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Participation au prix Makomi


Identité de l’auteur
Titre du texte envoyé : Le geste qui sauve
Prénom : Thaddée
Nom : LUMBU
Post-Nom : LUHAGA
Date et lieu de naissance : 22/08/1997 à Nyunzu/Province de Tanganyika/RD Congo
Statut : Etudiant en troisième bachelier à la Polytechnique Unilu.
Domicile : n°12, Avenue Bulaya I, Quartier Salama, commune de
Lubumbashi, ville de Lubumbashi, Province du haut-Katanga.
Téléphone : +243991318767
Email : thaddeelumbu.tl@gmail.com
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Le geste qui sauve

Affaibli par des soins sempiternels, languissant comme un boxeur vaincu, sans conscience ni
bon sens, tel était son état quand je suis arrivé à l’hôpital neuropsychiatrique où il était
interné. Michée est mon cousin, cela fait environ huit ans que je ne l’ai pas revu. Il est un
morceau de mon passé, un ami englouti par le temps. De lui je garde encore quelques
agréables souvenirs auxquels j’aimerais tant redonner chair.

On nous a récemment appris qu’il était devenu fou. Dans mon pays la folie est perçue comme
une sentence, un châtiment que doivent subir ceux jugés coupables de désobéissance envers
leurs maîtres spirituels : marabouts, charlatans, … Auprès de qui ils ont demandé force,
intelligence, fortune, beauté, …. Que des histoires racontées ici et là sans aucun scrupule ni
retenue.

Qu’ils sont nombreux ces fous dans ma ville ! On ne peut faire cent mètres sans en rencontre
un. A chaque coin des rues du centre-ville vous les trouverez de tous âges. Femmes et
hommes, tous présentant un même profil : répugnants, pour eux l’hygiène corporelle est une
chanson oubliée. Souvent pieds-nus, d’un accoutrement bricolé, parfois absent, leur vie n’est
qu’ordure. D’ailleurs c’est dans les ordures qu’ils vivent pour la plupart de temps. Les
« normaux », moi y compris, impitoyablement passons et repassons. Le seul sentiment que
nous avons en ce moment-là est du dégoût. La souffrance, la misère des autres glissent sur
nous comme glisse l’eau de pluie sur les vitres d’une fenêtre. Jamais la vitre ne sera mouillée,
jamais nous ne nous sommes vraiment souciés de ces gens-là. Nous les avons enterrés
vivants.

Michée lui aussi serait enterré vivant si père n’était pas intervenu. Père et moi nous sommes
convenus de nous échanger tour à tour pour faire le garde-malade jusqu’à sa sortie au centre
neuropsychiatrique où il était interné. Là-bas au moins le fou est pris pour malade et non pour
hagard, ainsi tombe le bandeau de culpabilité que la société colle à ces gens. Ils ne sont point
coupables de leur maladie mais victimes du fléau, de ce fait, toute victime a besoin d’une
assistance. Jetez un malade curable dans la rue, vous ramasserez un malade incurable. Les
vieux fous sont plus fous que les jeunes a dit duc de la Rochefoucauld.

Comme tous ceux qui se trouvaient dans ce centre, Michée était souffrant. Tout comme la
maladie des poumons s’appelle pulmonie, celle du cerveau peut s’appeler folie. La folie ! Que
j’avais tant envie de la comprendre, de percer ses mystères, de saisir des idées d’un être dont
je pense ordinaires mais enfermées dans sa tête, lui seul en a la clé. Notre raison devient
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illusoire devant sa vision. Il perçoit les couleurs, les sons, les émotions d’une manière
illogique à nos yeux mais tout à fait correcte selon lui.

Ma motivation quand père m’a proposé de me rendre au centre pour la première fois, n’était
pas seulement celle de revoir mon cousin, je désirai voracement comprendre ce fléau, pénétrer
cette réalité obscure afin d’en saisir le sens.

Arrivé à la réception, j’aperçois un père et son fils couverts de lassitude dans l’attente du
psychiatre. Le visage du père dégageait une onde lugubre, l’allure de ses membres étaient
preuve d’un homme abattu. Toutefois la nervosité du fils faisait équilibre avec l’immobilité
du père. Le petit, d’un regard nomade, dévisageait tous les passants…

Aussitôt arrive un homme, la démarche placide, des verres noirs et ronds, des yeux argentins,
une pointure s’approchant du cinquante. Sa silhouette était sans doute témoin des longues
années d’études pendant lesquelles il s’enivrait des théories et des principes. Je n’en doutais
point, c’était lui le psychiatre. Tout comme le mystère qui règne sur le fou, nous empreigne,
celui dans lequel est baigné le psychiatre nous étonne. Serait-il lui aussi à un certain niveau
fou, pour comprendre le fou ?

J’ai amené mon crétin de père afin que vous puissiez docteur le guérir, dit le petit, il n’arrête
pas de me souler.

Que-je fais au bon Dieu pour avoir ce fils, réplique le père, ainsi le sot jette ses sottises sur
les sains ? Docteur je vous en supplie guérissez-moi ce déséquilibré.

C’est lui le fou ! reprend le fils, ne voyez-vous pas docteur ? quel père ressemblerait à celui-
ci. Calmez-vous, je vous prie, intervient le psychiatre, suivez-moi dans mon bureau…

Cette scène n’était pas seulement hilarante pour moi, elle m’a permis de comprendre que les
fous ne savent pas qu’ils sont fous, immergés dans leur extravagance, ils se sentent incompris.
Plus tard dans la soirée j’apprendrais que c’est le père qui était malade.

Après des longues et frustrantes cérémonies administratives, on m’autorise alors de voir mon
malade ou plutôt de garder mon cousin. Oh oui ! A nos yeux les fous perdent leur conscience,
molasse que Michée était, il ne m’a point reconnu.

Le centre était composé de cinq bâtiments, un bâtiment administratif comprenant la salle de


réception, des bureaux et la pharmacie ; de deux pavillons, l’un des femmes et l’autre des
hommes, pudeur l’oblige. Chaque pavillon comprenait un bureau de l’infirmier-assistant ; des
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toilettes et des larges chambres, dans lesquelles étaient internés malades et garde-malades.
Au milieu de deux pavillons les prêtres fondateurs du centre avaient jugé bon d’y mettre un
réfectoire avec des cuisines à coté et une salle de cinéma. Les fous ont-ils la même sensation
que nous quand ils suivent un film ? Ou peut-être que leur folie est un ingrédient de plus à la
contemplation visuelle et sonore !

Bonjour Michée, lui dis-je à peine entré dans sa chambre ou étaient internés trois autres
malades et leurs gardes. Le pauvre ne me reconnait plus, enfermé dans son monde absurde
inaccessible à nous autres, un monde d’hallucination qui ne faisait qu’amplifier ma curiosité.

Vous êtes son frère ? me demande une vieille femme qui gardait son fils, l’amour maternelle
dans sa subtilité va au-delà de la déraison, elle assure, accompagne sans exigence.

Son cousin dis-je à la vieille, après m’être brusquement retourné afin de bien l’apercevoir car
à mon l’arrivée je n’ai aperçu que son fils, Danis posé paresseusement sur le lit comme un sac
de sable trainant dans un coin, le voir dire mot n’était plus du domaine de l’espoir.

La vieille : qu’est-il arrivé à votre cousin ?

Je n’en sais rien madame, lui dis-je, j’ai seulement été informé qu’il était ici et père m’a
demandé de venir le garder.

Entretemps la cloche de midi trente se déclenche nous convoquant au réfectoire, j’aide


Michée à se lever et à mettre ses pattes dans ses chaussons, les soins interminables qu’on lui
fait subir jour et nuit le vide de toute vigueur. Lui et ses trois camarades, dans leur démence,
ont tant de choses en commun, avinés de fatigue, engloutis par un monde surréaliste dont
parfois eux-mêmes ne peuvent en saisir le sens. Des pieds gonflés à cause de l’immuabilité.
Vivre sans bouger c’est stagner, c’est être sans évoluer. Je commence alors à saisir
l’importance du garde-malade, il est la vitalité à côté de la faiblesse, la conscience à côté
l’inconscience, l’espoir à côté du désespoir.

A peine arrivé au réfectoire je n’y crois pas à mes yeux. Femmes, hommes, petits et grands,
les fous étaient de tous les goûts. Douce folie, loquacité sotte, démarche caricaturale,
bienvenu dans le monde des buses, me dis-je. Chacun d’entre eux était spécialiste de sa bêtise.
Si seulement ils étaient dans l’univers cinématographique, les festivals des oscars ou des
césars seraient pour eux un rendez-vous familier, il y aurait moins de palmes d’or pour
récompenser leurs talents illimités.
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On nous sert du riz aux haricots, ce sont les garde-malades qui avancent, je fais de même, puis
trouve une place et m’assoies avec mon protégé.

Quoi qu’ils puissent oublier certaines choses que vous et moi trouverons bête d’oublier, les
fous n’oublieront jamais qu’il faut manger, le corps nonobstant la maladie continue à
fonctionner normalement, d’où le besoin de manger. Tout juste après que je lui donne son
plat, Michée le dévore sans réserve, un peu de vitalité semble lui revenir.

Depuis les temps immémoriaux manger fait du bien à tout le monde, méchants et gentils,
toutes les races se réjouissent incontestablement de la satisfaction apportée par ce geste
primaire, voilà une bonne idée pour réconcilier les querellés. Une privation suivie d’une
alimentation serait une bonne idée.

Avant même que je puisse arriver à la moitié de mon plat, Michée finit le sien. Son regard
désireux laisse penser que son estomac en veut d’avantage, sans me prévenir, il tire mon plat
et le dévore sans hésiter. Quoi que j’ai faim, je ne peux l’arrêter. Le priver de se nourrir ne
peut en assoupir le désir. La privation que l’on fait subir aux fous dans nos villages et nos
villes est chose folle. Inconscients sont ceux qui agissent ainsi, ils prouvent de ce fait leur
nocivité, ils vont au-delà leur inutilité pour devenir moins que l’absence.

Après le diner, je lui propose de faire la sieste dans la salle de cinéma. Je te suis, dit-il. C’est
la première fois qu’il dit mot depuis mon arrivée et j’en suis ravi, au moins il entend, bien que
le physique soit épuisé, il n’est pas du moins atteint comme l’est le psychique.

Il me suit jusque dans la salle de cinéma ou quelques couples, garde-malade et malade, nous
ont précédés. Je prends une chaise m’y installe, pensant que lui aussi ferait de même. Le
pauvre, contrairement à mon attente, dégringole. Sa folie se réveille, il prend la chaise
comme un bénéficiaire d’une aide humanitaire, la pose sur sa tête et prend la direction de la
porte, ceux étant présents dans la salle se mettent à ricaner. Aussitôt je me lève, Je le tiens à la
main afin d’éviter tout débordement.

Lâche-moi, dit-il. Mais ou veut-tu aller avec cette chaise  ? réplique-je.

Immédiatement les autres blâment mon intervention et me conseillent de le laisser tranquille


car cela l’agaçait. Il sort, dépose la chaise un peu plus loin delà et part s’en dormir.

Ce banal épisode m’apprend davantage sur cette catégorie des personnes car les fous
n’attendent pas de nous des conseils logiques mais de la patience, de la tolérance. Dans leur
inconscience, ils attendent que notre conscience les éclaire. Ce n’est pas à eux de s’adapter au
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monde, mais à nous de rendre logique leur illogique, d’éclairer leurs esprits ténébreux. Ils
n’ont point besoin que nous les expliquions à quel point ils ont tort, nous ne pouvons leur
raisonner par notre raison. Ils veulent sans le dire, sans le savoir que nous les guidions
pendant qu’ils sont malades.

Au début de la soirée avant la souper je prends la décision de faire un tour dans le centre.
Parfois je ne pouvais distinguer malade et garde-malade car certains fous rendez fous leurs
gardes. Cependant l’amour qui lie une mère à sa fille est plus puissant que la folie de la mère,
la fille garde espoir qu’un jour maman se réveillera.

Je vois une jeune fille, elle me donnera plupart son nom : Linda, obligée de suivre tout au
long des chaudes journées sa jeune sœur qui comme une poule ayant perdu ses poussins
cherche en vain ici et là.

Je vois une femme avec son bébé qui ne vivent que dans la conviction de voir un jour papa ou
chéri se réveiller de son sommeil hasardeux.

Je vois un père, d’un cœur de père supporter le délire d’un fils qui n’est que fantôme de lui-
même.

Où que j’aille, je vois la folie d’un fils, d’une sœur, … Mais elle est toujours adoucie par la
sympathie d’un père, d’une sœur, …

Cette présence, cette sympathie, c’est comme du thé chaud servi pendant qu’il fait froid.

C’est un sourire chaleureux apporté à un visage malheureux.

C’est une pluie qui tombe après une période sèche, elle vivifie, tranquillise, apporte assurance
là ou espérer était devenu un luxe.

Il est dix-neuf heure et dans une demi-heure c’est l’heure de souper, je rentre pour récupérer
Michée. A mon arrivée, à ma grande surprise, je le trouve en train de converser avec les autres
habitants de la pièce. Je n’y comprends rien, comme un vent qui passe sa folie s’efface.
Surprenant encore il me reconnait et m’appelle par mon prénom, Jude c’est toi ? dit-il, soit le
bienvenu, depuis quand est-tu là. Égayés par mon état de stupéfaction, les autres se mettent à
rire et m’invitent au calme.

Je…, je suis là depuis le matin, et, … Le matin tu étais dans un autre état ! Lui dis-je.
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Il me rassure et me raconte comment sa maladie est obscure, comment elle revient et repart
comme le délestage en Afrique, il n’est ni invité ni ne dit mot avant de repartir. Nous nous
mettons à parler pendant une dizaine de minutes, puis nous allons souper, après le souper nous
continuons à parler de tout et de rien, ce jour-là, nous avons vaincu le sommeil.

Pendant les neuf jours que j’ai passé au centre, Michée a rechuté dans son caprice au moins 4
fois. A chaque fois il reprenait raison avant de rechuter encore, quand il était sain, nous
parlions, nous jouions au billard, aux cartes, nous savourions nos souvenirs succulents.

Quand sa fureur revenait, je ne la fuyais pas, je savais que cela pouvait arriver n’importe
quand, n’importe comment, à chaque fois je devais supporter, maitriser l’animosité qu’il
faisait preuve. Ce furent des épreuves rudes. Quand pendant une nuit aussi agréable que
douce, brusquement il se réveille, frappe à terre comme un boxeur enragé un bidon
malheureux qui, au mauvais moment, au mauvais endroit se trouvait à côté de son lit. Nous,
dormant d’un somptueux sommeil sautions de stupeur, il ne fallait que deux secondes pour
que nos somnolents yeux se clarifient, puis s’en suivait une lutte des gladiateurs pour le
calmer, traverser le corridor afin d’aller chercher l’infirmier pour lui injecter un calmant.

Certains jours sa folie était moins violente mais plus stupide, il se réveillait, pisser dans le
couloir, se plonger avec son pyjama dans la baignoire, portait mes habits, tout était réuni pour
me décourager à continuer mais hélas ma curiosité de comprendre la folie s’est transformée
en désir d’aider, en une nouvelle amitié.

J’étais devenu responsable d’une personne âgée plus que moi, certes on peut le devenir, mais
cette personne n’avait que vingt-quatre ans.

Ses bêtises étaient miennes, les conséquences de sa folie retombaient sur moi, on dirait un
mineur sous la protection d’un majeur, mais dans notre cas le majeur avait dix-neuf ans et le
mineur vingt-quatre.

J’appris à être responsable, à me préoccuper des actes de l’autre, à ramasser une m… qui n’est
pas mienne. Mes études et le travail de père ne nous ont pas permis de passer beaucoup de
temps dans le centre, ce fut bongate mon grand-frère revenu des vacances qui a gardé Michée
jusqu’à sa sortie.

Aujourd’hui Michée est guéri, il est psychiquement en bonne santé car dans son inconscience,
des consciences étaient disponibles, dans ses âneries nous lui avons apporté la sympathie,
alors qu’il coulé, nous lui avons épaulé, …

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