Vous êtes sur la page 1sur 3

Économie

Pourquoi le texte sur la grève bloque toujours


Publié le : 18/10/2010
Une énième mouture a été remise aux partenaires sociaux il y a onze mois, le ministère de
l'emploi avait promis de faire aboutir le projet en 2010.
L'UMT le rejette et lui préfère les conventions collectives, la CDT n'en voit pas l'urgence et la
FDT est en train de l'examiner.

Seule la CGEM a donné ses observations.

Le Maroc parviendra-t-il à se doter d'un texte sur la grève, comme cela est mentionné dans les cinq
Constitutions qu'a connues le pays depuis 1962 ? Dans son plan d'action pour 2010, le ministère de l'emploi a
programmé l'achèvement du processus (car c'en est véritablement un) d'élaboration d'une loi organique sur les
conditions et les modalités d'exercice du droit de grève, mais cette initiative a un air de déjà-vu. Il y a plus de
sept ans, le 30 avril 2003, plus exactement, le package découlant de l'Accord social signé entre le
gouvernement, le patronat et les syndicats comprenait la sortie de cette loi. A l'époque, un projet existait déjà et,
en septembre de la même année, une nouvelle mouture avait été élaborée, mais les syndicats avaient considéré
que le préavis de grève imposé par le texte était trop long (15 jours). On en est resté là en dépit de la promesse
faite solennellement par Driss Jettou en 2006 de résoudre le problème.
Quatre ans plus tard, les choses n'ont pas beaucoup changé. Le texte, plusieurs fois revu et corrigé, a été soumis
aux partenaires sociaux, afin qu'ils y apportent leurs observations, depuis maintenant onze mois environ. A
l'heure qu'il est, seulement quelques syndicats ont remis leurs observations au ministère de l'emploi. «Mais il
s'agit des syndicats qui ne sont pas parmi les plus représentatifs», au sens de l'article 425 du code du travail,
confie une source. Autrement dit, les organisations syndicales qui participent au dialogue social, au nom
justement de leur représentativité, n'ont pas exprimé, officiellement et par écrit, leurs remarques ou suggestions.
La Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), en revanche, a étudié le texte et formulé ses
observations et propositions.
Le projet de loi organique, qui en est à sa troisième mouture, a subi des changements profonds par rapport aux
versions précédentes. Il est plus étoffé (52 articles au lieu de 38 précédemment) ; son champ d'application ne se
limite plus au secteur privé mais englobe le secteur public, semi public et la fonction publique étatique et
territoriale ; toute la partie, la septième, qui concerne les sanctions, est laissée en pointillé, c'est-à-dire à la
négociation ; bref, sur la forme en tout cas, le texte s'est sensiblement amélioré. Même sur le fond, la volonté de
parvenir à un équilibre entre les droits et obligations des uns (salariés) et des autres (employeurs) transparaît
au travers d'un certain nombre de dispositions. Comme, par exemple, l'acceptation d'un délai de préavis de 48
heures seulement (article 18, alinéa 2) en cas de non versement des salaires dans les délais ou l'existence d'un
danger imminent sur la santé et l'intégrité des salariés.
Depuis pratiquement une dizaine d'années, le texte fait le va-et-vient entre l'administration et les partenaires
sociaux, soit depuis la période où Abbas Al Fassi était ministre de l'emploi. Et, ironie, même durant son mandat
de Premier ministre il risque de rester à l'état de projet. Car le projet, on le sait, a toutes les difficultés du
monde à accrocher les syndicats des salariés! Ces derniers, en effet, paraissent toujours, malgré les
changements évoqués plus haut, peu enthousiastes à l'idée de se laisser corseter dans un cadre rigide dont ils ne
voient pas tout à fait l'intérêt, tout au moins l'urgence.

CDT : «Appliquons d'abord le code du travail» !


Farouk Chahir, secrétaire national à l'Union marocaine du travail (UMT), n'use pas de détours pour dire ce
que le syndicat auquel il appartient pense de ce projet : «Nous rejetons ce texte, car il regorge de mécanismes,
de dispositifs qui, au final, entravent complètement l'exercice du droit de grève qui, je le rappelle, est un droit
constitutionnel». Farouk Chahir en veut pour preuve de ce qu'il avance le fait que la convention 87 de
l'Organisation internationale du travail (OIT) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical n'est pas
encore ratifiée par le Maroc. Ouvrons une parenthèse ici pour préciser que le ministère de l'emploi a
programmé dans son plan d'action pour 2010 la ratification de la convention 87, en observant toutefois que la
procédure de ratification «est liée à l'état d'avancement du projet de loi sur les syndicats et le projet de loi
organique sur la grève». Ça a tout l'air d'un engagement conditionné. On ne ratifie que s'il y a des avancées sur
les deux textes, celui sur les syndicats et celui sur la grève ! En somme, le contraire de ce que préconisent les
syndicats. D'abord la ratification de la convention 87, car c'est celle-ci, en plus de la Constitution bien sûr, qui
constitue pour eux la garantie du libre exercice du droit syndical et, au bout, le droit de grève.
Cela dit, le dirigeant de l'UMT ne ferme pas complètement la porte à une certaine réglementation du droit de
grève. «L'UMT propose que chaque secteur, au travers de conventions collectives, organise ses relations
professionnelles, y compris l'exercice du droit de grève, au mieux des intérêts des uns et des autres». M. Chahir
dit accorder plus d'importance aux conventions collectives (par ailleurs prévues dans ce projet de loi organique
et dans le code du travail également) qu'à une réglementation unique et générale.

CGEM : «Un moyen de renforcer la représentativité des syndicats»


Mustapha Brahma, membre du bureau exécutif de la Confédération démocratique du travail (CDT), pense, lui,
qu'il faut hiérarchiser les problèmes. «La dernière chose à laquelle il faut penser maintenant, c'est la
réglementation du droit de grève. Commençons d'abord par régler les problèmes existants, ceux découlant de
l'inapplication du code du travail, notamment. Pensez que la France, que nous prenons souvent en exemple et
dont nous nous inspirons en tout, n'a pas encore de loi sur la grève !» Pour M. Brahma, l'urgence, c'est
d'étoffer le corps des inspecteurs du travail afin que ceux-ci puissent faire appliquer le code du travail.
Abderrahmane Azzouzi, secrétaire général de la Fédération démocratique du travail (FDT), est, quant à lui, tout
en nuance. Il rappelle que son organisation a organisé une journée d'étude sur le projet de loi organique sur la
grève, il y a quelques mois, «partant du principe que nous ne refusons, par avance, aucun projet ». La
commission d'experts de la FDT étudie en ce moment le projet «et dans quelques jours nous ferons connaître
nos observations au ministère de l'emploi». M. Azzouzi confie que son syndicat a pris attache, par écrit, avec
d'autres organisations (UGTM, CDT et UNTM) afin de «coordonner nos actions, pas seulement sur cette
question, mais aussi sur beaucoup d'autres, en particulier sur les retraites».
Finalement, parmi les participants au dialogue social, seule la CGEM a formalisé sa position sur le projet
relatif au droit de grève. «Pour nous, ce texte est fondamental, il participe d'une meilleure organisation des
relations professionnelles, et ceci au bénéfice tant des entreprises que des salariés», défend Jamal Belahrach,
président de la commission sociale de la CGEM. Celui-ci pense même que ce projet a «vocation à renforcer les
syndicats les plus représentatifs» et donc à apporter plus de transparence dans le monde du travail. Cela dit,
malgré son préjugé favorable sur ce texte, considérant que son existence même est une avancée, la CGEM ne
s'est pas privée d'émettre certaines observations et même de formuler des propositions. Elles sont nombreuses,
selon M. Belahrach, mais retenons seulement quelques-unes. Le délai de préavis de droit commun, qui est de 10
jours, mérite, selon la commission sociale de la CGEM, d'être mieux précisé. «Il faudrait ajouter qu'il s'agit de
10 jours ouvrables», souligne M. Belahrach. Pour le déclenchement de la grève, en l'absence d'un syndicat
représentatif, la CGEM propose la convocation d'une assemblée générale où seront présents 75% des salariés.
Si ce quorum est atteint, l'AG vote à la majorité le déclenchement de la grève et désigne un comité de grève pour
en encadrer et en suivre le déroulement. Sur ce point, le projet de loi, lui, parle de 35% des salariés comme
minimum requis pour le déclenchement d'une grève. Autre point sur lequel insiste la CGEM, l'importance à
accorder à la négociation, directe et indirecte, avant tout déclenchement de la grève. «Le recours à la grève ne
devrait être possible que s'il y a échec des négociations, directes ou indirectes», souligne Jamal Belahrach. Le
projet de loi cadre ne dit pas autre chose (voir article 9 dans l'encadré) ; il va même plus loin en renvoyant les
parties, sur cette question, aux dispositions du code du travail relatives à la conciliation et à l'arbitrage (articles
549 à 585 contenus dans le Livre VI portant sur le règlement des conflits collectifs du travail) ainsi qu'aux
procédures et règles qui auront été mises en place dans les conventions collectives ou les règlements intérieurs.
La question est de savoir maintenant quelle suite le ministère de l'emploi compte donner à ce projet. Attendra-t-
il que tout le monde soit d'accord sur le texte ? Sera-t-il tenté de céder sur d'autres dossiers, comme l'indemnité
pour perte d'emploi par exemple, pour faire accepter celui-ci ? Jamal Rhmani, ministre de l'emploi, est resté
injoignable au moment où nous rédigions ce texte. Il aurait pu nous éclairer au moins sur ce point...
Extraits :Négociations, préavis, conditions..., ce que dit le projet de loi

Article 9 : «Le recours à la grève ne peut être exercé qu'après échec des négociations directes
ou indirectes. En cas d'impossibilité d'organiser ces négociations, pour une raison ou une
autre, il est permis de recourir à la grève suivant les dispositions et les règles édictées dans
cette loi organique».
Article 11 : «Il est interdit de punir toute personne pour cause de participation à une grève
déclenchée conformément aux dispositions de ce texte. De même, il est interdit à l'employeur
d'entraver de quelque manière que ce soit l'exercice du droit de grève».

Article 12 : «Le droit au travail est garanti par cette loi organique pour les salariés qui ne
participent pas à la grève».

Article 16 : «Il est interdit à l'employeur, pendant la période de grève, de remplacer les
travailleurs grévistes par des travailleurs n'ayant aucun lien contractuel avec l'entreprise,
antérieur à la date de la réception par lui de la décision de déclencher la grève».

Article 17 : «La décision de recourir à la grève au sein d'une entreprise ou d'un établissement
est prise par le syndicat le plus représentatif, ou le bureau syndical ou par le comité de grève
en cas d'absence?de?représentation?syndicale. Lorsque la grève concerne un secteur d'activité
ou l'ensemble du territoire national, la décision de son déclenchement est prise par les
syndicats les plus représentatifs conformément à l'article 425 du code du travail. La décision
de faire grève à l'échelle d'une préfecture, d'une province, d'une collectivité locale, d'un
service public ou d'un établissement public à caractère administratif, est prise par les bureaux
des syndicats des organisations syndicales les plus représentatives».

Article 18 : «Avant tout déclenchement de grève, dans les secteurs privé, public, semi-public
ou les collectivités locales, un préavis de 10 jours est requis. Toutefois, ce préavis est de 48
heures en cas de non versement des salaires dans les délais ou de danger imminent sur la santé
et l'intégrité des salariés».

Article 29 : «Il est interdit à l'employeur, pendant la durée de la grève, de procéder au


transfert, partiel ou total, des activités de l'entreprise sur un autre site».

Article 30 : «Il est interdit à l'employeur de recourir à la fermeture, partielle ou totale, de son
entreprise pour cause de grève, lorsque la grève se déroule dans le calme, n'entrave pas la
liberté de travail et ne cause pas de préjudice aux outils de production».

Article 39 : «Un service minimum doit être assuré par les fonctionnaires et agents de l'Etat,
des collectivités locales, des établissements publics et des services à caractère administratif
dont les fonctions sont nécessaires pour le fonctionnement normal des services des forces
armées royales, de la gendarmerie nationale, de la DGSN, des forces auxiliaires, de la
protection civile, de la justice, de l'administration pénitentiaire, de l'administration des
douanes, des impôts et des eaux et forêts».

* Traduction de l'auteur du projet de loi.

Vous aimerez peut-être aussi