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Conserveries mémorielles
Revue transdisciplinaire
#18 | 2016 :
Revenances et hantises
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Résumés
Français English
En dépit du rejet rationaliste, dans la psychanalyse freudienne, de la hantise comme phénomène
occulte, nous nous proposons de montrer qu’il y a chez Freud une pensée très riche de la hantise
pulsionnelle. Celle-ci a pour cadre la conservation dans l’inconscient de tous les contenus
psychiques refoulés et le phénomène du retour du refoulé. Les différentes figures de la hantise
pulsionnelle sont toutes des figures de la répétition. Le problème soulevé sera celui de savoir si
Freud fait droit à une forme radicale ou pure de hantise, c’est-à-dire à une figure de la répétition
sans aucun bénéfice, soit une répétition de part en part aliénante.
Entrées d’index
Mots-clés : Retour du refoulé, répétition, pulsionalité, Psychanalyse freudienne
Géographie : Vienne
Index chronologique : XXe siècle.
Texte intégral
1 Freud est non seulement méfiant, mais aussi très critique à l’égard de l’engouement
de ses contemporains pour l’occulte : spiritisme, tables qui tournent, voyants,
médiums, etc. L’ambivalence de la position freudienne à l’égard de l’occultisme a
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néanmoins souvent été soulignée. Elle réside principalement en deux choses. D’une
part, Freud tient coûte que coûte à défendre la scientificité de la psychanalyse. Pour ce
faire, il distingue soigneusement ses thèses et méthodes des pratiques et théories
douteuses marquées à ses yeux par l’irrationalisme, et demande à ses disciples et amis
versés dans l’occultisme de ne pas trop parler de croyance en la télépathie, pour ne
pas entacher l’esprit de sérieux de la psychanalyse. C’est pourquoi il est si suspicieux à
l’égard des parapsychologues : « Les analystes sont au fond d’incorrigibles mécanistes
et matérialistes, même s’ils se gardent bien de dépouiller l’animique et le spirituel de
ses particularités encore non-connues. S’ils s’engagent dans l’investigation du
matériau occulte, c’est uniquement parce qu’ils en attendent de pouvoir exclure
définitivement de la réalité matérielle les formations de souhait de l’humanité »
(FREUD, 1991 (1), 103). Mais, les réticences de Freud sont contrebalancées par une
attirance pour les phénomènes occultes. Ainsi il ne rejette pas par principe leur réalité,
supposant qu’il pourrait s’agir du prolongement d’un mode archaïque de
communication entre les hommes, ou encore d’un phénomène physique devenant
psychique aux deux bouts de la chaîne de communication. En particulier, il n’exclut
pas l’existence de phénomènes de transfert de pensée. Mais les autres phénomènes
occultes sont écartés et, de ce fait, tous ceux qui ont trait à la hantise : fantômes,
revenants, esprits, spectres, démons, châteaux, manoirs, maisons hantées… D’une
façon plus générale, la psychanalyse freudienne exclut l’existence de réalités
transcendantes et celle de tout malin génie supranaturel qui pourrait orchestrer un
destin ou être le guide d’un monde parallèle des esprits : pas de dieu, pas de diable,
pas de destin au sens du fatum, car nous n’ignorons pas la complexité du rapport de
Freud à la notion de destin (KAHN, 2005). Il n’y a résolument, dans la psychanalyse
freudienne, ni au-delà transcendant ni arrière monde occulte ici-bas. On ne trouvera
donc pas chez Freud de pensée de la hantise au sens des esprits qui reviennent habiter
un lieu. La hantise « paranormale » se trouve par principe rejetée et n’est même pas
chez lui un objet de réflexion comme peut l’être la télépathie.
2 Pour dégager néanmoins chez Freud une conception de la hantise, on ne choisira
pas pourtant le chemin dégagé, tout tracé, et trop souvent emprunté qui conduit à une
représentation romantique et à notre sens peu rigoureuse de l’inconscient comme
maison hantée, figure laïcisée du diable, peuplé de représentations monstrueuses, etc.
Ce faisant, on parle de la vie psychique inconsciente comme on parlait des esprits, et
on laisse planer l’idée d’un caractère mystérieux, occulte, et cultuel de la psychanalyse.
Nous écarterons cette voie analogique et métaphorique.
3 Une pensée psychanalytique rigoureuse et non analogique de la hantise nous semble
pourtant formulable grâce aux textes freudiens. Nous verrons qu’il s’agit d’une hantise
psychique et d’une hantise pulsionnelle. Freud ne thématise pas lui-même un concept
de la hantise, mais ses théories de la compulsion de répétition nous paraissent se
prêter parfaitement à une reformulation en termes de hantise. Celle-ci pourrait alors
devenir dans bien des cas l’autre nom de ce que Freud appelle compulsion de
répétition ou répétition. La richesse de la pensée freudienne de la répétition a alors
l’avantage d’ouvrir sur une pluralité de forme de hantise que nous nommerons des
figures de la hantise pulsionnelle. Le retour du refoulé permis par la conservation de
tous les contenus de représentation dans l’inconscient définit d’abord moins une
première figure de hantise que le cadre psychique qui conditionne l’existence de
l’ensemble des phénomènes de hantise. Ensuite, l’analyse du sentiment d’inquiétante
étrangeté produit par certaines œuvres, littéraires en particulier, conduit à dégager à
sa source un type esthétique de représentation de la hantise attaché à la figuration du
double. Mais c’est l’étude des diverses formes de compulsion de répétition qui engage
la distinction la plus riche et la plus claire des figures psychiques de la hantise :
hantise de l’obsessionnel et hantise dans le cérémonial, hantise dans la cure et dans le
transfert, hantise dans les jeux d’enfants.
4 Ces types de hantise se révèleront, au regard de l’entente courante de la hantise, des
figures paradoxales. En effet, la hantise semble confronter à une forme radicale
d’étrangeté qui laisse le sujet qui en fait l’expérience sans arme, sans recours,
absolument effrayé et persécuté par cette rencontre d’un tout autre indéterminé. Or
les figures de la hantise attachée à la logique de la répétition sont ambivalentes. Le
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Le sentiment de l’inquiétant
9 Il faut considérer maintenant cette figure de la hantise dont Freud dégage
l’existence dans le champ de l’esthétique, en s’interrogeant sur l’inquiétant ou
l’inquiétante étrangeté (selon les traductions du titre de l’article de 1919 « Das
Unheimlichkeit »). Nous dirons que l’inquiétant est le sentiment ou l’affect produit par
la hantise, en particulier dans le domaine des formations esthétiques. Freud distingue
pourtant l’inquiétant et l’inquiétant qui est mêlé d’horreur, horreur qui le recouvre
presque tout à fait, et qu’engendrent des représentations comme celles de la maison
hantée. L’inquiétant se distingue chez Freud de l’effroi attaché par exemple à la
représentation de la tête de Méduse (FREUD, 1991 (2)). Pourtant, il nous semble y
avoir une autre pensée de la hantise que celle du « hanté », hantise qui est proprement
source du sentiment de l’inquiétant. Freud considère cet affect produit par des
dispositifs esthétiques, regrettant qu’il ait été si peu analysé, exception faite d’une
étude significative de E. Jentsch. À ses yeux, E. T. A. Hoffmann s’offre comme le maître
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Répétitions et hantises
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13 Mais la répétition comporte chez Freud bien des dimensions dont l’analyse nous
révèle une pluralité de formes de hantise diversement inquiétantes. Le psychisme est
traversé et transi par tant de formes de répétition que celle-ci semble constitutive de la
subjectivité dans sa définition freudienne. À chaque fois, nous verrons que la
répétition fait signe vers un degré et un type original de hantise.
déplaisir (le Fort) devient le moyen de l’obtention d’un plaisir plus grand (le Da). Mais
cette réponse est insuffisante, dans la mesure où, le plus souvent, l’enfant n’accomplit
et ne répète que la première partie du jeu (l’éloignement des objets, de la bobine). Dans
ce cas, la répétition d’un déplaisir ne semble compensée par aucune production de
plaisir.
22 Pourtant, Freud n’en conclut pas pour autant à une brèche ouverte dans la
domination du principe de plaisir. La transposition de l’expérience pénible que
constitue le départ de la mère dans un jeu possède peut-être d’autres motifs
conciliables avec la domination de ce principe. Cette répétition pourtant pénible
permet d’abord à l’enfant de devenir acteur. Il était passif, il subissait le départ de sa
mère ; en le rejouant, il en est l’acteur. Cette répétition, qui impose de supporter un
déplaisir sans compensation apparente, lui confère une maîtrise. Il devient ainsi
maître de ce déplaisir, et on peut supposer que ce déplaisir choisi et préparé est moins
déplaisant que le déplaisir subi. Freud fait alors l’hypothèse d’une pulsion d’emprise
(Bemächtigungstrieb), d’une pulsion à la maîtrise de l’événement psychique, et qui,
sans entrer en contradiction avec le principe de plaisir, serait première. Le plus
important serait pour le psychisme de s’assurer une maîtrise de ce qui arrive, de ne
pas le subir passivement, que cela soit plaisant ou déplaisant, que cette maîtrise passe
par la répétition d’un souvenir ou d’une action plaisante ou déplaisante. La maîtrise
irait dans le sens du principe de plaisir, en étant un moyen de contrôle des excitations.
23 Le jeu dont il est question ne constitue pas alors un au-delà du principe de plaisir,
car l’enfant ne peut répéter une impression désagréable (source de déplaisir), que
dans la mesure où cette répétition lui assure un gain de plaisir (le plaisir d’être maître
d’une situation, de se venger de l’objet, etc.) L’analyse nous offre une perspective
économique sur la répétition : celle-ci, dans le jeu des expériences marquantes, permet
à l’enfant de se rendre maître de ce qu’il avait vécu d’abord passivement. Freud dit
qu’est ainsi permise une « abréaction » de l’impression. L’abréaction désigne la
réduction ou décharge d’une tension émotive ou d’un affect, en particulier quand ceux-
ci sont verbalisés et remémorés, donc accèdent à la conscience, dans la cure. Le jeu
procure une telle décharge émotionnelle, car en assurant une maîtrise sur
l’impression, il en annule le caractère pathogène.
24 La hantise enfantine qui a pour matériau des expériences déplaisantes demeure
ainsi une hantise de défense. Freud prend aussi l’exemple de l’enfant qui utilise dans
son jeu l’expérience pénible d’une petite opération qu’il a subie chez le médecin. Avec ce
jeu, l’enfant ne s’installe pas dans une pure répétition du déplaisir, mais gagne du
plaisir, qui lui vient d’une part du rôle actif qu’il prend dans le jeu (il joue le docteur
qui pratique l’opération en question) et d’autre part il imagine infliger un déplaisir à
son camarade de jeu (qui joue le patient) et donc obtient la satisfaction de se venger
du médecin qui lui avait causé ce déplaisir. Ici la hantise qui tient à la répétition
inlassable du même n’est pas simplement jouée et subie passivement, mais opère
inconsciemment comme moyen de défense et de maîtrise de la représentation
angoissante : « l’enfant répète l’expérience vécue même déplaisante pour la raison
qu’il acquiert par son activité une maîtrise bien plus radicale de l’impression forte qu’il
ne le pouvait en se bornant à l’éprouver passivement. Chaque nouvelle répétition
semble améliorer cette maîtrise vers laquelle tend l’enfant… » (FREUD, 1996 (3), 287).
Ainsi il est paradoxalement une forme de répétition qui ne signifie pas une déprise ou
un dessaisissement pour le psychisme, mais aussi un geste de maîtrise. Cette analyse
du jeu de la bobine déplace alors à nouveau singulièrement la représentation de la
hantise, puisqu’elle signifie qu’il y a dans la répétition du même une dimension
d’emprise non d’une altérité sur le sujet, mais du sujet sur son autre intérieur.
La hantise pure
25 Se pose alors la question de l’existence d’une forme pure de hantise. Celle-ci serait
une expérience sans mélange de l’étrangeté, signifierait une persécution complète du
sujet et s’effectuerait sans aucun « gain ». En effet, les formes de hantise dégagées
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27 L’argument d’« Au-delà du principe de plaisir » est en réalité très subtil, dans la
mesure où la fonction de ces rêves ne contredit pas le principe de plaisir (la maîtrise
rétroactive du trauma n’est pas contraire à la recherche du plaisir psychique).
Pourtant, elle semble « indépendante » de lui et « plus originaire » que la recherche du
plaisir et l’évitement du déplaisir. Freud fait ici l’hypothèse d’une fonction psychique
fondamentale qui, sans contredire la fonction plaisir, la conditionnerait. Le passage
est très difficile dans la mesure où on peine à déterminer encore si cette fonction
« indépendante » conditionne vraiment l’ensemble de la vie psychique ou bien prend le
relais du principe de plaisir dans certaines circonstances particulières. L’« au-delà »
se trouve en tout cas déterminé ici moins comme un ailleurs radical, une logique
étrangère, que comme une forme d’indépendance et une antécédence, dont on ne sait
encore si elle est logique, chronologique : avant le principe de plaisir, la hantise ?
28 Freud semble rapporter ces rêves à la compulsion de répétition. À partir de ces cas
exceptionnels, il paraît supposer que le rêve et la vie psychique en général obéiraient
d’abord à une autre fonction que la fonction plaisir. Le principe de plaisir serait
conditionné par autre chose, il y aurait donc plus principiel que lui. Cet « au-delà »
semble alors interprété en un sens à la fois logique et chronologique. Freud est conduit
à supposer un temps « avant » celui de la domination du principe de plaisir et qui est
dominée par cette compulsion. Le psychisme serait ainsi d’abord gouverné par une
forme élémentaire de répétition, forme primitive de hantise pulsionnelle. Apparaît ici
de façon saisissante le lien entre hantise pulsionnelle et revenance. En effet, avec le
second dualisme – celui des pulsions de vie et de mort – la pulsion gagne comme
caractéristique principale d’être conservatrice, c’est-à-dire d’être certes une poussée
(Trieb), mais une poussée qui ne va pas vers l’avant, vers le changement, mais vers
l’arrière. Plus exactement, une poussée dirigée vers le rétablissement d’un état
antérieur. Freud parle même d’élasticité à propos de cette tendance des pulsions à
retourner vers un passé (FREUD, 2005 (II(1)), 105). Notons que ce conservatisme n’est
pas le privilège de la pulsion de mort. Il y a donc deux façons de conserver, c’est-à-dire
aussi bien deux façons de répéter, car conserver ici c’est faire venir à nouveau dans le
présent un état révolu : « Partant de spéculations sur le début de la vie et de parallèles
biologiques, je tirai la conclusion qu’il fallait qu’il y eût, en dehors de la pulsion à
conserver la substance vivante, à la rassembler en unités de plus en plus grandes, une
autre pulsion, opposée à elle, qui tendent à dissoudre ces unités et à les ramener à
l’état anorganique des primes origines… » (FREUD, 1994, 304). De même, dans
l’Abrégé de psychanalyse, on lit que le but d’Éros est la liaison tandis que le but de
l’autre pulsion est de briser les rapports. Notons que la pulsion de vie aussi est une
répétition, une tendance au retour. C’est également une figure de la hantise. Quant à
la pulsion de mort, elle est décrite comme un retour à l’inanimé. Cette hantise
pulsionnelle qu’est la répétition/conservation élémentaire est ainsi une revenance, car
elle désigne moins au fond un retour en arrière qu’un retour ou une irruption d’un
ailleurs ou d’un avant dans le présent, là où il ne devrait pas se trouver.
Le démoniaque
29 La hantise pure semble trouver une autre illustration dans la vie ou plutôt le destin
de personnes non névrosées. Freud est frappé en effet par les vies de ces gens qui
« donnent l’impression d’un destin qui les poursuit, d’une orientation démoniaque de
leur existence ». La thèse défendue est très forte, puisqu'elle assortit la réfutation de la
réalité du destin à l’affirmation que le sujet est acteur de ce destin et que celui-ci se
nourrit des expériences infantiles. Pour Freud, comme il l’a montré à la fin de la
Psychopathologie de la vie quotidienne, la croyance au destin comme la croyance au
hasard équivaut à une ignorance du déterminisme psychique. La hantise est
intérieure et le sujet trame inconsciemment son propre destin.
30 Il donne plusieurs exemples saisissants de ces destins ou « éternels retours du
même » et insiste sur le fait que certaines personnes connaissent de telles destinées
sans apparemment y contribuer activement. Il y a vraiment une compulsion de
répétition : le sujet répète une expérience à son insu sans paraître y participer. Cette
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compulsion prend alors la forme d’une hantise et le sujet semble subir passivement la
réitération du même échec. Si l’on peut trouver extrême l’exemple pris par Freud de
cette femme dont les trois maris successifs tombèrent malades juste après le mariage,
les premiers exemples nous sont beaucoup plus familiers. Ne nous arrive-t-il pas
souvent de déplorer la répétition d’une même situation déplaisante, dont témoignent
des expressions comme « ça recommence », ou d’avoir l’impression de nous remettre
régulièrement dans la même situation difficile déjà vécue comme déplaisante et
décevante ?
« on connaît des personnes dont toutes les relations humaines vont vers la même
issue : bienfaiteurs que leurs protégés, si différents soient-ils, abandonnent après
quelque temps avec rancune, comme s’il leur était dévolu de boire l’ingratitude
jusqu’à la lie ; hommes dont toutes les amitiés s’achèvent par la trahison de l’ami ;
ceux qui, de façon indéfiniment répétée, placent quelqu’un d’autre dans une
position de grande autorité, soit pour eux seuls, soit aussi pour le public, et qui
renversent eux-mêmes cette autorité au bout d’un temps donné pour la remplacer
par une autre ; amoureux dont chaque affaire de cœur avec les femmes traverse
les mêmes phases et conduit à la même fin, etc. » (FREUD, 1996 (3), 292-293).
Conclusion
37 La hantise attachée à la pulsion de mort comme poussée vers le sans rapport et
l’inanimé, plus exactement revenance de l’ailleurs dans l’ici-maintenant, est à cet
égard particulièrement effrayante. En effet, sont inanimés aussi bien les êtres naturels
inertes que les machines. Freud ferait droit, en forgeant une pulsion de mort, à cette
évidence que les hommes se comportent parfois comme des machines alors qu’ils n’en
sont pas. En effet, que le second dualisme pulsionnel semble signifier que la psyché
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n’équilibre pas la balance de ses comptes pulsionnels de façon autonome. Elle paraît
bien plutôt travaillée par une tendance mécanique et compulsive à la répétition. Cette
tendance impérieuse et indépendante du désir personnel apparaît dénuée de sens. Il y
aurait bien un automatisme de la pulsion. Il serait même possible de montrer qu’il y a
deux automatismes : un automatisme de vie et un automatisme de mort. On pourrait
ainsi contester l’idée de Jean Laplanche selon laquelle « automatisme de répétition »
est une traduction falsifiante du terme allemand « Wiederholungszwang »,
littéralement « contrainte de répétition ».
38 Dans la répétition de la pulsion de mort, la vie psychique est-elle pensée comme un
pur automatisme ? Le chemin du retour s’effectue-t-il sans production réelle de
différence ? Thanatos pourrait alors prendre la forme d’une répétition qu’aucune
réappropriation ne vient relever. Avant de dire que cet automatisme ne déborde pas le
principe de plaisir, mais le travaille de l’intérieur, Derrida souligne néanmoins que :
39 « cet automate revient sans revenir à personne, il produit des effets de ventriloquie
sans origine, sans émission et sans destinataire. Il est posté seulement, la poste à l’état
« pur », une sorte de facteur sans destination. Télé – sans telos. Finalité sans fin, la
beauté du diable. Il n’obéit plus au sujet qu’il persécute de son retour. Il n’obéit plus au
maître, qu’on donne ce nom de maître au sujet construit selon l’économie du PP ou au
PP lui-même. Freud insiste sur la passivité, sur l’apparence passive des personnes
ainsi visitées […] mais aussi sur le fait qu’une telle visitation démonique n’est pas
réservée à la névrose » (DERRIDA, 1980, 362).
40 En effet, ce qui n’est ni vivant ni mort, ou les deux à la fois, ce qui est double et
fantôme, ce qui hante et alimente la mécanique de répétition, c’est aussi chez Freud
l’automate, la marionnette, le démon, ce qui a un caractère fantastique. Dans les
névroses de destinée en particulier, cette répétition a, aux dires de Freud, les traits du
démonique. La pulsion de mort ne s’associe donc pas toujours à Eros et devient
indépendante. Nous avons voulu suggérer que cette répétition fonctionne alors comme
une machine, qu’elle ne se laisse aborder par aucun sens, aucune image, aucune
liaison, aucun principe de compensation ou de compromis. C’est pourquoi Freud nous
semble faire droit et place à l’existence d’une hantise pure.
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Auteur
Claire Pagès
est agrégée et docteur en philosophie, professeur de CPGE commerciales et directrice de
programme au Ciph. Chercheuse associée au Sophiapol (Paris Ouest Nanterre), ses recherches
portent sur la philosophie allemande des XVIIIe et XIXe siècles, la philosophie française
contemporaine, et la psychanalyse. Traductrice du texte de Herder, Du connaître et du sentir de
l’âme humaine (Allia, 2013), elle est l’auteur d’un Freud (Ellipses poche, réed. 2014),
d’un Hegel (Ellipses, 2010), de Lyotard et l’aliénation (PUF, 2011) et de Qu’est-ce que la
dialectique ? (Vrin, 2015).
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https://journals.openedition.org/cm/2267 15/16
18/11/2018 Freud, la répétition et les figures de la hantise pulsionnelle
https://journals.openedition.org/cm/2267 16/16