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1. Op. cit., p. 148. Si l’on veut s’intéresser aux dernières minutes du procès du
Ich, voir le débat entre Vincent Descombes et Charles Larmore, Dernières nouvelles
du Moi, puf, 2009, et Vincent Carravel, L'invention du Moi, puf, 2010 (en particu‑
lier, p. 138, la critique de Ricœur).
2. Méthode de découverte des « essences » par l’expérience de pensée (au sens
de Mach) de la variation imaginaire. Ricœur récuse en revanche dès la première
page « la fameuse et obscure réduction transcendantale », qui est mise en « échec »
par la compréhension du « corps propre » (mon corps). Le « transcendantal » rate‑
rait le « mien », et cela pourrait être argué à propos de Kant. L’idée que le monde
(dont mon corps fait partie) ne soit qu’un horizon de sens constitué par le sujet est,
affirme justement Ricœur, « idéaliste ». Et l’idéalisme est absurde. Ma représenta‑
tion du Soleil n’épuise pas ce qu’est le Soleil sans moi, sans nous. (Dirais-je « Rien
de nouveau sous mon idée du Soleil » ?). Le terme « transcendantal » devrait être
utilisé avec parcimonie dans le discours philosophique, à condition que l’on en
définisse les différents usages, comme le voulait Kant, sans toujours respecter lui-
même sa distinction transcendant (qui dépasse l’expérience possible)/transcendantal
(conditions de possibilité a priori de l’expérience). Un « argument transcendantal »
serait simplement un argument qui, partant d’un fait général, admis par tous, en
déduit la nécessité a priori de certains concepts en nous.
3. Ce qui montre du reste l’ouverture d’esprit du protestant qu’était Ricœur.
Le protestantisme n’admet pas l’auctoritas de Thomas d’Aquin.
4. Quelque peu « transcendantale », donc, semble-t-il ? Ce n’est pas ce
qu’affirme Ricœur, lequel conçoit la réduction eidétique comme description pure, qui,
mettant entre parenthèses (épochè) « le fait », permet « l’affleurement du sens ».
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Le phénomène de l’hésitation 481
1. Aux yeux de Husserl, qui ne se prononce pas sur ladite preuve, magni‑
fiquement originale, mais non valide à nos yeux (parce que nous n’acceptons
plus le principe selon lequel il doit y avoir autant de quantité de réalité dans la
cause que dans l’effet, l’idée d’infini parfait ne pouvant pour Descartes avoir pour
cause qu’une cause infinie, et donc différente de moi, parfaite et ultime). Husserl
reproche à Descartes de ne pas s’être laissé aller à déambuler au travers des
richesses apodictiques et certaines du musée merveilleux de l’ego, enfin seul avec
ses cogitationes, ayant mis la thèse de l’existence du monde « extérieur » entre
parenthèses. Que cette aventure soit une impasse ou la voie royale est encore
une question en suspens. La « preuve » de l’existence d’autres esprits dans la
cinquième Méditation cartésienne pourrait laisser rêveur un cartésien malignement
ingénieux.
2. Carnap l’avait dit (horresco referens).
3. Ayant eu l’occasion de rencontrer Paul Ricœur en 1993, je lui avais
demandé s’il pourrait nous faire l’honneur, à Clermont-Ferrand, de participer à
un colloque dédié au cinquantième anniversaire de L’Être et le Néant (voir Sartre,
Raison Présente, no 17, 1996). Il avait décliné l’invitation, au motif qu’il n’était
« pas sartrien » et ne pensait aucunement que le sujet était, je cite, « un trou ».
Il avait ajouté que sur ce point, il se sentait plus « spinoziste ». Le sujet serait
non un manque, mais une production. Un « trop-plein » ? Blondel, avant Sartre,
et si l’on peut dire contre lui, et peut-être contre Heidegger, soutenait déjà cette
idée (L’Action, II, 1937, p. 83 : « Halte et délibération »). Cet ouvrage contient
des chapitres aux titres surréalistes : « Possibilité rationnelle d’une onde exotique
et suprême ».
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par métaphores, ce qui est une thèse intéressante, mais sans doute
pas ici encore suffisamment argumentée. La physique, mais aussi la
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1. Ethique à Nicomaque, III. Livre qui débute par une magistrale analyse
juridico-morale du « volontaire et de l’involontaire » (plus exactement : hékousios/
akousios) dans l’action. Les exemples pris par le Stagirite montrent bien qu’il ne
s’agit pas de notions n’ayant « rien à voir » avec celles de « volontaire/involon‑
taire », même si l’opposition peut être rendue par « non contraint/contraint », mais
pour un agent humain. L’exemple le plus tragique de cas où l’on peut… hésiter
selon Aristote à qualifier l’acte de « non contraint » est celui du tyran qui menace
de tuer ma famille si je ne commets pas quelque acte mauvais et honteux. On
n’est pas loin du « choix de Sophie ». On regrette parfois de ne pas trouver chez
Aristote de pensée du Mal, et l’on dit qu’il ignorerait tout de la notion (biblique et
stoïcienne) de « devoir ». C’est excessif.
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Le phénomène de l’hésitation 483
1. Le « style » propre de Ricœur est déjà là. Lorsqu’il tirera profit de la
« philosophie analytique », il ne cessera pas de poser ses distinctions en de tels
termes catégoriaux, autrement dit sous une forme quasi aristotélicienne : distin‑
guer les questions que l’on peut légitimement se poser à l’égard de tel ou tel type
d’êtres, mais en les posant toujours à partir du sujet. À la fois par bon sens et
du fait de son attachement à la foi, il ne posera pas la grandiloquente « question
de l’être ». Laquelle n’a, que je sache, aucune réponse. On attend toujours une
preuve de l’impossibilité du Rien absolu. Comme dirait Wittgenstein, sur cette
« question » mystique, mieux vaut peut-être se taire. Il faut toujours s’extasier
devant le fait qu’il y a quelque chose (Descartes l’a prouvé), mais il faut aussi passer
à autre chose.
2. Nul n’ignore l’importance et la polysémie du terme « chair » (sarx, caro)
depuis les écrits pauliniens et johanniques. Que le Logos se soit fait chair (Jean)
est le « paradoxe » fondateur du Christianisme. Les Pères grecs de l’Église utili‑
saient le terme de « sarkôsis »… Les deux autres volumes de la Philosophie de la
Volonté seront beaucoup plus centrés sur des notions explicitement religieuses, la
souillure, le péché, la culpabilité, le mythe, l’alliance, le « serf-arbitre ».
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1. Voir aussi K. Popper, The Open Society and its Enemies, Routledge, 1962
(1945), chap. XXIV, II : « Le principe qui demande que l’on évite toute pré‑
supposition n’est pas, comme certains peuvent le penser, une parole d’Évangile
(« a counsel of perfection »), mais une forme du paradoxe du Menteur. » Popper
utilisera en ce sens dès 1948 l’idée « d’horizon d’attentes », toujours déjà là, en
particulier dans le langage.
2. Idée évidemment leibnizienne.
3. Idée évidemment hégélienne.
4. Idée évidemment platonicienne. Mais cette structure d’attente d’un remplis‑
sement ne fait pas de l’être désirant un « rien ».
5. Ricœur dira plus loin, faisant à n’en pas douter allusion au penseur danois,
que l’hésitation n’est pas un « et … et », mais un « ou bien, ou bien ».
6. Il est clair que l’expression pascalienne (le Moi), comme celle de Locke
(« the Self »), est tendanciellement porteuse d’illusions philosophiques. Mais l’on
pourrait, me semble-t-il, en dire autant du « Ich » freudien de la seconde topique,
alors que Freud est le « philosophe du soupçon » par excellence. L’un des objectifs
du présent article n’est autre que de montrer, sur un exemple que d’aucuns consi‑
déraient comme caricatural, que les prétendues « philosophies du sujet transparent
à lui-même » sont le plus souvent bien plus complexes que cela. Sinon, pourquoi
lire encore le Traité des passions ou les moralistes français ?
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devra se mouvoir lors du choix (Ricœur ne songe sans doute pas ici
au fait… décisif que « ne pas bouger », comme on dit, c’est aussi
une décision, un choix2). Son modèle, comme pour bien des philoso‑
phes, est peut-être la traversée du Rubicon (Alea jacta est !), mais
il utilise plus loin la métaphore « trancher le nœud gordien », qui a
l’avantage de faire allusion à un autre grand « décideur » (Alexandre),
tout en jouant sur la belle palette métaphorique du « dénouement »
et de la « césure ».
Dans l’hésitation, terme moins « intellectualiste » que celui de
délibération, comme il le dira plus loin, le corps ne bouge pas,
ou si peu, mais il est « mis en alerte », disponible pour l’action à
venir, après que le nœud aura été tranché. D’un autre côté, l’hési‑
tation qui s’attarde sur elle-même peut être le lieu d’une sorte de
« faute » (culpa, péché ?3) : tomber dans le narcissisme de la toute-
puissance, comme si je contemplais les possibles et les dominais.
Je jouis d’avoir « plusieurs hypothèses au feu », pourrait-on dire
dans un style qui n’aurait sans doute pas déplu à Ricœur. Mais ce
défaut n’est pas généralisable, il demeure exceptionnel : en ajournant
mon choix, je jouis de ce « pouvoir de second degré », lequel n’est
qu’une « corruption de la réflexion », une « concupiscence réflexive »,
ce terme thomiste4 n’étant pas utilisé ici par hasard. Le refus du
choix est une faute égoïste. Je suis incapable de former un « pro‑
jet ferme » (expression fort cartésienne), mais la structure intention‑
nelle de la conscience (« découverte » fondamentale de Husserl5,
comme l’avait brillamment clamé Sartre) est la même : la conscience
(en un sens assez kantien, mais aussi husserlien) diffère : on est dans
le « problématique », non dans le « catégorique ». Je doute. Ma ques‑
tion est toujours, comme aurait dit Lénine, après Tchernychevsky :
« Que faire ? »2 Mais, significativement, Ricœur la temporalise, en la
développant, en la mettant donc au futur, ce qui est plus angoissant,
et laisse aussi entrevoir l’incertitude de l’avenir ouvert : « Que vais-je
faire ? » Et maintenant ? Hic et nunc. Mon projet n’est pas encore
là, il est « contaminé » par le doute. Je suis « embarqué » dans
un monde où je dois choisir, « dénouer », « résoudre », métaphores
pleines de sens. Ricœur fait alors allusion, sans avoir à le préciser, à
Brennus (« le Gaulois »), et à son fameux « Vae victis », si humiliant
pour les Romains, en niant que la volonté surgisse seulement comme
l’épée du barbare sur la balance : non, la volonté (libre), conductrice,
active, est déjà à l’œuvre dans le temps de l’hésitation, qui précède
celui de l’action. Comme on l’a dit, il pourrait sembler qu’il y a là
comme une hypostase « cartésienne » de La Volonté. Disons alors
simplement que l’agent/sujet, en tant que tel, est déjà là dans l’hési‑
tation, y compris s’il se sent perdu.
1. Ricœur pense sans doute à la très fameuse dernière des « Thèses sur
Feuerbach » de Marx.
2. Mais Platon lui-même, dans les Lois, avait « joué » sur une critique de
cette opposition traditionnelle.
3. Voir le vertigineux passage où Proust parle de nos deux « moi » (véritable
et « social »), que l’on confond « à cause de l’homonymat (sic) et du corps commun
aux deux », à la fin du Temps retrouvé. Au début du même volume, Marcel parle de
Gilberte, qui était « comme ces pays avec qui on n’ose pas faire d’alliance parce
qu’ils changent trop souvent de gouvernement », non sans ajouter que c’est un tort,
car « la mémoire de l’être le plus successif (sic) établit une sorte d’identité et fait
qu’il ne voudrait pas manquer à des promesses qu’il se rappelle, si même il ne les
eût pas contresignées ».
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1. L’attention étant en quelque sorte le Président qui fait appel tour à tour à
tel ou tel « témoin ».
2. Ce serait de « l’irrésolution » (Descartes, Traité des passions, art. 170, que,
curieusement, Ricœur ne cite point. Mais il y pense sans doute).
3. Allusion à Shakespeare ?
4. Ce qui devrait plaire à ceux qui croient encore à l’idée que la philosophie
se réduit à des questions de langage, idée absurde.
5. Il récusera plus loin aussi bien le « réalisme de l’inconscient » freudien
que le mythe de la « conscience transparente à elle-même » (p. 353 : « Échec
de la transparence de la conscience »). La théorie du sujet de Ricœur ne semble
donc pas tomber sous la critique, rituelle depuis quarante ans, du mythe de la
subjectivité « triomphante et transparente à elle-même ». On se demande parfois si
cette idée d’une « théorie classique du sujet transparent » n’est pas elle-même un
mythe. Il y a des théories du sujet « plus ou moins transparent » à lui-même. Mais
que tout soit « extérieur », puisque l’intériorité serait seulement un « mythe »,
est un mythe.
6. À juste titre : il y aurait à dire sur les caricatures faites des « erreurs
de Descartes ».
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Le phénomène de l’hésitation 491
mais ceci n’est pas l’expérience d’une absence de motifs (plus ou moins
rationnels), mais celle de la naissance de mon rapport aux motifs, avec
lesquels et sur lesquels je vais en quelque sorte travailler, sans avoir
à supposer qu’ils sont déjà là dans un présent abstrait et intemporel.
L’erreur symétrique consiste justement à procéder à l’hypostase
des motifs, conçus comme des causes, existant déjà avant leurs effets,
comme si, pourrait-on dire, tout choix existentiel était comparable à un
jeu dans lequel je devrais choisir entre des scénarios déjà écrits, igno‑
rant seulement lequel est le meilleur, ce qui est le cas en théorie des
jeux. Pour Ricœur, si nous l’avons bien compris, les scénarios ne sont
pas encore écrits, j’en suis justement partiellement l’auteur, celui qui a
quelque autorité, maîtrise sur eux (grâce rendue à l’attention, précise‑
ra-t-il plus loin en s’appuyant sur Descartes, Malebranche et Husserl),
sur leur succession et surtout l’élection d’un d’entre eux : ce sera cela,
la liberté si recherchée, si désirée. Mais tant que je n’ai pas choisi, je
ne vois que des « esquisses » de mes projets possibles. Mon jugement
est « suspendu » (sceptiques, Descartes – Méd. I –, Husserl1), mais
le sont tout autant, contrairement aux apparences, mes motifs, encore
dans la confusion. Ce serait une illusion « arithmétique » que de voir
dans l’ensemble des motifs une « multiplicité » exacte (sans doute au
sens de la théorie des classes, des ensembles, des « multiplicités »).
Au contraire, l’analogie à utiliser ne doit pas être géométrique (Ricœur
fait plus loin allusion de manière évidente à l’opposition pascalienne
entre esprit de géométrie et esprit de finesse), mais religieuse, voire
mystique, mais d’un mysticisme raisonné, malebranchien ; il faut
parler de « recueillement », « d’appel », de « solitude », voire de
« prière », dans la recherche hésitante du choix de l’un.
1. À ceci près que Husserl ne procède pas en niant la thèse de l’extériorité,
pour mieux la sauver (Descartes), et ne parvient pas non plus de manière sceptique
à l’épochè comme à une sorte d’équilibre. Il l’utilise comme une méthode d’ascé‑
tisme épistémologique, si l’on peut dire, permettant d’ouvrir un vaste champ de
connaissances apodictiques égocentrées.
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doute dire, telle celle de Dieu1). La condition humaine, elle, fait que
le champ des décisions possibles est ouvert, et non « totalisable »2.
Il n’existe pas non plus a priori de « hiérarchie évidente »3 entre les
options possibles, et, s’il s’agit d’un dilemme moral, entre les valeurs.
Toute histoire personnelle est une « symphonie inachevée », Ricœur
faisant allusion à Schubert, même s’il faut ajouter : une symphonie
nécessairement inachevée. Mais un essai de symphonie tout de même,
et non pas une cacophonie totale. L’hésitation n’est pas un flux de
conscience désordonné, uniquement soumis aux pseudo- « lois »
empiristes4 de l’association (passive) des idées.
L’eidétique de l’affectivité nous avait prévenus : on peut dire
rigoureusement que l’affectivité n’est pas rigoureuse, mais confuse,
tout en maintenant qu’elle est dirigée par l’idée régulatrice, mais non
constitutive, d’unité, Ricœur appliquant au vécu de la décision la
distinction kantienne, originellement conçue par Kant pour le Monde.
Il y a bien une « présence » du désir (les stoïciens avaient raison en
partie : le bien et le mal du corps sont des opinions problématiques),
mais cette présence a besoin d’être « formée » (Bildung), et en atten‑
dant, elle « se prête à une inquisition5 sans fin », c’est-à-dire : sans
fin « en principe », car justement, il faudra bien y mettre fin6, sans
avoir balayé tous les possibles, sans avoir distingué clairement tous
les motifs. Il y a une « urgence » de l’action, parfaitement comprise,
on le sait, par Descartes. Seul le temps (limité) permet une certaine
« clarification », mais la totalité reste à jamais inachevée, sur fond
d’un « horizon » indéterminé. Même la détermination progressive des
motifs à mettre en avant et des moyens à choisir suscite de « nou‑
veaux horizons » : « Il n’y a pas de somme de l’existence ».
C’est sur cette belle phrase que nous nous arrêterons. Un travail
plus long nous permettrait de mettre en valeur la thèse fondamentale
de Ricœur à la suite de ce chapitre : c’est dans la capacité attentive,
dans l’attention, la sélection de tel ou tel profil d’histoire possible, que
1. On peut penser que c’est pour cela que l’Incarnation du Fils en Jésus est
un mystère.
2. Kierkegaard contre Hegel ?
3. Ce qui pour le coup nous éloigne non tant de Descartes que de Kant.
4. Hume, cité implicitement, et Wundt, cité en note.
5. Une recherche, au sens de Montaigne : il ne faut pas voir là du tout une
allusion à l’Inquisition, institution totalitaire, objet de détestation pour les protes‑
tants et pour les Lumières.
6. « Anankè stènai », dirait Aristote.
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