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Qui sont les "haters"?

18.02.16

Une nouvelle catégorie d’acteurs est née sur internet, et fait beaucoup de mal:
les «haters» (haineux traduit en français). Qui sont les haters ?
Manifestement des «méchants», motivés par des sentiments négatifs.

Quelques définitions ont déjà été données, l’une d’elles désigne HATER
comme sigle de Having Anger Toward Anyone Reaching Success. Cette
définition nous donne un très bon aperçu de la manière dont on veut que la
masse perçoive les haters : des gens jaloux, frustrés, dont le plus grand
plaisir est de médire de la réussite de ceux qui ont du mérite, et découlant de
cela, de se réjouir du malheur des autres. Et se trouvant dans cette position
de haine ils doivent eux-mêmes être des loosers, des ratés sans talent («ever
met a hater doing better than you ?.... Me either») et deviennent enragés
lorsqu’ils constatent que d’autres en ont et connaissent le succès.

Pour confirmer ces faits, il va falloir creuser un peu. D’abord d'où vient cette
expression ? Apparemment les gens touchés par le succès le sont aussi par
le venin des haters. Mais voilà, le succès appelle la célébrité, et il est évident
que celle-ci n’amène pas toujours que de bonnes choses.

A propos du « succès », Victor Hugo au 19e siècle, soulignait déjà que le


succès et la notoriété n’allaient pas de pair avec le talent. Et c’est on ne peut
plus vrai à notre époque. Et je pense que Victor Hugo était à mille lieux
d’imaginer ce qui aujourd'hui fait que les gens ont du succès, deviennent
«connus».

Les gens qui acquièrent quelque notoriété, ne serait-ce qu'à une toute petite
échelle, devraient savoir que celle-ci suscite forcément des réactions, et que
ces dernières ne peuvent pas forcément être positives. A partir du moment où
l'on produit quelque chose, que ce soit une production intellectuelle, artistique,
ou même une idée ou une opinion, on doit s'attendre à ce que des tiers
analysent cette production et donnent leur avis à son sujet.

Et comme je me réfère à l'époque à laquelle nous vivons, un facteur important


intervient: comme l'a très bien exprimé Ricardo Lopes dans son artice Contre
l'opinion http://pensamentosnomadas.com/contre-lopinion-26009, grâce à
l'accès à la technologie et à l'information, nous pouvons tous nous exprimer
et, effectivement, aujourd'hui tout le monde a la possibilité de donner son
opinion, être un artiste ou un écrivain. Le problème de ce monde merveilleux
où tout est à portée de nos mains est que souvent nous avons les outils pour
ce faire mais nous manquons cruellement d'expérience, de travail et de
sagesse pour produire du contenu d'un minimum de cohérence et de qualité,
et ainsi réjouir autrui. Alors parfois nous ne réfléchissons pas assez à ce que
nous produisons et il en sort quelque chose de médiocre. Ceci est critiquable.

Les réseaux sociaux jouent un rôle crucial dans la diffusion de cette masse de
production de Monsieur-tout-le-monde, et je me vois inévitablement déplorer
l'absence du bouton «dislike» de facebook. Oui, notre seule option est
d'acquiéscer. Mais non, me direz-vous, nous sommes libres d'émettre une
opinion quelle qu'elle soit ! Très bien, voici alors un exemple:

Il y a cet «artiste» que je suis sur facebook, il se dit photographe mais


objectivement ses photos sont loin du niveau d'un amateur, et techniquement
très médiocres. Mais voilà, dans notre monde libre, comme il s'est lui-même
qualifié d' «artiste» et de «photographe», tout le monde trouve ça génial. Si je
viens librement donner mon opinion et soumettre ma critique, on va me
ŕétorquer de manière virulente que je suis «hater», que je suis jalouse car
j'aimerais pouvoir en faire autant, etc.

Ceci est, à mon avis la recette typique de l'apparition de haters : une


personne ou un groupe profite des moyens offerts par nos sociétés modernes
pour se faire connaître (appareil photo de haute qualité, réseaux sociaux…) et
abuser d'autres personnes naïves (en s'auto-proclamant «artiste») qui le
trouvent génial (likes). Apportant une analyse sur le fond (la qualité des
photos) et donc une critique objective (photos médiocres), et allant dans le
sens inverse du reste du public, l'avis négatif va provoquer une réaction
extrêmement hostile contre le critique et son opinion, qui au lieu d'être
analysée sera uniquement considérée comme l'expression de mauvais
sentiments (jalousie, frustration, envie…) envers l'artiste incompris.

Mais ceci est bien plus grave que le déchaînement des foudres des
adorateurs de tout-ce-qui-se-présente sur ceux qui ont un minimum d'esprit
critique. Le fait est que, pour la seule raison d'émettre une critique rationnelle
et construite sur quelque sujet, une personne va être systématiquement
exclue de tout débat et de tout espace d'expression: en effet après l'émission
d'une critique, qui se veut constructive, une personne cataloguée de «hater»
sera automatiquement discréditée, et son opinion considérée à l'avance
comme du venin n'aura aucune chance d'être écoutée ni répandue. Qui sont
les «haters», donc ?

Des gens qui disent du mal par plaisir, sans pouvoir argumentatif? Cela a
toujours existé, on ne les avait pourtant pas dotés d'un tel sobriquet.

Des gens qui analysent ce qui se présentent sur le FOND, doués d'un esprit
rationnel et critique, et se permettent d'émettre un avis, dérangent sans-doute
beaucoup plus, troublant les paradis artificiels où tout est beau et bien, et où
tout le monde est d'accord.

Pour finir sur une note positive, je tiens à féliciter le talentueux communiquant
qui a créé ce terme, qui fait qu'on refuse d'entendre celui qui réfléchit avant
même qu'il ait ouvert la bouche.

Claire Fighiera, 18.02.2016, Lampang, Tailândia

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