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Coccygodynie commune
Idiopathic coccygodynia
J.Y. Maigne*
L
a coccygodynie commune a longtemps été très mal com- des individus plus jeunes, ce qui revient à se demander si un
prise. Plusieurs hypothèses avaient été proposées pour disque peut évoluer vers une articulation de type synovial, en
expliquer l’origine de la douleur, comme, par exemple, une fonction des contraintes auxquelles il est exposé tout au long de
atteinte des tissus mous péricoccygiens, un spasme des muscles la vie. Un quatrième type existe, sous la forme d’une ossification
du plancher pelvien, une douleur projetée à partir de la région complète qui touche essentiellement le joint sacro-coccygien. En
lombaire, une arachnoïdite des dernières racines sacrées, des étudiant deux populations de deux villes différentes, la fréquence
lésions locales post-traumatiques, une somatisation, etc. (1-4). des ossifications était respectivement de 22 % et 68 % des cas
Pourtant, aucune de ces hypothèses n’avait jamais fait l’objet de (9). Chez quelques-uns de nos patients, c’est le coccyx complet
la moindre confirmation. D’un autre côté, nous avions toujours qui est ossifié.
considéré que le fait que les patients mentionnent une chute ou Les mouvements physiologiques du coccyx sont essentiellement
un accouchement comme élément déclenchant témoignait d’une des mouvements de flexion et d’extension. La flexion active
origine mécanique de la douleur. De plus, son caractère très loca- (mouvement vers l’avant) est liée à la contraction des releveurs
de l’anus et du sphincter externe. L’extension (mouvement vers
l’arrière) est liée à la relaxation de ces muscles et à l’augmenta-
* Service de médecine physique, Hôtel-Dieu de Paris. tion de la pression intra-abdominale qui survient lors de la défé-
cation et de l’accouchement (10). C’est un mouvement passif. cygien est très souvent fixe ou ossifié. Ce mouvement est mesuré
De façon tout à fait étonnante, les mouvements du coccyx en en degré de flexion ou d’extension (figure 1). Dans une première
position assise n’avaient jamais été étudiés, à notre connaissance, étude (11), les clichés de 51 patients et témoins étaient compa-
dans la littérature. Il peut s’agir de mouvements de flexion ou rés et lus par deux observateurs indépendants à deux moments
d’extension. La flexion est due au contact direct du siège sur le différents, la seconde lecture étant faite un mois plus tard. Une
coccyx, et l’extension, à une augmentation de la pression intra- moyenne de ces quatre lectures était faite. Les variations inter-
pelvienne et abdominale, causée elle-même par la pression du et intra-observateurs des mesures d’angle étaient de 12,5 % et
siège. Le fait qu’il s’agisse d’une flexion ou d’une extension 13,5 % respectivement et l’acquitté de la technique de mesure
dépend de l’anatomie du coccyx. Les facteurs qui interviennent était de 2,6 degrés. Il s’agit donc d’une technique fiable, en par-
sont : ticulier lorsque l’on définit l’hypermobilité (voir ci-dessous).
– l’angle entre le sacrum et le coccyx (un angle aigu fait que le
coccyx aura tendance à fléchir ; au contraire, un angle aplati, tra-
duit par un coccyx plutôt vertical, fait qu’il aura tendance à aller
vers l’arrière) ;
– la rotation sagittale du bassin lorsque l’on s’assoit (lorsqu’elle
est élevée, le coccyx tend à se présenter parallèlement au siège,
ce qui amène à une flexion ; au contraire, quand elle est faible,
il tend plutôt à se déplacer en extension) ;
– l’indice de masse corporelle, qui est très lié à la rotation pel-
vienne ;
– l’angle d’incidence coccygien, qui est, lui aussi lié à cette rota-
tion pelvienne (voir ci-dessous). Dans d’autres cas, le coccyx
n’est pas mobile en position assise (plus fréquemment chez les
hommes). Cela peut parfois (mais pas toujours) être attribué à
une ossification des articulations du coccyx.
Luxation et hypermobilité peuvent être interprétées comme une Coccyx sans anomalie radiologique
instabilité du coccyx, similaire à l’instabilité lombaire. On peut Les coccyx sans anomalie radiologique sont retrouvés dans 40 %
noter avec intérêt que, contrairement au disque lombaire dégé- des cas où l’exploration dynamique ne montre aucune lésion. Ces
nératif, le disque coccygien ne subit aucune charge compressive cas représentent les vraies coccygodynies idiopathiques. La dou-
qui pourrait conduire à la survenue d’ostéophytes, lesquels sont leur peut être liée à différents problèmes :
considéré comme constituant un agent stabilisant. • Inflammation intradiscale : certains de ces patients répondent
très bien à une injection intradiscale (coccygienne), ce qui rend
Épines coccygiennes probable un diagnostic d’inflammation chronique du disque.
Nous avons décrit une anomalie particulière prenant la forme • Bursite chronique : lorsque le coccyx est rigide et que la dou-
d’une petite excroissance osseuse sur la partie postérieure de la leur est localisée à la pointe, même en l’absence de tout spicule,
pointe du coccyx, qui concerne 15 % des cas de coccygodynie. une bursite est possible. L’injection des tissus sous-cutanés avec
Nous l’avons appelée “spicule” ou “épine” (figure 4). Quant elle de l’anesthésique peut supprimer les symptômes, ce qui confirme
est présente, elle peut être très facilement palpée, faisant saillie le diagnostic.
sous la peau. Elle est à même de causer une irritation des tissus • Dans quelques cas, la douleur est localisée à l’insertion sacrée
sous-cutanés en position assise (vraisemblablement une bursite du ligament sacro-tubéreux. Ce tableau peut être comparé à une
locale), d’autant que ces épines surviennent souvent sur des coc- entorse locale et traité avec une injection de cortisone locale.
cyx non mobiles, ce qui signifie que la pression sur la peau est • Les douleurs psychologiques de l’“hystérie”, de la dépression…
augmentée en position assise du fait que le coccyx ne peut pas étaient autrefois considérées comme une étiologie fréquente.
fléchir vers l’avant et le haut. Curieusement, dans 70 % des cas, Dans nos différentes séries, nous n’avons retenu ce diagnostic
il existe une petite fossette cutanée plus ou moins profonde en que dans un nombre de cas extrêmement réduit. La douleur est
regard du spicule ou légèrement au-dessus de lui. Cette fossette alors non augmentée par la station assise, ce qui est tout à fait
est en général assez discrète, mais, dans quelques cas, il s’agit anormal en cas de coccygodynie.
d’un sinus pilonidal tout à fait typique (sans écoulement, ce que • Douleur projetée à partir d’autres structures : l’articulation
l’on aura soin de vérifier). Nous considérons que cette fossette sacro-iliaque ou la région lombo-sacrée est parfois reconnue
prouve l’origine embryologique de la malformation et qu’elle comme une possible origine de la coccygodynie. Ces diagnos-
constitue en quelque sorte son image en miroir. Les spicules sont tics ne devraient être évoqués que si le coccyx paraît normal lors
impliqués dans la survenue de douleurs coccygiennes car ils par- de l’exploration dynamique.
tagent les caractéristiques suivantes : Quelle que soit la lésion observée sur les films dynamiques, la
– survenue spontanée de la coccygodynie, non liée à un trauma- palpation sur l’aire coccygienne doit montrer que la douleur maxi-
tisme, comme cela est vu communément dans les lésions inflam- male se situe bien en regard du disque pathologique. Les autres
matoires ; niveaux doivent être beaucoup moins sensibles. Quand il n’y a
– douleur perçue à la pointe du coccyx (ce qui est différent de ce aucune lésion visible sur les films, on doit répéter cette palpation
que l’on voit dans les autres lésions coccygiennes, où la douleur très attentivement de façon à déterminer le niveau le plus sen-
est ressentie au niveau du joint concerné). La douleur est égale- sible, qui sera supposé être le niveau responsable. Cela est par-
ment déclenchée très précisément par la pression sur le spicule, ticulièrement important si l’on souhaite entreprendre un traite-
lequel est facilement palpable sous la peau ; ment par injection intradiscale. Ajoutons qu’une banque de
– visualisation de l’excroissance osseuse avec les techniques données d’imagerie du coccyx douloureux a été mise en ligne
d’imagerie ; sur le site de la Société française de médecine manuelle
– soulagement de la douleur après anesthésie locale. (www.sofmmoo.com).
TRAITEMENTS Infiltrations
La technique de la discographie coccygienne n’est simple qu’en
Trois méthodes peuvent être utilisées : les manipulations, les infil- apparence. Elle doit être menée sous contrôle fluoroscopique. Le
trations ou la coccygectomie. patient est installé en décubitus latéral gauche, les hanches flé-
chies. La peau est soigneusement désinfectée. Le disque res-
Traitements manuels ponsable (celui qui doit être injecté) est sélectionné en fonction
Les traitements manuels consistent soit en une mobilisation du des critères suivants : présence d’une anomalie radiologique sur
coccyx, soit en massages des muscles pelviens (releveur de les clichés dynamiques, telle qu’une luxation ou une hypermo-
l’anus ou muscle piriforme). Il s’agit d’un traitement très clas- bilité, et/ou une sensibilité à la pression digitale à ce niveau.
sique et ancien des coccyx douloureux. Dans une étude de Wray Quand il s’agit d’un spicule, il faut injecter le spicule lui-même.
et al. (13) où l’on associait la manipulation à un traitement par Chaque disque (il s’agit parfois d’articulations synoviales) est
infiltration, on apportait grâce à cette dernière une améliora- pénétré à l’aide d’une aiguille de 25 gauge et 25 mm de longueur
tion de 25 % dans le taux de résultats satisfaisants. Les mas- sous asepsie stricte, en utilisant un abord par la ligne médiane
sages du plancher pelvien ont été décrits par Thiele (14). Les pour éviter les petits vaisseaux sanguins. Nous injectons une très
manipulations consistent en une mobilisation du coccyx (en faible quantité de produit de contraste pour vérifier la position
flexion-extension et en circumduction selon la technique ostéo- de l’aiguille et voir si l’on reproduit ou non la douleur spontanée
pathique) ou en un étirement en hyperextension au moyen du (argument utile en cas d’absence de lésion radiologique), puis un
doigt rectal (cet étirement concerne également les muscles qui stéroïde. Il faut environ 5 à 15 jours pour apprécier les résultats
s’insèrent dessus). Cette dernière manœuvre a été décrite par de l’infiltration, qui semble agir plus lentement qu’aux autres
R. Maigne (15). Nous avons nous-même décrit une technique étages rachidiens. Une réaction douloureuse pénible peut surve-
personnelle consistant en un étirement moins poussé du rele- nir, en particulier lorsque l’injection concerne l’apex du coccyx.
veur et du sphincter externe, sans agir sur le coccyx lui-même Nous n’avons jamais eu la moindre complication sur plus de
(16), cette technique pouvant être associée à un travail myo- 2 000 injections effectuées à ce jour. Cependant, le risque d’un
tensif (contraction du sphincter suivie d’un étirement). Ces trois sepsis est réel, en raison de la proximité avec l’anus. Le résultat
techniques ont été comparées dans une étude prospective (16). final doit être apprécié à environ trois semaines. Globalement,
Les patients ont été randomisés en trois groupes, chacun d’eux les injections donnent 70 % de bons résultats. Cependant, on
bénéficiant de trois à quatre séances de l’un de ces trois diffé- observe entre le troisième et le huitième mois une tendance à la
rents traitements (massages des releveurs, mobilisation du coc- rechute qui concerne environ un patient sur deux (17). Cette ten-
cyx, léger étirement des releveurs). L’évaluation à l’aide d’une dance est d’autant plus marquée et plus précoce que la lésion
échelle visuelle analogique était effectuée par un observateur radiologique est sévère. Une deuxième injection doit alors être
indépendant à sept et trente jours, six mois et deux ans. Les tentée. Si le résultat est meilleur après cette deuxième injection
résultats des traitements manuels étaient globalement satisfai- (période de soulagement plus prolongée), le pronostic est bon.
sants dans 25,7 % des cas à six mois, et dans 24,3 % des cas à Au contraire, si le résultat est moins bon, l’injection n’est plus le
deux ans. Ces résultats dépendaient de la cause de la coccy- traitement recommandé.
godynie. Les patients avec un coccyx rigide avaient les moins
bons résultats. Nous supposons que la raison en est qu’il s’agis- Coccygectomie chirurgicale
sait souvent de douleurs liées à une inflammation (épine ou La coccygectomie est un sujet qui est longtemps resté contro-
bursite). Ceux avec un coccyx normalement mobile avaient les versé. L’opinion de certaines grandes figures de la rhumatologie
meilleurs résultats. Cela pourrait s’expliquer par le fait que comme de Sèze était très négative. C’était également le cas pour
l’une des sources de la douleur était un spasme (ou au moins certains chirurgiens orthopédiques anglo-saxons. Cependant,
une tension douloureuse) du releveur. Les patients avec luxa- cette opinion était en contraste avec les résultats fournis par la
tion ou hypermobilité avaient des résultats intermédiaires (plus littérature, résultats qui étaient plutôt bons. D’une façon géné-
la douleur était intense, moins bons étaient les résultats). Les rale, l’opinion est qu’il n’y a aucun élément de l’interrogatoire,
massages des releveurs et les étirements étaient plus efficaces aucun signe clinique ni radiologique qui peut être considéré
que la mobilisation coccygienne, qui ne donnait de bons résul- comme en faveur de l’opération (18). Nous avons nous-même
tats que chez les patients avec un coccyx normalement mobile. publié une étude pour valider un critère objectif de sélection des
La douleur au relever et un tonus excessif des releveurs étaient patients : l’instabilité radiologique du coccyx (luxation intermit-
associés à un bon résultat. Cependant, ce n’était pas significa- tente ou hypermobilité du coccyx). Nous avons enrôlé de façon
tif en raison du faible taux de succès des traitements manuels. prospective 37 patients souffrant de coccygodynie chronique liée
Nous venons de terminer une étude contrôlée contre placebo à une instabilité coccygienne et non soulagés par les traitements
portant sur 100 patients, avec des résultats très significatifs sur conservateurs, et en dehors de tout contexte médico-légal. L’in-
les différents éléments d’évaluation (EVA, questionnaires tervention était faite par le même chirurgien (L. Doursounian).
divers) et sur le nombre de patients soulagés (22 % à 6 mois Les patients furent suivis deux ans après la coccygectomie, avec
pour les manipulations, contre 12 % pour le placebo). Les élé- une évaluation par un observateur indépendant. Il y eut 34 excel-
ments de bon pronostic étaient un coccyx stable, une moindre lents et bons résultats (92 %) et trois mauvais résultats. Cela
durée d’évolution, un périnée tonique et l’absence d’éléments semble être l’une des meilleures séries de la littérature. L’inter-
de la série dépressive sur les différents questionnaires. valle de temps nécessaire à un résultat définitif était de quatre à
huit mois, parfois un peu plus, ce qui semble long mais qui cor- 4. Stern FH. Idiopathic coccygodynia among the geriatric population. J Am
respond aux résultats des autres auteurs. Une telle longueur pour- Geriatr Soc 1967;15:100-2.
rait être expliquée par un syndrome du membre fantôme, la coc- 5. Maigne JY, Guedj S, Fautrel B. Coccygodynie : intérêt des clichés dynamiques.
cygectomie étant en fait une amputation. Quand l’amélioration Rev Rhum Mal Ostéoartic 1992;59:728-31.
est trop lente à apparaître, nous prescrivons de l’amitriptyline, 6. Maigne JY, Guedj S, Straus C. Idiopathic coccygodynia. Lateral roentgeno-
grams in the sitting position and coccygeal discography. Spine 1994;19:930-4.
qui semble avoir une action favorable. Ainsi la coccygectomie
7. Gray H. Gray’s Anatomy, 35th ed. Edinburgh: Longman, 1973.
donne de bons résultats dans un sous-groupe de patients avec
8. Maigne JY, Molinié V, Fautrel B. Anatomie des disques coccygiens. Revue de
instabilité du coccyx. Ce critère objectif doit remplacer l’éva- Médecine Orthopédique 1992;28:34-5.
luation psychologique subjective qui était jusqu’alors la règle. 9. Saluja PG.The incidence of ossification of the sacrococcygeal joint. J Anatomy
Une étude est en cours pour évaluer l’intérêt de cette interven- 1988;156:11-5.
tion dans les épines. 10. Smout CF, Jacoby F, Lillie EW. Gynaecological and Obstetrical Anatomy,
12th ed. Oxford : Oxford University Press, 1969.
11. Maigne JY, Tamalet B. Standardized radiological protocol for the study of
CONCLUSION common coccydynia. Characteristics of the lesions observed in the sitting posi-
tion. Clinical elements differentiating luxation, hypermobility and normal mobi-
lity. Spine 1996;21:2588-93.
La coccygodynie commune est liée à une instabilité du coccyx 12. Maigne JY, Doursounian L, Chatellier G. Causes and mechanisms of com-
dans près de la moitié des cas, et à la présence d’une épine coc- mon coccydynia. Role of BMI and coccygeal trauma. Spine 2000;25:3072-9.
cygienne dans 15 % des cas. Des clichés dynamiques sont indis- 13. Wray CC, Easom S, Hoskinson J. Coccydynia. J Bone Joint Surg [Br] 1991;
pensables pour établir ces diagnostics, chacun d’eux nécessitant 73-B:335-8.
un traitement spécifique. O 14. Thiele GH. Coccydynia and pain in the superior gluteal region. JAMA 1937;
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