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Cartographie
des émotions
en France
Madeleine Hamel • mai 2020
Contribution # 1
Sous la direction de Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation
politique Rédaction Madeleine Hamel Production Victor Delage, Willy Delvalle, Anne
Flambert, Madeleine Hamel, Katherine Hamilton, Matthieu Hanisch Relecture et correction
Francys Gramet, Claude Sadaj Maquette et réalisation Julien Rémy Parution Mai 2020
Les données utilisées dans ce travail ont été collectées pour le projet « Citizens’ Attitudes Under COVID-19
Pandemic » par l’équipe de recherche suivante : Sylvain Brouard (Sciences Po-Cevipof & Liepp), Michael
Becher (Institute for Advanced Studies in Toulouse & Université Toulouse Capitole 1), Martial Foucault
(Sciences Po-Cevipof), Pavlos Vasilopoulos (University of York), Vincenzo Galasso (Università Bocconi),
Christoph Hönnige (Hannover Universität), Éric Kerrouche (Sciences Po- Cevipof), Vincent Pons (Harvard
Business School), Hanspeter Kriesi (European University Institute), Richard Nadeau (Université de Montréal),
Dominique Reynié (Sciences Po-Cevipof).
Covid-19 • Cartographie des émotions en France
L’essentiel
• En moyenne, du 24-25 mars au 8-10 mai 2020, parmi les sentiments testés dans les douze régions françaises
étudiées, la peur diminue, l’espoir augmente modérément mais la colère ne faiblit pas.
• La comparaison entre le nombre d’hospitalisations et la diffusion des émotions ressenties à l’échelle régionale
indique une dissociation entre la perception et la réalité quant à la situation induite par le coronavirus.
• Certaines régions peu touchées par le virus présentent des niveaux de peur et de colère plus élevés que
des régions pourtant plus touchées. Peut-être est-ce la crainte de voir arriver sur le territoire ce qui n’est pas
encore présent ou bien, au-delà des effets sur la santé, la crainte des répercussions économiques et sociales
spécifiques au contexte de la région.
• En moyenne, sur la période, dans quatre régions étudiées, plus d’un habitant sur deux dit éprouver de la
colère par rapport à la pandémie de Covid-19 : en Bourgogne-Franche-Comté (54,2 %), en Provence-Alpes-
Côte d’Azur/Corse 1 (52,6 %), dans les Hauts-de-France (51 %) et en Occitanie (51 %).
• La Bretagne est championne de l’optimisme et ses habitants se distinguent par leur faible inquiétude.
• Une mesure additionnelle, effectuée entre le 22 et le 24 mai 2020, permet de constater qu’après les
premières procédures de déconfinement, si la peur et la colère diminuent, l’espoir reste en berne.
Sommaire
Introduction .......................................................................................................................................................................................................................................................................................................... 4
I. France : cartographie régionale des émotions
à la veille du déconfinement ...................................................................................................................................................................................................................... 7
II. L’évolution des émotions liées au coronavirus
dans les régions françaises ....................................................................................................................................................................................................................... 10
III. Après le déconfinement, moins de peur, moins de colère,
mais l’espoir reste en berne .................................................................................................................................................................................................................. 13
1. L’enquête « Citizens’ Attitudes Towards Covid-19 » agrège les données des régions Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse.
Introduction
Les systèmes politiques, économiques et sociaux La présente contribution s’intéresse particulièrement
doivent surmonter les défis considérables liés à la aux données relatives aux émotions déclarées par
pandémie du Covid-19. Cette crise sanitaire vient les Français entre les mois de mars et mai 2020,
bouleverser nos vies et notre rapport aux autres ; dans une perspective comparative entre douze
elle affecte nos émotions, nos comportements, nos régions 3.
plans de vie. Dans ce contexte, l’étude de l’opinion
Les niveaux des émotions sont mesurés à partir
publique, des représentations collectives et des
des réponses à la question : « Quand vous pensez
attitudes permet de guider l’action publique et de
à la situation liée au coronavirus (Covid-19) en
nourrir les débats. C’est également une manière
France, vous éprouvez… (sur une échelle de 0 à
de contribuer à la mémoire d’un événement sans
10) » déclinée pour trois émotions : « de la peur »,
précédent. C’est pourquoi la Fondation pour
« de l’espoir » et « de la colère ». Pour un individu
l’innovation politique est partie prenante du
donné, une émotion est considérée éprouvée
programme international de recherche nommé
lorsque sa réponse se situe entre 7 et 10 sur
« Citizens’ Attitudes Towards Covid-19 ». Cette
cette échelle (soit « oui »). Le niveau d’émotion
recherche prend la forme d’une série d’enquêtes
correspond au pourcentage de personnes
d’opinion administrées par l’institut Ipsos, à
éprouvant cette émotion. Une question distincte
intervalles réguliers, dans vingt pays 2.
est posée pour chacune des émotions précitées :
Le consortium de partenaires est composé de chaque répondant indique ainsi consécutivement
l’Agence nationale de la recherche (ANR), de dans quelle mesure il ressent de la peur, dans quelle
l’Agence française de développement (AFD), du mesure il ressent de l’espoir et dans quelle mesure
Cerdi-CNRS, de la Banque mondiale, du Cevipof il ressent de la colère.
(CNRS, Science Po), de France Stratégie, de l’IAST
La population française a d’ores et déjà été
(Toulouse School of Economics, université de
interrogée huit fois, dans des intervalles de deux
Toulouse), de la Hanover Universität, de la Harvard
à trois semaines. Cependant, afin de garantir la
Business School, de l’université de Montréal, de
solidité des échantillons régionaux dans le cadre de
la McGill University, de l’Università Bocconi, de
l’objet étudié ici, nous avons décidé ne pas prendre
l’European University Institute et de l’University of
en compte dans les représentations graphiques et
York.
dans nos calculs les mesures du 16-17 mars et du
Ce programme vise à fournir un suivi inédit de 1er-2 avril, qui ne remplissaient pas les conditions
l’opinion publique dans le contexte de la crise permettant de garantir la représentativité régionale
du Covid-19 : sentiments éprouvés, rapport à la des échantillons. Une neuvième mesure a été
sécurité sanitaire, acceptation ou lassitude face effectuée le 22-24 mai, elle est analysée page 13.
aux dispositifs de protection mis en place ou aux
En parallèle, nous utilisons les données relatives
recommandations de santé publique, etc. Ces
au nombre d’hospitalisations par région, afin de
enquêtes doivent permettre, d’une part, une
confronter les émotions déclarées dans les douze
meilleure compréhension de la façon dont les
régions étudiées avec les données concernant la
différents publics s’adaptent psychologiquement
lutte contre le coronavirus.
aux mesures de distanciation sociale et, d’autre
part, une meilleure appréhension du consentement
par rapport aux mesures mises en place.
2. Allemagne, Afrique du Sud, Argentine, Australie, Autriche, Brésil, Canada, Côte d’Ivoire, Égypte, États-Unis, France, Italie, Kenya,
Mali, Maroc, Nouvelle-Zélande, Nigeria, Pologne, Royaume-Uni, Suède.
3. Dans la mesure où nous ne disposons pas pour le moment de données pour les Territoires d’outre-mer, ceux-ci ne sont pas
inclus dans cette comparaison régionale des émotions ressenties en France quant à la crise du coronavirus. Ils ne sont pas non plus
représentés sur les différentes cartes accompagnant cette analyse. Dans la suite de cette étude, le terme « région » est utilisé par
convention mais n’inclut que les douze régions étudiées. L’enquête « Citizens’ attitudes towards COVID-19 » agrège les données
pour les régions Provence-Alpes-Côte-d’Azur et pour la Corse.
Nombre d’hospitalisations
au 8 mai 2020
Colère
Le sentiment de colère est réparti de manière
plus hétérogène sur le territoire. Dans quatre
régions, plus d’un habitant sur deux dit éprouver
de la colère vis-à-vis de la situation : en Bourgogne
Franche-Comté (54,2 %), en Provence-Alpes-Côte
d’Azur/Corse (52,6 %), en Occitanie (51 %) et dans
les Hauts-de-France (51 %). Dans deux régions, ce
niveau de colère est sensiblement moins élevé :
Bretagne (32,5 %) et Centre-Val de Loire (37,6 %).
Les autres régions se trouvent dans un groupe
intermédiaire, avec des niveaux de colère oscillant
entre 43,7 % et 49,5 %.
Méthodologie
Pour la France, le questionnaire de l’enquête « Citizens’ attitudes towards COVID-19 » a pour l’heure été administré
à huit reprises, à intervalles réguliers, du 16-17 mars au 8-10 mai (l’administration des questionnaires se fait
généralement sur deux jours). Pour deux de ces occurrences, celle du 16-17 mars et celle du 1-2 avril, les conditions
de représentativité de l’échantillon à l’échelle régionale n’étaient pas réunies. Ces données ne sont ainsi pas incluses
dans nos représentations graphiques ainsi que dans nos calculs. Une neuvième mesure a été effectuée le 22-24 mai.
Elle n’est pas intégrée dans les graphiques ci-contre mais analysée page 13.
Auvergne-Rhône-Alpes En nombre
Centre-Val de Loire En %
En nombre En %
3 500 65 1 200 65
2 959 3 004 60 60
3 000 54,9 2 760 996 968 55
51,6 55 1 000 50,5 46,9 965
2 489 49,5 50
45,4 50 43,6 41,4 46,8 869
2 500 51,8 43,7 49,7 45
47,4 40,3 45 41,2 41,2
45 45,1 800 803 37,6 40
42,4 2 128 40 40,7 43,4
2 000 43,5 39,7 40,6 35
35 36,7 37,4
29,3 600
32,8 34,8 30 31,5 32,3 31,4 30
1 500 25
28,9 25
26,9 400
1 230 22,9 20 20
1 000
15 15
500 10 200 10
5 165 5
0 0 0 0
24-25 mars 7-8 avril 15-16 avril 23-24 avril 30 avril 8-10 mai 24-25 mars 7-8 avril 15-16 avril 23-24 avril 30 avril 8-10 mai
Peur Espoir Colère Nombre d’hospitalisations Peur Espoir Colère Nombre d’hospitalisations
© Fondation pour l’innovation politique, mai 2020 © Fondation pour l’innovation politique, mai 2020
En nombre
Bourgogne-Franche-Comté En % En nombre
Grand Est En %
1 600 62 65 6 000 65
60 60
1400 55 1 341 53,3 50,6 54,2 4 877
55 5 000 4 819 55
55,3 53,9 49,4 4 416
1 283 50 46,6 43 50
1 200 1 212 53,3 45,1 51,5 44,3
3 902 43,7
1 181 45 42,2 45
49,6 4 000 45,3 45,3
1 000 37,5 43,1 40 37,4 36,5 40
1 011 39,8 39,8 3 378
37,4 35 36,7 37 35
800 30 3 000 34,5 35,2 30
32,4 33,4 31,2
25 2 720 29,2 25
600 25,5 25,4
591 20 2 000 20
400 15 15
200 10 1 000 10
5 5
0 0 0 0
24-25 mars 7-8 avril 15-16 avril 23-24 avril 30 avril 8-10 mai 24-25 mars 7-8 avril 15-16 avril 23-24 avril 30 avril 8-10 mai
Peur Espoir Colère Nombre d’hospitalisations Peur Espoir Colère Nombre d’hospitalisations
© Fondation pour l’innovation politique, mai 2020 © Fondation pour l’innovation politique, mai 2020
Peur Espoir Colère Nombre d’hospitalisations Peur Espoir Colère Nombre d’hospitalisations
© Fondation pour l’innovation politique, mai 2020 © Fondation pour l’innovation politique, mai 2020
En nombre
Les douze régions étudiées En %
35 000 65
31 489 60
30 000
29 726 29 022
50 55
50,1 26 117
44,7 46,8 46,6 50
25 000 48,5
47,5 46,4 45
22 554
41 41,9 42,9 40
20 000 38,3 35
36,7 37,3
34 35,4 30
15 000 30,2 29,9 25
10 000 11 960 20
15
5 000 10
5
0 0
24-25 mars 7-8 avril 15-16 avril 23-24 avril 30 avril 8-10 mai
Île-de-France En nombre
Occitanie En %
En nombre En %
14 000 13 018 65 1 200 1031 65
12 074 11 950 60 54,1 60
12 000 53,1 10 901 55 51 55
1 000 49 913 48,8 48,2
48,4 46,3 50 47,2 50
10 000 49,5 44 43,4 44,1 48,1 804
46,6 45 44,4 40,7 45
9 429 800 46,2 39,3
40
38 41,4 41,9 40 41,7 42 36,1
8 000 37,6 35 41,3 38,6 35
36,4
30 600 39,4
32,6 636 30
6 000 31,5 31,1 31,4 30,9 31,5
25 25
400 469 440
20 20
4 000 4 389
15 15
2 000 10 200 10
5 5
0 0 0 0
24-25 mars 7-8 avril 15-16 avril 23-24 avril 30 avril 8-10 mai 24-25 mars 7-8 avril 15-16 avril 23-24 avril 30 avril 8-10 mai
Peur Espoir Colère Nombre d’hospitalisations Peur Espoir Colère Nombre d’hospitalisations
© Fondation pour l’innovation politique, mai 2020 © Fondation pour l’innovation politique, mai 2020
En nombre
Normandie En % En nombre
Pays de la Loire En %
800 65 900 65
713 686 60 58 794 60
700 51,1 47,6 55 800 53,4 747 55
49,1 614 49,1
57,1 587 47,4 50 700 694 48,8 50
600 42,7 45,4
56,7 41,7 49,1 45 45
47,3 526 600 40,6 46 46,1 43,1
500 40 46,4 40
35,7 42,8 41,5 580
39 35 500 38,7 629 35
400 34,8 35,3 35 36,9
33,8 30 400 30
31,3
300 27,8 25 28,4 27,1 25
26,1 300 24,7
20 20
200 225 15 200 236 15
10 10
100 5 100 5
0 0 0 0
24-25 mars 7-8 avril 15-16 avril 23-24 avril 30 avril 8-10 mai 24-25 mars 7-8 avril 15-16 avril 23-24 avril 30 avril 8-10 mai
Peur Espoir Colère Nombre d’hospitalisations Peur Espoir Colère Nombre d’hospitalisations
© Fondation pour l’innovation politique, mai 2020 © Fondation pour l’innovation politique, mai 2020
Peur Espoir Colère Nombre d’hospitalisations Peur Espoir Colère Nombre d’hospitalisations
© Fondation pour l’innovation politique, mai 2020 © Fondation pour l’innovation politique, mai 2020
La peur recule dans la plupart les 23-24 avril et la Normandie, qui enregistre un pic
significatif le 7-8 avril, avec 57,1 % des répondants
des régions étudiées disant ressentir de la peur. Le niveau de peur le plus
À l’échelle de la France, chacune des émotions élevé sur la période est enregistré dans les Hauts-
étudiées suit des trajectoires distinctes. En début de-France (59 %) lors de la mesure du 24-25 mars,
de période, en moyenne, un Français sur deux (50 %) suivi par le Pays de la Loire (58 %) aux mêmes dates.
déclare ressentir de la peur quand il pense à la
situation induite par le coronavirus. Puis, c’est lors de
la mesure du 15-16 avril que l’on observe les niveaux Sur l’ensemble du territoire,
les plus bas pour ce qui concerne la peur (41 %), un optimisme prudent
mais également la colère (44,7 %). Paradoxalement,
Pour l’espoir, on observe une baisse continue dans
il s’agit du moment où le nombre d’hospitalisations
un premier temps, de 36,7 % à 29,9 % du 24-25 mars
atteint son maximum. Cette apparente discordance
au 30 avril. Puis, la mesure du 8-10 mai, à la veille
pourrait être l’effet de l’annonce par le président
du déconfinement, indique une augmentation
de la République, le 13 avril 2020, que le processus
de la proportion de Français optimistes vis-à-vis
du déconfinement serait engagé à partir du 11 mai.
de la situation (35,4 %), soit un niveau similaire à
Après une augmentation imperceptible (1 point de celui observé au début de la période (36,7 % au
plus entre le 23-24 avril et le 30 avril), la proportion 24-25 mars). Pour la première fois en deux mois,
de Français exprimant de la peur diminue à nouveau les personnes interrogées exprimant de l’espoir
lors de la mesure du 8-10 mai, pour atteindre son sont plus nombreuses que celles éprouvant de la
niveau le plus bas dans la plupart des régions peur dans quatre des douze régions étudiées : en
(38,3 % en moyenne, soit 11,7 points de moins Bretagne (34,7 % d’espoir vs 31,6 % de peur), en
qu’au début de la période). Quelques régions font Centre Val de Loire (37,4 % vs 31,4 %), en Nouvelle-
exceptions : la Bourgogne-Franche-Comté, qui Aquitaine (38,9 % vs 33,8 %) et en Provence-Alpes-
connaît un recul du sentiment de peur plus tardif, Côte d’Azur/Corse (39,1 % vs 33,7 %).
Question : « Quand vous pensez à la situation liée Question : « Quand vous pensez à la situation liée
au coronavirus (Covid-19) en France, vous éprouvez au coronavirus (Covid-19) en France, vous éprouvez
de la peur ? (sur une échelle de 0 à 10) » de la colère ? (sur une échelle de 0 à 10) »
Réponses : oui (de 7 à 10) Réponses : oui (de 7 à 10)
Le cas de la région Grand Est contribue à en partie, par une attente anxiogène de la vague
démontrer que, pour une région donnée, à la veille rapportée ailleurs dans le pays. Symétriquement
du déconfinement, il n’y a pas de lien direct entre à cette appréhension d’être à son tour contaminé,
le nombre des hospitalisations et la diffusion des on trouverait une autre situation, celle de régions
sentiments de peur ou de colère parmi ses habitants. fortement touchées où les capacités de résilience
Dans des régions connaissant relativement moins se seraient développées, ainsi que l’espoir d’en
de cas, voire peu de cas, cette divergence entre sortir. À la peur d’être touché par la pandémie chez
les sentiments éprouvés par la population et la ceux qui ont été épargnés correspondrait l’espoir
réalité de la situation pourrait s’expliquer, au moins d’en venir à bout chez ceux qui ont été touchés.
Covid-19
Mapping
of eMotions
in france
Madeleine Hamel • May 2020
paper # 1