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2,00 € Première édition. No 12144 Jeudi 25 Juin 2020 www.liberation.

fr

Nicolas Jeudi idées et essais


Hulot
«J’ai la trouille Avec Onfray,
au ventre» les identitaires

Joël Saget. AFP


interview, pages 8-9
Et aussi un livre pour voir la vie en rose
sont de la revue
quand on est vert, pages 24-25 pages 18-21
L’ex-SS Bruno Dey à la cour d’assises des mineurs de Hambourg, le 6 janvier. Photo Georg Wendt. DPA

allemagne
le dernier
procés du
nazisme
Bruno Dey, 93 ans, ancien
gardien de camp de
concentration, est jugé
à Hambourg pour avoir
participé à l’assassinat
de 5 230 personnes. Pages 2-5

IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,80 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,20 £,
Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 2,00 €, Maroc 22 Dh, Norvège 30 Kr, Pays-Bas 2,50 €, Portugal (cont.) 2,90 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 5,00 DT, Zone CFA 2 500 CFA.
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Événement Libération Jeudi 25 Juin 2020

qu’il n’éprouve guère de remords Dey l’a martelé devant tous ceux laquelle un être humain peut se
éditorial pour ce qu’il a fait – ou ce qu’il n’a
pas fait. Il avait 17 ans, il exécutait
qui l’accusaient d’être un «rouage
de la machine à tuer» : s’il n’avait
transformer en monstre. Car le
danger ne disparaîtra pas avec la
Par les ordres, a-t-il dit. Un historien pas obéi, d’autres l’auraient fait à mort de Bruno Dey. Pour en sa-
Alexandra a précisé que les gardes étaient sa place. Combien d’horreurs voir plus sur ce que ces exécu-
Schwartzbrod appâtés par des récompenses, un ont-elles été commises durant les tants avaient en tête, il faut lire le
congé spécial pour qui tirerait siècles passés au nom de ce prin- roman d’Hubert Mingarelli, mort
sur un prisonnier en fuite, par cipe ? Alors, faut-il condamner en janvier, Un repas en hiver
exemple. Une démonstration im- cet homme en fauteuil roulant à (2012, Stock), le récit de trois gar-

Crucial placable du concept de «banalité


du mal» développé par la philo-
sophe Hannah Arendt après
finir sa vie en prison ? Au fond, ce
n’est pas là le plus important. Ce
qui est crucial, en revanche, c’est
diens de camps allemands sou-
mis à un choix impossible : parti-
ciper chaque jour aux exécutions
qu’elle eut assisté au procès du de raconter, encore et encore, les sommaires, ou partir à l’aube
C’est l’un des derniers nazis à qui criminel de guerre nazi Adolf atrocités commises sous chercher un Juif à ramener, pro-
l’on demandera des comptes. Eichmann à Jérusalem en 1961 le IIIe Reich. Les raconter dans le mis du coup à une mort certaine.
Bruno Dey a 93 ans et le récit gla- et 1962. Quand l’homme ne fait moindre détail, même le plus Un roman dont on ne sort pas in-
çant que nous faisons de son pro- plus de distinction entre le bien cru, même le plus insupportable, demne. Comme de l’histoire de
cès, qui a suscité beaucoup et le mal, entre le libre arbitre et afin que chacun comprenne bien Bruno Dey. Sauf que celle-ci n’est
d’émotion en Allemagne, montre l’exécution d’un ordre. Bruno ce qui s’est joué là. La facilité avec pas de la fiction. •

BRUNO DEY
Procès d’un «rouage» nazi
Par «Comment Bruno Dey a-t-il bénéficié
JOHANNA LUYSSEN de son service dans le camp de
Envoyée spéciale à Hambourg Affecté à 17 ans à la garde ­concentration ? Y avait-il des avan-
tages, des récompenses ?» Le 6 juin,
du camp de concentration de
S
alle 300 de la cour d’assises l’avocat Salvatore Barba, qui repré-
des mineurs de Hambourg.
La porte s’ouvre, les flashs Stutthof, l’ancien SS comparaît sente les parties civiles, questionne
l’historien Stefan Hördler. Ce der-
crépitent et l’accusé Bruno Dey,
93 ans, apparaît. Sa fille pousse le
depuis octobre devant la cour nier répond : «Il y avait des avan­-
tages pour un garde dans un camp
fauteuil roulant où le vieillard se
protège des regards à l’aide d’un
d’assises de Hambourg, dans ce de concentration. Il y avait un
­système de récompense, un congé
dossier cartonné, les yeux sont ca-
chés par des lunettes de soleil, un
qui apparaît comme l’une des spécial par exemple après avoir tiré
sur des prisonniers en fuite. En
chapeau complète le tout. Mais il dernières secousses judiciaires ­outre, être de service dans un camp
lui faut bien montrer son visage, la
justice l’exige ; exposer aux regards contre les acteurs du IIIe Reich. était plus sûr qu’ailleurs.»
Puisque Bruno Dey était mineur, il
son visage banal de nonagénaire était suivi par un psychiatre spécia-
allemand. liste de l’adolescence, le docteur Ste-
Boulanger à la retraite, l’homme fanos Hotamanidis. Ce dernier était
coulait des jours paisibles jusqu’à quet l’accuse d’être un «rouage de aujourd’hui Gdansk, en Pologne. Il tenu d’évaluer la personnalité
ce que la justice le somme de la machine à tuer». Autrefois, ce avait 17 ans et 11 mois lorsqu’il est de Bruno Dey circa 1944, lorsqu’il
­s’expliquer sur ses activités entre motif n’aurait pas été suffisant pour arrivé au camp de Stutthof, où envi- avait 17 ans. L’expert expliquera que
le 9 août 1944 et le 26 avril 1945. justifier des poursuites pénales. ron 65 000 personnes ont été assas- le jeune homme a été éduqué pour
Gardien au camp de concentration Mais depuis la condamnation du sinées. «Je n’ai pas pu faire autre- «éviter les conflits», qu’il était plutôt
de Stutthof, aujourd’hui en Polo- gardien de Sobibor John Demjan- ment», dit l’accusé à propos de son timide. Pendant son séjour à Stut-
gne, cet ancien SS est accusé d’avoir juk en 2011 (lire page 5) et celle du incorporation. Consulté en tant que thof, il s’est contenté d’être «obéis-
participé à l’assassinat de 5 230 per- «comptable d’Auschwitz» Oskar spécialiste de la période, l’historien sant». Interrogé, l’accusé martèle,
sonnes. Parce qu’il avait moins Gröning en 2015, un «rouage» de la Stefan Hördler a expliqué qu’il sur à peu près tous les tons, la chose
de 18 ans au moment des faits, Solution finale doit lui aussi répon- ­aurait pu demander à être transféré. suivante : «Je ne suis pas respon­sable
c’est au tribunal des mineurs qu’il dre de ses actes. Bruno Dey dit qu’il ne l’a pas fait de ce qui s’est passé à l’époque. Je Bruno Dey au tribunal
est jugé. parce que c’était dangereux et que, n’y ai contribué en rien, si ce n’est de Hambourg, le 5 juin.
Bruno Dey est poursuivi pour avoir «C’étaient les ordres» de toute façon, ça n’aurait rien monter la garde. J’ai été forcé. Photo CHRISTIAN
empêché «la fuite, la révolte et la Bruno Johannes Dey est né en 1926 changé, que quelqu’un d’autre C’étaient les ordres.» «Des images de CHARISIUS . AFP
­libération des prisonniers». Le par- à Obersommerkau, près de Dantzig, ­aurait pris sa place. misère et de terreur Suite page 4
Libération Jeudi 25 Juin 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 3

Pour la cellule
de Düsseldorf,
des enquêtes
par delà les ans
L’équipe policière créée Lorsque nous essayons de les rassem-
il y a quinze ans pour bler, on se rend compte qu’il en manque.
Le temps a passé, des témoins potentiels
traquer les derniers nazis sont morts, des documents ont été per-
poursuit un travail dus ou peut-être détruits. Les endroits
laborieux, pressés par ne sont plus les mêmes qu’à l’époque…
l’âge avancé des suspects, Notre tâche est donc de faire en sorte de
témoins et victimes. rassembler le maximum de pièces afin
qu’un procureur puisse décider à la fin
de l’enquête s’il y a ou non matière à

«J
e ne regrette rien !» assurait, poursuites.» Sur place, Stefan Willms
l’air crâne, l’ancien SS Karl reconstitue la scène du crime. Où les
Münter devant les caméras de gens ont-ils été abattus ? Comment cela
la chaîne NDR, en novembre 2018. s’est-il passé ? Quelle était la météo ?
Avant d’ajouter : «Pourquoi devrais-je
avoir des regrets ?» Interrogé sur sa «Culpabilité». Une grande partie de
­participation au «massacre d’Ascq», son travail consiste à interroger des
le 1er avril 1944, quand les troupes de la survivants. Pour cela, Stefan Willms
Waffen SS ont assassiné 86 civils de s’est rendu à de multiples reprises à
cette ville du nord de la France, ce re- Oradour-sur-Glane. Il évoque ce que
traité de Nordstemmen, en Basse-Saxe, cela fait «d’aller dans un endroit pareil
ne voyait pas le problème. Il est mort en tant qu’Allemand» : «Bien sûr, je suis
paisiblement le 20 septembre dernier, né presque quinze ans après la fin de la
à 96 ans. Les derniers mois de sa vie, guerre, et je n’ai rien à voir avec cela, ex-
il était devenu une vedette de la scène plique-t-il. Mais il n’en reste pas moins
néo­nazie ; invité par le parti ultrana­- que c’est la génération de nos ­pères et de
tionaliste NPD de Thuringe, l’ancien SS nos grands-pères qui a commis de tels
­signait pour ses fans autographes et actes. On en est conscient quand on est
photos. sur place. On ne peut pas se libérer de ce
sentiment de “complicité”. On porte avec
«Puzzle». En 2015, les autorités alle- soi une certaine ­culpabilité. Nous vou-
mandes se penchent sur son cas ; l’en- lons donc accorder un très large champ
quête est diligentée par une cellule de d’action aux victimes qui sont encore en
policiers dédiée à la traque des nazis, vie. Lorsque nous interrogeons ces per-
la «Ermittlungsgruppe Nationalsozia- sonnes, nous les écoutons attentivement
listische Gewaltverbrechen», créée et nous leur donnons l’espace nécessaire
en 2005 à Düsseldorf et dirigée par Ste- pour dire ce qu’elles ont vécu. C’est im-
fan Willms. Mais des poursuites ne portant pour nous, mais aussi pour
peuvent être engagées. «Dans ce cas ­elles ; c’est ce qu’elles nous disent après.
particulier, explique le policier, un pro- Par exemple, à Oradour, une femme,
blème juridique s’est posé car il avait initialement sceptique à l’idée de témoi-
déjà été condamné par contumace en gner, a finalement, avec cette audition,
France. Il ne pouvait donc pas être tenu réussi à clore ce chapitre. Son histoire se
responsable une seconde fois en Allema- trouve maintenant dans un dossier
gne pour le même crime, car la peine d’enquête allemand. Elle n’est plus
prononcée est prescrite.» En France, ­perdue. Elle a déclaré par la suite
les crimes de guerre sont prescrits qu’elle avait cessé de nous haïr, nous
après trente ans. les Allemands.»
Stefan Willms et son groupe d’enquê- L’équipe de Stefan Willms enquête ac-
teurs, les derniers de ce genre en Alle- tuellement sur huit cas. Les procès sont
magne, ont travaillé en quinze ans sur rares – l’âge de l’accusé ne permet pas
plus d’une centaine de cas, dont cer- toujours un procès. Mais pour l’enquê-
tains très médiatisés, comme celui de teur, ce n’est pas vain. «Plus de justice,
Reinhold Hanning, ancien SS et garde dit-il, ne se résume pas toujours à l’im-
d’Auschwitz. Rattrapé par la jurispru- position de sanctions, mais aussi à la
dence Demjanjuk (lire page 5) en 2013, diffusion de la vérité.»
son procès eut lieu en 2016. Condamné A Jérusalem, le directeur du centre
à cinq ans de prison, il est mort onze ­Simon-Wiesenthal, Efraim Zuroff,
mois après l’application de sa peine, ­continue lui aussi ses activités de
à 95 ans. «chasseur de nazis». «Une vingtaine
Si Stefan Willms utilise les mêmes de cas sont actuellement en cours d’in-
techniques que la police criminelle vestigation… Mais c’est une course
pour reconstituer les crimes nazis, les ­contre la montre, explique-t-il. Nous
décennies passées rendent les enquê- ­espérons vraiment que ces enquêtes
tes difficiles. «On dit qu’un enquêteur vont mener à des procès, et que les Alle-
est quelqu’un capable d’assembler les mands vont mettre la même rigueur
pièces d’un puzzle. C’est un peu diffé- à ce que justice soit faite que les nazis
rent pour nous, car toutes les pièces sont en ont mis à tuer des Juifs.»
disséminées dans différentes archives. J.Lu. (à Berlin)
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Événement Libération Jeudi 25 Juin 2020

Suite de la page 2 m’ont hanté


toute ma vie», affirme-t-il encore.
L’ancien camp de
Mais on ne sait pas dans quelle me-
concentration de
sure sa compassion va aux déportés,
Stutthof, en 2016.
car il se présente volontiers comme
Photo MATEUSZ
une victime du régime, pas comme
OCHOCKI. AFP
l’un de ses rouages. Et il n’évoque
aucun des détails racontés avec pré-
cision par les survivants.
Interrogé sur ce qu’il aurait vu,
­entendu, il est laconique. Rien sur
l’odeur des corps brûlés ; la mon­-
tagne de chaussures ; les personnes
manquant à l’appel du matin, vain-
cues par les privations, gisant dans
leur baraquement ; la colonne de fu-
mée du bûcher ; les coups de crosse
dans le dos de prisonniers déjà fa-
méliques à leur arrivée au camp ; les
privations ; la chambre à gaz ; les
fours crématoires ; le Zyklon B ; les
savons humains. Rien non plus sur
la formation idéologique dispensée
aux SS, à Stutthof comme ailleurs,
aucune indication sur ses condi-
tions de «travail». Tout juste Bruno
Dey admet-il avoir vu des cadavres.
Pour le reste, il se tenait dans une
tour de garde, et c’est à peu près
tout. Il a bien entendu «de loin»,
«une fois», des cris émanant de la
chambre à gaz. L’une des tours de
garde était pourtant située juste au
dessus. C’est comme si Bruno Dey
était simplement resté debout de
longs mois, pendant qu’autour de
lui périssaient mystérieusement
5 230 personnes. «Je veux oublier, je
ne veux plus continuer à me pencher
sur le passé», dit-il.

Détails glaçants
Jusqu’au 12 novembre dernier, son
procès ne suscitait qu’un intérêt mo-
déré au sein de la presse internatio-
nale. Mais ce jour-là, un Américain,
Moshe Peter Loth, 76 ans, partie ci-
vile au procès, vient témoigner. Pri-
sonnier du camp alors qu’il était en-
fant, il prévient, à la fin de son
audition : «Attention, je vais lui par-
donner.» Il se penche vers l’accusé,
et les deux hommes s’enlacent. Le
gardien nazi grabataire et l’ancien
nourrisson juif, réconciliés dans un
geste de pardon. Une image pour
l’histoire. Les articles pleuvent.
Sauf que le témoignage de Moshe
Peter Loth ne résiste guère à
l’épreuve des faits. Le Spiegel en-
quête : l’homme n’est pas issu d’une
famille juive, mais protestante. Face
aux multiples incohérences de son
récit, Loth répond qu’il «a passé
toute sa vie à chercher sa véritable
identité». Cette histoire, triste
comme l’est celle de Misha Defon-
seca, cette Belge qui avait prétendu
avoir survécu à la Shoah protégée
par des loups, se conclut en janvier,
lorsque Loth retire sa plainte. Ce dé-
rangeant rebondissement aura jeté
une ombre étrange sur un procès
déjà flottant.
soit l’officier tire sur l’un d’eux, soit
l’un d’eux bat l’autre à mort avec le
«Il était quand 44 enfants d’Izieu. Il arrive à Stut-
thof en août 1944, en même temps
mitisme d’avant la guerre, sa fa-
mille, l’arrestation, le voyage, pour
Mais d’autres témoignages viennent pied de la chaise. Le père décide même conscient qu’Abraham Koryski et Bruno Dey. en arriver à Stutthof, et à ses souve-
bientôt emplir la salle. Celui d’Abra- d’être tué par son fils. Le fils s’exé- «Nous n’étions pas tatoués, explique- nirs d’adolescent apeuré. «J’avais
ham Koryski, 92 ans, venu de cute. Puis, explique Abraham Ko-
de ce qu’il a fait. t-il, mais nous avions un numéro et, des œillères, je ne voulais pas, com-
­Nazareth, fourmille de détails gla- ryski, «le fils est abattu». C’est à lui de voir surtout, nous étions un numéro.» Le ment dirais-je, savoir ce qui allait
çants. Il est arrivé au camp en Henri Zajdenwergier avait lui aussi sien était le 80 409. se passer, je vivais le moment pré-
août 1944 – en même temps que 17 ans à son arrivée au camp. Arrêté avec sa conscience, Henri Zajdenwergier donne de la sent». A quel moment précis est-il
Bruno Dey. En hébreu, d’une voix
forte, il décrit les petits amuse-
à Angoulême, passé par Drancy
le 15 mai 1944, il est le dernier survi-
mais le pardon, voix pour raconter son histoire,
avec beaucoup de détails. La pré­-
arrivé à Stutthof, était-ce le jour ou
la nuit ? «Je crois que c’était la
ments des SS, leurs shows «sadi- vant du convoi 73, à destination des je n’y crois pas.» sidente du tribunal, Anne Meier- ­journée, mais vous savez, certains
ques». C’est un officier SS qui casse pays baltes, dont faisaient partie Göring, le presse avec douceur ; souvenirs se mélangent. Je crois
une chaise et demande à un père et André et Jean Jacob, le père et le Henri Zajdenwergier ancien l’audience ne dure que deux heu- tout de même que c’était en plein
à son fils de prendre une décision : frère de Simone Veil, et deux des déporté, à propos de Bruno Dey res. Il saute des passages, l’antisé- jour.»
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Les «seconds couteaux» en première


ligne dans les procès des crimes nazis
Les responsables aux commandes chef du groupe d’enquête sur les crimes des nazis nées 1950 et 1960), qui n’a très généralement pas jugé
de la Solution finale ayant disparu, à Düsseldorf (lire page 3), se référant au mythique les criminels nazis, trop bien intégrés dans une so-
procureur allemand Fritz Bauer, dont la détermina- ciété ouest-allemande de guerre froide pour qu’ils
la justice allemande se rabat sur tion permit les premiers procès d’Auschwitz, dans soient inquiétés.»
leurs subalternes, ce qui provoque les ­années 60. «Bauer disait : “Cela ne fonctionne
le débat sur leur grand âge et leur que si chacun participe.” Si une seule personne se Manque de zèle. En effet, entre 1945 et 2011, la
capacité à se défendre. met en travers, tout cela n’aurait pas fonctionné justice allemande n’a condamné «que» 6 656 nazis,
comme cela. Voilà pourquoi ceux qu’on appelle les à des peines de moins de cinq ans de prison dans
“petits” étaient nécessaires. Aujourd’hui, ils doivent 90 % des cas. Ce manque de zèle peut notamment

F
aut-il juger les «petites mains» de la machi- en répondre en droit pénal.» En d’autres termes, s’expliquer par les chiffres suivants : entre 1949 et
nerie nazie ? Le grand âge des accusés per- comme l’a formulé Hannah Arendt dans le sillage le début des années 70, 53 % des 170 hauts fonction-
met-il un procès équitable ? Comment éva- du procès Eichmann (1) : «Un fonctionnaire, lorsqu’il naires du ministère de la Justice en RFA étaient
luer leur responsabilité ? Chaque procès de ce type n’est rien d’autre qu’un fonctionnaire, est quelqu’un d’anciens nazis, avec un pic de 77 % en 1953.
suscite son lot d’interrogations ; celui de Bruno Dey de très dangereux.» Enfin, la justice agit toujours, dit l’historien Johann
ne fait pas exception. Si ces questions ne se po- Le grand âge des accusés permet-il un procès équi- Chapoutot, «dans un contexte social et poli­tique».
saient guère pour les accusés des procès de Nurem- table ? C’est un argument de poids pour la défense. Celui de l’Allemagne des années 2020 est marqué
berg, la situation est aujourd’hui tout autre, comme Lors de son procès en 2009, le gardien de Sobibor par une recrudescence de l’antisémitisme – attentat
le détaille Beate Klarsfeld, qui lutte depuis les an- John Demjanjuk a particulièrement joué cette contre la synagogue de Halle en octobre 2019, atta-
nées 60 contre l’impunité des nazis, dans ce texte carte, arrivant à l’audience sur une civière. Pour le que contre un restaurant casher à Chemnitz en 2018,
transmis à Libération : «Les principaux criminels directeur du centre Simon Wiesenthal à Jérusalem, augmentation de 13 % des crimes et délits antisémi-
décisionnaires, cadres de la Solution finale, ont pro- le traqueur de nazis Efraim Zuroff, «le temps qui tes par rapport à 2018, dans un contexte lié à l’ex-
gressivement disparu. Il était possible de les juger passe ne diminue en rien la culpabilité d’un tueur. trême droite pour 93 % d’entre eux. Enfin, le dyna-
selon les critères d’une justice équi­table : par la na- Un âge avancé ne rend pas un meurtrier plus ver- misme électoral de l’AfD, dont une bonne partie du
ture même des fonctions qu’ils ­occupaient, ils rédi- tueux.» Pour lui, pas question de faire preuve de discours consiste à minimiser les crimes commis par
geaient, signaient ou paraphaient des documents mansuétude : «Ce sont les dernières personnes qui les nazis, voire à glorifier la Wehrmacht, joue un rôle.
qui se retournaient contre eux. Cette étape est révo- devraient susciter de la sympathie, sachant qu’ils «Les populistes de droite en France comme en Alle-
lue. Il ne reste que les manœuvres du crime, la base n’en ont pas eu pour les victimes.» L’historien du na- magne avec l’AfD sont en train de gagner des voix,
de la pyramide. Pour continuer à juger le crime nazi, zisme Johann Chapoutot réfute ce dernier argu- glissait Beate Klarsfeld dans les couloirs du tribunal
il a fallu inter­préter plus largement la loi, et le cas ment : «Ce n’est pas digne du droit, justice n’est pas de Hambourg, à l’issue d’une audience du procès
référence a été le procès de Demjanjuk [lire ci-con- vengeance.» Les pénibles interrogatoires des accu- de Bruno Dey. Nous devons empêcher cela. Le procès
tre] : désormais, c’est à l’accusé de prouver son inno- sés lors de ces procès le montrent : il est difficile de peut aider.» Enfin, comme le conclut l’historien Jo-
cence puisque sa culpabilité est établie par le fait déterminer si les trous de mémoire d’un nazi face hann Chapoutot, «on peut dire que la justice alle-
qu’il occupait une fonction dans l’appareil concen- à la justice sont dus à son âge ou s’ils relèvent d’une mande s’est réveillée très tard, mais on ne peut pas
trationnaire exterminateur qui contribuait à la stratégie de défense. lui reprocher de faire son travail.»
bonne marche de cet appareil. Ainsi, des gardiens, Reste cette question, centrale : à quoi servent ces JOhanna Luyssen
des comptables, des cuisiniers qui opéraient dans procès ? Pour l’historien Johann Chapoutot, «c’est Correspondante à Berlin
un camp d’extermination peuvent être inculpés, ju- toute une société qui juge la société d’avant-hier (celle
gés et condamnés sauf s’ils prouvent qu’ils se sont op- des années 1930 et 1940), qui a permis les crimes du (1) «Eichmann était d’une bêtise révoltante». Entretiens et let-
posés à l’action exterminatrice ou que des témoins nazisme, mais aussi la société d’hier (celle des an- tres, de Hannah Arendt & Joachim Fest (Fayard, 2013).
soutiennent qu’ils ont fait preuve d’humanité à leur
égard. Mais les accusés ont plus de 90 ans ; ne sont
pas personnellement capables de se défendre intel-
lectuellement ; les témoins qui pouvaient se souvenir
L’affaire Demjanjuk, des années d’imbrogliO
d’eux ont disparu ; eux-mêmes n’ont pas signé à leur A la fin des années 70, l’Ukrainien John Demjanjuk, ancien mécanicien automobile d’une usine
échelle subalterne de document. Ils sont donc con- Ford de l’Ohio, est accusé d’être «Ivan le Terrible», gardien sanguinaire du camp de Treblinka.
damnés quasi automatiquement. On se retrouve Jugé en Israël, il fut condamné à mort en 1988. Mais l’arrêt fut cassé lorsque des documents
dans la situation initiale des années 50-60, quand du KGB transmis après la chute du Rideau de fer établirent qu’«Ivan le Terrible» était un
un accusé, qui avait tué un Juif devant des témoins homme répondant au nom d’Ivan Marchenko, et que ce n’était pas Demjanjuk. Il est toutefois
qui avaient survécu et qui témoignaient au tribunal, également établi que l’accusé était gardien d’un camp de concentration. «Les juges, qui ne sont
était condamné à perpétuité, alors que de grands que des êtres humains, ne peuvent atteindre la perfection, et il est juste qu’ils jugent sur la base
criminels qui avaient envoyé à la mort des milliers de ce qui leur est présenté, et sur cette seule base», indique en 1993 la Cour suprême israélienne
de victimes n’étaient accusés que de complicité et bé- lors de son acquittement. De retour aux Etats-Unis, il est accusé de complicité dans
néficiaient de l’indulgence des juges. Aujour­d’hui, l’extermination de 27 900 Juifs au camp de Sobibor, en Pologne. Ses avocats s’opposent à une
il n’y a plus de grands criminels nazis et les petits extradition en Allemagne en raison de son état de santé, arguant que l’envoyer dans un avion
sont condamnés quasi automatiquement.» serait un acte de torture. Mais l’extradition est décidée une fois que des caméras de
surveillance montrent l’homme parfaitement capable de se déplacer seul – il feignait
Trous de mémoire. Ainsi, s’il n’y a plus de visiblement de gésir sur une civière. En 2009, son procès s’ouvre à Munich. Condamné à
grands criminels nazis, la justice allemande estime cinq ans de prison en 2011, il fait appel. Remis en liberté dès sa condamnation en raison de son
depuis le procès Demjanjuk que la machinerie nazie état de santé, il meurt en 2012 dans une maison de retraite de Bavière. Son procès aura permis à
n’aurait pas pu fonctionner sans ces «seconds cou- la justice allemande de punir la participation, même passive, aux crimes nazis. Ce sera
teaux». C’est également ce que dit Stefan Willms, confirmé en 2015 lors du procès d’Oskar Gröning, dit «le comptable d’Auschwitz». J.Lu.

C’est à ce moment précis que les re- L’audience reprend. Henri Zajden- même image. «Pourquoi avez-vous à l’accusé. «Il y a comme une dis- massacres. Mais ce chiffre ne cesse
gards se tournent vers l’accusé. wergier poursuit son récit. L’ado- tenu à apporter votre témoignage ?» tance entre lui et moi. Il était quand de baisser au fil des mois : la santé
Bruno Dey semble encore plus lym- lescent apeuré s’est trouvé un pro- lui demande Anne Meier-Göring. même conscient de ce qu’il a fait. et le grand âge des accusés, au mi-
phatique que d’ordinaire, ses yeux tecteur parmi les prisonniers. «Je Le silence est long. L’homme C’est à lui de voir avec sa conscience, nimum nonagénaires, ne permet-
sont clos. Un bruissement mi-in- me réfugiais derrière cet homme pleure. «Je ne viens pas pour me mais le pardon, je n’y crois pas. Et tent parfois plus la tenue d’un pro-
quiet mi-surpris parcourt la salle. parce que je n’étais pas un héros.» venger. Mais j’accuse. Je ne par- puis, je ne le vois pas demander cès. Pendant ce temps, Bruno Dey
On lui presse le bras, il est bien vi- La présidente du tribunal, Anne donne pas.» Pause. «Je veux que le ­pardon… Et il a bien vécu jusqu’à ne varie pas de ligne de défense, et
vant. Bruno Dey s’est endormi. On Meier-Göring, lui répond : «Ce monde sache.» maintenant…» ce sera sans doute ainsi jusqu’au
le réveille, l’audience est suspen- n’était pas une époque pour les A l’ouverture du procès de Bruno verdict, attendu le 23 juillet. La
due. Dans le couloir qui jouxte la ­héros.» En parlant du «personnel» Ligne de défense Dey, en octobre, 23 autres affaires voici, sa seule explication sur ces
salle 300, Beate Klarsfeld (lire ci- du camp, Henri Zajdenwergier dit : Henri Zajdenwergier a perdu sa fa- étaient en cours d’instruction par 5 230 morts dont il est devenu
dessus), venue accompagner Henri «Ils avaient plus de respect pour mille à Auschwitz. Sorti de Stut- la justice allemande. Elles concer- comptable : «J’ai vu beaucoup de
Zajdenwergier, est agacée. «Il joue les bêtes que pour nous.» Le Litua- thof, il pesait 30 kilos. Il y a perdu nent des gardiens de camps ou des cadavres. Mais je ne sais pas com-
la comédie.» nien Abraham Koryski utilise la la foi. Aujourd’hui, il n’a rien à dire officiers SS ayant participé à des ment ces gens sont morts.» •
6 u
monde www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Jeudi 25 Juin 2020

HONGKONG
Les exilés chinois
rattrapés
par le Parti
Alors que Pékin s’apprête à promulguer
une nouvelle loi ­de sécurité nationale,
ceux qui ont fui la Chine communiste
craignent pour leurs libertés.

Par depuis des années», résume Josy, pel semi-autonome. Aujourd’hui, caux. «Ils distribuent des repas gra- La donne change à partir de 2008,
Anne-Sophie Labadie qui traîne sa fille Saya à toutes les plus d’un million de Hongkongais tuits aux petites gens et des cadeaux quand Pékin étale son succès lors
Correspondante à Hongkong manifestations et observe le PCC (sur 7,5 millions) sont nés en Chine aux personnes âgées pour les décon- des Jeux olympiques. La même an-
«mijoter à petit feu les Hongkongais continentale. Pékin parle d’«inté­- necter de la société», accuse Yiu, sa- née, Hongkong est frappé par la

C
hez les Wong, la haine du comme une grenouille dans une gration», beaucoup de citoyens larié du textile de 49 ans. Il prend crise financière, puis cinq ans plus
Parti communiste chinois marmite». d’«infiltration rampante». l’exemple sa mère, prompte à dé- tard par l’épidémie de Sras, deux
(PCC) se transmet depuis Le pire se concrétise aujourd’hui : C’est le cas de Josy mais aussi de Yiu fendre le gouvernement pro-Pékin épisodes charnières qui plombent
trois générations. C’est elle qui a Pékin s’apprête à promulguer une et de Jay, deux copains rencontrés alors que sa propre mère avait été son économie et accentue son blues
poussé Li, un marin, à s’exiler loi de sécurité nationale qui pri- lors d’une manifestation. «Depuis expropriée en Chine par les com- postindustriel. «Les années d’après,
dans le «port aux parfums» en 1949, mera sur celles de l’ancienne colo- trente ans, les autorités désignent la munistes, dans les années 1960, et les prix de l’immobilier ont flambé,
quand Mao Zedong a pris le pouvoir. nie qui entreraient rétrocession par un mot victime de sévices physiques. le coût de la vie aussi, mais les salai-
C’est elle qui a nourri sa fille Josy, en contradiction cantonais qui signifie res n’ont jamais suivi. Les gens ont
RUSSIE
­deve­nue une fervente défenseure avec elle. De quoi “retour à la mère pa- Blues postindustriel­­ commencé à réaliser que le gouver-
des ­libertés de la région semi-auto- faire éclater le trie” et non trans- ­ en­dant des années, beaucoup de
P nement les utilisait pour blanchir
nome. Le 4 juin, cette femme principe «un pays, KAZ. MONGOLIE fert de souverai- Hongkongais se sont accommodés l’argent du PCC», souligne Jay. «Où
de 62 ans se tient droit dans ses bas- deux systèmes». neté, souligne Jay, du changement de souveraineté était l’intérêt des Hongkongais dans
kets lors des commémorations de «Le PCC a pris le CHINE Pékin agent immobilier parce que, souligne Jay, «il y avait les grands projets d’infrastructures
Tiananmen pourtant interdites offi- contrôle de façon de 37 ans. C’est de la prospérité, un bon système de et toutes ces résidences de luxe ? s’in-
ciellement à cause du Covid-19. sournoise, petit à Hongkong pour mieux nous santé, et pas d’incidents majeurs», terroge Yiu. Tout ça sert le seul inté-
cifi n
e
qu
Pa céa

Trente et un ans plus tôt, quand­ petit : un de mes voi- INDE enfoncer dans le si ce n’est l’anicroche de 2003. ­Le rêt des entreprises chinoises choisies
O

Josy a regardé à la télé les chars sins est venu de Chine crâne que nous ne for- gouvernement local avait voulu pour ces marchés. Les autorités ont
avancer sur les étudiants chinois, continentale, puis ça a 500 km mons qu’un avec la mettre en œuvre l’article 23 de la trahi les Hongkongais.»
elle a su que «Hongkong ne s’en sor- été mon coiffeur, puis des en- Chine.» Cette idée est distil- mini-Constitution locale, relatif à la Dans ce contexte d’accroissement
tirait pas» et ne conserverait pas fants à l’école de ma fille, etc.», ra- lée au quotidien grâce à la toile tis- sécurité nationale, et un demi-mil- des inégalités et des frustrations,
jusqu’en 2047, comme promis par conte Josy, assistante sociale. De- sée dans la région administrative lion d’habitants étaient descendus l’arrivée au pouvoir de l’intransi-
Pékin, le système juridique et le puis la rétrocession en 1997, plus spéciale (RAS) par les relais du PCC, dans la rue en opposition. La Chine geant président Xi Jinping ouvre
mode de vie hérités de l’époque de 150 Chinois continentaux peu- qui vont de l’élite économique à des a laissé faire, sa priorité étant alors une ère de reprise en main poli­-
­coloniale. «Je me prépare au pire vent s’installer par jour dans l’archi- associations ou des syndicats lo- l’essor économique. tique. Le gouvernement hongkon-
Libération Jeudi 25 Juin 2020 u 7

Lors d’une
manifestation à
Hongkong,
le 27 mai. Photo
Lam yik fei.NYT-
redux-rea

«C’était la première fois que la colère cœur de les voir brutaliser nos en-
populaire atteignait une telle am- fants.» Les yeux s’embuent un peu
pleur», rappelle Saya, qui a compris plus à l’évocation de la loi de
en 2014 «que le gouvernement de ­sécurité nationale, botte imparable
Hongkong avait perdu sa position et de Pékin en pleine pandémie.
ne rendrait jamais de comptes : Pé- Admettant au bout d’un an que le
kin contrôlait déjà». Ce fut pour problème hongkongais est­ «poli­-
cette étudiante en stylisme l’«abat- tique» et non pas seulement social
tement et le désespoir» face à un ave- et économique, les autorités centra-
nir bouché, sans perspective de les sont en train de rédiger un texte
changement politique ni, donc, contre la subversion, le séparatisme
d’amélioration sociale. et les ingérences étrangères, censé
Depuis, les intrusions de Pékin vont «restaurer la stabilité» dans le cen-
crescendo. En 2016, le gouverne- tre financier. Une partie de la popu­-
ment central parvient à faire dis- lation redoute qu’il n’étouffe toute
qualifier deux jeunes députés contestation politique et n’anéan-
­ouvertement indépendantistes. tisse l’indépendance judiciaire, du
En 2018, l’inauguration de la gare fait que le pouvoir politique nom-
ferroviaire de Kowloon Ouest lui mera des juges et qu’un «organe de
permet d’accaparer un bout du ter- sécurité» représentant Pékin sera
ritoire de la RAS et d’imposer de fa- installé sur le sol hongkongais. «Le
çon permanente des fonctionnaires coup est extrêmement violent»,
du continent habilités à appliquer ­admet Josy, qui d’ores et déjà se fait
les lois chinoises. «moins vindicative en public afin de
protéger [sa] fille». ­L a loi sera
Identité ­promulguée sans consultation du
Inconsciemment, cela pèse sur les Parlement local, avant les législa­-
mentalités. «Je suis méfiante avec tives de septembre.
les gens qui se disent “neutres” par Comment, dès lors, résister ? «On se
rapport à la situation politique», dispute beaucoup à la maison sur ce
commente Josy, persuadée qu’«un sujet», commente Josy, lançant un
jour ils [la] trahiront». «Ce ne sont regard taquin à sa fille. Saya se défi-
pas tous des espions du PCC, mais ils nit comme hongkongaise et favora-
ont souvent de la famille ou des af- ble à l’indépendance, Josy comme
faires en Chine et ils sont donc facile- chinoise mais «opposée à la tyran­­-
ment manipulables», ajoute-t-elle. nie du PCC». «Les Britanniques,
Ailleurs, des entreprises refusent de ­pendant leur règne, me renvoyaient
subventionner tel ou tel projet car toujours que j’étais chinoise et que je
une figure d’opposition démocrate ne pourrais pas gravir l’échelle
y est mêlée. ­sociale. Je me suis donc réfugiée
Au printemps 2019, le projet de loi dans cette identité chinoise par be-
autorisant des extraditions vers la soin de sécurité et de dignité. Mais la
Chine a été «la boîte de Pandore». jeune génération, elle, est née avec la
«Le vrai visage de Pékin est apparu ­stabilité et Hongkong est leur seule
au monde entier», résume Jay. identité», explique Josy, qui n’éli-
A l’image de la grenouille qui, mine pas la possibilité d’émigrer, la
s’apercevant soudain que l’eau mort dans l’âme, sur la terre des an-
bout, sauterait hors du chaudron, ciens colonisateurs. Saya, qui a
gais tente en 2012 d’introduire un «Jamais je sions et l’entrée en résistance de la les Hongkongais ont manifesté par ­étudié six­mois au Royaume-Uni,
cours d’éducation morale et natio- jeune génération. «On espérait en- centaines de milliers contre la s’y refuse. Elle «veut rester pour pro-
nale s’inspirant d’un manuel qui n’aurais cru que core qu’avec de vraies élections, mainmise de Pékin. Ils étaient en- téger sa ville» et ne la quittera que
fait le panégyrique du PCC. «La plu-
part des gens ordinaires non politi-
de jeunes policiers nous pourrions renverser l’élite ac-
quise à la dictature du PCC», se
core un million, le 1er janvier, à
­revendiquer des réformes dé­-
«si on ne peut vraiment plus rien
dire ni écrire librement».
sés ont réalisé à ce moment-là com- éduqués et élevés souvient Saya, 23 ans. La loi fonda- mocratiques et «la libération de Entre ces deux générations, ­les
bien la politique affectait leur vie mentale prévoyait que les députés Hongkong». 35-50 ans, plus habitués à l’étranger
quotidienne», se rappelle Jay. à Hongkong soient tous élus au suffrage univer- Pour Josy, le choc est venu de la po- où leurs parents avaient souvent
se retourneraient sel direct en 2020 et le chef de lice. Plutôt débonnaire jusque-là, émigré avant la ré­trocession,
Colère populaire l’exécutif en 2017. Mais Pékin a elle s’est métamorphosée, selon ­hésitent. «On essaie de ne pas ­céder
Jay manifestera, comme des mil- contre la voulu garder la main sur la dési- elle. «Jamais je n’aurais cru que de à la peur tant que nous n’avons pas
liers d’autres, contre la réforme, fi-
nalement abandonnée. L’an-
population.» gnation des candidats, ce qui a dé-
clenché des manifestations mons-
jeunes policiers éduqués et élevés à
Hongkong se retourneraient ­contre
le texte définitif de loi, glisse Yiu.
Mais les Hongkongais sont réactifs
née 2014 a marqué un autre Josy exilée chinoise tres pendant soixante-dix-neuf la population, dit-elle les yeux rou- et inventifs. Nous trouverons une
tournant, celui de la fin des illu- à Hongkong jours, en vain. gis par les larmes. Ça m’a déchiré le voie contre l’oppression.» •
8 u
france www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Jeudi 25 Juin 2020

NICOLAS HULOT
Recueilli par
Laure Equy
et Coralie Schaub
Photo Fabrice Picard. Vu

P
résident de la fondation qui
porte son nom, Nicolas Hulot

«Je ne veux pas faire


salue les travaux «robustes»
de la Convention citoyenne pour le
climat et fustige les adversaires
des propositions qui ont été remises
à l’exécutif le week-end dernier : «Ils
sont souvent dans le déni et ne pro-
posent rien.» Avant la réponse du
Président, lundi, aux 150 tirés

peur, mais moi, j’ai


au sort, il demande à Emmanuel
­Macron de s’en saisir pour engager
une «mutation profonde» de l’éco-
nomie. Endossant à nouveau
son costume de lanceur d’alerte
­inquiet, l’ex-ministre de la Transi-
tion écologique et solidaire,

la trouille au ventre»
qui a démissionné en août 2018,
plaide pour tirer les enseignements
de la crise sanitaire due au ­Covid-19,
­laquelle «devrait nous ­conforter
dans une attitude d’hu­milité et
d’audace». Et souhaite «un triom-
phe de l’écologie» dimanche, au
­second tour des mu­nicipales.
Les conclusions de la Conven-
tion citoyenne essuient de nom-
breuses critiques. Revient le re-
frain de l’«écologie punitive», Alors qu’Emmanuel Macron s’apprête à répondre,
notamment pour dénoncer la
­limitation à 110 km/h sur auto- lundi, aux propositions de la Convention citoyenne
route… Cela vous étonne ?
Non. Dès qu’on entre dans le dur de
pour le climat, l’ex-ministre l’appelle à transformer
la mutation, des résistances s’expri-
ment. C’est hélas attendu. Les
en profondeur l’économie et taxe les alliances LREM-LR
membres de la convention se sont face aux écolos de «faute politique».
confrontés à la complexité des
questions écologiques. Arrivés sans
a priori ni dogmatisme, ils ont
­accompli un travail robuste et cohé- trouille au ventre. Nous, les ci- La convention propose un réfé- annoncer la fin du glyphosate, très
rent qui doit nous inspirer. Tout res- toyens, devons accepter de changer. rendum pour pénaliser le crime bien. Encore faut-il l’inscrire dans
ponsable politique qui se plierait Camus disait : «Un homme, ça s’em- d’écocide et modifier la Consti- une loi et s’en donner les moyens :
à cet exercice parviendrait à la pêche…» Ce virus, qui a mis la pla- tution. Nombre de juristes dou- identifier les impasses, évaluer les
même évidence. Ceux qui cri­- nète à genoux et n’est qu’un avatar tent de l’impact concret de ces alternatives, les accompagner. En-
tiquent ces conclusions sont sou- d’une crise bien plus profonde, de- mesures… tre l’objectif déclaré et la situation
vent dans le déni et ne proposent vrait nous conforter dans une atti- Je ne peux que soutenir la recon- actuelle, que s’est-il passé ? Pas
rien. Maintenant, je ne voudrais pas tude à la fois d’humilité et d’audace. naissance de l’écocide et son intro- grand-chose. C’est un travers inhé-
que cette mesure clivante des La crise sanitaire a-t-elle éveillé duction dans le droit. Même si je ne rent à nos démocraties : nous som-
110 km/h fragilise et conditionne les consciences ? suis pas en mesure d’arbitrer les mes au niveau dans les intentions
tout le reste. Aux politiques de A ce stade, je ne suis sûr de rien. Des subtilités juridiques, je laisse les mais indigents dans les modalités.
prendre leurs responsabilités. politiques de formations très diffé- spécialistes en débattre. Sur la La convention, créée pour ré-
Emmanuel Macron doit répon- rentes ou des acteurs économiques Constitution, la formulation propo- pondre à la colère des gilets jau-
dre aux 150 citoyens, lundi. m’ont contacté pour me confier, sée (1) est importante. L’Etat doit nes sur la taxe carbone, a évité ce
Qu’en attendez-vous ? parfois avec émotion, qu’ils ve- être le garant de nos objectifs. Ces sujet, que vous avez défendu
Il doit considérer ce travail comme naient de réaliser combien nous derniers doivent être crantés et irré- dès 2007. Le regrettez-vous ?
une extraordinaire opportunité. Ces sommes vulnérables, combien no- versibles, ne serait-ce que pour Non, car le travail de la convention
citoyens lui confient une sorte de tre système est fou. Mais je vois nous prémunir des aléas électoraux. est un tout mais ça n’est pas «le»
mandat. Certaines mesures doivent aussi que d’autres voudraient repar- Réviser la Constitution créerait une tout. Maintenant, à l’Etat de pren-
être reprises dans le troisième projet tir comme avant. Et je suis frappé contrainte forte : les politiques dre sa part de responsabilités. Don-
de loi de finances rectificative [en par l’indigence des réactions des ­incohérentes avec la protection de ner un prix au carbone reste un ins-
débat en commission à l’Assemblée Etats européens face à la déforesta- l’environnement pourraient être trument incontournable, il faut
nationale cette semaine, ndlr], les tion qui redouble d’intensité en contrées. poursuivre une trajectoire carbone
autres dans les prochaines lois. Amazonie. On ne comprend tou- Ne vaudrait-il pas mieux appli- en l’assortissant de ce que j’appelle
Faisons preuve de maturité collec- jours pas que détruire les forêts quer la réglementation existante un «coussin social» pour les ména-
tive : la crise sociale et écologique ne équatoriales, c’est ruiner nos chan- et y mettre les moyens finan- ges en difficulté. Mais au-delà, il
sera pas résolue sans une mutation ces de gagner la bataille climatique ciers et humains ? faut une réforme profonde de la fis-
profonde. Nous devons construire et de réduire l’émergence de nou- L’un n’empêche pas l’autre. Dans de calité, avec certains principes : re-
un nouveau paradigme, renoncer velles épidémies. L’Europe devrait nombreux domaines, il s’agit déjà mettre les revenus du capital à juste
à certaines habitudes, les modérer sanctionner commercialement le de faire respecter notre arsenal juri- contribution et lutter contre l’éva- Nicolas Hulot à Saint-Lunaire
et en développer d’autres. Il y aura Brésil et mettre un terme aux négo- dique. On a souvent tendance en sion fiscale, assortir la fiscalité éco-
quelques contraintes, mais elles ciations entre l’UE et le Mercosur France à se débarrasser d’un pro- logique d’incitations d’abord et,
sont sans commune mesure avec les [communauté économique qui re- blème en créant une loi ou en fixant progressivement, d’une fiscalité sur un plan économique : c’est un
privations de liberté et les souffran- groupe plusieurs pays d’Amérique des objectifs sans en assurer la mise dissuasive, pour structurer sans puits sans fond. Regardez les dé­-
ces qui nous attendent si on laisse du Sud]. Ce serait un ­signal fort. en œuvre et le suivi. Des lois sont brutalité les modes de consomma- boires de la construction de l’EPR
le climat se dérégler et le vivant dis- Par ailleurs, pour faire jaillir ce nou- toujours en attente de leurs décrets tion et de production. de Flamanville… Utiliser certains
paraître. Regardez les mégafeux qui veau modèle, il faut un minimum d’application. Cela crée une illusion La convention n’a pas non plus réacteurs existants pour sécuriser
ont ravagé l’Amazonie et l’Australie, d’unité, or j’observe que la déliques- un temps, puis une désillusion abordé le nucléaire… la transition énergétique, pourquoi
les 38 degrés en Sibérie… Le monde cence de notre démocratie s’est en- quand on s’aperçoit que les choses Cela n’empêchera pas le débat de pas, mais les énergies renouve­-
se délite, quelque chose s’emballe et core accentuée, notamment la dé- n’ont pas changé, voire qu’elles ont reprendre, et j’ose espérer que la lables, si l’on investit fortement
nous échappe. Je ne veux pas faire fiance croissante envers les empiré. Au lieu de baisser, le re- ­démonstration a été faite que cette dans leur développement, ouvrent
peur, mais moi, j’observe cela la institutions. cours aux pesticides a explosé ! Et énergie n’a plus d’avenir. Y compris un nouvel horizon.
Libération Jeudi 25 Juin 2020 u 9

Que devrait contenir ce plan ?


Faire un plan de relance à l’iden­- Carnet
tique serait dramatique. Je préfére-
rais l’appeler plan de résilience,
de transformation ou de mutation.
Ce que le gouvernement a entrepris
pour éviter les pertes d’emplois,
­aider les commerçants ou les auto-
SOUVENIRS
entrepreneurs, était nécessaire.
Mais ce qui importe désormais,
c’est l’argent qu’on va injecter sur le
long terme. Puisque, en ce mo-
ment, on n’hésite pas à faire tour-
ner la planche à billets, investis-
sons chaque euro pour relancer
l’économie mais en pariant sur la
transition écolo­gique et solidaire.
On a l’occasion de faire les choses
en grand. Il faut planifier, dans le Jean-Pierre
bon sens du terme, en identifiant CROCHET
les secteurs à développer ou à 25 JUIN 2015
transformer. Je pense notamment
à l’agriculture, que le ministère de
l’Ecologie, si l’on veut être cohé-
rent, devrait à l’avenir chapeauter.
Le marché du bio a une croissance
à deux chiffres, avec des produits
qui viennent souvent de loin car la
production française ne suffit pas
à satisfaire la demande. L’agricul-
ture bio n’a pas été subventionnée
comme celle dite conventionnelle.
L’argent est mal distribué, mais ce
n’est pas une fatalité. Idem pour les
énergies renouvelables : si elles
avaient été subventionnées autant
que le nucléaire, elles auraient été
compétitives plus vite.
D’autres secteurs, les plus carbonés,
doivent réduire la voilure et être ac-
compagnés dans leur transforma-
tion. L’aéronautique, évidemment,
et le transport de marchandises : le
temps des produits qui arrivent du
bout du monde en vingt-qua-
tre heures est révolu.
Dans certaines villes, comme
Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Vous organisez
LREM s’est alliée à la droite face
un colloque,
à des listes écologistes. Le déplo-
rez-vous ? un séminaire,
De mon point de vue, c’est une faute une conférence...
politique. La classe politique joue
Contactez-nous
un jeu très dangereux en caricatu-
rant l’écologie et en fustigeant les
écologistes. Pourtant, la situation Réservations
exige l’intelligence de tous. Je ne et insertions
comprends pas que la droite répu-
blicaine soit encore engluée dans la veille de 9h à 11h
ses préjugés. Et les querelles de par- pour une parution
tis m’affligent.
le lendemain
Je souhaite un triomphe de l’écolo-
gie qui porte une approche intégrale Tarifs : 16,30 e TTC la ligne
et remette en cause un modèle néo-
Forfait 10 lignes :
libéral avec deux objectifs : la réduc-
153 e TTC pour une parution
tion des inégalités et la protection
15,30 e TTC la ligne suppl.
de la vie sur Terre. Certains, sans
abonnée et associations : - 10 %
être chez EE-LV, ont fait leur con-
version. Il ne faut pas les «cornéri-
ser». Je serais très heureux que des Tél. 01 87 39 80 00
écologistes, quels qu’ils soient, arri-
vent au pouvoir dans des grandes
villes, comme à Marseille ou à Lyon. Vous pouvez nous faire
(Ille-et-Vilaine), mardi. Comme cela a été le cas pour Eric parvenir vos textes
Piolle à Grenoble. Il faut rendre
par e-mail :
carnet-libe@teamedia.fr
hommage à l’écologie et à ceux qui
Le deuxième réacteur de la cen- qu’on me prétendait le contraire. Je mandé de ne pas faire l’erreur de l’ont portée depuis longtemps, poli-
trale de Fessenheim doit être dé- ne fais pas de procès d’intention, préparer le plan de «relance» dans tiques ou associatifs. Ils ont été des
finitivement arrêté le 30 juin. mais je crains toujours le pire. l’antichambre de Bercy. Avec le lanceurs d’alerte. L’histoire leur
Est-ce un tournant ? Emmanuel Macron consulte «Pacte du pouvoir de vivre» [qui ré- donne cruellement raison. •
Je n’en sais rien : il y a ce qu’on dit en pour préparer son discours de unit 55 organisations, dont la fon-
façade et ce qui se prépare dans les «l’après», censé donner un cap dation Nicolas Hulot, la CFDT ou la (1) Il est question d’ajouter à l’article
bureaux d’EDF. Quand j’étais minis- à la fin du quinquennat. Avez- fondation Abbé-Pierre], nous de- ­premier : «La République garantit la pré- 01 87 39 84 00
tre, je découvrais que, dans mon vous échangé avec lui ? mandons une conférence de trans- servation de la biodiversité, de l’environ- carnet-libe@teamedia.fr
dos, on était en train de préparer la On s’est parlé vingt minutes pen- formation avec les parties prenan- nement et la lutte contre le dérèglement La reproduction de nos petites
annonces est interdite
planification de nouveaux EPR alors dant le confinement. Je lui ai de- tes, citoyens, ONG, syndicats. clima­tique.»
10 u
france www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Jeudi 25 Juin 2020

Au procès
du Mediator,
le parquet
ferme envers
la firme
Au terme de deux jours d’un
réquisitoire implacable, le ministère
public a réclamé 8 millions d’euros
d’amende contre le groupe Servier
et trois ans de prison ferme contre son
ex-numéro 2, Jean-Philippe Seta.
Quelques parties civiles autour de leur avocat, au premier jour du procès du Mediator,

Par plexe : «Il y a eu une instruction tronquée qui nelle», «le plus important scandale sanitaire» usage «de mani­pulations», «de dissimula-
éric Favereau a imposé une version où Servier aurait sciem- que nous avons pu connaître, «l’histoire de ce tions», et «de manœuvres», «et cela tout au long
ment trompé les autorités. Nous n’avons pas médicament s’étalant ainsi sur trente-trois de l’histoire de ce médicament». La procureure

C’
était long, terriblement long, comme ­réussi encore à faire bouger les lignes.» Pour ans». Pour le ministère public, il n’y a aucun insiste, s’appuie sur une série de faits, de réu-
une douleur sans fin: en tout, près de autant, en raison des textes en vigueur et de doute : dès les années 60-70, avant même sa nions et de courriers. «Servier le fait de ma-
quinze heures de réquisitoire dans le la jurisprudence, les peines requises peuvent commercialisation en 1976, Servier savait que nière réfléchie et calculée. C’est une mystifi­-
procès du Mediator, étalé sur deux jours, paraître dérisoires au regard de «ce crime in- le Mediator entrait dans la famille des ano- cation qui est en marche.» En creux, cette
mardi et mercredi. Deux procureures se sont dustriel», comme l’avait qualifié avant le pro- rexigènes. «A qui appartenait-il, si ce n’est à évidence : «La sécurité des patients ne se situe
relayées. Durant les six mois d’audience, elles cès la Dr Irène Frachon, à l’origine de l’affaire. Servier, de faire le lien entre le Mediator et ses pas au cœur des préoccupations du labora-
ont fait preuve d’une impressionnante con- qualités anorexigènes ? a lâché la procureure. toire. Toute cette histoire montre même le rap-
naissance du dossier. Intervenant souvent et «mystification» Personne ne connaît mieux un médicament port compliqué de Servier avec la réalité.»
sèchement, n’hésitant pas à affronter dure- Le parquet de Paris a ainsi requis autour que celui qui le produit, encore plus quand il
ment les conseils du laboratoire Servier. de 8 millions d’euros d’amende contre le l’a fabriqué et inventé.» «Sinistre pari»
Durant ces deux jours, ­elles ont prononcé un groupe Servier et ses filiales, et trois ans de Mais voilà, Servier, pressentant les dangers de Autorisé en 1976, le Mediator ne sera donc
­réquisitoire implacable, sans la moindre cir- prison ferme contre Jean-Philippe Seta, son cette classe de médicament, a cherché à le po- ­retiré du marché qu’en novembre 2009, alors
constance atténuante, validant totalement ex-numéro 2. A l’encontre de l’Agence de sécu- sitionner différemment, en mettant en avant que de premières alertes sur sa dangerosité
l’acte d’accusation, à savoir que Servier a vo- rité du médicament, poursuivie pour avoir son effet métabolique pour le vendre comme ont été émises dès 1995 et que de premiers cas
lontairement trompé les autorités sanitaires tardé à suspendre la commercialisation du un «antidiabétique». Avec minutie, reprenant de graves maladies cardiaques ont été signa-
en cachant que le Mediator était un anorexi- Mediator, l’accusation a demandé une étude sur étude, la procureure a décortiqué les lés en France en 1999. «La firme pharmaceu­-
gène et de ce fait dangereux. Et que pendant amende de 200000 euros, ce qui peut sembler faits et gestes du laboratoire, avec une ques- tique a fait délibérément le choix, cynique, de
près de trente ans, le laboratoire a camouflé faible au regard de sa responsabilité. tion lancinante : «Comment un produit à l’effet ne pas prendre en compte les risques qu’elle ne
cette tromperie en développant des stratégies C’est d’une voix sobre que la procureure Aude aussi modeste, mais dangereux, a-t-il pu rester pouvait ignorer. Elle a fait le sinistre pari que
très élaborées de corruption pour en tirer le Le Guilcher a commencé son réquisitoire. commercialisé pendant trente-trois ans ?» Puis ces risques seraient minimes en termes de pa-
maximum de profit. Un des avocats de Servier, D’abord en rappelant combien cette affaire ce constat accablant : pour réussir à le posi- tients atteints», a vilipendé Aude Le Guilcher.
François de Castro, se montre, à la fin, per- est «hors normes», «d’une gravité exception- tionner comme antidiabétique, Servier a fait Dans ce contexte, personne ne va s’opposer
Libération Jeudi 25 Juin 2020 u 11

«Ce drame est


une histoire
de femmes»
Les parties civiles, elle s’en est prise à la stratégie des
dont les plaidoiries laboratoires : «Il n’y a pas d’erreur,
juste du profit. Le Mediator est resté
se sont achevées lundi, sur le marché pendant plus de
réclament de trente ans alors qu’il était toxique et
lourdes sanctions qu’il n’avait aucun bénéfice médi-
financières et la cal.» Sa consœur Sylvie Topaloff,
fermeture en France autre avocate des parties civiles, ar-
des laboratoires Servier. gumente : «Le groupe a fait front
pour tenir une seule ligne officielle :

«I
l faut que ça cogne !» Plu- le Mediator n’est pas un anorexi-
sieurs avocats de parties ci- gène, donc il n’est pas dangereux.»
viles au procès du Mediator Puis elle souligne : «Le détourne-
ont lâché cette expression dans les ment d’usage du Mediator était
couloirs du tribunal correctionnel pourtant un secret de polichinelle.
de Paris. Ils réclament de lourdes Les femmes ne sont pas idiotes : si
sanctions financières contre les la- ­elles demandaient cette prescrip-
boratoires Servier et que soit carré- tion, c’est qu’elles cherchaient l’effet
ment ordonnée leur interdiction produit, perdre quelques kilos.»
d’exercer en France. Ceci «afin de
mettre fin à un sentiment d’impu- «Combat». Charles Joseph-Oudin
nité». Pendant plus de deux semai- prend ensuite la parole. Il repré-
nes, près d’une trentaine d’avocats sente plusieurs centaines de vic­-
ont plaidé dans ce procès-fleuve en- times et suit le dossier depuis le
tamé le 23 septembre 2019, avec près ­début, avec ses interminables re-
de 6 500 parties civiles et 5 millions bondissements. Contemplant la
de victimes potentielles qui ont tou- salle où les juges sont des femmes,
tes pris ce médicament coupe-faim, où les deux représentantes du par-
présenté comme anodin. «Les victi- quet le sont aussi, tout comme la
mes n’attendent ni pitié ni compas- grande majorité des avocats des par-
sion du tribunal, mais elles atten- ties civiles, mais aussi 90 % des vic-
dent qu’il ouvre une nouvelle ère», a times, il débute ainsi sa plaidoirie :
lancé Me Martine Verdier. «Ce drame est une histoire de fem-
mes. Des victimes qui n’ont pas pu
«Profit». Avec trois autres avocats toutes venir. C’était trop loin, ­elles
de la partie civile, elle a revendiqué étaient trop fatiguées, trop désabu-
«une action vindicative». Et elle a sées. Des victimes qui sont décédées
tiré sans retenue sur le groupe phar- en cours de procédure. Le temps n’a
maceutique. «Les victimes sont ve- pas la même valeur pour tous. Pour
nues. Elles ont été très dignes. Nous, elles, chaque jour qui passe est un
on a envie de hurler. Quand cesserez- combat et une journée volée à un des-
vous de mentir ?» a poursuivi Mar- tin funeste. Les victimes sont là, elles
tine Verdier en regardant la dizaine ne sont peut-être pas toujours pré-
d’avocats en face d’elle, ceux qui re- sentes, mais elles se battent. Ces vic-
le 23 septembre, au palais de justice de Paris. Photo Marc Chaumeil présentent le groupe Servier. Puis times sont des Antigone modernes,
qui se sont battues pour y arriver. Ce
procès dont la seule tenue est déjà
une victoire.» Puis il avertit : «Il est
à Servier. La procureure s’est montrée très sé-
vère à l’encontre de l’Agence du médicament :
Dans le volet pour Servier. Après ? Tout remonte au patron,
Jacques Servier, qui les gère souvent en direct,
acquis que le tribunal sanctionnera
le passé, mais il faut terminer avec ce
«Elle a été incapable de reprendre la main, in- de la tromperie, si la avant de passer ses listings à son numéro 2, sentiment d’impunité», appelant les
capable de faire une analyse pharmacologique Jean-Philippe Seta. Bien souvent, ces contacts juges «à rendre une décision symbo-
critique et indépendante, incapable d’avoir responsabilité de Servier se sont défendus devant le tribunal en affir- lique et dissuasive. […] Le tribunal
une vision globale de ce médicament. L’Agence est énorme, l’escroquerie mant qu’ils ne donnaient que des avis scienti- devrait ordonner la fermeture en
n’a pas fait son travail.» Au passage, la procu- fiques. «La frontière est souvent ténue. Car on France des laboratoires Servier, on
reure note qu’il y a des questions auxquelles n’a pu perdurer qu’en leur demande d’abord de faire en sorte que les nous rétorque que cela mettrait en
le ministère public n’a pas de réponse, «en
particulier celles sur la responsabilité des poli-
raison «de la lâcheté dossiers répondent à la réglementation», ra-
conte la procureure qui donne, en préambule,
cause des emplois. Non, car leur acti-
vité en France ne représente que 5 %
tiques, et des ministres». Reste qu’à ses yeux, et de la négligence» des un point commun entre les prévenus : «Ap- de leur chiffre d’affaires».
dans ce volet de la tromperie, si la responsabi- partenant à une élite scientifique ou industri- Cet appel à la condamnation, voire
lité de Servier est énorme, l’escroquerie n’a pu autorités de contrôle. elle, certains membres n’ont pas compris que à l’interdiction d’exercer de Servier
perdurer qu’en raison «de la lâcheté et de la la loi est la même pour tous, y compris pour les en France, s’accompagne des de-
négligence» des autorités de contrôle. l’évaluation de l’Agence du médicament, le grands professeurs de médecine.» mandes de réparation. «C’est prati-
professeur Jean-Michel Alexandre, au mieux Une organisation au carré qui assurera une quement plus d’un milliard d’euros
Point commun «ne rien faire», au pire «favoriser l’entreprise belle vie au Mediator. Mais qui ne sera pas d’indemnisations qui est demandé»,
Mercredi matin, la procureure Cristina Mauro Servier». Le ministère public décrit en détail sans effet délétère. «Votre jugement, par les a indiqué à la barre Jean-Christophe
a pris le relais. Disséquant, elle, le volet des cette organisation chez Servier en «forme de ­lignes rouges qu’il va tracer, conclut la repré- Coubris, qui représente 2600 parties
conflits d’intérêts et de trafic d’influence, pieuvre», «très centralisée», avec un service dit sentante de l’accusation, doit contribuer à res- civiles, dont 600 «victimes par rico-
dans lequel 11 personnes sont poursuivies. des «hautes relations» qui gère des dizaines taurer la confiance trahie par un laboratoire chet». Des sommes énormes mais
C’est évidemment la partie la plus rocambo- de contacts, les rétribuant au passage grasse- qui a fait passer ses intérêts financiers avant qui représentent bien peu pour cha-
lesque et la plus ahurissante de ce dossier, où ment. Une organisation presque militaire où l’intérêt des patients.» La fin du procès est que victime. A tous égards, le procès
l’on voit des médecins de renom, des fonc- chaque contact recensé a droit à une fiche prévue le 6 juillet et le jugement n’est pas du Mediator restera hors normes.
tionnaires mais aussi l’ancien directeur de avec ses qualités, ses fonctions, et son intérêt ­attendu avant 2021. • é.F.
12 u
municipales Libération Jeudi 25 Juin 2020

Par
Stéphanie Harounyan
lenchon», «sans programme» et qui,
de surcroît, refuse de débattre avec
Au final, ce seront bien
Correspondante à Marseille elle, ne suffiraient pas. les 101 conseillers municipaux issus
La fin de campagne municipale est
de chaque secteur qui désigneront
D
eux salles, deux ambiances. lunaire à Marseille, raccord avec un
Tendance «vent en poupe» premier tour déjà épique (lire ci- le futur maire de Marseille, lors du
chez le Printemps mar- contre) qui s’était soldé par la pole
seillais (union des gauches), dont la position surprise de Michèle Rubi- troisième tour, la semaine prochaine.
tête de liste Michèle Rubirola, favo- rola, créditée en moyenne sur la
rite des derniers sondages, a déam- ville de 23,44 % des voix, volant la
bulé ces derniers jours dans Mar- vedette à Martine Vassal (22,32 %) et testé de Guy Teissier et Lionel sonne, là qu’elle a dû digérer,
seille aux côtés du tout-Paris : Julien distançant le candidat RN Stéphane Royer-Perreaut, ne devrait pas lui le 15 mars, le très bon score de la re-
Bayou des Verts, Olivier Faure Ravier (19,45 %). Trois mois et une échapper. Le 11-12, tenu jusqu’alors présentante du Printemps mar-
du PS, Raphaël Glucksmann de crise sanitaire plus tard, chacun a eu par le binôme LR-RN Valérie Boyer- seillais, Olivia Fortin, qui la talonne.
Place publique… Tendance «branle- le temps de jauger ses chances. Car Julien Ravier, sera le théâtre d’une La ligne de départ en quadrangu-
bas de combat» chez LR, où la tête mathématiquement, rien n’est écrit, quadrangulaire complexe impli- laire – avec aussi un candidat RN et
de liste, Martine Vassal, embourbée l’élection, comme à Paris ou à Lyon, quant notamment le RN, qui multi- Yvon Berland pour LREM – compli-
dans des soupçons de fraudes aux se jouant par secteurs. plie les assauts ces derniers jours, que encore la donne pour la tête de
procurations qui minent son camp, surfant avec allégresse sur les soup- liste LR, qui a concentré ses sorties
a fait appel à toutes les figures du Assauts çons de fraudes aux procurations. de campagne sur ces terres depuis
parti pour un e-meeting de la der- A l’issue du premier tour, la droite Reste le 6-8, où, en 2014 encore, quinze jours.
nière chance mercredi soir. Au cas semblait en situation de l’emporter Jean-Claude Gaudin l’emportait Pour le Printemps aussi, la victoire
où ses tirs à boulets très rouges sur dans trois secteurs sur les huit que dès le premier tour : c’est là que dans le 6-8 est la clé de l’hôtel de
sa rivale de gauche, «pantin de Mé- compte la ville : le 9-10, fief incon- Martine Vassal se présente en per- ville. En passe de l’emporter dans
trois autres secteurs (le 4-5, le 1-7 et
le 2-3), l’union des gauches n’est
plus en lice dans le 13-14, où son

Marseille
candidat, arrivé en troisième posi-
tion, s’est désisté pour barrer la
route au frontiste Stéphane Ravier,
qui affrontera donc en duel le pré-
tendant LR. Ce qui écarte toute
chance pour la gauche de récupérer
quelques sièges sur ce secteur, qui Jean-Claude Gaudin
est celui envoyant le plus d’élus au en soutien de Martine
conseil municipal. Car au-delà du Vassal, le 18 juin. Photo
second tour, au final, ce seront bien Clément Mahoudeau. AFP

L’union des
les 101 conseillers municipaux is-
sus de chaque secteur qui désigne-
ront le futur maire de Marseille,
lors du troisième tour, la semaine
prochaine.
Les candidats du Printemps le sa-
vent, les mathématiques peuvent
être cruelles : même si la dynami-
que et les derniers sondages pla-

gauches fera-t-
çaient Michèle Rubirola en tête en
nombre de voix sur la ville diman-
che, c’est bien le nombre de sec-
teurs remportés qui lui ouvrira, ou
pas, les portes de la mairie
­centrale. Pour éviter un scénario à
l’américaine – Donald Trump a été
élu en 2016 alors qu’il comptabili-
sait moins de voix qu’Hillary

elle la force ?
­Clinton –, la gauche doit jouer non
pas une mais huit élections, et con-
quérir, au-delà des trois secteurs
où elle part en position de force,
des terres promises sur le papier à
la droite.

Tergiversations
Au-delà du symbole, le 6-8 serait
la prise de guerre idéale. Dans
le 11-12, le candidat du Printemps
marseillais veut croire en ses chan-

La campagne du second tour, ces : arrivé troisième avec 16,29 %


au premier tour, il part conforté

dans la prolongation de celle par le report des voix des Verts dé-
sormais alliés, et sur une partie de
du premier, n’aura pas manqué celles du marcheur Pascal Cha-
massian, éliminé au premier tour
de soubresauts épiques. avec 7,48 %. Reste le cas du 15-16, où
après tergiversations, le Printemps
Après avoir créé la surprise, a choisi d’affronter Samia Ghali.
La sénatrice ex-PS demandait
le Printemps marseillais pourtant son retrait pour barrer la
route à la tête de liste du RN dans
a l’avantage en nombre de voix d’après les le secteur, qui n’est qu’à 465 voix
derrière elle. parti peut encore renverser la table.
sondages, mais certains secteurs clés pourraient Le RN n’est pas totalement hors jeu : Au point de faire basculer l’élec-
grand perdant de l’abstention du tion ? Quid, aussi, des chances des
encore faire pencher la balance à droite. premier tour, Stéphane Ravier a candidats de Bruno Gilles, le dissi-
mobilisé ses troupes dans les trois dent LR, qui sont encore en lice sur
secteurs du nord de la ville où son trois secteurs et pourraient jouer le
Libération Jeudi 25 Juin 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 13

Gros soupçons sur


un scrutin scruté
Les suspicions de fraude marseillais semble en effet prêt à me-
ner bataille sur le front judiciaire : So-
qui ont marqué le premier
phie Camard, candidate dans le 1er sec-
tour obligent présidents teur, et son avocat membre du réseau
et assesseurs à déployer Anticor ont décidé de porter devant la
tous les moyens pour justice des faits «d’utilisation à des fins
sécuriser le vote de campagne des moyens des collectivi-
de dimanche. tés». Visés, entre autres, un live Face-
book d’une maire LR de secteur ou des
moyens techniques de la métropole et

B
alance ton (Vieux) Port. A l’ins- du département, les deux institutions
tar du hashtag symbole du mou- que Martine Vassal dirige. Et mardi, un
vement de libération de la pa- candidat des listes de Samia Ghali, éli-
role des femmes, le ras-le-bol des miné à une voix près dans le 2e secteur,
pratiques ancestrales en matière de avait porté plainte contre X pour tenta-
tripatouillage des urnes est en train de tives de fraudes.
prendre une nouvelle dimension à
Marseille. La campagne s’achève dans «Hallucinant». La liste des ennuis
un lourd climat de soupçons de frau- s’allonge donc pour le clan LR qui, au
des pour un second tour qui s’annonce premier tour, avait suscité la mé-
serré et tendu. Deux enquêtes de fiance de ses adversaires, lors de plu-
presse ont mis au jour il y a deux se- sieurs épisodes houleux autour de
maines un système de procurations procurations – déjà – arrivant par lias-
«simplifiées», sans passer par le com- ses entières le jour du scrutin devant
missariat, proposées par deux colistiè- des assesseurs médusés. «Il s’agit de
res de la majorité LR sortante, assez photocopies, sur certaines on a deux
peu conformes au code électoral. De fois le même nom et les jeunes qui
quoi éveiller l’intérêt de la procureure, viennent pour voter ne connaissent
qui a ouvert une enquête préliminaire même pas celui de la personne pour
pour «faux, usage de faux, et qui ils ont procuration. C’est halluci-
manœuvres frauduleuses» et perquisi- nant», avait dénoncé une assesseure
tionné jusqu’au QG de Martine Vassal. et colistière du Printemps. La veille
Après avoir d’abord évoqué «une ca- du scrutin, les services informatiques
bale montée par des journalistes pari- de la ville avaient subi une cyberatta-
siens», la candidate LR a promis d’être que, ce qui avait perturbé la transmis-
«intraitable» sur le respect de la loi et sion de ces documents. Ailleurs, c’est
a assuré qu’elle prendrait toutes les carrément à l’aide d’un pistolet à
mesures «si les faits étaient avérés». billes qu’un commando avait tenté de
s’emparer d’une urne dans l’après-
Alzheimer. De son côté, Yves Mo- midi, terrorisant un bureau de vote
raine, son lieutenant et deuxième sur du 3e arrondissement.
sa liste, reconnaissait la pratique dans Pour ce second tour de tous les dan-
un message envoyé à ses colistiers gers, LR et le Printemps marseillais ont
du 6-8, ­consulté par Libération : «La dispensé cette semaine des formations
police acceptant par facilité et manque express aux présidents de bureaux de
de moyens qu’on lui remette des docu- vote et aux assesseurs. Et la mairie a
ments déjà signés, nous avons fait dans elle aussi décidé d’agir. Au-delà des
notre secteur ce que font les autres sec- mesures de prévention autour du Co-
teurs habituellement.» Martine Vassal vid, un processus clair sera mis en
demandait l’annulation de l’ensemble place pour les procurations de dernière
des procurations, histoire de calmer le minute. De même, la feuille collée dans
jeu, quand une nouvelle enquête de le dossier par-dessus le listing officiel
France 2, la semaine dernière, a mon- pour la communication des résultats
tré que la moitié des pensionnaires définitifs – qui avait étonné nombre
d’un Ehpad du 12e arrondissement d’assesseurs mais était considérée
avaient donné procuration, et donc comme plus pratique, selon la munici-
voté, apparemment sans le savoir. palité – serait supprimée. La police de-
Parmi eux, selon leurs enfants, des vrait être aussi de la partie dimanche,
malades d’Alzheimer. Et parmi les avec une voiture stationnée devant le
mandataires porteurs de ces votes, se- bureau de vote Félix-Pyat, attaqué
lon le cahier d’émargement, des mem- le 15 mars.
bres ou des proches de LR. Dans une Des mesures anti-fraudes le jour J qui
­riposte improvisée, des seconds cou- n’auront pas de conséquences opéran-
teaux de l’équipe Vassal ont tenté de tes pour tout ce qui aurait pu se passer
balancer à la presse des pistes sur les avant le scrutin. L’enquête préliminaire
pratiques d’autres listes. Sans con- sur les procurations ne devrait pas
vaincre. «Je ne lâcherai rien malgré aboutir avant le second tour. Mais
toutes les embûches que je pourrais d’ores et déjà, les pratiques considérées
rencontrer cette semaine», déclarait jusqu’ici comme folkloriques, à défaut
Martine Vassal au micro de Radio JM, d’être officiellement jugées frauduleu-
rôle de vote refuge pour les élec- sondages l’annoncent en hausse. Michèle Rubirola lundi. Prémonition ? ses, apparaissent un peu moins tolé-
teurs de droite échaudés par les af- Le 15 mars, seuls 32,5 % des élec- reçoit Olivier Mercredi, le clan Vassal a dû faire face rées. De là à s’attendre à un scrutin
faires de fraudes, révélées en toute teurs marseillais s’étaient ­déplacés Faure et Julien à une nouvelle embûche : le dépôt ­normal, comme ailleurs en France ?
fin de campagne ? pour voter. L’abstention aurait pro- Bayou le 22 juin. d’une plainte pour «détournements de #Marseille too.
Dernière inconnue venant corser fité à la gauche, croient savoir les P. Gherdoussi. fonds publics». Resté à l’écart de l’af- Stéphanie Aubert
encore le jeu : la participation. Les observateurs. Et dimanche ? • Divergence faire des procurations, le Printemps (à Marseille)
14 u
MUNICIPALES
Libération Jeudi 25 Juin 2020

Dossier spécial:
LIBÉ.FR l’heure du
­second tour. ­
Enquêtes, reportages, analyses,
­portraits... De Cholet à Marseille,
­de Poitiers à Montpellier, de Lille
­à Brenon, tous les enjeux des élections
municipales et la campagne à suivre
en direct.

ques, mise en place, en cas de


victoire, d’une assemblée ci-
toyenne et de pôles thémati-
ques dont l’animation sera
partagée entre élus et ci-
toyens. A Forcalquier, le
mouvement est né de la ren-
contre entre les opposants à
un projet contesté d’agran-
dissement d’un hypermarché
aux portes de la ville, voulu
par Christophe Castaner qui
l’avait inséré dans le plan lo-
cal d’urbanisme d’un côté. Et
de l’autre, deux élus, Domini-
que Rouanet donc, militante
écolo passée par EE-LV, et
Rémi Duthoit, qui ont pris
leurs distances avec l’admi-
nistration municipale en rai-
son de ce projet immo­bilier.
Mais le passage de Christo-
phe Castaner à La République
en marche a également pesé.

«Gens du sérail». Cadeau


empoisonné, ce projet d’hy-
permarché a pollué la cam-
pagne du début à la fin. Une
campagne devenue de plus
en plus délétère lorsque Da-
vid Gehant a repris les an-
tiennes de la droite en évo-
quant la «menace de l’extrême
gauche déguisée en liste ci-
toyenne». Pour sa communi-
Christophe Castaner, alors maire, à Forcalquier en juin 2017. Elu sous les couleurs PS, il venait de passer chez LREM. Photo boris HORVAT . AFP cation du second tour, vu l’at-
trait suscité par ses
adversaires «citoyens», le

Dans son fief, Castaner


candidat a mis l’accent sur le
caractère davantage «forcal-
quiéren» de sa liste : «Ce ne
sont pas des gens du sérail,

laisse ses ex-adjoints en découdre nous avons un attachement et


une connaissance de la ville
qui sont supérieurs.» «C’est
dégueulasse de jouer cette
carte de la division dans une
Par il a rempilé en 2014 grâce, campagne de second tour où à droite, et a enrôlé l’ancien ville qui a toujours été une
HAUTES-ALPES
Alexandre cette fois, à 22 petites voix qui d’anciens adjoints du maire premier adjoint de Castaner ville d’accueil, où le RN est
ITALIE
Billette le séparaient de son opposant Castaner se retrouvent dans – toujours adjoint dans toujours historiquement très
ALPES-
DRÔME
DE-HAUTE- Envoyé spécial à Forcalquier UMP. Aujourd’hui, «Casta», les deux listes en compéti- l’équipe sortante. bas», déplore un ancien élu
PROVENCE
comme on l’appelle par ici, a tion. Une version locale du Le 15 mars, David Gehant est municipal qu’on ne peut
Digne-

I
l y a deux traditions bien disparu. Ne reste plus de lui «en même temps» d’Emma- arrivé premier avec… 6 voix pourtant pas suspecter de
VAU

les-Bains
ALPES-
CLU

MARITIMES ancrées à Forcalquier, qu’un héritage politique plus nuel Macron ? La réalité est d’avance sur sa plus proche sympathie pour la gauche.
Forcalquier
SE

­j olie petite ville de ou moins récupéré et une de- plus compliquée. A droite, le rivale, Dominique Rouanet, Dimanche, la tradition pour-
VAR 5 000 habitants au pied du meure familiale surveillée jeune candidat Les Républi- elle aussi adjointe au maire rait bien être respectée à For-
20 km Luberon : le marché du lundi, par des policiers depuis la cains, David Gehant, 30 ans, (on vous avait prévenu), choi- calquier, avec une nouvelle
l’un des plus gros et des plus ­vague des gilets jaunes. est conseiller régional. Pro- sie par consensus pour pren- élection ric-rac. Le jeu est
LREM n’a investi courus de la région, et les Nommé au ministère de l’In- che de Christian Estrosi, che- dre la tête d’une liste collec- très ouvert, arbitré par une
campagnes électorales alam- térieur en 2018, l’ancien édile mise blanche impeccable, tive et c i t o ye n n e , inconnue de taille, l’absten-
aucun candidat biquées qui se ter- n’a pas voulu (ou sourire enjôleur et fine barbe «Forcalquier en commun». tion : plus de 41 % en mars, un
à Forcalquier, minent à la photo- Histoire n’a pas su, disent de trois jours méticuleuse- Des «plaisantins», persi- record. Mais aussi l’impact
dirigé par finish. Lors­qu’il a du jour les mauvaises lan- ment taillée, il assure n’avoir flaient leurs adversaires, mais sur les urnes… d’un autre an-
le ministre de pris la ville à la gues) former un aucune ambition politique qui ont finalement récolté cien adjoint au maire, Eric
l’Intérieur de 2001 droite en 2001, Christophe successeur. A tel point que nationale, ce qui fait franche- près de 42 % des suffrages ex- Lieutaud, arrivé troisième au
à 2017. Ses anciens Castaner en avait fait l’expé- l’adjoint qui l’a remplacé au ment rigoler entre les étals du primés, après avoir adopté premier tour. Adjoint aux fi-
colistiers rience. Le candidat, qui por- poste de maire lorsqu’il est marché. Dans une ville dont des méthodes de démocratie nances lors du premier man-
tait alors les couleurs du PS, entré au gouvernement ne se le profil sociologique se participative déjà éprouvées dat de Castaner, ce commer-
se déchirent, l’avait emporté de 31 voix sur représente pas cette année. transforme, notamment par ailleurs, comme à Saillans, çant a obtenu 16 % des voix.
figurant soit sur le maire RPR sortant. Confor- l’arrivée de néoruraux, il a dans la Drôme : sélection des Il aurait pu se maintenir,
la liste LR, soit sur tablement réélu en 2008 Chemise blanche. Résul- saupoudré sa liste de quel- candidats et de leur position mais il s’est retiré en annon-
la liste «citoyenne», après un premier mandat tat : pas de liste LREM ou ap- ques personnalités locales dans la liste par consente- çant qu’il voterait pour la
au coude-à-coude. plutôt salué par les habitants, parentée à Forcalquier, et une connues et moins marquées ment lors de réunions publi- liste citoyenne. •
Libération Jeudi 25 Juin 2020 u 15

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PAIEMENT CASH ! (monde), Gilles Dhers
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I. Il va falloir changer de langage ! II. On y form(at)e des hauts
(spéciaux), Matthieu
Ecoiffier (web), Christian fonctionnaires # Soupe basque III. 22, v’là la longue carabine # LU
Losson (enquêtes), à l’apéro IV. Le grand Jacques de la Belle Hélène V. J’aime la galette,
Catherine Mallaval savez-vous comment ? Quand elle est de Suisse, avec patates de-
JEUDI 25 VENDREDI 26 (société), Didier Péron
(culture), Sibylle
dans # Deux de chute VI. Comme un objet unique VII. Mannequin,
Le soleil donne, et les températures montent Des averses à caractère orageux remontent Vincendon (société)
femme d’affaires, veuve de Bowie # Lyon pour Paris VIII. Beaux
lieux # Union de résistants IX. Il est au panthéon # Ces lettres oran-
rapidement. Cette chaleur est parfois du sud-ouest vers les régions du centre et
gent la rose X. Ange hors la rose # Mmh XI. L’une d’elles est écarlate
pénible dans les grandes villes. du nord-est. Les régions du sud-est Abonnements VERTICALEMENT
L’APRÈS-MIDI Soleil de plomb. Le temps conserve un temps sec. abonnements.liberation.fr 1. Passionnées, on peut les aimer à perdre la raison 2. Faite de
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tournera à l'orage en fin d'après-midi le long L’APRÈS-MIDI Un temps instable avec des tarif abonnement 1 an même 3. Il a passé la vie devant soie 4. Ne pas faire l’économie
de l'arc atlantique. Des orages éclateront averses orageuses s'étend du sud-ouest vers France métropolitaine : 384€ d’économiser 5. Leur mise en place est du ressort du chirurgien #
tél. : 01 55 56 71 40 Larry Kramer a attiré l’attention sur ses dangers 6. Un mètre cube
aussi, par évolution diurne, sur les crêtes le nord et le nord-est. Au nord-ouest on de bois # Cette ville touche Villeneuve-sur-Lot # Il a un grain 7. I #
alpines et pyrénéennes. retrouve un temps plus calme. Le soleil reste Navire en livres # Une parmi sept 8. Lâcha les gaz # Ben 9. Charen-
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Expresso www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Jeudi 25 Juin 2020

Chronique ­«Extra-Muros» :
LIBÉ.FR c’est l’histoire d’un facteur
de droite, à Besançon Habitant du
gigantesque quartier populaire de Planoise, Jamal-Eddine
Louhkiar est en neuvième position sur la liste LR locale. Si
Les Républicains gagnaient à Besançon, il deviendrait ad-
joint. Et le maire lui confierait la vie à Planoise, son quartier
d’origine, immense et fiévreux, dans le sud-ouest de la ville.
«Libé» l’a rencontré. Photo Marc Cellier

Anticor : «Il est


temps de couper
le cordon ombilical
entre la garde des
Sceaux et le parquet»
La présidente de financier, est-elle une nou- nale dépend des missions
l’ONG réagit à la velle violation de la sépa- auxquelles M. Kohler a parti-
ration des pouvoirs ? cipé. Mais il n’y avait pas de
publication d’une Si le chef de l’Etat a rédigé ce raison, en l’espèce, que le lo-
note d’Emmanuel courrier, c’est forcément dans cataire de l’Elysée inter-
Macron, attestant le cadre de l’enquête prélimi- vienne : il y avait déjà énor-
de la moralité du naire ouverte contre Alexis mément d’attestations dans
secrétaire général Kohler. Le président de la Ré- le dossier. Cette lettre a été ré-
de l’Elysée, Alexis publique ne doit jamais inter- digée après que le rapport de
Kohler, dans une venir dans une procédure ju- la BRDE, favorable aux pour-
diciaire en cours, du fait de suites, a été rendu. D’évi-
affaire judiciaire son rôle de garant de l’indé- dence, ce courrier a été écrit
ensuite close. pendance de la justice et du pour influencer une enquête
fait du principe constitution- préliminaire dont les conclu-
Par nel de séparation des pou- sions avaient déjà été ren-
Christian Losson voirs. Or, ici, nous sommes dues. L’adresser à M. Kohler,
et Charles clairement dans une inter- et non au PNF, est une pré-
Delouche vention de l’exécutif dans une caution, mais ça ne change
affaire judiciaire en cours. Y pas la nature de l’interven-

A
ctuel secrétaire géné- a-t-il eu d’autres pressions, tion. Elle laisse planer la sus-
ral de l’Elysée, après d’autres interventions plus picion de vouloir clore un
avoir été ­directeur de officieuses ? Une enquête doit dossier contre l’avis du par-
cabinet d’Em- être diligentée quet.
manuel Macron afin de le savoir. Et quand le chef de l’Etat
à Bercy, Alexis La Brigade de ré- saisit le Conseil supérieur
Kohler est mis en pression de la de la magistrature pour
cause pénale- délinquance vérifier que le PNF a bien
ment pour sa économique mené son enquête «avec
double casquette (BRDE) a tra- sérénité» dans l’affaire
Anticor

de grand servi- vaillé pendant Fillon, alors que son ex-


teur de l’Etat et un an sur cette présidente dit avoir fait Alexis Kohler, le 13 octobre 2019 à l’Elysée. Photo Denis Allard
de membre de la affaire et a rendu l’objet de pression pour
famille action- Interview des conclusions hâter l’ouverture d’une en- atteinte à la séparation des ple, les prises de position de qui demandent un report
naire du croisié- du jour à charge alors quête judiciaire ? pouvoirs. membres du gouvernement afin d’avoir un complé-
riste MSC. Après que le dossier Il est dans son rôle : l’arti- Avec quelles conséquen- sur des procédures en cours ment d’information ?
clôture d’une enquête préli- comprenait déjà des attesta- cle 64 de la Constitution dis- ces ? ne sont pas normales. Anti- Eliane Houlette, qui a fait un
minaire, l’ONG Anticor a tions en faveur de M. Kohler. pose que le Président est ga- L’article 16 de la Déclaration cor propose aussi des solu- travail remarquable à la tête
porté plainte pour prise illé- La question est de savoir si la rant de l’indépendance de la des droits de l’homme et du tions : en premier lieu, il est du PNF, a dénoncé une dérive
gale d’intérêt. Mediapart lettre de M. Macron a changé justice. Mais cet article est citoyen de 1789 dispose que temps de couper le cordon du système des remontées
vient de faire grand cas d’une les conclusions du commis- daté, dépassé. Lorsqu’il a été «toute société dans laquelle la ombilical entre la garde des d’information. Les demandes
attestation de moralité signée saire en charge du dossier, adopté en 1958, le contexte garantie des droits n’est pas Sceaux et le parquet. Il n’est sont tellement fréquentes
Emmanuel Macron. Légitime parce qu’elle apportait un était différent, le Président assurée, ni la séparation des pas souhaitable que le par- que cela devient une tutelle
défense ou ­illustration d’une éclairage différent sur la qua- n’était pas élu au suffrage pouvoirs déterminée, n’a point quet soit soumis hiérarchi- sur ses enquêtes. Cela ne re-
atteinte à la séparation des lification pénale ou parce universel. Aujourd’hui, le de constitution». Or, la justice quement à l’exécutif, on le met pas en cause l’instruction
pouvoirs? Elise Van Beneden, qu’elle émane du président Président n’est plus neutre est un pouvoir, c’est même voit en particulier dans les de l’affaire Fillon, menée par
présidente de l’association de la République. dans le jeu électoral. La sépa- un contre-pouvoir. Si la sépa- affaires politico-financières. des juges du «siège», consti-
anticorruption, partie civile Les attestations délivrées ration des pouvoirs doit être ration des pouvoirs n’est pas Aujourd’hui, des juges d’ins- tutionnellement indépen-
dans le dossier, s’en explique ne relèvent-elles pas d’une strictement respectée pour assurée, cela signifie que la truction ont enfin été dési- dants car inamovibles, ni la
pour Libération. légitime défense pénale ? éviter l’arbitraire. C’est l’enjeu France n’est pas une démo- gnés, grâce à Anticor, et ils décision qui sera rendue par
La lettre d’attestation Il est logique dans cette pro- du dossier Kohler : le chef de cratie. Anticor s’inquiète de vont pouvoir reprendre les le tribunal correctionnel. Les
de moralité de Macron à cédure de demander à son l’Etat est venu au secours la banalisation de ces attein- investigations en toute indé- avocats des Fillon défendent
son ex-conseiller Alexis employeur et ses collègues d’un proche collaborateur en tes à la séparation des pou- pendance. leurs clients, mais cela s’ap-
­Kohler, transmise par son des éléments de défense, interagissant dans une procé- voirs, qu’elle observe depuis Vous comprenez la posi- parente à de la démagogie
avocat au Parquet national puisque la qualification pé- dure judiciaire, ce qui porte quelques années. Par exem- tion des avocats de Fillon juridique. •
Libération Jeudi 25 Juin 2020 u 17

Covid-19 :
LIBÉ.FR le Bangladesh frappé
au ­portefeuille
Le pays, qui caracolait à 8,1 % de croissance économi-
que l’an dernier, subit de plein fouet la crise du prêt-à-
porter en Occident. Le Bangladesh comptait sortir
en 2024 des pays les moins développés socio-écono-
miquement, mais les conséquences en cascade de la
pandémie pourraient repousser l’échéance. Photo AFP

Entre les Américains et les «La protection de la santé


des musulmans impose de ne pas
Britanniques, la lutte des tasses autoriser l’accès du Hajj
aux fidèles venus de l’extérieur
Certaines guerres ont com- un mug (une tasse haute), le cène», «Oh dear, oh dear !» pide, elle invoque le Boston d’Arabie Saoudite.»
mencé pour moins que cela. place dans le micro-ondes, «elle a réussi l’exploit de ras- Tea Party, mouvement de ré-
Les Britanniques sont dotés puis ajoute du lait dans l’eau sembler notre pays», «une volte contre les taxes sur le
d’un flegme légendaire mais bouillie. Un sachet de thé abomination», ont déroulé thé imposées par les Britan-
il y a des limites à ne pas dé- dans le mélange eau-lait, un les Britanniques choqués, niques, déclencheur de la ré- Tawfiq
passer. Attaquer la sacro- demi-kilo de sucre en poudre avant d’énumérer leurs pro- volution américaine. Al Rabiah
sainte british cup of tea est dans la mixture et «voilà, une pres recettes de tasse de thé Si les Britanniques conser- ministre
une limite à ne pas dépasser. véritable tasse de thé britan- parfaite. Face au désastre et vent leur sens de l’humour saoudien

AFP
Mais alors vraiment pas. nique !» triomphe-t-elle. pour ­éviter une escalade pincé, les Américains se lais- de la Santé
Tout a commencé par une En trente et une secondes, dangereuse, Karen Pierce, sent démonter. ­Michelle a
­vidéo a priori innocente, pos- Michelle a ruiné deux cent ambassadrice du Royaume- posté une nouvelle vidéo. Chaque année, plus de 2 millions de personnes se pressent
tée par une certaine Michelle quarante-quatre ans de di- Uni aux Etats-Unis, est en- C’est violent. Elle casse un à la Mecque à l’occasion du pèlerinage vers les lieux saints de
se présentant comme une plomatie britanno-améri- trée en scène. Sous les ors du œuf dans un bol, ajoute sel, l’islam. En juillet, on en comptera moins de 10 000, toutes rési-
«Américaine vivant au caine, la lente construction salon de son ambassade à poivre, sucre, arrose de chan- dant en Arabie Saoudite. Une décision inédite des autorités
Royaume-Uni». Elle se livre d’une relation spéciale entre Washington, elle s’est pré- tilly. Un coup de fouet, deux du royaume, conséquence de l’épidémie de coronavirus. Dès
à une démonstration sur la l’ancien colonisateur et le sentée devant une table gar- minutes au micro-ondes et le mois de mars, le pays avait fermé ses frontières. L’esplanade
manière de préparer une vé- nouveau continent libéré. La nie d’un parfait afternoon tea «voilà, des œufs à la britanni- entourant la pierre noire cubique de la Kaaba était aussi vide
ritable tasse de thé britan­- vidéo a été vue plus de deux et a rappelé dans une vidéo que !» La déclaration de que la place Saint-Pierre de Rome. Les quelques happy few,
nique. C’est là que tout dé- millions de fois et les com- que la relation britanno- guerre est imminente. locaux ou expatriés, devront avoir moins de 65 ans et seront
rape. Elle verse de l’eau froide mentaires sont… salés. «Une américaine a «été définie par SONIA DELESALLE- choisis en accord avec les ambassades de leur pays à Riyad.
du robinet directement dans déclaration de guerre», «obs- le thé». La référence est lim- STOLPER (à Londres) A lire en intégralité sur Libération.fr

Syrie : l’aide humanitaire victime


des sanctions internationales
Gambie Gabon Un courrier recommandé
(ou pas) de la banque signi-
tion Impact en ­collaboration
avec We Exist, un regroupe-
en envoyant du matériel pé-
dagogique ou en leur appor-
tés douanières, «l’objet ou le
montant des virements ne
fiant que votre compte est ment d’ONG syriennes, il tant une remise à niveau compte pas. Dès qu’il y a le
Les autorités gambiennes L’assemblée nationale ga- clôturé, un SMS indiquant met en évidence les «sanc- scolaire a été informée en mot “Syrie” dedans, ils blo-
ont affirmé mercredi qu’el- bonaise vote la dépénalisa- qu’un virement est rejeté. tions invisibles» résultant ­février de la clôture défini- quent tout. Malgré toutes les
les n’avaient aucune in­- tion de l’homosexualité. Les responsables de toutes d’une «application exces- tive de son compte ouvert bonnes volontés, la peur des
tention de décriminaliser Contrairement à de nom- les ONG intervenant en ­Syrie sive» par les institutions depuis 2012 auprès de la banques de tomber sous les
­l’homosexualité. Elles n’en- breux pays d’Afrique subsa- ou auprès de Syriens ont ­financières des restrictions Banque postale. «Nous avons sanctions internationales est
visagent même pas d’ouvrir harienne, qui interdisent ou connu de telles déconvenues aux transferts d’argent, limi- reçu une lettre recommandée la plus forte», confirme
le débat, très sensible dans ce répriment les rapports homo- ces dernières années. Victi- tant ainsi l’action humani- accompagnée d’un chèque du ­Joseph Daher.
petit pays anglophone d’Afri- sexuels, aucune loi au Gabon mes collatérales des sanc- taire pour la Syrie. solde du compte sans aucune «Ce n’est pas nouveau. De-
que de l’Ouest majoritaire- ne mentionnait explicite- tions imposées au ­régime de «J’ai senti l’inquiétude gran- explication sur les raisons puis 2015, nous avons subi
ment musulman. Cette déci- ment l’homosexualité avant Bachar al-Assad ou des dir parmi tous les acteurs de cette clôture», indique Fa- des clôtures de compte de la
sion survient après des qu’un amendement au code ­contrôles financiers dans le humanitaires», indique Jo- bienne Eustratiades, secré- part de trois établissements
semaines de polémique. Le pénal ne soit voté par le Sénat cadre des lois antiterroristes, seph Daher, principal auteur taire générale d’Alwane. bancaires en trois ans, indi-
gouvernement a démenti des en juillet 2019, interdisant les les associations d’aide à la du rapport d’Impact. Uni- L’association avait eu une que la responsable d’une
rumeurs laissant entendre «relations sexuelles entre per- population civile syrienne se versitaire syro-suisse, il a première inquiétude en ONG syrienne enregistrée
qu’il avait l’intention d’as- sonnes de même sexe». Mardi, retrouvent bloquées dans ­interrogé une cinquantaine ­novembre, quand leur res- en France, qui ne veut pas
souplir sa législation afin de l’Assemblée nationale a leurs actions. d’acteurs syriens et interna- ponsable de comptes a de- être citée pour ne pas attirer
continuer à bénéficier d’ai- adopté une modification de L’entrée en vigueur depuis tionaux intervenant dans mandé des justificatifs à l’attention de sa nouvelle
des étrangères, notamment la loi pénale qui supprime cet une dizaine de jours de la loi l’aide aux populations propos de deux retraits en banque. Chaque fois on nous
européennes. «C’est de la alinéa. Le texte était porté par César (Caesar Act) pré- en Syrie et dans les pays espèces de 3 000 et 4 000 a signifié la fermeture du
fausse propagande politique le Premier ministre, Julien voyant de nouvelles sanc- ­limitrophes. euros. «On avait fourni aus- jour au lendemain, sans pré-
destinée à marquer des points Nkoghe Bekale. Depuis juillet tions américaines, y com- «La loi César ajoute une sitôt des factures d’achat et avis et sans nous laisser le
facilement», a déclaré dans ce 2019, les rapports homo- pris indirectes contre les pression supplémentaire sur des reçus et on pensait être temps de nous retourner.»
communiqué le porte-parole sexuels étaient passibles de entreprises ou personnes une situation déjà très com- tranquille désormais», dit «Les gouvernements disent
du gouvernement, Ebrima six mois de prison maximum qui collaborent avec le ré- pliquée par plusieurs fac- Fabienne Eustratiades. vouloir faciliter l’aide huma-
Sakareh. Le gouvernement et d’une amende de 5 mil- gime de Damas, ­aggrave les teurs, dont la crise financière Pour éviter justement les re- nitaire mais ne font qu’ajou-
continuera à être guidé, a-t-il lions de francs CFA (7 600 eu- restrictions. Face à cette si- libanaise et la crise sani- jets de virements et autres ter des restrictions avec
ajouté, par «les normes [socia- ros). Cette dépénalisation a tuation, un rapport est pré- taire», explique l’expert. complications, les associa- les lois antiterroristes»,
les] de sa population» et «n’a fait les gros titres de la presse senté ce jeudi à Bruxelles, à Petite association franco-sy- tions ­confient les petites constate Joseph ­Daher, qui
aucune intention de décrimi- mercredi matin. Plus de la la veille de la conférence an- rienne basée à Lyon, Alwane sommes destinées à leurs ­propose la création d’un
naliser ou même de procéder moitié des pays d’Afrique nuelle organisée la semaine n’avait pas connu de souci bénéficiaires à des voya- établissement financier
à un examen de sa législation subsaharienne interdisent ou prochaine par l’Union euro- particulier jusqu’à dernière- geurs se rendant dans les spécialisé pour l’aide huma-
sur l’homosexualité», qui répriment, parfois de la peine péenne sur le soutien à la ment. L’ONG qui soutient pays limitrophes de la Syrie. nitaire.
peut être punie de prison. de mort, l’homosexualité. Syrie. Réalisé par l’organisa- des enfants syriens déplacés Pour les banques et autori- Hala Kodmani
18 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Jeudi 25 Juin 2020

Le philosophe

Idées/
Michel Onfray,
le 3 juin à Paris. Photo
élodie Grégoire. ABACA

«Front
populaire»
d’Onfray,
une revue
des troupes
identitaires
Le philosophe et pamphlétaire dit vouloir réunir
les souverainistes de gauche et de droite dans
une revue qu’il vient de publier. Le média doit servir
de socle programmatique pour un candidat en 2022.

Par aux 100 livres s’aligne tout logiquement sur ses Goldnadel TV («La web TV qui a une bonne L’édito vengeur du directeur de la revue, qui a
Simon Blin propres ­obsessions : ouvertement «populiste», droite !») ou encore RéacNRoll TV («La web TV refusé de répondre aux questions de Libéra-
antili­bérale, anti-euro et vindicative à l’égard des mécontemporains») mais aussi de tion, cible d’entrée de jeu sa plus grande détes-

L
e grand chambardement idéologique de la «gauche ­libérale» et de ses relais, les «mé- ­Komodo TV, «média antispéciste» animé tation : l’«Etat maastrichtien» coupable d’avoir
accouche d’un nouvel objet média­tique. dias officiels». En un mot : «antisystème». par l’ancien chroniqueur d’On n’est pas couché ­ravagé «la civilisation judéo-chrétienne» ces
Le premier numéro de Front ­populaire, Aymeric Caron. trente dernières années. Suit un entretien
«mook» (contraction de magazine et book) L’union européenne honnie La première couverture de Front populaire est croisé entre Jean-Pierre Chevènement et Phi-
d’idées, lancé par le philosophe ­Michel Onfray «Soyez résolus à ne plus servir et vous voilà du genre plombante: une Europe entièrement lippe de Villiers, deux figures très old school
et qui ambitionne de réunir les «souverainistes ­libre !» clame la baseline boétienne du titre, jaune et fissurée par un impact (de pavé ? de pour penser les «jours d’après». Dans les mots
des deux bords», est en kiosques depuis mardi. surplombée des très reconnaissables lunettes balle ?) situé sur Bruxelles, capitale de l’Union de l’ex du RPR, des termes bien connus de
«Une machine de guerre pour la plèbe» : c’est rectangulaires de l’ancien professeur en lycée européenne honnie par le philo­sophe médiati- la droite identitaire : le «déracinement» des éli-
ainsi que le très productif pamphlétaire quali- technique. «La revue de Michel Onfray» joue que. Au centre de la une, les grandes thémati- tes et le «grand remplacement» des populations
fie ce trimestriel de 160 pages sans pub et fi- à fond la carte de l’incarnation. Pas un hasard ques de ce premier opus se déclinent : «Pandé- par une «immigration de peuplement» comp-
nancé par les pré-abonnements. Sur le Web, si le média est mis en scène par l’ancien pro- mie, oligarchie, communautarisme, illettrisme, tent, selon lui, parmi les responsables du «dé-
la revue se décrit comme «un Parlement perpé- ducteur des émissions de Thierry Ardisson néolibéralisme, mondialisation, immigration, clin» des nations.
tuel des idées» où le «peuple» pourra faire des Stéphane Simon (lire pages 20-21), aujourd’hui paupérisation. Que faire ?» Une seule réponse, Autre auteur annoncé depuis des semaines,
propositions pour «rebâtir notre monde». Cette à la manette de webtélés d’opinion ultraper- si l’on en croit l’immanquable «Souverai- le journaliste en charge des pages du Figaro
nouvelle aventure éditoriale du philosophe sonnifiées, Michel Onfray TV, Polony TV, nisme !» qui trône en rouge et lettres capitales. Vox Alexandre Devecchio disserte sur les ­«ter-
Libération Jeudi 25 Juin 2020 u 19

ritoires perdus de la République» pour «en finir


avec l’idéologie antifrançaise» qui s’y installe.
Tous ces auteurs placent dréa Kotarac, aujourd’hui rallié au RN, qui
consolera ces derniers. Où il est question de
“nos” valeurs contre celles qui viendraient
d’ailleurs». «Trêve d’amalgames», lui répon-
L’enseignante et essayiste Barbara Lefebvre, la défense de l’identité l’immigration comme l’«armée de réserve dait dans les mêmes pages le philosophe et
qui exprime habituellement ses positions laï- du grand patronat» et de la gauche qui a «rem- auteur à Front populaire Henri Peña-Ruiz.
cardes dans les mêmes pages du quotidien
française, la question placé le prolétaire par le musulman» (Kotarac). L’écrivain, dont les propos sur «le droit d’être
­national de droite appelle, quant à elle, à «re- migratoire, et la sortie Quel point commun entre ces auteurs aussi islamophobe» tenus lors de la dernière univer-
bâtir une France souveraine par l’école» autour bien connus des auditeurs de Sud Radio que sité d’été de La France insoumise ont fait polé-
d’une «narration nationale». La «nation» est de l’euro au cœur des lecteurs de Valeurs actuelles ? Tous placent mique à gauche, plaide pour la­«diversité» des
décidément l’une des notions phares de ce nu-
méro de Front populaire. Tant d’un point de
de leurs préoccupations la défense de l’identité française, la question
migratoire, voire la montée de l’islamisme et
points de vue et assure vouloir «livrer la ba-
taille idéologique contre la droite identitaire».
vue économique dans l’analyse pro-Frexit de idéologiques. la sortie de l’euro au cœur de leurs préoccupa- A voir ce premier numéro, la revue balance
Jacques Sapir que dans un ­registre identitaire : tions idéologiques. Front populaire est la der- pourtant à l’avantage de celle-ci.
«Le souverainisme est un nationalisme bien rieux ­accents. Pour le lecteur qui espérait y lire nière «offensive national-souverainiste» pen-
compris», écrit le sociologue québécois et po- quelques figures de la gauche, il faudra repas- chant à l’extrême droite, estime le politologue Un «Baiser de la mort»
lémiste star de la galaxie anti-politiquement ser. Et ce n’est pas l’interview croisée entre Alain Policar dans une tribune à Libé. Un cou- Si la revue a tant fait parler d’elle avant d’avoir
correct Mathieu Bock-Côté. deux ex de La France insoumise, Georges Kuz- rant théorique et politique qui, selon le cher- publié le moindre article, c’est d’ailleurs en
La revue Front populaire est-elle réactionnaire manovic, ancien conseiller en poli­tique inter- cheur associé au Cevipof, se nourrit de l’iden- raison de ses soutiens identitaires, pointés par
et conservatrice ? Elle en a, en tout cas, de sé- nationale de Jean-Luc Mélenchon, et An- titarisme et milite pour la «sauvegarde de un article du Monde. Dans la Suite page 20
20 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Jeudi 25 Juin 2020

Suite de la page 19 liste des premiers pré-


abonnés rendue publique sur son site : Alain
de Benoist, idéologue de la droite ethnodiffé-
rentialiste, Emmanuelle Ménard, élue députée
avec le soutien du RN en 2017, et son époux,
Robert, l’actuel maire de Béziers, ou encore
Philippe Vardon, ex du Bloc identitaire, au-
jourd’hui dans les rangs du RN. Plus tôt, Ma-
rine Le Pen en personne faisait des yeux doux
au jeune média. «Une initiative comme celle de
Michel Onfray, qui vise à défendre la liberté
d’expression, et à réunir dans un média ceux
qui croient en la nation et sont opposés au
mondialisme, est positive et ne peut que me ré-
jouir !» déclarait-elle sur RFI. Un «baiser de la
mort», s’est agacé le philosophe dans l’Obs qui,
ironie de l’histoire, fondait l’Université popu-
laire de Caen en 2002 précisément en vue de
combattre les idées du FN.

Le réprouvé médiatique
Front populaire soulève des interrogations sur
ses réelles intentions. Le projet doit-il servir de
rampe de lancement pour une entreprise poli-
tique? «S’il y a un désir des gens autour de notre
revue, pourquoi pas», répondait l’intéressé fin
mai dans une interview à RTL, tout en exclu-
ant la possibilité de se présenter lui-même
en 2022 (selon un récent sondage de l’Ifop
commandé par Valeurs actuelles, 9% des Fran-
çais seraient prêts à glisser un bulletin «On-
fray» si l’occasion se présentait). En revanche,
le philosophe, dont les podcasts sur France
Culture ont été arrêtés après treize ans d’exis-
tence et qui se complaît depuis dans la figure
du réprouvé médiatique (bien qu’il ait encore
son rond de serviette dans de nombreux mé-
dias), n’a pas caché sur CNews sa volonté de
peser dans l’émergence d’une candidature po-
puliste hors des partis traditionnels.
Sur le site du trimestriel, tout est fait pour
­séduire quiconque se reconnaît dans l’esprit du
mouvement des gilets jaunes. Le 18 juin – à
Front populaire, on aime les symboles–, le mé-
dia a ouvert ses propres «Cahiers de doléances»
en vue de constituer des «états généraux» : un
«véritable appel au peuple», détaille Michel On-
fray dans une vidéo avec fond sonore semi-in-
quiétant. Frontpopulaire.fr a vocation à être
une «plateforme programmatique», précise
Stéphane Simon dans le Figaro. Les gilets jau-
nes Jacline Mouraud et François Boulo font
d’ailleurs partie des premiers auteurs. Même Stéphane Simon, le cofondateur de la revue trimestrielle Front populaire. Photo Bernard Martinez
si le second a pris ses distances avec le projet
depuis. «J’ai accepté de participer à Front po-

Stéphane Simon,
pulaire au moment où il devait être un média,
une revue, explique-t-il dans une vidéo sur You-
Tube […]. Il se trouve qu’entre-temps, le projet
a évolué: d’un média qui garantissait l’indépen-

business souverain
dance de chacun des contributeurs, on est passé
à un mouvement politique.»
Pour l’heure, avant une hypothétique campa-
gne populiste, Front populaire, à laquelle on
pouvait s’abonner via sept formules avant son

F
lancement (pré-achat du premier numéro Associé de Michel âché par un récent billet moins qu’on puisse dire – l’ac- l’homme d’affaires, maugréant
à 12 €, un an d’abonnement à 45 €, abon­- du directeur de Libé, cueil réservé par une partie de contre les «procès d’intention»
nement à vie à 1 500 €) peut se targuer d’être Onfray pour Laurent Joffrin, Sté- la presse à Front populaire, la faits à son encontre et à celui du
un petit succès commercial. La PME, d’une le lancement de phane Simon, d’habitude bien nouvelle revue trimestrielle de philosophe normand.
­dizaine de salariés, vient de lever plus de 1 mil- «Front populaire», disposé à l’égard d’un quotidien Michel Onfray, dont il est l’as- Fils d’instituteurs de gauche, le
lion d’euros en deux mois et a dépassé les qu’il lit depuis longtemps, n’a socié de l’ombre. Comment Nantais, 53 ans, fait l’objet d’une
30 000 abonnements, si on en croit ses con-
le producteur mise pas souhaité répondre à nos peut-on accuser un média de attention renou­velée à l’occa-
cepteurs. Des chiffres quasi inimaginables sur les webtélés questions. Le producteur de té- dérive fasciste avant même de sion du lancement de Front po-
pour ce qui devait être un «mook» d’idées. • par abonnement. lévision n’a pas goûté – c’est le l’avoir lu ? Ainsi s’interroge pulaire. Un nouvel acte de com-
Libération Jeudi 25 Juin 2020 u 21

Idées/
Stéphane Simon r­ evendique tout au plus une
­position d’«anar de droite», sou-
Ils participent à la revue d’onfray
se défend de tout cieuse de garantir la liberté de
l’individu, notamment écono- Céline Pina Mathieu Bock-Côté
raidissement mique, et de renvoyer l’Etat à
L’obsédée de l’Islam Le cousin d’Amérique
doctrinal. des fonctions régaliennes mini-
males. Ce qui se semble assez Céline Pina aime les frontières, Avec son accent qui ne trompe
Il rappelle avoir peu raccord avec le souverai- fait une fixette sur l’islam, pas, il est ce cousin jovial d’ou-
mis sur orbite nisme d’Onfray…
Y a-t-il une colonne vertébrale
­déteste les antiracistes (des­«ra-
cialistes») et ne supporte pas
tre-Atlantique avec lequel on
irait bien manger une poutine.
une webtélé derrière tout cela ? «Je n’ai ja- d’être suspectée de rapproche- Jouant de cette image, le socio-
mais entendu Stéphane parler ment idéologique avec l’ex- logue pourfend le multicultura-
avec une figure politique, ni ne l’ai vu se sentir trême droite. Celle qui, dans lisme, qui aurait mis nos sociétés
classée à gauche.

DR

DR
obligé d’asséner des idées», com- une vidéo sur frontpopulaire.fr, cul par-dessus tête. Pour lui, ce
mente Frédéric Taddéï, qui a s’attriste d’être victime avec ses n’est plus l’étranger qui s’adapte
animé pendant huit ans Paris ­camarades d’un constant «Reductio ad hitlerum» par- à sa société d’accueil, mais le contraire. Souverainiste
pagnonnage avec ­Onfray, avec Dernière. «Je ne sais pas s’il y a tage avec Manuel Valls, comme elle passé par le PS, militant, il fait de sa terre natale un Etat idéal menacé
lequel il a créé une webtélé un engagement politique der- un goût certain pour le «Reductio ad islamogauchum» par le Canada, «utopie multiculturaliste se déployant
payante dès 2016. rière ces projets, reprend l’ani- à l’égard de quiconque oserait soutenir une autre sous le signe d’un fondamentalisme droit-de-l’hom-
D’autres ont suivi depuis, incar- mateur, auquel Simon a pro- ­vision de la laïcité que la sienne. Présente au lance- miste», juge-t-il dans le Figaro, où il écrit des chroni-
nées à l’extrême, avec la journa- posé de lancer une webtélé. Je ment du Printemps républicain en mars 2016, elle est ques. Il regrette la «prétention quelque peu excessive
liste souverainiste Natacha Po- crois plutôt qu’il cherche à cons- vite congédiée, selon ses dires, pour divergences de à l’universalité» des Français qui les empêcherait de
lony (Polony TV), avec l’avocat truire des médias autour de per- fond. Le mouvement évoque, lui, une rupture pour penser leurs propres fondements culturels. A Front po-
d’extrême droite Gilles-William sonnalités dont il pense qu’ils ont une question d’ambitions personnelles. E.C. pulaire, pas sûr que tout le monde apprécie l’idée. Th.S.
Goldnadel (Goldnadel TV), ou un potentiel pour recruter des Et aussi : Henri Peña-Ruiz, philosophe. Et aussi : Eugénie Bastié, Alexandre Devecchio.
autour des polémistes très con- abonnés. Comme un éditeur
servateurs Elisabeth Lévy et cherche à publier des auteurs at-
Ivan Rioufol (RéacNRoll TV)… tirant des lecteurs. Personne ne Barbara Lefebvre Jacline Mouraud
De quoi classer le producteur, de critiquerait un éditeur qui publie
plus en plus apprécié de la Polony, Onfray et Goldnadel.
Celle qui n’avoue jamais la Gilet jaune
droite dure, sur l’échiquier poli- Mais quand c’est de la télé, tout le Dans la catégorie des ensei- En octobre 2018, elle poste sur
tique. «J’ai l’impression qu’il s’est monde se dit oh là là !» gnants néocons, voici la pro­- Facebook une vidéo contre la
radicalisé politiquement ces der- Plutôt qu’un idéologue che- fesseure d’histoire-géo, carré hausse des prix du carburant,
nières années», a confié à Me- vronné, Simon serait donc un ­mi-long sur boucles d’oreilles vue des millions de fois. ­Jacline
diapart son associé histo­rique, businessman malin, opportu- sages trompeuses. Aux grandes Mouraud, hypnothérapeute et
l’animateur Thierry Ardisson. niste. L’homme a senti avant gueules sur RMC ou au Figaro accordéoniste, est une ­gilet
L’homme en noir a fait ­Simon, d’autres une évolution : la télé­- Vox, Barbara Lefebvre dézingue jaune de la première heure. La
DR

DR
qu’il a repéré dans les années 90 vision gratuite classique est en sans états d’âme les manifs suite de sa carrière militante est
comme journaliste à France Soir décroissance, les ressources des du Comité Adama, l’inconsé- moins riante. Elle fait partie de
et placé à la rédaction en chef chaînes s’affaissent, les budgets quence des jeunes amassés au canal Saint-Martin la délégation qui rencontre le Premier ministre et subit
du magazine ­Entrevue. Il y a des producteurs diminuent… pour la Fête de la musique et dit tout le mal qu’elle alors le cyberharcèlement d’ex-compagnons de lutte.
vingt ans, les deux hommes ont L’ex-journaliste le sait bien, qui pense des statistiques eth­niques. Très engagée ­contre Le microparti qu’elle fonde en janvier 2019, les Emer-
monté ensemble la société Télé a vu l’an dernier Canal + dépro- l’antisémitisme, cette machine de guerre pour sauver gents, fait face à de nombreuses démissions – on lui
Paris pour produire quelques grammer les Terriens car Ardis- la France laïque et ­républicaine est plus qu’une ensei- reproche son «culte de la personnalité». Elle est enfin
programmes devenus fameux : son était trop cher. Ce qui n’a gnante. En avril 2017 face à Macron en campagne, ­exclue de la liste pour les municipales de Bohal
Rive droite Rive gauche, Paris pas fait du bien aux affaires de France 2 s’est fait avoir : la chaîne pensait avoir invité (Morbi­han). Dans Front populaire, elle appelle à «une
Dernière, 93 Faubourg Saint- Télé Paris. De ce retournement lors de l’Emission politique une simple prof, elle était ère nouvelle», faite «d’envie et d’enthousiasme» qui
Honoré, les Terriens… Entre les de marché est née l’idée d’un alors un soutien du candidat Fillon. Une paille. C.D. «redonne aux citoyens la fierté d’être français.» S.F.
deux aco­lytes, la répartition des nouveau modèle passant par la Et aussi : Jean-Paul Brighelli, auteur de la Fabrique du crétin. Et aussi : François Boulo, avocat et gilet jaune.
tâches était nette : à Ardisson la création de webtélés payantes,
lumière et l’artistique, à Simon en prise directe avec les inter-
l’intendance et la «production nautes, centrées sur une per- Thibault Isabel Philippe Bilger
déléguée». sonnalité ou une tendance,
L’intéressé se défend de tout rai- pour agréger des communautés
Le païen le proc «réac»
dissement doctrinal. Il rappelle d’humeur. A l’exception d’On- C’est une affaire de passions L’ex-procureur n’a jamais sup-
avoir mis sur orbite une webtélé fray TV, elles n’ont pas vraiment communes. Parmi les prin­- porté d’être désœuvré. Depuis
sur le vivant (Komodo TV) avec décollé. La société dédiée de Si- cipaux contributeurs de Front son départ de la magistrature, il
Aymeric Caron, une figure clas- mon, le Magasin numérique, n’a populaire, il est celui qui y a près de dix ans, il est terri-
sée à gauche, et avoir envisagé réalisé que 500 000 euros de ­partage avec Michel Onfray blement actif sur Twitter. Il y
d’en faire autant avec Alexis Cor- chiffre d’affaires en 2018. Une une passion pour Pierre-Joseph déplore qu’on parle d’Assa Tra-
bière, le lieutenant de Mélen- paille, à l’échelle de l’économie Proudhon auquel il a consacré oré comme d’une «Antigone» et
DR

DR

chon. Stéphane Simon préfère se de la télé traditionnelle. Mais le un essai, Pierre-Joseph Prou- trouve qu’on devrait évoquer le
parer des vertus démocratiques producteur apprend un nou- dhon. L’anarchie sans le désor- «racisme dont les policiers sont
du pluralisme, du débat d’idées, veau métier et prend date pour dre (Autrement, 2017). Docteur en lettres, philosophe victimes». Sur son blog, il trouve pertinente la sortie
de la confrontation des opinions. l’avenir. Le site internet du Ma- et historien des civilisations, Thibault Isabel est l’ex- de Marion Maréchal Le Pen assurant ne pas avoir à
Cela contribue à l’ambiance de gasin numérique ne cache pas rédacteur en chef de Krisis, une revue de sciences hu- s’excuser en tant que «blanche» de la mort de George
clash permanent, comme dans ses ambitions d’extension : «Si maines de la nouvelle droite, dont la ­figure majeure Floyd. Rhéteur, cultivé, réactionnaire (et c’est lui qui
ses Terriens du dimanche ! vous êtes un éditeur de contenus est le théoricien classé à l’extrême droite Alain le dit), il a été l’avocat général de grands procès de son
­Lorsqu’on lui demande s’il n’aide et que vous voulez lancer votre ­de Benoist. Les deux hommes ont une passion époque : il a requis la perpétuité contre le nazi Alois
pas plutôt à souffler sur les brai- propre webtélé, payante ou non, ­commune pour le néopaganisme, mouvement Brunner ou l’assassin d’Ilan Halimi. Sur frontpopu-
ses, il répond que la société fran- n’hésitez pas à prendre contact ­spirituel poly­théiste sur lequel Thibault Isabel a pu- laire.fr il salue le «pluralisme» de la revue : «J’aime cette
çaise ne l’a pas attendu pour être avec nous !» blié un ouvrage, Manuel de sagesse païenne (le Pas- démarche qui est d’ouvrir la porte au peuple.» S.F.
en flammes. Le producteur Jérôme Lefilliâtre seur Editeur, 2000). S.B. Et aussi : Régis de Castelnau, avocat.
22 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Jeudi 25 Juin 2020

Idées/
E
mmanuel Macron aime le mière moitié de son pari. Les 150
Si l’on suit
Politiques risque. En décidant la créa-
tion d’une convention
ont, de l’avis de ceux qui ont suivi
de près leurs travaux, pris très au fidèlement la voie
de 150 citoyens, tirés au sort mais sérieux leur tâche, écouté atten­-
représentatifs de la société fran- tivement de nombreux experts (en des 150 citoyens,
çaise, en lui confiant l’élaboration
d’un projet de lutte contre le
majorité habillés de vert), longue-
ment débattu après s’être docu-
c’est bien le mode
­réchauffement climatique, en s’en- mentés. Le week-end dernier, ils de vie même,
Par gageant à transmettre leurs propo- ont adopté, à une très large majo-
Alain Duhamel sitions «sans filtre», le Président rité, un énorme rapport détaillant le type de société,
faisait un pari audacieux. Laissant 149 propositions. Ils ont repoussé a fortiori le modèle
entendre dès le départ qu’il était énergiquement l’objectif chimé­-
favorable à ce que leurs travaux dé- rique des 28 heures de travail heb- économique qui
Convention citoyenne : bouchent sur un référendum
(a priori à questions multiples), il
domadaire payées 35 qui aurait fait
douter sur le champ de leur luci-
sont réinventés.
le piège du référendum se montrait au moins hardi, peut-
être téméraire. Chacun pouvait
dité. Ils ont prudemment évité de
préconiser une taxe carbone natio- mis aux Français de trier parmi les
comprendre qu’après le long psy- nale ou de s’attaquer frontalement mesures celles qui leur convien-
chodrame si révélateur des gilets au nucléaire. Même le Medef juge nent et celles dont ils ne veulent
jaunes, il s’agissait en fait d’expéri- leurs réflexions intéressantes et pas, ils proposent une révision de
Ils ont consulté une multitude d’écologistes. menter une forme de démocratie utiles. la Constitution (préambule et arti-
Ils auraient aussi dû entendre des semi-directe, censée compléter et Reste que leurs propositions sont cle 1er) prévoyant principalement
constitutionnalistes, car les propositions revigorer la sage démocratie repré- tout sauf des broutilles. S’ils sont «la République garantit la préser-
de 150 citoyens risquent de se heurter sentative. écoutés, s’ils sont suivis, il s’agira vation de la biodiversité, de l’envi-
à des impasses légales. Le chef de l’Etat a gagné la pre- sans doute du plus puissant, du ronnement et de la lutte contre le
plus ambitieux, du plus exigeant dérèglement climatique» ainsi que
tournant dans la lutte contre le la création d’un «crime d’écocide»,
­réchauffement climatique. Plan lequel déboucherait d’ailleurs
massif de rénovation énergétique ­nécessairement sur un arsenal

L'œil de Willem des bâtiments, bouleversement des


règles alimentaires, réglemen­-
tation drastique de la publicité,
­répressif susceptible de remettre
en cause à peu près toutes les lois
du marché : on peut y être favo­-
­incitation vigoureuse à consom- rable, encore faut-il en mesurer
mer moins et autrement, bataille exactement les conséquences et
contre les modes de transports les implications. Avant que ne se
prodigues en CO2, limitation de la pose la question économique, gi-
vitesse sur l’autoroute à 110 km/h. gantesque, s’impose donc d’abord
Un arsenal assorti d’obligations, la question constitutionnelle. Les
d’incitations, de sanctions et – propositions de la Convention ci-
car nous sommes en France, pays toyenne exigent en fait deux réfé-
de traditions – d’une panoplie fis- rendums, l’un par l’article 89 (révi-
cale particulièrement inventive et sion de la Constitution), l’autre par
gloutonne. En fait, si l’on suit fidè- l’article 11 (le crime d’écocide). Le
lement la voie des 150, c’est bien le premier est bien loin de pouvoir
mode de vie même, le type de être adopté, le second exige un dé-
­société, a fortiori le modèle écono- bat préalable immense et très
mique qui sont réinventés. Le ré- technique : c’est ce que l’on appelle
chauffement climatique est, certes, «une fausse route». Pour réviser la
un sujet assez sérieux pour ne pas Constitution, il faut, en effet, un
se contenter de réformette mais là vote en termes identiques par cha-
il s’agit d’une remise en cause glo- cune des deux Chambres. Au Sé-
bale d’un mode de vie et d’un choix nat, cela semble improbable, à
de société. La légitimité d’une con- l’Assemblée nationale cela paraît
vention citoyenne, toute sympa­- incertain. Quant au référendum
thique et originale qu’elle soit, n’est direct sur le «crime d’écocide», il
pas suffisante pour endosser une connaîtrait le sort de tous les réfé-
telle métamorphose. Il faut y asso- rendums directs votés par les
cier le Parlement (de toute façon Français depuis le général de
nécessaire pour traduire des pro- Gaulle : on se détermine beaucoup
jets en lois), il faut surtout y asso- moins sur la question elle-même
cier directement les Français par (surtout aussi complexe qu’un
un référendum. C’est l’ensemble crime d’écocide) que sur le nom de
des citoyens qui doit se prononcer. celui qui l’appose. Si l’on veut con-
D’où le référendum, étudié par Em- naître réellement les sentiments
manuel Macron, préconisé et des Français sur les priorités de la
même exigé par les 150. lutte contre le réchauffement
L’ennui est que les 150, qui ont dû ­climatique, c’est donc un référen-
entendre beaucoup plus d’experts dum à questions multiples qui cor-
en écologie que de constitution­- respondrait le mieux à cette ques-
nalistes, se trompent de référen- tion dont dépend l’avenir de la
dum. Au lieu d’opter pour un réfé- planète. Sauf à préférer les
rendum à questions multiples, manœuvres électorales à ce sujet
désormais possible, qui aurait per- primordial. •
Libération Jeudi 25 Juin 2020 u 23

Revues
Historiques Car l’histoire de ce dernier n’est pas
qu’empreinte de la neutralité magi-
Ne pas cacher ses sources que des différences que cette notion
d’universel pourrait laisser supposer.
Pour son premier numéro, la revue Les révolutions démocratiques qui
Sources. Matériaux et terrains en l’ont porté et défendu ont également
études africaines propose à la fois un été le laboratoire de nouvelles inégali-
manifeste et une réflexion ­riches Par Clyde Marlo-Plumauzille tés, non plus statutaires, mais identi-
autour du travail de recherche en Historienne, chargée de recherches au CNRS taires qui résonnent encore au-
sciences sociales mené sur des ter- jourd’hui dans nos sociétés. C’est au
rains africains. La publication se tournant des XVIIIe et XIXe siècles que
propose de diffuser des travaux les hiérarchies sociales se retrouvent
d’enquêtes tout en donnant accès à
certaines des sources utilisées pour
Quelque chose plus fermement inscrites dans le
corps même des individus. L’histo-
établir des connaissances nouvelles, qu’il s’agisse d’affi-
ches, de tracts, de dessins, de textes, ou encore d’extraits de pourri au royaume rienne Aurélia Michel (4) a ainsi chro-
niqué la cristallisation nouvelle de la
d’entretiens et de notes de terrain établis par les cher-
cheu·r·se·s, sans oublier la multiplication des sources nu-
mériques comme les mails ou les publications sur les ré-
de l’universalisme «fiction de la race» dans les sociétés
coloniales française et américaine et
l’avènement de la figure du «nègre»,
seaux ­sociaux. Ces éléments étant trop souvent invisibles
dans la restitution des travaux scientifiques, Sources… es-
républicain sauvage en son âme, permettant un
déni de citoyenneté pleine et entière
père leur donner une meilleure place, en s’intéressant à à l’heure de l’abolition de l’esclavage
la construction des corpus, à leur contextualisation et à Dans sa dernière intervention, le chef de l’Etat, (Un monde en nègre en blanc, 2020).
la place du chercheur par rapport à ces sources et au terrain en utilisant des termes comme «communautarisme» A la faveur de tout un discours idéolo-
qu’il étudie. Un travail difficile dans un continent qui voit ou «séparatisme», a exprimé le refus de penser les gique et scientifique convaincu d’une
se multiplier non sans difficultés tech­niques, scientifiques angles morts du projet républicain sur le temps long. différence essentielle et incommen-
et politiques les projets d’archivage. surable entre les sexes, les races fabri-
www.sources-journal.org quées de toutes pièces, ou encore les

F
ace à la déflagration inédite des de son ouvrage Communautarisme. classes, cette scène primitive de nos
mobilisations antiracistes en Enquête sur une chimère du nationa- démocraties a été un «moment central
Devenir le touriste de demain France et aux Etats-Unis à la lisme français (2016). d’anthro­pologisation du politique»,
suite du meurtre de l’Afro-Américain Rappeler la trajectoire de ces mots qui selon l’historien Claude-Olivier Do-
Drôle d’été pour être touriste ; drôle George Floyd par un policier blanc à sous-tendent un discours idéologique ron (l’Homme altéré. Races et dégéné-
de printemps pour y consacrer Minneapolis, le chef de l’Etat, Emma- bien plus que sociologique, c’est com- rescence, XVIIe-XIXe s., 2016).
un dossier. C’est le pari que relève So- nuel Macron, a tenu à faire la leçon à prendre ce qui se joue dans la leçon «Nous sommes entrés dans un nouveau
cialter dans son dernier numéro, celles et ceux qui viennent aujour­- d’Emmanuel Macron à savoir faire temps de la discussion sur le racisme en
convaincu que si le secteur ne profite d’hui rappeler, en battant le pavé, leur taire les récits critiques et discordants France», souligne la philosophe et poli-
pas du confinement pour penser et droit à l’égalité. Lors de son allocution de l’universalisme à la française tiste Silyane Larcher, et la question ra-
corriger ses travers, alors il ne saura du 14 juin dernier, il a ainsi psalmodié en s’appuyant sur l’abstraction d’une ciale posée aujourd’hui à nouveaux
jamais repartir d’un bon pied. Le tou- que «ce combat noble est dévoyé lors- ­nation «une et indivisible» qui aboli- frais par les mouvements antiracistes
risme est tant pointé du doigt pour qu’il se transforme en communauta- rait de facto les différences. L’appel devrait «moins constituer un sujet polé-
ses conséquences environnementa- risme, en réécriture haineuse ou fausse qui émane aujourd’hui du comité Vé- mique qu’un enjeu de connaissance» et,
les, sociales et économiques que tout touriste n’a qu’un im- du passé. Ce combat est inacceptable rité et Justice pour Adama Traoré et de chemin faisant, de reconnaissance (5).
pératif : ne pas en être un. Plusieurs pistes sont proposées, lorsqu’il est récupéré par les séparatis- toute une jeunesse qui éprouve le ra- Contre l’amnésie des discours politi-
du slow tourisme au bivouac sauvage, en passant par le tou- tes». cisme au quotidien pointe au con- ques actuels, reprenons donc le cons-
risme de proximité, le cyclotourisme, ou la microaventure. «Communautarisme», «séparatisme», traire, à la lueur des violences policiè- tat de l’historien du droit et des idées
Un petit manuel de l’antitourisme, qui appelle à retrouver, ces néologismes apparus dans le res systémiques à leur encontre, les politiques Thomas Branthôme dans
dans la proximité, le sentiment d’exotisme. ­débat médiatico-politique à la fin formes de citoyenneté dégradée qui un article récent pour AOC, à savoir
«Tourisme. Année Zéro», Socialter numéro 40, juin-juillet, 100 pp., du XXe siècle avec «l’affaire du fou- sont les leurs. Ne pas les entendre, et que l’universalisme n’est nullement
6,50 €. lard» sont de ceux dont se gargarisent alors même que les enquêtes statis­- «une notion performative qui saurait
aujourd’hui éditorialistes, intellec- tiques et le dernier rapport du Défen- se suffire à elle-même du simple fait de
tuels et hommes politiques de bien seur des droits abondent en ce sens, son énoncé», et qu’il faut pour cela
des bords quand des groupes minori- c’est refuser de penser concrètement ­revenir à son histoire et aux contre-
Blog taires dénoncent les inégalités et le temps long et les angles morts du temps de ses réalisations, car il cons­-
les discriminations qui façonnent les projet républicain (3). titue un idéal jamais atteint et tou-
De la croix à la médaille cadres de leur existence (1). Derrière jours à réaliser (6). •
la charge dramatique de ces mots se
(1) https://www.telerama.fr/television/la-
Les insignes de reconnaissance, médailles et autres ­légions cachent un flou conceptuel et une ab-
d’honneur, sont une pratique ancienne. C’est l’histoire que sence d’enquêtes empiriques commo- «Communau­- semaine-ou-les-verites-de-la-fachosphere-ont-
triomphe-6656260.php
nous raconte le médiéviste, Simon Hasdenteufel, dans un des pour faire croire à une unité répu- tarisme», (2) Communautarisme ? de Marwan Mohammed
et Julien Talpin (dir.), «Vie des idées», PUF, 2018.
article du blog «Actuel Moyen Age» sur Libé.fr. Lors des blicaine en péril (2). On retrouve là
premières croisades, une croix de tissu était cousue sur les également les mots familiers de l’Etat «séparatisme», (3) http://www.defenseurdesdroits.fr/fr/
communique-de-presse/2020/06/le-defenseur-
habits du pèlerin. C’était alors un «signe de prestige qui
pouvait brouiller les distinctions sociales dans la mesure
pour délégitimer les accusations de
racisme systémique qui lui sont faites
Derrière la charge des-droits-demande-la-mise-en-place-urgente-
dune-politique

où d’humbles pèlerins et d’obscurs chevaliers, par la prise depuis les années 90 quand advient dramatique de ces (4) https://www.liberation.fr/debats/2020/06/17/
la-fiction-de-la-race-c-est-ce-qui-reste-de-l-
de croix, pouvaient acquérir un capital symbolique». Mais dans l’espace public la question des ordre-esclavagiste_1791562
la promesse contemporaine d’une médaille pour les soi- discriminations. Ce sont enfin les mots se cache un (5) http://le1hebdo.fr/journal/tre-noir-en-
france/301/article/en-france-il-y-a-une-invisibilit-
gnants, nouvel épisode dans l’histoire des décorations, ­éléments clés d’une rhétorique mar- flou conceptuel et-un-flou-de-la-priode-coloniale-3904.html
peut sembler bien dérisoire pour des personnels hospi­- tiale bien rodée depuis 2005, justifiant (6) http : //aoc.media /analyse /2020/06 /15 /
taliers à bout de souffle, et ne saurait «étouffer les reven­- l’état d’urgence face aux «banlieues», commode pour faire minuit-a-lheure-de-luniversalisme /

dications répétées pour le bon fonctionnement de l’hôpital


public».
puis au terrorisme comme a pu le dé-
montrer le sociologue Fabrice Dhume-
croire à une unité Cette chronique est assurée en alternance par
Manon Pignot, Guillaume Lachenal, Clyde
http://actuelmoyenage.blogs.liberation.fr / Sonzogni dans ses travaux à l’instar républicaine en péril. Marlo-Plumauzille et Johann Chapoutot.
24 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Jeudi 25 Juin 2020

Livres/
L’écologie,
en leur arme
et conscience
Par
Alexandra Atteinte comme beaucoup par le syndrome pas dissimulé la tristesse profonde
que j’avais à ce moment-là. Je pre-
Schwartbrod de l’éco-anxiété, Laure Noualhat, ex-journaliste nais le risque que cela provoque de
la résignation… Si vous n’êtes pas
à «Libération», témoigne dans un essai
L
ongtemps, elle a cru se battre habité par ce qui se passe, alors vous
contre des moulins à vent, ra-
geant contre la désinvolture revigorant qu’il est encore possible n’y êtes pas sensible. La dépression
profonde m’a souvent tendu la main,
de ces femmes et de ces hommes
qui consomment à corps perdu sans
de combattre les désastres annoncés mais j’utilise des antidotes.» Pour
beaucoup, ce moment de radio a été
se soucier de l’avenir de la planète.
Elle s’est toujours refusée à compo-
sans tomber dans la dépression. une prise de conscience, celle que
le péril climatique était assez grand
ser, fourrant son nez dans les pou- pour qu’un homme comme lui re-
belles nucléaires américaines et fuse de faire des compromis, quitte
russes, partageant la peur de la singulier dans un livre, Comment sent jamais et c’est alors que pointe gues de découragement : «Je préfé- à renoncer au pouvoir. «En réalité,
montée des eaux sur l’île de Tuvalu, rester écolo sans finir dépressif, qui ce syndrome de l’éco-anxiété qui rais mourir que de perdre contre le la dépression annonce des jours
arpentant les forêts scarifiées de la entremêle avec une formidable ai- menace nombre de spécialistes vi- mal», lui a-t-elle confié. Elle a main- meilleurs, écrit Laure Noualhat,
République démocratique du sance l’intime et l’universel. Un li- vant dans la peur permanente de tes fois eu envie d’en finir avant que, sans imaginer que, quelques mois
Congo, racontant la fonte de l’Arcti- vre qu’elle porte en elle depuis de l’apocalypse climatique. «L’éco- miracle ou résultat de l’obstination, plus tard, Emmanuel Macron utili-
que et la détresse des ours blancs, nombreuses années, nous pouvons flippé a ceci de particulier qu’il peut Bloom obtienne en 2019 que les na- serait la même expression pour
enquêtant sur les coulées de boue en témoigner puisqu’elle a long- avoir plusieurs moments de sidéra- vires de l’Union européenne ne qualifier l’après-pandémie. Elle est
rouge en Hongrie, cheminant dans temps travaillé à Libération. tion, certains plus marquants que puissent plus utiliser la pêche élec- même salvatrice, à la seule condition
la zone irradiée de Tchernobyl sans d’autres. Un choc, un stimulus est trique. Cyril Dion, avec qui Laure d’être vécue comme une étape, d’être
songer aux conséquences possibles Vagues de nécessaire pour diffuser l’informa- Noualhat a réalisé Après demain, la accueillie telle qu’elle est, le temps
sur son organisme, infligeant à son découragement tion jusqu’au cerveau. Une fois suite (logique) du documentaire De- qu’elle durera. […] Tous les prati-
corps toutes sortes d’expériences «Tomber en écologie, c’est engager le éveillé, l’être ne peut plus se rendor- main, plébiscité par la planète écolo ciens reconnaissent qu’aller fort bien
bizarres. deuil du XXe siècle, celui du “Just do mir.» Chez Laure Noualhat, l’écodé- et même au-delà, est parvenu à sur- dans un monde qui ne tourne pas
Elle a failli y laisser sa santé physi- it !” ou du “Yes, we can !” De la sur- pression est vite devenue la norma- monter l’angoisse en étant suractif rond signe la vraie maladie, tandis
que et mentale, sombrant dans des consommation, des Black Friday et lité, transformant l’obsession du et en murmurant à l’oreille des que souffrir de ce qui se passe est très
abîmes de désespoir et de solitude autre Cyber Monday… Tout cela est désordre climatique en état d’esprit puissants. C’est lui qui a suggéré à bon signe ! “L’éco-anxiété est un si-
jusqu’au jour où elle s’est relevée, bel et bien terminé. Ce siècle de permanent. «Je lisais écolo, dormais Emmanuel Macron l’idée de la Con- gne d’intelligence et de très bonne
apaisée. Elle, l’écolo pure et dure, ne grande accélération a vu exploser écolo, vivais écolo», raconte-t-elle. A vention citoyenne, cette assemblée santé psychique : ces personnes ne
finirait pas dépressive. Ce long par- tous les compteurs, qu’il s’agisse de ce rythme, soit on se laisse couler et de 150 citoyens tirés au sort pour sont pas dans le déni, au contraire,
cours, jalonné de mille chausse- la population mondiale, de la on devient fou, soit on se bat et on définir les grandes réformes à me- elles ont le courage de regarder les
trappes, coups de cœur et coups de ­consommation énergétique, de s’en sort. Tous ceux et toutes celles ner pour réussir la transition écolo- choses en face”, précise l’écopsycho-
gueule (on se souvient du person- l’amoncellement des déchets, du qu’elle a interrogés, obsédés comme gique. logue montpelliéraine Charline
nage hilarant de Bridget Kyoto pillage des minerais, des terres ra- elle par la catastrophe climatique à Schmerber.» Fort bien, mais une fois
qu’elle avait créé pour des vidéos res, du sable, etc. Oui, l’écologie, c’est venir, se sont battus, chacun(e) à Monde en capilotade que l’on a touché le fond, comment
postées sur YouTube, tournées avec ça : l’accélération dans le royaume leur façon. Claire Nouvian, la prési- Et que dire de Nicolas Hulot, cra- remonter à la surface et retrouver le
son complice Eric La Blanche), la des adieux», écrit-elle. Les cérémo- dente d’honneur de l’association quant en direct sur France Inter au goût de vivre dans un monde en ca-
journaliste Laure Noualhat le ra- nies des adieux sont à durées varia- Bloom, en guerre contre la (sur) pê- moment d’annoncer sa démission pilotade ? «Ce qui marche, c’est d’as-
conte à la première personne du bles, on le sait, certaines n’en finis- che industrielle, a enchaîné les va- du ministère de l’Ecologie. «Je n’ai sembler écologie intérieure et écolo-
Libération Jeudi 25 Juin 2020 u 25

Jour 23 : prunier reine-claude de Carennac, Jardres, France, le 8 avril 2020, de la série prise par Claude Pauquet durant son confinement. Photo Claude Pauquet. Agence VU

gie extérieure, comme nous y invite book sous les doux noms de Effon- en acceptant de ne pas y parvenir.» l’écolo radicale que je suis, le coronavi-
le philosophe alpiniste Arne Naess drement et résilience, Collapsologie «Tous les praticiens Pour tenter de chasser ses idées rus est mon ami. Comme toutes les
avec son concept d’écologie profonde, heureuse, Effondrement et pe- reconnaissent noires, Pascal Dessaint, lui, a un se- crises qui l’ont précédé. Comme la
écrit la journaliste. Le terme désigne tit-cœur-tout-seul et même Adopte cret : il marche dans la nature. canicule de 2003, qui avait déjà dé-
une branche de la philosophie écolo- un(e) collapso ou Les pochtrons de qu’aller fort bien «Marcher pour des idées, pour ne voilé le dénuement de l’hôpital face
gique, apparue dans les années 70,
qui considère l’humanité comme
l’apocalypse, mais il faut croire que
ça peut aider. Plus sérieusement,
dans un monde pas céder face à des intentions détes-
tables, une mondialisation morti-
à des crises de grande ampleur […].
Comme la crise financière de 2008
partie intégrante de l’écosystème, en Laure Noualhat raconte comment qui ne tourne fère, une oppression toujours plus et son opportunité, déjà, de ré-
coévolution avec les dix millions elle a un jour découvert l’écofémi- forte, une violence globale et suici- flexion-bifurcation […]», écrit Laure
d’autres espèces (connues à ce jour) nisme. «Entre femmes de cette pas rond signe daire, une guerre nouvelle que l’hu- Noualhat. Ce virus a mis le monde
et non comme une entité à part et trempe, on ne se marche pas dessus, la vraie maladie, main mène désormais contre lui- face à son impréparation. […] Pour
supérieure. […] En fait Naess invite on se fait la courte échelle tout en même. Marcher, parce que c’est la ceux qui, comme moi, se sont battus
à une “révolution copernicienne” en chérissant l’optimisme. […]. Nous tandis que souffrir manière la plus simple et sans doute contre une indifférence abyssale, le
replaçant la nature au cœur de nos
pensées et de nos valeurs. Ce qu’il
nous revendiquons dignes descen-
dantes des effrontées et des sachan-
de ce qui se passe la plus noble de dire NON !» écrit-il
dans Vers la beauté toujours. Cer-
surgissement de l’urgence écologique
dans le débat public actuel fait l’effet
appelle profond, c’est la part de res- tes (ainsi que des pauvres innocen- est très bon signe !» tains passages sont écrits dans un d’une bulle d’oxygène.» De l’air
senti de notre appartenance à un tes) qui se faisaient occire sur les style un peu trop enfantin et fami- ­contre les idées noires. •
Laure Noualhat
grand tout.» bûchers des XVe, XVIe et XVIIe siè- lier à notre goût mais cet auteur de
dans «Comment rester écolo
cles. […] Cette cause dans la cause polars, écolo et révolté, a une con- Laure Noualhat
sans finir dépressif»
Exploitation s’installe tout naturellement auprès naissance telle de la nature et de ses Comment rester écolo
outrancière d’une génération de même pas tren- habitants – notamment des oi- sans finir dépressif
Plus facile à entreprendre à plu- tenaires, pleines d’énergie et du be- d’une vieille maison avec un im- seaux, qu’il peut nommer par cen- Editions Tana, 256 pp,
sieurs que seul(e) car, comme le dit soin d’affirmer sans complexe le rôle mense jardin dans l’Yonne, à Joi- taines – que ses descriptions nous 18,90 € (ebook : 13,99 €).
l’auteure, «la peine, c’est comme la capital des femmes dans la répara- gny. Une sorte de révélation qui l’a emmènent direct là où les bruits de
joie, ça se partage». Il faut malgré tion du monde.» ancrée dans la terre à tous les sens la ville s’estompent. Pascal Dessaint
tout se sentir vraiment seul pour Mais ce qui a achevé de sortir la du terme. «Peu à peu, je comprends Le Covid-19 va-t-il pousser les Etats Vers la beauté, toujours !
avoir envie d’adhérer à ces groupes journaliste de l’écodépression c’est qu’on peut tenter de changer le à mettre un coup d’arrêt à l’exploita- Editions Salamandre,
thématiques émergeant sur Face- son départ de Paris et la découverte monde, mais qu’on peut aussi vivre tion outrancière de la nature ? «Pour 144 pp., 19 €.
26 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Jeudi 25 Juin 2020

Libé week-end
Chaque samedi, retrouvez huit pages ­spéciales

Livres/
consacrées à l’actualité littéraire. Cette semaine,
retour sur l’histoire de l’écrivain paraguayen
­Augusto Roa Bastos (photo) et Moi, le Suprême,
sommet des «romans de dictateur» suscité par
le Péruvien Mario Vargas Llosa en 1967, republié
chez Ypsilon dans la traduction d’Antoine Ber-
man. photo Ulf Andersen . Aurimages

Prenant le fleuve fois… Page 651, François Sureau


comme fil conducteur, confie une des origines de son livre,
l’auteur évoque à propos de Jean-François Deniau :
dans «l’Or du temps» «Lorsque j’ai formé le projet de des-
cendre la Seine en suivant Ba-
ses personnalités et gramko, il est avec Michel Klein le
auteurs favoris, par premier dont le souvenir s’est imposé
étapes successives à mon esprit, comme l’une de ces fi-
riches en anecdotes. gures peu connues ou vite oubliées
qui, sans que personne n’en sache

E
crire un récit qui suive le rien, empêchent notre monde de s’af-
cours d’un fleuve, comme le faisser sous le poids de ses lâchetés,
doigt chemine sur un relief, de ses accommodements.» Ce qu’il
inspire les écrivains – Claudio Ma- dit en début de bordée, du général
gris et Emmanuel Ruben, par exem- Mangin, originaire de Châtillon et
ple, pour le Danube. Chez François beau-père de Diego Brosset, général
Sureau, la Seine, de la source à l’es- de légende mort au combat en 1944,
tuaire (il débouchera sur la mer montre ce qu’il aime des héros qu’il
dans un tome à venir), paraît pres- s’est choisis. «Mangin est le con-
que un alibi. N’écrit-il pas : «Per- traire de ces idoles, impossible à
sonne n’a jamais parlé de civilisation sculpter, à déifier. Il bougera sans
séquanaise comme de civilisation cesse et se transformera jusqu’à la
danubienne. En France le fleuve ne fin.» Il le rapproche de T. E. Law-
compte guère, ni même le Rhône ou rence pour sa fin : ils «sont morts
le Rhin. A peine une voie de com- tous deux cependant dans le même
merce, l’occasion d’une peur, celle état d’inachèvement qui rend leurs
des Normands ou des Teutons. […] destinées si propres à la rêverie».
Dans Paris, aucun doute n’est plus Ainsi François Sureau effeuille-t-il
permis. La Seine n’a pas d’impor- les lieux avec des figures, Mangin
tance.» Pas de circuit à étapes, de en Bourgogne, Rachi et Chrétien à
marche à haltes aux points cru- Troyes, Simenon à Samois, Koestler
ciaux. Le fleuve joue le fil autour à Fontaine-le-Port, Antoine
duquel aligner ses lieux, personna- Le Maistre à Port-Royal, Adjani aux
ges et auteurs favoris. Les digres- Batignolles, André Breton au fa-
sions emmènent souvent loin du lit, meux Cyrano, Lyautey et la Grande
pour y revenir toujours, naviguant Chartreuse… Les mouvements de la
d’une histoire à une autre. Ce n’est ville et ses drames lui inspirent
pas un voyage en solitaire. Il l’ac- aussi de belles échappées, incendie
complit «en compagnie d’un étran- du Crédit lyonnais, du Bazar de la
ger» : un certain Agram Bagramko, Charité ou encore dégringolade des
peintre russe réfugié en France Grands Magasins Dufayel.
dans les années 20, proche un
temps du mouvement surréaliste, Carrosses. Ce texte méandreux
auteur d’une œuvre picturale et peut se lire par morceaux de bra-
écrite, Ma Source la Seine. Cet voure de quelqu’un qui a épuisé le
Agram Bagramko, au patronyme sujet. A Samois, Simenon a amarré
d’anagramme, est enterré au Moun- sa péniche «et c’est là que Maigret va
tain View Cemetery en Colombie- naître», suivent 15 pages bien sen-
Britannique en 1972, avec cette fa- François Sureau est avocat au ­Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Photo Jean-Luc Bertini. Pasco ties sur l’écrivain belge et sa célèbre
meuse phrase : «Je cherche l’or du créature. Ivry, «le royaume de la
temps», celle-là même qui orne la RATP», sert de prétexte à dérouler

François Sureau,
tombe d’André Breton au cimetière les dernières années de Pascal qui
des Batignolles. a œuvré pour des carrosses pour
tous à Paris. Le Conseil d’Etat per-
Grands destins. Ce double ima- met de relater les tribulations vraies

influences de la Seine
ginaire s’ancre au fil des pages, et ou fausses (un texte anonyme, clan-
permet peut-être à François Sureau, destin ou rare peut être facilement
haut fonctionnaire, avocat au un déclencheur biographique dans
­Conseil d’Etat et à la Cour de cassa- l’Or du temps) de Robert Anguet, roi
tion, de se glisser dans un autre type du recours qui a marqué de son
d’existence par procuration, de et de son propriétaire, le professeur une forme d’esprit attaché à de Dès le signal du départ, Langres nom maints arrêts. On trouve aussi
dresser le portrait d’un exilé, rebelle de médecine M., initiale derrière la- grands destins, passionnée par les puis Châtillon-sur-Seine, il est cer- dans cette impressionnante traver-
et non conventionnel, créatif et da- quelle se cache son grand-père, dé- menus faits qui en disent davantage tain que le parcours ne sera pas une sée, volubile et minutieuse, bien
vantage en distance de la galerie de masqué totalement page 574, et qui sur une personnalité. Ce croyant banale promenade de santé. On loin du simple canotage, une ana-
portraits «nationaux» dans laquelle hébergea un ancien cosaque appelé cite aussi souvent Charles de Fou- plonge en apnée dans un impres- lyse de trente pages du pouvoir
va cheminer avec lui le lecteur. Cet Grigoriev, que l’on croise à tous les cauld et Ignace de Loyola, auxquels sionnant chaudron. Celui d’un éru- dans Babar, qui «ne cultive pas sa
Agram, passionné d’Apollinaire coins de chapitres. On y entrevoit il a consacré des ouvrages, et de ma- dit, qui a décidé de dérouler ses ad- légende avec la vulgarité dont nous
comme lui et aussi de Pascal, lui quelques-uns de ses souvenirs, son nière sibylline sa fiction, en particu- mirations, qu’elles soient militaires, avons pris l’habitude».
donne une plume plus vagabonde séjour à l’ENA ou à la Légion étran- lier le roman qui lui valut le prix de littéraires ou religieuses. Il ne s’agit Frédérique Roussel
et permet de ne pas verser dans le gère, où il en profite d’ailleurs pour l’Académie française en 1990 : «Il y pas seulement de héros ou de hauts
registre des mémoires. L’autobio- éplucher les dossiers de volontaires, a sûrement là matière à un roman faits, mais aussi de méconnus et François Sureau
graphique affleure : il est souvent des Cendrars, Nicolas de Staël, Har- un peu rêveur, qu’on pourrait appe- d’ouvrages souterrains dont «tout le L’Or du temps Gallimard,
question du domaine de La Geneste tung ou Cole Porter. On y note là ler l’Infortune.» monde se fout», comme il le dit par- 848 pp., 27,50 € (ebook : 19,99 €).
Libération Jeudi 25 Juin 2020 u 27

Rencontre La librairie Folies d’encre et les éditions Festival A l’occasion des 60 ans de la mort d’Albert
P.O.L proposent une rencontre sur le parvis devant la Camus, France Culture propose un festival
librairie, le 26 juin à 18 heures, avec Frédérique Berthet ­radiophonique en coproduction avec l’association
(photo), à l’occasion de la sortie de son roman Never(s), Rencontres méditerranéennes Albert Camus, les 27
histoire d’amour épistolaire entre sa grand-mère, Etien- et 28 juin. Au programme, des émissions spéciales,
nette, et Georges de 1943 à 1948. La rencontre sera ac- des lectures en direct (l’Envers et l’Endroit, le Premier
compagnée d’une lecture de Dominique Cabrera. Homme, la Peste) et une dictée géante. Photo AFP
Photo Helene BAMBERGER . Opale . Leemage Rens. : franceculture.fr/evenement/albert-camus-der-
Folies d’encre, 9, av. de la Résistance, Montreuil (93). nier-ete

Priya Basil, le partage des autres


nois, qui préfèrent que chacun «Langar signifie cuisine commu- emporté dans les violences qui
Issue d’une famille indienne, élevée au Kenya coupe sa part ? Si on vous invite nautaire, et n’importe qui peut se ont accompagné la partition de
et installée à Berlin, l’auteure cuisine ses au restaurant, faut-il remercier joindre à la communauté.» Pour l’Inde en 1947. Il est rentré mou-
origines et s’interroge sur les diverses approches simplement, ou commencer par l’enfant, c’était difficile à com- rant, Mumji l’a sauvé «cuillerée
refuser, comme il est de mise en prendre, «je n’avais jamais mangé après cuillerée». Elle était la mère
de l’hospitalité et de l’hostilité selon les pays. Inde ? en ­compagnie de Noirs, à l’excep- d’un enfant illégitime, il fallait
La famille de Priya Basil, qui a la tion de nos domestiques à Nai- qu’elle se marie. Ensemble, ils

C’
est fou le nombre d’écri- qu’elle est mince. C’est à sa mère citoyenneté britannique, est robi». Inférieure aux Blancs, su- sont partis pour le Kenya.
vains qui puisent dans la qu’elle demande de préparer un d’origine indienne. Elle-même périeure aux Noirs, la classe aisée «Mumji manie les ingrédients
nourriture la matière khadi, «curry crémeux à base est née à Londres en 1977, a à laquelle elle appartenait faisait comme des armes. […] A ses
d’élégants récits. Priya Basil, de yaourt et de farine de pois grandi au Kenya, puis elle est re- d’elle une privilégiée. A Berlin, ­fourneaux ou à sa table, l’hospita-
dans Be My Guest, remue théo- ­chiche». Et c’est sa mère qui partie pour la Grande-Bretagne, de par sa couleur de peau, elle est lité côtoie souvent sa presque ho-
ries, souvenirs, citations. Le sous- ­congèle pour elle des litres de et s’est mariée en Allemagne où étrangère. Le racisme a son mot monyme : l’hostilité. Les deux
titre indique la direction prise : sauce tomate, de tarka. elle vit depuis 2002. Sa réflexion à dire dans Be My Guest : il est mots ont la même racine indo-eu-
«cuisine, générosité, hospitalité». Ne pas croire pour autant que s’est développée à partir de l’af- question de pouvoir jusque dans ropéenne hosti qui signifie hôte,
Pour la philosophie, on ira du Be My Guest va vous laisser dîner flux des réfugiés : que faire, quel l’intimité. invité et étranger, trois rôles que
côté de Jacques Derrida et d’Hé- en paix. Vous faites comme chez aide apporter, comment aider Ainsi, sa grand-mère, Mumji, nous occupons successivement
lène Cixous. Pour la gourman- vous, mais chez Priya Basil rien plus et mieux ? Comment tendre ­entendait-elle garder son mari à toute notre vie.»
dise, tout part d’un khadi. ne va de soi. Faut-il imposer à ses vers «l’hospitalité incondition- la maison, en lui servant de déli- Claire Devarrieux
Il doit être abondant car l’appétit invités des assiettes déjà rem- nelle» ? A Nairobi, quand elle cieux repas. Ils détestaient l’un et
de l’auteure, enfant comme plies, au risque qu’ils en laissent ? avait 9 ou 10 ans, le grand-père l’autre l’esclavage que cela repré- Priya Basil Be my guest
adulte, est «immense, insatiable, Convient-il de découper la tarte à de Priya ­Basil lui avait expliqué sentait et ne l’auraient rompu Traduit de l’anglais par Carole
débordant». La justice n’étant pas l’allemande, en parts égales ? Ou le principe du langar, ce repas pour rien au monde. Ils étaient Hanna. Delcourt, 128 pp.,
de ce monde, Priya Basil précise bien vaut-il mieux suivre les Da- ­offert à la fin de l’office sikh : fiancés lorsque Papaji s’est trouvé 14,90 €(ebook : 9,99 €).

Freud, l’inconscient collecté


Sous forme de terme : des écrivains qu’il «c’est le contraire d’une bonne
galerie de portraits, ­aimait – Adelbert von Cha- raison». Certains personna-
Michel Gribinski et misso, Zweig, Zola – sa fa- ges n’ont droit qu’à une petite
mille, ses disciples, ses entrée, d’une taille sans rap-
Thomas Lepoutre ­mentors. Mais le livre n’est en port avec leur notoriété : c’est
recensent les rien un catalogue, un «Freud que Gribinski et Lepoutre se
personnalités et son temps» supplémen- concentrent sur ce qui reliait
que le père de taire, tellement Gribinski et ces êtres à Freud et ne dérou-
la psychanalyse Lepoutre, à travers leurs lent pas leur biographie par
admirait et commentaires et ce qu’ils le menu. D’autres livres s’en
ses liens avec ­retiennent de cet entourage, chargent. Nietzsche tient en
sont piquants, subjectifs dix lignes. Y figure un mer-
son entourage. et spirituels. veilleux aphorisme de Par-
delà le bien et le mal : «Oui j’ai

Q
ui sont les héros de Aphorisme. Freud n’a pas fait cela, dit ma mémoire. Il
Personnages en quête rencontré tous ceux convo- est impossible que je l’aie fait,
de psychanalyse, ce qués ici. A Mussolini, par dit mon orgueil, et il demeure
livre dont le beau ­titre évo- exemple, il n’a fait qu’adres- intraitable. Finalement…
que Pirandello ? Une ribam- ser une dédicace. C’est déjà c’est la mémoire qui cède.»
belle d’abandonnés ? C’est le beaucoup, et c’est une décou-
cas pour certains d’entre eux. verte «à nos yeux incongrue et Rumeur. Célèbre critique Sigmund Freud et sa fille, Anna, à La Haye en 1920. akg-images. Imagno. k.A.
Les deux auteurs, Michel désagréable», écrivent Gri- danois, Georg Brandes (1842-
­Gribinski, psychanalyste, binski et Lepoutre. En 1933, 1927) occupe un petit para- La famille de Freud occupe chanalyse, c’est ouvrir des mes toujours étonnés d’ap-
et Thomas Lepoutre, psy- Freud offre son Pourquoi la graphe lui aussi. Il éprouvait plusieurs pages. Elle compte portes qui s’ouvrent sur d’au- prendre qu’un homme et une
chiatre, définissent dans leur guerre ? au Duce, avec ces pour Freud une admiration des cas qui font jaser depuis tres lieux encore. femme ont eu des relations
avant-propos ce que ce texte mots : «A Benito Mussolini, partagée. En 1925, les deux longtemps. Anna, la fille, est La belle-sœur de Freud fit sexuelles.»
n’est pas : «On ne trouvera avec le salut respectueux d’un hommes se rencontrent. la figure la plus discutée. Sur couler beaucoup d’encre Virginie Bloch-Lainé
pas ici un répertoire des au- vieil homme qui reconnaît en Brandes : «Il y a une chose les photos elle n’est «ni en- ­également. Minna Bernays
teurs auxquels Freud se réfère la personne du dirigeant un qu’il faut que je vous dise ; je fant, ni adulte», écrivent Gri- (1865-1941), la sœur de Mar- Michel Gribinski
ou des personnes à qui il héros de la culture.» Le fon- n’ai jamais eu de sentiments binski et Lepoutre, qui citent tha, vécut quarante-deux ans et Thomas Lepoutre
s’adresse.» C’est plutôt une dateur du fascisme vient de sexuels pour ma mère.» ensuite le psychanalyste avec le couple. Gribinski et Personnages
galerie de portraits, classés lancer un important pro- Freud : «Il n’est pas du tout Adam Phillips : «A la diffé- Lepoutre font un sort à la en quête
par ordre alphabétique, de gramme de fouilles archéolo- nécessaire que vous l’ayez su ! rence de l’enfant, l’adulte n’a ­rumeur selon laquelle Freud de psychanalyse
femmes et d’hommes, con- giques. Comment s’explique Ce sont en effet pour l’adulte nulle part où aller, aucune et elle couchaient ensemble. PUF, «Petite bibliothèque
temporains ou non de Freud, cette initiative ? Freud répon- des processus inconscients.» place prédéterminée, il lui Beaucoup d’avis circulent de psychanalyse»,
qui appartenaient à son dait peut-être à la demande Soulagé, Brandes serre la faut aller quelque part.» Lire sur le sujet. «Et nous ? Nous, 208 pp., 14 €
­entourage au sens large du du père d’une patiente. Mais main de Freud. Personnages en quête de psy- c’est très simple. Nous som- (ebook : 10,99 €).
Libération Jeudi 25 Juin 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe

La scène déménage
«l’hyper­présent», elle expérimente un retour vertigineux dans
les années de son enfance. Un téléphone basique donc, pour
«rencontrer» un à un la totalité des 30 salariés.
Julie Deliquet est une femme à qui tout réussit. Du moins
Julie Deliquet Cette brillante metteure en scène, ­réussit-elle à donner ce sentiment sans que ce soit prémédité.
Elle vient d’avoir 40 ans, et sa carrière est exemplaire. Si exem-
réputée pour son recours à l’improvisation, plaire qu’une ombre passe sur son visage. «Je n’ai jamais pensé
prend la tête du Théâtre Gérard-Philipe à Saint-Denis. carrière solo. Et aujourd’hui, mon nom passe avant celui
d’In Vitro… C’est une question qui peut me réveiller la nuit.»
Elle a fondé In Vitro parce qu’elle «adorait» le temps des répéti-
tions et beaucoup moins celui des représentations quand elles
se figent dans une forme. L’une des singularités de ses créa-
tions est que ni le texte ni le jeu ne sont fixés. Une part d’impro-
visation persiste, y compris lorsqu’elle travaille avec la Comé-
die-Française. Denis Podalydès, distribué dans Fanny et
Alexandre, son adaptation de Bergman, évoque «un cadre hy-
perprécis… pour accueillir les inventions les plus incongrues,
des sorties de route incroyables». Il demeure surpris de la con-
fiance faite aux acteurs. «On partait dans des improvisations
d’une heure trente à 19 sur le plateau, et elle en tirait un jus.
Quand on reprenait, on s’apercevait qu’elle avait tout entendu
dans ce brouhaha.» Elle résume : «Mes répétitions ne font que
créer une mémoire collective.»
Denis Podalydès : «Elle m’a
appris à faire la planche avec 19 juin 1980
l’attention du public.» Naissance.
Julie Deliquet continue 19 juin 2009
d’analyser son parcours, avec 1er spectacle d’In Vitro.
ce léger pincement au cœur : 19 juin 2016
«Au Français, je me suis auto- Répétitions de Vania.
risée à dire “je”. Pour la pre- 19 juin 2020
mière fois, j’ai eu un décor. 1er déjeuner avec
Auparavant, j’étais cheffe de l’équipe du Théâtre
troupe mais pas vraiment Gérard-Philipe.
metteure en scène.» Dans la
maison de Molière, elle s’en-
toure de quelques complices d’In Vitro, et bagarre pour l’éga-
lité salariale entre elle et eux, qui est la règle dans le collectif.
Julie Deliquet ne vient pas du sérail. Elle a opté pour un cours
de théâtre à la maison de la culture de Lunel (Hérault), vers
10 ans, parce qu’elle n’avait «pas envie de faire de la danse clas-
sique». Et, jusqu’à ses 17 ans, elle a peu l’occasion d’être specta-
trice. Une enfance heureuse, avec sa petite sœur, dans le lotis-
sement d’un village. Les deux se distribuent les rôles. L’une
est excellente élève et sait ce qu’elle veut faire, l’autre déroute
et construit depuis peu «des petits objets en macramé». Qui
pourraient appartenir aux décors de la première. Leurs parents
enseignent en zone d’éducation prioritaire, «le service public
est la mission de ma mère». C’est aussi celle de Julie Deliquet,
qui serait «instit» si elle arrêtait le théâtre. «Je crois à l’hôpital
public, à l’école publique et à la culture pour tous. Mais comme
à une donnée si précieuse qu’elle exige d’être réinterrogée en per-
manence.» Pour autant, elle ne pense pas que la question du
théâtre populaire se pose de manière différente depuis Jean
Vilar, qui estimait qu’il avait vitalement besoin des classes la-
borieuses. Elle-même n’est pas issue des grandes écoles. «Je
garde un petit sentiment d’illégitimité qui me pousse à toujours
vouloir aller plus haut. Avec In Vitro, on est nés de la galère.»
Elle s’enflamme tout d’un coup : «Alors quand le Président nous
explique qu’il faut s’adapter, jouer hors les murs dans des formes
plus légères… Ne serait-ce que pour des raisons financières, tout

P
our qualifier la metteure en scène Julie Deliquet, plu- ment pris conscience que j’étais blanche il y a peu.» Julie Deli- ça, on l’a fait et on continue. On va proposer des ateliers gratuits
sieurs ont cette même réflexion : «Elle est hype.» Hype ? quet a été nommée directrice du TGP à la suite du départ de aux enfants et aux parents pendant l’été. C’est une nécessité.
C’est curieux. La toute nouvelle directrice du Théâtre Jean Bellorini pour le TNP à Villeurbanne. Prendre ses fonc- […]. Ça a été difficile pour notre métier d’être aussi peu consi-
Gérard-Philipe (TGP), qui a pris ses fonctions le 1er avril en tions en milieu de saison est toujours une étrangeté puisqu’on déré. Je crois profondément au lien entre le théâtre et l’école
plein confinement, ne correspond pas à l’idée qu’on se fait de assume les choix d’un autre. Mais paradoxalement, l’inédit mais nous ne sommes pas des animateurs. On ne crée pas de
cette épithète, par ailleurs désuet, un oxymore à lui tout seul. de la période a été un atout. «On n’est pas formé pour diriger l’élitisme mais de l’exigence. Une société sans culture serait une
Quoi que : Julie Deliquet a cette particularité de transbahuter, un théâtre. Mais je prends ce poste alors que chaque responsable société tout aussi malade.»
de manière encore plus visible que quicon- de scène est face à l’inconnu.» Le 8 juillet, son premier film Violetta sera en salles dans le ca-

Le Portrait
que, l’épaisseur d’une histoire et les con- Le confinement la surprend à La Rochelle, dre du programme collectif Celles qui chantent, où signe entre
tradictions de plusieurs époques mêlées. où In Vitro, le collectif qu’elle a créé autres l’Iranien Jafar Panahi. Il met en relation l’Opéra de Paris
Faute de café, faute de terrasse libre, faute en 2009, vient de jouer Un conte de Noël et l’hôpital public, le personnage de femme malade par excel-
d’appartement disponible, on se rencontre sur un banc, un d’après le film d’Arnaud Desplechin. Elle se retrouve à Niort lence et une femme malade qui ressemble à la cantatrice. Julie
vieux banc vert d’un jardin public du début du siècle dernier. avec son compagnon, le comédien Eric Charon et leurs fils Deliquet a le projet d’adapter Huit heures ne font pas un jour,
Des clochards, des oiseaux, des enfants, des vieux isolés, un de 7 ans et 14 ans dans une maison vétuste et inhabitée. La mai- d’après un feuilleton inédit en France de Fassbinder avec beau-
couple d’amoureux anglophones qui se bécotent masqués et son est gentille, elle accepte les visiteurs, mais elle n’est con- coup d’acteurs. A ou avait ? «Je n’ai pas osé entamer la distribu-
avec un gobelet à la main. Comment vont-ils introduire la nectée à aucun réseau. Un billard en plastique devient sa table tion.» Ce sera un hommage à l’intelligence collective dans
paille dans leur bouche ? Des bruits d’explosions rompent l’am- de travail et le grenier son bureau. Elle s’y enferme de 8 heures une usine d’outillage, où des gens se demandent comment être
biance bucolique. Elles proviennent de la place de la Répub­- à 20 heures, tandis que leurs fils jouent au ballon. Pas de réu- plus heureux et plus justes. •
lique où les manifestants pour Adama Traoré sont nassés. Julie nion sur Zoom, pas de télé-école, pas de streaming, pas d’au-
Deliquet songe : «Si mon sexe dans mon métier m’est sans cesse tres écrans que le recours à une grosse télé ronde qui crache Par Anne Diatkine
rappelé, ma couleur de peau n’est pas une question. J’ai vrai- Louis de Funès. Si la nouvelle directrice est accaparée par Photo Bruno Amsellem

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