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PÉGUY, LA DIFFÉRENCE ET LA RÉPÉTITION
I. L'itération
L'itération, reprise indéfinie du même, révèle un gouffre où se
suicide toute pensée. C'est le gouffre de l'entropie : à la limite tout
se stabilise dans l'hébétude : «Puissance terrible de la répétition,
écrit le romancier autrichien R. Musil, terrible divinité ! Attrait du
vide qui vous entraîne toujours plus bas comme l'entonnoir d'un
tourbillon dont les parois s'écartent... » x. Entonnoir renversé sur le
multiple et l'homogène, chute par excellence, péché originel. La
répétition est pour Sisyphe, pour les filles de Dañaos le supplice
le plus proche du néant. Un tel fléau nous menace à chaque instant :
« On recommence tout le temps... on ne fait que ça, de recommen-
cer » 2. Tout ce qui est mécanisme dénote une dégradation du vital.
La conscience est la contre-habitude : elle remonte le courant. C'est
pourquoi, d'ailleurs, elle en subit l'agression ; car quiconque s'ins-
talle dans l'itération descend le flux et n'en ressent même plus l'effet.
1. L'Homme sans qualité, IV, p. 479.
2. O. PR., t. Il, p. 924. Les notes renvoient à ULuvres en trose, t. 1, o Bibliothèque de la
Pléiade », 1959. - Œuvres en Prose, t. II, ibid., 1957. - Œuvres Poétiques complètes,
ibid., 1957.
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LA DIFFÉRENCE ET LA REPETITION 471
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472 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE
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LA DIFFÉRENCE ET LA REPETITION 473
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474 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE
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LA DIFFÉRENCE ET LA REPETITION 475
L'acte moral perd alors son aspect négatif : il est une reconnaissance
et une libre affirmation de la condition humaine dans ce qu'elle
28. A la mollesse (celle de la glaise par exemple, cf. Suite d'Eve) qui suggère les
facilités paresseuses de l'équivalence, Péguy oppose la souplesse qui, étant organique
(cf. les animaux du Paradis terrestre dans Ève) s'ajuste parfaitement au concret. Si la
mollesse est facile, la souplesse est ce qu'il y a de plus exigeant (cf. O. PR., t. II,
p. 1290).
29. Cf. O. PR., t. II, p. 1262 sq., p. 1289 sq. ; cf. aussi L'Esprit de système,
d. 25-26.
30. O.P., p. 726.
31. Ibid., p. 916.
32. Ibid., p. 916.
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476 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE
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LA DIFFÉRENCE ET LA REPETITION 477
II. La différence
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478 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE
Mais cette usure, considérée d'un autre point de vue, est libéra-
trice. Livrées au temps, les moindres choses, les plus insignifiantes,
revêtent un caractère sacré; l'irréversible comporte une résonance
religieuse : son caractère éphémère procure à la Différence une
coloration à la fois tragique et merveilleuse. Le temporel, lieu de
l'irréversible, n'est pas seulement « le sel de la terre mais le sel du
ciel même, le ferment, le levain du pain céleste... la matière, le
terroir, le terreau de l'éternel » 45.
Prier pour que la vie recommence serait une aberration sacrilège.
Ce serait lui enlever ce qui fait sa grandeur et son prix : la mort
la valorise et les dieux grecs, installés dans une éternité de réité-
ration, sont maudits :
Nous ne demandons point que le grain sous la meule
Soit jamais replacé dans le cœur de l'épi 46.
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IA DIFFÉRENCE ET LA REPETITION 479
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480 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE
III. Le « Ressourcement »
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LA DIFFÉRENCE ET LA REPETITION 481
des choses anciennes dont la présence est une source de joie » (La Répétition, édit.
Tisseau, p. 10). Comme Péguy, Kierkegaard situe d'emblée la répétition dans le cadre
de l'amour et de la foi.
62. Œuvres complètes, t. I, p. 436.
63. O. PH., t. I, p. 1159.
64. O. PR., t. II, p. 269-270.
65. Différence et Répétition, P.U.F., 1968, p. 8.
66. Un Poète Va dû, p. 137.
67. Deuxième mégie XXX, p. 76.
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482 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE
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LA DIFFÉRENCE ET LA RÉPÉTITION 483
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484 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE
Nous avons noté plus haut en quel mépris Péguy tient l'illusion
du progrès linéaire par répétition cumulative. Ce n'est pas ainsi
que vit un peuple : tout comme les génies, il doit sans cesse se
recréer ; tel un arbre, il ne fructifie qu'en puisant dans les profon-
deurs de sa race une sève toujours fraîche. « Chaque génération,
dit Kierkegaard, recommence comme si elle était la première... ce
qui est proprement humain, aucune génération ne l'apprend de
celle qui l'a précédée » 76. Pour les peuples comme pour les artistes
tout est sans cesse à reprendre : « L'humanité n'est pas de fabri-
cation ni de tenue mécanique... Une humanité ultérieure nommable
ne vient au jour... que si elle fait un appel de sève plus profond,
que si elle fait appel à un ressourcement plus profond » 77.
Il faut considérer les révolutions comme de prodigieuses répéti-
tions collectives, un retour aux origines pour y puiser l'énergie du
renouvellement : « Une révolution n'est pas une opération par
laquelle on se contredit. C'est une opération par laquelle réelle-
ment on se renouvelle » 78. Celui qui « écoute les leçons du passé »,
c'est-à-dire le conservateur, est à l'opposé de ceux qui tirent du
passé de quoi changer le présent. L'un ne fait que réitérer super-
ficiellement les mêmes structures ; les autres recherchent ce « mer-
veilleux rafraîchissement de l'humanité par approfondissement qui
donne tant de jeune ivresse aux véritables crises révolutionnaires » 79.
Ce dernier exemple manifeste clairement le contraste entre la simple
redite qui stabilise un état de fait, et l'authentique répétition qui
s'en va tirer la différence des profondeurs où l'habitude l'avait
cloîtrée.
Au niveau religieux il serait téméraire de rapprocher la répétition
péguyste de celle de Kierkegaard. Certes on trouverait dans le
personnage de Gervaise, dans le geste du bûcheron (Porche du
mystère de la deuxième vertu) ou dans la prière de « Report »
des modèles de détachement absolu qui rappellent par leurs con-
séquences planifiantes la conduite que Kierkegaard a tant admirée
chez Abraham et chez Job. Mais la confiance toute spontanée de
Péguy n'a que peu de rapport avec le « mouvement en vertu de
l'absurde » 80 qui s'accompagne, chez Kierkegaard, de tant de ter-
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LA DIFFÉRENCE ET LA REPETITION 485
Ou s'il géométrise c'est par jeu, comme « exercice mental épuré »...
En réalité Dieu est ressourcement, source de tous les ressource-
ments
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486 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE
Rien n'est jamais rien. Tout est nouveau. Tout est autre.
Tout est différent.
Au regard de Dieu rien ne se recommence 88.
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LA DIFFÉRENCE ET LA RÉPÉTITION 487
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488 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE
V. Stylistique de la Répétition
II faudrait avoir ces perspectives à l'esprit quand on commente
le style de Péguy : rien ne montre mieux à quel point un écrivain
projette sa « philosophie » dans son écriture... En effet, la répéti-
tion chez Péguy n'est pas redite98 : elle est ressourcement. Et
ceci est vrai aussi bien au niveau de la composition générale (retours
et recoupements des thèmes) " qu'au niveau du style. La répé-
tition d'une idée dans un environnement variable d'images, de
mots ou de concepts permet de marier le même et l'autre, de
concrétiser l'idée en la dérangeant sans cesse, en l'animant par
un jeu de substitutions : tout ceci pour la mettre en situation d'être
mieux perçue - ou plutôt pour mettre le lecteur en état d'accueil.
Albert Béguin a montré100 que la répétition et la différence ex-
priment le double et contradictoire vœu de l'amour ; elles sont
aussi le double fondement de la conscience reflexive : la différence
étourdit, la répétition endort mais le jeu qui s'établit entre elles
est homologue à la vie organique de l'esprit, tout comme il coïncide
avec les besoins de l'âme : « Le désir de répétition, écrit Béguin,
et le vœu de perpétuelle découverte sont tous les deux inhérents
à l'amour qui voudrait attester à la fois l'immuable permanence
de son objet et l'invariable étonnement qu'il ressent devant ce
même objet toujours neuf à ses yeux neufs » 101. Un style passionné,
celui de l'oraison par exemple, se fait instinctivement litanique 102.
C'est la seule façon sans doute de conférer à la linéarité de l'écri-
ture 103 une épaisseur existentielle et de mettre la lecture au pas
de la méditation. Tous les moyens sont bons (surponctuation, blancs,
versets, parenthèses de parenthèses 104, doubles lectures 105, rup-
tures de ton, style oral) pour rester dans la vie et se garantir de
l'abstrait, pour fournir au lecteur un équivalent de la pensée con-
crète. « Quand c'est la même chose il faut toujours dire la même
chose » 106. En fait, la différence joue à l'intérieur de la répétition,
produisant un ressourcement permanent du même thème. Dans
les quatrains d'Eve, par exemple, le corps de la redite (qui dénote
98. Cf. O.P., p. 1516, note.
99. Une étude de l'effet sémantique de la composition en « tresse * devrait être
faite à propos des trois Mystères. Le thème a est suspendu en faveur du thème h mais
quand a reparaît il a été rafraîchi par b et réciproquement.
100. La Trière de Péguy, La Baconnière, 1944.
101. Ibid., p. 96.
102. Béguin rapproche le style de Péguy de textes de saint Bonaventura, Berulle et
Marie de l'Incarnation.
103. Péguy l'a fort bien remarqué. Cf. Deuxième Élégie XXX, p. 44.
104. La parenthèse (dont Péguy fait grand usage) en suspendant le fil du discours,
permet ensuite un retour qui est un véritable ressourcement. Le foisonnement de pensée
qui en résulte ralentit la course en avant du logicien.
105. Nous appelons double lecture les variations offertes sur les modes, les nombres et
les temps par de minuscules parenthèses. Elles ont pour effet de forcer la pensée à
s'ouvrir sur deux voies, de la surprendre et de la ralentir : la différence vient ponctuer
ainsi le discours et en couper le flux répétitif.
106. La Thèse, p. 28.
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LA DIFFÉRENCE ET LA RÉPÉTITION 489
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490 REVUE D'HISTOIRE LHTERAIRE DE LA FRANCE
Jean Onimus.
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