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Claude Lefort
Belin | « Po&sie »
12/10/2016 11:21
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Claude Lefort
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Droit international, droits de l’homme et politique
Le droit international est-il du droit ? La question n’est pas neuve : elle fut posée dès
le lendemain de la Première Guerre mondiale quand la Société des nations se donna
pour tâche de fixer des règles auxquelles ses membres accepteraient de soumettre leurs
relations – encore qu’il ne s’agît à l’époque que d’un droit à l’échelle de l’Europe. Au-
paravant, ce qu’on avait nommé le droit des gens ne faisait que rappeler aux souverains
les limites qu’ils ne devaient pas outrepasser dans la conduite de la guerre. Quant aux
obligations qui découlaient des traités conclus entre des États, au terme d’un conflit,
leur respect dépendait de la bonne volonté des parties contractantes et chacune d’entre
elles était tentée de remettre en question le statu quo si le rapport des force se trouvait
modifié. La Société des nations, pour la première fois, prétendit assumer la responsa-
bilité de l’ordre européen en s’employant à instituer un état de paix permanent. Ce qui
ne signifiait pas, comme on l’a dit, que toute guerre était, désormais, mise hors la loi,
puisque le droit de légitime défense se voyait par elle reconnu et puisque le Pacte de
1928, dit Briand-Kellog (du nom de ses principaux protagonistes) faisait place à des
propositions relatives à un nouvel état de guerre.
Le droit international est-il du droit ? La question fait retour depuis la fin de la Se-
conde Guerre mondiale avec d’autant plus de force que les Nations-Unies définissent
les normes auxquelles devraient obéir tous les États, par-delà les frontières de l’Eu-
rope ; elles prétendent légiférer à l’échelle de la planète.
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La critique du droit international trouve une autre source dans une conception pure-
ment politique des relations internationales. Les arguments, pour une part, rejoignent
ceux que j’ai signalé : à savoir, qu’il n’existe qu’un droit, le droit interne. Toutefois, ils
s’en distinguent du fait qu’ils invoquent la formation des États territoriaux, au début des
temps modernes, circonscrits dans leurs frontières (qui trouveront leur accomplissement
au xixe siècle sous la forme de l’État-nation). Ce moment marquerait l’instauration
d’une situation dans laquelle chaque État, se présentant comme une personne collec-
tive, ferait face aux autres sous la menace constante de la violence : « situation hobbe-
sienne », comme le note Raymond Aron, qui désigne l’état de nature. Dans son grand
livre Paix et guerre entre les nations (Paris, Calmann-Lévy, 1962), Aron ne néglige pas
le fait que les relations internationales s’intensifient, mais il juge que l’accroissement
des échanges, sous l’effet du commerce, les migrations de personnes, la multiplication
des organisations qui passent par-dessus les frontières des États attestent la réalité d’une
« société transnationale » sans, pour autant, affecter les caractéristiques du « système
international » qu’il définit ainsi : « l’ensemble constitué par des unités politiques qui
entretiennent les unes avec les autres des relations régulières et qui sont toutes suscep-
tibles d’être impliquées dans une guerre générale ». Ainsi faudrait-il admettre que la
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La période qui s’inaugure après la Première guerre mondiale voit la naissance d’États
multinationaux au sein desquels se développent de graves tensions entre la nation domi-
nante et les minorités. L’empire tsariste qui n’avait d’ailleurs jamais été un État-nation
bascule dans une fédération d’un nouveau genre guidée par une idéologie totalitaire.
L’État allemand est soumis au régime nazi dont l’idéologie, fondée sur le racisme et
l’antisémitisme, nourrit le projet de l’élimination des sous-hommes – un projet qui se
concrétise par la création de camps de concentration et de camps voués à l’extermina-
tion des juifs. Comment, donc, réduire la Seconde guerre mondiale à un épisode de la
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Ces dernières observations sur les droits de l’homme n’induisent pas à conclure que
l’affirmation par les États de principes qui avaient été à la source de la démocratie
moderne resta sans portée et que la Déclaration n’eut d’autre effet que de masquer
le règne des rapports de force et la poursuite par chacun de ses objectifs politiques.
S’arrêter au constat que l’énoncé de ces droits n’a pas permis de procurer un cadre à
une justice internationale, ce serait oublier la fonction qu’ils ont eue dans l’opposition
au totalitarisme ; l’arme qu’ils ont constituée pour les dissidents soviétiques et les dis-
sidents dans l’Europe de l’Est. J’ai connu, en France, une époque où une large fraction
de la Gauche leur déniait toute portée politique et ne voyait en eux que l’expression
d’une protestation morale. Outre que toute forme de résistance en Union soviétique,
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[Ce texte est issu de deux conférences faites à Buenos Aires en septembre 2004 et à Budapest
en décembre 2004.]
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