraction »1516 ou de la violation d’une règle de droit. Le traitement du
contentieux qui constitue la première période est soumis au temps, et « la vitesse considérée
de plus comme une fin en soi et une vérité absolue de qualité, après lequel tout le monde
court »1517. L’expression en matière économique de « Time is money » n’en est que la parfaite
l’illustration. Le temps est un critère de qualité de la justice. Il est aussi devenu un critère par
lequel un système judiciaire est évalué. Justice et temps sont inséparables. En dépit de ce lien
inextricable, entre le temps et la justice, le traitement du contentieux ne bénéficie aucunement
d’éloges positifs, et ce, malgré l’évolution certaine des attentes des populations et
spécifiquement des usagers de la justice. Seulement, la justice demeure lente.

En d’autres termes, le temps de la justice ne bénéficie guère d’une perception positive.


Célérité devient synonyme de lenteur et parfois même d’inertie. La résultante est que les
lenteurs de la justice camerounaise sont de moins en moins bien acceptées. Cela est d'autant
plus regrettable que les pesanteurs qui en découlent nuisent au bon rétablissement de
l'équilibre social. Les délais prévus pour accélérer l’instance, ou censé lui donner le rythme
convenable sont de moins en moins respectés. La durée du traitement des contentieux ne cesse
d’augmenter ; les délais d’attentes devant les juridictions ne cessent de croitre 1518 . Une
personne mise en cause ne doit pas demeurer trop longtemps dans l’attente de son sort. Afin
de donner à la réponse judiciaire cohérence et lisibilité, une approche unitaire du temps
processuel mériterait d’être envisagée. A cet effet, il faut rechercher une juste cadence du

1516
Catherine Tzutzuiano, L’effectivité de la sanction pénale, Thèse Droit, Université de Toulon, 2015, p. 1.
1517
B. Berger-Perrin, « Les modulations du temps dans la procédure suivant l’objet du litige », in J.M. Coulon
et M-A. Frison Roche (dir.), Le temps dans la procédure, Op. Cit., p. 25.
1518
Cf. Annuaire statistiques de l’Institut national de la statistique, Chapitre 10, Op. Cit.

304
temps de la justice : un temps judiciaire conforme à la justice, au droit, à l’équité. La juste
cadence est un temps nécessaire à la manifestation de la vérité ; il n’est ni abusif ni
déraisonnable. C’est le temps « adéquat », « approprié », « raisonnable ». Il est en effet
essentiel d'apporter une réponse judiciaire à temps, dans l'intérêt du délinquant, de la victime
et de la société dans son ensemble. La recherche de l’approche unitaire du temps processuel
s’appuierait ainsi sur deux paliers complémentaires.
Le premier, c’est le strict respect des délais qui ont déjà fait l’objet d’une consécration.
La norme juridique n’est en rien un objet décoratif, elle est faite pour être appliquée. Les
juges sont tenus de respecter les normes de temps érigées par l’ensemble des législateurs,
qu’il soit national ou de droit uniforme, d’autant plus que le temps judiciaire n’est pas illimité.

Le second serait peut être de songer à une sanction en cas de violation du droit à un
jugement dans un délai raisonnable comme dans les droits étrangers. Des pays comme
l’Allemagne1519, la Suisse1520 retiennent un mécanisme d’indemnisation de la victime pour
sanctionner le dépassement du délai raisonnable du procès. Dans ces systèmes, le
dépassement du délai raisonnable est en mesure d’entrainer l’arrêt des procédures, justifier
une dispense ou une réduction des peines ou encore donner lieu à l’existence de délais butoirs
pour limiter la durée de certaines phases procédurales.

292. La commission d’une infraction, le comportement inadéquat d’une des parties dans un
lien juridique préexistant va susciter différentes formes de réponses juridiques et judiciaires.
Celles-ci vont constituer une réaction sociale contre la violation d’une règle de droit qui a
pour fonction, au moins partielle, de punir la violation ainsi constatée. Cette réaction sociale
réside dans la peine ou dans un sens plus large dans la sanction qu’elle soit civile ou
pénale1521. Dans la notion de sanction ou de peine, apparait l’idée de réparation, véhiculée par
l’affirmation selon laquelle l’auteur de la violation d’une règle, doit « payer pour son crime »
ou le dommage qu’il a causé. Le paiement peut se faire en matière pénale, de manière
traditionnelle – peine d’emprisonnement ou d’amende1522 – ou de manière « moderne », par
l’édiction de peines alternatives1523. Le vocabulaire juridique de l’Association Henri Capitant

1519
Cf. P. Hunerfeld, « La célérité dans la procédure pénale allemande », RIDP, 1995, pp. 389 et s.
1520
Cf. G. Piquerez, « La célérité dans la procédure pénale suisse », Op. Cit, pp. 657 et s.
1521
Michel Van de Kerchove, « Les fonctions de la sanction pénale Entre droit et philosophie », Informations
sociales, 2005/7 n° 127, pp. 22-31.
1522
Loi n° 2016/007, 12 juillet 2016 portant code pénal, art. 18: « Les peines principales sont : a) pour les
personnes physiques : la peine de mort, l’emprisonnement, l’amende ; b) pour les personnes morales : la
dissolution, la fermeture temporaire ou définitive de l’établissement, l’amende ».
1523
Loi portant Code pénal précité, Article 18-1, « Les peines alternatives sont le travail d’intérêt général, la
sanction réparation ». Les articles 26, 26-1, 26-2, 26-3 en fixe les modalités.

305
définit la peine alternative comme cette « peine qui peut être prononcée au lieu d’une autre et
à titre de peine principale ». Le législateur pénal camerounais a choisi de consacrer dans son
droit répressif, une option complémentaire à celle de « punir et non à corriger » 1524 . Les
peines alternatives ou peines de substitution en droit français feront l’objet d’une consécration
définitive en droit camerounais avec l’avènement de l’article 18-1 du Code pénal de 20161525.
D’une importance que l’on ne saurait remettre en cause dans les systèmes judiciaires pour
lesquels les peines alternatives ont trouvé une place de choix en termes de réduction réelle du
nombre d’incarcérations, leur impact immédiat sur le patrimoine de la personne
poursuivie1526, l’effectif de la population carcérale ou encore une modalité d’individualisation
des modalités d’exécution des peines sans que ces peines ne réduisent l’efficacité de la
répression des infractions. Cependant, ce dispositif tarde à prendre concrètement corps dans la
pratique. D’où l’insistant appel à l’achèvement du processus juridique qui doit permettre de
mettre en application cet important texte non seulement à savoir d’une part, le décret
d’application qui doit pouvoir renseigner sur un certain nombre d’éléments absents dans les
dispositions de l’article 18-1 tels que la liste des activités pouvant faire l’objet de travail
d’intérêt général ; l’institution ou l’autorité chargée de veiller ou de constater l’exécution de la
peine alternative fixée. C’est dire que, en dépit de la pertinence de l’érection des peines de
substitutions dans le droit répressif camerounais, il faut regretter de manière emphatique, non
seulement, l’impossibilité pour le juge pénal camerounais de prononcer cette sanction, faute
de la détermination explicite de son contenu, mais également au regard des objectifs qui ont
sous-tendus et sont poursuivis à travers l’instauration des peines alternatives par le législateur
camerounais 1527 . Il s’agit donc à ce niveau, d’insister sur l’application des normes et
procédures érigées par le législateur chargées d’assurer un meilleur traitement et une
meilleure administration de la sanction. Les normes établies dans l’État dans le but d’assurer
une meilleure appréhension de la réponse judiciaire doivent être suivies d’effets. Toutes ces
observations démontrent de la valeur d’une mise à niveau du dispositif juridique interne. Ce

1524
V. Dieudonné Soweng, « L’avènement des peines alternatives en droit pénal camerounais : contours et
concours de l’une des innovations de la réforme législative du 12 juillet 2016 », in Les Annales de droit, 13,
2019, disponible en format pdf sur http://journals.openedition.org/add/1656, consulté le 24 janvier 2021.
1525
Pour une analyse plus détaillée de la question, voir B-R. Guimdo Dongmo, « Les alternatives à
l’emprisonnement dans des contextes de surpeuplement carcéral : le cas du Cameroun », Juridis périodique, n°
60, 2004, p. 77-85 ; Dieudonné Soweng, « L’avènement des peines alternatives en droit pénal camerounais :
contours et concours de l’une des innovations de la réforme législative du 12 juillet 2016 », Op. Cit. ;
1526
La sanction-réparation quant à elle consiste, aux termes de l’article 26-1, alinéa 1 de la loi portant Code
pénal camerounais, « dans l’obligation, pour le condamné, de procéder à la réparation matérielle du préjudice
subi par la victime ». Ce qui pourrait donc inclure la restitution à la victime ou l’indemnisation de celle-ci.
1527
En effet, il ressort de l’exposé des motifs du projet de loi n° 989/PJL/AN portant Code pénal que « ces
peines alternatives, dont l’application est encouragée par une directive générale des Nations Unies, visent à
désengorger les prisons et permettent d’éviter les courtes peines d’emprisonnement ».

306
même intérêt jailli de la mise niveau du dispositif juridique concernera aussi le droit uniforme
africain.

Paragraphe II. La mise à niveau relevant du droit uniforme OHADA


293. Le droit OHADA constitue sans conteste l’une des plus formidable avancée qu’a
connu le droit camerounais et un exemple en matière de modernité et d’harmonisation du
droit des affaires. L’investisseur n’a plus, comme par le passé, une fois hors des frontières du
droit auquel il est normalement soumis, à se poser de questions sur le droit applicable à son
domaine d’activité tant que celui-ci entre dans les matières régies par le droit des affaires
OHADA, ni à maitriser les spécificités de chaque droit national1528. Toutefois, la pensée du
développement économique à l’heure de la mondialisation et de la globalisation des rapports
commerciaux exige de la part des Etats de concentrer les efforts autour de la promotion et
l’encadrement des investissements directs étrangers. La quantité et la qualité des investisseurs
étrangers qu’un pays est en mesure d’attirer vers ses frontières dépendent en effet du degré de
risque (dans le sens de péril possible, de hasard dangereux) acceptable qu’il représente, c'est-
à-dire, celui auquel l’investisseur sera exposé. S’il est un fait indiscutable en matière
d’attractivité économique d’un territoire, c’est l’importance du cadre institutionnel et
juridique du territoire d’accueil de l’investisseur1529. La décision de placer ses capitaux dans
un territoire donné pour l’opérateur économique étranger est le plus souvent grandement
conditionnée par un certain nombre d’indicateurs : la qualité des institutions, le risque
politique, le climat des affaires (bonne gouvernance, corruption etc.), la qualité et
l’environnement dans lequel baigne le système de justice. Si le monde des affaires rime avec
risque (pertes ou profits), ce n’est pas du risque inhérents aux investissements qu’il il s’agit
ici. Est visé dans le cas d’espèce, le risque lié à la fois au droit (risque juridique) et au système
de justice (risque judiciaire) à mesure de jouer négativement en faveur du droit à une bonne
justice et concomitamment et la rétention des investisseurs. Aussi minime ou conséquent que
puissent être ces risques juridiques, leur identification et manifestation constituent un
préalable avant tout essai de résolution. L’Etat membre de l’OHADA devient ainsi un

1528
Joseph Kamga, « L’apport du droit de l’OHADA à l’attractivité économique des Etats parties », Revue des
juristes de Sciences Po., Hiver 2012, n° 5, p. 43-51 ; Voir aussi, Protais Ayangma Amang, « Les attentes des
investisseurs face aux risques juridiques et judiciaires dans l’espace OHADA : témoignages et expérience de
terrain », in L. Cadiet (dir.), Droit et attractivité économique: le cas de l’OHADA, éd. de l’Institut de recherche
juridique de la Sorbonne (IRJS), Paris 2013, pp. 20 et Ss.
1529
Sur des aspects strictement relatifs à l’attractivité économique d’un pays, Cf. E. Patience Memphil Ndi,
Attractivité économique des investissements directs étrangers en zone CEMAC : harmonisation des instruments
juridiques aux règles internationales, Thèse, Droit, Université Nice Sophia Antipolis, 2015.

307
générateur de risques juridiques (A), dont la multiplication des droits à vocation régionale (B)
constitue le résultat immédiat de la liberté de l’Etat.

A. L’Etat, membre de l’OHADA et générateur de risques juridiques

294. La polysémie du terme « risque », nous oblige à préciser le sens dans lequel
l’expression « risque juridique » sera ici appréhendée. Tirant son origine du verbe latin
resecare, qui signifie au sens dénoté enlever en coupant, tailler, et au sens connoté retrancher,
supprimer, le substantif risque serait tiré du latin médiéval resicum, qui dans le vocabulaire du
droit maritime désignait l’imputation à un sujet de droit d’une charge financière éventuelle,
liée à une entreprise au résultat incertain1530. Le vocable ne se dégagera que lentement au
cours du XVIe siècle, de ce contexte juridique. Le risque se distinguera progressivement
d’autres notions voisines également issus du latin médiéval ou de l’arabe tels que chance,
aléa, danger ou encore hasard1531. Le terme implique une façon particulière de se rapporter à
un événement futur contingent selon le mode actif de l’anticipation. Selon le Littré1532, le
risque est un « péril dans lequel entre l’idée de hasard ». Le Petit Robert1533 dans le même
sens y voit un « danger éventuel plus ou moins prévisible ». Il ressort des définitions
proposées par ces lexicographies une constante, le concept de risque implique une connotation
négative, « la part de l’incertitude dans le risque »1534. Si le risque traduit donc la part de
l’incertitude, il reste que le capitalisme et son esprit d’entreprise, le climat des affaires, n’en
finissent pas de souhaiter être protégés contre le moindre de tous les risques. Devenue une
exigence collective avec l’apparition de risques nouveaux de grande ampleur, la peur de
risques entrainerait un climat d’angoisse. Face à un besoin toujours grandissant et
irrépressible de sécurité, devait jaillir « logiquement en droit, la notion antithétique sans
laquelle on ne peut penser la sécurité : le risque ». La place sans cesse croissante occupée par
le risque dans l’ordre juridique des sociétés occidentales illustre le transfert de ce besoin de
sécurité au sein du droit uniforme africain des affaires qui tient sa source des droits
applicables dans ces sociétés occidentales. Jacques Moury affirme que le risque est
omniprésent dans la norme juridique, il faut tout au moins réduire ses effets 1535 . Concept

1530
S. Piron, « Prologue : Risque, histoire d’un mot », in Risques, n° 81/82, mars-juin 2010.
1531
Ibid., p. 25.
1532
Le Littré, Dictionnaire de la langue française, Op. Cit., V. Risque.
1533
Le Nouveau Petit Robert, Dictionnaire de la langue française, éd. 2009, sens n° 1 du terme risque.
1534
Cf. Jacques Moury, « Avant-propos », in Le risque, Etude, Rapport annuel 2011, Cour de cassation, sous la
direction scientifique du Professeur Jacques Moury, Paris, La documentation française, 2012, pp. 77-110.
1535
Ibid.

308
polysémique, et incertain1536 il est important pour nous de disposer d’une définition du risque
juridique et judiciaire claire, praticable et facilement partageable. Définir le risque juridique
permet en effet de mieux saisir en quoi celui-ci constitue une pesanteur à la réalisation du
droit fondamental à la justice partant de l’application du droit OHADA. Les définitions du
risque proposées par la doctrine se rapportent aux domaines du droit auxquels il se rapporte :
pénal, fiscal, social, législation, économique, droit des affaires 1537. Pour le dire autrement,
quelle que soit la définition retenue par la doctrine, elle s’insère dans l’une des catégories du
risque1538, le risque lié aux normes juridiques externes à l’entreprise1539 ou celui relatif aux
normes juridiques internes à l’entreprise1540. Le Vocabulaire juridique de l’Association Henri
Capitant centre la notion non point sur le caractère (éventuel) de l’événement qui en est
affecté, mais sur l’événement lui-même et le définit comme un « événement dommageable
dont la survenance est incertaine, quant à sa réalisation ou à la date de cette réalisation »,
ajoutant toutefois que le vocable « se dit aussi bien de l’éventualité d’un tel événement en
général que de l’événement spécifié dont la survenance est envisagée »1541. Pour nous, la
définition du risque à retenir est celle non interne mais plutôt externe à l’entreprise. Constitue
un risque juridique, « un aléa ou l’éventualité d’un événement qui est lié au droit, à son
éventuelle mauvaise conception, à la difficulté de son interprétation, à l’instabilité législative
et à l’insécurité judiciaire »1542. Tel qu’il est saisi par le droit, les applications du concept
tendent toutes vers la satisfaction d’un besoin de sécurité, à corriger les déséquilibres qu’est
susceptible d’engendrer, au sein de relations individuelles ou dans un cadre collectif, la
survenance de l’événement tant redouté. Le terme risque ainsi définit, se traduit comme l’une
des faiblesses majeures du droit OHADA, à savoir la disparité des droits nationaux (1), et une
appréciation disparate des règles de l’OHADA (2).

1536
F. Millet, La notion de risque et ses fonctions en droit privé, Op. Cit.
1537
Voir G. Hirsch et O. Mazeaud, « Mise en place d’une méthode de gestion des risques d’entreprise », Revue
Française de Gestion, 1984, n° 45, pp. 49-57 ; C. Collard, « Le risque juridique existe-t-il ? Contribution à la
définition du risque juridique », Cahiers de droit de l’entreprise, 2008, n° 1, p. 24-29.
1538
Christophe Collard et Christophe Roquilly, « Les risques juridiques et leur cartographie : proposition de
méthodologie », in La Revue des Sciences de Gestion, 2013/5 n° 263-264, pp. 45-55.
1539
Traités, constitutions, lois, règlements, jurisprudence, de même que les contrats passés et les droits détenus
par des tiers – par exemple des droits de propriété intellectuelle.
1540
Contrats passés par l’entreprise, droits de propriété détenus par elle, code d’éthique, etc. Nous incluons dans
ces normes juridiques, celles qui s’imposent à l’entreprise du fait de la contrainte du secteur dans lequel elle
évolue (recommandations des autorités de régulation et autres cadres de référence), ou que l’entreprise s’impose
à elle-même ou auxquels elle adhère volontairement (code de déontologie ou charte d’éthique, Règlement
intérieur de l’entreprise).
1541
Gérard Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Op. Cit. Acception n° 1 du mot « risque ».
1542
Joachim Bile-Aka, « Libres propos sur la gestion du risque juridique en entreprise », IIIe édition du
Congrès Africain des Juristes d’entreprises (COJA 2010), Organisé par le Centre africain pour le Droit & le
Développement (CADEV).

309
1. La disparité des droits nationaux

295. Le justiciable de l’OHADA fait face, pour ce qui est aussi bien du droit substantiel,
que de la procédure à la situation quasi similaire que dénonçait les opérateurs économiques
lorsqu’ils se retrouvent en dehors des frontières de son droit national. Il est « perdu » lorsqu’il
doit faire face à un procès dans l’un des Etats membres de l’OHADA. La lecture combinée
des lois régissant l’organisation judiciaire des Etats membres permet de faire un constat. Dans
l’espace OHADA, deux modes d’organisations juridictionnelles se donne à voir. Le
Tchad 1543 , la République centrafricaine 1544 , du Mali 1545 , la République démocratique du
Congo 1546 , les Comores 1547 ont choisi l’option pragmatique de la création des juridictions
commerciales. La compétence de ces juridictions recouvre l’ensemble des litiges pouvant
naître de l’application des actes uniformes. Certains Etats comme les précédents à l’instar du
Niger et du Sénégal ont également créé des juridictions commerciales1548. Au Togo, il existe
une chambre commerciale, mais elle est rattachée à la chambre civile de sorte qu’il existe une
confusion entre elles 1549 . Dans d’autres Etats en revanche, les mêmes juges tranchent les
litiges de droit criminel, social, civil et commercial. La compétence ratione loci des
juridictions en matière civile et commerciale est déterminée en fonction de la valeur et la
nature du litige. Figurent dans ce type d’organisation juridictionnelle, la Guinée
équatoriale 1550 , le Gabon 1551 , le Cameroun 1552 , le Bénin 1553 , la Cote d’ivoire 1554 . La
réglementation uniforme ne peut être exclusive de la « législation » nationale, le juge national
est chargé de son application en premier ressort et en appel. L’espace juridique et judiciaire
national constitue le terrain d’application de ce droit uniformisé. On aboutit ainsi à une très
grande différenciation matérielle, du contenu de la règle de droit sur le plan processuel. A titre
d’exemple, outre les voies d’exécution et quelques règles de procédure insérées dans les
différents actes uniformes, le droit uniforme est constitué « uniquement du minimum

1543
J. Madjenoun, « organisation judiciaire du Tchad », www.ohada.com, p.12.
1544
A. Sende, « Organisation judiciaire de la RCA », www.ohada.com, p.15.
1545
Fatou Seck, « Organisation judiciaire du Mali », Ibid., p.9.
1546
R. Massamba, « Organisation judiciaire de la RDC », Ibid., p.6.
1547
M. Abdoulbastoi, « Organisation judiciaire de la République Islamique des Comores », p. 8.
1548
Pour le Niger Voir B. Talfi, « Organisation judiciaire du Niger », p. 9. Le Sénégal Jandjo et A. Koîta,
N’diaye, « Organisation judiciaire du Sénégal », p.10.
1549
Véronique carole Ngono, « Réflexions sur l’espace judiciaire OHADA », Revue de l’Ersuma, Droit des
Affaires-Pratiques professionnels, n° 6 janvier 2016, pp. 157 et suiv.
1550
S. Essono Abesotono, « Organisation judiciaire de la Guinée Equatoriale », p. 18
1551
A. Nkorouna, « Organisation judiciaire du Gabon », p. 11.
1552
R.Y. Kalieu Elongo, « Organisation judiciaire du Cameroun », Op. Cit., p.5 et 7.
1553
C. Koupaki Ayowla, « Organisation judiciaire du Bénin », p.19.
1554
F. Komoin, « Organisation judiciaire de la Côte d’Ivoire », p. 33 et s.

310
applicable »1555. Des Actes uniformes destinés à s’appliquer au sein des Etats, c’est donc à
autant d’approches de la mise en œuvre du droit des affaires qu’il est soumis. L’absence de
coordination dans l’OHADA des processus nationaux d’harmonisation crée un risque de
disparités et de disharmonie qui peut fragiliser la cohérence du système mis en place, au point
de précariser l’attractivité et le rayonnement de l’Ohada1556. Si l’on convient avec Pothier que
la procédure est « la forme dans laquelle on doit intenter les demandes en justice, y défendre,
intervenir, instruire, juger, se pourvoir contre les jugements et les exécuter » 1557 , qu’elle
assure « la réalisation en justice des droits » 1558 , on peut légitimement s’interroger sur
l’option ohadienne en matière de droit procédural. Ce droit procédural est la manière de
demander et de rendre justice, de donner au litige sa solution juridique, le moyen par lequel la
justice peut-être rendue lorsque les droits ne se réalisent pas spontanément.

De ce qui précède, la démarche de l’OHADA peut paraitre pour le moins surprenante,


voire même déroutante. Celle-ci pourrait même être qualifiée de paradoxale, lorsque la
doctrine qualifie l’OHADA de chantre de la sécurité juridique et judiciaire1559. Pourtant, il
s’agit là de l’originalité du modèle OHADA qui n’impose aux Etats aucun modèle particulier
d’organisation juridictionnelle et procédurale1560. Le modèle est ancré sur l’absence dans ce
droit des affaires, de modèle spécifique d’organisation procédurale. Le principe cardinal qui
l’anime est l’autonomie institutionnelle et procédurale des Etats membres1561. La logique de

1555
Francine Batailler, « Le juge interne et le Droit communautaire », In : Annuaire français de droit
international, Op. Cit., p. 777.
1556
Roger Massamba, « Le cadre normatif de l’ohada à la croisée des chemins », Op. Cit., p. 27.
1557
Pothier, Œuvre de Pothier, Traité de la procédure civile et criminelle, Tome quatorzième, Paris, Siffrein,
1821, p.1.
1558
Cécile Chainais, Frédérique Ferrand et Serges Guinchard, Procédure Civile Droit interne et européen de
procédure civile, Op. Cit. p. 2 et Ss.
1559
Bakary Diallo, « Principe de l’autonomie institutionnelle et procédurale des Etats parties face à
l’application des Actes Uniformes du droit OHADA », Jurifis, édition spéciale, n° 12, Octobre 2012, p. 16.
Ohadata D-13-13 ; P.G. Pougoué (dir.), « Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du droit des affaires »,
in : Encyclopédie du droit OHADA, Op. Cit, p.1328 et s ; P. Meyer, « La sécurité juridique et judiciaire dans
l’espace OHADA », Op. Cit.
1560
Le traité OHADA partage ce trait particulier avec le modèle juridique européen qui n’impose au juge
national, aucun modèle particulier d’organisation juridictionnelle et procédurale. Sur cet aspect du modèle
juridique européen, voir, Jean Rideau, Droit institutionnel de l’union et des communautés européennes, LGDJ,
5e éd. 2006, pp. 986 et Ss.
1561
« Marqueur de la souveraineté interne de l’Etat membre », dont l’appartenance au droit communautaire le
laisse « libre d’organiser comme il le souhaite ses organes, ses structures et ses institutions, pour peu que celles-
ci soient aptes à assurer les fonctions » dévolues par le droit communautaire. Cf. S. Platon, « L’autonomie
institutionnelle des Etats membres de l’Union européenne : parent pauvre ou branche forte du principe
d’autonomie institutionnelle et procédurale ? », Op. Cit. Le principe de l’autonomie institutionnelle renvoie de
manière générale, à la possibilité pour l’Etat membre de s’auto-organiser. La pratique des organes
communautaires confirme cette constatation qui se dégage avec une vigueur particulière de la jurisprudence de la
CCJA. L’autonomie institutionnelle renvoie à, l’autonomie reconnue à chaque Etat pour déterminer les organes
qui vont participer au droit de l’OHADA, tant au stade du traitement du contentieux, de l’exécution que celui de
l’élaboration du ressort de la compétence de l’Etat membre. Chaque Etat membre est libre de répartir comme il

311
l’autonomie institutionnelle et procédurale est simple. C’est le droit national qui définit
l’office des tribunaux nationaux, la procédure qui y est applicable, y compris dans leur
fonction d’application des Actes uniformes. C’est le droit national qui garde en matière
contentieuse, la compétence fondamentale de la gestion du temps et la conduite du procès. La
détermination des formes et procédures reste une compétence réservée aux Etats membres.
Cette autonomie procédurale bénéficie en droit OHADA d’une double garantie.
D’un coté, une garantie offerte dans son droit originaire. Le Traité du droit uniforme
ne définit aucun droit commun procédural, du moins pas dans sa conception traditionnelle de
règles inscrites dans un code. L’article 14 du Traité renvoie le contentieux des Actes
uniformes aux juridictions nationales. La garantie de l’autonomie procédurale et
institutionnelle procède des articles 13 à 18 du Traité, dont les dispositions attribuent le
traitement du contentieux respectivement aux juridictions nationales et à la Cour commune de
justice et d’arbitrage pour les litiges en rapport avec le droit uniforme. La garantie de
l’autonomie institutionnelle et procédurale au sein de l’OHADA peut aussi être déduite des
renvois et de l’utilisation des expressions génériques telles que : « juridiction compétente »
pour désigner la section commerciale du tribunal compétent selon la valeur nominale du litige
ou le tribunal de commerce, le tribunal régional ; le juge des référés, le juge des urgences ;
l’expression « décisions judiciaires » pour faire allusion aux jugements, arrêts ou ordonnances
des administrations ; auxiliaires de justice – notaires, huissiers, greffiers, agents chargés de
poursuites – ou encore le recours par l’organe législatif à des périphrases telles que le « juge
statuant en matière d’urgence » restent la preuve de l’attachement à ce principe en droit
OHADA. Cette constance du principe de l’autonomie institutionnelle et procédurale fait que
l’emergence d’un droit procédural de l’OHADA distinct de celui des Etats membres peut
apparaître comme étant hésitante 1562 . Si le Traité semble indifférent sur les règles

le juge opportun les compétences sur le plan interne et de mettre en œuvre une directive au moyen de mesures
prises par les autorités régionales ou locales ; V. D. Simon, « Les exigences de la primauté du droit
communautaire : continuité ou métamorphoses ? », in L’Europe et le droit, Mélanges en hommage à Jean
Boulouis, éd. Dalloz, 1991, p.484 ; Joël Rideau, « Le rôle des États membres dans l'application du droit
communautaire », In: Annuaire français de droit international, volume 18, 1972. pp. 864-903 ; Marjolaine
Roccati, « Quelle place pour l’autonomie procédurale des États membres? », Revue Internationale de Droit
Economique, Association internationale de droit économique, 2016, 29(4), pp.429-439.
1562
L’OHADA n’a pas vocation à s’intéresser aux règles de procédures civiles. L’harmonisation des législations
nationales se font strictement dans les limites domaine du droit des affaires tel que défini par l’article 2 du traité,
en ces termes : « Pour l’application du présent Traité, entrent dans le domaine du droit des affaires l’ensemble
des règles relatives au droit des sociétés et au statut juridique des commerçants, au recouvrement des créances,
aux sûretés et aux voies d’exécution, au régime du redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire,
au droit de l’arbitrage, au droit du travail, au droit comptable, au droit de la vente et des transports, et toute
autre matière que le Conseil des Ministres déciderait, à l’unanimité, d’y inclure, conformément à l’objet du
présent Traité et aux dispositions de l’article 8 ci-après ». Bien que précisant l’option extensive du droit des
affaires, le texte cité pose l’incompétence du législateur communautaire à régir la procédure.

312
procédurales, c’est surtout dans les actes uniformes que se dégage l’essentiel des dispositions
relatives aux règles de procédure qui gouvernent le procès OHADA. Certaines de ces règles
fixent les délais de recours et de prescriptions en cas de violation du droit uniforme, ou des
sanctions civiles pouvant conduire à l’inégibilité de l’auteur à des postes de dirigeant
d’entreprises ; des délais de recours ou de prescriptions dont disposent le justiciable pour
saisir la juridiction nationale compétente1563, ou encore des indications relatives à la nature de
la juridiction à saisir1564. Disséminées dans les Actes uniformes, ces dispositions ne suffisent
pas à réfuter l’hypothèse selon laquelle, la compétence en matière de procédure est dévolue
aux Etats.

296. De l’autre coté, l’application du droit OHADA est assurée au premier chef par les
juridictions nationales qui deviennent par la même occasion les acteurs clés du processus
d’intégration. L’invocation directe, c’est-à-dire la capacité dans le cadre d’un contentieux, de
prendre une norme comme référence afin de contester un acte portant atteinte à ses droits
constitue une condition de l’effectivité des droits 1565 que les particuliers tirent du droit
uniformisé. L’invocabilité directe du droit OHADA devant le juge national, son juge naturel,
entraine ipso facto la compétence de celui-ci. Le Traité ne donnant aucune précision sur la
nature de la juridiction nationale compétente, il revient par conséquent à chaque Etat suivant
son organisation juridictionnelle à la désigner. La CCJA dans sa jurisprudence rappelle à
plusieurs reprises le principe de l’autonomie institutionnelle des Etats au sein de l’espace
OHADA. Se déclarant incompétent dans une espèce pour laquelle elle a été saisie, le juge
supranational va renvoyer le requérant devant les juridictions nationales au motif qu’elle ne
peut être saisie que par « la voie du recours en cassation exercé contre la décision d’une
juridiction nationale statuant dans un contentieux relatif à l’application des Actes uniformes
(…) et par la voie du recours en annulation exercée contre la décision d’une juridiction

Exceptionnellement, le législateur est intervenu pour régir les procédures. C’est notamment le cas précis de
l’AUPSRVE et l’AUPCAP. Voir pour plus de détails, A.-M. Assi-Esso et N. Diouf, Recouvrement des créances
de l’OHADA, éd. Bruxelles, Bruylant, 2002 ; Mamadou Niane, L’exigence de sécurité juridique dans le
recouvrement des créances, Thèse, Droit, Université de Bordeaux, 2014, pp. 141 et Ss. ; Voir aussi, F.M.
Sawadogo, in OHADA, Traité des Actes uniformes commentés et annotés, pp. 853 et Ss. En outre, si le Conseil
des ministres, organe législatif de l’OHADA, dispose de la faculté d’introduire dans les Actes uniformes, droit
dérivé, des dispositions relatives à la procédure et à la sanction toutes les fois que la nécessité d’une application
uniforme du droit le justifie, il s’agit d’une simple faculté, que le conseil des ministres n’est pas tenu de mettre
en œuvre. Ces Mesures qui visent à compléter les dispositions nationales en la matière, ne peuvent constituer au
sens strict, la base d’un droit procédural, une référence en la matière dans la mesure où la compétence principale
en la matière est dévolue aux Etats membres.
1563
Voir Articles 24 et 25 du Chapitre 5 relatif au contentieux de l’AU portant sur le transport des marchandises
par route ou de l’article 274 de l’AUDCG.
1564
Article 49 de l’AUPSRVE.
1565
V° En ce sens, Denis Alland, « L’applicabilité directe du droit international considérée du point de vue de
l’office du juge : des habits neufs pour une vieille dame ? », RGDIP, 1998, p. 230.

313
nationale statuant en cassation, qui a méconnu la compétence de la cour »1566. Elle précisera
à l’occasion, son statut de juridiction de cassation, pour l’ensemble des litiges impliquant le
droit OHADA. Dans la même logique, cette fois ci dans le cadre d’un appel. Saisie de la
contestation d’une décision arbitrale dans l’affaire dite des Epoux Delpech, la juridiction
supranationale va confirmer une fois de plus, la liberté des Etats en matière juridictionnelle et
procédurale, lorsqu’elle déclare que : « les sentences arbitrales peuvent faire l’objet d’un
recours en annulation qui doit être porté devant le juge compétent de l’Etat (…) »1567. L’Acte
Uniforme sur l’Arbitrage (AUA) n’apportant aucune précision sur l’identité de ce juge, il y a
lieu dans le cas d’espèce, de se reporter à la loi nationale de l’Etat concerné pour déterminer
le juge devant lequel le recours en annulation doit être porté. De plus, dans l’arrêt de l’affaire
Rafui Oyewemi rendu par la même juridiction, relative à la détermination de la juridiction
compétente en matière de résiliation de bail, le juge fait un renvoi aux législations nationales
lorsqu’il affirme : « Attendu que l’Acte uniforme sus indiqué ne précisant pas quelle est la
juridiction compétente en la matière, il y a lieu de se référer à la législation interne de chaque
Etat-partie afin de déterminer la juridiction devant laquelle il faut introduire la
demande »1568. Enfin, une dernière illustration de cette consécration de l’autonomie judiciaire
des Etats membres par la CCJA transparait en matière de référé dans un Avis rendu par la
Cour sur demande de la République du Gabon. Le juge de cassation ohada affirme que : « la
juridiction des urgences telles que déterminée par l’organisation judiciaire de chaque Etat
membre de l’OHADA est compétente pour connaitre des cas de nullités affectant un acte de
dénonciation avec saisie (…) »1569. L’analyse de ces quelques décisions de justice issues de la
jurisprudence de la CCJA illustre une constante. Toutes les fois où le juge commun de
cassation a été sollicité sur la question de l’autonomie institutionnelle et procédurale des
Etats, le recours à l’expression « juridiction compétente de l’Etat partie » démontre la volonté
de la CCJA de faire valoir, respecter et d’éviter d’empiéter sur l’organisation juridictionnelle
reconnue aux Etats membres. Si la Cour commune de justice et d’arbitrage a participé à la
reconnaissance du principe de l'autonomie institutionnelle et procédurale des États membres,
elle a également souscrit à la limitation réelle de cette liberté. Une application du principe
limitée par la mise en œuvre du droit uniforme. Le juge supranational africain consacre

1566
CCJA, Ordonnance n° 1, 2003, Cabinet Ecteet c/ Groupe Fotso, Recueil de Jurisprudence de la Cour n° 1,
Janvier-Juin, 2003, p. 63.
1567
CCJA, Arrêt n° 10/2003, Affaire Epoux Delpech c/ Sotaci, Revue Camerounaise de l’arbitrage, n° 28,
Janvier-Mars 2015, p.17.
1568
CCJA n° 11/2004 du 26 Février 2004 in Penant n° 851, Avril-Juin 2005, note Bakary Diallo, p.230 et Suiv.
1569
Avis de la CCJA n° 1/99/JN du 7 Juillet 1999, Recueil de jurisprudence de la CCJA n° Spécial, Op. Cit.
p.70.

314
l’inapplication de la règle procédurale nationale contraire au droit uniforme dans l’arrêt Epoux
Karnib du 11 Octobre 20011570. La conclusion à laquelle parvient le juge supranational obéit
selon Bakary Diallo à un classicisme qui ne saurait surprendre tout processualiste 1571 .
L’analyse du juge reste conforme à l’esprit et à lettre de l’article 10 relatif à la
supranationalité du traité et 32 de l’AUPSRVE. Pragmatique, le juge rappelle de manière
implicite la supériorité de la norme procédurale communautaire lorsqu’elle existe, sur la règle
procédurale étatique.

297. Si l’autonomie procédurale et institutionnelle ne pose pas dans son principe de


problème particulier, sa consécration soulève une crainte : la disparité du droit procédural et
une application différentielle des règles de fond du droit uniforme. Les possibilités d’une
application différentielle du droit uniforme érigé et un traitement discriminatoire entre les
différentes entreprises1572 de l’espace apparaissent comme les résultats de cette disparité. Les
règles de procédures applicables dans la majorité des Etats de l’OHADA sont antérieures pour
la plupart d’entre eux à leur engagement à être partie à l’OHADA et pourraient donc s’avérer
inappropriées ou impropres à garantir une application efficiente du droit conventionnel. Elles
pourraient être lacunaires, empêchant ainsi le plein effet des règles uniformes et faire mentir
les rédacteurs du Traité sur le niveau d’ambition affiché dans le fait « qu’il est essentiel que ce

1570
CCJA, Arrêt n° 002/2001 du 11 Octobre 2001, Epoux Karnib c/ SGBCI. Procédons à un rappel les faits de
l’espèce. Domicilié à Abengourou en Cote d’Ivoire, les Epoux Karnib, commerçants, avaient obtenu en Janvier
1999 du tribunal civil de la même localité, la condamnation de leur banque, la SGBCI, au paiement de la somme
de 858.486.327 francs CFA, décision assortie d’une exécution provisoire à concurrence de la totalité du
préjudice commercial, soit 683.486.327 francs CFA. Exerçant soit droit au juge, la SGBCI interjette appel et
obtint de la Cour d’Appel d’Abidjan en application des articles 180 et 181 du Code de procédure civile ivoirien,
par ordonnance n° 97/99 du 23 Février 1999, la suspension provisoire des poursuites jusqu’à ce qu’il soit statué
au fond. Sur pourvoi des Epoux Karnib, la CCJA casse et annule l’ordonnance attaquée au motif que le juge
ivoirien en décidant comme il l’a fait d’appliquer les articles 180 et 181 du Code de procédure ivoirien, a violé
les dispositions de l’article 32 de l’AUPSRVE précité qui n’autorise aucune interruption d’une exécution
entamée et, statuant à nouveau, juge que l’exécution forcée entreprise pourra être poursuivie jusqu’à son terme.
Véritable dictum du juge supranational : « les Actes uniformes sont directement applicables et abrogatoires dans
les Etats parties (…) Les juges ivoiriens ne peuvent, sans violer cette disposition, faire application des articles
180 et 181 précités au titulaire d’un titre exécutoire par provision qui a entamé l’exécution, l’article 32 de l’Acte
uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution n’autorisant
aucune interruption de l’exécution ; la seule condition qui reste posée étant celle, par le titulaire d’un titre
exécutoire par provision, d’assumer ses responsabilités si le titre concerné était postérieurement modifié »1570.
Des leçons à tirer de l’arrêt, seule l’inapplication de la loi nationale contraire retient notre attention à l’exclusion
de la question relative à l’exécution provisoire. Sur les développements de l’arrêt non directement liée à la
question des limites à l’autonomie des Etats, v° not. Me. Ipanda, « L’arrêt Epoux Karnib : une révolution ?
Question d’interprétation », Revue camerounaise du droit des Affaires, n° 10, Janvier-Mars, 2002, Ohadata D-
02-07 ; Sylvain Souop, « Pour qui sonne le glas de l’exécution provisoire ? A propos du 2e arrêt de la CCJA »,
in www.ohada.com, Ohadata D-02-06 ; E. Félix Onana, « Quel est le sort des défenses à l’exécution provisoire
dans les Etats membres de l’OHADA », Actualités juridiques, n° 47/2005, 64 ; C. Dogues, « Une déplorable : la
prohibition des défenses à exécution provisoire », Actualités juridiques, n° 28, Juin 2002.
1571
Bakary Diallo, « Principe de l’autonomie institutionnelle et procédurale des Etats parties face à
l’application des Actes Uniformes du droit OHADA », Op. Cit.
1572
Francine Batailler, « Le juge interne et le Droit communautaire », Op. Cit.

315
droit soit appliqué avec diligence, dans les conditions propres à garantir la sécurité juridique
des activités économiques, afin de favoriser l’essor de celles- ci et d’encourager
l’investissement » 1573 . Ceci met simplement en exergue, des obstacles que pourraient
rencontrer l’office du juge sur le chemin de la justice. La mise en œuvre d’un droit commun
se résume à « une règle commune » et « un juge commun ». En effet, en allant à la rencontre
d’une norme substantielle pour laquelle elle n’a pas été a priori édictée, « la règle
procédurale constitue immanquablement un agent pathogène pour une application uniforme ;
et cette contamination est d’autant plus risquée que, pour une même règle de droit uniforme,
ce sont le cas échéant, dix-sept agents pathogènes qui vont se porter à son contact »1574.
Le risque encouru est immense et l’effectivité des droits s’en trouvent fortement
menacés, même si les rédacteurs du Traité ont pensé mettre sous contrôle l’autonomie des
juridictions nationales par l’érection d’un juge de cassation supranational1575. Cette situation
de disparité peut être source d’une trop grande insécurité juridique. Pour des affaires
similaires les réponses peuvent être très différentes, altérant ainsi la qualité des décisions de
justice. S’il est vrai qu’il n’est pas nécessaire de traiter de façon identique une affaire dans
chacun des Etats membres, et même que cela ne semble pas aller de soi, voire impossible, les
résultats obtenus doivent être reçus de la même manière afin d’éviter une jurisprudence qui
irait dans tous les sens. Le juge d’instance et d’appel de l’OHADA a un rôle important à jouer
dans l’application de l’impératif de sécurité juridique. Si l’usager de la justice ne peut exiger
d’avoir droit à une jurisprudence constante, l’inconstance de la règle jurisprudentielle mine les
garanties qui fondent la sécurité juridique. Cette sécurité est demandée avec insistance par le
justiciable qui réclame d’être mis à l’abri de l’instabilité de la jurisprudence. Sécurité qui doit
à tous les instants guider l’action de la justice. Elle exige que les juges fassent preuve de
prudence dans les différentes interprétations des actes uniformes en évitant de remettre en
cause la cohérence de la jurisprudence par une application différentielle du droit OHADA. La
construction d’une justice intégrée de l’OHADA ne nécessite pas forcément d’unifier, mais
certainement d’harmoniser la jurisprudence. Les disparités entre les droits procéduraux
nationaux et leur efficacité variable peuvent compromettre la bonne application du droit
substantiel des affaires, « l’égalité des citoyens et des partenaires économiques au sein d’un

1573
Préambule du Traité. Ambition que l’on retrouve d’ailleurs dans l’ensemble des stipulations de ce
préambule.
1574
Bakary Diallo, « Principe de l’autonomie institutionnelle et procédurale des Etats parties face à
l’application des Actes Uniformes du droit OHADA », Op. Cit.
1575
Erection d’une juridiction suprême commune à laquelle viennent s’ajouter le principe de l’applicabilité
immédiate ou « immédiateté fédérale », la primauté du droit uniforme sur le droit interne des Etats et l’effet
direct du droit conventionnel.

316
espace intégré postulant que les arsenaux judiciaires soient d’un pays à l’autre également
pourvus »1576.

298. Ce schéma apporte d’intéressantes indications sur l’un des principes sur lequel se
fondent les rapports entre le droit de l’OHADA et les droits nationaux. C'est-à-dire, le renvoi
aux règles procédurales nationales et donc, à l’autonomie procédurale et institutionnelle des
Etats. De cette autonomie institutionnelle résulte un corollaire : la diversité des modalités
institutionnelles de mise en œuvre du droit uniformisé. Cette diversité et le risque qu’il
comporte ont été qualifiés par un avocat de « droit d’une tolérance maximale » 1577 .
L’autonomie institutionnelle et procédurale consacrée par le législateur heurte profondément
celui du droit à un accès effectif au juge de façon égalitaire dans l’espace OHADA. L’Etat
reste et démeure le seul compétent en matière d’organisation judiciaire et procédurale dans
l’application de la legislation commune des affaires sur son territoire. Le but de l’autonomie
procédurale lié à la protection juridictionnelle effective est qu'il ne soit pas fait échec à
l'application du droit uniforme1578 . L’autonomie procédurale semble donc être un principe
général « par défaut » qui ne vaut qu’en l’absence de réglementation posée par l’OHADA.
Bien que principe par défaut, il imprime une sérieuse marque sur l’office du juge interne, juge
de droit commun, sans pour autant apporter de solution à la situation plus ou moins
inquiétante du défaut d’harmonisation du droit pénal des affaires.

2. La situation particulière et inquiétante du droit pénal des affaires

299. L’OHADA se caractérise aujourd’hui par de grandes disparités au sein de l’espace


pénal. Et pour cause, le droit pénal et l’ensemble des éléments qui le constitue à savoir les
peines sont traditionnellement considérés et présentés comme une affaire nationale,
l’expression privilégiée de la puissance régalienne 1579 . Si le législateur pénal national
détermine généralement dans le même texte pénal l’incrimination et la sanction encourue,
l'OHADA a effectué un choix différent. Le droit OHADA établit en la matière, un concours
de compétence normative 1580 . Aux termes de l’article 5 du Traité, « les actes uniformes

1576
Communication de la Commission européenne au Conseil et au Parlement européen, « Vers une
efficacité accrue dans l’obtention et l’exécution des décisions au sein de l’Union européenne », JOCE, C33, 31
janvier 1998, p. 11, n° 30.
1577
Bakary Diallo, « Principe de l’autonomie institutionnelle et procédurale des Etats parties face à
l’application des Actes Uniformes du droit OHADA », Op. Cit.
1578
Cf. David Tayar, Adrien Giraud, « L'autonomie procédurale des Etats membres à l'épreuve du principe
d'effectivité du droit communautaire : la Cour est-elle un arbitre impartial ? », LPA 4 Juillet 2007, n°133, p.8.
1579
Catherine Tzutzuiano, L’effectivité de la sanction pénale, Thèse, Droit, Op. Cit.
1580
Corneille Moukala-Moukoko, « L’état de l’application du droit penal des affaires ohada dans les Etats-
parties », ERSUMA.

317
peuvent inclure des dispositions d’incrimination pénale. Les Etats parties s’engagent à
déterminer les sanctions pénales encourues ». Il résulte un inconvénient de ce concours de
compétence normative en matière de droit pénal des affaires. La disparité entre les
dispositions nationales, susceptibles de relativiser la portée pratique de l’uniformisation1581.
L’unilatéralité qui caractérise à l’heure actuelle la liberté des Etats parties dans la
détermination des peines applicables en matière pénale ouvre la voie au risque d’apparition et
de développement des « paradis pénaux » 1582 , aussi désignés sous les vocables de « pays
refuges », « forum shopping »1583. Il s'agit dans sa version originelle d'une pratique rencontrée
en contentieux international, et par laquelle un plaideur procède au choix d'un tribunal pour y
porter son procès 1584 . Il s’agit simplement de l’attitude qui revient à sélectionner une
juridiction afin, soit de bénéficier d’un avantage accordé par le droit matériel
du for, soit d’écarter le droit défavorable du for d’un autre État1585 ou encore dans un sens
plus large, du « choix d’un forum donné, fondé sur la conviction que ce forum est le plus à
même d’atteindre un résultat donné »1586. Dans le cas d’espèce, il s’agit de bénéficier des
sanctions pénales les plus souples. Transposés à la matière pénale, les termes traduisent dans
l'ordre international contemporain les deux facteurs propices au développement du paradis
pénal : d'une part, il offre en réalité, la possibilité au plaideur de porter son choix sur le for
dont la sanction pénale applicable à une infraction donnée serait moins lourde, que celle
appliquée par les autres Etats du même espace. D'autre part, il lui fournit les motifs d'exploiter
cette faculté de choix. Constitueront les paradis pénaux, les Etats de l’OHADA qui, pour
diverses raisons connues et non connues adopteront les sanctions les moins sévères qui auront
ainsi pour effet d’attirer des investisseurs peu enclins à se conformer aux dispositions du droit
uniforme.

300. L’idée d’introduire dans le droit des affaires OHADA, un pan du droit pénal est
salutaire et s’explique aussi bien par la nécessité d’assainir le monde des affaires, que

1581
Roger Massamba, « Le cadre normatif de l’ohada à la croisée des chemins », Op. Cit., p. 25.
1582
M. Delmas-Marty, Droit pénal des affaires, partie générale : responsabilité, procédure, sanction, Tome 1,
3ème éd., PUF, Paris, 1990.
1583
Expression commune du vocabulaire de base en droit international privé, elle est née pour exprimer une
connotation défavorable, sinon péjorative, désignant une activité considérée par la doctrine et la jurisprudence
comme déplorable ou empoisonnante, si ce n’est mauvaise, et, partant, devant être découragée. Voir Franco
Ferrari, « Forum shopping : pour une définition ample dénuée de jugements de valeurs », Rev. Crit. DIP,
2016/1 N° 1, pp. 85-105.
1584
Pascal de Vareilles-Sommières, « Le forum shopping devant les juridictions françaises », Droit international
privé : travaux du Comité français de droit international privé, 14e année, 1998-2000. 2001. pp. 49-82.
1585
Franco Ferrari, « Forum shopping : pour une définition ample dénuée de jugements de valeurs », Op. Cit.,
p. 95. L’auteur reprend ici, une définition du forum shopping proposée par des juges américain.
1586
Ibid., p. 99.

318
d’instaurer des règles pour équilibrer le jeu de la concurrence et de discipliner les opérateurs
économiques dont les moyens usités pour réaliser les bénéfices ne sont pas toujours des plus
recommandés. Cependant, le processus amorcé est risqué. Pour être plus concret, sur les 17
membres de l’organisation, seuls quatre1587 ou six1588 à ce jour, ont pris des lois portant sur les
sanctions pénales applicables aux infractions1589 contenues dans certains actes uniformes1590.
Cependant, si les Etats ci-dessous énoncés se sont montrés soucieux de l’idéal d’intégration
juridique, il n’en demeure pas moins qu’entre eux, les sanctions adoptées par les uns et les
autres mettent en exergue la disparité supplémentaire qui les lie. Certains se sont montrés plus
rigoureux que d’autres. La simulation de souscription et de versement 1591 est soumise au
Sénégal une peine 1 an à 5 ans d’emprisonnement et une amende allant de 100.000 à
1.000.000 CFA ou de l’une de ces deux peines seulement ; au Cameroun les peines prévues
vont de 3 mois d’emprisonnement à 3 ans et d’une amende de 500.000 à 5.000.000 de CFA
ou l’une de ces deux peines. En République Centrafricaine, la peine de prison varie entre 1 an
et 5 ans et une amende allant de 1.000.000 à 5.000.000 francs CFA1592. Ces peines sont les
même pour la publication des faits faux ; pour l’établissement du certificat de dépôt des
souscriptions ou de versements ; la surévaluation des apports en nature1593. Quant à l’émission
des actions1594, l’arsenal Sénégalais n’a prévu qu’une simple peine d’amende, pendant que le
Cameroun et la Centrafrique sont plutôt assez répressifs. Les trois Etats partagent le même

1587
Le Sénégal à travers sa loi n°98-22 du 26 mars 1998 portant sur les sanctions pénales applicables aux
infractions contenues dans l’acte uniforme relatif aux droits de sociétés commerciales et du groupement d’intérêt
économique ; le Cameroun par la loi n°2003/008 du 10 juillet 2003 portant Répression des infractions contenues
dans certains actes uniformes Ohada ; la République Centrafricaine (RCA) par l’introduction des sanctions
relatives aux infractions incriminées dans les actes uniformes Ohada dans la loi n°10.001 du 06 janvier 2010
portant Code pénal Centrafricain et le Bénin avec sa Loi L 2011-20 portant lutte contre la corruption et autres
infractions.
1588
La République du Congo-Brazzaville s’inscrivait dans cette logique, avec son projet de loi portant «
détermination des sanctions pénales aux infractions prévues par les actes uniformes du traité de l’Ohada relatifs
au droit commercial général, au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, au
droit comptable, au droit des sûretés et au droit des procédures collectives d’apurement du passif » ; Projet de
code pénal Titre V : des peines applicables aux infractions prévues par les Actes uniformes de l’Ohada.
1589
Les infractions réprimées par le droit Ohada porte généralement sur la constitution de la société,
l’organisation et le fonctionnement de la personne morale constituée, d’autres visent les dirigeants ou les
liquidateurs de société et portent sur certaines causes de dissolution ou de la liquidation des sociétés. Enfin, il y a
des infractions qui concernent le contrôle des sociétés.
1590
Quatre Actes uniformes sont concernés : le droit des sociétés commerciales et du Groupement d’Intérêt
Economique, les procédures collectives d’apurement du passif, le droit des Sûretés, et le droit commercial
général.
1591
Objet de l’article 887 de l’AUSCGIE
1592
Le législateur camerounais s’est montré comme étant le plus rigoureux sur l’amende suivi du Sénégal et de
la République centrafricaine. Le Sénégal et la République centrafricaine étant plus sévères sur la peine privative
de liberté.
1593
Cf. Article 887 al. 4. de l’AUSCGIE.
1594
Cf. Article 886 de l’AUSCGIE.

319
1595
esprit sanctionnateur pour les faits relatifs au refus de contrôle . Les peines
d’emprisonnement pour cette infraction au Sénégal et RCA sont les mêmes, soit de 1 an à 5
ans et de 500.000 à 5.000.000 CFA d’amende ou l’une de ces deux peines seulement ; le
Cameroun fait varier sa peine entre 2 ans et 5 ans d’emprisonnement et une amende de
500.000 à 5.000.000 de francs ou l’une d’entre elles ; Pour la R.C.A l’amende va de
1.000.000 à 5.000.000 de francs CFA. Le maximum des peines de prison et d’amende est le
même pour les trois législations, avec des variations au niveau des minima respectifs.
Cette tendance à sanctionner différemment les mêmes infractions, est perceptible pour
l’ensemble des infractions prévues par le droit pénal des affaires OHADA, même si les
différences entre ces Etats ne sont pas significatives. Mais qu’en est-il des autres Etats
membres ? On peut se risquer à poser l’hypothèse selon laquelle, une étude comparative,
même brève entre l’ensemble des législations des Etats qui constitue l’espace OHADA mettra
en exergue des disparités significatives sur les peines et les qualifications retenues1596. Deux
sources irriguent en effet, le droit pénal des affaires OHADA. Le droit uniforme se complète
des droits nationaux auxquels il est systématiquement fait appel par des renvois législatifs,
l’usage de périphrases ou termes génériques, ou encore la séparation des compétences en
matière pénale. Ce risque d’apparition des paradis pénaux inquiète puisque à terme, pourrait
entrainer la mise en place de véritables multinationales spécialisée dans la délinquance
financière, du crime avec une option d’exportation de la criminalité. La rigueur d’une
législation, la souplesse de l’autre constituerait le critère du choix des lieux de commission
d’infractions.

301. De l’ensemble de ces considérations, il résulte que la dévolution de compétence aux


législateurs nationaux pour la détermination des sanctions relatives aux infractions contenues
dans certains Actes uniformes, même si elle peut au fond être justifiée, pose des problèmes de
politique criminelle dont l'acuité pourrait encore longtemps alimenter la réflexion et la
recherche1597. L'apparition des paradis pénaux, faute d’harmonisation des sanctions conduirait
a ce résultat qu'en cas de pourvoi en cassation portant sur une infraction pénale, celui-ci soit
partager entre la CCJA compétente pour apprécier si le délit est constitué, et la Cour suprême

1595
Objet des articles 889, 710, 716 de l’AUSCGIE.
1596
Voir pour un début de comparaison l’étude de Kaman M.T. Kouadio, « la répression des infractions issues
de l’AUSC-GIE dans les pays membres de l’OHADA talon d’achille de l’OHADA », in RDAA, Novembre 2015.
1597
V. D.J. Muanda Nkole Wa Yahvé, Comprendre le droit pénal des sociétés issu de l’OHADA, Cerda,
Kinshasa, 2011, p.69.

320
nationale compétente pour apprécier la légalité de la sanction1598. L’auteur d’une note sur cet
arrêt de la CCJA soutient que « les incriminations pénales adoptées par le législateur de
l’OHADA ne semblent pas empêcher les juridictions nationales de retenir des qualifications
concurrentes qui font échapper le contentieux de la qualification de l’infraction à la
compétence de la CCJA » 1599 . L’auguste juridiction n’exerçant son pouvoir de juridiction
suprême que pour apprécier la qualification de l’infraction, tout en s’abstenant d’apprécier
celle relative à la légalité de la sanction ou de donner la nature de la peine adéquate1600. La
juridiction s’est en effet déclarée incompétente à connaître d’un pourvoi formé contre une
décision faisant application de sanctions pénales lorsqu’elle déclare que la « Cour de céans ne
peut connaître, par la voie du recours en cassation, des affaires qui, bien que soulevant des
questions relatives à l’application des Actes uniformes et des Règlements prévus au Traité,
concernent des décisions appliquant des sanctions pénales ». C’est dire qu’au-delà de la
structure des juridictions, les risques de disparité notamment sur le droit pénal substantiel des
Etats peuvent affecter l’efficacité et le rayonnement de l’edifice mis en place. Le traité affiche
de manière non équivoque la volonté de mettre fin d’une part, à l’insécurité juridique
caractérisée par la vétusté et la disparité des textes ; d’autre part, l’insécurité judiciaire
résultant de la faiblesse des systèmes de justice de ces différents pays. La supériorité du droit
uniformisé sur le droit interne n’entraine pas forcément son uniformité, encore moins
l’exclusivité de son application. Il faut donc nécessairement que solution soit apportée à cette
disparité.

302. Le dépassement des disparités des systèmes pénaux est indispensable si l’on souhaite
limiter l’impact de la disparité de la matière pénale dans le processus d’intégration juridique.
Parce que le droit pénal est animé par l’idée de protection de la souveraineté des Etats,
l’uniformisation du droit pénal des affaires n’est certes pas envisageable, pour laisser aux
Etats une marge de manœuvre. Par conséquent, le rapprochement des qualifications,
incriminations, sanctions, voire des modalités d’exécution par la voie de l’harmonisation reste
pour nous la voie à privilégier. Celle-ci pourrait être mise en place sur un fil d’ariane, celui

1598
C’est notamment le cas dans l’affaire CCJA, Arrêt n° 053/2012 du 7 juin 2012, Port Autonome de Douala c/
Ministère Public.
1599
Joseph Kamga, note sur l’Arrêt CCJA n° 053/2012 du 7 juin 2012, Port Autonome de Douala c/ Ministère
Public ; Voir aussi D. Ndiaw, « Actes Uniformes et droit pénal des États signataires du Traité de l’OHADA : la
difficile émergence d’un droit pénal communautaire des affaires dans l’espace OHADA », Revue Burkinabé de
droit, 2001.
1600
Application stricte de l’article 14 al. 3 du Traité OHADA aux termes duquel : « saisie par la voie du recours
en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’appel des Etats parties dans
toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des Règlements
prévues au présent Traité à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales ».

321
des sanctions pénales « effectives, proportionnelles et dissuasives ». En d’autres termes, dans
la mesure où l’ensemble des Etats qui constitue l’espace de l’OHADA, fondent leur
législation sur ce fil d’ariane, ils sont libres de déterminer le type de peine et son montant.
Dans le cas contraire, des réajustements s’imposeraient. Cette harmonisation des sanctions
pénales pourrait par exemple, être articulée par la fixation d’un seuil minimal et ou maximal
de peines que le législateur national serait tenu de respecter. Une harmonisation sur le niveau
de la sanction pénale, serait un pas indéniable vers une protection effective et équivalente
dans l’espace de ce droit des affaires. Pour les clients du supermarché régional de la
justice1601, il est essentiel de limiter sa liberté à opérer un choix quant à la répression des
infractions au droit pénal des affaires qui pourraient lui être imputées. Cela passe par des
quanta de peines similaires et des sanctions comparables. Le rapprochement des législations
pénales éviterait que chaque État ne se transforme en paradis pénal à l’encontre des autres. En
harmonisant leurs législations, les États réduiraient les différences entre les droits nationaux.
Les criminels perdraient ainsi tout intérêt à s’établir dans tel ou tel État. Ce qui renforcerait
l’idéal d’intégration africaine.

B. L’idéal d’intégration africaine et similitude des compétences

303. La multiplication des conventions entre Etats en Afrique noire francophone a eu pour
résultat, la création de plusieurs institutions régionales, chacune adossée à un corps de règles
spécifiques. Le phénomène suscite chez les juristes, crainte et inquiétude1602. S’il est vrai que
ce n’est pas en soi la pluralité qui pose problème, mais les difficultés procédurales ou conflits
qu’une telle évolution susciterait. Ce foisonnement et la concurrence d’institutions à vocation
régionale qui caractérise l’espace africain a conduit à l’érection d’organisations et de règles à
buts identiques. Ce modèle d’intégration régionale fondé sur un foisonnement d’institution a
débouché sur une inflation juridictionnelle.

304. Inaugurés précisément en occident 1603 , les besoins d’union ont aussi trouvé un
terrain fertile en Afrique, notamment dans la période des revendications indépendantistes. La
recherche de la meilleure recette à l’ « Africa must unite » de Nkwame Nkrumah 1604

1601
Pascal de Vareilles-Sommières, « Le forum shopping devant les juridictions françaises », Op. Cit.
1602
G. Taty, « Juge à la Cour de la justice de la CEMAC », Allocution d’ouverture des rencontres inter
juridictionnelles CEMAC, UEMOA, OHADA.
1603
Avec la création des organisations telles que la Société des Nations, l’Organisation des Nations unies, les
relations commerciales entre Etats basées sur le système du General Agreement on Tarrifs and Trade (GATT),
transformé en 1995 en Organisation mondiale du commerce (OMC), etc.
1604
V. K. Nkrumah, L’Afrique doit s’unir, coll. Textes politiques, Paris, Éditions Présence africaine, 2001, 256
pp. Cet appel à s’unir a été lancé dès 1963 avec la parution de la première édition du livre en anglais.

322
traduction du brocard populaire selon lequel « l’union fait la force » au lendemain des
indépendances trouvera écho au sein des Etats africains, mais démembré. Car à défaut d’une
unité de l’ensemble du continent, les Etats ont opté pour une union progressive axée sur des
ensembles régionaux ou sous régionaux. Dans un contexte de mondialisation, où le secteur
privé devient progressivement et dorénavant le véritable moteur de développement, une
évolution en rang dispersé serait plus préjudiciable que bénéfique 1605 . Cette conception
démembrée de l’unité, a ainsi donné à lieu à la création de nombreuses institutions
communautaires basées sur la proximité géographique de ses membres, dont l’objectif
désigné pour la majorité d’entre elles est de renforcer les relations économiques, monétaires et
juridiques afin d’affronter une mondialisation basée sur la concurrence1606. L’intégration par
la création de regroupements régionaux ou sous régionaux se déroule selon une dynamique
duale simple : la création d’institutions administratives chargées de mettre en place le
processus d’intégration, la rédaction de normes juridiques et l’institution d’une juridiction
supranationale chargée de la résolution des litiges, de la régulation des rapports entre
membres et de l’application des règles communes établies. Le phénomène est spécifique à
l’ensemble des sous régions du continent africain. L’autre facteur commun liant ensemble le
processus de regroupement régional réside, dans la similitude ou presque des matières
harmonisées : économique et juridique. L’abondance des organes ou institutions de
regroupements sous-régionaux se caractérise de facto par l’adoption de règles en des matières
identiques. L’UEMOA (Union Economique et monétaire Ouest Africaine), la CEMAC1607,
1608 1609
l’OHADA , la CEDEAO , outre quelques différences, partagent la commune
particularité de donner une forte impulsion au processus d’intégration en vue d’améliorer et
de renforcer la croissance économique des Etats parties. Cependant, la faiblesse pour
plusieurs d’entre elles, de leur pouvoir décisionnel, leur télescopage ou enchevêtrement de
compétence, l’ineffectivité des décisions qu’ils rendent, constituent, entre autres, des entraves
sérieuses à la réalisation de l’idéal d’intégration souhaitée et au développement économique
tant recherchée, et surtout à l’établissement de la sécurité juridique au sein de ces espaces

1605
L’évolution de la mondialisation de l’économie a en effet conduit à un partage, de facto, des zones
d’influences et une répartition des marchés entres trois zones : Américaines, Européennes et Asiatiques.
1606
Éric-Adol T. Gatsi, « Coopération judiciaire entre les états de la CEMAC : vers un espace judiciaire
commun ? », in Revue de droit international et de droit comparé, 2016, n° 2, pp. 159-213.
1607
Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale
1608
Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires
1609
Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest.

323
régionaux 1610 . Par ailleurs, dans la mesure où chacune des juridictions supranationales est
chargée de l’application du Traité et du droit de son institution de rattachement, les conflits de
normes et de juridiction paraissent difficiles et éluctables. Ce qui sous entend, des « ordres
juridiques autonomes », et la certitude d’une limitation, sinon l’absence des conflits entre
juridictions.

305. Toutefois, la situation devient moins simple en cas de pourvoi en cassation, lorsque le
justiciable opte de saisir une autre juridiction de cassation, parce que les législateurs ont choisi
de légiférer sur des matières communes 1611. La flexibilité du champ matériel du droit des
affaires OHADA, pourrait constituer dans l’avenir, un facteur de multiplication des
interactions entre les différentes entités d’intégration régionale. Le justiciable portera par
exemple son litige devant la CCJA en lieu et place de la Cour de justice CEMAC en
invoquant pour justifier son action, des moyens de droit relatifs aux règles juridiques de
l’OHADA. On vera ainsi naitre un forum shopping des juridictions de cassation, fondé sur le
degré de protection juridique offerte par chacune d’entre elles. Elles se retrouvent donc en
concurrence dans la protection des droits – en droit interne pourtant, l’organisation du
système judiciaire vise à établir, à chaque fois pour un litige donné, une seule juridiction
compétente – qui découlent de ces législations respectives et dans la sauvegarde des droits
fondamentaux. La concurrence entre les juridictions incitera le justiciable à choisir celle des
deux Cours, qui semble lui offrir le plus de garanties, celle la plus à même d’accorder aux
plaideurs les gages d’une protection efficace et effective, gage d’une bonne administration de
la justice 1612 . Cette donne est susceptible de créer un double standard de protection dans

1610
Voir Jacques Fipa Nguepjo, Le rôle des juridictions supranationales de la CEMAC et de l’ohada dans
l’intégration des droits communautaires par les Etats membres, Thèse, Droit, Université Panthéon Assas, 2011,
p. 17.
1611
Certains domaines font l’objet d’une double réglementation. Il existe en effet un Règlement CEMAC sur le
transport de marchandises par route, un Acte uniforme OHADA sur le transport de marchandises. La
concurrence, l’activité des établissements financiers ont fait l’objet d’une réglementation CEMAC, le droit
comptable CEMAC, avant d’être aligné sur le droit comptable OHADA.
1612
La célèbre Affaire Commercial Bank Cameroon c/ République de Guinée équatoriale peut logiquement
servir d’illustration. Les faits de l’espèce sont les suivants : Le groupe C.B.C avaient réussi à obtenir des
autorités équato-guinéennes une autorisation d’ouverture d’une filiale en Guinée et un agrément accordé par la
COBAC (Commission bancaire de l’Afrique centrale) sur demande de la Guinée en application des dispositions
des Règlements CEMAC et COBAC. Cependant, à quelques mois de l’ouverture de la Commercial Bank Guinée
Equatoriale (CBGE), les autorités guinéennes procèdent à l’annulation de l’autorisation accordée deux ans plus
tôt. Ce qui mettra fin à l’existence de la CBGE malgré la constitution de l’établissement te la construction du
siège de l’établissement. La recherche d’une solution à ce litige conduira la Commercial Bank à saisir la CCJA,
afin que le tribunal arbitral soit désigné. La convention d’établissement prévoyait en effet qu’en cas de litige, un
tribunal arbitral serait constitué sous l’égide de la CCJA. S’il est vrai que les parties avaient porté leur choix sur
le tribunal arbitral, la Cour de justice CEMAC pouvait également connaitre du litige, dans la mesure où
l’ouverture d’une filiale se fait en application des dispositions communautaires CEMAC relatives à la libre
circulation des personnes morales et au droit d’établissement. Fondée sur un agrément accordé par la COBAC,
l’arrêt intervenu des activités de la filiale guinéenne par un simple acte administratif des autorités guinéennes

324
l’espace des juridictions communautaires, compliquant la tâche des juridictions de droit
commun, notamment les juridictions nationales 1613 . Est-il acceptable que les principes
inhérents au droit à une bonne justice soient appliqués différemment en fonction de la
juridiction saisie ? La célèbre Affaire Commercial Bank Cameroon c/ République de Guinée
1614
équatoriale sert de parfait d’exemple de la marginalisation de l’une des Cours
supranationales au profit de l’autre. Celle-ci ira d’avantage en se complexifiant
corrélativement au développement normatif des différentes organisations régionales ou sous
régionales1615, si des pistes de solutions à une limitation, élimination de ces risques ne sont
pas trouvées.

Paragraphe III. L’élimination des risques


306. Envisager l’élimination des risques sur lesquels nous nous sommes appesantis
nécessite une double démarche ; selon que le risque à prévenir concerne la disparité ou l’idéal
d’intégration et la similitude des compétences des organisations. L’esquisse de résolution de
la disparité (A) des droits nationaux, précédera la mise en avant de l’approche dynamique
comme solution à d’éventuelles difficultés procédurales (B).

A. Esquisse de résolution de la disparité

307. La règle nationale de procédure est le véritable moyen d'exécution du droit substantiel
communautaire 1616 . Matériellement, et « substantiellement », les règles nationales de
procédure apportent du grain à moudre à la réalisation des règles juridiques, fussent elles
uniformes ou communautaires. Pourtant celles-ci sont caractérisées dans l’espace OHADA,
par leur forte disparité. Nous appelons donc à une résolution de cette disparité. Ce qui pose
d’emblée le problème de la méthode, l’approche à envisager. La procédure sert l’effectivité
des droits fondamentaux, la réalisation du résultat pour lequel le droit uniforme a été adopté.
Le principe de cohérence commande que dans un espace juridique intégré doté d’un droit

s’est fait en violation de l’agrément COBAC, seule institution compétente pout mettre un terme aux activités de
la filiale. Interrogées, le choix des autorités de Commercial Bank pour un tribunal arbitral CCJA en lieu et place
de la Cour de justice CEMAC étaient fondé quant à ses doutes sur la neutralité de la COBAC et l’indépendance
de la justice communautaire CEMAC. Voir à cet effet, les analyses et les interviews réalisées par AGA-
MEDIAS, le 23 Juillet 2009, sur le site officiel de ce réseau d’informations, www.aga-media-Inc.ning.com.
1613
Voir not. Pierre Kamtoh, « La mise en œuvre du droit communautaire CEMAC dans les Etats membres »,
Actes du Colloque de Yaoundé sur les institutions communautaires CEMAC, Yaoundé, 2003, GIRAF-AIF.
1614
Voir note n° 365.
1615
Un Acte uniforme Ohada sur la médiation a en effet vu le jour ; L’agenda du Conseils des ministres de
l’OHADA prévoyait en 2011, l’adoption de l’Acte uniforme sur le droit du travail. Il existe des avant-projets
d’actes uniformes sur les contrats et la concurrence, la rédaction d’un avant-projet d’acte sur les sociétés
coopératives.
1616
Francine Batailler, « Le juge interne et le Droit communautaire », Op. Cit., p. 767.

325
substantiel commun, qu’il y ait un minimum de règles de procédure communes. La
justification est simple : « quand chacun fait ses règles, tout se dérègle »1617. Pour rapprocher
les droits processuels, l’hypothèse proposée par Madame M. Delmas-Marty, est la « mise en
compatibilité » 1618 des différences. Celle-ci constitue un instrument efficace à même de
réduire les inconvénients dus à la diversité des règles nationales de procédure. Les enjeux sont
connus, mais il faut en matière procédurale parler le même langage. Ce n’est pas du choix de
la langue de travail dont il s’agit ici, mais du risque d’éloigner les investisseurs par un déficit
de sécurité judiciaire dans l’espace OHADA dû à la disparité du droit procédural applicable.
L’approche du Professeur M. Delmas Marty, intègre plusieurs processus1619 qui marquent une
gradation dans le processus d’intégration, desquels nous retiendrons l’harmonisation de type
horizontal, c'est-à-dire le rapprochement des normes et des pratiques nationales autour de
définitions communes ou de principes directeurs communs. Moins invasive que l’unification,
elle préserve, implicitement ou explicitement, une marge nationale d’appréciation, qui peut
s’analyser comme une sorte de droit à la différence reconnu à chaque Etat. Le rapprochement
pourrait porter sur le régime du droit au juge en droit OHADA, sur le régime d’administration
judiciaire de la preuve, sur le mode d’introduction d’instance, sur les notifications, le régime
des voies de recours devant les juges de fond. Le principe des « loi-modèles, lois-types »1620
déjà connu par l’OHADA permettra d’y arriver sans difficulté.

308. Si le rapprochement des droits processuels, des systèmes de droit pénal nationaux par
le biais de principes directeurs semble justifié, l’uniformisation des règles doit tenir compte
du dogme de la souveraineté des Etats en matière procédurale ; pour respecter un certain
équilibre et ne pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs de l’OHADA.
Autrement dit, toute mesure de rapprochement doit être proportionnelle au but recherché. La
primauté absolue du droit uniforme pourrait constituer une source d’opposition. Se doter de

1617
Cette phrase est un slogan d’incitation à la civilité affiché au premier trimestre 2011 dans les bus français de
la RATP (Régie Autonome des Transports Parisiens) cité par Joseph Kamga, « Réflexions concrètes sur les
aspects judiciaires de l’attractivité économique du système juridique de l’OHADA », Op. Cit.
1618
M. Delmas-Marty, « La mondialisation du droit : chances et risques », Rec. Dalloz, 1999, Chroniques, p.
43 et suiv. spéc. p. 47.
1619
Y figurent la coopération, la coopération renforcée, l’assimilation, l’unification, l’harmonisation. Voir sur la
question Mireille Delmas-Marty, « A la recherche du langage commun », in Harmonisation des lois pénales, pp.
373-377 ; M. Delmas-Marty, « Le phénomène de l’harmonisation », in L’harmonisation du droit des contrats,
Economica 2000, p. 18 et s ; M. Delmas-Marty, « Études juridiques comparatives et internationalisation du
droit : Leçon inaugurale prononcée le jeudi 20 mars 2003 », In: Études juridiques comparatives et
internationalisation du droit: Leçon inaugurale prononcée le jeudi 20 mars 2003, En ligne, Paris: Collège de
France, 2003 consulté le 25 décembre 2019. Disponible sur : http://books.openedition.org/cdf/2700.
1620
Cf. Rapport général de la deuxième réunion des Forces vives de l’Ohada, Cotonou, 17 et 18 octobre 2012,
p. 6 ; Rapport général du colloque organisé à l’occasion de 20e anniversaire de la création de
l’Ohada sur le thème « Ohada, 20 ans déjà : Bilan et perspectives », p. 4.

326
règles processuelles proportionnelles aux hautes ambitions de son droit substantiel est le défi à
venir de l’OHADA, qui aura pour fonction de pallier les inconvénients des divergences
nationales en matière de procédure civile et droit pénal des affaires.

309. Quel que soit la méthode de rapprochement envisagée, certains préalables doivent être
pris en compte : le premier, mettre en conformité les droits nationaux 1621 avec le droit
uniformisé comme proposée par le Professeur Issa Sayegh. A ce jour, seuls quatre Etats
membres1622 sur dix huit ont effectué une mise en conformité bien que celle-ci soit partielle.
Ce qui fait moins de un pour cent. Le second, le desserrement du joug des contraintes
nationales. En effet, l’expression de la souveraineté des Etats de l’OHADA constitue à la fois
une force et une faiblesse, le bon et le mauvais risque, en fonction du choix du degré de
réalisation de l’intégration recherchée1623 par les Etats. A défaut de l’élimination des risques,
la sécurité juridique, la construction d’un droit attractif pour les investisseurs restera une
ambition étouffée dans l’œuf et paralysée par des risques.

B. La mise en avant de l’approche dynamique comme solution à d’éventuelles


difficultés procédurales

310. Rien ne garantit le résultat, mais les pratiques communautarisantes montrent déjà la
possibilité d’une réussite justifiée par les nombreuses interactions, judicaires et normatives
entre ensembles juridiques nationaux et sous régionaux ; que celles-ci soient imposées, ou
spontanées. Cette approche dynamique commencerait par la concertation. Cette concertation
existe déjà dans la mesure où il est observé une forte tendance des autorités de la CEMAC à
aligner leur législation sur celle de l’OHADA, toutes les fois que les textes de la CEMAC sont
susceptibles de créer des divergences entre les deux entités1624. La Charte des investissements
de l’Afrique centrale prescrit par exemple à l’ensemble des Etats membres de la CEMAC de
se conformer à la législation de l’OHADA dans la mise en œuvre de cette Charte. Toutefois,
les voies de la coopération ou de la concertation semblent insuffisantes à résoudre de façon

1621
Le processus de mise en conformité porte tant sur la recherche de substituts aux périphrases et le relevé des
incriminations pénales attendant la fixation de peines par le législateur national que sur l’examen et
l’identification des dispositions nationales abrogées ainsi que l’indication de celles qui survivent, soit parce
qu’un acte uniforme y fait un renvoi, soit parce que la règle nationale n’est ni contraire, ni identique aux
dispositions du droit uniforme.
1622
Cameroun, Sénégal, Togo, Bénin.
1623
H.M. Moneboulou Minkada, « L’expression de la souveraineté des Etats membres de l’OHADA
(l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires): une solution-problème a l’intégration
juridique », in Revue de L’Ersuma, Droit des Affaires-Pratiques professionnelle, n° 3 septembre 2013, pp.185-
214.
1624
La concertation entre la CEMAC et l’OHADA a permis d’harmoniser l’action normative des organisations.
Le Règlement CEMAC n° 17/99 du 17 Septembre 1999 portant Charte des investissements de l’Afrique centrale,
est le fruit de cette concertation.

327
définitive la question de la concurrence entre les juridictions supranationales. La
coopération 1625 ou la concertation est une étape qui doit mener à une harmonisation du
processus d’intégration dans son ensemble.

311. La prochaine étape de l’approche dynamique doit conduire à une adoption d’un droit
unique. L’avènement de nos vœux d’un droit uniforme unique est un processus. La Cour de
justice CEMAC en a déjà posée quelques fondements. La réponse donnée par la Cour sur les
rapports entre droit OHADA et droit CEMAC, invite à le penser. Dans un avis consultatif1626
rendu sur demande de la COBAC notamment sur d’éventuelles contradictions entre les
dispositions des Actes uniformes et l’Avant-projet de la COBAC portant règlement sur les
systèmes, moyens et incidents de paiement est sans appel. Après avoir relevés que les
dispositions de l’Avant-projet étaient susceptibles d’être contraires aux Actes uniformes
notamment, l’Acte uniforme sur les Procédures simplifiées de recouvrement et voies
d’exécution (AUPSRVE), la Cour va affirmer la primauté du droit OHADA sur celui de la
CEMAC 1627 . La Cour sous régionale centrafricaine introduit ainsi, même s’il reste à être
confirmé, les prémisses d’un principe de hiérarchie entre les deux institutions au profit de
l’OHADA. L’avis de la Cour de justice CEMAC pose le premier pas de la supériorité du
droit OHADA sur celui de la CEMAC. Il signifie notamment que les actes juridiques pris par
les autorités de la CEMAC doivent, sous peine de nullité, être conformes au droit primaire et
dérivé de l’OHADA et partant, la prévalence de la CCJA sur la Cour de justice CEMAC. Cet
avis pourrait aussi impliquer des changements similaires en Afrique de l’Ouest avec
l’UEMOA pendant de la CEMAC dans cette région. C’est une étape que devrait amorcer la
constellation des institutions de regroupement sous-régionales identiques à l’OHADA. Certes,
difficile et exigeante dans un continent ou la souveraineté nationale, le nationalisme des Etats
et l’évolution en rang dispersé restent assez marqués, « cette voie d’unicité n’est (pourtant)
pas inaccessible, elle exige seulement une démarche méthodique par paliers »1628, dont la
coopération comme souligné serait une première étape. Elle viserait à terme, l’emergence
d’un droit communautaire unique. Sauf qu’à notre connaissance, et il faut le souligner avec

1625
Voir par exemple la convention signée entre l’OHADA et la CEMAC ; Karen Ziemek, « Les droits
communautaires africains », Dakar 5 mai 2006, consulté le 12 janvier 2020 à 19h disponible en ligne sur
www.fes-sn.org.
1626
Cour de justice CEMAC, Avis du 9 avril 2003 portant sur l’avant-projet de règlement sur les systèmes,
moyens et incidents de paiement, Revue trimestrielle de droit africain Penant, 2007, n° 858, p. 122.
1627
« Les Actes uniformes priment sur « les normes primaires et dérivées issues du Traité de la CEMAC »,
Dispositions de l’Avis du 9 avril 2003 portant sur l’Avant-projet de règlement sur les systèmes, moyens et
incidents de paiement, Op. Cit.
1628
H. Tchantchou, La supranationalité judiciaire dans le cadre de l’OHADA, Op. Cit.

328
regret, aucun acte juridictionnel rendu par la juridiction centrale africaine n’en a donné la
confirmation.

Conclusion du Chapitre Second

312. Le droit à la justice favorise donc la réalisation des attentes objectives des citoyens et
opérateurs du droit en mettant à la disposition de ces derniers, les moyens d’assurer la
protection de leurs intérêts. Mais le modèle initial de l’administration de la justice, la
dimension objective de ce droit fondamental mérite d’être revue pour en garantir l’effectivité,
cette dernière précédant l’efficacité, et la justice étant le seul pouvoir régalien qui possède le
nom d’une vertu.
Précisément, les développements qui ont constitué l’objet consacrés à ce chapitre,
s'expriment sous la forme non seulement de propositions de solutions aux pesanteurs quant à
la manière dont la justice est administrée et rendue, mais aussi sous la forme d’explications de
la nécessité d’inscrire le principe du droit à une bonne administration de la justice comme
squelette sur lequel serait adossé la modernisation de la justice camerounaise. Ce plaidoyer à
la nécessité de moderniser le modèle initial de justice, a porté sur des sujets aussi variés que le
périmètre des attributions des organes chargés de l’administration de la justice, et
l’amélioration des fonctions juridictionnelles, les risques auquel s’expose les systèmes
judiciaires de l’OHADA quant à la disparité au sein de l’espace pénal de ce droit uniforme, la
multiplication des dispositifs juridique et judiciaire à long terme, les aspects ayant un effet
entrainant sur la qualité de la justice et la qualité des magistrats tels que la formation ou la
spécialisation des juridictions, la responsabilité des officiers de justice ou encore celle des
procédures.
Point commun entre ces propositions, dont le contenu se révèle, au fil de la
démonstration, le droit à une bonne justice est un droit passerelle duquel dépend la garantie de
nombreux autres droits. Ce droit objectif au juge revêt d’une part, l’attention particulière à
apporter à la protection effective et efficace des prérogatives que le justiciable tire aussi du
droit national que du droit uniforme, d’autre part, dans l’édification d’un espace de liberté, de
sécurité et de justice à travers le droit à une bonne justice.

329
Conclusion du Titre Second

313. Les développements précédents ont permis de mettre en exergue l’existence d’un
second versant dans la recherche d’une bonne administration de la justice. Celui-ci a mis en
exergue à la suite du versant procédural, la nécessité de moderniser le modèle camerounais
initial de justice. En permanence réajustées afin de satisfaire aux exigences institutionnelles
du moment, les théories élaborées par la science du droit pour rendre compte de l'intérêt d’une
bonne administration de la justice se sont inscrites jusqu'à une date récente dans sa seule
conception procédurale, notamment les critères du droit à un procès équitable. L’émergence
du management judiciaire constitue désormais le versant administratif et la seconde exigence
de la recherche d’une bonne justice comme en témoignent les représentations savantes depuis
l’avènement dans les années 1980, des théories relatives au new public et court case
management. Il n’apparaît pas utile de revenir en détail sur l’ensemble des manifestations de
ce management judiciaire. Quelques grandes lignes méritent toutefois d’être évoquées. Il
s’agit du modèle d’administration camerounais de la justice. L’étude du management des
activités juridictionnelles, les pouvoirs et l’organisation du ministère de la justice, ont permis
de le présenter comme l’expression du « modèle exécutif ». En outre, comme il a été vu, les
relations entre magistrats et professions juridiques et judiciaires, la justice et les corps sociaux
conditionnent la perception de la justice et le regard posé sur la qualité de son administration.
Fragilisée, la nécessité de renforcer le droit à une bonne justice passe par une mise à niveau à
l’échelle nationale et régionale. Cette mise à niveau se renforce au fur et à mesure que le juge
est présenté non plus seulement comme un gardien des libertés, mais encore plus comme
« l'opérateur essentiel d'un droit qui sourd1629 de la société »1630.

1629
« Inflexible, insensible, qui ne tient pas compte, qui refuse de prendre en compte » les besoins de la société
pour lequel il est fait. Le Littré, Dictionnaire de langue française, Op. Cit., sens 3.
1630
Renaud Colson, La fonction de juger Etude historique et positive, Thèse, Op. Cit., p. 120.

330
Conclusion de la Première partie

314. Le droit à la justice ne fait pas que l’objet dans sa dimension objective d’une
appréhension en droit camerounais. Il s’y développe dans le souci d’en assurer une garantie
effective. En cherchant la pertinence de la garantie efficace du droit à la justice, la démarche
nous a conduits à identifier en premier le sens procédural de la garantie, à savoir le droit à une
bonne justice. Relèvent de ce versant, l’indépendance de la justice et l'existence de garanties
fondamentales réglant le fonctionnement de l'institution judiciaire pour garantir la justice
rendue. Avec l’apparition d’un nouveau versant à savoir, le management judiciaire sous la
houlette des théories du new public management, on y observe la dimension gestionnaire de
l’institution judiciaire. L’extension du droit à une bonne justice à ce volet administratif de la
justice est créatrice d’enjeux inédits pour lesquels la garantie du droit d’accès à un tribunal par
les principes qui sous-tendent la rationalité de type managérial est incontournable pour
garantir le droit à une justice de qualité. Néanmoins, même si le droit camerounais semble a
priori être au diapason de la voie à suivre pour assurer au justiciable le droit à une bonne
justice, le processus souffre néanmoins de nombreuses pesanteurs. L’analyse de ces catégories
a mis en exergue la nécessité d’améliorer la garantie du droit au juge dans le droit objectif :
l’institution, les règles et la performance des acteurs. L’étude du droit positif conduit ainsi à
porter un jugement nuancé sur la garantie efficace actuelle du droit au juge. Le droit
camerounais applicable est un facteur qui favorise à certains égards l’efficacité de la garantie,
en même temps qu’il contient de multiples facteurs de risques, d’inefficacité, l’efficacité de la
garantie de ce droit fondamental est donc remise en cause.

315. La nécessité d’améliorer l’environnement juridique de la garantie du droit fondamental


au juge se fait de plus en plus pressante. Ce droit y figure en tant que principe traditionnel et
fondamental de notre droit, inscrit dans la Loi. Il existe en droit camerounais, un véritable
droit substantiel à la justice. Aussi la réforme souhaitée s’inscrit-elle dans une logique tant
économique que juridique, « moins dogmatique que pratique, plus prospective, enfin, sur
l'aptitude de l'institution à répondre à une demande de justice qu'il faut analyser, prévoir et
évaluer, sur l'offre à créer pour la satisfaire quantitativement et qualitativement (…), sur la

331
modernisation des structures (…) »1631. L’amélioration des caractéristiques juridiques de la
garantie de ce droit au juge n’est que l’une des conditions de l’efficacité du droit applicable et
de la garantie des droits. Pour que le contenu de ce droit soit en adéquation avec l’objectif
d’efficacité, il est nécessaire que la loi et les décisions jurisprudentielles présentent les
qualités d’une bonne justice. Les unes améliorant la rationalité des opérateurs du droit, les
autres confortant la réalisation de la finalité assignée au droit à l’accès à la justice. Si ces
conditions sont remplies, le droit à la justice devrait donc atteindre l’objectif d’efficacité, qu’il
doit nécessairement poursuivre. Cette modernisation n’aura qu’un effet entrainant sur la
dimension subjective de ce droit substantiel au juge.

316. Par contre, la consécration et la garantie positive d’un droit substantiel n’est d’aucune
utilité pratique si le système juridique ne donne pas les moyens à la personne de l’exercer. Par
conséquent, il existe au sein de notre système juridique, un sous-système, dans lequel la
densité de mise en œuvre du droit d’accès à la justice et sa réalisation dépendent de l’intensité
d’application des règles juridiques et des représentations sociales de la justice.

1631
Guy Canivet, « Du principe d'efficience en droit judiciaire privé », Mélanges offerts à Pierre Drai - Le juge
entre deux millénaires, Paris, Dalloz, 2000, p. 251.

332
SECONDE PARTIE

LE DROIT À LA JUSTICE EN TANT QUE DROIT SUBJECTIF

317. Elément de classification dogmatique, la distinction binaire du droit est encore tenue
aujourd’hui pour acquise. Elle est même devenue avec le temps, un élément clé de
l’organisation du savoir juridique, « la tradition orthodoxe du droit »1632. Si le droit objectif
désigne la règle de droit, le droit subjectif désigne simplement la prérogative reconnue à
l’individu par la règle. Mais les choses n’ont pas toujours été aussi simples car, pour le dire
dans le sens de Judith Rochfeld, « on peine toujours à définir ce qu’est un droit subjectif »1633
à cause de la profusion des définitions dont fait l’objet le concept. L’on est toutefois en dépit
de cette difficulté parvenu à un certain consensus. Les débats philosophiques et juridiques du
passé ont fait place à une définition plus consensuelle et pratique. Le droit subjectif se
reconnaît à travers la détermination de son objet, de titulaires déterminés, d’une opposabilité
et d’une justiciabilité. Produit direct de l’individualisme jusnaturaliste 1634 , le concept
correspondait selon l’auteure, à l’attribution à l’individu de droits qu’il peut faire valoir aussi
bien dans ses rapports avec les autres individus que contre l’Etat. Car c’est à l’origine en effet
comme des droits objectables au pouvoir de l’Etat1635 en ce qu’il fixe les limites d’action de
ce dernier que la notion était appréhendée. Le droit subjectif désigne aujourd’hui, une
prérogative juridique, qui appartient en propre au sujet de droit et que celui-ci peut
revendiquer en justice1636. On retiendra alors du sens subjectif du droit au juge, qu’il s’agit
non seulement de la prérogative reconnue à toute personne poursuivie ou à tout sujet de droit
d’ester en justice, mais aussi la possibilité offerte au même sujet de droit, de faire usage de

1632
Christian Atias, « Préface », dans Jean Dabin, Le droit subjectif, Paris, Dalloz, 2008, 1.
1633
Judith Rochfeld, Les grandes notions du droit privé, Op. Cit, p. 159.
1634
Catherine Colliot-Thélène, « Après la souveraineté : que reste-t-il des droits subjectifs ? », Jus Politicum n°
1, http://juspoliticum.com/article/apres-la-souverainete-que-reste-t-il-des-droits-subjectifs.-27.html consulté le
21 mai 2021 à 17h02.
1635
En référence en particulier notamment au droit de propriété qui en a souvent été le paradigme. V. Stéphanie
Beauregard, (1993), « La place des droits subjectifs dans l’histoire de la philosophie du droit », Revue générale
de droit, 24(4), 593-603.
1636
Norbert Foulquier, « L’analyse du discours juridique : le concept de droit subjectif en droit administratif »,
CURAPP, Sur la portée sociale du droit. Usages et légitimité du registre juridique, PUF, 2005, pp. 43-59, spéc.
p. 44.

333
l’ensemble des moyens ou mécanismes de régulation sociale destinés par un traitement bon et
approprié, à rétablir entre les acteurs d’une société donnée, l’équilibre, l’harmonie ou la paix
sociale qui a été illégitimement, illégalement ou arbitrairement rompu.

318. La forme idéaltypique de l’idée des droits subjectifs correspond aux droits de
l’homme. Elle concorde à la conception libérale des rapports entre individu et Etat. Attachés à
l’homme en tant que tel indépendamment de ses appartenances sociétales et politiques, les
droits fondamentaux sont le noyau des droits subjectifs1637. Pour le dire dans les termes de
madame Nicoleta Odina, en tant que droits subjectifs, les droits de l’homme traduisent dans
l’ordre juridique les principes naturels de justice 1638 . En tant que droit subjectif, le droit
d’accès à la justice traduit l’idée de protection juridique, de mécanisme essentiel de garantie et
de pérennité des droits.

319. A l’opposé des autres espèces de droit, la particularité des droits subjectifs réside dans
leur rapport au sujet. Schématiquement donc, le droit au juge dans sa dimension subjective est
le droit du sujet. Sa reconnaissance en tant que prérogative générale et abstraite en vue
d’obtenir la sanction judiciaire d’un droit (Titre premier) est indiscutable. Mais, nous
verrons également que la mise en œuvre de ses composantes à l’aide des instruments
juridiques en vigueur peut aussi se révéler problématique quant au respect de ces mêmes
principes fondamentaux. On aboutit d’évidence au constat d’un certains décalage entre les
objectifs affichés plus ou moins ouvertement et les attentes des justiciables. De ce constat
émerge les facteurs d’inefficacité, c’est-à-dire les conditions réelles d’accès de la garantie
envisagée du droit d’accès à la justice qui souligne l’insistance de l’intervention d’une autre
approche de la réalisation de ce droitfondamental (Titre Second).

1637
Catherine Colliot-Thélène, « Après la souveraineté : que reste-t-il des droits subjectifs ? », Op. Cit.
1638
A. Nicoleta Odina, « Les droits de l’homme en tant que droits subjectifs qui traduisent dans l’ordre
juridique les principes naturels de justice », Curentul Juridic, The Juridical Current, Le courant juridique, Petru
Maior University, Faculty of Law and administrative sciences and Pro Iure Foundation, vol. 30, December 2007,
pp. 50-72.

334
TITRE PREMIER

LA RECONNAISSANCE D’UNE PRÉROGATIVE GÉNÉRALE ET


ABSTRAITE D’OBTENIR LA SANCTION JUDICIAIRE D’UN DROIT

320. La reconnaissance juridique d’un droit suppose l’existence d’une autorité et la


nécessité de recourir au juge, titulaire de cette autorité pour obtenir par un procès, la solution
à deux prétentions opposées. Grâce à cette protection juridique et judiciaire, le titulaire d’un
droit peut imposer le respect ou la réalisation de son droit par l’exercice de son droit d’ester
en justice, expression de l’aménagement en droit camerounais des droits d’action (Chapitre
premier), par exemple par une action en revendication de propriété, en paiement ou encore en
réparation. La consécration du droit d’accès à la justice en tant que droit subjectif
s’accompagne tel qu’on peut le voir, de mécanismes destinés à assurer au justiciable son droit
à une garantie juridictionnelle effective. On y voit non seulement la possibilité d’exercer une
action permettant d’obtenir la sanction des violations du droit dont un sujet serait titulaire,
mais aussi des droits d’action émancipés des droits substantiels aménagés par des règles
spécifiques. L’émergence dans le système juridique camerounais de dispositions consacrant
un droit d’accès au juge national1639 a eu une importance décisive dans la recherche de la
garantie d’une protection juridictionnelle effective. Mais la seule existence d’une voie de droit
permettant de contrôler la légalité d’un acte n’est plus suffisante pour satisfaire les exigences
d’une protection juridictionnelle effective. Il faut encore en garantir l’exécution complète
c'est-à-dire pleine et entière de l’acte tiré de l’office processuel et sanctionnateur du juge1640,
par l’aménagement d’un droit à l’exécution des décisions de justice (Chapitre second), greffé
au sens subjectif du concept. Aussi, le droit fondamental au procès devient-il par effet de
contagion un instrument d’effectivité et d’efficacité du droit, « le principe d’effectivité
nouveau support du droit d’accès au juge »1641, un critère d’appréciation du respect des droits

1639
« […] Nul ne peut être poursuivi, arrêté ou détenu que dans les cas et selon les formes déterminées par la loi
; […] La loi assure à tous les hommes le droit de se faire rendre justice […] », Préambule Constitution de la
République du Cameroun de 1996.
1640
A. Garapon, S. Perdriolle et B. Bernabé, La prudence et l’autorité : L’office du juge au XXIe siècle, Op.
Cit, p. 65 et suiv, 103 et s.
1641
Jean Félix Delile, « Les interactions entre principe d’effectivité et droit procédural écrit de l’union
européenne : virtus unita fortior », Actes de l’atelier doctoral, in Annuaire de droit de l’union européenne,
Éditions Panthéon-Assas, 2012, pp. 187-214, spéc. p. 197.

335
substantiels garantis par le système juridique 1642 . Le juge devient ainsi au sens large, le
parangon qui assure la garantie et l’effectivité à la fois des droits et du droit.

1642
V. Jean-François Flauss, « Les nouvelles frontières du procès équitable », in Les nouveaux développements
du procès équitable au sens de la Convention européenne des droits de l'homme, Bruxelles, Bruylant, 1996, p.
81. L’auteur y met en relief dans ce qu’il appelait alors les « nouvelles frontières du procès équitable » que, le
droit à un procès équitable, sans cesser d'être une garantie de la régularité procédurale, était devenu un enjeu sur
le terrain même des droits substantiels dans la mesure où, à la faveur de quelques affaires portées devant la Cour
de Strasbourg, le procès équitable constituait aussi un critère d'appréciation du respect des droits substantiels
garantis par la Convention.

336
CHAPITRE PREMIER

L’AMÉNAGEMENT DES DROITS D’ACTION

321. L’Etat de droit ne peut plus se reposer comme la démocratie sur la mythologie d’un
peuple souverain, mais sur l’arbitrage du juge1643. En droit romain, le droit était avant tout un
accès à la justice. D’une part, parce droit et justice se confondent1644, d’autre part, parce que le
droit est essentiellement actio devant le prétoire1645. Le principe du droit au juge resurgit alors
sous une autre dimension : celle de la protection juridictionnelle, et plus particulièrement du
droit au juge en mouvement. Sous son apparente simplicité, le terme action
renvoie à une réalité difficile à cerner. La définition qu’en propose le Littré est multiforme et
volontairement large. I1 s'agit de toute opération, toute œuvre, toute chose faite par
l'homme ou bien toute activité. Sur un plan juridique, il s'agit alors de « toute demande
poursuite en justice, droit que l'homme a de former une demande en justice ». Une constante
peut dès lors être relevée : l'action traduit toujours un état de mouvement, une dynamique, une
manifestation humaine toujours volontaire. Elle implique nécessairement une activité, un acte
positif et non une abstention. Ce caractère libre de l’action en justice est en effet essentiel. Il
signifie que celui qui s’engage à exercer une action bénéficie d’une immunité : le fait d’avoir
agi en justice ne saurait être constitutif d’une faute1646, même dans l’hypothèse d’une perte du
procès. Le titulaire de l’action n’est pas tenu de l’exercer. Il peut ne pas exécuter cette faculté
de saisir le juge.

1643
F.-A. Hayek, Droit, législation et liberté, I Règles et ordre, trad. R. Audouin, Paris, PUF, Quadrige, 1995,
pp. 42 et suiv. L’auteur autrichien oppose deux ordres : Kosmos, un ordre mûri, issu de la pratique, et Taxis, un
ordre fabriqué par la volonté. À chacun des deux ordres correspond une conception et une pratique du droit. Le
Kosmos voit le règne du Nomos : c'est-à-dire un droit engendré par la pratique des individus, garanti et
perfectionné par le juge. Le Taxis résulte de la Thesis, l’acte de commandement d’un législateur. Seul le Nomos,
qui est naturellement antérieur à toute législation, constitue le vrai droit : le droit de la liberté.
1644
« Celui qui s’adonne au droit doit d’abord savoir d’où vient ce mot (ius). Il tire son nom de la justice. En
effet, selon l’élégante définition de Celse, le droit est l’art du bon et de l’équitable. C’est à bon droit qu’on nous
qualifie de prêtres, car nous exerçons la justice et nous faisons connaître ce qui est bon et équitable, séparant
l’équité de l’iniquité, distinguant le licite de l’illicite, cherchant à susciter le bien non seulement par la menace
des peines, mais par la promesse de récompenses, pratiquant ce qui nous semble la vraie et non une fausse
philosophie », Ulpien, Institutes, L.1, (cité par Xavier Souvignet, « Accès au droit, principe de droit », Op. Cit.)
1645
« […] un droit est d’abord conçu sous son aspect procédural, plutôt que sous son aspect substantiel ; la
notion d’action est dès lors assimilable au droit lui-même », voilà ce que l’on peut lire à l’entrée « Actio (action)
», in J.-P. Dunand et P. Pichonnaz, Lexique de droit romain, Genève-Bruxelles, Schulthess, Bruylant, 2006, p.
2.
1646
Une faute au sens d’infraction pénale telle que caractérisée par l’article 21 de la loi n° 2016/007 du 12 Juillet
2016 portant Code penal au Cameroun ou encore au sens des articles 1382 et 1383 du Code Civil applicable.

337
322. De prérogative légale au départ, à droit fondamental aujourd’hui, l’action en justice se
présente comme une notion subtile dont la nature juridique est plurielle. Les sources supra-
législatives, instruments juridiques internationaux et de plus en plus la doctrine voient dans
l’action en justice un droit fondamental1647. Au contact des évolutions doctrinales, l'action en
justice s'émancipe complètement du droit subjectif substantiel dont elle vise à obtenir la
reconnaissance ou la sanction 1648 . Elle a peu à peu, au gré de l’analyse doctrinale et
jurisprudentielle acquis une dimension objective. Si le législateur camerounais du reste, ne
s’est pas intéressé à la définition de l’expression, les rédacteurs du Code de procédure civile
français en donne la définition suivante : « droit pour l'auteur d'une prétention d'être entendu
sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée. Pour l’adversaire. L’action
est le droit de discuter le bien-fondé de cette prétention » 1649 . Celle-ci consacre la
bilatéralisation de l'action prônée par Motulsky. Pour le demandeur, l'action consiste en la
faculté de contraindre un juge à statuer sur sa prétention, qui résidera globalement, mais non
exclusivement dans la protection, la constatation, la contestation d'un droit subjectif. Au
regard du défendeur, l'action se résume au droit de discuter les moyens avancés par le
demandeur devant le juge, et de lui soumettre ses propres prétentions. Des différentes
manières d’appréhender la notion, nous opterons en raison de son caractère extensif, la
définition de l’action en justice comme « le lien, né d’une situation et formé entre deux
personnes, en vertu duquel l’une d’elle peut émettre contre l’autre des prétentions relatives à
cette situation devant un juge qui devra les entendre afin de les dire bien ou mal fondées »1650.
Après de nombreux atermoiements, la doctrine privatiste a finalement rallié la position
actuelle de l’autonomie de l'action en justice considérant que le droit ne pouvait être envisagé
comme une condition d'existence de l'action.

323. La notion d'action en justice constitue en effet, un élément fondamental pour les
justiciables. La doctrine utilise désormais le vocable de droit d’action pour traduire son
autonomie. Il s’agit dans une acception large applicable à tous les contentieux, d’un droit

1647
V. not. Monique Brandac, « L’action en justice, un droit fondamental », in Nouveaux juges, nouveaux
pouvoirs ? Mélanges Roger Perrot, Dalloz, 1986 ? ; L. Burgogne Larsen, « Des droits invoqués aux droits
protégés », LPA, 14 Février, 2011, pp.5 et s ; M.-A. Frison Roche, « L’accès au droit et à la justice », Op. Cit.
1648
V. à cet effet Jean-Louis Halpérin, Marie-Laure Niboyet, « Agir en justice : la distinction de la substance
et de la procédure », in Loïc Cadiet, Serge Dauchy, Jean-Louis Halpérin (dir.), Itinéraires d’histoire de la
procédure civile, Regard français, IRJS Editions, LGDJ, 2014, pp. 6-27 ; Stéphanie Melis-Maas, Pour un
renouvellement de la notion d’action en justice, Thèse, Droit, Université de Metz, 2004, p. 9 ; Anne Sophie
Decoux, La notion d’action, Mémoire Master II, Université de Montesquieu, Bordeaux IV.
1649
Article 30 du Code de procédure civile français.
1650
Georges Wiederkehr, « Action en justice », in Dictionnaire de la Justice, PUF, sous la direction de Loïc
Cadiet, Op. Cit, pp. 6-7.

338
subjectif particulier définit par monsieur J. Van Compernolle1651 comme celui de conférer «
un pouvoir d’accomplir les actes nécessaires pour obtenir une décision du juge statuant par
application du droit, sur le fond d’une prétention d’ordre juridique ». L’action en justice se
présente dorénavant comme un « droit d’action » dont la nature est autonome de la demande
adressée au tribunal, un droit purement processuel dont les contours sont exprimés par les
prétentions des parties. Il se distingue ainsi du droit d’accès à la justice ou dans le cas
d’espèce, du droit d’ester en justice accordé à tout sujet de droit. Garantie fondamentale, le
droit d’accès à la justice couvre le droit de saisir un juge, le droit d’exercer un recours. Alors
que le droit d’action « est un droit concrètement attribué à un titulaire déterminé au regard
d’une question litigieuse déterminée »1652. Cette autonomie et cette unicité1653 par rapport à la
variété des contentieux1654 fait du droit à l’action, un pilier du droit processuel1655 sur lequel
est construit le droit camerounais.

324. Soutenu par sa double dimension politique1656 et philosophique1657, et renforcé par le


succès de la théorie de l’Etat de droit, le droit d’action devient la forme technique du droit à la
justice, sa forme guerrière dirait-on, ouverte à plusieurs modes de justice. Aussi, pour éviter
un déni de justice, le législateur a-t-il aménagés des droits d’action. Toutefois, l’efficacité de
la garantie est subordonnée à la place accordée aux différents modes de traitement des litiges.
Pour mieux apprécier la garantie des droits d’action ainsi aménagés, il convient d’abord
d’exposer le versant traditionnel du droit d’agir à savoir le lien qui le rattache au procès
(Section I). Exposé qui précédera utilement l’observation d’une certaine rupture dans
l’approche institutionnelle classique du droit d’ester et qu’il est convenu de considérer comme
l’ouverture du droit d’action au système des règlements alternatifs des différends (Section II).

1651
J. Van Compernolle, Le droit d'action en justice des groupements, Larcier, Bruxelles 1972, p. 94 ; rappr.
M.-Laure Niboyet, « Action en justice », Droits, 2001/2, n° 34, pp. 81-90.
1652
Jean-Louis Halpérin, Marie-Laure Niboyet, « Agir en justice : la distinction de la substance et de la
procédure », Op. Cit.
1653
L’unicité de l’action en justice repose en effet sur le tryptique de la reconnaissance de l’action comme
l’expression d’un droit fondamental ; la liberté de saisir le juge ; une action qui ne saurait être illimitée, mais
trouve sa traduction concrète dans une prérogative légalement encadrée. Il ne suffit pas que ce droit soit relatif,
encadré, il doit être effectif.
1654
L’action en justice revêt une réelle importance dans les diverses branches du droit Civil, pénal, administratif.
Cependant, c'est en matière civile que la notion d'action en justice va connaître ses plus fameux développement,
l'article 30 du Code de procédure civile français ne constituant que l'aboutissement d'une longue évolution. Le
droit administratif lui préférant le terme “recours” à celle d'action en justice. En matière pénale, le terme action
est présent dans les concepts d'action civile et d'action publique.
1655
William Baranès et M.-A. Frison Roche, « Le souci de l’effectivité du droit », Op. Cit.
1656
Dans sa dimension politique, le droit au juge permet de revendiquer la concrétisation des droits et des
libertés appartenant aux justiciables.
1657
Dans sa dimension philosophique, le droit d’accès au tribunal permet au justiciable, titulaire de droits de
réclamer auprès d’un juge, la reconnaissance de son droit ou de se voir attribuer le droit qui lui revient.

339
SECTION I. LE DROIT D’ACTION ET LE PROCÈS

325. « Tout commence par l’action par laquelle une personne demande à un juge de se
prononcer sur ce qu’il croit être son droit »1658. Voici du reste comment pourrait être décrit le
lien originel qui existe entre l’action en justice et le procès. H. Motulsky écrivait en ce sens
que l’action en justice sert normalement à faire valoir des droits1659. Le droit d’agir en justice
a en effet presque toujours été identifié au procès, caractérisé par le droit pour le titulaire de la
demande d’en appeler au juge, d’obtenir de ce dernier qu’il statue sur le fond de sa prétention,
plaçant ainsi le procès au centre de la poursuite légitime de la satisfaction d’un droit. En
d’autres termes, le but du droit d'agir est l'obtention d’un jugement sur le fond. Ancré dans le
« nul ne peut se faire à soi-même justice », le procès est devenu depuis lors, et le mode
judiciaire avec, le principal mode juridictionnel de résolution des différends.

Aussi surgit une interrogation. Qu'est-ce que le procès, Que représente t-il pour les
parties impliquées dans le lien d’instance ? Plusieurs réponses ont été données. Les auteurs
l’ont tantôt qualifié de contrat, tantôt de relation, de situation juridique, voire d’institution1660.
Les rares auteurs à se risquer à une définition du procès ont fourni un ensemble d’éléments
caractéristiques repris par le Littré. Le procès y est défini comme « une instance devant un
juge sur un différend entre deux ou plusieurs parties ». Il désigne également un « mécanisme
visant à établir ou à rétablir la paix sociale par l’intervention d’un tiers légitime devant
régler un litige né, latent ou virtuel, selon une procédure respectant les garanties
fondamentales du procès équitable »1661. Ces éléments de définition permettent d’appréhender
les différentes manifestations possibles du procès. C’est-à-dire une voie de droit, la possibilité
d’assurer l’inviolabilité du lien d’appartenance-maîtrise entre la chose objet de droit et le sujet
en rendant ainsi indispensable le droit de se faire entendre ou la saisine d’un juge (au sens le
plus large possible) pour faire respecter ses intérêts légitimes et droits. L’identification ici, du
procès à l’action en justice procède de l’ensemble des droits d’action reconnus à certains

1658
Jean-Louis Halpérin, Marie-Laure Niboyet, « Agir en justice : la distinction de la substance et de la
procédure », Op. Cit, p. 6.
1659
Iréné Aclombessi, Le substantiel dans l’appréciation du droit d’agir, Thèse, Droit. Université Panthéon-
Sorbonne - Paris I, Université d’Abomey-Calavi (Bénin), 2019, p. 106.
1660
Soraya Amrani Meki, « Procès », in Loïc Cadiet, Dictionnaire de la justice, Op. Cit, pp.1081-1089 ; D.
Salas, « Le procès », in Les mots de la justice, Droits, n° 34, PUF, 2002, pp.29-38 ; Edouardo Couture, « Le
procès comme institution », Revue internationale de droit comparé, Vol. 2, n°2, Avril-juin 1950. pp. 276-281;
M.-A. Frison Roche, « Philosophie du procès, propos introductifs », Op. Cit. ; C. Atias, « Les mots du droits et
les mots pour le dire », D. 1997, pp. 231-233 ; S. Guinchard, « Le procès hors les murs », in Mélanges Gérard
Cornu, Paris, PUF, 1994, pp. 201-216.
1661
Soraya Amrani Meki, Ibid.

340
acteurs et obligation retenues à l’égard de l’autre intervenant au seuil du procès. Il y a lieu de
les examiner tant du côté des plaideurs (Paragraphe I) que du juge (Paragraphe II).

Paragraphe I. Les droits d’action des plaideurs au seuil du procès


326. Sur le plan sociologique, la vie en société fait le droit à travers l’existence de
concurrents. Celui-ci favorise ainsi le caractère opposable du droit, et par conséquent,
l’exigibilité et l’inviolabilité1662. Cette existence de concurrence légale, de lutte, donne au
justiciable qui comparait devant une juridiction deux places ; soit il comparait pour élever une
prétention, soit il comparait pour combattre la prétention élevée par un autre. Le droit d’agir
en justice reconnu au justiciable met par conséquent en opposition au seuil du procès deux
droits : ceux des plaideurs. Le droit d’action du demandeur (A) et celui du défendeur (B)
adversaire à l’action.

A. Le droit d’action du demandeur

327. Comme pour toute action en justice, il y a un demandeur et un défendeur. L’action se


rattache au lien de droit primitif né d’une situation juridique substantielle qui peut être soit
patrimoniale, soit extrapatrimoniale. En tant que demandeur à l’action, le sujet de droit
dispose du droit de provoquer l’intervention du juge (1), même si son droit d’action demeure
un droit encadré (2).

1. Le droit de provoquer l’intervention du juge

328. En réponse à la rupture de l’équilibre portée au lien juridique qui lie la chose objet du
droit au sujet, le droit applicable offre la possibilité d’agir en justice en vue d’obtenir la
protection juridictionnelle des droits. Elle donne surtout au titulaire du droit substantiel le
pouvoir d’accomplir un acte juridique. Celui-ci se traduit de manière concrète par un acte
particulier, la demande en justice1663 . Si l’action en justice représente la voie générale, la
demande en justice représente sa mise en œuvre1664, l’exercice de la faculté d’accéder à un

1662
Iréné Aclombessi, Le substantiel dans l’appréciation du droit d’agir, Thèse, Droit. Université Panthéon-
Sorbonne - Paris I, Université d’Abomey-Calavi (Bénin), 2019, p. 258.
1663
Selon Solus et Perrot, « la demande en justice est l’acte de procedure par lequel, le titulaire d’une action
exerce effectivement le pouvoir qui lui est donné de saisir le juge » sur le fond d’une prétention. Henri Solus et
Roger Perrot, Droit judiciaire privé, Op. Cit, p. 109.
1664
Dans la pratique, dans chaque procédure, un formalisme strict gouverne les conditions d’exercice du droit
d’action au travers d’actes aux appellations diverses assignation, requête, présentation volontaire des parties,
plainte, etc. Ces actes ouvrent le procès. Ils fixent l’étendue de l’office du juge et commande la recevabilité des
demandes incidentes. L’article 5 et suiv. du Code de procédure civile et commerciale camerounais et les articles
39 et suiv. du Code de procédure pénale constituent la substance de ces actes.

341
tribunal dans une affaire déterminée1665 pour obtenir une décision de justice. La protection
juridictionnelle effective constitue ainsi un principe pourvu de substance. L’accomplissement
d’un certain nombre d’acte permet de lui donner vie, et le droit pour le justiciable de
provoquer l’intervention du juge en vue d’être entendu sur le fond de sa prétention constitue
un pas vers sa réalisation concrète. L’hypothèse d’un droit d’action inconditionnel est exclue.
En contrepartie de la faculté pour le justiciable d’agir en justice pouvant incidemment
provoquer l’intervention du juge, répond la possibilité de voir son action reçue. Celle-ci est
centrée sur la recevabilité de l’action. Dans sa conception subjective1666, la recevabilité de la
demande est subordonnée à la titularité du droit d’agir à travers l’intérêt et la qualité à agir.
Seule cette dernière conception retient notre attention dans la mesure où elle prend en compte
des critères strictement liés au titulaire même du droit d’action.

329. Pour agir en justice, il faut justifier d’un avantage légitime et juridiquement pertinent,
d’un avantage pécuniaire ou moral, c’est la question de l’intérêt à agir. La doctrine le définit
comme « le profit, l’avantage ou l’utilité que l’exercice de l’action est susceptible de
procurer à celui qui en prend l’initiative »1667 ou encore « le profit, l’utilité ou l’avantage que
l’action est susceptible de procurer au plaideur »1668. Ainsi défini, on ne peut qu’être d’avis
avec messieurs Cornu et Foyer sur le postulat selon lequel « n’importe qui n’a pas le droit de
demander n’importe quoi, n’importe quand à un juge »1669. L’intérêt à agir constitue l’une des
composantes du substantiel dans le droit d’agir, le procès, le contenant dans lequel il est
examiné. L’absence de litige constitue le « n’importe quoi ». En effet, « le n’importe qui »
souligne que ce n’est pas la « bonne » personne qui agit, quant « au n’importe quand », il
sanctionne le fait que ce n’est pas le « bon » moment. Le litige juridique n’est donc que le «
bon » litige1670. C’est donc à partir des conditions matérielles de l’action en justice que le
caractère juridique du fait est vérifié. Plus précisément, c’est au travers de la manifestation
d’un intérêt juridiquement protégé que le contrôle de l’existence d’un litige existe que le juge

1665
Ibid. p.256.
1666
La conception objective de la recevabilité de l’action quant à elle, se réfère à l’existence d’une prétention
juridiquement relevant. « Acte de volonté tendant à réclamer quelque chose en justice », elle est propre à chaque
partie, différente dans chaque affaire. V. not. N. Voidey, « La notion de « prétentions » en procédure civile »,
Gaz. Pal., 5/09/ 2006, n°248, p. 5 ; Stéphanie Melis-Maas, Pour un renouvellement de la notion d’action en
justice, Op. Cit, p. 30 et s. En droit coutumier africain. La réalité du contenu des prétentions litigieuses est une
condition de recevabilité dans le droit coutumier africain en général et du Dahomey (actuel Bénin) en particulier.
E. Olawale, La nature du droit coutumier africain, Ed. Présence africaine, Paris Ve, 1961, p. 231 et s.
1667
L. Cadiet, J. Normand, S. Amrani-Mekki, Théorie générale du procès, Op. Cit, p. 468, n°19.
1668
Cécile Chainais, Frédérique Ferrand et Serges Guinchard, Procédure Civile Droit interne et européen de
procédure civile, Op. Cit. p.143.
1669
G. Cornu, J. Foyer, Op. Cit., p. 322.
1670
Ibid.

342
vérifie que le fait est juridique. Pour le die autrement, lorsque le demandeur cherche par
l’action entreprise à réaliser un intérêt insignifiant bien que disposant d’un droit substantiel, il
sera débouté. L’existence d’un intérêt à agir est la condition première de la recevabilité de
l’action en justice1671. De tous les caractères exigés de l’intérêt, la notion d’intérêt « légitime »
est une notion complexe, et celle la plus discutée qui ne se laisse enfermer dans aucune
définition. L’exigence de la légitimité de l’intérêt fut au départ l’œuvre de la jurisprudence et
de la doctrine1672. Elle a émergé en jurisprudence en tant qu’ « intérêt légitime juridiquement
protégé », à l’occasion d’un litige portant sur la demande en réparation d’une concubine suite
à la mort accidentelle de son concubin1673. S’il suffisait pour agir d’invoquer la lésion d’un
intérêt, encore fallait-il que la partie fit état d’un « un intérêt légitime juridiquement
protégé »1674, d’une situation digne d'être prise en considération, mais en outre, digne d'être
protégée1675. La légitimité de l’intérêt fait référence à sa conformité à l’ordre public ou aux
bonnes mœurs, à la moralité ou à l’opportunité de l’avantage recherché dans le procès en
vertu de la maxime « Nemo auditur propriam turpitudinem allegans », ainsi qu’au caractère
juridique de l’avantage recherché par le demandeur. Cependant, si l’appréciation concrète de
cette légitimité suppose un pré-jugement sur le fond, une appréciation de la prétention et le
cas échéant du préjudice dont le demandeur réclame réparation, il pourrait en résulter une
confusion entre la recevabilité procédurale de la demande et le bien fondé de la prétention.

Si l’intérêt « légitime » est discuté, l’intérêt né et actuel et l’intérêt positif et concret


sont consensuels. Les éléments constants de l'intérêt à agir sont la nécessité d'un intérêt né et
actuel, direct et personnel. Ce sont là autant d’éléments qui, sans dériver du mot intérêt,
l’influencent dans cet espace processuel que constitue la recevabilité de la demande. L’intérêt
doit, tout d’abord, être positif et concret. Autrement dit, suffisant pour autoriser un particulier
à saisir le juge. Il doit en définitive, exister. L’évaluation du caractère suffisant est appréciée
souverainement par les juges du fond. Le role du juge est de trancher les litiges déjà nés. Il
est donc imposé au demandeur de faire valoir un intérêt né et actuel. Un intérêt simplement

1671
Florence Brus, Le principe dispositif et le procès civil, Thèse, Droit, Université de Pau et des pays de
l’Adour, 2014, p. 36.
1672
J. V. Compernolle, Le droit d’action en justice des groupements, Op. Cit.
1673
Ch. Mixte., 27 févr. 1970, note Combaldieu, D. 1970, p. 201 ; note Parlange, concl. Lindon, JCP G 1970, II,
16305 ; Gomaa, « La réparation du dommage et l’existence d’un intérêt légitime juridiquement protégé », D.
1970, p.145 ; G. Wiederkehr, « la légitimité de l’intérêt pour agir », Mélanges Serges Guinchard, Dalloz, 2010,
p. 877.
1674
Sur la variété des critères retenus en jurisprudence pour évaluer le caractère légitime de l’intérêt, voir Th.
Lancrenon, « La notion d’intérêt à agir en déchéance des droits sur une marque », LPA, 5 Janvier 2007, pp.4-
12.
1675
Stéphanie Melis-Maas, Pour un renouvellement de la notion d’action en justice, Thèse, Op. Cit, p. 42.

343
éventuel ne suffit pas1676. Cette condition suscite des interrogations quant à la validité des
actions dites préventives, dans lesquelles le juge doit se prononcer sur la validité ou le
contenu d'une situation juridique indépendamment de la réalisation de tout dommage actuel.
Sont visées ici les actions interrogatoires 1677 et provocatoires 1678 sur lesquelles nous ne
souhaitons pas nous étendre. L’exigence d’un intérêt né et actuel trouve quelques atténuations
résultant à la fois de la loi1679 et de la jurisprudence1680. L’intérêt à agir est apprécié au jour de
l’introduction de la demande. Avoir un intérêt à agir, c’est être susceptible d’avoir un droit
substantiel, c’est avoir une chance ou une possibilité de gagner le procès1681. L’Existence du
droit d’agir en justice détermine qu’un titulaire de droits pourrait prétendre à engager une
action. Dans l’hypothèse d’un individu qui agit en consécration ou contestation d’un droit,
c’est l’atteinte portée à ce droit qui lui confère un intérêt à agir. Le droit est le fondement de
l’action et cette action est subordonnée à l’existence d’un intérêt1682. Ce qui fait de l’intérêt à
agir, une exigence principale 1683 , nécessaire et surtout permanente 1684 . L’intérêt à agir est
considéré comme la première condition requise pour qu’un recours judiciaire soit ouvert,
comme le révèlent d’antiques adages « pas d’intérêt pas d’action » ou encore « l’intérêt est la
mesure de l’action », longtemps érigés en principes. Si l’intérêt est reconnu comme un
avantage pécuniaire ou moral que l'on peut tirer d'une action en justice, un autre aspect ne
peut être négligé. Il rend 1' appel au juge tributaire d’une exigence complémentaire : la qualité
à agir.

1676
Paris 7 Nov. 1957, Rev. Crit. DIP 1959.321, note Bellet en matière d’exequatur de jugement étranger. TGI
Paris, 26 Déc., 1975, JCP, 1976, II. 18385.
1677
Actions dont l’objet est de contraindre la partie adverse qui dispose d'une faculté d'option, à déclarer
immédiatement la position qu'elle se propose d'adopter. Le temps de réflexion qui lui est normalement octroyé
est ici réduit à néant. De telles actions sont déclarées irrecevables en l'absence d'intérêt né et actuel. Voir Cécile
Chainais, Frédérique Ferrand et Serges Guinchard, Procédure Civile Droit interne et européen de procédure
civile, Op. Cit. ;
1678
Celles-ci tendent à obliger celui qui se vante de pouvoir contester une situation juridique déterminée à agir
dans un certain délai ou à se taire à jamais sur ce point.
1679
Très largement admises, les actions conservatoires permettent d'agir en référé afin d'obtenir des mesures
conservatoires, pour prévenir un dommage imminent ou toute mesure d'instruction, s'il existe un motif légitime
de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige. Tout
intéressé peut demander que soit autorisée une telle mesure soit sur requête, soit en référé mais non par le juge
du fond (TGI Reims, 7 Juin 1979, Jurisprudence Champagne-Ardennes 1979. II. n°394). Dans ces cas, même si
le dommage n'est pas certain, la probabilité d'un trouble est suffisamment grande pour que l'intérêt à agir soit
considéré comme né et actuel. Voir notamment le Titre II du Livre II relatifs aux mesures conservatoires de
l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution.
1680
La jurisprudence se montre de plus en plus accueillante à travers les actions déclaratoires. Ces actions
permettent de déclarer judiciairement l'existence ou l'inexistence d'une situation juridique ou d'un droit, mais
dont le jugement ne comportera pas de mesures coercitives susceptibles d'exécution forcée.
1681
Voir E. Jeuland, in Loïc Cadiet, Dictionnaire de la justice, Op. Cit, p.359.
1682
Cécile Chainais, Frédérique Ferrand, Serges Guinchard, Procédure Civile Droit interne et européen de
procédure civile, Op. Cit. p. 143.
1683
J. Heron et Th. Le Bars, Droit judiciaire privé, 5e éd. Montchrestien, Lextenso, Paris, 2012, p. 72, n° 62.
1684
C. Tahri, Procédure civile, Bréal, 2e éd., 2009, p. 90.

344
330. Titulaire du droit d'action, la personne ne peut agir en justice que si elle peut justifier
de la qualité requise. La qualité à agir est la traduction processuelle de la titularité du droit
substantiel d'agir1685. Elle désigne le titre juridique qui confère la prérogative légale d’agir en
justice 1686 , et traduit dans certaines actions l’obligation de justifier d’un intérêt direct et
personnel. Elle est aussi, la « condition de titularité ou d’appartenance du droit d’action »1687
exigée à peine d’irrecevabilité de la demande. Selon Giverdon 1688 , la qualité en principe,
dérive d’un intérêt direct et personnel à agir. Pour celui qui agit à titre personnel, la qualité à
agir n’est alors qu’un aspect particulier de l’intérêt. Il est le bénéficiaire direct et personnel
des règles dont-il réclame l’application. Il le présente donc comme « le titre auquel il (le
plaideur) peut engager le procès ». La qualité serait donc un titre. Comme l'intérêt, la qualité
à agir constitue « une notion encore bien imprécise que l'on présente cependant comme l'une
des conditions nécessaires pour exercer une action »1689. La formulation l'article 31 retenue
par les rédacteurs français du Code de procédure civile, selon lequel « l'action est ouverte à
tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des
cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour
élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé » nous laisse
penser qu’il y aurait implicitement, une hiérarchie entre l’intérêt nécessaire à toute action et la
qualité facultative.

Dans la pratique, pour parer à cette confusion entre intérêt et qualité à agir, une
distinction est généralement faite entre les actions dites « banales » et les actions dites
« attitrées »1690. Les rapports des deux notions de qualité et intérêt se trouvent inversées selon
qu’il s’agit d’action banale ou d’action attitrée1691. Dans l’action dite banale, la qualité n’est
qu’un aspect particulier de l’intérêt, elle est absorbée par lui. L’on assiste en cette hypothèse à
une confusion des deux conditions dans la mesure où la qualité se fond en l’intérêt. La
condition de qualité est ici satisfaite à l’évidence. La seule prétention d’être titulaire d’un droit
subjectif donné attribue le droit de le faire valoir en justice. La qualité n’est pas discutée, le

1685
Alain Douglas Kamga, Le droit à l’exécution forcée, Réflexion à partir des systèmes juridiques
camerounais et français, Thèse, Droit, Université de Limoges, Université de Yaoundé II, 2009, p. 157.
1686
Cécile Chainais, Frédérique Ferrand et Serges Guinchard, Procédure Civile Droit interne et européen de
procédure civile, Op. Cit. p.151.
1687
M.L. Niboyet et G. De Geouffre De la Pradelle, Droit international privé, Op. Cit, p.423.
1688
G. Giverdon, « La qualité, condition de recevabilité de l’action en justice », rec. Dalloz, 1952, Chron., p. 85
et s. L’auteur affirme que si, logiquement, l’examen du fond ne devrait venir qu’une fois tranchée la question de
recevabilité de l’action, dans la réalité, ces deux opérations, logiquement distinctes, sont, en fait, confondues,
parce que la qualité, élément d’appréciation de la recevabilité, suppose déjà l’examen du bien- fondé.
1689
Ibid.
1690
J. V. Compernolle, Le droit d’action en justice des groupements, Op. Cit.
1691
G. Cornu et J. Foyer, Procédure civile, Op. Cit, p. 340.

345
débat s’ouvre sur les conditions du bien fondé de l’allégation. Le respect de la règle de droit
est de confier sa défense aux titulaires du droit litigieux, à ses ayants causes à titre universel.
C'est-à-dire aux sujets de droit qu’elle intéresse directement. Il faut en déduire, qu'en cette
hypothèse, la loi a estimé que le titulaire du droit substantiel est le mieux placé pour veiller à
la protection de ce droit. Elle lui confère alors tacitement la qualité pour agir et en obtenir la
sanction. Il y a en quelque sorte un glissement naturel de l'intérêt vers la qualité1692.

Dans d’autres hypothèses, le droit délimite plus précisément le cercle des titulaires du
droit d’agir en exigeant qu’il justifie d’un titre particulier. L’action est alors dite « attitrée ».
Le plaideur ne pouvant plus se limiter à de simples allégations doit justifier du titre auquel
l’ouverture de l’action est subordonnée. L’attribution expressis verbis par un texte d’un droit
d’action à des personnes déterminées constituent indiscutablement un moyen efficace de
garantir leur présence sur la scène judiciaire. A cet effet « dans l’action attitrée l’intérêt
corrobore, le cas échéant, la qualité dans l’action banale, la qualité découle de l’intérêt »1693.
Ici, la qualité constitue le titre légal nécessaire « qui donne à une personne le pouvoir
d'exercer en justice le droit dont elle demande la sanction » 1694 . Concernant certaines
prétentions, des personnes ou des catégories de personnes disposent d'un véritable « monopole
de la demande »1695. Dans cette situation, la seule justification du titre suffira parfois à faire
déclarer la demande recevable, car l'intérêt sera présumé1696. L’exemple le plus illustratif est
celle de la décision d’agir des personnes morales. Le principe est que les personnes morales
ne peuvent décider d'agir qu'à 1'intervention de leurs organes compétents1697. Cette qualité
résulte soit de la qualité requise par la loi : c’est le cas des actions attitrées ; soit, dans toutes
les actions ouvertes à tout intéressé, de la justification d'un intérêt pour agir : il s’agira dans
ces cas d'actions banales.
Dans toutes les hypothèses d’action envisagées, action banale ou attitrée, quelle que
soit le titulaire de l’action, personne physique ou une personne morale, que l’action ait pour
objectif la défense des intérêts individuels ou collectifs, personnels ou d'autrui, la qualité
« réalise la jonction entre l'action et le fond du litige»1698. C'est la qualité à agir qui permet
aux parties de provoquer l’intervention du juge afin qu'il statue sur le différend qui les oppose.
1692
Stéphanie Mélis-Maas, Pour un renouvellement de la notion d’action, Thèse, Op. Cit, p.54.
1693
G. Cornu et J. Foyer, Procédure civile, Op. Cit.
1694
R. Perrot et H. Solus, Droit judiciaire privé, Op. Cit, p.243-244.
1695
G. Cornu et J. Foyer citent l'exemple des héritiers du mari qui ne peuvent contester la légitimité d'un
enfant mis en possession des biens du mari ou s'ils ont été troublés par lui dans la possession des biens
héréditaire qu’ils ont appréhendés (art. 3l7 C.civ.), Op. Cit., p.337.
1696
Stéphanie Mélis-Maas, Pour un renouvellement de la notion d’action, Thèse, Op. Cit, p. 54.
1697
J. V. Compernolle, Le droit d’action en justice des groupements, Op. Cit, p. 102.
1698
G. Giverdon, « La qualité, condition de recevabilité de l’action en justice », Op. Cit. p.86.

346
Il faut en effet s'attacher au fond de la demande pour savoir si les parties ont la qualité requise
pour agir en justice. Si la qualité et l'intérêt sont des conditions ampliatives traditionnelles de
l'action en justice, il ne faut pourtant pas placer ces deux notions sur un pied d'égalité. En
effet, la qualité doit occuper une place de choix car elle seule, peut jouer un rôle de liaison
entre l'action en justice et les demandes, du moins selon la thèse développée par Giverdon. En
tout état de cause, le libre droit d'en appeler au juge au profit du demandeur demeure encadré.

2. L’encadrement juridique de l’action du demandeur

331. Le droit à la justice est certes un droit fondamental mais non absolu puisque la loi
admet que des atteintes puissent être apportées au droit au juge dès lors qu’elles ne sont pas
substantielles1699. Plutôt que d’atteintes, il s’agit pour nous d’encadrement juridique. Le droit
d’agir en justice reste soumis au respect de certaines conditions dont dépend son ouverture.
La recevabilité de l’action est subordonnée du point de vue du plaideur, demandeur comme
défendeur ou tiers intervenant aux conditions d’intérêt et de la qualité. Cependant cet
encadrement juridique fait aussi l’objet de restrictions. Deux situations peuvent se rencontrer :
l’une où l’intérêt est insuffisant pour bénéficier de l’action et l’autre où l’intérêt personnel est
inefficace.

332. Dans l’hypothèse de l’insuffisance de l’intérêt personnel, l’action est ouverte à tous
ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas
dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou
combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé1700. Avoir un intérêt, telle est
bien, en principe, l’une des conditions du droit à la juridiction. Cependant, la notion d’intérêt
est en soi indécise. L'intérêt en l’occurrence figure au nombre de ces notions fondamentales
du droit processuel qui sont d'un usage quotidien et généralisé mais qui n'en demeurent pas
moins réfractaires à l'analyse1701. Cette idée, selon laquelle la notion d'intérêt est mouvante et
se dérobe à mesure que l’on s'aventure à la définir, est répandue en doctrine. Certains se
demandent même s'il est possible d'en préciser les contours avec netteté1702. C’est la raison
pour laquelle les auteurs ont essayé de la définir et de la caractériser. La nécessité de justifier
d’un intérêt est certifié par de vieux adages : « L’intérêt est la mesure des actions » ; « pas

1699
W. Baranès et M.-A Frison Roche, « Le souci de l’effectivité du droit », Op. Cit.
1700
J. V. Compernolle, Le droit d’action en justice des groupements, Op. Cit,
1701
Iréné Aclombessi, Le substantiel dans l’appréciation du droit d’agir, Thèse, Op. Cit, p. 41 et suiv ; M.
Lalignant, « La notion d'intérêt à agir devant le juge administratif », RDP. 1971, p. 43.
1702
G. Cornu et Jean Foyer précisent que « le danger de définir la notion est de la compliquer ou de
remplacer une notion courante que tout le monde comprend, ne serait parce que par intuition, par une notion
savante et inutile », Procédure civile, Op. Cit, n° 80, p. 344.

347
d’intérêt pas d’action ». Etymologiquement, l’intérêt dérive de latin interest qui, dans son
sens substantivé désigne « ce qui importe ». Selon une acception courante, l'intérêt personnel
est présenté la recherche d’un avantage personnel. Il désigne l’utilité, le profit l’avantage que
l’action procure au plaideur1703. Il trace « un lien entre le passé et l'avenir »1704. En effet,
l’intérêt existe lorsqu'une situation cause à une personne un trouble et qu'un jugement pourrait
le faire cesser. Il se vérifie également lorsqu'un justiciable souhaite pérenniser sa situation
actuelle et se prémunir ainsi contre un désordre éventuel1705. Il peut s’agir d’un gain matériel,
extrapatrimonial ou encore du renforcement d’une situation existante1706.

Pour être plus concret, dans cette hypothèse de l’insuffisance de l’intérêt personnel,
sont visées toutes les situations dans lesquelles en dehors de l’intérêt personnel, le demandeur
doit justifier d’une qualité, d’un titre particulier en plus pour être admis à agir. L’action en
justice n’est plus ouverte qu’à un nombre limité de personnes. C’est le cas des actions
attitrées ou réservées. Pour voir son action aboutir, le requérant doit non seulement pouvoir
justifier d’un intérêt, et appartenir à la catégorie personnes auxquelles la loi reconnaît le droit
de le faire valoir. Il doit en somme avoir la « qualité juridique », titre légal conférant la
prérogative de l’action en justice. La raison de cette restriction sera souvent en lien étroit avec
l’objet de l’action. Il s’agit des personnes qui, si l’on sen tenait à la condition classique de
l’intérêt à agir, n’auraient aucune habilitation à agir en justice. Il arrive ainsi, bien qu’une
personne n’ait pas d’intérêt personnel et direct à agir et qu’elle ne soit destinataire direct et
personnel des règles dont elle demande l’application, se voit reconnaitre par la loi la qualité
pour agir, pour défendre un intérêt qui ne lui est pas personnel. Il y à ce moment extension du
droit personnel au delà de la seule exigence de l’intérêt direct et personnel. Les rapports entre
qualité et intérêt dans ce cadre deviennent subtils1707. A titre d’illustration, l’action en divorce
ne sera ouverte aux seules personnes engagées dans le mariage que l’on veut dissoudre.

Si la condition d'un intérêt direct et personnel fait partie des éléments constants de
l’intérêt, elle est néanmoins, sources de difficultés en raison de son appréciation délicate. C'est

1703
Cécile Chainais, Frédérique Ferrand et Serges Guinchard, Procédure Civile Droit interne et européen de
procédure civile, Op. Cit, p.143.
1704
G. Cornu et Jean Foyer, Procédure civile, Paris, Op. Cit. p.338, n° 78.
1705
Melis-Maas, Pour un renouvellement de la notion d'action en justice, Thèse, Op. Cit, p.29.
1706
Ibid.
1707
Cécile Chainais, Frédérique Ferrand et Serges Guinchard, Procédure Civile Droit interne et européen de
procédure civile, Op. Cit. ; Voir aussi, G. Bolard, « Qualité ou intérêt pou agir », Mélanges Serges Guinchard,
Dalloz, 2010, p. 597 et S. ; F. Kenarleguen, « Intérêt, qualité et pouvoir : le ménage à trois de l’action en
justice », Mélanges Serges Guinchard, Dalloz, 2010, p.771 et s ; Mikalef-Toudic, Le ministère partie principale
dans le procès civil, Thèse, Droit, Caen, 1997.

348
le droit public1708 qui apportera sur la question des précisions importantes. Il sera personnel
lorsque le demandeur défend son propre intérêt, car il n'existe pas « de gestion d'action »,
comme on retrouve comme dans les cas de gestions d'affaires1709. Est-ce à dire que l’action en
justice n'est ouverte qu'au plaideur qui invoque lui-même une situation juridique qui le
concerne et qu'il veut défendre ou contester, sauf disposition légale spécifique ? La condition
d'individualisation de l'intérêt suscite des interrogations dans le cadre des actions en justice
intentées par un groupement1710.

333. Les cas d’inefficacité de l’intérêt personnel par contre recouvrent de très rares
hypothèses. Il s’agit des cas où la loi reconnaît à une personne physique le droit d’agir en
justice pour assurer la défense des intérêts d’autrui, en interdisant au véritable titulaire de
l’action d’assurer lui même sa défense. La représentation légale, puisqu’il s’agit d’elle, permet
quelquefois de pallier les défaillances du titulaire de l’action, en confiant celle-ci sous
certaines conditions à quelqu’un qui trouve un titre à agir par substitution d’autrui1711. Est
spécifiquement concernée « l’action sociale exercée ut singuli ou ut plures » des
groupements 1712 , sociétés commerciales ou civiles destinée à demander réparation du
préjudice subi par la personne morale à laquelle il appartient du fait de ses mandataires
sociaux. L’action intentée est celle de la société, dont on peut craindre qu’elle ne soit jamais
exercée puisqu’elle met en cause ses propres mandataires sociaux. Le préjudice subi est aussi
celui de la société et elle doit avoir été mise en cause préalablement par les associés. Cette
exigence légale pour les sociétés commerciales n’exclut pas la qualification de représentation
de la société par l’associé agissant, car si par l’exercice de l’action, la société est

1708
L'exigence d'un intérêt direct et personnel est apparue dès le XIXe siècle en droit administratif dans le cadre
du recours pour excès de pouvoir. Mais alors que le Conseil d'Etat développait peu à peu une jurisprudence
libérale, la Cour de cassation utilisait cette condition comme instrument de sélection sévère. Ainsi, les
caractéristiques de l'intérêt ont-ils beaucoup évolué dans le cadre du contentieux de l'excès de pouvoir. Aux
origines du recours pour excès de pouvoir, le requérant n'était recevable à agir que si un acte administratif qui le
nommait personnellement, était pris à son encontre. Puis, le Conseil d'Etat admit le recours pour excès de
pouvoir contre les actes qui ne visaient plus nommément les administrés. Aujourd'hui, le Conseil d'Etat déclare
recevable le recours pour excès de pouvoir d'un particulier de manière très large.
1709
S. Melis-Maas, Pour un renouvellement de la notion d'action en justice, Thèse, Op. Cit, p. 33 et s.
1710
Il est évident, qu'un groupement doté de la personnalité juridique aura le droit d'ester en justice, lorsque ses
droits ont été lésés. La difficulté survient lorsque le groupement sans invoquer la lésion d'un de ses droits
propres, intente une action pour obtenir la condamnation d'agissements qui risquent indirectement de lui nuire.
Voir sur la question l’exemple porté par N.C. Madeleine Ndiaye, « L’action en défense d’intérêts collectifs en
procédure civile sénégalaise », BDE, 2, 2017 ; Serge Guinchard, « L'action de groupe en procédure civile
française », (avril-juin 1990) 42-2, RIDC 599-635 ; Pierre-Claude Lafond, « Le recours collectif : entre la
commodité procédurale et la justice sociale », (1998-1999) 29 Revue de droit de l'Université de Sherbrooke 3-
37 ; Soraya Amrani Mekki, « Le socle commun procédural de l'action de groupe de la loi de modernisation de
la justice du XXIe siècle. À propos de la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 », JCP 2016, 1340.
1711
V. pour plus de détails, Cécile Chainais, Frédérique Ferrand, Serges Guinchard, Procédure Civile Droit
interne et européen de procédure civile, Op. Cit. p. 241.
1712
Ibid.

349
effectivement représentée par cet associé, il n’est pas inutile qu’elle puisse être présente au
procès, personnellement par l’intermédiaire de ses représentants légaux. C’est donc bien une
action de substitution, en défense de l’intérêt d’autrui, par représentation de la société par
ceux qui agissent 1713 . Les conditions en sont appréciées en la personne de l’associé,
notamment la qualité à agir1714. Le but recherché est la réparation de l’ensemble du dommage
subi par la société et non pas en proportion de la part, dans le capital social, de ceux qui
l’exercent. Les dommages-intérêts seront par conséquent alloués à la société elle-même.

On ne saurait parler à ce niveau d’une condition d’exercice de l’action comme pour


celle des administrateurs légaux1715, mais d’un droit d’agir octroyé a priori uniquement au
mandataire judiciaire. C’est lui qui est le titulaire direct de l’action et c’est en sa personne que
devront s’apprécier les conditions d’existence de l’action et non en la personne des créanciers
dont il assure la défense des intérêts.

On retiendra que la conditionnalité du droit par l’intérêt et la qualité a agir imposée au


demandeur constitue un procédé de filtrage des prétentions et de désencombrement de l’office
du juge à travers le contrôle de l’arrivée de nouveaux plaideurs devant les tribunaux ; la
détermination des personnes déterminées à agir, « une pièce essentielle du dispositif » de mise
en œuvre des droits1716.

B. Les droits d’action du défendeur

334. Les personnes engagées dans le rapport juridique d’instance sont naturellement les
parties, demandeurs et défendeur. Au pouvoir du demandeur d’exercer son droit d’agir
s’oppose le droit pour le défendeur de discuter du bien fondé de la prétention du demandeur
consolidé par une possible admission de véritables droits d’action du défendeur.

335. Le droit d’action comme nous l’enseigne les « rétrodictions » du Professeur Jean-
Louis Halpérin1717 a toujours, depuis les Institutes des justinien, en passant par le Répertoire
de législation, de doctrine et de jurisprudence des frères Dalloz à Domat été basée sur une
action positive du demandeur d’obtenir par la poursuite en justice de ce qui lui est dû et la

1713
Ibid.
1714
Voir Acte uniforme sur le droit des sociétés commerciales et Groupements d’intérêts économiques.
Dispositions relatives aux actions en responsabilité contre les dirigeants sociaux.
1715
Georges Bolard, « Administrateurs et mandataires judiciaires », in Loïc Cadiet (dir), Dictionnaire de la
justice, Op. Cit, pp. 7-8.
1716
Evelyne Serverin, « Des fonctions économiques des tribunaux », Op. Cit.
1717
Jean-Louis Halpérin, Marie-Laure Niboyet, « Agir en justice : la distinction de la substance et de la
procédure », Op. Cit.

350
réparation du tort qu’on nous a causé, soit par des actions soit par des paroles1718. Même la
bilatéralisation (demandeur – défendeur) de la définition opérée par l’article 30 du Code de
procédure civile français et reformulé par la doctrine1719 ne fait que le confirmer. Ce qui a
soulevé une interrogation, celle de savoir si le défendeur dispose d’un droit d’action
symétrique de celui du demandeur. Si le premier dispose à l’image du second bel et bien d’un
droit d’action, il faut arguer l’absence de symétrie entre le droit d’action du demandeur et
celui du défendeur. Le premier droit du d’action du défendeur est de contester du bien fondé
de la prétention de son adversaire. La différence de but, le moment de l’exercice du droit
d’action pour chacun des plaideurs, les conditions de recevabilité de chaque action (le droit
d’action du défendeur n’est soumis à aucune des conditions de recevabilité spécifiques
imposées au demandeur) sont les principales caractéristiques de chacun des droits des
plaideurs. Lutte pour la reconnaissance du bien-fondé de sa prétention pour l’un et admission
du mal-fondé de la prétention pour l’autre. Le droit de la défense qui fonde l’usage de la voie
de droit du côté du défendeur n’a rien à voir avec le droit d’agir du demandeur, les deux droits
n’ayant pas le même contenu. Le droit d’action du défendeur se traduit par le droit de
s’opposer, qui tient sa source du principe du contradictoire pour se confondre avec les droits
de la défense1720. A ce titre les droits de la défense sont du coté du défendeur une forme de
droit de « déclencher à son profit le fonctionnement du service public de la justice » pour
deux raisons. La première, le droit de contredire est lui-même un droit d’action. La seconde, il
n’y a d’accès effectif à la justice pour l’adversaire à la prétention du demandeur que si
« l’action rencontre la défense »1721. Celui-ci commence dès la signification de l’assignation
ou de la citation à comparaitre au défendeur. L’essentiel du droit de contester du défendeur est
constitué de tous moyens de défense quel qu’il soit mis à sa disposition : exception de
procédure, fin de non recevoir ou défense au fond, sans avoir à justifier au même titre que le
titulaire que le demandeur, d’un droit d’action spécialement attribué au regard de la question
litigieuse.

336. Si ce n’est que de manière très exceptionnelle que la question d’un véritable droit
d’action du défendeur autonome de la demande initiale se pose, l’on assisterait de plus en plus
en l’occurrence en droit international privé à l’admission d’un véritable droit d’action

1718
Ibid.
1719
Cf. par exemple M.-L. Niboyet, « Action en justice », Op. Cit. L’auteur définit l’action en justice dans un
sens applicable à tous les contentieux comme le droit, à certaines conditions déterminées, à un recours devant un
juge investi du pouvoir de trancher les litiges pour obtenir une décision de justice.
1720
G. Wiederkehr, « La notion d’action en justice selon l’article 30 du Nouveau Code de procédure civile »,
Op. Cit., p. 955.
1721
Ibid.

351
autonome subordonnant la recevabilité des moyens de défense du défendeur à l’obligation de
justifier d’un intérêt légitime pour invoquer tel ou tel moyen. A titre illustratif, on peut
convoquer un arrêt de 1983 de la Cour de cassation française portant sur un litige en matière
successorale opposant les héritiers du défunt à son ex-épouse 1722 . Pour défaut d’intérêt
légitime, l’arrêt déniait à l’ex-conjointe survivant dans le cas d’espèce, le droit de contester la
régularité du jugement de divorce qu’elle avait précédemment obtenu frauduleusement à
l’étranger et qui l’excluait de la succession litigieuse. La doctrine commence à admettre la
possibilité de l’existence d’un véritable droit d’action du défendeur, susceptible d’obéir à des
conditions autonomes, notamment, la possibilité de soulever par voie d’exception un droit
prescrit1723. Quelle que soit toutefois l’évolution en la matière, le défendeur au regard de sa
position dans le lien d’instance ne choisit pas toujours sa qualité. Son droit d’action est aligné
sur celui engagé par le demandeur contre lui.

337. De la proclamation de l’effectivité des droits par l’accès au juge, il y faut la mise en
œuvre d’une égalité, ou du moins, d’un équilibre entre les droits des parties au seuil du
procès. L’aménagement des droits d’action au profit des plaideurs constitue un facteur
d’efficacité de la garantie du droit d’accès à la justice, sur le plan processuel un lien entre les
parties et le juge, on parlera de lien juridique d’instance avec l’obligation pour le juge de
rendre une décision sur le fond de la prétention.

Paragraphe II. Le juge et le droit d’agir


338. Tout droit réclame un juge. Et pour bien comprendre le lien, le rapport qui existe entre
le juge et droit d’agir ou la place qu’occupe cet officier de justice par rapport au droit d’agir,
et donc à l’action en justice, il faut se tourner vers la nature de l’action en justice. Une voie de
droit, une voie organisée, un moyen, un procédé, une voie pour se faire rétablir la justice, c’est
ainsi qu’elle est appréhendée par la doctrine1724. Elle donne aux parties, par les demandes
substantielles qu’elles formulent de délimiter le litige qui les oppose. Lorsqu’elles remplissent
leur office, le juge exerce la fonction juridictionnelle, celle de trancher le litige, fonction
reconnue à toute juridiction. En contrepartie des droits reconnus aux parties dans le lien
d’instance, le juge assure des obligations. Obligations (B) qui ne peuvent être appréhendées

1722
Cass. civ. 1re, 19 janv. 1983, Rev. crit. DIP, 1984, 492. V. aussi F. Terré, L’action en justice en droit
international privé, Op. Cit.
1723
M.-L. Niboyet, « Action en justice », Op. Cit.
1724
Voir not. Iréné Aclombessi, Le substantiel dans l’appréciation du droit d’agir, Thèse, Op. Cit, p. 374 ;
Jean-Louis Halpérin, Marie-Laure Niboyet, « Agir en justice : la distinction de la substance et de la
procédure », Op. Cit., p. 9.

352
que si l’on a au préalable déterminé les caractéristiques attendues de la juridiction (A) dans
laquelle le juge exerce son office.

A. Les caractéristiques attendues de la juridiction

339. L’on ne peut aisément définir les attentes portées sur une chose, en l’occurrence une
juridiction qu’après d’une certaine manière l’avoir appréhendée. Appréhension qui servira
également à mieux comprendre les tenants et les aboutissants de la fonction juridictionnelle
attribuée au juge et revendiquée par celui-ci. Qu’est ce donc qu’une juridiction ? Doctrine et
jurisprudence se sont penchées sur la question. Et au-delà de la diversité des approches de
définitions pointant d’une part, le critère matériel tiré de la mission de l’organe (cause, objet,
et but de l’acte du juge) 1725, d’autre part, l’appréhension de la juridiction fondée sur le critère
tiré des conditions de fonctionnement de l’organe à qualifié (critère formel) à l’exemple des
propositions de messieurs J. Chevallier 1726 , Donnadieu de Vabres 1727 , considérant en
particulier une définition tirée de la forme de l’acte et des conditions de fonctionnement de
l’organe à qualifier, enfin la position médiane d’une autre frange de la doctrine 1728 , la
juridiction sera considérée ici comme un « organe chargé de trancher les litiges
conformément au droit par une décision dotée de l'autorité de la chose jugée et de
l'imperium »1729 ou encore en partant de l’acte juridictionnel définit par J. de Soto comme
« l'acte émanant d'une autorité spéciale ou d'une autorité juridictionnelle, destiné à mettre
définitivement fin à un trouble juridique et à la suite d'une procédure garantissant tous les

1725
Cette approche reste marquée par R. Chapus, « Qu'est ce qu'une juridiction ? La réponse de la
jurisprudence administrative », in Recueil d'études en hommage à Charles Eisenmann, Paris, Cujas, 1977, p.
265-297. L’auteur en propose une étude minutieuse et détaillée à partir de l’arrêt Bayo. Il y effectue alors une
distinction générale, selon que le Conseil d'Etat dispose ou non d'un pouvoir d'appréciation. Lorsque le conseil
d’Etat ne dispose pas d’un pouvoir d’appréciation, la qualification de l’organe est dictée par des données
extérieures. L’organe en ce cas ne dispose pas de pouvoirs de décision et ne se trouve pas en position d’exercer
son pouvoir d’obligation. Par contre, lorsque le Conseil d’Etat n’est lié par aucune contrainte extérieure, il existe
un « liaison absolue » entre la qualité de l’organe exerçant une mission disciplinaire et celle de juridiction. Par
ailleurs M. D’Ambra, considère aussi que le critère matériel détermine la qualification de la juridiction. Elle
affirme que « l’objet propre de la fonction juridictionnelle parait résider dans la fonction qui est de trancher les
litiges ». Cf. D. D'Ambra, L'objet de la fonction juridictionnelle: dire le droit et trancher les litiges, Thèse,
LGDJ, Op. Cit, p. XXI.
1726
Jacques Chevallier, « Fonction contentieuse et fonction juridictionnelle », in Mélanges en l'honneur du
Professeur Michel Stassinopoulos, Paris, LGDJ, 1974, p. 288. Le raisonnement de l’auteur semble fonder sur un
faisceau d’indice. Pour lui, ce qui fait le caractère propre d’une juridiction, ce n’est pas la mission qu’elle a
vocation à remplir, mais ses règles spéciales d’organisation et de procédure.
1727
J. Donnadieu De Vabres, concl. sous CE le 7 Avril 1953, Falco et Vidaillac, Gaz. Pal. 1953, Jurisp., p. 30.
1728
Cf. J. Vincent et S. Guinchard, Procédure civile, Paris, Précis Dalloz, Droit privé, 21è édition, 2003, p.209,
n°161 ; Cécile Chainais, Frédérique Ferrand et Serges Guinchard, Procédure Civile Droit interne et européen
de procédure civile, Op. Cit. p.693 et s.
1729
Stéphanie Melis-Maas, Pour un renouvellement de la notion d’action en justice, Op. Cit.

353
intérêts en présence » 1730 . La justiciabilité serait ainsi la pierre de touche 1731 de toute
juridiction. Justiciabilité des droits considérée à son tour comme la soumission potentielle de
ces droits à l’examen et au contrôle d’une juridiction1732.

À partir de là, la perception de la juridiction à partir de l’acte qui symbolise l’office du


juge permet ainsi de caractériser la juridiction « idoine » chargée de donner suite aux
prétentions des plaideurs. Le droit d’en appeler à la juridiction implique l’accès à une
organisation répondant à certains critères. Le premier critère renvoie à la nature de l’autorité.
Critère qui précède naturellement ceux relatif au droit à une bonne administration de la
justice1733. Une autorité spéciale ou juridictionnelle. L’important réside ici dans le caractère
indiscutablement qualitatif de l’autorité en question. Qu’il s’agisse du droit matériel ou de la
procédure, référence est presque toujours faite à une « bonne structure judiciaire »1734, à un
tribunal établi par la loi et qui décide1735 ; bref une institution qui présente une assurance et un
certain degré de fiabilité. À titre de droit comparé, celà suppose selon la terminologie de la
Cour européenne des droits de l’homme, « un organe judiciaire de pleine juridiction » dotée
d’une certaine marge de manœuvre du juge sous peine de vider le droit au tribunal de sa
substance 1736 . La légalité du tribunal se présente comme une évidence. Autrement dit,
l’existence, l’érection de la juridiction autant que ses compétences et compositions sont
garanties dans le droit interne par la Loi1737 que dans le droit régional par une convention1738.
Cette évidence est mise en exergue par l’alinéa 2 de l’article 37 de la Constitution
camerounaise aux termes duquel « le pouvoir judiciaire est exercé par la Cour Suprême, les
Cours d’appel, les Tribunaux. […] ». Plus loin, l’article 4 du Code civil applicable se pose en
rempart contre le déni de justice lorsqu’il dispose que « le juge qui refusera de juger, sous
prétexte du silence, de l'obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme
coupable de déni de justice ». Le Traité fait recours à l’expression générique de « juridiction

1730
J. De Soto, « La notion de juridiction (A propos du Conseil Supérieur de l'électricité et du gaz) », D. 1956
C, Chron., p.46.
1731
Christian Autexier, « Chapitre 5 : Les droits fondamentaux », in Introduction au droit public Allemand,
PUF, 1997.
1732
Carole Nivard, La justiciabilité des droits sociaux. Étude de droit conventionnel européen, Thèse, Droit
Public, Université de Montpellier 1, Sous la direction de F. Sudre, 2009, p. 18 et S.
1733
L’indépendance et impartialité. Voir supra, Première partie, Titre I.
1734
Martine Fabre, « Le droit à un procès équitable Etude de jurisprudence sur l’application de l’article 6, § 1,
de la convention EDH », ………………………………………….
1735
Ibid.
1736
Antoine Steff, « La protection de l’accès au juge judiciaire par les normes fondamentales », Op. Cit, p.
239 ; CEDH, 10 février 1983, Albert et Le Compte c/ Belgique, Série A 58, § 29 ; Cour EDH, 28 Juin 1990,
Obermeier c/ Autriche, série A 179, § 70.
1737
Constitution du 18 janvier 1996, Loi de 2006 et autres textes portant organisation judiciaire.
1738
Traité OHADA.

354
des Etats parties » 1739 ou encore de « juridiction nationale » 1740 compétente. De manière
constante, la CCJA s’appuie sur les dispositions des articles 14 et 18 du Traité pour consacrer
le droit d’accéder à une voie effective de droit. Sont exclus par voie de conséquence du champ
d’application de la légalité du tribunal les organes remplissant des fonctions disciplinaires, un
acte d’huissier, un entretien préalable au licenciement. Pour que l’action en justice puisse
satisfaire les attentes objectives et subjectives des bénéficiaires, il est indispensable que les
compétences des juridictions soient élaborées en vue de leur efficacité. En ce sens la légalité
du tribunal permet de délimiter un « périmètre de sécurité » 1741 où le justiciable pourra
bénéficier de l’effet juridique du droit d’action, une décision du juge résultant d’un débat sur
le fond. Mais ce critère ne suffit pas, seul mérite l’appellation de tribunal un organe
répondant à une autre série d’exigences. Allusion est faite au critère juridictionnel ou
fonctionnel, mais plus précisément aux obligations qui parfois se confondent avec ses
pouvoirs une fois que l’action est jugée recevable.

B. Les obligations du juge dans l’action en justice

340. Dans son entreprise de définition du juge, Georges Wiederkehr l’appréhende par son
activité principale. Le juge « est celui qui juge »1742. À l’auteur d’ajouter que « le juge est une
personne désignée comme tel pour exercer soit seul, soit en collège la fonction de juger »1743.
La fonction du juge est de décider, de choisir entre deux prétentions opposées celle qui serait
le plus fondée en droit. C’est dire que l'office principal du juge est – et a de tout temps été – sa
jurisdictio. Mais sa mission de coordinator (celui qui instruit le procès) est souligné par
Sénèque (Épistolae ad Lucilium) et toute la tradition romaine et canonique affirme cette
double fonction du juge : « ordinatoria et decisoria judicis »1744.

L’obligation du juge dans l’action en justice réside donc principalement dans le


règlement des litiges sur la base du droit 1745 . C’est dire que si les parties ont l’initiative

1739
Article 14 du Traité OHADA.
1740
Ibid.
1741
Martine Fabre, « Le droit à un procès équitable Etude de jurisprudence sur l’application de l’article 6, § 1,
de la convention EDH », Op. Cit.
1742
Georges Wiederkehr, « Qu'est ce qu'un juge ? », in Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs, Mélanges en
l'honneur de Roger Perrot, Paris, Dalloz 1996, p. 575.
1743
Ibid. rappr. M.-A. Frison Roche, « Les offices du juge », in Jean Foyer, auteur et législateur, Leges tulit,
jura docuit, Ecrits en hommage à Jean Foyer, Paris, PUF, 1997, p. 465.
1744
P. Efthymios, « Les pouvoirs d'office du juge dans la procédure civile française et dans la procédure civile
grecque », In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 39, n° 3, Juillet-septembre 1987, pp. 705-720.
1745
Si la fonction principale d'une juridiction est de trancher les litiges, elle ne constitue pas pour autant une
fonction exclusive. En effet, le juge accomplit également des actes extérieurs à cette fonction principale et qui
n'entrent pas a priori, dans la catégorie des actes juridictionnels. Cette fonction juridictionnelle s’étend à la

355
d’engager le procès en saisissant le juge, le juge quant à lui à l’obligation de trancher le litige,
de le prendre en charge, même dans les hypothèse de silence, d’insuffisance ou d’obscurité de
la loi. C’est donc en termes de charge, par opposition à la liberté de l’office des parties qu’il
convient de désigner l’office du juge1746. L’institution de la figure du juge répond ainsi à un
besoin, celui de trancher un litige, d’apaiser le conflit, faire application de la loi, pour que la
vertu de justice se concrétise1747. Pour le dire autrement, l’office du juge a pour objet le litige.
Le verbe « trancher », en appele à ce qui est définitif, ce sur quoi on ne revient pas, le fil
qu’on ne pourrait reprendre. En contrepartie du principe d’impulsion exercer par les parties au
travers des demandes substantielles contenues dans les actes de procédures, le juge exerce la
fonction juridictionnelle. Si les parties saisissent un juge, c'est en effet parce qu'elles
souhaitent mettre fin au litige qui les oppose, et ne parviennent pas à s'accorder seules. La
présence d'un tiers au litige apparaît pour elles comme le seul meilleur moyen pour y parvenir.
Le juge doit donc tenter une solution au contentieux qui oppose les parties, et permettre alors
un rapprochement des différentes prétentions. Par conséquent, pour exercer au mieux son
office juridictionnel, le juge doit connaitre les prétentions des parties. Seule l’appréhension
exacte des prétentions lui permettra de résoudre le litige, tout le litige pour lequel il a été saisi
et rien que celui là. C’est l'interdiction de l’infra et de l’ultra petita. Le juge ne peut se
prononcer que sur ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé. Autrement dit, il
doit statuer omnia petita. Les limites de l’office du juge sont posées par les prétentions
respectives des parties. L’interdiction pour le juge de statuer infra ou extra petita n’est
qu’une manifestation de l’obligation plus générale de statuer omnia petita. On retrouve ici le
principe de l’unité du litige qui, de la même manière qu’il permet de comprendre l’office des
parties vis-à-vis de leur litige (introduction des demandes substantielles, allégations des faits,
preuves) permet de comprendre la fonction juridictionnelle. En somme, le juge doit trancher
tout le litige. C’est le corollaire traditionnellement attaché à la juridiction et donc à l'action en
justice, perçu « comme un objectif à atteindre ou une conséquence souhaitée », plutôt que
« comme un effet inéluctable » 1748 . Nous rejoignons ainsi le Professeur Frison Roche qui
compare le pouvoir de trancher le litige du juge à un acte de violence, rappelant que l’acte du
juge est une décision et un acte d’autorité1749. En ce sens, le juge dans cet aménagement du

notion de matière gracieuse. V. en effet, G. Wiederkehr, « L'évolution de la justice gracieuse », in Mélanges


offerts à Pierre Drai, Le juge entre deux millénaires, Paris, Dalloz, 2000, p. 483
1746
M.-A. Frison Roche, « Les offices du juge », Op. Cit.
1747
Ibid.
1748
S. Melis-Maas, Pour un renouvellement de la notion d’action en justice, Op. Cit.
1749
M.-A. Frison Roche, « Les offices du juge », Op. Cit.

356
droit d’action des plaideurs peut légitimement être considéré comme un pilier de l’action en
justice.

341. Eu égard à ce qui précède, l’action en justice est une voie de droit organisée. Elle mêle
droits et prétentions des plaideurs dans le but d’assurer une garantie efficace du droit des
parties à déclencher à leur profit le service public de la justice. On retiendra donc que
l’aménagement d’un droit d’action afin d’en appeler l’office du juge est un facteur d’efficacité
du droit au juge. Si l’action en justice est une voie de droit par laquelle on peut obtenir ce qui
nous est dû, en ce sens qu’elle permet d’obtenir du juge une décision conforme à notre
réclamation, elle n’est pas la seule, et le droit d’accès à la justice ne doit plus être entendu
dans le sens strict d’accès aux tribunaux excluant tout autre tiers pouvant résoudre le litige. Le
droit d’action n’est plus limité à son acception institutionnelle où accès à la justice au droit à
la juridiction, mais également au droit d’en appeler aux tiers intervenant dans les autres modes
de règlement des litiges.

SECTION II. L’OUVERTURE DU DROIT D’ACTION AU SYSTÈME DES


RÈGLEMENTS ALTERNATIFS DES DIFFÉRENDS

342. La justice ne saurait être réduite à sa seule dimension juridictionnelle. Il existe en effet
d’autres moyens que l’entremise d’un tiers absolu, le juge, incarnation de l’État de droit pour
que justice soit rendue, pour que chacun ait le sien1750. Opposée à la justice étatique, la justice
peut être privée. Le justiciable camerounais, aujourd’hui, plus qu’hier ne peut plus se
satisfaire d’un droit d’ester limité à la possibilité de saisir un tiers absolu. Les législateurs
aussi bien national, que régional 1751 en sont conscient, et la saisie de l’opportunité de la
consécration d’une justice privée dans le droit positif en est l’illustration. Le système
juridique camerounais s’est ainsi éloignée de la conception traditionnelle stricto sensu de
l’action en justice comme le droit de cette personne ayant intérêt et qualité pour agir de
poursuivre en justice ce qui lui est dû et d’en obtenir une décision conforme à sa réclamation,
à une conception extensive du droit d’accès à la juridiction envisagée comme « le droit en
vertu duquel un justiciable peut saisir un juge afin qu'il rétablisse une paix troublée, quelque
soit les moyens pour y parvenir »1752. La définition s’est départie de la « violence » contenue

1750
Catherine Poli, L’unité fondamentale des accords amiables, Thèse, Droit, Université Aix – Marseille, 2018,
p. 15.
1751
Le préambule du Traité OHADA met expressément en exergue la volonté pour cette organisation « de
promouvoir l’arbitrage comme instrument de règlement des différends contractuels », par l’érection d’un Acte
uniforme sur l’arbitrage et un autre relatif à la médiation.
1752
S. Melis-Maas, Pour un renouvellement de la notion d’action en justice, Op. Cit.

357
dans la formule « trancher un litige »1753. L'accent est désormais plus porté sur l'objet et le but
de l'action en justice, et moins sur les moyens pour y parvenir. Les règlements amiables ont
pris place au rang des moyens complémentaires d’accès au juge. La démarche à son origine a
consisté dans les règlements amiables classiques et s’est développée uniquement dans ce
secteur. Seulement, l’on ne peut manquer de se poser la question suivante : les instruments qui
les organisent en garantissent-ils, le cas échéant, l’efficacité de leur mise en oeuvre ?

Le droit d’ester librement en justice, qui a priori semblait l’apanage de l’officier de


justice, va concerner également les modes amiables de résolution des différends. Les critiques
récurrentes adressées à l’encontre des procédures judiciaires, quel que soit leur domaine
(complexité des procédures, durée excessive, coût élevé), ont amené, non seulement le
législateur camerounais, mais surtout le législateur de l’Ohada, à s’interroger sur la nécessité
de porter des réflexions sur les alternatives au traitement contentieux des différends et litiges.
Celles-ci ont conduit à l’émergence d’un droit au recours à la résolution amiable des
différends (Paragraphe I). Néanmoins, l’ampleur de la garantie de ce droit à
l’ « alternativité »1754 cache mal quelques limitations (Paragraphe II).

Paragraphe I. L’émergence d’un droit au recours à la résolution


amiable des différends

343. Le droit à une protection juridictionnelle peut être satisfait de plusieurs manières, soit
par le juge étatique, soit par le recours à un tiers, pendant au droit au recours au juge : le droit
au recours à la résolution amiable des différends. S’offusquant de la confrontation
régulièrement faite entre la justice étatique et les modes alternatifs de règlement des
différends, sont-ils complémentaires ou concurrents, Monsieur Jean Marc semble avoir choisi
l’hypothèse de la complémentarité entre les deux formes de justice en soutenant que « les
modes alternatifs de règlement des différends sont un enrichissement de la réponse judiciaire
aux litiges et non un substitut à celle-ci »1755. Que l’on partage ou non ce point de vue, la
recherche d’un système juridictionnel incitatif et efficace 1756 pour tous les justiciables,
opérateurs du marché y compris devient de plus en plus un critère prépondérant. C’est dire
qu’au-delà de la conception originelle du droit au juge comme acteur détenteur de la « part de

1753
M.-A. Frison Roche, « Les offices juge », Op. Cit.
1754
V. not. P. Ancel, G. Blanc, M. Cottin, O. Gout, et alii, « Les modes alternatifs de règlement des
confits : un objet nouveau dans le discours des juristes français ? », Marie-Claire Rivier (dir.), Université
Jean Monnet - Saint-Etienne, Rapport synthétique, (C.E.R.C.R.I.D.), 2001.
1755
J-M. Sauvé, Intervention en ouverture du colloque sur « les développements de la médiation », colloque
organisé par le Conseil d’Etat et la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, 4 mai 2011.
1756
Diversité des modes de résolution des litiges, célérité de la résolution des litiges et qualité de l’exécution.

358
1757
souveraineté qu’est le droit de juger » , se dessine aussi « une complémentarité
fonctionnelle », qui marque le souci en droit camerounais de « préserver l’impératif d’une
continuité effective » 1758 de l’accès à une protection juridictionnelle pour le sujet de droit.
Celle-ci est identifiable sur deux leviers : l’arbitrage, en tant que pièce du système pluriel du
droit d’agir (A) et la consolidation des règlements alternatifs de traitement des litiges (B).

A. L’arbitrage, pièce d’un droit « alternatif » au règlement des contentieux

344. D’un point de vue procédural, le développement des dispositions procédurales


relatives à l’arbitrage atteste de l’existence d’un droit « alternatif » à la résolution amiable des
litiges. Du droit applicable apparait une reconnaissance intégrale et globale de l’arbitrage (1),
dont l’analyse laisse cerner l’objet et l’objectif communs à ces procédures de résolution
amiable des différends (2).

1. Une reconnaissance globale et intégrale de l’arbitrage

345. La contractualisation grandissante des rapports juridiques semble propice au règlement


conventionnel des litiges. Aussi, le célèbre dicton surtout connu à propos des disputes de la
vie courante et attribué à Honoré de Balzac, « un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon
procès »1759 a-t-il trouvé une place privilégiée en matière juridique. Ainsi, le premier réflexe
généralement adopté en cas de litige est parfois de tenter de le résoudre autrement que par la
voie contentieuse. L’arbitrage tient une place privilégiée dans cette autre voie. L’essor de ce
mode tient essentiellement sur la volonté des parties à un règlement rapide et pacifique des
litiges. Déjà au XIIe siècle il lui est attribué le succès dans la résolution de nombreux
litiges 1760 . Au-delà de l’actualité florissante et publicité développées autour de ce « mode
résiduel de règlement des conflits » 1761 , l’arbitrage est un mode de règlement des litiges
particulier. Sa particularité repose sur son « caractère composite » 1762 . Il est à la fois

1757
V. sur cette question Ch. Jarrosson, « Réflexions sur l’imperium », in Mélanges offerts à Pierre Bellet,
avant-propos P. Drai, Paris, Litec, 1991, p. 245-279.
1758
Cécile Chainais, « Les mesures provisoires dans le nouveau droit français de l’arbitrage », in L’arbitre et
le juge étatique. Etude de droit comparé à la mémoire de Giuseppe Tarzia, sous la direction d’Achille Saletti, J.
Van Compernolle, J-F. Van Drooghenbroeck, Bruylant, 2015, pp. 281-330.
1759
H. de Balzac, Les illusions perdues, La Pléiade, t. IV, p. 1054.
1760
Solène Ringler, « Un procès équitable sans juge, le choix de l’arbitre », In: Regards sur le droit au procès
équitable, Op. Cit.
1761
Ibid.
1762
C. Jarrosson, « L’actualité de la pensée de Henri Motulsky sur l’arbitrage », Procédures n°3, mars 2012 ;
voir aussi Loïc Cadiet, « L’arbitrage et l’évolution contemporaine des modes de règlement des conflits », in
Revista Eletrônica de Direito Processual REDP, Volume XII, pp. 446-462.

359
conventionnel et juridictionnel 1763 . En ce sens, il implique un certains nombre de critères
cumulatifs pour être considéré comme tel. Il s’agit : d’un choix libre de recourir à l’arbitrage ;
d’un choix libre de l’arbitre ; d’une procédure qui respecte les garanties fondamentales de
bonne justice ; d’une décision dotée de l’autorité de chose jugée qui s’impose aux parties1764.
De ces critères la doctrine en tiré plusieurs conclusions. Il est défini comme « l’institution par
laquelle un tiers règle le différend qui oppose deux ou plusieurs parties, en exerçant la
mission juridictionnelle qui lui a été confiée par celles-ci » 1765 . Le vocabulaire juridique
Cornu donne une définition assez similaire de l’arbitrage qui serait un « mode amiable ou
pacifique mais toujours juridictionnel de règlement d’un litige par une autorité (le ou les
arbitres) qui tient son pouvoir de juger, non d’une délégation permanente de l’État ou d’une
institution internationale, mais de la convention des parties »1766. L’arbitrage constitue ainsi
un mode alternatif de résolution des litiges qui tient son pouvoir des particuliers choisis, en
principe, par d’autres particuliers. L’on est toujours en présence d’une justice, mais d’une
justice alternative attribuée aux parties, dont la reconnaissance et l’intégration suppose au
préalable une autorisation.

346. Dans une vision positiviste légaliste, l’arbitrage a besoin d’une autorisation publique
pour exister 1767 . Si bien que lorsqu’un individu souhaite renoncer à la voie de la justice
institutionnelle de droit commun, pour préférer la voie de la justice arbitrale, l’État doit l’y
autoriser. La promotion 1768 , l’encouragement du recours à l’arbitrage 1769 dans l’espace
normatif OHADA procède de cette consécration, une reconnaissance juridique globale. Le
recours à l’arbitrage se distingue par la prise en compte dans sa consécration de toutes les
formes que peuvent revêtir le concept de personnes en droit. La reconnaissance est globale en
ce qu’elle intègre toutes les catégories de personnes à la simple condition que l’arbitrage porte

1763
Ibid.
1764
Cf. T. Clay, « L’arbitrage en droit du travail : quel avenir après le rapport Barthélémy-Cette ? », Dr. Soc.,
2010, p. 930.
1765
Charles Jarrosson, La notion d’arbitrage, Thèse LGDJ, 1987, p. 372.
1766
G. Cornu (dir), Vocabulaire juridique, Op. Cit., v. arbitrage.
1767
« L’autorisation publique de l’arbitrage suppose l’existence d’un ordre juridique étatique premier, auquel le
citoyen n’a par lui-même ni la liberté ni la compétence de se soustraire », Carine Jallamion, Thomas Clay,
« Justice publique et arbitrage », in Loïc Cadiet, Serge Dauchy, Jean-Louis Halpérin (dir.), Itinéraires
d’histoire de la procédure civile, Regard français, Op. Cit, pp. 166-206.
1768
Le préambule du Traité fondateur affirme l’engagement des Etats parties à « promouvoir l’arbitrage comme
instrument de règlement des différends contractuels ».
1769
L’article 1er relatif à l’objet du Traité fait allusion à « l’encouragement du recours à l’arbitrage pour le
règlement des différends contractuels ».

360
sur les droits dont ces personnes ont la libre disposition1770. Le second paragraphe de l’article
2 de l’Acte Uniforme relatif au droit de l’arbitrage (AUA) est un élément essentiel et
substantiel de cette reconnaissance juridique en tant qu’il cite expressément ces personnes et
dispose que « toute personne physique ou morale peut recourir à l'arbitrage […] ». Il va
encore plus loin et ajoute que « Les Etats, les autres collectivités publiques territoriales, les
établissements publics et toute autre personne morale de droit public peuvent également être
parties à un arbitrage, quelle que soit la nature juridique du contrat, sans pouvoir invoquer
leur propre droit pour contester l'arbitrabilité d'un différend, leur capacité à compromettre
ou la validité de la convention d'arbitrage ». De même, l’article 21 du Traité Ohada le
démontre par ces termes : « en application d’une clause compromissoire ou d’un compromis
d’arbitrage, toute partie à un contrat […] peut soumettre un différend d’ordre contractuel à
la procédure d’arbitrage prévue par le présent titre […] »1771. Il s’agit là d’une réalité dont la
portée est substantielle pour les parties à un rapport juridique qui souhaitent du reste échapper
à l’atmosphère contentieuse du procès, aux lenteurs et autres rigidités attribuées à la justice
étatique. Les groupements dépourvus d'objectif lucratif ne restent d'ailleurs pas en marge de
cet important mode de traitement des contentieux. En dépit du fait que les activités
qu’exercent ceux-ci s'éloignent de la quête du profit, les groupes et organisations peuvent
soumettre leur litige à l’arbitrage. Celui-ci bénéficie d’ailleurs en droit ohada d’un certain
privilège, aussi bien sur le plan jurisprudentiel que doctrinal1772.

347. L’intégralité de la reconnaissance procède quant à elle de la diversité de l’arbitrage


mis en place. Le droit OHADA consacre un système dualiste. On y distingue deux types
d’arbitrage. Le premier, l’arbitrage Ohada dont l’acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage
fixe les principes généraux applicables aux arbitrages ad hoc et aux arbitrages institutionnels
des centres nationaux d’arbitrage ou d’autres centres, à partir du moment où le siège de
l’arbitrage est situé dans l’espace OHADA. Le second consiste en un système régional
d’arbitrage institutionnel également dénommé arbitrage CCJA régit et réglementé par le

1770
Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, Article 2 parag. 1. Voir sur la question particulière de
l’arbitrabilité en droit Ohada, Sadjo Ousmanou, « Arbitrabilité », in Encyclopédie du droit OHADA, Op. Cit,
pp. 226-235.
1771
Titre IV relatif à l’arbitrage.
1772
V. à cet effet ce morceau choisi, Pierre Meyer, « Commentaire de l’Acte uniforme du 11 mars 1999 relatif
au droit de l’arbitrage », in OHADA, Traité et actes uniformes commentés et annotés, 2ème édition, Juriscope,
2002, p.97 ; Gaston Kenfack Douajni, « Rapport de synthèse : L’arbitrage OHADA », Revue Camerounaise
d’Arbitrage, février 2010, n° spécial, p.209 ; Ohadata D-11-51 ; Voir Komi Tsakadi, « Communication : Quelle
place pour les MARC dans l’harmonisation du droit OHADA des contrats ? », Actes du Colloque sur
l’harmonisation du droit OHADA des contrats – Ouagadougou 2007, Rev. dr. unif. 2008, p.514 ; Achille
Ngwanza, « L’essor de l’arbitrage international en Afrique subsaharienne : les apports de la CCJA », Revue de
l’ERSUMA, n°3, septembre 2013, p. 31

361
Traité et le règlement d’arbitrage CCJA1773. Le législateur OHADA réaffirme ainsi après le
Traité, son attachement à l’émergence d’une justice arbitrale de qualité. Cette consécration
attribue une double fonction à l’arbitrage. Dans un premier temps elle consacre l’émergence
d’un droit alternatif au règlement des contentieux et dans un second temps pose les jalons
l’amorce d’un arbitrage institutionnel par la mise en place de centres nationaux d’arbitrage
prospère 1774 . L’avènement de l’acte uniforme au droit de l’arbitrage a marqué en droit
camerounais et dans l’ensemble de l’espace OHADA, l’évolution contemporaine de la
résolution amiable des différends. Aussi le Traité fondateur et l’AUA apparaissent-ils comme
les fondements de l’émergence dans le système juridique camerounais du droit au recours à la
résolution amiable renforcés par l’objet et l’objectif communs aux modes amiables de
résolution des litiges.

2. L’objet et l’objectif communs aux procédures de résolution amiable

348. La justice n’est pas qu’un instrument de souveraineté1775. Elle est aussi un instrument
de protection du citoyen. Une société démocratique se juge à la façon dont elle traite sa justice
affirme un auteur1776. Les missions de la justice sont nombreuses, elle n’en a pas qu’une. Mais
il y en une qui peut être considérée comme précédant toutes les autres, c’est sa fonction
pacificatrice. Judiciaires ou extrajudiciaires, les modes amiables ont pour fonction d’éteindre
la querelle 1777 ou tout au moins parvenir – c’est l’objet – à un accord entre les parties –
l’objectif – sur le différend qui les oppose. Cet objet et objectifs communs constituent l’unité
fondamentale des modes amiables de résolution des litiges. Une résolution du litige dans la
célérité, une atmosphère moins contentieuse. C’est une justice considérée comme plus
égalitaire et proche de l’intérêt des parties qui est recherchée afin de promouvoir une image de
celle-ci synonyme de tempérance et non de force1778. Le professeur G. Cornu retient à ce sujet
que « les M.A.R.C tendent à faciliter, à simplifier, à améliorer le travail judiciaire tout en
1773
Règlement d’arbitrage de la CCJA-OHADA du 11 mars 1999 révisé le 23 novembre 2017.
1774
L’analyse ne portant pas directement sur l’arbitrage, nous renvoyons pour plus de détails à des études
spécifiques y relatives en l’occurrence, Moussa Diakité, L’arbitrage institutionnel Ohada, instrument émergent
de sécurisation juridique et judiciaire des activités économiques en Afrique, Thèse, Droit, Université Toulouse 1
Capitole, 2016 ; Jean-Marie Tchakoua, « L’arbitrage selon l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage », in
Encyclopédie du droit OHADA, Op. Cit, pp. 236-291 ; Pierre Meyer, « Arbitrage CCJA », in Encyclopédie du
droit OHADA, Op. Cit, pp. 293-319 ; Abdou Diallo, Réflexion sur l’arbitrage dans l’espace OHADA, Thèse,
Droit, Université de Perpignan, 2016 ; Cruse Hervé Massosso Benga, La déjudiciarisation de l’arbitrage
OHADA, Thèse, Droit, Université de Perpignan, 2019.
1775
Portalis affirmait en effet dans son Discours préliminaire sur le Code civil que « la justice est la première
dette de la souveraineté »
1776
E. Guigou, « La justice, service public », Après-demain, Op. Cit.
1777
Boris Bernabé, « Les chemins de l’amiable résolution des différends », Dalloz, Les cahiers de la justice,
2014/4 n° 4, pp. 631-643.
1778
Ibid.

362
allégeant les procédures conduisant les intéressés à la recherche de solutions moins ou non-
contentieuses »1779. Pour le dire autrement, une brève comparaison entre justice étatique et
mode amiable d’impose. Sur le plan judiciaire, le conflit peut subsister, alors même qu’est
intervenue la décision du juge mettant fin au litige. En revanche, les modes amiables qu’ils
soient judiciaires ou extrajudiciaires ont pour vocation de mettre véritablement fin tant au
litige qu’au conflit ou plus concrètement, par leur atmosphère moins contentieuse, arriver à
terminer le litige en vidant le conflit. Il s’agit non plus de trancher le litige existant, mais
plutôt de le dissoudre en réinstaurant l’harmonie, l’équilibre rompu. Aussi des avis importants
attribuent au moins quatre fonctions majeures aux modes amiables de traitement des
différends savoir créer ou réparer les liens sociaux, prévenir ou régler les conflits 1780 .
Optiques dans lesquels s’est inscrit le législateur camerounais.

Les premières manifestations de l’émergence d’un droit à l’accès aux modes amiables
de résolution des différends apparaissent dans la consécration et l’encouragement de
l’arbitrage dans ses différentes composantes. Cette justice privée a pris corps dans l’ensemble
de l’espace OHADA et s’est ainsi vu consolidée par une extension à d’autres modes amiables
de résolution amiable des différends.

B. La consolidation du droit au recours à la résolution amiable des différends

349. Les modes de règlement pacifiques de règlement des différends connaissent depuis ces
dernières décennies un renouveau remarquable. Le développement des échanges,
spécialement économiques transfrontières, s’accompagnent en effet un accroissement des
litiges ; le rôle saturé des juridictions en accentue l’essor. La possibilité entrevue du droit
d'accès au juge susceptible de devenir un droit d'accès à l'arbitre ou au médiateur semble
prendre corps. On constate en la matière la consolidation de l’émergence d’un ordre négocié
qui a donné l’opportunité au législateur compétent d’aller plus loin dans l’émergence d’un
droit d’accès aux modes amiables de résolution des différends en consacrant le cas échéant
d’un côté, une procédure conciliationnelle (1) et de l’autre, la pratique médiation (2).

1779
G. Cornu, « Les modes alternatifs de règlement des conflits. Rapport de synthèse », R.I.D.C, 1997, p. 313 et
s.
1780
Cf. Camila Silva Nicàcio, Des normes et des liens Médiation et complexité juridique, Presses Académiques
Francophones, 2013, p. 27.

363
1. La consécration d’une procédure conciliationnelle

350. La quête d’une solution apaisée au conflit qui oppose les parties peut être amorcée à
tout moment par une conciliation, même une fois le juge saisi. Celui-ci n’étant pas
nécessairement exclu des MARD même si leur utilisation implique l’éviction en principe de la
théorie de la juridiction. Pour une clarté des propos, une définition du terme conciliation
distincte de celle de la médiation s’impose. Concilier signifie rapprocher des personnes que
leur opinion ou leur intérêt divise. Plus généralement, la conciliation désigne, d’une part, un
accord par lequel deux personnes en conflit mettent fin à celui-ci, la solution du différend
résultant non d’une décision de justice, ni même de celle d’un arbitre mais de l’accord des
parties elles-mêmes et, d’autre part, la phase de procédure au cours de laquelle il est tenté de
parvenir à cet accord par l’entremise d’un mode de règlement amiable du litige1781. Pour parer
à l’insuffisance de la justice étatique dont il est l’un des garants, le législateur camerounais va
faire œuvre de pédagogie. Il va consacrer la conciliation judiciaire sous la forme d’une
dispense en disposant de manière générique que « toutes les instances sont dispensées du
préliminaire de conciliation » 1782 . Pour des raisons pragmatiques que l’on peut aisément
imaginer, le rédacteur de cet article également dans l’optique de départ, engage le texte dans
une autre direction, celle qui écarte en réalité toute obligation de se soumettre au préalable
d’une conciliation, l’intervention d’une négociation. Il laisse la conciliation ainsi consacrée à
la libre appréciation des justiciables confrontés à une situation litigieuse. Le second alinéa de
ce texte retiendra ainsi la formulation suivante : « néanmoins, dans toutes les affaires, les
parties peuvent, d'accord, comparaître volontairement aux fins de conciliation devant le Juge
compétent. Le demandeur a également la faculté de citer le défendeur en conciliation en
observant les délais portés aux articles 14 et 15 ». La même faculté est offerte au juge saisi
qui peut (nécessairement lorsque les circonstances l’exigent), en tout état de la procédure,
tenter la conciliation des parties qui pourront être assistées si elles le veulent de leurs
avocats1783. Cette disposition permet soit aux parties – soit au juge « conciliateur » - de se
concilier « tout au long de l’instance ». Le législateur semble ainsi porter un attachement
singulier au point commun avec la procédure d’arbitrage, notamment le caractère
essentiellement volontaire de la mise en œuvre d’un processus de conciliation. Leur existence
comme leur issue ont un fondement conventionnel. C’est dire que le déclenchement et la mise
en œuvre d’un tel process sont fondés sur un accord de volonté des parties destiné à faciliter la

1781
G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Op. Cit., v. conciliation.
1782
Code de procédure civile et commerciale, Article 2.
1783
Code de procédure civile et commerciale, Article 2 al. 3.

364
rencontre, à moduler le dialogue en vue de la convergence des positions, au départ,
probablement fort éloignées 1784 . Echanges pouvant aboutir éventuellement à un accord
matérialisé par un procès-verbal de conciliation1785.

La conciliation à un large domaine d’application. Elle a vocation à s’appliquer en


matière civile, commerciale, rurale, ou en matière coutumière 1786 sous réserve des règles
spéciales à chaque matière comme en matière familiale et sociale. Si le choix de la
conciliation comme solution de règlement des différends dans le principe est purement
facultative, elle constitue dans certains domaines prédéfinis au contraire, un passage obligé,
un préalable au traitement juridictionnel du conflit. En matière familiale 1787 et sociale la
nature volontaire et facultative de tout processus amiable vole en éclat. Le Code camerounais
du travail exclu explicitement la conciliation de la compétence du juge et des particuliers pour
la confier à un agent administratif, à savoir, l’inspecteur du travail territorialement compétent.
La saisine du tribunal compétent en matière sociale est subordonnée à une tentative préalable
de conciliation 1788 . La Cour Suprême, estime d’ailleurs que le caractère obligatoire de ce
préliminaire de conciliation tient essentiellement à l’essence même de l’institution 1789 . Le
législateur de 1992 a privilégié à la fois le règlement amiable des conflits individuels du

1784
V. Antoine Nzobandora, La conciliation et la médiation comme modalités d’accès à une justice équitable,
Mémoire DESS, Université de Bujumbura, Mars, 2009, p. 11.
1785
Cf. Code de procédure civile et commerciale, Article 4. « S'il y a conciliation le Juge, assisté du Greffier,
dresse procès-verbal des conditions de l'arrangement. Ce procès-verbal est signé par les deux parties si elles le
savent et le peuvent, sinon mention en est faite. Il fait preuve jusqu'à inscription de faux vis-à-vis de tous et de sa
date et des déclarations qui y sont relatées ; les conventions des parties inscrites au procès-verbal ont force
exécutoire et comportent hypothèque judiciaire. Ce procès-verbal est déposé au greffe ». Que la conciliation soit
totale ou partielle, elle donne lieu à la rédaction d’un procès verbal contenant les conditions de l’arrangement et
ou les points sur lesquels subsistent un désaccord.
1786
L’article 21 du décret n° 77/245 du 15 juillet 1977 portant organisation des chefferies traditionnelles au
Cameroun, modifié et complété par le décret n° 82/241 du 24 juin 1982, pose le principe du chef en tant que
conciliateur. C’est dire qu’en cette matière la conciliation est possible, mais il faut connaitre la coutume
(couverte par son caractère sacré), être autorisé par l’autorité traditionnelle compétente à concilier dans sa
circonscription.
1787
Le préalable de conciliation obligatoire en matière de divorce constitue un principe d’ordre public. Le juge
adopte une posture beaucoup plus incitative afin d’essayer de concilier les parties avant ou pendant l’instance de
divorce. V. T. Stefane Tagne Toikade, « La conciliation en droit judiciaire privé camerounais », 2016.
Téléchargeable en format pdf sur https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01333621 consulté le 14 Février 2019.
1788
Loi Camerounaise n° 92-007 du 14 août 1992 portant Code du travail, Article 138 et suivants.
1789
C.S. arrêt n°60, 20 février 1968, Bull. p. 2114. La haute juridiction affirme dans une autre espèce que la
tentative de conciliation devant l’inspecteur du travail est indispensable avant la citation devant le tribunal du
travail, lequel ne peut statuer que sur les points qui ont été soumis au préliminaire de conciliation. En déclarant
abusif le licenciement du salarié présenté par une demande additionnelle qui n’avait pas été préalablement
présentée à la tentative de conciliation, la Cour d’appel a statué ultra petita sur une demande dont elle n’avait
pas à connaitre dans le cadre de sa saisine. C.S. arrêt n°39, 8 février 1972, Bull. p.3538 ; C.S. 14 décembre 1978,
RCD 1979, p.241. Dans le même sens, C.S. n°32/s, 21 janvier 1982, Me Penda c/ Evina Joseph, RCD 1984,
p.286. Voir Armand Mbarga, Procédure civile Camerounaise, Paris, Editions Primalex, 2011, p.202-203.

365
travail d’une part, et une approche plus négociée des conflits collectifs d’autre part1790. Le
cadre légal institué par le législateur camerounais atteste donc indiscutablement de
l’émergence d’un droit au recours à la résolution amiable des différends, pendant du droit au
recours effectif au juge.

351. Parmi les modes alternatifs de règlement des conflits, la conciliation fait office de
symbole, certainement de son ancienneté mais aussi de son universalité1791. On peut voir dans
la consécration que le législateur de l’OHADA en faite, un double souci, celui de participer à
l’amélioration de la qualité de la justice dans les Etats qui en constituent l’espace et la
promotion de la paix sociale dans le milieu des affaires. Le paiement à échéance des créances
dues constitue de ce point de vue un élément de la stabilité des relations d’affaires entre les
opérateurs du marché. L’intégration de la conciliation dans le droit des affaires OHADA à
travers l’Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et
des voies d’exécution (AUPSRVE) peut être vue comme la promotion d’une justice de
proximité. Cependant, celle-ci n’est que marginalement évoquée par le droit OHADA1792. La
doctrine a émise l’idée d’une certaine hésitation chez le législateur OHADA1793. Pour être
plus concret, la procédure de conciliation est consacrée dans deux textes à portée et vocation
différente. Il s’agit de l’AUPSRVE et l’Acte Uniforme sur les Procédures Collectives
d’Apurement du Passif (AUPCAP).

Dans le premier, le législateur OHADA pose le principe de l’obligation préalable


d’une tentative de conciliation 1794 en matière d’injonction de payer 1795 ainsi que pour la
procédure de délivrer ou de restituer. L’article 12 de l’AUPSRVE semble simplifier la
procédure en introduisant la conciliation à titre d’étape obligatoire de la procédure. L’article
dispose en effet que : « La juridiction saisie sur opposition procède à une tentative de

1790
Lire utilement les articles 158 à 168 du Code du travail. Voir aussi, Paul-Gérard Pougoué, « Commentaire
de la loi n°92/007 du 14 Août 1992 portant code du travail », Juridis Info n°12, numéro Spécial, Octobre-
Novembre-Décembre 1992, pp.7-44.
1791
Julie Joly-Hurard, « Introduction », in Conciliation et médiation judiciaires, Nouvelle édition [en ligne],
Aix-en-Provence : Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2003, pp. 11-28, (générée le 05 mai 2020). Disponible
sur Internet : http://books.openedition.org/puam/679.
1792
Amadou Dieng, « Les modes alternatifs de règlements des conflits en OHADA : Approche culturelle des
ADR en OHADA », Cabinet CIMADEVILLA Law Firm. 17 et 18 mars 2009, p. 6, In Les MARC en OHADA,
JADA, 2011-1, pp. 25-35.
1793
Ibid.
1794
Cf. Article 12 de l’AUPSRVE.
1795
Rappelons que l’injonction de payer est, dans l’espace de l’OHADA, la procédure simplifiée de
recouvrement d’une créance (Article 1er de l’AUPSRVE) certaine, liquide et exigible. Elle renvoie à l’idée
d’une procédure rapide et peu coûteuse qui, à l’origine, a permis le recouvrement des petites créances
commerciales. Son domaine d’application a été, par la suite, étendu au recouvrement des créances civiles,
quelque soit le montant. Cf. Alain H. Bitsamana, Dictionnaire de droit OHADA, Op. Cit. v. Injonction de payer.

366
conciliation. Si celle-ci aboutit, le président dresse un procès verbal de conciliation signé par
les parties, dont une expédition est revêtue de la formule exécutoire. Si la tentative de
conciliation échoue, la juridiction statue immédiatement sur la demande en recouvrement,
même en l’absence du débiteur ayant formé opposition, par une décision qui aura les effets
d’une décision contradictoire ». L’obligation posée par l’article 12 s’impose aux différents
acteurs en présence. Elle est une obligation pour le juge sur qui pèse la tentative de
conciliation ; mais aussi pour les parties à la procédure à qui le rédacteur du texte impose le
même principe légal, celui de réclamer cette tentative de conciliation préalablement à la
poursuite de l’injonction de payer, qui la règle jurisprudentielle n’a fait que confirmée1796. Le
juge dans le cas d’espèce, perd sa fonction de dire le droit pendant la phase de tentative de
conciliation pour exercer celle de juge de paix. Toutefois, les parties sont tenues d’une
seconde obligation, celle de rapporter la preuve d’une instance de conciliation intervenue
entre elles. A défaut, l’action ne saurait prospérer1797. En outre, le caractère préalable retenue
par le texte s’applique d’une part, après l’ordonnance d’injonction de payer et d’autre part,
après l’opposition formée contre elle, mais avant toute décision rendue sur l’opposition,
décision qui elle, est susceptible d’appel dans les conditions du droit national de
chaque Etat partie1798. Elle doit intervenir in limine litis1799.
En ce qui concerne particulièrement la procédure simplifiée tendant à la délivrance ou
à la restitution d’un bien meuble déterminé, le législateur a opté pour la technique de renvoi.
L’article 26 de l’AUPSRVE dans les conditions identiques à celle de l’injonction de payer
organise une procédure de conciliation articulée sur une tentative obligatoire. Aux termes de
cet article, « l’opposition contre la décision d’injonction de délivrer ou de restituer est
soumise aux dispositions des articles 9 à 15 du présent acte uniforme. » Outre les procédures
simplifiées d’injonction de payer et d’injonction de délivrer ou de restituer, le législateur

1796
Voir TGI Ouagadougou, n° 74, 19-2-2003 : Kiemtore T Hervé c/ L’Entreprise A.P.G., www.ohada.com,
Ohadata J-04-248 ; TGI Ouagadougou, n° 193, 23-4-2003 : Sawadogo Saïdou c/ Caisse Populaire de Dapoya,
www.ohada.com, Ohadata J-04-316 ; TGI Ouagadougou, n° 196, 23-4-2003 : ETE/OA c/ NIKIEMA K. Pascal,
www.ohada.com, Ohadata J-04-317.
1797
CA du Littoral, Arrêt n°026/C du 19 février 2010, Affaire les Ets GUY-NES & Les galeries c/ La société
Total Cameroun SA. Ohadata J-10-14.1 In Joseph Issa-Sayegh, Répertoire Quinquennal OHADA : jurisprudence
et bibliographie, 2006-2010, AUDA/CE/OHADA/UEMOA, p. 421
1798
Art. 15 AUPSRVE. Voir aussi Karel Osiris Coffi Dogue et Valencia Iloki Engamba, « pratique de la
conciliation en matière d’injonction de payer OHADA », Revue de l’ERSUMA, n°6, janvier 2016, pp. 305 et s.
1799
TGI de la MIFI, n°32/civ., 2-4-2002 : Chembo Ndenko Nadine c/ SIMO Henri Bernard,
www.ohada.com, Ohadata J-04-230.

367
OHADA a entériné un préliminaire obligatoire de conciliation en matière de saisie des
rémunérations1800.

352. De prime abord, la conciliation parait dans l’AUPCAP, être une procédure préventive,
consensuelle et confidentielle, destinée à éviter la cessation des paiements de l’entreprise
débitrice afin d’effectuer sereinement en tout ou partie et dans le but de la sauvegarder sa
restructuration financière ou opérationnelle. L’objectif étant de parvenir à régler
contractuellement sous l’égide d’un tiers appelé conciliateur, de manière amiable, rapide, les
difficultés rencontrées ou qui pourraient l’être par une entreprise.

Sur sa mise en œuvre, le législateur OHADA a tenu à assouplir les modalités d’accès,
afin de faciliter l’ouverture de la procédure de conciliation. Aussi, de la conciliation consacrée
par l’AUPCAP, on peut déceler une attractivité à deux niveaux. Premier niveau, il fait du
débiteur l’initiateur exclusif de la demande. Deuxième niveau, celui-ci est impliqué dans le
choix du conciliateur1801. Bien qu’il soit également possible d’avoir une demande conjointe
formulée par le débiteur, le ou les créanciers, cela ne porte pas atteinte à l’exclusivité du droit
dévolu au débiteur. La recevabilité de la demande d’ouverture concerne respectivement les
personnes physiques qui exercent une activité professionnelle indépendante, civile,
commerciale, artisanale ou agricole ; les personnes morales de droit privé et les entreprises
publiques ayant la forme d’une personne morale de droit privé 1802 . Cette extension du
domaine d’application de la procédure aux personnes physiques peut se comprendre aisément.

1800
Leur régime est prévu par les dispositions des Articles 179, 108, 181, 109, 180, 110, 181, 111, 182, 112,
Article 33 Al. 3 de l’AUPSRVE. La demande tendant à la conciliation préalable est formée par requête adressée
à la juridiction compétente par le créancier. La convocation des parties à l’audience de conciliation est faite par
le greffier. Les lieux, jour, et heure de la tentative de conciliation sont notifiés au créancier par lettre
recommandée avec accusé de réception ou par lettre recommandée avec accusé de réception ou par tout autre
moyen laissant trace écrite. Le greffier convoque le débiteur, par lettre recommandée avec accusé de réception
ou par tout autre moyen laissant trace écrite au moins quinze jours avent l’audience. A défaut du retour de l’avis
de réception et si le débiteur ne comparait pas, la juridiction compétente, si elle n’estime pas que les
circonstances appellent une nouvelle convocation de l’intéressé, rend une décision par laquelle elle procède aux
vérifications prévues par l’article 182 ci-après. Cette décision qui n’est pas susceptible d’opposition ne peut être
attaquée que par la voie de l’appel. A ce niveau, le pourvoi en cassation devrait être également possible.
S’agissant de l’audience de conciliation, le président de la juridiction compétente, assisté du greffier, dresse un
procès-verbal de la comparution des parties, qu’elle soit ou non suivie de conciliation, ou de la comparution de
l’une d’elles. En cas de conciliation, il mentionne au procès-verbal les conditions de l’arrangement qui met fin à
la procédure. Le procès-verbal signé par le juge et les parties vaut titre exécutoire. Dès lors, l’opération de saisie
n’aura donc pas lieu. A défaut de conciliation, un procès-verbal de non conciliation est dressé et il est procédé
purement et simplement à la saisie des rémunérations sans qu’une instance en validité soit nécessaire.
Cependant, le président de la juridiction compétente vérifie le montant de la créance en principal, intérêts et frais
et, s’il y’a lieu, tranche les contestations soulevées par le débiteur. V. notamment Paul Gérard Pougoué (dir.),
Encyclopédie du droit OHADA, Lamy, 2011.
1801
En effet, Aux termes de l’article 5-2 de l’AUPC, le monopole de la demande d’ouverture de la procédure est
dévolu au débiteur, c’est-à-dire au chef d’entreprise ou dirigeant social.
1802
Voir Article 6 de l’Acte Uniforme sur les sociétés commerciales

368
Ainsi, l’exigence de la qualité de commerçant pour la soumission aux procédures collectives
est désormais classique1803. Sous un autre angle, la possibilité pour la personne morale de
bénéficier d’une procédure de conciliation, s’en trouve strictement limitée. L’entreprise doit
satisfaire à certaines conditions : être en situation de difficultés avérées ou prévisibles et ne
pas être en cessation des paiements. L’acte uniforme n’apporte néanmoins aucune précision
sur la nature de ces difficultés. Toutefois, déduction pourrait être faite de toutes sortes de
difficultés suffisamment graves nées ou susceptibles de naître de nature à générer une
cessation des paiements.

Au demeurant, on constate que le législateur OHADA en introduisant la conciliation


dans l’AUPCAP et l’AUPSRVE, a certes consacré une voie additionnelle de résolution du
conflit, mais restrictivement une conciliation judiciaire. Ce qui de notre point de vue, est un
facteur limitatif de la portée, ainsi que de l’effet entrainant que générer la conciliation en tant
que « […] voie de règlement négocié destinée à mettre un terme au litige. Dans l’éventualité
où la négociation échoue, les parties poursuivent leur cheminement à l’intérieur du système
formel en recherchant la voie de la décision judiciaire »1804.

La conciliation n’est pas l’unique mode règlement amiable des litiges susceptible de
garantir une justice de proximité en droit OHADA. Cette proximité peut également être le fait
de la médiation.

2. La consécration de la pratique de la médiation

353. Une question préalable et fondamentale est de savoir ce qu’est au juste, la médiation.
La distinction entre conciliation et médiation est assez délicate 1805 . Mais l’on s’accorde

1803
OHADA, traité et actes uniformes commentés et annotés, Juriscope, Ed. 2015, p. 1119
1804
Louise Otis, « La justice conciliationnelle : l’envers du lent droit », Revue Internationale d’Ethique
sociétale et Gouvernementale, Automne 2001, Vol.3., n° 2, p. 4.
1805
Charles Jarrosson, « Les modes alternatifs de règlement des conflits. Présentation générale », Op. Cit.
Certains auteurs et institutions identifient à tort avec la médiation. Pour une différenciation des deux, V. Charles
Jarrosson, « Médiation et conciliation : définition et statut juridique », Gaz. Pal. 1996, 2, Doctr., p. 951.
L’auteur y soutient que le médiateur est chargé d’une mission plus active que le conciliateur dans la recherche
des éléments d’une entente qu’il propose aux parties, sans pouvoir la leur imposer. Il affirme en conséquence que
« ce sont deux concepts très proches. Une ou deux précisions cependant : la conciliation – qui est aussi un mode
de résolution pacifique des litiges – ne nécessite pas forcément la présence d’un tiers (le conciliateur) : elle peut
avoir lieu entre les parties seules. Le conciliateur, lorsqu’il en existe un, est en principe moins actif que le
médiateur. Par sa seule présence le conciliateur pondère l’animosité des parties et les pousse à se rencontrer et
à se parler. Le médiateur, lui, agit plus concrètement et propose aux parties un projet de solution. Aussi je dirais
volontiers que le médiateur est un conciliateur particulièrement actif et qu’entre médiateur et conciliation, il n’y
a pas vraiment de différence de nature, mais tout au plus une différence de degré dans l’implication du tiers.
Avec la conciliation, on met davantage l’accent sur la fin, le but à atteindre : c’est-à-dire l’accord, tandis que
pour la médiation, on s’attache davantage aux moyens utilisés pour arriver à la même fin ». La différence se
situerait en conclusion plus de degré que de nature et dans la façon d’arriver à la solution finale.

369
néanmoins sur un fait, conciliateur comme médiateur travaille à une résolution pacifique du
conflit. L'article premier de l'Acte uniforme relatif à la médiation (AUM) du 23 Novembre
2017 définit le concept de médiation comme « tout processus, quelle que soit son appellation,
dans lequel les parties demandent à un tiers de les aider à parvenir à un règlement amiable
d'un litige, d'un rapport conflictuel ou d'un désaccord (ci-après « différend ») découlant d'un
rapport juridique, contractuel ou autre lié à un tel rapport, impliquant des personnes
physiques ou morales, y compris des entités publiques ou des Etats ». Définition extensive et
inclusive qui n’a pas manqué de susciter quelques commentaires chez la doctrine 1806 .
Indépendamment de l'existence d'une relation contractuelle et sans qu'il soit véritablement
nécessaire d'attester l'existence d'un litige (commercial ou civil), l’accès à la médiation «
ohadienne » se veut en principe simple à tout justiciable. Fondé sur l’unité fondamentale des
modes pacifiques de résolution des litiges – le poids de la volonté dans le déclenchement de la
résolution amiable des différends – le texte énonce implicitement que les parties qui
souhaitent se faire « aider à parvenir…», constitue une condition essentielle à la mise en
œuvre de la médiation. En adoptant une vision aussi extensive de la médiation, le législateur
englobe dans son appréhension du concept, la conciliation1807 « “mère’’ de la conciliation et
de la médiation » 1808 . L’autre marque de l’esprit inclusif du texte, figure dans l’article 7,
alinéa 4 de l’acte uniforme, habilite le médiateur à faire des propositions aux parties en vue de
la résolution du conflit. Appréhension qui participe, plus précisément, de l’affirmation du
droit au recours à la résolution amiable des différends. Il faut donc relever la bienveillance du
législateur OHADA envers une justice plurielle symbolisée par la coexistence au sein du
même espace de modes privés et publics de règlements des conflits. Quatre éléments à notre
avis font la constance de la médiation Ohadienne, sa procédure, l’avènement d’une profession
de médiateur, la déontologie du tiers conciliateur ou médiateur.

1806
Voir en l’occurrence la réflexion de P.E. Kenfack, « La notion de médiation chez le législateur OHADA »,
Lexbase édition Ohada, avril 2018, n° 10, pp. 13-18 ; Jean-Louis Lascoux, « La médiation en Afrique passera-t-
elle par l'espace OHADA ? », En ligne, Actualité, www.ohada.com, publié le 31/07/2018 à 17h28, consulté le 16
juillet 2018 à 19h24 ; N. Aka, A. Fénéon et J.-M. Tchakoua, Le nouveau droit de l’arbitrage et de la médiation
en Afrique (Ohada), Issy-les-Moulineaux, France, LGDJ, 2018, passim ; E. Dewedi, « Le nouvel Acte uniforme
OHADA sur la médiation et la pratique de la médiation dans l’espace OHADA : quels apports en pratique ? »,
Actualitésdudroit.fr, passim, disponible sur www.actualitesdudroit.fr (Consulté le 21 juillet 2020) ; M. Gore et
C. Grimaldi, « Arbitrage, médiation et règlement de la CCJA : les nouveaux textes sont en vigueur depuis le 15
mars 2018 », LEDAF, mai 2018, n° 5, p. 1, spéc. p. 1.
1807
Il présente la médiation comme « tout processus, quelle que soit son appellation, dans lequel les parties
demandent à un tiers de les aider à parvenir à un règlement amiable… ». Il va plus loin et affirme, le terme «
médiateur » désigne tout tiers sollicité pour mener une médiation quelle que soit l'appellation ou la profession de
ce tiers dans l'État Partie concerné. Article 1er AUM.
1808
Les propos sont de Julie Joly-Hurard, « Introduction », in Conciliation et médiation judiciaires, Op. Cit.

370
354. « Souplesse, rapidité, économie et confidentialité, absence de juridisme inutile »1809,
diligence du tiers facilitateur sont les vertus attendues des MARD. Les rédacteurs de l’acte
uniforme OHADA relatif la médiation n’y dérogent pas lorsqu’ils les érigent en principes
directeurs de la médiation 1810 . La simplicité de la mise en œuvre semble être l’option
privilégiée. Le conseil des Ministres des Etats parties a en effet fait l’option d’une procédure
simple, qui présente l’avantage du gain de temps, en comparaison de la durée moyenne d’un
procès et au délai d’obtention d’un jugement attendu de tout MARD1811. La procédure de la
médiation comme toute procédure comprend trois phases, son début, son déroulement et sa
fin. La procédure de médiation s’ouvre par la diligence de l’une des parties qui met en œuvre
toute convention de médiation, qu’elle soit écrite ou non ; cela suppose que l’on est en
présence d’une « médiation convention », fondée sur une « clause de médiation » ou tout
autre accord. Par contre, en l’absence de convention entre les parties, l’absence de la réception
d’écrit de l’offre de médiation dans un délai de 15 jours vaudra refus d'acceptation de
l’invitation et donc rejet de la procédure de médiation 1812 . Le début de la procédure de
médiation en cas d’accord des parties suspend le délai de prescription de l’action qui
recommencera à courir à l’issue de la médiation, en l’absence pour les parties, d’être
parvenues à un accord1813. La procédure de médiation prend fin soit, première hypothèse par
la conclusion d'un accord écrit signé par les parties et, si celles-ci en font la demande, par le
médiateur, soit, seconde hypothèse à la fin du délai imparti, ou des autres causes prévues de
manière exhaustive par l’AUM1814. La principale innovation réside dans la diversification des
voies d’obtention du titre exécutoire1815.

355. Depuis l’avènement de l’AUM, le juge peut proposer aux parties de désigner un tiers
aux fins de tenter une médiation1816, mais celles-ci peuvent également le faire elles mêmes. Si
le juge officie à « la place du juge », il n’est ni son mandataire, ne saurait se substituer à lui et

1809
Ch. Jarrosson, « Les modes alternatifs de règlement des conflits : présentation générale», Op. Cit, p.327.
1810
Article 8 AUM : « Le médiateur et toute institution établie dans l'un des Etats Parties offrant des services de
médiation adhèrent aux principes garantissant le respect de la volonté des parties, l'intégrité morale,
l'indépendance et l'impartialité du médiateur, la confidentialité et l'efficacité du processus de médiation. Le
médiateur s'assure que la solution envisagée reflète réellement la volonté des parties dans le respect des règles
d'ordre public », article 10.
1811
A. Dessi Foulon et Bertrand Debosque « La nouvelle médiation dans l’espace OHADA, pour un meilleur
accès à la justice », 16 Janvier 2018, disponible sur https://afrique.latribune.fr/think-tank/tribunes consulté le 15
Juin 2019, à 21h 47.
1812
Article 4 al. 2 AUM.
1813
Article 4 al. 4 AUM.
1814
Article 12 AUM.
1815
Voir infra, notamment les développements relatifs à l’aménagement d’un droit à l’exécution des décisions
de justice.
1816
V. art. 4, al 3, art. 12 in fine, art. 13, al. 2 et 3.

371
ne possède aucunement ses pouvoirs. Sa fonction est d'aider les parties, assistées ou non de
leur avocat, à trouver une solution conforme à l'ordre public à leur différend à partir des
échanges et informations recueillies, sans leur imposer sa solution1817. Mais il est tenu tout
comme l’officier de justice, à une certaine déontologie en raison du « processus ternaire »1818
inhérent à la médiation. Pour assurer et crédibilité et efficacité aux modes pacifiques de
résolution des conflits, et parce que le lien avec la justice est indiscutable, des garanties
doivent être offertes pour se prémunir de « l’éclosion de solutions alternatives
inéquitables »1819. Le législateur OHADA a choisi de se référer à des principes directeurs
fondés sur l’idée que les parties sont en droit d’attendre du tiers qu’il offre de meilleures
performances que le juge s’agissant des techniques de conciliation et de médiation. Ainsi sur
le plan éthique, le tiers conciliateur ou médiateur sans la présence duquel ne se conçoit la
médiation doit présenter toutes les exigences de respect de la volonté des parties, de
confidentialité, de neutralité, d’indépendance, d’impartialité, d’efficacité et la moralité
nécessaires au processus de médiation1820. L’efficacité du règlement amiable apparait ainsi
évidente. Mais en dépit de tous ses nombreux avantages et cohérences, le droit à la résolution
amiable des conflits n’en demeure pas moins sujet à des incertitudes et faiblesses quant à la
mise en œuvre du processus consacré.
Paragraphe II. Les limitations quant à la mise en œuvre du droit au
recours à la résolution amiable des différends
356. Une chose est certaine, la justice largo sensu au sein des Etas Ohada a évoluée et s’est
améliorée, mais au point de décourager l’attrait que représente les MARD. La justice étatique
étant en principe la voie normale de résolution des litiges, le recours aux modes alternatifs est
réservé à certaines catégories de différends. La condition classique posée est que les parties
aient la libre disposition de leurs droits pour soumettre les contestations nées de leurs rapports
juridiques à l’office des arbitres, tiers conciliateurs ou médiateurs. Certes consacrés, le droit
alternatif à la résolution des différents, ou mieux, cette nouvelle offre de justice reste dans la
pratique limitée par des orientations et carences de nature à en limiter, sinon en réduire
l’effectivité. Ceux-ci concernent aussi bien le mode alternatif composite de traitement des

1817
A. Dessi Foulon et Bertrand Debosque, « La nouvelle médiation dans l’espace OHADA, pour un meilleur
accès à la justice », Op. Cit.
1818
Cf. N. Dion, De la médiation : Essai pour une approche créatrice et pacifiée du conflit, mare & martin
2011, p. 96.
1819
N. Fricero, « Modes alternatifs de règlement des conflits et procès équitable », in Mélanges en l’honneur du
Doyen G. Cohen-Jonathan, Op. Cit, pp. 839-853, spéc. p. 843.
1820
Article 8 de l’AUM relatifs aux principes directeurs de la médiation OHADA précité.

372
contentieux, que les autres modes (A). Pour en adresser les effets et risques, une approche
unitaire et globale de la justice privée (B) pourrait être envisagée.

A. Les carences et orientations limitatives du droit à la résolution amiable des


différends

357. Une procédure judiciaire est longue, éprouvante et coûteuse. Dans ce contexte, les
parties ont tout intérêt à tenter une résolution du litige à l’amiable. Les modes de règlement
amiables des conflits sont des processus structurés certes, mais constituent aussi une justice de
proximité. La justice de proximité (dans le sens de proximité géographique) 1821 , est une
justice proche du justiciable. Mais la proximité n’est pas qu’une affaire de territorialité, elle
réside nécessairement aussi dans le rôle que se donne l’institution judiciaire dans le
1822
traitement des différends . L’émergence des modes de règlement amiables des différends
assurent le développement de cette justice de proximité. Ils assurent une réponse à la quête du
justiciable d’accéder à une justice où ils sont écoutés, une offre de justice moins contentieuse,
qui privilégie le rétablissement de la paix, négociation, concession, à l’application d’une règle
de droit contraignante, une décision de justice qui fait un gagnant et un perdant en divisant
d’avantage des anciens partenaires, une règle « parfois injuste et souvent étrangère à la
véritable cause du conflit »1823. Dans ce second sens, la proximité devient un critère de qualité
de la justice, de sa capacité à faciliter l’accès des justiciables à la justice. Ainsi sur le principe,
médiation et conciliation sont identique. Médiateur ou conciliateur offrent ainsi aux parties
une technique particulière de résolution du conflit éloignée de celle du juge. Mais le système
juridique camerounais depuis l’avènement de la médiation OHADA a-t-il pris toute la mesure
de chose ? Une réponse négative à cette interrogation ne nous semble pas inappropriée.

L’objectif du tiers conciliateur ou médiateur est de parvenir à un accord entre les


parties, pour traiter pacifiquement le conflit et éviter le procès. Pour cela, le tiers facilitateur
dans son processus d’aide devra identifier les dimensions psychologique ou sociologique du
conflit, en prenant « mieux en compte les facteurs non rationnels ou en tout cas non juridiques
qui participent de la prise de décisions »1824. Il lui incombera de reformuler la position de
chacune des parties en des termes propres à être compris par l’autre. Un bon médiateur doit
être formé aux techniques de négociation, diplomate et mobiliser les acquis des autres

1821
Voir infra, Chapitre premier, Titre II.
1822
Cf. R. Perrot, « Justice de proximité : conciliation et médiation », Procédures, n° 1, avril 1995, p. 1.
1823
Julie Joly-Hurard, « Introduction », in Conciliation et médiation judiciaires, Op. Cit.
1824
« L’intérêt de la médiation pour la résolution des litiges entre entreprises », Liber amicorum Philippe
Merle, Dalloz, 2012, n° 3, p. 372.

373
sciences humaines et sociales autres que le droit telles que la psychologie et la sociologie.
Robert Badinter exigeait même à l’égard de ce facilitateur, des qualités d’andragogue1825 et
même de psychanalyste1826 pour être en mesure de saisir aisément les pratiques, usages et
mode de raisonnement des acteurs en présence. Bien menés, les MARD permettront aux
parties de se réapproprier leur différend, alors que dans le procès étatique ou arbitral elles se
considèrent parfois comme en avoir été dépossédées1827.

Pour le dire autrement, a priori facile, médier ou concilier semble plus difficile à faire
qu’il ne parait. Si le processus de médiation intègre une forme de négociation, médier ne se
ramène pas à faire transiger et concilier n’est pas que négocier, réconcilier1828. Concilier veut
dire régler le conflit. « Dans le champ du droit, le conflit est inscrit dans un débat juridique
réglementé : ce passage du conflit direct à un différend explicité en termes juridiques peut
amener les parties soit à réduire l’ampleur du conflit à ses seuls aspects juridiques, soit à le
déplacer sur un autre terrain. C’est dire que le mode de règlement juridictionnel, où le litige
est figé dans les termes juridiques qui l’explicitent, ne permet pas au juge de résoudre le
véritable problème qui oppose les parties et qui n’apparaît pas dans le dossier soumis au
juge, ni de saisir les diverses perspectives « para-juridiques » (psychologiques, économiques,
sociales, etc.) que comporte un problème et qui, ignorées, peuvent conduire à une situation de
blocage. En effet, le juge n’a pas à chercher ce qui se cache dans le non-dit d’un dossier ni à
percer les attentes et les aspirations des parties, mais à trancher le litige par référence à des
normes « standards ». Dans ce type de litiges, la solution donnée sera nécessairement
inappropriée ou inadaptée à la situation conflictuelle vécue par les parties » 1829 . Pour
appréhender le véritable conflit qui oppose les parties ou en percevoir toutes les composantes,
le débat doit être placé au delà du cadre juridique. C’est la faute régulièrement commise par le
juge, le débat reste figé sur le plan juridique. L’activité de conciliation ou de médiation, tout
en restant inscrite dans un univers juridique et normatif, crée néanmoins un « espace de
parole » où chacune des parties, libérée des figures qu’impose le droit, devient auteur et
acteur « d’une parole propre ». Pour reprendre Antoine Garapon et avec qui nous d’avis que
le matériau de la conciliation, « ce sont des paroles qui ne sont plus contraintes juridiquement
1825
L’andragogie est la science de l’éducation focalisée aux personnes adultes. Autrement dit la pédagogie des
adultes ou encore l’art qui consiste à conduire aisément des adultes dans un apprentissage.
1826
Robert Badinter in « Conférence sur la médiation. Organisation mondiale de la propriété intellectuelle »,
Genève, 29 mars 1996, cité par Karel Osiris Coffi Dogue et Valencia Iloki Engamba, « pratique de la
conciliation en matière d’injonction de payer OHADA », Op. Cit., p. 318.
1827
« L’intérêt de la médiation pour la résolution des litiges entre entreprises », Op. Cit, p. 369.
1828
Béatrice Gorchs, « La conciliation comme « enjeu » dans la transformation du système judiciaire », Droit et
société, 2006/1 n°62, pp. 223-256, spéc. p. 243.
1829
Ibid. p. 245.

374
». « On n’est plus dans l’argumentation mais dans un échange engageant, dans un échange
de propos qui engagent les deux sujets […] en présence »1830. C’est que l’on n’est plus « dans
le modèle de l’application de la loi, d’une cohérence extérieure et antérieure qui viendrait
s’adapter à une situation, mais dans l’hypothèse d’une reconstruction continue par les sujets
eux mêmes » 1831 . Ainsi décrite, la conciliation et médiation font moins figure de « mode
alternatif » que de « modes appropriés » 1832 de règlement des différends. On ne peut
raisonnablement mettre en concurrence juridiction contentieuse et conciliation puisque ces
deux formes de justice n’ont pas le même objet. La médiation annonce bien une autre façon
de faire la justice.

Le juge de paix n’est pas appelé à trancher le litige, mais à résoudre le conflit. Mais en
a-t-il les compétences techniques ? Une réponse par la négative est permise. La médiation
nécessite des juges qu’ils jouent un rôle autre de celui auquel la tradition judiciaire les a
habitués, celui de médiateur, d’intermédiaire et non « un oracle qui énonce le droit ». Le juge
dans le système juridique camerounais est formé au logiciel classique de la justice étatique
monolithique, bornée à dire le droit, trancher le litige, à faire usage de l’impérium, de la
puissance publique. Nous pouvons aisément comprendre, même s’il faut le déplorer,
l’exclusion de la médiation purement judiciaire de l’AUM (article 2), ou précédemment à cet
acte uniforme et encore en vigueur, la dispense de l’obligation pour le juge camerounais de
concilier les parties dans le régime de la conciliation prévue dans le Code de procédure civile
et commerciale camerounais1833 ou encore l’absence de sanction de la nullité du jugement en
cas de violation de l’obligation pour la juridiction saisie de l’opposition de procéder à un
préalable (tentative) de conciliation consacrée par l’article 12 de l’AUPSRVE confirmée par
la jurisprudence1834, mais réclamée par la doctrine1835.

1830
Ce qu’il dit pour la médiation est transposable à la conciliation. Antoine Garapon, « La médiation, un
nouveau mode de socialisation », in Carole Younes et Étienne Le Roy (dir.), Médiation et diversité culturelle :
pour quelle société ?, Paris, Karthala, 2002 p. 207 cité B. Gorchs, Op. Cit. p. 246.
1831
Ibid. ; p. 247.
1832
B. Gorchs, « La conciliation comme « enjeu » dans la transformation du système judiciaire », Op. Cit.
p.250.
1833
Voir supra.
1834
CA Abidjan, n° 865, 5-7-2002 : Sidam c/ Cisse Drissa, www.ohada.com, Ohadata J-03-23, obs. Joseph Issa-
Sayegh ; CCJA, Arrêt n° 013/2013 du 07 mars 2013, Affaire Société Africaine de crédit automobile dite
SAFCAR contre Société DISTRIVOIRE SA et Gaoussou Touré, JURIDATA N° JO13-03/2013 ; CCJA, Arrêt
n°096/2012 du 20 décembre 2012, Affaire M. Kengne Pokam Emmanuel contre M. Tameghi Robert,
JURIDATA N° J096-12/2012 ; CCJA, Arrêt n° 104/2013 du 30 décembre 2013, Affaire Abakar Gazamble
contre Abakar Ibi, JURIDATA N° J104-12/2013. La position de la CCJA est constante. Elle affirma en 2012
dans l’affaire M. Kengne Pokam Emmanuel du 20 décembre 2012 précitée que l’article 12 « prescrit la
procédure préalable de tentative de conciliation en cas d’opposition d’une ordonnance d’injonction de payer,
mais ne sanctionne cependant pas l’absence de l’exercice de cette obligation ».

375
Aussi, le système général des modes alternatifs mis en œuvre dans le système
juridique camerounais est-il caractérisé par l’absence au Cameroun et dans l’espace OHADA,
d’une professionnalisation en corporation de la fonction de médiateur1836. L’État a mis en
place des procédures alternatives à la justice étatique, en dépit du fait que les professionnels
chargés d’en animer l’office sont très loin du niveau de formation des magistrats, et
dépourvus de statut et de déontologie élaborés. La campagne de formation certifiante
organisée au Bénin et en Côte d’Ivoire en 2018 par l’ERSUMA s’est limitée à ces deux Etats.
Une constante peut dès lors être relevée, l’émergence de la figure du médiateur ou encore
conciliateur n’existe qu’à l’Etat embryonnaire dans le système de justice camerounais. Il
n’existe pas à notre connaissance à l’heure actuelle au Cameroun, un processus précis
d’habilitation avec des exigences et des qualifications particulières pour remplir la fonction
médiateur.

358. L’arbitrage, mode juridictionnel de règlement des conflits connait une actualité
florissante. Il est revêtu d’une valeur universelle indéniable. Cependant, l’une des principales
faiblesses de la justice arbitrale dans l’espace OHADA réside dans le système d’arbitrage
CCJA qui épouse l’orientation contemporaine de l’arbitrage international, notamment sa
tendance à la judiciarisation. Le terme est parfois employé de deux différentes façons. La
première, pour désigner un groupe hétérogène de critiques, qui reprochent tantôt la lenteur des
procédures, tantôt leur complexité croissante1837. Dans cette hypothèse, la judiciarisation de
l’arbitrage procèderait d’un rapprochement entre justice arbitrale et justice étatique et de ses
crises. De la seconde façon, l’on retiendra qu’il est utilisé pour désigner un épanouissement de
l’arbitrage du modèle contractuel, qui considère l’arbitre comme un produit quasi exclusif de
la convention d’arbitrage. Pour le dire autrement, le vocable indique qu’au pouvoir de
l’arbitre de trancher la situation litigieuse, s’est ajouté celui d’administrer la justice
arbitrale1838. D’une manière de l’appréhender à l’autre, l’efficacité de l’arbitrage se trouvé
limité par l’introduction des principes inhérents au procès équitable dans le système judiciaire
étatique au grand dame de la flexibilité, confidentialité et célérité spécifiques à la procédure
arbitrale,
1835
V. Karel O. Coffi Dogue et Valencia Iloki Engamba, « pratique de la conciliation en matière d’injonction
de payer OHADA », Op. Cit.
1836
Même s’il faut noter en effet que, dans la plupart des Etats membres de l’OHADA, des institutions
existaient, avant bien décembre 2017, pour la résolution amiable des litiges d’affaires via la médiation.
1837
Giacomo Marchisio, « La judiciarisation de l’arbitrage commercial international : un survol historique »,
École de Montréal, 19-01-10, pp. 111-124.
1838
Jean-Pierre Ancel, « L’arbitre juge », Rev. Arb. 2012.4, pp. 717, 722 ; V. aussi Yas Banifatemi, « Le droit
au juge » et l’arbitrage commercial international », in Mélanges en l’honneur du Doyen G. Cohen-Jonathan,
Op. Cit, pp. 167-187, spéc. p. 168.

376
L’intervention croissante de juge étatique à différents stades de la procédure arbitrale,
remise en cause pour des raisons de transparence et de bonne administration de la justice
arbitrale. L’émergence d’une justice arbitrale sous le modèle du procès équitable remet en
l’un des éléments fondamentaux de ce mode, le respect de la volonté des parties. Celle-ci
permettant aux parties de moduler la procédure à leur guise. Il en résulte de tous ces éléments
et bien d’autres encore, une dénaturation de l’arbitrage. Monsieur Massosso Benga a proposé
de déjudiciariser l’arbitrage OHADA1839. La juridictionnalisation progressive de ce mode de
règlement des conflits semble justifier de plus en plus de l’avis d’une magistrate, son
exclusion de la catégorie des MARD 1840 . De règlement alternatif, « il est devenu mode
classique sous l’effet conjugué et paradoxal de son succès et de ses tendances trop fréquentes
à la judiciarisation et à l’institutionnalisation qui le dénaturent »1841. Les modes pacifiques
de règlement des différends étant caractérisés par un univers, celui du dialogue, de l’écoute à
l’exclusion de toute contrainte procédurale. Il ne faut pas en effet aboutir à deux systèmes de
protection identique, parce qu’il est impératif de tenir compte des spécificités de chaque mode
de traitement des différends. Car, c’est en ces spécificités que réside effectivement
l’originalité de chaque mode pacifique de résolution des conflits et l’angle d’appui d’une
approche unitaire et globale de cette justice alternative.

B. Pour une approche unitaire et globale de la justice privée

359. La justice privée est un moyen efficace pour les parties de résoudre leurs différends.
Celle-ci est une alternative viable à la préférence qui reste portée à la justice étatique en dépit
d’un droit alternatif à la résolution des différends. Afin de pallier les lacunes rencontrées dans
l’accès à la justice privée, une approche unitaire et globale de cette justice semble toute
indiquée. Unitaire, elle doit permettre d’appréhender toutes les composantes de la justice
(articuler justice privée et publique) qui devraient profiter de la même manière à l’ensemble
des citoyens et des entreprises de soumis à l’application de la loi camerounaise. L’approche
concerne aussi bien la médiation, la conciliation et l’arbitrage.

La pratique de la médiation constitue en effet un moyen intelligent et efficace de


résolution des différends car le médiateur ne cherche pas à trancher des prétentions
inconciliables, mais à trouver un juste milieu entre les revendications des parties. Elle favorise
ainsi la reconstruction des parties dans la préservation des relations, par la possibilité d’un
1839
C. H. Massosso Benga, La déjudiciarisation de l’arbitrage OHADA, Thèse, Droit, Université de Perpignan,
2019.
1840
Julie Joly-Hurard, « Introduction », in Conciliation et médiation judiciaires, Op. Cit.
1841
C. Jarrosson, « Les modes alternatifs de règlement des conflits : présentation générale», Op. Cit,

377
choix de solution durable, rapide, confidentielle, moins coûteuse et déjà acceptée de tous. En
prenant en compte le champ d’application plus large de la médiation, les solutions suivantes
sont à envisager au regard des lacunes constatées. La pratique a mis en évidence de
nombreuses faiblesses dans la rédaction des conventions et clauses soumettant tout litige à la
médiation, faute le plus souvent de formation et rigueur suffisante des rédacteurs de ces
conventions. Les séances de formation jusqu’ici offertes par l’ERSUMA sont insuffisantes.
L’émergence d’une ingénierie de la formation des professionnels locaux dans le domaine dans
l’optique de la professionnalisation et la multiplication des centres de médiation sont donc des
voies à envisager. La qualité de la formation des acteurs locaux de la justice : arbitres,
médiateurs, avocats est une question qui ne peut attendre à prendre au sérieux. C’est la
question épineuse de la qualification du tiers conciliateur ou médiateur mais également celle
relevant de la qualité des médiations.

De plus, le droit à la médiation est à faire connaître par la pratique, ce que le système
de justice camerounais peine à mettre en place. Il revient ainsi au Etats, aux praticiens, à la
société civile d'en assurer le développement ; mettre en place un biotope attractif et efficace
pour son éclosion ; impliquer d’avantage les parties dans la recherche d’une solution au
litige ; le développement de la culture de la médiation, du dialogue, des voies amiables chez
les avocats qui restent, en raison de la nature de notre système de justice orientés vers le
reflexe contentieux du procès est une nécessité. La conception du chantier de l’amiable reste
entier, il nécessaire de s’y atteler. Empêcher la médiation de devenir une prestation onéreuse,
une justice élitiste est un défi que le système de justice doit relever. Les frais de médiation
incluent généralement le droit d'ouverture du dossier de médiation dans les centres déjà en
place dans l'espace OHADA1842 les frais administratifs et la rémunération du médiateur. A
ces frais, devront être ajoutés les honoraires des notaires ou frais d'homologation ou
d'exequatur, le cas échéant. Une harmonisation du coût de la médiation permettrait de
prévenir, voire réduire les risques de coûts élevés de la médiation. L’amélioration de l’Acte
uniforme sur la médiation fait partie du lot des aménagements à faire. Le texte laisse un goût
d’inachevé qui empêche de valider l’intégralité de l’œuvre du point de vue de la logique et de
la rigueur : procédure d’homologation, silence sur les modalités de l’homologation, statut du
médiateur etc. Goût d’inachevé qui appelle la réécriture et la précision supplémentaire de
certaines dispositions pour en améliorer la qualité et la praticabilité. Il pourrait être opportun
que l'OHADA s'inspire de la conception de la liberté de décision associée à l'élaboration d'un

1842
De l'ordre de 50.000 FCFA soit environ 75 €.

378
projet commun fondé sur l'entente plutôt que sur le contrat, soit la qualité relationnelle plutôt
que le droit1843. Mieux encore, les Etats membres doivent développer dans les actes uniformes
relatifs aux modes alternatifs et l’ensemble de son droit, des différends une approche
culturelle plus proche des fondamentaux du lien social qu'ils peuvent faire évoluer à partir de
leurs propres racines. Un virage culturel s’impose en matière d’accès à la justice privée tout
comme s’agissant de la justice étatique. L’importance de remettre entre les mains du citoyen
la tâche de résoudre ses conflits avec les moyens qui répondent le mieux à ses attentes et à ses
besoins s’avère la solution afin de redonner à la population confiance dans le système de
justice et d’avoir un système de justice réellement accessible et efficace.

360. L’OHADA compte enrayer l’insécurité judiciaire en privilégiant le recours aux modes
alternatifs de règlement des différends. Dans cette optique, la « modernisation » de l’arbitrage
est devenue un moyen de sécurisation des investissements internationaux et nationaux au sein
de l’espace OHADA. Ce mode emporte beaucoup les faveurs de l’OHADA. Mais L’OHADA
a choisi de mener une transition judiciaire profonde en changeant les paradigmes de la justice
étatique pour s’appuyer sur le développement de la justice privée. Mais c’est un échec, ce
mode est peu pratiqué dans cet espace, une justice de second ordre. La qualité et
l’indépendance des arbitrages nationaux ne sont pas la chose la mieux partagée. Et pour
cause, l’obligation d’information qui pèse sur l’arbitre qu’on peut qualifier de « serment
d’indépendance de l’arbitre »1844 ne semble pas en pratique suivies d’investigations sérieuses.
Ce qui n’est pas de nature à éviter les conflits d’intérêts. L’arbitrage institutionnel de la CCJA
ne semble non plus bénéficier d’un attrait particulier. Le législateur OHADA a mis en place
un régime d’ordre public de fixation des honoraires des arbitres. L’option de poser la CCJA
comme juge judiciaire et arbitral, a suscité des critiques acerbes sur son hybridité avancée. Par
sa volonté d’encourager le recours aux mécanismes alternatifs de règlement des litiges,
l’OHADA a l’émergence du droit à la résolution amiable des différends reste très peu utilisé.
La pratique de l’arbitrage ne produit pas l’attente escomptée. Le statu quo semble en être
l’identité remarquable. Pour une meilleure articulation de l’arbitrage, il est nécessaire d’y
intégrer la conception philosophique africaine.

1843
Jean-Louis Lascoux, « La médiation en Afrique passera-t-elle par l’espace OHADA ? », mis en ligne le
31/07/2018 17h28 consulté le 12 février 2020 disponible sur www.ohada.com/la-mediation-en-afrique- passera-
t-elle-par-l-espace-ohada.html.
1844
P.-G. Pougoué, L’arbitrage dans l’espace OHADA, Recueil des cours de l’Académie de droit
international de La Haye, Op. Cit., p. 210 ; Voir aussi Christian Bahati Bahalaokwibuye, « Perspectives sur
l’indépendance de la justice arbitrale en Afrique subsaharienne. Les influences croisées entre la Cour Commune
de Justice et d’Arbitrage (CCJA) et l’East African Community’s Court of Justice (EACJ) », Op. Cit.

379
Conclusion du Chapitre Premier

361. Fermement garanti par le droit camerounais, le législateur laisse entrevoir une
nouvelle façon de voir et d’aborder la résolution des litiges dans le système de justice
camerounais. Si la juridiction et le juge constituent la clé de voûte de la notion d'action en
justice, la pierre angulaire de la notion de droit au juge, le droit d’agir en justice repose en
effet sur la reconnaissance de l’action comme expression d’un droit fondamental, celui d’en
appeler au juge. Comme pour tout processus qui s’oppose à un paradigme fermement établi,
le système juridique camerounais a pris appui sur les modes pacifiques de résolution des
conflits pour élargir le bouclier de protection des droits des justiciables. Il semble ainsi
s’éloigner du présupposé selon lequel le processus juridictionnel constitue la règle et les
autres modes de résolution des conflits l’alternative ou l’exception. Arbitrage, médiation, et
conciliation constituent les ferments de l’émergence du droit à la résolution amiable des
conflits. Ils constituent une autre manière de résoudre les conflits juridiques, juste, complète
et efficace, moins contentieuse, dominée par la juridiction de la parole. Une autre offre de
justice qui peut s’intégrer complètement au système de justice formelle, mais qui demeure
encore une justice de second ordre. L’émergence d’un droit à la résolution amiable des
différends n’existe qu’à l’état embryonnaire dans le système de justice camerounais.
L’approche unitaire et globale de la justice privée imbriquée à la justice étatique semble toute
indiquée, pour faire émerger une justice plurielle effective, loin de l’opposition justice
étatique et justice privée alternative. Médiation et conciliation doivent en effet être
appréhendées non plus forcément comme une justice alternative ou encore une solution
palliative à l’engorgement ou à l’encombrement des juridictions1845 mais plutôt comme un
moyen d’améliorer la qualité de notre justice 1846 , et même, les fondements d’une
administration plurielle de la justice dont les solutions juridiques bénéficieront d’une
exécution pleinement aménagée.

1845
Cf. Armand-Prévost, « L’avocat, le juge, le médiateur », LPA, 8 juillet 1998, p. 19 et suiv.
1846
Cf. Ch. Jarrosson, « Les dispositions sur la conciliation et la médiation judiciaires de la loi du 8 février
1995 », Rev. arb. 1995. 219 et s.

380
CHAPITRE SECOND

L’AMÉNAGEMENT D’UN DROIT À L’ÉXÉCUTION DES DÉCISIONS


DE JUSTICE

362. « Pas d’intérêt pas d’action ». La lettre de ce brocard parle de lui-même. Il exclut la
possibilité d’une action en justice dépourvue d’un quelconque avantage. Si toute personne
doit pouvoir accéder à la justice c’est dans l’optique d’obtenir quelque chose. L’on dira que le
droit d’accès à un tribunal est un « droit médiat » 1847 , l’instrument d’un autre, le droit
d’obtenir une solution juridictionnelle. Considéré de plus en plus comme un véritable
régulateur des rapports sociaux, l'acte juridictionnel est un élément non seulement
stabilisateur, conservateur de l'ordre juridique existant, mais aussi un élément constitutif de
cet ordre1848. Pour ce faire, le dessein et le destin du jugement ou de l’arrêt de l’ensemble des
juridictions deviennent un souci constant. Et c’est clairement dans l’intérêt de ce dernier que
le législateur camerounais a fait le choix de garantir le droit à l’exécution des décisions de
justice et autres titres de l’exécution en aménageant un droit de l’exécution. Le droit à
l'exécution des jugements se déduit ainsi du droit à un procès dont il fait partie intégrante. Les
voies d’exécution deviennent alors des objets naturels des droits fondamentaux, figures de
concrétisation ultime dans les faits des droits issus de tout système juridique et l’exécution de
la décision, l’effet attendu de tout processus juridictionnel.

363. L’exécution a été rangée au nombre des grands sujets du droit essentiel pour sa
survie1849. Le rattachement du droit à l’exécution des décisions de justice au droit de toute
personne à un procès équitable procède d’une logique simple : une véritable protection des
droits substantiels et de procédure attribués aux sujets de droit ne peut pleinement être
garantie que si les sauvegardes entourant le droit à un juge (l’accessibilité du tribunal, le bon
déroulement du procès) sont réalisées alors que la solution juridictionnelle qui en résulte n’a

1847
M.-A. Frison Roche, « Le droit d’accès à la justice et au droit », Op. Cit, p. 534 et S ; Jean Pradel, « La
notion de procès équitable en droit pénal européen », in Revue générale de droit, 1996, 27, (4), pp. 505-523.
1848
Elisabeth Lambert-Abdelgawad, « L'exécution des décisions des juridictions européennes (Cour de justice
des Communautés européennes et Cour européenne des droits de l'homme) », In: Annuaire français de droit
international, volume 52, 2006. pp. 677-724.
1849
Alain Douglas Wandji Kamga, Le droit a l’exécution forcée Réflexion à partir des systèmes juridiques
Camerounais et Français, Thèse, Op. Cit., p. 3.

381
aucune réalité sur le terrain. Il ne servirait à rien de juger si l’acte qui en résulte peut ne pas
être exécuté. Rendre une décision seule ne suffit pas à l’expression de la bonne justice. Le
champ de l’exécution est plural, il touche toute la matière juridictionnelle. Sans elle, le
jugement obtenu, et en amont le droit, se réduiraient à des vœux pieux. Si nous nous
intéressons à sa définition, il est difficile de l’enclore dans un cadre précis. Notion
polysémique, l’exécution désigne l’action d’exécuter quelque chose, de passer à l’acte ou à
son accomplissement1850 ou encore faire passer les dispositions dans les faits. Les définitions
juridiques y voient l’accomplissement de ce qu’un acte ou un jugement prescrit1851, un devoir
juridique. Le terme « exécution » vient du latin « exsecutio », substantif du verbe « exsequi »
lequel signifie « suivre jusqu’au bout »1852. Pour le Professeur Ph. Théry, l’idée d’exécution
en matière civile se rattache à celle de « satisfaction du créancier »1853. Pour Jacques Picotte,
l’exécution est la mise à effet, la mise à réalisation d’un acte, d’un jugement, d’un ordre,
d’une sentence, d’une ordonnance, d’un cautionnement, d’un titre, bref, la suite qui lui est
donnée1854. Selon Hebreaud, le terme « exécution » évoque à la fois la réalisation du droit et la
contrainte. La « réalisation du droit », parce que « le jugement s’appuie sur le droit et il en
est, déjà, en un certain sens, l’exécution ». La « contrainte », en ce sens qu’étant étroitement
lié, le jugement est un titre exécutoire qui peut être assorti d’une astreinte et ramené à
exécution par des procédés coercitifs1855. Pour ce faire, le seul prononcé d’un jugement ne
suffit pas à remplir son bénéficiaire de ses droits car, sauf exécution volontaire et spontanée,
le jugement doit être suivi d’actes de contrainte afin que le droit consacré par le jugement
trouve son accomplissement1856, son effectivité. Le créancier ou la victime, ne sera satisfait
que lorsque son vis-à-vis, le débiteur, astreint à une obligation de donner, de faire ou de ne
pas faire, respecte ses engagements ou exécute la décision judiciaire ou tout titre exécutoire et
ce, en temps utile, lorsque justice lui aura été rendue. On retiendra alors que le droit à
l’exécution peut être considéré comme le droit pour le justiciable d’obtenir au besoin par la
coercition, la mise à réalisation d’un titre d’exécution.

1850
J. Rey-Debove et A. Rey, Le Nouveau Petit Robert de la langue française 2009, Paris, SEJER, 2008 pp.
972 et s.
1851
Dictionnaire de français « Littré », http://littre.reverso.net/dictionnaire-français/définition/execution
1852
Le Grand Larousse encyclopédique, éd. Librairie Larousse, 1961, Tome 4.
1853
Ph. Théry, « Rapport introductif : la notion d’exécution », L’exécution, XXIIIème Colloque des Instituts
d’Etudes Judiciaires, Lyon 19-20 novembre 1999, Paris, l’Harmattan, 2001, pp. 9-25.
1854
Jacques Picotte, Juridictionnaire, Recueil des difficultés et des ressources du Français juridique, Op. Cit, v.
Exécution.
1855
P. Hebreaud, L’exécution des jugements civils, BSLC, 1957, p. 170, cité par Alain Douglas Wandji Kamga,
Thèse précitée ; voir aussi L. Cadiet, Dictionnaire de la justice, Paris, PUF, 2004, p.489 et s.
1856
Tony Moussa, « L’accès à la justice en matière civile », Congrès de l’AHJUCAF, Liban, 2008, disponible
sur le site de l’AHJUCAF, https://www.ahjucaf.org, consulté le 03 Juin 2019.

382
364. Sur ses contours, l’exécution des décisions de justice est double. Une exécution
parfaite, complète et non partielle, et une condition ampliative, l’exécution dans un délai
raisonnable. L’exécution des décisions de justice et son droit à l’exécution ne sont pleinement
remplis que si le créancier rentre effectivement dans son droit. En ce qui concerne l’exécution
dans un délai raisonnable, elle correspond à l’exécution d’une décision judiciaire qui ne
saurait être empêchée, invalidée ni retardée de manière excessive1857. Le caractère raisonnable
du délai s’appui sur des critères de durée de l’exécution qui par définition ne saurait être
identique pour chaque litige. Les critères généralement pris en compte sont les mêmes que
ceux utilisés pour l’appréciation de la durée d’une procédure judiciaire.

365. Le droit à l’exécution des décisions de justice vise dans une large mesure, l’ensemble
des actes juridictionnels ou titre exécutoires et pas seulement les décisions de justice. Le
caractère du titre exécutoire se matérialise formellement, par l’apposition sur la copie de
l’acte d’une mention communément appelée la « formule exécutoire ». L’ensemble acte
juridictionnel regroupe l’exécution de titre ayant une nature différente. En conséquence,
l’exécution est étendue aux titres judiciaires1858 et non judiciaires1859.
Par ailleurs, l’exécution des décisions de justice ne bénéficie pas aux décisions
judiciaires susceptibles d’appel et qui, en conséquence, risquent d’être infirmées par une
juridiction supérieure. Seules sont donc concernées par le droit à l’exécution, les actes
juridictionnels définitifs et obligatoires tranchant ou non le fond du droit 1860 . En règle
générale, une décision de justice ne devient exécutoire que lorsqu’elle est passée en force de
chose jugée. La décision encore susceptible de recours en interdit l’exécution immédiate.

366. L’obligation d’exécuter est un principe fondamental du droit camerounais, et l’idée


que l’exécution des décisions de justice s’impose se déduit naturellement de la confiance des
citoyens dans leurs institutions et la renforce également. Les rapports entre le droit de
l’exécution et les affaires, en l’occurrence la bonne santé économique des entreprises sont
régulièrement soulignés. Le crédit repose sur la confiance et la confiance est d’autant mieux

1857
Voir, par exemple, CEDH, 11 janv. 2001, Lunari contre Italie, req. 21463/93, §43.
1858
Décisions de justice et actes assimilés. Par leur nature, toute décision qu’elle émane aussi bien de
juridictions de l’ordre judiciaire que de celle rendue par des juridictions administratives constituent des titres
exécutoires. Voir Roger Perrot, Philippe Théry, Procédures civiles d’exécution, Op. Cit. p. 151.
1859
La loi a expressément déléguée cette qualité à l’acte notarié, aux actes de conciliation, jugements étrangers
soumis à exequatur, sentence arbitrale.
1860
Guillaume Payan, « La jurisprudence européenne (relative au droit à l’exécution des décisions de justice) »,
Communication lors du 1er Forum mondial sur l’exécution organisé par l’Union internationale des huissiers de
justice (UIHJ) et la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ – Conseil de l’Europe), sur le
thème de « L’efficacité des procédures civiles d’exécution en Europe », au Palais du Conseil de l’Europe,
Strasbourg, 10 décembre 2014.

383
entretenue que le créancier à la certitude de pouvoir être payé à l’échéance. En l’absence de
cette confiance, le crédit est plus difficilement consenti. Par conséquent, une législation
perméttant de recouvrer dans les moindres délais les créances est un facteur essentiel du
crédit1861. L’implémentation depuis plus de décennies de l’Ohada dans le contexte africain en
est une illustration plus que pertinente, attirer et favoriser les investissements. Dis autrement,
la vie des affaires est « une chaine de solidarité sans fin où tous les agents économiques sont
successivement créanciers, puis débiteurs » 1862 . Il est donc impérieux de mettre à la
disposition du tissu économique des moyens d’exécution rapides et efficaces. Mais ce droit,
fondamental à l’exécution, quelles qu’en soient la force, la légitimité et les implications, doit
lui-même s’exercer dans le strict respect des droits fondamentaux du débiteur. Un équilibre
doit donc être instauré afin que la loi du plus fort ne triomphe pas. Mieux encore, que le droit
à l’exécution du plus fort ne se transforme pas en droit d’obéissance pure et simple de la
partie la plus faible1863. Les législations modernes, dans les Etats de droit, veillent à établir cet
équilibre en instituant des règles dont l’ensemble compose le droit de l’exécution.

367. Deux lignes principales vont guider l’appréciation de la consécration d’un droit à
l’exécution des décisions de justice et autres titres exécutoires dans le système juridique
camerounais : les techniques et mécanismes juridiques de l’exécution (Section I) et les voies
judiciaires de l’exécution (Section II) affermies dans toutes les formes de procédure.

SECTION I. LES TECHNIQUES ET MÉCANISMES JURIDIQUES DE L’EXÉCUTION

368. Le jugement, œuvre de justice nécessite qu’il soit régulièrement et entièrement


exécutée, c’est-à-dire que les titres d’exécution consacrés par le droit doivent produire les
effets attendus. L’exécution commande aussi que l’exécution prenne en compte un certain
équilibre entre les droits du poursuivant et ceux du débiteur ou encore ceux de la victime. Le
lien est d’une évidence entre les principes essentiels de mise en œuvre des voies d’exécution
(Paragraphe I) et la consécration d’un droit substantiel à l’exécution des décisions de justice
(Paragraphe II).

1861
Roger Perrot, Philippe Théry, Procédures civiles d’exécution, Op. Cit, p. 7.
1862
Le commerçant qui est créancier de ses clients est en retour débiteur de ses fournisseurs ou de ses sous
traitants. S’il n’est pas payé à l’échéance, il est presque certain qu’il aura des difficultés à payer ses propres
créanciers, lesquels à leur tour ne pourront plus honorer leur dette et vice versa.
1863
C’est nous qui soulignons.

384
Paragraphe I. Les principes essentiels de mise en œuvre des voies
d’exécution
369. La pratique de l’exécution poursuit la satisfaction d’une nécessité juridico-économique
conçue sous la forme d’attentes légitimes des justiciables1864. Pour le créancier le paiement de
la créance échue par le débiteur en l’y contraignant au besoin, et pour le débiteur de se libérer
de sa dette. La relation économique entre le créancier et le débiteur, est donc construite
autour de la contrepartie. Or, le droit de l’exécution est structuré sur l’équilibre entre les
intérêts individuels de chacune des parties d’une part et entre l’intérêt général, et l’acte
d’exécution d’autre part. Concrètement, il est question d’examiner successivement les
fondements de ces principes (A) et avant d’en analyser quelques uns (B).

A. Les fondements des principes

370. Les principes essentiels à la mise en œuvre des procédures d’exécution à l’ère de la de
la fondamentalisation du droit d’accès à un tribunal sont fondés respectivement sur le respect
de l’idée d’accélération de l’exécution (1) et la non dispersion des compétences légales (2).

1. Le respect de l’idée d’accélération de l’exécution

370. Le droit à l’exécution des décisions de justice, même s’il n’est pas toujours
constitutionnellement consacré dans l’espace francophone, relève des principes fondamentaux
rattachés au droit d’accès à la justice. Justice qui se veut être y compris dans l’exécution des
jugements et arrêts de plus en plus rapide, à moindre coût, sans mettre sa qualité en marge.
Plus que l’exécution du jugement rendu, tout créancier se demande quand il sera payé ? Le
plaignant ayant obtenu du juge pénal des condamnations pécuniaires, quand est ce que celles-
ci lui seront versées illustrent au mieux cette idée d’accélération de l’exécution. Quoi de plus
naturel alors que la recherche d’une plus grande célérité dans l’exécution des décisions de
justice soit devenue une préoccupation majeure des législateurs nationaux, d’autant plus que
dans un contexte de mise en concurrence des systèmes juridiques nationaux1865, la célérité de
la justice constitue un réel atout pour l’attractivité d’un système judiciaire. Il importe donc
que la décision obtenue soit effectivement exécutée sans retard excessif, d’où l’idée
d’accélération de l’exécution.

1864
V. Mamoudou Niane, L’exigence de sécurité juridique dans le recouvrement de créance, Thèse, Droit,
Université de Bordeaux, 2014, p. 452.
1865
Voir sur la question Noémie Reichling, Les principes directeurs du procès civil dans l’Espace judiciaire
européen, Thèse, Droit. Université de Normandie, 2017, p. 154.

385
371. L’idée d’accélération du temps juridique de l’exécution, met en scène l’un des
éléments de la crise institutionnelle de la justice, les lenteurs qui affectent le phénomène
juridique. Dérivé du verbe accélérer, ou accelerare en latin, l’accélération signifierait prompte
exécution. François Ost1866 associe au moins trois sens à la notion d’accélération à savoir,
l’idée de vitesse accrue, l’idée d’aléa et l’idée d’immédiateté. Un temps accéléré, « c’est à la
fois un temps plus rapide, un temps plus éphémère ou précaire, et enfin un temps ramené à
l’instantané de l’immédiat ». De ces trois dimensions, la première est celle qui correspond à
l’exécution telle qu’envisagée ici comme la volonté résolue d’atteindre le plus rapidement
possible l’objectif visé par la saisine du juge : l’obtention d’un jugement et bénéficier des
effets de la décision du juge sur sa situation. La vitesse accrue pourrait avoir en ce sens pour
synonyme le terme célérité. Dans son sens courant et juridique la célérité renvoie à des
expressions comme « la promptitude dans l’exécution »1867 ; « une promptitude particulière
d’intervention »1868 ou encore le caractère le caractère d’une procédure promptement menée,
sans perte de temps, alliant rapidité et qualité dans l’exécution1869. La notion d’accélération
s’opposerait ainsi de l’urgence 1870 , de délai raisonnable 1871 et de précipitation. Ces
conceptions suffisent pour mettre en exergue les caractéristiques essentielles développées par
l’idée d’accélération de l’exécution. Elle est d’une part, négation de l’excès de lenteur et de
rapidité. S’apparente d’autre part, à la notion de diligence devant guider l’ensemble des
acteurs du processus d’exécution. Ceux-ci doivent s’efforcer d’agir avec promptitude. En
somme, l’idée d’accélération de l’exécution s’entend de la recherche accrue de la diligence et
promptitude dans la conduite du processus d’exécution.

1866
F. Ost, « L’accélération du temps juridique », in Philippe Gérard, François Ost et Michel Van De
Kerchove (dir.), L’accélération du temps juridique, New edition [online], Bruxelles: Presses de l’Université
Saint-Louis, 2000, pp. 7-14, consulté le 31 octobre 2019, à 21h04, disponible sur internet à l’adresse
http://books.openedition.org/pusl/19818.
1867
Voir « Célérité », in A. Rey, (dir.), Le Grand Robert de la langue française, Dictionnaires Le Robert, 2001.
1868
G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Op. Cit, p. 156, v. Célérité.
1869
S. Amrani-Mekki, « Le principe de célérité », Op. Cit, p. 46. Voir aussi J. Pradel, « La célérité de la
procédure pénale en droit comparé », Op. Cit, p. 323 ; R. Dumas, « Les bornes de la célérité en droit processuel
de la concurrence », RRJ, 2008-2, p. 979 et s
1870
V. C. Chainais, et F. Ferrand, S. Guinchard, Procédure civile. Droit interne et européen du procès civil,
Op. Cit, p.1316 et s ; Y. Strickler, « Urgence », in L. Cadiet (dir.), Dictionnaire de la Justice, Op. Cit. p. 1315
et s. En matière civile, l’urgence est traditionnellement considérée comme la condition essentielle de
l’intervention du juge des référés.
1871
V. not. G. Cornu (dir.), « Délai » et « raisonnable », Vocabulaire juridique, Op. Cit., respectivement p. 313
et p. 845. Le délai raisonnable désigne donc ce qui est « modéré, mesuré, qui se tient dans une juste moyenne ».
Si le respect du délai raisonnable passe certes par la célérité de la procédure, les assimiler revient néanmoins à
confondre l’objectif à atteindre et le moyen d’y parvenir. Le déroulement du procès dans un délai raisonnable
étant l’objectif à atteindre et la célérité de la procédure le moyen d’y parvenir. Pour plus de détails sur la
distinction de célérité et les notions voisines voir, Noémie Reichling, Les principes directeurs du procès civil
dans l’Espace judiciaire européen, Op. Cit, p. 156 et s.

386
372. L’accélération de l’exécution des décisions de justice est devenue une priorité
essentielle pour les acteurs de la vie des affaires et constitue l’un des critères de jauge de la
qualité de celle-ci. Exécution qui doit dépasser la simple garantie par la mise en place d’un
certain nombre de principe et mécanismes, mais constatée sur le terrain. Un lien a été établi
entre l’offre d’un système judiciaire efficace amélioration de l’investissement des
entreprises 1872 . Pour se développer, le secteur privé a besoin entre autres facilités, d’un
environnement de l’exécution propice au recouvrement rapide des créances. Interrogées sur
les principaux obstacles à leur fonctionnement et à leur croissance, quasiment les deux tiers
des entreprises africaines citent au moins un problème de réglementation comme une
préoccupation sérieuse1873. Parmi les arguments régulièrement cités, figure le temps relatif à
l’exécution des actes juridictionnels. Globalement, les problèmes liés à la réglementation sont
jugés plus graves que les problèmes d’infrastructure ou d’accès au financement. Un système
judiciaire permettant aux parties d’exécuter efficacement les contrats en cas de litige
contribue au développement économique et à une croissance économique durable1874. Un tel
système est considéré comme disposant d’une condition préalable à l’État de droit et à la
protection effective des droits, appréhendé comme un élément fondamental du développement
social et économique1875.

L'accélération de la l’exécution des décisions de justice et autres titres exécutoires fait


en effet partie des thèmes majeurs de la réforme du droit des affaires entreprise par
l’avènement de l’OHADA à partir de 1993 et qui a abouti à l'établissement d'un arsenal
juridique propre à attirer et développer l’investissement au sein des Etats membres. L’édiction
d’un Acte uniforme sur les Procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution
traduit la résolution du législateur d’assurer la mise en œuvre des procédures judiciaires
1872
Robert M. Sherwood, Geoffrey Shepherd et Celso Marcos De Souza, « Judicial Systems and Economic
Performance », Quarterly Review of Economics and Finance, 1994, 34 (suppl. 1): 101–160 ; Patrick de
Fontbressin, « Le rôle du droit dans la construction d’un espace économique : l’exemple européen »,
http://www.institut-idef.org/Le-role-du-droit-dans-la.html, in Actes du colloque sur le role du droit dans le
développement économique des Etats, organisé par l’Institut du Droit d’Expression Francophone (IDEF),
Congrès de Lomé, 2008.
1873
Rapport sur le développement en Afrique 2011, Chapitre 2 : L’environnement juridique et réglementaire, p.
41.
1874
Esposito Gianluca, Sergi Lanau et Sebastian Pompe, « Judicial System Reform in Italy : A Key to
Growth », 2014 ; « Court Performance around the World: A Comparative Perspective », Papier Technique de la
Banque Mondiale 430 ; Gwendolyn G. Ball, et Jay P. Kesan, « Judges, Courts and Economic Development: The
Impact of Judicial Human Capital on the Efficiency and Accuracy of the Court System », Allocution à la 15ème
Conférence Annuelle de la Société Internationale de la Nouvelle Economie Institutionnelle, Université de
Stanford, Californie, Juin 16–18 2010 disponible sur http://papers.isnie.org/paper/716.html. ; Daniel Klerman,
« Legal infrastructure, Judicial Independence, and Economic Development », Series papers on Law and
economy, Faculty of Law of the University of South Californy, Los Angeles, 2006.
1875
R.M. Sherwood, G. Shepherd et Celso Marcos De Souza, « Judicial Systems and Economic
Performance », Op. Cit.

387
appropriées dans cet espace normatif. L’exécution rapide, mais sans précipitation des
décisions de justice et titres d’exécution devient également pour les systèmes juridiques
africains, un enjeu majeur. Le temps de l’exécution devient ainsi, une pulsation propice à
l’action. Non seulement parce qu’elle matérialise l’autorité de la chose jugée, mais aussi parce
qu’elle permet de fonder la confiance du justiciable dans sa justice. Confiance qui influe sur
l’ordonnancement des compétences judiciaires.

2. La non dispersion des compétences légales

373. Le droit qui régit l’activité des particuliers est imposé à ceux-ci de l’extérieur et le
respect des droits et obligations qu’il comporte se trouve placé sous la sanction d’un pouvoir
extérieur et supérieur : celui du juge disait Prosper Weil1876. Pour le dire autrement, l’idée
d’un regroupement des compétences est une préoccupation inhérente à la manière d’articuler
les attributions et fonctions des acteurs au sein d’un système judiciaire. Regroupement qui
relève en quelque sorte du droit fondamental à l’exécution des décisions de justice. Ce dernier
ne s’affirme complètement qu’en raison de l’existence du premier en somme. Aussi, la
recherche constante de bonnes pratiques judiciaires fonde-t-elle un autre corollaire, celui
d’éviter la dispersion du contentieux et l’allongement inutile des délais conduisant à
l’exécution. C’est dire que la non dispersion des compétences judiciaires est intégrée dans le
droit à l’exécution tel qu’on peut le percevoir dans l’esprit du Traité Ohada 1877 et des
dispositions de l’AUPSRVE1878. En outre, la création de juridictions spécialisées1879 justifie
de ce souci de mettre un terme à l’éparpillement des compétences et rassembler autour d’une
juridiction unique, l’ensemble des questions liées à l’application du droit OHADA. On le voit,
et il faut s’en féliciter, le juge de l’exécution par exemple centralise entre ses mains « sa
compétence exclusive et impérative » 1880 , c'est-à-dire la quasi-totalité du contentieux en
matière d’exécution forcée. Grâce à ce regroupement, les parties peuvent s’épargner d’une
recherche aléatoire sur la juridiction à saisir, en même temps qu’elles pourront se prémunir
contre des sursis à statuer et la spécialisation aidant, les affaires pourront être jugées dans les
délais raisonnables. Ce temps de l’émiettement des compétences semblait éloigné jusqu’à ce
que le législateur national introduise dans le droit positif camerounais la loi n° 2007/01 du 19
avril 2007 instituant le juge du contentieux de l’exécutif et fixant les conditions de l’exécution

1876
Prosper Weil, Dominique Pouyaud, Le droit administratif, PUF, Coll. Que sais-je, 17e éd., 1997, p. 3.
1877
Voir Préambule du Traité.
1878
Article 49 AUPSRVE
1879
La Cour commune de justice et d’arbitrage, le juge de l’exécution.
1880
Claude Brenner, « Propos introductif », in Colloque sur « L’office du juge de l’exécution dans les
procédures civiles d’exécution », 5 Octobre 2012, p. 10.

388
au Cameroun des décisions judiciaires et actes publics étrangers ainsi que les sentences
arbitrales étrangères voulant remédier à certaines situations1881 . La première, la possibilité
offerte aux juridictions inférieures de remettre en cause les décisions des juridictions
supérieures au motif des difficultés d’exécution 1882 ; la seconde, répondre au vœu de la
doctrine de voir une distinction établie entre juge de l’exécution et juge des référés1883. La
volonté d’apporter une solution définitive à l’épineuse question conduira à l’érection d’un
juge de l’exécution au pluriel. Bien que judicieux, l’article 3 de la loi du 19 avril 2007 fera
naitre quatre juridictions de l’exécution. La doctrine à parler « de parturition de l’article 49
de l’Acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution »1884.
Terme utilisé pour désigner purement et simplement une dispersion de compétences dans
laquelle l’auteur du texte laisse à chaque juge le pouvoir de connaitre du contentieux de ses
propres décisions. Le législateur national choisira en effet d’interpréter à sa façon sans
prendre en compte la visée du rédacteur de l’acte uniforme, le singulier pourtant retenu par
l’article 49 justifié par l’idée d’accélérer et de rendre plus efficaces des procédures civiles
d’exécution par un meilleur suivi de l’exécution.
L’avènement de l’AUPSRVE a profondément modifié la fonction exécutive avec pour
souci très évident d’améliorer l’efficacité des procédures d’exécution et de renforcer ainsi la
condition du poursuivant. Cependant, le législateur OHADA en optant pour l’expression « de
juridiction statuant en matière d’urgence »1885 n’a pas facilité aux Etats membres non pourvu
dans leur ordonnancement juridique de juge unique de l’exécution. De plus, la CCJA saisi des
questions relatives à l’identification de ce juge, n’a pas réussi à trancher définitivement la
question et pour cause, dans la quasi-totalité de sa jurisprudence y relative, la haute cour
affirme que le juge des référés peut être le juge de l’exécution ou retient sa compétence. On
peut le voir dans une espèce dans laquelle elle conclut que : « d’une part, le juge des référés
est bien compétent en l’espèce, pour trancher la présente contestation (car) le large champ de

1881
Voir Cameroon Tribune, n° 8834/5033, 20 avril 2007, p. 13.
1882
« A l’heure actuelle, ces difficultés d’exécution sont portées devant le Président du tribunal de première
instance du lieu de l’exécution. Or, il arrive que ledit Président ait à connaître du contentieux des décisions
rendues par la Cour d’appel et même par la Cour suprême. C’est ainsi que l’on s’est parfois retrouvé avec des
ordonnances contredisant les décisions dont l’exécution a provoqué la difficulté (…). Le projet de loi en étude
permet donc d’éviter ces contradictions ». Voir Cameroon Tribune des 20 et 22 mars 2007 ; V. aussi Joseph
Fometeu, « Le juge de l’exécution au pluriel ou la parturition au Cameroun de l’article 49 de l’Acte uniforme
OHADA sur les voies d’exécution », In : Revue internationale de droit comparé, Vol. 60 n°1, 2008. pp. 19-44.
1883
Cf. S. Minou, « La juridiction prévue à l’article 49 de l’Acte Uniforme n° 6 portant organisation des
procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution est-elle le juge des référés au Cameroun ? »,
Juridis périodique, n° 62, Avril-mai-juin 2005, p. 97, note n° 6 ; H. Tchantchou, « Le contentieux de l’exécution
et des saisies dans le nouveau droit OHADA », Juridis Périodique, n° 46, Janv.-février-mars 2001, p. 102.
1884
Joseph Fometeu, « Le juge de l’exécution au pluriel ou la parturition au Cameroun de l’article 49 de
l’Acte uniforme OHADA sur les voies d’exécution », Op. Cit.
1885
Article 49 AUPSRVE.

389
l’article 49 ouvert à tout litige ou toute demande relative à une mesure d’exécution forcée
inclut les cas d’urgence et de difficultés relatives à l’exécution d’une décision de justice ou de
tout autre titre exécutoire et que, d’autre part, le juge des référés peut bien délivrer un titre
exécutoire… »1886 Mais ne dit pas s’il est le juge désigné par l’article 49. Tout ceci a jeté une
ombre sur la portée de la non dispersion des compétences en droit OHADA dont les joutes
doctrinales postérieures en constitue l’excellente démonstration. Ombre qui n’édulcore
cependant pas la pertinence des principes fondamentaux de l’exécution consacrés.

B. Les principes fondamentaux de l’exécution

374. Essentielles, les mesures d’exécution doivent être mise en œuvre dans le but de
garantir au créancier, une prompte exécution des obligations en adaptant l’exercice des
prérogatives qu’elles confèrent aux contraintes du terrain. Dans cet esprit, la proportionnalité
des mesures d’exécution, le respect dû à la personne humaine, le principe de modération et
d’équilibre, la maitrise des couts de l’exécution apparaissent comme autant de principes
essentiels devant constamment guider les acteurs de l’exécution et que le juge doit faire
respecter. Pour la clarté de l’analyse, ils seront désignés comme principes dits objectifs (1), et
ceux dits subjectifs (2).

1. Les principes dits objectifs

375. L’effectivité des mesures d’exécution est dominée par une double contrainte. La
première, lever les obstacles qui peuvent entraver la réalisation des droits du créancier, au
besoin par la coercition. L’objectif étant de faire passer le droit dans les faits en surmontant
l’inertie ou la mauvaise fois du débiteur qui pourrait se dérober à l’exécution de ses
obligations1887. La seconde, les intérêts du créancier ne doivent pas non plus oblitérer ceux du
débiteur. Le créancier titulaire d’un titre qui reconnait ses droits ne peut tout se permettre1888.
Des limites doivent être observées afin que la contrainte ne conduise pas à des abus de
droit 1889 . Autrement dit, l’exercice de ces mesures ne saurait faire abstraction des vertus

1886
CCJA, arrêt n° 006/2002, du 21 mars 2002, Recueil de jurisprudence de la CCJA, numéro spécial, janv.
2003, p. 42 ; Voir aussi, CCJA, arrêt n° 008/2002, du 21 mars 2002, Recueil de jurisprudence de la CCJA,
numéro
spécial, janv. 2003, p. 49.
1887
Roger Perrot, Philippe Théry, Procédures civiles d’exécution, Op. Cit, p.2.
1888
Ibid. p. 7.
1889
N. C. Madeleine Ndiaye, « L’intérêt des parties dans l’abus d’exercice des voies de droit », Revue générale
de droit, Vol. 45, n° 1, 2015, pp. 7-46. Disponible sur https://doi.org/10.7202/1032034ar. Dans l’AUPSRVE, il
n’y a aucune disposition relative à l’abus. La jurisprudence a tenté d’y remédier en proposant des critères épars.
Tout commence par le célèbre arrêt français Clément-Bayard, Cass req, 3 août 1915, (1917) DP I, 79. La

390
d’humanité sans lesquelles il n’est point de vraie justice 1890 . Sont ainsi concernés, les
principes destinés à humaniser les procédures d’exécution tels que le principe de
proportionnalité des mesures d’exécution, le respect de la dignité dû à la personne humaine, et
la maitrise des coûts.

376. La proportionnalité me direz vous appartient à la petite école. Donc renverrait à titre
principal aux férus des mathématiques passionnés de proportionnalité arithmétique,
géométrique, harmonique, continue, multiple, etc. La proportionnalité appartient à la petite
école, mais pas que. La notion de « proportionnalité » trouve également un terrain fertile en
droit. Mieux, elle imprégnerait même toutes les sphères du droit 1891 . En substance, la
proportionnalité implique, dans le langage commun, « le respect d’un rapport proportionné
entre deux grandeurs, deux choses, deux variables qui doit rester constant ; lorsque l’une des
grandeurs prend une autre dimension, une autre intensité, l’autre grandeur doit prendre la
même autre dimension, la même autre intensité » 1892 . Il faut ainsi entrevoir une volonté
d’évaluer certains éléments par rapport à d’autres. En droit, la proportionnalité peut être
définie par référence à des critères mathématiques. La définition suivante, prend en
considération de tels critères. La proportionnalité se traduit par « la nécessité de respecter un
rapport d’équilibre entre deux termes : la norme de référence et l’acte ou l’action qu’il
convient de juger » 1893 . Considéré aussi sous le vocable de principe de modération et
d’équilibre1894, le concept dans le domaine strict des procédures juridiques aussi bien civiles
que pénales, signifie que la mise en œuvre des mesures propres à assurer l'exécution d’une
condamnation ou la conservation d'une créance, ne peut excéder ce qui se révèle nécessaire
pour obtenir le paiement de l'obligation 1895 ou encore ce qui a été décidé. Il s’agit d’une
norme générale, écrite ou non écrite, explicite ou implicite, qui est respectée de manière
constante en droit. Comme l’explique Sébastien Van Drooghenbroeck, « sous sa bannière
émergerait, en tous lieux, une commune manière de dire le droit “en situation” par la pesée

décision sanctionnait un propriétaire voisin d’un terrain d’atterrissage et d’envol de ballons dirigeables, pour
avoir planté dans sa propriété des piquets de fer afin d’empêcher l’évolution des ballons,.
1890
Dominique Loriferne, « Discours d’accueil », Op. Cit.
1891
Antoine Guilmain, « Sur les traces du principe de proportionnalité : une esquisse généalogique », in Revue
de droit de McGill, 2015, Vol. 61 (1), 87-137. Disponible sur https://doi.org/10.7202/1035386ar.
1892
V. Viviane Vannes, Le droit de grève : Principe de proportionnalité, droit international, européen et
national, Bruxelles, Larcier, 2013, p. 51.
1893
Ibid.
1894
Claude Brenner, « Propos introductif », in Colloque sur L’office du juge de l’exécution dans les procédures
civiles d’exécution, Op. Cit.
1895
Cf. Danielle Corrignan-Carsin, « Responsabilité et procédures civiles d'exécution », In : Revue juridique de
l'Ouest, n° Spécial 1994 ; 1993-1994 ; « Un an d’application de la réforme des procédures civiles d'exécution,
pp. 87-104 ».

391
des intérêts conflictuels, de juger l’action à l’aune des buts qu’elle se fixe et des préjudices
qu’elle occasionne »1896. La proportionnalité est devenue omniprésente1897, un peu comme un
« “couteau suisse” de l’argumentation juridique et du débat judiciaire »1898. Exit ces débats
doctrinaux sur le développement du principe de proportionnalité en droit. Mais quid de ce
principe sous le prisme du droit à l’exécution du créancier poursuivant.

377. Le droit à l’exécution est un droit absolu pour le créancier 1899 . L’article 28 de
l’AUPSRVE dispose en effet que : « À défaut d’exécution volontaire, tout créancier peut,
quelle que soit la nature de sa créance, dans les conditions prévues par le présent Acte
uniforme, contraindre son débiteur défaillant à exécuter ses obligations à son égard ou
pratiquer une mesure conservatoire pour assurer la sauvegarde de ses droits ». Ce qui fait du
créancier est un personnage indispensable à toute vie sociale1900. Son engagement dans un lien
d’obligation, même onéreux ou intéressé, mérite une particulière protection. Si le créancier
mérite d’être protégé dans le recouvrement de sa créance, il est vrai, qu’aujourd’hui,
l’influence prégnante des droits fondamentaux sur l’exercice des voies de droit imprime des
mutations sur le droit à l’exécution. Cela exige un équilibre entre les droits en présence. Le
souci de sauvegarde du droit à l’exécution est salutaire c’est vrai, mais ne peut être au prix de
la liberté d’agir et du droit à la défense du débiteur qu’apporte l’exigence de soumettre le droit
à l’exécution du créancier à la proportionnalité. Le principe vise à limiter le droit à
l’exécution du créancier poursuivant ainsi que la portée de la mesure d’exécution forcée
entreprise par celui ci. Tout en garantissant le droit du créancier à recouvrer sa créance, le
principe vise également à assurer la protection des biens du débiteur. Il faut le souligner, le
principe de proportionnalité n’est cité par aucune disposition de l’AUPSRVE, mais la
réglementation des procédures d’exécution ohadienne est respectueuse des droits du
débiteur 1901 . Par le principe de proportionnalité l’exécution est poursuivie aux risques du
créancier, à qui loi impose de réparer intégralement le préjudice causé le cas échéant. De
même, la règle de subsidiarité perfectionne les procédures d’exécution en instituant une

1896
Cf. Sébastien Van Drooghenbroeck, La proportionnalité dans le droit de la Convention européenne des
droits de l’Homme : Prendre l’idée simple au sérieux, Bruxelles, Bruylant, 2001.
1897
Ibid. p. 10.
1898
Ibid. p. 11.
1899
Pourtant il est fréquent qu’un créancier après avoir obtenu un titre exécutoire n’obtienne jamais l’exécution
du fait de l’insolvabilité ou de la mauvaise foi de son débiteur.
1900
J. Mestre, « Réflexions sur l’abus du droit de recouvrer sa créance », in Mélanges offerts à Pierre Raynaud,
Paris, Dalloz-Sirey, 1985, p. 474.
1901
Voir Francis Nkea Ndzigue, « Les droits du débiteur dans le système OHADA des voies d’exécution », in
Recueil Penant, 2010, 405, p. 873.

392
hiérarchie des saisies1902. En somme, la préservation de la prérogative qu’a le créancier de
recouvrer sa créance ne peut se faire au point de méconnaître les intérêts économiques
patrimoniaux et extrapatrimoniaux du débiteur. La protection des droits de la personne est au
cœur de la réglementation des procédures d’exécution. Avec la fondamentalisation du droit
privé, la tendance est à l’amélioration de l’humanisation des mesures d’exécution, de la prise
en compte de l’intérêt personnel du débiteur considéré comme une personne vulnérable,
bénéficie d’une protection des droits qui s’attachent à la personne1903. Celui qui use d’une
voie de droit est tenu à une circonspection toute particulière, lorsque cet exercice est de nature
à porter atteinte à l’honneur ou à l’un des “intérêts essentiels” de son adversaire1904.

Ainsi, toutes les parties du procès et de la procédure d’exécution sont protégées contre
les vicissitudes et agressions de la vie des affaires. Le créancier jouit de son droit à
l’exécution, le débiteur de la proportion imposée au créancier par le législateur dans la course
au recouvrement de sa créance (renforcement des droits des créanciers en mettant à leur
disposition des moyens de recouvrement efficaces, par l’amélioration de leur information,
l’accroissement de la force des mesures conservatoires). Mais si le législateur a entendu
procurer au créancier le désintéressement le plus complet et le plus rapide, il a également
prémuni le débiteur – partie faible et vulnérable – contre les risques d'arbitraire et les
débordements à outrance. Protéger le débiteur contre les dangers de l'exécution sauvage1905.
Il s'agit d'éviter que des atteintes incontournables ne deviennent source d'abus. Le juge
n’hésite pas à prendre des sanctions toute les fois dans lesquelles il a constaté la violation du
principe de proportionnalité et de subsidiarité. La responsabilité du demandeur a déjà pu être
facilement engagée parce que son action risquait de causer un grave préjudice matériel1906 au

1902
Aux termes des Article 28, al 2 « Sauf s’il s’agit d’une créance hypothécaire ou privilégiée, l’exécution est
poursuivie en premier lieu sur les biens meubles et, en cas d’insuffisance de ceux-ci sur les immeubles » et 251
de l’AUPSRVE « Le créancier ne peut poursuivre la vente des immeubles qui ne lui son pas hypothéqués que
dans le cas d’insuffisance des immeubles qui lui sont hypothéqués, sauf si l’ensemble de ces biens constitue une
seule et même exploitation et si le débiteur le requiert ». Voir not. sur la subsidiarité de la saisie-vente, Cour
d’Appel d’Angers, 1ère Ch. A, 11 juillet 1995 - CRJO n° 78878 ; Danielle Corrignan-Carsin, Jean-Paul
Delville, « Chronique de voies d'exécution », In : Revue juridique de l'Ouest, 1996-1, pp. 93-117.
1903
Francis Nkea Ndzigue, « Les droits du débiteur dans le système OHADA des voies d’exécution », Op. Cit.
1904
C. Madeleine Ndiaye, « L’intérêt des parties dans l’abus d’exercice des voies de droit », Op. Cit.
1905
H. Croze, « La loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution : le
nouveau droit commun de l'exécution forcée », cité par Danielle Corrignan-Carsin, « Responsabilité et
procédures civiles d'exécution », Op. Cit.
1906
Le juge béninois a déjà retenu l’abus du droit de rétention dans l’hypothèse d’une rétention éffectuée par un
transitaire sur les quittances de douane des marchandises de son mandataire, après la naissance d’une
contestation entre eux. Ainsi, le rétenteur a été condamné en raison du dommage causé par cette rétention du fait
du blocage des comptes du mandant. Voir TPI Cotonou, no 034/, 1re ch. Com., 21 octobre 2002, Akpaca Sarl c
Trans-Omar, Ohadata J-04-404, Ohadata J-04-291. Voir aussi Barthélemy Mercadal et al, OHADA. Traités,
actes uniformes et règlements annotés, Coll. « Code pratique », Levallois, éd Francis Lefebvre, 2013, pp 878-79.
p. 1478.

393
défendeur ou entrainer sa ruine1907. La protection de l’intérêt patrimonial du débiteur – en
considération de la favor debitoris – est assurée par la sanction de l’exercice d’une mesure
d’exécution inutile1908. L'utilité ou l'inutilité de la mesure peut se déduire de la comparaison
objective du montant de la créance cause de la saisie et de l'objet de la saisie. Par ailleurs,
l’abus s’en trouve caractérisé lorsque le créancier procède à une saisie alors que le
recouvrement de son dû était assuré et ne nécessitait aucune mise en œuvre d’une mesure
d’exécution1909. Il faut ajouter que le débiteur aussi peut succomber à une sanction pour faire
cesser et réprimer son comportement s’analysant en une « résistance abusive » lors du
déroulement des opérations d’exécution par exemple, une condamnation au paiement d’une
amende et/ou au versement de dommages-intérêts1910. Les créanciers sont donc appelés à agir

1907
TGI Avesnes, 26 février 1964, (1964) JCP II 13904 ; Cass soc, 7 juillet 1955, (1955) Bull civ IV no 604. En
matière de procédures collectives, il a été décidé que « la demande de mise en redressement judiciaire ne peut
être utilisée comme moyen de pression pour obtenir le règlement de dettes ». Voir Cass. com. 1er octobre 1997,
(1997) Bull civ IV no 233. La section sociale de la Cour de cassation française a pu considérer dans une autre
affaire que : [l]e juge du fond, en faisant ressortir la gravité des mesures prises par les bailleresses (saisies-
gageries sur le mobilier) au regard de la faible importance du différend qui les opposait à leur locataire a
suffisamment caractérisé la pensée malveillante, excluant toute idée de l’exercice régulier d’un droit légitime,
qui avait inspiré leurs agissements. Cass soc, 23 mai 1950, (1950) Gaz Pal II 133.
1908
Le non-respect du principe de proportionnalité se traduit normalement par la mainlevée de la saisie et,
accessoirement, par la mise à la charge du créancier des frais de l'exécution. C'est ainsi que la mainlevée d'une
saisie-attribution faite pour une somme modeste est ordonnée dans la mesure où une autre voie d'exécution
préalable (saisie sur salaire) en garantit déjà le recouvrement^ ; mais la poursuite d'une mesure d'exécution
disproportionnée et contraignante, telle celle consistant à saisir trois comptes bancaires pour le recouvrement
d'une somme modique (353,27 F), peut également constituer une faute du créancier génératrice de dommages et
intérêts pour procédure abusive. Voir, JEX Rennes, 14 septembre 1993, Guillou c/ APEC, CRJO n° 00245 ; JEX
Saint-Nazaire, 27 mai 1993, Olivaud c/ Relam Sonofadex, CRJO n° 00217.
1909
La jurisprudence, avait su tempérer les initiatives les plus malencontreuses et sanctionner les excès les plus
manifestes. Dès 1858, la Cour de cassation française sanctionnait déjà, sur le fondement de l’abus, un créancier
pour avoir procédé à « des saisies-arrêts intempestives et frustratoires, puisque le remboursement de la somme
empruntée était assuré avant qu’elles fussent pratiquées ». Cass civ, 16 février 1858, (1858) S I 662. Par ailleurs,
Concernant l’abus commis pour méconnaissance du principe de proportionnalité, il a été jugé que « commet
l’abus, le créancier qui pratique plusieurs saisies alors qu’une seule aurait suffit à garantir la créance ». Dans
cette affaire, le créancier avait procédé à plusieurs saisies des comptes dans quatre banques, alors que le compte
du débiteur dans chacune de ces banques était plusieurs fois supérieur à la créance. La sanction était alors fondée
sur le fait qu’il y avait une disproportion notable entre les biens saisis et ce qui était nécessaire pour obtenir le
paiement de l’obligation. Ces différents actes auraient pu être validés s’ils avaient été raisonnablement effectués
par rapport à ce qui était dû. En effet, il importe alors de préciser que l’abus ne consistait pas du tout au fait que
le créancier ait procédé à plusieurs saisies simultanées ou successives. Dans de telles circonstances, l’abus n’est
caractérisé que si le débiteur démontre l’existence, Cass civ, 2 février 1956, (1956) Bull civ II 65.
1910
Est l’auteur d’une résistance abusive, le débiteur qui élève une contestation dans un but purement dilatoire
ou qui ne repose sur aucun fondement sérieux. En effet, les contestations prévues aux articles 140 de
l’AUPSRVE précisent que « le débiteur peut demander la nullité de la saisie portant sur un bien dont il n’est pas
propriétaire » et 141, alinéa 1 de l’AUPSRVE dispose que « le tiers qui se prétend propriétaire d’un bien saisi
peut demander à la juridiction compétente d’en ordonner la distraction » portent atteinte au droit à l’exécution du
créancier par le fait qu’elles entravent la procédure de la saisie. A ce titre «le demandeur peut être condamné à
des dommages-intérêts s’il a exercé fautivement la procédure en distraction, par exemple au mépris des
prescriptions légales, bloquant ainsi la saisie irrégulièrement pendant un temps prolongé», TGI, Paris, 6 juillet
1976, (1977) Gaz Pal I, 196 ; Voir aussi l’application Chambre civile et commerciale de la Cour d’appel de
Dakar dans un arrêt du 4 janvier 2001, in Diouf et al, Répertoire de jurisprudence : procédures simplifiées de
recouvrement et voies d’exécution. Recueil de décisions des juridictions sénégalaises, 1998-2004, Dakar,
Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 2004 pp 87-89 ; Voir aussi B. Mercadal et al, Op. Cit. pp.96 -763.

394
avec sagesse, les intervenants avec prudence et diligence. La "sagesse" du créancier détermine
la stratégie qu'il entend adopter ; la "prudence et la diligence" requises des intervenants
précisent les modalités de leur concours à l'exécution1911. Plus concrètement, l’appréciation du
caractère légitime de l’exercice d’un droit passe nécessairement par une prise en compte des
intérêts d’autrui. L’objectif demeure toujours de tendre vers la juste mesure 1912 . La
proportionnalité s’apparente donc à un moyen pratique pour mettre en œuvre le critère
générique de la théorie de l’abus de droit1913, comme l’ont remarqué certains auteurs1914.

378. Le respect de la dignité de la personne humaine fait partie de ceux qui constituent,
nous croyons, notre patrimoine juridique commun. Mis de plus en plus en exergue par le
phénomène de la fondamentalisation du droit et la justiciabilité des droits, la protection de la
dignité de la personne humaine est reconnue comme principe juridique l’AUPSRVE. Le
lexique des termes juridiques de Serges Guinchard, le définit en référence à l’atteinte que
pourrait subir tout sujet de droit. Il désigne le « manquement à la considération due à la
personne humaine consistant par exemple, dans les discriminations entre les individus à
raison de leur origine, de leur sexe, de leur mœurs, de leurs opinions politiques (…) la
soumission d’une personne vulnérable ou dépendante à des conditions de travail ou
d’hébergement inacceptables ». Le droit à la dignité humaine apparaît alors comme un « droit
relationnel ». Il sert à tracer les contours d’autres droits. Il contribue à leur procurer une
justification. Il sert en même temps à apporter des limitations aux interventions publiques ou
privées. La dignité, c’est le respect que mérite l’homme. Et si, dans cette conception, c’était le
mérite qui était primordial, la dignité humaine ne se réclame, ni ne se négocie. Elle s’impose.
Les mesures d’exécution consacrent la protection du droit à l’information assuré en droit
OHADA en référence à cette dignité humaine par l’exigence de nombreuses mentions
insérées dans le texte des actes d’exécution à peine de nullité1915 : droit à l’intimité de la vie
privée et de l’intégrité du logement caractérisés par l’encadrement des heures et des jours
d’exécution soumis à un régime précis1916, le droit à l’honneur du débiteur1917, de l’assurance

1911
Danielle Corrignan-Carsin, « Responsabilité et procédures civiles d'exécution », Op. Cit. Spéc. p. 88.
1912
Antoine Guilmain, « Sur les traces du principe de proportionnalité : une esquisse généalogique », Op. Cit,
p. 117.
1913
Ibid.
1914
Viviane Vannes, Le droit de grève : Principe de proportionnalité, droit international, européen et national,
Op. Cit. ; Antoine Guilmain, « Sur les traces du principe de proportionnalité : une esquisse généalogique », Op.
Cit.
1915
Voir Article 157 AUPSRVE.
1916
Aux termes de l’article 46 de l’AUPSRVE, « Aucune mesure d’exécution ne peut être effectuée un
dimanche ou un jour férié si ce n’est en cas de nécessité et en vertu d’une autorisation spéciale du président de la
juridiction dans le ressort de laquelle se poursuit l’exécution. Aucune mesure d’exécution ne peut être
commencée avant huit heures ou après dix huit heures, sauf en cas de nécessité avec l’autorisation de la

395
du minimum vital totalement insaisissable dont les proportions sont déterminées librement par
chaque Etat-partie1918. L’encadrement de ces principes fondamentaux et, par ricochet, leur
influence grandissante dans l’exercice des voies de droit, est assuré par les conventions
internationales et régionales1919. La sensibilité – simple traduction la recherche d’équilibre
entre des intérêts antagonistes – de la matière justifie pleinement le caractère humain
désormais incorporé dans les voies d’exécution dans la mesure où le procès, et surtout la
mesure d’exécution, constituent des modes « agressifs » 1920 de réalisation des droits des
justiciables. Mais ils sont en même temps utiles. L’essence du droit trouvant sa liaison à son
effectivité et il peut arriver que les acteurs soient récalcitrants à une exécution spontanée des
obligations qu’ils ont volontairement contractés.

379. De la maitrise des coûts enfin. L’investissement privé et les procédures civiles
d’exécution trainent ensemble un trait commun, les coûts ou le prix de l’exécution. Le prix
des services juridiques serait sans aucun intérêt si personne ne devait le payer. Or les services
juridiques ne sont pas gratuits. Leur prix est un facteur de coût très important non seulement
de la justice rendue par les tribunaux, mais, dans un sens plus large, de toutes les transactions
économiques, notamment de celles à titre onéreux 1921 . Dans cet esprit, les coûts doivent
absolument être maitrisés1922.

2. Les principes dits subjectifs

380. La liberté du créancier d’opter pour la mesure d’exécution de son choix est une faculté
qui lui est reconnue. Celle-ci précède une obligation, celle d’informer.
« Être libre, c’est faire ce que je veux ». Telle pourrait être la définition courante de la
liberté. Si donc la liberté est l’absence de toute contrainte, dans le choix préalable des mesures
d’exécution mises à disposition par la loi, alors le créancier est libre. Pour être libre, il faut
pouvoir choisir de faire ou de ne pas faire. Le choix d’abandonner son débiteur avec la

juridiction compétente et seulement dans les lieux qui ne servent pas à l’habitation. Les parties saisissantes ne
peuvent, sauf nécessité constatée par la juridiction compétente, assister aux opérations de saisies ».
1917
Gérard Cornu, Droit civil. Les personnes, 13e éd, Paris, Montchrestien, 2007, n° 35.
1918
Voir Article 177 de l’AUPSRVE.
1919
Il s’agit dans le cas d’espèce de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, en ligne :
Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples
www.achpr.org/fles/instruments/achpr/achpr_instr_charter_fra.pdf.
1920
« Le droit est lié à la faculté de contraindre», disait le philosophe allemand Emmanuel Kant, Les
fondements de la métaphysique des mœurs, Première partie, doctrine du droit, 1797, traduit par Alexis
Philonenko, 5e éd, Paris, J Vrin, 1993 à la p. 105.
1921
Christoph A. Kern, « Le prix des services juridiques », in Revue internationale de droit économique, 2017/4
t. XXXI, pp.45-59. Article disponible en ligne à l'adresse : https://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit-
economique-2017-4-page-45.htm.
1922
Voir Infra, pour plus de détails l’analyse consacrée au prix de la justice.

396
créance échue ou encore le choix de contraindre ce débiteur à respecter ce à quoi il a
librement choisi de s’obliger. Corollaire de son droit à l’exécution des titres d’exécution,
ouvre en principe au créancier le libre choix des procédures d’exécution qu’il pourra mettre en
œuvre contre celui-ci. Le principe du libre choix du créancier tire son fondement de l’article
28 de l’AUPSRVE aux termes duquel, « à défaut d’exécution volontaire, tout créancier peut,
quelle que soit la nature de sa créance, (…) contraindre son débiteur défaillant à exécuter ses
obligations à son égard ou pratiquer une mesure conservatoire pour la sauvegarde de ses
droits ». En vertu de ce principe de libre choix, le créancier a la possibilité de déterminer
l’assiette de la mesure d’exécution qu’il souhaite exercer, par extension le choix des biens
induit par le droit de gage général1923. Théoriquement, le principe du libre choix implique
pour le créancier une liberté à trois niveaux. D’abord celle du choix de la mesure qu’il juge la
plus appropriée à défendre ses intérêts. S’il le préfère, il peut commencer par saisir un
immeuble de son débiteur, plutôt que d’opter pour une saisie-attribution sur ses comptes
bancaires réputés moins traumatisante1924. La libre faculté de choisir offre aussi la possibilité
de pratiquer une saisie quelle que soit le montant et la nature de la créance, si modique soit-
elle. Le principe confère naturellement au créancier la liberté de choisir, dans le cadre d’une
même saisie, le bien concerné par cette saisie. Rien ne lui interdit de saisir un générateur
plutôt qu’un poste de télévision, ou en matière de saisie-attribution de faire porter la saisie sur
un compte déterminé plutôt que sur un autre1925. Le législateur de l’AUPSRVE précise qu’en
matière de créance hypothécaire ou privilégiée, l’exécution n’est poursuivie sur les biens
immeubles du débiteur que lorsque les biens meubles n’ont pas suffit à désintéresser le
créancier1926. Par ailleurs, les fluctuations du patrimoine du débiteur exercent une pression sur
les droits du créancier. Si le débiteur vit en couple, alors la portée du droit de gage peut être

1923
L’actif du patrimoine du débiteur répond de la dette. L’exécution porte essentiellement sur les biens du
débiteur. Ces derniers constituent le gage des créanciers comme l’exprime l’article 2092 du Code civil applicable
selon lequel « Quiconque s'est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens
mobiliers et immobiliers, présents et à venir », c'est-à-dire les biens lui appartenant au jour de la saisie, même
s’ils ont été acquis postérieurement à la naissance de la créance. Par conséquent, le capital social est le gage des
créanciers sociaux et son transfert frauduleux est inopposable aux tiers, TGI de Yaoundé, jugement n° 252 du 27
janvier 1993. Aff. Sté Dacam c/ Egb & Panaget et Sté Sgc, note Josette Nguebou, Juridis info n° 24, p.4 7.
Conformément aux dispositions de l’art. 2092 précité, seuls les biens du débiteur et seulement ses biens
constituent le gage de ses créanciers. Dès lors, c’est à bon droit qu’un tribunal a ordonné main levée de l’avis à
tiers détenteur et la restitution des biens saisis sur les biens d’une personne autre que la société débitrice, CA du
Centre - Arrêt n°240/civ. du 04 Avril 1997. Aff. La Société de Recouvrement des Créances du Cameroun (SRC)
C/ Abbé Narcisse, Revue Cam. du droit des affaires n° 5, p. 138.
1924
R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d’exécution, Op. Cit., p. 242 et S.
1925
Ibid.
1926
Article 28 al. 2 de l’AUPSRVE.

397
altérée par le régime de droit matrimonial 1927 , ou s’il est un entrepreneur à responsabilité
limitée1928.
Pour exercer ce choix, un facteur particulier est pris en compte, la satisfaction par
l’exécution sur les biens en fonction de l’objectif poursuivi par le créancier. Il peut s’agir
d’une saisie conservatoire1929 ou d’une saisie à fin d’exécution1930 pour ce qui est des saisies
mobilières ou des saisies immobilières procédures complexes, longue et coûteuse. Toutefois,
la liberté du créancier n’est pas aussi absolue qu’on pourrait le penser. Elle est tempérée le cas
échéant par l’immunité d’exécution du débiteur. C’est un principe constant que les personnes
morales de droit public dans l’espace OHADA échappent aux voies d’exécution de droit
privé1931. Les biens qui leur appartiennent ne peuvent faire l’objet d’une saisie. Il subit aussi
une limitation en raison de l’ouverture des procédures collectives, où l’insaisissabilité réduit
l’assiette du choix du créancier sans le supprimer. A ces limites viennent s’ajouter le principe
de proportionnalité des mesures engagées.

381. La consécration du droit à l’exécution des décisions de justice comme partie intégrante
du droit d’accès à un tribunal exige dans la mise en œuvre de ce droit le respect d’un
minimum d’équité. L’impératif d’équité suppose que malgré le caractère antagoniste des
intérêts existant, créancier et débiteur soient traités à armes égales. C’est la preuve de
l’inscription des droits de la défense dans les procédures d’exécution1932. La place qu’occupe
l’information dans la procédure d’exécution des créances n’est que la démonstration du
respect du principe d’égalité des parties dans le système juridique. Pour le dire dans le sens de

1927
V. not. Cass. 2e civ. 10 Mars 2004, n°02-18.612 ; Dr et proc. 2004.179 ; R. Perrot et P. Théry, Procédures
civiles d’exécution, Op. Cit., p.186 et S. ; Ph. Simler, « EIRL et communauté de biens entre époux », JCP 2011,
n°4 ; G. Cornu, Les régimes matrimoniaux, 9e éd., « Thémis droit », PUF, 1997, p. 537.
1928
Cf. R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d’exécution, Op. Cit., p. 204 et s.
1929
Rendant les biens mobiliers du débiteur indisponibles, la saisie conservatoire la forme particulière que prend
la mesure conservatoire. Elle est accordée par le juge en l’absence de tout titre exécutoire lorsque pèse sur le
recouvrement de la créance concernée une menace sérieuse (article 54 AUPSRVE) en évitant les manœuvres
d’un débiteur qui par dissimulation se rendrait apparemment insolvable. Il faut noter que la jurisprudence
OHADA fait une interprétation assez restrictive de la notion de « menace sérieuse ». Dans un arrêt de la
Chambre civile et commerciale d’Abidjan (Côte d’Ivoire), le motif de mauvaise foi invoqué par le créancier n’a
pas été retenu par le juge qui a considéré qu’il n’existait aucun élément sérieux et objectif affirmant que le
recouvrement de la créance était en péril. La gamme des biens pouvant faire l’objet d’une saisie est étendue :
meubles meublants, créances, comptes bancaires, voitures automobiles, objets placés dans un coffre fort, saisie
des droits d’associé et des valeurs mobilières. Voir P.G. Pougoué (dir), Encyclopédie du droit OHADA, Op. Cit.
1930
L’Acte uniforme en prévoit cinq types : la saisie-vente (articles 91-152), La saisie-attribution de créances
(articles 153-172), la saisie et cession des rémunérations (articles 173-217), la saisie-appréhension et la saisie-
revendication des biens meubles corporels (articles 218-235), La saisie des droits d’associés et des valeurs
mobilières (articles 236-323).
1931
Voir Infra.
1932
Cf. N. Fricero, « Le droit européen à l’exécution des jugements », Droit et procédures, 2001, p.10.

398
Mamoudou Niane, il faut écarter toute prétention à l’absolutisme du principe d’égalité1933 et
de n’en retenir dans l’exécution qu’une conception fonctionnelle. Il nous semble donc évident
que, l’information vue sous l’angle des protagonistes poursuit un intérêt particulier
d’importance stratégique. Aussi dans l’AUPSRVE, le droit à l’information est une constante
absolue1934. Toute personne contre laquelle est engagée une procédure d’exécution doit être
informée sur ses droits et obligations de façon qu’elle puisse soit s’exécuter, soit user des
voies de recours existantes. Détaillée, utile et lisible, l’information s’adresse tant à la partie
adverse qu’aux tiers, à toutes les phases de la procédure1935.

L’obligation d’information découle des exigences d’une procédure judiciaire


contradictoire. Ainsi, les actes de procédure doivent être portés à la connaissance de la partie
adverse selon les modalités précisées par la nature de l’instance1936. Cette communication a
plusieurs fonctions. Elle informe notamment de la nature de l’action, des prétentions du
demandeur et l’orientation de la stratégie de défense du débiteur. Par ailleurs, l’échange
d’information permet de gérer le temps de la procédure et l’effet utile de l’exécution des
jugements 1937. Cette dimension de l’information fait partie de la cohérence d’ensemble du
système judiciaire. A cet égard, la protection du débiteur est équivalente à celle du créancier,
dans la mesure où en cas de recours, les rôles sont amenés à changer. D’un autre côté, de
l’analyse des dispositions portant droit de l’exécution de l’OHADA, c’est l’information
relative à la procédure spécifique d’exécution qui présente plus d’enjeux. En dehors des
éléments de procédure, l’enjeu de l’information du débiteur de toute mesure d’exécution
exercée ou en cours d’exécution contre lui réside directement dans la régularité de l’exécution
entreprise. On conviendra avec Mamadou Niane que le débiteur n’est pas une victime dans le

1933
Mamadou Niane, L’exigence de sécurité juridique dans le recouvrement des créances, Thèse, Op. Cit,
p.168. Soulignons que le thème de l’égalité a fait l’objet de considérations doctrinales et jurisprudentielles
prolifiques. Voir a ce sujet, l’étude de la Cour de cassation sur la notion. Rapport 2003 : L’égalité, Paris, La
Documentation française, 2004.
1934
P.G. Pougoué, Procédure civile et voies d’exécution, Cours de DEA, Université de Yaoundé II, 2001-2002
cité par Alain Douglas Kamga, Op. Cit, p.198.
1935
Dans la saisie-attribution des créances, l’obligation d’informer est omniprésente (art. 160 al. 2
AUPSRVE). Dans les saisies des droits d’associés et des valeurs mobilières (art 236, 237, 238 AUVE). Par
ailleurs, En droit OHADA, l’article 34 de l’AUPSRVE dispose que « Lorsqu’une décision juridictionnelle est
invoquée à l’égard d’un tiers, il doit être produit un certificat de non appel et de non opposition mentionnant la
date de la signification de la décision à la partie condamnée, émanant du greffier de la juridiction qui a rendu la
décision dont il s’agit ». Ce principe essentiel trouve sa justification dans la nécessité de mettre l’autre partie en
mesure soit d’exercer les voies de recours légaux, soit d'éviter l’exécution forcée, en exécutant des obligations
dont elle peut précisément mesurer l'étendue. Ainsi, même une décision de justice qui a force de chose jugée,
n’acquiert la force exécutoire qui la rend exécutoire que si elle a été notifiée au débiteur.
1936
Voir supra première partie.
1937
R. Bonnefont, « Délai raisonnable de jugement et d’exécution : mieux vaut prévenir que guérir », in Petites
Affiches, 15 octobre 2010 n° 206, p. 5 ; Voir aussi pour plus de détails, Alain Douglas Kamga, Le droit à
l’exécution forcée Réflexion a partir des systèmes juridiques camerounais et français, Op. Cit. p.198 et S.

399
processus de l’exécution des créances. L’action en paiement du créancier a un fondement
légitime et emprunte des voies de droit consacrées. Il n’est pas non plus un « paria » dans le
droit du paiement. C’est la raison pour laquelle le législateur a prévu un dispositif
d’information du débiteur qui regroupe des aspects de droit commun et d’autres spécifiques à
l’exécution forcée1938.

382. Le droit à l’exécution contient une étape délicate, qui dans nos systèmes juridiques et
même ailleurs peuvent constituer un moment difficile et de désillusion pour tout créancier. Il
s’agit de la recherche des biens sur lesquels le tiers poursuivant pourra exercer son gage.
Lorsque celui-ci n’est pas celui de l’irritation et de la colère, c’est celui d’un créancier frustré
constatant son incapacité une quelconque action sur les biens appartenant à son débiteur1939.
L’évolution contemporaine et la fluctuation de la composition du patrimoine fait que le
législateur doit, en permanence, renforcer l’information des créanciers sur une fortune
devenue de plus en plus discrète 1940 et mobile 1941 . Très souvent, dès le moment de
l’introduction de la demande en justice, le déficit d’information sur l’identité et la situation
patrimoniale du débiteur obère déjà les perspectives d’exécution1942. Pourtant l’effectivité du
droit à l’exécution dépend de la qualité des informations que le créancier ou l’huissier de
justice peuvent disposer sur le patrimoine du débiteur, son contenu et sa localisation. Le
débiteur doit, ses biens répondent de la dette1943. Une meilleure connaissance des biens du
débiteur est une nécessité. Ils servent d’assiette au droit à l’exécution. En quelques mots,
l’information du créancier réside essentiellement sur la situation patrimoniale du débiteur.
Question très sensible à bien des égards, mais elle reste l’une des sources les plus fiables
d’une bonne exécution. La situation patrimoniale du débiteur est doublement importante pour
le créancier. Elle permet de mesurer le risque réel d’insolvabilité du débiteur et facilite
l’intervention des agents d’exécution dans la localisation des biens ou du débiteur. Le droit à
l’information du débiteur sur la localisation des biens du débiteur pose un autre problème,

1938
Joseph Issa-Sayegh, « Présentation des dispositions sur les procédures simplifiées de recouvrement et les
voies d’exécution », Ohadata D-06-08.
1939
R. Perrot, « La réforme des procédures civiles d’exécution », propos recueillis par M. Migno-Gardet, LPA,
6 janvier 1993, n°3, p.7.
1940
De nos jours, la transparence du patrimoine a disparu. La fortune se cache dans des comptes bancaires, les
rémunérations pour ceux qui ont un emploi stable, les parts sociales, les capitaux, bref, « dans des boîtes
informatiques » pour reprendre les propos de R. Perrot, « La réforme des procédures civiles d’exécution », Op.
Cit.
1941
Alain Douglas Kamga, Le droit à l’exécution forcée Réflexion a partir des systèmes juridiques camerounais
et français, Op. Cit. p.208.
1942
O. Salati, « Les obstacles à l’exécution forcée : permanence et évolutions », Présentation du colloque Droit
et procédures, Faculté de droit d’Aix-en-Provence, le 24 avril 2009, Droit et procédures, n°1, 2008, p. 4.
1943
R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d’exécution, Op. Cit, p. 185.

400
celui des moyens d’information dont dispose le créancier. A cet effet, l’accès au Registre de
Commerce et de Crédit Immobilier (RCCM) s’avère être une source d’information
importante1944. En outre, il est remarquable de voir que le législateur OHADA part du postulat
d’une information facilement disponible garantie par une série de menaces sur le débiteur ou
les tiers saisis1945. Mais qui n’est pas toujours réelle. C’est le moment de déplorer le modèle
de recensement des informations sur la situation patrimoniale du débiteur qui n’a pas
tellement changé depuis l’avènement de l’OHADA et ne semble pas à notre avis propice à la
transparence et à l’effectivité du recouvrement des créances inhérentes au principe de sécurité
juridique.

De prime abord, l’exécution semble se limiter aux seules parties : le créancier et le


débiteur qui demeurent les parties au contrat. En fonction des situations juridiques,
l’intervention de tiers peut devoir être sollicitée pour garantir l’accomplissement d’une
prestation due. L’obligation la plus fréquente est notamment celle qui contraint les tiers à
fournir certains renseignements. Les tiers peuvent être invités à faire des déclarations qui
peuvent avoir des effets sur l’efficacité de la mesure. L’exemple qui nous vient à l’esprit est
celui de la saisie des créances entre les mains d’un tiers, saisie-attribution, saisie des
rémunérations, et saisies conservatoires des créances 1946 . Il est en effet indispensable de
connaitre les sommes précises détenues ou dues par le tiers. La nature des rapports entre
l’exécution et les tiers est résumée par l’article 38 AUPSRVE qui dispose que « les tiers ne
peuvent faire obstacle aux procédures en vue de l’exécution ou de la conservation des
créances. Ils doivent apporter leur concours lorsqu’ils en sont légalement requis ». Si
l’affirmation semble sans ambigüité, elle ne permet pas de voir comment la circulation de
l’information profite à l’exécution ou pourvoit à la protection des intérêts des tiers. Les règles
imposent au tiers saisi de communiquer aux créanciers les renseignements sur l’étendue
exacte de ses obligations à l’égard du débiteur. En cas de saisie-vente entre les mains d’un

1944
On sait, le rôle prioritaire de la consultation du registre du commerce dans la prévention des difficultés
d’exécution. La publicité de certains actes relatifs à la gestion du fonds de commerce constitue une information
cruciale pour évaluer la solvabilité d’un partenaire ou la fiabilité des garanties offertes. Les articles 63 et S.
AUDCG organisent le régime des inscriptions des sûretés et privilèges relatifs au fonds de commerce.
L’indication de fausses informations est particulièrement sanctionnée par les lois nationales des Etats membres.
L’accès au registre du commerce concerne à la fois la sécurité du créancier et des tiers.
1945
Art. 107 et S. de l’AUPSRVE. Ainsi, un arrêt de la Cour d’Appel de Dakar a déclaré un tiers saisi
personnellement débiteur des sommes dues pour violation des articles 187 et 188 AUPSRVE (CA. Dakar, arrêt
n°124, 16 février 2001, Répertoire jurisprudence sur les voies d’exécution, p. 94). C’est une démarche qui peut
être judicieuse si on n’élimine l’aléa du comportement légitime (secret professionnel) ou illicite (mauvaise foi du
débiteur) des destinataires de cette contrainte.
1946
G. Dedessus-Le Moustier, « L’obligation de renseignement du tiers saisi dans la saisie-attribution », JCP,
1998. I. 106.

401
tiers, celui-ci doit déclarer les biens qu’il détient pour le compte du débiteur et ceux qui,
parmi ces biens ont fait l’objet d’une saisie antérieure. Ce qui n’est pas toujours le cas dans la
pratique. Il peut arriver que pour des raisons de connivence avec le débiteur, soit par simple
désintérêt, ou pour protéger ses propres intérêts, le tiers refuse de communiquer aux
créanciers les informations requises à la continuité des poursuites. Risquant de léser le
créancier, la sanction la plus redoutable est celle qui consiste à faire une obligation de garantie
sur le tiers qui se déroberait à son obligation d’information comme l’a fait le juge de la Cour
d’Appel de Dakar1947. Cette espèce est la preuve que le tiers est exposé à devoir payer au
créancier saisissant le montant de la créance pour laquelle la saisie est pratiquée sans égard à
la valeur des biens et au montant des sommes qu’il détient et sans égard non plus aux
modalités qui pourraient affecter la dette du tiers à l’égard du débiteur saisi1948. Il est donc
important de comprendre que l’information dans le processus d’exécution, est un critère de
validité, de sélection et de légitimité dans tous les actes y relatifs 1949. Elle fait circuler la
sécurité juridique en associant à chaque fois un équilibre entre la finalité de l’exécution et les
événements affectant sa mise en œuvre. Ainsi, son implémentation est fortement assurée par
le formalisme qui préside à l’exécution forcée. Cependant, ce formalisme s’avère quelquefois
excessif.

Paragraphe II. La consécration d’un droit substantiel à l’exécution


des titres revêtus d’autorité
383. L’exécution des jugements est l’étape ultime du droit d’accès à un tribunal. Il poursuit
une double finalité : éviter le recours à la justice privée illégale et garantir l’effectivité du
droit au juge. Pour le créancier, la finalité poursuivie reste la satisfaction effective de son
droit. Le droit à l’exécution constitue ainsi une garantie du procès équitable, d’une bonne
justice, en l’absence duquel les garanties d’une exécution rapide des décisions, le droit
d’accès à un tribunal perdraient toute raison d’être 1950 . Après avoir fait observer que
l’exécution des décisions de justice est devenue une préoccupation judiciaire insistante,

1947
CA. Dakar, arrêt n°124, 16 février 2001, Op. Cit.
1948
R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d’exécution, Op. Cit, p. 272. Sur cette obligation voir sur la saisie
conservatoire des créances n° 1196, saisie-attribution n° 391, saisie-vente pratiquée entre les mains du tiers qui
ne décrit pas exactement les biens qu’il détient pour le compte du débiteur n° 634.
1949
Mamadou Niane, L’exigence de sécurité juridique dans le recouvrement des créances, Thèse, Op. Cit.
p.169.
1950
Cf. J. Van Compernolle, « Les effectivités d’une nouvelle garantie du procès équitable: le droit à
l’exécution du jugement », in Mélanges Tarzia, Giuffrè ed. Milan, 2005, T.1, p. 653 ; De Rusquec, « Réflexions
sur l’exécution des décisions de justice en matière civile », Gaz. Pal. 1982. Doctrine 355 ; S. Guinchard, «
Procès équitable », Rép. pr. civ. Dalloz, mars 2011, § 448 ; G. De Leval, Traité des saisies (Règles générales),
Liège, Faculté de droit de Liège, 1988, pp. 6 à 7, n° 3, Pierre-Yves Ballez, L’exécution provisoire : entre bilan et
perspectives, Mémoire, Université Catholique de Louvain, 2017, p. 5.

402
monsieur R. Perrot rappelle, bien à propos que, « pour celui qui a gagné son procès, le
jugement n’est qu’une étape, importante certes, mais qui, en soi, n’est toujours qu’une
satisfaction académique »1951. Si ce postulat peut sembler être un truisme, il s’agit là d’un
principe essentiel garantissant une justice fonctionnelle et preuve d’une bonne administration
de la justice et la quête d’une exécution de qualité. Pour celà, les risques d’inexécution des
titres d’exécution au sein d’un système de droit seraient considérés comme un échec pour
ledit système de faire prévaloir la prééminence du droit sur les intérêts particuliers et les
conséquences qui en découleraient ne sont pas négligeables. Pour adresser la question
sempiternelle de l’effectivité de l’exécution des décisions de justice qui jadis restait « lettre
morte », le législateur a fait le pari d’obtenir un recouvrement rapide et efficace des créances
en généralisant l’exécution provisoire d’une part (A) et consacrant d’autre part, un droit à
l’exécution forcée (B).

A. La généralisation de l’exécution provisoire

384. La matière est réputée technique, assez complexe, tout en constituant cependant, un
concept fondamental du droit judiciaire. En effet, le droit à l’exécution constitue la
justification de l’ensemble de la procédure. Point d’orgue et finalité du procès lui-même,
l’exécution du jugement obtenu reste la motivation ultime du recours à l’action judiciaire1952.
L’effet suspensif de l’opposition ou de l’appel tiennent en suspens la force exécutoire des
décisions de justice. Cependant, l’exécution provisoire constitue une dérogation à cet effet
suspensif. Elle va permettre au créancier de poursuivre le bénéfice de la décision malgré
l’exercice effectif de l’appel. Définie comme une institution « en vertu de laquelle un
jugement peut être exécuté nonobstant l’effet suspensif des voies de recours ordinaires, mais
simplement à titre provisoire c'est-à-dire, sans préjugé du sort qui sera réservé au recours s’il
doit être exercé par la partie qui a succombé »1953, l’exécution provisoire trouve sa raison
d’être au titre du maintien du droit pour le créancier d’exécuter sa décision. En droit OHADA,
l’exécution provisoire est érigée comme principe (1), mais qui retient la responsabilité de
celui qui l’a initiée en cas de modification éventuelle du titre exécutoire (2). Conditions
toutefois soumis à un contrôle du juge (3).

1951
R. Perrot, « Les enjeux de l’exécution des décisions judiciaires en matière civile. Rapport d’introduction »,
in Conseil de l’Europe, L’exécution des décisions de justice en matière civile, Editions du Conseil de l’Europe,
Strasbourg, 1998, p. 9.
1952
Pierre-Yves Ballez, L’exécution provisoire : entre bilan et perspectives, Op. Cit. p. 8.
1953
V. Alexandre-D. Tjouen, « L'exécution provisoire des décisions judiciaires en matière non répressive en
droit africain : l'exemple du Cameroun », In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 39, n°1, Janvier-mars
1987, pp. 111-134.

403
1. L’exécution provisoire comme principe

385. A l’opposée de la frustration que pourrait ressentir le gagnant d’un procès dont la
décision est restée à l’état de l’inexécution même après une procédure longue et onéreuse,
l’exécution effective des décisions de justice et autres titre d’exécution en revanche « vivifie le
droit en général et le droit au juge en particulier »1954. L'exécution provisoire ou exécution
par provision permet de faire exécuter un jugement alors que le délai de recours contre la
décision n'est pas encore terminé. Elle assure également la mise à exécution du jugement
même si un recours a été introduit, tant que l'instance de recours n'a pas rendu sa décision. On
parle de jugement exécutoire par provision. L’exécution provisoire constitue ainsi en matière
non répressive et même en matière répressive1955, un moyen d’incitation à l’exécution, une
volonté manifeste de déjouer la mauvaise foi et les manœuvres destinés à retarder les effets
d’un jugement entrepris le plus souvent par certains débiteurs. Prévue dans les hypothèses
retenues par l’article 3 de la loi camerounaise fixant certaines dispositions relatives à
l’exécution des décisions de justice 1956 , ou des articles 28 al.1 selon lequel, « A défaut
d’exécution volontaire, tout créancier peut, quelle que soit la nature de sa créance, […],
contraindre son débiteur défaillant à exécuter ses obligations à son égard ou pratiquer une
mesure conservatoire pour la sauvegarde de ses droits » et 32 de l’AUPSRVE, « A
l’exception de l’adjudication des immeubles, l’exécution forcée peut être poursuivie jusqu’à
son terme en vertu d’un titre exécutoire par provision », l’exécution provisoire illustre fort
bien l’incitation législative insistante à exécuter l’objet de la décision de justice sur lequel
repose le droit de l’exécution OHADA. Pour le dire autrement, l’exécution provisoire telle
que prévue en droit OHADA par les dispositions suscitées, s’appliquent dans le cadre des
décisions qui ordonnent des mesures conservatoires d’un coté ou des mesures provisoires
pour le cours de l'instance de l’autre.
1954
C. Hugon, « L’exécution des décisions de justice », in Libertés et droits fondamentaux, Op. Cit, n° 785, p.
612.
1955
Aux termes de l’Article 3 al. 2 de la Loi n° 97/018 du 7 août 1997 modifiant les articles 3 et 4 de la loi n°
92/008 du 14 août 1992 fixant certaines dispositions relatives à l’exécution des décisions de justice, « les
dispositions de l’alinéa (1) ci-dessus sont applicables aux condamnations civiles prononcées par une juridiction
répressive ».
1956
Loi n° 97/018 DU 7 Août 1997 modifiant les articles 3 et 4 de la loi n° 92/008 du 14 août 1992 fixant
certaines dispositions relatives a l’exécution des décisions de justice. Selon les termes de cet article 3, « par
dérogation aux dispositions de l’article 2 (1) ci-dessus, le tribunal saisi peut, en cas de décision contradictoire
ou réputée contradictoire, ordonner l’exécution provisoire, nonobstant appel, dans les cas ci-après : a) en
matière de créance alimentaire, de créance contractuelle exigible, d’expulsion fondée sur un titre foncier
conférant des droits non contestés ou sur un bail écrit, assorti d’une clause résolutoire dont les conditions sont
réunies. b) en matière de réparation du dommage résultant d’une atteinte à l’intégrité physique d’une personne,
pour les frais et dépenses justifiés nécessités par les soins d’urgence et limités exclusivement aux frais de
transport ou de transfert, aux frais pharmaceutiques, médicaux et d’hospitalisation. e) en matière de salaires
non contestés ».

404
386. Pour saisir l’utilité pratique des mesures conservatoires, souvenons nous que le
créancier chirographaire a pour seul gage de sa créance, le patrimoine du débiteur dans l’état
où il se trouve au moment des poursuites. Alors, s’il faut le rappeler, le créancier craint
généralement deux choses. Un, que le débiteur dissipe ses biens. Deux, que l’accroissement
du passif de celui-ci ne l’expose à un concours avec d’autres créanciers qui pourrait lui
empêcher de recevoir l’intégralité de ce à quoi il a droit. Les mesures conservatoires visent à
remédier à ce risque en offrant justement au créancier la possibilité de prendre des garanties
particulières sur les biens de son débiteur 1957 . Le droit connait deux sortes de mesures
conservatoires selon l’objet et la forme que prend cette garantie1958. Quelle que soit la forme
prise par la mesure conservatoire1959, celle-ci se « rattache à l’exécution des obligations dont
elle n’est souvent que le prélude »1960. De provisoire, les mesures conservatoires ambitionnent
en réalité dans la pratique arborer les caractéristiques d’une saisie définitive dans le but
d’assurer le paiement du débiteur. Le provisoire est une justice de l’instantanée qui dans un
bon nombre de cas ne fixe le droit qu’au niveau des apparences, et parfois sans être en mesure
de vider l’intégralité des difficultés relatives à une situation juridique. Parfois, on en vient à
penser que pour accéder à une solution définitive, il faut sortir du provisoire 1961 . Si les
mesures conservatoires prennent la forme d’une protection anticipée ou encore d’une mesure
de faveur accordée à un créancier apparent selon P. Théry1962, dans l’optique d’éviter que la
saisie conservatoire, forme de mesure conservatoire ne soit entachée d’abus, est elle soumise à
des conditions de validité, assortie d’autorisation judiciaire préalable. Conditions posées par
l’article 54 de l’AUPSRVE en ces termes : « Toute personne dont la créance parait fondée en
son principe peut, par requête, solliciter de la juridiction compétente du domicile ou du lieu
où demeure le débiteur, l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur tous les
biens mobiliers corporels ou incorporels de son débiteur, sans commandement préalable, si

1957
R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d’exécution, Op. Cit, p. 190, p. 871.
1958
La plus énergique consiste à rendre indisponibles les biens du débiteur visés par la mesure, pour parer à une
éventuelle insolvabilité par aliénation ou dissimulation des biens. A ce moment on parle de saisie conservatoire.
L’autre forme, considérée comme étant plus élaborée, consisterait à grever d’une sureté réelle (hypothèque ou
nantissement) certains biens du débiteur ayant une assiette fixe afin de permettre au créancier d’acquérir un droit
sur la valeur de ces biens. Dans ce cas, la mesure conservatoire s’apparente à une véritable sureté nommée à
juste titre de sureté judiciaire.
1959
Il faut remarquer que les expressions « acte conservatoire » et mesure conservatoire » s’appliquent en effet à
des réalités différentes. En général, la désignation d’un séquestre, l’acte interruptif d’une prescription sont des
« actes conservatoires ». Lire, C. Brenner, L’acte conservatoire, LGDJ, 1999.
1960
R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d’exécution, Op. Cit, p. 191.
1961
René Njeufack Temgwa, « Saisies conservatoires », in P.G. Pougoué (dir.), Encyclopédie du droit
OHADA, Op. Cit, pp. 1774-1769 ; R. Perrot, « Du « provisoire » au « définitif », in Le juge entre deux
millénaires, Mélanges offerts à Pierre Drai, Dalloz, 2007, p. 446.
1962
P. Théry, « Saisie (s) », in Loïc Cadiet (dir.), Dictionnaire de la justice, Op. Cit. p. 1197.

405
elle justifie de circonstance de nature à en menacer le recouvrement » 1963 . Les mesures
conservatoires nécessitent pour leur validité deux conditions fondamentales. Un, une créance
paraissant fondée en son principe. C’est-à-dire dont l’existence est vraisemblable1964. Elle doit
être vue comme celle dont l’examen des seules apparences, peu importe les sources – légale,
contractuelle ou encore délictuelle – laisse figurer que le créancier qui prétend s’en prévaloir
en est bien titulaire contre le débiteur désigné1965. De plus, ne pas être exercée pour garantir
l’exécution d’une obligation de faire ou de ne pas faire1966. Les dispositions de l’article 58 de
l’AUPSRVE confirment à juste titre cette orientation. Selon celles-ci : « la décision
autorisant la saisie conservatoire doit, à peine de nullité, préciser le montant des sommes
pour la garantie desquelles la mesure conservatoire est autorisée et préciser la nature des
biens sur lesquels elle porte ». La mission du juge ne consiste pas à rechercher la certitude de
la créance1967, il suffit de vérifier si le créancier est véritablement titulaire d’une créance en
l’encontre du débiteur. Le contrôle opéré par le juge se limite au stade de l’apparence1968. Il
est le juge de l’apparence dont les décisions n’ont autorité de la chose jugée qu’au
provisoire1969. La CCJA exige simplement que la créance ne soit pas contestée1970. En ce sens,
c’est à la mesure de la nature et du nombre des documents fournis par le créancier que le juge
apprécie souverainement le caractère fondé de la créance1971.

1963
La formule retenu par le rédacteur de cet article est presque identique de celle contenue dans l’article 67 de
la loi du 9 Juillet 1991 portant Code de procédure civile d’exécution français qui dispose que « toute personne
dont la créance parait fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure
conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable si elle justifie de circonstances
susceptibles d’en menacer le recouvrement ».
1964
Cf. A.-M. Assi-Esso et N. Diouf, Recouvrement des créances, Bruylant, 2002, n°132.
1965
René Njeufack Temgwa, « Saisies conservatoires », in P.G. Pougoué (dir.), Encyclopédie du droit
OHADA, Op. Cit.
1966
Paris, 5 Mai 1959, D. 1959. 304 (inexécution des travaux) Rouen – 19 Novembre 1992, Gaz. Pal. 1994. 1.
Somm. 79 – Cass. 2e Civ., 5 Avril 2001, n° 95-16.641 (pas d’expulsion à titre conservatoire). Voir aussi N.
Diouf, « Commentaire sous article 54 AUPSRVE », in OHADA : Traité et Actes uniformes commentés et
annotés, Op. Cit.
1967
Dakar, Ch. Civ. Et com., arrêt n°282 du 23 juin 2000, Répertoire Crédila, p.47.
1968
Le juge déduit cette apparence de la teneur d’une convention passée entre les parties, de l’application d’un
texte, d’une facture, d’une condamnation pénale ou simplement d’un ensemble d’indice concordants. Aix-en-
Provence, 9 Janvier 2003, RG n°99/10060, JCP, 2004, IV. 1054. Il a été décidé qu’en présence d’une injonction
de payer, même frappée d’opposition, d’un état des charges et d’un procès verbal d’assemblée de propriétaires,
le principe d’une créance parait fondée et justifie une saisie conservatoire des créances. Cour d’appel d’Abidjan,
Chambre civile et commerciale, arrêt n° 338 du 20 Mars 2001 ; SCI de Dankro c/ Dame Jacquet Simone, Société
Makan textile, Librairie Chrétienne Foi et Vie, Agence Hémisphère Voyage, Ohadata J-02-82.
1969
R. Perrot, « Du « provisoire » au « définitif », in Le juge entre deux millénaires, Op. Cit.
1970
CCJA, arrêt n° 014/2007, Société internationale de commerce des produits tropicaux (SICPRO) c/ Gestion
ivoirienne de transport maritime aérien (GITMA devenue GETMA) in P.G. Pougoué et S.S. Kuaté Tamegbé
(dir.), Les grandes décisions de la CCJA, L’Harmattan, 2010, p. 451, note P.E. Kenfack.
1971
Tribunal de Première Instance de Libreville – Ordonnance, Répertoire n° 135/2000-2001 du 29 Juin 2001,
Société Express c/ Société Air Gamba Dambia. Ohadata J-04-136. Le juge librévillois décide que les documents
confectionnés unilatéralement par le créancier pour soutenir sa demande d’autorisation de saisir manquent

406
Deux, la présence de « circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement ».
Seulement, l’expression est imprécise, « extrêmement fluide » 1972 , considérée comme étant
fuyante1973. Résultat, on ne peut reprocher aux juridictions nationales de les apprécier le cas
échéant, en fonction de chaque cas d’espèce 1974 . Quoi donc de plus naturel pour la
jurisprudence de considère dorénavant qu’il y a menace dans le recouvrement lorsqu’il y a
« des éléments de nature à laisser supposer une insolvabilité imminente ou dont la
survenance est à craindre »1975. Ces conditions relèvent de l’appréciation souveraine du juge
du fond. Le juge de la CCJA constate qu’il n’y a aucune menace sur le recouvrement de la
créance si les sommes se trouve entre les mains d’un séquestre judiciaire dont la mission est
justement de garder des fonds en attendant l’issue du procès pour les remettre à qui le juge
aura désigné1976. En l’absence de conditions ci-dessus mentionnées, mainlevée de la saisie
conservatoire faite doit être ordonnée1977 ou injustifiée1978. L’article 54 se limite à la référence
l’expression extensive de circonstances de nature à menacer le recouvrement. Dans cette
perspective, la simple menace ayant pour effet d’entrainer des retards de paiement suffirait
pour justifier le prononcé d’une saisie conservatoire1979.

2. Les pouvoirs du juge en matière d’exécution provisoire

387. Au préalable, l’exécution provisoire depuis l’avènement du droit OHADA n’est plus
limitée aux décisions rendues par le juge étatique du provisoire. Elle s’est vue étendre à
l’arbitrage. Considérée parfois comme une justice de l’urgence1980, urgence de la résolution
d’un conflit majeur dans un contrat d’affaire, urgence d’une protection juridictionnelle pour
préserver les droits, ou encore dans tous les cas qui relèvent de l’urgence ainsi que le rappelle
le Professeur N. Fricero, les parties à la convention d’arbitrage doivent pouvoir compter sur

d’objectivité et ne permettent pas de dire que la créance dont il se prévaut parait fondée en son principe. Le juge
sur le seul constat de cette carence juge suffisant le refus de l’autorisation de saisir.
1972
R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d’exécution, Op. Cit, p. 883.
1973
Voir D. Legeais, « Les mesures conservatoires », LPA, 1993, p.63 et S.
1974
F. Onana Etoundi, « La pratique des voies d’exécution dans l’Acte uniforme OHADA », communication
présentée au Séminaire du 12 Mai 2007, (Grand Bassam). Ohadata D–07–22.
1975
Paris, 30 Mai 1973, JCP A 1974. IV, n°6365, p.1, obs. J. A. ; Cass. Com., 22 mai 1979, n°78-11.782, Bull.
civ. IV, n° 171.
1976
CCJA, Arrêt n° 06/2002, Michel Ngamako c/ Ndeumamy Mbouwoua.
1977
Cour d’Appel d’Abidjan, Arrêt n° 1036 du 25 Juillet 2003, Maitre Kaudjibis Offoumou c. Sopim, Sci Gyam,
Konan Yao Patrice, La Direction Générale du trésor et de la comptabilité publique de Cote d’Ivoire. Ohadata J-
03-342.
1978
Cour d’Appel de Port Gentil, arrêt du 28 Avril 1999, Penant 1999, p.114. Ohadata J-02-44.
1979
R. Njeufack Temgwa, « Saisies conservatoires », Op. Cit.
1980
N. Fricero, « Les mesures provisoires dans le nouveau droit français de l’arbitrage », Op. Cit., p. 284.

407
l’octroi de mesures provisoires effectives 1981 . Quoi donc de plus naturel que de voir
l’exécution provisoire être consacrée dans le domaine de l’arbitrage OHADA.

La procédure arbitrale s’achève par un acte juridictionnel dit sentence arbitrale. En


matière arbitrale, la demande de l’exécution provisoire de la sentence qui en est résulte peut
être initiée soit par les parties, soit par l’arbitre1982. Quelle que soit l’hypothèse envisagée, le
principe de l’exception qu’incarne l’exécution provisoire reste le même. L’exécution de la
décision provisoire intervenue n’est pas suspendue nonobstant l’exercice des voies de recours
à son encontre. En droit de l’arbitrage OHADA, l’exécution provisoire tire son fondement de
l’article 24 de l’AUA selon lequel : « Le tribunal arbitral peut, si l'exécution provisoire de la
sentence arbitrale a été sollicitée, l'accorder ou la refuser par décision motivée ». Pour sa
part, l’article 28 ajoute que : « Sauf si l'exécution provisoire de la sentence a été ordonnée par
le tribunal arbitral, l'exercice du recours en annulation suspend l'exécution de la sentence
arbitrale jusqu'à ce que la juridiction compétente dans l'Etat Partie ou la Cour Commune de
Justice et d'Arbitrage, selon le cas, ait statué. Cette juridiction est également compétente pour
statuer sur le contentieux de l'exécution provisoire ». A ce titre, l’exécution provisoire de la
sentence peut être aussi bien demandée par les parties que par le juge. La seule exigence étant
que celle-ci soit motivée. De manière implicite, l’exercice du recours en annulation n’a d’effet
suspensif que si l’exécution provisoire a été sollicitée par les parties. Les rédacteurs de l’AUA
restent attachés au caractère exceptionnel de l’exécution provisoire incompatible avec l’effet
suspensif de l’appel ou du recours en annulation dans le cas où l’exécution provisoire est
ordonnée par le tribunal arbitral. Il s’agit ni plus ni moins de la « reconnaissance d’un pouvoir
arbitral de protection provisoire »1983. L’article 28 de l’AUA autorise le juge arbitral le cas
échéant à l’occasion d’une instance engagée devant lui, à prendre toute mesure conservatoire
ou provisoire jugée utile ou nécessaire. Ainsi, toutes les mesures relatives à la nomination
d’un administrateur judiciaire ou d’un séquestre, le gel des garanties, la mise sous scellés
devront être assimilées à la sentence1984. La sentence sera donc exécutoire par provision de
plein droit lorsque la juridiction arbitrale a aura décidée ainsi. Ce caractère sera par
conséquent inhérent à la sentence. Mais réalité, pour être une fois de plus d’avis avec N.

1981
Ibid.
1982
D. Hascher, « L’exécution provisoire en arbitrage international », in Etudes de procédure d’arbitrage en
l’honneur de Jean Poudret, Faculté de Droit de l’université de Lausanne, 1999, p. 403 et s ; Gaston Kenfack
Douajni, « Le contentieux de l’exécution provisoire dans l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage », in
Revue camerounaise de l’arbitrage, n° 16, Janvier-Février-Mars 2002, p. 3.
1983
N. Fricero, « Les mesures provisoires dans le nouveau droit français de l’arbitrage », Op. Cit., p. 300.
1984
V. Gaston Kenfack Douajni, « Le contentieux de l’exécution provisoire dans l’Acte uniforme relatif au
droit de l’arbitrage », in Revue camerounaise de l’arbitrage, n° 16, Janvier-Février-Mars 2002, p. 3.

408
Fricero, « le fondement se trouve dans la reconnaissance, à l’arbitre, de la jurisdictio à titre
définitif, qui suppose, de manière corollaire, la reconnaissance d’un pouvoir accessoire de
jurisdictio provisoire » 1985 . L’arbitre peut, sans dépasser la mission à lui confiée par les
parties, assortir sa décision du bénéfice de l’exécution provisoire dans la mesure où il s’agit
d’un pouvoir inhérent à la fonction de juger. En l’absence de précisions supplémentaires
donnée par l’AUA, les règles concernant l’exécution provisoire applicables à la sentence sont
celles du droit commun. L’on dira que l’efficacité de l’arbitrage dépend aussi dans une large
mesure, essentiellement de l’exécution rapide de la sentence, qui peut comme toute décision
juridictionnelle, être sujette à contentieux1986.

388. Les pouvoirs du juge sont des points de contact essentiels entre les droits du créancier
poursuivant et ceux du débiteur. Le juge du domicile ou du lieu de résidence du débiteur1987
exerce en matière d’exécution provisoire, un pouvoir de contrôle de sa saisine. C’est là une
exigence posée par l’Acte uniforme, tirée indiscutablement de la conséquence du caractère
provisoire de la mesure d’exécution envisagée avant l’obtention d’un titre exécutoire
constatant les droits de celui qui s’en prévaut. Même s’il remplit les conditions exigées par
l’article 54 de l’AUPSRVE précité, le créancier dépourvu de titre exécutoire ne peut procéder
à une saisie conservatoire qu’après le contrôle judiciaire du juge compétent. Pour le dire
autrement, l’autorisation préalable du juge. Saisi par requête introduite à la demande du
créancier ou de tout mandataire désigné par lui, le juge statue par ordonnance motivée. Le
droit OHADA ne donne aucune précision sur les éléments attendus de la requête, les éléments
qu’elle doit présenter. Dans la pratique, l’acte écrit précise le magistrat habilité à le recevoir,
indiquée de façon précise la mesure sollicitée, les noms, prénoms, domicile du créancier et du
débiteur, les causes de la saisie, le rappel de l’article 54 de l’Acte uniforme, la désignation
sommaire des biens à saisir et la date de signature du requérant. Il y est en outre annexé les
différents éléments qui permettent d’établir que la créance est apparemment fondée et la
menace dans le recouvrement telle qu’une sommation de payer restée lettre morte1988 . Ce

1985
N. Fricero, « Les mesures provisoires dans le nouveau droit français de l’arbitrage », Op. Cit., p. 300.
1986
Pour plus de détails sur les questions relatives au contentieux voir, G. Kenfack Douajni, « Le contentieux de
l’exécution provisoire dans l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage », in Revue camerounaise de
l’arbitrage, Op. Cit. ; D. Hascher, « L’exécution provisoire en arbitrage international », in Etudes de procédure
d’arbitrage en l’honneur de Jean Poudret, Op. Cit. ; Ch. Jarrosson, « Les frontières de l’arbitrage », in Rev.
Arb., 2001.
1987
Et cela sans qu’il y ait lieu de distinguer s’il s’agit du juge de l’exécution ou du président du tribunal de la
juridiction saisie. Par conséquent, toute saisie conservatoire autorisée par un juge autre que celui du lieu de la
demeure du débiteur est entachée d’irrégularités la mainlevée pleine et entière ordonnée, justifiée. Tribunal de
Première instance de Libreville – Ordonnance de référé, Répertoire n°52/2003-2004 du 04 Novembre 2004,
Société Interbois & GRT Sarl C/ Sieur Loubinou Patrick. Ohadata J-04-146.
1988
René Njeufack Temgwa, « Saisies conservatoires », Op. Cit. p. 1749.

409
dernier élément permettrait au débiteur d’organiser sa défense lorsqu’il aura connaissance de
la requête de son créancier. Le contrôle porte sur la vérification des conditions requises pour
l’admission d’une mesure conservatoire. Vérification à l’issue de laquelle l’ordonnance
motivée du juge peut soit faire droit totalement ou partiellement à la requête du créancier en
déterminant sous peine de voir sa décision frappée de nullité, l’étendue de la mesure ordonnée
en précisant le montant des sommes pour la garantie desquelles la mesure conservatoire est
exercée ; préciser les biens sur lesquels porte la mesure conservatoire 1989 . Cette exigence
répond à un impératif, celui de s’assurer que la mesure conservatoire autorisée est appropriée
et n’a été effectuée que sur les biens qui entrent dans son domaine d’application 1990 . En
d’autres termes, les biens visés doivent appartenir au saisi1991.

Le juge peut également rejeter la requête si elle est insuffisamment motivée. Dans
cette hypothèse, la remise en cause de la décision ne peut émaner que du créancier éconduit
qui dispose de la possibilité d’interjeter appel dans les délais requis de quinze jours à compter
du jour de son prononcé selon la lettre et l’esprit des alinéas 2 et 3 de l’article 49 de
l’AUPSRVE. On peut le voir, la perspective quant aux conditions d’octroi de l’exécution
provisoire a été totalement inversée. Les juges sont amenés de plus en plus à déterminer
souverainement l’ensemble des critères et raisons pouvant justifier le refus de l’exécution
provisoire et non plus son octroi. On peut voir dans cette appréciation souveraine de
l’exécution provisionnelle dans chaque cause, une mise en balance des effets que produiraient
l’octroi ou le refus sur les intérêts aussi bien des créanciers que sur ceux du débiteur. Il faut
ajouter que, le caractère provisoire de la mesure s’étend de plein droit sur l’ordonnance du
juge. Ce qui oblige le créancier à une certaine proactivité. Ce dernier dispose en effet, d’un
délai à compter de la date de son autorisation1992 pour faire preuve de diligence, s’il ne veut
pas que sa maladresse profite à son débiteur1993. Il s’agit là, d’atténuer quelque peu, les effets
du risque majeur de voir accomplir dans les faits, les effets d’un jugement qui au final, peut se
révéler mal fondé. M. Etienne Kenfack rappelle que ces atténuations, loin de remettre en

1989
Article 59 de l’AUPSRVE.
1990
René Njeufack Temgwa, « Saisies conservatoires », Op. Cit. p. 1752.
1991
Cour d’Appel de Lomé, Chambre civile Arrêt n° 156/01 du 27 Aout 2001, Affaire Société Bauche c/ Société
Céréalis, l’établissement commissionnaire et consultant en douane. Ohadata J-06-134. Dans cette affaire le juge
décide qu’on ne peut pratiquer une saisie sur la cargaison transportée par un navire sans avoir la preuve formelle
qu’elle la propriété du saisi surtout lorsqu’il ressort des divers documents et pièces produits, notamment le
connaissement, que le saisi n’en est pas le propriétaire.
1992
Article 60, 61 de l’AUPSRVE.
1993
Voir CCJA, n° 5/2005 du 27 Janvier 2005, Affaire D.E. c/ Limba S.A., note Bakari Diallo, Penant n° 853,
pp. 519-524 ; V. aussi Bakary Diallo, « Les mesures d’exécution et la nécessité de disposer d’un titre
exécutoire », Note sous Arrêt, Cour d’Appel de Daloa, Chambre civile et commerciale, Arrêt n° 63, 14 Janvier
2005, Affaire CFAO c/ DA et la SGBCI.

410
question l’obligation d’exécution des décisions de justice, et le droit à l’exécution des
décisions de justice contribuent davantage à l’humaniser en favorisant un exercice serein des
voies de recours1994. L’exécution provisoire peut avoir donc des conséquences graves. C’est
pourquoi les législateurs, en dehors des cas où elle est prévue de plein droit, ont pris le soin de
poser la responsabilité du créancier en cas de modification du titre qui servi à l’exécution
provisoire.

3. La responsabilité du créancier en cas de modification du titre exécutoire

389. Comme tout bon stratège, le créancier choisi le terrain de ses opérations1995. En vertu
du principe du libre choix, le droit OHADA reconnaît au créancier un droit à l'exécution1996,
et lui laisse la possibilité de puiser, dans le large éventail des mesures d'exécution et des
mesures conservatoires, celle qui lui paraît la plus appropriée pour obtenir le paiement de ce
qui lui est dû. Cette liberté de choix accordée au créancier de mettre en œuvre la mesure
d’exécution de son choix s’accompagne d’un revers, la responsabilité qui résulte d’un
« risque délibérément assumé »1997. Il en est ainsi lorsque le titulaire d’un droit sanctionné par
une décision de justice la fait exécuter, à ses risques et périls, en dépit de son caractère non
encore irrévocable. Si comme l’a décidé la Cour de cassation française, « l’exécution d’une
décision de justice exécutoire ne constitue pas une faute »1998 , l’exécution d’une décision
exécutoire à titre provisoire constitue toutefois, un risque. Elle n’a lieu qu’aux risques de celui
qui la poursuit, à charge pour lui d’en réparer les conséquences dommageables si le titre vient
à être ultérieurement modifié sans qu’il y ait lieu à relever de faute de sa part1999. Il s’agit là
d’une responsabilité objective fondée sur le risque, lequel consiste dans une infirmation, une
réformation ou une annulation de la décision en vertu de laquelle l’exécution a été
poursuivie 2000 . L’exécution provisoire dont est assortie la décision rendue en première
instance par le juge, déroge à la règle de l’effet suspensif de l’appel. Permettant une exécution

1994
V. P. Etienne Kenfack, « Les obstacles juridiques à l’exécution des décisions de justice au Cameroun », in
Fabrice Hourquebie (dir.), Quel service public de la justice en Afrique francophone ?, Op. Cit, p. 191.
1995
D. Corrignan-Carsin, « Responsabilité et procédures civiles d'exécution », Op. Cit. Spéc. p. 89.
1996
L’article 28 al. 1 de l’AUPSRVE dispose en effet que : « à défaut d’exécution volontaire, tout créancier
peut, quelle que soit la nature de sa créance, (…) contraindre son débiteur défaillant à exécuter ses obligations
à son égard ou pratiquer une mesure conservatoire pour la sauvegarde de ses droits ».
1997
Cour de Cassation, « Le risque », Etude, in Rapport annuel 2011, Paris, La Documentation française, 2012,
p. 121.
1998
Cass. 1re Civ., 1er février 2005, pourvoi no 03-10.018, Bull. 2005, I, no 57. Sauf à ce que les moyens mis en
œuvre soient jugés disproportionnés, parce que excédant ce qui est nécessaire pour obtenir le paiement de
l’obligation compte tenu du montant de la créance et de l’attitude du débiteur, Cass. 2e Civ., 10 mai 2007,
pourvoi no 05-13.628, rendu au visa de l’article 1382 du Code civil.
1999
Article 32 al. 2 de l’AUPSRVE, Rappr. de la position du juge de la haute cour judiciaire française Ass. plén.
24 février 2006, pourvoi n° 05-12.679, Bull. 2006, Ass. plén. n° 2, JCP 2006. I. 166, obs. Ph. Stoffel-Munck.
2000
Cour de Cassation, « Le risque », Etude, Op. Cit. p. 122.

411
immédiate, elle garantit à la partie en faveur de laquelle elle a été rendue, le bénéfice des
droits reconnus par cette décision malgré leur caractère conditionnel du fait, précisément, de
l’existence de la voie d’appel ou d’opposition, susceptible de les remettre en cause et de les
faire disparaître. En ce sens, le bénéficiaire peut de bon droit mettre en œuvre l’exécution
forcée et recourir aux procédures civiles d’exécution dans les matières mobilière ou
immobilière2001. Autrement dit, le recours à l’exécution fondé sur un titre provisoire comporte
un risque majeur et non négligeable, celui de l’anéantissement de la décision par annulation,
infirmation ou cassation. L’article 32 de l’AUPSRVE, après avoir disposé que l’exécution
forcée peut être poursuivie jusqu’à son terme en vertu d’un titre exécutoire provisoire, énonce
dans son second alinéa que « l’exécution est alors poursuivie aux risques du créancier, à
charge pour celui-ci, si le titre est ultérieurement modifié, de réparer intégralement le
préjudice causé par cette exécution sans qu’il y ait lieu de relever de faute de sa part ». Des
termes de ce dernier texte découlent expressément un régime de responsabilité objective
fondé sur le risque. La prise en charge du risque par le créancier n’est que l’effet inéluctable
d’une initiative individuelle, la mise en œuvre en connaissance de cause, d’un mécanisme
provisoire pour s’assurer plus tard de rentrer dans ses droits, en dépit d’une possible
réparation intégrale du préjudice qu’il causerait à son débiteur. Ce qui entrainerait la
responsabilité du fait d’un dommage consacré depuis longtemps par la jurisprudence2002.

390. La liberté du choix de la mesure reconnue au créancier signifie aussi la liberté de ne


pas agir en attendant d’être titulaire d’un titre exécutoire définitif. Le bénéficiaire de
l’exécution provisoire d’une décision peut librement choisir de ne pas la mettre en œuvre, et
c’est son droit, même s’il l’a expressément sollicitée du juge. Il peut attendre la décision
irrévocable, pour se prémunir des effets juridiques qu’entrainerait, en cas de modification du
titre, la réparation du dommage causé2003. Il s’est toutefois posé une préoccupation, à quel
moment commence l’exécution ? Un commandement, une saisie, constituent dans la pratique
un tel acte, car manifestant sans ambiguïté la volonté d’exécution de la partie qui y procède.
En d’autres termes, ce n’est pas en soi la notification d’un commandement ou d’un acte de
saisie qui traduit un commencement d’exécution, mais la volonté de la partie qui en prend
l’initiative. Tout dépend donc de la volonté de l’auteur, celle de mettre en demeure le débiteur

2001
L’adjudication de l’immeuble ne peut, néanmoins, se faire qu’avec un titre exécutoire définitif et après
liquidation. Article 247 AUPSRVE.
2002
Req. 1er juin 1932, D.P. 1932, I, 102.
2003
Cass. 3e Civ., 4 juin 2008, pourvoi no 07-14.118, Bull. 2008, III, n° 100. Voir aussi L. Boré, « Restitutions
et responsabilités après l’anéantissement d’une décision de justice exécutoire », in Mélanges en l’honneur de
Serge Guinchard, Dalloz, 2010, pp. 609-611.

412
de remplir ses obligations à son égard et des risques qu’il encourt en cas de refus ou plutôt
d’engager effectivement la réalisation des mesures de contrainte2004. Si le juge de l’OHADA
scrute l’intention caché derrière l’acte, la Cour de cassation française à titre de droit comparé
va plus loin. La seule signification d’une décision bénéficiant de l’exécution provisoire, en
l’occurrence une ordonnance de référé, constitue une mesure d’exécution de nature à justifier
la réparation du dommage causé par celle-ci en cas de réformation de la décision2005. Solution
véhément critiquée par la doctrine 2006 . Au-delà de la position des uns et des autres, les
approches mettent en exergue la dangerosité intrinsèque de l’exécution provisoire pour le
créancier poursuivant. D’où l’impérieuse nécessité de la sécuriser. Plus tard, la deuxième
chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt majeur car il vise une notification de
la décision ordonnée par le juge lui-même : dans une affaire où un juge de référé administratif
avait suspendu à la demande d’un concurrent les effets d’un arrêté d’attribution d’une licence
de taxi à une société, et ordonné la notification de son ordonnance valant titre exécutoire à
cette dernière, l’obligeant ainsi à cesser son activité, elle a jugé qu’une cour d’appel, saisie par
la société d’une demande d’indemnisation après anéantissement du titre, avait exactement
retenu que le demandeur à la suspension devait, par application de l’article 31 de la loi du 9
juillet 1991, restituer la société dans ses droits en nature ou par équivalent2007. En tout état de
cause, conséquence et prolongement de liberté du créancier poursuivant, le déplacement de
risque oblige le créancier poursuivant qui a choisi de pratiquer les mesures provisoires ou
d’exécution à réparer, le cas échéant, les dommages causés par l’exécution.

391. Selon Pierre Hébraud, « la décision d’infirmation, bien que ne contenant expressément
aucune condamnation positive, doit être considérée comme formant un titre exécutoire
inverse du précédent »2008. Pour le juge français, il importe peu, dès lors, que la décision
infirmative comporte une disposition expresse à cet égard2009. L’obligation de réparer pourrait
naître dès le jour du prononcé de la décision ou de sa notification à la partie à l’encontre de

2004
Ceci est la conception retenue par les juges de la CCJA dans l’arrêt Epoux Karnib c/ SGBCI du 11 Octobre
2001, notamment que l’exécution forcée qui était poursuivie aux risques des époux commerçants Karnib, avait
été mise en œuvre avec la signification au débiteur du commandement de payer.
2005
Ass. plén, 24 février 2006, pourvoi n° 05-12.679, Bull. 2006, Ass. plén., n° 2.
2006
Cf. R. Perrot, « Exécution provisoire : exécution aux risques et périls du débiteur », in D. 2006, p. 1085 ; P.
Théry, « La responsabilité du bénéficiaire de l’exécution provisoire en cas d’infirmation : menaces sur le
référé?», in RTD Civ. 2006, p. 368. La doctrine soutenant notamment que, « si (la signification d’un jugement)
donne force exécutoire à la décision de justice, c’est uniquement pour offrir au gagnant la possibilité de recourir
à une mesure d’exécution forcée s’il le juge utile, au moment où il le jugera opportun, sans en faire pour autant
un acte d’exécution qui pourrait ne pas se révéler nécessaire ».
2007
V. Cour de Cassation, « Le risque », Etude, Op. Cit, p.124 et spéc. la partie réservée à la jurisprudence de
la Cour, pp. 337-519.
2008
Ibid. p.125.
2009
Cass. 2e Civ., 8 mars 2007, pourvoi n° 06-11.693.

413
laquelle elle est rendue, celle-ci ordonnant expressément ou non la remise en état antérieur de
la cause et des parties, et constituant un titre exécutoire permettant de contraindre la partie
initialement gagnante à réparer2010. Seulement, nous pensons que la réparation nécessite une
nouvelle décision, ne serait-ce que pour évaluer le préjudice, car toute réparation reste
subordonnée en droit à l’existence d’un préjudice2011.

392. L’exécution provisoire, telle que prévue par l’article 32 précité, oblige le créancier à
réparer le préjudice subi par le débiteur en raison de l’exécution forcée, si la décision
autorisant l’exécution provisoire venait à être ultérieurement réformée. Cette nécessaire
réparation est fondée, ainsi qu’indiqué ci-dessus, sur la responsabilité pour risque dans la
mesure où l’exécution en vertu d’un titre exécutoire par provision n’a lieu qu’aux risques et
périls de celui qui la poursuit, à charge pour lui d’en réparer les conséquences
dommageables2012. Pour être plus concret, si la mainlevée d’une saisie conservatoire à été
ordonnée par le juge, le créancier peut être condamné à réparer le préjudice ayant résulté de la
saisie conservatoire, certaines mesures pouvant en effet compromettre le crédit du débiteur
saisi. Est ici visé, une saisie conservatoire faite sur des créances et spécifiquement sur des
comptes bancaires. Le créancier responsable de cette situation sera tenu d’indemniser le
débiteur, s’il a procédé à une saisie conservatoire dont la mainlevée a été ordonnée plus tard.
Eu égard à tout ce sui précède, l’exécution provisoire d’un titre susceptible d’appel ou
d’opposition constitue indiscutablement, un avantage important pour la partie qui en
bénéficie. Mais elle doit cependant être manipulée avec prudence. Le droit octroyé par
l’article 32 de l’AUPSRVE plus qu’une autorisation à l’exécution provisoire reconnu au
créancier muni d’un titre exécutoire provisoire, est une invite à la prudence et un rappel au
titulaire qu’il agira toujours à ses risques et périls, qui ne devrait être utilisé dans les cas
d’ultime certitude. Au vu de tout ceci, l’on peut aisément soutenir que la consécration de ce

2010
Cass. 2e Civ., 26 octobre 2006, pourvoi n° 05-21.398, Bull. 2006, II, n° 291.
2011
Les préjudices susceptibles d’être invoqués sont variés. Ils peuvent résulter d’une abstention imposée. Ainsi
en est-il lorsque la décision initiale exécutoire par provision a enjoint la cessation de livraison de fioul (Cass. 2e
Civ., 10 juillet 2003, pourvoi n° 01-14.778, Bull. 2003, II, n° 244) ou ordonné la suspension des effets d’un
arrêté d’attribution d’une licence de taxi à une société (Cass. 2e Civ., 9 septembre 2010, pourvoi n° 09-68.120,
Bull. 2010, II, n° 148.) ou de travaux de construction (Cass. 2e Civ., 12 mai 1971, pourvoi n° 70-11.191, Bull.
1971, II, n° 173) ; d’autres sont constitués par une perte de jouissance du bien objet du litige (Cass. Com., 12
février 1973, pourvoi n° 70-13.517, Bull. 1973, IV, n° 67). D’autres encore découlent de l’impossibilité de
restituer les biens, ou encore de la nécessité de réparer des conséquences dommageables provoquées par
l’exécution. Un arrêt rendu par la deuxième chambre civile (Cass. 2e Civ., 14 avril 2005, pourvoi n° 03-14.195,
Bull. 2005, II, n° 91) met en effet en évidence combien le bénéficiaire de l’exécution provisoire doit prendre en
considération les risques d’une telle exécution. La décision mettait à la charge du créancier initial, le
remboursement des frais exposés par la partie perdante en première instance pour la réalisation d’un prêt avec
hypothèque en vue de payer les sommes en vertu de l’exécution provisoire, frais occasionnés par la mesure mise
en oeuvre sans laquelle ils n’auraient eu lieu d’être.
2012
Article 32 AUVE.

414
principe d’exécution par provision constitue à n’en point douter, le ferment de la consécration
nationale d’un droit de contraindre à l’exécution.

B. La consécration nationale d’un droit de contraindre à l’exécution

393. Il est courant d’avoir une vision manichéenne de l’exécution des obligations2013. On
aurait d’un coté le « bon débiteur » qui paie avec ponctualité ce qu’il doit, de l’autre coté, le
« mauvais débiteur » qui s’expose au déploiement des moyens de coercition exercés par le
créancier qui souhaite être désintéressé. Mais la réalité pourrait être encore plus contrastée.
L’exécution est semblable à une pièce de monnaie. L’une des faces constituerait l’exécution
volontaire et l’autre l’exécution forcée. Aussi l’on pourrait avoir une vision simpliste du droit
à l’exécution forcée : un préalable à l’exécution forcée (2) que le législateur a choisi à tort ou
à raison d’éluder sur lequel il faut revenir. Mais en tout état de cause, l’exécution forcée est
subordonnée à la détention d’un titre exécutoire ou d’exécution, signe de sa conditionnalité
(1), dont la diversification octroie sur le plan pratique, une certaine garantie (3).

1. Un droit à l’exécution forcée conditionnalisé

394. Un droit conditionné ne peut être mis en œuvre que lorsque les conditions restrictives
prévues à sa réalisation sont remplies. S’agissant du droit à l’exécution forcée, seule la
détention du titre requis (a) répondant aux règles de droit commun du titre (b) assurent au
créancier la mise en œuvre des mesures d’exécution forcée.

a. La détention du titre exécutoire requis

395. « Exsequi » qui signifie « suivre jusqu’au bout », traduit en lui-même l’esprit de
contrainte contenu dans le verbe exécuter. L’adjonction de l’adjectif forcé vient ainsi traduire,
renforcer l’esprit de graduation de la coercition, usage de la force et non du libre arbitre qui
caractérise les procédures d’exécution et plus spécifiquement les mesures d’exécution forcée
inhérentes aux procédures juridiques, dont l’objectif est de contraindre au besoin par la force
le particulier, à l’exécution de ce qui a été convenu. Destiné à assurer une véritable éviction
du débiteur du bien qu’il détient, l’exercice des mesures d’exécution forcée a été soumise à de
rigoureuses conditions. Tout comme l’exécution provisoire soumise à des conditions relatives
à la créance, menace dans le recouvrement, l’exécution forcée est subordonnée à la détention
d’un titre d’exécution ou exécutoire. Est dit exécutoire ce qui doit être mis à exécution ou qui

2013
R. Perrot et P. Théry, Procédure civile d’exécution, Op. Cit. p. 52.

415
donne pouvoir de procéder à une exécution 2014 . On définira le titre exécutoire comme un
« acte écrit délivré au nom du souverain, qui donne pouvoir à son titulaire de procéder à
l’exécution forcée du droit qu’il constate »2015 ou encore comme l’acte revêtu de la formule
exécutoire 2016 . Le législateur OHADA en fait une des conditions de l’exécution des titres
exécutoires. La force exécutoire désigne quant à elle « le fait qu’un acte puisse, en lui-même
et sans qu’il soit besoin d’en passer par le juge, donner lieu à des mesures d’exécution
forcée » 2017 . Pour le créancier, la force exécutoire « est à la fois porteuse d’un avantage
d’ordre juridique (car) elle agit comme une sûreté, mais aussi d’ordre économique : en
supprimant l’obligation d’obtenir en justice un titre exécutoire, elle est à la fois synonyme de
gain de temps et d’argent »2018. Pour le dire autrement, la force exécutoire est la qualité qui
impose ou qui donne la possibilité de recourir à la force Publique pour assurer l’exécution
d’une obligation. C’est la force exécutoire attachée, par exemple, à un procès verbal de
médiation constaté par acte notarié qui permet au créancier, en cas de défaillance du débiteur,
de diligenter directement une mesure de saisie sur les biens de ce dernier sans l’intervention
du juge. C’est dire que la conditionnalité du droit à l’exécution forcée répond à un impératif.
Le souci non seulement d’éviter l’arbitraire, un excès de zèle dans la mise en œuvre de telles
mesures, mais surtout de garantir à chaque créancier la possibilité de rentrer dans ses droits.
La diversification des titres exécutoires constitue le fondement de souci de ne léser personne,
distinguant ainsi, le sort du créancier disposant d’un titre exécutoire de celui qui est dépourvu.
Une rapide identification du large éventail des titres exécutoires, permet d’entrevoir
l’existence d’un droit commun du titre exécutoire.

396. Les titres judiciaires et actes assimilés constituent la première catégorie des titres
reconnus et exigés dans le système juridique camerounais par lesquels le droit de contraindre
à l’exécution est conditionnalisé. La conception du contenu de cette catégorie est
volontairement extensive, mais aussi limitative. Et cela, sans qu’il y ait lieu à distinguer selon
qu’il s’agirait d’un jugement, d’une ordonnance ou d’un arrêt. L’AUPSRVE assure en effet
que « les décisions juridictionnelles revêtues de la formule exécutoire et celles qui sont
exécutoires sur minute ; les actes et décisions juridictionnelles étrangers et ainsi que les
sentences arbitrales déclarés exécutoires par une décision juridictionnelle, non susceptibles

2014
J. Rey-Debove et A. Rey, Le Nouveau Petit Robert de la langue française, Op. Cit, p. 973.
2015
R. Perrot et P. Théry, Procédure civile d’exécution, Op. Cit., n° 129.
2016
Ibid.
2017
Jean-François Sagaut, « La force exécutoire de l’acte notarié : une évidente exclusivité », in Réformer la
justice civile, Séminaire de droit processuel du 6 Février 2018, in La semaine juridique, Edition générale,
Supplément au n° 13 - 26 mars 2018, pp. 60-62, spéc. p. 61.
2018
Ibid.

416
de recours suspensif d’exécution, de l’Etat dans lequel le titre est invoqué et les décisions
auxquelles la loi nationale de chaque Etat partie attache les effets d’une décision
judiciaire2019 »2020. Le législateur pose au regard de ces titres, une exigence supplémentaire,
seules les décisions ayant constaté une créance liquide sont concernées2021.

397. Les titres extrajudiciaires, forment la seconde catégorie des titres exécutoires requis.
Ils résultent d’une autre justice. De modes de traitement des contentieux auxquels le
législateur ne reconnait pas comme les précédents un pouvoir juridictionnel. Dans un litige,
pour s’assurer entre elles, d’une atmosphère litigieuse moins contentieuse vont soumettre leur
litige soit à la conciliation ou encore à la médiation. Font parties de cette catégorie de titres,
les procès verbaux ce conciliation et de médiation signés par les parties et le juge et les actes
notariés revêtus de la formule exécutoire2022. L'accord issu de la médiation est susceptible
d'exécution forcée 2023 . Autrement dit, la loi délègue expressément à certaines autorités le
pouvoir d’émettre des actes considérés comme un titre exécutoire. L’hypothèse classique est
celle de l’acte notarié. C’est dire que l’idée même de déléguer la force exécutoire à d’autres
professionnels du droit s’est inscrite dans le droit des titres exécutoires de l’OHADA. Les
attributs de cet acte et son utilité pratique tiennent à deux aspects : son authenticité2024, qui
« fait pleine foi de la convention qu'il renferme entre les parties contractantes »2025. Aussi,
l’acte contresigné par un notaire possède donc une force probante supérieure à celle de l’acte
sous seing privé, dans la mesure où les parties ne peuvent pas dénier leur signature. Il n’est

2019
Rentre dans cette catégorie en droit camerounais l'avis de mise en recouvrement du programme de
sécurisation des recettes forestières pour l'acquittement des droits, redevances et taxes relatifs à l'activité
forestières, les décisions des commissions provinciales et nationales de la prévoyance sociale. Y figure aussi, les
avis de mise en recouvrement dressés par les receveurs des impôts en vue du paiement des impôts, droits et
taxes, dans tous les cas où les déclarations des contribuables n'ont pas été suivies de moyens de paiement. L'avis
de mise en recouvrement ainsi dressé est rendu exécutoire par le visa du chef de centre des impôts
territorialement compétent. Si l'exécution est poursuivie au préjudice d'un contribuable qui bénéficie d'un sursis
de paiement de ses impositions, la mesure doit être considérée comme diligentée sans titre exécutoire. Enfin
nous citerons, les contraintes émises en vue du paiement de certaines taxes communales indirectes, à l'instar de la
taxe d'abattage, des droits de place, des droits d'occupation temporaire de la voie publique, des droits de fourrière
et les contrats passés avec les tiers, spécialement ceux créant à leur charge, une obligation de payer, notamment
les frais d'hospitalisation dans un établissement hospitalier public, les loyers dus à un organisme public.
2020
Article 33 al. 1, 2, 5 de l’AUPSRVE.
2021
Cf. Article 31 AUPSRVE : « L’exécution forcée n’est ouverte qu’au créancier justifiant une créance
certaine, liquide et exigible sous réserve des dispositions relatives à l’appréhension et à la revendication des
meubles ». La saisie ne peut être réalisée que si elle est fondée sur une créance certaine, liquide et exigible. Les
conditions de certitude et d’exigibilité ne suscitent aucune difficulté particulière parce que l’exécution forcée est
entièrement subordonnée à la détention d’un titre exécutoire constatant une créance dont le délai est échu.
Liquidité quant à elle est pleinement remplie lorsque la créance est évaluée en argent. Cependant, l’article 247 de
l’AUPSRVE institue une souplesse quant à l’exigence d’une créance liquide notamment en matière de saisie
immobilière.
2022
Alinéas 3 et 4 de l’article 33 AUPSRVE.
2023
Article 16 AUM
2024
Article 1317 du Code civil applicable.
2025
Article 1319 du Code civil applicable.

417
donc pas surprenant que législateur en reconnait la valeur en matière de médiation. La
reconnaissance des actes sous seing privé par le notaire et leur conservation au rang de ses
minutes, mettent ceux-ci à l’abri de toute altération et leur confèrent force exécutoire au
même titre qu'un acte notarié proprement. Ainsi, une fois revêtu de la formule exécutoire, un
contrat passé devant notaire ou authentifié par ce dernier, constitue un titre exécutoire. L’acte
notarié prend la forme d’une copie certifiée conforme, appelée « copie exécutoire » signée et
paraphée à chaque page par le notaire qu’il revêt de la formule exécutoire2026. Sur simple
présentation de cette copie par le créancier, il est possible de procéder à toute mesure
d’exécution forcée contre la personne désignée dans l’acte étant tenue de la dette 2027 . En
d’autres termes, l’acte notarié tire sa force obligatoire de la seule volonté des parties, et sa
force exécutoire de l’authentification notariale. C’est donc en qualité d’officier, investi du
sceau de l’Etat, que le notaire confère authenticité à un acte. Pour cette raison, l’acte notarié
tient sa force exécutoire dès sa signature, sans qu’il soit besoin d’une notification2028. Force
exécutoire considérée comme règle par défaut du titre d’exécution.

b. Le droit commun des titres exécutoires

398. Si le droit commun est l’ensemble des règles normalement applicables à une situation
juridique, alors certaines règles applicables aux titres exécutoires permettent d’y voir
l’existence d’un droit commun. Par conséquent, s’il est vrai que la détention du titre
exécutoire suffit parfois à lui-même pour justifier que le créancier entame une mesure
d’exécution forcée envers son débiteur, le droit OHADA soumet toutefois le détenteur du titre
à un certain nombre d’exigences communes.
La formule exécutoire. Le créancier qui souhaite soumettre son débiteur à une mesure
d’exécution forcée doit respecter un certain nombre de conditions pour pouvoir bénéficier
d’une exécution effective. C’est un truisme, tout jugement pour être exécuté doit revêtir la
formule exécutoire. « Le titre exécutoire, qui conditionne l'exécution forcée doit, lui-même,
être nourri et renforcé par la formule exécutoire »2029. Formule d’un acte ou d’un jugement
permettant à son bénéficiaire d’en poursuivre l’exécution en recourant, au besoin, à la force

2026
Cass. 2e civ., 24 Juin 2010, n° 09.67.887.
2027
Aux termes du paragraphe 2 de l’article 16 de l’AUM : « A la requête conjointe des parties, l'accord de
médiation peut être déposé au rang des minutes d'un notaire avec reconnaissance d'écritures et de signatures.
Le notaire en délivre, à la requête de la partie intéressée, une grosse ou une copie exécutoire ».
2028
Cass. 2 ème civ. 4 décembre 2003, n° 2.11.353, motifs, Bull. civ. II, n° 368.
2029
A.D. Wandji Kamga, Le droit à l’exécution forcée Réflexion à partir des systèmes juridiques Camerounais
et français, Thèse, Op. Cit. p. 46.

418
publique, la formule exécutoire 2030 peut être définie comme « l’ordre donné, au nom du
peuple, par le Président de la République aux huissiers de justice et agents d’exécution
d’exécuter les titres exécutoires, aux procureurs généraux et officiers de la Force Publique de
prêter main-forte à l’exécution lorsqu’ils en seront légalement requis »2031. Sauf dérogation
de la loi, aucun créancier ne peut en principe prétendre au droit à ce que le titre soit exécuté
que si ce dernier est flagellé de la formule exécutoire. Par conséquent, le caractère exécutoire
du titre tire sa force de la formule exécutoire qui y figure2032. L’insistance se justifierait selon
un auteur par le contenu de la formule, en ce qu’elle autorise le recours à la force dans les
limites fixées par la loi et désigne le personnel qui doit être mobilisé pour assurer l’exécution
forcée. Celui-ci soutient même que « la formule exécutoire est un élément de définition du
titre exécutoire »2033.
Si l’apposition de la formule exécutoire reste l’un des principes de l’obtention de la
force exécutoire du titre, celle-ci ne s’applique pourtant pas à tous les titres. Certains auxquels
la loi des Etats attribue les effets d’une décision judiciaire échappent à cette exigence. Sont
visés essentiellement dans cette catégorie, les actes contractuels et unilatéraux de
l’administration qui sont des titres que se délivrent la puissance publique et aussi parfois les
organismes parapublics dans l’optique d’une facilitation du recouvrement de leurs propres
créances. L’administration dans l’exercice de ses missions dispose du privilège du préalable
ou encore de l’exécutoire, « prérogative exorbitante de droit commun qui consiste à se
délivrer des titres exécutoires à elle-même, sans contrôle judiciaire préalable, sur le
fondement desquels elle procédera ensuite au recouvrement forcé des créances dont elle
s’estime titulaire » 2034 . Pour le dire autrement, les titres qui ressortent de cette catégorie
dispose d’une force exécutoire intrinsèque2035 et sont par conséquent dispensés de formule

2030
La formule trouve son origine dans l’article 61 du Code de Procédure civile et commerciale camerounais,
modifié au Cameroun par l’ordonnance n°72/4 du 26 août 1972, l’ordonnance n°72/21 du 19 octobre 1972 et
l’ordonnance n°2006/015 du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire.
2031
A.D Wandji Kamga, Le droit à l’exécution forcée Réflexion à partir des systèmes juridiques Camerounais et
français, Op. Cit.
2032
En application de l’article 91 de l’AUVE, a été déclarée nulle une saisie-vente pratiquée mais fondée sur une
ordonnance d’injonction de payer non revêtue de la formule exécutoire. Daloa, 1ère Ch.civ. et com., arrêt n°49
du 18 février 2004, Kouassi Kouamé c/Kouadio N’guessan, juriscope.org. Au Cameroun, l’article 11 al. 1 de loi
n°2006/015 du 29 décembre 2006 relative à l’organisation judiciaire exige que tout acte susceptible d’exécution
forcée soit revêtu de la formule exécutoire.
2033
A.D Wandji Kamga, Le droit à l’exécution forcée Réflexion à partir des systèmes juridiques Camerounais
et français, Thèse, Op. Cit.
2034
R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d’exécution, Op. Cit., p.169, n° 157.
2035
Pour un exemple relatif à la contrainte de l’administration fiscale voir, TPI Dschang, Ordonnance de référé
n° 1/ADD du 6 octobre 2003, Ohadata J-05-113 ; TGI de la Mifi (Bafoussam), jugement n° 35/ civ. du 2 avril
2002, Affaire UCAO c/ CNPS, Ohadata J-04-229.

419
exécutoire. C’est la même logique qui préside sur les décisions juridictionnelles exécutoires
sur minute.

La lecture de l’article 33 de l’AUPSRVE et d’autres dispositions du même texte


mettent en exergue qu’à l’état actuel du droit OHADA, la formule exécutoire est
incontournable 2036 . Il faut en voir l’illustration dans le dispositif juridique prévue par
l’OHADA en relation avec l’exécution des arrêts de la CCJA. Le législateur a certes soustrait
les arrêts de la CCJA à la procédure d’exequatur, mais pour les soumettre à une autre
procédure, celle de la formule exécutoire. Aux termes de l’article 20 du Traité, « les arrêts de
la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ont l’autorité de la chose jugée et la force
exécutoire. Ils reçoivent sur le territoire de chacun des Etats-Parties une exécution forcée
dans les mêmes conditions que les décisions des juridictions nationales […]». Cette position
s’en trouve renforcée par l’article 46 alinéa 1 du Règlement de procédure de la CCJA selon
lequel, « l’exécution forcée des arrêts de la cour est régie par les règles de procédure civile
en vigueur dans l’Etat sur le territoire duquel elle a lieu. La formule exécutoire est apposée,
sans autre contrôle que celui de la vérification de l’authenticité du titre, par l’autorité
nationale que le gouvernement de chacun des Etats parties désignera à cet effet et dont il
donnera connaissance à la cour ». Le début de la disposition affirme que l’exécution forcée
est faite selon règles de procédure civile de l’Etat où a lieu l’exécution forcée. En la matière,
le dispositif juridique camerounais applicable, soumet l’exécution forcée des arrêts de la
CCJA à l’apposition de la formule exécutoire2037. Autrement dit, si les arrêts de la haute cour
sont exemptés de l’exequatur, cela ne les dispense cependant pas de la formalité requise à
l’apposition de la formule exécutoire, même si elle vaut réquisition de la force publique2038.
Le professeur J.M. Tchakoua caractérise cette attitude du législateur de « domestication de la
formule exécutoire » en la jugeant injustifiée2039.

399. L’impossibilité d’appel ou d’opposition comme autre règle commune aux titres
exécutoires. Pour le législateur OHADA, les décisions juridictionnelles doivent être revêtues
de la formule exécutoire c’est vrai. En se limitant à cet énoncé, l’on pourrait penser que la
seule titularité du titre exécutoire justifie la mise en oeuvre de la mesure d’exécution forcée.

2036
J. Fometeu, « Théorie générale des voies d’exécution OHADA », Encyclopédie du droit OHADA, Op. Cit.
p. 2066.
2037
L’article 11 al.1 de la loi n° 2006/015 du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire au Cameroun
dispose que « les expéditions des arrêts, jugements, mandats de justice ainsi que les grosses et expéditions des
contrats et tous actes susceptibles d’exécution forcée sont revêtus de la formule exécutoire ainsi introduite … ».
2038
Alinéa 2 de l’article 29 AUPSRVE.
2039
J.M. Tchakoua, « L’exécution des sentences arbitrales dans l’espace OHADA, regard sur une construction
inachevée à partir du cadre camerounais », RASJ, vol. 6, n° 1, 2009, p. 12 (cité par J. Fometeu, Op. Cit.)

420
Mais que non ! Si le dispositif de la décision de justice est de nature à fonder une mesure
d’exécution forcée, il faut se rappeler des conditions strictes posées par l’article 34 de
l’AUPSRVE qui dispose que : « lorsqu’une décision juridictionnelle est invoquée à l’égard
des tiers, il doit être produit un certificat de non appel et de non opposition, mentionnant la
date de la signification de la décision à la partie condamnée, émanant du greffier de la
juridiction qui a rendu la décision dont il s’agit ». Deux conditions supplémentaires émergent
alors de la disposition. Primo, disposer d’un certificat de non appel ou d’opposition c'est-à-
dire que la décision ne puisse plus faire l’objet d’une voie de recours suspensive d’exécution.
Secundo, la signification de ladite décision à la partie condamnée. C’est dire que la décision
juridictionnelle ne devient exécutoire premièrement, qu’à partir du moment où elle est passée
en force de chose jugée, c'est-à-dire lorsque celle-ci ne peut plus faire l’objet ni d’appel ni
d’opposition par aucune des parties 2040 . Dans les cas où la décision serait susceptible de
recours suspensif d’exécution, ceux-ci interdisent l’exécution immédiate de la décision aussi
longtemps que l’on ignore si un tel recours a été ou sera formé. Par ailleurs, les jugements ne
peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu’après leur avoir été
régulièrement signifiés, sauf exécution volontaire2041. Compte tenu de l’importance que revêt,
notamment, la signification de la décision et de l’impact que celle-ci a vocation à produire sur
le patrimoine du débiteur, et puisque c’est de son accomplissement que commence à courir le
délai d’exercice d’une voie de recours, précède toute mesure d'exécution forcée fondée sur un
jugement, mais elle porte nécessairement sur le jugement rendu à la connaissance de
l’adversaire ou d’un tiers. Le législateur à travers la formulation de l’article 34 précité, se
montre exigeant en ce qui concerne la signification de l’acte. La règle permet au débiteur de
connaitre l’étendue de ses obligations2042. C’est donc dire que qu’aucune décision ne peut
faire l’objet d’exécution forcée si elle n’a été préalablement signifiée à celui auquel elle est
censée produire des effets de droit. De ce qui précède, le créancier qui prétend exercer une
mesure d’exécution forcée fondée sur une décision juridictionnelle à l’égard des tiers doit, en
plus du jugement, établir au jour des poursuites, que l’acte juridictionnel réunit toutes les
conditions requises notamment, un certificat de non appel attestant qu’aucun recours
suspensif n’a été formé au jour de sa délivrance.

2040
Cass. 1ere civ., 31 mars 2010, n° 09.12.770.
2041
Cass.civ. 2ème, 29 janvier 2004, Bull.civ., n°33.
2042
Cécile Chainais, Frédérique Ferrand, Serge Guinchard, Procédure civile Droit interne européen du
procès civil, Op. Cit. p. 938, n° 1373.

421
400. Fondée sur l’existence d’un titre exécutoire, le créancier muni d'un titre exécutoire
constatant une créance certaine, liquide et exigible peut en poursuivre l'exécution forcée sur
les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d'exécution. Seulement,
le titre exécutoire doit contenir un certain nombre d’indications pour une exécution effective
et optimale. Ce qui fait du contenu du titre exécutoire, une condition ampliative à l’exercice
d’une mesure d’exécution forcée en dépit de la détention du titre exécutoire.

Erigé en principe directeur du droit de l’exécution forcée par la doctrine, la première


exigence réside dans la nomination du débiteur par le titre encore appelé principe de
personnalisation du débiteur dans le titre exécutoire2043. En vertu de ce principe, le débiteur
doit être identifié dans le titre, car le titre est « exécutoire à l’encontre d’une personne
déterminée »2044. Seul le débiteur mentionné dans le titre exécutoire pourra être l'objet d'une
mesure d'exécution forcée. En d’autres termes, lorsque le débiteur mentionné dans le titre est
une société, les mesures d'exécution ne peuvent en aucun cas être exercées à l'encontre des
associés2045. Pour qu’un titre soit exercé contre les biens des associés, ceux-ci doivent être
inclus dans le titre et faire l’objet d’une condamnation en même temps que la société. Cette
désignation est incontestable parce qu’en l’absence d’une désignation précise du débiteur,
l’exécution pourrait présenter quelques incertitudes pour les créanciers et les risques contre
les tiers2046.

Considérant la deuxième exigence, le titre doit comporter une condamnation expresse


contre la personne à l’égard de laquelle l’exécution forcée est poursuivie. Ainsi en a décidé le
juge en cassant un arrêt qui ne condamnait pas formellement la personne visée dans le
titre2047. En conclusion, la condamnation prévue dans le titre doit être expresse et précise.
L’arrêt doit condamner le débiteur à payer une somme d’argent, restituer un bien, à faire ou à
ne pas faire. Bref, l’exécution demandée ne peut porter que sur ce qui est prévu dans le titre
exécutoire. Le titre doit aussi apporter des détails sur la dette pour laquelle l’exécution est
poursuivie. Elle est considérée par la doctrine comme la spécialité du titre2048. Selon cette
condition, le titre doit déterminer la créance à recouvrer, le montant. Un fois la condition
2043
S. Guinchard et T. Moussa, Droit et pratique des voies d’exécution, Op. Cit., n° 111.31.
2044
J. Fometeu, « Théorie générale des voies d’exécution OHADA », Op. Cit, n° 25.
2045
Civ. 2ème , 19 mai 1998. Le juge soutient que : « attendu que toute exécution forcée implique que le
créancier soit muni d'un titre exécutoire à l'égard de la personne même qui doit exécuter, et que le titre délivré à
l'encontre d'une société n'emporte pas le droit de saisir les biens des associés, fussent-ils tenus indéfiniment et
solidairement des dettes sociales, à défaut de titre exécutoire pris contre eux ».
2046
Cf. Tribunal régional hors classe de Dakar, Jugement n° 160, du 23 Janvier 2001, Omar Guèye c/ Aminata
Dramé, Marietou Dione, Malick Sèye, Ohadata J-05-94.
2047
Civ. 2ème , 21 mars 2002, Bull. civ. II, n° 56.
2048
J. Fometeu, « Théorie générale des voies d’exécution OHADA », Op. Cit.

422
remplie, elle empêche que soit substituée à ce titre, un autre titre portant sur une autre créance
lors de la saisie2049.

401. Certains titres exécutoires, pour bénéficier de force exécutoire au sein de l’OHADA
sont soumis à une procédure dite de reconnaissance et d’exécution au sein de l’Etat où
l’exécution doit être poursuivie, ou être exequaturée. L’exequatur désigne une « injonction
émanant d’une autorité d’un Etat qui a pour vertu d’incorporer dans l’ordre juridique
étatique qu’elle représente, un élément extérieur à celui-ci »2050. En d’autres termes, Il s’agit
de « la décision par laquelle un tribunal rend exécutoire sur le territoire national un jugement
ou un acte ». Ainsi, l’action en exequatur a pour objet et pour effet de conférer force
exécutoire à la décision ou à l’acte en vue de son exécution forcée dans l’ordre juridique
étatique ou régionale dans lequel l’exécution est recherchée. L’exequatur n’est pas en lui-
même un acte d’exécution, c’est un préalable à celui-ci. Le législateur OHADA consacre deux
régimes distincts d’exequatur. Celui des sentences de la CCJA et celui relatif aux actes
juridictionnels rendus par les juridictions des Etats parties.

402. Bien que rendues sur le fondement de l’application du droit des affaires OHADA,
droit commun des affaires de l’ensemble des Etats que couvre le Traité, les décisions de
justice rendues dans un autre Etat que celui où l’exécution est poursuivie, sont soumises aux
procédures de droit commun du droit international privé en vigueur dans chacun des Etats. Le
législateur n’a prévu aucun régime particulier en la matière, contrairement aux arrêts et
sentences rendues par la CCJA. Le jugement étranger n’a en tant que tel, comme le soutient
opportunément Marie Laure Niboyet et G. De Geouffre de La Pradelle, « valeur de norme
juridique que dans le système juridique dont il émane et à la condition d’avoir été
régulièrement rendu par les organes habilités à cet effet de ce système juridique »2051. Pour
avoir la valeur de norme juridique au sein du système étranger, il doit faire l’objet d’une
« réception » dans le système juridictionnel du for2052.

403. Il peut arriver que la décision d’exequatur ne relève pas de la compétence d’une
juridiction nationale. De la demande d’exequatur à l’apposition de la formule exécutoire, la
connaissance des sentences arbitrales rendues sous l’égide de la CCJA échappe à la
compétence du juge étatique. C’est dire que sa désignation ne remet pas en cause la

2049
Ibid.
2050
G. Cornu, Vocabulaire juridique, Op. Cit.
2051
Marie-Laure Niboyet et G. De Geouffre de La Pradelle, Droit international privé, Op. Cit. p. 520.
2052
Voir infra.

423
compétence exclusive de la CCJA pour rendre elle-même les décisions d’exequatur
concernant les sentences issues de l’arbitrage CCJA. Aux termes de l’article 25 du Traité,
« les sentences arbitrales rendues conformément aux stipulations du présent titre ont
l’autorité définitive de la chose jugée sur le territoire de chaque Etat Partie au même titre que
les décisions rendues par les juridictions de l’Etat. Elles peuvent faire l’objet d’une exécution
forcée en vertu d’une décision d’exequatur ». Le texte ajoute : « la Cour Commune de Justice
et d’Arbitrage a seule compétence pour rendre une telle décision ». Ainsi, les rédacteurs du
Traité donnent compétence exclusive à la CCJA pour rendre cette décision d’exequatur dans
l’espace OHADA. Juridiction commune par excellence, l’exequatur de la CCJA confère à la
sentence arbitrale un caractère exécutoire dans tous les Etats parties, conséquence de la
compétence territoriale de la haute Cour. Pour caractériser cette éviction des juridictions
nationales, la doctrine a parlé d’« exequatur communautaire »2053. Même si, celle-ci semble
ne concerner que les sentences rendues sous l’égide de la CCJA 2054 , à l’exclusion des
sentences rendues dans le cadre d’un arbitrage traditionnel bien que ayant l'autorité de la
chose jugée relativement à la contestation qu'elle tranche2055 reste soumise pour son exécution
forcée à l’obtention d’une décision d'exequatur rendue par la juridiction compétente dans
l'Etat Partie2056. La circulation des jugements et arrêts rendus par les juridictions nationales
des Etats parties semble reléguée au second plan à l’opposé des sentences arbitrales CCJA.

Au-delà des titres exécutoires et de son droit commun, une question demeure, y a-t-il
un préalable à l’exécution forcée ?

2. Le préalable à l’exécution forcée

404. Le droit à l’exécution forcée regroupe l’ensemble des moyens légaux dont dispose un
créancier, porteur d’un titre exécutoire, qui souhaite obtenir l’exécution des obligations dont il
2053
Amadou Dieng, « Panorama pratique du droit ohada : quels enjeux pour les avocats ? L’exequatur des
decisions et sentences CCJA », Colloque OHADA de barreau pluriel, 26 novembre 2009. L’exequatur des
sentences CCJA n’est cependant pas automatique ; il peut être refusé. Voir Article 30 (5 et 6) du Règlement
d’arbitrage de la CCJA.
2054
Ces dernières, malgré l’exequatur communautaire doivent encore subir une autre procédure l’apposition de
la formule exécutoire au sein de l’Etat où l’exécution de la sentence est poursuivie. La doctrine a soulevé avec
insistance le demi-poids deux mesures de l’exécution forcée des sentences arbitrales CCJA bénéficiant de
l’exequatur communautaire, mais dont les formules exécutoires restent nationales. Une doctrine autorisée
souligne que : « si on veut vraiment que les autorités nationales, qui peuvent être imprévisibles, ne remettent en
cause les mérites du système, on devrait concevoir une formule exécutoire communautaire … si on enlève aux
autorités nationales le pouvoir de contrôler la régularité des sentences CCJA, on doit aussi leur enlever toute
possibilité de paralyser l’exequatur sous le prétexte de la vérification de l’authenticité du titre ». Amadou
Dieng, « Panorama pratique du droit ohada : quels enjeux pour les avocats ? L’exequatur des decisions et
sentences CCJA », Op. Cit.
2055
Article 23 AUA.
2056
Article 30 et suivants AUA.

424
est créancier 2057 . Il s’agit des voies de droit, le plus souvent des saisies, qu’un créancier
confronté à la résistance de son débiteur peut mettre en œuvre. Le créancier ne peut faire
valoir son droit à l’exécution forcée qu’à défaut d’exécution volontaire de son débiteur c'est-
à-dire à défaut de paiement, acte par lequel tout débiteur exécute volontairement son
obligation. En effet l’article 28 alinéa 1 de l’Acte uniforme dispose que « A défaut
d’exécution volontaire, tout créancier peut, quelle que soit la nature de sa créance
contraindre son débiteur défaillant à exécuter son obligation à son égard ». Un élément serait
ainsi lourd de sens. Pour user des procédures légales mises à sa disposition, le créancier de
l’obligation de faire ou de ne pas faire doit faire face à un débiteur défaillant 2058 . Dit
autrement, le créancier doit s’assurer de la défaillance de son débiteur préalablement à la mise
en œuvre de toute mesure d’exécution. Ce qui soulève nécessairement une question ; à quel
moment peut-on légitimement parlé d’une défaillance du débiteur ? La question semble
évidente, en cas de non respect des délais à lui assignés ou convenus pour exécuter son
obligation2059. La question qui mérite à notre avis réflexion serait comment procéder pour
établir la défaillance du débiteur ? Autrement dit, le silence du débiteur peut il être considéré
comme une défaillance de sa part ? Les rédacteurs de l’AUPSRVE n’ont pas répondu
expressément à la question. L’alinéa 1 de l’article 28 précité se limite à faire allusion à un
défaut de paiement volontaire et ce, quel que soit la nature de sa créance2060. La meilleure
technique reviendra donc à une mise en démeure préalable adressée au débiteur de remplir ses
obligations qu’elles soient de faire, de payer ou encore de donner. La mise en demeure2061 a

2057
Cf. Anne Leborgne, « Effectivité du droit à l’exécution forcée du créancier et silence des personnes
légalement requises », in Les Cahiers de droit, vol. 56 (3-4), 2015, pp. 447- 466.
2058
Le droit de l’exécution des obligations se distingue particulièrement des autres disciplines du droit,
notamment le droit de la responsabilité civile, du droit des suretés en ce qu’il ne s’intéresse au débiteur qu’une
fois établie sa défaillance.
2059
Les parties peuvent convenir d’un recouvrement amiable. Pour obtenir un paiement volontaire, le créancier
prend en ce sens l’initiative de certaines démarches pour inciter son débiteur à un paiement volontaire dans la
mesure où selon la règle générale posée par l’article 1247 al 3 du Code civil applicable, les dettes sont quérables
et non portables. Le recouvrement amiable revient à accomplir les démarches requises pour provoquer le
paiement.
2060
Il soumet cependant les saisie-vente (article 92-94), la saisie-attribution (article 219 et 220), la saisie des
droits d’associés et valeurs mobilières (article 237) et la saisie immobilière pus spécifiquement la mise de
l’immeuble sous main de justice (article 254 et suivants) à un commandement préalable.
2061
Au demeurant, lorsque le créancier tirera son droit d’une décision de justice, la mise en demeure empruntera
la forme de la signification de cette décision en vertu des dispositions du Code de procédure civile et
commerciale qui imposent la notification du jugement avant toute mise à exécution. Mais d’une manière plus
générale, la mise en demeure est l’acte par lequel le créancier d’une obligation demande au débiteur de remplir
son engagement le plus souvent par exploit d’huissier, même si l’histoire du formalisme de la mise en demeure
est celle d’un allégement croissant. V. en ce sens, Benoît GrimonPrez, Rép. Civ., Dalloz, vol., Mise en demeure,
n° 11. Au mieux, cette mise en demeure officielle incitera ledit débiteur à s’exécuter volontairement et, au pire,
elle établira la preuve de son inexécution, justifiant ainsi le recours du créancier à l’exécution forcée.

425
ceci d’intéressant qu’elle est un préalable nécessaire2062 parce qu’elle informe univoquement
le débiteur de la volonté de son créancier de rentrer en possession de son dû 2063 . Selon
quelques dispositions du Code civil applicable, la mise en démeure peut être réalisée, hors mis
les cas de sommation ou acte équivalent2064. Par conséquent, l’absence de réaction suite à
cette mise en demeure pourra être caractérisée comme une défaillance du débiteur. Son
silence constituera un acte d’impuissance à s’exécuter, voire une manifestation de son refus
de remplir ses obligations 2065 . Par ailleurs, le juge a décidé que la mise en demeure était
inutile lorsque le débiteur avait pris l’initiative de déclarer à son créancier qu’il refusait
d’exécuter son obligation2066.
Dans d’autres cas, les circonstances de la cause pourront révéler une renonciation
tacite des parties à l’exigence d’une mise en demeure. Il est ainsi lorsqu’elles auront par
exemple convenu que le débiteur de l’obligation sera mis en demeure par la seule échéance du
terme 2067 . En définitive, le silence comme parole peuvent tout aussi bien être considérés
comme des indices caractérisant la défaillance du débiteur dans la mesure où, a priori, la
défaillance constitue un fait matériel pouvant se manifester par une attitude passive, ou plus
active, allant jusqu’à la résistance. Dès lors, l’article 28 al.1 de l’AUPSRVE exige presque au
créancier, une obligation de constater la défaillance de son débiteur avant toute mesure
d’exécution forcée. C’est en droite ligne de cela qu’un juge béninois considère l’inaction du
débiteur requis ou « son absence de bonne volonté de s’acquitter de la dette » 2068 comme
preuve irrévocable de sa défaillance. Par ailleurs cette cristallisation de l’inexécution
volontaire du débiteur préalable à toute mesure d’exécution est présente dans les articles 39 al.
2 octroyant au débiteur requis un délai de grâce pour différer ou échelonner le paiement de la
dette et 179 et suivants sur la rémunération du débiteur. Un créancier prudent mettra donc son

2062
Anne Leborgne, « Effectivité du droit à l’exécution forcée du créancier et silence des personnes légalement
requises », Op. Cit.
2063
Ibid.
2064
Article 1139 « Le débiteur est constitué en demeure, soit par une sommation ou par autre acte équivalent,
soit par l'effet de la convention, lorsqu'elle porte que, sans qu'il soit besoin d'acte et par la seule échéance du
terme, le débiteur sera en demeure » et Article 1146 « Les dommages et intérêts ne sont dus que lorsque le
débiteur est en demeure de remplir son obligation, excepté néanmoins lorsque la chose que le débiteur s'était
obligé de donner ou de faire ne pouvait être donnée ou faite que dans un certain temps qu'il a laissé passer ».
Arrêt n° 31 du 7 mars 1972. Affaire Paredes et Lias c/ J. Ondoua ; Possibilité matérielle d’exécution – non
applicabilité de l’exception de l’article 1146 du code civil – nécessité d’une mise en demeure. Arrêt n°31 du 7
mars 1972, Bull. des arrêts de la CS du Cameroun Oriental, n° 26.
2065
Anne Leborgne, « Effectivité du droit à l’exécution forcée du créancier et silence des personnes légalement
requises », in Les Cahiers de droit, Op. Cit.
2066
Req. 4 Janv., 1927, D..1927.65. Com..14 Févr., 1967 ; Bull. civ. IV, n° 73.
2067
Com. 3 nov., 1972, Gaz. Pal. 1973. 533 (2e.arrêt).
2068
Cour d’Appel de Cotonou, arrêt n° 163/2001 du 21 Juin 2001, Affaire Société « A », Monsieur « B » c/
Société « C ». Ohadata J-06-142.

426
débiteur en demeure afin d’échapper à tout reproche de recours hâtif et donc abusif aux
mesures d’exécution forcée et le silence éventuel dudit débiteur rendra son action légitime2069.
Le droit à l’exécution forcée du créancier est un droit subjectif protégé 2070 . Aussi,
l’exigence légale du titre exécutoire n’est pas qu’une condition d’exercice de toute mesure
d’exécution forcée, il confère également à son titulaire, des avantages, mieux une garantie,
gage d’exécution de son droit subjectif à l’exécution forcée.

3. Les avantages certains du titre exécutoire

405. Le titre exécutoire donne au créancier le droit d’exercer les voies d’exécution (a),
justifiant ainsi le caractère contraignant attaché aux voies d’exécution (b).

a. Le droit d’exercer les voies d’exécution

406. Le droit à l’exécution forcée est reconnu à tout créancier pour lui permettre de
surmonter l’éventuelle défaillance de son débiteur. L’érection d’un droit à l’exécution forcée
cache mal son interdépendance avec le titre exécutoire. L’exigence de cet écrit va en effet
assurer au créancier la mise en œuvre de toutes les mesures pouvant entrainer son
désintéressement. C’est dire que la créance apparait comme l’objet du droit et inversement.
En s’inscrivant dans cette logique, le défaut de créance, en l’occurrence de titre exécutoire,
priverait le droit à l’exécution d’objet 2071 . L’interaction entre les deux est nette. Le titre
exécutoire n’est concevable que si celui-ci consacre un droit au profit d’un justiciable
l’encontre d’un autre. Pour toute exécution forcée de créance, le contrôle commence par la
détention du titre exécutoire. On ne saurait donc reconnaitre un droit à l’exécution à une
personne qui n’est pas créancière ou victime d’une infraction. Une créance ne peut exister que
si à la base, il y a un créancier2072. Le droit à l’exécution est indiscutablement lié au titre
exécutoire. Qu’il soit définitif ou provisoire, aucune mesure d’exécution ne saurait être
pratiquée si le créancier ne justifie de la titularité d’un titre exécutoire2073. Seul en effet, un
ordre souverain délivré par des autorités auxquels la loi attribue le pouvoir légal, peut
légitimer une mesure de contrainte, comme la mise en vente ou l’attribution de certains biens
appartenant au débiteur. Trait d’union entre la protection du débiteur et le souci de garantir

2069
Anne Leborgne, « Effectivité du droit à l’exécution forcée du créancier et silence des personnes légalement
requises », in Les Cahiers de droit, Op. Cit.
2070
A.D. Wandji Kamga, Le droit à l’exécution forcée. Réflexion à partir des systèmes juridiques camerounais
et français, Thèse, Op. Cit, p. 23.
2071
J. Fometeu, « Théorie générale des voies d’exécution OHADA », Op. Cit., p. 2062 et s.
2072
Ibid.
2073
C’est le sens des articles 28 et 32 de l’AUPSRVE.

427
une exécution de qualité, le titre exécutoire prémunit le créancier contre la résistance du
débiteur et protège ce dernier contre toute exécution abusive2074. Pour le dire autrement, pas
d’ « exécution forcée sans titre exécutoire » 2075 . En droit OHADA, c’est l’article 2 de
l’AUPSRVE qui fait ressortir le lien entre exécution forcée et titre exécutoire. Il affirme qu’«
à l'exception de l'adjudication des immeubles, l'exécution forcée peut être poursuivie jusqu'à
son terme en vertu d'un titre exécutoire par provision ». En le faisant, le législateur OHADA
rappelle, le principe de l'exécution forcée ainsi que sa condition : l’existence d'un titre
exécutoire. L’importance du titre exécutoire dans l’exercice des voies d’exécution apparaît
également clairement dès lors que l’acte de saisie doit, à peine de nullité, contenir
l’énonciation du titre exécutoire en vertu duquel la saisie est pratiquée. On peut citer à titre
d’exemple, l’article 157 al. 2 de l’AUPSRVE pour la saisie-attribution2076, l’article 237 al.
3 2077 du même texte dans le cadre de la saisie des droits d’associés et des valeurs
mobilières2078. Le défaut de ce dernier empêche l’exécution forcée2079. Le Tribunal régional
hors classe de Dakar a décidé qu'un créancier gagiste « ne peut, sans être muni d'un titre
exécutoire, faire procéder à la vente forcée des choses gagées » 2080 . Cette démarche
méthodique aussi bien du législateur que du juge justifie et suffit à considérer le titre
exécutoire comme un avantage certain entre les mains du créancier.

407. La logique de l’avantage et du lien entre le droit d’exercer des mesures d’exécution
forcée et le titre d’exécution se révèle encore plus en cas de dispense de l’autorisation
préalable du juge compétent. L’exercice d’une mesure conservatoire soumise à l’autorisation
préalable du juge est fondé en effet sur deux conditions cumulatives : une créance fondée et la
menace planant dans le recouvrement. Toutefois, le créancier qui dispose d’un titre exécution

2074
A.D. Wandji Kamga, Le droit à l’exécution forcée Réflexions à partir des systèmes juridiques camerounais
et Français, Op. Cit., p. 53.
2075
Le principe signifie que tout créancier qui engage une mesure d’exécution forcée doit disposer d’un titre
exécutoire. Selon l’indication apportée par le législateur français de la loi du 9 juillet 1991 en son article 2,
l'existence d'une créance certaine, liquide et exigible ne suffit pas pour justifier une mesure d’exécution forcée. Il
faut que la créance soit constatée par un titre exécutoire. Aux termes de cette disposition, « Le créancier muni
d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l’exécution forcée sur les
biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d’exécution ».
2076
Le créancier procède à la saisie par un acte signifié au tiers par l’huissier ou l’agent d’exécution. Cette
contient à peine de nullité selon l’alinéa 2 : « l’énonciation du titre exécutoire en vertu duquel la saisie est
pratiquée ».
2077
Huit jours après un commandement de payer demeuré infructueux, le créancier procède à la saisie par un
acte qui contient à peine de nullité : « l’indication du titre exécutoire en vertu duquel la saisie est pratiquée ».
2078
Cf. aussi dans l’AUPSRVE les articles : 91 pour la saisie-vente ; 153 pour la saisie attribution des créances ;
173 pour la saisie des rémunérations ; 218 pour la saisie-appréhension ; 247 pour la saisie immobilière.
2079
S. Guinchard et T. Moussa (dir.), Droit et pratique des voies d’exécution, Op. Cit., p. 3.
2080
Ordonnance Tribunal Régional Hors classe de Dakar, 25 nov. 2002, SFE c/ Ablaye DEME,
http://www.lexinter.net/jurafrique.

428
se trouve dispensé de l’autorisation préalable du juge 2081 . Dispense en conséquence de
laquelle deux types d’avantages s’ouvre à lui : le droit de concourir2082 et le droit d’inscrire
des sûretés 2083 . C’est donc un rôle, une dimension fondamentale qui est assignée au titre
exécutoire. Ce qui ne surprend pas, car la même hypothèse, cette interdépendance se retrouve
dans le caractère contraignant du titre exécutoire.

b. Le caractère contraignant

408. Le droit à l’exécution forcée repose essentiellement sur l’utilisation de la contrainte


pour assurer l’exécution des obligations. Le libre arbitre cède ici la place à l’usage de la force.
Le caractère contraignant qu’exerce le titre exécutoire est de deux ordres. Une contrainte
tournée vers le débiteur dont le patrimoine constitue l’assurance du créancier d’être payé.
Toute voie d’exécution quelle qu’elle soit – mesure conservatoire ou d’exécution – a
vocation à produire un effet de contrainte sur le débiteur saisi. Les personnes disposent de
biens divers et variés et le bien est une notion clé dans les procédures d’exécution. Chose
matérielle ou immatérielle susceptible d’appropriation légale, le bien peut donc faire l’objet
de contrainte. La contrainte résulte de l’indisponibilité des biens objets de la saisie.
L’indisponibilité est une interdiction légale qui « ôte au débiteur la faculté de disposer du
bien saisi »2084. Mais en soi, cette interdiction ne garantit pas à elle seule la représentation du
bien saisi. Aussi, l’indisponibilité s’accompagne t-elle d’un certain nombre de mesures et
d’actes visant à assurer son efficacité, dont les manifestations varieront selon le type de saisie
pratiquée2085. L’objectif étant de soustraire le bien à l’emprise du saisi. Tel est notamment
l’hypothèse lorsque la saisie exercée porte sur une part significative du patrimoine du
débiteur. L’illustration parfaite de la portée du caractère contraignant du titre est donnée par
les propos tenu par Bernard Tapie, célèbre homme d’affaire français après une saisie
conservatoire dont ses biens avaient fait l’objet dans l’affaire « arbitrage Adidas ». Il déclarait
en son temps qu’« à l'heure où je vous parle, alors qu'il n’y a aucun jugement, je ne peux plus

2081
V. Article 55 AUPSRVE.
2082
V. not pour plus de détails, M. Prudence Hounsa, Les actes juridiques privés exécutoires. Droit français /
Droit OHADA, Thèse, Droit, Université Paris Ouest Nanterre la défense, 2015, p. 76.
2083
L’article 133 de l’AUPCAP prévoit par exemple l’hypothèque légale de la masse des créanciers qui peut
être prise dans les dix jours à compter de la décision judiciaire d’ouverture de la procédure collective à la requête
du greffier ou du syndic. Ainsi, le créancier dispensé de l’autorisation à la possibilité d’avoir un rang antérieur à
celui de la masse, le cas échéant.
2084
R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d’exécution, Op. Cit, n° 179.
2085
Mahougnon Prudence Hounsa, Les actes juridiques privés exécutoires. Droit français/Droit OHADA, Op.
Cit. p. 78.

429
vous faire un chèque de 10 euros »2086. Le gel de l’activité économique du débiteur produit un
impact sur l’économie, que le débiteur saisi soit un ménage ou une entreprise.
409. En outre, le créancier qui choisit de recourir à une procédure d’exécution manifeste sa
volonté d’obtenir paiement de ce qui lui revient et rapidement. La véritable exécution étant
celle sur laquelle le créancier est en droit de compter2087. Celle qui lui permet effectivement
d’être payé. Le souci de préserver les droits du créancier est ici clairement affirmé et assumé
par ce caractère contraignant. Et pour recouvrer une créance constatée dans un titre
exécutoire, le créancier ne manque pas dans l’Acte uniforme de modalités légales pour obliger
son débiteur par une saisie des biens lui appartenant en vue de se faire payer sur le prix obtenu
de la vente. C’est ainsi que généralement et en fonction de la nature de la créance, les
créanciers utilisent les saisies mobilières ou immobilières2088 pour garantir l’assurance d’être
payé réside. En d’autres termes, le créancier tire son assurance d’être payé de la simplification
des procédures de saisies mobilières qui lui permettent d’obtenir rapidement la concrétisation
de ses droits soit par une saisie-vente2089, une saisie-attribution des créances2090, ou encore une
saisie des rémunérations2091.

410. Le même constat peut être fait quelle que soit ce qui précède. L’exécution d’un acte
dépend d’un autre. Le droit à l’exécution de la garantie du d’accès à un tribunal, l’exécution
forcée ou par provision de la détention du titre exécutoire. Pour le dire autrement, l’exécution
d’un acte nécessite un acte dérivé. Ce qui donne de la licéité à l’action entreprise ou
envisagée. Les titres d’exécution ainsi font partie de cette catégorie de conditions nécessaires
pour pratiquer une mesure d’exécution. Le retrait de ce titre entraine la responsabilité de
l’auteur de la mesure d’exécution entreprise. C'est la démonstration qu'un titre exécutoire, son
obtention ou son retrait, a un impact indubitable sur les mécanismes et techniques de
l’exécution, dont les voies judiciaires doivent en garantir l’efficacité.

2086
Disponible sur http://lci.tf1.fr/france/bernard-tapie-au-20h-de-tf1-ce-soir-8122843.html cité par Mahougnon
Prudence Hounsa, Op. Cit., p.79.
2087
R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d’exécution, Op. Cit., n° 112.
2088
Sur la question particulière de la saisie immobilière, il s’agit d’une procédure complexe, longue et coûteuse.
Essentiellement judiciaire, elle veille à assurer à la fois la protection du débiteur qui est exproprié à l’issue de la
procédure et celle du nouvel acquéreur qui devra en avoir pleinement jouissance. Le créancier est contraint de se
soumettre au strict respect des dispositions légales sans avoir la possibilité d’y déroger au moyen de clauses
contractuelles selon les articles 246 et suivants de l’AUPSRVE. Pour une étude complète sur le sujet, voir Diouf
Ndiaw, « Saisie immobilière », disponible sur www.bj.refer.org.
2089
Cf. Article 91 à 146 de l’AUPSRVE.
2090
Voir les articles 295 à 316 du CPCC.
2091
Article 174.

430
SECTION II. LES VOIES JUDICIAIRES DE L’EXÉCUTION

411. Tout titre exécutoire est disposé à être exécuté. C’est une exigence ontologique et
téléologique. Le souci de cette exigence est clairement perçu dans le procès. Ce qui compte
pour le créancier, précise R. Perrot, « ce n’est pas tant le brevet de satisfaction que constitue
la décision de justice que la réalisation effective du droit litigieux »2092, de son droit litigieux.
À cette fin, le procès est orienté vers l’effectivité de la fonction juridictionnelle, vers la
réalisation matérielle de la justice, pour que le créancier voie son droit effectivement satisfait,
voir enfin « la suppression de l’état » 2093 qu’il a combattu. Dans cet esprit, tout titre
exécutoire peut donner lieu à des actes de coercition auxquels certaines autorités sont parties
prenantes que nous désignerons sous le vocable de voies judicaires de l’exécution. En droit
des affaires OHADA, comme en droit camerounais, ces voies judiciaires sont caractérisées
par une dualité d’intervenants de l’exécution (Paragraphe I). S’il faut le rappeler, la bonne
administration de la justice implique indispensablement le respect de la chose jugée,
l’exécution des titres exécutoires, un curseur de l’autorité et de l’efficacité de la justice. Pour
assurer au justiciable la garantie de voir le jugement exécuté, l’exécution a été renforcée par
l’obligation de l’Etat de prêter son concours à l’exécution des titres exécutoires (Paragraphe
II).

Paragraphe I. La dualité des intervenants

412. Revêtu de l’imperium, le jugement peut, le cas échéant, être mis en oeuvre grâce à des
voies coercitives. Aux créancier et débiteur de l’obligation s’ajoutent deux acteurs
incontournables du droit de l’exécution : l’huissier de justice à qui est dévolu l’activité
monopolistique de l’exécution forcée des titres revêtus d’autorité (A) et les autorités
judiciaires (B) chargées d’assurer une certaine balance des droits.

A. Le monopole attribué à l’huissier de justice

413. L’histoire du droit occidental montre que l’autorité chargé de trancher les litiges a
toujours été accompagnée par d’autres acteurs juridiques. L’huissier de justice fait partie de
ces accompagnateurs. Seulement, le monopole dévolu à l’huissier de justice, « officier
ministériel » 2094 contraste avec les représentations sociales 2095 dont fait l’objet la fonction.

2092
R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d’exécution, Op. Cit., n° 13. Telle pourrait être l’origine du droit
de l’exécution, au reste tout aussi important, pour le créancier, que le droit du fond.
2093
G. De Leval, « Jurisprudence française en matière de droit judiciaire privé », R.T.D.C., 1979, p. 203.
2094
Article 1er du Décret n° 79/ 448 du 5 Novembre 1979 modifié par le décret n° 85/238 du 22 Février 1985
portant réglementation des fonctions et fixant le statut des huissiers au Cameroun.

431
Dans l’imagerie populaire, l’huissier est volontiers comparé à un individu distant, insensible,
rigide, procédurier, inflexible, exécutant sans broncher une décision de justice, celui par qui
passe dès son intervention, le malheur de la famille, la perte d’un immeuble, d’un véhicule
etc. On l’imagine du côté « de l’ordre établi, de la froide justice, un représentant de la
machine judiciaire chargé d’exécuter la basse besogne, mi bourreau mi-bureaucrate »2096.
Au-delà de cette image sombre, l’huissier de justice ou l’agent d’exécution est une pièce
essentielle du rouage, un facteur de l’efficacité de l’exécution forcée. Deux éléments justifient
le monopole de ce traditionnel accompagnateur. L’exclusivité de sa compétence à la fois en
matière d’exécution (1) et dans le déroulement des opérations d’exécution (2).

1. L’exclusivité de la compétence de l’huissier de justice en matière d’exécution

414. La profession d’huissier est très ancienne ; elle est faite de pratiques et de valeurs qui
datent de plusieurs siècles, si bien que certains se sont interrogés sur la véritable nature des us
qu’elle perpétue 2097 . Ses domaines d’intervention judiciaire (a) et extrajudiciaire (b)
permettent d’en faire un outil efficace.

a. L’intervention judiciaire

415. Etymologiquement, l’huissier est celui qui garde « l’huis », c’est-à-dire, la porte du
tribunal2098. Cette position charnière de l’huissier évoque le passage de l’enceinte judiciaire –
jurisdictio, où le droit est dit… mais il faut maintenant l’appliquer – vers la réalisation
effective du droit dans la situation concrète2099, c'est-à-dire l’exécution. Ce qui fait de cet
officier, le spécialiste de l’exécution. Les représentations sociales associées à la fonction
d’huissier de justice ou d’agent d’exécution ne sont pas à la hauteur de son utilité sociale
disait Matthieu-Fritz2100. Selon le lexique des termes juridiques, l’huissier de justice est un «
un homme de loi dont la mission est destinée à faciliter la marche de l’instance et la bonne
administration de la justice » 2101 . De ce fait, la qualité d’officier public ministériel et
l’autorité dont jouit l’huissier de justice, impliquent un statut spécifique qui se concrétise au

2095
Alexandre Mathieu-Fritz, « Les représentations sociales de la profession d’huissier de justice », Droits et
société, 2003/2, n° 54, pp. 491-515.
2096
Béatrice Fraenkel (responsable scientifique), David Pontille, Damien Collard, Gaëlle Deharo, Pratiques
juridiques et écrit électronique : le cas des huissiers de justice, Rapport final, Mission de recherche Droit et
Justice, Mai 2005, p. 8.
2097
V. Alexandre Mathieu-Fritz, Évolution et dynamique de la profession d’huissier de justice des années 1970
à nos jours, Thèse, Sociologie, Université Paul Verlaine - Metz, 2003.
2098
J.-P. Royer, Histoire de la justice en France, PUF, 2ème éd. 1996, n. 96, p. 146.
2099
Ibid.
2100
Alexandre Mathieu-Fritz, « Les représentations sociales de la profession d’huissier de justice », Op. Cit.
2101
Cf. Raymond Guillien et Jean Vincent, Lexique des termes juridiques, Op. Cit., p. 70.

432
plan de l’accès à la profession2102. L’huissier présente au Cameroun, la particularité de jouir
également du statut d’officier ministériel, c’est-à-dire de délégataire d’une parcelle de
puissance publique. En vertu de ce statut, l’huissier est encore au Cameroun, nommé par le
chef de l’Etat2103 et est en matière d’exécution lié aux particuliers sollicitant son office par un
mandat 2104 dont il le mandataire. Ses émoluments sont perçus en fonction du volume des
services effectués – et de tarifs fixés par l’État – et c’est à lui que revient la tâche de gérer son
office, encore appelée « étude ».

L’intervention judiciaire de l’huissier de justice regroupe l’ensemble des missions


qu’il doit exercer dans le cadre d’une procédure judiciaire. Dès l’instant où une telle demande
d’intervention lui est faite, l’huissier doit toujours y donner suite. L’intervention judiciaire de
l’huissier de justice s’articule essentiellement sur deux missions, la signification d’une part et
l’exécution des décisions de justice d’autre part. Selon l’article 1er du décret fixant le statut de
l’huissier de l’huissier de justice, les huissiers ont qualité pour : « a) accomplir, à la demande
des parties ou réquisitions du ministère public, certains actes nécessaires à l’ouverture et à
l’instruction des procédures ; b) exécuter les décisions de justice et tous actes susceptibles
d’exécution forcée ; accomplir tout acte prescrit par la loi ».

Concernant la signification, dans certaines circonstances, l’huissier de justice peut être


amené à signifier un acte, c’est-à-dire porter officiellement au débiteur ou à toute personne
légalement requise des actes de procédure le sommant dans les délais indiqués le paiement de
la créance, à l’exemple de la signification au tiers contre lequel une mesure d’exécution est
exercée, du certificat de non appel et de non opposition exigé à l’article 34 de l’AUPRSVE.
Ce peut être aussi l’hypothèse d’une décision portant injonction de payer2105 ou encore d’un
commandement de payer2106 précédant toute saisie-vente. La signification ici évoquée couvre
les actes aussi bien judiciaires qu’extrajudiciaires. L’essentiel de la mission de l’huissier en
matière de signification est de transmettre de manière solennelle à une personne un acte. Cette
transmission de l’acte traduit au mieux l’importance de la rencontre physique entre l’huissier
et le destinataire de l’acte sur lequel insiste généralement la législation applicable lorsqu’elle

2102
Voir Décret n° 79/ 448 du 5 Novembre 1979 modifié précité.
2103
Article 5 alinéa 6 du Décret n° 79/ 448 du 5 Novembre 1979 modifié par le décret n° 85/238 fixant le statut
des huissiers précité.
2104
En droit civil : « Acte par lequel une personne est chargée d’en représenter une autre pour
l’accomplissement d’un ou de plusieurs actes juridiques. Le mandat est conventionnel lorsqu’il résulte d’un
contrat conclu entre le représenté (ou mandant) et le représentant (ou mandataire). Il peut aussi résulter de la loi
ou d’un jugement », Raymond Guillien et Jean Vincent, Lexique des termes juridiques, Op. Cit., p. 350.
2105
Article 8 AUPSRVE
2106
Article 98 et suivants de l’AUPSRVE

433
oblige l’huissier de justice de faire toutes diligences pour parvenir à la délivrance de son
exploit à la personne même du destinataire, à son domicile et parfois même au lieu d’exercice
de la profession. Cette exclusivité de la signification des actes de procédures constitue le
prolongement de l’activité judiciaire sur le terrain, hors les murs de la juridiction.

Seul l’huissier de justice ou l’agent d’exécution le cas échéant, a qualité pour signifier
les actes de procédures. Il constitue l’un des principaux métiers juridique et judiciaire au
Cameroun. Toute délégation serait incompatible avec le statut des huissiers et le monopole
ainsi accordé. En ce sens, la conception qu’a Jacques Isnard de la signification mérite
naturellement d’être relevée à l’appui de ce monopole de l’huissier en matière de signification
des actes de procédure2107. La bonne exécution du mandat du législateur confié à l’huissier
consisterait donc à transmettre une information correcte, mais sa participation à la mission de
justice lui impose, en outre, une signification en bonne et due forme, en temps utile et de
manière à ce que le débiteur puisse procéder en connaissance de cause à sa défense s’il le
souhaite2108.

L’exécution des décisions de justice et autres actes susceptibles d’exécution forcée


constitue la trame principale de la fonction d’huissier de justice. Si l’exécution forcée semble
être la modalité d’exécution privilégiée par l’AUPSRVE, le jugement ou tout titre exécutoire
équivalent prévu par l’article 33 de l’Acte uniforme en constitue le point de départ. Lorsqu’il
agit en tant que spécialiste de l’exécution, l’huissier est revêtu d’un privilège pour exercer une
activité constituant une tache du service public. Sans titre exécutoire, l’huissier de justice ne
saurait procéder à cette exécution forcée. L’obligation pour l’huissier de justice d’exécuter les
décisions de justice et autres actes assimilés, fondé sur la loi, tire également son fondement de
la « formule exécutoire » mentionnée sur le titre exécutoire dont la teneur suit : « République
du Cameroun » « Au nom du Peuple Camerounais » et terminée par la mention suivante :
« En conséquence le Président de la République du Cameroun mande et ordonne à tous
Huissiers et Agents d'exécution sur ce requis de mettre le présent arrêt (ou jugement, etc...) à
exécution, aux Procureurs Généraux, Officiers de force publique de prêter main forte
lorsqu'ils en seront légalement requis ». « En foi de quoi le présent arrêt (ou jugement) a été

2107
« Au sens strict du concept de « signification », c’est-à-dire de remise physique d’un acte à son destinataire
par un officier ministériel ou un agent habilité ». J. Isnard, « Le destin de la signification : entre méthode
d’aujourd’hui et techniques de demain », Rev. Droit et procédure, Janvier-février 2004, p. 6.
2108
Loïc Cadiet, « L’exécution des jugements entre tensions et tendances », Op. Cit., p. 62.

434
signé par … »2109. Il est en mesure de recourir au concours d’un officier de police judiciaire
sur autorisation du parquet lorsque ses missions l’exigent2110.

416. En droit des affaires OHADA, le législateur a étendu la compétence de l’huissier


justice. Celle-ci comporte une vaste gamme d’activités. L’huissier de justice a compétence
d’exécuter en se fondant sur le titre exécutoire mis à disposition, les mesures d’exécution
suivantes : saisie des biens meubles corporels du débiteur entre les mains du débiteur ; saisie
des biens meubles corporels du débiteur entre les mains d’un tiers ; saisie des immeubles ;
saisie des rémunérations ; saisie entre les mains d’un tiers des créances du débiteur portant sur
une somme d’argent ; saisie des droits incorporels autre que les créances de sommes d’argent
dont le débiteur est titulaire ; appréhension des meubles corporels que le débiteur est tenu de
livrer ou de restituer au créancier en vertu d’une décision de justice exécutoire ; saisies des
véhicules terrestres à moteur ; saisie des aéronefs ; mesures conservatoires sur les biens
mobiliers corporels du débiteur ; mesures conservatoires sur les biens mobiliers incorporels
du débiteur, distribution des fonds aux créanciers provenant de la vente forcée d’un bien
mobilier ; saisie immobilière et la liste n’est pas exhaustive.

b. L’intervention extrajudiciaire

417. Le souci de protéger de façon optimale par l’exécution les droits du justiciable, se
traduit dans un autre domaine, notamment extrajudiciaire. Ce qui traduit à la fois un certain
engouement intéressé à garantir efficacement le droit à l’exécution, principe de sécurité
juridique et de prééminence du droit. L’intervention extrajudiciaire, rassemble l’essentiel des
missions conduites par l’huissier en dehors de toute procédure judiciaire. Elles vont du
recouvrement amiable de créances, aux constats, à l’exercice d’une activité de séquestre des
biens. Pour toutes créances non payées, il est possible de faire appel à un huissier de justice
qui tentera alors de recouvrer pour le compte du créancier, les sommes détenues par le
débiteur. Dans ce domaine, l’intervention porte essentiellement sur la délivrance d’une lettre
de sommation de payer communément désignée sous l’expression de « lettre de mise en
demeure », dans laquelle l’huissier de justice invite son destinataire à exécuter son obligation
de payer ou toute autre action selon la nature de la créance, dans un délai déterminé. La non
déférence du débiteur interpelé pourrait entrainer citation devant le juge. Le recouvrement à
l’amiable faite par l’huissier de justice se déploie dans un cadre relativement restreint qui
oscille entre les lettres de rappel, la suivie des mises en demeure adressées au débiteur, qui
2109
Cf. Article 61 CPCC et Article 11 de la loi de 2006 portant organisation judicaire.
2110
Article 2 du texte organique de la profession.

435
dans le meilleur des cas pourront aboutir à un encaissement2111. En d’autres termes, si l’agent
d’exécution fait face à une résistance du débiteur ou oppose une résistance au paiement
volontaire, le recouvrement cesse d’être amiable. Le danger de cette procédure de
recouvrement amiable réside dans la possibilité d’un dérapage du recouvrement amiable à un
recouvrement forcé en marge de la réglementation en vigueur2112.
Comme le souligne à fort opportunément Antoine Garapon, le cérémonial judiciaire
est imprégné de gestes et de signes auxquels la force de l’habitude a fait prendre la valeur
d’un rite 2113 . Caractéristique essentielle de la profession d’huissier de justice, le constat
d’huissier fait partie des actes que l’on peut ranger parmi les gestes d’habitude de l’huissier de
justice. Il s’agit d’un acte par lequel, à la demande du juge ou d’un particulier, l’huissier de
justice relate les constatations qu’il a faites. Celles-ci ne valent que comme simple
renseignement. Concrètement, l’huissier procède à la description d’une situation existante qui
peut parfois être provisoire. Il ne peut que constater ce qu’il peut percevoir au moyen de ses
sens. Il n’intervient donc pas comme expert et ne peut ni donner d’avis ni émettre de
jugement. Il doit rester le plus objectif possible, sans ne jamais pratiquer aucune forme
d’enquête2114. S’il faut le dire autrement, le constat est l’une des.

418. Enfin, l’huissier de justice exerce également en l’état actuel du droit camerounais en
particulier, les fonctions de commissaire-priseur2115. En tant que tel, il est chargé dans son
ressort, de procéder à l’estimation et à la vente aux enchères publiques de meubles et effet
corporels, y compris la vente publique des mobiliers d’un failli2116. Seules échappent à la
compétence de l’huissier-commissaire-priseur, les ventes effectuées à la diligence du service
des domaines2117. C’est-à-dire, aux ventes prescrites par la loi ou par décision de justice2118.
Dans le cadre de l’OHADA, l’huissier de justice est habilité à procéder entre autres, à la vente
aux enchères forcée des biens suivants : vente physique des biens mobiliers corporels et
incorporels saisis par huissier de justice ; vente physique des fonds de commerce saisis par

2111
R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d’exécution, Op. Cit., p. 56, n° 54.
2112
Ibid.
2113
A. Garapon, Bien juger. Essai sur le rituel judiciaire, Odile Jacob, 2001 cité par Gaëlle Deharo, « Les
pratiques professionnelles de l’huissier de justice : entre respect des règles processuelles et héritage culturel »,
in Béatrice Fraenkel (responsable scientifique), Op. Cit., p. 56.
2114
Gaëlle Deharo, « Les pratiques professionnelles de l’huissier de justice : entre respect des règles
processuelles et héritage culturel », Op. Cit.
2115
Article 1er alinéa 3du Décret du 5 novembre 1979 modifié par celui du 22février 1985 sur le statut des
huissiers de justice.
2116
Article 1er du Décret n° 61-84 du 06 Juin 1961, sur les fonctions de commissaire priseur.
2117
Ibid.
2118
Raymond Guillien et Jean Vincent, Lexique des termes juridiques, Op. Cit., p. 113.

436
huissier de justice par adjudication publique d’une part, la vente aux enchères publiques
volontaires d’autres part.

2. Les opérations d’exécution

419. Le monopole est manifeste lors des opérations d’exécution (a). Toutefois, en échange
des taches monopolistiques dévolues à cet officier ministériel, la conduite des opérations est
soumise à certaines obligations (b).

a. La conduite des opérations d’exécution

420. Prima facie, le ministère d’huissier est obligatoire en matière d’exécution forcée2119.
La loi lui impose d’apporter son concours toutes les fois qu’il est requis. De manière
singulière, en matière d’exécution, l’huissier de justice a la responsabilité de conduire les
opérations d’exécution. Le patrimoine du débiteur répondant de la dette de ce dernier, la
première étape de l’opération d’exécution consistera pour l’huissier de justice à obtenir des
informations sur le patrimoine du débiteur. L’exercice des poursuites contre le débiteur exige
du créancier qu’il dispose des informations sur la situation de son débiteur, informations sans
lesquelles aucune mesure d’exécution efficace ne pourrait être envisagée. La question est en
effet d’un intérêt capital singulièrement pour deux raisons. L’exhibition des patrimoines n’est
pas ancrée dans les mœurs des sociétés africaines, mais surtout le patrimoine a perdu de sa
transparence 2120 , apparition de biens nouveaux, importance des instruments bancaires, des
valeurs mobilières, dématérialisation de la propriété. Le patrimoine n’est plus exclusivement
constitué de biens fixes comme des immeubles, mais de plus en plus essentiellement de biens
meubles corporels et incorporels faciles à dissimuler, à déplacer et aisés à soustraire à une
éventuelle saisie 2121 . L’accès à l’information sur les biens lors de la phase d’exécution
constitue en effet au Cameroun, et cela ira en s’intensifiant, un véritable défi de l’exécution
effective des titres des difficultés d’accès à l’information, paralysant à l’occasion l’exécution.
Pour aller au-delà de cet écueil, le législateur exige de l’Etat qu’il prête son concours à
l’exécution des décisions de justice et autres titres exécutoires2122. Dans cette optique, l’Etat
pourrait offrir au créancier poursuivant un accès à des informations que détiendrait certaines
institutions publiques et parapubliques dans le but de limiter les difficultés inhérentes à cet

2119
Interprétation de l’Article 64 de l’AUPSRVE et du texte organique.
2120
R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d’exécution, Op. Cit., n° 20.
2121
Stéphane Piedelièvre, « Accès à l’information et accès à l’exécution », in Anne Leborgne et Emmanuel
Putman (dir.), Les obstacles à l’exécution forcée : permanence et évolution, Paris, EJT., 2009, p. 105 et s.
2122
Article 29 de l’AUPSRVE

437
accès à l’information. Informations que l’huissier de justice ne pourrait obtenir par ses propres
soins2123. L’inquiétude est d’autant plus importante qu’en droit camerounais en particulier,
l’huissier de justice ne dispose pas d’un accès aux informations relatives au patrimoine du
débiteur. De plus, aucune règle n’oblige le débiteur de fournir des informations sur son
patrimoine. Ce dernier se trouve conforté dans cette absence par la sauvegarde de sa vie
privée. La question de l’accès aux informations relatives au débiteur et à ses biens reste une
préoccupation doctrinale constante 2124 . Si l’obligation d’information du débiteur semble
absente du dispositif de l’AUPSRVE, sa coopération semble être requise sous forme
d’informations positives aux interrogations de l’huissier de justice ou à l’agent d’exécution.
On retrouve la déclinaison de cette obligation positive d’information dans les différentes
saisies mobilières2125.
L’obligation d’information positive du débiteur s’étend aux tiers sous la forme d’une
obligation de concours et de collaboration. Les tiers ne peuvent faire obstacle aux procédures
en vue de l’exécution ou de la conservation des créances. Ils doivent y concourir lorsqu’ils
sont légalement requis. Cette reconnaissance de l’obligation d’information a été réaffirmée à
plusieurs occasions dans le droit OHADA. Le manquement sans motif légitime à l’obligation
de collaboration est susceptible de déboucher sur une condamnation à verser des dommages-
intérêts2126. La consécration puise dans ces dispositions prend tout son sens. Le concours
prend la forme des réponses à des questions posées par l’huissier de justice. Sont concernés
par cette obligation de collaboration, non seulement les tiers entre les mains desquels la
mesure d’exécution est pratiquée, mieux encore, toute personne tiers à la mesure. La
généralité des termes usité en début d’article 38 de l’AUPSRVE laisse présager que tout
justiciable en relation avec le créancier ou le débiteur pourrait se trouver concerner par une
mesure d’exécution. Une relation peut dès lors être établit entre le devoir de collaboration des
tiers et l’obligation de chacun d’apporter son concours à la manifestation de la vérité dans le
procès civil.

421. A l’issue de la recherche des biens, l’huissier de justice doit pouvoir choisir le jour des
opérations d’exécution, l’heure, les personnes présentes aux opérations. Le législateur

2123
N. Casal, « L’huissier de justice à la recherche de l’information », Droit et procédure, 2003, p. 342 et S.
2124
Voir Anne Leborgne, « Effectivité du droit à l’exécution forcée du créancier et silence des personnes
légalement requises », in Les Cahiers de droit, Op. Cit. ; V. aussi, Françoise Andrieux, « L’information sur la
composition du patrimoine du débiteur : les voies possibles », Droit et procédure, 2010, pp. 74 et S. ; Stéphane
Piedelièvre, « Accès à l’information et accès à l’exécution », Op. Cit.
2125
Selon l’Article 64 AUPSRVE, l’huissier rappelle au débiteur qu’il est tenu de lui indiquer les biens ayant
fait l’objet d’une saisie antérieure ; Voir aussi de manière non exhaustive l’article 161, 99.
2126
Cf. Article 38, 80,81, 156 de l’AUPSRVE.

438
OHADA comme camerounais reprend les pratiques usuelles des modalités de poursuites par
lesquelles, aucune mesure d’exécution ne peut être effectuée un dimanche ou un jour férié
sauf dérogation spéciale et ce uniquement en cas de nécessité du juge de l’exécution2127. Les
opérations d’exécution ne peuvent d’avantage avoir lieu à n’importe quelle heure. En règle
générale, aucune mesure d’exécution ne peut être pratiquée avant huit heures et après dix huit
heures2128. L’AUPSRVE permet toutefois, qu’il soit dérogé à la règle de principe du délai fixé
à dix huit heures à dix neuf heures, non plus en cas de nécessité mais uniquement pour les
hypothèses où il s’agit de lieux ne servant pas à l’habitation du débiteur ou d’un tiers2129.
L’huissier de justice en charge des opérations d’exécution est tenu de se rendre sur les lieux
où sont situés les biens visés pour y procéder personnellement aux actes de saisies. En
d’autres termes, l’huissier ne peut déléguer les saisies faisant partie des actes de son
ministère2130. Le débiteur ou le tiers entre les mains desquels la saisie est pratiquée peut être
présent aux opérations. C’est le principe2131. Mais l’absence de l’occupant du local n’est pas
une entrave à l’exercice de la mesure d’exécution. En revanche, la présence du créancier
saisissant est exclue 2132 et pourrait être considérée comme une provocation 2133 . En toute
hypothèse, l’huissier doit inscrire sur le procès verbal les noms et prénoms, professions,
domiciles des personnes présentes aux opérations et celles-ci doivent y apposer leurs
signatures2134.

b. Une conduite des opérations soumises à des obligations

422. A l’expression de Montesquieu qui considérait que le juge est la bouche de la loi, s’est
ajoutée l’huissier considérée comme le bras de la justice chargé de mettre en œuvre
l’imperium en tenant le glaive qu’il représente2135. En tant que tel, il est astreint à certaines
obligations. La force et l’efficacité de la justice à garantir la régularité des procédures et
l’efficacité des mesures d’exécution en dépendent. Cette finalité justifie les limitations
étatiques propres à concilier les intérêts des personnes concernées par l’exécution et à assurer
le respect des intérêts de chacune d’elles. L’huissier intervenant en tant que mandataire, a

2127
Article 46 alinéa 1 AUPSRVE.
2128
Article 46 alinéa 2 AUPSRVE.
2129
Ibid.
2130
Article 11 alinéa 2 du décret camerounais de 1985 sur le statut des huissiers de justice et article 41 de l’acte
uniforme.
2131
Article 42 AUPSRVE.
2132
Article 46 alinéa 2 AUPSRVE.
2133
Com. 8 juillet 2008, n° 07-15.075, Bull. civ. IV, n° 142 ; Droit et procédure 2009. 37, note Hugon.
2134
Article 44 AUPSRVE.
2135
Gaëlle Deharo, « Les pratiques professionnelles de l’huissier de justice : entre respect des règles
processuelles et héritage culturel », Op. Cit. p. 60.

439
l’obligation d’agir en raison de cette qualité avec honnêteté et loyauté dans le meilleur de son
mandant et d’éviter des situations de conflits d’intérêts2136. Dans le cadre de l’exécutions des
décisions et titre exécutoires, il est astreint à des obligations spécifiques notamment, tenu
d’exécuter fidèlement et loyalement les ordres de la Cour, astreint à l’obligation
d’impartialité. Celle-ci constitue l’un des principes cardinal de l’intervention de l’huissier. Il
doit exercer son ministère de façon impartiale. Pour garder son impartialité, l’huissier ne peut
instrumenter pour lui-même, son ou ses conjoints, ses parents et alliés jusqu’au degré de
cousin germain inclusivement2137. Le législateur s’est limité à une conception subjective de
son impartialité, à savoir des liens de parenté ou d’alliance, qu’il peut entretenir avec son
mandant. Cette exigence s’étend aux personnes, notamment aux témoins dont l’huissier de
justice peut se faire assister. Le législateur précise que ces derniers2138 dont les noms, prénoms
professions et domiciles sont mentionnés sur le procès-verbal ne doivent être ni parents, ni
alliés en ligne directe des parties, ni à leur service 2139 . La question de l’impartialité
fonctionnelle de l’huissier de justice a été posée en jurisprudence, à l’occasion de l’exécution
d’une décision d’un conseil de prud’hommes. L’huissier de justice avait siégé au sein de la
juridiction en sa qualité d’élu au collège employeur. Une demande en annulation des actes de
saisie-attribution et des commandements à fin de saisie-vente pratiqués par cet huissier fut
introduite auprès du juge en charge du contentieux de l’exécution. Ce dernier décide que, les
huissiers n’étant pas interdits de siéger dans le collège employeur des conseils de
prud’hommes, il en résultait qu’ils pouvaient être amenés à exécuter les décisions sur
lesquelles ils avaient délibéré2140. En revanche, le principe de la subordination entre huissiers
de justice et magistrats du parquet poser par les articles 40 et suivants du texte organique est
susceptible de constituer une entorse et porter de sérieuses limites à l’impartialité de
l’huissier. Selon certains témoignages d’huissiers de justice camerounais, « certains membres
du ministère public, se servent de leur téléphone, ordonnent parfois aux huissiers de justice
de ne pas exécuter ou d’arrêter l’exécution même commencée d’un titre exécutoire ». Cette
attitude qu’il faut regretter, sape un processus d’exécution qui est loin d’être irréprochable
quand le parquet général prend fait et cause pour un justiciable. Le parquet, censé être un
organe de surveillance, va ainsi limiter la portée de l’exécution. L'arrêt intempestif de

2136
Anne Leborgne, « Effectivité du droit à l’exécution forcée du créancier et silence des personnes légalement
requises », Op. Cit.
2137
Article 43 du décret de 1985 relatif au statut des huissiers de justice.
2138
Article 44 AUPSRVE.
2139
Cass.civ. 1ère, 26 janvier 1999.
2140
Voir TGI Fontainebleau, JEX, 8 février 2000.

440
l'exécution sans ménagement pour l’honorabilité des huissiers de justice, discrédite la justice
toute entière.

423. L’intervention de l’huissier est plein de symboles : l’huissier assure sur le terrain de
l’exécution, la loi ; il incorpore la justice et doit en cela marquer la conscience du
justiciable 2141 . En contrepartie de la parcelle de puissance publique qui lui est dévolue,
l’huissier, la fonction est protégée. La protection légale de l’huissier n’est que le
prolongement de la mise en œuvre de l’impérium. Un vieil arrêt de la Cour de cassation
française siégeant en Assemblée plénière illustre avec acuité cette protection légale. Un
individu chez qui l’huissier s’était introduit pour pratiquer une expulsion en passant par une
fenêtre entrebâillée a saisi le juge pour violation de domicile arguant au soutien de sa
prétention que le ministère public était le seul dépositaire du « pouvoir d’user de la
violence ». La juridiction retint dans sa décision que l’huissier avait agit sans « méconnaitre
les formalités prescrites par la loi », les éléments constitutifs de l’infraction pénale n’étant
pas réuni, l’huissier avait agi pour procéder à l’exécution d’une décision judiciaire et sur le
fondement d’un titre revêtu de la formule exécutoire2142. Les dispositions des articles 42 et 43
de l’acte uniforme n’est que la consécration en droit OHADA de ce principe, lorsqu’ils
prennent en compte l’hypothèse d’une mesure d’exécution pratiquée en l’absence du débiteur
ou de toute autre personne se trouvant dans les lieux. L’huissier dispose ainsi, de la puissance
nécessaire que lui confère son statut d’officier ministériel public pour accomplir les
différentes missions qui ressortissent de sa compétence. En retour de l’obligation d’observer
les formalités de la loi dans le cadre de son travail, lui est reconnu protection légale pour un
exercice serein de son ministère. En somme, d’un point de vue substantiel, la qualité de
professionnel de l’huissier de justice lui impose, à l’instar de tout autre professionnel, les
obligations de loyauté, d’information, d’impartialité, de conseil et de renseignements2143.

La consécration du droit d’accès à un tribunal sans droit à l’exécution des jugements


ne serait qu’un ombre 2144 . Saisir le juge est un droit fondamental. C’est aussi chercher à
satisfaire un besoin, un résultat économique et/ou social2145. Dans cette dynamique de garantie
des droits, l’huissier de justice est un acteur essentiel du procès dont il assure l’exécution

2141
Gaëlle Deharo, « Les pratiques professionnelles de l’huissier de justice : entre respect des règles
processuelles et héritage culturel », Op. Cit.
2142
Cass. Ass. Plén., 16 décembre 1974, JCP 1975.
2143
Gaëlle Deharo, Op. Cit. p. 67.
2144
G. Deharo, « La responsabilité civile de l’huissier de justice », in Pratiques juridiques et écrit électronique :
le cas des huissiers de justice, Op. Cit., p. 149 et s.
2145
Gaëlle Deharo, « La responsabilité civile de l’huissier de justice », Op. Cit., p. 149 et s.

441
effective dans la situation concrète. Il doit donc s’attacher comme le souligne fort
heureusement le Professeur Gaëlle Deharo « à faire exécuter la sentence, c’est-à-dire faire
respecter les droits du créancier, tout en entendant les protestations du débiteur, c’est-à-dire
son propre droit à une procédure équitable » 2146 . La profession fait face cependant au
Cameroun, à un environnement délicat2147.
Le monopole de l’huissier de justice en matière d’exécution est garant du service
public de la justice. Si effectivement l’huissier de justice œuvre donc dans l’intérêt d’une
bonne administration de la justice, il partage dans notre architecture juridique et judiciaire
cette caractéristique avec d’autres autorités judiciaires.

B. Les autorités judiciaires

424. Chargés au même titre que l’huissier de justice d’assurer une exécution effective des
décisions de justice, et la protection des droits des parties, il s’agit essentiellement du juge du
contentieux de l’exécution (1), du ministère public (2).

1. L’institution d’un juge de l’exécution

425. Pour saisir pleinement la portée de la naissance d’un juge du contentieux de


l’exécution, nous nous apaisentirons essentiellement sur sa compétence (a) et sur la procédure
devant cette autorité (b).

a. La compétence du juge institué

426. Dès les premières stipulations du préambule du Traité, la perspective d’une meilleure
exécution des décisions de justice et autres titres exécutoires voyait le jour. En effet, dans ses
points 3 et 4, le Traité prévoyait déjà que : « […] la mise en place dans leurs Etats d’un Droit
des Affaires harmonisé, simple, moderne et adapté, afin de faciliter l’activité des entreprises
[…] », les Etats, « […] conscients qu’il est essentiel que ce droit soit appliqué avec diligence,
dans les conditions propres à garantir la sécurité juridique des activités économiques […] ».
Un juge spécial naquit ainsi dans l’acte uniforme sur les procédures simplifiées de
recouvrement et voies d’exécution, et prit le nom de juge du contentieux de l’exécution
(JCEX). En vertu de l’article 49 al. 1 du droit de l’exécution OHADA, « la juridiction
compétente pour statuer sur tout litige ou toute demande relative à une mesure d’exécution
forcée ou à une saisie conservatoire est le président de la juridiction compétente statuant en

2146
Gaëlle Deharo, « La responsabilité civile de l’huissier de justice », Op. Cit.
2147
Voir supra, première partie.

442
matière d’urgence ou le magistrat délégué par lui ». L’idée en fut directement reprise au sein
des règles normatives camerounaises, bien que le rédacteur du texte de 1997 relatif à
l’exécution des décisions de justice précité, n’ait pas suivi les rédacteurs de l’article 49. Cette
disposition confère au juge de l’exécution, juge unique, une mission tout aussi complexe, que
très originale. Il appert de cette formule compétentionnelle, la diversité des attributions de ce
juge. L’exécution étant la phase à l’occasion de laquelle généralement se développent de
nombreuses contestations. Aussi, le texte semble précis, le juge du contentieux de l’exécution
est chargé de la résolution de toute contestation, difficulté qui surviendrait aussi bien en
matière d’exécution forcée, qu’en matière d’exécution provisoire. Pour le dire autrement, la
compétence du JCEX se manifeste sous le signe de la « concentration »2148 , la constitution,
au profit de ce juge, d'un véritable bloc de compétence2149. Il centralise entre ses mains une
mosaïque de fonction, pour ne pas dire la quasi-totalité du contentieux en matière d’exécution
forcée.
Le JCEX c’est d’abord une compétence juridictionnelle classique. Il est compétent
pour statuer sur tout litige ou toute demande relative à une mesure d’exécution forcée ou à
une saisie conservatoire. La compétence et les pouvoirs de ce juge sont dans l’ensemble assez
bien circonscrits. Pour le dire autrement, il est le juge des difficultés ou de toute contestation
relative à l’exécution d’un titre exécutoire ou d’un jugement2150. Celles-ci forment la matière
de sa compétence. Concept que le législateur camerounais fait référence à plusieurs
reprises 2151 . Seulement, ni le législateur du Code de procédure civile et commerciale
camerounais, ni le législateur du droit uniforme, ne s’emploient à définir la notion de
« difficultés d’exécution » des décisions de justice. Que recouvre-t-elle, quel en est le
contenu ? 2152 Pour systématiser la notion la doctrine définit le concept dans les termes
suivants : « ensemble des obstacles juridiques opposés par les parties ou un tiers à
l’exécution des titres exécutoires justifiant, au nom de l’ordre public, le recours au juge des
référés »2153. Il s’agit donc en réalité des oppositions, contestations émises par toute personne
ayant vocation à empêcher toute exécution forcée d’un titre exécutoire. Si la compétence de
2148
J. Normand, « Le juge de l’exécution », RTD Civ., 1993, p. 31 et s.
2149
Ibid.
2150
Article 182 du Code de procédure civile et commerciale, « Dans tous les cas d'urgence, ou lorsqu'il s'agira
de statuer provisoirement sur les difficultés relatives à l'exécution d'un titre exécutoire ou d'un jugement, il sera
procédé ainsi qu'il va être réglé ci-après ».
2151
Voir Article 292 du CPCC, loi du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire, loi Du 19 avril 2007
instituant le juge du contentieux de l’exécution et fixant les conditions d’exécution au Cameroun des décisions
judiciaires et actes publics étrangers, ainsi que les sentences arbitrales étrangères.
2152
Sur l’emploi et les péripéties du concept en droit camerounais voir M. Sophie Tchos, Les difficultés de
recouvrement des décisions de justice en matière de recouvrement des créances en droit Camerounais, Mémoire
Master, Université Catholique d’Afrique Centrale, 2011.
2153
J. Vincent et R. Guillien, Lexique des termes juridiques, Op. Cit.

443
ce juge spécial est volontairement circonscrite par le terme « difficultés », nous pensons qu’il
s’agit en réalité d’une véritable juridiction. Le JCEX connait de l’intégralité des contestations
ou oppositions relatives au contentieux de l’exécution. Le législateur français pour prendre la
pleine mesure de l’office de ce juge, le désigne comme « le juge de l’exécution »2154. L’article
49 de l’AUPSRVE confère à l’office de ce juge, la résolution de tout litige relatif à une
mesure d’exécution ou saisie conservatoire. Il s’est vu doté de fonctions très diverses qui vont
du contentieux sous toutes ses formes au gracieux. Il tranche ainsi sur le fond, sur le
provisoire, au principal. Dans ce sens il est compétent lorsque sa saisine porte sur des
demandes tendant à prononcer des mains levées des saisies, des demandes relatives aux délais
de grâce, du contentieux de la propriété des biens sur lesquels l’exécution forcée est
exercée 2155 . Une question s’élève pourtant. Est-il question du fond du droit substantiel
régissant l’obligation ou, plutôt des difficultés concomitantes ou postérieures à l’exécution ?
Le contenu de l’article parle expressis verbis de toute demande relative à une mesure
d’exécution forcée. La question s’est posée devant le juge français. La Cour de cassation a
précisé que « le juge de l’exécution ne peut être saisi de difficultés relatives à un titre
exécutoire qu’à l’occasion des contestations portant sur les mesures d’exécution forcée
engagées ou opérées sur le fondement de ce titre, et n’a pas compétence pour connaître de
demandes tendant à remettre en cause le titre dans son principe, ou la validité des droits et
obligations qu’il constate »2156. En précisant comme l’a fait la plus haute juridiction française
de l’ordre judiciaire, celle-ci pose l’étendue et les limites 2157 des pouvoirs de l’office du
JCEX. Pour être plus concret, peuvent être considérées comme difficultés pouvant fonder la
saisine du JCEX, l’ensemble des hypothèses où le ou les débiteurs contesteraient le caractère
exécutoire du titre ; les obstacles matériels auxquels se heurte par exemple l’huissier de
justice pendant l’exécution d’un titre exécutoire ou encore des imprécisions sur
l’identification de la personne contre laquelle la mesure est exécutée 2158 ; la régularité

2154
Voir Loi française n° 91-950 du 09 Juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution.
2155
Voir H. Tchantchou, « Le contentieux de l’exécution et des saisies dans le nouveau droit OHADA (l’Article
49 AUPSRVE) », Juridis périodique, n° 46, Avril-mai-juin, 2001. Ohadata, D-03-17.
2156
Cour de cassation, Avis n° 09-50.008 du 16 juin 1995, Bull. avis n° 9, 1er août 1995 RTD civ. 1995.
2157
L’avis de la cour de cassation rappelle avec rigueur qu’il n’entre pas dans les compétences du JEX français
de remettre en cause la décision de justice servant de fondement aux poursuites (Civ. 2e, 24 septembre 1997, n°
95-13.386, Bull. civ. II, n° 233), encore moins les droits et obligations constatés par ce titre (Cass. 2e civ., 13
septembre 2007, n° 06-13.672, Bull. civ. II, n° 219 ; D. 2007, 2395, note Avena-Robadet), d’en aménager
l’exécution, d’en modifier le dispositif ou encore d’en suspendre la force exécutoire. Mais il lui est reconnu en
matière de titre judiciaire le pouvoir et le devoir d’interpréter le dispositif du jugement dans le but de déterminer
les causes de la saisie, en précisant par exemple, que la condamnation au paiement produira de plein droit
intérêts à compter de la demande (Civ. 2e, 23 septembre 2004, Bull. n° 416). Bref sur la question son office porte
sur la validité du titre, l’efficacité de la saisie.
2158
La force exécutoire du titre est limitée à l’encontre des personnes auxquelles il est opposable, au profit de la
personne qui peut s’en prévaloir. Voir supra.

444
procédurale des opérations d’exécution, des difficultés nées postérieurement au titre
exécutoire, à l’exclusion du contentieux qui se situe en amont de ce titre ; il a compétence
pour statuer sur l’existence ou non d’une immunité d’exécution2159, sur le caractère saisissable
ou non d’un bien ou encore prononcer la nullité d’un acte de procédure intervenu à quelque
étape que ce soit dans la saisie2160. Il entre dans les pouvoirs du JCEX de connaitre de toutes
ces difficultés et contestations et de façon globale des incidents de nature à remettre en cause
d’une mesure pratiquée 2161 . Il est en somme, le juge de la régularité et de la validité des
mesures d’exécution, car il doit trancher les incidents contentieux, délivrer des autorisations et
apporter des solutions aux difficultés matérielles d’exécution2162. En faisant référence à la
jurisprudence et à la position de la doctrine2163 sur l’étendue des pouvoirs du JCEX, ce sont en
conclusion toutes les voies d’exécution et toutes les contestations de fond et de forme de
même que tous les incidents de saisie en la matière qui peuvent fonder la saisine du juge
OHADA du contentieux de l’exécution. Quoi de naturel d’arriver à la même conclusion à
laquelle est parvenue le Professeur Jacques Normand2164, selon laquelle, le JCEX exerce en
définitive une fonction juridictionnelle classique, une fonction modératrice, une fonction
conservatoire, une fonction juridictionnelle d’urgence et même une fonction régulatrice, car
proche de l’agent chargé sur le terrain de l’exécution.

427. Compétence exclusive et d’ordre public2165, un magistrat y a vu la preuve que « le


législateur OHADA tant la lettre que dans l’esprit de l’article 49 de l’Acte uniforme,
manifeste sa volonté de confier le contentieux de l’exécution à une juridiction spéciale
statuant certes en forme de référé (en ce qu’il traite de l’urgence), mais non plus comme juge
provisoire, plutôt comme juge du fond ou du principal »2166. Pour nous, il faut voir dans le
contenu de l’article 49, les éléments du souci de l’aménagement du droit à une bonne
exécution des décisions de justice à travers l’érection et la spécialisation d’un juge de

2159
TPI Ngaoundéré, ord. référé n°3/ord. du 3 décembre 1999, Affaire Université de Ngaoundéré c. Nang
Mindang Hyppolyte, Juridis Périodique n° 44, p. 31, obs. J. Fometeu.
2160
TPI Yaoundé, ord. référé n° 183 du 8 décembre 1999, Rev. Cam. Dr. Aff. n°3, p.59. La nullité a été
prononcée pour incompétence de l’huissier instrumentaire.
2161
R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d’exécution, Op. Cit, n° 318.
2162
Francine Bardy, « L’office du juge dans les mesures d’exécution mobilières », in Colloque sur L’office du
juge de l’exécution dans les procédures civiles d’exécution, précit. p.35-42.
2163
V. Guy-Auguste Likillimba, « Le juge du contentieux de l’exécution en droit OHADA », Bulletin de Droit
Economique, 2017, 2.
2164
J. Normand, « Le juge de l’exécution », Op. Cit.
2165
Ibid.
2166
Félix Onana Etoundi, « La problématique de l’unification de la jurisprudence de la Cour Commune de
Justice et d’Arbitrage », éd. « Droit au service du développement », février 2008, p. 231 ; Joseph Djogbenou,
« Le juge institué par l’Article 49 Alinéa 1er de l’AUPSRVE à la lumière de la jurisprudence de la CCJA »,
www.ohada.com.

445
l’exécution ; la restriction de ses compétences aux difficultés de l’exécution, l’abrègement des
voies de recours, gage de la recherche de célérité.

428. Par ailleurs, l’idée d’un juge de l’exécution qui constitue l’axe de la réforme en
matière civile et commerciale n’est pas totalement étrangère au droit répressif camerounais.
Le législateur pénal de 2016 fait systématiquement recours d’un juge pénal de l’exécution
pour tout « refus d’exécuter une décision de justice devenue définitive » 2167 . La mise à
exécution de la sanction pénale est assurée par la juridiction de jugement. La compétence de
la fonction exécutive comme en droit OHADA est attribuée aux présidents de la juridiction.
Aux termes en effet de l’article 545 alinéa 1 du Code pénal camerounais, « les Présidents des
Cours et Tribunaux doivent s’assurer de l’exécution des décisions et ordres de leurs
juridictions ». Le juge pénal de l’exécution se présente tel qu’érigé par le Code pénal sous le
double signe de la rectification 2168 et de l’interprétation 2169 . La rectification dont il est
question ici se manifeste en cas d’erreur matérielle entravant l’exécution de la décision.
L’article 548 exclu expressément la rectification de la substance qui elle peut faire l’objet
d’une voie normale de recours. Quant à l’interprétation, la requête introduite à cette fin n’a
pour objet que de remédier à une décision « obscure ou ambigüe » à partir de ses seuls motifs
sans en altérer la substance2170.

b. La procédure devant le juge du contentieux de l’exécution

429. La procédure d’exécution forcée en matière civile et commerciale, contrairement à la


procédure pénale ne se limite pas à un type de procédure. L’on ne saurait saisir les
rémunérations comme l’on saisirait des droits d’associés et valeurs mobilières. Mais il existe
une procédure contentieuse ordinaire, classique, un « socle unitaire de procédure »2171, pour
ne pas dire une règle commune de règlement du contentieux. Celle-ci est riche
d’enseignement sur l’office du JCEX. La procédure optée par droit applicable se caractérise
par sa simplicité. Il appert de l’Acte uniforme que « l’huissier de justice délaisse, aux frais du
débiteur, assignation à comparaitre aux parties »2172 ou de l’article 184 du CPCC que « si
néanmoins le cas requiert célérité, le Président ou celui qui le représentera, pourra permettre
d'assigner, soit à l'audience, soit à son hôtel, à l'heure indiquée, même les jours de fête ; et,

2167
Article 181-1 du Code pénal.
2168
Article 548 du Code de procédure pénale.
2169
Article 549 du Code de procédure pénale.
2170
Ibid.
2171
R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d’exécution, Op. Cit., n° 333.
2172
Article 48 alinéa 2 AUPSRVE. Voir aussi l’article 170 qui exige que les contestations portée devant le JEX
le soit à peine d’irrecevabilité par voie d’assignation.

446
dans ce cas, l'assignation ne pourra être donnée qu'en vertu de l'ordonnance du juge qui
commettra un huissier ou un agent d'exécution à cet effet ». La saisine du JCEX se fait par
voie d’exploit d’huissier. C’est la seule forme de saisine possible en la matière. En s’assurant
de l’obligation de saisir le juge du contentieux par voie d’assignation, les rédacteurs de l’acte
uniforme sur les voies d’exécution ne cherchaient en fait autre chose qu’à éviter que sa
juridiction ne soit définitivement paralysée par l’engorgement. Le juge ne peut donc être ni
saisi par représentation volontaire des parties, requête conjointe ni par autre procédés existant.
L’article 48 alinéa 2 de l’AUPSRVE reste muet sur les conditions de comparution des parties.
Sont donc le cas échéant applicables relativement à la question sous réserve des particularités
inhérentes à certaines saisies, les règles exigées de la comparution devant les tribunaux
d’instance 2173 . La décision du JCEX est un véritable jugement de nature contentieuse
présentant tous les caractères d’un jugement définitif et destiné à produire tous les effets que
l’on attendrait d’une pareille décision. Elle devra être notifiée aux parties et bénéficie de
l’autorité de la chose jugée en présence ou en l’absence des parties2174. Aussi, l’autorité de la
chose jugée qu’accompagne la décision du JCEX signifie que le juge saisi d’un incident
contentieux rend des décisions ayant la même autorité d’un jugement définitif. Bénéficiant de
la particularité attachée à l’office de juge du contentieux à savoir l’exécution rapide des
décisions rendues, les décisions du JCEX deviennent exécutoires dès leur notification2175 ou
en cas de nécessité, être exécutoire sur minute c'est-à-dire devenir exécutoire immédiatement
avant toute notification 2176 . Reste à voir le rôle et l’influence de la CCJA sur les voies
judiciaires de l’exécution OHADA.

430. La CCJA est la plus haute juridiction du droit OHADA2177. Elle est aussi la juridiction
commune à l’ensemble des Etats membres au Traité. Mais quel est le rôle de ce juge par
rapport au JCEX ? Autrement dit, joue-t-il un rôle particulier en matière d’exécution des
décisions de justice et autres titres exécutoires si tant il est qu’il a un rôle en cette matière, si
ce n’est celui de décider du cas d’espèce conformément à la loi ? La réponse à la question
pourrait être simple, mais pas évidente. En tant que juge suprême commun de l’espace
normatif, la juridiction est comparable à un juge de Cour suprême exerçant tout à la fois les
fonctions dites « ordinaires », et la fonction de contrôle par rapport à la norme suprême de

2173
Voir articles 2, 129 et suivants du CPCC
2174
Article 48 alinéa 2 AUPSRVE, « Il doit (l’huissier de justice ou l’agent d’exécution) donner connaissance
aux parties du fait qu’une décision pourra être rendue en leur absence ».
2175
H. Tchantchou, « Le contentieux de l’exécution et des saisies dans le nouveau droit OHADA (l’Article 49
AUPSRVE) », Op. Cit. ; A titre de droit comparé Amiens 3 janvier 1995, Revue d’huissier 1995, 1391.
2176
Ibid.
2177
Article 14 du traité.

447
l’ordre juridique en question, soit une constitution ou ici le Traité instituant l’OHADA2178.
Son rôle en matière de voies d’exécution, aussi bien que dans toutes les matières entrant dans
la définition du droit des affaires OHADA est de réguler, orienter et unifier les applications et
les interprétations faites de ce droit par les juridictions nationales. Un instrument de mise en
cohérence.

431. L’ombre du tableau de la fonction exécutive en droit camerounais reste l’identification


du juge du contentieux de l’exécution. Le juge spécial serait au centre des turbulences qui
agitent périodiquement l’exécution forcée2179. Deux raisons justifieraient cet état de choses. Il
est en charge du large contentieux que suscite la matière, mais aussi parce que son office,
entendu par son rôle ne cesse de susciter des interrogations. Le problème lié à l’identification
précise de ce juge n’a pas encore trouvé solution définitive. La fonction d’exécution a été
dévolue à un juge spécifique mais qui reste tout de même à identifier. La parturition du
législateur camerounais de la fonction exécutive dans la loi de 1997 relative à l’exécution des
décisions de justice n’a fait que renforcée les critères vagues de l’identification au Cameroun
du titulaire de cette fonction. Il règne une imprécision dans l’identification de ce juge en droit
camerounais. Le rédacteur de l’AUPSRVE dans la lettre de l’article 49 al. 1 pose deux critères
pour l’identification de ce juge spécial : la juridiction présidentielle et l’urgence. La loi de
2007 instituant le juge de l’exécution, censé être le sésame qui résoudrait la question n’a fait
que l’empirée. L’acte uniforme et la réforme camerounaise ne vont dans le même sens. Pour
résoudre les problèmes d’enchevêtrement des juridictions préjudiciable à une bonne
administration de la justice, dans lesquels peuvent être rangée la question de l’identification
précise du JCEX, nous avons proposé la création d’une juridiction de l’exécution épousant
l’esprit d’une juridiction unique de l’acte uniforme développée largement par la doctrine2180.
Quid du ministère public ?

c. Le ministère public

432. La liberté et le caractère transversal du ministère public font de cette fonction


judiciaire un domaine de fortes attentes relatives à la sécurité, a l’effectivité et a la rapidité de
en matière d’exécution. Au-delà des aspects généraux relatifs à la matière pénale, qui
constituent une grande partie infime de leur activité, le ministère public est un acteur des

2178
Parmi de nombreux exemples, V. Serges-Patrick Levoa Awona, « Cour commune de justice et
d’arbitrage », in P.G. Pougoué (dir.), Encyclopédie du droit OHADA, Op. Cit., p. 585-626.
2179
Claude Brenner, « Propos introductif », in Colloque sur L’office du juge de l’exécution dans les procédures
civiles d’exécution, précit. p. 9.
2180
Voir supra, première partie.

448
procédures d’exécution. Il s’agit, de manière transversale, d’examiner les prérogatives de la
fonction en tant qu’autorité judiciaire dans le processus de l’exécution des titres exécutoires.
L’examen des compétences des procureurs suggère de mettre en perspective deux domaines
d’intervention en matière d’exécution : l’exécution des décisions de justice pénales, et une
intervention plus restreinte en matière civile et commerciale.

433. L’exécution de la sanction constitue le prolongement logique du processus pénal. En


matière pénale, cela revient à la mise en oeuvre de la sanction et uniquement celle contenue
dans la décision de justice. C’est dire que s’intéresser à l’exécution de la sanction pénale,
mesure destinée à punir l’auteur d’une infraction, revient à s’interroger à la mise en exécution
de la peine et spécifiquement sur l’identité de l’autorité qui en est chargée. La compétence du
procureur dans l’exécution des décisions de justice pénales est une tradition que marque
d’évidence l’article 545 du Code de pénale dont l’alinéa 3 reconnait de manière générale deux
personnes : le parquet à la diligence duquel sont immédiatement exécutoires les ordres et
décisions judiciaires d’arrestation 2181 , la présence de la personne poursuivie au procès
favorisant l’exécution de la décision de justice. L’exécution de la peine privative de liberté est
concomitante à son prononcé. En revanche, si le prévenu condamné à une peine privative de
liberté qui comparait libre, le principe est qu’il pourra rester libre jusqu’à ce que sa peine soit
ramenée à exécution, laquelle ne peut, en principe, intervenir que lorsque la décision de
condamnation sera devenue définitive sauf mandat de dépôt le cas échéant2182. Le procureur
de la République transmet les documents nécessaires à la régularisation de la situation
juridique du détenu.
Si le parquet reste l’autorité en charge de l’exécution de la sanction, il gravite autour
de lui, d’autres acteurs qui ont vocation à intervenir dans l’exécution pour assurer à son égard,
à la suite du prononcé, l’exécution de la décision du juge. Il s’agit notamment des structures
d’exécution2183 et des parties. Les parties assurent la poursuite de l’exécution des décisions
devenues irrévocables en ce qui les concerne2184. Pour le dire autrement, les intérêts civils
destinés exclusivement à la réparation du dommage subi par la victime sont recouvrés à la
diligence de la partie intéressée à compter du lendemain du jour où la décision est devenue
irrévocable2185.

2181
Alinéa 2 de l’article 545.
2182
Voir Code de procédure pénale.
2183
Notamment l’administration pénitentiaire.
2184
Alinéa 3 de l’article 545 CPP.
2185
Article 556 al. 3 CPP.

449
434. Toutes les activités du ministère public, et c’est l’intérêt de la transversalité de la
fonction, ne sont pas que pénales. Et les procédures civiles d’exécution ne concernent pas que
les intérêts privés des créanciers et débiteurs. Dans cette optique, l’intervention du parquet
dans les procédures civiles d’exécution est encore cruciale en droit camerounais aujourd’hui,
plus qu’hier. Contrairement à la matière pénale, il n’appartient pas parquet en matière civile et
commerciale de poursuivre l’exécution du titre. Cette prérogative est dévolue au créancier. En
revanche, le droit pénal substantiel l’autorise à poursuivre les infractions pénales nées des
procédures civiles d’exécution. Ressortissent de cette catégorie d’infractions, l’insolvabilité
organisée2186, le délit de reprise d’un immeuble2187, des infractions encore plus graves comme
l’escroquerie ou d’abus de confiance, ou encore des délits nées d’opérations d’exécution telles
que d’usurpation de fonctions, signes ou titres2188, de violations de domicile2189, entrave à la
sincérité des enchères2190, des violences exercées contre l’huissier de justice dans l’exercice
de ses fonction2191 dont se rendrait coupable un individu se présentant sous une fausse qualité
lors des opérations d’exécution. Dans la distribution des rôles entre les autorités judiciaires
dans l’exécution des titres exécutoires, il rentre dans les attributions du procureur de la
République d’assurer la surveillance disciplinaire des officiers ministériels en charge de
l’exécution et de provoquer, en cas de violation des règles éthiques, déontologiques et
professionnelles applicables, des poursuites disciplinaires2192. Nous pensons en particulier au
contrôle des professions agents d’exécution, commissaire-priseur et huissiers de justice2193. Le
juge du siège ne suffisant pas à tout, la mission de surveillance et de contrôle du Ministère
public est d’autant essentielle que « l’exécution des décisions de justice et titres exécutoires
est mission d’utilité publique »2194. En d’autres termes, le ministère public est un instrument
supplémentaire de la garantie effective et efficace de l’exécution des titres exécutoires.
Enfin, la caractéristique fondamentale de la fin de tout procès c’est de mettre en scène
deux camps, un gagnant et un perdant. Aussi, il est parfois rare de voir le perdant d’exécuter
de bon gré au profit du bénéficiaire du procès, les résultats qui résultent de sa défaite, à savoir
l’exécution volontaire de la chose jugée. Parce qu’il ne servirait à rien de juger et de ne pas

2186
Article 181 du Code pénal.
2187
Article 182 Ibid.
2188
Article 216 Ibid.
2189
Article 299 Ibid.
2190
Article 254 Ibid.
2191
Article 293 du CPPC, « L'huissier ou l'agent d'exécution insulté dans l'exercice de ses fonctions dressera
procès-verbal de rébellion ; et il sera procédé suivant les règles établies par le code d'instruction criminelle ».
2192
Décret portant réglementation des fonctions d’Huissier de justice (précité), Article 40 al. 1.
2193
Décret Ibid., Article 40 : « Les Huissiers exercent leur activité sous la direction et le contrôle des magistrats
du Ministère public ».
2194
R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d’exécution, Op. Cit., n° 366, p. 369.

450
voir s’accomplir jusqu’au bout le dispositif de la décision de la juridiction, le législateur pour
renforcer le droit du gagnant à l’exécution de la décision obtenue, oblige désormais l’Etat à
prêter son concours à l’exécution des titres exécutoires.

Paragraphe II. L’obligation de l’Etat de prêter son concours à


l’exécution des titres d’exécution
435. L’on ne présente plus le succès de la célèbre distinction de René Demogues2195 entre
les « obligations de moyens » et « obligations de résultats ». Néanmoins, le succès de la
distinction auprès des juges contraste avec le sévère critique2196 de la doctrine mais qui l’a
cependant adoptée pour son utilité lui préférant la distinction entre « obligations déterminées
et obligations générales de prudence et de diligence » 2197 ou « obligations de résultat et
obligations de diligence »2198. En toile de fond de la distinction entre obligations de moyens et
obligations de résultats se trouve le débat sur le concept de responsabilité contractuelle et dans
le cadre de cette étude, celui de responsabilité de l’Etat. Loin du « monument » 2199 que
constitue de la distinction entre les obligations de moyens et les obligations de résultat,
l’article 29 alinéa 1 de l’AUPSRVE dispose que : « L’Etat est tenu de prêter son concours à
l’exécution des décisions de justice et titres exécutoires »2200. Il transparaît de cette injonction,
une sorte de rigidité, une forte attente dont l’inexécution n’est pas envisageable. En ce sens, le
législateur OHADA oblige les Etats membres à faire quelque chose, prêter main forte à
l’exécutions des titres constatant des droits. La création d’un lien d’obligation envers l’Etat
membre dans lequel l’exécution forcée est poursuivie postule donc à l’égard de celui-ci une
obligation d’une certaine nature (A), desquels découlent des effets juridiques (B).

A. Les obligations de l’Etat membre

436. L’obligation de l’Etat membre est une obligation de résultat (1), et de garantie (2).

2195
R. Demogue, Traité des obligations en général, t. 5, Rousseau, 1925, n° 1237.
2196
La doctrine la juge déformante, appauvrissante, incomplète. Pour plus de détails sur les caractères
appauvrissant, déformant et incomplète de la distinction. Voir Myriam Pierrat, « De la distinction entre les
obligations de moyens et obligations de résultat : pile ou face », in Journal des tribunaux Luxembourg, Doctrine,
éd. Larcier, n° 15, juin 2011, pp. 61-67.
2197
Henri et Léon Mazeaud, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle,
6e éd., t. 1.
2198
A. Tunc, « La distinction des obligations de résultat et des obligations de diligence », JCP 1945, I, 499.
2199
L’expression est Mustapha Mekki, « La distinction entre les obligations de moyens et les obligations de
résultat : esquisse d’un art », in RDA, 2013, p. 72-88.
2200
Nos soulignés

451
1. L’obligation de résultat

437. L’obligation de résultat est une notion est une notion purement de droit privé
longtemps confinée à cette matière mais qui s’est progressivement infiltrée en droit public.
Une infiltration renforcée par l’emergence du concept de « droits-créances » 2201 ou de
« droits subjectifs positifs » pour reprendre à notre compte les propos de Norbert Foulquier2202
où l’Etat est considérée de plus en plus comme une personne publique comme débitrice2203.
Prise sous un sens purement juridique, l’obligation renvoie en revanche à l’idée d’un lien de
droit entre deux personnes en vertu duquel l’une d’elles, le créancier, peut exiger de l’autre, le
débiteur, une prestation précisément prédéterminée2204. L’obligation est donc le lien qui unit
non pas une personne et une chose, mais deux personnes qui s’engage à exécuter une
prestation l’une envers l’autre. La généralité de la définition a le mérite de ne pas se limiter à
l’aspect droit privé du droit des obligations et peut donc en toute hypothèse être étendue au
droit administratif. Quant à l’obligation de résultat, elle a pour objet la réalisation d’un objet
déterminé. Mais qu’elle est la nature de l’obligation de résultat de l’Etat. D’une analyse brève
de la jurisprudence et de la doctrine, il ressort qu’il est possible de dégager une série de
critères afin d’évoquer une obligation de résultat : l’interprétation du contenu de l’obligation,
l’aléa, la charge de la preuve et la cause exonératoire. De ces critères, l’obligation de résultat
de l’Etat peut être définie comme « un lien de contrainte juridique qui ordonne à
l’Administration d’exécuter, de s’abstenir ou de donner un résultat précis et dont
l’inexécution peut être justifiée par un cas de force majeur »2205. L’obligation de résultat en
fonction de la source à l’exclusion des autres types, peut être soit contractuelle ou tirée sa
source d’un texte juridique et il s’agira d’une obligation légale de la personne publique
comme celle imposée à l’Etat membre OHADA « tenu de prêter son concours à l’exécution

2201
La notion de « droit-créances » désigne, « une catégorie de droits de nature positive qui exigent de l'État une
prestation matérielle ». L. Corre, « Les « droits-créances » et le référé-liberté », DA, février 2012, n° 2, Étude 3.
Pour le professeur Georges Burdeau, Les libertés publiques, LGDJ, 1961, p. 21 les droits-créances sont « la
prétention légitime à obtenir (de la collectivité) les interventions requises pour que soit possible l'exercice de la
liberté ».
2202
N. Foulquier, « Les droits publics subjectifs des administrés : émergence d'un concept en droit
administratif français du XIXe au XXe siècle », Paris, Dalloz, 2003, p. 561.
2203
L’obligation de résultat est perçue en droit civil sous l’angle des intérêts privés, par le renforcement de la
contrainte. Son entrée dans le droit administratif s’est effectuée sous l’angle de la finalité (intérêt général) de
l’action publique ; à l‘heure actuelle la conception de l’obligation de résultat de l’Administration comme finalité
semble céder du terrain face à la perception de l’obligation de résultat comme renforcement du lien d’obligation
de résultat. Voir Yoan Volpellière, L’obligation de résultat de l’Administration, Thèse, Droit, Université
Montpellier, 2015, p. 24.
2204
G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Op. Cit., v. obligation.
2205
Yoan Volpellière, L’obligation de résultat de l’Administration, Op. Cit., p. 37.

452
des décisions et des autres titres exécutoires »2206. C’est dire que la célèbre notion de droit
prouvé a trouvé un écho favorable en droit uniforme africain. Le législateur du droit des
affaires francophone africain transgresse par sa reconnaissance un tabou, et fait de la
puissance publique le débiteur par excellence de l’exécution des décisions de justice et autres
titres exécutoires. Le sacre d’une obligation envers laquelle est tenue l’Etat rompt avec la
situation en droit administratif de l’administré cantonné dans une position passive contraint de
se conformer aux actes administratifs émis par la personne publique. L’article 29 al 1 précité
inscrit le droit de tout justiciable à l’exécution dans la modernité et rompt avec cette vision
archaïque de la toute puissance de l’administration pour la mettre en position de débitrice vis-
à-vis du créancier poursuivant.

438. Conscient de son rôle dans l’effectivité du droit uniforme, le législateur tente de
développer une garantie des normes communautaires suffisamment efficace. Inscrire dans le
passé l’exécution des décisions de justice qui a longtemps constitué le talon d’achille des
systèmes judiciaires des Etats parties. Ce qui justifie des aménagements du droit de
l’exécution. L’intégrité de l’engagement des Etats implique dans le cas d’espèce que les Etats
permettent en particulier aux personnes morales et physique de bénéficier d’une bonne
exécution des titres d’exécution. En effet, le souci de conférer l’efficacité nécessaire au droit
des affaires conduit à donner au concept « Etat » visé par l’alinéa 1 de l’article 29 une
conception extensive. Si la personne visée est principalement l’Etat partie au Traité sujet de
droit international, garant du droit positif applicable dans le temps et dans son espace
normatif, peuvent largo sensu y être intégrés, l’ensemble des organes étatiques concernés par
les procédures d’exécution. Sont donc légalement titulaires de cette obligation toutes les
autorités délégataires de la puissance publique. Il s’agit des autorités citées par la formule
exécutoire objet de l’article 61 du CPCC, notamment, huissiers de justice et agent
d’exécution, procureurs généraux et procureurs de la République, commandants et autorités
de la force publique, et autres personnes désignées par les différents droits nationaux. Elles
sont ainsi débitrices d’une obligation de résultats à double titre : négative2207 et positive2208.
Ces autorités disposent dans la pratique de tout le pouvoir de coercition nécessaire pour

2206
Article 29 al. 1 de l’AUPSRVE.
2207
Il s’agit de s’abstenir de tout acte capable de nuire ou de gêner l’exécution. Elles sont par conséquent
astreintes à une attitude de neutralité vis-à-vis de l’exécution entreprise. Selon l’Acte uniforme applicable, elles
doivent s’abstenir de « faire obstacle » à l’exécution. La doctrine qualifie l’obligation imposée à ces autorités
« d’obligation de ne pas faire ». N. Diouf, note sous Cour d’Appel de Dakar, Arrêt n° 124 du 16 février 2001,
Compagnie Air Maroc c/ Moustapha Thiam, Ohadata J-03-267.
2208
Il s’agit d’une obligation de faire c'est-à-dire de prêter leur concours notamment de participer à l’exécution
du titre exécutoire toutes les fois dans lesquelles l’intervention de la force publique est requise.

453
accomplir l’obligation de l’Etat de prêter son concours à l’exécution. Les démarches qu’elles
accomplissent doivent aboutir à une exécution effective et complète ou tout au moins
empêcher le débiteur d’organiser son insolvabilité en accomplissant les actes d’exécution dans
des délais raisonnables 2209 . L’Etat devient à l’aune de ce droit OHADA, le vecteur
indispensable du contrôle de la bonne application du droit uniforme des affaires par les
autorités nationales, desquels il est le garant.

439. La fonction de la reconnaissance de l’Etat en tant que débiteur d’une obligation de


résultat dans l’exécution des décisions et autres titres exécutoires – et débiteur à part entière
du lien d’obligation entre le créancier poursuivant et le débiteur primitif – est la protection des
droits. Considérer que la puissance publique en est « débitrice implique que sa soumission à
ce régime est automatique »2210. Corolaire positif de la prévalence et de l’effet direct du droit
uniforme sur le droit interne. Aussi l’obligation posée par l’acte uniforme apparait-il comme
un véritable droit-créance pour le justiciable, dorénavant créancier d’un droit effectif à
l’exécution de l’ensemble des titres OHADA revêtus d’autorité. L'obligation faite à la
personne publique contraint celle-ci à offrir un système d’exécution capable d’assurer une
exécution pleine et entière des décisions, facteur de réalisation du droit. Elle doit être
comprise comme l’obligation d’user les meilleurs moyens pour en assurer l’exécution. Par
conséquent, c’est l’inaction de l’Etat, des pouvoirs publics qui est premièrement visée. C’est
donc en législateur attentif de l’effectivité de son droit que l’acte uniforme a pensé soumettre
les Etats membres à une obligation de garantir la sanction judiciaire d’un droit. En tant que
lien de droit, l’obligation peut donc être l’objet d’un résultat déterminé, qui en soi entraine
une certaine garantie.

2. L’obligation de garantie

440. Des nombreuses mutations qu’a subies le droit civil des obligations, celles-ci n’ont
guère pu remettre en cause l’appréhension datant du droit romain qui fait de l’obligation
comme un lien de droit2211. L’obligation peut également être appréhendée comme contrainte,
dette, devoir de respecter la loi ou le contrat2212 ou encore dans le cas d’espèce, la mise œuvre
de l’ensemble des moyens nécessaires pour garantir au justiciable d’affaires la meilleure

2209
CEDH, Affaire Schrepler c/ Roumanie, arrêt du 15 mars 2007, req. n° 22626/02.
2210
Yoan Volpellière, L’obligation de résultat de l’Administration, Op. Cit., p. 140.
2211
J. Gaudemet, « Naissance d'une notion juridique, les débuts de l'"obligation" dans le droit de la Rome
antique », APD 2000, p. 29 repris par Frédéric Rouvière, « L’obligation comme garantie », RTD civ. 2011, pp.
1-23.
2212
Frédéric Rouvière, « L’obligation comme garantie », Op. Cit.

454
réalisation de ses droits. Dire que l’Etat membre est tenu de « garantir » l’application du droit
uniforme signifie simplement que ce dernier mette en place « tout mécanisme qui prémunit
toute personne contre une perte pécuniaire »2213, mieux encore, d’un risque d’inexécution des
droits que le justiciable tire de la marche vers l’intégration juridique des Etats. A l’opposé de
l’obligation légale de résultat exigée de l’Etat, l’obligation de garantir l’application du droit
uniforme se matérialiserait sous forme de violation d’une convention, le Traité, acte de droit
international public ainsi que son droit dérivé. A titre de droit comparé, l’article 5 du traité de
la Communauté Economique Européenne (C.E.E.) donne une idée assez précise de l’étendue
de l’obligation de garantir qui incombe aux Etats membres de l’OHADA. Aux termes de ce
texte, « les Etats membres prennent toutes mesures générales ou particulières propres à
assurer l'exécution des obligations découlant du présent Traité ou résultant des actes des
institutions de la Communauté. Ils facilitent à celle-ci l'accomplissement de sa mission. Ils
s'abstiennent de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du
présent Traité ». Les missions de l’OHADA sont énoncées par le préambule et les stipulations
du Traité qui l’institue. L’essentiel de l’application du droit uniforme repose comme nous
l’avons déjà sur les systèmes judiciaires nationaux. Ces derniers sont et restent les premiers
garants de la bonne application du droit uniforme mis en place. Elles ont donc une fonction
que nous qualifierons « d’inédite ». S’étant donner pour ambition par le droit de « favoriser
l’enracinement de l’esprit d’entreprise, gage d’un réel développement » 2214 , il est donc
impérieux de trouver, en raison des responsabilités confiées par le droit OHADA aux
systèmes judiciaires nationaux, de garantir l’efficacité de ce droit en limitant les risques
juridiques et judiciaires que présentent jusqu’ici le système judiciaire camerounais en
particulier. L’Etat jouissant de la possibilité d’engager sa responsabilité pour défaut constaté
de prêter son concours à l’exécution des titres exécutoires.

B. Les conséquences juridiques de la défaillance de l’Etat

441. La créance de l’Etat est constituée par les titres d’exécution dont il est tenu à
l’exécution de prêter son concours. Prenant la mesure de la chose, le législateur OHADA a
cru idoine de ramener l’Etat, investi de la mission d’assurer l’exécution effective des
décisions de justice à une posture de justiciable. Cela se manifeste essentiellement la

2213
G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Op. Cit., V° Garantie, sens 1.
2214
Alexis Coffi Aquereburu, « L’Etat justiciable de droit commun dans le traité de l’OHADA », Revue de
droit uniforme africain n° 000 – 09/08/2010 téléchargeable depuis http://www.juriafrica.com/articles/9/1-etat-
justiciable-de-droit-commun-dans-le-traite-de-l-ohada.html, Ohadata D-13-54.

455
possibilité d’engager la responsabilité de l’Etat (1) et le droit à l’ouverture d’une action en
manquement (2).

1. L’engagement de la responsabilité de l’Etat défaillant

442. Tout comme en droit interne, le principe d’irresponsabilité n’est pas compatible avec
le processus d’uniformisation du droit. L’alinéa 3 de l’article 29 reconnait la possibilité de
mettre en jeu la responsabilité l’Etat lorsqu’il dispose que « la carence ou le refus de l’Etat de
prêter son concours engage sa responsabilité ». Cette consécration semble pouvoir constituer
d’une part l’étape nouvelle dévolue à l’Etat. Il accentue l’intensité de l’obligation pesant sur
l’Etat. D’autre part, la consécration semble confirmer le changement du rapport de l’usager à
l’Etat comme le souligne le Professeur J. Chevallier, « les attentes légitimes de résultats sont
désormais celles de l’usager vis-à-vis des services publics, et non plus celles de l’État vis-à-
vis des assujettis »2215. Autrement dit, les droits-créances – les droits à … – à l’opposé des
libertés qui sont opposables à l’Etat, les droits publics subjectifs positifs sont exigibles.
Ainsi, selon Jean Rivero2216, ils doivent être mis en oeuvre sinon ils demeureront virtuels.
L’obligation de résultat en droit interne et l’obligation de l’Etat d’apporter son concours à
l’exécution des décisions en droit OHADA concourent toutes les deux à la mise en oeuvre de
ces droits.

443. La nécessité d’assurer l’effectivité du droit uniformisé et l’exécution efficace des


décisions est d’une importance capitale pour la sécurité des affaires. Sécurité qui ne saurait
être conséquente sans la caution de l’Etat. L’attente légitime de tout législateur est de voir
effectivement appliqué, par les sujets de droit, Etat compris le droit érigé. De façon générale,
la responsabilité entraine l’obligation de réparer le préjudice résultant soit de l’inexécution de
l’obligation. La possibilité d’engager la responsabilité extra contractuelle des Etats membres
constitue incontestablement l’une des mutations les plus saillantes du droit uniforme africain,
même s’il n’est en réalité qu'une conséquence mécanique des principes de base qui structure
ce droit uniforme : la primauté et l'effet direct. Il s'inscrit si l’on l’appréhende comme D.
Simon dans un mouvement juridique de « seconde génération » qui vise à garantir la
protection effective des droits en définissant « les implications concrètes de la primauté du
droit communautaire sur le terrain des garanties juridictionnelles »2217. Par conséquent, le
principe de la responsabilité de l’Etat qui refuserait de prêter son concours s'inscrit dans ce
2215
J. Chevallier, « L’obligation en droit public », Arch. Phil ; dr., 2000, t. 44, p. 191
2216
J. Rivero, « Les libertés publiques », in t. 1, Les droits de l'homme, PUF, Thémis, 1995, p. 100
2217
Claudie Weisse-Marchal, Le droit communautaire et la responsabilité extracontractuelle des Etats
membres: principes et mise en œuvre, Université de Metz, 1996.

456
mouvement visant à garantir l’effectivité de l’exécution d’un titre légalement obtenu. A
l’image du législateur de la communauté européenne, le législateur africain fonde la
responsabilité de l’Etat sur le principe de la responsabilité générale et illimitée2218 . Ainsi,
même dans le contexte d’une décision rendue allant à l’encontre des intérêts directs de l’Etat
en tant qu’acteur économique, celui-ci en sa qualité de détenteur de la puissance publique ne
peut s’abstenir d’offrir un appareil assurant la bonne exécution de la décision de justice, dans
les mêmes conditions que s’il aurait été en présence d’un acteur privé2219. Selon les juges de la
Cour de justice européenne : « la pleine efficacité des normes communautaires serait mise en
cause et la protection des droits qu’elle reconnait serait affaiblie si les particuliers n’avaient
pas la possibilité d’obtenir réparation lorsque leurs droits sont lésés par une violation du
droit communautaire imputable à un Etat membre ». Il ajoute que « l’obligation pour les
Etats membres de réparer ces dommages, trouve également son fondement dans l’article 5 du
traité en vertu duquel ceux-ci sont tenus de prendre toutes les mesures générales ou
particulières pour assurer l’exécution du droit communautaire et par conséquent pour effacer
les conséquences illicites d’une violation du droit communautaire »2220. Le principe général
de la responsabilité illimitée de l’Etat en droit OHADA justifie à juste titre la « conception
unitaire de l’auteur »2221 de la violation du droit uniforme évoquée précédemment.

En tout état de cause, lorsque la défaillance de l’Etat d’apporter son concours est
établie, une action en responsabilité est ouverte au profit du créancier. Ce qui implique, de sa
part, de respecter effectivement l’autorité de la chose jugée ou ordonnée, y compris à son
encontre. Action destinée à sanctionner à la fois le refus de l’Etat2222 ou sanctionner l’Etat
pour inertie ou d’une assistance insuffisante de l’Etat2223. Mais le principe peine encore à
s’affirmer, tant le juge manque d’audace pour en consacrer la portée, et préfère parfois la
limiter. Selon un juge Dakarois (Sénégalais), la responsabilité de l’Etat « n’étant pas une
responsabilité de substitution, la réparation due pour le préjudice causé n’est pas
automatiquement égale à la somme due par le débiteur au créancier poursuivant mais au

2218
Alexis Coffi Aquereburu, « L’Etat justiciable de droit commun dans le traité de l’OHADA », Op. Cit.
2219
Ibid.
2220
Les affaires Francovitch et Bonifaci ont été l'occasion pour la Cour de justice de consacrer un principe
général de responsabilité des Etats membres. CJCE 19 novembre 1991, Francovitch et Bonifaci c/ République
italienne Affaires jointes C-690 et C-9/90 Rec. p. 5357.
2221
Claudie Weisse-Marchal, Le droit communautaire et la responsabilité extracontractuelle des Etats
membres: principes et mise en œuvre, Op. Cit. p. 68.
2222
Tribunal régional hors classe de Dakar, jugement du 14 juillet 2004, Transair c. Société Eximcor Afrique,
Ohadata J-06-02. Les gendarmes avaient refusé à l’huissier poursuivant dans le cas d’espèce, qui désirait
pratiquer une saisie, l’accès des lieux où se trouvaient les biens du débiteur.
2223
Voir N. Fricero, « Droits de l’homme 2008 », Droit et procédures, http://revue.lex-act.fr.

457
dommage réel subi par ce dernier »2224. La responsabilité en droit de l’Etat en droit OHADA
n’a pas pour objet d’obtenir paiement des sommes pour lesquelles la saisie est effectuée.
Ladite responsabilité n’a pas non plus pour objectif d’obtenir la condamnation de l’Etat toutes
les fois où le titre n’est pas exécuté2225. Nous le constatons, l’analyse à laquelle est parvenu le
juge, semble réduire la portée de l’obligation de l’Etat. Même s’il s’agit d’une « avancée
notable », peut on espérer une véritable sanction de l’Etat, une réponse négative est permise.
Il n’y a pas en droit OHADA de véritable sanction accompagnant ce principe.

2. Le droit à l’ouverture d’une action en manquement

444. Contrairement à la CEMAC, l’UEMOA et l’Union Européenne, l’OHADA ne connait


pas d’action en manquement 2226 . L’action en manquement 2227 est aussi appelée procédure
d’infraction 2228 . Sur le plan théorique, l’action en manquement relève de la responsabilité
internationale des Etats. Dès lors, le manquement est considéré par le juge comme un simple «
fait ». Celui-ci peut être constitué, selon les cas, par l’absence de transposition d’une directive
européenne, l’adoption d’une norme ou d’une position jurisprudentielle contraire au droit de
l’Union ou même par la mauvaise application par l’Etat membre de normes nationales ayant
pour objet de mettre en œuvre le droit commun. Au-delà, dès lors que la norme européenne
est entrée en vigueur, tout manquement constitue en lui-même un fait accompli 2229 . La
procédure de manquement est en droit européen une voie d’exécution propre au droit
communautaire 2230 . Le caractère extrêmement contraignant de l’obligation d’exécuter les
arrêts en constatation de manquement, ainsi que les effets de la violation de cette obligation
illustrent parfaitement l’importance d’une telle procédure en droit européen. Erigé dans le but
d’assurer le rétablissement de la légalité communautaire, la procédure lorsqu’elle est ouverte
exerce une réelle procédure de contrainte à l’égard des Etats récalcitrants2231. Procédure qui
pourrait à notre avis dans le cadre de l’OHADA discipliner les Etats membres à plus de
respect d’application du droit uniforme en exerçant des contraintes à l’égard de l’Etat
membre. L’obligation d’exécuter l’arrêt est interprétée par la Cour de justice comme
2224
Tribunal régional hors classe de Dakar, jugement du 14 juillet 2004, Op. Cit.
2225
Voir J. Fometeu, « Théorie générale des voies d’exécution OHADA », Op. Cit, n° 45.
2226
S.-P. Levoa Awona, « Cour commune de justice et d’arbitrage », Op. Cit.
2227
On parle d’action en manquement plutôt que de recours en manquement dans la mesure où « le
recours juridictionnel n’est que la phase finale et éventuelle d’une procédure appelée procédure
d’infraction », Denys Simon, Le système juridique communautaire, 3ème éd., PUF, Paris, 2001, n° 497, note n° 1.
2228
Voir Julien Betaille, « L’action en manquement au droit de l’union européenne et l’irréversibilité », in
Christian Grellois et Dominique Audrerie (dir.), Patrimoine et biodiversité, Presses universitaires de Bordeaux,
2011, p. 87 à 105.
2229
Ibid.
2230
Ibid.
2231
Ibid.

458
l’obligation de prendre des mesures suffisantes pour assurer la pleine exécution de l’arrêt en
constatation de manquement. Pour le dire autrement, l’adoption de quelques mesures
susceptibles de rétablir le requérant dans ses droits ne suffit pas, dans la mesure où la mise en
œuvre des mesures pourrait se solder par un échec. La Cour juge qu’en se limitant à la prise
des mesures de nature à empêcher à l’avenir que le manquement constaté par l’arrêt se
reproduise, l’Allemagne a violé les dispositions de l’article 228-1 2232 . Le juge décide que
l’Etat doit prendre toutes les mesures nécessaires afin de faire cesser le manquement2233. La
procédure illustre ainsi, la spécificité de l’office du juge communautaire qui veille à
l’exécution effective et uniforme du droit communautaire avec la possibilité pour ce juge
d’enjoindre à un Etat d’assurer une exécution pleine et entière des actes constatant des droits
portés dans le titre exécutoire.

2232
Ibid.
2233
Ibid.

459
Conclusion du Chapitre Second

445. Le droit à l’exécution des décisions de justice est un droit fondamental protégé. Il fait
partie intégrante du droit au juge confirmant ainsi l’existence d’un droit fondamental de
l’homme à l’exécution forcée. Le législateur camerounais et du droit des affaires africain
l’ont fort heureusement compris et choisi d’aménager un cadre propice pour la réalisation des
décisions de justice. La solution aux problèmes rencontrés dans l’exécution des décisions de
justice par la meilleure efficacité des décisions juridictionnelles, a été très naturellement et
d’abord recherchée dans l’érection de procédés indirects (recouvrement amiable), non
contraignants, de pression et d’accompagnement de l’administration dans la mise en œuvre
des jugements. Le législateur est allé plus loin. L’obligation d’exécuter la chose jugée peut se
heurter à des difficultés réelles. Au nombre des remèdes à l’inexécution qui ont été imaginés
au cours des décennies passées, il convient de mentionner d’une part, l’institution d’un juge
du contentieux de l’exécution, et l’obligation pour l’Etat et assimilés de collaborer dans
l’accomplissement dans les faits de l’autorité de la chose jugée. Ces deux institutions
permettent, chacune à sa manière, complétées par les techniques et mesures d’exécution
d’inciter à l’exécution. Aussi peut-on affirmer que le législateur a parfaitement saisi la
nécessité d’un droit performant, sécure, en répondant aux attentes des citoyens de pouvoir
disposer d’un système d’exécution efficace. La recherche de l’efficacité dans l’exécution de
ses décisions a incité à l’aménagement d’un droit à l’exécution, en dépit du fait que
l’obligation de l’Etat de prêter son concours reste dépourvue de véritable sanction. Tout cela
vient légitimer et renforcer l’orientation système juridique camerounais vers l’exécution
effective et complète des décisions de justice, critère important de l’Etat de droit, « pour
opérer la conciliation entre des intérêts contradictoires (l’intérêt général, l’ordre public d’un
côté et les droits individuels de l’autre) et pour sanctionner ses défaillances sans paralyser
son fonctionnement »2234.

2234
J.M. Sauvé, « Etat de droit et efficacité », in A.J.D.A., n° Spécial, p. 128, juillet-août 1999.

460
Conclusion du Titre Premier

446. La reconnaissance juridique d’un droit suppose l’existence d’une protection


juridictionnelle efficace. La reconnaissance du droit d’obtenir la sanction judiciaire d’un droit
est une réalité et procède d’une évidence. Celle d’assurer une meilleure protection juridique
et juridictionnelle à des sujets de droit dont l’aménagement reste un critère de crédibilité de la
justice et du système judiciaire tout entier. L’aménagement d’un droit d’action, l’émergence
d’un droit à la résolution des litiges bien que embryonnaire, la consécration d’un droit à
l’exécution des décisions de justice dans l’ordre juridique camerounais témoigne, en somme,
de la transformation de l’engagement du système juridique à assurer l’efficacité du droit.
L’analyse des dispositions législatives et de la règle jurisprudentielle, révèle, si besoin est,
l’abnégation du législateur, de la CCJA, à rendre les droits garantis concrets et effectifs à
toute personne placée sous la juridiction de l’État camerounais. L’ensemble des dispositions
d’action en justice, de l’exécution des décisions de justice témoigne de cette abnégation
affirmée. Assurer aux justiciables camerounais et opérateurs d’affaires étrangers un accès au
juge effectif. La volonté de garantir une protection juridictionnelle à ces derniers sans laquelle
les droits affirmés seraient purement et simplement virtuels ne souffre en effet d’aucune
réticence. Cependant, la symphonie de l’accès au juge jouée par le système juridique
camerounais reste néanmoins inachevée. Entre accès à la jurisprudence, à la norme juridique,
réception du droit applicable, performance des acteurs, de nombreuses notes dissonantes,
accords disjoints, instruments désaccordés entachent inexorablement la qualité du concerto,
de son appréhension à son exécution. Au-delà des textes surgit la question de l'application
quotidienne. C'est ici que les misères du justiciable commencent. Difficultés d'interprétation,
certes. Difficultés matérielles, surtout.

461
TITRE SECOND

LES CONDITIONS RÉELLES D’ACCÈS ET DE RÉALISATION


DE LA JUSTICE

447. Nul ne peut en principe se faire justice à lui-même. En cas de litige, l’une des parties
doit intenter une action en justice, c’est-à-dire saisir l’arbitre, le tiers médiateur ou encore la
juridiction compétente qui tranchera le litige. Ce qui établit l’idée du lien entre réalisation du
droit et le règlement des litiges. Réaliser, c'est rendre réel, donner la réalité, rendre concret
quelque chose, l’accomplir, on pourrait même dire l’effectuer. L’intérêt pour la réalisation, la
mise en oeuvre et l’opérationnalisation du droit gagne en intensité2235. Penser à la réalisation
du droit cela revient à se soucier de comment le droit pense sa réalisation. Dans le cas
d’espèce, c’est se soucier d’un côté, de l’ensemble des causes d’ineffectivité du droit d’agir en
justice, des facteurs juridiques, sociologiques, susceptibles d’accompagner, d’influencer la
réalisation du droit à la justice. De l’autre, les manières par lesquelles il est susceptible
d’améliorer, de satisfaire les exigences de l’accès des citoyens à la justice, expression
considérée au départ comme le droit de représentation devant les tribunaux (« droit au droit »)
et comme la garantie de l’effectivité des droits individuels et collectifs2236. Ainsi, l’idée des
conditions réelles d’accès et de réalisation de la justice, c’est en réalité s’inquiéter de
l’effectivité du droit 2237 . Autrement dit, il y a un lien indiscutable entre réalisation et «
effectivité ». Quelle que soient les causes d’ineffectivité du droit d’ester en justice, elles ont en
commun comme corollaire de mettre en péril l’efficacité du droit comme mode de régulation
des rapports sociaux.

Il est abordé ici premièrement, compte tenu des mouvements et transformations qu’a
subis le droit camerounais, le problème de l’accès à la justice (Chapitre premier), à partir de

2235
Voir par exemple Joan Stavo-Debauge, « Le droit et la pensée de la réalisation du droit », in Efficacia e
diritto del lavoro, a cura di Antoine Lyon Caen e Adalberto Perulli, Cedam, 2013 ; X. Lagarde, « De la
réalisation du droit au règlement des litiges », in La semaine juridique-Edition générale, LexisNexis, 2019, pp.
25-29.
2236
Cf. M. Cappelletti (dir.), Accès à la justice et État-providence, Publications de l’Institut universitaire
européen, Paris, Economica, 1984.
2237
L’effectivité renvoie au « degré de réalisation, dans les pratiques sociales, des règles énoncées par le droit
». A.-J. Arnaud (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, LGDJ, 1993, V°
Effectivité.

462
la reconnaissance des divers obstacles que l’on peut observer dans les dynamiques
institutionnelles, juridiques et juridictionnelles.

Dans un second temps, la recherche tirera une conclusion indispensable des dispositifs
camerounais d’accès à la justice et au droit qui peut contribuer à l’emergence d’une
administration plurielle de la justice, à savoir l’uniformisation du droit par l’emergence d’un
nouveau droit hybride ou symbiotique (Chapitre second).

463
CHAPITRE PREMIER

LE PROBLÈME DE L’ACCÈS À LA JUSTICE

448. L’accès à la justice constitue un véritable symbole de la complexité des liens entre
droit et société 2238 . Dans « Von dem Gesetz » 2239 c'est-à-dire devant la loi, duquel de
nombreuses métaphores de la justice abondent, Franz Kafka décrit de manière assez
saisissante le drame de l’inaccessibilité de la justice. Un « homme de la campagne » se
présente devant la Loi, mais devant la porte se tient un garde. L’homme réfléchit, puis
demande si, alors, il pourra plus tard avoir accès à la Loi. « C’est possible, dit le gardien, mais
pas maintenant ». L’homme « ne s’est pas attendu à de telles difficulté ; car enfin, se dit-il, la
Loi doit rester accessible à tout un chacun et à tout moment ». Le gardien lui donne un
tabouret et le fait asseoir à côté de la porte. Il y reste « des journées et des années » devant la
porte de la Loi dans un vif espoir de pouvoir y accéder. Il finit par faiblir, prendre de l’âge,
décéder devant la porte de la Loi, de laquelle il n’a pu apercevoir qu’une lueur lointaine. Ce
drame kafkaïen d’il y a une centaine d’années, traduit encore aujourd’hui le problème de
l’accès à la justice, le difficile accès aux tribunaux et au droit.

Si le problème de l’accès à la justice est universel, la signification de ce qui fait


problème dans l’accès à la justice change selon l’espace social envisagé. Chaque système de
justice fait face à des problématiques particulières, et prennent dans les systèmes africains
dans lequel fait partie le système de justice camerounais une autre ampleur. Les difficultés
sont à la fois juridiques, financières, géographiques, sociologiques, culturelles. La
vulnérabilité semble être la caractéristique principale du profil de l’accès à la justice.
Vulnérabilité entendue ici, non pas seulement dans le sens traditionnel notamment celle des
personnes physiques 2240 , mais aussi sous un angle particulier, celui de la vulnérabilité de

2238
C. Carrier-Plante, Blondin Duchesne, A. Fontan, J. Laniel, R. Sénéchal, Y. & K. Vaillancourt, (2016),
« L’accès à la justice : perspectives sociologiques », Nouveaux Cahiers du socialisme, (16), 15–21.
2239
Publié en français dans Franz Kafka, A la colonie disciplinaire et autre récits, Arles, Actes sud, 1998 ; Voir
aussi du même auteur, Le procès, 1925.
2240
La notion de vulnérabilité est presque toujours utilisée pour désigner les personnes vulnérables ou en
situation de vulnérabilité. Entrent dans cette catégorie, dans une liste non exhaustive, les personnes âgées, les
personnes handicapées ou malades, celles frappées d’une certaine faiblesse ou encore celles vivant dans des
conditions d’extrême pauvreté. De cette liste, E. Paillet tire une caractéristique commune : « la vulnérabilité se
caractérise comme l’état d’une personne qui, en raison de certaines circonstances, ne peut, en droit ou en fait,

464
l’appareil judiciaire. C’est donc de la science économique que sortira la définition recherchée.
La vulnérabilité sera en ce sens entendue comme, la dépendance et le risque pour le système
judiciaire national d’être durablement affectés par des facteurs endogènes 2241 . Elle est le
produit de trois éléments : l’ampleur de ces facteurs, parfois identifiés comme des «
phénomènes », l’exposition du pays à ces chocs et leur faible résilience, c’est-à-dire la faible
capacité à y faire face ou à les gérer 2242 . Pour le dire autrement, et plus clairement, la
vulnérabilité comporte deux pôles, d’un côté une propriété, la faiblesse, la fragilité, et d’un
autre côté, une situation, l’exposition au risque2243, notamment au risque judiciaire.

449. En conséquence, le problème de l’accès à la justice est généralement favorisé


par deux types de facteurs : la vulnérabilité du système judiciaire (Section I) et la relativité de
la distribution de la justice (Section II).

SECTION I. LA VULNÉRABILITÉ DU SYSTÈME JUDICIAIRE

450. A chaque norme, à chaque ordre juridique correspond un objectif assigné par son
auteur. A l’égard de la norme, la vulnérabilité se rapporte au premier pôle, à savoir les
faiblesses du système. Pourtant, quel que soit l’objectif assigné par le législateur à ses règles
de droit, l’efficacité de la garantie des droits est subordonnée à l’efficacité du droit lui-même.
C’est dire que le droit applicable doit pouvoir satisfaire à certaines qualités formelles. Ces
qualités constituent des composantes de la sécurité juridique. De ce fait, pour que le droit
d’ester soit efficacement garanti, le droit applicable doit présenter des qualités qui facilitent
tant sa connaissance, que sa compréhension par ses destinataires, à savoir l’accessibilité
matérielle du droit applicable (Paragraphe I). Si ces qualités semblent plus ou moins réunies,
les obstacles culturels d’accès à la justice (Paragraphe II) restent tenaces parce que le
législateur n’a presque jamais pris en compte les éléments sociologiques dans l’érection de
son droit.

jouir de l’autonomie suffisante pour exercer ses droits fondamentaux »2240. Voir en ce sens E. Paillet, « Avant-
propos », in E. Paillet et P. Richard (dir.), Effectivité des droits et vulnérabilité de la personne, Bruylant, 2014,
p. 4.
2241
Patrick Guillaumont, « La vulnérabilité économique, défi persistant à la croissance africaine/Economic
Vunerability, Still a Challenge for African Growth », 17 novembre 2006.
2242
Ibid.
2243
Voir Benoît Eyraud, Pierre Vidal-Naquet, « La vulnérabilité saisie par le droit », Revue Justice Actualités,
2013, pp.3-10.

465
Paragraphe I. L’accessibilité du droit applicable
451. La connaissance du droit applicable est un facteur d’efficacité et donc d’effectivité.
Tout droit est soumis à une exigence. Celui de garantir la sécurité juridique et judicaire. Le
droit érigé doit être connu par ses destinataires pour que les choix opérés soit fait en
connaissance de cause, « que les citoyens soient, sans que cela appelle de leur part des efforts
insurmontables, en mesure de déterminer ce qui est permis et ce qui est défendu par le droit
applicable »2244. C’est donc dire que dans un tel dispositif, le droit à la justice prend corps
dans le lien qu’il partage avec l’accès au droit. L’accès à la justice est un moyen d’accéder au
droit car le juge est « celui dont l’office est de concrétiser le droit »2245. Il faut donner sens au
dogme de connaissance de la loi (A), assurer l’adhésion des destinataires à la norme édictée
(B).

A. L’accès limité au droit

452. L’accès au droit et accès à la justice sont aussi proches et complémentaires qu’en
général on croirait entendre l’une par l’autre. L’accès au droit et à la justice pris ensemble
désigne « la possibilité pour chacun de faire reconnaître et respecter ses droits, au besoin en
saisissant les juridictions appropriées »2246. Pris séparément, l’accès au droit peut être défini
comme « l’ensemble des moyens à mettre en œuvre pour que le citoyen ait une
compréhension et une connaissance minimum de la loi, soit comptes qui pourraient lui être
demandés s’il s’écarte volontairement des lois qui nous régissent »2247. Sous cet angle, l'accès
au droit concerne prioritairement l'information sur le droit, mais qui de plus en plus va au-delà
du strict plan informationnel. Aussi, l’accès au droit constitue une donnée à prendre en
compte dans la réalisation concrète du droit au juge. L’accès au droit au sens de la
connaissance effective de la norme prend racine dans le principe « Nemo censetur ignorare
leguem » ou nul n’est censé ignoré la loi. Si celle-ci relève d’avantage du mythe2248 que de la
réalité, la connaissance de la norme par ses destinataires reste une condition importante de son

2244
Conseil D’État, Rapport public 2006 – Sécurité juridique et complexité du droit, Paris, La Documentation
française, [En ligne] disponible sur http://www.conseil-etat.fr/ce/rappor/pdf/dospres2006.pdf. ; voir aussi R.
Mariller, (2008), « La sécurité juridique : un concept européen multiforme », Op. Cit, pp. 463-480.
2245
M.-A. Frison Roche, « Principe et intendance dans l’accès au droit et à la justice », Op. Cit., p.410.
2246
Y. Desdevises, « Accès au droit, accès à la justice », in Dictionnaire de la Justice, Op. Cit.
2247
Rapport préliminaire du Congrès de l‘Association Nationale des Avocats de France sur l‘accès à la justice,
Mulhouse 12-13-14 Mai 1977.
2248
La règle « nul n’est censé ignorer la loi » est aussi fictive que nécessaire. Le Doyen Carbonnier disait à
propos que La règle « nul n’est censé ignorer la loi » « est fausse, mais nécessaire, parce que sans elle,
l’application du droit serait constamment paralysée, les malins prenant le masque de l’ignorance. Il n’empêche
que, dans un nombre vraisemblablement élevé de cas, le résultat de la présomption est injuste ». Jean
Carbonnier, Droit et passion du droit…, Op. Cit., p. 101.

466
effectivité. L’accès limité au droit renvoie à l’aide à l’accès au droit (1), ainsi que de sa
compréhension, prérogative juridique du droit à comprendre le droit (2).

1. L’accès matériel au droit

453. Exerçant une influence déterminante sur l’opposabilité réelle de la règle, le droit
positif attribue à la règle de droit à travers la maxime « nul n’est censé ignoré la loi », une
présomption irréfragable2249. Le principe général d’opposabilité de la règle de droit induit
l’accomplissement préalable d’une mesure officielle d’information qui se fait suivant
plusieurs modalités en fonction de la nature de la règle : notification ou publication constitue
le vocabulaire généralement usité. Encore faut-il que ces modalités puissent répondre à
l’exigence d’une information suffisante. Les moyens mis en œuvre pour assurer l’accès au
droit contrastent en effet dans nos ordres juridiques internes avec la vigueur de la fiction
qu’elle porte. Ceux-ci passent essentiellement par la publication de la norme 2250 , moyen
assurant la diffusion du texte. « La publication des lois est effective au Journal Officiel de la
République », voici la formule consacrée par le droit positif camerounais et le Traité 2251
instituant l’OHADA. D’un point de vue juridique, cette publication marque le point de départ
de l’invocabilité ou de l’opposabilité de l’acte juridique. En effet, à compter de cette
publication, les justiciables sont censés en avoir pris connaissance. Le juge administratif
camerounais retient à ce sujet qu’il « est de principe général et absolu qu’une disposition
législative ou réglementaire pour être exécutoire doit, au préalable, avoir été portée à la
connaissance des intéressés ; il ne saurait en résulter que la formalité de l’approbation,
condition nécessaire mais non suffisante à l’application de ces décisions, dispense de la
publication de ce texte » 2252 . Pourtant, les deux composantes essentielles de l’OHADA –
institutions de l’OHADA et Etats membres – ne garantissent pas l’accès au droit des affaires
en particulier et au droit en général de la même manière.

2249
François Terre, Introduction générale au droit, 9eme éd., Précis, Dalloz, 2012, p. 394.
2250
Voir Guillaume Fouda, « L’accès au droit : richesse et fécondité d’un principe pour la socialisation
juridique et l’Etat de droit en Afrique noire francophone », Afrilex, 2000/01 ; André Akam Akam, « Libres
propos sur l’adage “ nul n’est censé ignorer la loi ”», Op. Cit. ; Bernard-Junior Owona Omgba, La publicité
des actes juridiques en droit public camerounais. Recherche sur l’accès au droit au Cameroun, Thèse de
doctorat, Yaoundé, Faculté des sciences juridiques et politiques, Université de Yaoundé II, 2015.
2251
Le traité énonce une double exigence de publication. Les Actes uniformes font l’objet de publication à la
fois dans le journal officiel de l’OHADA et celui des Etats membres ou « par tout autre moyen approprié » en
vertu des articles 9, 19 et 26.
2252
CFJ/CAY, arrêt du 21 juin 1966, Brasseries du Cameroun c/ Commune mixte rurale de Mbanga.

467
454. L’accessibilité matérielle à la norme juridique, est un support de la sécurité juridique.
Il suppose que l’accès matériel au droit applicable soit garanti2253. C’est la possibilité à la fois
pour tous sujets et opérateurs de droit de connaitre les règles applicables de manière à agir en
connaissance de cause. L’accès matériel à la règle de droit et au droit à d’ailleurs été l’une des
raisons à avoir conduit à la création de l’OHADA 2254 . Quoi donc de plus naturel que
l’accessibilité de la norme en vigueur du droit OHADA et sa doctrine soit relativement facile.
Dès le départ, la promotion du nouveau droit a effectivement bénéficié, au-delà de la simple
diffusion du texte, d’un renfort dans la diffusion de sa doctrine par des concours variés,
publics, privés, à l’intérieur de l’espace Ohada comme de l’étranger2255. La codification reste
l’un des moyens privilégié en vue de faciliter l’accès au droit. Elle constitue l’instrument
privilégié de la rationalisation législative dans la mesure où elle concentre le droit dans une
main pour rendre son appréhension plus aisée2256. La diffusion papier du droit est faite par les
journaux officiels et par des éditeurs privés. A ces canaux traditionnels viennent s’ajouter une
diffusion internet à partir du site internet officiel de l’OHADA2257 ou des sites privés comme
par exemple celui de l’UNIDA2258, l’assignation à l’ERSUMA de la réalisation des missions
de l’organisation par la formation, la documentation et la recherche, la consultation2259, la
création d’un centre de documentation à l’ERSUMA et dans les locaux du siège de l’OHADA
au Cameroun. En dépit de ces efforts, la diffusion reste tout de même limitée face au défi de
l’effectivité du droit des affaires. L’accès matériel au droit requiert une plus grande envergure,
2253
Gérard Ngoumtsa Anou, « De la nécessité d’une meilleure accessibilité du droit pour garantir la sécurité
juridique dans l’OHADA », mis en ligne le 12 septembre 2017, disponible sur
https://www.actualitésdudroit.fr/browse/afraique/ohada/8724/de-la-necessite-d-une-meilleure-accessibilite-du-
droit-pour-garantir-la-securite-juridique-dans-l’ohada, consulté le 8 juillet 2019 à 18:42.
2254
Voir propos recueilli de Kéba Mbaye, ancien Président de la CCJA. « Nous ne voulons pas investir parce
que nous ne connaissons pas quel est le droit qui va régir notre patrimoine. Vous allez dans un pays et vous
demandez quel est le droit qui permet de créer aujourd’hui une société anonyme, personne ne le sait. Il y a pire.
Une fois que nous arrivons à détecter, dans certains pays, quel est le droit applicable pour la création de notre
entreprise, pour sa viabilité, et au où surviendrait un jour un différend, pour la manière dont ce différend doit
être réglé, nous avons toujours des surprises considérables. Le même droit n’est pas applicable d’un pays à un
autre, d’un tribunal à un autre. On ne tient pas compte de la jurisprudence. Et, généralement, nous sommes
toujours les victimes de cette situation, c’est ce qui explique note hésitation à continuer à investir ». Termes
retranscrit dans : François Katendi et Jean Baptiste Placca, « Savoir accepter la pauvreté : Interview du
Président Kéba Mbaye », in L’autre Afrique, www.afrology.com/eco/pdf/kebam.
2255
Ferdinand Aho, « De la nécessité d’une politique de diffusion pour la réception sociale et le développement
du droit ohada », in L’OHADA Un passé, un présent et un avenir Émergence d’un nouveau pôle de
développement, Sous la coordination de Gérard Ngoumtsa Anou, Compte-rendu des travaux du Colloque
organisé par le Conseil National des Barreaux, le Barreau de Lyon et l’Organisation internationale de la
Francophonie les 24 et 25 avril 2014 à Lyon (France), pp. 131-146 ; voir aussi Coco Kayudi Misamu, « Les
enjeux d’une politique de diffusion du droit ohada pour la République Démocratique du Congo », in L’OHADA
Un passé, un présent et un avenir Émergence d’un nouveau pôle de développement, Op. Cit., pp. 159-167.
2256
Julien Betaille, Les conditions juridiques de l’effectivité de la norme en droit public interne : illustrations en
droit de l’urbanisme et en droit de l’environnement, Op. Cit., p. 373.
2257
www.ohada.org
2258
www.ohada.com
2259
Voir Traité, art. 41 ; Règlement. n° 004/2009 du 17 juin 2009, art. 3 et 4 portant Statut révisé de l’Ersuma.

468
une diffusion plus énergique. Le résultat de la publication au Journal Officiel Ohada et dans
celui des États, ou par tout autre moyen approprié demeure en deçà des besoins, son tirage
réduit, l’absence de réseau de diffusion, la lenteur d’acheminement vers les États2260, le déficit
de coopération de certaines administrations nationales qui ne distribuent pas ou distribue mal
les quantités mises à disposition par le Secrétariat permanent, le marasme de la presse et de
l’edition juridique entre autres, sont autant de facteurs limitant la diffusion du texte. La liste
est longue, et les raisons nombreuses2261. Des efforts sont fait, mais le justiciable reste sur sa
soif de l’information juridique.
Si l’accès matériel au droit OHADA, semble relativement assuré par l’organisation
africaine, l’accessibilité du droit national reste quant à elle problématique. Si la publicité de la
norme reste le principe, l’on assiste dans la réalité à l’inaccessibilité matériel de ce droit
caractérisé par la parution épisodique, aléatoire, voire confidentielle du journal officiel2262.
Pour satisfaire l’objectif d’accessibilité de la loi, la publication par le journal officiel est
apparue insuffisante. C’est pourquoi le législateur a consacré une procédure d’urgence
constituée de l’insertion dans un journal d’annonces légales. Mais la procédure d’urgence est
devenue la règle de la diffusion du texte. Il faut par ailleurs souligner avec emphase que dans
le contexte actuel des États de l’Ohada, ils ne sont nombreux les journaux pouvant réunir,
dans l’optique de garantir une diffusion nationale satisfaisante, les conditions d’habilitation à
recevoir des annonces légales, c’est-à-dire notamment : justifier d’une vente effective par
abonnement, dépositaires ou vendeurs et justifier d’une diffusion à l’échelle nationale. De
même, les juridictions qui bénéficient d’une bibliothèque peuvent être dénombrées sur les
doigts de la main. L’accès des citoyens à des services juridiques et à un service public de la
justice de qualité passe par la compétence des professionnels du droit. Il se situe au cœur du
système. L’un des critères de la compétence, c’est la connaissance. L’accessibilité à une
information juridique intègre, complète, disponible et facile à exploiter en est le fondement.
L’information juridique confère aux professions juridiques et judiciaires, des outils pour
mieux assurer les droits des citoyens, un service juridique de qualité. Mais l’accessibilité et la
2260
Le Journal Officiel (JO) Ohada est tiré à 2 000 exemplaires en moyenne pour l’ensemble des États membres.
Sa distribution n’est pas assurée par un réseau de relais nationaux (publics ou privés). L’acheminement des lots
offerts aux États n’est pas soumis à un mécanisme reposant sur des délais et un dispositif opératoire garantissant
une efficacité optimale. C’est ainsi, par exemple, que le JO Ohada du 15 février 2014 publiant l’AUSCGIE
entrant en vigueur le 5 n’est pas expédié aux États à la date du 21 avril 2014. Il ne leur est donc accessible que
sur internet.
2261
Sur les raisons expliquant les failles de l’accès au droit en droit OHADA, voir Ferdinand Aho, « De la
nécessité d’une politique de diffusion pour la réception sociale et le développement du droit ohada », in
L’OHADA Un passé, un présent et un avenir Émergence d’un nouveau pôle de développement, Op. Cit.
2262
André Akam Akam, « Libres propos sur l’adage “ nul n’est censé ignorer la loi ” », Op. Cit. ; Voir aussi,
Olivier Fandjip (2017), « Les obstacles à la publicité des actes administratifs dans les États d’Afrique
francophone : l’exemple du Cameroun », 51 RJTUM, pp. 465-486.

469
diffusion de l’information au moment opportun, l’accès des magistrats à l’information
juridique au sein de la juridiction ne semblent pas constituer des valeurs essentielles du
système judiciaire camerounais.

455. L’accès à la justice veut aussi dire accès au produit, au résultat de la saisine du juge,
l’accès aux jugements des différents tribunaux. Si l’accès à l’information est relativement
garanti, l’accès à la règle jurisprudentielle, à l’interprétation et l’application que fait le juge de
la règle de droit l’est moins. L’accès la jurisprudence est une question délicate, mais qui
devient néanmoins une impérieuse nécessité. La connaissance des décisions et des arrêts est
fondamentale. Si le Cameroun conservent dans son système de droit l’héritage du droit
romano germanique où la jurisprudence n’a pas la même force juridique que dans les
systèmes de common law, l’accès à la jurisprudence n'en demeure pas moins essentielle aussi
bien pour le justiciable, mais encore plus pour les magistrats et les professionnels du droit. La
publicité des décisions nationales est restée quasi inexistante. Le système de justice
camerounais est étranger à la diffusion des jugements et arrêts de ses juridictions. Celle de
l’OHADA, insuffisante en plus de deux décennies de jurisprudence OHADA. Le nouveau
règlement de procédure de la CCJA prévoit la publication d’un répertoire de jurisprudence2263
mais qui parait avec beaucoup de retard. De plus, sa diffusion est limitée. En d’autres termes,
le répertoire de jurisprudence de la CCJA est peu diffusé alors que la manière dont ce droit est
interprété et appliqué pourrait être un facteur d’intéressement des investisseurs situés à
l’extérieur des frontières de l’espace OHADA où il est diffusé. Si la diffusion à travers les
nouveaux médias de l’information et de la communication a été amorcée, elle reste néanmoins
embryonnaire 2264 . Quant à la diffusion par le site internet, elle n’est ni systématique ni
structurée comme on peut l’observer à titre d’exemple sur le site des hautes juridictions
françaises que sont la Cour de cassation, le Conseil d’Etat ou même encore les juridictions
chargées de l’application du droit européen. Sur le plan national, l'accès à ces décisions
demeure coûteux2265, procédurier, compliqué et relève parfois de la croix et de la bannière.
Aussi bien que l'immense majorité des sujets de droit ne sont-ils pas plus exposés aux
2263
Article 42.
2264
Gérard Ngoumtsa Anou, « De la nécessité d’une meilleure accessibilité du droit pour garantir la sécurité
juridique dans l’OHADA », Op. Cit.
2265
La communication et la consultation d’un jugement, d'un arrêt est généralement soumise au paiement de
certains frais. En outre, s’il revient aux juridictions de publier leurs décisions, la pauvreté des juridictions,
l’accès difficile à certaines juridictions et la collecte des décisions rendent la tache difficile. Il existe dans
certains pays membres de l’OHADA comme en Cote d’Ivoire, au Sénégal, des organes chargés de la publication
des décisions de justice et de la jurisprudence. Des bases de données juridiques indexent les arrêts et les
décisions dans des bulletins et des recueils. Néanmoins, la diffusion de la jurisprudence demeure nettement
insuffisante et ce en dépit des efforts consentis afin de développer la publication et la collecte des décisions de
justice émanant des hautes juridictions telles que les cours de cassation ou les cours suprêmes.

470
« messages des juges » qu'aux autres informations juridiques2266. L’application du droit fait
l’objet au sein de nos juridictions, d’un volume de contentieux important et les interprétations
qu’en font les juges se multiplient. Par conséquent, la publication des décisions de justice
devient donc en enjeu très important pour la sécurité juridique et judiciaire2267. La régularité
des publications des jugements et arrêts en droit OHADA n'est pas assurée de manière
fréquente. Le difficile d'accès à la jurisprudence, aux jugements et arrêts locaux est tellement
problématique que les magistrats africains préfèrent généralement se référer aux décisions
européennes2268 incitant le juge africain à l’exemple du Togo ou ailleurs, à fonder l’une de ses
décisions sur une jurisprudence française plutôt que sur celle de ses pairs de l’espace OHADA
qu'il ignore totalement car rarement publiée2269. Le droit d’accès à un tribunal veut aussi dire
accès aux jugements et arrêts des cours et tribunaux. L’accessibilité des décisions de justice
interpelle donc le système de justice camerounais, car la jurisprudence n’est plus que la
bouche de la loi, elle est l’une des sources de droit, tantôt créatrice de droit2270, tantôt outil de
clarification du droit2271. Les décisions de justice doivent donc être accessibles à tous, juristes
et non juristes. La publication des jugements rendus en matière commerciale par exemple,
contribuerait à développer une jurisprudence cohérente à travers le système judiciaire.

456. Il pèse donc sur l’OHADA et ses Etats membres aujourd’hui et pour l’avenir, un
devoir d’information, le « devoir d’information juridique »2272. Les progrès qu’apportent le
droit aussi bien national que OHADA ne semblent ni perçus ni ressentis à leur juste valeur par
de nombreux usagers de la justice. Ces derniers agissent dans la conduite quotidienne de leurs
activités économiques, hors de la loi qu’ils ne connaissent pas et s’aperçoivent plus tard voire
parfois trop tard qu’ils ne l’ont pas ou mal utilisée2273. La découverte de la règle générale est

2266
G. Cornu, Droit civil. Introduction. Les personnes, les biens, Ed. Montchrestien 1988, n° 109. p. 45.
2267
Gérard Ngoumtsa Anou, « De la nécessité d’une meilleure accessibilité du droit pour garantir la sécurité
juridique dans l’OHADA », Op. Cit.
2268
Voir Amavi Tagodoe, Diffusion du droit et Internet en Afrique de l'Ouest, Mémoire, Université de
Montréal, 2005, p. 17.
2269
Comi M. Toulabor, « De la démocratisation au développement institutionnel », dans L'État de droit, 1998,
source : http://www.etat.sciencespobordeaux.fr/ayppos.html.
2270
Voir sur la question Cour de Cassation, Le rôle normatif de la Cour de Cassation, Etude annuelle 2018,
Sous la direction du Professeur Fabien Marchadier, La documentation française, 2018 ; N. Molfessis (dir.), Les
revirements de jurisprudence, LexisNexis, 2005.
2271
J. Michel Doyon, « Accessibilité du jugement et droit d’auteur », in Les Cahiers de propriété intellectuelle,
Vol. 20, n° 3, 2008, pp. 663-673.
2272
Loïc Panhaleux, « Le devoir d'information juridique », in : Revue juridique de l'Ouest, 1990-2. pp. 125-
178. Selon Monsieur A. Dunes, « Documentation Juridique », Dalloz 1977, n° 12, pp. 9-10, « l'information
juridique consiste, à titre principal, à décrire et à exposer l'ensemble des règles régissant les rapports des
hommes entre eux, à instruire du contenu du droit positif ». Le devoir d’information juridique, peut être
considéré comme le devoir mis à la charge d'un sujet de droit d'éclairer un autre sujet de droit.
2273
Jocelyn Ngoumbango Kohetto, L’accès au droit et a la justice des citoyens en République centrafricaine,
Thèse, Op. Cit., p. 6.

471
faite généralement à l’occasion d’erreurs ou de procès, faisant a priori apparaitre la loi comme
une injustice, une contrainte ou une violence 2274 . En raison d’une accessibilité limitée, le
monde du droit et plus encore celui de la justice apparaissent au public non averti comme
hostile autant que mystérieux. La loi inconnue ne saurait être respectée. Cet état de choses
engendre au niveau de l’opinion une méconnaissance des progrès, des garanties assurées au
citoyen. L’accès au droit des populations, perçu comme l’accès à la connaissance du droit2275,
mais aussi à sa production, est une question qui se pose dans le système juridique
camerounais avec acuité. Si d’un coté, nul n’est censé ignorer la loi, de l’autre, les initiateurs
de ce droit doivent pouvoir garantir aux destinataires de la règle, l’accès à l’information
juridique et d’utiliser dans ce but, l’ensemble des moyens disponibles et appropriés pour
s’assurer que le public puissent connaitre les lois qui régissent leur conduite et leur activités.
La publication ou diffusion n’est qu’une information passive, elle ne garantit en rien le niveau
adéquat d’information juridique du justiciable. Elle n’implique pas la connaissance de la
norme par chacun. Même s’il revient au public « de faire l’effort de se renseigner sur son
contenu »2276, il faut aussi dire que sur un plan général, « l’ignorance de masse est le lot de la
majorité des règles en vigueur »2277. Pour René Degni-Segui, il s’agit du droit à ignorer le
droit2278. Il ne serait pas exagéré de corroborer le point de vue selon lequel la défaillance des
supports choisis pour la diffusion du droit dans les pays d’Afrique francophone, fait de l’accès
au droit un mythe2279. Selon Aude Rouyère, « la règle peut être dépourvue de tout effet parce
que le décalage entre la fiction proposée et la réalité est trop important pour qu’elles soient
susceptibles de se rejoindre »2280. Le droit ne s'applique que s'il est connu. Or, le système
général de publication des règles de droit est déficient. A supposé que par intérêt le justiciable
détienne l'information juridique, il lui reste encore à en déterminer le contenu et sinon à le
saisir intellectuellement pour en faire l’usage auquel le législateur l’a destiné.

2274
Ibid.
2275
Ginevra Peruginelli, « L'accès global au droit : un aperçu du passé et un regard vers l'avenir », Revue
française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 4, 2014, mis en ligne le 01 janvier
2014, consulté le 24 janvier 2020, disponible sur http://journals.openedition.org/rfsic/919.
2276
P. Deumier, « La publication de la loi et le mythe de sa connaissance », LPA, 6 mars 2000, p. 6-12 .
2277
Julien Betaille, Les conditions juridiques de l’effectivité de la norme en droit public interne : illustrations en
droit de l’urbanisme et en droit de l’environnement, Thèse, Op. Cit., p. 372.
2278
René Degni-Segui, « L’accès à la justice et ses obstacles », in Law and politics in Africa, Asia and Latin
America, Op. Cit.
2279
Olivier Fandjip (2017), « Les obstacles à la publicité des actes administratifs dans les États d’Afrique
francophone : l’exemple du Cameroun », Op. Cit.
2280
Julien Betaille, Les conditions juridiques de l’effectivité de la norme en droit public interne : illustrations en
droit de l’urbanisme et en droit de l’environnement, Thèse, Op. Cit.

472
2. L’accessibilité intellectuelle de la loi

457. L’accessibilité des règles de droit peut être envisagée d’un point de vue tant matériel
qu’intellectuel. Par accessibilité intellectuelle il faut aussi entendre « la prérogative juridique
du droit à comprendre le droit » 2281 , ou encore la compréhension que ses destinataires
pourraient avoir de la norme. Un caractère supplémentaire est ainsi requis de la règle de droit,
son intelligibilité. D’une façon générale, une chose est intelligible si son sens peut être perçu
par l’activité intellectuelle humaine2282. On est donc en présence d’une loi intelligible non pas
parce qu’elle est parfaitement compréhensible par tous mais parce qu’elle n’est pas
manifestement incompréhensible. La norme intelligible s’oppose à la loi inacceptable,
2283
imprécise et obscure . Pour Antoine de Montalivet repris par Julien Betaille,
l’intelligibilité, est la « compréhensibilité ou la propension d’une chose à être comprise, à
voir son sens déterminé par l’activité intellectuelle humaine » 2284 . En relation avec la
réalisation du droit au juge, une loi est considérée comme intelligible lorsque la personne
ordinaire qui en prend connaissance comprend les droits que la loi concrétise à son profit ou à
son encontre, et mesure également les moyens d’effectivité de ceux-ci, notamment le mode de
contentieux de la protection des droits2285. L’intelligibilité est l’une des accusations faite à
l’égard du droit moderne, fréquemment invoquée pour regretter la complexité croissante de la
règle juridique à laquelle est confrontée le justiciable. Si le législateur OHADA par contre,
préfère le terme de « droit simple » auquel il ne donne malheureusement aucune définition, le
législateur camerounais est muet sur le sujet. Le droit peut-il être simple ? Il faut se garder de
confondre simplicité et clarté. Une règle de droit peut être simple tout en étant complexe.
C’est dans le sens de clarté qu’il faut comprendre le terme « simple » du Traité. Une loi
intelligible est une loi claire. Une loi inintelligible serait ainsi obscure. Une loi est obscure
lorsqu’elle contient un terme ambigu, vague, parfois même abstrait 2286 . Pathologies de la
norme auxquelles peut être ajoutée les problèmes relatifs à la rédaction du texte, syntaxe

2281
Loïc Panhaleux, « Le devoir d'information juridique », Op. Cit.
2282
M.-A. Frison Roche, « Le principe constitutionnel de l’accessibilité et de l’intelligibilité de la loi », in Le
Dalloz, 2000, n° 23, pp. 361-368.
2283
P. Garant, « Le contrôle juridictionnel de l’imprécision des textes législatifs et réglementaire au Canada »,
in L’Etat de droit, Mélanges G. Braibant, Dalloz, 1996, p. 275-291 et 279-280.
2284
Julien Betaille, Les conditions juridiques de l’effectivité de la norme en droit public interne : illustrations en
droit de l’urbanisme et en droit de l’environnement, Thèse, Op. Cit.
2285
M.-A. Frison Roche, « Le principe constitutionnel de l’accessibilité et de l’intelligibilité de la loi », Op.
Cit.
2286
P.-Yves Ardoy, « La simplification des techniques juridiques : pourquoi ? Les objectifs de la
simplification », In : Frédérique Rueda, (ed.), Jacqueline Pousson-Petit, (ed.), Qu'en est-il de la simplification
du droit ? [En ligne], Toulouse : Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2010, pp. 123-138, Consulté le 31
octobre 2019 à 20h19, disponible sur le portail http://books.openedition.org/putc/1290.

473
comprise. Or, et c’est là que réside toute la problématique de l’intelligibilité ou de droit
simple. Un accès simple et prétendument rapide à l’ensemble des normes juridiques n’a
absolument pas engendré un meilleur accès intellectuel du droit, bien au contraire. Face à la
multitude des normes d’une part, et la complexité tant du vocabulaire que du système de
justice d’autre part, force est de constater que le citoyen se sent exclu du monde juridique,
renforçant ainsi son insécurité juridique. Sur le plan de la forme, le discours juridique se
distingue par son langage hermétique et rébarbatif qui rend le droit et la justice difficilement
accessible à ceux pour qui elle est normalement destinée. Le Professeur Louis Bergel, préfère
trancher le débat lorsqu’il réaffirme que « l'inévitable complexité de la règle de droit
qu'engendre la diversité des relations sociales rend illusoire l'idée que le citoyen puisse, sans
formation juridique, comprendre les textes à leur seule lecture »2287. On peut donc conclure
que, le droit applicable est un droit des spécialistes. Le vœu de simplicité énoncé par les
rédacteurs du Traité OHADA suscite des interrogations. La simplicité est-elle pour le
justiciable ou pour le juriste ? La seconde option nous semble l’option à faire. Certes des
efforts de clarification sont perceptibles, mais le droit applicable au Cameroun reste
néanmoins assez technique. Du droit OHADA, malgré les efforts de clarification effectués
dans les différents Actes Uniformes, le langage juridique, qui ne peut totalement
malheureusement se défaire de sa technicité, sauf à n’être plus du droit, ou autre chose que le
droit demeure pour beaucoup largement ésotérique. La complexité et la technicité des
procédures civiles d’exécution sont en effet partagées et non remise en cause par l’ensemble
des spécialistes de la discipline. L’on assiste en effet depuis l’importation du droit occidental,
à l’existence de ce qu’on appellerait domaine et connaissances propres aux juristes. Peut-on
réellement exercer des professions juridiques et judiciaires sans formation juridique. La
pratique juridique suppose la mise en œuvre de savoirs juridiques. « L’avocat, le notaire, le
professeur de droit, le rédacteur de compagnie d’assurance, le collaborateur du service
juridique d’une entreprise, le greffier, l’huissier, le chroniqueur judiciaire, l’éditeur juridique
ne peuvent accomplir leur tâche s’ils n’ont pas les connaissances juridiques requises »2288. Le
syntagme « science juridique » traduit cette érudition du droit propre aux « juristes »,
désignant couramment celui qui a reçu une certaine formation et dispose d’un certain savoir
dans le domaine. Le justiciable ne justifiant d’aucune formation ou d’un intérêt tenace pour
l’appréhension de la chose juridique fléchit au simple contact des dispositions légales ou des
décisions prétoriennes. Ces dernières se révèlent inextricablement inutilisables sans la

2287
J.L. Bergel, Théorie générale du droit, Dalloz Op. Cit., p. 2-11.
2288
C. Atias, Epistémologie juridique, Paris, Dalloz, Droit privé, 2002, n° 13, p. 12.

474
maîtrise du procédé de raisonnement, de la méthode d’exploitation des données caractérisant
les juristes2289. La doctrine et les praticiens ont par exemple souligné la difficulté à identifier
avec précision le juge du contentieux de l’exécution établi par l’article 49 de l’AUPSRVE, la
complexité de la procédure de saisie immobilière, la question lancinante du sursis à exécution,
la question non tranchée sur l’existence ou non d’un préalable à l’exécution forcée ou aux
mesures conservatoires à défaut d’exécution volontaire posée par l’article 28 de l’AUPSRVE.
Les juridictions nationales demeurent divisées sur la question signe de la disparité dans
l’application du droit uniforme. La liste est non exhaustive. L’établissement de la contrariété
entre les normes reste un exercice à l’issue incertaine 2290 . Ceci laisse comprendre que
certaines personnes ne savent pas comment faire valoir leurs droits en justice, par manque
d’information, de connaissance, de conseils, par ignorance tout court. Pour être plus concret,
il faut prendre acte que le droit est souvent proprement inaccessible, d’avantage difficile à
reconnaître, à comprendre, à mettre en application 2291 . Et cette complexité de la chose
juridique n’épargne pas les membres du corps judiciaire qui eux aussi, ont parfois du mal
suivre les mouvements imprimés à la règle de droit. Que de vouloir simplifier le droit, il faut
simplifier ses procédures, donner au justiciable la possibilité de bénéficier de son droit au
droit et ne pas s’arrêter là. Car c’est aussi parce que l’adhésion du destinataire à la norme est
régulièrement négligée que l’inaccessibilité au droit applicable peut être source d’ineffectivité
et partant d’insécurité juridique.

B. L’adhésion des destinataires à la norme édictée

458. Les causes d’une faible ou d’une bonne connaissance du droit doivent être recherchées
dès leur élaboration. Par exemple, l’inclusion ou l’exclusion des destinataires à l’édiction de
la norme (1) tout autant que sa réception per ceux-ci (2). L’accessibilité et l’effectivité de la
norme est d’autant plus importante que cette dernière est mobilisée par le corps social2292.
Celles-ci demeureront des principes creux dans le cas contraire. L’adhésion des destinataires,
du juge, bref du corps social à la norme semble donc être une condition de son accessibilité.

2289
Ibid.
2290
Voir Djibril Abarchi, « Sécurité juridique et enjeux normatifs en Afrique de l’Ouest dans le domaine du
droit des affaires », Communication faite au Colloque sur le thème, La concurrence des organisations régionales
africaines tenu en 2009 à l’Université de Bordeaux IV, Ohadata D-12-27.
2291
M.-A. Frison Roche, « Le droit d’accès à la justice et au droit », in Libertés et droits fondamentaux, Op.
Cit.
2292
Antoine Jeammaud et Evelyne Serverin, « Evaluer le droit », Dalloz, 1992, p. 263.

475
1. L’exclusion des destinataires à l’édiction du droit applicable

459. La légitimité des normes qui composent un ordre juridique résulte traditionnellement,
dans un régime démocratique, de la participation de tous à la définition de la loi expression de
la volonté générale2293. Le Cameroun est une République qui revendique inlassablement son
statut d’Etat démocratique. S’inspirant largement de la constitution française de 1958, il tente
de combiner le régime semi-direct de démocratie selon lequel, « la souveraineté nationale
appartient au peuple camerounais qui l'exerce soit par l'intermédiaire du Président de la
République et des membres du Parlement, soit par voie de référendum » 2294 . Le système
d’édiction des normes appliqué est un système de représentation et non de participation du
citoyen premier destinataire de tout corpus juridique. Le système de participation produirait
selon la doctrine du droit public, « un mouvement d’adhésion des citoyens indissociable d’un
sentiment de valorisation d’eux-mêmes. Elle conditionne l’efficacité de l’action publique
» 2295 . Si donc dans le cadre démocratique, la plupart des lois font l’objet de débats
parlementaires perméttant de mesurer les enjeux des textes à adopter, on constatera pourtant
que, dans le cadre spécifique de l’OHADA, en dépit de la grande ambition des Etats
membres, de la complexité des problèmes à résoudre, de la simplicité juridique recherchée
pour atteindre le dessein de cette organisation, les projets d’Actes uniformes sont élaborés
sans véritable « débat public », consultation du monde des affaires. Les acteurs économiques
reprochent au législateur leur exclusion du processus d’élaboration de la norme. Ce qui a valu
au législateur du droit des affaires africain d’être qualifié de « législateur pressé » 2296 . Si
l’opacité de la norme en cours d’élaboration peut avoir été atténuée par la mise en place de
Commissions nationales de travail, les projets d’actes uniformes sont élaborés sans véritables
débats. On en veut pour preuve, l’absence de publication des projets d’élaboration et de
revision des Actes uniformes en vue de permettre aux professionnels et différentes
corporations juridiques et judiciaires de faire des propositions 2297 . Le droit généralement
applicable donne l’impression d’un droit venu d’en haut, sous la contrainte des groupes de

2293
Julien Betaille, Les conditions juridiques de l’effectivité de la norme en droit public interne : illustrations en
droit de l’urbanisme et en droit de l’environnement, Op. Cit., p. 380.
2294
Constitution du 18 Janvier 1996, Article 2 alinéa 1.
2295
Julien Betaille, Op. Cit. ; Voir aussi, Anne-Charlène Bezinna, « La participation du public à la législation
», Jurisdoctoria, 2010, p. 127.
2296
Pierre Bourel, « A propos de l’OHADA : libres opinions sur l’harmonisation du droit des affaires en
Afrique », D., 2007, n° 14, p. 969.
2297
G. Ngoumtsa Anou, « De la nécessité d’une meilleure accessibilité du droit pour garantir la sécurité
juridique dans l’OHADA », Op. Cit.

476
pression, des bailleurs de fonds, lobbies, hommes d’affaires internationaux2298, remettant ainsi
en cause au passage, l’occasion d’une appropriation singulière du droit OHADA. Nous avons
besoin d’un droit qui répond à nos besoins quotidiens. Et nous convenons avec la juge
Deschamps que, la justice n’est pas que l’affaire des juges et avocats, c’est l’affaire de
chacun2299.
Pour reprendre un proverbe Bambara du Mali, « on ne peut raser la tête d’une
personne sans elle ». Autrement dit, élaborer un droit en excluant ses principaux destinataires,
c’est comme raser la tête d’une personne sans elle. On retrouve également cette exclusion en
droit interne, par exemple, cela a été souligné2300, l’exclusion du corps des magistrats dans
l’érection des règles éthiques et déontologiques de la profession. Toutefois, les professions
juridiques et judiciaires participent pour certaines directement et pour d’autres indirectement à
la distribution du service public de la justice. En ce sens leur présence est indispensable à la
bonne marche de la justice et de la mise en œuvre du droit. Dès lors, l’absence des professions
juridiques et judiciaire dans l’élaboration du droit quel qu’il soit, n’est pas sans conséquences
sur sa mise en œuvre. La qualité de la mise en œuvre du droit dépend également du degré
d’implication des personnes chargées de l’animer 2301 . La préparation des projets d’Actes
uniformes, des projets de loi est généralement caractérisée par l’insuffisance, pour ne pas dire
le défaut d’investigations exploratoires et de concertation. Comme le soutenait Rousseau dans
son célèbre contrat social, « celui qui ose entreprendre d’instituer un peuple, ne commence
pas par rediger de bonnes lois : il examine auparavant si le peuple auquel il le destine est
propre à les supporter ». Les investigations exploratoires impliquent donc une
expérimentation, l’organisation de sondage au sein des justiciables, futurs consommateurs du
droit, des enquêtes sociologiques, anthropologiques, des études d’impact dans l’optique de
mesurer les bénéfices escomptés, repérer les potentiels points de blocage et prendre en compte
les besoins des milieux professionnels et du tissu économique concernés. L’élaboration de
normes sans la prise en compte des préoccupations du milieu social et économique reste
néanmoins le principe au sein de l’ordre juridique camerounais. L’exclusion des destinataires

2298
Pierre Bourel, « A propos de l’OHADA : libres opinions sur l’harmonisation du droit des affaires en
Afrique », Op. Cit.
2299
Marie Deschamps (2009), « L’accès à la justice, l’affaire de chacun », Les cahiers de droit, 50 (1), 245-
258.
2300
Voir Supra, Première partie, Titre Second.
2301
Mamadou I. Konaté et Bérenger Meuke, « L’implication des professions juridiques et judicaires dans le
renforcement de l’application du droit OHADA », Jurifis Info n° 13, Novembre-Décembre 2013, pp. 4-15.
Ohadata D-14-01.

477
entrainant le risque d’inscrire le droit applicable plus dans la verticalité et « l’indifférence » de
ses destinataires pour un droit venu d’en haut2302.

2. La réception de la norme par ses destinataires

460. Recevoir c’est « être mis en possession d’accepter, d’accueillir »2303 quelque chose.
L’histoire d’une norme commence le jour de sa naissance disait Georges Ripert2304. Le jour de
son application est déterminé par celui de sa publication et à partir de ce moment, nul n’est
censé l’ignorer. A partir de ce moment la règle de droit a un effet erga omnes. Elle s’impose à
tous, respectivement à l’Etat, au juge saisi des contestations et aux sujets de droit sur lesquels
pèse le cas échéant la charge de l’appliquer ou de la respecter. Aussi, parler de réception de la
norme pourrait être excessif, parce que celle-ci est applicable de plein droit. Cependant, la
norme à ce stade reste à l’Etat virtuel, la norme « est simplement en sommeil » dira Julien
Betaille2305. Pour être reçue, la norme doit être mobilisée devant le juge par les acteurs du
droit pour l’inscrire dans ce que Rudolf Von Jhering appelle une « lutte pour le droit ». Une
fois la norme entrée dans le droit positif, cette lutte devient en quelque sorte une lutte pour son
effectivité. Ainsi, « ce n’est point pour la loi abstraite que se poursuit la lutte, mais pour son
incarnation dans un droit concret »2306. Si la loi n’est pas reçue, elle vivra d’une vie ignorée,
dédaignée, par ceux qu’elle devra régir. L’accessibilité de la norme est donc plus importante
lorsqu’elle reçue par les acteurs du droit que sont justiciables, juge et autres opérateurs du
droit.

461. De ce point de vue, il convient premièrement d’interroger l’aptitude qu’ont les


destinataires de la norme à la mobiliser de sorte que celle-ci puisse produire ses effets. En
effet, lorsqu’ils y trouvent un intérêt 2307 , les destinataires de la norme ont une tendance
naturelle à « revendiquer » son effectivité. Dans notre contexte, la mobilisation de la norme
qui se caractérise certes, par la place éminente et le rôle essentiel du citoyen dans la
mobilisation des potentialités juridiques de la norme 2308 , dépend essentiellement du degré
d’ouverture de l’accès à la justice. Sur ce point, la réception de la règle de droit en général
2302
Pierre Bourel, « A propos de l’OHADA : libres opinions sur l’harmonisation du droit des affaires en
Afrique », Op. Cit.
2303
Entrée « recevoir », in CNRTL-CNRS-ATILF, www.cnrtl.fr.
2304
G. Ripert, Les forces créatrices du droit, 2e éd., Paris, LGDJ, 1995, p. 363-364.
2305
Julien Betaille, Les conditions juridiques de l’effectivité de la norme en droit public interne : illustrations en
droit de l’urbanisme et en droit de l’environnement, Op. Cit., p. 509.
2306
Rudolf Von Jhering, La lutte pour le droit, 1890, rééd. Dalloz, 2006, p. 65.
2307
Cet intérêt peut être individuel, altruiste, économique, voire politique. V. Eric Millard, « La justiciabilité
des droits sociaux : une question théorique et politique », La Revue des Droits de l’Homme, juin 2012, p. 452.
2308
Julien Betaille, Les conditions juridiques de l’effectivité de la norme en droit public interne : illustrations en
droit de l’urbanisme et en droit de l’environnement, Op. Cit, p. 511.

478
demeure une préoccupation. Ici revient la question du taux élevé d’analphabétisation et
l’illettrisme juridique caractérisé par une insuffisance de la compétence juridique du public.
Un accès suffisamment large à la justice assure aux justiciables la mobilisation de la norme,
c’est-à-dire la possibilité de mettre en jeu les règles de droit applicables. Ces dernières sont
ainsi mises dans le jeu du droit, jeu au sein duquel le juge peut faire prévaloir le droit sur le
fait, c'est-à-dire in fine, assurer l'effectivité de l’accès au droit et à la justice. Ce qui par voie
de conséquence confère aux destinataires de la norme, le premier rôle.
Si la réception de la norme par ses destinataires est indispensable pour que celle-ci
puisse déployer ses effets, elle est de loin insuffisante. L’essentiel se joue une fois que l’action
en justice envisagée a été admise. La réception de la norme par le juge, l’arbitre, le tiers
médiateur ou conciliateur revêt alors une importance capitale. Saisi des contestations, le juge
individualise et assure la réalisation de la règle de droit, pour en devenir « le maître de
l’effectivité des droits et des lois » 2309 . La réception de la norme par le juge réside
essentiellement sur son pouvoir d’application et d’interprétation de la norme. A ce stade, le
juge est incontestablement amené l’interpréter toutes les fois qu’il est saisi sans qu’il puisse
prétendre à l’obscurité ou ambigüité de loi2310.

462. Si le juge rend concret la réception du droit par son application, quelques ombres
subsistent à cette possibilité de réception judiciaire du droit. Nous n’en évoquerons que deux.
Le premier, l’accessibilité intellectuelle critiquable du droit applicable a déjà été examinée
plus haut. Le second est quant à lui, spécifiquement lié à la faible invocabilité des actes
uniformes. D’une enquête menée dans un pays d’Afrique de l’Ouest 2311 , membre de
l’OHADA, il ressort que, devant la plupart des situations litigieuses, les justiciables potentiels
ont un comportement surprenant en lien selon les enquêteurs, à la perception de la justice. La
référence au divin « Bon Dieu » est un phénomène récurrent. Selon F. M. Sawadogo2312, en
cas d’inexécution de l’obligation, qu’elles soient contractuelles ou non, il est régulièrement
observé que le créancier déçu invoque les ancêtres ou les divinités. Une telle invocation, de
nature à entraîner des sanctions immédiates sur terre ou plus tard au ciel produit bien souvent
selon l’auteur un effet radical : la reconnaissance de la dette et le paiement. Ce constat a
2309
L’expression est de William Baranès et M.-A. Frison Roche, « Le souci de l’effectivité du droit », Op. Cit,
p. 301.
2310
Cf. Article 4 du Code civil applicable.
2311
Congrès 2008 de Lomé : le rôle du droit dans le développement économique, « la perception du droit et de
la justice dans les villes de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso Burkina Faso », Enquête réalisée par le Club
OHADA des enseignants du Burkina Faso à la demande de l’IDEF (Institut international de droit d’expression et
d’inspiration française) Ouagadougou septembre 2008, disponible sur http://www.institut-idef.org.
2312
« L’accès à la justice en Afrique francophone : problèmes et perspectives : le cas du Burkina Faso », in
Revue juridique et politique 1995, n° 2, p. 204 et s.

479
amené un auteur à poser le postulat selon lequel, l’enchevêtrement du droit avec d’autres
mécanismes de régulation sociale telles que la morale, la magie, la religion, la croyance en de
possibles interventions de l’ordre naturel et cosmique, la transgression d’une règle pouvant
déclencher des phénomènes célestes ou des épidémies, conduit à un meilleur respect du droit
en multipliant les possibilités de sanction 2313 . Pratiques qui ne peuvent que limiter
l’invocabilité et donc sa réception. Le droit ne pouvant être utilement reçu, mis en
mouvement, que s’il est invoqué.

463. C’est dire qu’au delà du Nemo censetur ignorare leguem, fiction juridique certes, mais
nécessaire, la fonction du droit a évoluée : il n’est plus uniquement un ensemble de règles
chargé de régir les rapports sociaux, mais aussi instrument de développement économique2314.
La création de l’OHADA et le foisonnement des institutions sous régionales à vocation
d’intégration économique ou encore le développement du droit international économique en
est la parfaite illustration. Par conséquent, « l’ignorance juridique » 2315 , est de moins en
moins tolérée, que ce soit d'un point de vue micro-juridique, celui des sujets de droits, ou d'un
point de vue macro-juridique, celui des ordres juridiques. Au plan micro-juridique, on peut
considérer que les règlent de droit servent à garantir les intérêts de la vie, à réaliser ses buts.
Elles sont faites pour être vécues, pour régir des situations concrètes. Or l'ignorance réduit,
voire annihile cette utilité 2316 . Cette observation vaut particulièrement pour toutes les
dispositions protectrices élaborées notamment en faveur des justiciables. Au plan macro-
juridique, l'ignorance juridique porte atteinte à l'effectivité des ordres juridiques, qu'ils soient
internes ou supranationaux. Monsieur Mattera estimait ainsi en son temps pour le cadre
européen, valable aujourd’hui pour l’ensemble du droit applicable que, « le fait que les
bénéficiaires potentiels - opérateurs économiques et entreprises - ignorent encore les
nouvelles possibilités qui leur sont offertes et le rôle qu'ils ont à jouer »2317, est l’ « une des
causes majeures de l'état d'inachèvement du marché commun »2318.

464. Ce qui nous amène à rappeler un point essentiel que l’on a tendance à oublier. Le
concept d’accès à la justice a deux segments : d’un côté « l’accès » et de l’autre « la justice ».

2313
Cf. N. Rouland, La tradition juridique africaine et la réception des déclarations occidentales des droits de
l’homme, Droit et cultures, 1993, p. 51.
2314
P. Amselek, « L’évolution générale de la technique juridique dans les sociétés occidentales », Rev. Dr. pub.
1982, p. 279 : « Le droit ne sert plus seulement à maintenir le bon ordre dans la cité, mais aussi à promouvoir le
développement économique et social optimum de la cité ».
2315
Loïc Panhaleux, « Le devoir d'information juridique », Op. Cit.
2316
Ibid.
2317
A. Mattera, « Le marché unique européen, ses régies, son fonctionnement », Jupiter, 1988. pp. 4-5
2318
Ibid., p. 564.

480
L’idée de justice peut être rattachée au concept d’égalité, appréhendé dans le sens de la prise
en considération des besoins des citoyens. Dans son célèbre ouvrage A Theory of Justice, John
Rawls met l’accent d’ailleurs sur l’égalité de l’accès à la justice 2319 . Aussi, dans le
prolongement de cet esprit de rattachement, il est donc possible de penser comme monsieur
Pierre Noreau que « l’égalité juridique implique un véritable accès à la justice » 2320 . Et
l’égalité stimule la confiance de l’individu dans le système de justice. La confiance du citoyen
est d’autant plus grandissante ou décroissante qu’il estime bénéficier de compétences
juridiques, une compréhension suffisante du système judiciaire à travers une information
juridique, la lisibilité des textes, compréhension des mécanismes judiciaires, accès à
l’information sur l’activité judiciaire ; être associé à l’élaboration de la norme. L’exploitation
de certaines données d’enquête et d’interview menée par René Njupouen2321, statistiques du
ministère de la justice, met en exergue une réalité, les citoyens jugent ne pas être bien
informés du fonctionnement du système judiciaire, ne pas être attirés à la connaissance de la
norme en raison de sa complexité, ne pas toujours comprendre ce qui passe au tribunal. Pour
le dire d’une autre manière, plus la compétence et la compréhension de l’appareil judiciaire du
citoyen est réduite, moins il fait confiance au système judiciaire. L’accessibilité matérielle et
intellectuelle du droit en raison de la technicité de la matière, de sa complexité dont on ne
saurait totalement se départir est un idéal, l’inaccessibilité un fait. Partant de cet état de chose,
il faut que les destinataires, le public du droit, au sens large, soient au plus près du droit. Il
faut qu’aujourd’hui et demain, que le justiciable s’approche et soit rapproché de la
terminologie juridique.

465. En somme, nous proposons de booster l’accessibilité au droit et la résolution des


litiges. La solution envisagée s’articule autour de deux axes principaux : l’amélioration de
l’accès au droit et à l’information et la simplification de la résolution des litiges.

466. Sur l’accès aux droits et à l’information juridique, la doctrine a proposé entre autres la
mise en place d’un service public de diffusion2322, la mise sur pied d’une véritable politique
de diffusion 2323 , les propositions faites, bien que capables d’améliorer la qualité de la

2319
John Rawls, A Theory of Justice, Op. Cit., pp 504-512.
2320
Pierre Noreau, « Accès à la justice et démocratie en panne : constats, analyses et projections », précit. p.
15.
2321
I.B. René Njupouen, Dynamiques alternatives pour l’accès au droit et à la justice dans un contexte de
pauvreté : enjeux de l’état de droit, de la gouvernance et du développement durable, Thèse, Sociologie, Op. Cit.
2322
Ferdinand Aho, « De la nécessité d’une politique de diffusion pour la réception sociale et le développement
du droit OHADA », in L’OHADA Un passé, un présent et un avenir, Op. Cit. pp. 130 et suiv.
2323
Coco Kayudi Misamu, « Les enjeux d’une politique de diffusion du droit OHADA pour la RDC », in
L’OHADA Un passé, un présent et un avenir, Op. Cit. pp. 159 et suiv.

481
diffusion se limitent dans la majorité des cas à l’accès matériel de la norme. Mais quid de
l’intelligibilité de celle-ci ? Nous pensons qu’il faut en plus de ces propositions, aussi bien
pour l’OHADA que pour les Etats membres, procéder à la mise sur pied d’un système et d’un
marché de consommation du droit animé gratuitement par les professionnels du
droit notamment : professeurs et étudiants de droit, magistrat, notaires, avocats, huissiers de
justice, conseils juridiques à partir de l’exemple du modèle des maisons de justice ou des
cliniques juridiques portées par des facultés d’université ; adapter des outils technologiques et
de communication de masse aux enjeux de l’accès intellectuel aux droits en commençant par
saisir les nombreuses opportunités et potentialités qu’offrent les NTIC 2324 , mettre à
contribution des médias de communication de masse pour diffuser le droit, notamment les
radios communautaires par le biais des langues nationales et urbaines pour les langues
officielles ou les chaînes de télévision grand public peuvent servir d’outils permettant
d’atteindre efficacement les acteurs de l’économie informelle et les chefs d’entreprises. Il est
regrettable que les autorités jusqu’à ce jour aient sous estimé l’impact en ce domaine de tels
outils. Par ailleurs, l’OHADA est un espace, comme l’Afrique en général où l’oralité de nos
cultures endogènes n’est plus à démontrer. L’utilisation de cette dernière et des outils qui ont
fait la célébrité des cultures noires sont à envisagées en complément d’une libéralisation de
l’accès à la jurisprudence des juridictions étatiques (Cour d’Appel, et Cour suprême) et CCJA.
Permettre l’accès aux travaux préparatoires des actes uniformes : condition indispensable
d’une interprétation sereine des textes pour les entreprises et les milieux professionnels
suggérés par Joseph Kamga2325.

L’accès à l’information juridique, constitue également un apport pour la réalisation de


l’accès à la justice. Accès à l’ensemble des éléments nécessaires à la compréhension du
contexte juridique et judiciaire d’un espace donné. Il permet notamment de comprendre le
droit de l’espace considéré afin de pouvoir le mettre en œuvre dans les meilleures conditions
possibles, particulièrement lorsque la personne qui s’en prévaut est étrangère au système.
L’accès à ces informations facilite la compréhension du droit. Par ailleurs, la communication
de l’institution judiciaire et du ministère de la justice demeurent un sujet tabou : le portail
numérique des juridictions et institutions judiciaires lorsqu’ils existent ne sont pas toujours
actualisés. L’appareil judiciaire camerounais doit s’adapter à l’influence grandissante de la

2324
À ce jour, le portail www.ohada.com et autres plates formes numériques remplissent déjà substantiellement
ce rôle.
2325
J. Kamga, « Les techniques et les stratégies innovantes de diffusion du droit OHADA », in L’OHADA Un
passé, un présent et un avenir, Op. Cit. pp. 147 et suiv.

482
révolution médiatique et élaborer de nouvelles stratégies de communication qui peuvent par
exemple porter sur les principes fondamentaux de l’activité des magistrats, leur rôle, leurs
devoirs et les restrictions imposées à la profession. L’accès à l’information accompagne et
renforce l’accès à la justice, c’est un moyen de renseigner le public sur le fonctionnement du
système judiciaire, en particulier sur sa fonction, son rôle et ses responsabilités, un moyen
d’aider la justice à répondre aux attentes du public en matière d’accès et de droit à
l’information ; un facteur d’amélioration de la transparence des activités judiciaires ; une
contribution importante à la bonne administration de la justice. L’administration de la justice
doit devenir une réalité tangible aux yeux des justiciables. Dit autrement, la cohérence de la
communication judiciaire avec le monde extérieur améliore la compréhension du public et
renforce la crédibilité de la justice en dissipant les malentendus et les idées fausses sur le
système judiciaire et les décisions de justice. En conclusion, « disposer des capacités ou non
d’accéder aux informations et de les comprendre induit de nouveaux rapports de dominations
et d’inégalités entre les individus. Ceux qui ont ces capacités sont les maîtres de ce nouveau
jeu de l’information et de la communication, notamment en droit : lors des procès, des
procédures juridiques et des contrats, ce sont ceux qui ont le plus accès aux ressources
documentaires juridiques et qui arrivent le mieux à les comprendre, qui ont l’avantage sur
ceux qui les ignorent »2326.

467. Pour ce qui est de la simplification de la résolution des litiges retour, la justice est une
institution en panne ou en crise. L’état actuel de la justice civile et commerciale conduit les
personnes ou les entreprises, demandeurs de prestations judiciaires, soit à se résoudre à saisir
le juge étatique malgré l’état de l’institution qu’il incarne, soit à renoncer à tout procès, soit à
recourir lorsque les moyens dont ils disposent le leur permette, à d’autres systèmes de justice
éventuellement privés. La fonction incitative du système institutionnel de justice s’en trouve
ainsi affecté. Le temps serait venu de réaliser les promesses d’un service public de la justice
plus efficace, plus transparent. Pour paraphraser Montaigne, placer la justice auprès des
hommes2327. La justice camerounaise se doit donc d’apporter une offre séduisante au défi de
la pacification des conflits par la réflexion sur l’introduction des NTIC, notamment les Online
dispute resolution (ODR) 2328 , ou encore la cyberjustice. Il s’agit plus concrètement, de

2326
Kévin Hernot, La tension entre l’accessibilité et l’intelligibilité du droit : le cas du droit administratif et du
droit du travail en France, Mémoire Master II, Sciences Politiques, Université de Montréal, 2018, p. 3.
2327
Voir Institut Montaigne, Justice : faites entrer le numérique, Rapport Novembre 2017.
2328
Cf. Renaud Beauchard, « La résolution en ligne des litiges, gage d’une justice de proximité en Afrique ? »,
Note de l’IHEJ, Institut des Hautes études sur la justice, n° 2, juin 2012.

483
système intégré d’information de justice 2329 . En d’autres termes, il faut faire entrer le
numérique dans le secteur de la justice en vue d’exploiter les bénéfices que pourraient lui
offrir celle-ci à l’espace justice ohadien.
S’il serait absolument crédule de penser que la cyberjustice serait la thérapie miracle à
l’instantanéité et à la réduction des coûts des procédures judiciaires. Mais son implémentation
pourrait faire de la justice, un produit de grande consommation en augmentant l’offre de
justice, réduction de son éloignement géographique. L’idée est simple : les NTIC peuvent
aussi simplifier et accélérer l’échange des communications et bénéficier aux procédures. La
cyberjustice présente des avantages quant à l’amélioration de l’accès à justice pour les
demandeurs des prestations judiciaires, notamment en affectant positivement une baisse des
coûts2330 et un accroissement de la célérité2331 associés au processus judiciaire ; la réduction
significative des frais de déplacement facilitée par la résolution à distance des conflits,
augmenter l’efficience et la rapidité des procédures par le biais de significations électroniques
instantanées, venir en aide aux magistrats et aux personnels judiciaires dont les effectifs
réduits et la charge de travail constituent effectivement une problématiques sérieuse. L’on
pourrait par exemple recourir à une plateforme de règlement à distance des litiges limitant
ainsi la saturation des rôles, les frais et les déplacements pour les justiciables. Citons ici en
exemples la plate forme de règlement des différends ECODIR (pour Electronic Consumer
Dispute Resolution), développée par le Centre de recherche en droit public de l’Université de
Montréal pour la Commission européenne au début du millénaire qui a permis de régler
plusieurs litiges de consommation par le biais du Web, sans nécessiter de déplacements ou de
débours2332, les expériences en cours de résolution en ligne des litiges de l’Afrique du Sud en

2329
La cyberjustice est l’utilisation de la technologie à des fins procédurales. C'est-à-dire l’intégration des NTIC
dans le processus de résolution des conflits judiciaires ou extrajudiciaire. Voir Nicolas Vermeys, « La
cyberjustice et l’espace ohada : des outils virtuels pour une avancée réelle », in Journal africain de droit des
affaires, n° Spécial 2013. Voir pour une définition plus concrète de l’expression F. Senécal et K. Benyekhlef, «
Groundwork for Assessing the Legal Risks of Cyberjustice », (2009) 7(1) Canadian Journal of Law and
Technology 41, 43 et s.
2330
Il va sans dire que l’accès à la justice passe par une diminution des coûts y associés, lesquels sont nombreux
et variés C’est une question clé pour le pauvre que le coût de la justice qui coûte non seulement à travers ses
procédures de saisine, de jugement et d’exécution de jugement, mais aussi en recours à des assistances, conseils
et auxiliaires (avocats conseil, huissiers, notaires, greffes, etc.
2331
La réduction des délais et du temps processuel, un des maux préjudiciables à la réalisation de l’accès à la
justice et au développement des affaires dont ont toujours souffert les systèmes judiciaires africains passent
nécessairement par la capacité des ordres judiciaires nationaux à s’adapter aux exigences de la mondialisation du
droit fondé sur la simplification du langage judiciaire, l’excès de formalisme et le recours au NTIC pour une
justice de proximité.
2332
Pour plus de détail sur la plateforme et ses avantages voir N. Vermeys et K. Benyekhlef, « ODR and the
Courts », in M. Abdel Wahab, E. Katsh et D. Rainey, Online Dispute Resolution: Theory and Practice, la
Haye, Eleven, 2012, pp. 295 et suiv.

484
matière de noms des domaines et de consommation (Onlineombud)2333. L’Etat verrait ses frais
de gestion et de conservation revus à la baisse et une amélioration du traitement de
l’information2334. Néanmoins, ces techniques ne sont pas dépourvues de difficultés dans leur
mise en œuvre. Les obstacles sont principalement techniques, à savoir la fracture
numérique2335 – l’accès à la technologie notamment aux réseaux de haut débit, l’accès aux
ordinateurs – et une technologie accessible. Le développement et l’intégration de la
cyberjustice dans notre système judiciaire nécessitent une technologie accessible tant d’un
point de vue physique, intellectuel 2336 , de la capacité humaine à utiliser ces outils 2337 ,
qu’économique, que philosophique. Ce qui suppose des investissements colossaux dans le
domaine des télécommunications et du développement du numérique. Sévérino et Ray2338
exposent que la fracture numérique est une réalité sur le continent. Il faut aussi souligner que
le coût de l’accès à internet même s’il a été revu à la baisse reste élevé. Sur le plan de
l’OHADA, il faudra composer avec l’interopérabilité des services juridiques de chaque État
membre, veillé à la sécurisation des échanges de données et à la confidentialité de celles-ci.
En effet, chaque État membre a développé sa propre législation et ses propres systèmes
informatiques sur lesquels un équilibre régional devra impérativement être trouvé, tout
comme une régulation adaptée à la cyberjustice. En d’autres termes, il faut éviter une simple
transposition de solutions numériques en faisant fi des contextes politiques, économiques et
socioculturels des Etats de l’OHADA. Tout système juridique « s’inscrit dans un contexte
sociétal donné »2339. Il est fait pour ses destinataires et non ses destinataires pour lui. Cela
signifie tout simplement que la réussite de tout processus de cybernétisation de la justice
camerounaise, suppose qu’il soit adapté au contexte socio-juridique sous-jacent. Autrement

2333
Voir M. Abdel Wahab, « Online dispute resolution for Africa », in M. Abdel Wahab, Ethan Katsh, Daniel
Rainey (éd.)., Online Dispute Resolution : Theory and practice. A Treatise on technology and Dispute
Resolution, La Haye, Eleven International Publishing, 2012, p. 561 et suiv.
2334
L’informatisation des dossiers judiciaires ne constitue pas simplement une façon d’accéder plus facilement
et plus rapidement à l’information et d’éviter la perte ou l’égarement des pièces du dossier. En effet, le support
numérique offre plusieurs fonctionnalités de recherche et de croisement des données inconcevables dans un
monde papier. La cyberjustice, par le biais d’outils de gestion des dossiers, permet donc la mise en place de
systèmes de vérification des dossiers afin d’éviter la litispendance et, donc les jugements contradictoires.
2335
Voir M. Elie, « Le fossé numérique : L’Internet, facteur de nouvelle inégalités ? », (2001) 861, Problèmes
politiques et sociaux 1, 16 ; voir aussi Jean-Michel Sévérino, Olivier Ray, Le temps de l’Afrique, Paris, Odile
Jacob, 2011, où les auteurs donne une description juste de ce qu’ils appellent la « cyber@frique ».
2336
Un auteur souligne que « L'égalité d'accès aux réseaux et services de télécommunications et, au-delà, à
l'ensemble des TIC suppose donc la réalisation d'une série de conditions sans lesquelles elle ne peut être
matérialisée. Les objectifs à atteindre se résument en une formule, «l'éducation pour tous», et de la
connaissance ». O. Sagna, « La lutte contre la fracture numérique en Afrique : Aller au-delà de l’accès aux
infrastructures », 45 Hermès 15, 2006, 19.
2337
Ibid.
2338
Michel Sévérino, Olivier Ray, Le temps de l’Afrique, Op. Cit.
2339
Nicolas Vermeys, « La cyberjustice et l’espace ohada : des outils virtuels pour une avancée réelle », Op.
Cit.

485
dit le processus doit être « embedded ». La réussite du processus dépend par-dessus tout, de
l’accès aux NTIC pour tous. Toutefois, sans la maîtrise des savoirs compétents de base que
sont la lecture, l'écriture et le calcul, il est illusoire de penser que les Africains comme les
autres hommes pourraient être de véritables acteurs de la société de l'information Le taux
d’illettrisme informatique des adultes constituera donc comme pour le cas de l’accès
intellectuel à la norme substantielle et processuelle un sérieux obstacle à l’utilisation de la
cyberjustice, des processus dématérialisés.
Ce qui ne saurait être une tâche facile, tant les cultures africaines exercent de sérieuses
contraintes sur l’accès à la justice.

Paragraphe II. Les obstacles culturels au droit d’accès à la justice


468. Dans obstacles culturels il y a le terme « culturel », c'est-à-dire relatif à la culture. Il
convient au préalable de donner un sens au mot culture lorsqu’on estime que les obstacles
culturels exercent une contrainte négative sur l’accès à la justice. Plusieurs sens peuvent être
attribués au mot culture : culture d’entreprise, culture générale, ou encore de culture juridique.
Pour les besoins de notre analyse, le sens anthropologique est celui que nous retenons. La
culture y est définie comme l’ensemble des formes acquises de comportement dans les
sociétés humaines, par rapport au reste du monde vivant, ramassé dans la notion de nature : la
culture, en tant que « monogramme de sociabilité »2340. Ainsi définit, il s’agit plus simplement
d’identifier les éléments qui constituent les obstacles les plus sérieux de l’accès à la justice.
De ce point de vue, les obstacles culturels à la justice sont cumulativement le résultat de la
manière dont le droit et la justice sont appréhendés (A) et des conséquences qui en résultent
(B).

A. L’appréhension du droit et de la justice dans les sociétés africaines

469. Tout corps social est porteur de Droit. Cependant, son contenu et l’importance
accordés à la régulation juridique varient en fonction des sociétés humaines. Le fait qu’une
société a un droit propre est une certitude, peut être différent en certains points que celui des
autres sociétés humaines, mains c’est bien son droit. En Afrique, la coutume ou droit
ancien 2341 , droit traditionnel, droits locaux est reconnu en tant qu’ordre juridique à part

2340
Voir P. Kaufmann, in Encyclopaedia Universalis, V° Culture et civilisation.
2341
L’expression sera ici préférée à celle péjorative de droit coutumier. Sur l’expression « droit coutumier »,
comme système juridique régissant les rapports sociaux dans l’Afrique précoloniale et les malentendus sur le
Droit africain précolonial, Voir, Jean-Pierre Magnant, « Le droit et la coutume dans l’Afrique contemporaine »,
Droit et cultures, 48, 2004, 167-192.

486
entière. Peut être conviendrait il au premier chef de définir pour la clarté de l’analyse, la
notion de « coutume » avec la charge de sens qu’elle comporte. Le terme « coutume » et le
terme « droit coutumier », sont ces derniers temps assez souvent utilisés dans des sens
différents, parfois même dans des sens opposés. La notion de « Droit coutumier » est souvent
confondue avec celle de « coutume ». Il s’agit en réalité de concepts diamétralement opposés.
Vue par F. Garrisson, la coutume c’est « l’ensemble des habitudes et usages nés de
comportements antérieurs répétés qui guident et façonnent les comportements ultérieurs. La
tradition, le conformisme deviennent des modèles d’action, normes de conduite. Au contraire
de la loi, la coutume exprime un Droit spontanément et naturellement issu de la base, un
Droit pragmatique, populaire, fait de pratiques tenues pour règles. La coutume n’est que la
résultante des mœurs d’une société »2342. Autrement dit, la coutume, c’est « la tradition, le
simple conformisme (qui) devient modèle d’action, règle de conduite… Un Droit tout
pragmatique en somme, un Droit populaire aussi, puisque, faite de pratiques tenues pour
règles, la coutume n’est que la résultante des mœurs d’un groupe social donné »2343. S’il faut
suivre le raisonnement de cet auteur, la coutume n’est que du Droit primitif : c’est un corpus
de règles, fruit d’une raison humaine balbutiante 2344 . Sur une fausse idée de la coutume,
l’auteur continue en précisant que les règles coutumières sont « le plus souvent flou(e)s,
sommaires. Leurs aspects incertains et médiocres… ne pouvaient permettre qu’une maigre
floraison juridique »2345 d’autant que « sévissent à peu près uniformément l’ignorance et son
corollaire, l’incertitude. Les lacunes du Droit sont sans doute moins frappantes que ses
approximations ou ses confusions… Ce Droit ne possédait ni bases écrites, ni textes de
référence. Il n’avait d’autre véhicule que la mémoire des hommes qui vivaient ses rudiments.
Cette vie juridique, très fruste, était à l’image du profond recul de la civilisation »2346. Il
ressort de ces conceptions que de la notion de coutume réside dans les manières de faire, des
manières de dire. La définition qu’en donne E. Le Roy correspond le mieux à l’esprit
qu’incarne la notion. Elle est donc, « l'ensemble des manières de faire considérées comme
indispensables à la reproduction des relations sociales et à la survie des groupes lorsque ces
groupes ne font pas appel à une instance extérieure ou supérieure (tels Dieu ou l'État) pour
les réguler »2347. La coutume n'est pas particulièrement judiciaire ni juridique. Elle est un tout

2342
F. Garrisson, Histoire du Droit et des Institutions, Paris, Montchréstien, T.1, p. 40, 43, 44 et 45.
2343
Ibid.
2344
Jean-Pierre Magnant, « Le droit et la coutume dans l’Afrique contemporaine », Droit et cultures, Op. Cit.
2345
F. Garrisson, Histoire du Droit et des Institutions, Op. Cit.
2346
Ibid. p. 44-45. Rappelons que F. Garrisson parle de l’Europe du haut Moyen Âge.
2347
E. Le Roy, « L'esprit de la coutume et l'idéologie de la loi (Contribution à une rupture épistémologique
dans la connaissance du Droit africain à partir d'exemples sénégalais contemporains) », Symposium « La

487
et la coutume constitue le droit traditionnel africain. Et le droit disait R. Verdier 2348 est
l’ensemble des ordres juridiques qui structurent une société, ensemble de statuts
complémentaires et hiérarchisés qui fixent les droits et les devoirs réciproques des membres
du groupe.

470. Pour être plus concret, bien que cela ait tendance à régresser, le justiciable africain vit
en marge du droit moderne et reste attaché à ses coutumes. Avoir affaire à la justice reste
perçue en Afrique comme une « atteinte à l’honorabilité et à la dignité humaine »2349. Et pour
cause, le droit traditionnel n’est pas constitué de règles préétablies et uniformes. Ce qui ne
conviendrait pas à la logique plurale qui le caractérise. La coutume constitue sa source
principale, mais celle-ci n’est pas un ensemble normatif et autonome de règles distinctes
qu’imposeraient la morale, la religion ou les convenances. La coutume n’est pas un être : elle
est la manière d’être, de parler, d’agir qui permet à chacun de contribuer au mieux au maintien
de l’équilibre du groupe. Il en résulte qu’elle est souvent constituée de modèles, non pas de
modèles généraux et abstraits comme le droit français (bon père de famille) mais de modèles
concrets. Le chef doit se comporter comme X dans telle ou telle circonstance. Le chef de
famille doit suivre l’exemple de Z dans tel cas de figure2350. Droit et justice sont enracinés
dans un système de valeur, mythes et rites, contes et proverbes, duquel il tire son
fondement 2351 . Le droit ancien relevait essentiellement de la parole créatrice et fondatrice
véhiculée dans les récits mythiques et les pratiques rituelles. Les dépositaires des traditions
ancestrales en étaient les interprètes2352. L'interprétation de cette parole était au fondement
même du droit, duquel était tracé et révélé le chemin des conduites permises et des
comportements autorisés, à travers le maquis des interdictions et des prescriptions
religieuses2353. Le droit était construit à partir « de ses unités plurales, le droit était constitué
en ordres juridiques distincts, complémentaires et hiérarchiques, tissant entre les membres
des divers groupes, parentaux, territoriaux, religieux (...), des relations d'interdépendance et

Connaissance du Droit en Afrique », Bruxelles, 2-3 décembre 1983, Académie royale des Sciences d'Outre-mer,
pp. 210-240 (1985).
2348
R. Verdier, « Problématique des Droits de l’homme dans les Droits traditionnels d’Afrique noire », Droit et
Cultures, n° 5, p. 97 et s.
2349
Ibid.
2350
J.F. Holleman, (1949), « An Anthropological approach to Bantu Law (with special reference to Shona law)
», in African Law and Legal Theory, Gordon R Woodman & A. O. Obilade ed. Rhodes-Livingstone Journal 10,
pp. 51- 64.
2351
R. Verdier, « De l'ignorance à la méconnaissance des traditions juridiques africaines », Symposium « La
Connaissance du Droit en Afrique», Op. Cit, pp. 295-298 (1985). R. Verdier « Ethnologie et droits africains. In:
Journal de la Société des Africanistes », 1963, tome 33, fascicule 1. pp. 105-128.
2352
E. Le Roy, « L'esprit de la coutume et l'idéologie de la loi (Contribution à une rupture épistémologique dans
la connaissance du Droit africain à partir d'exemples sénégalais contemporains) », Op. Cit.
2353
Ibid.

488
de solidarité »2354. La divergence avec la conception occidentale de la règle de Droit est donc
fondamentale. La conception moderne de l’Etat interdit de penser le droit sans l’Etat2355. Le
droit n’est pas au sein des sociétés précoloniales un corpus unique de solutions transmises de
générations en générations. L’oralité du droit africain fut tôt confondue avec l’absence
d'écriture, elle fut synonyme de diversité, de contingence et d'arbitraire. Le droit était la
coutume. Il s'exprimait sous forme de sentences proverbiales, d'expressions usuelles et de
brocards, à partir desquelles il était possible de déduire un ensemble de grands principes
juridiques mais qui ne constituent nullement un corps de règles juridiques fixes et rigides2356.
Les procédures varient selon les droits litigieux, l’autorité saisie et même le rang social des
parties. Il existe par exemple des formes d’ouverture de procès civil portant sur des questions
de propriété où les parties sont tenues d’affirmer chacun solennellement leur droit2357.

471. Cette manière d’appréhender le droit comme un tout par le prisme de la règle
coutumière a largement influencé la conception de la justice dans les sociétés africaines. La
justice était une justice de chefs qui privilégiait la conciliation2358. L’organisation judiciaire
sous le modèle français n’a pas pu faire disparaitre totalement les procédures traditionnelles
issues des pratiques séculaires ancestrales. Les opérateurs du droit chargés d’administrer la
justice appartiennent au groupe, choisis pour leur esprit de sagesse et de justice. Ce qui
procède d’une internalisation de la fonction de justice ou de ce que le Professeur Etienne Le
Roy qualifie de principe « d’internalisation du conflit »2359, c'est-à-dire, la consécration du
groupe de proximité comme l’instance compétente pour connaitre d’un différend survenu en
son sein. C’est l’image d’un conflit réglé « dans le ventre du village », du lignage ou de la
famille. Les acteurs sont des chefs communautaires, chefs de village, chef de famille, sous
chefs, désignés dans le but explicite de remplir des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires,
sous le regard et la participation au débat public des membres de la communauté dans des
procédures destinées à la réconciliation et au maintien de l’harmonie entre les parties. C’est
dire que le lien personnel entre les opérateurs et le litige s’éloigne du modèle « hiérarchique

2354
R. Verdier, « De l'ignorance à la méconnaissance des traditions juridiques africaines », Symposium « La
Connaissance du Droit en Afrique », Op. Cit.
2355
Ibid. ;
2356
Voir par exemple E. T. Olawale, La nature du droit coutumier africain, Ed. Présence africaine, Paris Ve,
1961.
2357
Cf. J. N. Matson, The Supreme Court and the Customary Judicial Process in the Gold Coast, I.G.L.Q.,
Janv., 1953, Vol. 2, Pt. 1, 5e série ; M.M. Green, Ibo village affairs, Londres, 1947 ; J. H. Driberg, African
conception of Law, In Journal of Comparative Legislation and International law, Nov. 1934.
2358
Cf. J. John-Nambo, « Quelques héritages de la Justice coloniale en Afrique noire », in Droit et société,
2002/2 n° 51-52, pp. 325-343, Spéc.
2359
E. Le Roy, Les africains et l’institution de la justice, entre mimétismes et métissages, Paris, Dalloz, 2004, p.
9 et 57.

489
et autoritaire »2360, très formalisé de la justice étatique. Le traitement des conflits à l’opposé
de la justice institutionnelle tire son fondement dans des procédures décisionnelles
consensuelles ou en dernier recours selon un processus d’arbitrage ; le temps, les formes de
justice tributaires de la structure sociale de la société concernée. Si les études ont pu mettre
en exergue de nombreuses différences culturelles, historiques et politiques entre les divers
systèmes de justice traditionnels africains, des points communs ont pu être observés2361. La
justice est rendue avec une forte implication de la culture des parties, une aisance naturelle,
une parfaite maîtrise de la terminologie et du processus de résolution du litige. L’objectif étant
d’arriver à une justice œuvrant à la paix sociale, restauratrice de cohésion sociale, garantir à
toutes les parties d’obtenir justice. En d’autres termes, maintien et restauration de l’harmonie
entre les parties, membres de la communauté, du clan, du village, de la famille constituent les
principes directeurs du règlement traditionnel des différends. La fonction de justice qui
prévaut à la résolution des litiges en droit traditionnel africain est fondée sur une logique
fonctionnelle, à l’opposé de la « logique universaliste, légaliste, positiviste, impersonnelle,
formelle et écrite du droit et de la justice étatique »2362.

De plus, la langue de la justice est la langue locale, celle parlée par l’ensemble des
acteurs, sauf exception. Cette justice « parallèle » offre une illustration nette de la
judiciarisation puisque la justice parallèle, c’est aussi le recours des procédures informelles
des litiges. La justice est dominante réparatrice, harmonisatrice, la sanction n’est pas le
premier objectif recherché, elle constitue le complément de la réparation. On ne peut donc que
tirer la conclusion d’une approche différente entre les systèmes de droit traditionnels de
traitement des conflits et le modèle du procès équitable du droit occidental. De cette
appréhension particulière de la justice correspond également un effet juridique particulier.

B. Les conséquences de la conception africaine de la justice et du droit

472. La technicité du droit des systèmes occidentaux importés se manifeste par une
profusion de règles complexes et fixes nécessitant une certaine approche dans le traitement

2360
G. Otis et S. Bellina, « Le traitement des conflits », in G. Otis (dir.), Contribution à l’étude des systèmes
juridiques autochtones et coutumiers, Op. Cit.
2361
V. not. E. T. Olawale, La nature du droit coutumier africain, Op. Cit, p. 234 et s ; J. John-Nambo, «
Quelques héritages de la Justice coloniale en Afrique noire », Op. Cit. ; Ch. C. Kougniazonde, « Etude sur la
justice coutumière au Bénin », In Revue de la justice criminelle (Bénin), Institut d’étude de sécurité (ISS en
anglais), AHS, Cotonou, 2009, p. 120 et s ; Droits de l’homme et systèmes de justice traditionnelle en Afrique,
Publication des Nations Unies, New York et Genève, 2016.
2362
G. Otis et S. Bellina, « Le traitement des conflits », in G. Otis (dir.), Contribution à l’étude des systèmes
juridiques autochtones et coutumiers, Op. Cit, p. 147.

490
des conflits nécessitant la professionnalisation des opérateurs du droit, moindre dans le
système de droit traditionnel africain a conduit à la désaffection de la justice étatique.
Désaffection qui s’explique et s’exprime surtout par la division et la disparité existantes entre
les rituels du système de justice endogène et ceux du système de justice exogène. Pour définir
le concept rituel judiciaire nous recourons à Antoine Garapon 2363 le définissant comme
l’ensemble des formes, des langages symboliques et discursifs sous lesquels la justice est
rendue et donc sa manière même de produire la vérité judiciaire comme les formes sous
lesquelles elle pense la pénalisation, les peines et la manière de les appliquer. Parler de rituels
judiciaires pour expliquer la désaffection de la justice institutionnelle, c’est prendre en
compte la « fantasmatique juridique »2364 dans les rencontres des rationalités juridiques. Elle
exerce une influence sur l’interdit, la généalogie, la transmission et la réception et les
pratiques du droit dans un ordre social. Le jugement dans les droits occidentaux est construit
par la technicité du juge fondée sur l’interprétation du texte, opération par laquelle le juge lui
donne signification, pendant que le dire de la norme est dominé dans les droits traditionnels
africains par l’ethos du juge, c'est-à-dire, le juge met en jeu à la fois son honnêteté, la
bienséance qui entourent sa parole et surtout un sens objectif qui englobe les vertus telles que
les bonnes mœurs, l’équité, les habitudes, les mœurs, les coutumes et le caractère2365. Ainsi, la
connaissance parfaite de la coutume ou normes de référence, de compétence, n’est pas la
première qualité essentiellement ou principalement recherchée des personnes intervenant dans
la résolution d’un litige. Le principal objectif restant la recherche d’une solution équilibrée
pour restaurer l’harmonie rompue. Aussi, les symboles visuels et sonores du procès
traditionnel africain s’opposent-ils à ceux de la justice étatique. Le format des symboles de la
justice étatique va de l’organisation spatiale du tribunal : la barre, le box des prévenus,
l’estrade, bancs du public, les costumes des acteurs, au mur à l’entrée de la salle d’audience
les affaires inscrites au rôle, l’annonce du tribunal, la levée du public à son entrée, l’entrée des
magistrats par une porte qui leur est réservée, la garde, le silence dans la salle, les
déplacements à la barre, notion d’audience, l’organisation spatiale des parties, du ministère
public, le serment des témoins, les affaires sont traitées selon des formes symboliques et
discursives diverses entre autres aux symboles sonores tel que la lecture du jugement. Le sens
des rites, costumes, des symboles est largement ignoré par le justiciable. L’importance
accordée à la forme ou au fond de la procédure n’est similaire.

2363
A. Garapon, « Rituel judiciaire », in L. Cadiet (dir.), Dictionnaire de la justice, Op. Cit.
2364
J.-Godefroy Bidima, « Rationalités et procédures juridiques en Afrique », Diogène, 2003/2 n° 202, pp. 81-
97.
2365
Ibid.

491
473. Pour le dire autrement, les liens de proximité entre les acteurs, la difficulté à
reconnaitre les délits, à défendre aisément ses droits accentué par l’analphabétisme d’une
certaine frange de la population, la difficulté à prévoir les conséquences juridiques,
matérielles, financières de ses actes entrainent une séparation nette entre le modèle
hiérarchique occidental caractérisé par des éléments en faveur d’une relation hiérarchique et
autoritaire. Caractère autoritaire parfois utilisé à d’autres fins. La justice sous le modèle
occidental étant généralement crainte par la grande majorité des populations en raison de la
coercition attachée à ses décisions, cette perception de l’autorité et de la coercition est celle
qui justifie parfois l’option de la saisine du juge professionnel2366. Le dépôt par exemple d’une
plainte peut servir à faire pression sur la partie responsable, et ainsi orienter positivement les
négociations et les modalités de la réconciliation qui s’effectuent en parallèle. La justice
étatique est plus utilisée comme moyen de pression que comme système normal de résolution
des conflits. Sur ces bases, l’enjeu sera de favoriser un processus de règlement des conflits
perçu comme légitime et efficient par les justiciables en prenant en considération leur propre
appréhension de la justice à mesure de contribuer à la restauration de leur confiance dans les
institutions étatiques. Il suggère d’intégrer la dimension interculturelle dans les analyses liées
à la solution du problème de l’accès à la justice et la relativité de la distribution de la justice.

SECTION II. LA RELATIVITÉ DE LA DISTRIBUTION DE LA JUSTICE

474. La distribution de la justice est l’un des éléments fondamentaux de l’accès à la justice.
Elle constitue un mécanisme moderne de garantie efficace du droit d’accès à un tribunal. La
distribution figure parmi les critères d’une bonne justice et tend à s’imposer comme un facteur
essentiel pour garantir la crédibilité, la pertinence, l’efficacité de la pratique judiciaire.
Distribuer c’est partager, classer, disposer, répartir une chose entre plusieurs endroits. On
parlera de répartition géographique. Parler de distribution de la justice, c’est en d’autres
termes faire allusion à la proximité ou à l’éloignement de la justice, au « positionnement
« spatial » »2367 de la justice, à la position à laquelle cette dernière se tient par rapport au
justiciable. S’il s’agit principalement dans la majorité des cas des territoires de justice, elle
mobilise aussi d’autres dimensions telles que les relations entre acteurs impliqués dans

2366
Voir par exemple Richard Crook, « Access to justice and land disputes in Ghana’s state courts : the
litigants’ perspective », Journal of legal pluralism, 2004 – nr. 50.
2367
Benoit Bastard, Pierre Guibentif, « Justice de proximité : la bonne distance, enjeu de politique judiciaire
Présentation », Droit et société, 2007/2, n° 66, pp. 267-539.

492
l’exercice de l’activité judiciaire2368, le prix de la justice, des problèmes relatifs à l’exécution
des titres d’exécution.

La relativité de la distribution de la justice telle qu’étudiée ici, renvoie à deux choses,


au positionnement de l’institution sur deux plans : à l’échelon national (Paragraphe I) et
l’échelon régional (paragraphe II).

Paragraphe I. La relativité de la distribution de la justice à l’échelon


national
475. La distribution de la justice ne produit pas l’effet que l’on en attend chaque fois que
l’implantation de la justice présente des lacunes, au regard des exigences requises pour une
bonne accessibilité de la justice. Une justice accessible, de proximité est une institution
judiciaire proche géographiquement, humainement, financièrement de ceux à qui elle est
destinée. Si telles sont les qualités d’une justice proche du justiciable, nous tenterons des
caractériser et d’apprécier les enjeux de cette distribution nationale de la justice en nous
appesantissant respectivement sur les limites de la proximité d’accès à la justice (A) et
l’efficacité des mécanismes d’exécution des décisions de justice (B).

A. La proximité d’accès à la justice

476. Le comité de rédaction de la Revue Droits et Cultures raisonne en termes de proximité


multiple 2369 . On peut y lire que la proximité peut être temporelle, sociale, culturelle,
linguistique, symbolique, financière, géographique 2370 . Seules les quatre dernières auront,
dans le cadre de ce sujet retenues notre attention. Nous examinerons successivement la
proximité géographique (1) et la proximité financière du litige (2).

1. Une proximité géographique et humaine relative

477. Si l’accessibilité à la justice est fonction de la proximité spatiale des juridictions, alors,
la proximité géographique renvoie traditionnellement aux territoires de la justice, c'est-à-dire,
à la répartition géographique des juridictions sur le territoire national. La proximité de la
justice constitue un élément de qualité structurelle de l’institution judiciaire2371, le pendant de
l’indépendance, premier élément de la recherche d’une qualité organisationnelle de la justice.
2368
Voir supra, Première partie.
2369
Cf. Revue Droit et Cultures, « Droit, justice et proximité », Numéro Hors Série, 2001/3, p. 9 et s.
2370
Sur une première tentative de classification voir Cf. également H. Haenel, « Justice de proximité. Premier
bilan », Pouvoirs, n° 74, 1995, p. 93-103 ; Anne Wyvekens, « Justice de proximité et proximité de la justice. Les
maisons de justice et du droit », In: Droit et société, n°33, 1996. Les professionnels du divorce, pp. 363-388.
2371
Laurent Berthier, La qualité de la justice, Thèse, Op. Cit.

493
Le rapprochement de la justice de ses destinataires induit la recherche d’une meilleure
distance entre la juridiction compétente et le justiciable. Pour répondre à ce souci de juste
distance entre justice et justiciable, l’esprit de la loi n° 2006/015 du 29 décembre 2006 portant
organisation judiciaire au Cameroun modifiée et complétée par la loi n° 2011/027 du 14
décembre 2011 consacre deux principes dans l’optique d’assurer au justiciable un service
public de la justice présent de manière continue et localisée : les principes de la multiplicité et
de la permanence.
Eviter le « vide judiciaire » semble être la préoccupation du législateur camerounais.
L’organisation judiciaire comprend les différents ordres et degrés de juridiction 2372 . La
multiplicité des juridictions est un principe matériel impliquant « une couverture équitable du
territoire des juridictions, afin que les citoyens puissent avoir, concrètement accès à une
juridiction géographiquement proche d’eux » 2373 . Pour assurer la multiplicité, garantir la
présence de juridictions d’instance en nombre suffisant principalement, la carte judiciaire est
calquée sur la nomenclature de la carte administrative. Concrètement, il est établi en principe
établi un Tribunal de première instance par arrondissement, un tribunal de grande instance par
département et une Cour d’appel par région 2374 . Quant à la permanence, il renvoie à des
juridictions établies dans un lieu déterminé et de manière permanente, le chef lieu de
l’arrondissement, du département ou de la région. La permanence procède en d’autres termes,
d’une part, de la stabilité de l’implantation des juridictions sur le territoire de la République,
ce que le Professeur Loïc Cadiet nomme « sédentarité des juridictions »2375 ; d’autre part,
l’offre continue et sans interruption des services judiciaires. Celle-ci permet au justiciable de
saisir la juridiction compétente à tout moment. La règle est posée par l’article 12 al. 1 de la loi
portant organisation judiciaire qui dispose que « les juridictions assurent leur service du 1er
janvier au 31 décembre de l’année ».
Si les principes de multiplicité et de permanence traduisent l’effort camerounais de
mettre en place une géographie pertinente et optimale dans le sens de rapprocher la justice des
justiciables, le service public de la justice reste – surtout pour les juridictions d’instance –
considéré par le justiciable comme éloignée. Nous en voulons pour preuves, la lecture des
statistiques du ministère de la justice et celles de la carte administrative, dans l’optique d’en
obtenir une adéquation entre ces outils. Loin de l’adéquation, la conclusion est celle des écarts
relevés entre le nombre des arrondissements et le nombre effectif de tribunaux de première

2372
Loi de 2006 portant organisation judiciaire au Cameroun, précitée, Article 3.
2373
Lire C. Amunzateguy, La proximité en droit judiciaire, Thèse, Droit, Université de Nantes, 2007, p. 36.
2374
Cf. articles 13 et suivants de loi portant organisation judiciaire.
2375
Loïc Cadiet, Droit judiciaire privé, 3e éd., Litec, 2000, n° 89.

494
instance. Le respect de l’établissement d’un TPI par arrondissement ou du TGI n’est qu’une
vue de l’esprit. Des magistrats soutiennent avec regret que « l’implantation sur l’étendue du
territoire national des institutions étatiques et non étatiques est insatisfaisante » 2376 . Les
statistiques du Ministère de la justice révèlent qu’en 2004-2005 (statistiques les plus récentes
disponibles en la matière), la carte judiciaire du Cameroun se présente telle qu’il va suivre. La
carte judiciaire se compose d’une Cour Suprême, de 10 cours d’appel, de 56 tribunaux de
grande instance, de 67 tribunaux de première instance, de 83 tribunaux de premier degré et
258 tribunaux coutumiers ; ce qui situe le taux de couverture du territoire en juridictions à
100% pour les cours d’appel, 97% pour les tribunaux de grande instance et 25% pour les
tribunaux de première instance. A titre illustratif, le ressort du Tribunal de Grande Instance du
Mbam et Inoubou s’étend au Mbam et Kim. Il obligeant ainsi le justiciable à parcourir de très
longues distances pour saisir le juge ou assister à une audience. La réalité du terrain se trouve
non seulement opposé au contenu du texte et à « l’objectif d’une justice pour tous ».
L’arrondissement de Mayo-Oulo dans le département du Mayo-Louti et de nombreux autres
encore attendent toujours leur TPI.

478. Le législateur a tenté de limiter les effets de la sédentarité de ses juridictions en


matière civile et commerciale en instituant le mécanisme des audiences foraines doublement
consacrées en droit camerounais. Les dispositions du Code de procédure civile et
commerciale camerounais2377. Aux termes des articles 13 alinéa 2 et 16 alinéa 2, de la loi
portant organisation judiciaire, respectivement, relatif à l’organisation du Tribunal de
Première Instance et Tribunal de Grande Instance : « le tribunal peut tenir des audiences hors
de son siège. Ces audiences sont appelées audiences foraines ». La proximité judiciaire que
fait naitre la technique de l’audience foraine apporte une certaine réponse à la préoccupation
d’une couverture équitable du territoire des juridictions. Un mécanisme pouvant réduire
l’injustice qui aurait pu naitre de l’éloignement des juridictions. Cependant, la technique
semble devenue étrangère au système de justice. Elle semble être plus un objet de design, un
décor juridique, qu’un procédé pouvant effectivement servir de palliatif à l’éloignement du
siège de la juridiction du lieu de résidence des parties. Tout à l’opposé de la solution
envisagée et mise en œuvre par la Cour suprême du droit OHADA dans l’optique de se
rapprocher du justiciable OHADA par la tenue d’une audience foraine publique de la CCJA à

2376
Entretien 12 T.S. 14 Sosso & Tété pour Sozi, voir I. B. René Njupouen, Dynamiques alternatives pour
l’accès au droit et à la justice dans un contexte de pauvreté : enjeux de l’état de droit, de la gouvernance et du
développement durable, Thèse, Op. Cit, p. 140.
2377
Voir article 23 du Code de procédure civile et commerciale.

495
Yaoundé au Cameroun le mardi 04 novembre 2014. C’est dire qu’en dépit des efforts
consentis sur le plan juridique, la couverture équitable de la géographie judiciaire reste
inachevée au détriment de l’accès facile du citoyen à la justice. Ce qui cause un préjudice réel
aux populations désireuses de faire respecter leurs droits.
De plus, le droit à la résolution amiable des litiges étant encore embryonnaire, l’accès
à ces modes pacifiques de traitement des contentieux reste limité aux deux principales villes
(Douala et Yaoundé) du Cameroun.

479. La proximité humaine ou « proximité affective » 2378 renvoie à la relation entre


justiciable et magistrat dans sa dimension subjective. La dimension objective à savoir, relation
entre justiciable et administration ayant été approchée en première partie. Proximité affective
va au-delà de la simple saisine du juge. Elle implique que les magistrats soient, dans
l’exercice de la fonction judiciaire respectueux des justiciables. Le magistrat est au service de
la justice et du justiciable à qui cette dernière est destinée. Elle implique également la sérénité
du dialogue ; mettre fin à la relation typiquement verticale où le magistrat se considère
comme supérieur au justiciable. Il s’agit en somme de construire une relation emprunte de
considérations sociales. Cette construction doit pouvoir permettre d’améliorer une proximité
financière restreinte.

2. Une proximité financière restreinte

480. En réaction à une justice inaccessible parce que jugée trop couteuse, les
révolutionnaires déclarèrent que la justice « la justice est une dette de la société et l’égalité
exige que celui qui n’a rien puisse demander justice comme celui qui a »2379. La justice qui,
reposait jusque là sur la fonction royale, le ministerium regis, va devenir un devoir de l’Etat,
une mission régalienne 2380 , un service public accessible de façon égale y compris pour
l’indigent. Aussi, afin de faciliter l’accès du justiciable au juge, assurer la proximité
financière, le rédacteur de la loi sur l’organisation judiciaire au Cameroun affiche
ostensiblement et consacre le principe de la gratuité de la justice lorsque la loi dispose en son
article 8 al. 1 que « la justice est gratuite sous la seule réserve des dispositions fiscales
relatives notamment au timbre et à l’enregistrement et de celles concernant la multiplication
des dossiers d’appel et de pourvoi ». Mais il faut convenir que la gratuité de la justice

2378
Cf. Anne Wyvekens, « Justice de proximité et proximité de la justice. Les maisons de justice et du droit »,
Op. Cit.
2379
Bergasse, Déclaration faite à l’assemblée générale le 17 Août 1789, cité par Marie-Hélène Renaut,
« L’accès à la justice dans la perspective de l’histoire du droit », Op. Cit, p. 475.
2380
Marie-Hélène Renaut, « L’accès à la justice dans la perspective de l’histoire du droit », Op. Cit.

496
consacrée par la loi est plus un idéal abstrait, un objectif institutionnel et organisationnel
précis. La gratuité signifie que les plaideurs n’ont pas à payer le juge, fonctionnaire rétribué
par l’Etat, pour qu’il puisse examiner l’affaire dont il est saisi et rendre une décision. Cette
proximité financière dans le sens du faible coût des prestations offertes par la justice reste
restreinte. La justice a un prix2381 et la charge financière du litige est élevée.

481. La charge financière du litige ne serait sans aucun intérêt si personne ne devait
payer2382. La justice est dite gratuite parce que le paiement des magistrats n’est pas à la charge
du justiciable. Bien que la justice soit financée par l’Etat, le justiciable demeure et c’est là son
« drame »2383, soumis à plusieurs types de frais de plus en plus élevés. Sans entrer dans les
détails d’une longue liste, l’instance donne au justiciable d’être exposé à de multiples frais
généraux de procédure et de saisine des juridictions qui vont des frais d’ouverture du dossier,
les frais d’acte, les consignations à hauteur de cinq pour cent en fonction du montant des
litiges, les cautionnements qui peuvent être trop élevés au regard de la capacité financière du
justiciable, les frais liés aux transports judiciaires et autres en cas de descente sur les lieux, les
frais d’expertise, les frais, honoraires et émoluments dus aux praticiens, les amendes et les
dépens au cas où le plaideur succombe, l’exploit d’huissier destiné à signifier les actes de
procédure, les ressources nécessaires pour faire exécuter la décision de justice2384 entre autres
qui pourrait malgré toutes ces dépenses se heurter à l’insolvabilité de son débiteur, les frais
d’interprète lorsque l’huissier ou l’agent d’exécution ne peut instrumenter qu’avec le concours
d’un interprète. Il faut indiquer que les frais pour une simple affaire de divorce tournent
autour de 200.000 f CFA pour les plus modestes. Le caractère élevé de ces frais de justice
dissuade quelquefois le requérant d’engager ou de poursuivre l’action en justice. Au de la
multiplicité des coûts et frais de la justice, la crainte du justiciable est d’autant plus renforcée
qu’il ne peut évaluer à l’avance, la charge d’un procès2385. Plusieurs paramètres entrent en
ligne de compte. A. Rials en énumère quatre. Il s’agit de : l'issue aléatoire de nombreuses
affaires notamment en raison des interprétations différentes des textes fournis par les
tribunaux ; la durée incertaine du procès qui peut s'arrêter en première instance ou au
contraire franchir tous les degrés de juridiction jusqu'en cassation ; en cas de triomphe le non-

2381
Lire en ce sens Christoph A. Kern, « Le prix des services juridiques », in Revue internationale de droit
économique, 2017/4 t. XXXI, pp. 45-59.
2382
Ibid.
2383
René Degni-Segui, « L’accès à la justice et ses obstacles », Op. Cit, p. 455.
2384
Voir sur les frais de justice, Gilbert Mangin, Emile Mamy et Antoine Rubbens, « Les frais de l’instance »,
in Encyclopédie juridique de l’Afrique, T4, Organisation judicaire, procédure et voies d’exécution, NEA 1982,
pp. 217 et s.
2385
Lire en ce sens A. Rials, L'accès à la justice - Que sais-je ?, n° 2735, PUF, Paris, 1993, p. 11.

497
remboursement des frais exposés peut résulter de l'insolvabilité du perdant ; enfin,
l'impossibilité de déterminer avec précision les frais et honoraires de l'avocat 2386. L'auteur
conclut en ces termes: « la charge financière peut ainsi varier du simple au décuple et
représenter parfois une dépense très supérieur à l'intérêt du litige »2387. A la question si la
justice est gratuite, la réponse est naturellement négative et son coût très élevé. Aussi le
justiciable qui souhaite avoir pleinement accès à la justice se voit contraint de recourir à
l’assistance judicaire s’il répond aux conditions d’indigence posée par la loi n° 2009/004 du
14 avril 2009 portant organisation de l’assistance judiciaire, sous réserve de l’appréciation
souveraine de la commission de l’assistance judiciaire compétente.

481. L'assistance judiciaire vient à point nommer pour faciliter l'accès du prétoire à des
justiciables dont les revenus sont insuffisants. La loi n’accorde pas un droit mais octroie une
faveur à des personnes dont les conditions sont définies2388. L’assistance judiciaire telle que
réglementée parait faciliter l’exercice de l’action pour une série de raisons. La première, le
demandeur de l’assistance judiciaire doit être indigent, démuni de ressources suffisantes.
Certaines législations exige du justiciable désirant se voir accorder une assistance judiciaire
d’établir que la procédure qu’il envisage engager est sérieuse. La seconde, la procédure
d’attribution parait simplifiée car : l'assistance est accordée par l’appréciation souveraine
d’une commission à la suite d'une requête qui peut être introduite à tous les stades de la
procédure. La troisième, concerne la portée de l'assistance relativement étendue : l'aide
2386
Les justiciables n’ont plus certes à payer les juges, mais ils doivent rémunérer les auxiliaires de justice
propriétaires de leurs offices. Les frais d’huissier, de notaires, et d’avocats représentent parfois le plus gros des
dépenses. Car s’il y a un barème en ce qui concerne les actes d’huissier et de notaires qui ne sont en général pas
à la portée des justiciables les plus pauvres, les honoraires des avocats sont débattus avec le client, tel que prévu
par la loi organisant la profession, et ne sont eux aussi pas moins élevés. Dans une étude comparative, Me Marie-
Josée Tchexebo fait noter que contrairement au Congo où « l’avocat fixe ses honoraires avec modération » dans
les limites d’un « barème des honoraires applicables applicable par tous les avocats exerçant au Congo », au
Cameroun, « en l’absence d’un texte particulier tarifant les honoraires, le principe du libéralisme a été retenu.
Ceux-ci sont librement débattus par les parties à savoir l’Avocat et son client. C’est le libre jeu de la volonté qui
se réalise. Chacune des parties étant le meilleur juge de ses intérêts ». Ce modèle camerounais semble être une
combinatoire de plusieurs régimes selon Me Marie-Josée Tchexebo. Dans un article lu sur http://www.village-
justice.com/articles/fixation-taux-horaireavocat,12500.html : « le régime conventionnel assurant à l’Avocat une
entière liberté de fixation d’honoraires : modèle Américain. A côté de ce système il y a celui légal ou tarifaire
dans lequel, les honoraires obéissent à un tarif édité par la loi (modèle Allemand). La France a choisi le régime
judiciaire ou parajudiciaire ». Les honoraires d’avocats obéiraient à huit critères fondamentaux : la nature et la
difficulté de l’affaire ; la situation du client ; l’importance des intérêts en cause dans l’affaire ; la notoriété, les
titres, l’ancienneté et l’expérience de l’avocat ; le temps consacré à l’affaire ; le travail de recherche, les
avantages et le résultat obtenus au profit du client par son travail ; l’incidence des frais et charges du Cabinet de
l’avocat. Me Marie-Josée Tchexebo cite ces critères tels qu’arrêtés par le conseil de l’ordre en 2002, approuvés
par l’assemblée générale des avocats du Cameroun et entérinés par la chancellerie en 2005 et 2008
respectivement.
2387
A. Rials, L'accès à la justice - Que sais-je ?, Op. Cit. Voir aussi, Régis Rigault, « La justice est elle
vraiment gratuite ? », disponible sur https://www.village-justice.com/articles/justice-est-elle-vraiment
gratuite,18990.html mis en ligne le 21 février 2015 et consulté le 17 septembre 2019.
2388
Article 5 al. 2 de la loi portant organisation de l’assistance judiciaire.

498
pouvant être totale, quelquefois partielle, en fonctions des ressources du demandeur. Aux
termes de la loi camerounaise sur l’assistance judiciaire, celle-ci est accordée : « soit de plein
droit à raison de la nature du litige dans les cas prévus par la loi, soit sur demande après
instruction par les commissions spécialement instituées à cet effet et à raison de la situation
pécuniaire de celui qui la sollicite, pour permettre à une personne physique, partie à un
procès ou à un acte de juridiction gracieuse, d’obtenir le jugement ou l’acte sollicité, ou
l’exécution de ceux-ci avec dispense de l’avance de tout ou partie des frais qu’il devrait
normalement supporter »2389. L’appui de l’Etat à travers l’assistance judiciaire couvre deux
domaines précis à savoir, la prise en charge par l’Etat des frais de justice exceptées les
consignations dans toutes les matières ; la prise en charge des honoraires et émoluments des
auxiliaires de justice des professions libérales dans toutes les matières en dehors de la matière
pénale, la commission d’office pourvoyant déjà les avocats à cet effet. A noter que les affaires
sociales sont entièrement gratuites, donc l’assistance judiciaire est d’office dans les
affaires de cette matière 2390 , ou dit autrement, tous les justiciables en cette matière sont
réputés impécunieux. En procédant à la redynamisation de l’assistance judiciaire, le
législateur est allé plus loin encore, en consacrant la possibilité pour les personnes morales
dont l’insuffisance des ressources ne permet pas de faire valoir leurs droits en justice, de
bénéficier à titre exceptionnel d’une l’assistance judiciaire 2391 . En prenant en compte la
difficulté relative à l’obtention d’un avocat commis d’office, la loi ouvre la possibilité d’une
désignation d’auditeurs de justice pour assurer la défense des intérêts d’une partie bénéficiaire
de l’assistance judiciaire 2392 . En dépit de cette redynamisation, de nombreuses pesanteurs
perdurent.

482. L'assistance judiciaire comporte cependant d’importantes pesanteurs qui en réduisent


considérablement la portée, les unes de droit, les autres de fait. Les premières ont trait aux
insuffisances de la réglementation. Les critères d'attribution fixés par le texte sont imprécis,
l’assistance se limite à l'aide juridictionnelle à l'exclusion d'une aide à l'accès au droit
véritable problème, la seconde, l’assistance judiciaire semble connue uniquement de quelques
justiciables des centres urbains à l’exclusion des zones rurales et des villes. Au-delà de
quelques données chiffrées2393, il convient de relever que le fonctionnement des commissions

2389
Article premier du décret n° 76/251 du 9 novembre 1976 sur l’assistance judiciaire désormais articles 2, 3 et
4 dans la loi de 2009 portant organisation de l’assistance judicaire.
2390
Cf. Article al. 1 (a) et (b) de la loi portant organisation de l’assistance judiciaire.
2391
Article 5 al. 5 Ibid.
2392
Article 49 Ibid.
2393
Rapport du Ministère de la justice sur l’état des droits de l’homme au Cameroun en 2017, Op. Cit.

499
d’assistance judiciaire n’est pas optimal. En effet, il a été constaté dans les juridictions de
sérieuses difficultés liées à l’indisponibilité ou au non remplacement des membres desdites
commissions, aux financements de l’aide 2394 . Dans la pratique, ce système d’assistance
judiciaire contrôlé par l’État est caractérisé par le retard de l’intervention, et de ce fait est loin
d’être efficace pour aider les citoyens demandeurs à obtenir justice ; ajoutons que de
nombreux avocats n’acceptent pas les dossiers d’assistance judiciaire financés par l’État, en
raison de leur maigre rémunération2395. Par ailleurs, Les commissions d’assistance judiciaire
se réunissent rarement. A la question de départ qui revient de payer les coûts élevés de la
justice, la réponse dépend selon que le justiciable bénéficie ou non de l’assistance judiciaire.
De l’engagement à saisir le juge, au jugement, les parties supportent les coûts des procédures
et défense dont l’estimation reste difficile car il est « traditionnellement très difficile de
connaitre la réalité du coût de la solution judiciaire des litiges (…), ces informations ne sont
pas exploitées par des statistiques judicaires »2396.

Toutes ces pesanteurs rencontrées jusqu’ici, de l’indépendance du juge au coût


prohibitif du procès réduisent considérablement l’efficacité des mécanismes de distribution de
la justice et la garantie d’une bonne justice. Il sied d’imposer des réunions régulières, modifier
la composition de la commission, prévoir expressément par la loi, des centres d’assistance
judiciaire à l’image de l’initiative développée par le barreau camerounais2397 mais qui faute de
moyens financiers et ressources humaines suffisants a vu ses actions réduites. S’il faut
amélioration spécifiquement le budget alloué à l’assistance judiciaire, à la justice de manière
globale, il faut surtout en finir avec cette idée de la gratuité des services juridiques. La justice
n’est pas gratuite, et son coût est même élevé, le citoyen, l’usager de la justice doivent l’avoir
à l’esprit et ne pas engager un procès à la légère, l’appareil judiciaire garantir une exécution
efficace de la décision chèrement obtenue.

2394
Ibid.
2395
Le montant serait de 5000 FCFA (5£) par comparution. Lire en ce sens Me Justice Sama Nchunu,
« L’assistance judiciaire dans la justice pénale au Cameroun : le rôle des avocats », in L’accès à la justice en
Afrique et au-delà pour que l’Etat de droit devienne une réalité, Op. Cit, pp. 163-173.
2396
Loïc Cadiet cité par Myriam Doriat-Duban, « Analyse économique de l’accès à la justice : les effets de
l’aide juridictionnelle », Revue internationale de droit économique, 2001/1 t. XV, 1, pp.70-100, Spéc. p. 81.
2397
En partenariat avec le British Council, le barreau du Cameroun a mis en place en l’an 2000 deux centres
d’assistance judiciaire à Kumba, province du Sud-Ouest et Bamenda, province du Nord-Ouest. Les centres
proposent au public des services juridiques gratuits tels que conseil, résolution de conflit et représentations
judiciaires et extrajudiciaires.

500
B. L’efficacité des mécanismes d’exécution

483. La justice, son personnel, ses mécanismes se trouvent en permanence sur le devant de
la scène publique, car critiquée, interpellée sur son fonctionnement, sur la permanence de ses
maux et de ses insuffisances. Le « naufrage judiciaire » des systèmes a quelquefois été
évoqué2398. La justice est en peu de mots, entrée dans l'ère de l'évaluation. Depuis plus d’une
décennie, les mots de la doctrine qui dominent le discours sur l’institution judiciaire dans les
systèmes de droit continental en Afrique francophone sont ceux de gestion, de modernisation,
de moyens, d’efficacité, de performance, de qualité ou de « démarche qualité », voire d’«
entreprise justice »2399. Il sera donc question d’étudier successivement l’environnement de
l’exécution (1) et corrélativement l’efficacité des mécanismes d’exécution des décisions de
justice (2).

1. L’efficacité de l’exécution des décisions de justice

484. Trois facteurs fondamentaux participent à l’efficacité qu’offre la mise en place d’un
appareil judiciaire : le texte applicable, la juridiction compétente chargée de l’appliquer et
l’exécution du titre exécutoire issue de l’application du texte. Pour s’assurer de l’efficacité de
l’exécution des décisions de justice et autres titres exécutoires, le droit camerounais a fondé
son droit de l’exécution sur deux piliers. La spécialisation de la fonction exécutive constitue le
premier pilier. La technicité du contentieux de l’exécution des titres exécutoires et la non
dispersion des compétences judiciaires ont justifié que soit placé entre les mains d’un juge
spécial, l’entier contentieux de l’exécution. La centralisation de la fonction de mise à
exécution constitue en revanche le second pilier. Un seul et même professionnel (l’huissier de
justice) connait de la majorité des procédures d’exécution régies par la législation applicable.
L’exclusivité paraît accroître pour les justiciables, la lisibilité du processus d’exécution, qu’ils
soient créanciers, débiteurs ou tiers. Par ailleurs, cette solution favoriserait le respect du juste
équilibre entre les droits et intérêts du créancier et du débiteur. Dans un tel système centralisé
d’exécution, l’agent d’exécution bénéficie ainsi d’une vision plus grande, si ce n’est plus
complète de la situation du débiteur et de la relation qui le lie au créancier. Son influence sur

2398
Y. Marchand, « Rapport au premier ministre. Une urgence : l’afro-réalisme. Pour une nouvelle politique
de l’entreprise en Afrique subsaharienne », Décembre, Paris, La documentation française, 1996.
2399
Simone Rozès, « Une entreprise en activités judiciaires », Revue française d’administration publique 1991,
p. 7 ; Jean du Bois Gaudusson, « La justice en Afrique : nouveaux défis, nouveaux acteurs Introduction
thématique », Afrique contemporaine, Op. Cit.

501
la stratégie procédurale de recouvrement à mener s’en trouve accrue 2400 . Pour le dire
autrement, l’agent d’exécution est garant de la bonne administration de l’exécution. Un
sérieux acteur pour la garantie de la sécurité juridique dans le domaine. Ce qui naturellement,
amène à s’interroger sur le profil de ce professionnel de l’exécution, facteur d’efficacité de
l’exécution.

485. La délégation de puissance publique dont l’huissier de justice est titulaire en fait un
acteur majeur de la sécurité juridique 2401 . Officier de justice, l’agent d’exécution est un
maillon indispensable de la chaîne de la justice, et même le dernier maillon puisqu’il est
chargé de la bonne exécution des décisions de justice. Il en assure le passage de la théorie à la
pratique, de l’abstrait au concret, de la conception à l’exécution, de l’élaboration de la
décision à sa mise en œuvre pour paraphraser B. Latour2402. Si la profession d’huissier de
justice semble avoir moins d’importance que celle des autres professions juridiques à savoir
de magistrat et d’avocat, son influence dans l’exécution des décisions de justice et autres titres
exécutoires est pourtant réelle, l’huissier de justice œuvre dans l’intérêt d’une bonne
administration de l’exécution des décisions de justice elles mêmes. Mais il ne pourrait être
maillon essentiel, efficace de l’exécution que s’il est le produit d’une formation de haut
niveau partout où il exercera ses fonctions. En conséquence, profil professionnel, formation,
qualification et efficacité sont indiscutablement liés. La Formation assure l’homogénéité des
compétences des agents d’exécution2403. La formation dispensée aux candidats à la profession
et l’existence d’une procédure de sélection finale témoignent de la volonté de capaciter les
candidats à l’exercice de la profession du minimum requis pour l’exercice de la profession.
Au-delà des conditions subjectives liées à la personne2404 et de diplôme2405, l’essentiel de la

2400
Voir en ce sens J. Lhuillier, D. Lhuillier-Solenik, G. Nucera et J. Passalacqua, L’exécution des décisions
de justice en Europe, Les études de la CEPEJ n° 8, éd. Conseil de l’Europe, pp. 41 et suiv.
2401
Groupe de travail de l’UIHJ sur l’exécution (UIHJ-GT-EXE), Efficacité de l’exécution des decisions de
justice en matière civile et commercial en Afrique, Rapport sur l’exécution dans les pays africains membres de
l’UIHJ rapport rédigé par le groupe de travail de l’UIHJ sur l’exécution (UIHJ-GT-EXE) finalisé le 14 avril
2016.
2402
B. Latour, La Fabrique du droit. Une ethnographie du Conseil d’Etat, Paris, La Découverte, 2002, (cité par
G. Deharo, « Ce qu’exécuter veut dire… Une approche théorique de la notion d’exécution », Droit et
procédures, Op. Cit.)
2403
La nécessité générale d’un haut degré de formation est justifiée par le fait que la profession d’huissier de
justice se complexifie de plus en plus et exige désormais pluridisciplinarité du titulaire de la fonction. Dans le
cadre spécifique de l’OHADA, les Etats constituant l’espace OHADA ne partage pas la même exigence quant au
niveau initial requis pour l’accès à la profession. Trois années d’études juridiques ou équivalentes sont exigées
au Cameroun, Congo, Niger, Tchad, cinq années au Sénégal et au Togo et quatre années dans les autres Etats.
Nous constatons qu’uniquement le Sénégal et le Togo exigent cinq années d’études juridiques, équivalent à un
Master.
2404
Voir article 5 du Décret n° 79/448 modifié par le décret n° 85/238 du 22 février portant réglementation et
fixant le statut des Huissiers au Cameroun précité.
2405
Article 5 al. 3 Ibid.

502
formation des huissiers de justice est ponctuée par un stage professionnel d’une durée de deux
ans structuré autour de la fréquentation des audiences, le travail effectif dans l’Etude d’un
huissier de justice, la participation aux séminaires et conférences organisés par la Chambre
professionnelle des huissiers de justice 2406 . A la fin de stage, l’Huissier stagiaire subit un
examen dont le programme et les modalités sont fixés par un texte réglementaire2407. S’il est
particulièrement important que le candidat à la profession d’Huissier de justice subisse une
formation, l’organisation de l’examen final, ses modalités, le programme est de la compétence
exclusive du ministre de la justice garde des sceaux caractérisant ainsi l’exclusion de la
Chambre professionnelle des Huissiers et la prééminence de l’exécutif sur la gestion des
corps judiciaires et de la justice. En outre, il n’est apporté aucune précision sur les buts,
objectifs, standards de formation clairement définis que doit respecter la formation initiale et
continue. Les standards de formation pourraient notamment s’attacher à définir des minima en
termes de volume de formation, de technique et de pratique professionnelles2408. La clé de
bonnes pratiques (compétences) d’exécution réside dans la qualité de la formation initiale et
continue à laquelle accepte de se soumettre l’huissier de justice lui assurant de manier au
mieux et plus facilement les procédures d’exécution issues de la réforme OHADA par
exemple. La question de l’opportunité d’une définition de standards communs,
l’harmonisation de pratiques et des législations d’une part, et d’autre part, que le stage fasse
l’objet d’une véritable validation par un examen, ce qui n’est pas encore le cas au Niger et au
Tchad se pose avec acuité. Si l’engagement de l’Unité de formation des huissiers de justice
africains (Ufohja) et de l’Union internationale des Huissiers de justice (UIHJ) à participer à
l’émergence d’une justice performante et crédible, susceptible d’attirer des flux
d’investissements dans l’espace OHADA est nettement perceptible2409. A l’opposé, les Etats,
principaux acteurs de la mise en place d’une véritable ingénierie de la formation adaptée aux
besoins, trainent encore le pas s’agissant de la modernisation du levier de la formation destiné
à garantir non seulement l’optimisation de l’expression de la justice au travers de

2406
Article 9 Ibid.
2407
Article 10 Ibid.
2408
« Systèmes judiciaires européens : Efficacité et qualité de la justice », in Les études de la CEPEJ, n°18,
Editions 2012, p. 42.
2409
Une trentaine de sessions de formation ont été organisées par l’Unité de formation des huissiers de justice
africains (Ufohja), créée par l’UIHJ et les organisations représentants la profession dans les pays membres de
l’UIHJ membres de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada). De nombreux
colloques se sont tenus en Afrique, parmi lesquels deux congrès internationaux (à Tunis en 2003 et à Cape Town
en 20012), et trois rencontres Afrique-Europe des huissiers de justice (à Libreville en 2008, Yaoundé en 2010 et
à Lomé en 2013). L’UIHJ travaille actuellement sur la mise en place d’un statut harmonisé d’huissier de justice
en Afrique et collabore avec l’Ecole régionale supérieure de la magistrature (Ersuma) de l’Ohada en matière de
formation. Voir les travaux du Groupe de travail de l’UIHJ sur l’exécution (UIHJ-GT-EXE), Efficacité de
l’exécution des decisions de justice en matière civile et commercial en Afrique, Op. Cit., p. 3.

503
professionnels compétents 2410 , mais aussi dans la recherche de l’efficacité d’une pleine
exécution des décisions. Par ailleurs, le contenu, le niveau et la qualité de cette formation
continue se poserait. Le domaine est caractérisé par sa disparité2411. Une formation continue
de haute qualité pour l’agent d’exécution révélée par les besoins de la pratique, permet de
s’assurer qu’il exerce ses fonctions en ayant pleinement connaissance des évolutions
législatives et jurisprudentielles intervenues au cours de sa vie professionnelle.

486. Quelque soit le statut de l’agent d’exécution, qu’il soit libéral ou hybride comme c’est
le cas au Cameroun, les Etats doivent s’assurer que les fonctions exercées par les agents
d’exécution fassent l’objet d’un niveau approprié de surveillance et, autant que possible, d’un
contrôle judiciaire adapté. Les agents d’exécution doivent agir conformément aux règles de
droit en vigueur. Le contrôle de l’activité d’exécution s’entend du contrôle de la régularité des
actions menées par les agents d'exécution au regard de la loi. Le contrôle est un facteur
d’efficacité, une garantie importante de bonne exécution des titres exécutoires. La qualité des
spécialistes de l’exécution repose également sur la qualité du dispositif de surveillance. Or,
cette qualité est dans une large mesure conditionnée par le choix de l’entité en charge de la
surveillance. L’existence d’un organe professionnel2412 aurait supposé que la compétence soit
reconnue à cette instance représentative de la profession d’agent d’exécution, sous la
surveillance de l’Etat. Mais il en est autrement. L’exercice du pouvoir de surveillance et de
contrôle est dévolu au procureur de la République. Les Huissiers de justice exercent leur
activité sous la direction et le contrôle 2413 des magistrats du ministère public 2414 . Cette
surveillance qui peut s’avérer pesante, a déjà été relevée. De plus, le pouvoir disciplinaire
appartient cumulativement aux procureurs généraux près les cours d’appel et au ministre de la
justice, Garde des sceaux2415. Si le système peut assurer la docilité des agents d’exécution, il
n’est pas exempt d’abus. Obtenir la confiance des justiciables et la conserver est essentiel au
bon fonctionnement de l’exécution. Dès lors, la fiabilité de la surveillance et du contrôle est
un élément fondamental de la confiance placée en l’agent d’exécution. Cela signifie que le

2410
Elle constitue un des éléments additionnels de la Recommandation n°1 issue de la 8e session tenue à
Annaba (Algérie) les 20 et 21 octobre 2011, UIHJ Magazine 2012, p. 82.
2411
Voir sur les éléments statistiques, Groupe de travail de l’UIHJ sur l’exécution (UIHJ-GT-EXE), Op.
Cit., p. 30 et s.
2412
« Chambre Nationale des Huissiers », Article 31 du texte organique précité.
2413
Le contrôle concerne aussi bien l’ensemble des activités statutaires de la profession c'est-à-dire aussi bien
les abus et erreurs commis dans l’exercice des fonctions, les pratiques illégales, que la comptabilité de l’Huissier
de justice.
2414
Article 40 alinéa 1 statut huissier de justice
2415
Article 40 alinéa 2.

504
système de surveillance et de contrôle doit être transparent et prévisible, tout comme les
mesures d’exécution.

2. L’efficacité des mesures d’exécution

487. L’efficacité des mesures d’exécution peuvent être appréhendés tant sur le fond :
mesures conservatoires, saisies ; que sur la forme : délai d’exécution. La prévisibilité des
délais d’exécution tend à assurer une certaine quiétude dans les relations que l’on peut nouer
sous l’empire du droit. Aussi, l’exigence d’exécuter un jugement dans un délai raisonnable
fait-il désormais partie de la préoccupation constante des créanciers. Elle doit être considérée
selon la CEDH, comme faisant partie intégrante du « procès ». Si l’exécution constitue à la
fois un facteur de sécurité juridique, une garantie pérenne de la réalisation des droits, alors la
procédure d’exécution constitue une étape cruciale de la réalisation des droits confirmés par
un tribunal. Pour le dire autrement, en l’absence de garanties d’une exécution rapide et
efficace de la chose jugée, le droit à l’accès au tribunal perdrait toute pertinence. Ce qui fait
naturellement des délais d’exécution ou de la prévisibilité de ceux-ci un indicateur de
l’efficacité des mesures d’exécution. Le délai d’exécution nous servira ainsi d’instrument de
mesure de l’efficacité des mesures d’exécution d’efficacité. L’exigence du droit à l’exécution
comme partie intégrante du droit au juge concerne non seulement l’exécution complète du
jugement, mais aussi son exécution dans un délai raisonnable. L’exécution d’une décision
judiciaire ne peut être empêchée, invalidée ni retardée de manière excessive2416. Les critères à
prendre en compte pour apprécier le caractère « raisonnable » de la durée d’exécution sont les
mêmes que ceux appliqués pour mesurer le temps du procès, à savoir la complexité de
l’affaire, le comportement du requérant, le comportement des autorités intervenant dans le
processus de l’exécution et l’enjeu du litige pour le requérant.

488. L’exigence d’exécuter les titres exécutoires dans un délai raisonnable ne semble pas
avoir fait l’objet d’études approfondies dans notre ordre juridique. Toutefois, l’analyse du
droit de l’exécution applicable permet de cerner les éléments de nature à influencer
positivement ou négativement une exécution rapide des jugements, arrêts et autres titres
exécutoires. Référence est faite l’autonomie de l’agent d’exécution, l’intervention de
l’autorité de surveillance et de contrôle de l’agent d’exécution, la souplesse du cadre
juridique, l’éventuelle résistance du débiteur, le degré de collaboration des tiers, l’accès à
l’information sur le patrimoine du débiteur. Le législateur OHADA semble avoir pris les

2416
CEDH, 11 janv. 2001, Lunari C. Italie, req. 21463/93, §43.

505
mesures nécessaires pour contourner ces facteurs éventuels de ralentissement de l’exécution
des décisions et autres titres exécutoires. Cependant, selon les données statistiques publiées
par les rapports Doing Business 2012 et 2017 2417 , les délais d’exécution dans les Etats
membres de l’OHADA demeurent anormalement longs. Le délai moyen est de 365-377 jours
pour obtenir un jugement. Après expiration du délai d’appel, 283 jours en moyenne sont
nécessaires dans les économies de l’OHADA pour procéder à l’exécution du jugement, saisir
les biens meubles du débiteur, organiser une vente publique des biens saisis et recouvrer la
valeur de la demande. Le délai d’exécution le plus court est celui des Comores, deux mois,
soit dix fois moins qu’en Guinée-Bissau. Le même processus dure en moyenne 177 jours dans
le reste de l’Afrique subsaharienne. La même étude soutient que les investissements directs
étrangers sont plus importants dans les pays où le coût des procédures judiciaires de
recouvrement des créances et procédures d’éviction étaient moins élevés 2418 , le délai
d’exécution plus cours2419. Faute de tribunaux efficaces, les entreprises investissent moins et
réduisent leurs opérations commerciales2420. Le taux d’exécution des décisions en fonction du
délai raisonnable d’exécution reste bas. La durée excessive de la procédure et le taux
relativement bas à l’année de l’exécution constituent des dysfonctionnements du système
judiciaire. Il est souhaitable au regard de ce qui précède, dans la perspective d’améliorer les
délais d’exécution, le législateur national pourrait imposer un délai considéré comme
raisonnable pour la mise à exécution de la décision de justice qui tiendra compte notamment
du type d’action demandée, de la nature de l’affaire, la solvabilité et le comportement du
débiteur pour inscrire la prévisibilité du délai d’exécution dans les pratiques juridiques et
judiciaires du Cameroun. Il s’agit ainsi, par la prévisibilité des délais et l’exécution dans un
délai raisonnable des titres d’exécution, de sécuriser l’usager de manière juridique, mais aussi
psychologique.

489. En conclusion, les critères d’accessibilité à la justice à l’échelon national tels que la
proximité géographique, financières, les pratiques culturelles, le taux et délais de l’exécution
constituent des éléments non négligeables inhérents au problème de l’accès à la justice, qui

2417
Banque mondiale 2017, Doing Business dans les Etats membres de l'OHADA 2017, p. 64. Doing Business
mesure l’efficacité du système judiciaire en matière de résolution des litiges commerciaux. Sur la base d’une
étude de cas type, le rapport prend en compte les délais, le coût et les procédures d’exécution d’un contrat devant
les tribunaux.
2418
Au Cameroun, les créanciers paient un pourcentage du montant du jugement à titre de frais d’enregistrement
ou de taxe. L’administration perçoit une taxe de 5 %.
2419
Banque mondiale, Doing Business dans les Etats membres de l’OHADA 2012, p. 70.
2420
Ibid.

506
renforcent la vulnérabilité du système judiciaire camerounais. Cette étude serait toutefois
incomplète, s’il n’est pas tenu compte de la distribution de la justice à l’échelle régional.

Paragraphe II. La relativité de la distribution de la justice à l’échelle


régionale

490. Regardée dans l’éventualité de la réalisation concrète des droits par l’accès effectif à la
justice, la relativité dans le sens de faiblesse de la distribution de la justice dans l’espace
OHADA est une certitude. L’exécution des titres exécutoires est restée en effet l’une des
préoccupations majeures des justiciables. Exécution de jugements ou arrêts en principe
objectivement indépendante non seulement de la juridiction qui l’a rendu, mais aussi de la
personne contre laquelle l’exécution est dirigée. Autrement dit, la reconnaissance et
l’exécution des jugements étrangers, souffre de nombreuses lourdeurs qui laisse friser une
impossible exécution de certaines décisions de justice (A), à laquelle vient s’ajouter l’absence
d’une véritable coopération judiciaire entre Etats membres, malgré le réceptacle principal de
l’accès à la justice qu’elle constitue (B).

A. L’impossible exécution de certaines décisions de justice

491. L’article 1er du Traité de l’OHADA énonce que cette organisation « a pour objet
l’harmonisation du droit des affaires (…), par la mise en œuvre de procédures judiciaires
appropriées ». L’exécution complète de l’ensemble des actes juridiques nationaux et
étrangers peut ainsi être considérée comme comprise desdites procédures cependant dévoyée.
Seront ainsi successivement envisagés, l’exigence d’une procédure d’exequatur soumise à
conditions (2), et l’organisation de l’insolvabilité des sujets bénéficiant d’une immunité
d’exécution (1).

1. L’organisation de l’insolvabilité des personnes bénéficiaires de l’immunité


d’exécution

492. Tout débiteur peut être saisi. Ce principe de poursuite du débiteur constitue la pierre
angulaire et l’un des principes incontesté de la théorie générale de l’obligation. En droit
commun, les créanciers disposent contre un débiteur défaillant des moyens d’action
directs et indirects. C’est ainsi qu’il est admis aussi bien en droit camerounais, qu’en droit
OHADA et comparé que tout créancier, qu’il soit créancier hypothécaire, privilégie ou
simplement chirographaire peut, à défaut d’exécution volontaire, saisir les biens appartenant à

507
son débiteur défaillant pour le contraindre à exécuter ses obligations2421. La protection des
droits de tous créanciers, et ceux des pouvoirs publics spécifiquement est une préoccupation
indétachable de celle de la garantie des « droits fondamentaux »2422 et du développement. La
question est même située à la lisière de la frontière juridique et de l’économique. Sauvegarde
des droits rime avec exécution forcée, et celle-ci recouvre selon A. Leborgne, l’ensemble des
voies de droit offertes à un créancier pour venir à bout de la résistance de son débiteur2423.
Pourtant dans la réalité, le législateur ohadien soustrait certains sujets de droit aux procédures
civiles d’exécution, en érigeant presque au profit de celles-ci, « le droit de ne pas
exécuter » 2424 . Si la protection de l’intérêt général par les immunités d’exécution en elle-
même ne pose pas de souci particulier, c’est l’absolutisme2425 de l’énoncé de l’article 30 de
l’AUPSRVE : « l’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux
personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution. Toutefois, les dettes certaines, liquides
et exigibles des personnes morales de droit public ou des entreprises publiques, quelles qu’en
soient la forme et la mission, donnent lieu à compensation avec les dettes également
certaines, liquides et exigibles dont quiconque sera tenu envers elle, sous réserve de
réciprocité. Les dettes des personnes et entreprises visées à l’alinéa précédent ne peuvent être
considérées comme certaines au sens du présent article, que si elles résultent d’une
reconnaissance par elles de ces dettes ou d’un titre ayant un caractère exécutoire sur le
territoire de l’Etat où se situent lesdites personnes et entreprises » qui soustrait l’Etat et ses
émanations2426 aux voies d’exécution de droit privé, résultat de l’immunité permanente2427 qui

2421
Voir Article 28 de l’AUPSRVE.
2422
Cf. A. Salem Ould Bouboutt, « Les voies d’exécution contre les personnes publiques en droit mauritanien
», in L’effectivité des droits fondamentaux dans les pays de la communauté francophone, Colloque international
29 et 30 septembre, 1er octobre 1993, Montréal, Ed. Aupelf-Uref, 1994, pp. 583 et s.
2423
A. Leborgne, « Rapport introductif », Acte du Colloque sur "Les obstacles à l’exécution forcée :
permanence
et Evolutions", par A, Leborgne E. Putman (dir.), Paris, Editions Juridiques et Techniques, 2009, pp. 1-9, n° 1.
2424
A.D. Wandji Kamga, Le droit à l’exécution forcée Réflexion à partir des systèmes camerounais et français,
Thèse, Droit, Op. Cit.
2425
En moins d’une renonciation tacite, expresse, certaine et non équivoque, en moins de stipuler dans un
contrat à un arbitrage en cas de litige, l’immunité d’exécution est de principe. Voir à cet effet, l’application qu’en
a fait le juge camerounais. Ordonnance d’exequatur rendue par The Hight Court of Fako Division, Buea 15 mai
2002, African Petroleum consultants (PAC) c./ Société nationale de Raffinage du Cameroun (SONARA), Revue
Camerounaise de l’Arbitrage, n° 18, 2002/3, p. 19). La souscription de conventions d’arbitrage conclus avec des
partenaires économiques étrangers apporte des tempéraments sur les immunités, l’Etat ou ses émanations se
comportant comme une personne privée accepte un mode privé de règlement des litiges.
2426
Gaston Kenfack D., « Propos sur l’immunité d’exécution et les émanations des Etats », Revue
Camerounaise de l’arbitrage, n° 30, Juillet-Août-Septembre 2005, p. 3 Ohadata D-08-59 ; Du même auteur,
« L’exécution forcée contre les personnes morales de droit public », Revue Camerounaise de l’arbitrage, n° 30,
Juillet-Août-Septembre 2000, p.3 et s. ; Voir aussi Félix O. Etoundi, « L’immunité d’exécution des personnes
morales de droit public et ses applications jurisprudentielles en droit OHADA », Revue de droit uniforme
africain, n° 000-09/08/2010.
2427
Par opposition aux immunités temporaires. Les obstacles temporaires renvoient notamment, au droit des
procédures collectives. En cette matière, le débiteur, en proie à des difficultés économiques et justiciable de la

508
lui est acquise. Le caractère dogmatique du privilège de l’immunité d’exécution de
l’administration en droit OHADA, réserve une place exceptionnelle à cette dernière, en
rupture de l’aspect égalitaire qui devrait caractériser les relations entre des partenaires
d’affaires. Conséquence, l’ensemble des biens appartenant à l’Etat et ses émanations ne font
l’objet d’aucune saisie2428, même lorsqu’il agit comme personne privée, acteur du commerce
interne et international.

493. Les opérateurs économiques nationaux et investisseurs étrangers ressentent assez mal
ce caractère absolu de l’immunité d’exécution, privilège personnel et réel accordé à certains
débiteurs (Etats, collectivités publiques, établissements publics, Etats étrangers, etc.) qui a
pour conséquence de les soustraire de toute mesure d’exécution forcée, ainsi qu’à toute saisie
conservatoire, sur les biens qui leur appartiennent. Si le débiteur n’exécute pas de plein gré la
décision, il ne peut y être contraint. Ce qui malheureusement pourrait servir de prétexte pour
ne pas exécuter une décision de justice ou pour différer l’exécution au-delà de ce qui est
raisonnable. Alors que le droit de l’arbitrage se modernise, les procédures applicables pour
l’exécution des décisions de justice2429 restent régies par un AUPSRVE datant du 10 avril
1998, largement protecteur des émanations de l’Etat. Il s’agit là à ne point douter, de l’un des
effets pervers du mimétisme juridique qui caractérise encore aujourd’hui les droits africains.
Le caractère extensif de l’immunité d’exécution du droit OHADA est d’autant plus critiqué et
mal ressenti qu’il a été étendu aux établissements commerciaux qui exercent une activité
commerciale. A cet égard, l’immunité d’exécution par son effet, s’apparente à la notion
d’insaisissabilité2430. A la suite des opérateurs économiques, cet absolutisme a suscité de vives
critiques au sein de la doctrine2431 qui souligne avec regret que le juge étatique2432, juge de

procédure collective, bénéficie, le cas échéant, de la mesure de suspension des poursuites individuelles. Voir
article 75 alinéa 1er de l’AUPC : « La décision d’ouverture du redressement judiciaire ou de la liquidation des
biens interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers composant la masse qui
tend : 1° à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ; 2° à la résolution d’un contrat
pour défaut de paiement d’une somme d’argent ». Les différents acteurs de la procédure collective sont soumis à
une certaine discipline pendant un temps déterminé.
2428
Cass., 31 mars 1819, Enregistrement c/ Jousselin (Ainsi, était-il affirmé qu’un particulier persévérant et
obstiné, soucieux avant tout de ses légitimes et égoïstes intérêts au mépris de l’intérêt général, ne pouvait ni
obliger, ni contraindre l’autorité publique ; Cass. 1ere civ. 21 déc. 1987, Bull. civ. 1, n° 348 ; Gaz. Pal. 1998.2.
685, note Véron.
2429
Sur les difficultés d’exécution des sentences arbitrales voir Thierno Olory-Togbe, Les difficultés
d’exécution des sentences arbitrales contre les états et leurs émanations en droit OHADA, Mémoire Master,
Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest, 2020.
2430
V. F.M. Sawadogo, « La question de la Saisissabilité ou de l’insaisissabilité des biens des entreprises
publics en droit OHADA », Penant, n° 860, Juillet-septembre 2007, p. 312.
2431
V. not. J. M. Tchakoua, « Entre dogmes et recherche d’efficacité : réflexion sur l’exécution des décisions de
justice en droit OHADA », in Mélanges en l’honneur du Professeur F. Michel Sawadogo, Les horizons du droit
OHADA, CREDIJ, 2018, p. 241 ; G. Kenfack Douajni, « L’exécution forcée contre les personnes morales de
droit public », Op. Cit. ; « Propos sur l’immunité d’exécution et les émanations des Etats », Revue camerounaise

509
droit commun applique dans l’absolu, l’immunité d’exécution accordée aux personnes
morales de droit public même si la décision est conforme à la loi sans procéder à une
distinction entre acte de jure imperii c'est-à-dire acte de souveraineté ou de service public et
acte jure gestionis, acte de gestion de la personne morale visée par la mesure d’exécution
forcée. Cette position nous semble rédhibitoire pour le droit OHADA d’abord, en tant qu’il
vise à promouvoir la sécurité juridique et judiciaire des activités économiques ; ensuite, le
préambule du Traité insiste sur l’application avec diligence du droit dans les conditions
propres à garantir la sécurité juridique des mêmes activités dans l’optique de favoriser
l’investissement et l’attractivité économique des Etats.

494. Malgré l’appel incessant de la doctrine à l’assouplissement de l’interprétation stricte


des dispositions de l’article 30 de l’AUPSRVE, le juge CCJA à qui le Traité reconnait
l’autorité de construire une jurisprudence sur toute question de droit litigieux se rapportant à
son champ de compétence est resté jusqu’en 2017 inflexible et imperturbable sur sa
position2433. Récemment dans l’affaire des Grands Hôtels du Congo, contre toute attente, la
Cour commune dans un arrêt rendu en date du 28 avril 20182434, va procéder à une nouvelle
lecture de la disposition pour soumettre une société d’économie mixte 2435 aux voies

de l’arbitrage, n° 30, Juillet-Aout-Septembre, 2005, p. 3. Ohadata D-08-59 ; F.M. Sawadogo, « L’immunité des
personnes morales de droit public dans l’espace OHADA (A propos de l’arrêt de la CCJA du 7 juillet 2005,
Affaire Aziablévi Yovo et autres contre société Togo Telecom) », Revue camerounaise de l’arbitrage, Numéro
Spécial, février 2010, p. 136, Ohadata D-11-43 ; Guy Nahm-Tchougli, « L’immunité d’exécution ou de saisie
des entreprises publiques dans l’espace OHADA », Revue Africaine de droit, d’Economie et de développement,
Vol. 1 n° 6, 2005, pp. 574-582 ; Philippe Leboulanger, « L’immunité d’exécution des personnes morales de
droit public », Ohadata D-11-42 ; W. D. Kabre, « L’immunité d’exécution des entreprises publiques en droit
OHADA : la CCJA apporte une pierre à l’édifice de son régime », Revue l’essentiel n°1, janvier 2017, p. 2 ; Bira
Lo Niang, « L’immunité d’exécution à la lumière de la jurisprudence de la Cour commune de justice et
d’arbitrage de l’ohada », in Revue Africaine et Malgache de Recherche Scientifique (RAMReS).
2432
Cour d’Appel de Lomé, Arrêt n° 186/03 du 26 septembre 2003, Affaire Aziablévi Yovo et autres c. / Société
Togo Telecom.
2433
Celle-ci est confirmée en 2014 par l‘arrêt rendu dans l’affaire dite Port autonome de Lomé. Arrêt CCJA, 3e
ch., n° 024, 13 mars 2014 ; P n° 022/2008/PC du 21 avril 2008 : Koutouati A. Akakpo Danwodina et 18 autres c/
Société Togo-Port dite Port Autonome de Lomé, Ohadata J-15-115. Deux années plus tard, des critères
d’identification des bénéficiaires de l’immunité d’exécution furent dégagées par la Cour dans une autre espèce
(Arrêt n° 044/2016 - Gnankou Goth Philippe c/ Fonds d'Entretien Routier dit « FER » ; Société Ecobank Côte
d'Ivoire, CCJA (Abidjan, Côte d'Ivoire). Arrêt disponible sur le site : https://www.ohada.org pour réaffirmer sa
position sur l’immunité des personnes morales de droit public.
2434
La haute juridiction procède à une nouvelle lecture de ces dispositions en ces termes : « … qu’en l’espèce, il
est établi que le débiteur poursuivi est une société anonyme dont le capital social est détenu à parts égales par
des personnes privées et par l’Etat du Congo et ses démembrements ; qu’une telle société étant d’économie
mixte, et demeure une entité de droit privé soumise comme telle aux voies d’exécution sur ses biens propres ;
qu’en lui accordant l’immunité d’exécution prescrite à l’article 30 susmentionné, la Cour de Kinshasa/Gombe a
fait une mauvaise application de la loi et expose sa décision à la cassation; qu’il échet de casser l’arrêt déféré et
d’évoquer ».
2435
Selon S. Guinchard et T. Moussa, « une société d’économie mixte est une entreprise de droit privé soumise
comme telle aux voies d’exécution ». Peu importe qu’elle soit investie d’une mission de service public ou qu’elle
travaille pour le compte d’une collectivité locale. S. Guinchard et T. Moussa cité par F. M. Sawadogo, « La

510
d’exécution. Faisant l’économie de l’ensemble des décisions de la CCJA sur la question des
immunités, on relève une instabilité dans la jurisprudence de la CCJA sur la détermination des
entités bénéficiaires de l’immunité d’exécution. La CCJA aurait protégé les entreprises
publiques plus que les Etats eux-mêmes2436. En tout état de cause, la jurisprudence de la Cour,
révèle une option claire et constante pour une protection des personnes publiques contre les
voies d’exécution 2437 . Certes la solution adoptée récemment par l’auguste Cour est sans
conteste une avancée dans la mesure où elle réduit le champ de l’immunité d’exécution mais
elle reste de notre point de vue parcellaire, car limitée aux sociétés mixtes ou entreprise à
participation publique. En d’autres termes, la jurisprudence et les dispositions de l’article 30
précité ne serait ni plus ni moins, s’il reste en l’état, un risque juridique en ce sens qu’il
organise l’insolvabilité des personnes bénéficiaires d’une immunité d’exécution.

495. Par ailleurs, la solution posée par l’alinéa 2 de l’article 30 qui dispose que « toutefois,
les dettes certaines, liquides et exigibles des personnes morales de droit public ou des
entreprises publiques, quelles qu’en soient la forme et la mission, donnent lieu à
compensation avec les dettes également certaines, liquides et exigibles dont quiconque sera
tenu envers elle, sous réserve de réciprocité » de l’AUPSRVE ne semble non plus apporter
entière satisfaction. Le principal aménagement de l’immunité d’exécution des personnes
morales de droit public et des entreprises publiques est la possibilité de la compensation de
dettes. Le législateur de l’OHADA a trouvé, dans la compensation mode d’extinction des
obligations, un moyen d’atténuer l’immunité d’exécution accordés aux débiteurs publics. Le
texte qui est une innovation à apprécier dans le droit africain permet aux créanciers des
personnes publiques dans le même temps débiteurs des mêmes personnes morales d’exiger
une annulation réciproque des dettes. Toutefois, la sévérité des conditions applicables à la

question de la Saisissabilité ou de l’insaisissabilité des biens des entreprises publics en droit OHADA », Op.
Cit., p. 331 et s.
2436
La majorité des Etats membres de l’OHADA soumettent en effet les entreprises publiques exerçant une
activité commerciale au droit commun. Voir A titre illustratif, la loi togolaise n° 90-26 du 4 décembre 1990 qui
donne un contenu à la notion d’entreprise publique. Ce texte prévoit à son article 1er « L’Etat exerce des activités
économiques, industrielles et commerciales à titre principal par l’intermédiaire de sociétés d’Etat ou de sociétés
d’économie mixte désignées sous le terme générique d’entreprises publiques. La présente loi définit le cadre
institutionnel de ces entreprises » ; La loi sénégalaise n° 2002-12 du 15 avril 2002 abrogeant et remplaçant les
dispositions de l’alinéa 2 de l’article 194 du Code des Obligations civiles et commerciales relatif à l’immunité
d’exécution qui consacre clairement une protection immunitaire à l’Etat, aux collectivité locales et aux
établissements publics. Voir aussi Bira Lo Niang, « L’immunité d’exécution à la lumière de la jurisprudence de
la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’ohada », Op. Cit.
2437
R. Nemeudeu, « L’immunité d’exécution des personnes morales de droit public ou des entreprise publiques
», RTD 2014, p.231 et suiv.

511
compensation paralyse les bénéfices que les créanciers peuvent y tirer2438. La compensation
ne peut d’avantage être efficacement évoquée que par les acteurs économiques qui sont à la
fois créanciers et débiteurs de la même personne publique. La compensation ne couvre donc
pas toutes les catégories de créanciers. Par ailleurs, l’alinéa 2 précité précise que la
compensation ne peut valablement être invoquée que si les créanciers des personnes morales
de droit public et des entreprises publiques peuvent justifier d’une reconnaissance dette ou
d’un titre exécutoire. En outre, la dette en cause doit être certaine2439. Le texte ne précise pas
non plus la procédure à diligenter ni l’autorité habilitée à délivrer la reconnaissance de dette.
La forme que doit revêtir la reconnaissance de la dette pourrait être aussi sujette à contestation
puisque le législateur de l’OHADA n’en suggère aucune.

496. En somme, le droit OHADA semble inadapté au recouvrement de la dette publique


intérieure2440 en raison de l’absolutisme de l’immunité accordée aux personnes publiques et
de l’inefficacité des mesures prises par le législateur régional pour l’atténuer. Les
conséquences sur les créanciers 2441 des personnes publiques et sur l’éclosion d’un secteur
privé dynamique 2442 justifieraient la nécessité que soit réformer le régime juridique de
l’immunité des personnes morales de droit public en vue de faciliter le recouvrement de la
dette publique intérieure dans l’espace OHADA dans le but d’œuvrer à la reconnaissance du
droit fondamental d’accès de tous à la justice, à travers l’exécution effective des décisions de
justice à l’égard des émanations de l’Etat. Eviter aux créanciers qui bénéficient d’un droit
consacré par l’officier de justice, de demeurer dans l’impasse en assistant à l’inexécution de la
décision de justice. Le caractère absolu du privilège reconnu à l’Etat érode la crédibilité la
crédibilité des pouvoirs publics et la confiance des investisseurs. L’immunité d’exécution
mérite par conséquent d’être mieux circonscrite afin d’éviter que celle-ci ne rende le droit
OHADA moins attractif pour les investisseurs. Le législateur ne semble pas prendre la

2438
B. Martor, N. Pilkington, D. Sellers, S. Thouvenot, Le droit uniforme africain des affaires issu de
l’OHADA, Op. Cit., n° 1126.
2439
Voir Amevi De Saba, La protection du créancier dans le droit uniforme de recouvrement des créances de
l’OHADA, Thèse, Droit, Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2016, pp. 260 et suiv.
2440
A. A. de Saba, « Le recouvrement de la dette publique intérieure dans les Etats de l’OHADA », Revue de
l’Ersuma, Droit des Affaires-Pratiques professionnelles, n° 3 Septembre 2013, pp. 216-226.
2441
L’immunité d’exécution des personnes et entreprises publiques serait en mesure de causer la faillite de
sociétés privées en relations d’affaires avec les entreprises nationales. A court terme l’immunité d’exécution
entraine le gonflement de la dette intérieure susceptible d’hypothéquer les relations entre les sociétés créancières
et les institutions financières tant nationales qu’internationales.
2442
Pour s’assurer d’un secteur privé viable et s’inscrire dans la dynamique de développement du traité, il est
impératif que les créanciers des entreprises publiques puissent effectivement voir respecté leur droit à
l’exécution des décisions de justice. Il convient de souligner en passant que la mise en place des Programmes
d’ajustement structurel par les bailleurs de fonds résultait en partie de la mauvaise gestion des entreprises
publiques.

512
dimension de la question à sa juste mesure. Le créancier est privé de ses moyens de contrainte
vis-à-vis d’un débiteur qui s’est obligé en connaissance de cause. Cette situation porte atteinte
à l’effectivité des titres exécutoires et à plusieurs droits fondamentaux du créancier, tel que
son droit fondamental à la justice. Le droit à l’exécution des décisions de justice reste illusoire
parce que le système de normes permet qu’une décision devenue définitive reste inopérante au
détriment d’une partie. Méconnait l’ensemble des dispositions nationales, régionales et
internationales sur le droit au juge, l’article 30 de l’AUPSRVE. Droit nouveau certes,
moderne oui, toutefois en matière d’immunité d’exécution semble moins avant-gardiste,
moins nouveau, plus en arrière que les dispositions nationales des Etats membres qui offrent
une meilleure pratique en matière d’immunité d’exécution. Droits sur lesquels une nouvelle
formulation de l’article 30 pourrait s’appuyer. En d’autres termes, la prise en compte des
meilleures pratiques dans le domaine en Afrique reste la solution de la modification du régime
des immunités d’exécution du droit OHADA. La remise en cause du caractère absolu du
privilège de l’immunité d’exécution constituera un pas supplémentaire vers les garanties
recherchées pour le maintien et la promotion d’un meilleur climat des affaires dans l’espace
OHADA. Il permettra surtout de ne pas décourager les éventuels partenaires de l’Etat en
limitant davantage les cas dans lesquels il leur sera impossible, en cas de litige, de ne pas
obtenir la réalisation par la force, des décisions de justice rendues en leur faveur par les cours
et tribunaux. Si l’efficacité de l’exécution des mesures d’exécution de fond semble ainsi
volontairement réduite, il témoigne de la prégnance des souverainetés au détriment de
l’exécution du droit uniforme.

2. L’exigence d’une procédure d’exequatur soumise aux conditions classiques de


droit international privé

497. Le jugement2443 étranger ne bénéficie en tant que tel de la normativité que dans le
système juridique étranger dont il émane et à la condition d’avoir été régulièrement rendu par
les organes habilités à le faire2444. Exporté dans le système juridique d’un autre Etat membre
de l’OHADA, le jugement étranger se trouve dépouillé de toute impérativité directe en
l’absence d’un titre doté d’une force exécutoire immédiate dans tous les autres Etats
membres. Dès lors, le jugement ne peut être invoqué pour produire des effets coercitifs sur les
biens de son débiteur qu’en introduisant une procédure spécifique, la procédure d’exequatur.

2443
Le terme jugement doit ici être entendu dans un sens large et compris comme englobant le jugement au sens
strict du terme de l’acte juridictionnel rendu par une juridiction étatique et de la sentence arbitrale rendu au sein
d’un Etat.
2444
M.-L. Niboyet, Géraud de Geouffre de La Pradelle, Droit international privé, Op. Cit., n° 626, p. 520.

513
Signifiant littéralement « qu’on exécute », l’exequatur peut être défini comme « une
autorisation judiciaire d’exécuter, accordée à un acte juridictionnel ou gracieux de droit
privé dépourvu de force exécutoire dans l’ordre juridique du juge requis, en raison soit de
son extranéité (jugement ou acte public étranger […] soit de son origine non étatique
(sentence arbitrale [...]) » 2445 . Elle est aussi, l’autorisation donnée par le juge requis,
d’exécuter dans son for un jugement étranger2446. Le jugement étranger d’un Etat membre
OHADA est donc soumis à la nécessité d’une action en exequatur2447, condition de réception
dans les pays requis. C’est donc dire que tout jugement même bénéficiant de l’autorité de la
chose jugée, leur exécution forcée est soumise à exequatur préalable sur le territoire de l’État
requis2448. À titre d’exemple dans le droit OHADA, aux termes de l’Acte uniforme portant
organisation des procédures collectives d’apurement du passif, « lorsqu’elles sont devenues
irrévocables, les décisions d’ouverture et de clôture des procédures collectives ainsi que
celles qui règlent les contestations nées de ces procédures et celles sur lesquelles les
procédures collectives exercent une influence juridique, prononcées dans le territoire d’un
État partie ont autorité de la chose jugée sur le territoire des autres États parties » 2449 .
Pourtant, lorsque l’intégration est poussée, et dans un cadre aussi ambitieux que l’OHADA, la
procédure d’exequatur est soit supprimée, soit réduite à sa plus simple expression2450.

498. Plus que la nécessité d’une action en exequatur dans un droit et un espace judiciaire
prônant l’intégration, c’est la soumission de l’exequatur à une procédure longue, stricte et
complexe, soumise à l’hétérogénéité du système de droit international privé des Etats
membres qui fait énormément problème. Trois conditions structurent généralement et presque
toujours la procédure spécifique d’exéquatur au sein des Etats (au Cameroun il y en a quatre) :
la compétence internationale du juge étranger, la conformité du jugement à l’ordre public
international de l’Etat requis, l’absence de fraude. Au Cameroun la non contrariété de la

2445
H. Muir-Watt, « Exequatur », in D. Alland, S. Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Op. Cit., p.
685.
2446
M.-L. Niboyet, Géraud de Geouffre de La Pradelle, Droit international privé, Op. Cit., n° 630, p. 527.
2447
Sont susceptibles d’exequatur « des actes individuels, revêtant une certaine normativité liée à l’intervention
d’une autorité publique étrangère », tels que les actes juridictionnels contentieux ou gracieux, mais aussi « les
simples instruments publics reçus par une autorité exerçant une compétence liée, non juridictionnelle », à
l’exclusion des « diverses interventions purement organiques d’une autorité publique » qui ne peuvent bénéficier
d’exequatur parce qu’insuffisamment normatifs. H. Muir-Watt, « Exequatur », Op. Cit.
2448
Voir les articles 7 et suivants de la Loi du 19 avril 2007 fixant les conditions de l’exécution au Cameroun
des décisions judiciaires et actes publics étrangers ainsi que les sentences arbitrales étrangères au Cameroun.
2449
Article 247 de l’AUPCAP ; Voir aussi supra sur les développements consacré au droit commun des titres
exécutoires OHADA.
2450
G. Ngoumtsa Anou, « L’exequatur en droit positif comparé : regard sur l’espace intégré OHADA à la
lumière de l’expérience européenne », in F. Ferrand, G. Ngoumtsa Anou (dir.), Comment recouvrer efficacement
les créances dans un espace régional : les expériences de l’Europe et de l’OHADA, RD Aff. int. 2012, n° 5, p.
588.

514
décision à une décision judiciaire définitive rendue au Cameroun (condition qui apparait
impossible à réaliser), les parties ont été régulièrement citées, représentées, et déclarées
défaillantes ; la décision est susceptible d’exécution dans son pays d’origine. Ces conditions
de régularité des jugements étrangers forment ensemble un système de contrôle.
L’accès au système de justice civile et commerciale d’un Etat membre dépend en effet
de l’existence au premier chef d’un lien entre le litige et cet Etat. Cette exigence prend toute
son importance en matière de compétence dans les litiges présentant un lien d’extranéité.
Parce que la justice fait partie des services publics que les Etats refuse généralement d’offrir
aux justiciables n’ayant aucun lien avec l’espace juridique et judiciaire de l’Etat concerné2451.
Les systèmes juridiques considèrent injuste qu'un organe juridictionnel exerce son pouvoir
juridictionnel à l'endroit d'un justiciable n'ayant aucun lien avec l'État auquel cet organe est
rattaché. Si cette exigence d'un lien suffisant entre le litige et l'État de l'organe juridictionnel
saisi est universelle et semble normale, elle n'est pas mise en œuvre de manière uniforme d'un
État à l'autre. Les États sont plus ou moins exigeants quant au lien minimal requis : par
exemple, alors que dans certains pays une convention d'élection de for suffit à elle seule pour
satisfaire à cette exigence de lien, d’autres Etats continuent d’exiger des rattachements
matériels suffisants entre le litige et l'État concerné tels que le domicile, le lieu de situation du
siège social ou d’une circussale de l’entreprise, le lieu de situation du bien immobilier ou
d’exécution d’un contrat ou encore la nationalité, quand les common lawyers préfèrent
toujours recourir à des standards dans l'espoir d'aboutir à une solution mieux adaptée aux
circonstances propres de chaque espèce2452. Pour le dire autrement, l’accueil des jugements
étrangers se heurtent aux mêmes limites posées à l’application des lois étrangères notamment
les valeurs intangibles du for érigées d’ordre public international2453. La conformité à l’ordre
public constitue le garde-fou qui assure la protection de l’ordre interne contre les importations
de solutions exogènes susceptibles de mettre à mal la cohésion de la société du for 2454 .
L’exception d’ordre public international opposée à la reconnaissance des jugements étrangers
s’avère aussi être un rempart contre les injustices processuelles qui seraient commises à
l’étranger 2455 , dans la mesure où il serait osé de présumer de manière irréfragable, sans

2451
F. Bachand, « Le droit d’agir en justice », dans A. Popovici et L. Smith (Dir.), McGill companion to Law,
Mars 2015, consulté le 13 septembre 2019 à 17 h 59 https://mcgill.ca/companion/list/droit-dagir-en-justice
2452
Voir en ce sens Diego Fernandez Arroyo, « La tendance à la limitation de la compétence judiciaire à
l’épreuve du droit d’accès à la justice », in Mélanges Bernard Audit, Paris, LGDJ, 2014, pp. 285-306 ; Voir
aussi Ph. Théry, Pouvoir juridictionnel et compétence, Etude de droit international privé, Thèse Dactyl., Paris I,
1981.
2453
M.-L. Niboyet, G. G. De La Pradelle, Droit international privé, Op. Cit., n° 666.
2454
Ibid.
2455
Ibid.

515
méconnaitre le fait qu’il existe dans les systèmes juridiques africains de nombreux doutes au
regard de la crédibilité du juge, l’équivalence entre les systèmes de justice étrangers et le for.
Les systèmes judiciaires des Etats imposent à leur juge de l’exequatur, la vérification de la
conformité de la procédure suivie à l’étranger avec les exigences du droit du for. De plus,
lorsque ce n’est pas l’exequatur qui est demandée pour assurer la circulation d’un acte
étranger, l’exigence de réciprocité est requise par les droits gabonais et ivoirien. La doctrine
« communautaire » s’est posé une question qui reste prégnante, celle de savoir s’il s’agit de
l’ordre public international étatique ou de l’ordre public international commun à l’ensemble
des États parties 2456 . Si l’exequatur, en tant que procédure intermédiaire peut apparaître
comme un obstacle à l’intégration judiciaire et à la célérité de la justice, il s’agit surtout d’«
un lieu de considération et de défense des droits individuels »2457. En dépit de cette réalité,
l’on assiste à une « balkanisation de l’exequatur » 2458 des jugements et actes juridiques
nationaux au sein de l’espace OHADA, mettant ainsi en évidence des freins matériels et une
prolifération préjudiciable d’instruments sur la reconnaissance et l’exequatur dans l’espace
OHADA. L’État requis peut rejeter la demande dans la seule hypothèse de la contrariété
manifeste de la sentence à une règle d’ordre public international 2459 . L’environnement de
l’exequatur est caractérisé dans l’espace OHADA par une « pluralité labyrinthique »2460, une
kyrielle des textes régissant la circulation des jugements et actes publics étrangers. Le
législateur ne prévoit pas de règles spécifiques à la circulation des décisions rendues en
application des actes uniformes2461. Il a préféré laissé la question à la diligence des droits
nationaux. Pourtant, certains créanciers peuvent avoir intérêt à saisir des biens du débiteur
situés dans un pays autre que celui dans lequel ils ont obtenu le titre exécutoire. Les

2456
Voir à cet effet, G. Kenfack Douajni, Chr. Imhoos, « L’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage dans
le cadre du Traité OHADA », Revue camerounaise de l’arbitrage, avril-mai-juin 1999, n° 5, pp. 3 et s., Ohadata
D-08-79 ; T. Enaw, « The Enforcement of Arbitral Awards in Harmonized Systems: Challenges in the
Application of the OHADA Uniform Act on Arbitration », Caribbean Commercial Law Workshop, July 23-25 ‒
Miami-USA, Ohadata D-17-21, p. 7 ; S.I. Bebohi Ebongo, « L’ordre public international des États parties à
l’OHADA », Revue camerounaise de l’arbitrage, juillet-août-septembre 2006, n° 34, pp. 5 et 9, Ohadata-D-08-
63 ; P. Diedhiou, « La reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales dans l’Acte uniforme relatif au
droit de l’arbitrage de l’OHADA », in Mélanges en l’honneur du Professeur Jean-Michel Jacquet, Paris,
LexisNexis, 2013, p. 492.
2457
L. d’Avout, « L’exequatur en droit prospectif européen », in F. Ferrand, G. Ngoumtsa Anou (dir.),
Comment recouvrer efficacement les créances dans un espace régional : les expériences de l’Europe et de
l’OHADA, Op. Cit., p. 568.
2458
L’expression est empruntée à S. Chr. Ekani, « Intégration, exequatur et sécurité juridique dans l’espace
OHADA. Bilan et perspective d’une avancée contrastée », Revue internationale de droit économique 2017/3 (t.
XXXI), p. 55-84.
2459
Art. 31, al. 4, de l’Acte uniforme sur l’arbitrage.
2460
S. Chr. Ekani, « Intégration, exequatur et sécurité juridique dans l’espace OHADA. Bilan et perspective
d’une avancée contrastée », Op. Cit.
2461
V. B. Banamba, « Les conflits de juridictions dans l’espace OHADA », Revue Lamy droit civil, décembre
2016, supplément n° 143, p. 60.

516
possibilités sont grandes en effet que l’assiette des biens d’un débiteur situés dans le pays où
le titre exécutoire a été obtenu soit insuffisante à désintéresser le créancier. De même, il est
fréquent d’assister à l’hypothèse où la localisation des biens du débiteur est en dehors des
frontières dans lequel le titre exécutoire a été obtenu, et situés dans d’autres Etats. La question
de l’exequatur permet de révéler au grand jour les avancées majeures et les contradictions de
l’OHADA. Dans l’esprit, on pourrait percevoir une certaine contradiction entre la finalité
d’intégration recherchée et le caractère marqué des velléités souverainistes de ses États
membres. Il serait de notre avis regrettable d’ignorer la persistance des barrières à la célérité
des procédures d’exécution, à la construction d’un espace judiciaire intégré, l’investisseur
étant d’autant attiré et confiant que les mécanismes permettant d’obtenir l’exécution des
obligations qui lui sont dues seront le moins ou pas mis à mal par les frontières étatiques.
Cette complexité dans les procédures d’exequatur peut à terme créer en aval une insécurité
judiciaire due à un espace cloisonné. A défaut d’exequatur ou de réciprocité, toutes les
décisions rendues par les juridictions d’un Etat membre restent des décisions étrangères dans
les autres Etats membres, ce qui amplifie l’insécurité judiciaire. Le régime de la circulation
des jugements et actes publics en l’état actuel manque d’attractivité.
499. L’incidence du régime diversifié de l’exequatur des décisions et sentences arbitrales
nationales et CCJA sur l’exécution rapide des décisions de justice et donc sur la possibilité
pour le créancier poursuivant de rentrer dans ses droits est certaine. Les lois nationales
applicables aux questions de droit international privé des Etats membres de l’OHADA
prévoient une combinaison de plusieurs éléments. Tous les régimes excluent la
reconnaissance et l’exécution d’un jugement et acte public étranger contraire à l’ordre public
du for. La conclusion que l’on peut en tirer est une absence d’uniformisation des conditions et
procédure d’exequatur. La survivance des problèmes de droit international privé en dépit des
règles matérielles OHADA, ainsi que l’émergence des questions inhérentes à la discipline
créées par le système des normes OHADA sont laissées, résultat de l’autonomie procédurale,
à l’initiative de chaque Etat. Chaque membre de l’organisation fixe et résous les modalités de
la circulation des titres nationaux et étrangers.
Si l’on peut voir dans ce régime diversifié de circulation des titres d’abord, l’effet de
l’autonomie procédurale des Etats, ensuite le respect de la souveraineté de ses membres par
l’OHADA, ou encore le domaine limité des compétences du législateur, il faut néanmoins y
voir aussi, d’autres facteurs intrinsèques inhérents à l’environnement dans lequel baigne les
systèmes de justice des Etats de l’OHADA. Le cloisonnement des systèmes de justice
nationaux expliquent une sorte de méfiance et de réticence réciproque des Etats parties vis-à-

517
vis des titres exécutoires nationaux. Pour le dire autrement, chaque État ayant le monopole de
la contrainte sur son territoire, la suppression de cette instance serait une sujétion de l’État
requis à celui de l’origine de la décision ou de l’acte à exécuter2462. La disparité du niveau de
protection offert par chaque appareil judiciaire pourrait ainsi justifier le refus des Etats ayant
une justice plus crédible, en meilleure état, à l’idée que les décisions et actes en provenance
des pays d’une protection en deçà de la leur puissent être soustraits à un contrôle rigoureux.
La confiance mutuelle, fondation, sinon « ciment d’une culture commune des règles de
circulation et d’exécution des titres exécutoires nationaux » 2463 en dépit d’un projet
d’uniformisation des règles de droit international privé au sein de l’OHADA, ne figure pas
dans l’agenda du processus d’intégration des économies de cette organisation.

500. A ce régime disparate de la circulation des titres exécutoires nationaux dans l’espace
OHADA, la doctrine a proposé tantôt l’institution d’un régime commun minimal de
l’exequatur dans l’espace concerné, gage de sécurité juridique et d’intégration2464 limité aux
actes et décisions pris sur le fondement du droit de l’OHADA semblable au titre exécutoire
européen 2465 ; soit l’uniformisation du régime de la reconnaissance et de l’exequatur des
décisions dans l’espace OHADA2466. Le nouveau régime sera opportunément limité à la libre
circulation des titres exécutoires aux jugements contradictoires rendus dans des matières ayant
déjà fait l’objet d’un acte uniforme, et devenus exécutoires dans l’État d’origine pour des
créances liquides et exigibles2467.
Si l’une ou l’autre de ces solutions nous convient parfaitement, mais elles ont à notre
humble avis le défaut se limiter à l’exequatur des titres exécutoires nationaux et mériterait
d’être élargie aux autres questions de droit international privé (« conflit de conventions de
droit privé » ou « conflit entre normes communautaires »), éludées par le législateur de
l’OHADA parce qu’ayant opté pour une approche du droit fondée sur des règles matérielles
uniformes. L’essentiel du droit OHADA est certes constitué de règles matérielles uniformes
directement applicables aux situations juridiques internes et internationales, cependant, ce

2462
M. Lopez de Tejada, La disparition de l’exequatur dans l’espace judiciaire européen, coll. Bibliothèque de
droit privé, t. 546, Paris, LGDJ/Lextenso, 2013, pp. 171 cité par Serge Chr. Ekani, Op. Cit.
2463
Éric-Adol T. Gatsi, « Coopération judiciaire entre les états de la CEMAC : vers un espace judiciaire
commun ? », Op. Cit.
2464
Serge Ekani, « Intégration, exequatur et sécurité juridique dans l’espace OHADA. Bilan et perspective
d’une avancée contrastée », Op. Cit. ; B. Banamba, « Les conflits de juridictions dans l’espace OHADA », Op.
Cit. p. 65.
2465
Lire F. Ferrand, « Titre exécutoire européen », Répertoire de procédure civile, 2006 (actualisation de
février 2017), n° 4.
2466
P. Meyer, « La sécurité juridique et judiciaire dans l’espace OHADA », Op. Cit, n° 33.
2467
S. Chr. Ekani, « Intégration, exequatur et sécurité juridique dans l’espace OHADA. Bilan et perspective
d’une avancée contrastée », Op. Cit.

518
droit ne supprime pas pour autant tout conflit de lois, conflit de juridiction, si bien que l’on a
pensé a juste titre que le droit international privé garde un rôle à jouer comme instrument de
comblement des lacunes du droit matériel OHADA et comme moyen de réalisation de son
applicabilité spatiale2468. Au-delà des apparences, le droit issu du Traité de Port Louis et de
Québec réalise une combinaison de méthodes spécifiques du droit international privé qui
obligerait le cas échéant à rechercher les règles du droit national susceptibles de venir en
résolution d’une fraude à loi nationale d’un Etat réalisée grâce au droit uniforme2469 , une
fraude au droit régional, des question inhérentes à l’ordre public international de l’OHADA. Il
faut donc que le droit uniforme soit complété par l’emergence d’un droit international privé
des Etats parties unifié. L’élaboration de cette unification sera sans conteste un moyen
efficace pour assurer à la fois la complétude du droit OHADA et la clarté du droit pour
d’avantage assurer la sécurité juridique et judiciaire dans les relations d’affaires.
L’uniformisation pourrait par exemple voir émerger la notion de for prépondérant2470. Dans
ce contexte et bien que sa place soit considérée comme secondaire2471, le droit international
privé joue un rôle important de régulation juridique et s’avère même indispensable à
l’unification des législations dans tout processus d’intégration. Le bon fonctionnement de tout
marché intégré, dont le point de départ est la diversité des législations, repose sur les apports
d’un droit international privé unifié, uniforme et bien délimité matériellement. La codification
des conflits de juridictions en Afrique subsaharienne pourrait utilement suppléer l’absence de
solutions aux conflits de juridictions communautaires (OHADA, UEMOA, CEDEAO,
CEMAC). Pour une meilleure cohérence du système juridique ohadien, une législation
uniforme sur l’ensemble des questions de droit international privé dotée d’un contrôle
d’application uniforme pourrait conduire à une exécution libre et efficace de tous les titres
exécutoires dans l’espace OHADA. Comme pour l’atténuation du privilège de l’immunité
d’exécution des Etats, les règles de résolution des questions de droit international privé
peuvent être trouvées dans les droits nationaux. A titre d’exemple, dans le traitement des
conflits de lois par les droits nationaux, l’avant-projet camerounais de code civil de 2010

2468
Voir G. Ngoumtsa Anou, « Actes uniformes et conflits de lois », in Encyclopédie de l’OHADA, Op. Cit., p.
174 et suiv. spéc, n° 6, p. 176.
2469
L’hypothèse du transfert du siège social d’une entreprise au sein d’un même Etat, vers un autre Etat
membre, ou encore d’un Etat membre vers un Etat tiers. Voir à cet effet, les articles 451, 551 paragraphe 3, 554
paragraphe 3, 359 de l’Acte uniforme sur les sociétés commerciales.
2470
Pour plus détails voir Bérengère Archinard-Greil, Lois de police et conflits de juridictions. (Essai sur la
coordination des systèmes à l’aide de la notion d’ordre juridique prépondérant), sous la direction de Louis
D’Avout, - Lyon : Université Jean Moulin (Lyon 3), 2017. Disponible sur : http://www.theses.fr/2017LYSE3036
2471
M.M. Fogt, “Private International Law in the Process of Harmonization of International Commercial
Law”: the Ugly Duckling’?”, Unification and Harmonization of International Commercial Law: Interaction or
Desharmonization?, Alphen aan den Rijn, Kluwer Law International, 2012, pp. 57-103.

519
jamais adopté, consacre de nombreuses dispositions relatives aux lois de police, aux règles de
conflits et à la loi étrangère. L’article 1430 de cet avant projet sur la loi applicable aux
contrats entre autres pourrait servir de référence. Aux termes de ce texte, « 1) Le contrat est
régi, quant à sa substance, par la loi d’autonomie, c’est-à-dire, la loi choisie par les parties.
2) Le choix par les parties de la loi applicable peut être explicite, lorsque celles-ci ont pris
soin d’insérer dans le contrat une clause particulière désignant la loi qui le régit. 3) A défaut
de clause formelle exprimant clairement l’intention des parties, le juge saisi est appelé à
induire de certaines manifestations de volontés une référence implicite à la loi adoptée […] ».

501. Au-delà de l’organisation de l’insolvabilité de l’Etat et ses émanations, le régime


diversifié de la circulation des jugements et actes étrangers, l’impossible exécution de
certaines décisions de justice en droit OHADA, permet de conclure à une protection
juridictionnelle devant la CCJA limitée aux principes généraux du droit uniforme (primauté
du droit uniforme sur le droit interne, effet direct, immédiateté du droit uniforme). La haute
juridiction commune prolonge l’action des Etats membres dans le domaine du droit des
affaires préalablement défini par le Traité. C’est la raison pour laquelle pour laquelle, la
CCJA pouvait difficilement introduire dans sa jurisprudence la dimension droit l’hommiste,
droits fondamentaux au regard du silence observé par les auteurs du Traité originaire de Port
Louis sur ces questions. Son action sans être négligeable, est largement perfectible. La
dimension des droits fondamentaux faisait largement défaut dans la première mouture du
Traité instituant l’OHADA. Mais il a notamment été ajouté dans la révision du Traité, les
termes suivants : « […] résolus à faire de l’harmonisation du droit des affaires un outil
d’affermissement continu de l’Etat de droit et l’intégration juridique et économique […] »,
expression de la volonté des Etats de consacrer la dimension Etat de droit, droits
fondamentaux au Traité. L’introduction dans sa version de ce nouvel objectif constitue certes
une avancée appréciable, mais pas décisive quand on sait que dans nos systèmes juridiques
africains l’intention précède bien des années, et parfois des décennies la réalisation effective.
En l’absence d’un catalogue des droits fondamentaux propres à l’OHADA, le problème de la
réalisation concrète du droit à la justice et des fondamentaux en général, se pose dans le droit
de l’OHADA de façon particulière. Les droits fondamentaux proclamés par les juridictions
communautaires sont essentiellement économiques ou en rapport avec le développement
économique2472. L’objet du Traité OHADA en est la cause, la convention ayant pour finalité

2472
En référence à l’objet économique de l’intégration, à la finalité d’intégration et de développement
économique des Etats parties, garantir un climat de confiance concourant à faire de l’Afrique un climat de
développement.

520
l’intégration, l’attraction des investissements directs étrangers et le développement
économique des Etats membres. Pourtant rien n’empêche au juge suprême commun de faire
appel à d’autres principes généraux afin d’assurer au mieux la protection des droits que les
personnes morales et physiques tirent du droit uniforme. Le juge CCJA doit donc désormais
aller plus loin en faisant preuve de plus d’audace pour faire avancer cette question, et toute
autre question relative à sa posture de juge de cassation de l’OHADA à l’instar du juge
communautaire européen. Audace qui lui a jusqu’ici manquée, caractérisée par la position
adoptée par la Cour sur la question des immunités des personnes morales et entreprises
publiques, la question du JCEX, juge des référés ou juridiction autonome, pour se limiter à
ces exemples.

Pour le dire autrement, il s’agit de s’assurer de la pénétration du droit commun des


affaires dans la vie juridique des justiciables africains de manière identique et donc égale. Ce
faisant, la CCJA façonne d’une certaine manière le droit OHADA en lui donnant une
cohérence d’ensemble, en interprétant chaque disposition des actes uniformes, des segments
du Traité en fonction de ses objectifs 2473. C’est dire que le juge CCJA sur lequel pèse la
cohérence de la jurisprudence OHADA devra prendre non seulement en compte le but de la
disposition elle-même, mais aussi cette autre orientation de l’ensemble du système normatif,
raffermir l’Etat de droit par le droit des affaires. Coupler analyse textuelle et méthode
téléologique guidé par la finalité générale des traités, car la CCJA est chargée non seulement
d’assurer le respect de la règle de droit mais également de contribuer à la réalisation des
tâches confiées à l’OHADA.

502. La désormais référence à l’Etat de droit est un appel d’air non négligeable au profit de
la CCJA de construire une jurisprudence audacieuse et de la nécessité de satisfaire à un besoin
essentiel de protection exprimé par les justiciables. À défaut d’initiative prise par le
législateur de l’OHADA, le juge du droit des affaires, qui constitue désormais « le plus
universalisable, mais aussi le plus universalisant des trois pouvoirs décrits par Montesquieu
»2474, se présente comme le garant ultime des promesses de l’OHADA2475. Généralement, les
normes garantissant des droits formulent des protections générales, avec des modalités qui
parfois ne sont pas prescrites dans le détail. Cette indétermination textuelle, ou « sous-

2473
Il s’agirait de l’effectivité du droit uniforme, la sécurité juridique et judiciaire, l’uniformité du droit, et
stabiliser le système de protection de droits que les particuliers tirent du droit des affaires, désormais du
raffermissement de l’Etat de droit.
2474
J. Allard et A. Garapon, Les juges dans la mondialisation, La nouvelle révolution du droit, Op. Cit., p. 84.
2475
Joseph Kamga, « Réflexions « concrètes » sur les aspects judiciaires de l’attractivité économique du
système juridique de l’OHADA », Op. Cit.

521
détermination initiale » des normes, introduit une souplesse qui autorise une mise en œuvre
adaptable aux cas d’espèce, aux domaines, contextes, et aux différents intérêts en présence2476.
Le juge suprême premier interprète de ces droits, peut se servir de cette indétermination pour
faire évoluer les protections à la lumière des objectifs, des évolutions juridiques ou extra
juridiques et prendre toujours mieux en considération les enjeux d’un problème juridique lié
au respect de la personne humaine. En somme, en tant que point culminant, clé de voûte, du
contentieux des droits dans l’organisation, l’auguste juridiction « se doit de protéger la
démocratie et d’œuvrer pour combler les clivages qui sévissent entre le droit et la
société »2477. Le juge suprême une fois valablement saisi d’un contentieux, dans l’exercice de
sa mission de garantie des droits et libertés peut incidemment, lorsque l’affaire s’y prête, se
prononcer sur le contenu des droits fondamentaux, et mettre en œuvre une protection des
droits fondamentaux de la personne. Etre la courroie entre l’objectif du droit dans la société et
la réalité factuelle et sociale. Le rôle du juge de Cour suprême est de faire coïncider droit
applicable et besoins de la société. Cette timidité du juge à opérer une interprétation extensive
du droit OHADA est en effet beaucoup plus perceptible lorsque l’on s’interroge sur une autre
institution capable d’imprimer une autre philosophie dans le processus d’intégration juridique
des économies, la coopération judiciaire.

B. La coopération judiciaire, réceptacle de l’accès à la justice

503. Malgré un arsenal juridique plutôt impressionnant, et un embryon d’espace judiciaire


qui peine à s’intégrer, il faut reconnaître que la coopération judiciaire dans l’espace OHADA
suscite interrogation. Un tel questionnement demande d’apprécier au préalable l’état actuel de
la coopération procédurale dans l’espace OHADA (1), avant d’en proposer les jalons plus
concrets qui constitueront des atouts dont les acteurs de ce droit uniforme pourront se saisir
(2).

1. L’état actuel de la coopération judiciaire

504. L’originalité de la coopération, comme réceptacle principal de l’accès à la justice, est


attachée à une caractéristique qui lui est propre et inhérente : l’interaction entre entités
étatiques. Coopérer, c’est « concourir à une œuvre ou à une action commune »2478 : travailler

2476
M. Delmas-Marty, Le relatif et l’universel (Les forces imaginantes du droit I), Paris, Seuil, 2004, La
couleur des idées, (extrait) p. 65 et s.
2477
Aharon Barak, « L’exercice de la fonction juridictionnelle vu par un juge : le rôle de la Cour suprême dans
une démocratie », Revue française de droit constitutionnel, 2006/2 n° 66, pp. 227-302.
2478
Dictionnaire en ligne de l’académie française : http://atilf.atilf.fr/academie9.htm consulté le 19 août 2019).

522
par une action commune à la protective des droits des justiciables des Etats. Autrement dit,
c’est la mise en place de procédés, de méthodes particulières de coordination des systèmes
destinés à faciliter une certaine intégration des justices étatiques et de résolution concertée ou
conjointe des différends internationaux, une méthode pour assurer le respect des impérativités
étrangères devant une autorité juridictionnelle autre que celle qui l’a émise. Ces procédés
fondent une forme d’entraide 2479 entre les systèmes juridiques, pour décider du traitement
d’une situation juridique internationale ou pour trancher une contestation. Elle peut être inter
individus ou interétatique. La coopération, telle qu’elle est envisagée dans le cas d’espèce,
n’organise pas les rapports entre les sujets du droit, mais plutôt les rapports des entités
étatiques intervenant dans un domaine judiciaire dans le but de faciliter le traitement des
difficultés surgissant à l’occasion de relations privées. La coopération recouvre l’ensemble
des mécanismes mettant en relation les autorités judiciaires et administratives de différents
Etats concernés par un rapport de droit privé, lesquels sont liés entre eux par un engagement
international, interétatique ou supra étatique. Par la coopération, ces autorités peuvent
communiquer et s’entraider dans les conditions établies par des instruments internationaux.
Elle permet de mieux organiser la procédure. La coopération peut revêtir la forme d’une
assistance judiciaire, la transmission d’information sur la situation d’une personne, la remise
d’un justiciable aux autorités d’un autre Etat, la communication directe de juge à juge en vue
de rendre des décisions plus praticables, ou encore la facilitation de la procédure d’exécution
des décisions et actes publics étrangers dans un Etat.
Précisions faites, le Traité de Port Louis modifié par celui de Québec, concerne avant
tout l’établissement d’une organisation chargée de secréter un droit des affaires de même
nom. Les Etats membres se sont accordés sur la mise en place d’un droit des affaires en vue
de faciliter l’activité des entreprises. En ce sens, la « coopération judiciaire », telle qu’elle est
mentionnée dans ces textes, fait référence à un domaine de compétence normative de
l’OHADA, à l’érection de normes destiné à s’étendre au détriment de la coordination des
justices étatiques des Etats membres. Il s’agit en fait d’un objectif normatif2480 en vue de la
construction d’un espace judiciaire commun. Peut être serait il plus juste de parler à ce niveau
de « coopération juridique ». En soutien des ambitions économiques figurant au cœur des
2479
L’expression d’ « entraide judiciaire » est parfois utilisée mais avec moins d’occurrence que celle de
« coopération judiciaire », plus récurrente. Un auteur a aussi proposé le terme de « coopération active » pour
désigner cette méthode. Il l’oppose à la coopération passive, laquelle recouvre les règles relatives à la circulation
des décisions, et celles permettant de résoudre les conflits de procédures. Voir P. Schlosser, « Jurisdiction and
International Judicial and Administrative Cooperation », RCADI, t.284, 2000.
2480
De ce point de vue, le bilan est plutôt positif au regard du nombre et de la quantité textes communautaires
permettant de booster l’activité des entreprise et d’instaurer la sécurité juridique et judiciaire dans l’espace mis
en place.

523
enjeux de l’OHADA. En dépit d’un arsenal normatif dense, et pris en exemple2481, il faut
reconnaître que la coopération judiciaire entre les membres de l’organisation pour
l’harmonisation en Afrique du droit des affaires est un échec. Elle confirme véritablement
l’existence d’un objectif ou d’un attachement particulier à l’accès à la justice en dépit de la
référence à « l’Etat de droit » de la révision de 2008.
Sur le plan multilatéral, la reconnaissance et l’exécution mutuelle des décisions
judiciaires, reste soumise à la Convention générale de coopération en matière de justice du 12
septembre 1962 liant les pays de l’ex-Organisation commune africaine et malgache
(OCAM)2482 ou convention de Tananarive du 12 septembre 1961. L’accord était fondé sur la
similitude des principes généraux sur lesquels sont fondés la législation et l’organisation
judiciaire des hautes parties contractantes, sans prévoir de solution aux conflits de lois et
contient des dispositions sur les conflits de juridictions. Convention estimée dans certains
pays comme étant devenue désuète2483 en raison de la dissolution de l’OCAM en 1985, mais
continue à être appliquée dans certains pays tel le Togo. En outre, (l’ANAD), convention
relative à la Coopération en matière Judiciaire entre les Etats membres de l’Accord de Non-
agression et d’Assistance en matière de Défense du 21 avril 1987, signée par le Burkina Faso,
la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo à Nouakchott le 21 avril 1987, n’est
jamais entrée en vigueur. L’accord de coopération signé entre les six Etats de la CEMAC
(Cameroun, République Centrafricaine, République du Congo, Gabon, Guinée Équatoriale et
Tchad) n’a jamais été appliqué. Les accords quand ils existent, pose des conditions à la
reconnaissance et à l’exécution des décisions judiciaires contentieuses ou gracieuses. Il en est
ainsi de la convention de coopération judiciaire entre la République du Mali et la République
du Niger du 22 avril 1960. Il est nécessaire, essentiel, non seulement de donner un visage plus
reluisant à la coopération judiciaire entre les Etats de l’OHADA ; mais également de poser
des jalons susceptibles d’améliorer la coordination des justices étatiques, le cadre théorique
de l’interprétation des droits, la distribution de la justice.

2481
L’exemple OHADA a notamment servi de déclencheur pour la naissance de son pendant l’OHADAC ; de
plus en s'inspirant de l'unification du droit des affaires réalisée en Afrique par l'Ohada, un groupe de juristes
européens travaille actuellement à l'élaboration d'un code de droit des affaires européen. Intitulé « Vers un code
européen des affaires », une conférence - débat eut lieu le 17 mai 2018, à la délégation générale Wallonie-
Bruxelles, situé à Paris.
2482
Outre Madagascar et la Mauritanie, dix pays membres de l’OHADA dont le Bénin, le Burkina Faso, le
Cameroun, la Centrafrique, le Congo, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Niger, le Sénégal et le Tchad sont parties au
traité.
2483
L. Idot, Note sous C. suprême de Côte d’Ivoire, 29 avril 1986, C. d’Appel de Bouaké, 25 novembre 1987,
C. suprême de Côte-d’Ivoire, 4 avril 1989, JDI 1989, pp. 530 et suiv. Cet auteur affirme, à la page 545, que
la Convention signée au sein de l’OCAM est tombée en désuétude, cité par P. Meyer, « La sécurité juridique et
judiciaire dans l’espace OHADA », Op. Cit., note 54.

524
2. Les jalons concrets à poser et à valoriser

505. Recourir au dialogue, réaliser un dialogue des juges dans le cadre de l’interprétation et
de l’application du droit. Généralement conçu comme une discussion entre deux personnes ou
deux groupes de personnes, le dialogue est la chose la plus naturelle du monde semble
indiquer monsieur B. Frydman2484. Pour l’auteur, le dialogue doit être appréhendé comme une
manière de dire le droit, « de le découvrir ou de le fabriquer ».

Pour l’illustrer, on peut évoquer la référence des juges dans la motivation de leur
jugement à d’autres décisions de justice, les leurs ou celles des juridictions supérieures, la
délibération qu’implique la collégialité sont des formes de dialogue des juges. C’est le signe
du caractère essentiellement « dialogique du droit »2485. Mais ce n’est pas de celle-ci dont il
s’agit ici. A l’échelon du droit régional, « il ne doit y avoir ni gouvernement des juges ni
guerre des juges ; il doit y avoir place pour le dialogue des juges » : tels étaient les propos
tenus en 1978 par Bruno Genevois commissaire du gouvernement dans ses conclusions sur
l’arrêt Cohn-Bendit2486. Le concept de dialogue sous entend ainsi « l’échange d’arguments,
d’interprétations et de solutions juridiques entre magistrats, notamment dans le délibéré, à
travers la jurisprudence ou par le biais de la coopération entre juridictions »2487. Il symbolise
la relation que peuvent entretenir les juges de différentes juridictions. C’est dire qu’un
dialogue constructif sous-entend l’existence d’échanges réciproques, d’enrichissements
mutuels. Le processus dialogique sert à dégager la norme elle même, ou la solution juridique
adéquate qui apparaît à travers l’échange. Un auteur lui attribue une double fonction : moyen
de règlement, d’élimination des conflits, il peut aussi en prévenir l’apparition2488. Dans tous
les cas de figure, le dialogue suppose des efforts, le développement d’un climat de bonne
volonté et de confiance réciproque. Qu’en est-il en droit OHADA ?

506. Les rédacteurs du Traité ont saisi la place déterminante des mécanismes
institutionnels, qui assurent un dialogue externe fructueux, spécialement entre les juridictions
nationales et la juridiction de cassation régionale. Allusion est faite dans le cas d’espèce, à la
2484
Voir B. Frydman, « Le dialogue des juges et la perspective idéale d’une justice universelle », in Le
dialogue des juges, Cahiers de l’Institut d’Etudes sur la justice, Bruxelles, Bruylant, 2007, p. 149.
2485
Ibid.
2486
Concl. sur CE Ass. 22 décembre 1978 D.1979.J.155 ; GAJA n° 91, Ed. Dalloz 2005, 15ème édition.
2487
Jullie Allard, in Le dialogue des juges, Op. Cit, p. 77 (cité par Naïké Lepoutre, « Le renvoi préjudiciel et
l’instauration d’un dialogue des juges Le cas de la Cour de justice de l’Union européenne et du juge
administratif français », Jurisdoctoria n° 6, 2011, pp. 44-74).
2488
V. Danièle Quinty, « Le dialogue des juges : le procès équitable devant les juridictions nationales et
européennes », in Jean Rossetto ; Abdelkhaleq Berramdane, Regards sur le droit de l’Union européenne après
l’échec du Traité constitutionnel, New edition [online]. Tours: Presses universitaires François Rabelais, 2007,
pp. 213-242 (generated 10 mars 2020). Disponible sur internet: http://books.openedition.org/pufr/2247.

525
faculté de solliciter l’avis consultatif de la Cour commune reconnue aux juridictions
nationales saisies du contentieux relatif à l’application des actes uniformes2489 mais qui est
sous utilisée par les juridictions nationales des Etats membres2490. Les raisons ayant conduit à
son instauration sont sans doute diverses. Le mécanisme est destiné à contribuer fortement à
assurer la primauté et l’uniformité de l’interprétation du droit africain et à assurer une plus
grande implication des juridictions nationales dans la construction du droit OHADA par
l’élaboration d’une véritable collaboration juridictionnelle. Cependant, ce mécanisme prévu
par les auteurs du Traité ne semble susciter aucun engouement particulier du juge de droit
commun OHADA 2491 , sans que des raisons suffisantes soient avancées. La capacité pour
l’avis consultatif à stimuler le dialogue entre juridictions semble réduite à sa seule présence
dans les termes du traité. Il faut souligner avec emphase que la saisine à titre consultatif de la
CCJA, lorsqu’elle n’est pas faite, le justiciable est exposé à l’incertitude de l’interprétation du
droit uniforme qu’en feront les juridictions nationales2492. La réalisation du dialogue des juges
prônée ici par l’utilisation maximale de ce mécanisme, devrait être à nos yeux comprise non
pas seulement comme la possibilité pour les juridictions des Etats membres de saisir la CCJA
pour solliciter d’elle un avis et trancher en fonction de celui-ci, mais reposerait d’avantage sur
un dialogue bien plus riche excédant le cadre d’une simple réponse à une question. Le
renforcement du dialogue dans le cadre du système de l’OHADA doit figurer parmi les
priorités si l’on veut en garantir l’efficacité à l’avenir. Ceci nécessite l’adoption de mesures
tant de l’OHADA qu’au sein des Etats membres, de la volonté et aussi d’un état d’esprit. Car
« il y va d’un processus d’interaction (Wechselwirkung), aucun acteur ne pouvant prétendre
exercer la suprématie sur tous les autres, l’idée même de suprématie étant, comme celle de
souveraineté, incompatible avec une protection effective des droits fondamentaux » dixit
François Rigaux2493. L’existence d’un dialogue fructueux repose sur le respect mutuel entre
les différents intervenants. Sans un réel esprit de coopération, la procédure restera inutilisée.

2489
Lecture de l’article 14 paragraphe 2 du Traité.
2490
L’absence de statistiques sur la question ne nous permet pas d’être plus précis.
2491
A l’opposé de sa sous utilisation en droit OHADA, la réflexion sur l’instauration d’un avis consultatif en
droit européen semble bien amorcée et ses avantages avancés dans le contexte plus général des réflexions
engagées sur les réformes à venir. Voir not. Sir Nicolas Bratza, « Audience solennelle de la Cour européenne
des droits de l’homme. A l’occasion de l’ouverture de l’année judiciaire », in Dialogue entre juges, Cour
européenne des droits de l’homme, Conseil de l’Europe, Actes du séminaire 27 janvier 2012 ; M. Guyomar, «
Le dialogue des jurisprudences entre le Conseil d’Etat et la Cour de Strasbourg : appropriation, anticipation,
émancipation », Mélanges en honneur de Jean-Paul Costa, Dalloz, 2011.
2492
Exemple de l’avis N°001/2001/EP du 30 avril 2001, de la CCJA, à la demande de la Côte d’Ivoire, in
Recueil de jurisprudence de la CCJA, N° spécial, janvier 2003 p.74-77.
2493
F. Rigaux, « Conclusions », La Charte des droits fondamentaux de l’Union. Son apport à la protection des
droits de l’homme en Europe, sous la direction de J.-Y. Carlier et O. De Schutter, Bruxelles, Bruylant, 2002, p.
262.

526
Dans la mesure où elle implique une accoutumance progressive au mécanisme d’avis
consultatif de la part des systèmes juridictionnels internes qui n’en ont pas l’habitude et
l’expérience.
Pour nourrir ce processus dialogique, il faut instaurer une nouvelle relation des
juridictions fondée sur le dialogue2494. Multiplier les rencontres formelles ou institutionnelles,
celles-ci constituant en effet des liens multiples et croisés d’échanges de pratique, de partage
d’expérience qui favorisent l’ouverture des systèmes les uns aux autres. Le dialogue est dans
les ordres juridiques occidentaux de plus en plus « circulaires »2495. Grâce à elles, les juges
communiquent, comparent leur expérience, partagent leurs préoccupations dans le but de
former une communauté de juges de plus en plus active. Les juges sont appelés à coopérer
pour une bonne administration de la justice. Coopération qui passe nécessairement par une
coexistence pacifique ou par un rapprochement entre les deux juges. Ceux-ci ne peuvent
continuer de s’ignorer, ils doivent coopérer, dialoguer pour garantir « l’interprétation la plus
harmonieuse possible des dispositions qui leur sont soumises »2496. Dans le domaine du droit
fondamental à la justice, le dialogue des juges apparaît particulièrement fécond : il contribue à
améliorer dans les Etats parties et l’ensemble de l’espace OHADA, le système de protection
des droits que les sujets de droit tirent du droit commun. La réalisation concrète du dialogue
des juges a vocation, dans un environnement judiciaire comme le nôtre où la crédibilité de la
justice semble devenir une exception, à contribuer à l’amélioration de la qualité des décisions
de justice dans la mesure où il repose sur « un principe de comparaison et d’évaluation »2497.
En effet, l’échange et la comparaison des solutions peuvent conduire certains juges le cas
échéant, à prendre certaines distances au regard des défaillances courantes de leur système. La
réalisation de ce dialogue juridictionnel contribuerait à la construction d’un espace judiciaire
plus intégré.

2494
Sur l’état du dialogue en Afrique lire utilement Placide Moudoudou, et R. Ngomha Buittys, « Le dialogue
des juges constitutionnel et ordinaire au Benin et au Gabon », RAMReS, n°, Année, pp. 199-217 ; Georges
Taty, « Pluralité des juridictions régionales dans l’espace francophone et unité de l’ordre juridique
communautaire : problématiques et enjeux », Première Communication à l’occasion de la Rencontre inter
juridictionnelle, Cour de justice UEMOA-CEDEAO-CEMAC–OHADA, 2006, http://www.institut-idef.org
consulté le 08 mars 2020, dernière mise à jour 27 juin 2008.
2495
Julie Allard et Arnaud Van Waeyenberge, « De la bouche à l’oreille ? Quelques réflexions autour du
dialogue des juges et de la montée en puissance de la fonction de juger », Revue interdisciplinaire d'études
juridiques, 2008/2 Volume 61, pp.109-129.
2496
Danièle Quinty, « Le dialogue des juges : le procès équitable devant les juridictions nationales et
européennes », Op. Cit.
2497
Julie Allard et Arnaud Van Waeyenberge, « De la bouche à l’oreille ? Quelques réflexions autour du
dialogue des juges et de la montée en puissance de la fonction de juger », Op. Cit.

527
507. L’aménagement d’un réseau d’ordre judiciaire s’inscrit autant que le recours au
dialogue dans l’objectif d’améliorer la coopération entre les Etats de l’OHADA. Le droit
africain des affaires est un droit relativement jeune, et l’intégration est un processus
éprouvant. Cependant, il y a un réel antagonisme entre la réaffirmation des Etats de
l’OHADA de leur engagement en faveur de l’institution et de l’émergence d’un pôle de
développement et les pratiques juridiques qui ont cours au sein des Etats membres. La
dimension nationale des professions reste un réflexe et d’une telle prégnance qu’il est
extrêmement difficile dans le contexte professionnel des auxiliaires de justice des Etats pour
un avocat inscrit au barreau camerounais de s’établir, d’exercer ou de s’installer sans
restrictions dans un autre Etat membre. Les praticiens ont proposé pour remédier à ce
handicap à la mise en place d’un barreau spécialisé2498, à l’établissement d’un processus de
migration qui conduira à l’unification du cadre d’exercice « des professions juridiques et
judiciaires de l’OHADA » 2499 , faire passer celui-ci de sa dimension actuelle éminemment
nationale inadaptée et en marge de l’OHADA, à régionale. La solution que nous proposons
est moins drastique que l’unification. Il faut dépasser le contexte national par l’aménagement
d’un réseau d’ordre judiciaire. Par réseau Le Littré entend, un « ensemble d’objets ou de
personnes connectés ou maintenus en liaison » 2500 ou une d’une structure composée de
personnes et d’institutions, se mettant en relations de manière ponctuelle pour des besoins
précis, mais dont l’existence est permanente2501.
L’attrait principal de ce mécanisme est d’assurer la visibilité des professions juridiques
et judiciaires, la mobilité des professionnels et opérateurs du droit. Sur la question particulière
de la visibilité, le maitre mot est « intégration », « association » et « information du public »
sur le droit OHADA et celui des Etats membres. Ce but serait utopique si le justiciable peut
difficilement identifiés les interlocuteurs. L’accès à l’information et au droit par les canaux
classiques trouvent leurs limites et d’autres techniques doivent être mises en place. Il faut
alors envisager des solutions plus opérationnelles et parfaire davantage l’entraide entre
professionnels. Nous pouvons citer un élément qui nous parait tout particulièrement
important, c’est celui du développement à l’échelle régional du « mécanisme de la
substitution » très connu et prisé des avocats perméttant à un confrère de se substituer à
l’avocat titulaire dans un litige notamment en cas d’indisponibilité de ce dernier. Son

2498
Mamadou I. Konaté et Bérenger Meuke, « L’implication des professions juridiques et judiciaires dans le
renforcement de l’application du droit OHADA », Op. Cit.
2499
Ibid.
2500
Voir Le Littré, Dictionnaire de Langue française, Op. Cit.
2501
Sophie Chalas-Kudelko, La coopération en droit international privé Originalités d’une méthode, Op. Cit.,
p. 87.

528
implémentation dans un réseau judiciaire pourrait être une réponse à l’éloignement
géographique de la CCJA et l’obligation du ministère d’avocat imposé aux parties pour toute
procédure devant la Cour commune. Plus généralement, le développement des interactions
entre les membres du Réseau doit permettre de faciliter une coopération judiciaire
opérationnelle qui traine à émerger. Le droit d’accès à la justice n’en sera que favorisé et
amélioré.

508. La libre circulation constitue le principe cardinal de tout processus de construction


d’espace commun d’intégration 2502 . Elle doit notamment permettre aux professionnels de
pouvoir se mouvoir dans les États membres pour exercer leur profession. Les praticiens de la
justice ne sont pas en reste : ils peuvent également prétendre à cette mobilité. Parmi
l’ensemble des professionnels du droit, les avocats sont les plus susceptibles d’exercer ce
droit à la libre circulation. Car contrairement à d’autres, ces praticiens ne participent pas à
l’exercice de l’autorité publique2503. Les auteurs remarquent par exemple que les notaires sont
dans la même situation et pourraient ainsi bénéficier de la libre circulation. Les justiciables
pourraient donc ainsi bénéficier de l’apport de la libre circulation des avocats à l’accès au
droit et à la justice. Cela étant, le lien entre la libre circulation de l’avocat2504 et l’accès à la
justice s’envisage à travers les missions du professionnel. Deux retiennent ici l’attention : la
consultation juridique et représentation d’une part et la défense d’un client en justice d’autre
part. Par conséquent, assurer le libre établissement, la mobilité des professionnels du droit
contribuera efficacement à l’accès au droit et à la justice.

2502
Guy Canivet, « La construction de l’espace judiciaire européen », in Actes du colloque sur le thème « Les
institutions européennes », Op. Cit.
2503
L. Deflaque, É. Schwaller, « L’apport de la profession d’avocat à la jurisprudence de l’Union européenne
», in L’avocat, Mél. G.-A. DAL, Larcier, 2013, p. 327, spéc. §3.
2504
Par la facilitation de l’établissement ou sa liberté de prestation de service.

529
Conclusion du Chapitre Premier

509. Aussi bien dans sa dimension nationale, que régionale, l’accès à la justice ne tient pas
toujours en compte la garantie efficace qu’en attend le justiciable. Le droit applicable manque
de garantir suffisamment au citoyen une proximité géographique, financière, humaine,
symbolique, l’exécution à temps de la décision de justice chèrement acquise, en dépit de la
redynamisation de l’assistance judiciaire le prix des services juridiques reste élevé ; de
l’érection d’un droit de l’exécution, le taux de l’exécution des décisions de justice reste bas, la
possibilité pour le créancier de l’Etat et ses émanations d’obtenir par la contrainte l’exécution
à l’égard de l’administration réduite par le privilège de l’immunité d’exécution parfaitement
incompatible avec l’objectif d’efficacité. La simplicité recherchée par le législateur OHADA
manque en raison de l’emploi de termes équivoques et d’oubli affectant le régime de certaines
règles. Ces défauts formels se traduisent par une insécurité juridique et judiciaire qui
compromet la réalisation des attentes objectives et subjectives des créanciers. La garantie
efficace de l’accès à la justice est par ailleurs menacée par une difficile exécution des titres
étrangers renforcée par une absence injustifiée de la coopération judiciaire entre Etats parties,
une politique jurisprudentielle de protection des droits fondamentaux réduite aux droits
économique en dépit de la mention « Etat de droit » dans la révision du Traité initial. Dès lors
que les règles adoptées pour protéger, assurer la garantie des intérêts des citoyens et
justiciables d’affaires par l’accès à la justice ne sont pas adéquates, limitées ou que la
protection de l’Etat est favorisée au détriment de la fonction de garantie du justiciable,
l’efficacité de ce droit est donc compromise.

Mais les insuffisances qui constituent le problème de l’accès à la justice ne sont pas
pour autant irrémédiables. La résolution des pesanteurs l’amélioration de la coopération, le
recours au dialogue, assurer une plus grande mobilité des professions juridiques et judiciaires,
booster l’accès au droit, permet d’entrevoir des solutions pour améliorer l’effectivité de la
protection des intérêts par l’accès à la justice. Si la réalisation de la protection effective des
droits par l’élimination des risques judiciaires, est la solution la plus efficace, elle est aussi la
solution la plus difficile à mettre en œuvre, notamment en raison de la nature atypique de nos
Etats et du droit rendu applicable.

530
591. En outre, dans l’hypothèse des solutions à un meilleur accès à la justice, les solutions
et modifications envisageables nécessitent un facteur prépondérant : l’affirmation d’une
volonté politique d’y arriver. Les législateurs africains se sont rendus célèbres par leur lenteur.
Il appartient au législateur d’entreprendre les initiatives nécessaires pour améliorer et assurer
aux agents économiques des garanties efficaces du droit fondamental à la justice. Ce qui serait
d’autant plus facilité et possible si nous acceptons d’uniformiser enfin le droit camerounais
par l’emergence d’un droit hybride ou symbiotique nouveau.

531
CHAPITRE SECOND

L’UNIFORMISATION DU DROIT PAR L’ÉMERGENCE D’UN DROIT


NOUVEAU, HYBRIDE ET SYMBIOTIQUE COMME SOLUTION À LA
RÉALISATION D’UN DROIT

592. Plaidoyer pour un droit hybride ou symbiotique menant à un nouvel ordre juridique
effectif, voici comment pourrait autrement être intitulé ce chapitre. Le droit et la justice sont
des éléments de structuration et de régulation des sociétés. Produits de celles-ci, ils sont des
instruments qui participent de l’organisation sociale, politique, économique et conditionnent
le développement. Pour être à même d’assurer leur fonction de régulation, les normes doivent
revêtir une certaine apparence, être le reflet des sociétés desquelles elles sont issues, pour en
effet bénéficier de leur destinataires la reconnaissance, l’acceptation et la soumission
spontanée2505. Portalis ne disait il pas que et nous le suivons dans cette logique, « les lois ne
sont pas des actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison »2506. Il
ajoutera que le législateur, fonction qu’il assimila volontiers à un sacerdoce, ne doit pas
perdre de vue que « les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois ;
qu’elles doivent être adaptées au caractère, aux habitudes, à la situation du peuple pour
lesquelles elles sont faites ; qu’il faut être sobre de nouveautés en matière de législation »2507.
En Afrique, nourrit par l’ambition de se doter d’un système juridique nouveau, susceptible
d’articuler le développement de la nouvelle entité, la quasi majorité des Etats ont, au
lendemain des indépendances, ont amorcé un processus d’uniformisation. Technique issue des
règles de droit international privé matérielles conventionnelles, l’uniformisation du droit
désigne un mécanisme un peu plus strict (que l’harmonisation) et radical d’unification du
droit par des traités d’unification. Il s’agit en effet d’effacer les différences entre les
législations nationales des Etats en leur substituant un texte de loi unique, rédigé en des

2505
Assane Mbaye, « Initiative pour le pluralisme juridique et la cohabitation des légitimités », Février 2005,
consulté le 1er mars 2019 disponible en ligne sur www.gouvernanceafrique.org ; E.J. Guillot, « Réflexions sur les
coutumes de droit privé en Afrique noire et à Madagascar », in Revue internationale de droit comparé, Vol. 4 n°
3, Juillet-septembre, 1952, pp. 419-440 ;
2506
J.-E.-M. Portalis, Discours préliminaire du premier projet de Code civil, Op. Cit., p. 14.
2507
Ibid.

532
termes identiques pour tous les Etats concernés2508. L’uniformisation des modes de régulation
allait dans un triple sens : uniformisation des sources2509, uniformisation des règles juridiques
et uniformisation de l’application des règles2510.

593. Considéré comme produit de l’esprit humain2511, la construction du droit supposerait et


réclamerait un certain talent à son producteur. Pour le dire d’une phrase, l’uniformisation de
ce produit doit, si l’on souhaite lui faire jouer un rôle social, être communiqué et par
conséquent passé du for intérieur du producteur à la place public2512. Cependant, l’érection du
droit et sa mise en œuvre a presque toujours consisté dans cet espace africain et camerounais
en particulier, à l’imposition d’un modèle dominant largement emprunté à des systèmes
juridiques étrangers. A nouveau, l’uniformisation régionale du droit des affaires de l’OHADA
dans les pays francophones, s’est traduite par un casting mitigé : une exogénéité du droit et de
la justice qui met en exergue la mise en place de mécanismes juridiques exogènes. De
nouveau, la grande masse des justiciables semble moins en porter un intérêt, car fait pour
attirer les investissements directs étrangers. La volonté d’uniformisation manifestée, si elle est
à féliciter, n’a pas fondamentalement eu prise sur les sociétés africaines et les raisons de
l’inadaptation de cette nouvelle greffe sont légions. En effet, si les droits applicables
répondent aux critères de la régularité formelle et procédurale établis par le système juridique
camerounais, ils peinent à satisfaire intégralement aux deux autres critères d’une « bonne
règle de droit » à savoir la légitimité et partant l’efficacité qui suppose au préalable son
effectivité. Il en résulte régulièrement que les règles ne sont que partiellement mobilisées par
leurs destinataires, justifiant ainsi l’expression de résistance des droits traditionnels consacrée

2508
A. Jeammaud, « Unification, uniformisation, Harmonisation, de quoi s’agit-il ? », in F. Osman (dir), vers
un code Européen de la consommation, Bruylant, 1998, p. 35.
2509
L’unification des sources, élément parmi d’autres de la construction d’un Etat-nation en gestation soumis
aux mêmes règles, elle postule que les sources du droit soient exclusivement subordonnées au monopole des
institutions étatiques, notamment aux pouvoirs législatifs et réglementaires constitutionnellement reconnus.
Lorsque la coutume est source du droit, ce pouvoir de produire des normes juridiques ayant un caractère
contraignant et dont la violation est sanctionnée par la force publique n’est attribué au corps social que de façon
médiate à travers l’onction d’une règle provenant d’une instance étatique. Voir sur la question, D. Poirier, Les
sources du droit, Coll. La common law en poche, 2, Montréal/Bruxelles, Blais/Bruylant, 1996.
2510
Deux tendances s’observent au sein de cette Afrique indépendante. Certains Etats (le Sénégal, la Côte-
d’Ivoire, le Mali, le Burundi, le Rwanda) se sont orientés vers l’unité de juridiction par la suppression immédiate
et officielle des tribunaux de droit coutumier. Les tribunaux de droit moderne sont établis sur le modèle de
l’organisation judiciaire française. D’autres ont maintenu le système juridictionnel dualiste droit moderne et droit
coutumier en accordant un sursis au droit traditionnel. Ce sont : le Cameroun, le Congo, le Bénin, le Niger, le
Gabon, la République centrafricaine, le Tchad, le Congo Kinshasa, le Burkina Faso, le Togo. Dans cette seconde
tendance pseudo-pluraliste, les droits endogènes étaient juridiquement intégrés aux systèmes hérités du
colonisateur et l’exogénéité du droit l’emportant sur son endogénéité.
2511
Jacques Vanderlinden, « Production pluraliste du droit et reconstruction de l’Etat africain ? », Afrique
Contemporaine, 2001.
2512
Ibid.

533
par les anthropologues du droit2513. Pour le dire autrement, le droit dit simple, moderne et
adapté a du mal à s’insérer dans le contexte qu’il est censé améliorer et qui ne lui est pas
favorable. La démarche législatrice jusqu’ici adoptée laisse entrevoir deux variables : le
mépris de l’harmonisation attendue des phénomènes culturels africains, et, la transposition
dans les sociétés africaines des modèles juridiques occidentaux. Le droit applicable, souffre
de plusieurs maux : son inaccessibilité, sa complexité et son inadaptation. En d’autres termes,
il n’est que l’illustration de l’absence d’ancrage culturel de ce droit qui le réduit à l’état du
droit applicable au Cameroun. Droit savant certes, ce dernier postule son ignorance abyssale
des réalités économiques et sociologiques locales, malgré un hommage rendu aux modes
endogènes de règlement des conflits, à la reconnaissance des juridictions de droit
traditionnel 2514 . Le droit en vigueur semble d’avantage justifier les impératifs de la
mondialisation qu’illustre depuis 1993 le processus d’uniformisation issu de l’OHADA.
L’exemple de l’incapacité de ce dernier à régir le secteur informel qui constitue
majoritairement l’environnement économique des Etats membres en la preuve. Faut-il laisser
un tel système et en ignorer les conséquences économiques, sociales et institutionnelles ou
faut-il en outre céder à la mondialisation et « conforter la modernisation-
2515
occidentalisation » en tentant d’instrumenter une réinvention dans le sens d’une
orientation nouvelle, une refondation par l’emergence d’un droit symbiotique, une
« hybridation »2516 du droit ? La seconde option, certes de longue haleine, et plus difficile à
réaliser nous semble malgré tout, la voie idoine. L’OHADA, ses Etats membres et l’Afrique
en général ne peuvent et ne doivent plus se couper de la rationalité juridique endogène, du
communautarisme autant qu'ils ne peuvent rejeter la modernité, l'écriture ou l'individualisme.
Ni la coutume ni les systèmes juridiques occidentaux ne peuvent apporter, chacun à lui seul,
la solution aux problèmes de société que rencontrent les sociétés africaines. L’Afrique doit
"faire avec" l'une et l'autre de ses composantes, car elle doit embrasser son passé, autant
qu'elle ne peut se construire en dehors du mouvement de mondialisation ou de globalisation

2513
Voir M. Alliot, « Les résistances traditionnelles au droit moderne dans les États d’Afrique francophone et
malgache », in Jean Poirier, Études de droit africain et de droit malgache, Paris, Éditions Cujas, 1965.
2514
Cf. Article 3 de la Loi n° 2006/015 du 29 Décembre 2006 portant organisation judiciaire, modifiée et
complétée par la Loi n° 2011/027 du 14 Décembre 2011.
2515
E. Le Roy, « Contribution à la "refondation" de la politique judiciaire en Afrique francophone à partir
d'exemples maliens et centrafricains », Africa Spectrum, Vol. 32, n° 3, 1997, pp. 311-327.
2516
Si le terme éveille en premier des résonances biologiques, le domaine juridique n’en est pas un et
l’hybridation du droit en conséquence ne saurait se confondre avec son homologue biologique. Le terme exprime
dans l’univers juridique, un simple mouvement vers l’unification de normes issues de plusieurs rationalités
juridiques, une volonté en mouvement qui inclut l’objectif d’intégration normative et judiciaire. De l’hybridation
nous retiendrons la suivante acception : « processus d’uniformisation, mieux, mouvement d’intégration
normative et judiciaire ayant pour caractéristique d’innover par une combinaison de différents systèmes, en
incorporant les éléments de la diversité juridique du monde ».

534
ambiant. Pour dire les choses plus simplement, il faut transformer l'héritage colonial sans pour
ce faire sortir l'Afrique du concert des nations dont la mondialisation en constitue la clef, en
finir avec les solutions de bricolages2517, de « replâtrage »2518, de transplantation2519 du droit,
pour un droit non plus applicable mais camerounais contemporain qui ne sera ni traditionnel,
ni moderne, mais symbiotique, hybride, empruntant à l’un et à l’autre.

594. Ce qui domine le paysage juridique actuel, c’est le grand désordre, la pluralité des
systèmes juridiques présents au Cameroun et dans l’espace OHADA. La mise en place d’une
telle hybridation n’ira pas de soi, mais passe nécessairement par une approche pluraliste
progressive, multi-systémique. Pour dépasser les contradictions, il faut réussir à respecter la
diversité tout en permettant une harmonie d’ensemble. Autrement dit, renoncer au pluralisme
de séparation2520, pour aller à « pluralisme juridique coopératif et équilibré »2521, pour un
pluralisme de fusion. Créer une sorte de « dialogie », faire rencontrer des logiques juridiques,
des systèmes juridiques différents et d’apprendre à les conjuguer. Celui des droits
traditionnels africains, celui des pays relevant de la common law et celui des pays de droit
romain tout en veillant que justice soit faite. L’aboutissement d’une telle hybridation du droit
ou d’un « droit commun hybride » qui se voudrait respectueux de la pluralité des normes
passe par une réflexion sur les logiques juridiques. Elle suppose en premier lieu, d’analyser
les caractéristiques systémiques, les dynamiques respectives des différents protagonistes de la
confrontation, que nous examinions au préalable les points sur lesquels se fondent la
divergence entre valeurs juridiques traditionnelles et modernes sources de résistance à une
possible hybridation des droits (Section I), avant de songer à une uniformisation par
l’emergence d’un nouveau droit commun hybride répondant aux exigences du développement
économique et aspirations des populations (Section II). Rapprochement entre systèmes
juridiques destiné à faciliter la naissance d'un droit hybride camerounais.

2517
Voir E. Le Roy (2005), « Bricolages anthropologique pour promouvoir, en Afrique et ailleurs, un dialogue
entre univers juridiques », Revue de droit de McGill, Vol. 50, pp. 951-966.
2518
Ibid. p. 319.
2519
Le terme est familier aux comparatistes qui ont depuis longtemps mis en exergue les imperfections liées aux
difficultés linguistiques et aux résistances sociales auxquelles se heurte toute tentative de transplantation.
2520
V. M. Delmas-Marty, « Le pluralisme ordonné et les interactions entre ensembles juridiques », Op. Cit. ;
« Etudes juridiques comparatives et internationalisation du droit », publié dans la série Les forces imaginantes
du droit, Paris, Seuil, 2006, pp. 476-494.
2521
Expression défendue par le Sénat coutumier dans sa lutte pour imposer une prise en compte plus importante
de la coutume dans les institutions calédoniennes. Cf. Nicolas Leconte, De l’art de faire cohabiter deux droits
aux bases antagoniques sous l’autorité d’un même État. Organiser la coexistence de la coutume Kanak avec un
droit écrit franco-calédonien, Mémoire, Université de Grenoble, 2013, p. 10.

535
SECTION I. LA DIVERGENCE DES VALEURS ISSUES DES DROITS
TRADITIONNELS ET MODERNES SOURCE DE RÉSISTANCE À UNE POSSIBLE
HYBRIDATION DU DROIT

595. En parcourant de manière rapide quelques dictionnaires juridiques, nous sommes


parvenus à un constat, la « divergence » est un terme dont on ne trouve nulle trace dans
le vocabulaire juridique français. Toutefois, nos souvenirs de classe de mathématiques
notamment de géométrie évoquent la situation de deux lignes qui vont en s'écartant. En se
référant au sens le plus commun du mot, la divergence s'entend du fait de diverger, c'est-à-
dire, être en désaccord, s’opposer, s’écarter de plus en plus l’un de l’autre2522. C'est alors une
notion dynamique. Étudier la divergence des valeurs, c'est s'interroger sur les différences qui
fondent les systèmes juridiques protagonistes. Par conséquent, la divergence est un thème de
prédilection de la science comparative qui s'attache à saisir ce qui, dans la culture ou dans la
technique, prédispose au rapprochement ou à la distinction des droits ou, au contraire, ce qui
la limite ou l'empêche de se réaliser. C'est observer des rapports de forces antagonistes.
Rapports antagonistes qui complexifient d’avantage le droit applicable au Cameroun par la
présence d’un conflit de droits opposant d’un côté le droit coutumier au droit moderne, de
l’autre Common law et civil law 2523 . La notion même de divergence évoque donc un
désaccord, une différence de logiques. Ceci dit, les valeurs sont fondamentales pour
rechercher une explication à l’organisation et aux interactions au sein d’une société, même
chez les individus eux-mêmes. Elle l’est tout autant pour expliquer, justifier et comprendre la
création de telle ou telle autre règle de droit 2524 . Aussi, les valeurs participent-elles de la
compréhension des attitudes et des comportements au sein d’une société. Elles sont pour ainsi
dire, à l’origine de la règle de droit mais aussi des conventions, des usages, voire des
coutumes, qui régissent les rapports et la vie des individus2525. Elles conditionnent la nature
collective ou individuelle du droit.

Ce qui nous conduit à étudier la divergence, point d’achoppement d’une possible


hybridation du droit sous deux angles : d’une part, celui de la conception des relations
juridiques et mécanismes d’implantation du droit occidental (Paragraphe I) ; d’autre part,

2522
Le Petit Robert, v. « divergence ».
2523
Pour l’inventaire de ces conflits, voir par exemple D. Zambo Zambo, Le droit applicable au Cameroun :
essai sur les conflits de lois dans le temps et dans l’espace, Thèse, Droit, Université de Yaoundé II, 2009.
2524
Seynabou Samb, Djibril Ouedraogo, Sylvia Soro, « Le pluralisme juridique en matière foncière en Afrique
de l’Ouest : le cas de la Côte d’Ivoire », SSHRC-AUF Partnership 2012-2018, p. 11.
2525
Ibid.

536
l’uniformisation recherchée reste soumise à un préalable, la compréhension de la logique des
droits originellement africains (Paragraphe II).

Paragraphe I. La conception des relations juridiques et mécanismes


d’implantation du droit occidental
596. Pour bien saisir les enjeux de l’uniformisation des droits applicables dans les sociétés
africaines, il convient d’examiner ce qu’il conviendrait de considérer comme les sources de
divergences entre les systèmes juridiques, de les confronter, afin de comprendre en
profondeur les éléments qui sous-tendent l’universalisme de chacun. Aussi nous limiterons
nous à la conception des relations juridiques (A) et aux mécanismes mis en place pour assurer
l’implantation du droit occidental (B).

A. La conception des relations juridiques

597. Le rôle assigné au droit dépend de la vision qu'une société se crée de l'univers et de
l'homme2526. Dans cette optique, la pensée africaine propose une vision spécifique du monde,
qui emporte un certain nombre de conséquences juridiques aussi bien sur les relations
contractuelles (1) et sur le système de règlement des conflits (2).

1. Les relations contractuelles

598. Le contrat n'est qu'une technique mise à la disposition des parties en vue d’obtenir
certaines prestations. La convention dans la juridicité2527 autochtone comme dans les autres
univers juridiques est soumise à certains nombre de principes généraux (a), à une procédure
de conclusion (b) et surtout à l’exécution (c) de ce qui a été convenu.

a. Les principes généraux du droit des contrats dans l’univers juridique


traditionnel africain

599. La substance des obligations disait Paul, Jurisconsulte du milieu du IIe siècle après
J.C., consiste moins à rendre propriétaire d'une chose, ou titulaire d'une servitude, qu’à
astreindre une autre personne envers l’autre, soit à transférer la propriété (dare) soit à faire
(facere) soit à praestare, c'est-à-dire à exécuter toute autre prestation2528. Source principale de

2526
N. Rouland, Anthropologie juridique, Paris, PUF, 1988, p. 154.
2527
Le terme de « juridicité » sera ici autant que possible préféré à celui de droit pour rendre compte des
dispositifs sociaux dont les fondements ontologiques ne correspondent pas forcément à ceux que l’on appele
droit au sein des sociétés occidentales. Car jugé plus neutre et plus grande que conception moderne du droit tout
en le comprenant. E. Le Roy (2016), « Pourquoi en Afrique « le droit » refuse-t-il toujours le pluralisme que le
communautarisme induit ? », Anthropologie et société, 40(2), 25-42.
2528
Voir P. Ourliac et J. De Malafosse, Histoire du Droit privé 1 / Les Obligations, PUF, 1957, p. 14.

537
l'obligation, le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent,
envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire, ou à ne pas faire quelque chose2529. Si le
droit traditionnel africain ne défini pas dans les mêmes termes le contrat, substance des
obligations, le sens qui dominent les relations contractuelles semblent similaires. Ce qui
donne à la relation contractuelle un caractère universel. Nous définirons avec M. Etienne Le
Roy, le contrat en Afrique noire « ... comme une convention organisée par la remise de la
chose s'accompagnant d'un échange de paroles »2530. Quoique partageant une philosophie
similaire, celle d’une personne, d’un clan, d’un groupe tenue envers l’autre, les relations
contractuelles dans les sociétés traditionnelles africaines sont dominées par la réciprocité des
devoirs et le caractère communautariste de la société2531. Communautarisme qui influence
grandement le modèle des relations contractuelles aussi bien dans ses spécificités, que dans le
ou les principes généraux qui en découleraient, à savoir que le principe de l’autonomie de la
volonté – à l’opposé du droit français issu de la codification napoléonienne des coutumes
françaises – n’y trouve qu’un champ d’application assez restreint.

600. La conception de l'obligation est ancrée dans l’ensemble sur trois grands principes du
droit traditionnel : l'attribution fonctionnelle des statuts, la réciprocité des droits et des
devoirs, et enfin la nature sociale de la chose objet du contrat tous conséquences immédiates
de la primauté de la communauté sur l’individu. Le premier signifie qu’un individu ne saurait
devenir ou demeurer représentant d'une des communautés desquelles il est membre que s'il est
en mesure d'en assurer la fonction. En ce sens le contrôle continu de ses compétences est
assuré et passe par un certain nombre de modalités de sélection, des rites de passage, qui
assure l’initiation progressive de l’individu qui ne peut être considéré que s’il est intégré à son
milieu. La déchéance du statut est opérée par le retrait de la fonction qui lui correspond2532.
Quant à la réciprocité des droits et des devoirs, il signifie que plus les charges du
représentant d’un groupe sont lourdes, plus il dispose de droits importants. Autrement dit,
l'obligation naît moins au profit ou à la charge de l'individu qu'à ceux du représentant du ou

2529
Article 1101 du Code civil applicable.
2530
Cf. E. Le Roy, Cours d’Anthropologie historique et juridique des contrats en Afrique noire, en Grèce et à
Rome, Document pédagogique n° 4, multigr., LAJP, Paris-Brazzaville, 1972-1973, 90 p.), (cité par N. Rouland,
Anthropologie juridique, Op. Cit., p. 232). À l'heure actuelle, le travail de référence en matière de relations
contractuelles est celui d'E. Le Roy, malheureusement non publié, mais consultable au LAJP.
2531
Le modèle communautariste vise à assurer un certain équilibre entre le groupe et l'individu, alors que le
modèle individualiste sur lequel prend corps les relations contractuelles dans la coutume (droit) occidentale
valorise le deuxième par rapport au premier.
2532
N. Rouland, Anthropologie juridique, Op. Cit. ; N. Mahoney, Contract and Neighbourly Exchange among
the Birwa of Botswana, Journal of African Law, 21-1 (1977), p. 40-65 ; E. Le Roy, Cours d’Anthropologie
historique et juridique des contrats, Op. Cit.

538
des groupes auxquels il appartient2533. Tout individu n'a pas automatiquement qualité à nouer
des relations contractuelles : le principe de la représentation a pour conséquence que seuls
possèdent la capacité contractuelle les représentants des groupes. L’individu n’est pas pour
autant exclu de la possibilité de contracter individuellement des obligations. Celles-ci sont en
général relatives aux biens personnels (bijoux, outils, parures) qui lui donnent la possibilité de
veiller à ses intérêts personnels.
Enfin, la vocation d'une chose à devenir l'objet d'un contrat dépend de la nature sociale
de cette chose. Les choses objets des contrats dans les droits anciens africains sont fonction de
la valeur que leur accordent les groupes auxquels appartiennent les parties. Certains biens ne
peuvent faire l'objet d'un accord contractuel entraînant une cession définitive : ce sont les
biens parentalisés, c'est-à-dire totalement identifiés au groupe familial. Il s’agit des terres,
autels, instruments de culte. Ils sont attribués collectivement. Ce qui justifie pleinement la
conclusion de P.F. Gonidec selon laquelle, la terre n’est pas la propriété d’un individu, elle
appartient « à une grande famille dont beaucoup de membres sont morts, quelques-uns
vivants et dont le grand nombre est encore à naître »2534. D’autres avoirs, tels que « les biens
communautaires » constitués de champ de case chez des pasteurs et bétails pour les
agriculteurs ne feront objet d’accords qu’à l’occasion de certaines circonstances, mais
subordonnés à l’accord du groupe. Certaines choses en outre, peuvent librement faire l’objet
de contrats parce qu’elles dépendent de la volonté des cocontractants et circulent plus
facilement. Il en est ainsi des avoirs matérialisés tels que monnaie, ou para-monnaies, que
mesures de sel ou de miel, des rouleaux de cotonnade, bétails individuels entre autres.

b. La réalisation et la validation des contrats

601. La réalisation et la validation des conventions constituent à la fois les phases de la


procédure et de conclusion des contrats2535. La réalisation de la convention s’effectue soit par

2533
Ibid.
2534
Voir P.-F. Gonidec, Les droits africains, évolutions et sources, 2è éd., Paris, L.G. DJ, 1976, p. l2.
2535
La classification typologique des contrats peut aller d’une classification en fonction de l’objet de l’accord.
Voir à ce sujet les développements relatifs à la typologie d’Elias T. Olawale, La Nature du droit coutumier
africain, Op. Cit, pp. 166-182 ou selon la typologie axée sur la fonction de la chose, cf. E. Le Roy, Cours
d’Anthropologie historique et juridique des contrats, Op. Cit. La typologie reposant sur la fonction possède
l'avantage d'être plus précise. Elle permet de distinguer des contrats à fonction familiale (contrats de mariage, de
nourrice, d'accouchement) ; sociale (contrats d'éducation, cérémoniels) ; économique : accès à la répartition des
terres (vente, louage), à l'exploitation des moyens de production (prêt, échange), à la mise en valeur des terres
(contrats de travail coopératif) ou des troupeaux (contrats d'élevage), échange d'avoirs dans le cadre résidentiel
(échange mutuel) ou du marché (vente, mise en gage), contrats d'expéditions commerciales (formation de
caravanes) ; sacrale (contrats d'emploi de magiciens ou de sorciers) ; politique (contrats de mise en valeur des
biens de prestige des chefs). D'autres typologies peuvent également être envisagées. Il sera ici tenu compte de la
nature des richesses impliquées dans l'échange en faisant le distinguo entre contrats réels ; réels et formalistes ;

539
la chose en elle-même, soit par la parole donnée ou du cumul des deux. Pour ce qui est de la
chose, sa remise donnait lieu selon le cas, soit à des contrats de mariage, d’exploitation des
sols, cérémoniels, contrat d’échange d’avoirs ou de garde ; soit la remise de la chose entrainait
une cession qui donnait d’accéder matériellement à la chose. L’accès à la répartition des terres
était par exemple rendue effective par la remise au nouvel acquéreur d'une motte de terre ; le
début d’exécution du travail sur la chose dans les contrats coopératifs, d’expéditions
commerciales, d’éducation. En raison de la nature éminemment réelle du contrat dans les
sociétés d'Afrique noire, les opérations matérielles de remise de la chose priment sur
l’échange de paroles, de serments. Le langage utilisé peut être juridique ou courant,
sacramentel ou laïque, requérir ou non l'emploi de formules précises 2536 . Il est en général
associé à la présence de témoins et à des aspects formalistes2537.

602. L’oralité étant la caractéristique essentielle des droits africains mais pas que2538, la
procédure de validation d'un contrat pouvait s'opérer au niveau de chacune des trois relations
fondamentales que sont : l’homme à l’homme, échange de paroles devant témoins, homme à
chose, remise effective de la chose, homme à dieu, sacrifices divers mettant en cause le
témoignage des puissances invisibles 2539 . Les contrats peuvent être formalistes et non
formalistes. La qualification d’un accord de formaliste ou non formaliste, dépendait du
nombre de relations fondamentales impliquées dans l’accord. La relation sera considérée
comme non formaliste lorsque la « relation homme/chose » suffisait à valider la convention
dans la mesure où elle se formait par la seule détention de la chose objet du contrat. Les
relations « homme / homme et homme/dieu » ne suffisent pas à la validation, mais la réalisent
lorsqu'elles sont associées à la relation « homme/homme et à la détention de la chose »
notamment en raison de la combinaison de plusieurs types de relations. Le contrat sera alors

réels, oraux et formalistes. Ou encore classer les contrats selon la nature des prestations auxquelles ils donnent
naissance : contrats à prestations symboliques, ou onéreuses.
2536
N. Rouland, Anthropologie juridique, Op. Cit. p. 234.
2537
Ibid.
2538
L'arsenal juridique africain précolonial comportait aussi des lois coutumières. Nous citerons, à titre
d'exemples, les Codes malgaches (E.P. Thebault, Les lois et coutumes malgaches. Imprimerie Officielle,
Tananarive, 1960) ; les « laws of berotholi » (Basutoland), les lois du Roi du Kongo, la charte du Kurukanfuga
etc.
2539
N. Rouland, Anthropologie juridique, Op. Cit, p. 192 et suiv. Dans les sociétés traditionnelles africaines, le
sujet de droit est pris dans trois séries de relations. La première relation est celle de l'homme à l'homme. Elle
dépend de la place reconnue aux individus par rapport à la société et du niveau auquel on envisage leurs
activités. La deuxième relation est celle de l'homme aux dieux. Elle est relative (p. 193) à la maîtrise du temps, et
par là à celle des individus. Elle intervient dans le domaine parental, où le culte des ancêtres et de leur tombeau,
organise les communautés parentales ; dans le domaine politique, où le pouvoir est fréquemment sacralisé ;
accessoirement dans le domaine foncier, où elle sert à légitimer ou protéger certains droits. La troisième relation
est celle de l'homme aux choses. Elle vise d'abord la maîtrise de l'espace, puis celle du temps. Elle est évidente
dans le domaine foncier, où elle sert à préciser les modes d'utilisation de l'espace et du sol, mais elle joue aussi
un rôle dans d'autres domaines : relations parentales, matrimoniales, politiques.

540
dit formaliste. La validation du contrat ne s'opère que par la détention de la chose2540. Un
constat peut ainsi être relevé, à la typologie des choses correspond une typologie des contrats.
L'élément commun à tous les contrats dans les sociétés traditionnelles étant le caractère
principalement réel.

c. L’exécution de l’obligation

603. Comme en droit moderne, l'exécution de l'obligation à laquelle l’on est tenue a pour
résultat de dénouer ipso jure le lien juridique qui unit débiteur et créancier. Le paiement,
solutio ne consiste donc nullement, comme dans la conception moderne occidentale trop
étroite, en un versement d’une somme d'argent. Procédé normal d'exécution d'une obligation,
le paiement réside dans la livraison, mieux la détention, possession par le créancier de la
chose objet de l’accord, en l'exécution d'une prestation quelconque ou même en une
abstention. Pour être plus concret, le paiement au sens juridique africain du terme dans les
relations contractuelles entre individus appartenant à des groupes différents, n’est valable que
s’il est fait par le représentant du groupe. Les parties sont tenues au strict respect de ce à quoi
elles se sont engagées. Le principe du respect de la parole donnée prend dans les sociétés
traditionnelles tout son pesant d’or, toute sa pertinence et sa rigueur. Il est au sein de ces
sociétés, facteur de considération, de respect et de confiance.

L'inexécution, lorsqu'elle est constatée, engendre pour le débiteur sa responsabilité


juridique. Si elle est définie par le Professeur Kalongo Mbikayi comme « l'obligation qu'a un
individu ou son groupe à réparer le dommage causé à autrui, par lui-même, par des
personnes avec lesquelles il a un lien de parenté ou encore par des animaux et des choses
dont il a la garde ou la propriété »2541, aucune règle coutumière ne précise en général la
notion de responsabilité juridique, celle-ci se vit empiriquement et la réparation du dommage
dans le sens de logique de sanction et réprobation morale qu’implique cette responsabilité
connue des systèmes de droit traditionnels africains. En d’autres termes, en raison des
caractères qu’il tire du communautarisme des sociétés qui l’ont mis en place, le droit négro
africain ne fait pas de distinguo aussi subtil entre responsabilité civile, pénale2542 vers lequel

2540
N. Rouland, Anthropologie juridique, Op. Cit. p. 276.
2541
Cf. Kalongo Mbikayi, Responsabilité civile et socialisation des risques en droit zaïrois, étude comparative
du droit zaïrois et des systèmes juridiques belge et français, Kinshasa, Presses universitaires du Zaïre, 1974, p.
29.
2542
Pour plus de détails sur la responsabilité juridique en droit traditionnel lire utilement Y. Agboyibor,
« Généralités sur le droit de la responsabilité civile », in Encyclopédie juridique de l’Afrique, t. IX, Dakar,
1982, pp. 279-282 ; S. Melone, « Les résistances du Droit traditionnel au Droit moderne des obligations »,

541
est porté le droit occidental qui repose essentiellement sur la culpabilité de l’individu et sur
l’individualisation de la peine. La responsabilité juridique dans les droits autochtones est
fondée sur « la responsabilisation » de l’individu et du groupe. Responsabilisation qui
consiste à faire de chaque membre du groupe, un « acteur du projet de reproduction de la
société »2543. La responsabilisation concerne l’ensemble des procédés qui assurent aux acteurs
impliqués de prendre leur part de responsabilité face à l’acte commis2544. Toute inexécution
d'une obligation constituait à plusieurs degrés, un dommage social, qui nécessitait sanction et
réparation. Pour remédier à l'inexécution des obligations contractuelles la responsabilité peut
revêtir des formes multiples, complétée l'existence de sûretés2545 destinées à la renforcer.
Par ailleurs, contrairement aux sociétés occidentales fondées sur le modèle
individualiste, les sanctions de l'inexécution des conventions ont un caractère plus social
qu'économique. La contribution collective par exemple au payement des amendes de
composition constituait une garantie pour les victimes. Les sanctions différaient suivant les
intérêts en cause. Ils peuvent être aussi bien individuels que communautaires. Le caractère
social de la sanction sera d'autant plus important que c’est le groupe qui subit de plein fouet le
dommage. Elle s'exprimera alors surtout sous forme de peines corporelles assez diverses
constituées de la bastonnade publique, des mutilations à la réduction en esclavage ou à
l'élimination physique, elles interviennent dans deux séries de cas. Les peines corporelles
constituent la sanction la plus commune des contrats à fonction politique, dont l'inexécution
remet en cause le prestige du chef, et partant l'ordre social2546. Elles sont aussi utilisées en cas
d'abstention réitérée ou de mauvaise volonté systématique dans l'accomplissement des peines
purement matérielles. Elles peuvent aussi être morales2547. À l'inverse, quand ce sont surtout
des intérêts individuels qui sont en cause, les peines auront un caractère plus matériel.
Résultant d’une diversité de situations, celles-ci peuvent aller de l’exécution forcée dans
l’hypothèse d’un début d'exécution par exemple des contrats de service devant être
rapidement exécutés en totalité, à la remise en l’état initial, même en cas de commencement

Revue sénégalaise de Droit, 21, 1977, 45-57 ; R. Decottignies, « La résistance du Droit africain à la
modernisation en matière d'obligations », Revue sénégalaise de Droit, 59-78.
2543
E. Le Roy, Les africains et l’institution de la justice, entre mimétismes et métissages, Op. Cit., p. 83.
2544
Ghislain Otis et Sévérine Bellina, « Le traitement des conflits », Op. Cit.
2545
Entre l'exécution spontanée ou forcée des obligations contractuelles, il existe cependant un moyen terme : il
peut arriver de recourir à des sûretés. Cf. R. Verdier, « Les sûretés personnelles dans les droits africains
traditionnels », in Recueils de la Société J. Bodin pour l'histoire comparative des institutions, XXVIII : Les
sûretés personnelles, 1re partie, Bruxelles, Ed., de la Librairie encyclopédique, 1974, pp. 147-153.
2546
N. Rouland, Anthropologie juridique, Op. Cit. p. 238.
2547
Elles résultent d'un blâme public et sont régulièrement utilisées en cas d'inexécution des obligations de
contrats d'échange de biens ou de services, notamment des contrats de travail coopératif et des contrats de
mariage. Blâme pouvant s’étendre à la mise en quarantaine du récalcitrant, sanction psychologiquement difficile
à supporter dans une société de taille restreinte et où l'inter-complémentarité entre les individus est essentielle.

542
d’exécution et enfin, l'indemnisation par compensation du préjudice subi et versement de
dommages et intérêts par exemple dans les contrats de garde du bétail, les contrats de courtage
en cas de tromperie sur la chose2548.
Le rapide examen des relations contractuelles démontre que des différences entre les
différentes traditions et systèmes juridiques existent de part et d’autres même si les relations
contractuelles et ce qu’elles impliquent sont connus d’un côté comme de l’autre. Différences
dans la conception, dans l’implémentation, l’application de la règle, du destinataire de la
sanction. La manière de les combiner suffire à différencier les systèmes.

2. Le système de règlement des conflits

604. Le système de traitement des conflits dans les traditions juridiques africaines anciens
intègre deux éléments essentiels si l’on veut saisir la pertinence du modèle : les procédures de
résolution des conflits (a) et la particularité de leur mise en œuvre (b).

a. Les procédures de résolution des conflits

605. Le système de résolution des conflits dans les traditions juridiques d’Afrique noire, est
essentiellement fondé sur « le principe de la coexistence humaine » 2549 . Les sociétés
africaines traditionnelles ont pu développer à partir de leur « ordre juridique vécu » 2550
quotidien, un ensemble de pratiques et de règles dont l'efficacité a permis généralement de
circonscrire les conflits internes et de les résoudre autrement que par la violence. En ce sens,
la résolution des conflits est ancrée dans la volonté de maintenir une certaine stabilité des
sociétés traditionnelles garantie par la mise en place d’institutions, de pratiques et de rites
destinés à maintenir cette stabilité surtout en présence des litiges entre différends clans et en
assurer le règlement pacifique2551. Plusieurs classifications qui se recoupent partiellement sont
envisageables. La plus simple consiste à distinguer entre les modes juridictionnels et les
modes non juridictionnels. Privilégiant l’emploi de la parole dans la mesure où la parole est
en effet érigée en véritable juridiction. La, palabre ou la conciliation est le mode de traitement
des conflits privilégié à l’intérieur du clan. Tout préjudice matériel ou corporel causé à un
membre du clan était considéré comme une perte de tout le clan.

2548
N. Rouland, Anthropologie juridique, Op. Cit.
2549
Ghislain Otis et Sévérine Bellina, « Le traitement des conflits », Op. Cit.
2550
Le droit vécu des sociétés traditionnelles présente trois caractères principaux : le réalisme, la stratification,
le conflit. Y correspondent les relations homme-chose, homme-dieu, homme-homme.
2551
Amadou Dieng, « Les modes alternatifs de règlement de conflits (MARC) en OHADA », Communication sur
le thème Approche culturelle des ADR en OHADA, Op. Cit ; voir aussi, Thierno Bah, Les mécanismes
traditionnels de prévention et de résolution des conflits en Afrique Noire, Publication UNESCO 1999.

543
606. Dans les modes « juridictionnels » par contre, la résolution du litige est subordonnée à
l’intervention d’une tierce partie en tant que médiateur ou arbitre du litige, et la réparation
était réalisée moyennant une amende parfois élevée telle l’hypothèse d’une amiable
composition intervenue dans les différends inter claniques. La décision résultat de
l’intervention de ce dernier s'impose aux parties, avec d'autant plus de force que dans les
sociétés traditionnelles, l'appel est rarement possible. La référence aux normes devient
fondamentale. La véritable distinction d’avec les procédures non juridictionnelles tient
d’avantage de la manière dont les normes sont utilisées par les parties : dans le jugement, elles
s'imposent plus aux parties que dans les modes non juridictionnels, où celles-ci disposent
d'une plus grande liberté pour choisir de les appliquer, de s'en écarter ou de les modifier. Si les
modes juridictionnels sont d’avantages répandus dans les sociétés modernes notamment
occidentales, mais elles n’en détiennent aucunement l’exclusivité. On les constate également
dans certaines sociétés traditionnelles, en l’occurrence celles où le pouvoir politique est
différencié de l’organisation parentale : il intervient alors dans le domaine de la justice,
suivant le mode juridictionnel2552.

La nature des mécanismes mobilisés par les communautés africaines structure encore
fortement les imaginaires et la conception du conflit2553. Le recours à ces mécanismes au sein
des Etats est bien perceptible aussi bien dans les espaces locaux qu’au niveau national. Tous
les modes non juridictionnels reposent sur un débat oral entre un certain nombre de
protagonistes dans lesquels le conflit est réglé sans qu'intervienne un juge. L’oralité étant
l’une des caractéristiques majeures et communes des mécanismes traditionnels africains. La
puissance de la parole est en effet centrale dans ces mécanismes qui reposent sur des
conventions orales ou tacites2554. Ces modes peuvent être subdivisées en deux selon que les
parties résolvent elles mêmes ou font appel à un tiers pour résoudre le litige qui les oppose. La
négociation bilatérale correspond à la première hypothèse. Les négociations sont fréquentes
au sein des sociétés dans lesquelles les relations individuelles sont développées. À des degrés
divers, la négociation existe dans toutes les sociétés, soit que la société globale présente ces
traits caractéristiques spécifiques, soit qu'on les retrouve au niveau d'un ou plusieurs de ses
sous-groupes.

2552
N. Rouland, Anthropologie juridique, Op. Cit. p. 265.
2553
Addo Mahamane, « La justice traditionnelle au Niger », in Niagalé Bagayoko, Boubacar N’Diaye et Kossi
Agokla, La réforme des systèmes de sécurité et de justice dans l’espace francophone, Op, Cit., pp. 187-196.
2554
Patrick Baudry, « Les conciliations dans les sociétés traditionnelles », Communication et organisation, 11,
1997. Disponible en ligne sur http://communicationorganisation.revues.org/1912, consulté le 30 mars 2020 à
17h50.

544
La seconde hypothèse comprend les situations en présence desquelles l'intervention
d'une tierce partie dans le débat s’avère nécessaire pour que le conflit ait une chance d’être
régler par cette voie. L’intervention en cause est plus fréquente dans les sociétés disposant
d'une certaine importance démographique, et dans les cas où les parties n'entretiennent que
peu de relations, ou sont déjà dans un état de conflit trop avancé pour que la
seule négociation bilatérale menée par les parties soit possible. L'intervention de la tierce
partie peut revêtir plusieurs formes suivant qu'elle est plus ou moins directe. La forme
minimale est celle de la médiation : le médiateur aide les parties à trouver une solution plus
qu'il ne leur en impose une. En revanche, dans l'arbitrage, c'est l'arbitre qui formule lui-même
une solution, qu'il propose aux parties, en essayant de les convaincre de son bien-fondé, car
les parties ne peuvent être contraintes de donner suite à cette solution arbitrale. Ces
mécanismes traditionnels de traitement des litiges dans les civilisations négro-africaines se
définissent essentiellement, en termes de dialogue, de compromis, de coexistence et de
paix2555.

606. La résolution du conflit peu importe l’un des modes mis en œuvre, parfois ne constitue
qu’une des étapes dans le cheminement du traitement du conflit. La fin du litige est soumise à
l’exemple de la logique de l’exécution de l’acte juridictionnel des sociétés occidentales, à des
comportements et décisions susceptibles d’entrainer l’extinction soit définitive, soit
temporaire du conflit. Susceptibles d’être rangées en trois catégories, elles sont constituées de
purifications, des compensations, de peines. Le processus de clôture de conciliation-médiation
tout comme l’entrée constitue des étapes sacrées ou symboliques importantes lorsqu’on
s’intéresse aux rituels parajudiciaires de traitement des conflits. Les purifications
accompagnées de sacrifices marquent généralement le règlement des litiges intervenus entre
deux individus d'un même groupe. Les réparations et compensations, sont remises à leurs
bénéficiaires, sous peine d'injonction qui accentuerait la gravité du dommage : une
compensation au profit de la victime, accompagnée d’une obligation à l’auteur du crime à
mieux se conduire. La compensation est d'autant plus grande que le lien de parenté ou la
relation entre la victime et l'auteur du crime était moins étroit. Les crimes de sang suscitaient
généralement la vengeance dans les sociétés traditionnelles africaines. Toutefois, le palliatif
trouvé pour l'éviter était le rachat par ce qu'on appelait « le prix du sang »2556. Les peines

2555
Ibid.
2556
Cf. Y. Ben Hounet, « Les rituels judiciaires et parajudiciaires : conciliations et arbitrages dans le Nord de
l’Afrique (exemples algérien, soudanais, nigérien) », in Oñati Socio-legal Series, Les enjeux de la ritualisation
judiciaire. Une réflexion sur les formes du procès, Vol. 8, n° 3, 2018, pp. 386-399. Disponible sur :
https://doi.org/10.35295/osls.iisl/0000-0000-0000-0941.

545
quant à elles sont graduées naturellement suivant la gravité du délit : elles seront donc parfois
psychologiques, tantôt corporelles (mutilations), corporelles avec privatives de liberté, et dans
les cas extrêmes, la décision la plus importante entraine le bannissement, l’exil du village,
l'ostracisme définitif ou l'exécution capitale2557 pour limiter le risque de contamination que
représente désormais l’individu. Quel que soit le type de sanctions, l’accent sur la
réconciliation, l’harmonie et la paix sociale qui restent prégnantes contribuent à leur efficacité
pratique.

b. Les particularités de la mise en œuvre des procédures de traitement


des conflits

607. Le respect des fondements de la justice, implique dans les traditions juridiques
africaines non pas la possibilité pour tous de pouvoir saisir un juge au sens qui est celui retenu
dans le droit occidental, pour faire entendre sa cause, mais plus d’obtenir la résolution
adéquate du litige né entre membres d’un groupe. Aussi, le choix entre plusieurs modalités de
règlement des conflits et la philosophie qui innerve leur mise en œuvre dépend entièrement de
la structure sociopolitique de la société en cause. Le rôle de la coutume et les mécanismes de
traitement des litiges sont variables suivant les types de structuration auxquels on se réfère.
Structuration que l'on peut regrouper en trois types principaux selon une classification faite
par E. Le Roy2558. Quel que soit le type de société considérée, l’auteur retient que le choix du
mode de résolution du litige dépend de l’appartenance des parties. Dans les sociétés dites
élémentaires (exemple le cas des Nuer Soudan) dans lesquelles le pouvoir politique n’est pas
différencié de l’autorité parentale, cette dernière assure la totalité des fonctions politiques. Les
relations sociales sont conçues en termes de parenté. Le règlement du différend survenu entre
deux personnes issues de groupes distincts est subordonné d’une part, à la position que chacun
d’eux occupe dans les systèmes de parenté et de classes d'âges, d’autre part, de la distance
sociale de leurs groupes de référence. La parenté est la base de l’organisation sociale et du
pouvoir notamment celui du chef de famille. Ce qui naturellement de lui, l’autorité
compétente pour connaitre de la médiation du litige lorsque les parties sont des proches
parents.
Dans les sociétés semi-élémentaires à l’exemple des Karivondo en Tanzanie, le
pouvoir parental et le pouvoir politique sont distincts, mais associés par un lien

2557
Ghislain Otis et Sévérine Bellina, « Le traitement des conflits », Op. Cit. ; N. Rouland, Anthropologie
juridique, Op. Cit. p. 271.
2558
E. Le Roy, Cours d’Anthropologie historique et juridique des contrats, Op. Cit. ; E. Le Roy, Introduction
aux institutions politiques africaines, Document pédagogique n° 2, Paris, LAJP, 1975-1976, p. 148-167.

546
d'interdépendance. Au dualisme des sources de droit – mythe et coutume – répond un niveau
supplémentaire dans les modes de règlement des conflits. A la négociation bilatérale et à la
conciliation s'ajoute l'arbitrage. Les relations conflictuelles entre clans, entre sous-clans et
entre membres d'un sous-clan en cas d'échec éventuel des négociations bilatérales sont
soumises à l’arbitrage. Un arbitrage réussi aboutira au versement d'une compensation en
nature. Si un accord ne peut être trouvé, les Anciens non directement partie aux hostilités
interviennent à titre d'arbitres, essayant de trouver une solution acceptable par les parties, mais
sans pouvoir la leur imposer. Le traitement des conflits survenus dans le cours des relations
entretenues entre membre d’une même famille étendue sont soumis à la médiation. A ce type
de société correspond un appareil juridique composé d’un niveau mythique et d’un niveau
coutumier. Dans cet appareil doublement stratifié, le chef de famille règles les conflits par la
conciliation, pendant que les litiges interfamiliaux sont soumis à l’arbitrage en raison de
l’inexistence d’un pouvoir judiciaire extérieur et supérieur qui puisse imposer sa décision.
2559
Enfin, dans les structures sociales semi-complexes à l’inverse des deux
précédentes, le pouvoir politique est nettement séparé du pouvoir parental, le premier primant
sur le deuxième ou inversement 2560 . Le pouvoir politique tend à la centralisation2561 . Aux
sources mythiques et coutumières de la juridicité s’ajoute la loi, et un niveau supplémentaire
des modes de traitement des conflits notamment le jugement en complément de l’arrangement
issu de la négociation bilatérale, de la médiation ou de l'arbitrage. Le jugement dans ces types
de sociétés est dévolu au pouvoir politique pour des actes jugés comme portant atteinte à
l’ensemble des valeurs incarnées par la société. Les décisions prises par les figures de ce
pouvoir peuvent être imposées aux parties. Les particularités ne se limitent pas seulement à la
nature de la structure sociale et à l’appartenance des parties, mais aussi à certaines
caractéristiques inhérentes à ces mécanismes et aux acteurs2562.

608. La particularité des mécanismes traditionnels de règlement des conflits aussi bien dans
leurs déclinaisons originelles que dans leurs formes contemporaines, réside en des
caractéristiques qui leur sont communes. D’abord l’oralité. L’art oratoire y est un genre
2559
On prendra en exemple des royaumes et empires africains précoloniaux. À ce type de structure sociale
correspond un appareil juridique triplement stratifié : aux niveaux mythique et coutumier vient s'ajouter un
niveau légaliste. L'appareil légaliste, conformément au principe d'accumulation des sources, ne rompt pas avec le
mythe et la coutume, mais tend prioritairement à formuler des normes juridiques précises, et à se donner des
institutions spécifiques : ordres judiciaires spécialisés, jugement en contentieux, organisation administrative.
Dans le domaine du droit foncier naît un système de répartition des terres qui règle les rapports entre les groupes
et remplit les fonctions d'un régime foncier.
2560
N. Roland, Anthropologie juridique, Op. Cit., p. 267 ; E. Le Roy, Introduction aux institutions politiques
africaines, Op. Cit.
2561
Ibid., p. 167.
2562
La Charte du Kurukanfuga laissait déjà entrevoir ce système.

547
vivant2563, la parole, un concept recteur. Les conflits sont résolus par la puissance de la parole.
C’est dire que la qualité du tiers intervenant résidait dans l’éloquence des médiateurs,
négociateurs considérés à raison comme des maitres de la parole. Qualité qui s’appuyait sur
une exigence, celle de la parfaite connaissance des proverbes et des adages. Ensuite, la
dimension rituelle. Les rituels publics revêtent une importance fondamentale, « symbolique et
sémiologique » 2564 . L’activation des mécanismes traditionnels est en effet fréquemment
accompagnée d’une gestuelle ritualisée – musique, chant ou danses – qui accompagnent et
ponctuent les discours. La référence à l’histoire et aux mythes fondateurs des communautés
par l’évocation elliptique des épopées anciennes comme par exemple celle des triomphes,
combats du clan, groupe en constitue également une caractéristique majeure. Le recours aux
mécanismes traditionnels de gestion des conflits exige ainsi une bonne connaissance de
l’histoire de la communauté, d’un territoire déterminé, y compris des généalogies. La
connaissance des mythes, des contes, des proverbes et des paraboles est requise de manière
impérative. A ces caractéristiques il convient d’y adjoindre aussi le souci primordial,
l’objectif principal, la sauvegarde de la cohésion sociale, la préservation avant tout l’intérêt du
groupe ou de la communauté. Le rétablissement de l’harmonie au sein de la communauté
apparaît comme l’objectif premier dans une coutume imprégnée de religion et de magie2565.
La sacralité et l’imbrication du spirituel et du temporel se matérialisent par la prévalence des
croyances magico-religieuses et de pratiques occultes et ésotériques2566 ; l’importance de la
dimension spatio-temporelle2567, des procédures de négociation soumises à des rites et des

2563
Julia Ogier-Guindo, « Le griot manding, artisan de la construction sociale : étude d’un chant Jula »,
Signes, Discours et sociétés : Revue semestrielle en sciences humaines et sociales dédiée à l’analyse des
Discours, 23 décembre 2010 consulté le 31 Mars 2020 à 10h08 disponible en ligne sur http://www.revue-
signes.info/document.php?id=2074; Jean Boulègue, « Oralité et écriture dans les chroniques dynastiques
d’Afrique de l’Ouest », Afriques, 01, 2010 consulté le 31 Mars 2020 à 10h30 disponible en ligne sur
http://afriques.revues.org/226.
2564
Patrick Baudry, « Les conciliations dans les sociétés traditionnelles », Op. Cit. L’auteur affirme : « Les
rituels ne concernent pas que les temps forts de l’existence personnelle ou sociale. Il n’est pas indifférent qu’ils
soient pratiqués quand la vie du groupe se trouve mise en jeu et qu’ils marquent les mutations de la vie sociale et
individuelle. Ainsi le sigi des Dogons qui, tous les soixante ans, détruit la société et la recommence. Mais si ce
sont bien des institutions qui se trouvent renforcées par les rituels, c’est aussi la vie quotidienne qu’ils
imprègnent (…). Il n’est pas seulement question de défoulement. Il s’agit de donner ponctuellement acte aux
tensions et aux conflits virtuels et, en aménageant leur expression, d’articuler de manières dynamiques des
différences. On retrouve là l’une des dimensions principales de la ritualité : donner acte à la violence, lui
reconnaître sa part pour mieux s’en prémunir. Les rituels ont essentiellement une vocation préventive ».
2565
V. E. Le Roy, « L'esprit de la coutume et l'idéologie de la loi (Contribution à une rupture épistémologique
dans la connaissance du Droit africain à partir d'exemples sénégalais contemporains) », Op. Cit.
2566
Voir Melengue Traoré, « L’importance des dynamiques endogènes : mécanismes traditionnels de
prévention et de résolution des conflits », in Jean-Pierre Vettovaglia et ali, Médiation et facilitation dans
l’espace francophone : théorie et pratique, Vol .1, Bruxelles, Bruylant, 2010.
2567
Pierre Kipré, « De la guerre et de la paix en Afrique », Afrique contemporaine, 3/2003, n° 207, p. 133-146 ;
N. Z. Koto Yerima, « La pratique du dialogue social au Bénin : Bilan et perspectives », Cotonou bulletin, n° 9,
Friedrich-Ebert-Stiftung, Août 2014 disponible en ligne : http://library.fes.de/pdffiles/buero»s/benin/10951.pdf.

548
règles tacites, la bipolarisation du réel ou monde vécu autour du visible et de l’invisible, un
droit dans lequel le rôle des patriarches dans la résolution des conflits, l’univers socio
juridique était lié à leur intimité avec le monde invisible considérés comme des « portes
paroles » et des « hérauts »2568 de la coutume dans l’organisation judiciaire Bàsà et Beti du
Cameroun. En somme, la légitimité du processus de traitement des litiges, des figures
charismatiques que sont le chef traditionnel et le souverain repose sur l’invocation de la
tradition.

609. Eu égard aux développements qui précèdent, le droit traditionnel africain, manières de
dire, manières de faire et manières de vivre la coutume réside dans le caractère flexible c'est-
à-dire un droit adapté aux particularismes, aux conflits, finalités sociales, constitue un
standard, susceptible d’applications multiples, non impératif des normes qui sied à l’option
d’un « ordre juridique négocié de résolution des conflits »2569 plutôt qu’un ordre imposé. En
général, dans le système de résolution des conflits on retrouve toujours un dytique : la
proximité résidentielle ou parentale des parties et / ou la modicité du litige par rapport aux
enjeux du maintien de la cohésion sociale. Ces deux facteurs poussent les parties à s'entendre
plutôt qu'à s'opposer. La règle coutumière met plus en œuvre un « droit-modèle »2570 qu'un «
droit-sanction ». Une telle manière de concevoir le droit à l’opposé des sociétés occidentales a
valu aux sociétés africaines d’être qualifiés par les premières de sociétés sans droit. Les
divergences de valeurs peuvent être résumées en quatre points fondamentaux : le rôle du
temps parce que les sociétés négro-africaines valorisent la conformité au passé et évitent
d'instituer des procédures « structurées » de modification du droit2571 animées par la crainte
que celles-ci soient confisquées par un groupe au détriment de la société ; la seconde place
réservée à l’individu vu comme éphémère au profit de la valorisation du groupe considéré
permanent. Ce rapport s'inverse dans les sociétés modernes dominées par la maitrise du droit
par l’homme. Les sociétés négro-africaines préfèrent selon Michel Alliot cantonner le droit,

2568
D. Mvogo, La politique criminelle au Cameroun, Thèse de doctorat d'État, Université de Paris I, 1 982 (cité
par E. Le Roy, « L'esprit de la coutume et l'idéologie de la loi (Contribution à une rupture épistémologique dans
la connaissance du Droit africain à partir d'exemples sénégalais contemporains) », Op. Cit, p. 230.
2569
Le modèle anthropologique suppose que toutes les sociétés peuvent connaitre au moins quatre
ordonnancements sociaux selon la conception de la cause et de la résolution des conflits. Ce sont : l’ordre
imposé, au cœur des expériences juridiques occidentales en phase avec la culture judéo-chrétienne qui les fonde,
l’ordre négocié, l’ordre accepté qui repose sur l'autodiscipline et l'éducation des membres d'un groupe pour
lequel l'écart à l'égard de la norme, comme la provocation d'un conflit, sont facteurs de désordre ou de
dysharmonie et l’ordre contesté. Pour plus détails, lire utilement E. Le Roy, « Contribution à la "refondation" de
la politique judiciaire en Afrique francophone à partir d'exemples maliens et centrafricains », Op. Cit.
2570
L’expression est de N. Rouland, Anthropologie juridique, Op. Cit. p. 280 et suiv.
2571
Le temps au sein de ces sociétés n'est pas créateur du droit. Pas de prescription acquisitive.

549
les absolus de la loi2572. La vie en société nécessite une réglementation et une régulation. Il se
constitue donc à l’intérieur de tout groupe humain un mécanisme d’encadrement des rapports
entre les individus lié à la culture que l’on aime généralement nommer droit. Pour les sociétés
traditionnelles d’Afrique, c'est à travers le mythe et ses répétitions rituelles qu'est vécue
l'adhésion à l'ordre socio cosmique et socio juridique du monde. Les sociétés modernes sont
régies par d'autres absolus, auxquels se réfère la Loi. On conclura en d’autres termes qu’au
cœur du concept droit il y a le mot culture. La notion de droit renvoie à celle de tradition
juridique ou de culture juridique. Ce qui met d’avantage l’accent sur le substrat culturel ou
social du droit. On dira donc que le droit est un paramètre indéniable de la culture, une valeur
et il a la particularité d’être influencé par la vision du monde de cette culture2573, mieux, une
interaction qui rend le droit indissociable de la culture. En référence à cette manière de voir le
monde, les lois « doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles sont faites que
c'est un grand hasard si celles d'une nation peuvent convenir à une autre » 2574 disait
Montesquieu. En dépit de celà, l’implantation du droit occidental, l’érection d’un droit
coutumier procédait elle d’une autre dynamique, celle d’une coutume conçue à l’aune de la
loi.

B. Les mécanismes d’implantation du droit occidental

610. Les principaux mécanismes d’implantation des droits exogènes oscillent entre deux
pôles cumulatifs : la coutumisation du droit endogène (1) et l’acculturation juridique des
droits africains (2).

1. La coutumisation du droit endogène

612. L’appréhension de la coutume à l’aune de la loi dont l’Etat est le principal monopole a
conduit à un procédé d’inversion négative de la règle juridique africaine : la rédaction des
coutumes. Les droits coutumiers n'apparaissent qu'avec la période d'administration coloniale,
à la prescription par la doctrine Roume de la rédaction des coutumes, opération qui va
substantiellement transformer la coutume au départ idée et pratique, conduite générale du
groupe, pour la soumettre aux catégories juridiques occidentales. L'impact de la colonisation

2572
Le règne du Droit n'y est pas considéré comme un idéal comme dans le monde occidental. Pour ce faire, ce
dernier recourt à plusieurs instruments, tels que les codifications et planifications. Mais c'est la loi qui reste
l'instrument le plus simple pour organiser l'avenir juridique et dominer le temps. Voir M. Alliot, « Les
résistances traditionnelles au droit moderne dans les États d’Afrique francophone et malgache », Op. Cit.
2573
Justin Nouind, Cours d’Anthropologie juridique, Master II Recherche Droit privé, Université de Douala,
2010-2011.
2574
Montesquieu, De l’esprit des lois, Op. Cit.

550
sur les droits traditionnels sera plus pernicieux qu'il n'y parait. La coutumisation par
l’invention du concept de droit coutumier a conduit les jurisconsultes ne disposant pas du
« code culturel »2575, clé de la compréhension des pratiques culturelles d’une société donnée à
un mauvais diagnostique et traitement de la coutume. Le point de départ de ce procédé
d’inversion négative que va constituer la rédaction des coutumes et son érection en droit
coutumier prendra racine dans l’incompréhension entretenue par les pensées évolutionnistes
de la coutume considérée avec la grille de lecture notamment l’écriture du droit importé qui
du reste d’ailleurs manque de cohérence comme un droit primitif2576. Coutumisation des droits
endogènes qui conduira ainsi à la réinterprétation du droit traditionnel et la hiérarchisation des
cultures juridiques désormais présente dans l’espace africain.

613. Nonobstant la coutumisation du droit endogène, le droit traditionnel ne pénétra guère


le droit colonial. La coutume n’a pas en effet cédé aux nombreuses vagues successives de
l’assimilation et de la coopération. Au contraire, le mécanisme de réinterprétation des
coutumes mode d'ajustement le plus subtil de logiques diamétralement opposées 2577 , entre
droit traditionnel et du droit moderne témoigne de la dénaturation progressive de ce droit
autochtone, consécutive à l'influence de valeurs juridiques exogènes. La réinterprétation en
cause se limite d’abord à attribuer des catégories juridiques inexistantes, nouvelles
significations à des anciennes traditions, qui s’étendront aux principes d'explication. Le
contenu des coutumes lui aussi évolue, et obéit aux nouvelles valeurs provenant de cultures
extérieures. Le décodage erroné de la réalité des droits anciens mené pendant la période
coloniale ou au moment des indépendances et la propension des jurisconsultes occidentaux de
l’époque à projeter sur les sociétés étudiées leurs catégories et valeurs juridiques n’a eu pour
conséquence que la déformation ou la falsification de la juridicité autochtone2578. Le droit
coutumier qui émergera de ce processus de rédaction et d’interprétation ne représente donc
pas le droit africain authentique 2579 . C’est le droit recueilli pour les besoins du système

2575
Justin Nouind, Cours d’Anthropologie juridique, Op. Cit.
2576
Il faut souligner que la science juridique négro-africaine s'est aussi transmise grâce à l'écriture. Aussi bien
l'Afrique Noire musulmane que dans les autres foyers de civilisation strictement traditionnelle, l'écriture était
présente. Comme le rappelle le Professeur C.A. Diop, « L'Afrique Noire a eu ses spécimens d'écriture (...). Il
existe une écriture hiéroglyphique au Cameroun (...). L'écriture syllabique des Vaï en Sierra Leone et celle,
cursive, des Bassa (du Cameroun) ont été étudiées (...). En Sierra Leone ces écritures ont même servi à rédiger
des textes modernes ». Cheikh Anta Diop, L'Afrique Noire précoloniale, Étude comparée des systèmes
politiques et sociaux de l'Europe et de l'Afrique Noire, de l'Antiquité à la formation des États modernes,
Présence africaine, Paris, 1960, p. 176.
2577
N. Rouland, Anthropologie juridique, Op. Cit. p. 302.
2578
Voir J. Poirier, « La rédaction des coutumes juridiques en Afriques d’expression française », in John
Gilissen, (dir.), La rédaction des coutumes dans le passé et dans le présent, Bruxelles, Editions de l’institut de
sociologie, Université Libre de Bruxelles, 1962, pp. 275-278.
2579
N. Rouland, Anthropologie juridique, Op. Cit.

551
colonial puis appliqué dans les tribunaux coutumiers créés pour les besoins de la cause qui
parfois rendaient des décisions en contradiction totale avec la coutume, dans le but de la
soumettre aux principes du droit civiliste. Le résultat du procédé a fait émerger une
jurisprudence de plus en plus étoffée modifiant à chaque fois d’avantage et encore un peu
plus, le droit coutumier2580 qui l'éloignait en conséquence de la coutume. L'accent particulier
mis sur l'écriture fera dire au Professeur E. Le Roy que la coutume écrite « cesse d'être
coutume pour en devenir un reflet, une image dans la bouche de celui qui parle ou écrit »2581 ,
mais aussi « le début d'un processus de sélection », de dénaturation et « de transformation de
ce qu'est le droit africain »2582. De plus, la compréhension qu'en avaient les rédacteurs ne
reflétait pas nécessairement le sens réel que ces pratiques revêtaient pour les populations et
surtout, elles finissaient par être réinterprétées avec la logique juridique de l’interprète. L'idée
de Monsieur J. Vanderlinden et juristes africains contemporains selon laquelle la coutume est
aussi une pratique gestuelle n'est absolument pas reflétée dans les coutumiers, ce qui en altère
d'autant plus la signification2583. Pour d’avantage établir la distinction entre la coutumisation
entreprise à l’aune de la loi, expression du législateur, E. Le Roy juriste et anthropologue
définit le droit coutumier par ses caractéristiques. L’auteur précise en effet que les
caractéristiques principales du droit coutumier sont d'être un droit prétorien, écrit et érigé au
service d'une autorité administrative exprimant une vision individualiste et dualiste de la
société2584. Caractères opposés aux catégories de la coutume comme droit endogène.

614. La démarche coloniale de l’interprétation du droit qui a eu pour conséquence de


modifier le sens et le contenu des coutumes a procédé par ailleurs à une classification pseudo
hiérarchique du droit plaçant l'ordre juridique occidental au rang de droit objectif et l'ordre
juridique africain à celui de droit subjectif ou primitif. On distingua d'abord deux grandes
catégories de personnes: les sujets français, soumis au droit coutumier, les citoyens français,
régis par le droit civil. Cette hiérarchie a permis de certains droits en « Droits développés »,
ou « modernes » 2585 . L’application du droit ainsi hiérarchisé dans le territoire colonial se
caractérise d’abord par la division du territoire en deux zones : la zone rurale et la zone
urbaine, ensuite par la naissance d’une une institution nouvelle distincte de la conciliation et

2580
Norbert Rouland, « Les colonisations juridique de l'Arctique à l'Afrique noire», Op. Cit, p. 59.
2581
Ibid. p. 95.
2582
Ibid., p. 54.
2583
Séna H. Houndjahoué Lahaye, Quand le droit devient culture : le droit traditionnel au Bénin, Op. Cit. p.
15.
2584
Étienne Le Roy, Les Africains et l'institution de la justice : entre mimétismes et métissages, Op. Cit. p. 113.
2585
Dyaltm Nding, Civilisation et science juridique en Afrique et dans le monde, éditions CLE, Yaoundé, 1982,
p. 19 (cité par Amavi Tagodoe, Diffusion du droit et Internet en Afrique de l'Ouest, Op. Cit. p. 105).

552
de la sacralité du juge coutumier appelée « tribunal de droit traditionnel ». Deux droits
nouveaux verront ainsi le jour, le droit de l’occupant (le droit français et droit anglais)
aujourd’hui droit officiel et droit étatique, et un droit coutumier (droit colonial) coexistant
avec le droit endogène, droit précolonial. Le dualisme consacré était moins respectueux des
droits anciens qu'il n'y paraissait. L’option de juridiction ne peut s'exercer qu'en faveur des
juridictions de droit moderne mais jamais l’inverse. La majorité de la population constituant
le territoire est soumise aux coutumes sauf à justifier que son mode de vie ou son
comportement au sujet de l’acte, objet du litige, entraine l’application du droit étranger. De
plus, dans la pratique quotidienne, le pouvoir de contrôle de l’application du droit coutumier
ne pouvait s’exercer que de manière épisodique 2586 parce que les magistrats français trop
imprégnés du droit français, n’accordaient pas d’intérêt aux questions coutumières. Cette
pratique témoignant de la perception négative à l'égard des normes juridiques originellement
africaines, se retrouve dans l'esprit de la Loi moderne africaine. Le législateur africain
francophone « moderne » comme celui des indépendances, inspiré par une doctrine française
déterminée à substituer « sa coutume juridique » en tant qu'ordre normatif aux règles
juridiques d'origine africaine, s'essaiera tant bien que mal, comme habité par cette conviction
que le droit occidental notamment français constitue un modèle de perfection, va réaffirmer la
primauté du droit d'inspiration exogène. Ce qui va justifier encore un peu plus les résistances
au droit occidental auquel se sont inscrit ceux à qui est destiné ce droit importé. Quoi donc de
plus naturel que de se rallier à la thèse de Guy R. Descottignies2587 selon laquelle « l'Afrique
nouvelle a cessé d'avoir foi dans la coutume. Par une conversion véritablement radicale, elle
a changé son credo législatif, renoncé au droit coutumier, à ses œuvres et à ses pompes pour
donner désormais foi aux textes, à la loi et aux codes ». Autrement dit, foi, crédit en la
coutume écrite et codifiée française d’inspiration romaine et de la morale judéo chrétienne2588
a été substituée à la coutume africaine d’inspiration égypto-nubienne. À l'avalanche des
options législatives et réglementaires défiantes faites par les législateurs africains et OHADA
répondent obstinément la résistance des droits traditionnels.

2586
Stanislas Melone, « Les juridictions mixte de droit écrit et de droit coutumier dans les pays en voie de
développement. Du bon usage du pluralisme judiciaire en Afrique : l’exemple du Cameroun », In : Revue
internationale de droit comparé, Vol. 38 n°2, Avril-juin 1986, Études de droit contemporain, Contributions
françaises au 12e Congrès international de droit comparé (Sydney-Melbourne, 18-26 août 1986) pp. 327-346
2587
R. Descottignies, « Prière à Thémis pour l'Afrique », in Revue Sénégalaise de droit, n° l, 1967, p. 10, (Cité
par Amavi Tagodoe, Diffusion du droit et Internet en Afrique de l'Ouest, Op. Cit. p. 108).
2588
Guy Kouassigan Adjeté, Quelle est ma loi? Tradition et modernisme dans le droit privé de la famille en
Afrique noire francophone. Éditions A. Pedone, Paris, 1977, p. 166 (cité par Stanislas Melone, « Les juridictions
mixte de droit écrit et de droit coutumier dans les pays en voie de développement. Du bon usage du pluralisme
judiciaire en Afrique : l’exemple du Cameroun », Op. Cit.)

553
615. En somme, la théorie de l’Acculturation juridique nous permet de saisir comment se
réalise les colonisations juridiques d’une société à une autre. Quand cela arrive, il engendre
toujours des conflits latents ou ouverts au sein de cette société entre le système juridique
existant, appelé droit traditionnel ou droit autochtone et le droit moderne importé adopté par
l’État. Le conflit découle d’une analyse simple, chaque système est nourrit par un mode de
fonctionnement et une logique qui lui sont propres. La cohabitation est animée pour reprendre
Hegel, par « un déni de reconnaissance »2589 mutuel. Un droit connus et reçu par tous, effectif
et efficace ne se proclame pas par décret et ne procède pas de la simple conclusion d’une
convention. Le « fétichisme législatif »2590 a encore récemment été illustré par l’avènement du
droit OHADA. L’unification du droit et de la justice entreprise est perçue par l’ensemble des
Etats de l’OHADA hier et aujourd’hui comme un élément d’intégration nationale et régionale.
Le droit écrit et formel semble certes contribuer à la modernisation considérée depuis les
indépendances comme un élément de l’effort global de développement, mais en partie parce
qu’il lui manque un ancrage social et culturel. Les législateurs africains semblent toujours
étrangers l’impérieuse actualité et conclusion en rapport avec l’érection des normes à laquelle
est parvenue François Gény lorsqu’il soutient que « le ‘’donné’’ (social) doit, par son essence
même, dominer le “construit” (juridique). Ce dernier [...] ne saura légitimement contredire ce
but [...]. II faut que l‘artifice s’efface devant ce qu’imposent la nature et la raison »2591. C’est
l’une des solutions pour éviter, réduire, mettre fin à l’acculturation juridique qui caractérise la
coutumisation du droit africain.

2. L’acculturation juridique des systèmes africains

616. L’Acculturation reste un phénomène complexe en raison du fait qu’il touche tous les
aspects de la société. Elle renvoie au phénomène de contact. Celui-ci est la rencontre entre
deux ou plusieurs groupes d’individus. Le terme acculturation est utilisé depuis 1880 par les
anthropologues nord américains. A l’origine, il servait en psychologie sociale pour nommer
l’apprentissage que faisait un enfant de sa propre culture. En anthropologie culturelle, le terme
acculturation désigne les contacts et interprétation que peut avoir les différentes cultures.

2589
Hegel cité par Mauley Colas, « Acculturation, logiques et représentations sociales des pratiques
juridiques », disponible sur www.academia.edu ; Voir aussi E. Leroy, « La face cachée du complexe normatif
en Afrique noire francophone », in Ph. Robert, F., Soubiran-Paillet, M. Van de Kerchove (éds.), Normes,
Normes juridiques, Normes pénales – Pour une sociologie des frontières, Tome I, CEE, L’Harmattan, Col.
Logiques Sociales, Série Déviance/GERN, 1997, pp. 123-138.
2590
Cf. Filip Reyntjens, « Le gacaca ou la justice du gazon au Rwanda », in Politique africaine n° 40, Décembre
1990, pp. 31-41 spéc. p. 41.
2591
F. Gény, Science et technique du droit privé positif, Paris, Sirey, 1911-1924, Tome 4, p. 60 (cité par Filip
Reyntjens, « Le gacaca ou la justice du gazon au Rwanda », Op. Cit.)

554
Dans son parcours théorique, ce concept a connu une sorte de péripétie au plan d’explication
conceptuelle qui ne concerne pas directement l’essentiel de notre analyse. Les définitions
proposées par les traditions de recherches2592 n’ont pas fait de l’unanimité. Cependant, le fond
commun reste et demeure le contact entre les groupes d’individus, dans le sens retenu par A.
Dupont cité par Mauley Caulas, le définissant comme « mouvement d'un individu, d'un
groupe, d'une société, même d'une culture vers une autre culture, donc un dialogue, un
enseignement, une confrontation, un mélange, et le plus souvent une épreuve de force »2593.
Par-delà la pluralité d’approches, il faut entendre par acculturation, « les phénomènes qui
résultent du contact direct et continu entre des groupes d’individus de culture différente avec
des changements subséquents dans les types culturels originaux de l’un ou des deux groupes
»2594. Ces contacts peuvent conduire de manière contraignante à imposer un modèle culturel à
une autre société. S’agissant de l’acculturation juridique celle-ci peut être définie en retenant
la perspective de la théorie du concept dégagée par M. Rouland comme « la transformation
globale que subit un système juridique au contact d'un autre, processus impliquant la mise en
œuvre de moyens de contrainte de nature et de degrés divers et pouvant, répondre à certains
besoins de la société qui la subit »2595. Transformation qui peut-être unilatérale (un seul des
droits se trouve modifié, ou même supprimé) ou réciproque (chacun des droits se modifiera au
contact de l’autre) »2596. Il est possible, selon le contexte dans lequel ce contact s’effectue, en
déceler toute une typologie. Celle-ci prend parfois la forme d’une réception par transfert de
droit 2597 mais dans le cadre africain il serait plus commode de parler de colonisation
juridique2598. En dépit de quelques agencements différenciés de l’acculturation juridique et de
quelques raffinements dont leur emploi pourrait s’accompagner, les processus de transfert de
droit ont tous pour résultat de masquer la réalité de la déculturation juridique qu’ils réalisent
2592
Les traditions de recherche auxquelles nous faisons allusions concernent respectivement l’approche
Etatsunienne et européenne du concept. V. particulièrement Michel Grenon, « La notion d'acculturation entre
l'anthropologie et l'historiographie », in La revue LEKTON, Acculturation, vol. 2, no 2, Québec, Automne 1992
pour l’approche Etasunienne et N. Rouland, Anthropologie juridique, Paris, PUF, Collection Que sais-je?, 1990,
n° 2528, p. 88 pour la conception européenne.
2593
Mauley Colas, « Acculturation, logiques et représentations sociales des pratiques juridiques », Op. Cit.
2594
Ibid.
2595
N. Rouland, L’anthropologie juridique, Op. Cit, p. 57. Sa théorie de l’Acculturation juridique dégage
l’explication des différents types de contacts juridiques, résultant du rapport entre les sociétés différentes en
relation et le choc que cela produit du point de vue culturel entre le système transplanté et le système préexistant.
2596
Ibid. p. 58.
2597
Le transfert de droit est l'opération par laquelle, avec ou sans contrainte, un droit est transmis d'une société à
une autre qui le reçoit. La réception d'un système juridique étranger par un système juridique autochtone peut
aboutir à la seule coexistence entre ces deux systèmes : souvent les communautés autochtones continuent à vivre
selon leur droit, le droit reçu n'étant appliqué que par les institutions étatiques de la société réceptrice. Voir M.
Alliot, « L'acculturation juridique », dans J. Poirier (dir.) Ethnologie générale, Paris, Gallimard, 1968, pp.
1180-1236.
2598
N. Rouland, Anthropologie juridique, Op. Cit., p. 296 et suiv ; « Les colonisations juridiques », Journal of
Legal Pluralism 1990, pp. 39 et suiv.

555
au détriment des droits traditionnels. La colonisation n’étant qu'une des modalités possibles
de l'acculturation juridique. Elle renvoie dans le domaine spécifique du droit, à un ensemble
des phénomènes qui résultent de ce que des groupes d'individus de cultures différentes entrent
en contact et des changements qui se produisent dans les patrons culturels originaux de l'un ou
des deux groupes2599.

L’opération de colonisation juridique en Afrique noire s’est réalisée principalement à


travers la rédaction des coutumes. Selon Norbert Rouland professeur d’Anthropologie du
droit, la rédaction des coutumes est une technique très ancienne, fréquemment mise en œuvre
lorsqu'un nouveau pouvoir se met en place. La France à la fin du Moyen Âge a connu ce
procédé2600. Le processus de la rédaction des coutumes françaises présente des similitudes
avec la rédaction des coutumes mis en œuvre dans les colonies françaises dès le début du XXe
siècle qui déboucha à la rédaction du Code civil Napoléon de 1804. En 1905, le gouverneur
Roume intime aux juges de rassembler les renseignements qui serviront de base à la rédaction
d'un coutumier général. La pluralité des coutumes africaines fut perçue comme symbole
d’anarchie, la règle coutumière considérée d’un niveau technique inférieur. Aussi a-t-il été
prescrit aux juges de rassembler les renseignements qui serviront de fondement à la rédaction
d'un coutumier général qui serait contenue dans un coutumier juridique de l'Afrique
Occidentale Française. Les juges devaient profiter pour donner aux coutumes africaines à la
fois la clarté qui leur fait défaut tout en procédant à une synthèse des divers usages qu'ils sont
amenés à constater. L’autorité administrative coloniale ira plus loin et ajoute que : « Notre
ferme intention de respecter les coutumes ne saurait nous créer l'obligation de les soustraire
à l'action du progrès, d'empêcher leur régulation ou leur amélioration. Avec le concours des
tribunaux indigènes eux mêmes, il sera possible d'amener peu à peu une classification
rationnelle, une généralisation des usages compatible avec la condition sociale des habitants
et de rendre ces usages de plus en plus conformes non point à nos doctrines juridiques
métropolitaines qui peuvent être opposées, mais aux principes fondamentaux du droit naturel,
source première de toutes les législations ». Le processus de rédaction a entrainé loin de
2599
R. Bastide, Anthropologie appliquée, Paris, Payot, 1971, p. 44-45 (citée par N. Rouland, Anthropologie
juridique, Op. Cit.)
2600
V. P. Ourliac, Coutume et Mémoire : les coutumes françaises au XIIIe siècle, Jeux de mémoire, Montréal,
1985, pp. 111-122. Le roi ordonna selon l’auteur, la rédaction officielle des coutumes sous le prétexte qu'il était
devenu de plus en plus difficile d'établir le contenu des coutumes face aux prétentions contradictoires des parties,
prétexte dont se saisirent les juges royaux en reprenant à leur compte l'idée de Raison invoquée par les
canonistes : l'office du juge est de contrôler la coutume afin de dégager clairement la règle et d'en faire une
application raisonnable. En fait, la coutume était devenue une arme des autochtones contre un juge imposé de
l'extérieur, par un pouvoir central. Dès lors, il devenait impératif pour la royauté de la faire passer sous son
contrôle. La rédaction officielle y pourvut, mais en même temps elle produisit souvent une déformation du droit
coutumier que l'on modifia pour mieux le « moderniser » au moment où on le couchait par écrit.

556
l’idée progrès véhiculée et défendue, conduit à un échec total fondé cumulativement sur la
politique évolutionniste et ethnocentristes et le manque de connaissances ethnologique des
enquêteurs2601. Loin de l’unification et la pseudo modernisation recherchée, il s’agissait de
réduire l’influence du droit traditionnel. En procédant de la sorte, la puissance coloniale n’a
fait que dégrader le tissu juridique et social africain.
Il a manqué à l’administration coloniale, le code culturel pour appréhender
juridiquement la valeur et les fondements de la coutume. La mauvaise interprétation ne s’en
est trouvée que renforcée et la coutume infériorisée parce mesurée à l’aune de la loi. Les
jurisconsultes coloniaux n’ont pas su identifier les concepts recteurs de la pensée juridique
africaine. C’est dire que, seule la compréhension de la logique des droits originellement
africains nous permettra de proposer les voies d’une meilleure articulation entre droits
africains et systèmes juridiques occidentaux si l’on veut réussir l’uniformisation et symbiose
du droit envisagée.

Paragraphe II. La compréhension de la logique des droits


originellement africains
617. Entre droits autochtones africains et droits modernes s’opposent deux logiques, deux
manières de voire le monde, de penser la cohésion sociale. Les deux systèmes ne fonctionnent
pas suivant la même logique. Chacun a la sienne et la revendique. Par logique il faut entendre,
la manière de raisonner, de voir le monde, d’appréhender les choses telle qu’elle s’exerce en
fait conformément ou non aux règles de la logique2602. Elle implique qu’il est nécessaire de
comprendre les acteurs en fonction de leur rationalité. Cela dit, qu’ils développent leur
stratégie, agissent et organisent leur environnement en fonction d’une cosmogonie
particulière, chaque catégorie d’acteur, est pour ainsi dire, définie en fonction de ce que M.

2601
Pour plus de détails sur les diverses tentatives de rédaction des coutumes en Afrique noire, voir E. Le Roy et
M. Wane, « La formation des droits « non étatiques » », dans Encyclopédie juridique de l'Afrique, vol. L’État et
le Droit, Dakar, Nouvelles Éditions africaines, 1982, p. 366-370 ; J. Poirier, « Le problème de la rédaction des
droits coutumiers d'Afrique noire », in Études de droit contemporain, Paris, Cujas, 1963, p. 111-123. Pour une
publication plus récente voir Barnabé Georges Gbago, « La fabrication du droit coutumier africain », référence
à chercher.
2602
Etienne Le Roy, Le jeu des lois : une anthropologie «dynamique» du Droit, coll. droit et société, Paris,
LGDJ, 1999, p. 91 cité par Mauley Colas, « Acculturation, logiques et représentations sociales des pratiques
juridiques », Op. Cit. C’est en fonction de cela qu’Étienne Leroy a établi la différence entre la logique
institutionnelle et la logique formelle. Voir spécifiquement E. Le Roy, « Logique institutionnelle et logique
fonctionnelle, de l'opposition à la complémentarité », in Stéphane Tessier (éd.), A la recherche des enfants des
rues, Union Européenne, Karthala, 1998, pp. 243-258 ; Michel Alliot, « Anthropologie et juristique. Sur les
conditions de l’élaboration d'une science du droit », in Bulletin de liaison du LAJP, n° 6, 1983, pp. 83-117. Le
Professeur Michel Alliot lui contrairement à E. Le Roy préfère distinguer les « logique des sociétés qui assument
elles-mêmes leur destin de la logique de celles qui s'en remettent à une autorité supérieure ».

557
Alliot appelle un archétype2603. Aussi, un processus d’uniformisation et de symbiose du droit
réussie ne saurait faire l’économie de la compréhension des logiques qui ont structuré et qui
dominent encore de nos jours le droit négro-africain. C’est le primat de la fonction sur les
êtres (A). Primat qui comme tout phénomène social et juridique, produit des conséquences sur
le mode de fonctionnement de la société dont il en est le reflet (B).

A. Le primat de la fonction sur les êtres

618. Entre la définition, le choix du droit, la vision qu’une société a d’elle-même et de


l’univers et par rapport à la logique selon laquelle ils sont organisés, il n’y a pas de frontière.
Ils permettent surtout et non seulement de rendre compte de la structure des institutions
concernées, mais également de leur place, apparente ou occultée, et partant de leur
signification 2604 . Autrement dit, le droit d'une société s'ordonne généralement autour des
domaines qu'elle tient pour vitaux. Dans les sociétés africaines, l’un de ces domaines est la
fonction du groupe, des individus dans le maintien de l’harmonie et la structuration sociale.
La fonction prime sur les êtres2605 tout en assurant une différenciation par sorte d’union des
contraires.

619. Généralement désignés par le vocable coutume, les droits originellement africains sont
constitués d'une grande diversité d'ordres juridiques2606. En dépit de cette pluralité, il existe un
fil d’ariane commun que l’on considérerait comme un caractère homogène propre à ces droits,
à savoir, le primat de la fonction. Selon M. Alliot, « les droits originellement africains ne
connaissent pas des êtres appelés à remplir des fonctions : c'est la fonction qui détermine les
êtres » 2607 . Cette position teinte de manière unique les droits africains, car le statut des
personne est déterminé par ce qui leur donne accès à certains droits, contrairement aux droits
occidentaux où les individus sont détenteurs de « droits invariables pour chacun et identiques
pour tous »2608, et ce, tout au long de leur existence. Les juges traditionnels par exemple
doivent réunir au moins comme souligné plus haut deux compétences : la compétence
linguistique et la compétence figurative. Cette prépondérance du statut attribué, du rôle joué
par la personne, chef du clan, du village, le patriarche héraut de la coutume n’est pas réduite

2603
Cf. Michel Alliot, « Anthropologie et juristique. Sur les conditions de l’élaboration d'une science du droit »,
préc.
2604
Ibid.
2605
A l’inverse les sociétés occidentales admettent le primat des êtres sur la fonction. Cf. M. Alliot, « La
coutume dans les droits originellement africains », in Bulletin de liaison du LAJP, n° 7-8, 1985, pp. 79-100.
2606
Cf. Rodolfo Sacco, Le droit africain : Anthropologie et droit positif, Paris, Dalloz, 2009, à la p. 73 (Extrait).
2607
M. Alliot, « La coutume dans les droits originellement africains », Op. Cit., p. 6.
2608
Ibid., p.7.

558
aux individus, mais s’étend aux choses et aux lieux. Le statut de l’objet sera ainsi déterminé et
variera selon les fonctions qu’ils remplissent et qui peuvent en faire de véritables titulaires de
droits. Ce n'est pas par abus qu'on parle du bois sacré, de la chaise ou des tambours du roi, ou
de la rivière sacrée, des objets de commandement, de l'arbre à palabre, des cases où siègent
les sociétés et confréries initiatiques. C’est également le cas des cadeaux offerts dans le cadre
de la dot et des objets magiques. En somme tous les biens n’ont pas le même statut. N.
Rouland en parle comme d’un : « (...) univers (qui) n'est pas un ensemble d'êtres, mais un
ensemble de fonctions qui déterminent des êtres »2609. De l’article 1er de la Charte du Kurukan
Fuga relatif à l’organisation sociale on peut lire que la société était divisée de la manière
suivante : « seize « Ton ta djon » ou porteurs de carquois ; quatre Mansa si » ou tribus
princières ; cinq « Mori Kanda » ou classes de marabouts ; quatre « Nyamakala » ou classes
de métiers ».

Si la place de la fonction assure l’identification du statut des individus, détermine sa


place dans l’échelle sociale, le primat de la fonction constitue également l’instrument par
lequel sont déterminés les rapports entre les membres du groupe. A titre d’illustration,
l'homme et la femme au sein de la communauté occupent des rôles économiques et sociaux
distincts, ce qui ne saurait leur ouvrir un accès à des droits identiques. Les rapports entre eux
seront donc dictés par les fonctions de l’un et de l’autre. On ne parlera donc pas des rapports
hommes-femmes, mais de celui entre le père et la mère, entre agriculteurs-agricultrices et les
chasseurs ou entre époux par exemple. De la division sexuelle de la société découle une des
divisions fonctionnelles les plus importantes2610. C'est encore la fonction qu'il faut prendre en
compte pour débuter les démarches en vue mettre en branle les modes de règlement des
conflits.

620. Le principe de l’union des contraires tel que présenté par M. Alliot est primordial à la
compréhension des droits africains. Dans la pensée occidentale, le monde ne devient cohérent
et ordonné qu’au moment où celui-ci est soumis à des lois destinées à l'encadrer et à le
régir2611. De sources extérieures, le droit provient soit de Dieu, de l’État ou de la Nature2612.
Fondée sur la pensée animiste, la coutume source des manières de faire, de dire, de vivre
procède inversement. C'est de l'intérieur que provient le mouvement interne de différenciation

2609
N. Rouland, Anthropologie juridique, Op. Cit., p. 191.
2610
Voir not. M. Alliot, « La coutume dans les droits originellement africains », Op. Cit. p. 11 ; Camille Kuyu
Mwissa, À la recherche du droit africain du XXIe siècle, Paris, Connaissances et savoirs, 2005, pp. 86 et s.
2611
Ibid., p. 18.
2612
Ibid.

559
conduisant à la cohésion du groupe et du monde. Pour le dire autrement, le principe de l’union
des contraires et ses caractéristiques 2613 s’articule autour du principe de la différenciation.
Dans les cosmogonies africaines, différenciation continue et cohérence de la création vont de
pair : les différences rendent solidaires, la division sociale est conçue en termes de
complémentarité 2614 . L’unité des membres du groupe est fondée sur la diversité de leurs
statuts. La différenciation à laquelle ces sociétés sont parvenues n'est que le prolongement
d'une unité qui refuse l'uniformité. Les sociétés africaines sont marquées par une forte
tendance à la différenciation : agriculteurs, chasseurs, pêcheurs, éleveurs, travailleurs du
métal, de soldats, traditionalistes, de gens de pouvoir etc., tous liés par la complémentarité de
leurs activités professionnelles. Les groupes ainsi différenciés vivent les uns par les autres. Le
statut social dépend de la fonction exercée. Et le statut individuel gagne en importance qu'on
avance en âge, qu'on est marié (et, pour un homme, polygame), qu'on est à la tête d'un
lignage.

621. La création par différenciation progressive entraîne la reconnaissance officielle de la


pluralité des normes, mais surtout la source interne du droit. La règle juridique coutumière
tient sa source des groupes humains, de l’activité des groupes fonctionnels et de leurs
différentes interactions. La coutume est d’abord en ce sens pratique, vécu avant d’être source
de règles juridiques. La juridicité « se construit donc à partir d’une formalisation, d’une
consécration »2615, le droit, issu des pratiques et créé par les sociétés à partir de celles-ci. La
diversité des statuts juridiques et la diversité des statuts est le principe. On peut dès lors
comprendre la méfiance ressentie par ces sociétés à l'égard des législations coloniales
uniformisantes et pérennisées par les Etats2616.

2613
La première est la spontanéité du mouvement. L’absence d’un phénomène d'imposition des normes par une
force extérieure mène à la recherche de consensus et de solution à l'intérieur du groupe. Par ailleurs, cette vision
mène nécessairement à une définition différente de ce qu'est le droit. La deuxième est la différenciation
progressive. La différence et la diversité sont des richesses, elles assurent la cohésion d'une société où chacun
des individus, malgré sa différence, a besoin des autres pour survivre. Elle s'exprime aussi au niveau politique,
où la présence de plusieurs chefs ayant des pouvoirs propres permet d'éviter le despotisme. La conjonction des
différences représente la troisième caractéristique. Voir M. Alliot, « La coutume dans les droits originellement
africains », Op. Cit., et N. Rouland, Anthropologie juridique, Op. Cit., p. 191 et suiv.
2614
Un mythe de fondation d'un village Bambara raconte que le village date du jour où deux frères décidèrent de
devenir l'un forgeron, l'autre paysan : l'unité exigeait une interdépendance, l'un ne pouvant produire lui-même sa
nourriture, l'autre ses instruments. La morale : il faut se différencier pour être unis, l'unité résulte de la
différence.
2615
Maty BB-Laye Diakhaté, « Renaissance africaine : l’environnement juridique », Afrique et
développement, Vol. XXXIX, No. 2, 2014, pp. 117-131.
2616
Ibid. p. 66.

560
En définitive, le primat de la fonction procède des « logiques fonctionnelles » 2617 ,
contrairement aux « logiques institutionnelles » privilégiées par les sociétés complexes
notamment occidentales. Chaque société pense sa régulation selon des principes qui, par leur
originalité, individualité fondent son identité. C’est donc dire pour ce qui est du phénomène
juridique, imposer une logique juridique ou des lois à une population à laquelle celle-ci n’a
pas participé, n’a pas été destinée et étrangères aux réalités socioculturelles de ses
destinataires, a conduit inévitablement à un mode de fonctionnement parallèle, une sorte de
négation des logiques à laquelle participe les deux systèmes juridiques : système dit officiel et
le système adopté et pratiqué par la population. Aussi, la logique fonctionnelle basée sur
l’union par la différenciation a-t-elle imprimé une marque indélébile sur le mode de
fonctionnement des sociétés africaines.

B. Reflet du primat sur le mode de fonctionnement des sociétés traditionnelles


africaines

622. Les forces de cohésion aussi puissantes que celles qui aboutissent à la différenciation
ont conduit les sociétés africaines à adopter le communautarisme. La différenciation telle que
soulignée à conduit à l'union des contraires. La cohésion est retrouvée grâce à la
communautarisation. Le modèle sociétal communautariste valorise le pluralisme pour tendre à
la complémentarité, à la fois entre les communautés et entre les groupes et les individus2618.
C'est le cas de la tendance des lignages à constituer des communautés sous des formes très
diverses. Ce processus de communautarisation est à l'œuvre partout dans les droits
originellement africains, à la fois réel et idéologique 2619 . Le communautarisme s'efforce
d'établir entre l'individu et le groupe des relations équilibrées : le groupe doit être constitué de
telle sorte qu'il permette aux individus de s'épanouir à travers lui. L’anthropologue du droit N.
Rouland choisit de nommer les ensembles sociaux élaborés « communautés »2620. Sur la base
de ce modèle communautariste ajoute l’auteur, les divisions sociales, politiques et juridiques
sont interprétées comme normale, complémentaires et intégrées 2621 . Pour Michel Alliot la
communauté est caractérisée par trois niveaux de partage. Partage d'une même vie dont l’unité
de la langue, des ancêtres et divinités, l’ espace de vie en constitue les caractéristiques ;
partage de la totalité des spécificités axée sur la valorisation des hiérarchies que l'égalité ;

2617
La distinction conceptuelle entre « logique institutionnelle et logique fonctionnelle » se réfère à un couple de
concept popularisé par les membres du Laboratoire d'Anthropologie Juridique de Paris.
2618
N. Rouland, Anthropologie juridique, Op. Cit. p. 203.
2619
M. Alliot, « La coutume dans les droits originellement africains », Op. Cit. p. 11.
2620
N. Rouland, Anthropologie juridique, précit, p. 204.
2621
Ibid., p.127 et suiv.

561
partage d'un champ décisionnel commun 2622 . La complémentarité des communautés est
l’identité remarquable de ce mode de fonctionnement.

623. Avoir à l’esprit les valeurs juridiques occidentales et africaines, la compréhension des
logiques juridiques présentes à la fois dans les droits africains et occidentaux, pour être en
mesure de déterminer ce qui les oppose et ce qui les réunit consistait le préalable à toute
œuvre d’unification ou d’uniformisation des phénomènes juridiques. Elles permettent de
surmonter d’éventuels obstacles et donner des possibles orientations sur lesquelles se
fonderaient un processus d’hybridation du droit dans lequel les populations, le justiciable, les
opérateurs économiques tant nationaux, qu’internationaux se retrouveraient. L’objectif étant
celui de garantir une protection effective des droits que les particuliers tirent du droit
applicable, la garantie efficace du droit à la justice.

SECTION II. L’UNIFORMISATION PAR L’EMERGENCE D’UN DROIT NOUVEAU,


HYBRIDE, SYMBIOTIQUE RÉPONDANT AUX EXIGENCES DU DÉVELOPPEMENT
ÉCONOMIQUE ET ASPIRATIONS DES POPULATIONS

624. Le droit est un instrument d’organisation et de régulation sociale. Le problème de la


confrontation entre des systèmes juridiques différents dans nos Etats est connu. Il s’est aussi
posé dans d’autres pays comme l’Allemagne et l’Italie. Le droit étant indiscutablement lié à la
culture, il faut arriver dans le système juridique camerounais à l’unifier. Unifier pour garantir
suffisamment le droit à la justice, à la fois du point de vue normatif que de l’espace qui le
constitue. Cela appelle une autre manière de voir la chose juridique. Au monisme juridique
occidental du droit et de l’organisation judiciaire, il faut y substituer une approche
interculturelle et plurale du droit 2623 fondée sur une représentation plurale du monde pour
affirmer le multijuridisme 2624 . Bref un modèle fondé non plus sur un « pluralisme de
subordination », mais sur le pluralisme juridique de fusion, un dialogue équilibré, une
meilleure articulation entre droits autochtones africains et cultures juridiques occidentales,
réconcilier le droit légal, officiel et le droit réel, officieux, pour s’inscrire dans une logique de
promotion de la complémentarité et non l’opposition des juridicités. L’uniformisation du droit
issue du Traité de Port Louis, vaut certes son pesant d’or, mais la science du droit produite

2622
Ibid., p. 205.
2623
Cf. E. Le Roy, « Bricolages anthropologiques pour promouvoir en Afrique et ailleurs, un dialogue entre
univers juridiques », Op. Cit.
2624
Voir E. Le Roy, « L’hypothèse du multijuridisme dans un contexte de sortie de modernité », in Andrée
Lajoie et ali, Théories et émergence du droit : pluralisme, surdétermination et effectivité, Montréal, Thémis,
1998, p. 29.

562
jusques là est plus orientée vers l’extérieure que vers l’intérieure2625. La conception du droit
actuellement applicable est fondée sur une philosophie idéaliste alors que celles des droits
traditionnels africains est réaliste2626, ancré dans le vécu des populations. La visée de cette
démarche est de promouvoir un dialogue entre les différents univers et cultures juridiques
vécus par les africains et apprendre à les conjuguer.

Pour cette autre approche d’hybridation du droit, il faut disposer d’un modèle, de
critères permettant une combinaison des dispositifs endogènes et exogènes et une pratique des
modes de résolution des conflits le plus proche possible des besoins au quotidien. Aussi, dans
un souci d’optimiser conséquemment l’efficacité de l’OHADA et de toute l’œuvre
communautaire, les besoins qui tournent autour de la nécessité de la sortie d’une
occidentalisation du droit et de la justice pour la conjugaison de logiques à l’origine
antinomiques par la définition de politiques juridiques d’authenticité (Paragraphe I) et
articuler autrement le système juridictionnel (Paragraphe II).

Paragraphe I. La conjugaison de logiques à l’origine antinomiques par la


définition de politiques juridiques d’authenticité
625. Le continent africain peine énormément sous divers fléaux, diverses questions d’ordre
juridique, sociale, qui ruinent l’existence et le développement de ce continent. La question du
développement2627 est inscrite au cœur de toutes les réformes juridiques aussi bien mineures
que majeures intervenues en Afrique depuis les indépendances. Une renaissance
juridique africaine2628, qui tiendrait davantage compte de la juridicité propre à ce continent
reste possible. Le droit qui en émergerait serait plus efficace que les plans de développement
jusqu'ici largement calqués sur les modèles occidentaux. C’est cette démarche que nous
qualifions ici d'attitude consistant dans la définition de politiques juridiques dites d' «
authenticité »2629, consistant non pas à revenir au passé précolonial, ce qui serait certainement
impossible mais à adapter les solutions juridiques à l’environnement et aux objectifs qui leur
2625
V. not., sur le droit de l’OHADA et ancrage culturel africain, Vicaire Bepyassi Ouafo, « Le droit issu de
l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires et les sociétés africaines : regard critique
sur une illustration du déni de l’essence culturelle du droit », in Les cahiers du droit, Vol. 61, Numéro 3,
Septembre 2020, p. 777-823.
2626
Sur la distinction entre les philosophies du droit idéaliste et réaliste, voir Bruno Ribes et ali, Domination ou
partage ? Développement endogène et transfert des connaissances, Paris, UNESCO, 1980.
2627
Le développement ne se réduit pas à la simple croissance économique. Pour être authentique, il doit être
intégral, c'est-à-dire promouvoir tout homme et tout l'homme disait PAUL VI, Encyclique Populorum
Progressio, cité par N. Rouland, Aux confins du droit. Anthropologie juridique de la modernité, Op. Cit., p. 171.
Le mot tout d'abord. Sur les aspects relatifs anthropologiques du terme voir N. Rouland, Anthropologie
juridique, Op. Cit. p. 185 et suiv.
2628
Maty BB-Laye Diakhaté, « Renaissance africaine : l’environnement juridique », Op. Cit.
2629
N. Rouland, Anthropologie juridique, Op. Cit., p. 384.

563
sont assignés. Pour y arriver il faut respectivement établir un dialogue entre droits africains et
droits européens (A), et assurer la promotion du dialogue entre cultures juridiques
occidentales (B) gage d’un pluralisme juridique de fusion. S’il n’existe pas de système
juridique « moderne » typiquement camerounais, une approche au sein de ce système
juridique de la diversité des cultures juridiques, adossée à un corps de valeurs communes,
peut être développée. Mais avant d’y arriver, revenons quelque peu brièvement sur le concept
de pluralisme juridique, notamment sa définition anthropologique2630.

626. Les théories du pluralisme juridique s’inscrivent en faux contre les postulats qui lient
et établissent l’existence du droit directement en rapport à l’Etat, traduction de la théorie
Kelsenienne réservant à l’Etat le monopole de l’expression juridique. De l’avènement de
l’Etat moderne, pouvoir supérieur à tout autre résulte ainsi une sorte de « cannibalisation de
la notion de droit au profit des règles étatiques »2631. Alors l’Etat s’accapare la prérogative de
la production juridique sur son territoire et à l’égard de sa population auquel il subordonne les
autres formes de régulation sociale. Le droit serait ainsi dépourvu de tout ancrage culturel. Il
faut dire que le droit de l’Etat s’efforce de cacher chaque jour encore un peu plus les systèmes
de producteur des normes qui ne mettent pas en avant le législateur, qui se distinguent de lui
en assurant d’une autre manière la régulation des rapports sociaux, le fonctionnement de la
société 2632 . L’Etat n’étant pas la seule organisation sociale, il ne saurait revendiquer le
monopole de la production du droit. La naissance de groupes organisés à la fois au-delà2633 et
en deçà de l'État secrétant leur propre droit, confirmant ou infirmant le droit étatique en est

2630
Développée dans les années 1960 par l’anthropologie juridique dans le but de rendre adéquatement compte
de la persistance d'un système juridique autochtone aux côtés du droit occidental, la notion de pluralisme
juridique fait l'objet de nombreux débats et de nombreuses redéfinitions qui en font aujourd’hui, un concept
polysémique. Pour s’en rendre compte, une l’abondante analyse pluridisciplinaire lui est consacrée. Cf. Paul
Schiff Berman, « Le nouveau pluralisme juridique », in RIDE, 2013/1 (t. XXVII), pp. 229-256 ; Boris
Barraud, Théories du droit et pluralisme juridique, Tome I Les théories dogmatiques du droit et la fragilité du
pluralisme juridique, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, PUAM, 2016 ; D. Terré, « Le pluralisme et le
droit », Arch. phil. Droit 2005, p. 71 ; A. Reszler, « Le pluralisme comme phénomène social : quelques
remarques préliminaires », in L. Fontaine, (dir.), Droit et pluralisme, Nemesis-Bruylant (Bruxelles), coll. Droit
et justice, 2007, p. 17 et suiv. ; Luigi Graziano, « Le pluralisme. Une analyse conceptuelle et comparative », In:
Revue française de science politique, 46ᵉ année, n°2, 1996. pp. 195-224, disponible en ligne en format pdf sur
https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1996_num_46_2_395051; E. Le Roy, « Pourquoi en Afrique, « le
droit » refuse-t-il toujours le pluralisme que le communautarisme induit ? », Op. Cit.
2631
Boris Barraud, « L’échelle de juridicité : un outil pour mesurer le droit et fonder une théorie syncrétique
(première partie présentation) », Archives de philosophie du droit, Op. Cit., p. 365 et suiv.
2632
N. Rouland, Aux confins du droit. Anthropologie juridique de la modernité, Op. Cit., p. 134 et s ; E. Piccoli,
G. Motard, & C. Eberhard, (2016), « Présentation : les vies du pluralisme, entre l’anthropologie et le droit »,
Anthropologie et Sociétés, 40, (2), 9-23, https://doi.org/10.7202/1037509ar.
2633
L’ordre juridique étatique s’incline devant des ordres supra-étatiques. Par exemple les ordres juridiques
africain, européen ou international, ou encore les « codes de conduite » des multinationales. Grâce à leur
transnationalité, ceux-ci jouissent d'une souveraineté normative qui leur permet de négocier avec les États de
souverain à souverain, et non de sujet à souverain.

564
l’illustration. Le pluralisme juridique permet donc de dépasser la problématique de l'État de
droit2634 en affirmant que l'État n'a le monopole de la production que de son droit, le droit
officiel. Si le droit étatique est le seul parfois à bénéficier d’une existence réelle, l'État de droit
ne serait qu'une illusion2635. L'anthropologie rend donc caduque, la vision classique de l'État
de droit, qui s'épuise face au monisme juridique occidental, et en propose une théorie
pluraliste qui rend mieux compte d'une limitation de l'État par le droit ou, plus exactement, les
droits2636.

627. L’utilisation du terme « pluralisme » dans la théorie libérale classique est presque
toujours associée au pluralisme axiologique ou sociologique. La vision pluraliste de la société,
de la culture traduira une vision pluraliste de la personnalité humaine. Bien que s’inscrivant
dans une logique connexe, le terme de « pluralisme juridique » 2637 fait appel à une
signification relevant d’un autre ordre. Il repose en premier lieu sur le caractère porteur de
l’imagerie associée au terme pluralisme et vise à mobiliser tout son potentiel symbolique. Le
pluralisme de façon générale définit l’état de ce qui est pluriel, multiforme, ou encore la
coexistence dans un même milieu de plusieurs phénomènes d’un même ordre2638. En ce sens,
il peut se rattacher aux valeurs ou aux caractéristiques personnelles. Lorsqu’on lui accole
l’épithète « juridique », on vise à transposer ce contexte analytique au monde juridique. A
l’heure actuelle, on ne peut parler d’unanimité en ce qui concerne la définition du pluralisme
juridique. Néanmoins, comme l’écrit le Doyen J. Carbonnier, il peut être considéré comme
une constatation selon laquelle, « la diversité a envahi le milieu juridique »2639. Il s’agit donc
de la situation où coexistent plusieurs systèmes juridiques dans un même milieu. En d’autres
termes, le pluralisme juridique vise la coexistence de plusieurs ordres normatifs au sein d’une
même unité d’espace et de temps. Le type de situation à laquelle fait référence le pluralisme
juridique s’oppose donc à celui où seul un ordre normatif, généralement celui émanant de
l’Etat, est présumé exister et régir les rapports sociaux. Comme il y a plus d’une définition du
droit dans la maison du droit, la définition du pluralisme juridique en Anthropologie du droit
est aussi plurielle. Pour P. L. Van den Berghe (1973) cité par Norbert Rouland, le pluralisme
2634
Concept qui en passant dans le cadre africain mérite d’être repensé, endogèneiser. Il serait plus logique de
parler de l’ « Etat des droits » au vu du pluralisme revendiquer par les sociétés africaines.
2635
N. Rouland, Aux confins du droit. Anthropologie juridique de la modernité, Op. Cit., p. 135.
2636
Ibid., p. 136.
2637
Cf. Jean-Guy Belley, « Pluralisme juridique », in André-Jean Arnaud (dir.), Dictionnaire encyclopédique
de théorie et de sociologie du droit, Paris, LGDJ, 2ème édition 1993, p. 443.
2638
Le Robert dictionnaire de langue française définit le pluralisme comme étant, « un système admettant
l’existence d’opinions politiques et religieuses, de comportements culturels et sociaux différents, au sein d’un
groupe organisé ; la coexistence de ces divers courants ». Nouveau Petit Robert, Paris, Les dictionnaires le
Robert, 1993, à la page 1704.
2639
Jean Carbonnier, Flexible droit, Op. Cit., pp. 16 et s.

565
correspond « au caractère, ou à un ensemble de caractères de sociétés où plusieurs groupes
sociaux et/ou culturels coexistent à l'intérieur d'une même société organisée, et sont rendus
interdépendants par un système économique commun, mais qui maintiennent un degré
d'autonomie plus ou moins important, et possèdent un ensemble de structures institutionnelles
distinctes dans les autres sphères de la vie sociale, notamment dans les domaines de la vie
familiale, des loisirs et de la religion »2640. Pour J. Vanderlinden, le pluralisme juridique est
« la situation, pour un individu, dans laquelle des mécanismes juridiques relevant
d’ordonnancements différents sont susceptibles de s’appliquer à cette situation » 2641 . La
conception de Griffiths est encore plus précise. Le pluralisme juridique désigne les situations
dans lesquelles coexistent plusieurs systèmes juridiques ou plusieurs ensembles de règles et de
normes contraignantes répondant à une situation identique, possédant chacun leur logique
propre et chacun leur source de légitimité, et ce à l'intérieur d'un même champ social2642. Il
s’agit aussi de la coexistence au sein d’un même Etat, des sources étatiques et des sources
privées de règles de droit. La théorie du pluralisme juridique s’oppose en effet à la théorie
uniformiste du droit, au centralisme juridique 2643 , perspective selon laquelle seul existe le
droit de l’Etat à l’exclusion de tout autre. Il postule la multiplicité de droits à l'intérieur d'un
même champ social. Chaque champ social n'étant pas de manière identique et uniformément
régi par un seul droit.

A. Le dialogue entre droits africains et droits européens

628. Les évolutions qui caractérisent la globalisation emportent une transformation du


droit. Il faut donc en ce sens créer des interactions pour arriver à un langage juridique
commun. Hybrider le droit, faire coopérer, croiser les systèmes, les concepts et les cultures
juridiques pour donner naissance à des institutions et instruments juridiques nouveaux. Créer
un sain dialogue entre les différents systèmes juridiques présents dans le système juridique
camerounais est un processus plutôt complexe et nécessite de prendre en compte une double
dynamique : le respect de la vision africaine du droit et de la justice (1), et l’introduction de
concept occidentaux compatibles avec les particularités commune au droit ancien (2).

2640
N. Rouland, Anthropologie juridique, Op. Cit., p. 83.
2641
Jacques Vanderlinden, « Vers une nouvelle conception du pluralisme juridique », Revue de la
recherche juridique. Droit prospectif, vol. 18, n° 2, 1993, pp. 573-583, spéc. p. 583. Définition de l’auteur issue
de la réfutation de la première dans laquelle l’auteur définissait le pluralisme juridique comme : « Le pluralisme
juridique est l’existence, au sein d’une société déterminée, de mécanismes juridiques différents s’appliquant à
des situations identiques ».
2642
John Griffiths, « What Is Legal Pluralism », Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, 24 : 1-55.
2643
Ibid.

566
1. Le respect de la vision africaine du droit

629. Le droit, les institutions et la fonction qu’il incarne sont enchâssés dans des logiques.
Et celles-ci sont fonction du type de société. La pluralité de logique est fondamentale et
inhérente à toute société. Au sein des sociétés modernes, comme dans les sociétés
traditionnelles (qualifiées de sous-développées), on assiste à une pluralité de logiques qui
dessinent la vie pratique des gens. Cependant, les sociétés dites modernes n’appréhendent pas
ce fait de la même manière que les sociétés traditionnelles 2644 . Deux logiques ont donc
tendance à s’affronter. La logique du droit occidental, logique institutionnelle, est matérialisée
par l’institutionnalisation de la justice mise en place par l’Etat, à laquelle est associée à
l’archétype de la soumission du Professeur Michel Alliot2645, caractérisée par l’extériorisation
des contraintes et des balises auxquelles les citoyens doivent se soumettre. Le terme
institution doit être compris ici dans le sens de l’action d’instituer, la chose instituée. Selon
des lexicographies de langue française, instituer c’est établir officiellement dans une charge
ou dans une fonction, établir de manière durable. La logique institutionnelle, fonde ses actions
sur l’intérêt général, imposée par l’Etat au détriment de la logique des acteurs ou des citoyens.
A la logique institutionnelle, principe de cohérence fondé sur la civilisation chrétienne2646 qui
tient pour seule légitime l'intervention d'une instance extérieure, s’oppose la logique
fonctionnelle, constituant les logiques des populations cibles, fondées sur les acteurs qui selon
E. Leroy, « sont des logiques, de nature fonctionnelle, avec leurs fondements professionnels,
éthiques, religieux […] »2647. Le terme fonction connote d'une part, l’idée d’action, d'autre
part, l’idée de relation 2648 . Comme action, il désigne comme souligné plus haut, le rôle
caractéristique d'un élément ou d'un organe dans un ensemble, dans un groupe donné. Il décrit
l'exercice d'un emploi et, deuxièmement, le rôle d'une chose dans un ensemble. Dans le
registre de la relation, la fonction est ce qui dépend de quelque chose, ce qui met en évidence
une association entre divers éléments et ses conséquences. Et la réalité du droit en Afrique
montre que l’essentiel des populations se conforment à cette logique fonctionnelle et refuse,
d’une manière ou d’une autre, dans la majorité des cas, la logique juridique et judiciaire

2644
N. Rouland, Anthropologie juridique, Op. Cit., p. 343.
2645
Michel Alliot, « Anthropologie et juristique. Sur les conditions de l’élaboration d'une science du droit »,
Op. Cit.
2646
Cf. Michel Alliot, « L'acculturation juridique », Ethnologie générale, Op. Cit., p.119 et s.
2647
E. Le Roy, Le jeu des lois : une anthropologie «dynamique» du Droit, coll. droit et société, Paris : LGDJ,
1999, p. 98 (cité par Mauley Colas, « Acculturation, logiques et représentations sociales des pratiques
juridiques », Op. Cit.)
2648
E. Le Roy, « Logique institutionnelle et logique fonctionnelle, de l'opposition à la complémentarité », Op.
Cit.

567
institutionnelle c'est-à-dire la logique de l’Etat2649. Les logiques fonctionnelles concrétisent le
primat de la fonction sur l’institution. Le rejet de la logique institutionnelle par la population
dans les cas de transfert ou de colonisation juridique d’un pays à un autre s’explique et réside
simplement dans le fait que celle-ci, non seulement n’est pas ancrée dans l’imaginaire
populaire, mais ne répond non plus à leurs besoins ; elle est plutôt décevante et ne comble pas
leurs attentes car éloignée de leurs réalités culturelles. Ce qui fait du droit traditionnel
africain, un droit statutaire. La logique étatique et la logique du peuple procède chacune de
représentations sociales qui sont le substrat propre à chacune d’elle. Logiques et
représentations sociales 2650 sont donc des marqueurs irréductibles de la manière dont une
société pense son « droit », les règles qui président à la régulation des rapports sociaux. Les
représentations sociales orienteraient ainsi le comportement des membres d’une société
donnée, justifié par un enracinement social particulier. Elles constituent des valeurs qui
déterminent les individus et leurs actions. Ce qui fait des règles juridiques qui en sont issues,
des principes indubitablement inscrits dans le schème représentatif social d’un peuple donné.
Droit et justice sont et nous l’avons déjà souligné, des construits de la cosmovision d’un
peuple donné. La maxime juridique latine Ubi societas, ibi ius tient ainsi tout son sens. Si
toute société connait le droit, chacune le voit différemment.

630. Comment alors concilier, dans un seul et même ordre étatique, des principes qui
entrent en conflit, procèdent de logique antinomique parce que provenant de réalités
sociologiques différentes et éloignées ? L’enjeu fondamental étant d’africaniser le droit, il faut
plus que jamais, ouvrir le droit occidental importé à l’altérité, promouvoir un dialogue entre
les cultures juridiques camerounaises traditionnelles et vécues en Afrique. Ce qui
présentement, est loin d’être le cas du fait de la supériorité imposée plus que justifiée du
modèle occidental sur le droit endogène. Le droit en Afrique, au Cameroun n’est pas tant ce
qu’en disent les textes, mais plutôt ce qu’en font les acteurs. Par conséquent, en raison de ses
particularismes, le développement du nouveau droit camerounais ou africain, devrait
aujourd’hui être fondé sur le respect de la vision africaine du droit. La vision du droit fondée

2649
Mauley Colas, « Acculturation, logiques et représentations sociales des pratiques juridiques », Op. Cit.
2650
Une représentation sociale selon S. Moscovici, « est un système de valeurs, d’idées et des pratiques qui a
deux fonctions: premièrement, établir un ordre selon lequel les individus seront capable de s’orienter dans leur
monde matériel et social et de le diriger ; deuxièmement, d’avoir une capacité communicationnelle afin de
prendre place dans une communauté d’adhérents en les pourvoyant un code pour les échanges sociaux, un code
pour nommer, classifier sans ambigüité les divers aspects de leur monde et de l’histoire de leur groupe
d’individus ». S. Moscovici (cité par Mauley Colas, « Acculturation, logiques et représentations sociales des
pratiques juridiques », Op. Cit.) Voir aussi, M. Abdoulaye Fall, « Décoloniser les sciences sociales en Afrique
», Journal des anthropologues, 2011, pp. 124-125, mis en ligne le 01 mai 2013, consulté le 19 avril 2019 sur
http://journals.openedition.org/jda/5874.

568
et caractérisée par une vision de la vie où tout est lié ; la vie et le surnaturel, les
comportements humains et les phénomènes naturels, le pouvoir et le sacré. Les traditions
africaines sont essentiellement fonctionnelles, basées sur le rôle central joué par le groupe
dans ses diverses formes, communauté, village, clan, famille. Ce qui fait du droit traditionnel
africain, un droit fondé sur la pratique, un droit des pratiques. C’est dire qu’il faut de notre
point de vue fondre la logique institutionnelle du droit occidental dans la logique
fonctionnelle du droit endogène, pour faire jouer la complémentarité et rendre le droit aux
acteurs, à ses destinataires. L’opposition résidant essentiellement dans leur mise en œuvre.
Pour le dire autrement, le nouveau droit doit être fondé sur les pratiques et la flexibilité.
Pratiques, parce que non seulement le monopole du discours juridique exercé par l’Etat depuis
les indépendances, n’a pas empêché mais au contraire déterminé et renforcé le recours des
populations aux modes juridique endogènes2651, mais surtout s’il peut être associé dans le but
d’arriver à de nouvelles expressions culturelles et coutumes qui puissent favoriser « les
réappropriations », permettre de se réapproprier l’essence et la philosophie authentiques des
coutumes africaines, désormais « coutume urbaine » 2652 . Par pratiques, il ne faut pas
restrictivement entendre « manière concrète de faire »2653 mais également consensus2654. Les
sociétés africaines étant formées sur des valeurs et principes sacro saints de solidarité et
d’harmonie, il n’est donc pas étonnant que la recherche du consensus guide la détermination
de règles applicables à une situation nouvelle non régie par les règles coutumières existantes.
Ce consensus est quelque part un produit des différentes valeurs traditionnelles sur lesquelles
fonctionnent les différents groupes ethniques qui composent la société africaine. Flexibilité
aussi. La coutume africaine a faussement été qualifiée d’immuable. Souplesse et innovation
peuvent y jouer plus librement. Pour l’essentiel, le droit traditionnel africain est constitué de
normes souples, conçues pour s’adapter à des situations changeantes et très souvent
singulières. Dans la majorité des cas, les règles juridiques sont posées dans le but de servir
d’orientation au comportement plutôt qu’à commander. Un droit qui indique plus qu'il ne
prescrit. Il repose sur l’autodiscipline, l’auto-responsabilisation de ses destinataires, renvoyant
chaque membre du groupe, de la communauté à sa liberté et à sa responsabilité, la paix,
justice. Cette valeur prédominante de paix, de justice pourrait être appréhendée de nos jours
2651
Voir Enquête dans les villes de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso, Op. Cit.
2652
Jacques Vanderlinden, « Villes africaines et pluralisme juridique », in Journal of Legal Pluralism and
Unofficial Law, 42, 1998, 245-274.
2653
E. Le Roy, « L'esprit de la coutume et l'idéologie de la Loi (Contribution à une rupture épistémologique
dans la connaissance du Droit africain à partir d'exemples sénégalais contemporains) », Op. Cit., spéc. p. 230.
2654
Juridiquement, le consensus est défini « comme un accord informel proche de l’unanimité, une convergence
générale des opinions (au sein d’un groupe) ou dans l’opinion publique en faveur d’une politique ou d’une
réforme; c’est un assentiment tacite quasi générale ». G. Cornu, Vocabulaire juridique, Op. Cit., p.204.

569
comme l’assurance à chaque individu les moyens de participer au bien-être collectif. A ces
caractéristiques il faut y adjoindre celle de précision et de rigueur auxquelles il faut donner un
contenu, préciser ce qui est du droit et hors du droit, faire des choix.

L’application du droit y est flexible. Les juristes classiques ont déjà été réticents vis-à-
vis de ce caractère du droit qu’ils jugé ne pas être un « véritable » droit2655, de perdre de sa
netteté et dénoncé un droit « mou ». Le droit flexible, pensait J. Carbonnier, devait savoir se
montrer tolérant et admettre les écarts. Il lui fallait savoir demeurer ferme tout en étant ouvert
et souple pour laisser place à l’individu et à sa singularité 2656 . Pour donc rendre ce droit
hybride aux acteurs, partout où c'est possible, il faudrait viser à ce qu'il recommande plus qu'il
n'ordonne. En ce sens, les pratiques législatives occidentales les plus récentes postulent déjà
de ces conceptions. Le droit peut ainsi s'inspirer d'un droit conçu comme un modèle plutôt que
comme une sanction, et introduire la souplesse dans son incarnation. C'est le sens des lois-
cadres, lois-programmes et lois d'orientation ; des lois qui prévoient elles-mêmes qu'elles ne
sont promulguées que pour une période d'essai au terme de laquelle elles pourront être
remises en question. Cette conception du droit correspond à la fois à la mentalité
traditionnelle et à la modernité2657. Le droit doit être effectif. Mais il ne s'applique mieux et
plus vite que lorsque son observation procède de l'adhésion plutôt que de la contrainte. En
somme, ce n'est pas en termes supériorité de logique institutionnelle contre logique
fonctionnelle qu'il faut concevoir ce dialogue entre culture juridique endogène et culture
juridique occidentale, ou de respect de la vision africaine du droit, mais celle de
complémentarité, d’une hybridation des logiques. Il faut ainsi convenir avec le Professeur E.
Leroy que trop de logique institutionnelle, de régulation juridique dans sa version légale et
étatiste éloigne le justiciable de la norme2658. L’usage de la logique fonctionnelle permettrait
rapprocher la norme des besoins des ses utilisateurs. Il s’agit en conclusion pour reprendre à
notre compte les propos de Maty BB-Laye Diakhaté, de « retrouver l’esprit, la sève qui
irrigue les liens sociaux afin de concevoir les outils juridiques du XXIe siècle » 2659 et
décoloniser les sciences sociales en Afrique en se réappropriant l’idée des pratiques et pensées

2655
Pour plus de détails sur les questions relatives au flou du droit, au droit « mou » Cf. M. Delmas-Marty, Le
Flou du droit, Paris, PUF, 1986.
2656
S. Andrini et A. J. Arnaud, Jean Carbonnier et la sociologie du droit. Archéologie d’une discipline, Paris,
LGDJ, 1995, p. 90 (repris par Jean-Jacques Sarfati, « Des limites de l'idée du droit flexible », Le Philosophoire,
2012/2, Hors Thème, n° 38, pp. 207-228).
2657
Cf. N. Rouland, Aux confins du droit. Anthropologie juridique de la modernité, Op. Cit., p. 186 et plus
spécifiquement pp. 65-71.
2658
E. Le Roy, « Logique institutionnelle et logique fonctionnelle, de l'opposition à la complémentarité », Op.
Cit.
2659
M. BB-Laye Diakhaté, « Renaissance africaine : l’environnement juridique », Op. Cit., p. 127.

570
contenues dans les systèmes juridiques antérieurs, tout en restant ouvert aux avancées du droit
occidental. Ces principes irrigueraient le droit à l’échelon national, sous régional et même
régional.

2. L’introduction des concepts occidentaux et des particularités communes aux


traditions africaines

631. L’Afrique noire est une terre ensemencée par le pluralisme2660. Ce pluralisme fournit
une base qui puisse parvenir à la création d’un droit réellement « africain ». La richesse de ce
pluralisme juridique tient dans la possibilité de combiner autrement les formes de juridicité
« officiels/cachés, droits reçus/autochtones », présentes dans nos Etats. Le respect de la vision
africaine du droit fondé sur les pratiques, doit permettre d’aller plus loin pour parvenir à cette
hybridation du droit, à cette symbiose de la relation entre droit et société. Pour arriver à ce
« ballet pluriséculaire de normes »2661, introduire les particularités et concepts communs à la
fois aux cultures juridiques africaines et occidentales dans le cadre d’une politique juridique
dite d'authenticité. Ranimer le droit traditionnel, en l'infusant progressivement dans les divers
pans du droit, consistant à revenir à la philosophie, pensée des valeurs ancestrales et à y puiser
ce qui est compatible avec la modernité. Il est en ainsi de ce qui pourrait être considéré
comme l’ossature, la substantive moelle du droit moderne des affaires et des échanges dans
les droits autochtones : l’obligation. La relation contractuelle est universelle, c'est-à-dire
connue et pratiquée tant des sociétés traditionnelles que modernes. Mais les traditionnelles
diffèrent des modernes car au sein des premières elles sont plus fréquentes entre individus
dont les liens sont minimaux, par exemple entre étrangers et lorsque l'objet de la transaction
est nettement particularisé en raison de l'importance que lui accordent les parties. Autrement
dit, pour parler de contrat dans certaines sociétés traditionnelles, il faut cette relation
d’extériorité et de différenciation fondamentale entre les parties. Dans le cas contraire,
notamment entre membre d’un même groupe, il s’agit d’un don2662 ou d’une dation et non
d’un contrat 2663 . Le contrat traditionnel 2664 se distingue donc de son pendant civiliste par
certains critères : les sujets impliqués, l’objet de la prestation ou de l’échange et le mode de
résolution des conflits. En dehors de ces quelques différences sur la qualité des parties qui
2660
N. Rouland, Aux confins du droit. Anthropologie juridique de la modernité, Op. Cit., p. 135.
2661
Ibid., p. 141.
2662
La prestation reste interne au groupe quelles que soient sa taille ou sa fonction.
2663
Voir supra, les développements relatifs aux relations contractuelles.
2664
Le droit traditionnel africain connait nombre de contrats, parmi lesquels figure notamment : l’achat vente, le
louage de services pour lequel un homme s’engage à travailler pour une autre pendant un certain délai pour
recevoir en échange par exemple la viande d’une vache, des contrats sur le bétail, l’échange, le prêt, caution,
gage, mandat, dépôt. Voir par exemple, J. Vanhove, Essai de droit coutumier du Ruanda, Institut Royal
Colonial Belge, Mémoires – Collection in-8°, Tome X – Fasc. 1, 1941, pp. 74-82.

571
entament la qualification ou non d’une relation de contractuelle dans les sociétés
traditionnelles, le champ des relations contractuelles et la conception même de l’obligation
entre autres, les relations contractuelles dans les deux univers juridiques sont structurés autour
des particularités communes telles que la conclusion du contrat, l’exécution de l’obligation
contractée qui peut conduire à une sanction dans l’optique de remédier à l’inexécution des
obligations contractuelles. Il existe par conséquent en ce domaine des contrats et dans bien
d’autres la présence simultanée des mêmes éléments dans les droits traditionnels et modernes.

632. Dans le secteur commercial, l’objectif doit être poursuivi par la recherche d’une
méthode qui puisse permettre d’analyser et d’appréhender enfin le secteur informel 2665 du
commerce qui constitue l’essentiel du tissu économique des Etats de l’espace OHADA en
particulier et de l’Afrique en général et qui est actuellement ignoré par le doit de l’OHADA.
La sphère économique des Etats est dominée par le « petit entrepreneur » camerounais,
africain non pris en compte par le droit OHADA. Pourtant, l’économie populaire que
constitue le secteur informel, n’est que l’illustration de la dynamique entrepreneuriale des
acteurs de cette économie. Il mérite, en raison du rôle qu’il peut jouer dans le processus de
développement, être pris en considération dans les systèmes intégrés. Et pour cause, ce
secteur de l’économie a mis en lumière les insuffisances, et le défi de la pensée économique
moderne. La solution viendra peut être de la compréhension et de la prise en compte de la
logique, des représentations sociales de cette originalité pour, à la fois, organiser, penser et
saisir le phénomène et la pleine mesure des potentialités africaines que recèle cette économie
populaire. Le passage par les représentations sociales exige la restitution de la démarche
d’appréhension dans le contexte de la réalité à appréhender2666. Les sociétés africaines, cela a
été souligné, se caractérisent par une vision du monde où tout est lié. Par conséquent pour y
arriver, non seulement pour ce qui est du dialogue entre cultures juridiques africaines et
occidentales, entre les principales cultures juridiques occidentales ou de tout autre question
liée à l’hybridation du droit dont nous faisons dans ces lignes la proposition, cela passe au
bout du compte par une vision pluraliste, holistique de la question, des sociétés traditionnelles
et modernes. Autrement dit, le processus d’hybridation devrait tenir compte aussi bien l’étude
des pratiques juridiques au sens strict du droit, que la mise en place d’une approche

2665
Lire S. Kwemo, L’OHADA et le secteur informel: l’exemple du Cameroun, éd. Larcier, Bruxelles 2012. ; A.
A., Mbaye, « Le rôle du secteur informel pour la croissance, l’emploi et le développement », Rapport préparé
pour l’Organisation internationale de la francophonie, p. 6, disponible sur
http://www.francophonie.org/IMG/pdf/secteur_informel_emplois_et_transformation_structurelle.pdf, consulté le
15 avril 2019.
2666
M. Abdoulaye Fall, « Décoloniser les sciences sociales en Afrique », Op. Cit.

572
pluridisciplinaire qui intégrera sociologues, anthropologues, juristes, religieux, linguistes,
économistes, historiens, populations qui peuvent apporter des lumières sur la création et
l’application des règles juridiques. Ce qui présuppose de répondre à l’interrogation du
comment concilier les principales cultures juridiques occidentales.

B. La promotion du dialogue entre cultures juridiques occidentales

633. Le droit occidental est structuré autour de deux principaux systèmes juridiques que
l’on a l’habitude d’opposer : la common law, système anglo-saxon et le droit civil, tradition
juridique continentale. Aussi, dans ce processus d’hybridation du droit et la possibilité de
susciter l’adhésion à l’OHADA des pays africains de tradition juridique anglo-saxonne
concilier droit civil et common law. Deux éléments peuvent être pris en compte pour y
arriver : la levée d’une pluralité d’obstacles (1) et accorder une place importante à
l’enseignement et droit comparé (2).

1. La levée d’une pluralité d’obstacles

634. L’espace juridique camerounais est partagé entre le droit continental héritage de la
présence française sur le territoire et la common law « africaine » héritée du droit anglais2667.
La distinction entre droit romano germanique et Common law hérité de la période coloniale
sert aujourd’hui de jauge et de fondement à la classification des systèmes juridiques en
général et africains spécifiquement. Le système juridique camerounais en raison de son passé
colonial emprunte de manière inégale à l’un et l’autre de ces systèmes de droit, en plus du
droit endogène. Il devient donc impératif aujourd’hui, de rapprocher au sein de cet espace
géographique et extensivement dans le droit OHADA, ces principales cultures juridiques
occidentales. L’intensification des échanges économiques intra africain, l’appel insistant à
plus grande coopération Sud-Sud justifient et imposent le rapprochement des deux systèmes
juridiques sur le continent. Le système juridique camerounais qui, à lui seul réuni en son sein
les deux cultures juridiques occidentales constituerait à cet égard, le point d’origine d’une
telle hybridation par ailleurs en lien avec l’objectif de l’OHADA de regrouper l’ensemble des

2667
Sur les spécificité de la common law en Afrique voir Jean-Alain Penda, « Les systèmes de Common Law en
Afrique sub-saharienne : (Le cas du Ghana, du Nigeria, du Kenya, la Tanzanie et de l’Afrique du Sud) », in
Revue de l’Ersuma Droit des affaires – Pratiques professionnelles, n° Spécial Mars 2014 (Actes du 33e Congrès
de l’IDEF (Institut de Droit d’Expression et d’Inspiration Françaises sur le thème « Le face à face droit
civil/common law en droit des affaires. Cas du Canada, de l’Afrique et du Monde Arabe », Montréal, 16 et 17
mai 2013), pp. 99-110.

573
Etats de notre Afrique2668, y compris ceux qui appartiennent à une autre tradition juridique
notamment les Etats de tradition Common law. La recherche d’une meilleure intégration du
droit, et particulièrement du droit des affaires dans un des ses Etats membres emprunt au
bijuridisme : le Cameroun2669, dans la mesure où la partie anglophone du pays est sujette à
l’application de la Common law, le projet d’Acte Uniforme OHADA sur le droit des contrats
illustrant cette situation et celle de la prise en compte des droits originellement africain
considérée par le Professeur Salvatore Mancuso2670 comme une « une occasion perdue », et
d’autres indicateurs encore sonnent comme un appel pressant à concilier les deux cultures
juridiques. Avant de préciser les points sur lesquels devraient s’accentuer la mise en
cohérence ou le dialogue entre common law et droit continental, il semble nécessaire de
revenir très brièvement sur les aspects qui ont servi de base à l’opposition entre les deux
cultures juridiques.

635. Dans la riche tradition de la pensée juridique occidentale qui a rayonné en dehors des
frontières dans laquelle elle a pris racines, influençant durablement au passage les différentes
conceptions du droit dans le monde contemporain, les cultures juridiques occidentales
occupent une position particulière. Presque tous les peuples qui ont subi la pression coloniale,
si ce n’est l’ensemble, héritent en retour dans leur environnement socio juridique, des
questions centrales et pesanteurs qui impliquent la reconnaissance desdites cultures juridiques.
Dans l’ensemble, l’opposition entre les deux systèmes de droits demeure marquée par des
modèles différents de pensée et de création du droit2671. La manière d’articuler et d’appliquer
le droit de l’un est pratiquement le contraire chez l’autre. Le droit anglo-saxon se distingue
par son mode d’élaboration à la fois processuel et jurisprudentiel, même si le droit commun

2668
Cf. Article 53 du Traité et Point n° 1 du Préambule. L’adhésion au Traité est ouvert aux Etats membres de
l’Union Africaine et à d’autres Etats non membres de cette dernière de commun accord de tous les Etats parties
dans le but notamment d’accomplir de nouveaux progrès sur la voie de l’unité africaine.
2669
Selon la doctrine, le plus grand nombre de publications relatives à la question de la relation entre le système
juridique de l’OHADA et common law, provient du Cameroun. Cf. Fidèle Teppi Kolloko, « Droit et pratique
de la Common Law à l’épreuve du droit OHADA », in Recueil Penant, n° 856, 2006, p. 353 et suiv. ; Akere T.
Muna, « Is OHADA Common Law friendly ? », Forum du droit international, n° 3, 2001, pp. 172-179 ; Nelson
Enonchong, « The Harmonization of Business Law in Africa: Is Article 42 of the OHADA Treaty a
Problem? », 51 Journal of African Law, I, (2007), pp. 95-115, et Samuel K. Date-Bah, « The UNIDROIT
Principles of International Commercial Contracts and the Harmonisation of the Principles of Commercial
Contracts in West and Central Africa. Reflections on the OHADA Project from the Perspective of a Common
Lawyer from West Africa », in Revue de Droit Uniforme, Vol. 9(2004), n. 2, p. 269-273 ; Samuel Date-Bah,
« The Preliminary Draft OHADA Uniform Act on Contract Law as Seen by a Common Law Lawyer », in Revue
de droit uniforme Vol. 12 (2008), n° 1-2, p. 217-222.
2670
Salvatore Mancuso, « La coexistence du droit civil et du common law en Afrique », in Revue de l’Ersuma
précit. pp. 169 et suiv.
2671
Sur le modèle Common law voir Ernest Bruncken, « The common law and statutes », 29 Yale Law Journal
(1920), 516-522 ; John S. Ewart, « What Is the Common Law? », Columbia Law Review, Vol. 4, n°. 2 (Feb.,
1904), pp. 116-126 disponible sur https://www.jstor.org/stable/1109168 consulté le 25-12-2019 à 01:12.

574
anglais n’ignore pas le phénomène législatif2672. La Common law est un droit éminemment
jurisprudentiel, essentiellement lié à l’action en justice qui en constitue la substance même,
son marqueur génétique. L’essentiel réside dans la formule d’action qui permettra d’accéder à
la juridiction compétente, que de rechercher abstraitement la solution à un problème. Ce qui
conduira Sir Henry Maine à retenir du modèle anglo-saxon qu’il est un droit « secrété dans
les interstices de la procédure »2673. La Common law est donc un droit de procédure. Le mode
de raisonnement au cœur de la technique casuistique du Common Law, est celui de la doctrine
du stare decisis2674. Jugée parfois trop rigide au XVe siècle, la common law sera plut tard
complétée par l’Equity pour atténuer ce caractère. A l’opposé du modèle anglo-saxon, la
caractéristique des droits romano germaniques, est de ne pas être à titre principal un droit
jurisprudentiel, mais un droit des codes, un droit écrit. La codification en constitue l’ADN, un
ordonnancement des règles de droit dans un code dont est censé être tirée la solution de
justice. Le débat sur ce qui oppose les deux cultures juridiques est devenu stérile en raison des
réalités actuelles. Les limites culturelles, géographiques, l’articulation et les critères sur
lesquels ce sont appuyé successivement la doctrine pour distinguer les deux systèmes sont
moins marquées qu’elles l’étaient jadis. Le débat aujourd’hui s’articule autour des similitudes,
des « convergences »2675. Le terme convergence est défini par Guillaume Prouteau comme
étant « le phénomène qui amène plusieurs systèmes juridiques de traditions divergentes à
évoluer vers un ensemble plus homogène de règles, d’interprétation et de procédure »2676. La
majorité de la doctrine européenne s’accorde à dire sur ce point que les traités internationaux,

2672
Joseph Dainow, « The Civil Law and the Common Law: Some Points of Comparison », in The American
Journal of Comparative Law, Vol. 15, No. 3 (1966 - 1967), pp. 419-435. Contrairement au droit continental, la
particularité essentielle des règles de cette législation ne résident pas dans des principes généralement formulés
en termes généraux et abstraits, mais constituent plutôt des règles particulières destinées à régir certaines
situations extrêmement détaillées.
2673
Sir Henry Maine, Early, law and custom, (cité par Conseil d’Etat, L’influence internationale du droit
français, Paris, La Documentation française, 2001, p. 20). Lire pour plus de détails sur les caractéristiques
inhérentes à la Common law, Oliver Jr. Wendell Holmes, (1881), The Common law, réédité par Paulo Pereira &
Diego Beltran, University of Toronto Law School, September 21, 2011 ; Fabien Girard, « Bentham et l’esprit
du common law. Une introduction », in L’irascible, Revue de l’Institut Rhône-Alpin de Sciences criminelles, 2,
pp. 49-100 ; Jean Blondeel, « La Common Law et le droit civil », In : Revue internationale de droit comparé,
Vol. 3 N°4, Octobre-décembre 1951. pp. 585-598 ; Roscoe Pound, « Common Law and Legislation », Harvard
Law Review, Vol. 21, No. 6 (Apr., 1908), pp. 383-407 ; S.F.C. Milsom, Historical Foundations of the Common
Law, London, 1981 ; « The common law and civil law traditions », 2010 The Robbins Collection.
2674
Cf. R. David, Introduction à l’étude du droit privé de l’Angleterre, Sirey, Paris, 1948, p. 152 ; Akere T.
Muna, « Is OHADA Common Law friendly ? », Op. Cit.
2675
Voir Cappelletti, Le pouvoir des juges, coll. « Droit public positif », Aix et Paris, Presses Universitaires
d’Aix-Marseille et Economica, 1990 ; Merryman, On the convergence (and divergence) of the Common Law
and the Civil Law, Stanford journal of international law, 1981.
2676
Guillaume Prouteau, « A propos de la convergence des modèles juridiques Britanniques et Français :
Moteurs, obstacles et opportunité », Rapports droit interne et droit international ou européen,
https://blogs.parisnanterre.fr/blog/rapportsdroit-interne-et-droit-international-ou-europ%C3%A9en consulté le 1er
avril 2020.

575
et les normes internationales de manière plus large, conduisent progressivement à une
harmonisation des règles de droits entre ces deux systèmes pourtant si différents dont un
exemple de convergence entre Common law et droit civil nous est offert par la construction
européenne. Une forme de convergence avec la tradition de droit Civil s’est en effet installée,
impulsée par le développement de textes législatifs considéré comme source de droit plus
prévisible, tel que le Sale of Goods Act ou le Copyright Design and Patents Act, tandis que les
juridictions de droit civil se sont émancipées de la structure sans doute trop rigide proposées
par la codification du droit, en recherchant plus de souplesse afin d’apporter des réponses
appropriées à des situations nouvellement apparues. L’application directe et la primauté des
normes européennes sur le droit interne des Etats membres dans l’Union européenne s’en est
notamment faite l’illustration. Le développement du droit communautaire européen met en
effet en évidence la possibilité d’une influence réciproque entre les deux systèmes.

636. Dans le domaine du droit des affaires et du commerce international contemporain, les
différences très marquées dans le principe entre les deux systèmes se sont dans le droit
relâchées. Les traditions juridiques occidentales, droit continental, common law, se sont vues
respectivement dans la recherche de convergence revalorisées pour l’un, ses caractéristiques
atténuées pour l’autre. La « civil law » a vu ses ressources revalorisées : la portée de l’ordre
public a été contenue, réduite au profit de la liberté contractuelle, dont l’égalité a été trouvée
et comparée à celle que l’on trouve dans la lex mercatoria ou les principes UNIDROIT
relatifs au droit du commerce international 2677 ; les techniques juridiques de la civil law
pouvaient permettre la création des contrats en « ing », le leasing que peut engendrer la
location couplée à une promesse de vente, le factoring que peut engendrer une
subrogation2678. L’effet de la multiplication des conventions internationales et européennes a
restreint significativement le domaine de la common law en y soustraignant des pans entiers
de la vie des affaires. Dans les deux systèmes juridiques ont ainsi été unis : les transports2679,
pour ce qui est du moins des contrats de transport quel qu’en soit le mode, les brevets et les
marques2680 ; la vente internationale ; la compétence des juridictions des Etats membres de la
communauté européenne entre autres. C’est donc en terrain défriché où des exemples de
rapprochement existent et pourraient être exploités, endogèneiser, que le dialogue common

2677
B. Mercadal, « Des différences entre la common law et la civil law ? », in Revue de jurisprudence
commerciale – une revue de Thomson Reuters, Mai 2000, n° 5.
2678
Ibid.
2679
Convention de Bruxelles de 1924 sur le transport maritime ; convention de Varsovie de 1929 sur le transport
aérien ; convention de Bruxelles de 1952 sur la saisie conservatoire des navires ; convention de Genève de 1956
sur le transport routier et de 1948 sur les privilèges aériens.
2680
Convention de Paris de 1883 ; convention de Munich de 1973 sur le brevet européen.

576
law et droit continental pourrait s’amorcer en droit camerounais. Mais il faut pour cela
apporter solution à un certains nombres de pesanteurs.

637. La simplicité et flexibilité du modèle anglo-saxon pourrait être un avantage dans


l’amélioration du droit camerounais et une facilitation de l’adhésion éventuelle des pays
africains de système common law dans l’OHADA. Les acteurs économiques privilégient
d’eux-mêmes le système de la Common law en raison de sa souplesse et de la possibilité,
particulièrement dans le domaine des contrats, d’adapter la règle de droit à des situations très
spéciales. Dans un Cameroun bi juridique, il existe forcément une hétérogénéité en termes de
culture, de langue et de droit qui s’étend au droit uniforme. L’OHADA intéresse les pays
africains de système common law 2681 . Pour les décider à adhérer il faut lever l’écueil
linguistique. La révision du Traité de Port-Louis en 2008 apporte un début de réponse à la
question de l’unicité de la langue du Traité originaire. La révision du Traité fait depuis 2008
du français, de l’anglais, l’espagnol2682 et le portugais des langues de travail de l’OHADA2683.
Toutefois, le paragraphe 2 du même texte semble donner la primauté à la traduction française
s’il advenait quelque divergence entre les différentes traductions. En cas de divergence entre
les différentes traductions, la version française fait foi. On aurait pu penser à des traductions
d’égales valeurs. Ce qui fait penser que la langue française reste et demeure la « langue
officielle » de l’OHADA ; les trois autres langues reléguées au statut de langues de travail.
S’il n’est pas impossible qu’un droit puisse s’exprimer dans plusieurs langues, il n’en
demeure pas moins qu’il existe certains dangers tels l’impossibilité de trouver un équivalent à
une notion particulière ou le risque d’une interprétation divergente des termes juridiques
traduits. Le multilinguisme engendre ainsi des problèmes au niveau de la terminologie
juridique dans les différents systèmes juridiques et pose de sérieuses questions liées à la
traduction des textes juridiques. Si l’anglais entre néanmoins dans le droit OHADA comme
langue de travail, cependant, la qualité de la traduction du texte d’origine en langue française
mis à la disposition de l’Etat camerounais est loin de satisfaire les praticiens de tradition

2681
Deux conférences et un centre de ressources OHADA ont été mis en place au Ghana, et en 2002 le
gouvernement Ghana a créé un Comité national de cinq experts juridiques sous l'égide du Ministère de la Justice
pour examiner la possibilité d’adhésion à l'OHADA. A Paris, le 9 mars 2006, au cours d'un déjeuner officiel,
l’ancienne présidente du Libéria, S.E. Ellen Johnson-Sirleaf, a déclaré qu'elle soutenait fortement l'adhésion du
Libéria au système commun de droit des affaires de l’OHADA, mais qui jusqu’aujourd’hui n’a pas été suivie
d’effet. Le Nigeria a également organisé des conférences et a ouvert un centre pour promouvoir le droit
OHADA.
2682
Un manuel du droit des affaires en langue espagnole a été publié sous les auspices du Ministère espagnol de
la justice : Cf. M. José Cueto, Sergio Esono Abeso Tomo, Juan C. Martinez, La armonizacion del derecho
Mercantil en Africa impulsada por la OHADA, Madrid, Ministerio de Justicia 2006. Par ailleurs, une traduction
en portugais des Actes uniformes a été publiée par l’Université de Lisbonne.
2683
Article 42 paragraphe 1 du Traité objet de la révision de Québec 2008.

577
common law de ce droit des affaires2684. L’esprit de la traduction s’est cantonné à celle des
mots. Elle ne saurait cependant être réduite à la seule traduction du français vers les autres
langues. Dans le langage trivial on parle de traduction « mot à mot ». Il faudra donc remédier
aux problèmes engendrés par la diversité linguistique, qui se couple avec une diversité des
droits en présence. Il aurait fallu par exemple et en accord avec l’esprit de la common law
trouver des équivalents aux termes juridiques français tels que « juge des référés », « juge du
contentieux de l’exécution », « par voie d’assignation », sur la dénomination des sociétés
commerciales, le groupement d’intérêt économique entre autres, correspondant que l’on
retrouveraient dans le régime judiciaire anglo-saxon par exemple2685. Le reproche fait à la
qualité de la traduction de langue anglaise pourrait également être valable pour les autres
langues. La mise en place d’un véritable service de traduction au sein de l’OHADA chargé de
préparer la traduction des Actes uniformes et autres documents dans une franche collaboration
entre juristes du système de droit écrit, juristes camerounais et africains nourris à la sève du
droit commun anglais, hispanophones et de langue portugaise, sous le couvert de la CCJA qui
pourrait notamment autoriser comme elle l’a déjà fait 2686 , devant certaines difficultés, des
traductions fondées sur l’esprit du texte est une sérieuse piste à explorer. Des enseignements
peuvent aussi être tirés de l’expérience canadienne du « bijuridisme » visant à obtenir une
harmonisation conceptuelle et terminologique du droit privé camerounais. La difficulté
majeure, loin d’être purement linguistique, résiderait davantage dans les concepts juridiques.
Ceux-ci portent des sens différents dans les systèmes en présence.

638. Au-delà des questions linguistiques et conflits de concepts juridiques2687, c’est à un


véritable mariage de raison entre les droits camerounais d’inspiration occidentale (droit
interne et OHADA) et common law qu’il faut songer. Le droit OHADA spécifiquement doit
ouvrir la réflexion sur l’adoption des règles common law et l’introduction des institutions du
modèle anglo-saxon tels que le trust, le tort par exemple. L’érection de la loi, la jurisprudence
et la coutume africaine comme sources des droits d’égale valeur permettrait au droit OHADA
de tirer profit de la flexibilité que partage la coutume africaine avec la common law. La
2684
V. Claire Moore Dickerson, « Le droit de l’OHADA dans les Etats anglophones et ses problématiques
linguistiques », in Revue internationale de droit comparé, Vol. 60 n° 1, 2008, pp. 7-17.
2685
Il existe entre les interprétations du droit, un véritable conflit de concepts juridiques. Pendant que la
common law est sujette à une interprétation déductive, le droit continental dont s’inspire le droit OHADA
dépend quant à lui exige une interprétation déductive. Jean Blondeel, « La Common Law et le droit civil », Op.
Cit.
2686
Cf. Avis n° 1/2003/EP, séance du 4 juin 2003. Il s’agissait en effet d’un traduction du terme jugement de
l’article 101 de l’AUDCG a un sens générique comprenant l’ensemble des décisions de justice rendu par les
différents ordres de juridiction.
2687
Cf. Claire Moore Dickerson, « Le droit de l’OHADA dans les Etats anglophones et ses problématiques
linguistiques », Op. Cit., p. 12 ; Jean Blondeel, « La Common Law et le droit civil », Op. Cit. ;

578
jurisprudence comme source de droit serait un catalyseur significatif supplémentaire à la
redéfinition de l’indépendance et de l’impartialité du juge des affaires, institution
emblématique du modèle anglo-saxon. Le système common law s’est ouvert au phénomène
du droit écrit, le parlement occupant une place de plus en plus importante dans la procédure
d’élaboration du droit 2688 , le juge dans le droit continental n’est plus de manière stricte
cantonné à la position de bouche de la loi que lui donnait Montesquieu et devient sans être la
principale source de droit, un créateur du droit à part entière. Ces dernières années ont
effectivement vu se croiser les logiques. Les juges des civil laws créent une jurisprudence,
participe à la création du droit qui est la traduction d’une Common law dans leur ordre
juridique, tandis que les législateurs des pays de Common Law adoptent des règles écrites,
voire des embryons de code2689. Les pratiques se mêlent. L’ordre juridique de demain pourrait
revendiquer ses traits pluralistes. Nous pouvons donc conclure en effet que la fonction
judiciaire dans le monde juridique occidental est le symbole et l'instrument effectif de la
protection des droits des justiciables. La vénération et le profond respect que le juge et les
juristes de la Common law nourrissent pour leur droit traditionnel et qui sont rares dans les
pays de droit civil peuvent servir à garantir l’effectivité du droit au juge dans le nouveau droit
hybride. La sauvegarde de l'héritage juridique est dévolue au juge et il hésite bien davantage à
le modifier. L’importance que le modèle juridique anglo-américain accorde au droit
jurisprudentiel pourrait être reprise par l’OHADA et servirait ainsi au développement de la
publication de l’ensemble des décisions de justice issu de l’application du droit OHADA dans
la mesure où la pratique du Law report 2690 est inscrite dans les habitudes, dans le but de
garantir un meilleur accès à la jurisprudence, jusqu’ici insignifiant dans l’espace OHADA.

639. Dans cette hybridation du droit, modèle de dialogue, de convergence entre droits
traditionnels africains et cultures juridiques occidentales, et entre systèmes juridiques
occidentaux entre eux, que nous appelons « mariage de raison », le droit camerounais peut
dans certains cas, prévoir une complémentarité entre la pluralité du système juridique en cas
d’ambiguïté ou de difficultés d’interprétation. L’uniformisation et l’hybridation sollicitées

2688
Salvatore Mancuso, « Le nouveau droit africain : au-delà des différences entre la common law et le droit
civil », Communication au 31e Congrès 2008 de Lomé : le role du droit dans le développement économique,
disponible en ligne sur http://www.institut-idef/Le-nouveau-droit-africain-au-dela.html, consulté le 2 juin 2019 ;
« La coexistence du droit civil et du common law en Afrique », Op. Cit. ; Jean-Alain Penda, « Les systèmes de
Common Law en Afrique sub-saharienne : (Le cas du Ghana, du Nigeria, du Kenya, la Tanzanie et de l’Afrique
du Sud) », Revue de l’Ersuma, n° Spécial, Op. Cit.
2689
« Droit romain, Common Law : quel droit mondial ? », Entretien avec Michel Guénaire, in Le Bulletin de
l’ILEC, Mensuel n° 3 octobre 2002, p. 1-5, propos recueillis par Jean Watin-Augouard.
2690
Document de base de publication des décisions de justice et de l’évolution de la jurisprudence dans le
système de Common Law.

579
doivent être conçue dans le système juridique camerounais et ohadien éventuellement, comme
un outil d’intégration normative, dont l’objectif est d’assurer au droit privé obtenu une
interprétation uniforme sur tout le territoire camerounais, tant au niveau législatif que
judiciaire. L’hybridation du droit entendra ainsi rétablir l’ordre et la stabilité classiquement
attachée au droit, le droit symbiotique étant censé constituer un tout, un ensemble, dont les
diverses composantes s’accordent et s’organisent en harmonie tant du point de vue normatif
que du point de judiciaire. Le juge confronté à des normes toujours plus nombreuses et
désormais issues de systèmes juridiques distincts, sur lequel repose aussi la mission de
construire l’harmonie normative nécessaire à la stabilité du droit. Harmonie juridique
recherchée que devra refléter la rédaction des décisions de justice.

Sur le plan idéologique, la convergence, le dialogue, la communication dans le sens


d’une interaction poussée entre les différents systèmes juridiques ou encore mariage de raison
envisagé entre traditions juridiques africaines et occidentales peut être perçu comme une étape
qui permettrait de transcender d’une part, les barrières historiques entre la Common law et
Civil law dans une marche progressive vers l’harmonisation des cultures juridiques
occidentales, d'un autre côté fournir une fondation plus solide aux projets d'harmonisation,
d’uniformisation régionale (OHADA) ou sous régionale du corpus juris, à l’emergence d’un
droit hybride camerounais. Hybridation qui permettra d’assurer l’émergence d’une
terminologie commune en matière de droit privé. Ce qui implique d’attribuer une place
prépondérante à l’éducation, la formation qui demeurera dans ce processus, une impérieuse
nécessité, un pan à prendre en compte.

2. Accorder une importante place à l’enseignement et à l’approche du droit


comparé

640. Servant de référence à de nombreux législateurs étrangers importateurs du droit, les


cultures juridiques occidentales constituent encore aujourd’hui en Afrique, la sève exclusive
qui nourrit la formation des générations d’étudiants, d’enseignants, de juges, d’avocats2691. Ce
qui réduit le raisonnement du produit de la formation à chacune de ces cultures juridiques.
Pour le dire autrement, le juriste africain essentiellement nourri à la serve du positivisme est

2691
Les développements qui suivront peuvent être considérés comme étant provocateurs, voire analysés comme
une orientation politique de leur auteur. Mais il n’en est rien. L’auteur se refusant d’appartenir à quelque famille
politique que ce soit, si ce n’est celle de la science. Il s’agit tout simplement d’une approche que nous jugeons
nécessaire, voire essentielle pour conduire aisément le processus d’harmonisation et d’uniformisation des
différentes cultures juridiques présentes en Afrique, au Cameroun, dont l’articulation et le développement
nécessite une autre orientation de la formation du juriste notamment sa compréhension, son application pour
pouvoir garantir au justiciable la protection effective des droits qu’il tire du droit communautaire.

580
privé par conséquent de la « substance vivifiante de la science endogène »2692. A l’heure de la
globalisation des échanges, de la concurrence des systèmes juridiques, faut-il encore centrer la
formation des étudiants juristes camerounais exclusivement sur les cultures juridiques
occidentales ? Telle est effectivement la situation qui prévaut dans l’immense majorité des
facultés de droit au Cameroun dominé par des concepts importés et complétés, à l’intérieur
de l’ordre juridique interne, par des règles supranationales ou transnationales invocables,
parfois avec primauté de rang, devant les juridictions issues d’une organisation judiciaire elle
aussi venue d’ailleurs. Bien que diversifiés, les programmes d’enseignement dans nos facultés
de droit2693 partagent des traits communs avec ceux des universités occidentales. Ce qui en soi
ne saurait être considérés comme négatif. Mais, ils ne sont en général que centrés sur le droit
positif moderne qui dominait la production des droits coloniaux et reviennent très peu ou pas
sur les éléments culturels et sociologiques. Ne faudrait-il pas ajouter à ces programmes
calqués sur le modèle occidental une autre perspective, celle des droits traditionnels par
exemple ? Des études ayant mis en évidence que dans toute formule de formation juridique, la
manière de raisonner, d’argumenter des étudiants, magistrats, avocats, leur pensée juridique
reste indiscutablement marquée, formatée par le système auquel ils avaient été formés2694.
D’où l’idée d’aller plus loin et d’intégrer une approche transdisciplinaire et de droit comparé
dans les programmes d’enseignement.

641. Tout enseignement se définit indiscutablement par rapport à son objectif, à une
certaine idée du droit et de l’administration de la justice2695 dans un contexte précis. Pour le
dire autrement, tout est question de formation, de son esprit, de sa mise en oeuvre. Le constat
loin d’être flatteur que dressait déjà le panel africain et européen d’un Colloque en 1984 sur la
connaissance du droit en Afrique, objet des Actes d’un symposium tenu à Bruxelles à
l’initiative de l’Académie des Sciences d’Outre-mer, reste d’une actualité hilarante. Monsieur

2692
Justin Nouind, Anthropologie juridique, Op. Cit.
2693
L’expérience amorcée par le Congo Kinshasa (RDC) en 1962 en introduisant à chacune des trois années de
Licence des enseignements de droit dit coutumier n’a pas fait long feu. Voir sur le sujet J. Vanderlinden, «
L'heure du droit africain », Revue de l'Université de Bruxelles, 1962, 1-13 et « Problèmes de l'enseignement du
droit en République du Congo », Revue de l'Institut de Sociologie, Bruxelles, 1965, 69-89.
2694
Pierre Lerouche, « L’intégration, les systèmes juridiques et la formation juridique », Revue de droit McGill
2001, n° 46, page 1011 et s ; Pascal Ancel, « Quelle place pour le droit national dans l’enseignement du droit en
Europe ? », RDUS, 2013, volume 43, numéro 1-2, pp. 89-121.
2695
Jacques Vanderlinden, « Enseigner sans reproduire – Innover sans tout détruire : propos hétérodoxes au
départ de quelques constats élémentaires », in Les défis des droits fondamentaux, Actes des deuxièmes journées
scientifiques du réseau Droits fondamentaux de l’Agence Universitaire de la Francophonie, Op. Cit., pp. 423-
458.

581
F. Reyntjens2696 membre de ce panel, interpelait en affirmant qu’« il est tout aussi clair que
l'état actuel des choses [i.e. de l'enseignement du droit en Afrique], dans une large mesure, ne
conduit qu'à un semblant de connaissance d'un semblant de droit. Semblant de connaissance
parce que cette connaissance n'est souvent que formelle et manque de tout lien avec la réalité
; semblant de droit parce que beaucoup trop peu d'efforts sont entrepris pour connaître le
droit et les problèmes juridiques de la grande majorité de la population ». Moins éloignée
que 1984, le concours de plusieurs auteurs à la collaboration d’une revue pour donner
librement leur point de vue sur l'enseignement du droit civil français à la fin du XXe siècle
dont le Professeur Christian Atias 2697 soutient que la formation juridique dispensée aux
étudiants juristes français semble n’être que le développement de « la fonction de
répétiteurs » du droit, « les cours sont parfois consacrés à la description des rudiments, des
éléments d'un domaine du droit […]», les professionnels transformés en des « techniciens de
la normativité » 2698 . L'on comprend dès lors pourquoi les décisions de nos juridictions
traditionnelles reflètent le plus souvent le droit écrit, seul droit dans lequel les magistrats
professionnels ont été formés. Cette charge de l’ensemble des auteurs2699 ayant contribués à
cette revue, donne toute la pertinence au souhait de voir une hybridation du droit au
Cameroun et à la justesse des propos de M. Pédamon2700 selon qui, « les pays africains sont à
la recherche de leur voie propre en ce qui concerne la formation des juristes dont ils ont
besoin ». Certains ténors de l’ordre des avocats mettent en avant, l’ignorance des
universitaires de l’état actuel de la justice, le manque de réalisme des universitaires, le mépris
de l’université chez certains magistrats est même constaté. Points de vue qui mettent en
exergue la critique portée par certains professionnels se plaignant d’une formation
universitaire excessivement théorique et sourde aux besoins de la pratique, aux besoins de
l’environnement professionnels qui se manifestent dans la préoccupation constante de
l’adéquation entre formation emploi qui pourrait trouver une réponse durable si l’université
s’en remet aux avocats, aux entreprises, plus généralement aux praticiens pour apprendre aux

2696
F. Reyntjens, « De juridische opleiding in zwart Afrika », Symposium La Connaissance du Droit en
Afrique, Op. Cit., pp. 16-37 ; J. Du Bois De Gaudusson, « Enseignement et connaissance du droit administratif
dans les États d'Afrique noire francophone », Symposium La Connaissance du Droit en Afrique, pp. 182-190.
2697
Christian Atias, « L’enseignement du droit », RTD Civ, n° 2/1998, p. 286 et s.
2698
B. Beignier, « Le droit civil, droit privé fondamental », RTD Civ., Op. Cit, p. 289.
2699
Cf. not. P. Conte, « Quel droit civil enseigner ? », Ibid., p. 292 ; G. Goubeaux, « Le poids de la tradition »,
Ibid., p. 297 ; L. Lorvellec, « L'enseignement du droit civil en manque de cohérence et de progressivité », Ibid.,
p. 302 ; C. Thibierge, « Enseigner le droit civil à l'aube du XXIe siècle », Ibid., p. 306.
2700
M. Pédamon (dir.), La formation juridique en Afrique noire, Bruxelles, Bruylant, 1979 (cité par J.
Vanderlinden, Op. Cit.) À l'évidence, les programmes existants (nous sommes en 1968) ont pour seule fonction
d'enseigner en reproduisant des contenus et des méthodes classiques. D’où la sempiternelle question auxquelles
sont aujourd’hui confrontés le produit des universités africaines de nos jours, adéquation formation-emploi.

582
étudiants à devenir des professionnels, évaluer les formations dispensées, se sentir
responsable du produit fini.

642. Seulement, l’enseignement du droit ne saurait se défaire d’un certain degré


d’abstraction. Aussi, l’hybridation du droit sollicitée par l’auteur de ces lignes renvoie-t-elle
dans le cas d’espèce, à l’apport de l’enseignement et de la recherche, tradition universitaire
séculaire, dans l’émergence d’un droit hybride que nous voulons symbiotique. Si l'institution
d'enseignement du droit dans nos facultés paraît assez sereine, cet enseignement pourrait aussi
se donner pour tâche, le développement d'une imagination juridique propice au progrès et à
son environnement social. Pour y arriver, nous prendrons pour point de départ, la proposition
de monsieur P.-L. Agondjookawe, lorsqu'il conclut que « une meilleure approche de la
connaissance du droit en Afrique réside, pensons-nous, dans la complémentarité entre une
droit légiféré, dit moderne, souvent théorique parce que non vécu, du moins par la majorité
des sujets de ce droit, et un droit vécu, dit réel, sociologique, plus près du droit endogène,
plus conforme aux réalités du moment »2701. Malgré ce plaidoyer, le droit comparé est resté en
marge de la formation du juriste camerounais.
Le système actuel de formation du juriste africain pourrait être donc être renforcé par
la science comparative des droits, appréhendée dans cette approche « transsytémique »2702,
dans ce processus d’hybridation juridique autrement que comme une discipline juridique,
mais comme une méthode de recherche juridique pour améliorer le droit national, le
construire. Le droit comparé romprait par exemple avec la dichotomie classique réductrice de
la distinction entre Common law et civil law. L’étude de la responsabilité civile par exemple
pour être plus concret, verrait une étude comparative systématique de la responsabilité en
droit traditionnel africain, dans le droit musulman, le droit civil et le droit commun anglais. La
synthèse qui en ressortira exercera une fonction créatrice, une fonction constructrice, une
forme de synthèse qui pourra produire un droit nouveau, original, un droit alimenté à partir de
la réalité sociale, réalité des contentieux, réalité des pratiques sociales. Il s’agit de rompre
avec une formation du juriste essentiellement extravertie. L’ambitieuse entreprise
d’hybridation du droit permettra de passer d’un droit applicable au Cameroun à un droit
éminemment camerounais. Toutefois, le système de formation juridique doit assurer une
formation universitaire interdisciplinaire, transdisciplinaire des futurs juristes. Entourer,

2701
P.-L. Agondjookawe, « L’enseignement du droit au Gabon », Symposium La Connaissance du Droit en
Afrique, pp. 328-346, spéc. 342-343.
2702
Cf. Pierre Lerouche, « L’intégration, les systèmes juridiques et la formation juridique », Op. Cit. ; Helge
Dedek et Armand de Mestral, « Born to be Wild: the Transsystemic Program at McGill and the De
Nationalization of Legal Education », (2009) German law journal, vol. 10, pp. 889 et s.

583
accompagner les matières juridiques de base, des disciplines d'environnement nécessaires. A
cet effet, les sciences humaines comme l’anthropologie sociale, l’économie, la politique, la
sociologie, la psychologie, l’histoire du droit abordées dans un contexte essentiellement
africain, et de préférence local, articulées sur le droit considéré dans une perspective
pluraliste, historique et comparatiste intégrée par matière. Une approche résolument
comparative, historique, pluraliste et empirique sur la base de cas concrets – méthode des
questionnaires pour recueillir des données sur le droit traditionnel, les coutumes – dans le but
de satisfaire au besoin d'harmonisation, et même d'uniformisation du droit par des solutions
appropriées.

643. Les juristes qui pratiqueront dans ce contexte de convergence, d’hybridation des
traditions juridiques doivent et seront ainsi capables d'évoluer sans difficultés majeures d'un
système à un autre. L’approche pluraliste et comparatiste garantie une prise de distance
critique à l'égard du droit dans lequel on aura en premier été formé, rapproche les systèmes
juridiques et les peuples. De cette approche pluraliste et comparatiste pourra par exemple
émerger le modèle de système social africain, tiré des principes fondateurs des sociétés
africaines. Ainsi comprise, l’hybridation du droit ne peut ignorer la nécessité de donner
naissance à une théorie du droit qui se nourrirait de la substance et de l’esprit des études
historiques, sociologiques, anthropologiques. A cet égard, la création d'une école ou d’un
institut africain de théorie du droit constitue un pas dans la bonne direction. Pour le dire
autrement, entreprendre l’apprentissage des sciences humaines dans le but de les mettre en
rapport avec le droit, vise donc une perspective plus globale dans laquelle inscrire le droit, son
administration et son développement. La révolution doit commencer par les maitres.
L’enseignement du droit, en effet, dit P. Ancel « n’est pas seulement la transmission aux
futurs juristes des règles, des catégories, des techniques propres au système dans le cadre
duquel ils exerceront leur activité. L’enseignement participe aussi, d’une certaine manière, à
la production de ces règles, de ces catégories, de ces techniques, et donc à l’évolution – ou à
la non-évolution – du droit enseigné, à la fois par l’influence des professeurs sur ceux qu’ils
forment, par les orientations qu’ils leur donnent et qui peuvent contribuer à déterminer la
manière dont ces futurs juristes, dans leur activité professionnelle, feront évoluer les
interprétations et les pratiques, et aussi en raison du lien très étroit qui existe, au moins dans

584
les pays de tradition civiliste, entre l’enseignement et l’activité doctrinale »2703. Le juriste ne
se contente pas de sonder le droit, il le fouille, ne s’y promène pas.
Ce qui au bout du compte, fait de l’uniformisation par hybridation du droit envisagée
ici, un projet à la fois scientifique et politique. Si l’osmose est réussie on vera alors émerger,
un nouveau droit qui semblera satisfaire la pratique et les mœurs locales et qui autorise à
articler autrement l’organisation judiciaire.

Paragraphe II. Articuler autrement le système juridictionnel


644. Articuler autrement le système juridictionnel c’est, donner une chance au corollaire du
pluralisme juridique évoqué plus haut à savoir, le pluralisme judiciaire. Au dualisme entre le
droit coutumier et le droit moderne hérité de l’administration coloniale et maintenu par les
Etats au lendemain de l’indépendance devait répondre un dualisme juridictionnel qui en fait,
était moins respectueux des droits anciens qu'il n'y paraissait. Si le dualisme juridictionnel
consiste dans la juxtaposition de deux hiérarchies judiciaires très séparées l'une de l'autre, le
recours au pluralisme judiciaire conséquence de l’hybridation du droit doit nécessairement
répondre le gage des opérateurs économiques, du justiciable d’affaire et du justiciable
ordinaire de bénéficier d’un accès effectif à la justice. Cela repose sur un élément essentiel : le
recours au pluralisme judiciaire africain (A). Même en articulant le système juridictionnel sur
le pluralisme judiciaire, il faut répondre aux défis actuels que pose la codification en Afrique
(B).

A. Le recours au pluralisme judiciaire africain

645. La refondation du système juridictionnel existant que l’on soumettrait au pluralisme


judiciaire africain n’est pas une panacée, car son efficience dépendra du type de pluralisme
envisagé et de son opérationnalité. D’où le choix porté sur le pluralisme judiciaire intégré
« Melonéen » (1), qui ne produira les effets escomptés que s’il repose sur certains facteurs
destinés à en assurer la crédibilité (2).

1. Le choix du pluralisme judiciaire simplifié et intégré

646. Pour résoudre les problèmes immenses liés à la justice, l’indispensable réforme du
système juridictionnel mériterait d’être fondée sur le pluralisme judiciaire simplifié et intégré

2703
Pascal Ancel, « Quelle place pour le droit national dans l’enseignement du droit en Europe ? », Op. Cit, p.
109.

585
« Melonéen » 2704 dont le contenu est articulé autour d’une double modification : celle du
schéma juridictionnel et celle des bases du fonctionnement juridictionnel dont le contenu tient
compte des dangers de l’institution d’un seul type de juridiction. La réforme proposée à
l’origine se limitait au Cameroun, mais pourrait valablement être étendue, adaptée et orientée
à la diversité des destinataires et à l’objectif assigné au droit uniforme.

647. Pour l’auteur du « pluralisme judiciaire simplifié et intégré », la modification du


schéma juridictionnel doit être radicale : elle doit entrainer dans les matières relevant du droit
civil, dans le cas d’espèce des matières du droit privé une nouvelle typologie de juridictions.
Pour mieux saisir l’orientation que nous propose le Professeur Stanislas Meloné auquel nous
souscrivons totalement, peut être faut-il brièvement rappelé l’organisation judiciaire
camerounaise, dont la différence n’est pas très marquée avec celle des autres Etats membres
de l’OHADA. En raison du dualisme judiciaire institué, le système juridictionnel au
Cameroun est articulé autour des juridictions de droit moderne et des juridictions
traditionnelles que sont les « Alkali Courts », « Customary Courts» et autres juridictions
coutumières maintenues provisoirement par la législation portant organisation judiciaire2705
chargées de trancher les litiges selon la coutume des parties. Il eut peut-être fallu préciser que
l’organisation judiciaire camerounaise prenne en compte l’identité des droits autochtones.
Système jugé lourd, l’auteur soutient que le système mériterait d’être allégé, simplifié par un
schéma juridictionnel articulé autour de deux types de juridictions : les juridictions de
contentieux et les juridictions de consultation et d’arbitrage auquel il faut donner un contenu.

Le contentieux est généralement défini comme un « ensemble de litiges susceptibles


d’être soumis aux tribunaux »2706. Il peut aussi s’agir « des questions qui sont ou qui peuvent
être l’objet d’une discussion devant les tribunaux. » 2707 . Le lexique des termes juridiques
quant à lui définit ce terme de la manière suivante : « substantif : un contentieux est formé par
un ensemble de procès se rapportant au même objet : contentieux privé, pénal, administratif,
fiscal, etc. (…). Adjectif : qui fait l’objet d’un désaccord, spécialement juridique. Parfois
synonyme de juridictionnel »2708. Les juridictions de contentieux renvoient par conséquent à
toutes les juridictions étatiques dont la charge de trancher les litiges est confiée à un ou

2704
De Stanislas Meloné. Cf. « Les juridictions mixtes de droit écrit et droit coutumier dans les pays en voie de
développement. Du bon usage du pluralisme judiciaire en Afrique : l’exemple du Cameroun », Op. Cit., p. 345 et
suiv.
2705
Voir article 31.
2706
Le Petit Robert, Op. Cit., p. 529.
2707
G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Op. Cit., p. 226.
2708
Lexique des termes juridiques, Op. Cit., p. 174.

586
plusieurs magistrats et assesseurs. Correspond ainsi aux juridictions étatiques, l’ordre imposé
correspondant à la justice étatique rendue selon le mode du jugement, aussi bien dans le
domaine administratif que civil ou pénal : on parlera alors de justice « légalisée », privilégiée
par les sociétés occidentales. Les juridictions de contentieux sont des tribunaux de type
étatique. La mise en œuvre de cette réforme aboutirait à la disparition du paysage juridique
camerounais, les juridictions de droit traditionnel telles que contenues dans la législation en
vigueur. Les tribunaux de première instance hériteront de leurs attributions 2709 . La
particularité de cette proposition réside dans la possibilité d’imbriquer et de trancher les litiges
nécessitant aussi bien l’application du droit des affaires que ceux appelant l’application des
coutumes au sein des mêmes juridictions composées à l’occasion de magistrats professionnels
et d’assesseurs de la coutume à laquelle appartiennent les plaideurs. Ce qui en soi n’exclut pas
la possibilité pour les justiciables en milieu rural de recourir aux modes traditionnels de
résolution des litiges structurés autour de la personne des chefs, relevant comme dans les
sociétés traditionnelles de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, voire du travail
ou encore du droit commercial. L’association des populations à la distribution de la justice ne
fait pas obstacle au contrôle juridictionnel des décisions rendues. Système qui bénéficierait
dans le souci de l’établissement d’une jurisprudence en la matière, d’une articulation entre
juridictions de contentieux et système traditionnel de traitement des litiges. Le modèle du
gacaca ou « la justice du gazon », instance populaire rwandais de règlement des litiges en
donne l’illustration. La cloison entre le gacaca et l’institution étatique n’est pas étanche, nous
dirons même qu’elle n’existe pratiquement pas. L’institution s’est adaptée à un
environnement moderne et semi-officiel illustrée par le fait que la décision du gacaca est
consignée dans un écrit, sur lequel les parties apposent leur empreinte digitale, pratique
administrative très répandue qui vaut signature. La partie insatisfaite de la décision obtenue
dispose de la possibilité de saisir le tribunal du canton, qui est une juridiction étatique2710
considérée par les justiciables et les juges du tribunal comme une instance d’appel du gacaca.

648. A coté des juridictions étatiques, il y aurait un ordre juridique négocié constitué de
« juridictions de consultation et d’arbitrage »2711. Celui-ci correspond aux formes de justice
dans lesquelles la négociation, la médiation, la conciliation, l'oralité de la procédure

2709
Stanislas Meloné, « Les juridictions mixtes de droit écrit et droit coutumier dans les pays en voie de
développement. Du bon usage du pluralisme judiciaire en Afrique : l’exemple du Cameroun », Op. Cit, p. 345.
2710
Voir F. Reyntjens, « Le gacaca ou la justice du gazon au Rwanda », Politique africaine, 1990, p. 40.
2711
L’expression est empruntée au Professeur Stanislas Meloné, « Les juridictions mixtes de droit écrit et droit
coutumier dans les pays en voie de développement. Du bon usage du pluralisme judiciaire en Afrique : l’exemple
du Cameroun », Op. Cit.

587
l'emportent sur le jugement : on parlera alors de justice « délégalisée » ou de « justice
informelle » 2712 . La justice de l’État n’est pas seule à réguler les rapports sociaux et à
sanctionner des obligations et interdits : tout particulièrement en Afrique, ce constat relève
pratiquement du sens commun2713. Bien que très tardivement, la plupart des acteurs impliqués
dans des réformes judiciaires en Afrique ont progressivement commencé à prendre en compte
cette réalité. L’institution de modes alternatifs tels que l’arbitrage, la médiation, la
conciliation dans le système OHADA, la redécouverte des modes alternatifs résolution des
litiges dans les sociétés occidentales en sont quelques illustrations. Cependant, l’approche de
l’ordre négocié au sein du système juridique camerounais reste assez timorée et mérite d’être
d’avantage développée, encouragée pour qu’elle conduise au développement et à la création
d’une véritable politique de développement d’une justice privée. Une justice privée fondée sur
la fonction du médiateur, conciliateur ou encore de l’arbitre et donc sur un système de valeurs
tourné vers la qualité du médiateur, la manière d’être exprimée en termes d’ « intégrité », de «
droiture » ou de « recherche de la vérité », mais également sur la capacité du tiers médiateur,
conciliateur à restaurer le lien social à la satisfaction de toutes les personnes impliquées,
plutôt que sur la norme qui détermine l’action du juge. Ce qui fait actuellement véritablement
défaut est un dispositif approprié, efficace à la validation de solutions négociées. Que ce soit à
travers des médiateurs extérieurs au tribunal ou des sessions de conciliation initiées par les
juges – sur ce point le chemin à parcourir reste long, le juge n’étant pas formé pour concilier –
ce dont la justice a le plus besoin, ce sont des moyens efficaces d’administration de la justice,
de la gestion des conflits, une nouvelle approche, une inversion du système de règlement des
conflits dans laquelle la phase contentieuse de résolution des différends serait par exemple
postérieure à la justice négociée. Car le recours vers le mode traditionnel de traitement des
conflits n’a pas tari, il a au contraire tendance à s’accentuer y compris dans les villes.
L’effectif des personnes qui a recours aux instances arbitrales informelles de résolution des
différends semble augmenté. Comme le relevait déjà il y a plus de trois décennies le
Professeur Minkoa She2714, « plutôt qu'à une césure, on assiste à une extension des liens entre
la ville et la campagne. Le phénomène de l'exode rural [...] draine vers les villes toujours plus
2712
L'appellation de « justice informelle » désigne toute une série d'expériences judiciaires reposant sur les
techniques de l'ordre négocié qui ont été et continuent d'être menées aux États-Unis. Elle correspond aux Etats
unis, à une politique judiciaire spécifique. Elles ne sont pourtant pas dénuées de formes, mais sont qualifiées
ainsi en ce que celles-ci diffèrent de celles des tribunaux.
2713
V. Dominik Kohlhagen, « Oser une refondation de la Justice en Afrique Attentes citoyennes et alternatives
au Burundi », in C. Eberhard (dir.), Le courage des alternatives, Paris, Karthala, coll. « Cahiers
d’Anthropologie du droit. Hors série », 2012, pp. 177-195.
2714
A. Minkoa She, Essai sur l'évolution de la politique criminelle au Cameroun depuis l'indépendance, Thèse
d'État en droit, Strasbourg, 1987, t. 1, p. 80 (cité par E. V. Bokalli (1997), « La coutume, source de droit au
Cameroun », Revue générale de droit, 28(1), 37–69, spéc. p. 54.

588
de personnes peu influencées par la culture occidentale et qui, du fait même de leur condition
socio-économique, reconstruisent culturellement le "village" dans la "ville" ». On assiste
ainsi, à la survivance du droit coutumier. Dès lors, il devient difficile pour de nombreux
justiciables Camerounais de recourir spontanément à l’institution judiciaire officielle mise en
place qui renforcent leur impression d’une application littérale des règles rigides, d'autant plus
qu’ils considèrent parfois les décisions rendues comme injustes, disproportionnées par rapport
à la faute commise. L’option d’une conciliation ouverte à des particuliers en favorisant la
formation d'un groupe de professionnels de la justice informelle, conciliateurs, médiateurs, a
déjà été évoquée. Cet ordre négocié des sociétés traditionnelles par l'oralité juridique fondant
la résolution des conflits2715 semble équivalente à la justice informelle des sociétés modernes.
Cependant, celles des premières anticipent sur les secondes2716. Aussi, la justice étant devenue
un bien de consommation courant, il faut changer la perception des modes de justice
négociée. Se garder de les considérer comme une alternative à la justice étatique, un remède à
l’engorgement ou à la saturation du rôle des juridictions, mais plutôt simplement comme un
mode de traitement des différends, un moyen d’améliorer la qualité de notre justice, de
résoudre autrement les conflits de même valeur que la justice institutionnelle. Il ne s’agit pas
d’un plaidoyer pour le retour au passé mais, il est plutôt tout simplement question comme le
dit un auteur, « de la prise en considération par le législateur de l'identité et de la
personnalité camerounaises »2717, la reconnaissance et l’incorporation d’un droit traditionnel
vivant inévitable qui mérite d’être sauvegardé et duquel dépend la crédibilité du système.

2. Assurer la crédibilité du système pluraliste

649. Le nouveau schéma juridictionnel ne prendra sens que si les bases de fonctionnement
du nouveau tribunal de première instance sont aussi repensées2718. Le caractère hybride du
droit nouveau commanderait que des figures représentant les différents systèmes juridiques
soit admis à assister pour les magistrats de carrière. Le tribunal serait donc obligatoirement
composé pour des litiges en matières civiles, commerciales et parfois pénales des assesseurs,
parmi lesquels figureraient des représentants de la coutume des parties ayant voie délibérative.
Procédé qui à long terme donneront au juge professionnel une connaissance suffisante de la
règle coutumière. La coutume étant d’essence orale, son application suppose de la connaître

2715
Roselyne Mavungu, « Synthèse sur les travaux et expériences en médiation du LAJP », in Bulletin de
liaison du LAJP, n° 22, sept. 1997, pp. 82-88.
2716
N. Rouland, Aux confins du droit. Anthropologie juridique de la modernité, Op. Cit., p. 95 et suiv.
2717
E. V. Bokalli, « La coutume, source de droit au Cameroun », Op. Cit.
2718
Stanislas Meloné, « Les juridictions mixtes de droit écrit et droit coutumier dans les pays en voie de
développement. Du bon usage du pluralisme judiciaire en Afrique : l’exemple du Cameroun », Op. Cit.

589
ou de connaître la décision coutumière qui a été prise sur son fondement et qui est un
préalable nécessaire à une autre décision.

Il faut toutefois souligner que, la crédibilité de ce système repose sur la qualité de la


représentativité des assesseurs qui devra absolument être améliorée. L’équation risque d’être
difficile à résoudre, car l’ineffectivité de la représentation de la coutume devant les
juridictions de droit traditionnel au Cameroun est criarde2719. Dans ce contexte de dialogue et
d’hybridation juridique et judiciaire, le fonctionnement des juridictions coutumières, et donc
la participation d’assesseurs coutumiers à l’administration de la justice issue du nouveau
schéma juridictionnel, constitue un levier essentiel à la mise en œuvre et au développement de
la règle coutumière, et plus largement au renforcement du lien social sur le territoire. Ce qui
implique de supprimer, sinon de réduire progressivement la suprématie du droit légiféré sur la
coutume posée par la Cour suprême du Cameroun oriental2720 à l’occasion d’un conflit de lois
interne entre règle coutumière et droit écrit lorsque coutume et règles de droit peuvent avoir
tous les deux vocation à s'appliquer à une même affaire. Quant au choix de la règle applicable,
l’endogénéisation de la méthode classique des conflits de lois de droit international privé ou le
choix par les parties de la règle applicable sont des hypothèses à envisager. Concernant la
représentation des assesseurs, deux solutions sont envisageables pour assurer la
représentativité des assesseurs à tous les stades de la procédure : en appel et en Cour
2721
suprême et non pas seulement en première instance. La première, réside dans
l’amélioration des modalités de désignation des assesseurs basée sur l’adéquation entre
l’origine des assesseurs et la coutume des parties au procès et l’exigence de certaines qualités
requises pour siéger en tant qu’assesseur. Le paragraphe (c) alinéa 2 de l’article 10 du Décret
69/DF/544 du 19 décembre 1969 fixant l'organisation judiciaire et la procédure devant les
juridictions traditionnelles du Cameroun oriental se limite à disposer que les représentants
doivent être notables ou chefs traditionnels. Le texte de l’article 10 ajoute trois conditions
supplémentaires : la stabilité liée à la résidence près du siège du tribunal, la condition

2719
Sur le niveau de représentation de la coutume au sein des juridictions de droit traditionnel au Cameroun,
voir Samuel Tepi, « L’ineffectivité de la représentation de la coutume devant les juridictions de droit
traditionnel au Cameroun », Afrilex, 2000 ; J.M. Youche, La justice au Cameroun, Yaoundé, 1986, p. 62 et
suiv.
2720
Cour suprême de l'ex-Cameroun oriental (CS. CAMOR), 5 mars 1963, Bull. n° 8, p. 541. La juridiction
décidait en effet dans un de ses arrêts que « dans les matières où il a été légiféré, la loi l'emporte sur la coutume
».
2721
Selon le schéma juridictionnel Melonéen initial, la représentation des assesseurs est limitée au nouveau TPI
à l’exclusion de l’appel. Ce qui à notre avis semble réduire la représentativité des assesseurs en instance et pas en
appel et éventuellement devant la Cour suprême. On ne saurait penser que le procès perdrait l’importance de la
présence des assesseurs une fois la première instance franchie. Il faut se souvenir que le droit hybride nouveau
serait un droit composé de l’ensemble des systèmes juridiques endogène et occidentaux.

590
d’intégrité basée sur l’estime publique et la condition de connaissance de la coutume
représentée. Le problème ici réside dans les éléments d’appréciation du degré de connaissance
de la coutume principalement pour les notables et chefs des villes. Ce qui justifie la position
du Professeur S. Meloné pour qui, « les concentrations urbaines d'une certaine importance ne
sont donc pas un cadre idéal pour le développement d'une bonne interprétation de la coutume
par les assesseurs qui par ailleurs sont souvent très éloignés du milieu naturel de cette
coutume. Le rôle des assesseurs est donc de plus en plus formel dans ces villes »2722. On
assiste à visage découverts de la triste réalité donnée par certains chefs dits traditionnels
nommés par l’administration et qui sont des chefs plottants qui ne remplissent ni les
conditions de la légitimité traditionnelle ni de la légitimité moderne, alors qu’ils sont appelés
à rendre la justice dans leur milieu. La règle coutumière n’est pas toujours connue par ceux
qui sont chargés de l’appliquer. Le fait d’être notable ou chef ne garanti en rien la
connaissance de la coutume. Deux mesures peuvent permettre de renforcer la qualité de la
représentation des assesseurs. Soumettre l’assesseur à un mandat d’une certaine durée qui ne
serait reconduit qu’à l’aune de l’activité antérieure de l’assesseur. De plus, le déni de justice
sanctionné chez le juge moderne, pourrait également être étendu à l'assesseur dont le rôle est
de donner un avis conforme dans une affaire pour laquelle il est appelé à siéger. Dans la
mesure où on ne saurait favoriser et laisser perdurer « une justice inadaptée aux objectifs qui
ont justifié son organisation »2723.

650. La possibilité serait ouverte pour tout assesseur de représenter de manière indifférente
toutes les coutumes si le Cameroun disposait comme certains pays en l’occurrence le Kenya
et c’est la seconde solution, d’un Recueil de coutumes locales qui constitue non pas un Code,
mais simplement un document de travail et de référence pour les juges et assesseurs. Quel que
soit la solution qui pourrait être envisagée, celle-ci devrait venir en complément d’un
recrutement plus accentué de magistrat dont le ratio se situe pour rester à l’exemple du
Cameroun entre trente et trente cinq chaque année, dont l’implémentation doit tout aussi
prendre en compte la volonté de se prémunir de la fracture juridique dans les sociétés
africaines. Réformer le système juridictionnel, la base de fonctionnement des juridictions,
faire émerger un droit hybride nouveau, n’enlèvera en rien le fait que la codification en
Afrique noire demeure confrontée à de nombreux défis qu’il faudrait inévitablement prendre

2722
Stanislas Meloné, « Les juridictions mixtes de droit écrit et droit coutumier dans les pays en voie de
développement. Du bon usage du pluralisme judiciaire en Afrique : l’exemple du Cameroun », Op. Cit.
2723
Samuel Tepi, « L’ineffectivité de la représentation de la coutume devant les juridictions de droit
traditionnel au Cameroun », Op. Cit.

591
en compte et résoudre si l’on veut créer une osmose entre droit, pratiques juridiques et
populations.

B. Se prémunir d’une nouvelle fracture juridique dans les sociétés africaines

651. Comment parvenir à un droit accepté de tous et à une justice qui apaise, qui rétablisse
l’harmonie comme jadis avant « l’accumulation juridique » ? Il faut assurer la réception du
droit. Pour être efficace, le droit doit être bien reçu ses destinataires. L’une des conditions de
la réception du droit est que celui-ci puise aux sources dans lesquelles s'abreuvent les
populations qui constituent son champ d’application afin de mieux traduire leurs aspirations
profondes. L’irrespect de ce préalable conduit au déphasage, à la résistance constatée entre
droit officiel, droit appliqué et population. C’est dire la règle juridique ne doit pas uniquement
être énoncée, créée, elle doit surtout fait l’objet de réception, pour être efficace parce que
mobilisée par les personnes à laquelle elle est destinée. Rapprocher la justice et le droit des
justiciables dans le contexte africain contemporain suppose que le législateur fasse plus que
faire coexister, rapprocher, intégrer simplement différents systèmes juridiques ou hybrider du
droit. Le droit devrait cesser d’être une affaire de professionnels, de quelques initiés, pour
devenir l’affaire de l’ensemble du corps social. Il faudrait qu’il se démocratise. Pour cela, la
première solution, hormis celles proposées plus haut serait, de sortir les initiés du droit de leur
environnement classique. Autrement dit, il faudrait, à la fonction classique d’enseignement2724
de l’université lui assigner un rôle social, celui de participer à la consolidation de l’accès au
droit. Transformer l’université africaine passive 2725 en une institution active. L’avènement
d’une université active suppose dans le cas d’espèce d’un moyen de démocratiser le droit,
orienter l’institution universitaire et ses disciples vers l’action par la généralisation au sein de
nos facultés de droit, des cliniques juridiques ouvert au public où l’on trouverait mêlés
universitaires, étudiants et praticiens abordant de concert une multitude de cas réels sur des
sujets d’intérêt public2726. L’étudiant para juriste devenant par ce biais un acteur social. Dans
cette dynamique d’évitement d’une éventuelle fracture juridique entre population et droit,

2724
La diffusion du savoir reste et demeure la mission fondamentale de l’Université sous réserve des
mouvements en faveur de la vocation professionnalisante de l’Université, celle-ci n’avait pas vocation à exercer
des missions autres que celles d’enseignement et de recherche, de transmission du savoir purement théorique
dans des amphithéâtres. Voir Romain Ollard, Amarande Baumgartner, « Cliniques juridiques et
démultiplication des missions de l’université », Cliniques juridiques, Volume 1, 2017, disponible sur
https://www.cliniques-juridiques.org/?p=314.
2725
Cf. Faré Ali, « La contribution de l’Université à la consolidation de l’accès au droit et à la justice en Afrique
noire francophone : entre modèle de marché et modèle du service public universel », Cliniques juridiques, Op.
Cit. ; Samuel Etoa, « Cliniques juridiques, enseignement du droit et idée de justice », Cliniques juridiques, Op.
Cit. Disponible en ligne sur https://www.cliniques-juridiques.org/?p=308.
2726
Ibid.

592
devrait être intégrée la terminologie juridique. La traduction du droit doit notamment être
envisagée sous un jour nouveau mettant en évidence l’interjuridicité. Enfin, parce que la
norme est d’organisation sociale, elle doit être comprise par les sujets qui devront l’appliquer
et, partant, elle doit s’intégrer à leurs comportements.

652. La socialisation juridique jouera également un rôle de premier plan pour se prémunir
de la fracture juridique entre droit et population. Elle est définit par Chantal Kourilsky2727
comme un processus où « le sujet s'approprie le Droit qui régit sa société en en intégrant les
éléments fondamentaux dans son système de représentations et de connaissances. Ce faisant il
fait sienne son identité juridique, son identité en tant que sujet du Droit et sujet de droits » ou
encore comme un processus d'appropriation, c'est-à-dire « d'assimilation progressive et de
réorganisation personnelle par le sujet dans son propre univers de représentations et de
savoirs, des éléments constitutifs du système juridique qui régit sa société : normes
juridiques, institutions, relations sociales auxquelles elles s'appliquent ou dans lesquelles
elles interviennent, statut des sujets, leurs droits et leurs obligations »2728. Le langage ou les
codes sociolinguistiques en vigueur dans les différents groupes sociaux jouent ici un rôle
prépondérant et l'assimilation des concepts juridiques les plus courants devra faire partie des
processus d'apprentissage quotidien. Le discours juridique, dans le sens de la terminologie
juridique reste ainsi une question principale. Ce défi est le même pour ce qui concerne les
enjeux de la codification en Afrique.

C. Répondre aux défis actuels de la codification en Afrique

653. L’idée de recourir à une codification dans le domaine du droit uniforme paraîtrait
certainement saugrenue aux yeux de monsieur G. Cornu, car la codification est plutôt
l’apanage des Etats nations avec lesquelles elle s’est développée et par conséquent se prêterait
mal à une construction dite intégrative2729. L’émergence d’un droit hybride nouveau fût-il des
affaires doit, dans le souci de garantir son accessibilité tenir compte du choix d’une forme de
présentation du droit. En optant pour la réunion en code des règles de droit, les législateurs
disqualifient ainsi la forme orale privilégiée par les droits anciens africains et la construction
progressive des règles par la jurisprudence. Bien plus qu’une forme de présentation du droit,

2727
Chantal Kourilsky, « Socialisation juridique et identité du sujet », in Droit et société, n° 19, 1991. Le
rapport des jeunes au Droit à l'Est et à l'Ouest. pp. 259-275.
2728
Ibid.
2729
G. Cornu, « Un Code civil n’est pas un instrument communautaire », Dalloz, 2002, chronique, p. 351.

593
la codification serait pour l’Afrique la meilleure alternative2730. D’ailleurs, l’idée d’utiliser la
technique de la codification comme entreprise de mise en forme du droit n’est pas en soi
nouvelle en Afrique subsaharienne2731. Si la question n’est donc pas nouvelle, elle apparaît
tout de même comme un des grands défis des droits africains dans la mesure où il entraîne soit
l’adhésion et la légitimation populaire, soit le rejet. Mais quelle signification donner au terme
codifier ? Tenter de donner une définition définitive de ce que l’on entend par code ou
codification apparaît voué à l’échec. Toutefois, on peut envisager comme hypothèse de départ
quelques définitions consensuelles, parmi lesquelles celle donnée par monsieur Dominique
Bureau à savoir, « le rassemblement de textes juridiques ordonnant les règles relatives à une
matière déterminée au sein d’un ouvrage »2732. Mais cette conception de notre point de vue
renvoie plus à celle de la compilation (codification-compilation) du droit ou « codification
formelle »2733 qui permet de rassembler en un minimum de temps des textes d’origine et de
nature différente, non modifiés en substance dans un même corpus rationnellement
structuré2734. Elle a pour objectif une mise en ordre du droit. Elle ne touche pas à la substance
du droit, elle lui donne un contenant nouveau. La codification est aussi associée à
l’harmonisation2735. Toutefois, sans dénigrer ces formes de présentation du droit, « compiler
», « recueillir» ou « harmoniser » ne signifie pas « codifier », car ne répondant pas aux
mêmes attentes ni au même esprit que la codification réelle ou substantielle. La codification
est au sens du Professeur V. K. Mbambi2736 « une œuvre de systématisation, de cohérence, de
compatibilité et de complémentarité des normes d’un système donné ». La conception de M.
Ph. Stoffel-Munck est encore plus précise et convient à la réalité juridique plurielle de
l’Afrique, du Cameroun. L’auteur reteint que, la codification est « une œuvre fondatrice et
confondante qui a pour objet de fondre un corpus juridique ancien et hétérogène en un
matériau nouveau, durable, inoxydable comme l’acier qui en est, me semble-t-il, une

2730
V. R. Degni-Segui, « Codification et uniformisation du droit », in Encyclopédie juridique de l’Afrique, t. 1,
L’Etat et le droit, pp. 455 et suiv.
2731
Ibid.
2732
D. Bureau, « Codification », in Dictionnaire de la culture juridique, Op. Cit, pp. 225.
2733
Lire utilement Ph. Stoffel-Munck, « Les résultats de la codification », in Colloque sur « La codification
dans la zone de l’océan indien », La réunion le 7 octobre 2003.
2734
R. Cabrillac, (2005), « Les enjeux de la codification en France », in Les Cahiers de droit, 46 (1-2), pp. 533-
545 disponible sur https://doi.org/10.7202/043852ar ; R. Cabrillac, Les codifications, coll. « Droit, éthique,
société », Paris, PUF, 2002.
2735
Il en est ainsi de la codification européenne du droit des contrats, le cas des règles uniformes, des principes
d’Unidroit ou de l’arbitrage international. Une œuvre de codification est plus qu’une harmonisation.
2736
Vincent Kagulumba Mbambi, « Les droits originellement africains dans les récents mouvements de
codification : le cas des pays d’Afrique francophone subsaharienne », in Les Cahiers de Droit, Op. Cit., p. 319
disponible en ligne sur https://doi.org/10.7202/043841ar. La codification réelle consiste à rassembler, fixer,
clarifier, rénover, systématiser ou unifier les règles relatives à une ou plusieurs matières en les ordonnant en un
ou plusieurs codes.

594
métaphore expressive. Cette codification réelle constitue une fonte de métaux juridiques
anciens : une fonte de coutumes, de pratiques, de règles, de controverses qui vise à donner au
corps social une armature juridique d’un alliage nouveau »2737. C’est dire que l’esprit de la
codification vers laquelle doit tendre le droit camerounais ou africain nouveau réside dans le
caractère unitaire de la diversité des règles d’un système, des modes de production ou de
formulation du droit légitimes reflétant la philosophie et l’idéal des cultures juridiques
africaines pour paraphraser le Professeur Mbambi2738. D’où notre proposition plus haut de
fondre la logique institutionnelle des droits occidentaux, dans la logique fonctionnelle des
droits traditionnels africains pour éviter un rejet, être fondée sur la prise en compte des
paramètres du milieu, en d’autres termes, la cohérence des normes avec les réalités sociales et
nécessités sociologiques. Pour le dire autrement, on ne peut attendre d’un plan de cacao planté
en zone sahélienne, qu’il produise le résultat escompté. La codification réussie doit fournir un
lien, un résultat fédérateur. Celle-ci ne peut atteindre ce résultat, que si elle est adaptée aux
valeurs communes, à la communauté à laquelle les règles entendent s’appliquer. Le droit
nouveau doit exprimer les éléments considérés pour essentiels : la conception du droit et de la
justice, du litige, la philosophie qui nourrit le traitement du litige, l’objectif et l’existence du
droit. Un droit expression du consensus populi. Comme un auteur a pu l’écrire, « le code n’est
alors même plus la réunion » des règles hétérogènes des divers systèmes, il devient une
« espèce de droit commun »2739. La codification étant un art difficile à réaliser, les légistes
africains doivent s’assurer de concilier les spécificités culturelles, les traditions juridiques et
ne surtout pas perdre de vue que les normes sont faites pour ceux à qui elles sont destinées et
non l’inverse. Codifier n’est plus comme on a pu le penser autrefois synonyme de civiliser,
coloniser. Codifier, c’est d’une certaine façon légiférer, c’est un travail perpétuel2740.

2737
Ph. Stoffel-Munck, « Les résultats de la codification », Op. Cit.
2738
V. Kagulumba Mbambi, « Les droits originellement africains dans les récents mouvements de codification
: le cas des pays d’Afrique francophone subsaharienne », Op. Cit.
2739
P. Rémy, « La recodification civile », (1997) 26 Droits 3, 10 (cité par R. Cabrillac, « Les enjeux de la
codification en France », Op. Cit.)
2740
Geneviève Koubi, « Code et codification : du civil à l’incivil », Droit et cultures, 48, 2004, 133-144 mis en
ligne le 04 mars 2010, consulté le 25 décembre 2019 sur http://journals.openedition.org/droitcultures/1748.

595
Conclusion Chapitre Second

654. L’uniformisation du droit par l’émergence d’un droit hybride et symbiotique nouveau
permet d’entrevoir des solutions pour inscrire l’efficacité et la protection effective des droits
dans l’univers juridique camerounais. Il a fallu dans un premier temps, porter un diagnostic
sur les points qui pourraient achopper dans le cadre d’une entreprise d’hybridation du droit.
Cela nous a conduit a un constat tout simple : chaque culture juridique pense et conçoit les
normes, de définit un concept selon ses propres logiques. Le droit n’est que le fruit de
données historiques, sociales et religieuses. Celles-ci influent sur la manière de voir le droit et
résoudre les litiges. Cela étant, la compréhension de la logique des droits africains dans
lesquels la fonction prime sur les êtres, la vision pluraliste et communautariste de la société
qui contrairement à la logique inverse occidentale, ouvre la perspective d’un droit commun
ouvert au pluralisme juridique.
Pour l’effectivité du droit fondamental à la justice, nous avons pensé qu’il faut
envisager différentes solutions permettant de mieux articuler les différentes cultures
juridiques endogènes et occidentales présentes au Cameroun. C’est principalement par
l’uniformisation du droit fondée sur la dialogie entre traditions juridiques africaines et droit
occidental, sur la complémentarité des logiques fonctionnelles et institutionnelles, ensuite sur
le pluralisme judiciaire simplifié et intégré que ces modifications devraient être orientées pour
atteindre une garantie efficace d’accès à la justice et un droit nouveau adapté aux valeurs
communes des communautés dans lesquelles les règles entendent s’appliquer.

655. Dans le cas du droit substantiel comme dans celui de l’organisation du système
juridictionnel, ces modifications nécessitent inexorablement une volonté politique capable
d’orienter le droit camerounais vers les réalités sociales et l’adapter aux besoins sociaux des
acteurs. Il appartient au législateur, aux autorités compétentes d’entreprendre les initiatives
nécessaires pour assurer la garantie suffisante et efficace des droits que les particuliers tirent
du droit applicable et parfaire la réalisation d’une administration plurielle à la justice, gage
d’une garantie efficace du droit fondamental à la justice. Des cultures juridiques mise en
harmonie susceptibles d'être reçues, donnant naissance à un droit nouveau, hybride, ni
totalement importé pour éviter le rejet, ni totalement issu du droit traditionnel, mais
empruntant aux différentes logiques. C'est à ce droit nouveau que pensait le Président Keba

596
Mbaye lorsqu'il écrivait que « la sagesse recommande, au nom de l'unité et de la cohésion
nationales, de créer un droit nouveau formé des coutumes locales fécondées par le droit
moderne, et admettant sur les matières les plus délicates, aux exigences les plus irréductibles,
une faculté d'option entre deux règles »2741.

2741
K. Mbaye, Le droit de la famille en Afrique noire et à Madagascar, Paris, éd. G.P. Maison-Neuve et Larose,
1968, p. 37 (cité par V. E. Bokalli, « La coutume, source de droit au Cameroun », Op. Cit, p. 69).

597
Conclusion Seconde partie

656. Le droit à la justice dans le système juridique camerounais est une question qui reste
entière en dépit des mutations qui ont été imprimées au dispositif juridique et judiciaire au
Cameroun. Le droit et le système judiciaire présentent des lacunes dans différentes situations
et celles-ci appellent une autre manière de voir et d’appréhender la chose juridique, de
garantir les droits fondamentaux. Les difficultés existantes sont diverses et variées et tiennent
surtout de l’exécution transfrontière des actes juridictionnels et autres titre exécutoires ; le
droit démeure celui des initiés et des spécialistes et loin des préoccupations sociales des
populations ; l’accès à la documentation juridique et à la jurisprudence reste une
préoccupation constante, le prix de la justice élevée, l’exécution des décisions de justice un
souci. Le même constat peut être posé concernant la justice privée. L’émergence d’une offre
suffisante et moins couteuse à la résolution amiable des litiges reste attendue. Si elle se
développe néanmoins, il faut relever que la qualité, les compétences et l’effectif du « juge
privé » est en deçà des attentes. L’établissement des règles ne suffit pas, encore faut-il que
celles-ci soit reçues et mobilisées.

657. Pour pallier à ces difficultés, nous avons pensé qu’il est possible à court terme,
d’envisager une approche différente et quelques aménagements pour la réalisation de l’accès à
la justice. Il s’agit d’abord de décloisonner les systèmes juridiques des Etats et d’appréhender
la concrétisation du droit à la justice à travers une approche unitaire et globale, construire un
espace juridique intégré qui assure un « savoir être », la mobilité des opérateurs du droit. Une
véritable coopération judicaire, dialogue des systèmes et des juges manquent à la réalisation
du droit garanti. L’élaboration du droit de la coopération judiciaire, devrait assurer un
environnement propice à l’ensemble des éléments matériels constituant l’accès à la justice.
Ensuite, à long terme, la piste d’un droit camerounais nouveau né de l’hybridation des
cultures juridiques, moulé au pluralisme de fusion par l’uniformisation, prenant en compte
droits traditionnels africains et traditions juridiques occidentales et adapté aux réalités
camerounaises mérite sérieusement d’être explorée. Ce droit nouveau sera désormais le signe
de la prise en compte par le législateur, de l’identité et de la personnalité camerounaise.

598
CONCLUSION GÉNÉRALE

658. L’efficacité de la garantie d’un droit fondamental se définit et se caractérise par


l’adéquation entre des attentes et un résultat. Le droit à la justice fait ainsi naître une attente
chez tous les citoyens, opérateurs économiques, professions juridiques et judiciaires : une
protection juridique et juridictionnelle effective et efficace. L’efficacité de la garantie réside
dans la certitude d’obtenir quelle que soit la nature du litige, civil, pénal, commercial ou
social ; quel que soit le siège de la juridiction saisie ; le mode de traitement des conflits
choisi ; les professionnels impliqués dans l’application et l’interprétation du droit, une bonne
administration de la justice. Une administration plurielle de la justice satisfactoire pour les
justiciables, grâce à la concrétisation de la garantie juridictionnelle. Le droit à la justice
efficacement garanti consiste alors en une succession d’appréciations positives sur la mise en
œuvre de la justice dans un système juridique donné. Il est donc temps de rassembler les
observations pour savoir si une réponse peut être apportée autour de la problématique
initialement posée. Rappelons-en les termes : le droit à la justice est-il efficacement garanti en
droit camerounais ? Au terme de l’étude, une constatation s’impose : le contrat n’est que
partiellement rempli et des efforts restent à fournir. Des solutions sont toutefois envisageables.

659. Comme tout vocable en vogue, l’usage de l’expression « efficacité », « qualité » se


multiplie. Et la progression de l’exigence de qualité touche aujourd’hui, l’ensemble des
services publics pour les soumettre à des outils d’évaluation, les faire évoluer. La justice,
service public certes spécifique, n’a pas su échapper à l’expansion de cette nouvelle règle.
Destiné à s’installer durablement dans le paysage juridique, la qualité est devenue un outil à
l’aune duquel sont mesurés les modèles d’organisation et de fonctionnement. La qualité de la
justice est donc devenue l’exigence supérieure d’une bonne administration de la justice. Une
exigence qui traduit la relation inextricable entre le droit à la justice, droit fondamental, et le
modèle d’administration de la justice qui en résulte.

660. La garantie efficace du droit à la justice étant essentiellement contingente, des moyens
doivent être mis en œuvre pour en accroître la certitude de la réalisation. L’efficacité de la

599
garantie optimale du droit au juge en droit camerounais est ainsi subordonnée à deux
dimensions cumulatives.
Tout d’abord, la pertinence de la garantie efficace du droit à la justice dans le droit
objectif camerounais. Cela veut dire que le législateur et les juges doivent garantir
suffisamment, améliorer les conditions qui assurent à chaque justiciable le bénéfice du droit à
une bonne administration de la justice. Facteurs concourant soit à l’indépendance de la
fonction de juger et des opérateurs du droit et qui lient la protection juridictionnelle effective
attendue par le citoyen aux qualités d’impartialité, d’inamovibilité, et d’intégrité originelles de
la justice, soit des facteurs générateurs des entraves de la dépendance de l’institution
judiciaire qui fait de cette dernière une institution mal autonomisée entretenant des rapports
forts ambigus et complexes avec son environnement socio-économique. Ce qui ne manque
pas de favoriser une justice considérée par le citoyen premier usager, comme aux ordres et
défendant les intérêts non avoués des officiers de justice au détriment de l’accomplissement
de la finalité assignée à l’institution. La corruption, une justice aux ordres du politique,
partout où ces pesanteurs sont présentes, elles gênent le développement économique, érode les
droits de l’homme et détruit la confiance envers l’institution judiciaire.
Par ailleurs, l’approche organisationnelle de la protection juridictionnelle qui repose
sur certaines exigences procédurales contenues dans le droit du justiciable à un bon procès
conduit en droit camerounais à replacer l’usager du service public de la justice au centre des
appréciations sur la qualité de la justice. Le Cameroun soutien la démarche régionale
d’intégration juridique depuis plus de vingt ans, en étant partie à la mécanique institutionnelle
et normative de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires
(OHADA). S’il est vrai que ce dispositif a permis de renforcer la sécurité juridique des
investissements dans les Etats francophones de l’espace concerné, il n’échappe pas pour
autant aux écueils que constituent, la concurrence des juridictions de cassation et des normes,
ou encore, la survivance des relants souverainistes.

661. Il reste que la bonne administration de la justice, sens objectif de la recherche de la


garantie du droit au juge, ne consiste pas exclusivement en un regard sur le versant
strictement procédural du droit fondamental à la justice dans l’univers de recherche retenu.
Elle est avant tout une démarche qui conduit, (à partir de l’analyse des caractéristiques du
modèle de justice existant, les relations entre les professionnels du droit, la structuration de
l’appareil judiciaire) à la recherche de l’amélioration constante d’une entité. L’analyse de ce
versant administratif, c'est-à-dire le droit à une bonne administration a permis de mettre en

600
lumière les contrastes et les paradoxes de la justice camerounaise, notamment, un modèle
d’administration judiciaire et de contrôle des activités juridictionnelles à dominante exécutive
qui justifie à tort ou à raison toutes les récriminations dont fait l’objet le service public de la
justice. L’administration de la justice se « managérialise ». Le nouveau management
judiciaire, « sorte d’administration de la justice d’un genre nouveau, est alors, et surtout,
révélé par la systématisation de l’évaluation du système judiciaire » 2742 . Il est temps et
impératif d’inscrire la pratique de l’évaluation régulière du système de justice dans les
dispositifs de gestion et de distribution de la justice dans le système juridique camerounais
comme menée dans cette étude.

662. Les transformations matérielles et structurelles doivent résolument être engagées aussi
bien par le législateur, que dans l’attitude des juges. Leur implication est à cet égard
susceptible de degrés. La loi et la jurisprudence peuvent favoriser l’efficacité, c'est-à-dire
améliorer, traduire dans les faits la nécessité de refonder le modèle de justice existant.
L’analyse du contexte camerounais confirme oh combien l’organisation de l’Etat est capable
d’influer sur les politiques d’administration et d’accès à la justice. Législateur et juge peuvent
organiser l’efficacité, non seulement en provoquant l’apparition de facteurs (compétence
techniques, accueil, information du justiciable, communication autour de l’activité des
juridictions etc.) qui rassureront les parties, mais surtout en protégeant eux-mêmes
(législateur, juge) l’usager de la justice par des règles immédiatement favorables ou par des
règles coercitives utiles à l’efficacité de la garantie du droit au juge (responsabilité, évaluation
objectives, spécialisation, formation, des relations cordiales et apaisées entre opérateurs du
droit). La garantie effective et efficace implique également l’affirmation des valeurs
juridiques fondamentales, puisque l’objectif d’efficacité peut être poursuivi dans le respect
des principes directeurs du procès. La protection des intérêts des justiciables est en effet
favorisée par de sains rapports entre les parties et par les exigences du respect de l’éthique, de
la déontologie judiciaire fondée sur « le serment ». La déontologie se transformant
progressivement en concept recteur au sein de l’activité des acteurs du procès. Celle-ci semble
renforcer la responsabilité des magistrats et des auxiliaires de justice.

663. Pour enfin autonomiser la justice camerounaise, il faut une bonne administration,
synonyme d’un modèle pertinent d’administration de la justice, une bonne justice, de bons
opérateurs du droit. Il faut donc améliorer, rationaliser, mieux réformer, moderniser les
instruments et mécanismes destinés à la concrétisation du droit à la justice. La bonne
2742
Laurent Berthier, La qualité de la justice, Thèse, Op. Cit, p. 607.

601
administration de la justice offre ainsi au législateur, à la fois le repère normatif d'une étoile
polaire et la base juridique pour exercer une telle compétence, une « ambition », une «
justification » qui lui donne la possibilité d’ajuster les textes et normes, ainsi que le
renforcement de la protection qu’offre son dispositif juridique et judiciaire. Moderniser la
justice en vue d’atteindre une protection juridictionnelle effective est loin d’être une sinécure.
Elle appelle une mutualisation des actions et de grandes capacité d’adaptation de la part des
acteurs pour satisfaire au mieux les justiciables.
Si l’indépendance, la compétence technique de l’officier de justice et les autres
qualités originelles du tribunal, l’efficacité de la justice sont autant d’exigences essentielles
pour la réalisation de la justice, c’est certainement parce qu’elles permettent in fine d’assurer
la sécurité juridique des personnes et des biens. Le degré ou l’état de la sécurité juridique et
judiciaire est aussi fonction de l’accès à la justice offert à l’usager de cette institution.

664. La seconde dimension juridique de la garantie suffisante et efficace du droit au juge


quant à elle, réside dans la pertinence de la garantie efficace en droit camerounais, du droit á
la justice en tant que droit subjectif. Autrement dit, la reconnaissance d’une prerogative
générale et abstraite d’obtenir la sanction judiciaire d’un droit. De ce fait, le droit positif
favorise l’accès à la justice, puisque la loi aménage le droit des parties de mettre en œuvre une
action en justice sur la base soit de la saisine du juge étatique (option traditionnelle) ou de la
mise en œuvre d’une justice jugée moins contentieuse par le droit à la résolution amiable des
conflits (option contemporaine). Le droit positif laisse ainsi la possibilité aux parties une
certaine liberté dans la détermination des moyens par lesquels elles entendent mettre fin au
différend qui les oppose. Le droit en vigueur favorise également in concreto le droit alternatif
à la résolution des conflits par la consécration de la conciliation dans le CPCC, l’érection de
deux actes uniformes : l’un sur l’arbitrage, et l’autre relatif à la médiation qui constitue
l’emergence en droit camerounais, d’un droit au recours à la résolution amiable des
différends. Entre les mains du demandeur repose la possibilité de provoquer l’intervention du
juge, ou d’inviter son adversaire à une médiation, au défendeur de la contester.
Le droit actuel aménage encore un droit à l’exécution des décisions de justice, dont la
recherche d’une garantie efficace est présente chaque fois qu’il instaure des protections à la
satisfaction des créanciers (saisie conservatoires, exécution provisoire soumise à conditions,
exécution forcée, possibilité de conversion des titres sur les exigences, choix de la mesure
d’exécution… pour surmonter l’inertie ou la mauvaise foi du débiteur) et son attachement à
l’équilibre des droits des parties (heures légales de saisies, encadrement de la contrainte pour

602
éviter des abus de droits, la consécration du principe de proportionnalité, responsabilité du
créancier en cas de modification du titre exécutoire), efficacité et encadrement juridique de
l’exécution (droit commun du titre exécutoire, établissement d’un professionnel de
l’exécution, érection d’un juge de l’exécution, responsabilité et obligation pour l’Etat de
prêter son concours à l’exécution). L’ensemble des règles juridiques et jurisprudence issues
du droit de l’exécution en vigueur en dépit de quelques lacunes, est fondé sur la nécessité
d’établir un équilibre : celui de concilier tant les intérêts du créancier que ceux du débiteur.
Si, à certains égards, le droit positif donne l’assurance d’une réalisation complète de
l’accès à la justice, ces mécanismes n’en connaissent pas moins une crise, car les lacunes du
droit, au regard de la concrétisation de l’accès à la justice, sont aujourd'hui particulièrement
accusées.

665. Le problème de l’accès à la justice provient des défauts formels de la règle juridique.
La mobilisation d’un droit par les parties, partant l’adéquation entre leurs attentes subjectives
initiales et la finalité assignée au droit en vigueur, dépendent de qualités formelles favorisant
la connaissance du droit (accessibilité des règles légales et jurisprudentielles, spécialisation
croissante du droit) et sa compréhension (clarté et cohérence), de son accessibilité matérielle
(accès à l’information juridique, accès à la jurisprudence), de la réception du droit, de
l’adéquation droit positif en vigueur aux cosmogonies juridiques des populations, de la
circulations des décisions et actes juridiques étrangers, les carences du droit de la coopération
judiciaire. La réalisation de l’accès à la justice suppose donc, que le droit présente des qualités
confortant les prévisions extrinsèques et intrinsèques des parties, prévisibilité croissante du
fonctionnement du système de l’exécution à l’échelle régional et national (stabilité du contenu
et de l’interprétation des règles de droit, respect judiciaire de la chose jugée, liberté des
acteurs, le coût de la procédure judiciaire, prévisibilité des délais et taux d’exécution des
décisions de justice, respect des délais, audace du juge). Pour le dire autrement, « les
particularités formelles fondamentales de la forme moderne et occidentale de
l’administration de la justice qui sont générées par cette création systématique et rationnelle
du droit »2743, ajoutées à la volonté de nos systèmes juridiques africains d’appliquer toujours
et encore en l’état, un droit qui n’est pas toujours reçu, car non vécu, génère des résistances.
En conséquence, le problème de l’accès à la justice est généralement transversal. Aussi,
madame Elisabeth Guigou estime-t-elle que la justice est « au cœur du pacte démocratique »,

2743
Max Weber, Sociologie du droit, Coll. Quadrige, PUF, 2013, (traduction de Jacques Grosclaude), n° 275, p.
217.

603
elle doit être accompagnée, assistée et sauvée partout où elle menacée2744. Il faut adhérer sans
réserve à cette réflexion. C’est l’efficacité de la chaine de justice, de l’accès au juge jusqu’à
l’exécution complète de la chose jugée, qui donne à l’Etat de droit son sens le plus pur.

666. La progression constante du droit légiféré et notamment l’importation systématique


des règles de droit moulés au système du droit continental européen, menace très
sensiblement la réception du droit obtenu. La crédibilité de la justice, son efficacité, celle du
droit appliqué par elle, est plus que jamais dépendante de sa compréhension, mais surtout de
sa réception. Cette logique suppose une prise de conscience sur les enjeux d’une logique plus
pérenne, d’une administration plurielle de la justice, au-delà de son aspect strictement
juridique, vers une réelle prise de conscience à travers ce qui apparaît de prime abord comme
la garantie de la prise en compte de l’identité de la société dans l’érection de la norme, à
savoir l’uniformisation par l’hybridation juridique pour construire un droit symbiotique. Pour
y parvenir, il faut surmonter la différence entre le droit continental et le droit anglo-saxon,
faire dialoguer les différentes traditions juridiques endogènes et exogènes, fondre la logique
institutionnelle des droits occidentaux dans la logique fonctionnelle des droits africains,
intégrer et donner sur le plan de la méthode, une place prépondérante à l’approche
transdisciplinaire, transsystémique, au droit comparé dans les programmes d’enseignement et
à la socialisation juridique. Bref, ouvrir les concepts de droit et de justice (l’accès à la justice
et au droit) à un regard anthropologique. L’administration plurielle de la justice qui en
résultera implique de coordonner l’action de l’ensemble des acteurs, pour enfin s’assurer que
les citoyens connaissent et choisissent la manière la plus convenable et la plus adéquate pour
gérer, prévenir et régler leurs différends. Et cela pour un droit à la justice plus adéquat et
légitime. José Geraldo de Sousa rappelle dans ce sens que, le défi à relever qui rendrait
possible la concrétisation de la promesse d’un accès démocratique à la justice et à l’effectivité
des droits porte vraisemblablement sur l’élargissement des voies d’accès, à partir de l’activité
médiatrice du droit pour réaliser les expériences capables d’amplifier la juridicité2745.

667. L'essor, autrement que formel, du principe de sécurité juridique (objectif et subjectif),
commanderait une mutation profonde de notre système de garantie des droits fondamentaux,
un bouleversement de notre ordre juridique qui n'a pas encore jusqu’ici, véritablement gagné

2744
Elisabeth Guigou, « La justice au service du citoyen », in Elisabeth Guigou, Gilbert Anton, Jean-Denis
Bredin et al, Le service public de la justice, Paris, Odile Jacob, 1998, p. 25.
2745
J. G. de Sousa Jr., « Por uma concepção alargada de Acesso à Justiça », Revista Jurídica, Brasília, volume
10, n° 90, Ed. Esp., avril/mai, 2008, p. 11, consulté sur www.planalto.gov.br/revistajuridica, le 03 Septembre
2021.

604
en protection suffisante du droit à la justice. Il n’y a pas de nette séparation entre les manières
dont la justice est administrée et les méthodes par lesquelles le droit est paré d’une réelle
efficacité2746. Les deux composeraient une seule et même préoccupation générale liée au droit
à la justice. L'appel à la garantie efficace du droit fondamental au juge dans l’ensemble de ses
composantes, n'est pas une médecine. C'est l'expression d'un mal. Ses tares, ses « avancées »
fournissent le diagnostic de notre système juridique.

668. Un développement durable et équitable sans une justice efficace et effective semble
difficile à obtenir. A l’heure où la mondialisation des échanges, la globalisation du droit
entraine la concurrence des systèmes juridiques, le développement de nos Etats
particulièrement d’actualité, il conviendrait également de réfléchir à la transposition de la
structure de l’hybridation du droit préconisée, pour voir naitre, non seulement un droit privé
nouveau, mais aussi dans d’autres domaines du droit. Si l’instauration d’un droit nouveau, est
susceptible de traduire une garantie efficace du droit à la justice, droit carrefour, il est
effectivement raisonnable de penser qu’une telle symbiose juridique, pourrait conduire non
seulement au perfectionnement du droit existant, mais surtout à l’attractivité du système
juridique camerounais.

2746
Cf. René David, « Théorie en réalité dans l’application du droit : une enquête internationale sur l’accès à
la justice », Revue internationale de droit comparé, 1979, v. 31, numéro 3, p. 619.

605

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