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Langue française

E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale


Françoise Kerleroux

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Kerleroux Françoise. E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale. In: Langue française, n°1, 1969. La syntaxe. pp. 105-
107;

https://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1969_num_1_1_5409

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et étend la notion de négation à un domaine beaucoup plus large que ses
prédécesseurs.
Les volumes suivants de la Grammaire structurale seront consacrés
aux transformations interrogative et emphatique et à l'étude de ce qu'on
appelle « temps et modes du verbe ». Tel qu'il se présente aujourd'hui, et
malgré quelques passages qui pourront peut-être paraître difficiles ou
discutables, des fluctuations dans la transcription phonétique, et quelques
extrapolations qui ne seront pas toujours admises sans réaction, on peut
considérer que cet instrument de recherche rétablit dans les études de
grammaire française, au profit de la science, un équilibre souvent rompu
par la confusion si fréquente entre le fonctionnement de la langue et la
signification d'un texte fini. Le refus du sens en tant que moyen participant
à la description des ensembles linguistiques peut au premier abord
apparaître desséchant ou impossible, mais on se convainc assez vite, devant la
clarté de la démonstration, et l'originalité des premiers résultats, qu'il y
a là une méthode et une rigueur indéniables, qui portent sans doute, à la
longue, plus de fruits que les consciencieuses et laborieuses exégèses de
constructions, de mots et de tours, qui se veulent et sont ingénieuses et
fines, mais se perdent trop souvent dans l'atomisme para-psychologique,
et surtout confondent la plupart du temps la langue comme simple objet
d'étude et la langue comme outil manié par une volonté esthétique.
J.-P. Colin
Paris-Nanterre

Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Paris, N.R.F.,


Bibliothèque des sciences humaines, 1966, 1 vol., 356 p.

Ce livre est précieux à plus d'un titre, et d'abord parce qu'il rassemble
vingt-huit articles publiés entre 1939 et 1964 dans des revues diverses et
spécialisées telles le Journal de Psychologie, le B.S.L., divers Mélanges et
un certain nombre de revues étrangères, et qu'il met ainsi à la disposition
de chacun ce que seul le spécialiste savait où trouver. Ces articles traitent
de sujets variés, variété dont les titres des six sections qui les regroupent
donneront une idée : I. Transformations de la linguistique, II. La
communication, III. Structures et analyses, IV. Fonctions syntaxiques, V. L'homme
dans la Langue, VI. Lexique et culture. Mais toutes ces études sont réunies
sous la dénomination de « problèmes »; en effet, elles apportent dans leur
ensemble et chacune pour soi une contribution à la grande problématique
du langage, qui s'énonce dans les principaux thèmes traités.
Après un panorama des recherches récentes sur la théorie du langage
et des perspectives qu'elles ouvrent, l'auteur traite le problème central de
la communication et de ses modalités * : nature du signe linguistique,
caractères différentiels du langage humain, etc. Dans les sections suivantes, les
notions de structure et de fonction sont au centre des recherches, avec des

1. Voir E. Benveniste, « La forme et le sens dans le langage », in Le Langage,


Société de Philosophie de langue française, Actes du XIIIe congrès, t. II, Neuchâtel,
A la Baconnière, 1967, pp. 29-47. Dans cet exposé, E. Benveniste se propose de situer
et d'organiser les notions jumelles de sens et de forme pour en analyser les fonctions
« hors de tout présupposé philosophique ». Il y a pour la langue deux manières d'être
langue dans le sens et dans la forme : l'une est la langue comme sémiotique, l'autre est
la langue comme sémantique.

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analyses portant sur le système des prépositions en latin, le génitif latin,
la phrase nominale, l'actif et le moyen, la phrase relative.
Plus précisément, dans l'article « Être et avoir dans leurs fonctions
linguistiques », E. Benveniste analyse la nature et les relations de ces deux
verbes qui ont l'un et l'autre le statut d'auxiliaires temporels, et qui sont
par ailleurs des verbes à part entière. Il réduit leur apparente opposition
de verbe d'état à verbe transitif, qui semble d'abord contradictoire d'avec
leur commun statut d'auxiliaire :
« Tout s'éclaire en effet quand on reconnaît avoir pour ce qu'il
est, un verbe d'état. (...) Être est l'état de l'étant, de celui qui est
quelque chose; avoir est l'état de l'ayant, de celui à qui quelque chose
est. (...) Avoir n'est qu'un « être-à » retourné 2. »
Parmi toutes ces études, trois articles (les chap. 19, 20 et 21) présentent
un intérêt particulier, d'abord parce qu'ils sont appliqués au domaine
français, ensuite et surtout parce qu'ils sont l'occasion de montrer que les
analyses linguistiques sont susceptibles de développements dans toutes
sortes de directions, singulièrement dans celle de l'analyse des textes
littéraires. En effet, bien que l'auteur ne fasse qu'une brève allusion au roman
de Camus, L'Étranger, c'est bien implicitement dans cette perspective des
rapports fructueux et nécessaires de la linguistique et de la littérature qu'il
invite à se placer. Ainsi, dans l'article fondamental intitulé « Les relations
de temps dans le verbe français », E. Benveniste se pose le problème de la
distribution des formes du verbe français, problème de la double relation
qu'entretient une forme de passé composé (ou parfait dans la terminologie
de l'auteur), comme il a fait, avec le passé simple (ou aoriste) г7 fit, et avec le
présent il fait. Il résout ce problème en établissant l'existence de deux plans
d'énonciation appelés « histoire » (ou « récit ») et « discours », opposition
qui ne se superpose pas à celle de la langue écrite et de la langue parlée.
A ces deux plans correspondent deux systèmes des formes verbales, systèmes
qui se définissent et au niveau des temps et au niveau des personnes
verbales.
Ce qui frappe dans toutes ces études, c'est que tout problème de méthode
est toujours illustré d'un exemple. Ainsi le non-spécialiste pourra avoir une
bonne idée des problèmes sémantiques de la reconstruction grâce à la
dernière partie, où, en une série d'analyses brèves et précises, est posé le problème
de déterminer
« si et comment deux morphèmes, formellement identiques et
comparables, peuvent être identifiés par leur sens » 3.
Dans tous les articles de cette dernière section, E. Benveniste met en
relief les exigences de la description linguistique : il faut se délivrer des
fausses évidences, des références aux catégories sémantiques « universelles »,
des confusions entre les données à étudier et la langue du descripteur. En
bref, l'auteur donne à cette occasion un assez bel exemple de relativisme
ethnolinguistique. Il faut néanmoins poser plus précisément le problème
des présupposés. On ne peut manquer en effet de relever la fréquence 4 des
affirmations positivistes du type : « hors de tout présupposé philosophique5»,
ou : « Le linguiste (...) repousse toute vue a priori de la langue pour
construire ses notions directement sur l'objet 6. » Or le linguiste ne peut se

2. Op. cit., p. 199.


3. Op. cit., p. 289.
4. Cf. à ce propos le compte rendu que fait du même ouvrage J. Garelli, «
Linguistique et pièges de l'objectivité », in Critique, avril 1968, n° 251, pp. 399-416.
5. Voir note 1.
6. Op. cit., p. 7.

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défaire de tout modèle de pensée, si bien que le philosophe peut lui reprocher
soit sa naïveté, soit la non-explication de ses présupposés. L'objet
linguistique, comme les autres objets scientifiques, se détermine en fonction de
l'introduction des instruments de pensée et de travail.

Françoise Kerleroux
Paris-Nanterre

Henri Bonnard, Grammaire française. Principes d'une description


structurale appliqués à la langue française. Étude normative des formes
et de leurs emplois. Dix leçons à la Faculté de Paris-Nanterre (1er cycle).
Éd. Jacques Touquet, 1966.

Refusant toute confusion entre sens et forme, posant clairement au


départ la dualité signifiant/signifié, l'auteur va déterminer les « classes »
■— ou parties de discours — et les fonctions sur le plan strictement
fonctionnel du signifiant. Seuls les procédés distributionnels de commutation et
soustraction, les notions de variante combinatoire, de marque discrète, sont mis
en œuvre pour l'identification des classes et des fonctions. C'est
explicitement en les démontant dans leur mécanisme que ces méthodes sont
utilisées : aussi l'intérêt de la description elle-même se double-t-il d'une initiation
méthodologique.
De nombreux exemples pourraient être cités où cette méthode rigoureu
sèment appliquée permet d'asseoir des distinctions et des définitions sur
les bases indiscutables d'un « faisceau de critères fonctionnels » et non plus
sur une intuition de « sens » : ainsi l'établissement des grandes fonctions du
nom (G.O.D., C.O.I, distingué nettement du C. Cire, apposition), la
définition de la proposition, de la dépendance, etc., sont de nature à éclairer
professeurs et élèves.
La rigueur de ces définitions fonctionnelles conduit souvent l'auteur à
dénoncer les incohérences et les impropriétés de la nomenclature scolaire
officielle, et à espérer des changements précis, mais son attitude est mesurée :
soucieux des exigences propres à l'enseignement, il ne préconise des
ajustements immédiats que lorsqu'une lacune ou un flottement dans la
terminologie en usage permet de le faire sans heurt (ainsi, ne plus réserver
« antécédent » au pronom relatif; appeler « où » adverbe dans tous les cas;
distinguer entre сотр. de la principale et сотр. du verbe de la principale
pour la fonction des sub. cire).
La deuxième étape, indispensable dans un cours qui s'adresse à de futurs
enseignants, consiste à cerner le signifié des signifiants dégagés par l'étude
fonctionnelle, en se gardant des pièges de l'analyse subjective. L'auteur a
recours à la « distribution sémantique » pour le signifié des temps par
exemple; un symbolisme mathématique élémentaire lui permet, ailleurs,
d'interpréter simplement la fonction « predicative » du verbe, ou la
fonction sujet, d'une façon qui ne fait pas regretter « le mot qui exprime
l'action » et « l'être qui fait l'action ». La logique des ensembles est aussi mise
à contribution : ainsi pour le signifié du « nom », difficile à cerner, la notion
d'ensemble permet d'échapper aux définitions floues et inexactes, de
distinguer fermement en partant de cette base la caractérisation, l'actualisation
et la détermination, et d'éclairer nombre de points concernant le groupe
nominal — rôle des articles, des adjectifs, des pronoms.
Les références bibliographiques, très précises, limitées à quelques
ouvrages aisément accessibles, seront efficaces.

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