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spiritualité pure dont [cet acte] témoigne et la structure du monde » : Par là, le moi
découvre une cause et donc un sens à l’existence de son sentiment d’injustifiable. Dès lors
en effet que l’opération réflexive ressaisit au fond d’elle même « l’acte pur » 33,
l’injustifiable apparaît comme une détermination pensable. L’acte réflexif peut alors le
retrouver comme point commun de la grande diversité de l’expérience du mal/ des maux,
commis ou subis par le moi.
Il nous faut bien remarquer ici, que le concept d’injustifiable ne porte pas en lui-
même son sens, il ne se justifie pas s’il est pensé seul, il a besoin de son pendant, l’esprit
pur, dont il est la négation (ce qui explique l’existence des sentiments de trahison, de
culpabilité, de remords, … qui sont des formes du sentiment d’injustifiable). C’est donc
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seulement ensemble que les concepts d’esprit pur et d’injustifiables peuvent être postulés
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car c’est dans la relation qu’ils entretiennent que peut se chercher l’origine du mal .
Ainsi l’idée de Nabert consiste à penser le sentiment d’injustifiable comme
l’aboutissement dans le sensible, d’un acte pur de l’esprit sans cesse nié par les faits. De là,
il apparaît que la forme que revêt cet injustifiable est celle de la trahison de l’absolu
spirituel par le réel (pour ce qui est des maux), et par l’homme empirique directement (pour
ce qui est du mal).
Il faut bien voir, que ce que Nabert appelle mal et maux, n’est qu’en apparence, la
distinction entre mal naturel et mal humain. En effet pour cet auteur les maux ne seraient
pas à l’origine d’un sentiment d’injustifiable, s’ils étaient sans aucun rapport avec une
causalité humaine. Si la signification des maux était vraiment épuisée par une explication
en terme de lois strictement naturelles, l’être qui les subit devrait les accepter, s’y résigner.
Or le sentiment d’injustifiable est au contraire la marque d’un refus, d’une révolte. Cette
« sourde protestation » de l’esprit face aux maux ne s’explique pas sans l’idée que
l’homme a contribué plus ou moins directement à leur apparition : « Car l’esprit n’est
autorisé ni à se plaindre qu’il n’y ait point de finalité naturelle accordée aux vœux de la
sensibilité, ni à s’étonner qu’une nature aveugle frappe sans discernement les
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personnes » , ce qui constitue les deux caractéristiques des maux. Ainsi ces maux
apparaissent être un résultat, plus ou moins lointain, d’actions humaines libres, qu’il soit
possible ou non de les dater, de les connaître et de suivre la chaîne de leur conséquences.
Là encore, se pose la question de savoir si cette façon d’envisager les maux n’est
pas le résultat d’une prise en compte irrationnelle par la pensée de la révolte de la
sensibilité, qui prend dès lors un poids exagéré, de telle façon que le moi se sent obligé de
répondre de l’ensemble de la structure du monde, et non pas seulement de ses actes. La
réponse de Nabert à cette objection passe de nouveau par l’acte qui consiste à se retourner
sur sa propre expérience :
l’expérience personnelle du rapport entre l’injustice de nos actes et les maux qui en
résultent pour d’autres êtres, nous invite, nous autorise à penser qu’en dépit de leur
contingence apparente, et en l’absence même de normes au nom desquelles nous
devrions catégoriquement nous en faire juges […] ces maux, dans une mesure, il est
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vrai, indéterminable, relèvent de la réfraction ou de l’insertion dans le déterminisme
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naturel, psychologique ou social, de décisions humaines.
On pourrait encore objecter à Nabert que rien ne prouve pour autant que tous les maux sont
des conséquences de la volonté humaine, or il n’y a pas vraiment de réponse à ce problème
dans l’Essai sur le mal. L’argumentation de l’auteur se replie en effet, ici, sur l’idée que le
sentiment d’injustifiable résulte d’une causalité humaine, en dehors de celle-ci, nous ne
sommes pas autorisés à parler de « maux ». Mais peut être par là, Nabert nous permet en
revanche de penser, qu’il existe à coté de ces derniers, des catastrophes, des événements
naturels qui ne sont pas pour autant des maux. En effet, il écrit : « bien que le seul jeu des
lois de la nature semble rendre compte d’un très grand nombre de maux, nous ne pouvons
nous défendre contre cette idée, qu’il n’est cependant aucun d’entre eux* qui ne soit dans
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quelque rapport direct ou indirect, immédiat ou lointain avec la volonté humaine. »
Ainsi si le mal est clairement l’effet d’une volonté humaine il apparaît que les maux
parce qu’ils sont dits injustifiables sont toujours le fait d’une causalité humaine, et que dès
lors on peut dire non seulement que les maux sont une forme du mal, mais que
l’injustifiable en réalité se rapporte bien toujours à une causalité humaine. Il y a là une
contradiction apparente avec ce qui est dit au chapitre premier, où Nabert écrit que
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l’injustifiable « n’est pas encore le mal ; il y faut la complicité du vouloir » . Nous
proposons pour résoudre ce paradoxe de penser qu’en réalité l’injustifiable se découvre
comme le critère du mal (pris au sens général, c'est-à-dire en incluant les maux) au fur et à
mesure que s’approfondit l’expérience de soi, dont l’Essai sur le mal est le récit 40. Ce
sentiment qui au départ permettait seulement d’approcher le mal, (car en étant à l’origine
d’un acte pur, que la conscience pouvait ressaisir et conceptualiser, il le rendait pensable et
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lui restituait « ces différentes dimensions » ), apparaît être dans son approfondissement
l’indice ultime de la sensibilité concernant ce mal. Il est le point de départ de l’épreuve de
toutes les formes du mal humain.
En effet c’est dans la question du mal humain (ou du mal à strictement parlé, c'est-
à-dire par opposition aux maux), que se découvre une identité entre l’injustifiable et l’une
des conséquences de la volonté humaine. Identité que, dès lors, Nabert se doit de penser
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aussi pour les maux, puisque ceux-ci réveillent en nous, tout comme le mal, le
sentiment d’injustifiable, (ce qui explique l’apparent paradoxe).
Pour comprendre le sens de cette identité, il faut voir que la déchéance qui fait
passer le moi de l’esprit pur à l’esprit empirique, est la forme fondamentale que revêt
le mal proprement humain dans la pensée de Nabert. Et que, dès lors, « la moralité
(où plutôt l’acte intérieur dont elle procède) ne s’identifie pas avec les actions où il
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tente de se vérifier dans des circonstances toujours incertaines et troubles » : ainsi,
c’est bien là que s’ouvre la question de la volonté, de la causalité humaine. En effet
c’est, pour Nabert, dans la déchéance de l’esprit que réside l’existence d’une
causalité impure du moi, expliquant que l’homme puisse faire le mal dans les faits,
tout en s’étonnant du caractère mauvais que revêt son geste. L’acte mauvais a donc
un caractère incompréhensible pour soi, mais également, en aval, pour celui qui le
subit (fut ce soi-même) : là est le sentiment d’injustifiable. Aussi si l’on veut pousser
plus avant la résolution du paradoxe et comprendre vraiment le rapport de cette
causalité humaine et de l’injustifiable il nous faut préciser plus avant l’origine du
mal.