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PORTIQUE

JE te devine sans te voir, et je te touche, et l'arbre en moi frémit qui


s'éveille au chant.

Je loue en toi ce corps saisonnier qui te captive et t'usurpe, ce corps qui te


livre aux cadences fluviales.

De ma voix qui t'enrobe se dégage un réveil d'arbre.

Voici l'arbre, clair compagnon du deuil et de la gloire;


voici l'arbre, et son écorce de murmures, et ses feuilles, éperviers
chanteurs de psaumes.

Où es-tu, toi que j'aimais jusqu'à vouloir vieillir entre tes migrations,
toi à qui j'offrais mon univers d'échos et mes
voies navigables ?

L'arbre se dresse dans ma voix pareil à l'absence d'un corps!


Arbre! compagnon de voyage,
te voici qui calligraphie le soleil entre tes branches —
et tes racines se nourrissent aux géographies de la mort.

Je t'aime, mon arbre riverain. Je parle pour l'arbre.

Je loue l'absence de cette absente, ma dormeuse du règne végétal.


LA CONSTRUCTION DU TEMPLE

PAR des routes de neige, des sentiers sous les barques peintes, des
sourires aux faces de nos femmes fardées... oui! par des routes
oublieuses, coiffées de vent violent, déracinées
d'orages,
et brusquement calmes, et brusquement lisses. 0 routes lisses... peau de
ma bien-aimée — ouverte dans l'étreinte — route sous le
soleil à coups d'épées ouverte jusqu'au sang... Routes
monumentales,

où nous allons, la dague au côté pareille au signe immobile clouant de


bétel la bouche de nos bien-aimées...

Silence! silence où les routes s'éveillent et s'ouvrent pour la marche!

— « Vous serez assis à l'ombre des montagnes, et vos doigts immobiles


seront dans la lumière la preuve de vos armes. »

— « Par les sentiers arides, qui sont tantôt de flots et tantôt de


rocailles,
vous parviendrez à vos navires pour y charger le sel, » dit-elle
encore...
Mais nous étions perdus dans les déserts, et cette voix en nous qui
cherchait à se taire enseignait à nos voix
des légendes emplies de grands tumultes et de
vagues!

Sur ce même trépied, couvert d'orties et de venin! sur ce socle


érigé du plus profond des mers, sur ce roc soudain qui bondit
de la nuit et renverse les cieux, ô morne étendue d'eau 1 ô mer qui siffle
tes grands chiens! nous
fûmes ancrés depuis les crépuscules, et aux dés de l'Histoire
instruits de nos noms et de nos actes, pareils aux greffes du printemps qui
s'étreignent dans un envol
de graines et de fanes...

Aujourd'hui.

Et seuls sous les panaches de ces mots accourus au grand trot des
légendes, nous sommes, nous avons noms et actes comme argile et
terreau, mortels de défier la mort ensemencée, et grands de ce caprice de
naissance qui nous soustrait aux caprices des dieux...

Oui, nous sommes dans la loi, et portons lumière et ténèbre ainsi


que des torches voisines! Et que me fait cette lente femme surgie des
préhistoires, qui n'a
plus de visage et caresse mes lèvres! Et que me fait l'ortie blême à l'assaut
des rivages, lorsque la mer
s'épouvante de son propre retour! Et que me fait
la nuit béante entre mes os!
Malheur! Bonheur! ô termes l'un et l'autre captifs du papier et de l'encre!
Arches dans la nuit des temps! Bornes indéchiffrables aux frontières
des eaux!

Une mouette naît au cœur des vagues, s'ébroue. L'homme s'allonge aux
côtés de la femme, lettre majuscule sur le silence immense de nos
plages.

L'homme marqué de rouge s'avance vers l'autel des Andes, son


poignard est sans prix qui s'en prend au soleil et le mord à la face et
fait trembler la terre comme un faisceau de capucines
happé par la tempête... Voix! Voix de l'univers cerné d'insectes! Et les
soleils venaient
en multitude vers la pierre du sacrifice, des soleils innombrables
jaillissaient du cœur de l'homme en marche
par les Andes, l'homme des nuits solitaires,
l'homme de l'invention des temps.

— « Vous chargerez le sel aux flancs de vos mémoires, » dit-elle. Et


les coursiers fouettés de pluie, vêtus de brume, écartaient du licol
les tentures de l'aube.

Quatre fois seize furent contraints à ce voyage sans retour. 0 nous voici,
hommes de foi dans la cité moderne : Paris de nos
naissances, capitale violette.

Nous voici,
témoins des origines fabuleuses, héros des puissances du cœur—«ô! ô vil
métal de vivre lorsque tout se détourne de l'ombre! »

Comme une main soudain en un seul cri fermée, et poignant le


crépuscule de nos peuples, fut ce
sévère exil.
II

VINRENT les saisons du poème ! ô toutes parées de feuilles comme


des fêtes d'arbres. Aux grandes pages pubères des cavernes s'inscrivit lentement le
cheval.
Puis l'auroch naquit des songes de la pierre, puissante caravelle amarrée aux portes de Venise.

Poème des frontières. Voici le sel et le poivre et le safran, aux périls


des mille rosés de Neptune, \ lorsque le dieu se tourne et retourne parmi les cages de varechs,
parmi les mâts dressés vers les reflets du sable. La galère royale s'illustre de nos vœux — et retient à son bord le
deuil obscur des conquérants.

Page blanche, page verte, qui s'éfrange aux étapes du soir!


Frappe! frappe la pierre auguste,
et inscris aux grandes feuilles de mémoire ces nervures de mots
et les branches nourries de voix comme des outres pleines! inscris les comptes de nos jours en nos villes capitales, —
nous
qui sommes témoins de la justice sous nos dais de parade! inscris le ciel tendu, pareil aux routes de la terre, routes
monumentales dont nous sommes les scribes!

0 puissance du verbe! Vertige! A cette berge incomparable voici


qu'accoste le navire grisé de distances infinies, sans cesse multipliées par le globe des mers...

Mythologie d'automne lorsque s'avance le cortège des fastes de septembre. La pluie déjà s'approprie les rivages. Le
sable gris porte témoignage du conquérant impie et pleurant son voyage.
Mais voici que déjà la tiare des prêtres oscille dans l'ouragan des pages de l'Histoire.
Rien ne s'inscrit ici qui ne puisse périr!

Et que me font à moi ces langues dépourvues, inscrites aux tombeaux des continents épars ?

Image des rivières comme une seule main vive dont la paume s'élève au rythme des saisons!

Image de la nuit qui marche vite et se referme sur les incestes de la Cour et les colères des Césars!

Image qui surgit des fleuves domestiques lorsque mille oiseaux ensemble leur dénoncent les digues!

III

COMPLAINTE de la voile tendue d'une rive à l'autre, d'un océan


à l'autre, pareille aux routes monumentales de nos mémoires, qui se souviennent, ô! des erreurs inscrites, à tout jamais
inscrites
aux racines des temps. Une voile se courbe, se déchire et s'élance. Un dieu naît de la
vague. La mer aux frontières de l'homme dresse les stèles
de l'écume et de la mort.
\
Tissée d'eau, tissée de sable, tissée de sang, voici la route conquérante...

Le désert nous fait face ! Et que sert la mesure des choses anonymes ?
Et rendre la justice sous le cyprès solaire? Et peser l'once de sel ? Et purifier le sable ? Et souligner de bétel
le silence de nos bien-aimées? Les hommes dans les sables tirent sur leurs yeux brûlés d'étoiles
un pan d'étoffé, et songent...

Les hommes dans les sables offrent le dos et tout l'effort des reins et la nuque meurtrie et la gorge brûlée... les
hommes marchent dans les sables,
portant sur les épaules nues les pierres de nos temples. Jour après jour, ils éprouvent le poids du sanctuaire, et l'ombre
qui les cerne se détourne des deux!

Marqué de rouge (bétail), qui peine et geint et marche... Course! Course entre des mains de sable! Tu es née de l'arbre
des
cavernes.
0 long repos de Dieu porté d'un bord à l'autre des planètes!... Navires largués de siècles en siècles!... Vaisseaux
fantômes chargés de cèdres et de sapins, de chênes et de luzernes!...

Vois :
« course pareille à une gerbe d'étoiles dans les robes cosmiques de nos temples »...
IV

COMBIEN de fois t'ai-je louée, création sourcilleuse! Et suivie de liane en liane, comme si tu étais musique dans les rues
de l'hiver, et grâce à longs flots retournée à la mer, et pierre blanche, pierre rouge, là-bas dans le chaos des
Andes où mon père, l'homme des marées fabuleuses, laissa les traces de sa marche,
traces comme d'une épine au revers de la paume.
Elégie aux tables de la terre! Elégie aux murailles des eaux! Elégie silencieuse, tissée d'herbes qui guérissent et de
feuilles qui tuent!
Elégie de roseaux et d'orties!

Les grands reptiles de la géologie épousent le caprice des nébuleuses jetées de mains immenses aux champs givrés de
l'infini...

Le premier vaisseau fut un navire aveugle.

Homme dans tes cristaux de soufre et de corail, voici ta voix carénée


pour un voyage très lointain. Homme dans tes déserts qui rongent à mesure la route que tu
frayes,

voici que tu poses la pierre de l'autel, l'ensevelis au plus profond


des temps, saisis ton nom à pleines mains — ô entrepreneur de mondes habitables! — voici ta voix qui te précède, et
frémit, fichée comme une borne
au relais des routes monumentales, « où nous allons, le dos voûté, si loin de nos bien-aimées qui
vieillissent dans le grand silence du bétel... »

Combien de fois ai-je évoqué tes ombres, forêt des origines!

Et poursuivi de langage en langage l'extrême fable de la Loi.

Et contemplé dans le livre de l'Histoire ton visage de flammes, comme d'une fille séduite aux lisières d'un bois.
Et convoqué tes hommes d'armes et tes scribes et tes chanteurs de psaumes — avec cette voix verte qu'ils avaient
durant les journées dues au sacrifice des humains.
Ode guerrière! L'homme repose...
Ode guerrière! Dans l'éclat fauve du tonnerre voici les astres qui s'opposent et combattent...

— « Vous serez à l'ombre des déserts l'éternité de vos paroles, hommes en longue file qui tissez le poème ».

Puis je m'éveille sur les eaux, voguant au loin vers les terres brûlantes.
Le vent sur l'eau passe une main aux ongles rouges. L'agave tranche d'un cri bleu la nudité des nuits. Oui!
Frappe, et inscris les comptes du voyage, nautonier,
« qui est probe, et constate la couleur fanée des roches, sous la pluie »...

L'eau, l'eau lente...


Soudain, le sable. Des statues de pierre proposent des énigmes s à l'homme aventureux.

Que les orages de la marche ne cessent pas de retentir! Nous semons de galets nos passages terrestres. Nous
inscrivons s nos strophes sous l'aile injuste des oiseaux.

Voici venir les grands cortèges de la soif. L'homme multiple discipline les sables. 0 sage, sous ta pierre, contemple!
Voici venir les épopées nouvelles. Un chant tellurique qui fait aux
flots leur part, aux astres leur part, et couvre l'homme d'un
manteau d'étoiles, de tumultes.

Pas la paix! Mais reconquérir. Réhabiter.

0 sage, sous tes arbres rouges, profère les mots qui rayent l'acier impitoyable et le marbre! 0 sage! Nos bien-aimées
reposent) sous les sables, et voici venir les épopées du verbe...

CEREMONIES DANS LES SABLES

Nous, hommes du désert, ordonnons ainsi nos sépultures : ô rocher que nous avons cru peu faillible!
ô feuillages que nous agitions chaque soir sous les tentes, pour conjurer nos solitudes et les monstres!
que la terre soit foulée et l'océan vaincu, que nos barques parviennent jusqu'aux hommes extrêmes,
que notre message soit de paix, mais sans candeur ni mollesse.
Ainsi sera notre sépulture : verbale...

Viendront les hommes des forêts, avec des gestes frissonnants


de pluie, des hommes verts à la main rude, et possédant la
lance et le bétail, tissant la fibre et cultivant la pulpe minuscule des pavots.

Viendront de grands voyages pour nos yeux et des combats gigantesques sous les remparts.

La cité moderne s'enfonce dans


la nuit avec des rues dressées comme des voiles. Pour mon ami Pablo, mort dans Grenade, l'amitié d'une pincée
de sel et deux torches en mémoire à trois cents lieues de là...
Combien de fois ai-je sur lui-même tourné et retourné le cours
des temps, et contemplé, aux grandes plages de ce monde,
la venue de navires improbables et vides,
et mesuré la coque,
et inscrit aux gabelles le poids du seigle et la couleur impudique des filles débarquées!

Le maître est vêtu de cuir blanc, s'avance portant le riz


— ô prospérité du fleuve souverain —
et s'avance dans un frisson de pierre rouge, et s'avance entre les
clans du jour et les tribunes de la nuit où seules rêvent nos
femmes aux lèvres closes de bétel.

Conques dans le soleil qui résonnent haut, et ricochent sur la blancheur du cuir, pareilles à des massifs sous-marins!
Timbres pressés de mille mains, qui font obstacle aux cymbales
sur nos places publiques! Feu — en un brasier de sarments! Incendie de bruyères sous nos yeux, qui réduit le
gémissement
des temps en la blancheur du cuir...

Le maître est vêtu de cuir blanc, telle est la Loi de notre peuple descendu, ô descendu des frontières du ciel au rivage
des eaux...

Pour mon amie non venue, la miséricorde d'une abeille, et six grains d'anis entre les seins qui la garderont des dieux
rouges.
Pour mon amie la non venue, une pelote de crins beiges, et ce signe de nos aïeules sur le ventre qui rend fastes les
guerriers.

Pour mon amie enfin venue, la parole du sage sous les branches de son arbre : « Festin d'amour, ô convive non venu
»...

Viendront des hommes qui emporteront les tablettes de notre


mort — et que seront nos cendres répandues à l'Occident
et au Midi ?
S'effaceront de la mémoire tous ces hauts faits et ces légendes de
nos voyages, alors que les routes monumentales n'avaient
plus d'ombre — et que seront sur cette terre mesurée et conquise les traces de nos
écritures anguleuses, de nos langages, et du verbe? De grandes pages s'inscriront, de grandes pages indolentes!
Hommes des grands chemins, frères arides!

Que me fait à moi cette lassitude d'ortie? Et que me fait à moi Pablo dans les rues de Grenade qui est vêtu de sang et
de fumées ?

Pour mon ami Pablo, dans les rues de Grenade, une fleur d'aubépine constellée de cigales; quelques brins d'achillée

pour conjurer le sort.

II

UN voile fut tiré sur la splendeur des temples. Et nous dans l'or
fané de nos voyages récoltions la mangue amère et la figue velue. Car sous la tente mémorable repose ma
bien-aimée.
Sa chevelure la vêt ou la dévêt suivant que tournent le visage
des soleils ou les longs éperviers de la nuit.
Ses chevilles sont légères lorsqu'elle porte à ma couche les olives
et le vin. Mais plus légère encore sa joie lorsque les buccins
la convient aux remparts. Bien-aimée aux flancs de ma mémoire,
dont j'ai laissé le corps et oublié les lèvres. 0 toute fanée d'attente!
Voici que nous sommes dans un sévère exil...

Bien-aimée étendue sous la tente, pour toi le lin des plaines et le calice rehaussé de corail et l'arôme savant de
ces feuilles de thé!

Je vois tes ongles rouges qui disposent l'encens, et tu t'inclines


devant le maître, le front au sol.
Ta chevelure est blonde dans le vent.

Vide la coupe emplie au fleuve! Tu touches en hommage le cuir

blanc dont est vêtu le maître.

Et voici que tu te dresses devant le temple,


légère et mince,
comme il convient aux femmes des errants.
Ta chevelure est blonde dans le vent.

Nous nous penchons parfois aux lisières du monde, et la tête renversée comme un qui boit l'eau légère et vivante,

nous contemplons les soleils augustes qui poursuivent un destin d'astres dans l'univers givré.

0 clous géants à tout jamais issus d'une main souveraine! 0 course


dans l'abîme! Nous sommes les soleils du temple. 0 lampes ! 0 masques sur les flots, pareils à des torches en marche
dans la nuit!

Sage! inscris les épopées de nos errances :

« et rien pour l'homme assoiffé de richesses, car notre gloire est pure, qui se consume aux frontières des terres
habitables »...

POEMES DE GAZELLES SOUS LE DAIS DE JUSTICE

FEMME blonde soudain aux rives de ma vie, pareille à ces sillons de l'antique charrue, entre ponant et levant,
qui déchirait la terre vierge dans la sueur étoilée des grands chevaux aveugles...

Et voici que tu déchiffres le langage obscur de mes paumes, et


ta lèvre dédaigneuse refuse le départ ô vers de longs récifs où les dieux encore convoquent le Destin
et écrivent l'histoire de nuits et de nuits enlacées sous les
pierres rouges et le sable... Et voici que tu te lèves, mince et fragile (ainsi qu'il sied aux femmes
des errants) — et tu sors de la tente mémorable, et tu parcours
ma ville capitale...

Temps limpide. 0 immolée à ma passion! proie fastueuse que


je m'offre en mes solitudes pavées. Née de ce sol qui m'est privilège et me sera linceul, ô femme blonde
comme sable, voici que de toi naît le poème, pris aux rets
de tes cheveux, et étreignant soudain dans ton parfum subtil un univers géant
fiché dans l'écriture comme un signe de pierre à tout jamais
indéchiffrable et magnifique.
... Et s'avance le maître, et s'avance le dieu à tête de chacal, celui
qui nous donne souvenance de très antiques rites et de règnes
obscurs aux rivages des eaux. L'homme qui vient des Andes par une route semée de sang, ô
les longs plis de son manteau frissonnent et lorsque le vent
tourne, navire il appareille vers des secrets scellés aux murailles
de nos temples.

J'ai demandé ton nom, aux portes de l'Ouest. Vêtus de bure rutilante, les gardes appuyés sur des armes de bronze
ont crié, tel un chant limpide pris aux reflets de l'aube, un nom peuplé de miel et de rivières et de fêtes
fabuleuses.
Les gardiens à l'Est de nos rives avaient pour toi un nom où se dessinaient le fracas des batailles, les appels de
chevaux dans la steppe sauvage, les flammes se tordant aux racines des neiges, un nom d'arènes et de sang.

Bien-aimée captive de nos sables!

0 Malheur! 0 Bonheur! termes égaux aux balances du poème, pareils à ces faucons que la chasse libère aux premiers
cris du jour,
voici de vos domaines le portail de chair!
voici comme une main aux ongles lisses la dureté profonde de la chair!
voici sous les mirages de nos voix le pur langage de la chair!

: Et vous irez encore, ô sages qui pesez aux tables de la Loi les mérites et les biens de ceux qui partent aux carrefours
de la guerre,

-/•
et vous irez interroger les arcanes d'œuvres obscures et pédantes, découvrant sous le musc des verbes conjurés la
permanence insigne de nos verbes.

Oui, telle une femme blonde aux rives de nos vies, voici les épopées du chant et de la langue!

Ode triomphale soudain comme un caillou, pur miracle des eaux


lorsque le cheval harassé s'ébroue et tend le col vers les forêts
de la nuit, et le monde crispé qui se tourne et retourne, et tue sous les syllabes
immenses des soleils...

Ode dans les rocailles! Ton long parcours de mots te mène à cette femme blonde, mince et debout sous les épées du
jour (ainsi qu'il sied aux femmes des errants)...

Mais un cortège d'aruspices et de naines assaillent les déserts où nous sommes encore dans le lent travail de naître. 0
pays que l'acier a tranché! 0 contrée fraternelle où chantent les captives !
Trois fois nous fîmes ce voyage sans repos, et trois fois nos bien-aimées furent nos gages, la bouche close de bétel,
comme le doigt de Dieu jugeant des paroles qui conviennent aux femmes sous nos tentes...

Femme blonde, gazelle sous le dais de justice, ton nom est en moi comme une longue plainte. T'ai-je assez aimée dans
le silence
de mes nuits, ô lointaine et captive sous la tente! Et cherché chaque
jour dans les signes du rocher et dans les mystère;
impitoyables du silence, ô vestale à la proue de mes jours:
muette! Et nommée en frappant du poing le sol de l'exil, o gracieuse
sibylle de mes ombres !

Pour mon amie à mes côtés une coupe de miel et l'éclat fauve du poème...

Voici l'aube sur les sables. Complainte de départs où les voiles enflent et les
chevaux hennissent.
0 puissance de vivre, miséricorde... 0 fastes de nos verbes, miséricorde... 0
litanie de nos déserts, miséricorde...

Voici le Livre dans l'encre de mes jours. 0 sage sous ton arbre, paix à toi! qui
distingue ce qui est bien de ce qui est mal.
Pour nous, les routes monumentales. Pour nous, la terre à mesurer comme
l'étrave fend l'écume. Pour nous, les tables de l'Histoire et la science de
ce qui est clément et de ce qui est néfaste. Pour nous le sel, et le safran.

Pour mon amie absente, le feuillage de l'yeuse ; une pièce de cuivre pour son
oreille gauche...

JUSTIFICATION DU TIRAGE

1 exemplaire sur Japon, contenant cinq cuivres rayés, cinq gravures en couleurs, une suite, et un fragment de
manuscrit. Sous emboîtage.
9 exemplaires sur Hollande Van Gelder, avec cinq gravures en noir et une suite. Sous emboîtage.
47 exemplaires sur Pur Fil d'Arches, avec cinq gravures en noir.

500 exemplaires sur Alfa.

Exemplaire sur Alfa


No 274

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