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FINANCEMENT

Claire Champenois
in Pierre-Marie Chauvin et al., Dictionnaire sociologique de l’entrepreneuriat
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Presses de Sciences Po | « Références »

2014 | pages 300 à 320


ISBN 9782724616408
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/dictionnaire-sociologique-de-l-entrepreneuriat---page-300.htm
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300 DICTIONNAIRE SOCIOLOGIQUE DE L’ENTREPRENEURIAT

CARRIER (C.), JULIEN (P.-A.) et MENVIELLE (W.), « Un regard critique


sur l’entrepreneuriat féminin : une synthèse des études des
25 dernières années », Gestion, 31 (2), 2006, p. 36-50.
DUCHENEAUT (B.) et ORHAN (M.), Les Femmes entrepreneurs en
France, Paris, Editions Seli Arslan, 2000.
FENWICK (T. J.), Women Entrepreneurs : A Critical Review of the
Literature, Edmonton, Canada, University of Alberta, Department
of Educational Policy Studies, 2003 [www.ualberta.ca].
GREENE (P. G.), HART (M. M.), GATEWOOD (E. J.), BRUSH (C. G.) et
CARTER (N. M.), Women Entrepreneurs : Moving Front and
Center : An Overview of Research and Theory, United States
Association for Small Business and Entrepreneurship, 2003.
SMITH (R.), « The Diva Storyline : An Alternative Social
Construction of Female Entrepreneurship », International
Journal of Gender and Entrepreneurship, 1 (2), 2009,
p. 148-163.

• • •

> FINANCEMENT
Comprendre en finesse les mécanismes de création et de déve-
loppement d’entreprises suppose de ne pas se limiter à une approche
statique de ces phénomènes, mais au contraire de les étudier de
manière diachronique, en cherchant à reconstituer le processus
entrepreneurial comme une activité se déployant et se reconfigu-
rant dans le temps. L’activité entrepreneuriale peut alors être
conçue comme la combinaison spécifique et évolutive de ressources
hétérogènes, au cœur desquelles se trouvent les ressources de finan-
cement (subventions, dette ou capital). Plus particulièrement dans
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Financement 301

les secteurs d’innovation où la conduite d’activités de R&D longues


et coûteuses est requise (biotechnologie, nanotechnologies, infor-
matique, télécommunications, etc.), le financement constitue l’une
des ressources primordiales – sinon la ressource primordiale – pour
les entrepreneurs. Mais, dans une perspective sociologique – et
notamment dans le cas d’un investissement en fonds propres –, il
ne peut être réduit à une transaction ponctuelle d’apport de fonds.
Il s’apparente au contraire à une relation complexe, riche, évolutive
qui se déploie sur plusieurs années entre l’entrepreneur et ses inves-
tisseurs et qui est ancrée dans des espaces sociaux plus vastes (par
exemple, des réseaux sociaux, des territoires). Les financeurs, sur-
tout en phase de démarrage de l’entreprise, co-construisent ainsi
souvent le projet entrepreneurial. Les capital-risqueurs de la Silicon
Valley participent par exemple activement à la gestion des « jeunes
pousses » qu’ils financent et auxquelles ils transfèrent les connais-
sances qu’ils ont accumulées depuis des décennies, les mettent en
contact avec des partenaires pertinents et jouent un rôle de signal
positif qui rassure les partenaires et facilite les transactions (Ferrary
et Granovetter, 2009).
On commencera par chercher à se repérer dans le foisonnement des
financeurs et des financements mobilisés par les entrepreneurs.
Identifier des variables pertinentes pour catégoriser ces éléments
permettra de dresser un bilan empirique. Deux enjeux théoriques
soulevés par cette catégorisation seront alors étudiés, à partir
d’enquêtes originales : la tension entre personnalisation et déper-
sonnalisation des liens de financement et la question du contrôle
des entrepreneurs par certains de leurs financeurs.
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302 DICTIONNAIRE SOCIOLOGIQUE DE L’ENTREPRENEURIAT

UNE MOSAÏQUE DE FINANCEURS ET DE FINANCEMENTS :


PROPOSITION DE TYPOLOGIES

Apport personnel, prêts à taux zéro, subventions pour un projet


innovant de R&D, prêts garantis par les pouvoirs publics, avances
remboursables, subventions pour les créateurs en zones défavori-
sées, dons de la famille, apport par des « investisseurs providen-
tiels » (ou business angels), capital-risque, microcrédit, fonds
d’amorçage... les financements directs utilisés par les créateurs
et/ou dirigeants d’entreprise ont connu un développement remar-
quable ces dernières décennies, sous l’influence notamment des
pouvoirs publics et des marchés financiers. Ils se caractérisent par
une grande diversité et une forte hétérogénéité en termes de mon-
tants, de durée, de sélectivité, de caractéristiques ou encore de fré-
quence d’utilisation. Deux typologies seront successivement
proposées, fondées sur l’identité des financeurs puis sur le degré
d’incertitude que ceux-ci supportent107.

L'identité des financeurs, individu ou organisation


En se fondant sur une approche quantitative et macro-sociale
cherchant à identifier auprès de qui les entrepreneurs se finan-
cent le plus souvent dans les différents pays, on peut construire
une première typologie, à partir de deux, voire de trois, caracté-
ristiques discriminantes : la nature individuelle versus organisa-
tionnelle du financeur – caractéristique (supposée) corrélée avec
une seconde variable, le degré de formalisation du lien de finan-
cement – et le stade d’avancement de l’entreprise (démarrage
versus développement).

107. La question du différentiel de valeur économique potentiellement créé


par les types de financement respectifs ne sera en revanche pas abordée ici.
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Financement 303

La dernière étude disponible du consortium de recherche interna-


tional Global Entrepreneurship Monitor (GEM) sur l’entrepreneuriat
(Bosma et Levie, 2010), réalisée en 2009 en interrogeant par ques-
tionnaires 180 000 individus dans chacun des 54 pays participants,
identifie cinq grandes sources de financement pour les individus
fondant leur entreprise. Les « 3 F » (friends, family et foolhardy
strangers), auxquels il convient d’ajouter les entrepreneurs eux-
mêmes, constituent la première, et quantitativement la principale,
de ces sources. Les chercheurs du GEM les nomment « investisseurs
informels » car il s’agit d’individus nouant a priori des liens de
financement moins formalisés que les autres catégories. « Overall,
in all of 2008, only 15 000 of entrepreneurial businesses received
venture capital funding in the GEM countries, compared with tens
of millions backed by informal investment » (Bosma et Levie, 2009,
p. 6). Ce constat vaut aussi aux États-Unis, terre du capital-risque :
« in the United States, there are almost 30 millions businesses, but
in the last 40 years not more than about 30 000, or about one in
a thousand, have ever received venture capital » (p. 55). Parmi ces
« investisseurs informels », les entrepreneurs ayant déjà créé une
entreprise sont surreprésentés : la dernière étude internationale du
GEM spécifiquement dédiée au financement montrait que la pro-
babilité qu’ils financent une entreprise nouvellement créée est
quatre fois supérieure à celle des non-entrepreneurs (Bygrave et
Quill, 2007). Et dans l’échantillon de cette enquête108, les fondateurs
avaient apporté 62 % du capital de départ des entreprises créées.
Outre ces membres de la famille, amis, voisins, « étrangers témé-
raires », des organisations apportent aussi des financements aux
entrepreneurs en phase de démarrage à travers le monde. On peut,

108. Au minimum 2 000 individus dans 42 pays ont été interrogés au cours
de cette enquête (Bygrave et Quill, 2007).
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304 DICTIONNAIRE SOCIOLOGIQUE DE L’ENTREPRENEURIAT

avec le consortium du GEM, les regrouper en quatre catégories :


les banques, les institutions de microcrédit, les programmes publics
et les sociétés de capital-risque. L’objet du lien de financement
varie en fonction de l’identité des offreurs : les deux premières
catégories de financeurs offrent généralement de la dette, les pro-
grammes publics, une diversité d’aides (subventions pour un projet
de R&D, pour le paiement de salaires ou autres subventions,
avances remboursables, prêts bonifiés, fonds d’amorçage, etc.), et
les dernières, du capital.

Tableau 1 – Typologie des financeurs en fonction de leur caractère


individuel/organisationnel et du stade de développement de l’entreprise

Financeurs
Individus Organisations
Stade de
(formalisation faible (formalisation forte
développement
du lien de financement) du lien de financement)
de l’entreprise financée

Banques
3 F (family, friends,
Microcrédit
Démarrage foolhardy strangers)
Programmes publics
+ fondateurs
Capital-risque

Banques
Capital-risque
Entreprise stabilisée N/A
Marchés financiers
(Programmes publics)

Passé le démarrage, une fois l’entreprise stabilisée (notamment


lorsque plusieurs contrats commerciaux d’importance sont signés,
que l’entreprise est profitable, que le développement de sa tech-
nologie est achevé) ou en phase de « développement », ses diri-
geants peuvent ne pas pouvoir ou vouloir se contenter des
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Financement 305

liquidités dégagées par l’affaire, mais rechercher des financements


nouveaux. Dans les secteurs de haute technologie, ils ont souvent
recours aux institutions de capital-risque (entendues au sens large,
voir infra) pour faire croître rapidement leur entreprise. Si cette
dernière est suffisamment mûre et offre des perspectives écono-
miques très profitables, les entrepreneurs se tournent parfois vers
les marchés financiers via une introduction en Bourse. Enfin, ils
mobilisent toujours, certes moins que dans la phase de démarrage,
les programmes publics.

Le degré d'incertitude supporté par le financeur


On l’a noté, l’objet du lien de financement, c’est-à-dire la nature
du financement apporté à l’entrepreneur est variable. Il permet
de dessiner une seconde typologie, en fonction du degré d’incer-
titude concernant le profit financier escompté, auquel est exposé
le financeur.
En reprenant la distinction opérée par Frank Knight (1921) entre
risque (probabilisable) et incertitude (non probabilisable), on peut
placer les différents types de financement (et leurs offreurs) le long
d’un continuum allant de situations à l’incertitude faible à des cas
d’incertitude radicale, en passant par des situations où l’incertitude
est assimilable à un risque.
Les différentes aides directes offertes par les pouvoirs publics cor-
respondent à un cas d’incertitude faible concernant le futur profit
financier, car la réalisation d’un tel profit n’est pas un enjeu pour
celui qui apporte le financement. Les pouvoirs publics soutiennent
en effet les entrepreneurs pour d’autres objectifs que le rendement
financier (emploi, développement territorial, compétitivité secto-
rielle ou nationale, etc.).
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306 DICTIONNAIRE SOCIOLOGIQUE DE L’ENTREPRENEURIAT

A contrario, à l’autre extrémité du spectre, les financeurs apportant


des fonds propres aux entreprises investissent dans des projets au
profit financier futur hautement incertain. Ces acteurs soutiennent
des entreprises à fort potentiel de croissance, généralement dans
des secteurs de haute technologie, avec l’objectif explicite de
dégager des profits financiers très élevés, mais en prenant le risque
d’encourir des pertes conséquentes. En cas d’échec de l’entreprise,
c’est en effet la totalité de sa mise que peut perdre l’investisseur en
capital-risque. La variabilité du profit escompté est très forte,
comme le révèle le calcul économique que ces investisseurs font
au moment de sélectionner des projets : sur dix entreprises, sept
feront faillite, deux survivront et une connaîtra un succès fou-
droyant permettant alors à l’investisseur de dégager un profit tel
qu’il financera les échecs et rémunèrera généreusement à la fois le
gérant du fonds de capital-risque et les investisseurs ayant investi
dans ce fonds.
L’incertitude financière supportée par ces apporteurs de fonds pro-
pres varie en fonction du stade de développement de l’entreprise. On
distingue classiquement – et de manière assez théorique – trois
formes de financement en capital (ou « venture capital » au sens
large) (Glachant et al., 2008) : le capital amorçage, le capital-risque
au sens strict et le capital développement. Le capital amorçage, fourni
principalement par des personnes physiques, par des organismes
publics et, plus rarement, par quelques sociétés de capital-risque,
finance des entreprises encore en stade de R&D, du développement
de leur technologie à l’obtention des premiers clients. Le capital-
risque – au sens restreint du terme – permet ensuite aux entreprises
déjà constituées de se développer, notamment de recruter et d’obtenir
de nouveaux contrats commerciaux. Le capital développement est
mobilisé par les entrepreneurs à la tête de firmes plus mures, ayant
besoin de financements pour accélérer leur croissance.
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Financement 307

L’incertitude concernant le profit financier va naturellement décrois-


sante à chacune de ces étapes, car l’incertitude concernant la faisa-
bilité technologique, l’acceptation du marché et la nature de l’offre
commerciale à construire, ainsi que la capacité de l’équipe de direc-
tion à conduire l’entreprise diminuent, accroissant d’autant la pos-
sibilité, pour l’investisseur, de sortir de son investissement en
revendant ses parts à des tiers (opérateurs sur les marchés financiers,
entreprises industrielles, autres investisseurs, etc.) à un prix lucratif.
Au milieu du continuum, les prêts bancaires exposent le financeur
à une incertitude assimilable à un risque. Il est en effet possible –
tout au moins davantage que dans le cas de l’apport en fonds pro-
pres – de calculer le risque encouru par le financeur : en raison de
la nature de son apport (dette et non pas capital), le profit financier
escompté en cas de succès de l’entreprise est prévisible (taux
d’intérêt définis ex ante) et, en cas d’échec, les garanties de recou-
vrement sont supérieures. Par ailleurs, les conditions d’octroi des
prêts – notamment l’exigence d’une rentabilité antérieure minimale
de l’entreprise – limitent l’utilisation de ce dispositif à des firmes
beaucoup moins risquées que les précédentes.
Le tableau 2 présente de manière synthétique les différents
types de financement en fonction de leur degré d’incertitude
financière109.

109. De notre état des lieux est exclue l’autre grande forme de private equity
– a côté du venture capital – le buyout ou « capital-transmission » (LBO, MBO,
etc.), car ces opérations financières correspondent moins à une logique de finan-
cement industrielle (pour le développement ou la commercialisation d’un pro-
duit) qu’à une logique financière d’accroissement du rendement des fonds
propres, à une logique juridique et de diminution de l’assiette fiscale (Glachant
et al., 2008).
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308 DICTIONNAIRE SOCIOLOGIQUE DE L’ENTREPRENEURIAT

Tableau 2 – Typologie des financements en fonction de leur degré


d’incertitude financière
Incertitude
faible/non Risque Incertitude radicale
pertinente
i
Aides
Prêts Apport de fonds propres
directes

Capital Capital- Capital-


développement risque amorçage
(pouvoirs
(sociétés de
(pouvoirs publics,
(banques) capital-développement
publics) business angels,
de SCR)
quelques SCR)

Si l’on se limite aux cas d’incertitude la plus forte – à savoir


l’apport de fonds propres, qui concerne les entrepreneurs à la tête
d’affaires en croissance –, le financement soulève deux types de
questions théoriques : la tension entre personnalisation et déper-
sonnalisation des liens de financement, et le contrôle des entre-
preneurs par leurs financeurs.

PERSONNALISATION ET DÉPERSONNALISATION
DU LIEN AVEC LES FINANCEURS

Les premiers travaux de sociologie économique consacrés au finan-


cement des entrepreneurs se sont attelés à déconstruire une vision
économique néoclassique en montrant que, sur le marché des
financements comme sur d’autres marchés, les échanges ne sont
pas réductibles à des transactions ponctuelles ou limitées dans le
temps, entre des agents dépourvus de toute forme de lien antérieur
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Financement 309

(voir Marché et entrepreneuriat)110. Ces études ont mis l’accent sur


le caractère socialisé, personnalisé, des relations dans lesquelles
s’inscrivent les échanges entre entrepreneurs et financeurs, analy-
sant l’effet de cette socialisation sur la nature, les conditions et le
prix de ces échanges marchands.
Ils s’appuient notamment sur les travaux séminaux de Granovetter
(1985) sur l’encastrement social des activités marchandes et d’Uzzi
(1999). Ce dernier a montré que les liens « encastrés » (embedded),
c’est-à-dire de longue durée et marqués par des interactions rela-
tivement fréquentes, permettaient aux dirigeants-propriétaires à la
tête de PME américaines d’obtenir des taux d’intérêt plus bas pour
leurs crédits bancaires. En effet, ces liens plus personnalisés inci-
tent les partenaires à échanger des ressources et des informations
privées – inaccessibles par des liens purement marchands
(arm’s-length ties) – qui créent de la valeur pour l’entrepreneur et
rassurent les banquiers (voir Réseaux sociaux). Ces liens fournis-
sent aux financeurs de l’information sur des entreprises pour les-
quelles l’information publique est peu disponible (niveau de risque
de la dette de l’entreprise non noté par des organismes extérieurs,
bilans et comptes de résultats non certifiés par des auditeurs pro-
fessionnels). Cet échange d’informations privées repose sur les
attentes de confiance et de réciprocité entre les partenaires, carac-
téristiques des liens encastrés dans des réseaux sociaux. Mais le
bénéfice pour l’entrepreneur est maximal, en matière d’accès au
financement bancaire, lorsqu’il mêle des liens forts avec son

110. Pour Alain Testart, l’échange marchand se distingue de l’échange non


marchand en ce qu’il est commandé par un rapport aux choses (les marchan-
dises) et non aux personnes : « est échange marchand tout échange de marchan-
dises, ou encore tout échange dans lequel les échangistes n’ont pas besoin
d’entretenir entre eux d’autre rapport que celui de l’échange, c’est-à-dire encore
un échange qui n’est pas intrinsèquement lié ni conditionné par un autre rapport
entre les protagonistes » (Testart, 2001, p. 726-727).
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310 DICTIONNAIRE SOCIOLOGIQUE DE L’ENTREPRENEURIAT

banquier habituel et des liens faibles peu personnalisés avec


diverses autres banques. Cette structure de réseaux, dits « mixtes
intégrés », permet à la fois d’avoir accès, via des liens dépersonna-
lisés, à de l’information publique sur les prix et les structures de
deals, et, via des liens forts, de combiner ces informations en une
solution de crédit innovante, adaptée aux besoins spécifiques de
la firme, et moins onéreuse pour l’entrepreneur.
S’intéressant spécifiquement aux capital-risqueurs, Michel Ferrary
(2001) montre dans son étude sur les réseaux industriels de la Silicon
Valley qu’à côté des échanges marchands purs (faisant l’objet d’une
transaction monétaire, dépersonnalisés et instantanés), d’échanges
marchands médiatisés par les réseaux interpersonnels (la rencontre
entre les échangistes se faisant via une connaissance interperson-
nelle commune), l’échange par le don constitue un principe
d’échange dominant entre les membres de ces réseaux. Les capital-
risqueurs et les entrepreneurs, notamment, s’engagent dans divers
échanges – concernant des biens à la fois économiques et symbo-
liques – obéissant à une logique de don/contre-don (Mauss, 2001),
de manière à obtenir des biens qui sont nécessaires à la conduite
de leur activité, mais ne sont pas marchandisables. Par exemple, tel
capital-risqueur évaluant un projet d’entreprise obtient d’un entre-
preneur des informations sur la potentialité de marché de ce projet,
ou sur les individus fondateurs, et, réciproquement, ce financeur
propose à l’entrepreneur qui cherche à recruter un directeur
commercial un candidat qui fera l’affaire. Le besoin de socialiser
l’échange, notamment à travers la prépondérance de l’échange par
le don/contre-don, s’explique par l’incertitude sur les biens au cœur
des échanges et par l’interdépendance entre les échangistes, chacun
d’entre eux disposant de ressources complémentaires.
Les avantages procurés par les réseaux sociaux sont aussi fré-
quemment invoqués pour justifier la co-localisation d’entreprises
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Financement 311

innovantes et de sociétés de capital-risque au sein de certains ter-


ritoires (par exemple, la Californie), notamment en phase de démar-
rage des jeunes pousses (Powell et al., 2002 ; Sorenson et Stuart,
2001). Grâce aux liens interpersonnels qu’ils nouent avec différents
acteurs de leur territoire, facilités par la proximité géographique,
les capital-risqueurs ont accès à une information relativement riche
et fiable qui leur permet d’identifier de nouvelles opportunités
d’investissement, de réduire l’incertitude sur la qualité des projets
et de mieux influencer (monitor) le devenir de l’entreprise en met-
tant en contact ses dirigeants avec des conseillers de confiance
(recruteurs, consultants, etc.).
La personnalisation du lien avec son capital-risqueur procure
d’autres avantages à l’entrepreneur. Par exemple, un entrepreneur A,
qui entretient des liens d’amitié avec son capital-risqueur, accède à
des connaissances tacites fournies par un entrepreneur B du porte-
feuille de ce capital-risqueur (Pina-Stranger et Lazega, 2011).
Ainsi, en sociologie économique, la personnalisation des liens est
avant tout considérée comme une réponse à l’incertitude, et plus
précisément, comme une solution pour rendre l’activité écono-
mique possible dans des situations d’incertitude si forte qu’elle
menace toute possibilité d’échange. Connaître personnellement son
partenaire, ou connaître quelqu’un qui connaît le potentiel parte-
naire, joue un double rôle, à la fois de réduction de l’incertitude,
avant la transaction, et d’accroissement des possibilités de déploie-
ment d’un contrôle du comportement de son partenaire, une fois
la transaction signée. Les réseaux sociaux dans lesquels sont encas-
trés les échanges constituent ainsi des « dispositifs de confiance »
qui rendent l’échange possible. Dans une économie « de la qualité »
(Karpik, 1996 ; Musselin et Paradeise, 2002) ou « des singularités »
(Karpik, 2007), comme celle des financements aux entrepreneurs,
où les produits sont recherchés fondamentalement pour leur
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312 DICTIONNAIRE SOCIOLOGIQUE DE L’ENTREPRENEURIAT

qualité, les réseaux neutralisent les menaces pesant sur l’échange,


que sont à la fois l’opacité du marché (absence d’informations
publiques sur les qualités des produits et impossibilité de connaître
les singularités des produits avant la transaction) et les risques
d’opportunisme (comportement d’un des partenaires à son seul
profit). L’obtention de conseils et d’informations par une tierce
partie connue, à laquelle on fait confiance pour son expérience ou
son désintéressement, permet de lever en partie l’incertitude sur la
qualité du produit avant l’échange. Et l’existence de relations inter-
personnelles avec ses partenaires engendre de la confiance, plus
précisément une attente que les engagements des partenaires seront
respectés, et que ces engagements seront guidés par l’esprit du
contrat ou par un principe d’équité.
Une autre veine de travaux rend compte de la prolifération, dans les
dernières années et dans différents pays européens, des dispositifs
organisationnels ou marchands destinés à soutenir l’activité des
entrepreneurs : incubateurs, pépinières, cellules de transfert de tech-
nologie, services et organismes d’aide à la création d’entreprise,
concours de business plan, annuaires et guides, événements de ren-
contre entre entrepreneurs et différents partenaires, ou encore for-
mations à l’entrepreneuriat (Grossetti et Barthe, 2008 ; Giraudeau,
2007 ; Champenois, 2007). Ces auteurs mettent l’accent sur le poids
de ces dispositifs plus impersonnels dans le déploiement de l’activité
entrepreneuriale. Ainsi, dans la phase de croissance forte de l’indus-
trie des biotechnologies allemandes, les entrepreneurs à la tête
d’entreprises de sciences de la vie développant des activités sur des
marchés non stabilisés sont entrés en contact avec leurs futurs finan-
ceurs de manière plus dépersonnalisée que leurs prédécesseurs –
c’est-à-dire davantage à travers des organisations tierces ou des dis-
positifs impersonnels tels des annuaires, des séminaires de rencontre,
des conférences (Champenois, 2006 et 2007). Dans certains cas
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Financement 313

d’incertitude pourtant extrême, on constate donc un phénomène de


dépersonnalisation des liens de financement entre entrepreneurs et
investisseurs. L’absence de capital social pertinent chez les entrepre-
neurs (souvent de jeunes chercheurs dépourvus d’expérience de créa-
tion d’entreprise) et le niveau élevé de capital financier requis pour
mettre au point une innovation de biotechnologie (difficilement
mobilisable dans le réseau social proche des entrepreneurs) expli-
quent la force du recours aux dispositifs organisationnels et mar-
chands dans ce cas précis.
En réalité, comme le montrent Michel Grossetti et Jean-François
Barthe (2008) dans leur étude sur les entreprises innovantes
toulousaines, les entrepreneurs mobilisent à la fois des relations
interpersonnelles et des « ressources de médiation » (dispositifs
organisationnels et marchands) pour accéder aux financements.
Une dépersonnalisation des liens se produit au fur et à mesure du
développement de l’entreprise et, donc, de la réduction de l’impré-
visibilité la caractérisant : si 38 % seulement des créateurs étudiés
accèdent à des financements en mobilisant des ressources de
médiation avant le dépôt des statuts de l’entreprise, ce pourcentage
passe à 60 % dans l’année suivant le dépôt de statuts, et à 67 %
un an après ce dépôt.
Finalement, le financement constitue un appui offert par le contexte
social de l’entrepreneur d’autant plus accessible que ce dernier par-
vient à combiner des modalités personnelles et impersonnelles d’ins-
cription dans ce contexte. Ces résultats invitent à croiser les approches
en termes de réseaux sociaux et de dispositifs, jusque-là distinctes
(Zalio, 2009), et ouvrent un programme de recherche articulé autour
de plusieurs questions : dans quels cas (pour quelle activité ? dans
quels secteurs ? quels profils d’entrepreneurs ?) les entrepreneurs
mobilisent-ils les dispositifs plutôt que leurs réseaux ? Comment
combinent-ils ces deux modalités d’accès aux financements ? Quels
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314 DICTIONNAIRE SOCIOLOGIQUE DE L’ENTREPRENEURIAT

sont les effets de cette combinaison, en termes de relations interper-


sonnelles (des réseaux peuvent naître de la mobilisation de dispositifs
impersonnels) et de performance économique des entreprises ?
Une autre question, celle du contrôle, prise en compte dans la concep-
tualisation qu’offre Lucien Karpik (1996) des réseaux comme dispo-
sitifs de réduction d’incertitude permettant l’échange, est centrale
pour analyser la relation entre l’entrepreneur et ses investisseurs.

LE FINANCEMENT EN FONDS PROPRES :


ENTRE CONTRÔLE ET APPUI

Lorsque l’entrepreneur fait entrer dans son capital un investisseur,


la relation qui se déploie entre les deux types d’acteur devient une
composante à part entière de l’activité entrepreneuriale, dont il
convient de rendre compte.
Les principaux travaux s’intéressant spécifiquement à cette rela-
tion, issus principalement des sciences économiques et de gestion
(par exemple, Sapienza et Gupta, 1994 ; Amit et al., 1990), s’ins-
crivent dans la lignée de la théorie de l’agence (Jensen et Meckling
1976 ; Alchian et Demsetz, 1972). Dans cette perspective, le lien
entrepreneur-investisseur est avant tout envisagé comme une rela-
tion de contrôle entre un principal (l’investisseur) et son agent
(l’entrepreneur). Déléguant à l’entrepreneur le droit de créer de la
valeur financière, l’investisseur cherche avant tout à se prémunir
des risques de sélection adverse et de hasard moral, résultant d’une
asymétrie d’informations et de la poursuite d’intérêts individuels
par l’entrepreneur – potentiellement divergents de ceux de l’inves-
tisseur (Wiliamson, 1985 ; Amit et al., 1998). La théorie de l’agence
et ses avatars prescrivent ainsi un ensemble d’outils devant per-
mettre de réduire ces problèmes d’agence et induire un meilleur
alignement des intérêts entre les deux parties, notamment des
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Financement 315

dispositifs d’incitation (par exemple, l’intéressement du dirigeant


au capital) et de surveillance (Jensen, 1983 ; Eisenhardt, 1989).
Concernant le second point, l’investisseur mettra ainsi en place des
dispositifs de reporting pour obtenir de l’information sur les actions
de l’entrepreneur, s’assurera de possibilités formelles d’influence à
travers ses droits de vote au conseil d’administration, et cherchera
à imposer à l’entrepreneur un ensemble de règles concernant la
manière de conduire et de développer une entreprise.
Cependant, la dernière décennie a vu émerger un nombre crois-
sant de critiques, au sein des sciences de gestion, dénonçant les
insuffisances d’une vision « disciplinaire » (Wirtz, 2006) issue de
la théorie de l’agence. Certains travaux soulignent que la diver-
gence d’intérêts entre les deux parties n’a qu’une validité limitée
dans le temps – elle concerne principalement la phase précédant
la décision d’investir et perd largement de sa pertinence une fois
que l’investisseur est entré au capital de l’entreprise (Arthurs et
Busenitz, 2003) –, d’autres que le risque d’opportunisme existe
aussi du côté de l’investisseur (Sheperd et Zacharakis, 2001).
D’autres encore en appellent à compléter l’approche disciplinaire
par une approche « cognitive » qui considère qu’il existe, en sus
des coûts d’agence, des coûts cognitifs résultant de l’incompré-
hension entre le dirigeant et ses actionnaires, et qui identifie des
mécanismes de gouvernance adéquats pour diminuer ces coûts
(Wirtz, 2006). Ces chercheurs invitent à comprendre les méca-
nismes fondant, non plus le contrôle, mais la confiance entre
les deux parties et à s’intéresser aux compétences spécifiques
des investisseurs.
Ces remises en cause d’une vision strictement disciplinaire, et quel-
ques travaux sociologiques sur la question, ouvrent un programme
de recherche en sociologie spécifiquement dédié à la relation entre-
preneurs-investisseurs, notamment aux modalités, aux conditions
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316 DICTIONNAIRE SOCIOLOGIQUE DE L’ENTREPRENEURIAT

de possibilité et aux effets du contrôle des entrepreneurs par les


investisseurs sur l’activité entrepreneuriale. Trois pistes de
recherche se dessinent.
Premièrement, des études empiriquement fouillées de la relation
entre les deux types d’acteur souligneraient les limites du contrôle
tout en en détaillant les causes. Comme tout acteur au sein d’une
organisation (Friedberg, 1993 ; Meyer et Rowan, 1977), l’entrepre-
neur, au-delà des dispositifs formels induits par les mécanismes de
gouvernance, contourne, manipule et transforme les règles qui lui
sont imposées par les investisseurs. On peut aussi faire l’hypothèse
que, dans les cas de financement d’entreprises mures, comme dans
ceux de rachat d’entreprises par des investisseurs financiers (leve-
raged buyout) (Foureault, 2011), des événements passés, des
habitudes de fonctionnement de l’entreprise ou des objectifs opé-
rationnels entrent en conflit avec les objectifs que les investisseurs
imposent à l’entreprise et affaiblissent la possibilité du contrôle de
ces derniers.
Une seconde ligne de recherche envisagerait la coopération entre
entrepreneurs et investisseurs comme modalité ou condition du
contrôle et, finalement, comme appui pour les activités entrepre-
neuriales. S’inspirant de travaux dans le champ du contrôle mana-
gérial au sein d’entreprises établies qui démontrent que le contrôle
concret, entre deux groupes d’acteurs, ne peut s’exercer sans aide
de l’un envers l’autre (Devigne, 2004), elle testerait l’hypothèse selon
laquelle le contrôle seul s’avère inefficace pour créer de la valeur
économique. Cette proposition semble justifier, théoriquement et
empiriquement, que les investisseurs apportent non seulement des
fonds aux entrepreneurs mais aussi des connaissances et des savoir-
faire, et des contacts pertinents via leur réseau social (Champenois,
Devigne et Puyou, 2013). Il s’agirait alors d’identifier, sur des bases
empiriques solides, quels sont les fondements de la création de
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Financement 317

valeur économique engendrée par l’échange entre un entrepreneur


et ses investisseurs, et comment les investisseurs créent les condi-
tions de possibilité d’un contrôle opérant, dont les contours seraient
à préciser car probablement fortement contingents. Une telle pers-
pective déplacerait alors la focale de l’analyse, des mécanismes de
contrôle vers ceux de coopération, et conduirait à envisager les
modalités selon lesquelles cette coopération/contrôle participe de
l’activité entrepreneuriale.
Un troisième groupe de travaux s’intéresserait aux règles au cœur
de la relation entre entrepreneur et investisseur pour les consi-
dérer moins comme le fondement d’une relation disciplinaire de
contrôle que comme un ensemble d’appuis pour ceux qui sont
engagés dans une activité entrepreneuriale – à la fois les entre-
preneurs et leurs investisseurs. Les règles permettent ainsi un
« cadrage » (Callon, 1999) qui rend le calcul économique possible
et sous-tend la construction de marchés (financiers, technologi-
ques et commerciaux) non stabilisés. C’est à cette proposition
qu’invitent, d’une part, les travaux de Suchman (1994) et de
Ferrary et Granovetter (2009) sur la Silicon Valley et, d’autre part,
nos propres recherches sur l’industrie allemande des biotechno-
logies (Champenois, 2006). Les premiers soulignent qu’au-delà de
leur activité fonctionnelle de financement, les capital-risqueurs
de la Silicon Valley jouent un rôle majeur dans la diffusion de
règles et d’allant de soi guidant les créateurs et dirigeants dans
leurs activités entrepreneuriales.
Les secondes montrent qu’au cœur de cette relation de contrôle,
se trouve un ensemble de règles partagées entre investisseurs
d’une même société de financement ou d’une industrie (celle du
capital-risque). Ces règles sont issues d’une vision commune, une
norme, de ce que doit être une bonne entreprise, de ce que doit
faire un bon entrepreneur pour construire et piloter son affaire.
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318 DICTIONNAIRE SOCIOLOGIQUE DE L’ENTREPRENEURIAT

Les entrepreneurs de biotechnologie, outre-Rhin, se soumettent


à des règles étonnamment puissantes et relativement stables dans
le temps, qui sont issues d’une norme de « bon » projet entre-
preneurial partagée par l’ensemble des capital-risqueurs
(Champenois, 2010). Cette acceptation, pour les entrepreneurs,
de se soumettre à des règles externes et, pour les investisseurs,
de mobiliser des règles a priori, s’explique notamment par l’effi-
cacité des règles. Ces dernières engendrent des capacités
d’action : elles permettent aux capital-risqueurs d’analyser des
projets et de décider d’investir malgré leur manque d’expérience,
et, aux entrepreneurs novices, de construire et de mettre en œuvre
un projet entrepreneurial. Elles introduisent ensuite une réfé-
rence hétérogène dans un marché qui, sans cela, risquerait d’être
purement mimétique.

CONCLUSION
La question du financement des entrepreneurs et de leurs entre-
prises, encore peu étudiée par la sociologie, mérite des investiga-
tions plus poussées. Nous avons commencé par souligner le
caractère protéiforme des financements et par proposer deux typo-
logies de financeurs, en fonction de leur identité (individu ou orga-
nisation, s’adressant à une entreprise en démarrage ou stabilisée)
et du degré d’incertitude supporté. Sur cette base, et notamment
dans les cas où l’incertitude est forte, cette notice invite à creuser
deux thématiques théoriques pertinentes pour une approche socio-
logique qui envisagerait d’abord cette question sous l’angle de la
relation qui se noue entre l’entrepreneur et ses financeurs. La pre-
mière consiste à interroger les modalités, les conditions de possi-
bilité et les effets à la fois d’une personnalisation et d’une
dépersonnalisation des liens de financement, c’est-à-dire à croiser
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Financement 319

les approches en termes de réseaux sociaux et de dispositifs mobi-


lisés par les entrepreneurs pour financer leur affaire. La seconde
cherche à renouveler l’analyse de la relation entrepreneurs-inves-
tisseurs, traditionnellement considérée comme une relation de
contrôle, en s’intéressant aux limites de ce contrôle, aux méca-
nismes de coopération qui l’accompagnent et le rendent possible,
et aux règles régissant cette relation qui constituent autant de
contraintes que d’appuis pour l’activité entrepreneuriale.

Claire CHAMPENOIS

Renvois :
Business Plan, Famille, Incertitude, Innovation, Marché et
entrepreneuriat, Profit, Réseaux sociaux.

Bibliographie :
CALLON (M.), « La sociologie peut-elle enrichir l’analyse écono-
mique des externalités ? Essai sur la notion de cadrage-
débordement », dans D. Foray et J. Mairesse Innovations et
Performances. Approches interdisciplinaires, Paris, Éditions de
l’EHESS, 1999, p. 399-431.
CHAMPENOIS (C.), « Stabilité et transformation des règles. L’éva-
luation des firmes de biotechnologie par les investisseurs en
capital-risque allemands », dans P. François, Vie et mort des
institutions marchandes, Paris, Presses de Sciences Po, 2011,
p. 109-138.
CHAMPENOIS (C.), DEVIGNE (M.) et PUYOU (F.-R.), Organiser des rela-
tions « capital ». Le rôle de l’organisation du travail des capital-
investisseurs dans la construction de relations interpersonnelles
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320 DICTIONNAIRE SOCIOLOGIQUE DE L’ENTREPRENEURIAT

avec les entrepreneurs, Fribourg, 8e congrès de l’Académie de


l’entrepreneuriat et de l’innovation, 2013.
FERRARY (M.) et GRANOVETTER (M. S.), « The Role of Venture
Capital Firms in Silicon Valley’s Complex Innovation Net-
work », Economy and Society, 38 (2), 2009, p. 326-359.
GRANOVETTER (M. S.), « Economic Action and Social Structure :
The Problem of Embeddedness », American Journal of Socio-
logy, 91 (3), 1985, p. 481-510.
GROSSETTI (M.) et BARTHE (J.-F.), « Dynamique des réseaux inter-
personnels et des organisations dans les créations d’entre-
prises », Revue française de sociologie, 49 (3), 2008, p. 585-612.
KARPIK (L.), « Dispositifs de confiance et engagements crédi-
bles », Sociologie du travail, numéro spécial « Les contrats », 4,
1996, p. 527-550.
PINA-STRANGER (A.) et LAZEGA (E.), « Bringing Personalized Ties
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P. Steiner et F. Vatin (dir.), Traité de sociologie économique,
Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2009, p. 573-607.

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