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Cellules Souches Mésenchymateuses Et Immunomodulation: Intérêt en Thérapie Cellulaire Et Risques Potentiels
Cellules Souches Mésenchymateuses Et Immunomodulation: Intérêt en Thérapie Cellulaire Et Risques Potentiels
L
es cellules souches mésen- osseuse. La facilité à obtenir les cellules
chymateuses sont des cellu- souches mésenchymateuses en grande
les souches multipotentes quantité après culture et leurs propriétés
qui peuvent être isolées biologiques, notamment immunologi-
Tirés à part : facilement chez l’homme, ques, a conduit de nombreuses équipes
C. Dosquet notamment à partir de la moelle à mener des recherches précliniques et
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à développer des essais cliniques au cours desquels des récemment beaucoup augmenté, 80 % des citations du
cellules souches mésenchymateuses sont greffées avec des moteur de recherche Pubmed les concernant datant des cinq
objectifs thérapeutiques très divers, allant de la réparation dernières années. Cependant, cette explosion éditoriale a
tissulaire, justifiant un apport local des cellules, à la correc- généré de nombreuses ambiguïtés rendant nécessaire une
tion de défauts génétiques — osteogenesis imperfecta, mala- clarification de la nomenclature et une définition biologique
die de Hurler, leucodystrophie métachromatique — et au des cellules ainsi désignées. Le Mesenchymal and Tissue
traitement ou à la prévention de la maladie du greffon contre Stem Cell Committee de l’ISCT (International Society for
l’hôte (graft versus host disease [GVHD]), nécessitant une Cellular Therapy) a récemment publié sa position concernant
administration des cellules par voie intraveineuse. Des arti- la nomenclature [4]. Ce comité propose que les cellules
cles précédemment publiés dans Hématologie se sont atta- adhérentes au plastique isolées à partir de la moelle osseuse,
chés à faire le point de façon détaillée sur les propriétés du tissu adipeux ou d’autres tissus et couramment dénom-
biologiques des cellules souches mésenchymateuses [1] et à mées mesenchymal stem cells soient appelées multipotent
décrire un procédé de production de ces dernières pour mesenchymal stromal cells, et que le terme mesenchymal
l’usage clinique [2]. Le but de cet article est d’exposer de stem cells soit réservé à un sous-groupe de ces cellules pour
façon synthétique les arguments scientifiques qui ont conduit lesquelles la nature « cellule souche » est démontrée sur des
à développer des essais cliniques mettant en jeu des cellules critères précis. L’acronyme MSC peut être utilisé dans les
souches mésenchymateuses pour leurs propriétés d’immuno- deux cas, à charge pour les investigateurs de préciser de
modulation, tout en sensibilisant le lecteur aux risques poten- quelles cellules ils parlent. Nous utiliserons nous-mêmes
tiels de cette utilisation. l’acronyme MSC dans le présent article pour ne pas ajouter à
Pour la clarté de la réflexion, il est important de préciser la confusion en introduisant une abréviation du terme fran-
d’emblée que les cellules souches mésenchymateuses qui çais. La préparation des MSC est faite à partir de différents
sont des cellules multipotentes à potentiel de différenciation tissus et par diverses méthodes, rendant difficile la comparai-
mésodermique, doivent être clairement distinguées des son des propriétés biologiques rapportées pour les différen-
MAPC (multipotent adult progenitor cells), qui, contrairement tes préparations cellulaires ainsi obtenues. Le comité de
à ce que pourrait faire croire la terminologie anglo-saxonne, l’ISCT a donc proposé des standards de définition des MSC
sont des cellules souches pluripotentes, donc capables de se humaines [5]. Ces standards comprennent :
différencier vers des lignées des trois feuillets embryonnaires – l’adhérence cellulaire au plastique dans des conditions de
[3]. Les MAPC sont beaucoup plus rares que les cellules culture standard,
souches mésenchymateuses dans la moelle osseuse, et sont – un phénotype cellulaire défini en cytométrie de flux par un
d’isolement beaucoup plus difficile. Il est probable que cer- panel d’antigènes dont l’expression est positive et par un
tains articles décrivent des cellules ayant des propriétés panel d’antigènes dont l’expression est négative (tableau 1) ;
intermédiaires, mais pour la clarté du raisonnement scientifi- – un potentiel de différenciation multipotent in vitro, dans
que, en particulier s’il doit aboutir à des essais clinique de des conditions standardisées, vers les trois voies de différen-
thérapie cellulaire chez l’homme, il est indispensable de ciation mésenchymateuse : ostéoblastes — coloration par le
s’attacher à des critères rigoureux de définition. rouge d’Alizarine ou la coloration de Von Kossa —, adipocy-
tes — coloration par l’Oil Red O —, chondroblastes
— coloration au bleu Alcian ou immunomarquage pour le
Cellules souches mésenchymateuses : collagène de type II.
définition Sources de MSC
Les MSC doivent également être définies par leur tissu d’ori-
Terminologie, définition biologique,
gine. Pour la thérapie cellulaire, comme pour les études
marqueurs, capacités de différenciation
fondamentales ou précliniques, la source principale de MSC
Les publications scientifiques concernant les cellules souches est la moelle osseuse, les MSC étant isolées par mise en
mésenchymateuses (mesenchymal stem cells [MSC]), ont culture des cellules mononucléées ou de la moelle totale. Des
Tableau 1
Critères d’identification des MSC par immunomarquage en cytométrie de flux
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MSC ont été mises en évidence dans pratiquement tous les observé est médié par des facteurs solubles, qu’ils soient
tissus, mais seuls certains tissus sont des sources potentielles sécrétés par les MSC ou par les cellules immunes en réponse
de MSC pour la thérapie cellulaire. Le tissu adipeux apparaît aux MSC. L’implication de l’hepatocyte growth factor, du
comme étant une source importante de MSC, qui est déjà au transforming growth factor-b1, de la prostaglandine E2, de
stade d’essai clinique. Le sang placentaire et le liquide l’oxyde nitrique, de l’interleukine-10 et de la déplétion en
amniotique pourraient également devenir sources de MSC tryptophane médiée par l’indoléamine 2,3-dioxygénase a
pour la thérapie cellulaire [6]. été évoquée, des cytokines telles que l’interféron-c et le tumor
necrosis factor-a jouant un rôle dans la régulation de la
production de ces facteurs. Les mécanismes impliqués varient
Les MSC et le système immunitaire probablement selon la nature de la stimulation lymphocy-
taire. Le bilan des nombreux résultats rapportés, qui sont
Des données expérimentales récentes, provenant essentielle- souvent contradictoires, ne permet pas de conclure
ment de travaux effectués in vitro, suggèrent que les MSC aujourd’hui quant au mécanisme de suppression de la
sont des cellules qui échappent à la reconnaissance immune réponse allogénique par les MSC [11]. Les différentes popu-
d’une part, et qui ont des propriétés immunomodulatrices, lations de cellules effectrices du système immunitaire sont
principalement immunosuppressives, d’autre part [7-11]. influencées par les MSC. Les cellules T CD3+, CD4+ et CD8+
Ces données ont des retombées potentiellement très impor- sont inhibées par les MSC qui augmentent la population de
tantes en thérapie cellulaire. cellules T régulatrices CD4+CD25+ dans les cultures mixtes
lymphocytaires, sans que leur présence soit nécessaire à la
MSC et reconnaissance allogénique suppression des réactions lymphocytaires mixtes [7-11]. Les
Si des MSC allogéniques ne sont pas rejetées, il est possible MSC diminuent in vitro la lyse par les lymphocytes T cytotoxi-
d’utiliser pour la thérapie cellulaire une banque de MSC ques de cellules infectées par des virus ; il est essentiel de
allogéniques, ce qui est plus simple que de cultiver et d’ampli- savoir si in vivo des MSC exogènes modifient les réponses
fier des MCS autologues ou d’utiliser des MSC de donneur antivirales [7, 9]. De même, des MSC allogéniques prévien-
compatible. Ce point est donc crucial. Différentes études in nent la prolifération de cellules NK – totalement lorsque
vitro montrent que des MSC n’induisent pas de réponse celles-ci sont au repos et partiellement lorsqu’elles sont
proliférative de lymphocytes allogéniques. Les MSC expriment activées —, la différenciation et la maturation de cellules
des molécules HLA de classe I et n’expriment des molécules dendritiques d’origine monocytaire et la prolifération B [10,
HLA de classe II que après traitement par l’interféron-c ou 11]. Cependant, la situation des MSC dans le système
dans certaines conditions de culture. Il semble que ce privilège immunitaire est particulièrement complexe puisque des MSC
immunitaire des MSC soit HLA-indépendant et également murines ou humaines, traitées par l’interféron-c, se compor-
indépendant de l’expression des molécules de costimulation tent en cellules présentatrices d’antigène et activent des
CD80 et CD86. Les résultats obtenus in vivo sont contradictoi- T CD4+ de manière HLA classe II-dépendante, tout en conser-
res, et surtout des travaux récents chez la souris suggèrent que vant leurs propriétés immunomodulatrices [10].
des MSC allogéniques sont rejetées [10, 12]. Compte tenu de
In vivo chez le babouin, des MSC du donneur ou d’une
l’importance des conséquences cliniques de ces résultats, des
« troisième partie » administrées par voie intraveineuse pro-
travaux in vivo complémentaires sont nécessaires pour répon-
longent la survie d’une allogreffe de peau [13]. Chez la
dre à la question de la greffe ou du rejet des MSC en situation
souris, l’injection par voie générale de MSC syngéniques
allogénique. Les relations entre MSC et cellules NK sont
prévient ou diminue le développement d’encéphalomyélite
notamment complexes : des MSC humaines sont lysées in vitro
auto-immune expérimentale, permettant d’observer au
par des NK activées par l’interleukine-2 mais un prétraitement
niveau du système nerveux central une diminution de l’infiltra-
des MSC par l’interféron-c les protège de cette lyse [10].
tion par des cellules T et des macrophages, ainsi qu’une
Qu’en est-il in vivo ?
diminution des lésions de démyélinisation [14]. En revanche,
des MSC allogéniques ont un effet délétère dans un modèle
MSC et immunosuppression
d’arthrite rhumatoïde induite par le collagène, cet effet étant
De nombreux travaux ont rapporté un effet immunosuppres- peut-être expliqué par les cytokines de l’inflammation produi-
seur des MSC in vitro. Au cours des réactions lymphocytaires tes au niveau des zones lésées [15]. Les effets immunosup-
mixtes, les MSC suppriment la capacité des lymphocytes T à presseurs rapportés pour les MSC, notamment leur effet sur
proliférer en présence d’allo-antigènes ou de mitogènes non les lymphocytes T cytotoxiques et sur la maturation des cellu-
spécifiques. Le degré de suppression dépend de la concen- les présentatrices d’antigène, en font de bonnes candidates
tration des MSC, l’effet observé étant une stimulation à faible pour la prévention ou le traitement de GVHD compliquant les
concentration. Les MSC conservent leur effet suppresseur greffes de cellules souches hématopoïétiques allogéniques.
lorsqu’elles sont cultivées dans des chambres de culture dans Cependant, les travaux précliniques effectués chez la souris
lesquelles elles sont séparées des lymphocytes répondeurs n’ont pas démontré clairement d’effet bénéfique des MSC sur
par une membrane semi-perméable, suggérant que l’effet la survenue et la sévérité de la GVHD [7-11].
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Utilisation thérapeutique potentielle Les risques potentiels sont inhérents aux
des propriétés immunomodulatrices MSC elles-mêmes (risque de transformation
des MSC et risques potentiels tumorale) ou à leur activité biologique,
de cette utilisation notamment sur le système immunitaire
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