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Littérature
Annie Ernaux : « le sexe, le temps et la mémoire »
PAR Anne COUDREUSE
Le Je une Homme
Annie Erna ux
Gallimard
48 pages
Dans ce récit d’un amour transgressif, l’auteure affirme sa liberté et redessine le rapport
au temps qui se trouve à la source de son œuvre et de son art poétique.
Ce livre très court revient sur une « histoire » de la narratrice, commencée par « une nuit
malhabile » avec un étudiant de trente ans de moins qu’elle, qui avait alors cinquante-
quatre ans. Heureuse de retrouver dans cette relation, sur laquelle pèse le tabou de «
l’inceste », la « fille scandaleuse » qu’elle a été, dans la honte, à dix-huit ans, l’auteure en
analyse tous les aspects, aussi bien sociologiques que générationnels et linguistiques,
mais surtout elle y fait l’épreuve du temps et de la mémoire, qui constituent la matière
même de son œuvre-vie. La présence de ce jeune amant transforme la vie de l’écrivaine «
en un étrange et continuel palimpseste ». Tout a déjà été vécu, dans les mêmes lieux, à
Rouen, ce qui peut se lire comme un « signe » : « Son appartement donnait sur l’Hôtel-
Dieu, désaffecté depuis un an. » C’est là, dans cet hôpital, qu’elle a passé six jours, quand
elle était étudiante, « à cause d’une hémorragie due à un avortement clandestin ».
Le lecteur découvre dans ces pages aussi lucides que superbes ce qui déclencha l’écriture de
L’Événement (2000), ce livre que son auteure « hésit[a] à entreprendre à cause de son
ampleur ». Toute l’œuvre d’Annie Ernaux semble concentrée dans ces pages d’une grande
efficacité et d’une vérité nue et parfois effrayante, qui associent le temps, l’écriture et la
mémoire dans un précis de sensations, rendant l’écriture incroyablement vivante et
présente, même quand « le présent [n’est plus] qu’un passé dupliqué ».
La phrase la plus importante du livre se trouve sans doute en exergue : « Si je ne les écris
pas, les choses ne sont pas allées jusqu’à leur terme, elles ont été seulement vécues. »
L’écriture (que l’auteure pratique avec une maîtrise à couper le souffle) est alors une façon
l i d é li l i t d’i di l t d l i d
pour la vie de se réaliser pleinement, d’irradier par les mots dans la conscience des
lecteurs et de s’inscrire dans une mémoire comme « vérité sensible » du temps.
ANNE COUDREUSE
e
Anne Coudreuse est maître de conférences HDR en Littérature du XVIII siècle à l ’ Université Sorbonne
e
Sa thèse est publiée en deux volumes : Le Goût des larmes au XVIII siècle ([1999], rééd. Desjonquères ,
e
2013 ) et Le Refus du pathos au XVIII siècle (Champion , 2001). Elle a co- dirigé quatre volumes collectifs :
Passions , émotions , pathos (La Licorne , 1997), Pour une histoire de l ’ intime et de ses variations
(L’ Harmattan , 2009), Sade et les femmes : ailleurs et autrement (L’ Harmattan , 2014 ), Romanesque et
écrits personnels (Garnier, 2019). Travaillant sur les Mémoire de la Révolution et les écritures de soi , elle
a dirigé un volume sur Les Mémoires : une question de genre ? (L’ Harmattan , 2011). Elle a publié La
Conscience du présent . Représentations des Lumières dans la littérature contemporaine (Garnier, 2015)
et Sade , écrivain polymorphe (Champion , 2015). Elle est chroniqueuse pour le revue Les Moments
littéraires .
Depuis décembre 2007, elle est critique de littérature sur le portail des livres et des idées , non ction . fr.
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