Vous êtes sur la page 1sur 16

18/11/2018 Freud, la répétition et les figures de la hantise pulsionnelle

Conserveries mémorielles
Revue transdisciplinaire

#18 | 2016 :
Revenances et hantises

Freud, la répétition et les figures


de la hantise pulsionnelle
Pour une pensée psychanalytique de la hantise

C P

Résumés
Français English
En dépit du rejet rationaliste, dans la psychanalyse freudienne, de la hantise comme phénomène
occulte, nous nous proposons de montrer qu’il y a chez Freud une pensée très riche de la hantise
pulsionnelle. Celle-ci a pour cadre la conservation dans l’inconscient de tous les contenus
psychiques refoulés et le phénomène du retour du refoulé. Les différentes figures de la hantise
pulsionnelle sont toutes des figures de la répétition. Le problème soulevé sera celui de savoir si
Freud fait droit à une forme radicale ou pure de hantise, c’est-à-dire à une figure de la répétition
sans aucun bénéfice, soit une répétition de part en part aliénante.

Despite Freud’s rationalist rejection of the obsession as supernatural phenomenon, we propose to


demonstrate that there is a great theory of instinctual obsession in freudian psychoanalysis. This
one has a specific framwork : the conservation in the unconscious of all repressed psychic
contents and the phenomenon of the return of the repressed. The various figures of the
instinctual obsessive fear are all figures of repetition. The problem is that of whether Freud
conceives a radical or pure form of obsession, that is to say a figure of repetition without any
profit, a completly alienating repetition.

Entrées d’index
Mots-clés : Retour du refoulé, répétition, pulsionalité, Psychanalyse freudienne
Géographie : Vienne
Index chronologique : XXe siècle.

Texte intégral
1 Freud est non seulement méfiant, mais aussi très critique à l’égard de l’engouement
de ses contemporains pour l’occulte : spiritisme, tables qui tournent, voyants,
médiums, etc. L’ambivalence de la position freudienne à l’égard de l’occultisme a
https://journals.openedition.org/cm/2267 1/16
18/11/2018 Freud, la répétition et les figures de la hantise pulsionnelle

néanmoins souvent été soulignée. Elle réside principalement en deux choses. D’une
part, Freud tient coûte que coûte à défendre la scientificité de la psychanalyse. Pour ce
faire, il distingue soigneusement ses thèses et méthodes des pratiques et théories
douteuses marquées à ses yeux par l’irrationalisme, et demande à ses disciples et amis
versés dans l’occultisme de ne pas trop parler de croyance en la télépathie, pour ne
pas entacher l’esprit de sérieux de la psychanalyse. C’est pourquoi il est si suspicieux à
l’égard des parapsychologues : « Les analystes sont au fond d’incorrigibles mécanistes
et matérialistes, même s’ils se gardent bien de dépouiller l’animique et le spirituel de
ses particularités encore non-connues. S’ils s’engagent dans l’investigation du
matériau occulte, c’est uniquement parce qu’ils en attendent de pouvoir exclure
définitivement de la réalité matérielle les formations de souhait de l’humanité »
(FREUD, 1991 (1), 103). Mais, les réticences de Freud sont contrebalancées par une
attirance pour les phénomènes occultes. Ainsi il ne rejette pas par principe leur réalité,
supposant qu’il pourrait s’agir du prolongement d’un mode archaïque de
communication entre les hommes, ou encore d’un phénomène physique devenant
psychique aux deux bouts de la chaîne de communication. En particulier, il n’exclut
pas l’existence de phénomènes de transfert de pensée. Mais les autres phénomènes
occultes sont écartés et, de ce fait, tous ceux qui ont trait à la hantise : fantômes,
revenants, esprits, spectres, démons, châteaux, manoirs, maisons hantées… D’une
façon plus générale, la psychanalyse freudienne exclut l’existence de réalités
transcendantes et celle de tout malin génie supranaturel qui pourrait orchestrer un
destin ou être le guide d’un monde parallèle des esprits : pas de dieu, pas de diable,
pas de destin au sens du fatum, car nous n’ignorons pas la complexité du rapport de
Freud à la notion de destin (KAHN, 2005). Il n’y a résolument, dans la psychanalyse
freudienne, ni au-delà transcendant ni arrière monde occulte ici-bas. On ne trouvera
donc pas chez Freud de pensée de la hantise au sens des esprits qui reviennent habiter
un lieu. La hantise « paranormale » se trouve par principe rejetée et n’est même pas
chez lui un objet de réflexion comme peut l’être la télépathie.
2 Pour dégager néanmoins chez Freud une conception de la hantise, on ne choisira
pas pourtant le chemin dégagé, tout tracé, et trop souvent emprunté qui conduit à une
représentation romantique et à notre sens peu rigoureuse de l’inconscient comme
maison hantée, figure laïcisée du diable, peuplé de représentations monstrueuses, etc.
Ce faisant, on parle de la vie psychique inconsciente comme on parlait des esprits, et
on laisse planer l’idée d’un caractère mystérieux, occulte, et cultuel de la psychanalyse.
Nous écarterons cette voie analogique et métaphorique.
3 Une pensée psychanalytique rigoureuse et non analogique de la hantise nous semble
pourtant formulable grâce aux textes freudiens. Nous verrons qu’il s’agit d’une hantise
psychique et d’une hantise pulsionnelle. Freud ne thématise pas lui-même un concept
de la hantise, mais ses théories de la compulsion de répétition nous paraissent se
prêter parfaitement à une reformulation en termes de hantise. Celle-ci pourrait alors
devenir dans bien des cas l’autre nom de ce que Freud appelle compulsion de
répétition ou répétition. La richesse de la pensée freudienne de la répétition a alors
l’avantage d’ouvrir sur une pluralité de forme de hantise que nous nommerons des
figures de la hantise pulsionnelle. Le retour du refoulé permis par la conservation de
tous les contenus de représentation dans l’inconscient définit d’abord moins une
première figure de hantise que le cadre psychique qui conditionne l’existence de
l’ensemble des phénomènes de hantise. Ensuite, l’analyse du sentiment d’inquiétante
étrangeté produit par certaines œuvres, littéraires en particulier, conduit à dégager à
sa source un type esthétique de représentation de la hantise attaché à la figuration du
double. Mais c’est l’étude des diverses formes de compulsion de répétition qui engage
la distinction la plus riche et la plus claire des figures psychiques de la hantise :
hantise de l’obsessionnel et hantise dans le cérémonial, hantise dans la cure et dans le
transfert, hantise dans les jeux d’enfants.
4 Ces types de hantise se révèleront, au regard de l’entente courante de la hantise, des
figures paradoxales. En effet, la hantise semble confronter à une forme radicale
d’étrangeté qui laisse le sujet qui en fait l’expérience sans arme, sans recours,
absolument effrayé et persécuté par cette rencontre d’un tout autre indéterminé. Or
les figures de la hantise attachée à la logique de la répétition sont ambivalentes. Le
https://journals.openedition.org/cm/2267 2/16
18/11/2018 Freud, la répétition et les figures de la hantise pulsionnelle

névrosé, l’homme du cérémonial, l’enfant, l’analysant, sont hantés par la répétition,


mais celle-ci constitue pour eux aussi inconsciemment une arme, qui opère comme
mécanisme de protection ou qui constitue un gain, un recours. Le problème est alors
celui de l’existence de formes psychiques de hantise qui soient pures ou absolues,
expérience radicale de l’étrangeté, du dessaisissement, de la dépossession, de
l’aliénation. Une hantise pure est-elle pensable dans le dispositif freudien ou l’abandon
des formes « paramormales » de hantises est-il solidaire du renoncement à une pensée
radicale de la hantise ? Nous défendrons qu’il est fait place, dans le texte freudien, et
en particulier partir du tournant théorique de 1920, à des figures de la hantise pure,
comme la répétition et conservation du « sans rapport » et de l’inanimé, le
démoniaque ou la répétition inlassablement négative dans la cure.

Quel cadre pour une pensée


psychanalytique de la hantise ?
5 Tous les phénomènes de hantise sont conditionnés par la double loi de la vie
psychique, celle qui instaure le refoulement comme principal moyen ou mécanisme de
défense et celle qui veut que rien ne soit perdu ou détruit dans l’inconscient. La hantise
s’origine ainsi dans la conservation généralisée de tous les contenus de pensée
refoulés.
6 En effet, le refoulement n’est pas la suppression du refoulé, mais son exclusion du
champ de la conscience par la soustraction de l’investissement conscient et
préconscient. La psychanalyse aurait ainsi permis de surmonter la croyance selon
laquelle l’oubli signifie un anéantissement de la trace. L’essence du refoulement est
alors définie comme suit : il « ne consiste pas à supprimer, à anéantir une
représentation représentant la pulsion, mais à la tenir à l’écart du devenir-conscient »
(Freud, 1988 (2), 207). Ce qui est supprimé dans une région est conservé dans une
autre, ce qui spécifie le processus de refoulement à l’égard de celui de la régression :
« Tout ce qui est, pour la conscience, refoulé et remplacé se trouve conservé dans
l’inconscient et capable d’agir » (FREUD, 1996 (1), 142). Ainsi les formations
animiques infantiles ne sont pas détruites, mais enfouies suite au refoulement. C’est
pourquoi Freud dit de l’infantile qu’il constitue une part du noyau de l’inconscient :
« L’inconscient est l’infantile, et il est même ce morceau de la personne qui s’est
autrefois séparé d’elle, n’ayant pas participé au développement ultérieur et ayant été
pour cette raison refoulé. » (FREUD, 1998, 154). En outre, cette conservation par
refoulement se double du fait que l’exclusion hors du champ de la conscience préserve.
C’est une des thèses analytiques les plus anciennes et constantes que le rester-
inconscient ou le devenir-inconscient constitue une garantie contre la destruction pour
un contenu psychique. D’une part, il échappe ainsi à la liquidation pure et simple par
abréaction, mais il est aussi préservé des modifications dues au passage du temps :
« ils se sont soustraits à l’usure à laquelle, sans cela, le contenu psychique succombe.
Une telle usure se produit pas la voie de “l’abréagir” » (FREUD, 1989, 199). En
particulier, le refoulement de la haine conditionne l’ambivalence de sentiment. La
motion haineuse, refoulée dans l’inconscient sous le poids des exigences d’amour, s’est
trouvée paradoxalement « protégée d’une suppression par l’action de la conscience »
et a pu ainsi « se conserver et même croître. » (FREUD, 1998, 206). C’est pourquoi
Freud compare la situation du refoulé à l’égard de la corruption à celle des antiquités
maintenant exposées dans son bureau : pour ces statuettes trouvées dans des tombes,
l’ensevelissement avait signifié la conservation : « Pompéi ne périt que maintenant,
depuis qu’elle a été mise à découvert. » (FREUD, 1998, 153). Cette préservation dépend
aussi d’un trait de l’inconscient qu’est l’atemporalité. Contrairement aux processus
animiques conscients, les processus animiques inconscients sont pour Freud
« atemporels » : « L’inconscient se trouve, d’une façon générale, en dehors du temps »
(FREUD, 2001, 342). Ce qui est refoulé dans l’inconscient est donc à la fois conservé et
conservé intact, car aucune modification apportée par le cours du temps ne vient
l’affecter. « L’immutabilité du refoulé sous l’effet du temps » (FREUD, 1995, 157)
https://journals.openedition.org/cm/2267 3/16
18/11/2018 Freud, la répétition et les figures de la hantise pulsionnelle

semble un principe lui-même absolument immuable de la pensée freudienne. Dans la


mesure où il est rejeté dans l’inconscient, ce qui est nié est indestructible : rien, dans
l’inconscient, ne peut être mené à sa fin. Cela explique que, malgré les évolutions et le
temps passé, les formations infantiles soient conservées intactes. Il semble que tout ce
qui s’est une fois produit se conserve. Ainsi chaque stade de développement se
maintient à côté du stade ultérieur. Mais semblent aussi se conserver intacts des
événements refoulés n’appartenant pas à l’histoire du sujet, mais à sa préhistoire
comme le meurtre solennel du père : « le souvenir de ce premier grand acte sacrificiel
s’était avéré indestructible » (FREUD, 2005 (I(2)), 371). Les contenus psychiques niés
« ne sont pas détruits, mais seulement recouverts… » (FREUD, 2005 (II(2)), 118). Cela
justifie le fait que la cure ne peut absolument pas amener une revendication
pulsionnelle à disparaître si bien qu’elle ne refasse plus jamais parler d’elle : « Comme
on le sait, il est douteux qu’une formation psychique quelconque puisse vraiment subir
une destruction totale » (FREUD, 1985 (2), 272).
7 Ce cadre général a pour corollaire la possible résurgence de tout ce qui a été
refoulé : « tout se trouve conservé d’une façon ou d’une autre, et peut, dans des
circonstances appropriées […] être ramené au jour » (FREUD, 1994, 254). Parce que
l’inconscient est comme une mémoire infinie qui conserve tout, toute représentation
refoulée ou forclose peut faire retour et venir hanter le sujet. Cette hantise se manifeste
sous la forme des rejetons de l’inconscient, formations substitutives ou symptômes,
actes manqués, lapsus, etc. Tous ces symptômes sont des formations de compromis et
signifient solidairement que le refoulé a fait retour et que la défense qui avait été mise
en place contre la représentation de pulsion inconciliable a échoué. Le contenu et la
source de ce qui fait retour tiennent à l’infantile et au sexuel, si bien que le retour du
refoulé signifie aussi le retour et le surgissement de l’antérieur et du lointain dans le
présent. C’est pourquoi Freud insiste sur le caractère régressif de ce retour :
« L’essence de la maladie de l’esprit consiste en le retour à des états antérieurs de la
vie d’affect et de la fonction » (FREUD, 1988 (1), 141). Dans L’homme Moïse, Freud
entreprend alors d’élargir cette thèse, véritable formule pour décrire la formation de
la névrose, « Traumatisme précoce – défense – latence – éruption de la maladie
névrotique – retour partiel du refoulé » (FREUD, 1986, 169), à la vie de l’espèce
humaine en son ensemble. Cela implique qu’il y a pour lui des retours du refoulé à
l’échelle d’une culture, c’est-à-dire aussi des formes collectives de hantise. La hantise à
cet égard dégage la récurrence des meurtres des pères, chefs, dieux, etc.
8 Une des formes les plus familières du retour du refoulé consiste dans le contenu
latent des rêves sous la forme d’images de rêve. Le désir refoulé trouve, grâce au
relâchement de la vigilance du moi dans le sommeil, à s’exprimer dans le rêve. On
pourrait alors, pour décrire cette première forme générale de hantise, reprendre un
fragment d’une analyse de rêve qui conduit Freud à s’exclamer : « Regarde ! rien que
des revenants ; tout ce qu’on a perdu fait retour… » (FREUD, 2003, 537).

Le sentiment de l’inquiétant
9 Il faut considérer maintenant cette figure de la hantise dont Freud dégage
l’existence dans le champ de l’esthétique, en s’interrogeant sur l’inquiétant ou
l’inquiétante étrangeté (selon les traductions du titre de l’article de 1919 « Das
Unheimlichkeit »). Nous dirons que l’inquiétant est le sentiment ou l’affect produit par
la hantise, en particulier dans le domaine des formations esthétiques. Freud distingue
pourtant l’inquiétant et l’inquiétant qui est mêlé d’horreur, horreur qui le recouvre
presque tout à fait, et qu’engendrent des représentations comme celles de la maison
hantée. L’inquiétant se distingue chez Freud de l’effroi attaché par exemple à la
représentation de la tête de Méduse (FREUD, 1991 (2)). Pourtant, il nous semble y
avoir une autre pensée de la hantise que celle du « hanté », hantise qui est proprement
source du sentiment de l’inquiétant. Freud considère cet affect produit par des
dispositifs esthétiques, regrettant qu’il ait été si peu analysé, exception faite d’une
étude significative de E. Jentsch. À ses yeux, E. T. A. Hoffmann s’offre comme le maître

https://journals.openedition.org/cm/2267 4/16
18/11/2018 Freud, la répétition et les figures de la hantise pulsionnelle

incontesté de l’inquiétant, en particulier dans ses Contes, surtout dans L’Homme au


sable, mais aussi dans son roman Les élixirs du Diable. Quelle est la cause de ce
sentiment ? Freud commence par évoquer l’interprétation de Jentsch, qui veut que
l’inquiétant s’origine dans l’incertitude intellectuelle, dans ce en quoi on ne se retrouve
pas et le non-familier. Surtout, Jentsch met en avant les cas où on en vient à douter
qu’un être vivant soit doté d’une âme ou, inversement, où on se demande si un objet
sans vie ne se trouverait pas doté d’une âme. Ainsi, le sentiment d’inquiétant dans les
Contes d’Hoffmann serait dû à la dimension d’automate de la poupée Olympia que le
Professeur prétend pourtant doter de vie. Plus généralement, l’inquiétant occasionné
par la représentation de figures de cire, de poupées, d’automates, mais aussi d’accès
épileptiques et de toutes sortes de manifestations de folie serait ancré dans le
pressentiment qu’un procès automatique ou mécanique pourrait se dissimuler
derrière l’image courante que nous nous faisons de l’action de l’âme et de ses
propriétés. On pourrait voir dans cette machinerie automatique une préfiguration de
la hantise. Pourtant, si c’est là un point de départ et sans doute un facteur participant
au sentiment de l’inquiétant, Freud souligne le caractère très partiel de l’analyse de
Jentsch. Sa critique de Jentsch va nous conduire à la hantise qui pourrait bien être à
l’origine de cet affect. Il va apparaître que ce dernier déborde de beaucoup le champ
de l’esthétique.
10 Freud fait valoir d’abord chez Hoffmann comme suprême figure de l’inquiétant celle
de l’Homme au sable. L’inquiétant lié dans ce cas à la peur d’être dépouillé d’yeux est
rattaché par Freud à l’angoisse infantile de castration. Nous intéresse
particulièrement le fait qu’il choisisse d’ancrer l’inquiétant dans les angoisses
infantiles. Il est clair que la hantise a chez Freud parti lié avec l’angoisse et les motions
primaires. Mais il complète son analyse en affirmant le caractère décisif du motif du
double dans le sentiment de l’inquiétant, motif attaché lui aussi à l’archaïque. Freud,
se référant à l’œuvre d’O. Rank Le double, propose alors une petite généalogie du
double : celui-ci, sous la forme du dédoublement âme/corps, aurait d’abord fonctionné
comme assurance de survie, donc comme motif rassurant. Ce n’est qu’ensuite qu’il
serait devenu le signe avant-coureur de la mort. Psychiquement, le double aurait pris
d’autres contenus inquiétants, comme celui attaché à la scission du moi entre le moi et
l’instance qui le critique et le juge, dédoublement allant dans la pathologie jusqu’au
clivage. Mais Freud mêle à l’inquiétude causée par le double un autre facteur, celui de
la répétition non-intentionnelle, du retour obstiné du même, qui lui aussi s’origine
dans la vie d’âme infantile. Comme grands exemples de cette contrainte de répétition,
il évoque les jeux d’enfants, le caractère démoniaque de certains traits de la vie d’âme
et la psychanalyse du névrosé. L’inquiétant est alors suscité par tout ce qui fait écho et
renvoie à cette contrainte interne de répétition. C’est pourquoi on peut dire que
l’inquiétant est engendré par une forme de hantise qui tient à la prévalence d’une
figure de dédoublement et à la perception d’une forme de répétition subie et sans
production de différence.
11 Mais reste une condition essentielle pour que naisse le sentiment d’inquiétante
étrangeté, par laquelle cette figure d’abord esthétique de l’inquiétant est parente de la
figure générale de la hantise, celle du retour du refoulé. En effet, Freud souligne que ce
mode de l’angoissant qu’est l’inquiétant suppose un quelque chose de refoulé qui fait
retour. Cet inquiétant, unheimlich, est donc profondément heimlich. Cela vient étayer
psychiquement ce constat que, dans la langue, heimlich peut signifier aussi son
contraire, unheimlich. En effet, ce qui hante et fait retour n’est pas étranger et
inconnu, mais est un contenu qui a été pour la vie d’âme familier, propre, et qui est
devenu étranger suite au refoulement : « cet Unheimlich n’est effectivement rien de
nouveau ni d’étranger, mais quelque chose qui est pour la vie d’âme de tout temps
familier, et qui ne lui a été rendu étranger que par le procès du refoulement »
(FREUD, 1996 (2), 175).

Répétitions et hantises
https://journals.openedition.org/cm/2267 5/16
18/11/2018 Freud, la répétition et les figures de la hantise pulsionnelle

12 La hantise semble manifestement attachée au phénomène psychique de la


répétition. En effet, l’inquiétant est suscité par ce qui fait écho à cette contrainte :

« Dans l’inconscient animique, en effet, on peut reconnaître la domination d’une


contrainte de répétition émanant des motions pulsionnelles, qui dépend
vraisemblablement de la nature la plus intime des pulsions elles-mêmes, qui est
assez forte pour se placer au-dessus du principe de plaisir, qui confère à certains
côtés de la vie d’âme un caractère démonique, qui se manifeste très nettement
dans les tendances du petit enfant et qui domine une part du cours de la
psychanalyse du névrosé. Nous sommes préparés par toutes les considérations
précédentes à ce que soit éprouvé comme inquiétant cela même qui peut faire
penser à cette contrainte de répétition interne » (FREUD, 1996 (2), 172).

13 Mais la répétition comporte chez Freud bien des dimensions dont l’analyse nous
révèle une pluralité de formes de hantise diversement inquiétantes. Le psychisme est
traversé et transi par tant de formes de répétition que celle-ci semble constitutive de la
subjectivité dans sa définition freudienne. À chaque fois, nous verrons que la
répétition fait signe vers un degré et un type original de hantise.

Répétition, hantise et névrose


14 La notion de compulsion est aussi ancienne que la psychanalyse. Freud l’utilise pour
décrire plusieurs phénomènes différents, et non pas uniquement la compulsion de
répétition qui se manifeste dans la névrose de contrainte, « cérémonial apparemment
dénué de sens, qui se manifeste par la répétition et le rythme réglé d’actions
indifférentes » (FREUD, 2005 (II (2)), 107). La notion de compulsion ou
d’automatisme de répétition sert ainsi à décrire l’ensemble du processus névrotique.
Les symptômes hystériques sont par exemple la répétition d’expériences, parfois
vécues (traumatismes), mais le plus souvent fantasmées : « L’hystérique répète dans
ses accès et fixe dans ses symptômes des expériences vécues qui ne se sont déroulées
que dans sa fantaisie, remontant il est vrai, en dernière analyse, à des événements
effectifs ou ayant été édifiées à partir de ceux-ci » (FREUD, 2005 (I (2)), 296). Le
névrosé répète des rapports infantiles, des conflits non résolus ; son moi est sous
l’empire d’un automatisme de répétition. Il répète le passé ou transfère celui-ci dans le
présent. Si le caractère itératif des comportements et contenus de pensée du névrosé
est déjà frappant, il l’est bien plus encore dans le cas des névroses de contrainte. On ne
peut dissiper facilement l’impression que celui qui répète de façon compulsive et
obsessionnelle les mêmes gestes est « habité » par une force qui le dépasse et le
précipite dans la répétition. On aurait là, avec la névrose de contrainte ou la névrose
obsessionnelle, une première figure de la hantise attachée à la répétition. Il est
remarquable que Freud ait comparé les actions de contrainte des nerveux et les
pratiques rituelles – le cérémonial – dans la religion, toutes deux allant jusqu’à
former à ses yeux « une unité clinique ». Toutes deux sont marquées par la répétition
régulière d’un contenu prédéterminé ou prescrit avec une scrupulosité toute
particulière dans l’exécution, si bien que « La névrose de contrainte livre ici l’image
distordue, mi-comique, mi-triste, d’une religion privée » (FREUD, 2007, 139).
Pourtant, cette analogie n’est pas seulement symptomale, mais aussi étiologique et
Freud renvoie les deux types de répétition, obsessionnelle et rituelle, au même
mécanisme psychique inconscient. En retour, le cérémonial religieux perd de sa
superbe et se trouve compris comme un type de répétition, nous dirions ici de hantise
pulsionnelle. La pratique religieuse, une fois exhibées ses origines névrotiques,
pourrait devenir elle aussi une figure de la hantise. La répétition est alors un
mécanisme ambigu de protection ou de défense : « Les actions de cérémonial et de
contrainte apparaissent ainsi en partie pour assurer la défense contre la tentation, en
partie pour assurer la protection contre le malheur attendu » (FREUD, 2007, 143).

Cure, répétition et bénéfice de la hantise


https://journals.openedition.org/cm/2267 6/16
18/11/2018 Freud, la répétition et les figures de la hantise pulsionnelle

15 La répétition a également pour scène le cadre de la cure. En effet, pour rendre


conscientes les représentations inconscientes et permettre la remémoration, il faut
lutter contre les résistances. Mais l’entreprise est difficile. Les difficultés affectives
attachées à la levée de ces dernières et à la remémoration expliquent des phénomènes
de répétition du refoulé dans la cure. Souvent, temporairement ou de façon
récurrente, la cure est le théâtre d’une répétition en lieu et place de la remémoration
attendue : le patient répète, à la faveur de transpositions, ce qu’il n’arrive pas, en
raison de résistances, à faire devenir conscient. Le contenu de cette répétition a trait à
la vie sexuelle infantile, et la répétition se déploie en particulier dans la relation à
l’analyste (sous forme de transfert).
16 Dans la cure, la répétition traduit alors la résistance du patient qui refuse de se
souvenir : « Les motions inconscientes ne veulent pas être remémorées comme la cure
le souhaite, mais aspirent à se reproduire, conformément à l’atemporalité et à la
capacité hallucinatoire de l’inconscient » (FREUD, 2005 (I(1)), 116). Freud dit de
l’analysé qui résiste qu’il répète au lieu de se remémorer. Il cherche à agir, actions qui
traduisent une répétition du refoulé. C’est pourquoi Freud engage l’analyste à
« retenir dans le domaine psychique toutes les actions que celui-ci voudrait orienter
vers la motricité, et il célèbre comme un triomphe de la cure le fait de réussir, par le
travail de remémoration, à liquider ce que le patient voudrait éconduire par une
action » (FREUD, 2005 (II(3)),193). Plus la résistance est importante, plus le patient
aura tendance à substituer l’agir (la répétition) au travail de remémoration. Il est
singulier ici que la hantise signifie une limite et un défaut du remémoration, alors
qu’elle implique couramment un excès de la mémoire. En effet, les gens qui se
présentent comme « hantés » par quelque chose sont souvent des figures de la
mémoire débordante, du souvenir qui submerge. L’originalité de cette hantise dans la
cure est qu’il s’agit d’une hantise sans ressouvenir, quoi que le fond soit commun – un
passé qui ne passe pas. Simplement, cette trace, au lieu d’être remémorée, est actée et
vient hanter l’agir. C’est alors une hantise pratique.
17 Le transfert est lui aussi une réédition inconsciente de tendances, attitudes,
fantasmes, sentiments que le patient nourrit ou nourrissait à l’égard d’une personne et
qui dans la cure prennent le médecin pour objet. La relation peut être répétée à
l’identique ou bien modifiée à la faveur d’une sublimation. Souvent tempérée, la
relation transférentielle peut prendre des formes aiguës de demandes amoureuses.
Cette relation ne se nourrit pas d’une situation réelle, mais de relations infantiles,
principalement de la relation parentale et œdipienne. Ce transfert est un des
principaux outils de la cure, et Freud montrera comment s’en servir pour éliminer les
résistances, au point d’affirmer qu’en l’absence de transfert aucune analyse n’est
possible : « Là où manque ce penchant au transfert ou bien là où il est devenu tout à
fait négatif, comme dans la dementia praecox et la paranoïa, là n’existe pas non plus
la possibilité d’une influence psychique exercée sur le malade » (FREUD, 2005 (II(1)),
89). En effet, l’énergie mobilisée par le transfert peut permettre de stopper la
répétition, l’action, et de faire entrer le patient dans le souvenir, la remémoration, par
la revivification d’émois refoulés. Ainsi le transfert permet de mettre en scène dans le
cabinet de l’analyste un fragment passé et refoulé de l’histoire du sujet.
Paradoxalement, le dénouement de la logique névrotique de la répétition (répéter au
lieu de se remémorer) repose sur la mise en place d’une autre répétition, dans le cadre
de la cure, le transfert : « le moyen principal de dompter la contrainte de répétition du
patient et de la transformer en un motif de remémoration se trouve dans le
maniement du transfert. Nous la rendons inoffensive et même profitable en lui
accordant ses droits et en lui laissant libre cours dans un certain domaine » (FREUD,
2005 (II(3)), 194). Pourquoi dire du transfert qu’il s’agit d’un fragment de répétition ?
En quoi consiste cette répétition ? Si la répétition est un transfert du passé dans le
présent, on dira que le patient transfère dans le cadre de la cure et plus
particulièrement dans son rapport au médecin des situations passées. Sa relation à
l’analyse est l’occasion de rejouer d’autres relations passées et elle en prend les
colorations affectives. L’important est que le malade parvienne à retrouver dans la
répétition transférentielle une image du passé refoulé, que le transfert devienne ainsi
un moyen de remémoration, ce qui implique que le patient ne subisse pas
https://journals.openedition.org/cm/2267 7/16
18/11/2018 Freud, la répétition et les figures de la hantise pulsionnelle

complètement cette répétition, mais conserve un petit surplomb. Là encore, la hantise


n’est pas un retour en arrière, mais une revenance : un retour de l’arrière, du fond,
dans le présent ou l’ici-maintenant. Il est donc très important de ne pas opposer trop
simplement la remémoration et la répétition dans son ensemble, et par conséquent la
hantise au ressouvenir. Avec cette dimension de la répétition, on approche une forme
de hantise qui peut opérer au bénéfice du sujet et pas simplement contre lui. Ainsi, est
donnée à penser un type de hantise qui, tout en se tramant dans le dos et à l’insu du
sujet, peut lui être favorable.

La hantise chez l’enfant


18 Freud ne s’est pas seulement occupé de la répétition de contenus infantiles, dans le
cas du retour du refoulé qui est principalement ancré dans la sexualité infantile ou de
celui de la répétition transférentielle ; mais il a aussi analysé la répétition à laquelle se
livrent les enfants. Celle-ci est même, d’abord et au premier chef, un trait de la vie
enfantine. En effet, alors que le plaisir de l’adulte dépend du renouvellement et de la
nouveauté – par exemple, remarque Freud, un mot d’esprit qu’on entend pour la
deuxième fois nous fait moins rire, une pièce de théâtre vue pour la deuxième fois ne
nous fait pas le même effet et nous ne relisons pas immédiatement un livre que nous
avons beaucoup aimé –, au contraire, l’enfant semble prendre un plaisir singulier à la
répétition : il désire répéter inlassablement le même jeu et réentendre toujours la
même histoire qu’il aime sans modification. Cette répétition à l’identique, qui est
encore une forme de hantise pratique, lui procure indéniablement un grand plaisir.
Mais la répétition chez l’enfant devient plus intrigante quand on considère que cette
hantise pratique concerne également des expériences pénibles.
19 Freud aborde en particulier la question du jeux d’enfants dans Au-delà du principe
de plaisir en relation avec son analyse des névroses traumatiques. Leur étude permet
de montrer que la mise en cause de la domination du principe de plaisir concerne
possiblement aussi la vie psychique normale, chose bien plus difficile à reconnaître et
plus inquiétante. Freud propose surtout l’analyse d’un exemple devenu célèbre. Il
s’agit du premier jeu inventé par un petit garçon d’un an et demi avec lequel Freud a
passé plusieurs semaines et qu’il a eu le loisir d’observer. Il s’agit de son petit fils
Heinele, l’enfant de sa fille Sophie.
20 Le jeu est assez clair quand il s’opère avec une bobine : l’enfant lance la bobine
retenue par une ficelle au loin, ce qui la fait disparaître de sa vue et s’exclame « o-o-o-
o », interjection comprise comme signifiant « fort » (loin/parti) ; puis il tire sur la
ficelle et fait revenir la bobine, recours qu’il accompagne d’un « da » (voilà/ici). Ce jeu
comporte donc deux étapes, mais Freud souligne que, souvent, seule la première
partie est réalisée (comme lorsque l’enfant, s’exclamant « o-o-o-o », lance loin de lui et
sous son lit tous les objets de jeu dont il dispose). Or, le gain de plaisir semble venir de
l’accomplissement du deuxième acte, celui qui fait revenir et réapparaître l’objet (la
bobine surtout). Pourquoi la première partie du jeu est-elle alors inlassablement
répétée par l’enfant de façon isolée ? Ce jeu renvoie, suppose Freud, au départ et au
retour de la mère qui à cette époque était obligée de s’absenter longtemps. Le jeté au
loin de la bobine (fort) rejoue/répète le départ de sa mère, le « da » (il tire sur le fil de
la bobine et elle revient) le retour de sa mère. Cette transposition traduit déjà un
progrès dans le développement de l’enfant, qui est devenu capable de cette mise en
scène et donc une certaine distance à l’égard de la satisfaction pulsionnelle qui permet
un rapport ludique à ses propres objets de besoin et insatisfaction (il accepte ainsi
sans drame le départ de sa mère).
21 Mais ce jeu pose alors un problème : le départ répété de sa mère a pu être
indifférent, mais plus probablement déplaisant pour ce jeune enfant. Comment
expliquer qu’il rejoue cette expérience déplaisante en lançant inlassablement objets,
bobine au loin ? Quel plaisir y a-t-il dans cette répétition d’une expérience
déplaisante ? Cela ne contredit-il pas le principe de plaisir ? Une première réponse
consisterait à dire qu’en faisant disparaître la bobine (la mère), il rend possible sa
réapparition et le plaisir causé par celle-ci ; autrement dit, dans le jeu, supporter un
https://journals.openedition.org/cm/2267 8/16
18/11/2018 Freud, la répétition et les figures de la hantise pulsionnelle

déplaisir (le Fort) devient le moyen de l’obtention d’un plaisir plus grand (le Da). Mais
cette réponse est insuffisante, dans la mesure où, le plus souvent, l’enfant n’accomplit
et ne répète que la première partie du jeu (l’éloignement des objets, de la bobine). Dans
ce cas, la répétition d’un déplaisir ne semble compensée par aucune production de
plaisir.
22 Pourtant, Freud n’en conclut pas pour autant à une brèche ouverte dans la
domination du principe de plaisir. La transposition de l’expérience pénible que
constitue le départ de la mère dans un jeu possède peut-être d’autres motifs
conciliables avec la domination de ce principe. Cette répétition pourtant pénible
permet d’abord à l’enfant de devenir acteur. Il était passif, il subissait le départ de sa
mère ; en le rejouant, il en est l’acteur. Cette répétition, qui impose de supporter un
déplaisir sans compensation apparente, lui confère une maîtrise. Il devient ainsi
maître de ce déplaisir, et on peut supposer que ce déplaisir choisi et préparé est moins
déplaisant que le déplaisir subi. Freud fait alors l’hypothèse d’une pulsion d’emprise
(Bemächtigungstrieb), d’une pulsion à la maîtrise de l’événement psychique, et qui,
sans entrer en contradiction avec le principe de plaisir, serait première. Le plus
important serait pour le psychisme de s’assurer une maîtrise de ce qui arrive, de ne
pas le subir passivement, que cela soit plaisant ou déplaisant, que cette maîtrise passe
par la répétition d’un souvenir ou d’une action plaisante ou déplaisante. La maîtrise
irait dans le sens du principe de plaisir, en étant un moyen de contrôle des excitations.
23 Le jeu dont il est question ne constitue pas alors un au-delà du principe de plaisir,
car l’enfant ne peut répéter une impression désagréable (source de déplaisir), que
dans la mesure où cette répétition lui assure un gain de plaisir (le plaisir d’être maître
d’une situation, de se venger de l’objet, etc.) L’analyse nous offre une perspective
économique sur la répétition : celle-ci, dans le jeu des expériences marquantes, permet
à l’enfant de se rendre maître de ce qu’il avait vécu d’abord passivement. Freud dit
qu’est ainsi permise une « abréaction » de l’impression. L’abréaction désigne la
réduction ou décharge d’une tension émotive ou d’un affect, en particulier quand ceux-
ci sont verbalisés et remémorés, donc accèdent à la conscience, dans la cure. Le jeu
procure une telle décharge émotionnelle, car en assurant une maîtrise sur
l’impression, il en annule le caractère pathogène.
24 La hantise enfantine qui a pour matériau des expériences déplaisantes demeure
ainsi une hantise de défense. Freud prend aussi l’exemple de l’enfant qui utilise dans
son jeu l’expérience pénible d’une petite opération qu’il a subie chez le médecin. Avec ce
jeu, l’enfant ne s’installe pas dans une pure répétition du déplaisir, mais gagne du
plaisir, qui lui vient d’une part du rôle actif qu’il prend dans le jeu (il joue le docteur
qui pratique l’opération en question) et d’autre part il imagine infliger un déplaisir à
son camarade de jeu (qui joue le patient) et donc obtient la satisfaction de se venger
du médecin qui lui avait causé ce déplaisir. Ici la hantise qui tient à la répétition
inlassable du même n’est pas simplement jouée et subie passivement, mais opère
inconsciemment comme moyen de défense et de maîtrise de la représentation
angoissante : « l’enfant répète l’expérience vécue même déplaisante pour la raison
qu’il acquiert par son activité une maîtrise bien plus radicale de l’impression forte qu’il
ne le pouvait en se bornant à l’éprouver passivement. Chaque nouvelle répétition
semble améliorer cette maîtrise vers laquelle tend l’enfant… » (FREUD, 1996 (3), 287).
Ainsi il est paradoxalement une forme de répétition qui ne signifie pas une déprise ou
un dessaisissement pour le psychisme, mais aussi un geste de maîtrise. Cette analyse
du jeu de la bobine déplace alors à nouveau singulièrement la représentation de la
hantise, puisqu’elle signifie qu’il y a dans la répétition du même une dimension
d’emprise non d’une altérité sur le sujet, mais du sujet sur son autre intérieur.

La hantise pure
25 Se pose alors la question de l’existence d’une forme pure de hantise. Celle-ci serait
une expérience sans mélange de l’étrangeté, signifierait une persécution complète du
sujet et s’effectuerait sans aucun « gain ». En effet, les formes de hantise dégagées

https://journals.openedition.org/cm/2267 9/16
18/11/2018 Freud, la répétition et les figures de la hantise pulsionnelle

jusque-là étaient des hantises paradoxales qui possédaient un versant « positif ». Le


retour du refoulé sous forme de symptôme demeure une formation de compromis, la
répétition dans le transfert un moyen de la cure, la répétition dans les jeux d’enfant
une stratégie paradoxale de maîtrise ou d’emprise et bien souvent la répétition
constitue un moyen de défense. Alors la hantise attachée à la répétition ou à la
revenance procure malgré tout une forme de protection ou de plaisir même mêlés de
peine et de menace. Le problème est par conséquent de déterminer si, dans le dispositif
freudien, est pensée une hantise pure dans laquelle le sujet est absolument dessaisi et
persécuté. Freud nous semble avoir envisagé des formes de hantise pure, attachées à
l’idée, très discutée, d’un destin solitaire, tout à fait indépendant du principe de plaisir,
de la pulsion de mort. En effet, vers 1920, Freud découvre des modalités de la
répétition qui n’apportent à celui qui les subit aucun plaisir, aucun bénéfice
secondaire.

La hantise dans le rêve


26 Freud s’arrête sur le thème des rêves que font certaines victimes d’accidents ou de
traumatismes et qui leur font revivre la situation traumatisante. Il semble affirmer
clairement que ces rêves ne peuvent être « au service du principe de plaisir ».
Comment comprendre ces rêves de névrosés qui sont des véritables reviviscences d’un
accident ou d’un traumatisme, d’une agression, comme des accomplissements de
souhait ? Ces rêves qui ramènent le névrosé dans la situation de l’accident ou qui
ramènent le souvenir de traumas psychiques de l’enfance laissent Freud perplexe.
Certes, on peut aussi leur accorder pour fonction de tenter de maîtriser la
représentation désagréable, mais il ne semble plus possible d’y voir la réalisation d’un
désir, hormis celui de faire surgir le refoulé. Cette difficulté apparaît à Freud en pleine
lumière après guerre, car nombre de soldats souffrent de voir revenir en songe les
heures traumatisantes des combats. Quel souhait pourrait bien être satisfait par le
rêve de ces personnes qui ont subi un choc ou un grave trauma psychique – les
victimes d’accidents de chemin de fer, les blessés de guerre et soldats et les victimes
d’hystérie traumatique – et que l’acte de rêver replace dans la situation traumatique
c’est-à-dire dans une situation absolument pénible ? Freud ne trouve pas de réponse
satisfaisante. Il est donc conduit à réviser sa doctrine du rêve ou du moins à
reconnaître l’existence d’exceptions à la règle formulée plus de vingt ans plus tôt. Cette
hantise onirique qui voit certaines victimes d’accident avoir le sommeil hanté par leur
trauma est suffisamment inquiétante pour que Freud revienne sur la thèse centrale de
l’Interprétation des rêves et admette une exception à l’idée que tout rêve est un
accomplissement de souhait déguisé. Contrairement aux rêves d’angoisse et de
punition, qu’il reste possible d’interpréter comme des accomplissements de désir, les
rêves qui replacent dans la situation d’accident ou d’un traumatisme infantile ne sont
pas analysables comme des accomplissements de désir :

« Dans les névroses traumatiques il en va autrement, ici les rêves aboutissent


régulièrement à un développement d’angoisse. J’estime que nous ne devons pas
craindre d’avouer que, dans ce cas, la fonction du rêve fait défaillance. […] Dans
des circonstances déterminées, le rêve ne peut imposer sa visée que très
imparfaitement ou doit même l’abandonner totalement ; la fixation inconsciente à
un trauma semble être au premier rang de ces empêchements à la fonction du
rêve. Alors que le dormeur doit nécessairement rêver parce que le relâchement
nocturne du refoulement rend active la pulsion vers le haut de la fixation
traumatique, l’activité de son travail de rêve, qui voudrait transformer les traces
mnésiques de l’événement traumatique en un accomplissement de souhait, fait
défaillance. Dans ces circonstances, il arrive alors qu’on devienne insomniaque,
renonçant au sommeil par angoisse devant le ratage de la fonction du rêve. La
névrose traumatique nous montre là un cas extrême… » (FREUD, 1995, 110-111).

Répéter, conserver, hanter

https://journals.openedition.org/cm/2267 10/16
18/11/2018 Freud, la répétition et les figures de la hantise pulsionnelle

27 L’argument d’« Au-delà du principe de plaisir » est en réalité très subtil, dans la
mesure où la fonction de ces rêves ne contredit pas le principe de plaisir (la maîtrise
rétroactive du trauma n’est pas contraire à la recherche du plaisir psychique).
Pourtant, elle semble « indépendante » de lui et « plus originaire » que la recherche du
plaisir et l’évitement du déplaisir. Freud fait ici l’hypothèse d’une fonction psychique
fondamentale qui, sans contredire la fonction plaisir, la conditionnerait. Le passage
est très difficile dans la mesure où on peine à déterminer encore si cette fonction
« indépendante » conditionne vraiment l’ensemble de la vie psychique ou bien prend le
relais du principe de plaisir dans certaines circonstances particulières. L’« au-delà »
se trouve en tout cas déterminé ici moins comme un ailleurs radical, une logique
étrangère, que comme une forme d’indépendance et une antécédence, dont on ne sait
encore si elle est logique, chronologique : avant le principe de plaisir, la hantise ?
28 Freud semble rapporter ces rêves à la compulsion de répétition. À partir de ces cas
exceptionnels, il paraît supposer que le rêve et la vie psychique en général obéiraient
d’abord à une autre fonction que la fonction plaisir. Le principe de plaisir serait
conditionné par autre chose, il y aurait donc plus principiel que lui. Cet « au-delà »
semble alors interprété en un sens à la fois logique et chronologique. Freud est conduit
à supposer un temps « avant » celui de la domination du principe de plaisir et qui est
dominée par cette compulsion. Le psychisme serait ainsi d’abord gouverné par une
forme élémentaire de répétition, forme primitive de hantise pulsionnelle. Apparaît ici
de façon saisissante le lien entre hantise pulsionnelle et revenance. En effet, avec le
second dualisme – celui des pulsions de vie et de mort – la pulsion gagne comme
caractéristique principale d’être conservatrice, c’est-à-dire d’être certes une poussée
(Trieb), mais une poussée qui ne va pas vers l’avant, vers le changement, mais vers
l’arrière. Plus exactement, une poussée dirigée vers le rétablissement d’un état
antérieur. Freud parle même d’élasticité à propos de cette tendance des pulsions à
retourner vers un passé (FREUD, 2005 (II(1)), 105). Notons que ce conservatisme n’est
pas le privilège de la pulsion de mort. Il y a donc deux façons de conserver, c’est-à-dire
aussi bien deux façons de répéter, car conserver ici c’est faire venir à nouveau dans le
présent un état révolu : « Partant de spéculations sur le début de la vie et de parallèles
biologiques, je tirai la conclusion qu’il fallait qu’il y eût, en dehors de la pulsion à
conserver la substance vivante, à la rassembler en unités de plus en plus grandes, une
autre pulsion, opposée à elle, qui tendent à dissoudre ces unités et à les ramener à
l’état anorganique des primes origines… » (FREUD, 1994, 304). De même, dans
l’Abrégé de psychanalyse, on lit que le but d’Éros est la liaison tandis que le but de
l’autre pulsion est de briser les rapports. Notons que la pulsion de vie aussi est une
répétition, une tendance au retour. C’est également une figure de la hantise. Quant à
la pulsion de mort, elle est décrite comme un retour à l’inanimé. Cette hantise
pulsionnelle qu’est la répétition/conservation élémentaire est ainsi une revenance, car
elle désigne moins au fond un retour en arrière qu’un retour ou une irruption d’un
ailleurs ou d’un avant dans le présent, là où il ne devrait pas se trouver.

Le démoniaque
29 La hantise pure semble trouver une autre illustration dans la vie ou plutôt le destin
de personnes non névrosées. Freud est frappé en effet par les vies de ces gens qui
« donnent l’impression d’un destin qui les poursuit, d’une orientation démoniaque de
leur existence ». La thèse défendue est très forte, puisqu'elle assortit la réfutation de la
réalité du destin à l’affirmation que le sujet est acteur de ce destin et que celui-ci se
nourrit des expériences infantiles. Pour Freud, comme il l’a montré à la fin de la
Psychopathologie de la vie quotidienne, la croyance au destin comme la croyance au
hasard équivaut à une ignorance du déterminisme psychique. La hantise est
intérieure et le sujet trame inconsciemment son propre destin.
30 Il donne plusieurs exemples saisissants de ces destins ou « éternels retours du
même » et insiste sur le fait que certaines personnes connaissent de telles destinées
sans apparemment y contribuer activement. Il y a vraiment une compulsion de
répétition : le sujet répète une expérience à son insu sans paraître y participer. Cette
https://journals.openedition.org/cm/2267 11/16
18/11/2018 Freud, la répétition et les figures de la hantise pulsionnelle

compulsion prend alors la forme d’une hantise et le sujet semble subir passivement la
réitération du même échec. Si l’on peut trouver extrême l’exemple pris par Freud de
cette femme dont les trois maris successifs tombèrent malades juste après le mariage,
les premiers exemples nous sont beaucoup plus familiers. Ne nous arrive-t-il pas
souvent de déplorer la répétition d’une même situation déplaisante, dont témoignent
des expressions comme « ça recommence », ou d’avoir l’impression de nous remettre
régulièrement dans la même situation difficile déjà vécue comme déplaisante et
décevante ?

« on connaît des personnes dont toutes les relations humaines vont vers la même
issue : bienfaiteurs que leurs protégés, si différents soient-ils, abandonnent après
quelque temps avec rancune, comme s’il leur était dévolu de boire l’ingratitude
jusqu’à la lie ; hommes dont toutes les amitiés s’achèvent par la trahison de l’ami ;
ceux qui, de façon indéfiniment répétée, placent quelqu’un d’autre dans une
position de grande autorité, soit pour eux seuls, soit aussi pour le public, et qui
renversent eux-mêmes cette autorité au bout d’un temps donné pour la remplacer
par une autre ; amoureux dont chaque affaire de cœur avec les femmes traverse
les mêmes phases et conduit à la même fin, etc. » (FREUD, 1996 (3), 292-293).

31 Freud nous alerte de la puissance dans certains cas de la compulsion de répétition et


de son caractère très inquiétant. Non seulement elle affecte aussi des caractères
apparemment non-névrotiques, mais elle place le sujet dans une position de complète
passivité dans laquelle celui-ci, comme persécuté, subit apparemment sans rien faire
la réitération de l’échec. Cette compulsion démoniaque (der dämonische Zwang) serait
au fond pour Freud ce qui obscurément angoisse les hommes dans le travail
psychanalytique « qui craignent de réveiller un quelque chose qu’on ferait mieux […]
de laisser dormir » (FREUD, 1996 (3), 308). Celle-ci ne va-t-elle pas déclencher chez
eux cette hantise enfouie et en sommeil ? Ce phénomène de la hantise qui donne à la
vie un caractère destinal et même « démoniaque » a bien sûr fasciné les écrivains et
Freud évoque la destinée racontée par Le Tasse dans La Jérusalem délivrée, de
Tancrède qui, à son insu, par deux fois, est conduit à tuer sa bien-aimée Clorinde.

Hantise et échec de la cure


32 Des phénomènes très inquiétants attachés au travail de la pulsion de mort et faisant
signe vers une destructivité pure permettent enfin d’alimenter cette idée de hantise
pure, entièrement négative, intégralement persécutante.
33 Si la répétition dans le transfert constitue le principal outil de la cure, Freud est
aussi sensible au fait que la réorchestration systématique des expériences infantiles les
plus douloureuses dans la cure pose problème et confronte à un type de hantise sans
bénéfice. Cette répétition ne produit apparemment aucun plaisir. Est répétée une
situation qui a déjà révélé dans le passé son incapacité à apporter du plaisir. Il est
alors très étrange de voir une compulsion conduire inlassablement à la répétition de
ces situations décevantes. Freud présente ainsi cette répétition caractéristique de la
cure de certains névrosés : « Ils aspirent à interrompre la cure alors qu’elle est
inachevée, ils savent se procurer à nouveau l’impression d’être dédaignés, contraindre
le médecin à leur parler durement et à les traiter froidement, ils trouvent à leur
jalousie les objets appropriés… » (FREUD, 1996 (3)).
34 À cet égard, certaines formes de transfert négatif semblent participer de cette
hantise pure qui destitue la psyché de toute ressource de protection. Le transfert peut
en effet, au lieu d’être au service de la cure, alimenter les résistances quand il devient
excessif, c’est-à-dire passionnel (excessivement positif) ou haineux (négatif) : « Ce qui
fait pencher la balance dans le combat du patient contre la résistance c’est
uniquement son rapport au médecin (et non sa clairvoyance intellectuelle) […] Dans la
mesure où son transfert est précédé du signe positif, celui-ci revêt le médecin d’une
autorité, se transposant en croyance accordée aux communications et conceptions du
médecin. Sans un transfert de ce genre, ou si le transfert est négatif, le malade ne
prêterait même pas l’oreille au médecin et à ses arguments » (FREUD, 2000, 459-
462). Le transfert négatif est analysé par Freud comme le type de transfert qui suscite
https://journals.openedition.org/cm/2267 12/16
18/11/2018 Freud, la répétition et les figures de la hantise pulsionnelle

des phénomènes de résistance au progrès de la cure. Il s’oppose au transfert positif,


qui est un transfert « tendre ». Mais le transfert du patient ne se résume pas dans une
hostilité du patient envers l’analyste, car l’hostilité n’est pas en soi un obstacle au
déroulement de la cure. Il s’agit plus exactement des modalités transférentielles qui
alimentent les résistances et peuvent aboutir à un échec de l’analyse. La XXVIIème des
Leçons d’introduction consacrée à la question du transfert caractérise le transfert
négatif par le sentiment d’hostilité développé par le patient à l’égard de son analyste :
il s’agit d’un phénomène de transfert à part entière et non d’un contenu d’affect
indépendant de la relation analytique elle-même. Il constitue donc comme le transfert
positif, la répétition d’une relation datant de l’enfance, un reflet du passé : « Il ne peut
faire aucun doute pour nous que les sentiments hostiles envers le médecin méritent le
nom de « transfert », car la situation de la cure n’est certainement pas un facteur
suffisant pour rendre compte de leur apparition ; la nécessaire conception d’un
transfert négatif nous assure ainsi que nous ne nous sommes pas trompés dans notre
façon de juger le transfert positif ou tendre. » « L’analyse sans fin et avec fin » ajoute
un élément important, qui radicalise la puissance du transfert négatif et étend
nettement la portée de ses conséquences pour la conduite de la cure. Freud semble
avoir acquis une conscience accrue de la menace incarnée par un transfert négatif,
car celui-ci paraît pouvoir être à l’origine de l’échec de l’analyse et donc de
l’incurabilité :

« Une forte conviction quant au pouvoir curatif de l’analyse, on ne peut l’attendre


du patient ; il se peut qu’il ait apporté avec lui une part de confiance en l’analyste,
laquelle, sous l’action des facteurs du transfert positif qu’il faut réveiller, se trouve
renforcée jusqu’à devenir capacité de réalisation. Sous l’influence des motions de
déplaisir, qui se font sentir sous l’effet du déroulement renouvelé des conflits
défensifs, des transferts négatifs peuvent maintenant prendre la haute main et
abolir totalement la situation analytique. L’analyste n’est maintenant pour le
patient qu’un être étranger, qui le place devant des exigences abusives
désagréables, et il se comporte à son endroit tout à fait comme l’enfant qui n’aime
pas l’étranger et ne le croit en rien » (FREUD, 1985 (1), 236-237).

35 Le texte inachevé de l’Abrégé de psychanalyse (1938) reprend cette comparaison


pour confirmer le caractère dramatique des conséquences du transfert négatif. Ce qui
caractérise alors le transfert négatif, c’est moins l’hostilité que l’indifférence de
principe à ce qui est érigé comme étranger.
36 Ces nouvelles formes de contrainte de répétition conduisent Freud à remettre en
question l’hégémonie jusque-là défendue du principe de plaisir et à donner crédit à
l’hypothèse d’une autre pulsion concurrente et aux buts opposés : « Au vu de telles
observations, tirées du comportement dans le transfert et du destin des hommes, nous
trouverons le courage d’admettre qu’il y a effectivement dans la vie d’âme une
contrainte de répétition qui passe outre au principe de plaisir. Nous serons donc à
présent enclins à rapporter à cette contrainte les rêves des névrosés du fait d’accident
et l’impulsion de l’enfant au jeu. Cependant, il faut bien nous dire que nous ne pouvons
saisir que dans de rares cas les effets de la contrainte de répétition à l’état pur, sans le
concours d’autres motifs » (FREUD, 1996 (3), 293-295). Les formes de hantise pure
sont donc assez rares. Néanmoins le second dualisme, l’interprétation de la
pulsionnalité comme force de répétition et l’idée d’une pulsion de mort ouvrent le
champ au déploiement des formes les plus inquiétantes de hantise.

Conclusion
37 La hantise attachée à la pulsion de mort comme poussée vers le sans rapport et
l’inanimé, plus exactement revenance de l’ailleurs dans l’ici-maintenant, est à cet
égard particulièrement effrayante. En effet, sont inanimés aussi bien les êtres naturels
inertes que les machines. Freud ferait droit, en forgeant une pulsion de mort, à cette
évidence que les hommes se comportent parfois comme des machines alors qu’ils n’en
sont pas. En effet, que le second dualisme pulsionnel semble signifier que la psyché

https://journals.openedition.org/cm/2267 13/16
18/11/2018 Freud, la répétition et les figures de la hantise pulsionnelle

n’équilibre pas la balance de ses comptes pulsionnels de façon autonome. Elle paraît
bien plutôt travaillée par une tendance mécanique et compulsive à la répétition. Cette
tendance impérieuse et indépendante du désir personnel apparaît dénuée de sens. Il y
aurait bien un automatisme de la pulsion. Il serait même possible de montrer qu’il y a
deux automatismes : un automatisme de vie et un automatisme de mort. On pourrait
ainsi contester l’idée de Jean Laplanche selon laquelle « automatisme de répétition »
est une traduction falsifiante du terme allemand « Wiederholungszwang »,
littéralement « contrainte de répétition ».
38 Dans la répétition de la pulsion de mort, la vie psychique est-elle pensée comme un
pur automatisme ? Le chemin du retour s’effectue-t-il sans production réelle de
différence ? Thanatos pourrait alors prendre la forme d’une répétition qu’aucune
réappropriation ne vient relever. Avant de dire que cet automatisme ne déborde pas le
principe de plaisir, mais le travaille de l’intérieur, Derrida souligne néanmoins que :
39 « cet automate revient sans revenir à personne, il produit des effets de ventriloquie
sans origine, sans émission et sans destinataire. Il est posté seulement, la poste à l’état
« pur », une sorte de facteur sans destination. Télé – sans telos. Finalité sans fin, la
beauté du diable. Il n’obéit plus au sujet qu’il persécute de son retour. Il n’obéit plus au
maître, qu’on donne ce nom de maître au sujet construit selon l’économie du PP ou au
PP lui-même. Freud insiste sur la passivité, sur l’apparence passive des personnes
ainsi visitées […] mais aussi sur le fait qu’une telle visitation démonique n’est pas
réservée à la névrose » (DERRIDA, 1980, 362).
40 En effet, ce qui n’est ni vivant ni mort, ou les deux à la fois, ce qui est double et
fantôme, ce qui hante et alimente la mécanique de répétition, c’est aussi chez Freud
l’automate, la marionnette, le démon, ce qui a un caractère fantastique. Dans les
névroses de destinée en particulier, cette répétition a, aux dires de Freud, les traits du
démonique. La pulsion de mort ne s’associe donc pas toujours à Eros et devient
indépendante. Nous avons voulu suggérer que cette répétition fonctionne alors comme
une machine, qu’elle ne se laisse aborder par aucun sens, aucune image, aucune
liaison, aucun principe de compensation ou de compromis. C’est pourquoi Freud nous
semble faire droit et place à l’existence d’une hantise pure.

Bibliographie
D , Jacques, « Spéculer – Sur “Freud” », pp. 275-437, La carte postale, de Socrate à Freud
et au-delà, Paris, Flammarion, la philosophie en effet, 1980.
F , Sigmund, Abrégé de psychanalyse, Paris, PUF, Bibliothèque de psychanalyse, 1975.
F , Sigmund, « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », 1937, pp. 231-268, Résultats, idées,
problèmes II, 1921-1938, Paris, Puf, Bibliothèque de psychanalyse, 1985. (1)
F , Sigmund, « Constructions dans l’analyse », 1937, pp. 269-281, Résultats, idées,
problèmes II, 1921-1938, Paris, Puf, Bibliothèque de psychanalyse, 1985. (2)
F , Sigmund, L’homme Moïse et la religion monothéiste, Paris, Gallimard, NRF,
Connaissance de l’inconscient, 1986.
F , Sigmund, « Considérations actuelles sur la guerre et la mort », 1915, pp. 127-157, Œuvres
complètes, Psychanalyse, volume XIII, 1914-1915, Paris, PUF, 1988. (1)
F , Sigmund, « L’inconscient », 1915, pp. 205-244, Œuvres complètes, Psychanalyse, volume
XIII, 1914-1915, Paris, PUF, 1988. (2)
F , Sigmund, « Résumés des travaux scientifiques du Dr Sigm. Freud, Privatdocent 1977-
1897 », 1897, pp. 181-213, Œuvres complètes Psychanalyse III, 1894-1899, Paris, PUF, 1989.
F , Sigmund, « Psychanalyse et télépathie », 1941, pp. 99-118, Œuvres complètes,
Psychanalyse, volume XVI, 1921-1923, Paris, PUF, 1991. (1)
F , Sigmund, « La tête de Méduse », 1940, pp. 161-164, Œuvres complètes, Psychanalyse,
volume XVI, 1921-1923, Paris, PUF, 1991. (2)
F , Sigmund, « Le malaise dans la culture », 1929, pp. 245-333, Œuvres Complètes,
Psychanalyse, volume XVIII, 1926-1930, Paris, Puf, 1994.
F , Sigmund, « La nouvelle suite des leçons d’introduction à la psychanalyse », 1933, pp. 83-
268, Œuvres complètes Psychanalyse, volume XIX, 1931-1936, Paris, PUF, 1995.
F , Sigmund, « Un enfant est battu », 1919, pp. 115-146, Œuvres complètes, Psychanalyse,
volume XV, 1916-1920, Paris, PUF, 1996. (1)
https://journals.openedition.org/cm/2267 14/16
18/11/2018 Freud, la répétition et les figures de la hantise pulsionnelle
F , Sigmund, « L’inquiétant », 1919, pp. 147-188, Œuvres complètes, Psychanalyse, volume
XV, 1916-1920, Paris, PUF, 1996. (2)
F , Sigmund, « Au-delà du principe de plaisir », 1920, pp. 273-338, Œuvres complètes,
Psychanalyse, volume XV, 1916-1920, Paris, PUF, 1996. (3)
DOI : 10.1522/cla.frs.aud
F , Sigmund, « Remarques sur un cas de névrose de contrainte », 1909, pp. 131-214, Œuvres
complètes IX, 1908-1909, Paris, PUF, 1998.
F , Sigmund, Œuvres complètes, Psychanalyse, XIV, 1915-1917, Leçons d’introduction à la
psychanalyse, Paris, Puf, 2000.
F , Sigmund, Psychopathologie de la vie quotidienne, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2001.
DOI : 10.1522/cla.frs.psy2
F , Sigmund, Œuvres complètes, Psychanalyse, IV, 1899-1900, L’interprétation du rêve,
Paris, Puf, 2003.
F , Sigmund, « Sur la dynamique du transfert », 1912, pp. 105-116, Œuvres complètes,
Psychanalyse, volume XI, 1911-1913, Paris, PUF, 2005. (I (1))
F , Sigmund, « Totem et Tabou, Quelques concordances dans la vie d’âme des sauvages et
des névrosés », 1913, pp. 189-385, Œuvres complètes, Psychanalyse, volume XI, 1911-1913, Paris,
PUF, 2005. (I (2))
F , Sigmund, « Autoprésentation », 1925, pp. 51-122, , Œuvres complètes, Psychanalyse, XII,
1913 -1914, Paris, PUF, 2005. (II (1))
F , Sigmund, « L’intérêt que présente la psychanalyse », 1913, pp. 95-125, Œuvres complètes,
Psychanalyse, XII, 1913 -1914, Paris, PUF, 2005. (II (2))
F , Sigmund, « Remémoration, répétition et perlaboration », 1914, pp. 185-196, Œuvres
complètes, Psychanalyse, XII, 1913 -1914, Paris, PUF, 2005. (II (3))
DOI : 10.3917/lcpp.009.0013
F , Sigmund, « Actions de contrainte et exercices religieux », 1907, pp. 135-146, Œuvres
complètes, Psychanalyse, VIII, 1906 -1908, Paris, PUF, 2007.
K , Laurence, Faire parler le destin, Paris, Klincksieck, Méridiens, 2005.
Rank, Otto, Don Juan et Le Double, Etudes psychanalytiques, Paris, Petite Bibliothèque Payot,
1973.
U , Luisa de, Freud et le diable, Paris, PUF, Voix nouvelles en psychanalyse, 1983.
DOI : 10.3917/puf.deurt.1983.01

Pour citer cet article


Référence électronique
Claire Pagès, « Freud, la répétition et les figures de la hantise pulsionnelle », Conserveries
mémorielles [En ligne], #18 | 2016, mis en ligne le 05 juin 2016, consulté le 18 novembre 2018.
URL : http://journals.openedition.org/cm/2267

Auteur
Claire Pagès
est agrégée et docteur en philosophie, professeur de CPGE commerciales et directrice de
programme au Ciph. Chercheuse associée au Sophiapol (Paris Ouest Nanterre), ses recherches
portent sur la philosophie allemande des XVIIIe et XIXe siècles, la philosophie française
contemporaine, et la psychanalyse. Traductrice du texte de Herder, Du connaître et du sentir de
l’âme humaine (Allia, 2013), elle est l’auteur d’un Freud (Ellipses poche, réed. 2014),
d’un Hegel (Ellipses, 2010), de Lyotard et l’aliénation (PUF, 2011) et de Qu’est-ce que la
dialectique ? (Vrin, 2015).

Droits d’auteur

Conserveries mémorielles est mis à disposition selon les termes de la licence Creative
Commons Attribution - Pas de Modification 4.0 International.

Ce site utilise des cookies et collecte des informations personnelles vous concernant.
Pour plus de précisions, nous vous invitons à consulter notre politique de confidentialité (mise à jour le 25 juin 2018).

https://journals.openedition.org/cm/2267 15/16
18/11/2018 Freud, la répétition et les figures de la hantise pulsionnelle

En poursuivant votre navigation, vous acceptez l'utilisation des cookies.Fermer

https://journals.openedition.org/cm/2267 16/16

Vous aimerez peut-être aussi