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Les sanctuaires de Rome /

ouvrage entièrement inédit,


commencé par Mgr Luquet,...
; et continué par M. l'abbé A.
[...]

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Luquet, Jean. Les sanctuaires de Rome / ouvrage entièrement
inédit, commencé par Mgr Luquet,... ; et continué par M. l'abbé
A. Tilloy,.... 1863.

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~A~ 't"< .?

–seee–
BOURGEOIS DE SOYE, HBRAIRE-ËDITECR
16, rue de Seine, 16

X~
LES
SANCTUAIRES
C T TI AIR E S
i.
~DE '~CQNSERV~&~EUSEMENT
ROME
DANS LA VILLE ETERNELLE

~<~ Un volume grand in-folio


ÏLLOtTB~BE
30 BELLES LITHOGRAPHIES A DEUX TEINTES
BEFROUCISAXT
LES HBUX OU LES SAINTS ONT VÉCU ET OU ILS SONT MORTS
ET DONT LES DESSINS ONT ÉTÉ PRIS FIDÈLEMENT SUR PLACE

AtJCMËNTÉ DE

NOTICES SUR LA VIE DE CHAQUE SAINT


et des Prières en tezr honneur aMqneltes sont attzcMes des indntgences
ORNÉ DU PORTRAIT DE N. S. PÈRE LE PAPE

OUVRAGE ENTIÈREMENT !NÉD!T

COMMENCE PAR .M~ HJQUET, EVÊQUZ D'BESEDON


et contmoe avec la co))abera))on de ptusicurs Ecclésiasliques

L'admiration des hommes et leurs investigationsse sont toujours portées


vers les grands noms et les hautes vertus qui ont retenti autour d'eux.
Aussi ne pouvons-nous mieux justifier la grandeur de i'œuvre que nous
allons publier, qu'en descendant à une comparaisonqui frappe l'esprit de
chacun et qu'en citant l'opinion de Cicéron, le grand orateur des temps
anciens et du paganisme, sur les impressions que laisse le souvenir des
hommesremarquables et des lieux qu'ils ont fréquentés.
Pendant ~ueCicëron se trouvait à Athènes, il alla un jour visiter l'Aca-
démie, si j~Mement cétèbre. Pison, qui l'accompagnait, lui dit
« Est-et une impression émanant de la nature, ou seulement une
« erreur de notre imagination, qu'en voyant les lieux habités par les grands
« hommes, nous nous sentions plus touchés, ainsi qu'il m'arrive maintenant,
<' qu'en entendant parler d'eux, ou qu'en lisant quelqu'un de leurs écrits?
« A cette place, je ne puis m'empêcher de songer à Platon ici Platon
« s'entretenait avec ses disciples; ces petits jardins, tout près de nous, me
« rendent si présente la mémoire du philosophe, qu'ils me la remettent
<' presque devant les yeux 1 Là se promenaient Speusippe, Xénocrate et son
disciple Potémon, qui s'asseyait ordinairement à cet endroit. Enfin ces
« lieux ont à un degré si éminent le pouvoir d'exciter notre pensée, que
« ce n'est pas sans raison qu'on a fondé sur eux l'art de la mémoire. ).
Cicéron reprit alors « Je suis de votre avis, Pison, les lieux où les
« hommes illustres ont vécu nous font d'ordinaire penser à eux plus vive-
« ment et plus attentivement. Vous savez que j'allai une fois avec vous à
« Mêtaponte. et que je n'entrai chez mon hôte qu'après avoir visité le lieu
« où Pythagoreavait passé sa vie, et vu le siège dont il se servait. L'exèdre
« où enseignait Charondasn'est pas sans intérêt pour moi; je crois le voir,
car je connais ses traits, et il me semble que ce siège même, demeuré
« veuf d'un si grand génie, regrette tout à l'heure de ne plus l'entendre.
Les sentiments éprouvés à Athènes par Cicéron et ses amis, éprouvés
encore de nos jours par quiconque visite l'habitation d'un personnage
célèbre, combien plus vivement ne sont-ils pas éprouvés par le fidèle, en
présence des lieux habités par les héros du christianisme, lieux que la piété
chrétienne a pris à tâche de conserver intacts, et tels qu'ils étaient pendant
le séjour des héros qui y ont vécu; lieux encore tout embaumés d'un parfum
de sainteté qui élève t'âme à Dieu
C'est là, se dit le pieux visiteur, c'est là que ce saint, sortant de
l'humanité, contemplait les grandeurs infinies du Créateur. Voici le lit où il
prenait son repos; voici la table où il a tracé ces lignes brûlantes d'amour
de Dieu qui coulent comme un baume dans l'âme de celui qui les lit. Là est
le prie-Dieu où il s'agenouillait, lorsque sa prière s'élevait au ciel comme un
encens d'agréable odeur. Cette place a été mille fois baignée de ses larmes,
lorsqu'il pensait aux faiblesses de sa vie passée ou se les reprochait comme
des crimes. Voici une image de la Vierge devant laquelle il aimait à se pro-
sterner pour lui confier ses besoins ou prier pour son prochain, et qui plus
d'une fois a daigné répondre favorablement à ses demandes. Voici la table
où il nourrissait les pauvres et les malheureux avant de penser à lui-même.
On voit des milliers de touristesvisiter les lieux habités par des hommes
célèbres par leur impiété et s'arracher les objets dont ils ont fait usage.
A combien plus forte raison le chrétien aime à posséder, à voir les objets
dont se sont servis pendant leur vie mortelle les habitants de la cité céleste!l
à combien plus forte raison il aime à vénérer les lieux où leurs pas sont
encore imprimés!
Mais tous ne peuvent faire le voyage de Rome pour venir vénérer ces
lieux saints à tant de titres.
Nous avons donc cru faire quelque chose d'agréable aux fidèles en leur
offrant au moins l'image de ces asiles bénis, ainsi que des principaux objets
qui en font l'ornement.
Qu'on ne s'attende point à des chefs-d'œuvre d'architecture c'est le
plus souvent une pauvre chambre ou une humble grotte que l'on aura
sous les yeux; mais c'est là que s'est écoulée la vie des plus grands hommes
du christianisme.
Le dessinateur s'est efforcé, avant tout, de rendre une copie scrupuleuse
de ce qu'il avait sous les yeux. Cette fidélité même constitue un des premiers
mérites de cet important ouvrage ceux qui ont eu le bonheur de visiter ces
asiles de la sainteté pourront les reconnaître, et, pour ceux-là aussi, notre
album sera un pieux souvenir.
Chaque lithographie sera accompagnéed'une notice sur la vie du saint,
et nous y ajouterons les prières spéciales auxquelles sont attachées des
indulgences.De sorte que cette publication sera, non-seulement un ornement
de salon pour les familles chrétiennes, mais aussi un livre de prières pour
les personnes pieuses et pour les maisonsreligieuses.
L'impression de ce livre est conSée, pour les lithographies,aux presses de M. LNfEMtER,
et, pour le texte, aux presses de M. J. CLAYE.
Par $MucWp~t<Mt seulement
frtx~ broché t 4<t fr. (pour parattre en t~cembre).
LITHOGRAPHIES CONTENUES DANS CE VOLUME
?' 2.1 Une
Portraitdu Pape.
chambre dn Vatican.
?' M. Chambre de saint Philippe de Néri à San-
Girolamo della Carita.
3. Cachot de saint Pierre et de saint Paul aux 17. Chambre de saint Philippe de Néri à Chiesa-
prisons Mamertines. Nuova.
4. Platoniade saint Pierre et de saint Pan! à 18. Chambre de sainte Catherine de Sienne à
Saint-Sébastien. Via di Santa-Chiara.
5. Lieu du martyre de saint Pierre à Saint- 19. Chambre de saint Félix de Cantalice aux
Pierre-in-Montorio. Capucins.
6. Prison de saint Paul à Santa-Mariain via 20. Bains de la maison de sainte Cécile à l'é-
lata. glise de ce nom.
7. Lieu dn martyre de saint Paul aux Trois- 21. Chambre de saint Stanislas Kostka au no-
Fontaines. viciat de la compagnie de Jésus.
8. Chambre de saint Grégoire le Grand à 22. Chambre de saint Dominique,de saint Fran-
l'église de ce nom. çois et de saint Ange à Sainte-Sabine.
9. Chambre de saint Camille de Lellis à la 23. Chambre de sainte Françoise Romaine au
Madeleine. monastère de Torre dé Specchi.
10. Chambre de sainteBrigitte, place Farnèse. 24. Chambre de saint Joseph Calasanz à Saint-
U. Chambre de saint Louis de Gonzague au Pantaléon.
Collège romain. 25. Chambre de saint Ignace au Gesù.
J8. Chambre de saint François d'Assise, saint 26. Chambre de saint Pie V à Sainte-Sabine.
Dominique, saint Ange, à l'église de la 27. Chambre du B. Léonard de Porto-Maurilio
Mère-Admirable. à Saint-Bonaventure.
13. Chambre de saint François d'Assise à Ripa 28. Chambre du B. Paul de la Croix à Saint-
grande. Giovanini-e-Paolo.
14. Souterrain de sainte Agnès, place Na- 29. Chambre du B. Crispino de Viterbe aux
vone. Capucins.
15. Chapelle de saintPhilippe de Non an palais 30. Chambre où mourut le vénérable Labre,
Massimi. via di Serpenté, 2.

f<R)e. IMFRIMttR"! DE J. CLAYC, RUK Stt~T-BBNOiT, 7.


rueJE, soussigné,

!K'cnya'~ à MtMm'rc à
et m'engage à j~a~r

~M31 décembreprochain,.
M.
<
BULLETIN DE SOUSCRIPTION

c.r<TKp~f~
BOURGEOIS DE SOYE, Éditeur à
~~<!r/<'?K~<
~Mpra~ LES SANCTUAIRES DE ROME,
~M, 16, rue de Seine,

ftci la signature.
~MCM~H~

somme de

1862.

Écrire son nom et son adressetrès-lisiblement.


Pour la sommeà payer, mettreautant de fois40 fr. qu'ondemanded'exemplaires.
Détacherco bulletin,et envoyerpar la postefrancoà M.BOURGEOISDESoYE,16, rue de Seine.
Mete importante. Vu l'importance de cet ouvrage,nousengageonsde souscrireau plus tôt, pourêtre certaind'être
servien décembre.La souscriptionsera ferméele 15 décembre; le prix de l'ouvragesera alorsde 50 francs.
LES

SANCTUAIRES
D E ROME
LES

SANCTUAIRES
DE i~OME
)'))'
OUV!tA(.K)':V)'thh!MH\')'

Commencé par Mgr LUQUET, E\eque d'Hesebuii


HTCUNTfNUH
¡.;

PAR M. L'ABBÉ A. TtLLOY


bOCTHLRK!\THKO!.0'.tR~)')K'))-<OM,AtM6\t~Hm
<~i.t.~t.~)i(t).).t\

?
PAR tS
A. BOURGEOIS DE SOYE, LIBRÀTRE-ÉDtT EUR
lt! HUE UË SEINE JU

Mt'CCCLXf!
~pf~
AU LECTEUR

Rome chrétienne, par ses monuments et ses souvenirs, fait


une profession de foi permanente. Elle est, par ses ruines, le
plus grand arc de triomphe par ses catacombes, ses tombeaux

ses reliques, elle est le plus grand mausolée; par ses édinces, le
plus grand palais; par ses diverses liturgies, la plus grande chaire
pastorale de l'univers. (M<" f?RRBKT.)

LE culte que l'Église catholique rend aux reliques de ses saints n'est pas, comme t'hérésie le prétend,
quelque chose d'accessoire ou d'accidentel dans le christianisme, mais il tient à son essence même, parce
qu'il se produit sous l'influence de la révélation et qu'il satisfait d'ailleurs les instincts les plus intimes de la
nature humaine. Toute famille vénère le tombeau de ses pères; elle aime à les immortaliser dans son sou-
venir en conservant quelque chose d'eux-mêmes. Toute nation honore les tombeaux de ses grands hommes;
elle a ses musées où elle recueille et conserve avec un religieux respect les différents objets qui ont servi à
leur usage. Jadis l'ancienne Égypte ne croyait pas que ses Pyramides fussent des demeures trop fastueuses pour
renfermer dans leurs flancs de granit les ossements de ses souverains. La France a ses Saint-Denis. ses Sainte-
Geneviève, dont elle a fait les nécropotes séculaires de la souveraineté, de la science et du génie. Bien plus,
non contents de recueillir les restes de nos souverains ou de nos grands hommes sous les voûtes et dans les
caveaux de nos plus belles basiliques, nous rassemblons dans nos palais jusqu'aux objets qui ont touché leurs
corps, ou qu'ont maniés leurs mains un vêtement, une armure, etc. Un livre d'heures fait revivre devant nous
ce saint roi qui sut porter sur le trône de France l'héroïsme de la vertu. A celui qui nous dirait que ce
livre n'est pourtant qu'un livre, nous répondrions qu'il faut avoir l'âme pétrifiée pour n'y sentir que cela.
Le caractère propre de l'individualité, c'est de faire reporter sur les objets qu'elle s'est appropriés, et qui
demeurent après elle, quelque chose des sentiments qui se rapportent à elle-même. On conçoit que ce culte
rendu par la famille aux reliques des ancêtres et par la société aux reliques de ses grands hommes, n'a
rien que de légitime, et qu'il correspond aux instincts les plus intimes de la nature. C'est la religion du sou-
venir, de l'admiration, de la reconnaissance et de l'amour; c'est la piété filiale et le patriotisme élevés à la
hauteur d'un culte. Malheur à une famille, malheur à une nation, si la passion du lucre ou des jouissances
étouffait en elles ce noble sentiment de la piété filiale, si le théâtre ou la bourse leur faisaient oublier le
culte des vieilles tombes
Le culte rendu par l'Église aux reliques de l'élite de ses fils, qui sont les saints, n'est que l'expression de
ce sentiment l'Église est la famille de Dieu, la nation sainte*. Donc, comme famille et comme nation,
l'Église obéit au sentiment le plus élevé de la nature humaine en vénérant les restes mortels de ses enfants.
Or, comme les reliques des saints sont non-seulement de vénérables débris du temps, mais des membres
augustes auxquels la grâce divine a communiqué un caractère de grandeur surnaturelle, et qu'ils sont d'ailleurs
marqués du sceau de la résurrection glorieuse, on conçoit dès lors que t'Égtise donne un caractère religieux
a son culte. On conçoit qu'elle les place sur ses autels, qu'elle transforme les tombes de ses saints en glo-
rieux reliquaires, qu'elle les couvre de fleurs, qu'elle y fasse brûler l'encens, qu'elle les entoure des sym-
boles de la résurrection, et que ses chants, enfin, soient, non des gémissements mêlés de regrets et de larmes.
mais des chants de triomphe et d'allégresse.
Remarquons encore que, par ce culte publie et universel rendu aux saints et à leurs reliques, l'Église
affirme son immortelle fécondité et, par là même, sa divinité. Elle peut dire à ceux que les clartés admirables de
sa foi ne peuvent convaincre Si vous ne croyez pas au témoignage de ma doctrine, croyez du moins à mes
œuvres. Mesœuvres, ce sont mes saints. Partout où je passe, partout où je plante ma croix, je fais croître des
vertus que le monde avant moi ne connaissait pas. Je crée des cœurs nouveaux; d'un enfant d'Adam, je
fais un saint. Donc, si je fais les œuvres de Dieu, croyez que je suis de Dieu.
Enfin, par le culte des reliques, l'Église satisfait un besoin de la piété que la religion ne doit pas négliger.
Elle nous rappelle les exemples des saints et nous les rend pour ainsi dire présents. Pouvons-nous voir
d'un œit indifférent les restes de ces anges qui ont passé en ce monde? N'est-ce pas un spectacle empreint
(l'une beauté touchante et toute chrétienne que celui de l'Église catholique agenouillée en tous lieux sur
les tombeaux de ses héros, reliant ainsi, par un mutuel échange de service et d'amour, ceux qui ont
atteint le port et ceux qui luttent contre les uots de cette mer si agitée du monde, et encourageant ceux-ci
par l'exemple de leurs glorieux devanciers? Comment ne pas voir une institution profondément morale
dans cette communion journalière des vivants au souvenir des vertus et aux leçons de sainteté de ceux
qui se sont endormis du sommeil des justes?
Que certains esprits, atteints d'une frivolité incurable, n'entendent rien sous ce rapport au culte des
reliques, cela est dans l'ordre. Pour comprendre tout ce qui touche à l'ordre surnaturel, il faut du sérieux
dans la tête et surtout dans le cœur. Mais quiconque voudra y réfléchir, je ne dis pas avec le sentiment de
la piété, mais avec les simples données de la philosophie chrétienne, rendra justice à l'Église.
Ces hauts et féconds enseignementsrenfermés dans le culte des reliques, ne se manifestent nulle part avec
une plus grande richesse d'expression que dans la capitale du monde chrétien. On en conçoit la raison. S'il
est un lieu dans le monde où la sainteté doive exercer son empire et manifester ses prodiges d'abnéga-
tion et de charité, c'est évidemment la ville qui a été choisie par Dieu pour être le centre de la chrétienté.
Rome qui possède dans son sein le chef de l'Église, et avec lui la chaire indéfectible de la vérité, doit être
le foyer de la vie chrétienne. Mère de la vérité, elle doit être aussi la mère de la sainteté. Depuis dix-huit
siècles, la ville des papes offre au monde ce divin témoignage de sa prédestination et s'affirme la ville
sainte. Elle nous apparaît comme le Cnwpo Santo du monde chrétien le plus complet qui existe. Ce que les
caveaux de Saint-Denis furent autrefois pour les races royales de France, les temples et les plus humbles
chapelles de Rome le sont pour une grande partie de cette dynastie de héros chrétiens qui se sont transmis,
de siècle en siècle, la croix et la charité de l'Homme-Dieu. Les plus grands saints qui aient honoré le chris-
tianisme ont vécu à Rome et y ont laissé des souvenirs de leur passage. La plupart de ces hommes, qui ont
été martyrs par le sang ou par la charité, ont voulu que quelque chose d'eux-mêmes allât rejoindre le
grand concile des catacombes. Les voyageurs qui font le pèlerinage de Rome, ne se doutent pas des glo-
rieux et pieux souvenirs renfermés dans la capitale du monde chrétien. Exclusivement préoccupés des sou-
venirs païens de leur éducation, dirigés par des Guides destinés à des voyageurs de toutes les sectes, et dont
le moindre défaut est de laisser dans l'ombre le point de vue religieux, ils ne connaissent de Rome que
ses ruines, la face artistique de ses monuments et le coté purement humain de ses institutions. Ils

<. CivM sanctorum et domestici Dei. (Epist. S. Pauli ad Ephe~ i), 4M.j
admirent le ~o-tfn) où parlait Cicéron, le Théâtre de Pompée ou périt César, la Voie sacrée que par-
couraient les triomphateurs, le Capitole d'où partaient les édits du peuple-roi, le Panthéon d'Agrippa, les
Thermes somptueux de Caracalla et l'Amphithéâtre monumental du Colisée. Les ruines de Rome païenne fixent
surtout leur attention, et ils n'admirent de Rome chrétienne que les richesses artistiques de ses basiliques,
de son Vatican, et l'imposante majesté des cérémonies papales. Il résulte de là que Rome chrétienne est peu
connue. La ville des Papes est sans doute la ville des arts, pleine de chefs-d'œuvre incomparablesqui font
sa gloire, et de ruines monumentales qui rappellent les grands épisodes de l'histoire du peuple-roi; mais
elle est plus que cela elle est encore, elle est surtout pour le catholique la grande nécropole du chris-
tianisme, le reliquaire le plus complet de la sainteté. Gardienne immortelle de tout ce qui est grand, de
tout ce qui est saint, elle conserve religieusement les reliques précieuses des saints qu'elle a produits, l'école
où ils ont enseigné, la cellule où ils ont prié, les lieux qu'ils ont sanctifiés, et jusqu'aux objets qui ont servi
à leur usage.
Ces monuments de la sainteté sont autant de foyers d'intéressants souvenirs, qui font revivre les glo-
rieux triomphes de la grâce.
Quel vaste champ de méditation offre au chrétien la prison Mamertine, d'où saint Pierre et saint Paul
ont été conduits au martyre! Quels exemples d'héroïsme nous rappellent les lieux témoins du martyre des
jeunes vierges romaines, Cécile et Agnès! On aime à rêver sur les ruines d'un temple, d'une statue antique,
ou d'un tombeau; mais il semble que, toute idée de culte mise à part, l'imagination et le cœur devraient
être plus vivement frappés devant ces glorieux trophées de la sainteté. Les mausolées d'Adrien et de Cécilia
Métetta ne sont, après tout, que de magnifiques monuments, qui semblent élever jusqu'au ciel le témoignage
du néant de la gloire humaine. Les tombeaux de saint Pierre et de saint Paul, et de cette dynastie de
héros chrétiens qui se sont donné rendez-vous à Rome, parlent plus éloquemment à l'imagination et au
cœur. Ils rappellent au chrétien les plus glorieux souvenirs des triomphes de l'âme, la victoire de l'esprit
sur la chair, de la vie sur la mort. Ces tombes glorieuses, transformées en brillants reliquaires, parlent d'es-
pérance tout y respire la résurrection de la vie. Tombes prophétiques qui, au rebours de toutes les autres,
font penser surtout à l'avenir et qui parlent bien moins du néant de l'homme que de son immortalité.
La pensée fondamentale de ce livre est de mettre en lumière ces glorieuses reliques de Rome chré-
tienne. Comme j'étais forcé de m'imposer des limites, j'ai dû me borner à faire connaître les lieux sancti-
fiés par la présence et par les prières des principaux saints qui ont habité la ville éternelle.
Les saints dont je donne la notice offrent un ensemble de vertus qui réalise, dans les plus grandes pro-
portions, cette image de Jésus-Christ que chaque saint, suivant le mot de l'Apôtre, a portée dans son âme et
dans sa chair. La charité, qui constitue l'unité fondamentale de la sainteté, produit sans doute dans tous les
serviteurs de Dieu un même portrait du Sauveur. Mais, dans cette unité même, la sainteté individuelle prend
une forme différente, selon le tempérament de chaque saint. Il existe divers ordres parmi les anges de la
terre, comme il y a divers chœurs parmi les anges des cieux. Chacun de ces ordres reproduit d'une manière
plus saillante quelque caractère particulier de l'Homme-Dieu, de telle sorte que les traits partiels qui
constituent la physionomie spirituelle de ces différents ordres, étant réunis et fondus ensemble, retracent la
figure du divin Exemplaire aussi complétementqu'ils peuvent l'être dans des copies terrestres. Le choix que j'ai
fait parmi les saints qui ont vécu à Rome reproduit ces différents ordres de la sainteté. Le sénat apostolique est
représenté dans saint Pierre et saint Paul. L'armée des confesseurs et des martyrs y compte ses héros les plus
célèbres et les plus anciens. Sans parler des saints apôtres Pierre et Paul, quels noms que ceux de Cécile et
d'Agnès! Ces deux jeunes vierges nous offrent le témoignage le plus saisissant du triomphe de la faiblesse
sur la force. Le collége des docteurs est représenté par saint Grégoire le Grand; le chœur des vierges, par la
séraphique Catherine de Sienne; enfin, les noms qui sont devenus les glorieux synonymes de l'humilité,
de la pauvreté volontaire, de la subjugation des sens, de la mansuétude du martyre, de la charité, du zèle
apostolique, se retrouvent dans cette galerie. Qu'il nous suffise d'indiquer, pour les fondateurs d'ordre,
saint Ignace de Loyola, saint François d'Assise, saint Dominique, Paul de la Croix; pour les œuvres de
bienfaisance, saint Philippe de Néri, saint Camille de Lellis et le pieux fondateur de l'instruction primaire
gratuite à Rome, saint Joseph de Calasanz; pour tes veuves, sainte Brigitte de Suède et sainte Françoise
Romaine; pour les missionnaires évangéliques, Léonard de Port-Maurice; pour la jeunesse, saint Louis de
Gonzague et saint Stanislas Kostka; pour les pauvres, l'humble Félix de Cantalice et le bienheureux Labre.
Il suffira au lecteur de rapprocher par la pensée les vertus principales que chacun de ces saints représente
spécialement, pour obtenir un ensemble de traits reproduisant la copie la moins imparfaite de la perfection
de l'Homme-Dieu. C'est, j'oserai le dire, comme une mosaïque, formée, non avec des couleurs ou des mor-
ceaux de marbre, mais avec les vertus de ceux qui vécurent de la vie même de Jésus-Christ; mosaïque dou-
blement sacrée, et par l'objet qu'elle représente, et par les matériaux dont elle est composée. Tous les siècles
chrétiens ont travaillé à cette œuvre, depuis saint Pierre qui l'a commencée jusqu'au bienheureux Joseph-
Benoît Labre, qui la termine.
Quiconque se placera à ce point de vue en étudiant Rome, y admirera autre chose que l'agencement
artistique de quelques pierres; il verra les merveilles de la Rome païenne s'effacer devant les merveilles de
Rome chrétienne, et jetant un regard de pitié sur le Forum, il s'écriera avec le Tasse « 0 Rome, ce ne
sont pas tes colonnes, tes arcs de triomphe, tes thermes que je recherche en toi, mais le sang répandu
pour le Christ et les os dispersés dans cette terre maintenant consacrée. Oh puisse-je lui donner autant
de baisers et de larmes que je puis faire de pas en traînant mes membres infirmes! »
Que les lecteurs bienveillants me permettent de leur indiquer un motif particulier d'indulgence pour
un livre qui en a tant bes< J'ai dû me borner à remplir un cadre qui m'était tracé, à collationner, a
mettre en ordre des docun ts qui m'étaient fournis, et à les compléter par ceux que j'ai recueillis moi-
même pendant le séjour de deux années que j'ai fait à Rome. L'initiative de ce livre-album est due à
Mgr Luquet, évoque d'Hésebon, de sainte et vénérable mémoire. Il avait désigné lui-même les saints qui
figurent dans cette galène. La mort nous l'a enlevé avant qu'il ait pu même ébaucher l'oeuvre qu'il avait
conçue. J'ai tenu à respecter le cadre que le vénérable prélat s'était tracé, et à n'être que l'exécuteur
d'une œuvre dont il avait posé les premières assises.
Uni avec lui dans un même sentiment de dévouement et d'amour envers le Vicaire de Jésus-Christ, je
dépose humblement ce livre aux pieds de Sa Sainteté Pie IX. Daigne son regard paternel s'abaisser sur les
auteurs et sur l'éditeur des .S<MM;tu<MfMde Rome, et agréer l'hommage qu'ils Lui offrent comme l'expresMMt
du~g~r~eux~
de leur soumission à l'Église mère et maîtresse, et de leur vénération pour la personne auguste
Pontife qui la gouverne.

L'ABBË ANSELME TILLOY,


\~7'
r

Docteur en théologie et en droit canon, aumônier du Collége Rollin.

Paris, 21 avril 18(i3


Fête de saint Anselme, archevêque de Cantorhéry.
SA SAINTETÉ

LE PAPE PIE IX

JEAN-MARIE MASTAÏ, aujourd'hui glorieusement régnant sous le nom de Pie IX, est né
le 13 mai 1792, à Sinigaglia, ville des États romains, dans la légation d'Urbino-el-Pesaro.
La famille des comtes Mastaï était une des plus anciennes et des plus estimées de la
province c'était incontestablement la première de la ville de Sinigaglia. Les Mastaï étaient
de père en fils gonfaloniers. Cet honneur était devenu presque une propriété de famille.
Il est rare qu'un grand homme ou un saint n'ait pas eu près de son berceau une
femme choisie c'est par les secrètes influences de l'apostolat de la mère que Dieu éveille
dans le cœur de l'enfant les premières révélations de sa vie morale, et qu'il lui commu-
nique ce mélange de douceur et de force qui compose les âmes d'élite. La comtesse
Mastaï fut pour Jean-Marie cette femme choisie de Dieu. Unissant à un grand caractère
une haute piété, elle n'avait pas les.sottes complaisances des grandes dames de nos jours,
qui, obéissant à une aveugle et coupable tendresse, entourent leurs enfants de soins amol-
lissants. Elle s'attacha avant tout à inspirer à ses enfants une tendre et solide piété, un
grand zèle pour la cause de l'Église, et une ardente charité pour les pauvres.
Le jeune Jean-Marie montra de bonne heure une vive intelligence et une vivacité extra~
ordinaire qui se révélaient sur une figure ouverte, belle et toute pétillante d'esprit. Les pre-
mières prières qu'il apprit de sa mère demandaient à Dieu d'assister le pape Pie VI, qui
était alors prisonnier de la république française.
A douze ans, Jean-Marie entra au collége de Volterra, dirigé par les religieux scolopies.
Il s'y fit remarquer par une application heureuse, par la sûreté de l'esprit, la finesse du
bon sens, si rare à cet âge, et enfin par cette candeur d'âme, par cette piété affectueuse et
éclairée qui caractérisent les âmes prédestinées. En le voyant on pouvait toujours dire de
lui ce que, dans sa charmante naïveté, le père La Rivière a écrit de saint François de
Sales « Ce béni enfant portait dans toute sa personne le caractère de la bonté; son visage
était gracieux, ses yeux doux, son regard aimant et son petit maintien si modeste que rien
plus. Il semblait un petit ange. o Jean-Marie s'attacha à développer ce bonheur d'organisa-
tion. Comme il se sentait intérieurement appelé à l'état ecclésiastique, il vint à Rome pour
se former à la science et aux vertus du sacerdoce auprès d'un de ses oncles qui était
chanoine de Saint-Pierre. Après le retour de Pie VII, il entra à l'Académie ecclésiastique.
eu il passa trois ans. <~n raconte que le célèt~re théologien Graziosi, son professeur, s'écria
un jour. ému de sa charité de sa douceur et de sa piété, que ~/<M<aï c[!Yn< le coto- d'un p~/x'.
Jean-Marie reçut les ordres mineurs en 1818. Dès ce moment, nous le voyons se
dévouer aux labeurs de l'apostolat. ï) suivit d'abord, en qualité de catéchiste, des mission-
naires qui se rendaient a Sinigaglia. Le 18 décembre 1818. il fut ordonné sous-diacre, et
enfin promu au sacerdoce en 1819. Il célébra pour la première fois la sainte messe, le jour de
PAques, a Rome, dans le petit sanctuaire de ~n<<?m6[ del fn/e~nctm~ sanctuaire qui servait
d'église aux enfants pauvres de l'hospice de T~CtovanH:. Ce sanctuaire lui était plus cher
que toutes les basiliques c'était la basilique de l'indigence. Il entrait dans les desseins
de Dieu que l'abbé Mastaï préludât par le service volontaire des pauvres aux grandeurs de sa
destinée. Nommé directeur de l'hospice par Pie VII, l'abbé Mastaï consacra sa fortune, ses
soins et ses forces a la prospérité spirituelle et matérielle de cet établissement, dont il fitt
une institution toute nouvelle par les réformes qu'il y introduisit. Il ne tarda pas a gagner
l'affection des jeunes enfants, dont il était bien moins le maître que le père. Il vivait avec
eux, les connaissant tous par leur nom, les suivant tous, même après leur sortie de l'hos-
pice, dans les diverses carrières qu'ils embrassaient. Il employait jusqu'au dernier bajocco de
sa pension à procurer a ses orphelins des vêtements plus chauds, une nourriture plus
saine. Sa miséricordieuse et délicate charité, non contente de nourrir ces pauvres enfants,
voulait encore les dédommager de la privation des caresses maternelles en leur procurant
les distractions et les plaisirs innocents que l'indigence leur refusait.
L'abbé Mastaï garda sept ans la direction de l'hospice Tata-Giovanni. A trente et un ans,
il fut appelé à une autre œuvre beaucoup plus importante qui l'obligea de quitter sa famille
adoptive. Mgr Muzi, envoyé au Chili par Pie VII comme vicaire apostolique, demanda l'abbé
Mastaï pour auditeur. Pie VII agréa ce choix. La nouvelle de ce départ retentit comme un
coup de foudre dans les salles de l'hospice. Les orphelins de Ta/a–Ctoraw!: allaient perdre
leur second père. Ce fut un deuil universel.
Pendant le séjour qu'il fit en Amérique, l'abbé Mastaï en visita les nombreuses missions.
Il se mit ainsi d'avance en contact avec ces peuples dont il devait un jour devenir le pas-
teur suprême, et il apprit par lui-même à connaître les besoins des âmes dans les diverses
parties du monde.
Le pape Léon XII, qui avait été singulièrement frappé de l'esprit pénétrant et du bon
sens dont le jeune auditeur avait donnée des preuves dans sa mission, le nomma chanoine
de Sainte-Marie in Via lata; puis, voulant mettre à profit cette activité infatigable, cet
esprit d'ordre et cette générosité de dévouement que l'on avait admirés en lui dans la
direction de l'hospice T~a-~oraKM~ il le nomma président de la commission directrice du
grand hospice de Saint-Michel à Ripa Grande.
Cet hospice est un des plus beaux et des plus grands établissements de charité que pos-
sèdent Rome et le monde. C'est à la fois une maison de retraite pour les vieillards et les
infirmes, une immense école professionnelle pour les jeunes filles pauvres, et une sorte
d'atelier gigantesque pour les enfants abandonnés. A l'époque ou l'abbé Mastaï fut nommé à
sa direction, la situation financière de l'hospice réclamait une infatigable vigilance et une
sage économie. En deux ans les déficits furent comblés, et le jeune prélat s'était acquis
la considération d'un administrateur émérite. Lorsque l'ordre fut rétabli dans l'administra-
tion de l'hospice Saint-Michel, le pape Léon XII jugea que l'abbé Mastaï pouvait gouverner
un diocèse; il le nomma à l'archevêché de Spolète dans le Consistoire du 21 mai 1827. La
direction de Saint-Michel n'avait pas enrichi le diligent et charitable prélat, car, pour payer
ses bulles, il dut vendre une petite propriété qui lui restait.
A cette époque, Spolète nourrissait les feux de la guerre civile. La division était dans les
esprits avant de descendre dans les carrefours. Elle n'y descendit pas, grâce à son nouvel
archevêque. Spolète peut se rappeler tout ce que M~ Mastaï déploya de pieuse diplomatie
pour l'apaisement des passions, tout ce qu'il fit d'efforts délicats et persévérants pour
amener ces haines italiennes à fraterniser, à s'amnistier entre elles, et à s'éteindre dans un
universel pardon. Un jour, un seul jour, à l'époque des émeutes sanglantes de 1831,
l'insurrection parut devant Spolète, mais vaincue et poursuivie par les Autrichiens. L'arche-
vêque alla trouver le général autrichien, demanda la grâce des vaincus et l'obtint; puis.
revenant aux insurgés, il les harangua, et fit tomber à ses pieds ces armes que les Autri-
chiens n'auraient pu ravir qu'à des cadavres. II désarma les rebelles et les sauva.
Lorsque Mgr Mastaï fut transféré en 1832 à l'évêché plus important d'Imola, Spolète lui
témoigna des regrets unanimes. La ville envoya au pape une députation pour le conjurer
de laisser son archevêque à l'amour de son diocèse.
A Imola, Monseigneur Mastaï continua ses œuvres de zèle et de dévouement. Il trouva
des réformes à faire dans son diocèse; il les fit, et, ce qui est rare, il sut faire aimer les
réformes et le réformateur. Il fonda et dota une maison de retraite où chaque année il
retrempait l'âme de son clergé. Il s'occupa d'étendre la sphère de l'enseignement dans son
séminaire il établit dans son propre palais une académie biblique pour les prêtres de son
diocèse. Il les réunissait une fois par mois pour traiter en commun un sujet tiré des livres
sacrés. Ces conférences, qu'il présidait et dirigeait lui-même, entretenaient dans son clergé
l'amour des, fortes études, et mettaient en honneur dans son diocèse la haute théologie.
Grégoire XVI, qui appréciait le mérite et les vertus. de Mgr Mastaï, le désigna cardinal
!H petto dans le Consistoire du 23 décembre 1839, et le proclama dans celui du H décembre
18&0. Cette haute dignité ne changea rien aux habitudes de l'archevêque d'Imola. Il continua
à dépenser sa personne et ses revenus au profit des pauvres. Il fonda deux maisons de refuge
pour les orphelins des deux sexes; une école gratuite fut ouverte à ht classe pauvre; il éta-
blit un collége pour les étudiants sans fortune, qui suivaient comme externes les cours du
séminaire; il oon~a aux sœurs de Saint-Vincent de Paul la direction de l'hospice d'Imola
augmenté d'un asile pour les femmes aliénées il fonda de ses propres deniers un refuge
pour les filles repenties, et il en con~a la direction à des religieuses du Bon-Pasteur, qu'il
fit venir d'Angers, en France; enfin, il répara le tombeau de saint Cassien et décora à ses
frais la chapelle de Notre-Dame des Douleurs, dans l'église des Servîtes. Le diocèse d'Imola
admirait la charité inépuisable de son pasteur. Un seul homme y trouvait à redire c'était
Baladetti, son majordome, qui, voyant chaque jour le palais épiscopal se dégarnir de quelque
objet précieux, s'indignait, en bon intendant, des folles prodigalités de la bienfaisance de
son maître.
M- Mastaï gouvernait l'église d'Imola depuis quatorze ans. lorsque la mort du pape
Grégoire XV! l'appela à Rome pour prendre part à l'élection de sou successeur. H entra
au Conclave le 15 juin. Dès le premier tour du scrutin, ses craintes furent vives; son nom
avait réuni plus de voix que celui du cardinal Lambruschini, dont on regardait l'élection
comme probable. Le lendemain, deux scrutins se succédèrent. La candidature du cardinal
Mastaï recrutait chaque fois tous les suffrages qui désertaient le cardinal Lambruschini. Le
16 juin eut lieu le scrutin définitif. Le cardinal Mastaï fut chargé de lire tout haut les suf-
frages que le premier scrutateur déployait et que le second inscrivait. Il lut dix-huit fois
de suite son nom. Il fallait trente-quatre voix pour atteindre la majorité canonique. Le pieux
cardinal, voyant que la majorité se prononçait pour lui, voulut s'arrêter. Cette épreuve était
trop forte pour sa modestie; il conjura ses confrères de remettre à un autre le soin de
lire le reste des votes. C'eût été annuler l'élection. On lui permit seulement d'interrompre
la lecture il profita de ce moment de répit pour tremper son âme dans la volonté de
Dieu. Le dépouillement du scrutin s'acheva sans trouble; trente-six voix proclamèrent le car-
dinal Mastaï. L'élection faite par les suffrages fut ratifiée par l'acclamation. Rome avait un
souverain, et le monde catholique un pontife. 11 emprunta son nom à Pie VII, son glorieux
prédécesseur sur le siège d'Imola, et le lendemain, le camerlingue annonça, du haut du
balcon (lu Quirinal, la nouvelle de l'élection au peuple romain qui remplissait la place
Annuntio vobis gaudium ma~HU/M. Papam habemus eminentissimum ac reverendissimum dominum
Yo~Mnem-Mar~m Mastai Ferretti, S. R. E. j~re~~erM~ cardinalem, qui sibi nomen imposuit Pius /A.

« Je vous annonce une grande joie. Nous avons pour pape l'éminentissime et révérendissime
seigneur Jean-Marie Mastaï Ferretti, cardinal-prêtre de la sainte Église romaine, qui a pris
le nom de Pie IX. »
Le couronnement du pontife eut lieu le 21 juin, dans la basilique de Saint-Pierre. Après
la messe, le nouveau pape se rendit avec son cortége sur le grand balcon, et là, en pré-
sence de Rome, de l'Italie et du monde, le camerlingue plaça la tiare sur la tête de Pie IX
en prononçant la formule sacramentelle « Recevez la tiare aux trois couronnes et sou-
venez -vous que vous êtes le père des princes et le guide des rois sur la terre, le
vicaire de notre Sauveur Jésus-Christ, A qui est l'honneur et la gloire dans les siècles
des siècles. »
Le peuple de Rome accueillit l'élection de Pie IX par un délire d'amour et d'enthou-
siasme. Il n'avait pas oublié le pieux aumônier de Tata-Giovanni; il savait qu'il était bon,
que chaque douleur accueillie par lui s'en allait consolée, et qu'il avait été le père de
toute une génération d'orphelins. Ainsi, les bonnes œuvres des premières années de l'abbé
Mastaï revenaient au nouveau pontife en touchants souvenirs et en reconnaissance popu-
laire. « Nous avons un pape à nous, se disait-on; il nous aime, c'est notre père. »
L'enthousiasme fut universel à Rome, et il se traduisit pendant plus d'une année par
des fêtes et des scènes populaires attendrissantes de confiance et d'amour. L'Italie et l'Eu-
rope tressaillirent au nom de Pie IX, dont on connaissait l'esprit éclairé et le grand cœur.
Chacun avait comme un pressentiment que le pontificat qui commençait serait glorieux
entre tous.
Le nouveau pontife voulut informer lui-même ses frères qui étaient à Sinigaglia de
son élévation sur le siège de Saint-Pierre. Cette lettre peint l'âme de Pie IX
« Rome, 16 juin, 11 heures 3/4 après midi.

« Le bon Dieu, qui humilie et qui exalte, s'est plu à m'élever du néant A la plus
sublime dignité de ce monde. Que sa très-sainte volonté soit faite à jamais! Je sens l'im-
mense poids d'une telle charge; je sens également l'extrême insuffisance, pour ne pas dire
l'absolue nullité de mes forces. Grand motif de prier; et vous aussi, priez pour moi. Le
conclave a duré quarante-huit heures. Si la ville veut faire, en cette circonstance, une
démonstration publique, prenez les mesures nécessaires. Mon vif désir est que la somme
qu'on y destine, soit employée à quelque objet d'utilité générale, suivant l'avis des chefs
de la cité. Quant à vous, chers frères, je vous embrasse de tout mon cœur en Jésus-Christ.
Et loin de vous réjouir, ayez compassion de votre frère, qui vous donne a tous sa béné-
diction apostolique.

Quand Pie IX monta sur le trône de Saint-Pierre, l'Europe, et l'Italie en particulier, se


trouvait dans une situation pleine d'angoisses et d'incertitudes. Le calme était à la sur-
face mais ce calme extérieur était souvent troublé par des bruits sourds qui annonçaient
de violents orages. Le nom de Pie IX brilla au milieu de ce ciel menaçant comme un
signe d'espérance. La confiance reparut dans tous les cœurs, et l'Église se prépara à de
nouveaux triomphes. L'un des premiers actes importants qui signala le commencement du
règne de Pie IX, fut l'amnistie. Elle fut l'oeuvre personnelle du Pape. Il avait chargé une
congrégation de cardinaux de s'occuper de cette grave affaire. Lorsque son travail fut
achevé. Pie IX convoqua les cardinaux au Quirinal.
On dit que, lorsqu'il fut question d'aller aux voix, l'urne ne recueillit que des boules
noires. Le Pape résolut cette difficulté inattendue par un trait d'esprit qui était en même
temps un délicieux élan de cœur il ôta sa calotte, et la posant sur les boules noires
« Les voilà blanches! s'écria-t-il. Le lendemain, 16 juillet, le décret était imprimé et
affiché dans toutes les rues de la ville. C'était l'amnistie la plus large que l'on pût ima-
giner. Tous les accusés et condamnés pour délits politiques sortaient de prison, ou ren-
traient dans leur patrie, en s'engageant par écrit à remplir à l'avenir tous les devoirs de
bons et fidèles sujets.
Pardonner c'était l'oeuvre du père, mais dans le père il y avait un souverain. Il fallait
administrer et introduire des réformes que le temps avait rendues nécessaires. Pie IX
songea tout d'abord aux réformes possibles. Il les aurait toutes accomplies sans les obsta-
cles qui vinrent plusieurs fois entraver ses généreux élans. Un mo<M proprio institua la
municipalité de Rome sous le nom de Sénat; un autre décréta une sorte d'assemblée repré-
sentative sous le nom de Consulte d'État. Pour combler le déficit du trésor. Pie IX imposa
un impôt au clergé pendant trois années consécutives. Lui-même donna l'exemple de la plus
stricte économie il réforma son palais et trancha au vif dans les opulentes sinécures. En
même temps il manifestait la sympathie la plus éclairée pour toutes les sciences qui peu-
vent contribuer au bien matériel et intellectuel des populations, comme les sciences phy-
siques et naturelles, l'économie politique et les mathématiques. Tl forma à cet effet une école
centrale à Rome pour l'éducation de la jeunesse ouvrière. Il créa la presse périodique, qui
n'existait pas encore, en autorisant la fondation de quelques journaux. H admit les Juifs
qui habitaient Rome au droit commun, et les autorisa à sortir de leur quartier, annuellement
visité par les débordements du Tibre. Aussi son nom fut-il vénéré dans le Ghetto, et le chef
de la synagogue, Moïse Kassan, chanta même en l'honneur de Pie IX un cantique où il
bénissait le Pape pour avoir recueilli dans la même barque tous les enfants que Dieu lui
avait confiés. On entendit ainsi, au xixe siècle, les louanges d'un Pape chantées dans la
synagogue.
Tandis que les rabbins acclamaient Pie IX, les musulmans réclamaient son patronage.
Le 20 février 1847, les portes du Quirinal s'ouvrirent à la splendide escorte d'un ambas-
sadeur du sultan. L'objet de cette ambassade était de s'entendre avec Pie IX pour mettre
les chrétiens d'Orient sous la protection de l'autorité pontificale. La Porte préférait cette
tutelle morale aux canons des grandes puissances, perpétuellement braqués sur elle. Cette
ambassade ne fut pas une vaine parade. Pie IX en profita pour rétablir le patriarcat latin
de Jérusalem. Le premier patriarche désigné fut Monseigneur Valerga, ancien missionnaire
en Perse. Le Pape adressa à cette occasion aux évéques orientaux une remarquable ency-
clique qui devait préparer le retour des schismatiques à l'unité.
L'Europe, attentive et émue, applaudissait aux réformes libératrices qui descendaient du
Vatican. L'Angleterre elle-même oubliait le papisme et acclamait le Pape. Le mouvement
était régulier. légitime, universel. Ce n'était pas une société secrète qui régnait, c'était
l'autorité de la raison, consacrée par les bénédictions de la foi, en se manifestant à ciel
ouvert. Avec plus de patience de la part du peuple romain, tout se fût fait. On ne sut pas
attendre, et tout fut compromis. Des utopies sorties des conciliabules révolutionnaires déna-
turèrent une des aspirations les plus pures d'un peuple vers la liberté et le progrès. Avec
le temps tout se fût accompli de ce qui pouvait s'accomplir. Pie IX n'eût rien refusé de ce qui
était possible, convenable et utile à ses États. Mais il ne fallait pas lui demander ce que
sa conscience de Pontife lui défendait d'accorder la dépossession de l'Église par la sécula-
risation du pouvoir. Pie IX ne se reconnaissait pas le pouvoir de déposséder l'Église.
La révolution qui s'accomplit en France, au mois de février 18&8, provoqua à Rome
de folles espérances. Les radicaux du libéralisme, parmi lesquels se trouvait Mazzini,
demandèrent une assemblée constituante. Rossi, que le Pape avait choisi pour son premier
mini.stre, s'y opposait de toutes ses forces, et par raison politique, et par devoir de con-
science. La révolution décréta sa mort. L'ouverture des chambres était fixée au 15 novembre.
Rossi, comme autrefois César se rendant au sénat, aux ides de Mars, avait été averti dans
la matinée de ne pas se rendre au parlement. Les bruits de complot qui circulaient depuis
quelques jours donnaient de l'importance à cet avis.
Rossi méprisa ces menaces « La cause du Pape, disait-il, est la cause de Dieu. Par-
tons Rt il partit. Comme il traversait le péristyle de la chancellerie, il fut accueilli par
des sifflets et des huées. C'était le signal convenu; l'insulte devait précéder le meurtre. Les
conjurés l'entourent aussitôt; l'un d'eux le frappe violemment sur l'épaule. Rossi, indigné.
tourne la t~te et présente ainsi la gorge au poignard qui attendait ce mouvement pour
frapper un coup plus sûr. Le ministre tomba mort sur les marches de 1 escaHer, qu'il inonda
de son sang. Ce meurtre ouvrit l'ère des calamités et des humiliations. Le lendemain, les
désordres commençaient, et Rome. en attaquant le Saint-Siège, se mettait en guerre avec le
monde catholique.
Les meneurs ameutèrent le peuple et se rendirent au Quirinal pour exiger du Pape
qu'il acceptât un nouveau programme politique. Le Saint-Père, entouré des membres du
corps diplomatique, seul rempart qui lui restât contre la révolte, avec soixante-dix Suisses
qui gardaient la porte d'entrée et les portes extérieures du Quirinal, était mis en demeure
de céder aux caprices de la révolution ou d'abdiquer.
Prisonnier dans son palais, gardé à vue par un poste de gardes civiques dérisoirement
décoré du nom de poste d'honneur, Pie IX voyait resserrer d'heure en heure les liens de sa
captivité. Cette situation était impossible. La première condition de l'exercice des droits
spirituels du chef de l'Église est la liberté. L'évoque du monde catholique ne pouvait être
le vassal de la république romaine, pas plus qu'il ne pourrait être aujourd'hui le sujet de
l'Autriche, de la France ou du Piémont. Pour que son autorité soit pleine et entière, il
faut qu'elle ne porte d'entrave ni de joug d'aucun-genre. On conseilla à Pie IX de fuir pour
sauver sa liberté pontificale et pour épargner aux Romains la responsabilité d'un crime.
On dit qu'il hésita. Bien des souvenirs chers et glorieux le retenaient dans ce palais
d'où il avait tant de fois fait monter vers le ciel l'hymne ardent de sa reconnaissance. Il lui
était si cruel de désespérer de ce peuple! Mais Pie IX avait à sauvegarder dans sa personne
la dignité du Saint-Siège et son indépendance. Il se résigna à quitter Rome. Une fois sa
résolution prise, il n'hésita pas à l'accomplir. Le 2ft novembre fut le jour fixé pour l'évasion
du Pape. II ne mit dans la confidence que le cardinal Antonelli le comte de Spaur et le
duc d'Harcourt, ambassadeurs de Bavière et de France, et quelques serviteurs dévoués.
Le 2~ novembre, à 5 heures du soir, M. d'Harcourt, ambassadeur de France, arriva
au Quirinal dans une voiture de gala, et fut introduit, sur sa demande, dans le cabinet de
Pie IX. Le Saint-Père changea immédiatement de costume, prit un habit laïque, puis il
sortit par une porte dérobée, précédé d'une lumière qu'un affidé portait à la main. L'am-
bassadeur, resté seul. demeura dans le cabinet pour gagner du temps. A sept heures, il
sortit, et dit aux gens de l'antichambre que Sa Sainteté fatiguée, s'était retirée, ayant
besoin de repos.
Le Saint-Père, de son côté, était descendu par uu escalier de service dans une petite
cour du palais, où l'attendait une calèche envoyée par M. d'Harcourt. Sa Sainteté monta
dans cette voiture, sortit sans exciter les soupçons, rejoignit à la porte de Saint-Jean-de-
Latran le comte de Spaur, ministre de Bavière, et quitta Rome. A Albano, les fugitifs
retrouvèrent M. de Spaur, le cardinal Antonelli et M. d'Arnano, premier secrétaire de la
légation d'Espagne, qui les attendaient avec une voiture de poste.
Dès qu'on apprit à Rome la fuite du pape, le ministère et le Cercle ~f)pM/<ï:/e envoyèrent
à sa poursuite trente hommes a cheval courant à brides abattues; mais quand ils arrivèrent
à Portello, sur la frontière. Pie IX venait de la franchir.
Arrivé a Gaëte le 25 novembre, le Pape descendit a l'hôtel du Jardinet. Le comte de
Spaur continua sa route vers Naples. Il remit au roi Ferdinand une lettre autographe de
Pie IX par laquelle Sa Sainteté le prévenait de son arrivée et lui demandait 1 hospitalité. Le
roi se rendit aussitôt à Gaëte avec son épouse, le comte d'Aquila, le comte de Trapani et
une nombreuse suite. L'entrevue des deux souverains fut des plus touchantes. Le roi Fer-
dinand traita le Saint-Père avec une déférence et une délicatesse d'égards qui n'ont pu
être surpassées que par la paternelle et royale hospitalité que Pie IX accorde aujourd'hui
an fils de Ferdinand, détrôné par la révolution.
Le corps diplomatique suivit le pape dans sa retraite, et ce fut de là que le pontife,
pendant plus d'une année, gouverna le monde catholique, souverain sans États, mais entouré
de la vénération de l'Europe, et aussi puissant qu'il l'avait été dans toute la gloire du
Vatican. L'exil de Gaëte devint comme une autre Rome pontificale, dont les courtisans furent
les représentants des souverains.
L'Europe catholique, jugeant qu'elle ne devait pas souffrir qu'on dépossédât la papauté
dans la personne de Pie IX, résolut de reprendre par la force ce que la force avait enlevé.
Le droit d'intervention fut proclamé, et le gouvernement français eut la gloire de replacer
Pie IX sur son trône. Une armée française, sous le commandement du général Oudinot,
fut envoyée sous les murs de Rome pour en faire le siège. D'un autre côté, l'armée autri-
chienne rétablit le gouvernement pontifical à Ferrare, à Forli, à Ravenne, et dans les léga-
tions d'Urbino et de Pesaro.
Le 3 juillet, l'armée française fit son entrée triomphale à Rome. Le jour même, le général
Oudinot envoya à Gaëte le colonel d'état-major Niel, chargé de porter au Saint-Père les clefs
de la ville et une lettre officielle annonçant la cessation des hostilités. Pie IX remit au colonel
une lettre autographe où il remerciait la France et le général du service rendu à l'Église
dépossédée violemment de ses droits, et à l'ordre européen troublé par l'anarchie.
Pie IX ne rentra dans sa capitale que le 12 avril 1850, près d'un an après la prise
de Rome. Son retour fut pour les Romains une fête triomphale. Le Pape était parti le lt avril
de Portici. Le roi de Naples et toute sa cour accompagnèrent Sa Sainteté jusqu'aux fron-
tières romaines. L'ovation faite au Pape commença à Terracine, première ville de ses États;
elle ne s'arrêta plus que sous le dôme de Saint-Pierre. Dès que les salves d'artillerie eurent
annoncé l'approche du pontife, Rome tout entière se précipita sur la route d'Albano. Tous
les ambassadeurs, la municipalité romaine, le clergé, se portèrent à la rencontre du Saint-
Père, accompagnés d'une partie de l'armée française. Ce fut un spectacle touchant, quand
cette immense députation des nations rencontra la voiture pontificale. L'armée, le peuple,
les ambassadeurs courbèrent le front sous la main du pontife qui les bénit. Les pleurs inon-
daient la figure de Pie IX. Deux années d'infortune disparaissaient dans cette fête de tous
les cœurs émus. Pie IX avait tout pardonné, tout oublié, dans cette heure rapide et sublime.
Le retour du Pape rendit bientôt à la ville éternelle sa vie et sa splendeur; les visages
se ranimèrent; Rome reprit cet air de fête dont elle avait été privée pendant l'absence de
son pontife. Cette transformation subite fit comprendre au peuple romain combien Rome a
besoin du pape, pour être autre chose qu'un musée ou un tombeau.
Pie IX, dès son retour, songea à relever les ruines que la république avait faites pen-
dant son court règne. En moins de dix ans, il paya les dettes de la république. Il pourvut
aussi à l'éducation de la jeunesse, à l'amélioration des détenus, au soulagement des orphe-
lins, des veuves, des infirmes et des vieillards. De grands et utiles travaux furent accom-
plis ou mis en voie d'exécution. La restauration de la voie Appienne, commencée dès les
premiers temps de son pontificat, fut activement poursuivie. Pie IX a fait de cette voie
le plus étonnant et le plus touchant musée qui soit au monde. Quiconque en a contemplé
les mélancoliques splendeurs ne les oubliera jamais. De ces urnes brisées et de ces tom-
beaux rompus s'échappe la leçon vivante du néant des choses humaines.
La période de calme qui suivit le retour de Pie IX fut encore signalée par une série
de triomphes pour l'Église et pour le Saint-Siège.
Depuis un demi-siècle, la libérale Angleterre comprenait qu'elle ne pouvait sans incon-
séquence maintenir dans leur tyrannique intégrité les lois que l'arbitraire de Henri VIII,
d'Élisabeth et de Cromwell avaient fait décréter contre les catholiques du Royaume-Uni. Jus-
qu'alors, pour gouverner les fidèles de la communion romaine, dont le nombre croissait tous
les jours, on ne tolérait que des vicaires apostoliques, n'ayant point de titre diocésain et ne
pouvant pas constituer un corps épiscopal organisé. Pie IX fit cesser cette situation pleine
de périls. Par lettres pontificales du 2~ septembre 1850, il rétablit la hiérarchie épiscopale
sur cette vieille terre de l'anglicanisme, appelée autrefois l'Ile des Saints par l'Église romaine.
Une province ecclésiastique fut formée; elle se composait d'un archevêque métropolitain
et de douze évéques suffragants. Le cardinal Wiseman, qui avait eu sa part dans cette
œuvre de restauration, fut naturellement désigné à la dignité de métropolitain. L'anglica-
nisme s'émut de cet acte de la toute-puissance pontificale, qui était plutôt une restauration
qu'une usurpation. Le parlement adopta des bills où un dernier sentiment de haine reli-
gieuse servit de passe-port à un dernier cri de colère protestante. Le peuple eut des huées
et des sifflets. On lui permit de s'emporter en manifestations ridicules et en menaces insen-
sées. Rome laissa passer la tourmente hérétique; son œuvre resta.
L'incrédulité libérale avait dépouillé les églises d'Espagne de leurs biens, exilé ses
évoques, dispersé son clergé. Au nom du Pape, le cardinal Brunelli alla négocier à Madrid
un concordat dont le dépérissement du sacerdoce avait fait une nécessité pour le trône et
pour le Saint-Siège. Ce concordat s'ouvre par cette déclaration d'une solennelle franchise
« La religion catholique, apostolique et romaine, qui continue à être l'unique religion de.
la nation espagnole, à l'exclusion de toute autre, se conservera toujours dans les domaines
de Sa Majesté Catholique avec tous les droits et prérogatives dont elle doit jouir, selon la
loi de Dieu et les dispositions des saints canons.
L'année suivante, Pie IX rétablit la hiérarchie épiscopale en Hollande. Par ses lettres
pontificales du G. mars 1853, il institua pour ce pays une province ecclésiastique. Par cet
acte il frappait à mort le jansénisme. Il n'avait plus de raison d'être, plus de prétexte pour
se dire séparé de l'unité. Il n'en continua pas moins à végéter dans les abstractions
d'une révolte sans révoltés, et d'une église sans pasteurs.
Un triomphe plus décisif encore était réservé au gouvernement de Pie IX. Le josé-
phisme avait étouffé en Autriche la liberté de l'Église. Le jeune empereur, François-Joseph,
voulut rompre d'un seul coup, sans tergiversation comme sans méticuleuse prudence, toutes
les mailles du réseau dans lequel le joséphisme avait paralysé l'activité la force et l'in-
dépendance de l'Église. Pie IX seconda le jeune empereur, et il conclut avec lui un
concordat qui frappait au cœur le joséphisme en rendant à l'Église sa pleine liberté d'expan-
sion. Enfin, les princes protestants d'Allemagne, qui, jusqu'à Pie IX, s'étaient tenus à l'écart
de Rome, s'en rapprochèrent et consentirent à des concordats qui assuraient à leurs sujets
catholiques le plein et libre exercice de leur culte.
Ce mouvement religieux, dont Pie IX était l'inspirateur et le guide, affranchissait l'Église
de cet état de servitude auquel le jansénisme, le joséphisme et le philosophisme l'avaient
réduite.
Depuis longtemps s'agitait dans l'Église la question de l'Immaculée-Conception. Benoît XIV
lui avait consacré quelques années de son glorieux pontificat, et Rome, dans sa liturgie,
en avait déjà préconisé la pieuse croyance. A peine monté sur le trône. Pie IX songea à
terminer cette question par un jugement dogmatique et définitif. Il fit, dès le 2 février 18~t7,
un appel à tous les évoques de la chrétienté, sollicitant le concours des pasteurs et du
troupeau. La réponse fut unanime. De tous les points du monde catholique, on acclama
Marie immaculée. Une commission formée à Rome et composée des plus doctes théo-
logiens avait tout préparé pour ce triomphe de la Vierge. Il ne restait plus qu'à proclamer
le dogme.
Pie IX, entouré du Sacré-Collége et de plus de deux cents évoques venus de tous les
points du monde, proclama solennellement, le 8 décembre 1854, dans la basilique de Saint-
Pierre, le dogme de l'Immaculée-Conception. Ce jour-là, Rome éclata en transports d'allé-
gresse. Partout où l'Évangile à répandu la civilisation, les fidèles partagèrent l'allégresse de
l'Église mère. Des illuminations spontanées s'unirent aux réjouissances de Rome. L'Église
entière applaudit au triomphe de la Mère de Dieu et à l'initiative du pontife qui venait
d'ajouter un nouveau fleuron à sa couronne.
En 1856 eut lieu en France le baptême du Prince Impérial. Un légat a latere,
Mgr Patrizzi, vicaire de Rome, vint à Paris, et baptisa le prince au nom de Pie IX, son
parrain.
Tout semblait sourire au Pontife-Roi. Il vivait en paix avec toutes les puissances; les
missions prospéraient; chaque année voyait s'accroître le nombre des églises dans les îles
de l'Océanie et sur les côtes de l'Afrique. Le gouvernement pontifical marchait régulière-
ment dans la voie des réformes et des améliorations possibles, et il avait réalisé des progrès
considérables; le budget se soldait en équilibre, malgré les lourdes charges que la révolu-
tion lui avait léguées*; enfin Pie IX, dans un voyage qu'il venait de faire dans les provinces
de son royaume, avait été reçu au milieu des acclamations les plus enthousiastes et les
plus unanimes.
La révolution ne voulut pas permettre à la royauté pontificale une plus longue tran-
quillité. L'année 1860 fut pleine d'orages. Nous ne pouvons raconter ici les tristes événe-
ments qui signalèrent cette année et les suivantes la révolte de Bologne, l'invasion des
États du Pape par les armées du Piémont et le guet-apens de Castelfidardo. En présence
de cette flagrante violation du droit des gens, l'épiscopat du monde catholique fit entendre
ses solennelles et unanimes protestations.

Voir le Mémoire de M. de Rayneval, ambassadeur du gouvernement françat! auprès du Saint-Siège.


Pie IX avait résolu de procéder a la canonisation de vingt-six martyrs morts pour la
foi au Japon, le 5 février 1597. Il fit adresser aux évêques une invitation de se rendre à
Rome pour cette solennelle cérémonie qui devait s'accomplir le 8 juin, jour de la Pente-
côte. Près de trois cents évêques, venus de toutes les parties du monde, répondirent au
désir de Pie IX. Quatre mille prêtres et plus de cent mille laïques accompagnèrent les
évêques. Rome n'avait jamais été témoin d'un si grand concours. Depuis l'Ascension jus-
qu'à la Pentecôte ce fut pour les heureux pèlerins une fête continuelle. Partout où parais-
sait Pie IX, il était acclamé, couvert de fleurs, et il voyait les foules se prosterner sous sa
bénédiction. Les cris de: Vive Pie vive le Pontife-Roi! o~eM< les ~<~Me. t'M'eM< les Catho-
<:yM~ de France retentissaient continuellement.
Le 8 juin eut lieu la canonisation. Pie IX, entouré du Sacré-Collége, des patriarches, des
primats, des archevêques et des évoques accourus de l'Orient et de l'Occident, en présence
d'une multitude innombrable de fidèles, à deux pas de la tombe du prince des Apôtres,
assis sur la chaire de l'autorité suprême dont il est investi, entre la joie du ciel et l'allé-
gresse de la terre, décréta que l'Église universelle rendait un culte de sainteté au bien-
heureux Pierre-Baptiste et à ses vingt-deux compagnons de l'ordre des Mineurs de saint
François, à Paul Miki et à ses deux compagnons de la Société de Jésus, tous martyrs, et
à Michel de Sanctis, confesseur, prêtre profès de la Réforme des Trinitaires déchaussés de
la Rédemption des captifs.
Le lendemain, 9 juin, eut lieu le Consistoire dans lequel le cardinal Matteï, doyen du
Sacré-Collége, présenta au Pape une adresse par laquelle les cardinaux, archevêques et
évéques déclaraient condamner et réprouver les sacriléges, 'les violations de l'immunité ecclésias-
tique et les autres forfaits commis contre rZ~Me et le siége de Saint-Pierre.
Nous ne terminerons pas cette courte Notice sans donner quelques détails sur la vie
privée de Pie IX.
La journée du Pape est réglée comme celle d'un religieux. Elle commence à six heures.
Après une heure de méditation, le Pape célèbre la sainte messe dans sa chapelle particu-
lière. Il entend ensuite une seconde messe en actions de grâces, après quoi il entre dans
son cabinet d'études. Ce cabinet est fort simple un bureau surmonté d'un crucifix, un
fauteuil et un siège pour les visiteurs que le Pape reçoit dans cette partie de la journée.
Il y donne audience jusqu'à dix heures au cardinal secrétaire d'État pour les affaires
publiques, et au majordome pour celles du palais. M lit les lettres qui lui sont adressées,
et les remet à un secrétaire avec ses instructions. Pendant ce travail il fait un léger déjeu-
ner, qui consiste en un mélange de chocolat et de café. Les audiences proprement dites
commencent à dix heures et durent ordinairement jusqu'au dîner, à deux heures. Le dîner
du Pape est d'une frugalité monacale. La dépense de -sa table ne dépasse pas un écu
(5 francs 30 centimes) par jour. Le Pape dîne seul c'est une coutume adoptée dans l'éti-
quette de la vie pontificale. A trois heures, le Saint-Père monte en voiture et se fait con-
duire hors des portes de la ville, où il peut prendre un peu d'exercice. A son retour
au Vatican, vers six heures, il reprend ses audiences jusqu'à neuf et dix heures de la nuit.
Alors le Pape prend une légère collation, récite son office et se retire dans une humble
chambre carrelée et sans feu. pour y prendre son repos.
La taille de Pie IX est au-dessus de la moyenne. Son portrait, que nous donnons en
tête de cette Notice, montre un front élevé et large, des yeux naturellement expressifs,
d'où rayonnent à la fois une grande bonté et une pénétration qui accuse une grande finesse
d'esprit. L'ensemble de sa physionomie atteste ce double caractère de bienveillance et de
finesse. La tête est vaste et développée, le nez est aquilin, l'expression de la bouche très-
intelligente. Sa voix est sonore, très-accentuée et sympathique. Le geste facile et naturel a,
dans Pie IX, un charme tout particulier. Sa parole élégante, nette et simple, brille par une
grâce spirituelle et une affabilité parfaite. Dans sa parole comme dans son maintien. on
remarque un caehet de grâce et de dignité qui donne à sa conversation un charme inex-
primable. Sa belle tête, qui ne s'est jamais courbée ni devant la menace, ni devant la flat-
terie, semble couronnée d'avance de l'auréole des élus. Ceux qui ont eu le bonheur de
le voir et de l'entendre sont arrivés bien vite à se convaincre que la royauté du Christ,
écrite sur ses vêtements et sur son propre corps, rayonne encore plus vivement dans son
âme. La bonté est le fond de cette âme magnanime. Elle est bonne, sereine, et ce qui
peut surprendre, cJe conserve dans la permanence des périls la tranquillité intérieure, d'où
rayonne doucement la sainte joie. Pie IX parle de ses ennemis sans amertume, et lorsqu'il
se défend contre eux, il y a de la compassion dans son langage; on sent qu'il voudrait
les absoudre.
A cette inépuisable bonté d'âme qui se révèle dans la physionomie de Pie IX, s'allient

une grande énergie de volonté et une fermeté héroïque. En face des emportements de
l'anarchie et des ébranlements de son trône, il n'a craint ni de se taire, ni de parler,
et sa voix courageuse s'est toujours élevée à propos pour condamner l'erreur et pour pro-
clamer le droit. Dans sa conduite, il a conservé une modération et' une dignité héroïques,
et, comme un martyr déjà préparé pour le sacrifice, il a su communiquer à tous ses écrits,
à toutes ses protestations un accent de résignation et de confiance inimitables. Nec terremus,
nec timemus, disait saint Ambroise, si doux et si fort dans sa mansuétude. Nous ne voulons
pas effrayer, mais nous ne craignons pas, répète Pie IX, et son calme plein de dignité
est l'éloquent commentaire de ses paroles.
Tel est Pie IX, autant du moins qu'il est permis de le peindre dans un écrit qui
n'est pas encore de l'histoire. La postérité vénérera en lui un des plus grands et des plus
saints pontifes que Dieu ait donnés à son Église. Ses contemporains, qui reçoivent de plus
près le rayonnement de ses vertus, saluent dans sa personne la plus grande figure du
xix" siècle. Les catholiques, les yeux filialement attachés sur lui, se réjouissent de voir
comme Dieu l'a bien fait pour soutenir le choc des tempêtes qui battent le rocher de
l'Église.
CACHOT DE SAINT PIERRE

AUX PRISONS MAMERTINES.


(A.D.69.)

1. VOCATION DE SAINT PIERRE A L'APOSTOLAT ET A LA PRIMAUTÉ.-II. PRISON MAMERTINE.

III. LES ÉVÊQUES DE ROME, SUCCESSEURS DE SAINT PIERRE.

I.

SAINT PIERRE, le prince des apôtres, le chef visible de l'Église, la colonne inébranlable
de la foi, la pierre et la base de la religion, le vicaire de Jésus-Christ et le fondement
sur lequel l'Église a été bâtie, doit être regardé comme le prince des saints, des docteurs
et des pontifes, le modèle des croyants, des martyrs et des pénitents. Toutes les auréoles
de la sainteté brillent autour de la tête de ce lieutenant de Jésus-Christ; toutes les palmes
sont dans ses mains. Plus favorisé qu'Abraham, plus puissant que Moïse, plus inspiré que
les prophètes, Pierre a reçu de Jésus-Christ, avec l'investiture de son autorité souveraine,
le sens infaillible de la vérité. Il est le législateur monarque, le pontife monarque, le
docteur monarque de l'humanité chrétienne, le roi et le premier roi de la seule dynastie
qui soit éternelle. Il a reçu la sagesse d'en haut pour condamner et pour absoudre; il
tient les clefs du ciel, et c'est à lui que l'humanité doit dire ce qu'il disait lui-même au
Sauveur des hommes « Vous avez les paroles de la vie éternelle
Pierre s'appelait Simon avant sa vocation à l'apostolat. II était de Bethsaïde, petite ville
de la Galilée, sur le bord du lac de Génézareth, fils de Jonas ou Jean, d'une naissance
fort obscure et pêcheur de profession. André, son frère, ayant appris de saint Jean-Baptiste
que Jésus était le vrai Messie, s'empressa de lui annoncer cette heureuse nouvelle « Nous
avons trouvé le Messie, » lui dit-il; et il le conduisit vers Jésus. Or, Jésus ayant fixé ses
regards sur Simon, lui dit: «Tu es Simon, fils de Jean, tu seras appelé Céphas~, ce qui
veut dire Pierre ou roc inébranlable." Lorsque Jésus-Christ fit le choix de ses douze apôtres,
Simon fut encore l'objet d'une consécration particulière et distinctive <e premier qu'il nomma
fut Simon, à qui il donna <e nom de PIERRE

i. S. Jean, vt, 69. VMd., t, 36, M. 3. S. Marc, m, <6.


Cette substitution d'un nom, dans une circonstance aussi solennelle, a une signification
profonde. C'était un usage répandu chez les docteurs juifs de donner un nouveau nom à
leurs disciples dans les occasions où ceux-ci faisaient preuve d'une rare supériorité ou
d'une grande vertu. Cet usage semblait remonter jusqu'à Dieu, qui avait souvent marqué de
cette manière, dans la vie de ses serviteurs, un événement important qui servait d'intro-
duction à un ordre de choses nouveau. C'est ainsi qu'il changea le nom d'Abraham lorsqu'il
fit avec ce saint patriarche l'alliance dont la circoncision était le signe. Ainsi encore Jacob
reçut de Dieu le nom d'~raé? (qui veut dire fort), lorsque, après sa lutte contre l'ange, il
lui fut dit qu'il lui serait donné de prévaloir contre les hommes. Simon reçut une dis-
tinction semblable lorsque Jésus-Christ lui dit « Tu es Simon, fils de Jonas, tu t'appelleras
Céphas. » Or, par analogie avec les exemples cités plus haut, ce nom de Céphas devait,
dans la pensée du Sauveur, faire allusion à ses desseins sur Simon. Le mot syriaque Céphas
signifie Pierre. C'est donc comme si le Sauveur eût dit à Simon Entre tous les autres
apôtres, tu seras le roc ou la pierre fondamentale.
Nous voyons Jésus-Christ rappeler dans plusieurs autres circonstances le magnifique
privilége qu'il réservait à Pierre. Un jour qu'il. rencontra Simon et André, son frère, occupés
à pécher, il leur dit: « Suivez-moi, et je vous ferai pécheurs d'hommes. » Puis il monta
dans la barque de Simon, d'où il se mit à prêcher au peuple. Dès qu'il eut achevé de
parler, il ordonna à Simon de conduire la barque en pleine mer et de jeter son filet pour
pêcher. Cette pêche miraculeuse fut si abondante, qu'il y eut de quoi emplir deux barques.
Ce que voyant Simon Pierre, il se jeta aux pieds de Jésus et lui dit « Éloignez-vous de
moi, Seigneur, parce que je suis un pécheur. » Jésus dit à Simon « Ne crains point,
désormais tu seras pécheur d'hommes, » voulant lui faire comprendre que le miracle qu'il
venait d'opérer n'était qu'une figure du grand nombre d'hommes qu'il devait convertir au
christianisme. Mais nous allons voir le divin Maître nous révéler, dans les termes les plus
explicites, les sublimes prérogatives réservées & Pierre.
Un jour, Jésus-Christ interrogea ses disciples, et leur dit « Que disent les hommes
touchant le Fils de l'homme ? Les disciples répondirent « Les uns disent que vous êtes
Jean-Baptiste, les autres Élie, les autres Jérémie, ou quelqu'un des prophètes.
Jésus leur dit « Et vous autres, que dites-vous que je suis? »
Simon Pierre, répondant, dit « Vous ÊTES LE CIIRIST, LE FILS DU DIEU VIVANT. »

Jésus lui répondit « Tu es bienheureux, Simon, fils de Jean, parce que ce n'est
point la chair ni le sang qui t'ont révélé ceci, mais mon Père qui est dans les cieux.
Et je te dis, moi, que tu es PIERRE et que sur cette pierre je bâtirai mon ÉGLISE,
et que les portes de l'enfer ne prévaudront jamais contre elle. »
La portée de ces dernières paroles est surhumaine, il faut en convenir. Le divin fon-
dateur de l'Église prévoit tous les maux qui doivent fondre sur elle, toutes les tempêtes dont
elle sera assaillie, tous les assauts qui seront livrés à son existence, a son indépendance, à
son unité, & son autorité les persécutions, les schismes, les hérésies, les apostasies, toute
cette succession continue de mépris, d'injures, de blasphèmes, de sophismes, d'hypocrisies,
de ruses, de violence et de sang, depuis Néron jusqu'aux persécuteurs de Pie IX, depuis
Celse et Julien jusqu'à Voltaire, depuis Arius jusqu'à Luther, et tout ,ce que les siècles futurs
préparent d'épreuves à l'Église. Or Jésus Christ prédit que c'est l'Église qui l'emportera,
et depuis dix-huit siècles la prophétie du Sauveur n'a cessé de s'accomplir. Et, en effet,
l'Église n'est-est pas l'enclume divine qui a brisé tous les marteaux de l'hérésie et de l'im-
piété ? Certes, la foi grandit appuyée sur ce double prodige, et elle redit avec d'Aguesseau
Pour le prédire, il fallait être prophète pour le tenir, il faut être Dieu. »
En même temps Jésus-Christ ajoute « Je te donnerai les clefs du royaume des cieux
tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que tu délieras sur la
terre sera délié dans les cieux. » Tous les Pères conviennent que, par ces paroles, Jésus-
Christ a promis à Pierre de lui donner l'investiture de son pouvoir souverain pour gouver-
ner l'Église. La suite du récit évangélique ne nous permet pas le moindre doute à ce
sujet. La veille de sa passion, pendant ce repas de la Pâque où les entrailles de sa charité
se rompirent, pour ainsi dire, en des paroles du plus ineffable amour, une discussion
s'était engagée entre les apôtres il s'agissait de savoir lequel d'entre eux devait passer
pour le plus grand. Jésus leur dit qu'à la différence des princes de la terre, le plus grand
d'entre eux devait se considérer comme le plus petit et le serviteur des autres puis,
comme s'il eût voulu désigner celui qui devait être à ce titre le plus grand d'entre
eux, il dit à Pierre Simon! Simon! voici que Satan a demandé de vous cribler tous,
comme l'on crible du froment; mais j'ai prié pour toi en particulier, afin que ta foi
ne défaille point lors donc que tu auras été converti, affermis tes frères. Paroles
mémorables qui confient à Pierre, et par lui à l'Église, l'infaillibilité doctrinale. Tous les
autres apôtres seront tentés contre la foi; ils pourront succomber et faillir; Pierre sera protégé
contre l'erreur. En vertu de la prière de celui pour qui vouloir c'est pouvoir, Pierre res-
tera à tout jamais l'organe infaillible de la vérité. C'est pourquoi, lorsqu'il s'élèvera un
doute contre la foi, lorsque l'hérésie dressera la tête et essayera de séduire les fidèles, on
s'adressera à Pierre, toujours vivant dans ses successeurs, comme à celui qui a les paroles
de la vie éternelle et qui a reçu le sens infaillible des enseignements divins on le consul-
tera, et sa réponse fera loi. Lorsque Pierre aura parlé, l'Église sera confirmée dans la foi.
Tels sont les magnifiques priviléges promis par Jésus-Christ à celui qui doit le repré-
senter visiblement sur la terre. Désormais, Pierre est désigné le premier dans les prin-
cipaux événements de la vie de Notre-Seigneur. Parmi les témoins de la transfiguration
du Sauveur, Pierre est le premier nommé; seul, il prend la parole dans cette grande
circonstance~. C'est encore Pierre qui est chargé de préparer la Pâque et l'institution de
la divine Eucharistie 2 c'est Pierre qui met l'épée à la main pour défendre son maître
contre les valets du grand prêtre, qui s'étaient emparés de sa personne. Les autres
apôtres abandonnent alors Jésus-Christ; Pierre seul le suit jusqu'au prétoire. Il est vrai
qu'il eut la faiblesse de renier son maître; mais son apostasie ne fut que momentanée,
et le regard de Jésus-Christ suffit pour le rappeler à lui-même. Il pleura amèrement sa
faute, et quitta le prétoires
C'est encore à Pierre que le mystère de la résurrection du Sauveur est spécialement
révélé. C'est à lui que Jésus-Christ se manifeste le premier; c'est lui qu'il charge d'annoncer

<. S. Matthieu, xvt. 2. S. Luc, xxn. 3. /&M< v, 75.


sa résurrection aux autres, et ce n'est qu'après la prédication de Pierre qu'il se montre aux
apôtres réunis~. Enfin, avant de quitter le monde, le Sauveur, voulant mettre la dernière
main à son œuvre et laisser après lui un représentant de sa puissance, investit Pierre des
pouvoirs qu'il lui avait promis.
Dans sa dernière apparition à ses apôtres, après sa résurrection, il s'adressa spécia-
lement à Pierre et lui fit par trois fois cette demande « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu
plus que ceux-ci? Il lui dit: Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime. Il lui dit Pais
mes agneaux. Il lui dit de nouveau Simon, fils de Jean, m'aimes-tu?a Il lui dit Oui,
Seigneur, vous savez que je vous aime. Il lui dit Pais mes agneaux. Il lui dit pour la
troisième fois Simon, fils de Jean, m'aimes-tu? Et il lui dit Seigneur, vous connaissez
toutes choses, vous savez que je vous aime. Il lui dit Pais mes brebis 2. »
Ainsi Jésus-Christ ne dit pas à Pierre Avez-vous du génie pour dominer le monde?
Avez vous des armées pour le soumettre à mon Evangile? a mais « M'aimes-tu? » pour
exprimer que l'union avec Dieu devait être le caractère essentiel du souverain pastorat des
âmes qu'il allait confier à sa sollicitude. Jésus-Christ ne demande pas seulement à Pierre
un amour ordinaire, mais un amour supérieur à celui des autres disciples. Le premier
dans l'autorité, Pierre devra être le premier dans la charité, parce que, dans l'Église de
Jésus-Christ, gouverner c'est aimer, c'est-à-dire servir et se dévouer.
A la triple interrogation de Jésus-Christ, Pierre répond par une triple protestation de
son amour. Remarquons comme les réponses de l'apôtre sont belles de simplicité. Lorsque
Jésus-Christ lui demande pour la troisième fois s'il l'aime plus que les autres disciples,
Pierre s'attriste et se plaint à son maître de paraître douter de son amour « Seigneur,
vous connaissez toutes choses, vous savez que je vous aime; » paroles non-seulement pleines
d'amour, mais aussi de foi, car Pierre semble dire à Jésus-Christ « Seigneur, vous êtes
Dieu, vous connaissez toutes choses, et vous me demandez si je vous aime » Assuré de
l'amour de Pierre, Jésus-Christ lui confie le gouvernement de son Église « Pais mes agneaux;
pais mes brebis. »
Chacune de ces dernières paroles renferme une plénitude inépuisable de sens et de
pensée. Par elles, Pierre est institué le pasteur universel du troupeau de Jésus Christ,
c'est-à-dire de tous ceux qui croiront en lui, non-seulement des fidèles, signifiés par les
agneaux, mais aussi des pasteurs, signifiés par les brebis, pasteur des petits et des
mères, de ceux qui reçoivent la céleste nourriture et de ceux qui la donnent. C'est ainsi,
dit saint Ambroise, que Jésus-Christ donna Pierre à son Église, COMME LE VICAIRE DE son
AMOUR, ut sui amoris vicarium, office sublime autant que redoutable, appelé par saint Augustin
l'office de l'amour, amoris officium, par saint Chrysostome la preuve de l'amour, amoris argu-
mentum, et par saint Grégoire le témoignage de l'amour, amoris testimonium.
Après l'ascension de Jésus-Christ, saint Pierre et les autres disciples se retirèrent dans
le cénacle pour se préparer à la venue de l'Esprit-Saint. Pierre y exerça son autorité souve-
raine il se leva au milieu de ses frères, expliqua les Écritures, et leur proposa de donner
un successeur au traître Judas, afin de compléter le nombre mystérieux de douze que le

4. S. Jean, xx, <9.– 2. /&M., xxt, 18, 17.


Sauveur avait établi. On procéda à l'élection, et le sort tomba sur Mathias, l'un des dis-
ciples de Jésus-Christ.
Le jour de la Pentecôte, après la descente de l'Esprit-Saint, Pierre, entouré des onze
apôtres, annonça le premier l'Évangile aux Juifs; il leur expliqua les Écritures et leur mon-
tra l'accomplissement des prophéties dans la personne de Jésus-Christ. Trois mille Juifs se
convertirent. C'est ainsi que lui tenait parole celui qui lui avait promis de le faire pêcheur
d'hommes
Le premier dans l'apostolat, Pierre devait être aussi le premier appelé à confesser la
foi. Irrités des succès de sa prédication, les princes des prêtres firent arrêter Pierre et
Jean, et leur intimèrent la défense de parler désormais de Jésus-Christ et de sa doctrine.
Pierre répondit, avec une fermeté qui étonna toute l'assemblée, qu'il ne tiendrait
aucun compte de cette défense, parce qu'il était plus obligé d'obéir à Dieu, qui lui com-
mandait d'annoncer le mystère du salut, qu'à ceux qui voulaient en empêcher la prédication.
Pierre et Jean furent fouettés devant toute l'assemblée et renvoyés.
Rendu à la liberté, le prince des apôtres en profita pour visiter les églises naissantes
de la Judée, de Samarie et de la Galilée, afin de les réunir sous son autorité. Il est à
remarquer que les Actes des Apôtres ne nous parlent que des miracles et des prédications
de Pierre; ils nous le montrent le premier partout, remplaçant le Sauveur dans le gouver-
nement de l'Église et agissant en tout comme le chef et le souverain Pasteur du collége
apostolique et des fidèles. Comme Jésus Christ, dont il était le représentant visible, il
voit accourir à lui les malades, et il les guérit. A Lydda, il rend la santé à ~Eneas; à
Joppé, il ressuscite la sainte veuve Tabithe; à Césarée, il convertit le centurion Corneille
et sa famille, et par cette conversion il ouvre le royaume des cieux aux Gentils, comme
il l'avait ouvert aux Juifs. A Jérusalem, il exerce les droits de sa primauté en présidant
à l'élection des sept diacres.
De la Judée, Pierre alla porter la lumière de l'Évangile à Antioche, où il établit son
premier siège. C'est dans cette ville que les disciples de Jésus-Christ ont pris pour la pre-
mière fois, vers l'an &9, le nom de chrétiens.
Peu de temps après, Pierre revint à Jérusalem. Paul, converti à la foi, vint l'y trouver
pour recevoir de lui sa mission car, bien qu'il eût été miraculeusement appelé par Jésus-
Christ à l'apostolat, il fallait néanmoins que la porte de l'Église lui fût ouverte par celui
qui avait reçu les clefs de l'apostolat, et que sa mission fût établie, comme celle des autres
apôtres, sur la pierre fondamentale de l'Église.
Après avoir parcouru de nouveau toute la Judée et une partie de l'Asie pour ranimer
la foi des fidèles, Pierre retourna à Antioche, qu'il quitta définitivement pour aller à Rome
et y établir son siège épiscopal. 11 laissa Évodius pour son successeur dans l'épiscopat
d'Antioche et dans le patriarcat d'Orient, et il emporta avec lui sa primauté et ses préro-
gatives pour les attacher irrévocablement au siège de Rome, qu'il fonda à la fin de cette
année, la dixième depuis l'ascension de Jésus-Christ. Il était dans les desseins de la
Providence que Pierre fixât définitivement son siège à Rome, dit saint Léon, « afin que la
ville qui était la capitale de l'univers devint comme le centre de la religion et l'école de
la vérité, après avoir été celle de l'erreur. »
Pierre fit son entrée dans Rome vers l'an ~3. Cette Rome était alors la reine des
nations, le centre du monde, la Rome de César et d'Auguste, l'école de la sagesse
païenne, le temple de la volupté, 'et enfin la cité conquérante qui tenait courbés sous
son sceptre tous les peuples de la terre. C'est cette Rome que Simon surnommé Pierre,
pêcheur du bourg de Bethsaïde en Galilée, seul, sans autres armes que sa croix, sans
crédit, sans talent, venait assiéger et prendre au nom de Jésus de Nazareth crucifié
entre deux voleurs. Il venait enseigner le Dieu unique, le Dieu juste, le Dieu miséricordieux,
le Dieu saint, dans ce temple du polythéisme où tout était Dieu excepté Dieu même. Il
venait prêcher l'humilité, dans ce royaume de l'orgueil; la pureté, dans ce foyer de la
luxure la liberté chrétienne, dans cet enfer de la tyrannie. Entreprise gigantesque et
surhumaine, dont le succès ne peut s'expliquer que par un effet miraculeux de l'assistance
divine promise à l'Église!
Dès son arrivée à Rome, Pierre commença à y annoncer l'Évangile. Sa parole eut une
telle efficacité qu'il convertit à la foi un grand nombre de juifs et même quelques membres
du Sénat. C'est de Rome qu'il envoya des missionnaires dans les diverses provinces, non-
seulement de l'Italie, mais aussi des Gaules, de l'Espagne et de l'Afrique. Il y écrivit sa
première ~p~re_, qu'il adressa à tous les fidèles de l'Orient. Elle est datée de Babylone, nom
qu'il donnait à Rome païenne. En l'an ~9, l'empereur Claude, successeur de Caligula, ayant
porté un édit qui ordonnait aux Juifs de quitter Rome, Pierre, qui était juif d'origine, fut
obligé de s'éloigner de l'église qu'il venait de fonder. Il se rendit à Jérusalem pour y pré-
sider le premier Concile dans lequel on statua que les Juifs convertis au christianisme
n'étaient point soumis aux cérémonies légales de leur nation. Comme il s'élevait une grande
discussion dans le Concile, Pierre se leva et prit la parole, comme chef de la doctrine.
Dès qu'il eut parlé, la discussion fut close. Pierre ayant décidé, personne ne songea plus à
discuter. Saint Jacques, évoque de Jérusalem, prit aussi la parole, non pour discuter de
nouveau, mais pour expliquer par la science des Écritures la décision de foi donnée par
le chef infaillible de l'Église. Et c'est ainsi que, dans la suite des siècles, la science de la
tradition de toutes les Églises et la science des Écritures se réuniront dans les Conciles pour
expliquer et appuyer les décisions rendues par l'autorité de Pierre, toujours vivant dans la
personne des pontifes romains, ses successeurs, qui, comme lui, convoqueront, présideront
et confirmeront les conciles de la sainte Église.
Pierre revint ensuite à Rome, son siège principal, et c'est de là qu'il continua jusqu'à
sa mort à gouverner toutes les églises engendrées par lui. Il occupait ce siège depuis
vingt-cinq ans lorsque la persécution de Néron éclata. Les fidèles conjurèrent le prince
des apôtres de se soustraire à la mort par la fuite, afin de ne pas priver l'Église de
son chef. Pierre céda à leurs instances mais, comme il sortait de Rome, il eut une
vision dans laquelle ~ésus-Christ lui apparut. Pierre l'adora aussitôt et lui dit « Seigneur,
où allez-vous? » Jésus-Christ lui répondit « Je vais à Rome pour y être crucifié de nou-
veau. » Pierre comprit la réponse du Sauveur, et, persuadé qu'il lui ordonnait de sceller par
son sang la foi qu'il avait préchée, il rentra à Rome. Néron Le fit prendre et jeter dans la
prison Mamertine, où, selon l'opinion la plus commune, il demeura neuf mois.
Paul, qui était vénu à Rome, comme nous le dirons bientôt, y fut enfermé en même
temps pour avoir converti quelques concubines de l'empereur. Les deux apôtres continuèrent
à prêcher l'Evangile dans leur prison ils convertirent même à la foi plusieurs de leurs
gardes, et entre autres, Martinien et Processe, qui étaient des principaux. Cette conversion
permettait à Pierre de s'échapper de sa prison et de se dérober ainsi à la fureur du persé-
cuteur. Mais comme il désirait ardemment le martyre, il y resta jusqu'à ce qu'il en fût tiré
avec Paul, pour être conduit à la mort.

II.

La prison Mamertine est devenue l'objet de la vénération des fidèles depuis qu'elle
a été sanctifiée par la présence des saints Apôtres. Cette prison noire et humide doit son
nom au quatrième roi de Rome, Ancus Martius, qui la fit creuser sur le modèle des prisons
de Syracuse, dans le roc même du Capitole. Elle est située presque à mi-côte de cette mon-
tagne, et se compose de deux cachots placés l'un au-dessus de l'autre. Le premier, creusé
à vingt-cinq pieds sous terre, est la prison Mamertine proprement dite. On y pénètre aujour-
d'hui par un escalier de construction moderne. Dans les temps de la Rome conquérante et
barbare, cette affreuse prison n'avait ni escalier ni porte; elle n'avait d'autre entrée qu'une
ouverture circulaire pratiquée au centre de la voûte, et qui est aujourd'hui fermée par une
forte grille en fer. On remarque, à droite, les traces d'un soupirail qui laissait arriver
quelque peu d'air dans ce vivant tombeau. Le cachot mesure vingt-quatre pieds de longueur
sur dix-huit de largeur, et treize d'élévation. Une ancienne inscription, placée à hauteur
d'homme, porte que cette prison fut restaurée l'an 57~ de Rome, par les consuls Vibius
Rufinus et Cocceius Nerva~

C. VIBIVS. C. F. M. COCCEIVS NERVA EX S. C.

Le second cachot est creusé au-dessous du premier. Il est plus étroit, plus bas, plus
humide et complétement privé de lumière c'est la prison Tullienne (~o&M? Tullianum) Elle
doit son nom et son origine à Servius Tullius, sixième roi de Rome. Ce cachot n'avait,
comme le premier, ni escalier ni porte. On y descendait les condamnés par une ouverture
pratiquée au centre de la voûte. C'était dans la prison Tullienne que se faisaient les exé-
cutions des grands coupables et des citoyens réputés comme tels. La prison Mamertine était
comme la salle d'attente où l'on donnait la question. Ainsi, les malheureux enfermés dans
le cachot supérieur pouvaient entendre distinctement les cris étouffés et les râlements des
malheureux qu'on étranglait dans le second cachot; ils pouvaient même contempler par la
grille de la voûte l'horrible spectacle de leur supplice et de leurs angoisses. Les Gémo-
nies aboutissaient au bas de l'escalier Tullien. Elles étaient ainsi appelées des gémissements

Tite-Live, liv. H.
de ceux qui montaient cet escalier. C'est par cet escalier que les confecteurs, armés de
crocs, traînaient dans le Tibre les cadavres des suppliciés.
Une multitude de personnages célèbres de l'antiquité reçurent la mort dans cette hor-
rible prison. Jugurtha, roi de Numidie, fut condamné a y mourir de faim. Les complices de
Catilina y furent étranglés par ordre de Cicéron. Séjan, favori de Tibère, y périt par le
glaive. Il était d'usage d'y mettre à mort les prisonniers de marque, et principalement les
chefs étrangers qui avaient orné le triomphe du vainqueur. Lorsque le char du triompha-
teur arrivait au pied du Capitole, on détachait les principaux prisonniers du cortége, et
tandis que le triomphateur montait par le Clivus Ca~o/tMM~ au temple de Jupiter, les mal-
heureux vaincus étaient entraînés vers les Gémonies. On leur faisait traverser un petit pont
suspendu qui communiquait au cachot supérieur, et on les précipitait dans la prison Tullienne,
où ils étaient égorgés. Le vainqueur ne sortait du temple de Jupiter qu'après avoir entendu
retentir à son oreille le mot tatal': ~c<M~ est, tout est fini.
Tel était le sort ordinaire que la Rome païenne réservait aux rois et aux généraux étran-
gers qui défendaient leur patrie et leur indépendance nationale contre son ambition.
Rome chrétienne, qui a pris soin de marquer en les sanctifiant les lieux témoins de
l'apostolat et des souffrances des saints Apôtres et des martyrs, a élevé un sanctuaire
au-dessus de la prison Mamertine. Ce sanctuaire est dédié à saint Joseph, patron des menui-
siers. La tribune grillée qui ouvre sur le cachot inférieur semble correspondre exactement à
l'ouverture par laquelle les bourreaux tiraient avec des crocs les cadavres des victimes.
On y vénère encore la colonne de granit à laquelle les glorieux confesseurs de la foi furent
attachés, la fontaine miraculeuse que saint Pierre fit jaillir de terre pour baptiser ses geôliers,
Processe et Martinien, ainsi que quarante-sept soldats qui y furent martyrisés à leur tour.
Cette fontaine conserve invariablement la même quantité d'eau dans toutes les saisons.
L'inscription suivante, gravée au-dessus de la colonne de granit, sur l'un des murs de
la prison, est destinée à rappeler aux pieux visiteurs ces grands souvenirs

QUESTA E LA COLONNA DOVE STANDO LEGATI S. S. APOSTOLI


PIETRO E PAOLO CONVERTIRONO, S. S. MARTIRI PROCESSO E

MARTINIANO CUSTODI DELLE CARCERI ET ALTRI XLVII ALTRA FEDE


DI CRISTO QUALI BATTEZZARONO COLL' ACQUA DI QUESTA FONTE
SCATURITA MIRACOLOSATE.

En 18M, Monseigneur de Forbin-Janson. évéque de Nancy, fit placer dans la prison


Mamertine un autel en marbre avec un bas-relief en bronze doré. Ce bas-relief repré-
sente saint Pierre donnant le baptême à ceux de ses gardes qu'il avait convertis. Admirable
transformation! Cet horrible séjour du désespoir et de la douleur, qui a retenti pendant
plusieurs siècles des gémissements des milliers de victimes que Rome païenne immolait à
sa haine et à son orgueil, a changé de destination, et c'est une douce consolation pour
les prêtres qui font le pèlerinage de la ville sainte, de pouvoir offrir les saints mystères
dans ces lieux à jamais consacrés par la captivité des saints apôtres Pierre et Paul.
in.

Saint Pierre fut assis sur la chaire de Rome vingt-quatre ans, cinq mois et onze
jours, terme où nul de ses successeurs n'est arrivé; il avait occupé le siège d'Antioche
pendant sept ans. Les évéques de Rome ne lui ont pas seulement succédé pour ce siège
particulier qui s'étend sur quelques villes d'Italie, mais aussi pour sa primauté sur tous
les évéques et sur toutes les Églises du monde. Héritiers de cette primauté souveraine, ils
sont investis de toutes les prérogatives que Jésus Christ a confiées à Pierre. Comme lui,
ils ont le pouvoir de lier et de délier par toute la terre; de déclarer les vérités de la
foi et de terminer par un jugement définitif les controverses qui s'élèvent dans l'Église;
de faire des lois universelles et qui obligent le peuple chrétien; d'assembler les Conciles
généraux, de les présider et de confirmer leurs décrets; de condamner les hérésies,
d'expliquer le sens véritable des Écritures, et généralement de faire tout ce qui est du
ressort du souverain pasteur du troupeau de Jésus-Christ. En effet, ce n'est pas seule-
ment à la personne de Pierre, mais aussi à celle de tous ses successeurs, que Notre-
Seigneur a dit « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes
de l'enfer ne prévaudront pas contre elle. Pais mes agneaux, pais mes brebis. » Comme
cette Église devait subsister jusqu'à la fin des siècles, elle avait besoin d'une succession
de pasteurs aussi stable qu'elle-même, et qui ne finît qu'avec le monde. Or tous les
Pères, tant grecs que latins, éclairés par la tradition, ont perpétuellement reconnu
dans les évêques de Rome les héritiers de la puissance de saint Pierre. Saint Jérôme
écrivait au pape Damase « Pour moi, je suis uni de communion à votre béatitude, c'est-
à-dire à la chaire de saint Pierre. Je sais que l'Église a été bâtie sur cette pierre quiconque
mange l'agneau hors de cette maison est un profane. Celui qui ne ramasse point avec vous
ne fait que disperser. Saint Pierre Chrysologue, écrivant à Eutychès, l'exhorte à recevoir
avec obéissance les décisions de l'évoque de Rome, « parce que saint Pierre, qui vit et
préside dans son siège, » continue d'y déclarer la vérité de la foi. Le dernier des Pères de
l'Église, saint Bernard, énumère en ces termes les prérogatives de la primauté du pontife
romain « Vous êtes, écrit-il au pape Eugène, le grand-prêtre, le souverain Pontife, le
prince des évêques et l'héritier des apôtres, Abel par la primauté, Noé par le gouver-
nement, Abraham par le patriarcat, Melchisédech par l'ordre, Aaron par la dignité, Samuel
par l'autorité, Pierre par la puissance, et Christ par l'onction; c'est à vous que les clefs
ont été données et que les ouailles ont été confiées; les autres prélats ont été appelés à
une part de votre sollicitude, mais toute la plénitude de la puissance vous a été commu-
niquée. Enfin votre juridiction n'a point d'autres bornes que celles du monde, au lieu
que celle des autres évoques est limitée à quelques ressorts particuliers. Enfin Bossuet,
qu'on n'accusera pas d'avoir exagéré les prérogatives de l'évéque de Rome, couronne ces
témoignages Qu'on ne dise point, qu'on ne pense point que ce ministère de saint
Pierre finisse avec lui. Ce qui doit servir de soutien à une Église éternelle ne peut
jamais avoir de fin. Pierre vivra dans ses successeurs Pierre parlera toujours dans sa
chaire; c'est ce que disent les Pères, c'est ce que confirment six cent trente évoques au
concile de Chalcédoine. »
Rien de plus formel enfin, pour exprimer la souveraine primauté de l'évoque de
Rome, que les titres sous lesquels il est salué par toutes les voix de la tradition c'est
le Père de tous les pères, le pontife des chrétiens, le souverain prêtre ou le prince des
prêtres, le vicaire de Jésus-Christ, le chef du corps de l'Église, le fondement de l'édifice
ecclésiastique, le pasteur du troupeau de Notre-Seigneur, le père et le docteur de tous les
fidèles, le gouverneur de la maison de Dieu, le gardien de sa vigne, l'époux de l'Église,
l'évéque universel, l'organe de l'Esprit-Saint. Les divines prérogatives de la chaire de Pierre
sont également acclamées par les docteurs de l'Église et par les conciles. Cette chaire immor-
telle, rougie du sang du prince des apôtres, ils la proclament à l'envi la chaire de la vérité,
la mère et la maîtresse de toutes les religions, l'arbitre infaillible de toutes les questions
de la foi, la règle certaine des bonnes mœurs, la lumière du ciel, l'organe de la volonté
divine, la pierre de touche des Livres saints, l'interprète de l'Écriture Sainte, la gloire et
l'ornement des saints, la consolation des justes, la terreur des méchants, la ruine et le fléau
des hérétiques, le zèle et le refuge des esprits blessés par le doute, et qui offre le bienfait
et le repos de la foi aux âmes de bonne volonté qui cherchent la vérité en vérité.
Ces magnifiques prérogatives, par lesquelles il a plu à Dieu de faire d'un simple
mortel son représentant sur la terre, nous imposent l'obligation de respecter, dans la
personne du pontife romain, le vicaire de Jésus-Christ, et de nous attacher avec une
foi ferme et constante à la doctrine de son siège. Ce titre seul de chef de l'Église suffit
pour faire comprendre aux catholiques le cas qu'ils doivent faire de certains livres et de
certaines brochures qui nous présentent le pape, tantôt comme un hors-d'oeuvre dans
l'Église, tantôt comme une puissance étrangère. Quoi le souverain pontife serait
une puis-
sance étrangère dans l'Église de Jésus-Christ! C'est-à-dire que la tête et le cœur seraient
étrangers au corps qu'ils animent, l'œil à celui qu'il éclaire, le vicaire de Jésus-Christ à
ceux qui reconnaissent Jésus-Christ pour maître! Le souverain pontife n'est étranger nulle
part ici-bas. Partout où bat un cœur catholique, il compte un disciple, un sujet, un
enfant. Au milieu des forêts vierges de l'Amérique, comme au sein de l'Europe civilisée,
toute bouche catholique l'acclame le chef des croyants et le pasteur du troupeau, et le
salue de ce nom de père commun des fidèles, qui n'appartient qu'à lui.
Sachons donc respecter et aimer dans le successeur de Pierre l'autorité de Jésus-Christ.
Restons inébranlablement attachés à sa foi et soumis à ses décrets. Affermi par la prière
du Sauveur, il est et il restera à tout jamais dans le monde l'organe de la vérité. Toute
doctrine qui contredit ses enseignements est convaincue d'erreur, et ne peut,
sans une usur-
pation sacrilége, se donner pour un écho du ciel. Jésus-Christ n'a prêché qu'une doctrine;
il n'a fondé qu'une Église, et cette Église il l'a fondée sur Pierre.
Que sont devenues ces Églises d'Orient et d'Angleterre, autrefois si
técondes, et
maintenant frappées d'impuissance et de stérilité depuis qu'elles
se sont séparées de la
chaire de Pierre? Plus d'indépendance dans l'apostolat, car ces Églises ne peuvent plus
enseigner que ce qui plaît au prince; plus de dignité dans le caractère de son clergé,
devenu un outil d'administration. Cherchez bien, interrogez toutes les communions séparées
de Rome, vous ne trouverez partout que des Églises stériles et asservies, un clergé rentier
et dégradé, devenu, depuis l'évéque jusqu'au prêtre, un instrument au service du pouvoir.
Remercions Dieu de nous avoir fait naître dans le sein de l'Église catholique, aposto-
lique et romaine, et restons attachés du fond de nos entrailles à ses divins enseignements.
« Tremblons, dirons-nous avec Bossuet, à l'ombre même de la division; songeons au
malheur des peuples qui, ayant rompu l'unité, se rompent en tant de morceaux, et ne
voient plus dans leur religion que la confusion de l'enfer et l'horreur de la mort! Ah! pre-
nons garde que ce mal ne nous gagne. Déjà nous ne voyons que trop parmi nous de ces
esprits libertins qui, sans savoir ni la religion, ni ses fondements, ni ses origines, ni sa
suite, blasphèment ce qu'ils ignorent et se corrompent dans ce qu'ils savent. « Nuées sans

eau, dit l'apôtre saint Jude; "docteurs sans doctrine, » qui pour toute autorité ont leur
hardiesse, et pour toute science leurs décisions précipitées; « arbres deux fois morts et
déracinés, » morts premièrement parce qu'ils ont perdu la charité, mais doublement morts
parce qu'ils ont perdu la foi, et entièrement déracinés, puisque, déchus de l'un et de
l'autre, ils ne tiennent à l'Église par aucune fibre « astres errants, » qui se glorifient dans
leurs routes nouvelles et écartées, sans songer qu'il leur faudra bientôt disparaître; ruis-
seaux desséchés, » parce qu'ils ne communiquent plus avec la source intarissable de la doc-
trine et de la grâce, qui est Jésus-Christ même représenté sur la terre par son vicaire.
C'est la gloire de l'Église de France d'avoir conservé, avec le principe de l'unité, la
fécondité de l'apostolat. Les liens qui l'unissent au Saint-Siège sont si étroits, et elle
lui a donné, à différentes époques de son histoire, des témoignages si éclatants de son
dévouement, que les papes se sont plu à reconnaître solennellement qu'elle occupait le
premier rang entre les autres Églises, dans le dévouement et dans l'amour. Chaque fois
l'Église a su
que les droits du vicaire de Jésus-Christ ont été attaqués, la fille aînée de
prouver qu'entre elle et la sainte Église romaine, c'est, selon l'expression de saint Paul,
A LA VIE ET A LA MORT, ad convitendum et ad commoriendum. Voilà ce
qu'affirment nos tradi-
tions, et avec elles les pontifes romains « Dans l'ardeur de la foi et dans le dévouement
au siège apostolique, l'Église gallicane, dit Grégoire IX, ne suit pas, elle précède toutes
les autres 2. »

T~a-ton. mais peut-on demeurer dans l'Église sans être uni à celui que
1° Hors de l'Église point de salut
Jésus-Christ en a fait le chef supérieur? 2° Honorons le Souverain Pontife comme le Père commun de tous les
ûdèles suivons-le comme notre guide, soumettons-nousà lui comme à notre maître.
(~ttahott de /C., liv. ch. rt, v. L)

<.7/Cor.~Yn,3.
2. Utpote quœ in fervore fidei Christianae, ac devotione stoticae sodis, non sequatur alias, sed antecedat. (Epist. Greg. IX,
ad Episc. Remens. )
PRIÈRE. Véritablement, mon Dieu, c'est une chose juste et digne de vous louer de ce que vous êtes si
admirable en vos Saints, comme en ceux qui vous glorifient souverainement,qui font le plus bel ornement du
corps mystique de votre Fils, et qui servent de fondement à votre Église, laquelle vous avez révélée aux Prophètes
et établie sur les Apôtres, entre lesquels vous choisîtes le bienheureux saint Pierre, à cause de la confession qu'il
fit de votre Fils unique et, le posant pour pierre fondamentale de votre Église, vous le fîtes grand-prêtre et
dépositaire de vos Sacrements, et lui donnâtes le pouvoir de faire garder au Ciel ce qu'il ordonnerait sur la terre.
En considération de cet honneur, nous solennisonsaujourd'hui cette fête et vous offrons des sacrifices de grâces
et de louanges, par le même Seigneur Jésus-Christ.
(Prière tirée du Sacramentairede saint Grégoire le Grand, conservé à la Bibliothèque Vaticane,
fête de la Chaire de saint Pierre, 18 janvier.)
SAINT PIERRE IN MONTORIO

LIEU DU MARTYRE DE SAINT PIERRE.

(A. D. C!.)

SAINT PIERRE, après être resté enfermé dans la prison Mamertine près de neuf mois,
fut condamné à mourir du supplice de la croix. On le fouetta auparavant, comme l'exi-
geaient les lois romaines, ce qu'il endura d'autant plus volontiers que ce tourment le
rendait plus conforme à son divin Maître. On vénère encore, dans l'église de Sainte-Marie
Traspontina, la colonne à laquelle il fut attaché. Saint Pierre fut ensuite conduit sur une
crète élevée du mont Vatican, appelée aujourd'hui ~oM<or<o_, c'est-à-dire mont d'Or. Suivant
l'opinion la mieux fondée, le ~o~~ono faisait partie, non du Janicule, mais du Vatican.
C'est ainsi qu'on justifie l'expression des anciens auteurs, qui placent sur le mont Vatican
le crucifiement de saint Pierre 1. Il est probable que Néron avait choisi ce lieu afin de
pouvoir, du haut de ses balcons, se repaître du supplice du Pasteur suprême, comme
il avait voulu jouir des angoisses des simples brebis en les faisant servir de torches dans
ses jardins. Avant d'arriver au lieu du supplice, l'apôtre détacha de sa jambe la bande
qui enveloppait les plaies occasionnées par ses chaînes, et la jeta à l'endroit où a été
érigée depuis la petite église de la Bande della Fasciola Une croix avait été préparée
sur le sommet de la montagne Pierre devait y être attaché, afin d'imiter son divin
Maître dans son dernier supplice, comme il avait imité ses vertus et représenté sa per-
sonne en qualité de son lieutenant; mais le disciple ne se croyant pas digne d'une si
parfaite ressemblance avec Notre-Seigneur, pria ses bourreaux de le crucifier la tête en
bas, ce qu'ils lui accordèrent d'autant plus volontiers 'que son supplice en devenait plus
infâme et plus douloureux. C'est ainsi qu'il mourut, louant et bénissant Dieu, en présence
de ses bourreaux et des saintes femmes qui étaient venues, en secret, sur le lieu de son
supplice, pour recueillir ses dernières paroles. Deux d'entre elles, Basilisse et Anastasie,

4. Les auteurs qui pensent que saint Pierre a été cruciBé sur !e Vatican sont Mullio, Comestore, Biondo, ACaranno,
Panvinio et Anastase !e Bibliothécaire.
C'est PégHse des Saints-Nérée et AchiHée, devant les thermes de Caracalla.
furent saisies au moment où elles recueillaient le sang de l'apôtre, et elles eurent la
tête tranchée. Le corps du prince des apôtres fut recueilli par un saint prêtre nommé
Marcel, puis embaumé et enseveli sur la montagne du Vatican, qu'une si riche dépouille
a rendue depuis plus vénérable que ne le fut jamais le Capitole. Saint Pierre fut martyrisé
la treizième année du règne de Néron; il était âgé de quatre-vingts ans.
Les premiers chrétiens, qui se montraient si fidèles à marquer par des monuments
durables les traces des apôtres, ne pouvaient manquer de garder soigneusement la mémoire
du lieu consacré par le martyre de saint Pierre et de l'entourer de leur vénération.
Une voie en zigzag, ornée des stations du Chemin de la Croix, conduit jusqu'au sommet
de la colline et avertit le pèlerin qu'il touche une terre sanctifiée. Le sanctuaire élevé sur
le Montorio est devenu plus tard la riche église que l'on admire aujourd'hui. Elle est bâtie
sur le sommet du monticule d'où l'on découvre les sept royales collines et Rome tout
entière. La garde en est confiée aux humbles enfants de saint François. Cette église
renferme quelques peintures remarquables, entre autres un Christ flagellé à la Colonne,
peint sur les dessins de Michel-Ange par Sébastien del Piombo, une Conversion de saint
Paul, par Vasari, et 'enfin deux belles statues représentant, l'une la Religion, et l'autre la
Justice. L'église portait à son origine le titre de la Sainte Vierge joint à celui qu'elle
porte aujourd'hui, et elle était comptée au nombre des vingt abbayes privilégiées de Rome.
La petite chapelle représentée dans la gravure fut bâtie précisément sur le lieu même
du martyre de saint Pierre; c'est un des plus gracieux édifices de la Renaissance. Ce
monument fut construit par Bramante, en forme de coupole, aux frais de Ferdinand IV;
il est orné de seize colonnes doriques de granit oriental, et composé de deux chapelles
superposées; au centre du pavé, qui est en marbre précieux, se trouve l'ouverture sphé-
roïde qui servit de piédestal à la croix. Une lampe brûle au-dessus de la terre arrosée
du sang de l'apôtre martyr. A partir du dimanche de la Passion jusqu'au dimanche de la
Quasimodo, il y a indulgence plénière pour tous les fidèles qui visitent la chapelle.
Le martyre de saint Pierre, en terminant ses souffrances et son apostolat, inaugura
le règne de sa gloire et de sa puissance, qui durera autant que le monde. Par
son apostolat et son martyre à Rome, Pierre avait posé les bases de la grande régéné-
ration chrétienne dans la ville même, en qui se résumaient alors les destinées du monde.
C'est à lui que l'on peut appliquer, avec plus de justesse, ce que le poëte a dit d'un
conquérant: «Jamais le pied d'un mortel n'a imprimé sur la terre une plus forte empreinte,
et son pied s'est arrêté là. » En effet, le corps de Pierre, déposé dans le sol romain,
comme un germe sacré a poussé de glorieux et immortels rejetons. « Après la confession
de son martyre, dit saint Hilaire de Poitiers, Simon Pierre, étendu, couché dans les
fondements de l'édifice chrétien, porte tout le môle de l'Église, et, loin d'en être
écrasé, il tient d'une main ferme et active les clefs du royaume céleste. » Rome contient
donc désormais dans les flancs de son Vatican un rocher plus immuable que celui de
son vieux Capitole; car, après avoir confessé la divinité de Jésus-Christ par sa mort,
comme il l'avait confessée par sa prédication et par ses œuvres, le voici fixé à la place
qui lui avait été préparée selon les divines préordinations, dit saint Léon. Sa tombe est
le berceau de l'Église, et la base immuable du trône de la papauté. Autour de ses
dépouilles glorieuses rayonne la construction immense de l'édifice divin. Là est le siège de la
souveraineté du Christ; là est le centre de son action et de son gouvernement; !à est sa tente
royale, son tabernacle parmi les hommes; là, par la présence permanente de son lieute-
nant visible, Jésus-Christ gouverne son Église; il enseigne, il redresse, il lie, il délie, il
commande aux intelligences et maintient dans le monde cette royauté de la vérité qui, ne
laissant plus au mensonge de triomphe assuré ni paisible, ne lui permet plus d'étouffer
la sainte liberté des consciences, et qui, toujours prête à combattre pour la justice,
n'ignore pas qu'elle prépare son propre triomphe lorsqu'elle accepte le martyre. C'est ainsi
que Jésus-Christ perpétue son autorité et son apostolat dans la personne de son vicaire,
et qu'il réalise à toujours son titre d'Emmanuel.
« C'est de là, dit Bossuet, que
fut établie et fixée à Rome la chaire éternelle, la
principauté principale; l'Église mère, qui tient en sa main la conduite des autres Églises;
le chef de l'épiscopat d'où part le rayon du gouvernement; la chaire unique en laquelle,
seule, tous gardent l'unité; et c'est là que Pierre demeure à jamais dans ses successeurs
le chef des évéques catholiques et le fondement des fidèles. » Comme Jésus Christ,
dont il est la manifestation visible, il était hier. il est aujourd'hui, il sera toujours, ~e/~
hodie, in M'cM~a/ En vertu des divines promesses, la puissance de Pierre s'est maintenue
malgré les efforts de l'enfer, qui a tourné contre elle toutes ses forces, malgré le temps,
qui use tout ce qui n'est pas divin. Qui de nous ignore les revers, les vicissitudes, les
révolutions des plus florissantes monarchies? Que reste-t-il de ce grand empire de Rome
qui avait courbé sous son sceptre tous les peuples? La royauté de Pierre a survécu à ces
ruines. Les siècles passent, elle ne passe point; d'autres empires pourront succéder à ce
que nous voyons, mais la puissance de la Papauté survivra aux empires qui naîtront après
elle. Elle paraîtra quelquefois s'affaiblir et chanceler, mais on ne la verra jamais succomber.
Telle a été, telle est encore aujourd'hui la Papauté. Voilà pourquoi rien ne l'émeut, rien
ne l'ébranlé, rien ne la séduit, rien ne l'épouvante. Un royaume lui échappe ou lui
revient, un soldat heureux la menace ou la flatte, un génie relève ou courbe la tête, les
peuples lui dressent un Calvaire ou un Thabor que lui importe?a Si elle a parfois des
larmes à verser, c'est pour pleurer le malheur des peuples qui se séparent de'son sein;
car elle est mère, et elle sait que ceux qui s'éloignent d'elle sont condamnés à périr;
mais quant à son avenir, elle est sans inquiétude. Elle sait qu'il n'y a pas de main assez
forte pour renverser son trône, parce que le fondement sur lequel elle est appuyée est la
digue immuable que la mer affolée peut bien couvrir d'écume, mais qu'elle ne peut emporter
ni franchir, selon la promesse de Jésus-Christ même: « Tu es Pierre, et sur cette pierre
je bâtirai mon Église, et les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle. »
Dix-huit siècles de perpétuité ont vérifié cette promesse. Depuis l'épiscopat de saint
Pierre, qui a cimenté l'Église romaine de son sang, jusqu'à celui de Pie IX, qui la
dirige aujourd'hui par sa sagesse, qui l'édifie par ses vertus et qui la défend par son
courage, les pontifes se sont succédé sans interruption dans l'Église qui a reçu la
primauté, et l'on peut dire que ce passé de dix-huit siècles est la garantie de l'avenir.
0 Rome, cité privilégiée de Dieu, plus illustre par ton Vatican que par ton Capitole,
après tant de siècles et tant d'assauts, tu es toujours debout, toujours vierge dans ta
foi, toujours maîtresse, toujours mère. Assise sur tes sept royales collines, tu domines
le monde et présides encore à ses destinées. Bienfaitrice des peuples dans le passé, espé-
rance de l'avenir, tu restes encore dans le présent, au milieu des ruines intellectuelles
et de la confusion des systèmes qui se disputent le monde, la reine de la vérité, la tête
et le cœur de la société, et le dernier rempart des éternels principes de justice et de
charité que les peuples ne peuvent abdiquer, sans se condamner à -mourir.
« 0 sainte
Église romaine, s'écrie Bossuet, mère des Églises et de tous les ndèles,
Église choisie de Dieu pour unir ses enfants dans la même foi et la même charité, nous
tiendrons toujours à ton unité par le fond de nos entrailles. Si je t'oublie, Église romaine,
puissé-je m'oublier moi-même! Que ma langue se sèche et demeure immobile dans ma
bouche si tu n'es pas toujours la première dans mon souvenir, si je ne te mets pas au
commencement de tous mes cantiques de réjouissance. ~6!A6pre<t< lingua mea faucibus meis, si
non meminero tui, si non proposuero VerM~a/em in principio ~<œ mete. o

/}e/!f;rto?M. sentir bien fort pour lutter contre la foi de tant de siècles, et l'autorité
1° Il faut se
de tant de grands génies. 2° Plaignons ceux qui s'aveuglent si étrangement, et attachons-nous toujours
plus fortement à notre sainte religion. 3" Mais que nous servirait la foi sans les oeuvres de la foi?
(Imitation de J.-C., liv. I", ch. ix, v. 1.)

P tu ÈRE. Saint Pierre,


ami de Dieu, très-glorieux apôtre et très-glorieux martyr, vous avez voulu
souffrir en cette vallée de larmes toutes sortes de douleurs pour votre doux maître et ami Jésus-Christ,
qui vous avait établi le chef et le prince de son Église, qui vous avait confié les clefs de son royaume
céleste, et vous avait donné le pouvoir de lier et de délier. Et après tant d'épreuves, ô grand Saint,
vous avez été crucifié et êtes mort sur votre croix. Oh! je vous en prie, faites que je vous imite, faites
que je vous suive et que j'aime mon Sauveur comme vous l'avez aimé, de telle sorte que j'accepte pour
lui toutes les injures et adversités que j'aurai à subir, que je les accepte avec bonheur et en remerciant
ce grand Dieu de me les envoyer. Enfin obtenez-moi le pardon de mes péchés, afin que j'arrive au
royaume du ciel. Ainsi soit-il!
(Heures de Besançon, imprimées à Troyes, chez J. Lecoq, 1S4G.)
PRISON DE SAINT PAUL
A SANTA-MARIA IN VIA LATA.
(A. D. 59.)

I. APOSTOLAT DE SAINT PAUL.–II. SA CAPTIVITÉ A ROME.

I.

SAINT PAUL, l'apôtre et le docteur des nations, était Juif, de la tribu de Benjamin,
et s'appelait Saul. Né à Tarse, ville célèbre de la Cilicie, deux ans après la naissance
de Notre-Seigneur, il était citoyen romain, l'empereur Auguste ayant accordé aux habi-
tants de cette ville le droit de bourgeoisie, en récompense de leur fidélité. Son père
l'envoya tout jeune encore à Jérusalem pour y être élevé et instruit dans la science de
la loi et des traditions judaïques par Gamaliel, le plus célèbre docteur de ce temps.
Saul, doué d'un esprit pénétrant et élevé, fit de rapides progrès sous la direction d'un
tel maitre, et devint bientôt l'un des partisans les plus ardents de la Loi judaïque. Son
zèle pour le maintien des observances légales en fit l'un des plus ardents persécuteurs
de l'Église. Non content d'avoir demandé la mort de saint Étienne, son parent, il faisait
rechercher les fidèles qui étaient cachés dans Jérusalem; il parcourait les villes de la
Judée, pénétrait dans les maisons pour en tirer par force les chrétiens qui s'y trouvaient,
les trainer en prison et les faire charger de fers. Enfin, comme les limites de la Judée,
de la Galilée et de la Palestine étaient trop étroites pour satisfaire le zèle de ce fou-
gueux persécuteur, il demanda au Conseil des princes des prêtres des lettres de com-
mission adressées aux synagogues et aux Juifs de Damas, avec plein pouvoir d'y faire
une recherche exacte de tous les fidèles, et d'y exterminer ainsi l'Église naissante.
Muni de ces odieux pouvoirs et plein de menaces, Saul partit pour Damas. Or il arriva
que, comme il approchait de cette ville, il se trouva, lui et ses compagnons, environné
à l'improviste d'une lumière extraordinaire plus brillante que le soleil. Saisi d'effroi par
cette apparition subite, Saul tomba à terre, et il entendit une voix qui lui disait « Saul,
Saul, pourquoi me persécutes-tu? Il répondit Qui êtes-vous. Seigneur? Le Seigneur lui
dit Je suis Jésus que tu persécutes; il t'est dur de regimber contre l'aiguillon. Alors Saul,
saisi d'étonnement et de frayeur, dit Seigneur, que vous plaît-il que je fasse? Et le
Seigneur lui répliqua Lève-toi et entre dans la ville, et là tu verras ce que tu dois
faire. » Saul se leva, disposé à obéir à la voix de Jésus Christ, mais quoiqu'il eût les
yeux ouverts, il ne voyait rien; on le prit par la main et on le conduisit à Damas,
où il demeura trois jours aveugle.
Un des disciples de Jésus Christ, nommé Ananie, ayant été averti de cet événement
par une révélation, alla trouver Saul, lui imposa les mains et lui rendit la vue puis,
après l'avoir suffisamment instruit, il le baptisa.
Cette conversion fit grand bruit dans l'Église naissante. Le plus ardent persécuteur
de l'Église de Jésus-Christ allait en devenir l'apôtre le plus zélé; le loup était changé
en agneau. Saul changea son nom en celui de Paul, et ne songea plus qu'à prêcher la
divinité de Jésus-Christ. Comme il connaissait parfaitement les Écritures, et qu'il avait
l'esprit vif et insinuant, les docteurs de la Loi furent tellement alarmés de sa conversion,
qu'ils résolurent de s'emparer de sa personne; mais les chrétiens que Paul avait déjà
convertis l'arrachèrent aux mains de ses ennemis. De Damas, Paul alla d'abord à Jéru-
salem pour y visiter Pierre et recevoir du chef du collége apostolique la consécration
de son apostolat. Il avoue lui-même qu'il avait entrepris ce voyage pour voir et entre-
tenir le prince des apôtres ce qui marque dit saint Jérôme, qu'il témoignait un
respect particulier au chef de l'Église. De Jérusalem, Paul se rendit à Tarse, puis à
Antioche, où saint Barnabé l'appela à son aide, puis à Chypre, où il convertit le
proconsul Sergius Paulus. Il évangélisa ensuite et successivement la Pamphylie, la Pisidie,
Iconium, ville de Lycaonie, où l'une de ses plus belles conquêtes fut sainte Thècle; puis
il retourna à Jérusalem pour y assister au premier concile qui y fut présidé par saint
Pierre. De Jérusalem, Paul se rendit en Phrygie, en Galatie et en Macédoine, portant
partout la lumière de l'Évangile et convertissant un grand nombre de Gentils. Il évan-
gélisa également les villes de Philippes, de Thessalonique et de Berée; de là il se rendit
à Athènes. Dès son arrivée dans cette ville célèbre, il discuta avec les stoïciens et les
épicuriens, dont les sectes, si différentes entre elles par la doctrine, étaient néanmoins
également ennemies de l'Évangile. Ces philosophes, vaincus par l'éloquence de Paul, le
conduisirent à l'Aréopage, pour rendre compte, devant les juges de ce célèbre tribunal, de
la doctrine nouvelle qu'il enseignait. L'apôtre y prononça un discours admirable, qui
ravit toute l'assemblée. Prenant pour thème une inscription qu'il avait lue au frontispice
d'un temple d'Athènes Au DIEU INCONNU, il annonça ce Dieu aux membres de l'Aréopage
«Athéniens, leur dit-il, il me semble qu'en toutes choses vous êtes très-religieux; car,
passant dans votre ville et voyant les statues de vos dieux, j'ai trouvé même un autel où
il était écrit: Au DiEH INCONNU. Ce Dieu donc que vous adorez sans le connaitre, c'est celui
que je vous annonce. le Seigneur du ciel et de la
terre, qui n'habite point dans les
temples bâtis par les hommes, et qui n'est point honoré par les œuvres des mortels comme
s'il avait besoin de quelque chose, lui qui donne tout à tous, et la vie et la respira-
tion. » Puis continuant sur le même ton, Paul parla avec tant de force et d'éloquence de
la divinité de Jésus-Christ, de la résurrection des morts et de la sainteté de l'Évangile,
que saint Denys, l'un des plus savants de cette illustre académie, se convertit, ainsi qu'une
dame nommée Damaris.
D'Athènes, Paul revint à Corinthe, où il demeura près de dix-huit mois, pendant
lesquels il signala son apostolat par de grands prodiges et de nombreuses conversions. Il
écrivit de là ses deux épitres aux Thessaloniciens. L'apôtre se rendit ensuite à Antioche,
puis à Éphèse, ville devenue célèbre par le temple de Diane, que l'on comptait au
nombre des sept merveilles du monde. Enfin, après avoir visité de nouveau les chré-
tientés de la Macédoine et de l'Achaïe, l'apôtre des nations se rendit à l'île de Crète,
où il laissa Tite pour gouverner l'Église qu'il y avait fondée. 'De Nicopolis, où il passa
l'hiver, il écrivit sa seconde lettre aux Corinthiens. De là il retourna à Corinthe, et c'est
du port de cette ville, appelé Cenchrée, qu'il écrivit son épitre aux Romains. Il y traite
du mystère de la déchéance de l'homme par le péché d'Adam, et de sa régénération par
la grâce de Jésus-Christ; de sa prédestination et de son élection éternelle, qu'il nous
montre dans la pure volonté de Dieu, et enfin de la hauteur et de la profondeur de ses
jugements, que l'homme doit respecter. De Philippes, où il retourna pour éviter les
embûches des Juifs, Paul se rendit à Troade, puis visita successivement Assen, Mytilène,
Chio, Samos et Milet. Il convoqua dans cette dernière ville les évéques et les prêtres qui
s'y trouvaient, et les engagea à s'acquitter avec soin du gouvernement de ceux que le
Saint-Esprit avait commis à leur charge; il conclut son discours par cette belle sentence
de notre Seigneur Jésus Donner est une chose plus heureuse ~e recevoir. Après quoi il pria à
genoux avec eux et leur fit ses adieux avec larmes.
Les fidèles, aifligés de son départ, versèrent des larmes abondantes, et se jetant
à son cou, le baisèrent et le conduisirent jusqu'au vaisseau qui l'attendait, extrê-
mement attristés de ce qu'il leur avait dit qu'ils ne le verraient plus. Paul aborda à
Tyr, où il demeura sept jours pour consoler les fidèles qui s'y trouvaient. De là il se
rendit à Césarée, où il passa une semaine. Il savait qu'en allant à Jérusalem, il n'échap-
perait pas à la haine des Juifs, qui avaient juré de le perdre. Néanmoins il n'hésita
point à faire ce voyage. Il y trouva les chaînes et la prison qu'il attendait; mais Jésus-
Christ daigna consoler sa captivité par sa présence. Il lui apparut la nuit, et lui dit ces
paroles pour le fortifier « Ayez bon courage, Paul, parce que, comme vous avez rendu
témoignage de moi dans Jérusalem, il faut aussi que vous le fassiez dans Rome. » Paul fut
déféré au gouverneur romain Félix, puis à son successeur Festus, qui faisait sa résidence à
Césarée. Mais l'apôtre, après avoir confondu ses ennemis et prouvé son innocence, déclara
qu'il en appelait à César, et que c'était devant le tribunal de César même qu'il voulait
être jugé.
Comme Paul était citoyen romain, on dut accepter son appel. En conséquence, il fut
conduit à Rome. Les fidèles, avertis de son arrivée, allèrent au-devant de lui. Les Actes
des Apôtres fournissent, sur son arrivée à Rome, des indications précises « Nous nous
dirigeâmes vers Rome; les frères de cette ville, l'ayant appris, vinrent à notre rencontre
jusqu'au forum d'Appius et aux Trois Tavernes. Paul les ayant vus, rendit grâces à Dieu
et en prit confiance 1.
Le forum d'Appius, dont il est ici question, était à cinquante et un milles de Rome.

1. Actes des ~o<fes~ ch. xxvm, v. 14 et 15.


dans les marais Pontins, près d'Antium il n'en reste aucun vestige. Les Trois Tavernes
étaient situées au delà d'Aricie et en deçà du forum d'Appius, à dix-sept milles de l'une
et à dix-huit de l'autre, d'après l'itinéraire d'Antonin. Le récit de saint Luc laisse sup-
poser que deux groupes de chrétiens vinrent au-devant de saint Paul l'un se serait
avancé jusqu'au forum d'Appius, l'autre se serait arrêté aux Trois Tavernes. Ce fut
probablement pour ne pas attirer l'attention par un concours trop nombreux que les
chrétiens jugèrent à propos de se séparer; peut-être aussi voulurent-ils témoigner à
saint Paul plus de vénération en se plaçant à din'érents endroits sur sa route, comme
il était d'usage de le faire lorsqu'on allait à la rencontre de quelque grand personnage.
La venue de ces députés de l'Église romaine donna, comme le passage cité tout à
l'heure nous l'apprend beaucoup de consolation à l'apôtre. Les lieux qu'ils traversèrent
ensemble en se rendant à Rome leur rappelaient avec éloquence la puissance de l'ido-
lâtrie dans son centre, Ils passèrent au pied du mont Albane, aujourd'hui ~on<e Cavo, qui
avait été le plus ancien foyer du paganisme romain. A quelque distance de la ville et
jusque près des portes, la voie Appienne, que Paul suivait avec son cortège, était garnie
à droite et à gauche de tombeaux fameux. Le christianisme n'avait pas encore les siens,
mais Néron se préparait à lui en élever, et les catacombes allaient commencer. Entre le
sépulcre de Cécilia Métella et celui de la famille des Scipion, l'apôtre chemina le long
d'un souterrain, qui devait devenir quelque temps après le plus vaste cimetière des mar-
tyrs. Un peu plus loin, les bruits de la grande Babylone se firent entendre. Sur les
bords de la route, tout près des murs de la ville, se trouvaient, d'un côté, le temple
des dieux de la guerre avec ses cent colonnes, de l'autre côté, le temple de la Tempête.
L'apôtre passa au milieu, plein de confiance en celui qui renverse et qui édifie, et il entra
dans Rome par la porte Capènel. Tel est l'itinéraire que l'on peut déduire des rensei-
gnements contenus dans les Actes des ~pd~e~. On peut voir encore, non loin de l'église de
Saint-Sébastien hors des murs, quelques restes de ce vieux pavé de la voie Appienne que
le pied de l'apôtre a touchés.

II.

L'apôtre n'était pas arrivé à Rome en secret il venait plaider sa cause, comme
citoyen Romain, devant l'empereur. Rien ne l'obligeait donc à chercher une retraite dans
quelque quartier obscur et isolé. Il convenait même que son habitation ne fût pas trop retirée,
puisqu'il avait l'intention, comme la suite l'a montré, d'y attirer un grand nombre de
visiteurs pour leur annoncer la parole de Dieu, en attendant qu'il fût rendu à la liberté.

<. D'uedi venendo crediamo che per la via et porta Appia, ora detta di San Bastiano entrasse nella citta. (blartinelli,
Prim. <ro/ della Croce, p. 34.)
Pour satisfaire à cette convenance, il loua un logement dans une maison de la via Lata;
cette rue, qui partait du Capitole à l'endroit appelé aujourd'hui Macello de Corvi, et con-
duisait au Champ-de-Mars, était un passage très-fréquente. L'apôtre s'y trouvait d'ailleurs
dans le voisinage des tribunaux devant lesquels il devait comparaître. Le cardinal Baronius
croit que la maison qu'il loua faisait partie des anciens monuments de la diaconesse Marier
Paul y passa deux. ans sous la garde d'un soldat. Trois jours après son arrivée dans cette
prison, l'apôtre, dont le zèle ne connaissait ni retard ni danger, y convoqua les princi-
paux d'entre les Juifs qui restaient à Rome il leur annonça l'Évangile et leur prouva par
le texte de la Loi, par les figures et par les prophéties, que Jésus-Christ était le libéra-
teur promis à leurs pères. Mais ni l'éloquence surhumaine de Paul, ni ses chaînes, plus
éloquentes encore que sa parole, ne purent convaincre ces hommes à la tête dure.
La tradition qui recommande à la vénération des fidèles la prison de saint Paul à la
via Lata, remonte au iv" siècle. Saint Jérôme l'indique sans la citer. « Je crois, dit-il, que
c'est aussi pour ces raisons que saint Paul a gardé pendant deux ans l'appartement qu'il
avait loué 2. o Cette tradition a passé plus tard dans un office qui se chantait autrefois
dans l'église Sainte-Marie in via Za~ le jour de la fête patronale, et qui depuis a été con-
signé dans les archives de cette ancienne diaconie

Paulus, doctor veritatis,


Una cum discipulis
Habitavit, et ditavit
Locum magnis gratiis
Quem ipsum post honoravit
Aquis affluentibus.

Linus, Clemens atque Cletus,


Timotheus et Novatus,
Recipit hos locus iaetus
Pauli et discipulatus,
Concurrebat ornais cœtus
Pauli fit adornatus.
(Hymne de Laudes.)

Néron avait consenti à rendre ne demi-justice à Paul en lui permettant de prêcher;


mais il lui laissa son gardien et sa chaîne. Paul usa largement de la liberté qui lui était
donnée; sa prison était constamment fréquentée par les fidèles et même par les païens,
qui cédaient au charme de son éloquence persuasive. Il leur annonçait avec une courageuse
fermeté l'Évangile du salut. Le collége des pontifes, le sénat, le prétoire et le palais même
de l'empereur retentirent des échos de sa parole. « C'est dans cette prison qu'il recevait,
dit saint Luc, tous ceux qui venaient à lui, leur préchant le règne de Dieu et leur ensei-

j. Baronius, Annales, 59, n°7.


2. Quam ob causam eum existimo etiam Roma biennium in conducto mansisse. (Comment. in Epist. ad Philem., n" 22.)
gnant ce qui est du Seigneur Jésus-Christ avec toute confiance, sans prohibition~. Ce
lieu, où saint Paul a été détenu pendant deux ans, est un des sanctuaires primitifs de
Rome, puisqu'il est certain que l'apôtre a dû y célébrer les saints mystères avec les chré-
tiens qui avaient la liberté de le visiter. C'est dans cette prison qu'il reçut la visite d'Épa-
phrodite, évéque de Philippes, chargé de lui remettre les offrandes de son Église pour
subvenir aux nécessités du glorieux et saint captif. C'est là qu'il reçut Qnésime, le pauvre
esclave fugitif qui venait conjurer Paul de solliciter sa grâce auprès de Philémon, son maître.
C'est là qu'il écrivit cette lettre si attendrissante dans laquelle il prie, par ses chaînes,
le maître d'Onésime de le recevoir comme son propre fils. En demandant, dans cette tou-
chante épître à Philémon. que les chaînes de l'esclavage fussent changées pour son cher
disciple en des liens de fraternité chrétienne, il rappelle ces autres chaînes qu'il portait
lui-même pour l'amour de Dieu et de ses frères. "C'est moi, le vieux Paul, maintenant le
captif de Jésus-Christ, qui vous conjure en faveur de mon fils, que. j'ai engendré dans les
fers, d'Onésime, qui vous a été autrefois inutile, et qui est utile maintenant à moi et à vous;
je vous l'ai renvoyé, recevez-le comme mes entrailles 2. C'est encore dans cette prison
que saint Paul écrivit aux Philippiens et aux Éphésiens c'est de là qu'il leur envoya le
tabellaire Tychicus, qu'il avait chargé de leur donner de ses nouvelles. Il y écrivit encore
sa seconde lettre à Timothée, comme le prouve ce passage si digne de son âme aposto-
lique « Je suis en prison, mais la parole de Dieu n'est point enchaînée. Puis, dans la
même lettre, le prisonnier de Néron entrait dans les détails de toutes les affaires de
l'Église, et priait son disciple de lui envoyer son manteau et ses papiers. On voit à la
fin de cette lettre qu'il se consolait de la prison où son corps était retenu, en pensant
que ce corps était lui-même une prison qui s'ouvrirait bientôt, et qu'il y avait un autre
juge qui devait réformer les arrêts de César. « Pour moi je m'en vais, et le temps de
ma décomposition approche. J'ai combattu un bon combat, j'ai consommé ma course, j'ai
gardé la foi il me reste à recevoir la couronne de justice que me rendra en ce jour le
Seigneur, le juste Juge, non-seulement à moi, mais aussi à tous ceux qui chérissent son
avénement ')
Rappelons enfin que c'est dans cette même prison que saint Luc, le fidèle compagnon
de Paul pendant cette captivité, a composé, ou tout au moins achevé sous ses yeux, les
Actes des Apôtres. La rédaction définitive de ce livre n'a eu lieu ni avant ni après cette époque,
puisque le récit se termine avec la seconde année de la détention de saint Paul. On croit
aussi que saint Pierre habita pendant quelque temps cette prison avec l'apôtre saint Jean
c'est au moins ce que semble indiquer un bas-relief en marbre placé au-dessus de l'autel.
Il est intéressant pour le pèlerin qui visite la prison de saint Paul de méditer ces glorieux

1. Mansit autem biennio toto in suo conducto, et suscipiebat omnes qui ingrediebantur ad eum, praedicansregnum Doi,
et docens quœ sunt de Domino Jesu Christo, cum omni fiducia, sine prohibitione. (Act. Apost., cap. xxvm, v. 30 et 31.)
2. Paulus senex, nunc autem et vinctus Jesu Christi, obsecro te pro meo filio, quem genui in vinculis, Onesimo, qui tibi ali-
quando inutilis fuit, nunc autem et mihi et tibi utilis, quem remisi tibi. Tu autem illum, ut mea viscera, suscipe. (V. 9-12.)
3. Ego enim jam delibor, et tempus resolutionis meae instat. Bonum certamen certavi, cursum consummavi, fidem servavi. In
reliquo reposita est mihi corona justifia*, quam reddet mihi Dominus in illa die justus judex non solum autem mihi, sed et iis qui
diliguntadventum ejus. (Cap. iv, v. 6-8.)
souvenirs de l'Église primitive, et de relire entre les quatre murs, encore subsistants, du
lieu où elles ont été écrites, ces touchants passages des épîtres du grand apôtre, qui font
allusion à sa captivité.
Le glorieux prisonnier de Néron ne considérait que la couronne invisible qui était pro-
mise à son fécond et laborieux apostolat; mais le juste Juge, qui se plaît à faire éclater la
gloire de ses Saints a voulu lui donner par surcroît la gloire terrestre, qu'il n'attendait
pas. Sa prison est devenue un sanctuaire aimé et vénéré par la piété des Romains et des
pèlerins catholiques. On y descend par un escalier situé sous le portique de la belle église
de Sainte-Marie t'Mt ~e~ qui a été construite au-dessus de la prison. On y voit un
modeste autel, et dans un angle, près du soupirail, une colonne de granit entourée d'une
chaîne antique scellée à sa base. La tradition affirme que ce fut avec cette chaîne et à cette
colonne que le geôlier Martial attachait Paul, son captif, et les autres prisonniers. Une
main ingénieuse a gravé à la colonne ces mots, qui sont de Paul lui-même Sao VERBUM
DEI NON EST ALLIGATUM. A l'autre extrémité de la prison, on voit un puits entouré de murs

peu élevés et surmonté d'un grillage. C'est là que se trouve la source d'eau vive que
l'apôtre fit jaillir miraculeusement pour baptiser d'abord Martial, son geôlier, et une foule de
néophytes qu'il convertit. Cette source miraculeuse conserve invariablement le même niveau.
La prison de saint Paul, à l'époque où il l'habitait, était de plain-pied. Si elle se trouve
aujourd'hui au-dessous du niveau de la rue, on ne doit pas s'en étonner, d'après tout ce
que l'on sait de l'exhaussement du sol, dont il existe des preuves nombreuses et
évidentes
dans la plupart des anciens quartiers de Rome.
Ce lieu si vénérable par les grands souvenirs qu'il rappelle, n'a pas cessé d'être entouré
de la pieuse sollicitude des souverains pontifes et des fidèles. Aussi voyons-nous qu'une des
plus anciennes diaconies de Rome y fut établie; or, les diaconies sont d'origine apostolique.
Tandis que l'autorité des pontifes consacrait cette illustre prison, le zèle des chrétiens se
plaisait à l'embellir. Une légion de martyrs, dominée par une image miraculeuse de la
Sainte Vierge, garde encore aujourd'hui ce lieu d'apostolique mémoire. Dans ce nouveau
ciel, où sont représentés tous les âges et toutes les conditions, on remarque surtout le
courageux diacre Agapet, dont le corps repose sous le maître-autel~.

Réflexions. chrétien ne désire rien tant que de voir s'étendre l'empire de Jésus-Christ.
1° Le vrai
2° Mais ce zèle pour la conversion des peuples est une prérogative
qui appartient à l'Église catholique, et
qu'aucune secte ne saurait lui envier.
(Imitation de J.-C., liv. II, ch. tx, v. 1.)

PRIÈRE. Saint Paul, ami de Dieu, très-admirable et très-saint apôtre, qui, pour l'amour de Jésus-
Christ et pour l'accroissementdans le monde de la foi catholique, avez été battu de verges à Philippes, puis
jeté dans les fers; qui avez été lapidé à Icône et à Thessalonique, puis livré aux bêtes à Éphèse; qui avez

4 Les trois Romes par M~ Gaume, t. Il, p. 73.


été forcé de vous enfuir de Damas; qui à Jérusalem avez été arrêté, chargé de chaînes et frappé jusqu'à en
mourir; qui enfin à Rome, sous Néron, avez été condamné à mort, oui, c'est vraiment pour l'amour de
Dieu et de votre prochain que vous avez consenti à tant souffrir. Oh! je vous en prie, très-glorieux apôtre,
très-glorieux martyr, très-glorieux docteur, que je sois préservé, par votre intercession, de tout ce qui pour-
rait m'empêcher de connaître mon Dieu, et obtenez-moi la rémission de tous mes péchés. Ainsi soit-il.
(Heures de Besançon, imprimées à Troyes, chez J. Lecoq, 1546.)
NOTICE
SUM LE

LIEU DU MARTYRE DE SAINT PAUL

A SAINT-PAUL-TROIS-FONTAINES.
( A.D.66.)

LORSQUE le pèlerin traverse la double arcade de la porte Saint-Paul de Rome, il a la


certitude de marcher sur les traces de saint Pierre et de saint Paul. Enfermés dans la prison
Mamertine au mois d'octobre, l'an 65, les deux apôtres en furent tirés le 29 juin de l'an 66,
pour aller ensemble au martyre. Ils venaient de passer la porte Trigemina, qui a pris depuis
le nom de porte Saint-Paul lorsque les licteurs exécutèrent l'ordre qu'ils avaient reçu
de les séparer. Pierre fut conduit au mont Vatican, où il devait être crucifié; Paul con-
tinua sa route vers les eaux Salviennes, qu'il devait immortaliser par sa mort. Les nombreux
chrétiens qui suivaient les saints apôtres furent témoins de leur séparation, et un vénérable
monument indique le lieu même où elle s'accomplit. C'est une petite chapelle située sur la
gauche de la voie d'Ostie, à dix minutes environ de la porte Saint-Paul. Sur le frontispice
on lit l'inscription suivante, écrite en vieux italien

IN QUËSTO LVOGO SI SEPARARONO S. PIETRO


ET S. PAVOLO ANDANDO AL MARTIRIO ET DISSE
PAVOLO A PIETRO;
LA PACE SIA CON TECO FUNDAMENTO
DE LA CHIESA ET PASTORE DI TVTTI
LI AGNELLI DI CHRISTO:
ET PIETRO A PAVOLO
VA IN PACEPREDICATORE DE BVONI
ET GUIDA DE LA SALVTE DE GIUSTI

<. Dionysius, in Epist. ad 7'MKO</teMM.


Cette précieuse inscription rend témoignage de deux faits parfaitement distincts la sépa-
ration des deux apôtres dans ce lieu lorsqu'ils allaient au martyre, et les adieux qu'ils se
firent en se quittant pour ne plus se retrouver que dans le ciel. Le premier est attesté par
la tradition des siècles, et le souvenir en est perpétué par la petite chapelle construite sur
le lieu même de la séparation. Le second fait repose sur l'autorité de saint Denis, qui a
pris soin de nous conserver les adieux apostoliques, sinon quant aux mots, du moins quant
au sens'.
Il est un troisième fait rappelé par la chapelle d'adieu, auquel la tradition et l'histoire
rendent également témoignage. Lorsque les deux saints apôtres se furent embrassés pour la
dernière fois, suivant l'usage des chrétiens, et que chacun eut pris le chemin de son mar-
tyre, Paul aperçut dans la foule une noble matrone, appelée Plautilla, qui avait reçu le
baptême de saint Pierre. L'apôtre lui demanda son voile, afin de s'envelopper la tête pen-
dant l'exécution~, en promettant qu'il Jui serait bientôt rendu. Plautilla s'empressa de donner
son voile au saint apôtre. La chapelle d'adieu indique encore le lieu où s'accomplit cet
acte de courageuse charité.
A deux milles de là, en suivant la route solitaire entre de nombreux accidents de ter-
rain, le pèlerin traverse sur un pont étroit les eaux salviennes, et aperçoit bientôt le fron-
tispice élancé de Saint-Paul-Trois-Fontaines, sur lequel brillent aux rayons du soleil ces mots
écrits en grandes lettres d'or

PAUH APOSTOLI MARTYRII LOCUS


S.
UBI TRES FONTES MIRABILITER ERUPERUNT.

« Lieu du martyre de l'apôtre saint Paul, où jaillirent miraculeusement trois fontaines.

Al'angle de l'église, derrière une forte grille en fer, on voit la colonne à laquelle Paul
était lié lorsque la hache du licteur lui trancha la tête. Cette colonne, ou plutôt ce tronçon
de colonne, est de marbre blanc et peut avoir cinq pieds de hauteur sur quatre de circon-
férence. L'autel du saint, éloigné de quelques pas, est orné de colonnes de porphyre noir,
uniques en grandeur et en beauté. En se rendant au lieu du supplice, Paul avait converti
à la fois trois soldats qui faisaient partie de l'escorte, Longinus, Augustus et Mégitus. La
mort du grand apôtre devait être signalée par un miracle plus grand encore. Avant de
quitter le monde qu'il avait conquis à la foi, Paul lui devait un témoignage immense,
éternel, qui résumât, en les confirmant, tous les prodiges de sa vie, et qui, perpétuel-
lement visible aux yeux des générations, les auérmît dans la doctrine du christianisme
jusqu'au jour de l'éternité. La divine Providence accorda au monde ce grand miracle.
La tête de l'apôtre martyr tombe sous le tranchant du glaive, et aussitôt deux miracles

Voir, sur l'authenticité de cette lettre de saint Denis, Choggio, De ~o~. div. Petri, etc., p. 25 et 26.
2. H était d'usage, chez les Romains, que les condamnés à la peine capitale s'enveloppassentla tête d'un voile pendant leur
exécution. L'historien Josèphe et les Actes de saint Cyprien parlent de cet usage.
s'accomplissent à la fois au lieu de sang, c'est du lait qui jaillit; la colonne, la terre, le
bras, la chlamyde du licteur en sont inondés 1. La tête fit trois bonds en tombant de la
colonne, et des trois points du sol qu'elle toucha, jaillirent trois fontaines qui coulent encore.
Elles sont renfermées dans l'église, laissant entre elles quatre pieds environ d'intervalle et
conservant chacune sa température différente 2.
Après l'exécution, Plautilla enveloppa dans un voile la tête de l'apôtre, qu'elle vint
déposer dans la catacombe de Lucine, sur la voie d'Ostie. Par les soins d'une matrone qui
portait également le nom de Lucine, le reste du corps fut transporté dans le même cimetière
Pendant que cela se passait, le prêtre Marcel donnait, à l'autre extrémité de Rome, une
royale sépulture à Pierre, qui venait d'expirer sur les hauteurs du Vatican.
La seconde église est celle de l'ancien monastère de l'ordre de Cîteaux, dédiée aux saints
martyrs Vincent et Anastase. Elle est remarquable en ce qu'elle nous offre un type parfait
de la structure des premières églises des Cisterciens. Le style roman domine dans cette
église, et il est empreint d'un caractère de pureté et de vigueur fort remarquables les
pilastres sont ornés d'une fresque de Raphaël représentant les douze apôtres. L'Orient et
l'Occident sont pour ainsi dire réunis dans cette église, le premier, par saint Anastase,
martyrisé en Perse sous Chosroès; le second, par saint Vincent, la gloire de l'Espagne. La
plus grande partie de leurs corps est réunie en ce lieu comme pour servir de témoignage à
l'unité et à la catholicité de la foi.
La troisième église est consacrée à la Sainte Vierge sous le titre de Sancta Maria Scala
Co~t. Ce nom lui est venu d'une vision qu'y eut saint Bernard. En célébrant le saint sacri-
fice, il vit une échelle mystique par laquelle les âmes du purgatoire montaient au ciel. Cette
église fort ancienne est ornée d'une grande et précieuse mosaïque de Quera Florentin elle
a été fort bien restaurée au xvi" siècle. Elle renferme les reliques de dix mille deux cent
trois martyrs mis à mort sous Dioclétien, en haine de Jésus-Christ et de la foi chrétienne,
comme l'atteste l'inscription'suivante, qu'on lit sur la porte de la catacombe de saint Zenon

HIC REQUIESCUNT CORPORA


S. MARTYRIS ZENONISS TRIBUN!
ET SOCIORUM MILITUM
DECEM MILLIUM
DUCENTORUM TRIUM.

Le savant auteur des Esquisses sur fait remarquer le contraste frappant


Rome chrétienne
rapproché du berceau de Rome païenne. « Rome
que présente le berceau de Rome chrétienne,
païenne, dit Monseigneur Gerbet, a été fondée par deux frères dont l'un a égorgé l'autre. La
ville qui devait régner sur le monde par le glaive, a été marquée originairement de la même
tache de sang que la première ville de guerre, construite par Caïn, le père de la race des

1. Ce fait est attesté par saint Ambroise, Serm. 68, et saint Jean Chrysostome, Orat. in prtMC..4~o.«.
2. Baronius, ~MMs~es. t. 1er, p. 478. 3. 76~ t. I' p. 478, H. 43.
géants. Rome chrétienne a eu pour fondateurs deux hommes qui étaient pacifiques comme
Abel, l'âme de la race des justes, qui étaient plus frères par l'âme qu'on ne l'est par la
chair, qui sont morts de la même mort, du même dévouement, aux portes de la même
ville, la même année, le même jour, et plus tard, comme nous le dirons, leurs ossements
ont été mêlés ensemble ces deux frères n'ont pas été divisés même dans la mort 1. L'an-
tique fratricide a été remplacé par une fraternité divine qui a présidé & la seconde nais-
sance de Rome, destinée désormais à répandre par toute la terre, avec l'Évangile, le dogme
et le sentiment de la fraternité humaine. La tradition, qui nous montre l'endroit où ces
fondateurs de Rome chrétienne se sont embrassés avant de mourir, ajoute un dernier trait
à ces .analogies »
Saint Paul a laissé quatorze épîtres, qui renferment toute la religion et la morale chré-
tienne. Ces épîtres, qui sont autant de chefs-d'œuvre, renferment les vérités fondamentales
de la religion, les devoirs de la morale, et elles respirent le plus tendre amour pour Jésus-
Christ. Avec quelle lucidité Paul sonde les abîmes de la charité de Jésus-Christ qui surpasse
toute science avec quelle sûreté d'expression il nous fait connaître la vertu de la Croix
par laquelle le ciel est réconcilié avec la terre! avec quelle sublimité de langage il célèbre
le mystère de l'unité par lequel les anges et les hommes ne forment plus qu'une même
famille, dont Dieu est le père et dont Jésus-Christ' est le chef!

.Re/rM)?M. 1" Lesépîtres de saint Paul sont le plus beau commentaire de l'Évangile. 2° Lisons- les
avec assiduité, mais lisons-les aussi avec piété. 3° C'est l'esprit de Dieu qui les a dictées, et il n'appartient
qu'au même esprit d'en donner l'intelligence.
(lmitation de J.-C., liv. III, ch. vu, v. 4.)

P)UERE. Glorieux apôtre de Dieu, père de la sainte Église, prédicateur et docteur de notre sainte foi,
qui avez labouré le champ de la sainte doctrine, lavé, arrosé de vos sueurs et de votre sang, maintenant
que vous régnez glorieusement avec Dieu, je vous supplie humblement de vous souvenir de moi, en priant
Dieu qu'il m'accorde le don d'une foi ferme et d'une brûlante charité. Obtenez-moi le don de science, afin
que je sache ce que je dois faire ou éviter, afin que je connaisse l'état présent de mon âme et la fin à
laquelle je dois tendre, et que, mettant en pratique la loi que vous avez prêchée, je mérite de partager un
jour votre bonheur dans le ciel.
(Choix de Prières, tirées des manuscrits du xine siècle.)

1. !n morte
quoque non sunt divisi. Reg. lib. H, cap. v. 23.
ï. ~MtMM de Rome chrétienne, par MF Gerbet, évéque de Perpignan, Introduct., p. 2~ et 22.
PLATONIA

DE

SAINT PIERRE ET DE SAINT PAUL

A LA BASILIQUE SAINT-SÉBASTIEN HORS LES MURS.

L'église Saint-Sébastien hors les murs est comptée au nombre des basiliques constan-
tiniennes. Elle est bâtie sur les célèbres catacombes de Saint-Callixte; la façade est ornée
d'un portique soutenu par six colonnes de granit; la nef est large, élevée, et se termine
par un autel décoré de quatre colonnes de vert antique. La partie la plus remarquable et la
plus vénérée de cette église est la Platonia ou Locus ad catacumbas. On appelle de ce nom le
lieu où reposèrent pendant quelque temps les corps de saint Pierre et de saint Paul.
La Platonia est une espèce de souterrain passablement éclairé où se trouve un puits
qui est devenu célèbre dans l'histoire. Ce souterrain avait reçu dès les premiers temps une
visite qu'il n'attendait pas quelques hommes y étaient entrés mystérieusement, portant deux
cadavres auxquels ils donnaient des marques extraordinaires de respect, et qu'ils firent des-
cendre avec précaution dans un puits creusé au centre. C'étaient les corps des saints apôtres
Pierre et Paul que l'on avait dû retirer de leurs premiers tombeaux. On raconte que, l'empe-
reur Héliogabale ayant voulu agrandir son cirque du Vatican, afin que ses éléphants pussent
y courir plus à l'aise, les chrétiens avaient craint que le lieu où le corps de saint Pierre
reposait ne fût envahi et profané; et comme quelque nouveau caprice du fou couronné pou-
vait menacer aussi le cimetière de Lucine qui possédait les reliques de saint Paul, ils
avaient transporté secrètement les corps des deux apôtres dans les Catacombes.
Une autre version, qui paraît mieux fondée, explique autrement le fait de la déposi-
tion des corps des saints apôtres dans ce souterrain. Suivant cette version, il advint dans le
premier siècle même que des chrétiens d'Orient, jaloux de posséder les restes de saint
Pierre et de saint Paul, les enlevèrent furtivement comme un bien qui leur appartenait,
parce que ces apôtres étaient leurs compatriotes, et qu'ils voulaient les rendre à leur pays.
Craignant d'être découverts, ils les avaient cachés provisoirement dans ce souterrain. Mais
au moment où ils se disposaient a les en retirer pour continuer leur route, un orage, qui
survint comme une menace du ciel, les en empêcha, et les chrétiens de Rome, qui avaient
été avertis à temps, reprirent ces deux corps. L'inscription que le pape saint Damase.
qui vivait au iv' siècle, a fait graver sur une pierre des Catacombes,- confirme ce récit

HIC HABITASSE PRIUS SANCTOS COGNOSCERE DEBES,


NOMINA QUISQUE PETRI PARITER PAULIQUE REQUIRIS.
DISCIPULOS ORIENS MISIT, QUOD SPONTE FATEMUR
SANGUINIS OB MERITUM CHRISTUMQUE PER ASTRA SECUTI,
IETHEREOS PETIERE SINUS ET REGNA PIORUM.
ROMA SUOS POTIUS MERUIT DEFENDERE CIVES.
HAC DAMASUS VESTRAS REFERAT NOVA SIDERA LAUDES.

« Vous qui cherchez les noms de Pierre et de Paul, vous devez savoir que ces saints ont demeuré
autrefois ici. Ils sont, nous l'avouons volontiers, les enfants de l'Orient qui nous les a envoyés. A la suite
du Christ, et par le mérite de leur martyre, ils sont arrivés au port céleste et dans le royaume des justes.
Mais Rome a dû défendre ceux qui étaient devenus ses concitoyens'. »

Par la double allusion qu'elle fait à la jalousie des Orientaux et au devoir qu'avait
Rome de garder ses apôtres, cette inscription s'adapte à la tradition consignée dans les
œuvres de saint Grégoire. Voici cette tradition
« On sait, dit saint Grégoire, qu'au temps de leur martyre (il
parle des saints apôtres),
les fidèles vinrent de l'Orient redemander leurs corps à titre de compatriotes. Les ayant
emportés à deux milles, hors de la ville, dans le lieu dit aux Catacombes, ils les y dépo-
sèrent. Réunis en grand nombre, ils s'efforcèrent ensuite de les enlever mais la violence
du tonnerre et de la foudre les effraya et les dispersa, au point qu'ils n'osèrent plus
renouveler leur tentative. Alors les Romains sortirent de la ville, et, par un effet de la
bonté divine, ils enlevèrent les corps et les déposèrent la où ils sont aujourd'hui~. »
D'après cette tradition, les corps des apôtres ont été reportés tout de suite dans leur
première demeure; tandis que, suivant l'autre légende, ils seraient restés dans les Catacombes
pendant une trentaine d'années environ, depuis le règne d'HéliogabaIe jusqu'au temps du
pape saint Corneille, qui les aurait réintégrés dans leurs tombeaux. Le caveau où les saints
corps reposèrent se trouve sous l'autel qu'on voit au milieu de la Platonia. Il n'y a pas
d'autre ouverture que le jour étroit pratiqué à l'une des extrémités. Pour y pénétrer, il faut
nécessairement déplacer une portion de l'autel.
M. Perret', architecte français, explora la Platonia en 18~9. Il fit enlever les décombres
qui remplissaient le caveau, et mit ainsi à découvert les larges plaques en marbre dont la
Platonia tire son nom

1. Constat quia oo tempore quo passi sunt, ex Oriente fideles venerunt qui eorum corpora sicuti civium suorum repete-
rent. Quœ ducta usque ad locum, qui dicitur ad Catacumbas,collocata sunt. (Gregor., <M~CoMS<<M<tM. August. Epistol., lib. IV.)
2. Ibid., lib. IV, ep. 0.
3. Le gouvernementfrançais a fait publier, à ses frais, les beaux dessins copiés aux Catacombes par M. Perret.
4. Roma sotteranea, etc., de Bosio; in-4", Rome, Grignani, 1650, pages 256 et suiv.
Voici comment la Correspondance de /~H!e~ rendait compte
de cette intéressante explora-
tion « Depuis plusieurs siècles, le puits (caveau) a été rarement visité. M. Perret en a
mesuré exactement toutes les parties. La forme est un carré de 2 mètres 60 centimètres.
Le haut est formé par une voûte à cinq portions de cercle. Le fond, divisé en deux parties,
et les côtés sont revêtus de marbre blanc, à la hauteur de 1 mètre 15 centimètres. On voit
une ouverture qui communique probablement avec les Catacombes. Des traces de peintures
qu'on discernait à peine firent espérer que ce lieu saint en était couvert. Après un travail
de plusieurs jours afin d'enlever le mortier et le nitre très-épais qui les couvraient depuis
plusieurs siècles peut-être, M. Perret a trouvé une peinture assez bien conservée, ainsi
composée Notre-Seigneur, au milieu d'un arc-en-ciel, la tête entourée de l'auréole; saint
Pierre à sa droite, dans une attitude de suppliant; il paraît recevoir quelque chose de
Notre-Seigneur; saint Paul est a sa gauche, et, de chaque côté, un palmier fleuri. Cet
ensemble de peintures occupe tout le côté opposé à l'entrée. Sur la partie latérale à
gauche, M. Perret a découvert aussi une figure tenant une couronne à la main. On voit du
même côté les traces de quatre autres personnages tenant aussi des couronnes. Tout porte
à croire que du côté opposé sont encore cinq figures, ce qui formerait le nombre des douze
apôtres.
«Les figures de Notre-Seigneur, de saint Pierre et de saint Paul ont environ 90 centi-
mètres de hauteur, celles des côtés latéraux n'ont que 70 centimètres plusieurs filets de
diverses couleurs les divisent de la voûte, qui est ornée de compartiments crucifères.
« Ces peintures remontent au iv' siècle.
Telle est du moins l'opinion de M. Minardi, à
qui M. Perret a fait part de sa découverte. Ce serait précisément l'époque où saint Damase
fit revêtir ce lieu de plaques de marbre; il est à croire que les 'peintures furent faites en
même temps.
La gravure ci-jointe représente la Platonia telle qu'elle existe aujourd'hui. Sur les gradins
supérieurs de l'autel, on voit les bustes des saints apôtres. L'orifice du caveau dans lequel
reposèrent leurs corps, est au dessous de l'autel. Pour pénétrer dans ce caveau, il faut
nécessairement déplacer une partie de l'autel. On vénérait autrefois, dans ce même caveau,
la chaire pontificale rougie du sang du pape Étienne, égorgé dans ce lieu pendant la célé-
bration des saints mystères. Il n'en reste plus, dans ce souterrain, que la place assez
reconnaissable. Le grand-duc de Toscane, Cosme III, a eu la malheureuse dévotion de
demander et le fatal pouvoir d'obtenir cette chaire. Il l'a transportée dans l'église des
Chevaliers de Saint-Étienne, à Pise, où elle est privée de son entourage naturel, au lieu
de la laisser là où elle semblait fixée pour toujours, sous le triple sceau de l'antiquité, du
sang et d'un grand souvenir.
Pie VI, dans un rescrit du 28 juillet 1778, accorda par l'organe de la secrétairerie des
Mémoriaux, une indulgence de cent jours aux fidèles qui, contrits, réciteront au moins une
fois le jour la prière suivante, avec un Pater, Ave et Gloria, en l'honneur des saints apôtres
Pierre et Paul.
Sa Sainteté accorda de plus une indulgence plénière, applicable aux fidèles défunts, à

1. Numérodu 44 avril 4849.


toutes les fêtes de saint Pierre et de saint Paul, et à chacun des neuf jours qui précèdent
et de l'octave qui suit ces fêtes, pourvu que, s'étant confessés et ayant fait la communion,
ils visitent dévotement une église ou autel dédié aux saints Apôtres, y récitent ladite orai-
son, et y prient pour la sainte Église et le souverain Pontife.

Réflexions. vénérer les précieux restes des héros de la religion. 20 En versant leur
10 H est juste de
sang pour Jésus-Christ, ils nous ont transmis la foi dans toute sa pureté et montré la voie qui conduit au
salut.

PRIÈRE. 0 saints apôtres Pierre et Paul, je vous choisis aujourd'hui et à jamais pour mes protec-
teurs et mes avocats particuliers; je me réjouis humblement, tant avec vous, saint Pierre, prince des apôtres,
de ce que vous êtes cette pierre sur laquelle Dieu a bâti son Église, qu'avec vous, saint Paul, choisi de
Dieu pour être un vase d'élection et le prédicateur de la vérité dans tout l'univers. Obtenez moi, je vous
supplie, une foi vive, une espérance ferme, une charité parfaite, un entier oubli de moi-même, le mépris
du monde, la patience dans les adversités, l'humilité dans la prospérité, l'attention dans la prière, la pureté
de cœur, la droiture d'intention dans mes actions, la diligence à remplir les devoirs de mon état, la con-
stance dans mes résolutions, la résignation à la volonté de Dieu, la persévérancedans la grâce divine jusqu'à
la mort, afin qu'ayant, par votre intercession et par vos glorieux mérites, surmonté les tentations du monde,
du démon et de la chair, je sois digne de paraître devant le souverain et éternel Pasteur des âmes, Jésus-
Christ, qui vit et règne, avec le Père et le Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles, pour le posséder
et l'aimer pendant toute l'éternité. Ainsi soit-il! 1 Pater, Ave et Gloria.
LES

BAINS. DE SAINTE CÉCILE


(A. D. 224.)

ï.

SAINTE CECJLE~ vierge, naquit à Home d'une famille noble qui jouissait des honneurs du
patriciat. Élevée dès le berceau dans la foi chrétienne, Cécile pratiquait avec une entière
fidélité la loi divine que le Christ est venu apporter aux hommes. Elle se voua dès son
enfance à la virginité, mais ses parents aspiraient à contracter pour elle une alliance hono-
rable. Embellie de toutes les grâces de la nature, faible image de la beauté de son âme,
Cécile leur semblait mûre pour un hymen terrestre. Valérien était le nom du jeune homme
qui devait recevoir la main de la jeune vierge. Le jour des noces étant venu, tandis que les
bruyants et profanes concerts s'exécutaient pendant le festin, Cécile chantait aussi, mais dans
son cœur, et sa mélodie s'unissait à celle des anges. Elle redisait au Seigneur cette strophe
du psalmiste qu'elle adaptait à sa situation « Seigneur Seigneur veillez sur mon cœur
et sur mon corps, et faites la garde autour d'eux, pour qu'ils vous restent immaculés et
purs. L'Église redit chaque année ces paroles de la vierge au jour de son triomphe, et,
pour honorer le sublime concert que Cécile exécutait avec les esprits, elle l'a saluée Reine
de l'harmonie. Or, vint la nuit où elle se trouva seule avec son époux dans la chambre
nuptiale, et elle lui dit 0 très-doux et bien-aimé jeune homme' j'ai un secret à te
révéler; mais il faut que tu me jures de le garder scellé "dans ton âme.Valérien le lui
jura. Alors elle lui dit: "J'ai pour amant un Ange de Dieu, jaloux de la virginité de mon
corps, et qui la garde jour et nuit avec son glaive. Si tu l'outrageais, il te frapperait, et
tu perdrais la fleur de ta charmante jeunesse; mais s'il voit que tu m'aimes d'un amour
chaste et pudique, il t'aimera lui aussi, et il se montrera à toi dans sa gloire. –Valérien
lui répondit « Si tu veux que je te croie, fais-moi voir cet Ange, et si je reconnais que
c'est un Ange, je ferai ce que tu voudras; mais si c'est un homme, que tu aimes, je vous
frapperai tous deux de mon épée. » Cécile lui dit « Si tu crois au vrai Dieu, et que tu

me promettes de te faire baptiser, je te le ferai voir. Va au troisième mille de la voie


Appienne; tu y trouveras des pauvres qui demandent l'aumône aux passants. J'ai toujours
eu soin d'eux; et ils connaissent mon secret. Quand tu les auras rencontrés, donne-leur
la bénédiction, et dis-leur Cécile m'a envoyé vers vous pour que vous me fassiez voir le
saint vieillard Urbain. Elle m'a chargé d'une commission secrète que je dois lui faire. Quand
ils t'auront mené auprès de lui, rapporte-lui toutes mes paroles; il te baptisera, et au
retour, mon Ange se montrera à toi. Valérien partit donc, et trouva saint Urbain caché
parmi les tombes dans le cimetière des Martyrs, aujourd'hui cimetière de Saint-Calixte.
Comme il lui eut rapporté les paroles de Cécile, le vieillard leva les bras au ciel, et s'écria
en pleurant « Seigneur Jésus-Christ, semeur des prudents conseils et des pensées chastes,
viens cueillir les fruits qu'a produits pour toi le grain dont tu as semé l'âme de Cécile. Sei-
gneur Jésus-Christ, pasteur des âmes, bénis-la de toutes tes bénédictions, car l'époux qu'elle
avait reçu lion rugissant, elle te le renvoie agneau pacifique. Comme il parlait, voilà qu'ap-
paraît un grand vieillard en robe blanche, et qui portait un livre écrit en lettres d'or. A sa
vue, Valérien tomba comme mort devant sa face; mais il le releva, et ouvrant le livre, il
y lut UN SEUL DiEU, UNE SEULE FOI, UN SEUL BAPTÊME; UN SEUL DIEU AU-DESSUS DE TOUT, EN TOUT

ET PARTOUT. Quand il eut fini de lire, il dit à Valérien « Crois-tu que cela soit vrai?" Valé-
rien ayant dit qu'il croyait, le vieillard disparut, et aussitôt saint Urbain baptisa Valérien.
Or Valérien, en rentrant dans la chambre nuptiale, y trouva l'Ange qui s'entretenait avec
Cécile. L'Ange tenait dans ses mains deux couronnes faites de roses et de lis il en donna
une à Cécile et l'autre à Valérien, et leur dit « Gardez ces couronnes, et avec elles le
cœur pur et le corps vierge ce sont des roses et des lis du Paradis je les ai cueillis
pour vous et je vous les apporte. Jamais ils ne se faneront jamais leur parfum ne s'éva-
porera et des yeux chastes pourront seuls les voir. Maintenant, toi, Valérien, parce que tu
as acquiescé au désir pudique de Cécile, le Christ, Fils de Dieu, m'a envoyé vers toi pour
recevoir toute demande que tu aurais à lui adresser. ') Le jeune homme, saisi de reconnais-
sance, se prosterne aux pieds du divin messager, et lui dit Rien en cette vie ne m'est
plus doux que l'affection de mon frère. Je réduirai donc mes demandes à une seule je
supplie le Christ de délivrer mon frère Tiburce, comme il m'a délivré moi-même, et de
nous rendre tous deux parfaits dans la confession de son nom. » L'Ange répondit
« Ta parole
plaît au Seigneur; tous les deux vous viendrez à lui, une palme de martyr en
main. » L'Ange remonta aux cieux et laissa les époux dans la plénitude de leur bonheur.
Comme ils s'entretenaient ensemble, Tiburce, frère de Valérien, impatient de le revoir, entra
et vint suspendre ce colloque angélique mais quelle fut sa surprise de sentir émaner dans
la chambre des époux une odeur de roses et de lis « D'où vient donc cette odeur de
roses dans cette saison? s'écrie Tiburce. Quand je tiendrais en main le plus odorant bouquet
de ces fleurs, je ne respirerais pas un parfum plus embaumé; il me semble que ce parfum
pénètre dans mon sang, le rafraîchit et le ravive." –Valérien lui dit: « C'est moi, ô Tiburce,
qui ai obtenu pour toi la faveur de sentir cette suave odeur; si tu veux croire, tu mériteras
même de voir les fleurs dont elle émane. C'est alors que tu connaîtras celui dont le sang
est vermeil comme les roses et dont la chair est blanche comme le lis 1. Cécile et moi

<. Il est inutile de faire observer que Valérien désigne, sous ce langage figuré, le mystère de l'Eucharistie, que les premiers
chrétiens ne révélaient point aux infidèles, et qui n'était manifesté aux catéchumènesque peu de jours avant leur baptême.
nous portons des couronnes que tes yeux ne peuvent voir encore les fleurs qui les com-
posent ont l'éclat de la pourpre et la pureté de la neige. « Est-ce un songe, ô Valérien,
s'écria Tiburce, ou parles tu selon la vérité? Il Jusqu'ici, répondit l'époux de Cécile,
notre vie n'a été qu'un rêve; mais maintenant nous sommes dans la vérité, et il n'y
point eu pour nous de mensonge; car les dieux que nous adorions ne sont que des démons. »
« Comment le sais-tu? répondit Tiburce. Valérien répondit a Un Ange du Seigneur
me l'a enseigné et tu pourras voir toi-même cet esprit bienfaisant, si tu veux te purifier
de la souillure des idoles. » « Et combien de temps, répliqua Tiburce, devrai-je attendre
cette purification qui me rendra digne de voir l'Ange de Dieu » « Elle sera prompte,
reprit Valérien jure moi seulement que tu renonces aux idoles et qu'il n'est qu'un seul
Dieu dans les deux." « Je ne comprends pas, dit Tiburce, à quelle fin tu exiges de moi
cette promesse. »
Alors Cécile prit à son tour la parole et démontra à Tiburce la vanité des idoles d'airain
et de bronze, muettes et sourdes comme leur enveloppe de métal; elle n'avait pas fini,
que Tiburce convaincu s'écria « Celui qui ne croit pas à tout cela est un insensé. Alors
Cécile, découvrant sa poitrine, la baisa, et lui dit « Aujourd'hui je te reconnais pour mon
frère; je suis ta sœur dans le Christ, comme je suis dans le Christ l'épouse de ton frère.
Va donc avec lui pour que tu sois baptisé, et que tu puisses voir les visages angéliques.
–Valérien conduisit son frère Tiburce au pape Urbain, qui lui donna le baptême. Mais les
deux frères, ayant été dénoncés au proconsul romain, furent condamnés à mort. Le jour de
leur exécution, aux premières clartés de l'aube, Cécile vint les encourager « Allez soldats
du Christ, leur dit-elle rejetez les œuvres de ténèbres et couvrez-vous des armes de la
lumière. » Les deux martyrs furent conduits à quatre milles de la ville, dans le temple de
Jupiter, et comme ils refusèrent de sacrifier, ils y reçurent du même coup la mort et la cou-
ronne de vie. Cécile recueillit leurs corps et les ensevelit. La jeune vierge ne tarda pas à
suivre son époux. Almachius, préfet de Rome. la fit traduire à son tribunal comme épouse
de Valérien, et lui ordonna de sacrifier ou de se préparer à la mort. Or, les officiers du
tribunal se pressaient autour d'elle, et ils pleuraient de voir cette belle jeune fille qui allait
mourir; mais elle leur dit 0 bons jeunes gens, ne pleurez ni sur ma beauté ni sur ma
jeunesse, car je ne fais que les échanger contre une beauté meilleure et contre une jeunesse
sans déclin. C'est donner de la boue pour recevoir de l'or; c'est changer une chaumière
contre une maison dorée. Tout ce que j'aurai donné à Dieu, il me le rendra au centuple.
Croyez-vous à ce que je vous dis là? Ils répondirent tous « Nous croyons que le Christ.
fils de Dieu, qui possède une telle servante, est le vrai Dieu. » Le pape Urbain baptisa les
nouveaux convertis au nombre de plus de quarante.
Almachius fit rappeler Cécile a son tribunal. Il frémit a la vue d'une victime si douce
et si fière, et, feignant de ne pas la reconnaître pour la fille des Cœcilius, il ouvrit ainsi
l'interrogatoire c Jeune fille, quel est ton nom?" « Devant les hommes, je m'appelle
Cécile, dit la vierge; mais chrétienne est mon plus beau nom." « Quelle est ta condition?»
»
« Citoyenne de Rome, de race illustre et noble. D'où te vient cette assurance devant
moi ?" « D'une conscience pure et d'une
foi sincère. » n Pourquoi cet orgueil dans tes
paroles ?" Elle répondit « Ce n'est pas de l'orgueil c'est de la fermeté. Almachius
dit « Ignores-tu donc quel est mon pouvoir?» « Et toi, ignores-tu quel est mon nancé."»
« Quel est-il? « Le Seigneur Jésus-Christ. » « Malheureuse, ne sais-tu pas que nos
maîtres, les invincibles empereurs, ont ordonné que ceux qui ne voudront pas nier qu'ils sont
chrétiens soient punis, et que ceux qui consentiront à le nier soient acquittés. » Cécile
répondit « Est-il une conduite plus impie et plus funeste que la vôtre? Vous employez les
tortures pour faire avouer aux malfaiteurs la qualité de leurs délits et leurs complices s'agit-il
de nous, tout notre crime est dans notre nom, et il nous suffit de renier ce nom pour
trouver grâce devant vous. Mais nous connaissons toute la grandeur de ce nom sacré, et
nous ne pouvons pas le renier. Mieux vaut mourir pour être heureux, que vivre pour être
misérables. Vous voudriez entendre de notre bouche un mensonge mais en proclamant la
vérité, nous vous infligeons une plus cruelle torture que celle que vous nous faites subir. n
« Malheureuse femme, dit Almachius, ignores-tu donc que le pouvoir de vie et de mort
est déposé entre mes mains par l'autorité des invincibles princes? Comment oses tu me
parler avec cet orgueil? Autre chose est l'orgueil, autre chose est la fermeté reprit la
vierge j'ai parlé avec fermeté, non pas avec orgueil, car nous avons ce vice en horreur.
Si tu ne craignais pas d'entendre encore une vérité, je te montrerais que ce que tu viens
de dire est faux. » « Voyons, dit le préfet, qu'ai-je dit de faux? » a Tu as prononcé
une fausseté, répondit Cécile, quand tu as dit que les princes t'avaient conféré le pouvoir
de vie et de mort. » « Ai-je donc menti en disant cela? répliqua alors le préfet étonné.
"Oui, dit la vierge, et si tu me le permets, je te prouverai que tu as menti contre
l'évidence même. » « Explique toi » reprit Almachius déconcerté.–«N'as-tu pas dit,
répliqua Cécile, que les princes t'ont conféré le pouvoir de vie et de mort ? Tu sais bien
cependant que tu n'as que le seul pouvoir de mort. Tu peux ôter la vie à ceux qui en
jouissent, j'en conviens; mais tu ne saurais la rendre à ceux qui sont morts. Dis donc que
tes empereurs ont fait de toi un ministre de mort, mais rien de plus si tu ajoutes autre
chose, tu mens, et sans aucun avantage. »
Le préfet, dissimulant la honte de cet affront, lui dit avec une modération feinte
« Laisse là cette audace et sacrifie aux dieux. » En prononçant ces paroles, il désignait les
statues qui remplissaient le prétoire. Cécile répondit « Il me paraît que tu as perdu l'usage
des yeux. Les dieux dont tu me parles, moi et tous ceux qui ont la vue saine, nous ne
voyons en eux que des pierres et des pierres inutiles. Palpe -les plutôt toi-même, tu sen-
tiras ce qu'il en est. Ces statues de pierre feraient plus de service, si on les jetait dans
une fournaise pour les convertir en chaux. Elles s'usent dans leur oisiveté, et sont inca-
pables de se défendre des flammes ou de t'en tirer toi-même. Le Christ seul peut sauver
de la mort, et délivrer du feu l'homme coupable. » Ce furent les dernières paroles de Cécile
devant le juge. La vierge venait de venger, par ses énergiques réponses, la dignité humaine
que la tyrannie païenne avait si indignement violée; elle avait ûétri le matérialisme grossier
qui asservissait le monde, et confessé courageusement la doctrine divine qui allait le régé-
nérer. Il ne lui restait plus qu'à recevoir les palmes du martyre qu'elle avait conquises.
Almachius, irrité de n'avoir pu vaincre la constance de Cécile, ordonna qu'on la
recon-
duisît à sa maison, afin qu'elle y reçût la mort sans bruit et sans tumulte. Il craignait de
donner de l'éclat à l'exécution de cette jeune femme, qui, outre qu'elle appartenait à
une
famille patricienne, joignait à tant de grâces le don d'attirer à elle tous les nobles
cœurs.
Les ordres d'Almachius portaient qu'elle serait enfermée dans la salle des bains de
son palais,
que les Romains appelaient le caldarium. On devait allumer un feu violent et continu dans
l'hypocauste, et la vierge, laissée sans air sous la voûte ardente, aspirerait la mort avec
la vapeur embrasée, sans qu'il fût besoin de faire venir un licteur pour l'immoler.
Ce lâche expédient fut sans succès. Cécile, toute rayonnante de joie, entra dans le lieu
de son martyre, et y passa tout le reste du jour et la nuit suivante, sans que -l'atmosphère
enflammée qu'elle respirait eût fait distiller de ses membres la plus légère moiteur. Une
rosée céleste, semblable à celle qui rafraîchit les trois enfants dans la fournaise de Babylone,
tempérait délicieusement les feux de ce redoutable séjour. En vain les ministres de la cruauté
d'Almachius attisaient l'incendie par le bois qu'ils plaçaient sans cesse sur le brasier; en
vain un souffle dévorant s'échappait continuellement par les bouches de chaleur; Cécile était
invulnérable, et attendait avec calme qu'il plût à l'Époux divin de lui ouvrir une autre
route pour aller à lui. Un licteur reçut l'ordre de lui trancher la tête, dans le lieu
même où elle se jouait de la mort. Cécile accueillit avec allégresse le bourreau qui lui appor-
tait avec la mort la couronne nuptiale. Le licteur brandit son glaive avec vigueur, mais son
bras mal assuré ne put, après trois coups, abattre la tête de la vierge; et comme une loi
défendait au bourreau qui, après trois coups, n'avait pas achevé sa victime, de la frapper
davantage, il dut laisser Cécile baignée dans son sang aux prises avec la mort. L'héroïque
vierge survécut pendant trois jours à son supplice. Elle en profita pour exhorter les fidèles
qui l'entouraient à demeurer fermes dans la foi. Avant de mourir, Cécile reçut la visite du
pape Urbain, et lui adressa ces dernières et touchantes paroles « Père, j'ai demandé au Sei-
gneur ce délai de trois jours, pour remettre aux mains de Votre Béatitude mon dernier
trésor; ce sont les pauvres que je nourrissais, et auxquels je vais manquer. Je vous lègue
aussi cette maison que j'habitais, afin qu'elle soit par vous consacrée en église, et~qu'elle
devienne un temple au Seigneur à jamais. »
Ce furent les dernières paroles de Cécile. Elle se recueillit ensuite pour remercier le
Christ qui daignait l'associer à la gloire de ses athlètes, et réunir sur sa tête les roses du
martyre aux lis de la virginité. Les cieux s'ouvraient déjà à son œil mourant, et une
dernière defaillance annonça le terme de ses souffrances. Elle était couchée sur le côté droit,
les genoux réunis avec modestie. Au moment suprême, ses bras s'affaissèrent l'un sur l'autre,
et comme si elle avait voulu garder le secret du dernier soupir qu'elle envoyait au divin
objet de son unique amour, elle tourna contre terre sa tête sillonnée par le glaive, et son
âme, se détachant doucement de son corps, s'envola vers son bien-aimé c'était le 52 no-
vembre 232.

IL

Le pape Urbain s'empressa de satisfaire aux pieux désirs que Cécile lui avait exprimés
avant de mourir. Il convertit la maison de la jeune martyre en église et la consacra lui-
même. Lorsque la paix fut rendue à l'Église, Rome chrétienne distingua le nom de Cécile
entre tant d'autres qui furent sa gloire dans ces jours de l'épreuve; elle inscrivit le nom de
la fille des Cécilius sur le sacré diptyque du canon de la messe, et fixa sa fête au 22 novembre,
comme on le voit par le Martyrologe de saint Jérôme. Sous le pontificat de saint Pascal, on
retrouva le corps de sainte Cécile, qui avait été inhumé dans le cimetière de Prétextât; le
~ocM~M contenait le corps de la sainte enveloppé de vêtements brochés d'or et trempés de

son sang. Ce corps fut déposé avec ceux des saints Valérien. Tiburce. Maxime, et des papes
Urbain et Lucien dans l'église Sainte-Cécile, que le pape Pascal fit rebâtir, afin de la rendre
plus digne du dépôt qu'elle devait contenir. Cette église, de style byzantin, est fort remar-
quable par l'élégance et la richesse de la décoration de son portique. La crypte où repose
le corps de la sainte a son ouverture au bas des marches du chœur. 11 est renfermé dans
une châsse de cyprès, doublée d'une autre d'argent, de la valeur de quatre mille deux cent
quatre-vingt-douze cens d'or. Cette châsse est un don du pape Urbain VIII, qui fut miracu-
leusement guéri par l'intercession de la sainte martyre. On admire aussi sa belle statue en
marbre blanc, due au ciseau d'Étienne Maderne, la représentant couchée sur le côté, telle
qu'elle fut trouvée lorsque son tombeau fut ouvert par le cardinal Sfondrate. Cette statue, placée
au fond de l'abside, repose dans une niche oblongue. dont tous les abords sont incrustés
d'onyx, de lapis-lazuli et des marbres les plus rares Une riche balustrade à hauteur d'appui,
à laquelle sont suspendues quatre-vingt-dix lampes qui brûlent perpétuellement jour et nuit,
défend l'approche de ce lieu sacré dont l'enceinte est pavée d'albâtre oriental et d'autres
pierres précieuses. Le centre de cette élégante marqueterie présente une plaque de marbre
noir sur laquelle on lit en lettres d'or

SUB HOC ALTARI REQUIESCUNT CORPORA


S. S. MARTYRUM C~CILI~ VIRGINIS, VALERIANt,
TIBURTII, MAXM. SOCIOR. LVCII ET URBANI
EISDEM SANCTIS MARTYRIBVS CONSECRATO.

A droite, près de la première chapelle, et en face de la sacristie, on voit encore la


chambre de bains (caldarium) où le préfet de Rome voulut faire étouiïèr sainte Cécile et où
elle reçut la mort. Cette chambre mesure dix-huit pieds de longueur sur six de largeur. Le
cardinal Sfondrate, titulaire de Sainte-Cécile, et restaurateur de sa basilique, a restitué à ce
lieu vénérable son antique forme et ses honneurs. Les abords de l'église ayant été sondés
par ses ordres, on ne tarda pas à reconnaître l'hypocauste d'une salle de bains. Les soupi-
raux qui avaient été interceptés furent facilement ouverts, et l'on retrouva même une des
chaudières avec les restes des tuyaux de plomb par lesquels la vapeur montait dans le cal-
darium. L'ornementation de la chapelle est disposée de manière à rendre impossible désor-
mais la destruction d'un souvenir si cher à la piété. Une grille en fer protège l'ouverture
par laquelle l'œil du pèlerin pénètre jusque dans les ombres de l'hypocauste, et découvre le
foyer et la chaudière d'où s'échappait la vapeur homicide. Des plaques de cuivre fixées à
la muraille sont destinées à protéger les tuyaux en terre cuite qui donnaient passage à la
vapeur, ainsi qu'un autre tuyau en plomb qui s'élève, comme les premiers, un peu au-dessus
du pavé de la salle. Enfin rien ne manque à la restitution de ce vénérable monument à son
état primitif. Ce sont les mêmes murailles, les mêmes dimensions, le même pavé en mo-
saïque qui fut foulé par les pieds de la sainte martyre le plafond seul du caldarium a été
changé. On lui a substitué une coupole enrichie de fresques. Au fond, derrière l'autel, on
admire un tableau du Guide, qui représente la décapitation de la sainte.
Comme la plupart des églises de Rome, la basilique de Sainte-Cécile est non-seulement
un musée et une galerie, mais encore un reliquaire. 11 serait trop long de nommer ici les
saints et les martyrs dont les reliques vénérables, recueillies par le cardinal Sfondrate, enri-
chissent la sainte basilique. Tous les ordres des bienheureux y ont leurs représentants,
comme pour faire le cortége de l'illustre et héroïque vierge qui remporta dans ce lieu la
couronne de la virginité et la palme du martyre. Précieuses reliques qui, en nous rappelant
les glorieuses luttes des martyrs de la foi, encouragent notre vertu, condamnent nos lâchetés
et élèvent notre âme au-dessus des vaines pensées du monde, au lieu de l'abaisser, comme
tant d'autres, par des idées de plaisir, de débauche, ou d'une grandeur fastueuse et oppressive!
Le moyen âge nous offre, en l'honneur de sainte Cécile, les strophes les plus gracieuses sur
la virginité chrétienne. Le pieux Thomas à Kempis a écrit en son honneur une composition
acrostiche qui exprime toute sa vénération envers la vierge romaine 1.
Sainte Cécile est pour les chrétiens la reine de l'harmonie. Nous avons vu plus haut
la raison de cet hommage délicat rendu a celle que les concerts de la terre ne purent
distraire de la mélodie des anges. L'art musical, qui prit son essor avec tant d'énergie au
xvr siècle, associa dès lors Cécile à tous ses triomphes. Les corporations de musiciens se
placèrent de toutes parts sous sa protection, et le jour de sa fête fut marqué par l'exécution
des plus brillantes compositions en son honneur. Combien de talents ont débuté par une
messe de Sainte Cécile, ou par un motet en son honneur Que d'artistes, de mérite supé-
rieur ou secondaire, ont estimé n'avoir rien fait pour leur gloire, tant qu'ils ne pouvaient
pas compter, dans la série de leurs compositions, une œuvre spéciale en l'honneur de la vierge
dont ils réclamaient les inspirations' Aujourd'hui encore, malgré la froideur universelle et
l'abaissement de l'art, la fête de sainte Cécile ne passe point inaperçue, partout où la musique
est l'objet d'un intérêt plus ou moins sérieux.
Dans ces concerts annuels qui ramènent au pied des autels tant d'hommes entraînés le
reste de l'année par les préoccupations mondaines, les chefs-d'œuvre peuvent être rares,
l'exécution défectueuse, les motifs souvent empruntés à des sources profanes; mais il sera
toujours beau de voir le plus séduisant des arts amené, chaque année, à confesser que le
sentiment supérieur de l'harmonie émane de la pureté du cœur et des sens, si divinement

n onsolatrix infirmorum, compassione.


m lectrix supernorum, contemplatione.
n onsolatrix christianorum, praedicatione.
mitatrix beatorum, sacra passione.
t-' iberatrix perditorum, devota oratione.
-< nventrix liliorum, casta
conversatione.
ssociatrix angelorum, cœtestt revelatione.
symbolisée dans Cécile. C'est alors que, dans plus d'une âme, l'attrait céleste cherche à
pénétrer, qu'il sollicite l'homme d'aspirer à des concerts plus harmonieux et plus durables
que ceux de ce monde de douleurs, où le péché brisa les cordes de la lyre, qui ne se
sont jamais rejointes que par instants fugitifs, et qui ne résonnent d'un son plein et parfait
que lorsque l'homme les emploie à célébrer son Créateur, de concert avec les esprits angé-
liques 1.
C'est ce qu'a exprimé avec bonheur le poëte anglais dans la célèbre cantate qu'il a
composée pour la fête de sainte Cécile
« La musique, qui accroit nos joies ici-bas, peut encore anticiper nos félicités à venir.
La divine Cécile en a fait l'expérience, elle qui n'adressa qu'à son Créateur les cantiques
de sa louange.
« Quand l'orgue tout entier s'unit à un chœur harmonieux, les puissances immortelles
inclinent leurs oreilles. Portée sur les notes ondulantes, l'âme humaine aspire à s'élever
au-dessus d'elle-même; la solennelle mélodie aurait en elle la flamme sacrée, et les anges
descendent des cieux pour entendre.
"Que les poëtes cessent donc de célébrer Orphée! Son pouvoir n'égala jamais celui de
l'auguste Cécile. S'il a pu, par les sons de sa lyre, retirer une ombre des enfers, Cécile,
par ses accords, élève notre âme jusqu'aux cieux 2. »

Réflexions. Le chant de l'Église anime la dévotion et contribue à l'édification mutuelle. 2° Saint


10
Paul exhorte tous les fidèles à s'y appliquer; mais c'est un devoir pour les ecclésiastiques. 3° On doit éga-
lement éviter et l'insouciance qui le néglige, et la vanité qui en abuse.

PtuÈRE. avez consacré à Dieu la musique devenue chrétienne sous vos mains;
0 sainte Cécile, qui
ô sainte Agathe, ô sainte Lucie, vierges chères à l'Église romaine ô sainte Geneviève, libératrice de la
France, qu'une autre vierge a délivrée plus tard; ô milliers de vierges auxquelles se viennent joindre tous
les jours tant de nouvelles fiancées du Roi céleste; ô fleurs du paradis, ô vous à qui la virginité n'a sou-
vent pas suffi, et qui avez voulu unir aux lis de la candeur les roses pourprées du martyre; ô glorieux
exemplaires de nos filles et de nos sœurs, priez pour nous, priez pour nous!1
(Choix de Prières tirées des manuscrits des xm' et x<v' siècles, page 306.)

4. Nous avons pris pour guide, dans cette notice, l'Histoire de sainte Cécile, par le R. P. Dom Prosper Guéranger,
abbé de Solesmes.
9. Pope, Ode for music, on S. Cecilia's day.
SOUTERRAIN
DE
E

SAINTE AGNES
PLACE NAVONE
(A.D.304.)

I.

Parmi les martyrs de la foi qui donnèrent leur sang pour Jésus-Christ au iv" siècle, il
n'en est point de plus célèbre que sainte Agnès. « Tous les peuples, dit saint Jérôme se
réunissent pour célébrer dans leurs discours et dans leurs écrits les louanges de la jeune
vierge, qui sut triompher de la faiblesse de son âge comme de la cruauté des tyrans, et
qui couronna la gloire de la chasteté par celle du martyre.
La légende de sainte Agnès est fort remarquable par la naïveté et la grâce touchante
dont elle est imprégnée; comme elle ne s'écarte, dans ce qui est essentiel, ni du récit de
Prudence, ni de celui de saint AmbAise, nous la suivrons dans la courte notice que nous
allons donner de la vie et du martyre de la jeune vierge romaine.
Agnès naquit à Rome, de parents riches et craignant Dieu, qui prirent soin de l'élever
selon sa qualité et sa naissance, mais principalement de la former à la pratique du chris-
tianisme dont ils faisaient profession. Dès ses plus tendres années, Agnès conçut un très-
ardent amour pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, et elle fit de tels progrès dans la piété,
que la méditation des souffrances et de la mort du Sauveur était son aliment le plus ordi-
naire. Le démon essaya d'arrêter le cours de ces heureux progrès, et il espéra triompher
de sa vertu en se servant de la beauté de son corps pour perdre celle de son âme. Dans
fils du gouverneur romain, un
ce dessein il inspira à un jeune chevalier, nommé Procope,
violent amour pour Agnès. Comme elle revenait des écoles, Procope la vit, et il l'aima.
Pour la séduire, il lui promit des diamants, des perles et des richesses royales, si elle
consentait à l'épouser. Mais la jeune enfant, repoussant ses propositions, lui répondit d'un
ton ferme et plein de modestie chrétienne Retire-toi, tison d'enfer, aiguillon de péché,
pierre de scandale et appât de mort. Ne pense pas que je sois jamais infidèle à mon époux,
à qui je me suis tellement unie que mon âme ne vit que de son amour. Ne flatte pas
non plus ta pensée qu'il y ait quelque mérite en toi qui te puisse justement faire prétendre
à être son rival, car il possède des qualités qui le rendent incomparable et uniquement
digne d'amour il est noble, il est beau, il est sage, il est riche, il est bon, il est puis-
sant. Si tu veux savoir son origine, il reconnaît un Dieu pour son père, qui l'a produit
sans mère, et la mère qui l'a mis au monde n'a pas moins été vierge pour avoir eu ce
fils. Il est si beau que sa splendeur surpasse la clarté du soleil et de tous les astres, et
que les cieux mêmes sont ravis dans l'admiration de sa beauté, et disent, sans parler, qu'ils
ne sont que des ténèbres à son égard. Il est si sage et m'a tellement captivée de son
amour, que je ne puis penser à d'autre qu'à lui, et maintenant que je parle de son excel-
lence, je sens un si grand plaisir, qu'encore que je t'aie en horreur, je suis bien aise de
te voir pour te le pouvoir dire. II est si riche qu'il m'a donné un trésor qui vaut mieux
que tout l'empire romain, et que personne ne le sert qui ne soit comblé de richesses. Que
te dirai-je de sa bonté, qui n'a point de mesure? Pour la faire paraître avec plus d'éclat,
il m'a marquée de son sang. Il m'a donné sa foi et sa parole qu'il ne m'abandonnera jamais.
Il m'a prise pour son épouse, il m'a donné de belles robes et de beaux joyaux d'un prix
inestimable. Il est si puissant qu'il ne peut être vaincu par toutes les forces du ciel et de
la terre; les malades sont guéris par la seule odeur de sa personne, et les morts revien-
nent à la vie par l'éclat de sa voix. C'est pourquoi je suis toute à lui, et je l'aime mieux
que mon âme et que ma vie môme, et je serais très-aise de pouvoir mourir pour lui.
Quand je l'aime, je suis chaste; quand je m'approche de lui, je suis pure; et quand je
l'embrasse, je suis vierge. Cela étant ainsi, regarde si je le dois sacrifier à l'espérance de
quelque récompense, ou à la crainte de quelque peine. »
Procope, entendant ce discours, crut que la vierge Agnès était éprise d'amour pour
quelque autre grand seigneur, et que ce langage passionné s'adressait à celui qu'elle aimait,
L'insensé jeune homme en ressentit une telle jalousie qu'il en tomba malade. Son père, qui
était instruit de la cause de sa maladie, fit venir Agnès, et il s'eSbrça de lui persuader
d'épouser son fils « qui se mourait d'amour pour elle. » Agnès resta inébranlable dans sa
résolution, et elle répondit « qu'elle ne pouvait violer la foi qu'elle avait jurée à son pre-
mier époux. » Le proconsul lui demanda « quel était ce premier époux. » Agnès répondit
« que c'était le Christ. » Le proconsul, charmé d'avoir un prétexte de se venger du refus
qu'il
venait d'éprouver, somma Agnès de renoncer au Dieu des chrétiens « Choisis, lui dit-il,
ou sacrifie sur-le-champ à Vesta avec nos vierges, ou je te ferai jeter au lupanar au milieu
des courtisanes. » La sainte répondit « Il n'y a rien au monde qui puisse me faire quitter
l'époux que j'ai choisi; si je refuse le mariage de votre fils, que j'estime d'ailleurs beau-'
coup, je ne me laisserai pas abuser jusqu'au point d'adorer des statues insensibles qui
n'ont ni oreilles, ni langue, ni vie. Vous me menacez de me faire trainer dans un lieu infâme,
pour y exposer ma pureté; c'est ce que je ne crains pas; parce que j'ai un ange avec moi,
qui est l'un des serviteurs innombrables de mon époux par lequel je suis gardée, et qui
prendra ma défense d'une façon merveilleuse et mon Seigneur Jésus, que vous ne connaissez
pas, m'environne de toutes parts, comme un mur que l'on ne saurait forcer. »
Cette courageuse réponse mit le proconsul dans une telle fureur contre la jeune vierge
Agnès, qu'il la fit dépouiller et conduire toute nue au lupanar. Mais à peine avait-elle
quitté ses vêtements que ses cheveux poussèrent miraculeusement tout d'un jet, et cou-
vrirent sa nudité de l'épaisseur de leurs tresses, comme l'aurait fait une robe ou un man-
teau. Arrivée dans la caverne impure, Agnès y trouva l'ange de Jésus-Christ qui l'illumina
de son auréole, et lui donna une tunique blanche comme la neige. Transportée de recon-
naissance à la vue de ce prodige, elle se mit en prières et rendit grâces à Dieu de la
protection visible dont il la couvrait pour sa pureté.
Procope, qui était le principal motif de la cruauté exercée contre la jeune vierge, l'alla
trouver au lupanar, espérant pouvoir satisfaire sa passion coupable. L'insensé voulut approcher
d'Agnès, mais l'ange qui la gardait le frappa, et il tomba mort aux pieds de la vierge. A cette
nouvelle, le proconsul, désespéré, vint en pleurant au lupanar, et voyant le corps inanimé
de son fils, il demanda a Agnès comment il était mort. Agnès répondit « L'époux dont
il voulait souiller l'épouse l'a frappé et l'a tué. » Le proconsul lui dit « Si tu leres-
suscites, tu prouveras que ce n'est pas toi qui l'as tué avec tes sortilèges. Agnès s'étant
mise en prières, le jeune homme ressuscita, et il confessa Jésus-Christ.
Ce miracle, qui semblait devoir arracher Agnès à la persécution, ne fit qu'irriter les
prêtres des idoles, qui ameutèrent le peuple contre elle, en la faisant passer pour une
magicienne. Le proconsul voulait la délivrer, mais, redoutant la colère du peuple, il l'aban-
donna à un vice-proconsul nommé Aspasius, et il abandonna lâchement cette victime inno-
cente à la fureur des païens, semblable en cela A ces juges timides et craintifs qui, connaissant
l'innocence d'un accusé, n'osent l'absoudre comme ils y sont obligés, dans la crainte de
perdre la faveur des grands ou du peuple.
Aspasius fit jeter Agnès dans un bûcher ardent; mais les flammes, s'écartant, se sépa-
rèrent des deux côtés, et en s'éloignant d'Agnès, elles allèrent atteindre la foule qui entourait
son bûcher. Alors Aspasius ordonna à un licteur d'aller lui enfoncer son glaive dans la
gorge, et c'est de cette sorte que Jésus-Christ s'unit à son épouse par les noces sanglantes
du martyre.
Les chrétiens et les parents d'Agnès, témoins de ses miracles, ensevelirent son corps
et se réjouirent dans le Seigneur du triomphe de son épouse. Le huitième jour après sa
mort, ses parents étant venus pour veiller dans la grotte de son sépulcre, tout à coup,
dans le silence de la nuit, ils virent un chœur de vierges qui, revêtues de cyclades tissues
d'or, passaient au travers d'une grande lumière, et au milieu d'elles, la bienheureuse
vierge, parée aussi de cette cyclade éblouissante, et a sa droite un agneau plus blanc que
le lait. A ce spectacle, ils furent frappés de stupeur, ainsi que tous ceux qui les accompa-
gnaient. Agnès pria les vierges saintes de s'arrêter; et, debout devant ses parents, elle leur
dit « Vous voyez que vous ne devez pas mepleurer comme une morte; mais réjouissons-
nous ensemble, et félicitez-moi, parce que j'ai été reçue avec ces compagnes dans les
demeures lumineuses, et que je suis unie dans les deux à celui que j'ai aimé sur la terre
de toute ma puissance d'aimer. Et ayant dit ces choses, elle disparut. C'est en mémoire
de cette vision que tous les ans, à la fête d'Agnès, on bénit les petits agneaux.
Cette vision, semblable à plusieurs autres récits de la même époque, a ici un charme
particulier, parce qu'à la scène céleste qu'elle retrace correspond une scène terrestre, qui
semble être l'image de la première. L'empressement avec lequel les vierges du ciel se
réunissaient autour de l'âme de sainte Agnès se répéta bientôt après, parmi les vierges de
la terre, autour de son tombeau. En effet, dès que la paix fut rendue à l'Église, Constance
Auguste, la fille de Constantin, imitant le courageux exemple de sainte Agnès, se voua à la
virginité et fonda le premier monastère de vierges chrétiennes qui ait eu une existence
assurée. La noble fille de Constantin voulut qu'on l'enterrât près du tombeau de sainte Agnès.
Peu de temps après, deux autres filles du même empereur, Hélène, femme de Julien, et
Constantine, femme de Gallus, décédées, l'une à Vienne, dans les Gaules, l'autre au fond de
la Bithynie, vinrent de l'Occident et de l'Orient rejoindre leur soeur endormie à l'ombre de
la jeune sainte.
L'Église que Constantin a fait élever sur la grotte d'Agnès conserve encore son archi-
tecture primitive, et elle semble avec ses formes pleines de pureté, n'être que l'épa-
nouissement de la tombe virgh e exhaussée et agrandie~. Un autre trait de la vision
dont nous venons de parler semble s'être incorporé dans une cérémonie qui subsiste encore
aujourd'hui. Tous les ans, le jour de la fête de sainte Agnès, l'abbé de Saint-Pierre bénit
à la messe, dans l'église qui est dédiée à la sainte sur la place Navone, deux petits agneaux
parés de fleurs et de rubans. Après cette cérémonie, les deux agneaux sont portés au pape,
qui les bénit de nouveau; on les porte ensuite aux religieuses de Saint-Laurent-de-Panis-
perne, ou aux capucines, qui font, de la laine de ces agneaux, les palliums que le pape
envoie, après les avoir bénits, aux archevêques et aux évoques qui occupent des sièges pri-
vilégiés. Les palliums sont un symbole de douceur et de pureté.

IL

Le lupanar où sainte Agnès fut jetée, et qu'elle sanctifia par le triomphe de sa pureté, est
situé à Rome, place Navone, autrefois cirque d'Agonale ou Alexandrin (du nom d'Alexandre
Sévère qui le répara). C'est un souterrain composé de deux pièces voûtées en belles
pierres; chaque pièce mesure douze pieds de hauteur sur autant de largeur, et vingt pieds
de longueur. Ce lupanar se trouvait à fleur de terre dans l'ancienne Rome, mais les exhaus-
sements de terrain produits par le temps en ont fait un souterrain. On y descend par un
escalier situé dans l'église dédiée à sainte Agnès. Au détour de l'escalier on trouve devant
soi une table de marbre blanc, scellée dans le mur, et portant l'inscription suivante

INGRESSA AGNES HUNC TURPITUDINIS LOCUM,


ANGELUM DOMINI PRAPARATUM INVENIT.

Le lupanar a été converti en chapelle sous le vocable de sainte Agnès. Au-dessus on


a bâti la belle église que l'on y voit encore aujourd'hui, l'une des plus remarquables de
Rome par la richesse de ses marbres et la beauté de ses sculptures.

Esquisse de ~o~e chrétienne, par M~ Gerbet, t. 1", p. 't99.


Tel est le glorieux théâtre où le christianisme, personnifié dans une jeune enfant de
treize ans, triompha des deux puissances les plus redoutables du paganisme, la volupté
et la
cruauté. Spectacle touchant et plein d'enseignements! Tandis que Rome païenne divinisait
la luxure et que ses poëtes glorifiaient la vie des
sens, on voyait la pureté, comme un beau
lis sortant des ruines, reparaître dans tout
son éclat pour fleurir au soleil; on voyait des
vierges de tout sexe, de toute condition, comme Agnès, voilées de leur pudeur et ornées
de leur sainteté, sortir des catacombes et triompher tout a la fois des attaques de la cruauté
et des assauts plus redoutables encore de la volupté avec une aisance dont l'humanité s'étonne
et que la nature ne comprend pas.
A la vue de ces lieux qui nous rappellent
ces glorieux triomphes de la grâce, le cœur
s'émeut, et l'on se rappelle avec admiration ce fait trop peu remarqué de l'histoire des
premières persécutions de l'Église, A savoir, que dans les redoutables combats qui furent
livrés à nos pères, on vit le courage de quelques hommes fléchir et succomber même devant
l'épreuve, mais qu'il n'y a pas d'exemple d'une jeune vierge qui ait apostasié sa foi,
ou
qui ait hésité même, tant il est vrai que Dieu se plaît souvent à choisir ce qu'il
y a de
plus faible dans ce monde, pour confondre ce qu'il y a de plus fort In firma mundi elegit
DetM, ut coK/MH~a< /b~'a/ C'est ainsi qu'Agnès, presque encore enfant, triompha de
ses juges,
de ses bourreaux, du monde et de ses convoitises.
Rien n'est beau, rien n'est candide comme cette légende de la jeune martyre. Elle
respire un tel parfum de vertu et de pureté, que le temps, loin d'en affaiblir l'impression,
a continuellement rajeuni cet hommage que lui adressait, dans un hymne presque contem-
porain, la vieille poésie chrétienne.
« 0 vierge heureuse! ô gloire nouvelle! noble habitante du céleste séjour, inclinez vers
nos demeures souillées cette tête ornée de deux diadèmes, qui, par un don de Dieu, a eu
le privilége de rendre chaste le repaire abominable où elle est
apparue.
« La lumière qui sort de votre bouche, nous fera sentir sa bienfaisante pureté, si
vous
remplissez en même temps nos cœurs car il n'y a rien que de pudique dans tout
ce que
vous daignez honorer de vos regards, ou toucher seulement de votre pied sacrée »

Réflexions. 1° La modestie est le rempart de la chasteté. 2" Celui qui se tient ferme dans ce retran-
chement a droit de compter sur des miracles. 3° Mais il n'a fallu qu'un regard pour faire de David
n,n

0 virgo felix! o nova gloria1


Coe'estis avis nobilis incola,
Intende nostris colluvionibus
Vultum gemello cum diademate
Cui posse soli Cunctiparens dedit
Castum vel ipsum reddere )upanar.
Purgabor oris propitiabilis
Fuigore, nostrum si jecus impieas;
Nil non pudicum est, quod pia viserc
Dignaris, albo vel pede tangere.
(AcoEL. PxuDENT., hymn. xiv.)
adultère et un homicide. 4° L'exemple de sainte Agnès nous montre qu'il n'est point de combat si pénible
à la nature où la grâce de Dieu ne puisse nous soutenir. 5° Or la grâce est toujours assurée à ceux qui
la réclament avec confiance.

PRIÈRE. Vase d'élection, vase d'honneur, fleur d'un incorruptible et céleste parfum, vous avez donné
au monde un modèle incomparable de pudeur et de vertu. Et maintenant vous voilà aux cieux, la palme
triomphale en main, couronnée de fleurs comme les autres vierges. Ah! nous ne sommes pas dignes de
votre gloire, et ne demandons qu'à aller au ciel, humblement confondus parmi tous les élus; obtenez-nous
cette grâce. Ainsi soit-il!l
ADAM DE SAINT-VICTOR,Prose Animemur ad agonem, xu* siècle.)
CHAMBRE

DE
E

SAINT GRÉGOIRE LE GRAND


A L'ÉGLISE DE CE NOM
(A. D. 540-604.)

I.

SAINT GRÉGOIRE, surnommé le Grand, à cause de l'éclat de ses vertus et de sa science,


naquit à Rome, d'une famille noble, l'an 5~0. Il annonça dès son jeune âge les plus heu-
reuses dispositions et il fit des progrès si rapides dans les lettres divines et humaines,
qu'il était l'admiration de la ville de Rome. Pendant la vie de son père, qui était sénateur,
il fut employé aux affaires de la république en qualité de préfet de Rome. Grégoire donna
dans l'administration de cette charge importante l'exemple d'un parfait magistrat. Dès qu'il
fut maître de ses biens par la mort de son père, il résolut de se consacrer tout entier
au service de Dieu. Il bâtit six monastères en Sicile et un autre à Rome dans son propre
palais., qu'il dédia à l'apôtre saint André, et dota de revenus suffisants pour l'entretien des
religieux. Ce monastère porte aujourd'hui le nom de son saint fondateur et il est habité
par les camaldules. Grégoire vendit le reste de son patrimoine, et, en ayant distribué le
prix aux pauvres, il prit lui-même l'habit religieux dans ce monastère. Comme sa vie était
un modèle de perfection, il en fut bientôt nommé abbé, malgré l'opposition qu'il fit à
son élection. Il justifia bientôt le choix de sa communauté en montrant qu'il avait toutes les
qualités pour faire un bon prélat. Il passait tout le temps que lui laissaient les fonctions
de sa charge à la prière et à l'étude de l'Écriture sainte.
Sa charité envers les pauvres était si grande qu'il ne pouvait refuser l'aumône à ceux
qui la lui demandaient. Il se nourrissait de légumes crus que sainte Sylvie, sa mère, lui
apportait. Un jour, ayant reçu ce mets si simple dans une écuelle d'argent, et ne trouvant
pas de quoi soulager un pauvre qui lui exposait sa misère, il lui donna cette écuelle, en
disant que le pauvre en ferait un meilleur usage, puisqu'elle servirait à procurer à ce
pauvre le nécessaire dont il ne manquait pas lui-même.
Son zèle pour le salut des âmes s'étendait à toutes les provinces de la chrétienté. Un jour,
passant sur la place d'un marché de Rome, il vit des esclaves d'une ravissante beauté que
l'on exposait en vente; il s'enquit du pays et de la religion de ces esclaves, et ayant
appris qu'ils étaient de la Grande Bretagne et encore païens, il en eut si grande com-
passion qu'il versa des larmes sur ces infortunés « Quel dommage, s'écria Grégoire, que
des hommes si bien faits soient sous la puissance du démon, et qu'un extérieur si remar-
quable de beauté ne soit point accompagné de la grâce de Dieu » Il alla ensuite trouver
le pape Benoît I" et le supplia instamment d'envoyer dans la Grande-Bretagne des mission-
naires pleins de zèle et de courage pour y annoncer l'Évangile.
Créé cardinal-diacre par Pélage II, successeur de Benoît, Grégoire fut envoyé en ambas-
sade vers Robert, empereur d'Orient à Constantinople, pour traiter une affaire de grande
importance dont la négociation exigeait un homme d'une science profonde et d'une grande
prudence. Ce fut dans cette mission qu'il se lia d'une étroite amitié avec saint Léandre,
archevêque de Séville. Pendant son séjour à Constantinople, Grégoire continua à y suivre
les exercices religieux de son monastère. Il revint à Home après avoir heureusement terminé
l'affaire dont il avait été chargé, et apporta de Constantinople le bras de saint André,
apôtre, pour qui il avait une dévotion toute particulière, le chef de saint Luc, et plusieurs
autres reliques précieuses, dont il enrichit son monastère.
Après la mort du pape Pélage, Grégoire fut élu d'un consentement unanime par le
clergé, le sénat et le peuple. Grégoire seul fut consterné de cette élection, son humilité ne
lui permettant pas d'accepter une si haute dignité. Mais il dut céder aux instances du peuple.
Sur ces entrefaites, Home fut allégée d'une horrible peste qui emporta une partie de la
population. Grégoire fut admirable de courage et de résignation en présence du fléau.
Outre les prières qu'il adressait au ciel avec ses religieux pour apaiser la colère du ciel,
il prêcha au peuple et l'exhorta à néchir la justice de Dieu par de dignes fruits de pénitence
à l'exemple des Ninivites; il ordonna ensuite une procession générale, composée du clergé,
des séculiers, hommes, femmes et enfants, des religieux et des religieuses; il régla que
cette procession partirait d'une église de Rome qu'il désigna, et se rendrait, en chantant les
litanies, jusqu'à l'église Sainte-Marie-Majeure. L'image de la sainte Vierge peinte par saint
Luc fut portée dans cette solennité, et l'on raconte que partout où passait cette sainte
image, l'air corrompu se purifiait, et que le saint pape Grégoire aperçut sur le château,
où était anciennement le sépulcre de l'empereur Adrien, un ange qui remettait son épée
dans le fourreau il connut ainsi que le juste courroux du Dieu vivant était apaisé, et que
la miséricorde allait prendre la place de la justice. En effet, la peste cessa aussitôt, et,
en mémoire de la vision de Grégoire, la forteresse d'Adrien a été nommée depuis Chdteau
Saint-Ange. Pour perpétuer le souvenir de ce miracle, on a placé au sommet de cette for-
teresse une statue de bronze représentant un ange aux ailes déployées qui remet son épée
dans le fourreau.
Il serait trop long de rapporter ici tous les actes qui ont illustré le glorieux pontificat
de Grégoire. Convaincu que la maison d'un prince doit être un modèle et une école de
vertu pour les sujets, il commença par régler la sienne. Il n'y reçut point de séculiers,
mais seulement des ecclésiastiques d'une piété, d'une bonté, d'une doctrine et d'une pru-
dence éprouvées. Il ne tenait compte, dans la collation des bénéfices, ni de la fortune, ni
de la pauvreté des personnes, mais seulement de la sainteté de la vie, de l'excellence de la
doctrine et des autres qualités requises pour bien s'acquitter de ses devoirs. Aussi vit-on,
pendant son pontificat, les arts et les sciences tant humaines que divines jeter un si grand
éclat à Rome, que plusieurs gentilshommes quittaient l'épée pour se vouer à l'étude. Grégoire
assembla un concile dans lequel une multitude d'abus furent réformés, et plusieurs règle-
ments de discipline établis pour le service de Dieu et l'édification des fidèles. 11 prit un soin
particulier de l'office divin et des cérémonies ecclésiastiques qui y doivent être observées;
et il régla les antiennes,' les oraisons, les épîtres et les évangiles qui se disent pendant
le cours de l'année à la Messe, ainsi qu'on peut le voir dans son ~K<!pAoH<M/'e et dans son
Sacramentaire. Il augmenta aussi les principales stations de Rome, et réforma le chant ecclé-
siastique qui s'appelle encore aujourd'hui, pour cette raison, chant Grégorien. A cet effet,
il fit bâtir deux maisons l'une proche de Saint-Jean-de-Latran, et l'autre près de Saint-
Pierre, pour y instruire des enfants destinés au chœur. Son zèle pour le service de Dieu
était' si ardent, que, même dans les plus grandes douleurs de la goutte dont il était incom-
modé, il se faisait transporter à la maison où étaient ces enfants, et les instruisait lui-
même, couché sur un petit lit, tenant une baguette à la main pour reprendre ceux qui
manquaient touchant exemple d'humilité qui nous montre le vicaire de Jésus-Christ s'abais-
sant jusqu'aux enfants pour se faire leur instituteur!
La sollicitude pastorale de Grégoire ne se bornait pas seulement au service et à l'ornement
extérieur de l'Église; elle s'étendait sur les temples vivants de Dieu, qui sont les fidèles, s'occu-
pant à la fois des besoins spirituels et temporels de ses ouailles. Sa charité envers les pauvres
était inépuisable aussi fut-elle récompensée par des faveurs exceptionnelles. Comme il avait
coutume de faire manger quelques mendiants à sa table, un jour il voulut, par humilité, donner
lui-même à un pauvre pèlerin de quoi se laver; mais comme il prenait l'aiguière et le bassin,
le pauvre s'évanouit, et la nuit suivante Notre-Seigneur lui apparut et lui dit Vous me t'ece~ex
ordinairement en mes membres, vous me fec~e~ hier en ma personne.
Grégoire témoigna un grand zèle pour la conversion des Anglais au christianisme. Il choisit
un religieux du couvent de Saint-André, nommé Augustin, qu'il envoya en Angleterre accom-
pagné de plusieurs autres. Dieu bénit leur apostolat; car, à quelque temps de là, Éthelbert,
roi de Cantorbéry, et une partie de ses sujets se convertirent au christianisme. Grégoire
nomma Augustin archevêque de Cantorbéry, et lui envoya le jM~M~; il ordonna ensuite douze
évêques suffragants. Le zèle qu'il témoigna pour la conversion des Anglo-Saxons lui a fait
mériter le titre d'apte de ~n<~en'e.
Sa patience n'était pas moins admirable que son zèle pour la gloire de Dieu. Il supporta
avec une admirable résignation les calamités publiques qui arrivèrent de son temps, telles que
la guerre sanglante que les Lombards firent aux Romains, la persécution et les mauvais trai-
tements de ses ennemis, et les maladies douloureuses dont il fut attaqué. Enfin, ce saint
pape couronna sa belle vie par une sainte mort; il s'endormit dans le Seigneur, l'an 60/[,
la seconde année de 1 empire de Phocas, le 42 mars, jour auquel l'Église célèbre sa fête. Son
corps fut inhumé dans l'Église de Saint-Pierre.
Les docteurs de l'Église qui lui ont succédé, se sont plu à célébrer ses vertus et sa
science ils le proclament à l'envi l'eu~Me de <e~yaMc!e érudition, le prince des théologiens,
la lumière des philosophes, la splendeur des orateurs le miroir de la sainteté l'organe du Saint-
Esprit. Saint Ildefonse, archevêque de Tolède, parle de lui en ces termes « Il fut tellement
doué des mérites de tous les anciens, que nous ne trouvons rien de semblable à lui dans
l'antiquité il a vaincu Antoine en sainteté, Cyprien en éloquence, Augustin en science, etc. »
Saint Isidore écrit que pas un des docteurs de son temps ni des anciens ne pouvait entrer
en comparaison avec lui. Enfin le huitième concile de Tolède dit que « dans les choses
morales, saint Grégoire doit être préféré presque à tous les docteurs de l'Église. ))
Saint Grégoire est en effet non-seulement un des plus grands saints, mais un des plus
sages et des plus savants pontifes qui aient gouverné l'Église catholique. Placé sur le siège
de saint Pierre dans des temps difficiles, il montra une force d'âme singulière, une intel-
ligence supérieure et un courage à toute épreuve, qu'il employa tour à tour à soutenir les
droits et l'autorité du Saint-Siège, à défendre les Romains contre les barbares, à instruire
son peuple, a terminer les schismes et les hérésies, et à réformer les abus. Sa sollicitude
pastorale embrassait toutes les Églises. Aussi sa primauté souveraine était-elle reconnue
sans difficulté jusque dans les patriarcats d'Orient.
Les vertus de Grégoire étaient couronnées par une humilité profonde. Tandis que les
patriarches de Constantinople usurpaient le titre d'eu~e MMtuer~, Grégoire. prenait, dans
ses lettres, celui de serviteur des serviteurs de Z)t'eM~ voulant exprimer qu'il regardait son
ministère comme un service humble et laborieux, et que sa dignité, qui le mettait au-
dessus des autres, le rendait par là même le serviteur de tous. Cette formule admirable a
été conservée par ses successeurs, qui l'ont trouvée digne de figurer à côté du titre de
vicaire de Jésus-Christ, dont ils se rendent ainsi les vrais représentants, puisque Jésus-Christ
n'est pas venu en ce monde pour être servi, mais pour servir les autres. Non rent mtMt-
.r~ sed ministrare.

n.

Le monastère de Saint-André au mont Coélius est plein du souvenir de saint Grégoire le


Grand. C'est dans ce couvent qu'il passa la plus grande partie de sa vie, puisqu'il ne le quitta
que pour aller s'asseoir sur le trône de saint Pierre. Une église a été bâtie depuis, sous son
vocable, près du couvent. On y arrive par un magnifique perron très-élève au haut duquel on
voit des grilles qui s'étendent sur toute la façade, formée des cinq arcades d'un vaste cloître.
Les murs du cloître sont ornés de fresques dont les sujets sont tirés de la vie du saint. L'église
renferme des tableaux de prix, des marbres précieux et des mosaïques très-remarquables.
Au fond de la nef de droite, on admire une chapelle ornée de plusieurs chefs-d'œuvre de l'art;
au-dessus de l'autel, un tableau d'Andréa Sacchi représente saint Grégoire écrivant sous
l'inspiration du Saint-Esprit figuré par une colombe qui lui parle à l'oreille.
Le gradin de l'autel qui représente notre Seigneur Jésus-Christ et tes apôtres, a été peint
par Raphaël. L'autel enfin, qui est de marbre blanc, est orné de reliefs dont l'un représente
Jésus-Christ apparaissant à saint Grégoire pendant qu'il célébrait le saint sacrifice, et faisant
jaillir du sang de la plaie de son côté dans le calice du saint. L'autre bas-relief représente
saint Grégoire célébrant la messe et délivrant des flammes du purgatoire les âmes de
ses parents.
On conserve dans cette même église la chaire où l'éloquent pontife prononçait ses homélies.
Dans la chapelle qui se trouve à droite, on remarque une petite pièce, longue de trois
mètres et large de deux c'est la chambre de saint Grégoire. A droite, en entrant
dans cette chapelle, on voit une grille dorée, scellée dans le mur. Cette grille ferme un
très-petit espace, long de deux mètres, renfermant une sorte de lit en marbre. C'est sur
cette froide et dure couche que saint Grégoire se reposait de ses fatigues et de ses travaux
par quelques heures de sommeil. Cette couche austère fait contraste avec le duvet de cygne
sur lequel le chevalier Mamurra reposait lorsqu'il habitait ces mêmes lieux. Au-dessus de
la grille qui ferme la chambre du saint, on lit l'inscription suivante

NOCTE DIEQUE LONGO HIC DEFESSA LABORE


GREGORIUS MODICA MEMBRA QUIETE LEVABAT.

Cet humble sanctuaire est éclairé par une lampe et par une fenêtre qui se trouve à
l'extrémité de la chambre opposée à la grille. An-dessous de la fenêtre, on remarque un
siège de marbre blanc ayant la forme antique d'un fauteuil; il est d'une seule pièce et
très-massif. C'était le siège de saint Grégoire. Enfin, près de l'église, on voit encore un
autre sanctuaire, appelé Triclinium pauperum, dans lequel le saint pontife donnait lui-même
à manger à douze pauvres. On aime à y revoir la table sur laquelle il les servait lui-
même. Les murs du triclinium sont ornés d'une jolie fresque représentant le miracle de
Nôtre-Seigneur, lorsqu'il vint s'asseoir un jour parmi les douze pauvres que le charitable
pontife servait.
Le corps de saint Grégoire a été transporté au Vatican. On y conserve son pallium,
sa ceinture et le reliquaire qu'il portait à son cou.
Saint Grégoire le Grand est regardé comme le premier réformateur de la liturgie
romaine. C'est lui qui a donné à cette vénérable et antique liturgie cette grandeur et cette
majesté dans le chant et dans les offices, qui nous impressionnent si profondément~. L'ordre
des solennités de l'Église romaine, fixé d'abord par saint Gélase, le fut en dernier lieu
par saint Grégoire. Pour accroître la majesté du culte, ce même pape fonda à Rome deux
écoles de chantres qui se sont maintenues jusqu'à nos jours.

<. « Je n'ai jamais entendu ce chant grave et pathétique entonné par les prêtres et répondu affectueusement par une
infinité de voix d'hommes, de femmes, de jeunes filles et d'enfants, sans que mes entrailles ne s'en soient émues, n'en
aient tressailli, et que les larmes ne m'en soient venues aux yeux. ') fDiderot, Essai sur la peMt<Mre.)
Réflexions. 1° Dieu veutêtre adoré en esprit, mais U veut aussi l'hommage de nos lèvres. 2° Les
cérémonies de la Religion, en fixant notre imagination, touchent notre cœur. 3° L'homme, ayant un corps
et une âme, doit à Dieu un culte intérieur et extérieur. ù" Les offices publics de l'Église ont toujours fait
les délices des saints. 5° Si nous y trouvons si peu de goût, n'est-ce pas une preuve de notre indifférence
pour la gloire de Dieu et l'édification de nos frères ?

PRIÈRE pour la conversion de l'Angleterre. 0 admirable défenseur et propagateur de la foi catho-


lique, de ce siège de gloire où vous êtes assis dans le ciel, daignez jeter un regard de compassion sur ce
grand royaume d'Angleterre qui a perdu cet admirable bienfait de la foi, qu'il a reçu autrefois des enfants
de saint Benoit, que vous lui avez envoyés pour y annoncer la bonne nouvelle de l'Évangile. Daignez inter-
céder pour ce peuple séparé de la mère et maîtresse des Églises, hors de laquelle il n'y a point de salut.
Intercédez pour les peuples catholiques, dont la foi est menacée de tant de périls en ces jours mauvais.
Nous vous en conjurons, ô saint Pontife, au nom de cette ardente charité dont votre cœur était enflammé
pendant les jours de votre pèlerinage, obtenez du Dieu très-bon et très-miséricordieux l'accroissement et
la propagation du règne de Jésus-Christ dans le royaume d'Angleterre; obtenez pour les peuples catholiques
la grâce de n'être pas condamnés, en punition de leurs crimes, à être privés du précieux trésor de la foi.
Ainsi soit-il
CHAMBRE

DE
E

SAINT DOMINIQUE
A SAINTE-SABINE.
(A.D. U70-IM!.)

I.

SAINT DoMmiQUE naquit l'an 1170 à Calaroga, petit bourg du diocèse d'Osma, dans la
vieille Castille. Il était fils de Félix de Gusman et de Jeanne d'Asa. Dieu
se plut à
révéler au monde la gloire future de Dominique avant même qu'il fût né. Sa mère, le
portant encore dans son sein, fit une neuvaine de prières à saint Dominique de Silos,
pour obtenir une heureuse délivrance. Le septième jour de sa neuvaine, ce bienheureux
abbé lui apparut, avec son habit religieux, mais dans une splendeur toute céleste,
et il
l'assura que l'enfant qu'elle portait dans son sein serait, par sa sainteté et
sa science
la lumière du monde et la consolation de toute l'Église.
C'est sous ces heureux auspices que naquit Dominique. Sa mère lui donna
ce nom
au baptême, pour témoigner sa reconnaissance au saint abbé qui lui avait révélé la
grandeur future de son enfant. Dominique n'eut presque rien de l'enfance que la petitesse
et l'impuissance corporelles; il était modeste, retenu, humble et obéissant. A sept ans
commencés, il quitta la maison paternelle, et fut envoyé à Gumiel d'Isan, chez
un oncle
vénérable par sa piété, qui remplissait les fonctions d'archiprétre. Le jeune Dominique
assistait avec lui à tous les offices de l'église, et après avoir donné un temps convenable
à l'étude et à ses autres devoirs, il employait tout le reste à l'oraison, à des lectures
pieuses et à diverses œuvres de charité.
A l'âge de quatorze ans, il se rendit à l'Université de Palencia
pour y terminer ses
études. Le séjour qu'il y fit fut de dix années. Il consacra les six premières à l'étude des
lettres et de la philosophie, sans rien relâcher de ses exercices de piété. a Mais dit
un
historien de sa vie, l'angélique jeune homme, bien qu'il pénétrât facilement dans
les
sciences humaines, n'en était cependant pas ravi parce qu'il y cherchait vainement la
sagesse de Dieu, qui est le Christ. Nul des philosophes, en effet, ne l'a communiquée aux
hommes; nul des princes de ce monde ne l'a connue. C'est pourquoi, de peur de con-
sumer en d'inutiles travaux la fleur et la force de sa jeunesse, et pour éteindre la soif
qui le dévorait, il alla puiser aux sources profondes de la théologie. Invoquant et priant
le Christ, qui est la sagesse du Père, il ouvrit son cœur à la vraie science, ses oreilles
aux douceurs des saintes Écritures; et cette parole divine lui parut si douce, il la reçut
avec tant d'avidité et de si ardents désirs, que pendant quatre années qu'il l'étudia, il
passait les nuits presque sans sommeil, donnant à l'étude le temps du repos. Afin de boire
à ce fleuve de la sagesse avec une chasteté plus digne encore d'elle, il fut dix ans à
s'abstenir de vin. C'était une chose merveilleuse et aimable à voir, que cet homme en qui
le petit nombre de ses jours indiquait la jeunesse, mais qui, par la maturité de sa con-
versation et la force de ses mœurs, révélait le vieillard. Supérieur aux plaisirs de son
âge, il ne cherchait que la justice; attentif à ne rien perdre du temps, il préférait aux
courses sans but le sein de l'Église sa mère, et le repos sacré de ses tabernacles et toute
se vie s'écoulait entre une prière et un travail également assidus. Dieu le récompensa de
ce fervent amour avec lequel il gardait ses commandements, en lui inspirant un esprit de
sagesse et d'intelligence qui lui faisait résoudre sans peine les plus difficiles questions. »
A cet ardent amour pour l'étude de la théologie, Dominique joignait une tendre cha-
rité pour les pauvres. On le vit pendant une horrible famine qui désolait l'Espagne leur
donner tout ce qu'il possédait, même ses vêtements. Il vendit jusqu'à ses livres annotés de
sa main, pour en distribuer le prix aux pauvres; et comme on s'étonnait qu'il se privât ainsi
du moyen d'étudier, il prononça ces belles paroles, les premières de lui qui soient arrivées
à la postérité < Je ne veux pas étudier sur des peaux mortes, et laisser des hommes mourir
de faim. »
Le vénérable Diego, évéque d'Osma, instruit de la sainteté et du mérite de Domi-
nique, le nomma chanoine de sa cathédrale. « Revêtu de cette dignité, Dominique parut
entre ses frères, les chanoines, dit le bienheureux Jourdain de Saxe, comme un
flambeau qui brûle; le premier par la sainteté, le dernier de tous par l'humilité de son
cœur, répandant autour de lui une odeur de vie qui exhalait un parfum semblable à
l'encens dans les jours d'été. Ses frères, admirant une si belle religion, l'élurent
leur sous prieur, afin que, placé plus haut, ses exemples fussent plus visibles et plus
puissants. Pour lui, comme un olivier qui pousse des rejetons, comme un cyprès qui
grandit, il demeurait jour et nuit dans l'église, vaquant sans relâche à la prière, et se
montrant à peine hors du cloître, de peur d'ôter du loisir à sa contemplation. Dieu lui
avait donné une grâce de pleurer pour les pécheurs, pour les malheureux et les affligés.
portait leurs maux dans un sanctuaire intérieur de compassion, et cet amour doulou-
reux, lui pressant le cœur, s'échappait au dehors par des larmes. C'était sa coutume, rare-
ment interrompue, de passer la nuit en prières et de s'entretenir avec Dieu, sa porte
fermée. Quelquefois alors on entendait des voix et comme des rugissements sortir de ses
entrailles émues qu'il ne pouvait contenir. Il y avait une demande qu'il adressait souvent
spéctatement à Dieu, c'était de lui donner une vraie charité, un amour à qui rien ne
coûtât pour le salut des hommes, persuadé qu'il ne serait vraiment un membre du Christ
que lorsqu'il se consacrerait tout entier, selon ses forces, à gagner des âmes, à l'exemple
du Sauveur de tous, le Seigneur Jésus-Christ, qui s'est immolé sans réserve à notre
rédemption. Il lisait un livre qui a pour titre, Conférences des Pères, lequel traite à la fois
des vices et de la perfection spirituelle, et il s'efforçait, en le lisant, de connaître et de
suivre tous les sentiers du bien. Ce livre, avec le secours de la grâce, l'éleva à une diffi-
cile pureté de conscience, à une abondante lumière dans la contemplation, et à un degré
de perfection fort grand.
Les austérités de Dominique ne l'empêchaient pas de travailler à la conversion des
pécheurs. Son évéque lui ayant permis d'aller prêcher l'Évangile dans les diverses provinces
de l'Espagne, il s'appliqua à instruire les peuples des vérités chrétiennes, et à détruire
les erreurs que les mahométans et les hérétiques répandaient partout. Les fruits de ses
prédications furent très-abondants il confirma les catholiques dans la foi, confondit les
infidèles, et convertit une multitude de Maures hérétiques, parmi lesquels on compte le
fameux hérésiarque Reynier, qui embrassa depuis l'ordre des Frères prêcheurs. Enfin, il
s'acquit une telle réputation par sa sainteté et par les succès éclatants de son apos-
tolat, qu'on lui offrit un évéché suffragant de Compostelle. Dominique refusa cette pro-
position « Dieu ne l'avait pas envoyé, disait-il, pour être évéque, mais pour prêcher.
Non me ~Mt'< Dominus cpMCOjoare, sed proedicare. » II obtenait les conversions merveilleuses qu'il
opérait, principalement par la prédication du saint rosaire, dont il expliquait les mystères,
et recommandait la pratique à ses auditeurs.
Alphonse, roi de Castille, ayant nommé l'évéque d'Osma, dom Diego, son ambassadeur
en France pour y négocier le mariage du prince Ferdinand, son fils, avec la princesse
de Lusignan, ce prélat voulut que Dominique l'accompagnât dans ce voyage. Tous deux,
traversant Je Languedoc, y furent témoins des progrès effrayants de la secte des Albigeois ou
manichéens, et ils en conçurent une amère désolation. Arrivés à Toulouse, où ils ne devaient
s'arrêter qu'une nuit, Dominique s'aperçut que son hôte était hérétique. Quoique le temps
fût court, il ne voulut pas que son passage fût inutile à l'homme égaré qui le recevait.
II passa la nuit à l'entretenir, et l'éloquence imprévue du saint toucha tellement le cœur
de l'hérétique, qu'il revint à la loi avant que le jour fût levé. Une autre merveille s'ac-
complit & l'occasion de cette conversion Dominique, ému par le triste spectacle des
ravages de l'erreur, eut pour la première fois la pensée de créer un ordre consacré a la
défense de l'Église par la prédication 1.
Lorsque l'évéque d'Osma eut terminé l'affaire qu'il était chargé de traiter à la cour du
roi de France, il se rendit à Rome avec Dominique, et demanda au pape la permission
de retourner en France pour y travailler à la conversion des hérétiques. Le pape acquiesça
à sa demande et limita à deux ans le séjour de l'évoque en Languedoc, en lui permet-
tant d'y laisser Dominique et les autres missionnaires qui seraient nécessaires pour con-
tinuer son œuvre. Dom Diego et Dominique revinrent en France pour exécuter leur pieux
dessein. Déjà, pour comprimer l'erreur, Rome avait envoyé des légats et des mission-

,1. t<e de saint Dominique, pac le R. P. Lacordaire, ch. 5.


naires, le roi de France avait levé des armées mais tous ces efforts réunis étaient
demeurés jusque-là sans succès. Dieu réservait cette grande œuvre à un de ces hommes
prédestinés qu'il suscite de loin en loin dans les âges, afin de manifester au monde
les trésors de sa toute puissance et de son amour. Avant de se mettre à l'oeuvre
Dominique consulta Dieu dans la prière, et Dieu lui fit connaître que le véritable moyen
de vaincre les hérétiques était de prendre une forme de vie apostolique, de voyager à
pied, sans train, sans argent, sans serviteurs, sans provisions et dans un parfait abandon,
à la Providence, afin de prêcher autant par l'exemple que par la parole, et de confondre,
par ce double apostolat, l'hypocrisie de quelques-uns de ces hérétiques qui, se targuant
d'une perfection peu commune, faisaient profession d'une grande pauvreté et d'une absti-
nence extrême. Dominique profita de ces lumières, et son exemple fut suivi par les autres
missionnaires. Dieu bénit leurs travaux ils sillonnèrent en tous sens les provinces déso-
lées par l'erreur, annonçant aux hérétiques la parole de Dieu, et la confirmant partout
par les miracles qu'ils opéraient. Cependant l'hérésie résistait toujours aux efforts des mis-
sionnaires la plupart des Albigeois fermaient les yeux aux prodiges de l'apôtre, et un
jour que Dominique, désolé de leur résistance, répandait aux pieds du Sauveur son cœur et
ses larmes, le suppliant d'appliquer à ces pauvres âmes égarées une goutte de ce sang
précieux qu'il avait répandu sur la croix pour le salut de tous, la sainte Mère de Dieu lui
fut députée comme l'ange de la bonne nouvelle « Sache, ô mon fils, lui dit-elle, que
le moyen dont l'adorable Trinité s'est servie pour le salut de ce monde, a été la saluta-
tion angélique, qui est le fondement du nouveau Testament. Si donc tu veux vaincre les
cœurs endurcis, prêche mon rosaire. Dominique obéit à la voix de Marie; il comprit
qu'il venait d'être armé son chevalier, et qu'elle lui donnait son rosaire comme une épée
mystérieuse pour terrasser les ennemis de Jésus-Christ. Aussi sans plus tarder, le saint
missionnaire prêcha le rosaire avec une ardeur nouvelle il en expliqua les mystères
il en recommanda la récitation aux fidèles, et enrôla ainsi au service de l'Église toute
une milice priante. Armé de son rosaire, Dominique porta à l'hérésie de plus terribles
coups que Montfort avec ses braves et l'armée des croisés. Pour se rendre compte du
succès de ses prédications à Toulouse, à Narbonne, à Carcassonne, et dans toutes les villes
du Languedoc, il faut lire les naïves légendes du temps qui nous font un récit détaillé
des prodiges merveilleux et des conversions nombreuses opérées au nom de Notre-Dame
du Rosaire. Ce n'était plus sur. une terre aride que Dominique jetait la divine semence
l'erreur était vaincue les ténèbres étaient dissipées, et ces âmes, hier encore rebelles à
sa parole, invoquaient avec lui la sainte Mère de Dieu, abjuraient leurs erreurs, et, récon-
ciliées avec Dieu, elles rentraient dans le sein de l'Église. L'histoire porte leur nombre à
plus de cent mille familles. Ainsi naquit la dévotion du saint Rosaire qui, en peu de temps,
se répandit dans toute l'Europe, et n'a cessé d'être depuis six siècles l'héritage glo-
rieux et privilégié des enfants de saint Dominique. C'est dans ce même but de résistance
à l'hérésie et au schisme que Dominique institua une association à laquelle il donna le
nom de milice de Jésus-Christ. Elle se composait d'hommes vivant au milieu du monde,
mais fermes dans la foi, qui s'engageaient à défendre les biens et la liberté de l'Église
par tous les moyens légitimes qui étaient <'n leur pouvoir. Les femmes furent aussi
admises à entrer dans cette sainte milice, en y prenant la part que leur permettait leur
sexe, et en concourant, selon leurs moyens, par leurs prières et par leurs bonnes œuvres,
à l'affranchissement de l'Église. La milice de Jésus-Christ prit plus tard le nom de Tiers Ordre
de saint Dominique, et c'est sous ce nom qu'elle est aujourd'hui désignée.
Foulques, évéque de Toulouse, étant appelé à Rome, en 4215, pour assister au concile de
Latran, que le pape Innocent III venait de convoquer, voulut que Dominique l'accompagnât.
Le saint missionnaire profita de ce voyage pour soumettre au pape le dessein qu'il avait
conçu de former un ordre de prédicateurs. Innocent III, craignant la multiplication des
ordres religieux, lui conseilla de faire choix pour son institut d'une règle déjà approuvée
par l'Église. Dominique adopta la règle de saint Augustin, modifiée par celle des Prémontrés,
qui permettait encore la propriété. Le successeur d'Innocent, Honorius III, donna aux
membres de l'ordre le nom de Frères j~cAew~ (praedicatores) avec le droit de se livrer partout
à la direction des âmes. L'ordre des Frères prêcheurs dotait l'Église d'un nouveau moyen de
défense en combinant la vocation du moine avec celle du prêtre séculier. Le but spécial était
d'assurer le salut des âmes en préchant les enseignements de la foi qui, seule, peut le
procurer. La prédication et l'enseignement, principales armes des dominicains, ne les.
empêchaient pas de se donner à toutes les œuvres utiles au prochain. On exigeait de
l'aspirant une année de noviciat, après laquelle il fallait en consacrer neuf à des études
philosophiques et théologiques, pour se préparer à figurer dignement dans les universités
et dans les chaires chrétiennes.
Pendant son séjour à Rome, Dominique y exerça le ministère apostolique. Il expliqua
dans le palais même du pape, d'une manière suivie, les épîtres de saint Paul, en présence
d'un nombreux auditoire. Une création mémorable attesta le fruit de son enseignement.
Le pape érigea cette sorte de prédication en ~un office perpétuel dont le titulaire devait
s'appeler m~re sacré palais. Dominique fut revêtu de cette charge, que ses descendants
ont remplie avec honneur jusqu'à ce jour. L e temps en a beaucoup accru les priviléges
et les devoirs. De prédicateur et de docteur tenant au Vatican une école spirituelle, le
maître du sacré palais est devenu le théologien du pape, le censeur universel des livres qui
s'impriment ou s'introduisent à Rome, le seul qui ait le pouvoir, après le souverain pon-
tife, d'élever au doctorat dans l'université, l'électeur des prédicateurs qui annoncent la
parole de Dieu devant le pape dans les solennités, et autres priviléges dont l'héritage s'est
justement et inviolablement transmis d'un fils de saint Dominique à un autre de ses fils.
Dominique eut à Rome une autre joie bien vive ce fut d'y voir le séraphique saint
François, dont Honorius III venait d'approuver la règle dans le concile. Ces deux hommes, que
Église, ne se connaissaient
Dieu suscitait pour la gloire de son nom et de son pas. Tous
deux habitaient Rome au moment du concile, et il ne parait pas qu'ils eussent entendu
parler l'un de l'autre. Une nuit, Dominique étant en prière, selon sa coutume, vit Jésus-
Christ irrité contre le monde, et sa mère, qui lui présentait deux hommes pour l'apaiser.
Il se reconnut pour l'un des deux; mais il ne savait quel pouvait être l'autre, et, le
regardant attentivement, l'image lui en demeura présente. Le lendemain, dans une église
de Rome, on ne sait laquelle, il aperçut, sous un froc de mendiant, la figure qui lui avait
été montrée la nuit précédente, et courant à ce pauvre, il le serra dans ses bras avec une
sainte effusion, entrecoupée de ces paroles « Vous êtes mon compagnon, vous marcherez
avec moi; tenons-nous ensemble, et nul ne pourra prévaloir contre nous. » II lui raconta
ensuite la vision qu'il avait eue, et leur cœur se fondit l'un dans l'autre entre ces embras-
sements et ces discours. A partir de ce moment, dit la légende, ils n'eurent plus qu'un
cœur et qu'une âme dans le Seigneur*. Or, ce pauvre, ce mendiant, c'était le séraphique
François d'Assise. Cette sainte amitié entre les deux fondateurs s'est perpétuée jusqu'à
ce jour entre les deux ordres. Chaque année, à Rome, le général des Franciscains, assisté
de ses pères, officie à la fête de saint Dominique chez les Frères prêcheurs, et le général
des Dominicains, à la fête de saint François, chez les Frères mineurs. Les uns et les autres
chantent ensemble cette antienne Le séraphique François et l'apostolique Dominique nous ont
enseigné votre loi, d Seigneur
Dieu fit connaître à Dominique le temps de sa mort; la seule pensée de la voir appro-
cher le comblait de joie. Étant à Bologne, où il résidait le plus ordinairement, il dit à
quelques frères avec qui il venait de s'entretenir du mépris du monde et de la vanité de
la vie présente Vous me voyez en bonne santé, mais j'irai à Dieu avant l'Assomption
de Notre-Dame. » En effet, il tomba dans un grand épuisement à la fin du mois de juillet;
il n'en continuait pas moins d'assister aux offices, même aux matines. Voyant que sa fin
approchait, il fit venir les novices, et leur recommanda d'aimer Dieu plus que toutes
choses, et de suivre exactement la règle par amour de Dieu. Il fit ensuite appeler le
prieur et plusieurs pères, et il fit en leur présence la confession générale de sa vie au
frère Ventura. Ensuite, employant la forme sacrée du testament, il leur dit « Voici, mes
frères bien-aimés, l'héritage que je vous laisse comme à mes enfants ayez la charité,
gardez l'humilité, possédez la pauvreté volontaire. » Et afin de donner une plus grande
sanction à la clause de ce testament, il menaça de la malédiction de Dieu et de la sienne
quiconque oserait corrompre son ordre en y introduisant l'esprit de propriété. Sentant que sa
dernière heure approchait, il fit appeler de nouveau ses frères, et ceux-ci vinrent se ranger
avec solennité autour du mourant étendu sur la cendre. Dominique, levant les yeux et les
mains au ciel, fit cette prière « Père saint, j'ai accompli votre volonté, et ceux que vous
m'aviez donnés, je les ai conservés et gardés; maintenant je vous les recommande, con-
servez-les et gardez-les. Un moment après, il leur dit de commencer la recommandation
de l'âme, et il la fit avec eux; du moins on voyait ses lèvres se remuer. Mais lorsqu'ils
furent à ces mots « Venez à son aide, saints de Dieu; venez au devant de lui, anges du
Seigneur; prenez son âme et portez-la en présence du Très-Haut, » ses lèvres firent un
dernier mouvement, ses mains se levèrent au ciel, et il rendit son âme à Dieu. C'était le
6 août de l'an 1221, à l'heure de midi, un vendredi Douze ans après, il fut canonisé
solennellement par le pape Grégoire IX.

1. In oscula sancta ruens, et sinceros amplexus, dixit Dominicus Tu es socius meus, tu curres pariter: stemus simul,
et nullus adversarius praevaiebit. Ex tune ergo facti sunt cor unum et anima una in Domino. (Act. ~M</MS<.)
2. Lacordaire, Vie de saint Dominique.
!L

On montre au couvent de Sainte-Sabine la chambre qui fut habitée par saint Domi-
nique pendant son séjour à Rome. Ce couvent, situé sur l'Aventin, avait été donné au
saint fondateur par le pape Honorius III. C'est à Sainte-Sabine que les Frères prêcheurs
revêtirent pour la première fois l'habit de leur ordre. Ce couvent est devenu depuis l'une
des maisons les plus illustres de l'Institut, et il a conservé avec un religieux respect le
souvenir du saint fondateur. On lit sur la façade les noms des saints religieux qui l'ont habité
saint Dominique, saint Raymond de Pennafort, saint Thomas d'Aquin, saint Hyacinthe, qui fut
la lumière de la Pologne, et saint Pie V. La chambre qui fut habitée par saint Dominique a été
conservée dans son état primitif; elle peut avoir dix pieds de longueur sur six de largeur.
Elle a été convertie depuis en chapelle et divisée en trois compartiments le premier compar-
timent sert de vestibule aux autres, le second a été décoré de marbres précieux dus à la
munificence de Charles IV, roi d'Espagne, qui, chassé de son trône par Napoléon P'\ s'était
réfugié à Rome. Au-dessus de l'entrée du troisième compartiment, on lit une inscription
qui rappelle aux pèlerins que saint Dominique et saint François y passèrent plusieurs fois
la nuit ensemble dans les doux épanchements d'une conversation toute céleste

ATTENDE ADVFNA. HIC OLIM SANCTISSIMI V1R!, DOMINICUS, FRANCISCUS, ANGELUS


!N DiVINIS COLLOQUIIS, VIGILIIS PERNOCTARUNT.

Le troisième compartiment forme la chapelle proprement dite. On y voit un autel au-


dessus duquel se trouve le portrait du saint, peint par une religieuse du tiers ordre. Le
saint est représenté méditant devant un crucifix et portant à la main une fleur de lis.
On voit aussi dans le même couvent la salle capitulaire dans laquelle saint Dominique
a donné l'habit religieux au bienheureux Hyacinthe, noble Polonais.
Dans le jardin contigu au couvent, les religieux montrent au pèlerin un oranger planté
par saint Dominique; il est entouré d'une immense caisse en pierre qui rappelle les plutei
des anciens. Cet arbre, six fois séculaire~ porte encore des oranges.

Réflexions. 10 La vie mixte, qui est en partie active, en partie contemplative, est la plus excellente.
2° Ce fut celle de Jésus-Christ, des apôtres et de tous les saints qui ont travaillé au salut des âmes. 3" Un
prêtre qui laisserait éteindre en lui l'esprit de prière, serait une âme morte dans un corps vivant.

PRIÈRE [composée par le B. Jourdain, deuxième général d<- l'ordre des Frères prtcheurs). TrOS-Sâint prêtre de Dieu, COnfeSSCUr
vénérable, prêcheur éminent, bienheureux père, saint Dominique, choisi vierge par le Seigneur, vous qui
avez su entre tous plaire à Dieu et être aimé de lui pendant vos jours, vous qui vous êtes rendu glo-
rieux par votre vie, par votre doctrine et vos miracles, nous nous réjouissons de vous avoir pour avocat
favori auprès du Seigneur notre Dieu. Je vous en prie, ô père miséricordieux, soyez favorable à mon âme
pécheresse, privée de toute vertu et de toute grâce, et enveloppée d'une multitude de fautes et de la lèpre
des pécheurs.
Encore à la fleur de l'âge, vous avez consacré votre virginité à ce magnifique Époux des vierges. Vêtu
de la blancheur baptismale et paré des grâces du Saint-Esprit, vous avez voué votre âme au Roi des rois,
dans les sentiments de l'amour le plus pur. Depuis longtemps muni des armes de la règle, vous avez disposé
des degrés vers le ciel dans votre cœur. Croissant de vertus en vertus, vous vous êtes élevé du bien au
mieux. Vous avez présenté à Dieu votre corps comme une hostie vivante, sainte et agréable. Formé par une
loi divine, vous vous êtes tout entier consacré à Dieu. Ayant enfin abordé la vie de la perfection, après avoir
tout abandonné pour suivre, dépouillé de tout, Jésus-Christ pauvre lui-même, vous avez préféré amasser des
trésors dans les cieux plutôt que sur la terre. Vous reniant tout à fait vous-même et portant courageu-
sement votre croix, vous vous êtes appliqué à suivre les traces de notre Rédempteur et véritable guide. Par
zèle de Dieu consumé d'un feu divin, mû par votre excessive charité, dans la ferveur d'un esprit ardent et
par TTBUde pauvreté, vous vous êtes adonné tout entier à la religion apostolique et très-parfaite; et pour-
voyant à cette œuvre par un conseil d'en haut, vous avez institué l'ordre des Frères prêcheurs. Par vos
mérites glorieux et vos exemples, vous avez éclairé la sainte Église dans toute la terre. Ayant enfin quitté
la prison de la chair, ravi dans la cour suprême, vous êtes monté glorieux dans le ciel. Encore revêtu de
votre première robe d'innocence, vous vous êtes approché de Dieu, û notre puissant avocat. Je vous en sup-
plie donc, vous qui avez désiré avec tant de zèle le salut du genre humain, secourez-moi, secourez tous
mes chers frères, tout le clergé et le peuple, et le pieux sexe féminin. Vous êtes par-dessustous les saints,
et après la bienheureuse Reine des vierges, mon espérance et ma douce consolation. Vous êtes mon refuge
de prédilection. Prêtez-vous donc favorablement à mon aide. Je me réfugie vers vous seul vers vous seul
je m'approche hardiment, je me prosterne à vos pieds. Suppliant, je vous invoque comme mon patron, je
vous implore, je me recommande à vous avec dévotion. Daignez, je vous en conjure, me recevoir, me
garder, me protéger, me secourir avec bonté, afin qu'à l'aide de votre protection je sois digne d'acquérir
la grâce désirée de mon Dieu, de trouver miséricorde et d'obtenir pour mon salut les remèdes de la vie
présente et de la vie future.
Obtenez-moi cette grâce, ô Maître, obtenez-la-moi! Je vous en prie, chef illustre, père nourricier, bien-
heureux Dominique, qu'il en soit ainsi. Je vous demande instamment de me secourir, moi et tous ceux
qui vous invoquent. Soyez-nous véritablement Dominique, c'est-à-dire le gardien vigilant du troupeau du
Seigneur. Veillez toujours sur nous et gouvernez ceux qui vous sont confiés; réformez-nous, et corrigés,
réconciliez-nous avec Dieu. Après cet exil, offrez-nous avec joie au Seigneur béni et à notre Seigneur et
Sauveur Jésus-Christ, le Fils bien-aimé et très-haut de Dieu dont l'honneur, la gloire, la louange, la joie
inénarrable, la félicité perpétuelle avec la glorieuse Vierge Marie et toute la cour des habitants du Ciel,
subsistent sans fin dans les siècles éternels. Ainsi soit- il
CHAMBRE

DE
0

SAINT FRANCOIS D'ASSISE


A RIPA GRANDE.
(A.D. HSZ-tMe.)

I.

FRANçots D'ASSISE, plus jeune de quelques années que saint Dominique, occupe avec lui
le premier rang parmi les héros de la sainteté que le moyen âge a légués à l'admiration
du monde. Il naquit en 1182 dans la ville d'Assise. Sa mère, Picca Moriconi, lui donna au
baptême le nom de l'apôtre saint Jean. Son père, Pierre Bernardone, issu d'une famille
noble et originaire de Florence, était marchand. Il donna au petit Jean le surnom de
François, par reconnaissance pour la France, où il avait fait sa fortune. C'est sous ce dernier
nom qu'il fut toujours connu dans la suite. Le jeune François entra d'abord, comme son
père, dans la carrière commerciale. Pierre Bernardone était un homme avare et d'un
caractère dur; son fils, au contraire, avait la noble passion de la ,pitié et de la bienfai-
sance, qu'il portait parfois jusqu'à la prodigalité. Tous ses profits étaient au service de ses
amis. Les idées chevaleresques, la vie aventureuse des armes avaient des attraits infinis
pour cette âme énergique et noble. François avait un caractère de véritable héros. Dieu,
qui avait ses desseins sur cette âme prédestinée, agit sur elle par sa grâce, et fit servir à
sa gloire cette riche et belle nature. François répondit à l'appel de Dieu et renonça aux
espérances du monde pour s'armer chevalier du Christ. Sa piété se manifesta tout d'abord
par une miséricordieuse sollicitude pour les pauvres.
François avait vingt-cinq ans lorsque, ayant brisé tous les liens de la chair et du sang,
dégagé de tous les liens qui l'avaient retenu dans le siècle, il alla chercher fort loin une
solitude, pour y pratiquer la pauvreté qu'il avait embrassée dans son cœur.
L'église de Notre-Dame-des-Anges, dite de la Por~oncM~e~ parce qu'elle était sur
une petite portion de terre qui appartenait aux Bénédictins, était abandonnée et presque
entièrement ruinée. L'amour tendre et la dévotion extraordinaire qu'avait François pour
la très-sainte Vierge lui inspirèrent le désir de la rétablir. 11 le fit par son travail
et par la quête. C'est dans cette église, située à six cents pas d'Assise, que le saint reçut
de si grandes faveurs du ciel, et elle fut depuis comme le berceau de son ordre. Un jour
l'Évangile où Jésus-Christ dit à ses disciples
y entendant la messe, il ouït lire cet endroit de
« N'ayez ni or,
ni argent, ni aucune monnaie; n'emportez même pour le voyage ni sac, ni
deux habits, ni souliers, ni bâton. » François, éclairé tout à coup d'une lumière surnatu-
relle et le cœur embrasé d'un nouveau désir de la plus haute perfection, connut que c'était
là ce que Dieu demandait de lui, et prit ce conseil pour sa règle. Il ôte ses souliers, jette son
bâton, renonce pour toujours à l'or et à l'argent, et ne gardant que sa tunique, il se ceint
d'une corde. Pratiquant ainsi à la lettre ce qu'il y avait de plus parfait, il se sentit pressé
d'aller prêcher la pénitence à ses concitoyens. Comme Jésus-Christ, son maître et son
modèle, il annonça les douceurs de la paix, le martyre de l'amour divin, les longues et
durables prospérités de la fraternité chrétienne. Il montrait à tous dans le ciel un seul
père des hommes, qui est Dieu; et, comme son patron saint Jean, il s'en allait répétant
partout ces admirables paroles ~M chers petits CH/hn~ cn'mez-t'oM~ les uns les autres. C'était la
prédication de la charité, de l'amour entre les peuples, de la concorde entre les puissances.
de l'amour entre tous; divine éloquence qui, tombant des lèvres de saint François, lui
conquit une famille plus nombreuse que les étoiles du (ici. François ne tarda pas à voir
une multitude de disciples qui voulurent partager sa pauvreté et son apostolat. Il en fit sa
famille et les associa à ses travaux.
Dès ce moment, 1208, l'ordre des Frères mineurs fut fondé. Cette innombrable famille
franciscaine, qui a renouvelé la face de l'Église et du monde, est née de l'union intime de
François avec la pauvreté. Dieu a béni ce saint mariage; il a dit aux deux époux: « Allez,
croissez et multipliez et cette parole féconde a reçu un merveilleux accroissement.
François puisait dans la prière et dans la pratique de la pénitence le courage de l'apôtre
et la sagesse du législateur. Un jour, après un long ravissement extatique, il rassembla ses
frères et leur dit « Prenez courage et réjouissez-vous dans le Seigneur. Dieu m'a montré
clairement que, par sa bénédiction, il répandra dans toutes les parties du monde cette famille
dont il est le père. J'ai vu une grande multitude venant à nous pour prendre le même
habit et la même vie; les Français viennent, les Espagnols se précipitent, les Anglais et les
Allemands courent, toutes les nations s'ébranlent, et voilà que le bruit de ceux qui vont et
qui viennent pour exécuter les ordres de la sainte obéissance, retentit encore à mes oreilles.
Allez donc annoncer la pénitence pour la rémission des péchés et la paix; vous trouverez des
hommes fidèles, doux et pleins de charité, qui recevront avec joie vous et vos paroles;
d'autres, infidèles, orgueilleux et impies, qui vous blâmeront et se déclareront contre vous.
Supportez tout avec une humble résignation; soyez patients dans la tribulation, fervents dans
la prière, courageux dans le travail, et le royaume de Dieu, qui est éternel, sera votre
récompense. H Cela dit, François traça au milieu du chemin le signe de la croix, indiquant
de la sorte à ses frères la direction qu'ils devaient suivre pour prêcher l'Évangile dans les
quatre parties du monde puis il embrassa les nouveaux chevaliers du Christ et de la
pauvreté. Le saint fondateur se rendit ensuite à Rome pour obtenir du saint-siége la confir-
mation de l'ordre qu'il venait de fonder. Le pape Innocent III repoussa d'abord sa demande;
mais la nuit suivante, ayant vu François qu'il avait mal reçu, soutenant de ses épaules
l'église de Latran qui semblait menacer ruine, il s'empressa, dès son réveil, de faire cher-
cher le serviteur de Dieu; il approuva aussitôt sa règle de vive voix, et l'établit ministre
général de son ordre après l'avoir ordonné diacre. On ne put jamais le décider à se faire
ordonner prêtre.
Tandis que les enfants de François se multipliaient sous la bénédiction du ciel et de
l'Église, Dieu inspirait à une humble fille, nommée Claire, la résolution de se placer sous
la direction du saint patriarche elle y fit des progrès si rapides dans la voie de la per-
fection, qu'ayant renoncé à tous ses biens, elle fonda un des plus saints et des plus
illustres ordres religieux de filles. François leur donna des règles conformes à son institut,
et elles furent appelées, d'abord les pauvres dames, et depuis les religieuses de sainte Claire
ou les Clarisses.
Un grand nombre de personnes mariées, touchées par les discours et les exemples de
François et de Claire, songèrent à se retirer dans le cloître; mais le saint patriarche leur
observa que l'on pouvait se sanctifier dans tous les états, et que l'état de mariage n'était
pas incompatible avec une vie chrétienne et pénitente. Il leur traça un genre de vie con-
forme à leur condition et qui fut la troisième règle de son ordre. Il donna le nom de
frères ou ~RM~ de la pénitence à ceux ou à celles qui entrèrent dans cette société, qui fut
appelée depuis le tiers ordre de saint François.
Au bout de quelques années, les Tierçaires n'étaient plus une simple association res-
treinte, mais l'association la plus vaste, qui unit le plus de cœurs et d'âmes dans l'Église
de Jésus Christ. Riche d'une admirable variété de secours surnaturels, et approprié, par
le fait même de sa constitution, à toutes les exigences des professions légitimes, le tiers
ordre a fait resplendir les brillants rayons de la plus éclatante sainteté sur toutes les condi-
tions et sur tous les degrés de la hiérarchie sociale; les existences même les plus agitées,
après s'y être engagées, se sont couronnées d'une perfection de vertus qui semblait ne devoir
éclore et se développer que dans le silence et à l'ombre du cloître.
A son retour au couvent de Notre-Dame-des-Anges,François tint'un chapitre général de
tout son ordre. Après la dissolution de cette célèbre assemblée, qui réunit plus de cinq
mille religieux, il partit pour la Syrie avec quelques-uns de ses frères. Arrivé à Damiette,
il se présenta au sultan, et lui déclara avec un courage héroïque que Dieu l'envoyait pour
lui démontrer la fausseté de la loi de Mahomet, et lui apprendre la voie du salut dans la
seule loi chrétienne. Une déclaration aussi hardie devait lui mériter la couronne du martyre;
mais Dieu le réservait à un martyre d'amour. Le sultan, charmé par ses entretiens, le
renvoya avec de grands honneurs.
François revint en Italie, et se retira sur le mont Alverne, près d'Assise. Comme il lui
tardait de se décharger des fonctions du généralat, il se démit en faveur de l'un de ses
religieux, Pierre de Catane. Le reste de sa vie se passa dans l'exercice de la prière et de
la plus austère pénitence. Sur la fin du Carême, il reçut du ciel une insigne faveur, dont
l'Église a consacré la mémoire par une fête. Écoutons saint François de Sales <- Le grand
serviteur de Dieu, homme tout séraphique, voyant la vive image de son Sauveur crucifié
effigiée en un Séraphin lumineux, qui lui apparut sur le mont Alverne, l'attendrit plus
qu'on ne sauroit imaginer, saisi d'une consolation et d'une compassion souveraines; car.
regardant ce beau miroir d'amour que les Anges ne se peuvent jamais assouvir de regarder,
hélas! il pasmoit de douceur et de contentement! Mais, voyant aussi, d'autre part, la vive
représentation des playes et blessures de son Sauveur crucifié, il sentit dans son âme le
glaive impétueux qui transperça la sacrée poitrine de la Vierge mère, au jour de la passion,
avec autant de douleur intérieure que s'il eust été crucifié avec son cher Sauveur.
« Cette âme doncques, ainsi amollie, attendrie, et presque toute fondue en cette amou-
reuse douleur, se trouva, par ce moyen, extrêmement disposée à recevoir les impressions
et marques de l'amour et douleur de son souverain Amant; car la mémoire étoit toute
destrempée en la souvenance de ce divin Amant; l'imagination, appliquée fortement à se
représenter les blessures et meurtrissures que les yeux regardoient si parfaictement bien
imprimées en l'image présente; l'entendement recevoit les espèces infiniment vives que
l'imagination lui fournissoit; et enfin, l'amour employoit toutes les forces de la volonté
pour le complaire et conformer à la passion du Bien-Aimé, dont l'âme sans doute se trou-
voit toute transformée en un second crucifix. Or, l'âme, comme forme et maîtresse du
corps, usant de son pouvoir sur iceluy, imprima les douleurs des playes dont elle étoit
blessée ès endroits correspondants à ceux esquels son Amant les avoit endurées. L'amour
est admirable pour aiguiser l'imagination, afin qu'elle pénètre jusques à l'extérieur.
L'amour donc fit passer les tourments intérieurs de ce grand amant sainct François jusques
à l'extérieur, et tel que le corps d'un même dard de douleur duquel il avoit blessé le
cœur. Mais de faire les ouvertures en la chair, par dehors, l'amour qui estoit dedans ne
le pouvoit pas bonnement faire; c'est pourquoi l'ardent Séraphin, venant au secours, darda
des rayons d'une clarté si pénétrante, qu'elle fist réellement les playes extérieures du
crucifix en la chair, que l'amour avoit imprimées intérieurement en l'ame.
« 0 vrai Dieu, Théotime que de douleurs amoureuses et que d'amours doulou-
reuses car non-seulement alors, mais tout le reste de la vie, le pauvre saint alla toujours
traînant et languissant comme bien malade d'amour. »
Saint François ne vécut plus, depuis ce martyre d'amour, que par une espèce de
miracle. Sentant que sa fin approchait, il se fit transporter au couvent de Notre-Dame-
des-Anges. Il voulait rendre son âme à Dieu dans le lieu même où il avait reçu l'esprit de
la grâce. Quand il fut dans la plaine, il pria les Pères qui le portaient, de le tourner vers
la ville d'Assise, et, se soulevant sur sa couche, il prononça ces solennelles paroles
« Soyez bénie du Seigneur, ville fidèle à Dieu, parce que beaucoup d'âmes seront sauvées
en vous et par vous. Un grand nombre de serviteurs du Très-Haut demeureront dans
l'enceinte de vos murailles, et plusieurs de vos citoyens seront choisis pour la vie éter-
nelle. » Et il pleurait amèrement. Arrivé à Sainte-Marie-des-Anges, il demanda qu'on lui
ôtât sa tunique, afin de mourir dans le dénûment de toutes choses, comme Jésus-Christ,
son divin modèle. On le satisfit; mais, en même temps, le gardien, ayant pris une pauvre
tunique et une corde, les lui présenta, lui disant « Je vous prête cet habit comme à un
pauvre prenez-le par obéissance. » Le saint obéit. Comme il était entouré de tous ses
frères, qui éclataient en sanglots 'et fondaient en larmes, il les exhorta à conserver l'amour
de Dieu, qui était l'âme de leur institut,, à observer la règle avec une extrême ponctualité,
et à ne se départir en rien de cette rigoureuse et parfaite pauvreté, qui était leur caractère
distinctif. Puis étendant sur eux ses bras placés l'un sur l'autre en forme de croix, il pria
le Seigneur de bénir tous ses chers enfants et de leur tenir lieu de père. Il se fit lire
ensuite la passion de Notre-Seigneur, et récita lui-même d'une voix mourante le psaume 141,
puis il rendit sa belle âme à Dieu, le samedi 4 octobre 1226. Il avait quarante-cinq ans.
Il fut canonisé l'année suivante, le 16 juillet 1227, par le pape Grégoire IX.

II.

Le pèlerin visite avec un pieux respect, au couvent des Frères mineurs de San-Francesco a
Ripa, sur l'emplacement jardins de César, la chambre que saint François d'Assise habita
des
de son vivant. Cette chambre mesure quatre mètres de longueur sur trois de largeur,
et elle n'est éclairée que par une fenêtre qui donne dans l'intérieur d'une sacristie.
En entrant par la porte actuelle, on voit à gauche, dans la muraille, une porte très-
ancienne, assez étroite, et de bois très-commun, qui sert aujourd'hui à fermer un petit
placard. Cette porte était celle de l'escalier par lequel passait saint François pour monter
dans sa chambre. Un peu plus loin, toujours à gauche, on voit les traces d'une porte
murée. Le mur est complétement dans son état primitif. C'est là que se trouvait l'escalier,
si étroit, qu'à peine un homme eût pu y passer, et si bas, que saint François lui-même
n'y montait qu'en rampant sur les pieds et les mains. Son humilité s'était toujours opposée
à ce qu'on y fit le moindre changement pour sa commodité personnelle.
Un rideau placé derrière l'autel cache le véritable portrait de saint François d'Assise.
On le croit contemporain du saint. Ce portrait est entouré des plus précieuses reliques, et
rien n'est plus curieux que la manière ingénieuse dont sont disposés les nombreux reli-
quaires qui couvrent tout le retable de l'autel.
Ce retable est en bois très-simple, formant des colonnes et des panneaux. Toutes ces
colonnes tournent sur elles-mêmes ainsi que les panneaux, au moyen d'un engrenage inventé
par un religieux du couvent et caché derrière une boiserie, à droite de l'autel.
On évalue le nombre de ces reliques à vingt mille environ.
Les plus remarquables sont des morceaux de la vraie croix, du suaire de Notre-
Seigneur, des vêtements de la sainte Vierge, un doigt de sainte Hélène, du sang de saint
Victor, un morceau du bâton de saint Joseph, des vêtements de sainte Catherine de Bologne,
des vêtements de saint François d'Assise. Il serait presque impossible de nommer toutes les
reliques que renferme ce sanctuaire.
On remarque sous l'autel un grand coffre doré où le pape et le cardinal vicaire ont
seuls le droit de prendre des reliques.
Au-dessus de l'autel, un ange sculpté en bois et suspendu au plafond porte une légende
où sont écrits ces mots ln plenitudine sanctorum detentio ~ea.
En regardant le mur de droite, on voit derrière une forte grille de fer, une grosse
pierre que les religieux ont toujours conservée avee respect c'est elle qui servait d'oreiller
à saint François d'Assise. A côté et un peu au-dessus, à droite, était la petite lucarne.
actuellement murée, qui donnait du jour dans cette cellule.
Le plafond en bois, que le temps a noirci, est le même que du temps de saint François.
Cette chambre fut transformée en chapelle par le cardinal de Montalto.
Le cardinal Pallavicini établit le retable du maitre-autel.
Les cloîtres du couvent représentent, dans des fresques nombreuses et fort remarquables,
les papes, les cardinaux, les hommes illustres, les saints et les martyrs de l'ordre. Ces
cloîtres offrent ainsi aux religieux une galerie de famille dont la vue a fait germer plus
d'une vertu et encouragé plus d'un sacrifice.

III.

Le séraphique François et l'apostolique Dominique sont restés à Rome, et dans toute


l'Italie, les deux grandes figures de la vie monastique au xin" siècle. Dante, dont les vers
nous offrent l'impression vive et profonde des haines et des admirations de son temps, loue
dans saint François ce champion de la foi dont les actions et les paroles devaient rallier
les peuples égarés, cet autre époux de la pauvreté qui, depuis la mort du Christ, languissaitt
dans l'obscurité et le mépris sans être recherchée par personne Le poëte florentin nous
représente saint François et saint Dominique au quatrième ciel il nous les montre au
milieu des splendeurs du soleil, avec saint Augustin, saint Thomas d'Aquin, saint Bonaven-
ture. L'un d'eux, François, brûle de l'amour infini des séraphins, et les merveilles de sa
vie ne peuvent être dignement chantées que par les élus au sein de la gloire 2. L'autre,
Dominique, brille de la sagesse des chérubins; c'est le laboureur par excellence du champ
de Jésus-Christ; c'est un torrent qui précipite ses flots à travers les plus épais buissons,
et se répand ensuite en ruisseaux d'eau vive pour féconder la terre3. On ne saurait tracer

Dante, Paradiso, cap. xi et xn.


2. L'un fù tutto serafico in ardore.
La cui mirabil' vita,
Meg)io in gloria del ciel si canterebbe.
(Paradiso, cap. xt.)
3. L'altro per sapienza in terra fue
Di cherubica luce uno sp!endore.

Domenico fù detto; ed io ne pario


Si corne del agricola che Christo
Elesse al orto suo per ajutarlo.

Quasi torrente ch' alta vena presne.

Di lui si feces poidiversi rivi


Onde l'orto cattolico si riga
Si ché suoi arboscelli stan più vivi.
l Paradis 0 cap. x< et xn.)
à plus grands traits les caractères différents de ces deux puissants génies. L'ardent mysti-
cisme de François en faisait comme le poëte de l'amour. Ses cantiques, ses extases, ses
actions les plus naïvement sublimes, n'étaient que des élans d'amour. Aussi les âmes
tendres, les imaginations travaillées par des aspirations mystérieuses, affluaient-elles autour
de lui, demandant à échanger leurs passions et leurs richesses contre une étincelle de cette
immense charité qui le dévorait. a
La vie séraphique de saint François d'Assise se révèle tout entière en accents inspirés
dans le cantique de l'amour qu'il adressa à Dieu après le miracle des stigmates. Le lecteur
en jugera par ces quelques extraits

« Toute mon âme est si enflammée d'amour, si unie à lui, si transformée en lui, qu'elle se consume
d'amour.
« Ni le feu ni le fer ne l'en sépareraient; la division ne peut entrer dans une telle union; la souffrance
et la mort ne peuvent atteindre à la hauteur où elle est ravie; toutes les choses créées sont bien loin au-
dessous d'elle, et elle est établie au-dessus de tout. 0 mon âme! comment es-tu arrivée à posséder de tels
biens! C'est du Christ qu'ils te viennent; embrasse-le donc avec délices.
« Je n'ai plus d'yeux pour voir la créature; toute mon âme
crie vers le Créateur; ni le ciel ni la terre n'ont
rien qui me soit doux tout s'efface devant l'amour du Christ. La lumière du soleil me parait obscure quand je
vois cette face resplendissante; les chérubins et leur science, les séraphins et leur amour ne font rien pour qui
voit le Seigneur.
« Que personne ne me fasse
de reproches si un tel amour me rend insensé. Il n'y a point de cœur qui
ne se défende, qui puisse fuir les chaînes de l'amour. Comment le cœur ne se consumerait-il point dans une
telle fournaise? Oh! si je pouvais trouver une âme qui me comprit, qui eût pitié de mes angoisses!
« Le ciel et la terre me crient, toutes choses me crient que je dois aimer. Chacun me dit Aime de tout
ton cœur celui qui t'aime et te désire si ardemment, qu'il nous a tous faits pour t'attirer à lui.
« Je voudrais aimer plus si je pouvais plus; mais mon cœur ne peut trouver davantage. Je ne puis donner
plus que moi-même; je me suis donné tout entier pour posséder cet amant qui fait de moi un homme
nouveau depuis que je t'ai trouvée, ô beauté ancienne et toujours nouvelle! ô lumière immense dont l'éclat
est doux
« A la vue de tant de bonté, je suis entraîné hors de moi sans savoir où; mon cœur s'amollit comme la
cire, et on y trouve l'empreinte du Christ. Jamais on ne vit une telle métamorphose mon cœur transformé se
dépouille de lui-même pour se revêtir du Christ.
« Mon âme, doucement enchaînée, se précipite dans les embrassementsdu Bien-Aimé; plus elle contemple
sa beauté, plus elle est hors d'elle-même riche du Christ, elle met tout en lui, et n'a plus aucun souvenir
d'elle-même.
« Transformée en lui, elle est presque
le Christ lui-même! Unie à Dieu, elle devient presque divine; ses
richesses sont au-dessus de toute grandeur; tout ce qui est au Christ est 'à elle; elle est reine. Puis-je encore
être triste en demandant la guérison de mes fautes? Il n'y a plus en moi de sentine où se trouve le péché; le vieil
homme est mort et dépouillé de toutes ses souillures.
« Une nouvelle créature est née dans le
Christ je suis dépouillé du vieil homme et devenu un homme
nouveau; mais l'amour est si ardent que mon cœur est fendu comme par un glaive, et que les flammes le
consument. Je me jette dans les bras du Christ, et je lui crie 0 amour! fais-moi mourir d'amour!
« Je languis et brûle pour vous; je soupire après vos
embrassements;quand vous vous retirez, je me meurs;
je gémis et pleure pour vous retrouver, et mon cœur se consume en efforts pour se transformer en vous. Ne
tardez donc plus, venez à mon aide, tenez-moi attaché à vous.
« Voyez ma peine, û mon amour! je ne puis résister à de
tels feux; l'amour m'a pris, et je ne sais où je
suis; je marche comme un homme égaré dans sa route; souvent la défaillance me prend; je ne sais comment
supporter un tel tourment.
Vous m'avez dérobé mon âme je ne puis voir ce que je dois faire; ceux qui me voient demandent si un
amour qui n'agit plus plaît au Christ; mais s'il ne vous plaît pas, que puis-je faire? L'amour qui me domine
m'ôte l'action, la volonté; je ne puis plus ni sentir ni agir.
« Je savais parler, mais je suis devenu muet; je voyais, et me voilà aveugle; jamais il n'y eut plus mysté-
rieux abîme. Je parle en me taisant; je fuis et je suis enchaîne; je tombe et je monte; je tiens et je suis tenu;
je suis à la fois dedans et dehors; je poursuis et je suis poursuivi. 0 amour sans mesure pourquoi me rends-tu
fou et me fais-tu mourir dans une ardente fournaise? ')

Réflexions. 1° Les monastères sont la sauvegarde de l'innocence et l'asile de la pénitence. 2" Le monde
n'en veut point, parce qu'ils condamnent sa lâcheté et le convainquent de folie. 3" La vraie piété doit en
désirer l'établissement de tout son pouvoir.

PRIÈRE Notre Père très-heureux et très-saint, notre créateur,


(Oraison dominicale commentée par saint François d'Assise).
notre rédempteur et notre consolateur, qui êtes aux cieux, dans les anges, dans les saints; qui les illuminez,
afin qu'ils vous connaissent, et qui les embrasez de votre amour; car, Seigneur, vous êtes la lumière et l'amour
qui habitez en eux et qui les remplissez de béatitude vous êtes le bien souverain et éternel de qui viennent tous
les biens, et sans vous il n'y en a aucun. Que votre nom soit sanctifié pour cela faites-vous connaître à nous
par des lumières vives, que nous puissions découvrir quelle est l'étendue de vos bienfaits, la durée de vos pro-
messes, la sublimité de votre majesté et la profondeur de vos jugements. Que votre règne arrive afin que
vous régniez en nous par votre grâce, et que vous nous fassiez parvenir à votre royaume, où vous êtes
vu clairement et parfaitement aimé, où l'on est heureux en votre compagnie, et où l'on jouit de vous éternel-
lement. Que votre volonté se fasse sur la terre comme dans le ciel afin que nous vous aimions de tout notre
cœur, ne nous occupant que de vous; de toute notre âme. vous désirant toujours; de tout notre esprit, rap-
portant à vous toutes nos vues, et cherchant votre gloire en toutes choses; de toutes nos forces, employant à
votre service, pour votre amour, tout ce qu'il y a de puissance dans nos corps et dans nos âmes, sans en faire
aucun autre usage. Que nous aimions notre prochain comme nous-mêmes, faisant nos efforts pour attirer tous
les hommes à votre amour, ayant de la joie du bien qui leur arrive, comme si c'était à nous; compatissant à
leurs maux, et n'offensant personne en quoi que ce soit. Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien; c'est
votre Fils bien-aimé, Notre-Seigneur Jésus-Christ; nous vous le demandons, afin de nous rappeler l'amour
qu'il nous a témoigné, et ce qu'il a dit, fait et enduré pour nous; de nous en donner l'intelligence et nous le
faire révérer. Remettez-nous nos dettes par votre ineffable miséricorde, par la vertu de la passion de votre
Fils bien-aimé, par les mérites et par l'intercession de la bienheureuse vierge Marie, et de tous vos élus.
Comme nous remettons nous-mêmes les leurs à ceux qui nous doivent ce qui ne serait pas tout à fait remis
de notre part, faites-nous la grâce. Seigneur, de le remettre entièrement, afin que pour l'amour de vous nous
aimions sincèrement nos ennemis, et nous intercédions pour eux auprès de vous avec ferveur. Que nous ne
rendions à personne le mal pour le mal, et qu'en vous nous tâchions de faire du bien à tous. Et ne nous
induisez point en tentation cachée, manifeste, subite, mortelle; mais délivrez-nous du mal passé, présent
et à venir. Ainsi soit- il f
CHAMBRE

CE
E

SAINTE BRIGITTE
PLACE FARNÈSE.
(A.D.ISM-tS-M.)

SAINTE BRIGITTE naquit vers l'an 1302, à l'extrémité de la Suède, dans le domaine de
Finstadt, non loin d'Upsal, qui était alors la capitale de tout le royaume. Sa famille, qui
était des plus illustres, descendait des anciens rois du pays; la piété y était héréditaire
comme la noblesse. Dès l'Age de sept ans, Brigitte pratiqua la vertu avec une perfection
admirable. Elle grandissait sous l'œil de Dieu comme un lis très-pur qui s'élevait de la
terre au ciel. Elle conservait la pureté de son corps et de son âme comme le plus précieux
trésor qu'elle pût posséder. On admirait en elle un heureux assemblage de toutes les vertus
la sobriété avec la modestie, la simplicité avec la retenue, l'humilité avec l'obéissance, la
beauté dans la conscience, la joie dans la patience avec une charité infatigable.
A l'âge de dix ans, ayant ouï prêcher sur la Passion de Notre-Seigneur, elle vit, la
nuit suivante, cet aimable Sauveur dans le même état qu'il était sur la croix et qui lui
dit: Regarde, ma fille, de quelle manière j'ai été traité. » « Qui est-ce, mon Dieu,
s'écria-t-elle, qui vous a fait toutes ces plaies?" « Ce sont ceux qui méprisent mes
commandements, repartit Jésus-Christ, et qui ne se mettent pas en peine de correspondre
à la tendresse de mon amour. » Cette vision si touchante fit une telle impression sur la
jeune enfant, qu'elle ne pouvait plus penser au mystère de la Passion sans verser des larmes.
Elle aurait bien désiré conserver perpétuellement sa virginité, mais son père la maria a Ulphon,
prince de Néricie, en Suède. Les deux époux, également pieux, firent de leur maison une
sorte de monastère où ils se livraient aux pratiques de la pénitence. Ils eurent huit enfants,
dont deux se croisèrent plus tard et moururent dans la Palestine. Une de leurs fUIes, Cathe-
rine, se fit religieuse, et elle est honorée comme sainte le 22 mars. Brigitte employa tous ses
soins a élever ses enfants dans la crainte de Dieu et a graver dans leur cœur les maximes
de la religion chrétienne. Un jour, ayant su que son fils avait manqué de jeûner la veille
de la Saint-Jean-Baptiste, elle en fut extrêmement affligée et en pleura amèrement; ce qui
fut si agréable au divin précurseur, qu'il lui apparut et l'assura qu'en sa considération il
serait le protecteur de ce méme fils. Lorsqu'elle eut assez d'enfants pour le soutien de sa
famille, elle persuada à son mari de garder la continence le reste de leur vie. On croit
que ce prince, à la suite d'une maladie dont il fut guéri par les prières de son épouse,
embrassa la vie religieuse. il mourut en odeur de sainteté dans le monastère d'Alvastre,
de l'ordre de Cîteaux; sa mémoire est marquée, dans le Martyrologe de l'Ordre, au 26 juillet.
Après la mort de son mari, Brigitte renonça au rang de princesse pour se consacrer
avec plus de liberté a la pénitence. Elle partagea les biens de son époux à ses enfants avec
la plus strictejustice, et ne songea plus qu'à sa perfection. Les austérités qu'elle pratiquait
son) incroyables; elle les redoublait encore les vendredis, ne vivant ces jours-là que d'un
peu de pain et d'eau. Ce genre de vie ayant provoqué les sarcasmes et la critique de cer-
laines personnes, Brigitte n'en tint aucun compte et se contenta de répondre « Je n'ai
pas commencé pour vous, et toutes vos railleries ne me feront point changer de résolu-
tion vous me ferez plaisir de ne me point inquiéter, mais de prier Dieu qu'il me donne
la grâce de persévérer dans cet état. » Comme les louanges des hommes ne la touchaient
point, de même leur mépris ne faisait aucune impression sur son cœur. Elle fut d'ailleurs
confirmée dans son pieux dessein par une vision où Notre-Seigneur, lui apparaissant au
milieu d'une nuée toute lumineuse, lui dit: Je suis votre Maître et votre Dieu, et je veux
converser familièrement avec vous; vous serez mon épouse, et je me servirai de vous
comme d'un canat pour faire connaître aux hommes des secrets qu'ils ignorent; et ce que
je vous dirai contribuera au salut de plusieurs. Écoutez donc ma voix, et rendez un compte
fidèle a votre confesseur des mystères que je vous manifesterai. Ce fut là le commen-
cement des révélations de Brigitte; depuis ce temps, elle n'entreprit plus rien que par un
mouvement exprès du Saint-Esprit. Elle avait alors pour confesseur un célèbre docteur en
théologie, nommé Mathias, qui était chanoine de la cathédrale de Linkœping.
Cette sévérité envers elle-même n'empêchait point Brigitte de témoigner une douceur
merveilleuse pour son prochain. Elle avait surtout une extrême compassion pour les pau-
vres elle en nourrissait douze chaque jour, les servant elle-même à table et leur fournis-
sant tout ce qui leur était nécessaire le jeudi elle leur lavait les pieds.
Les abondantes lumières qu'elle recevait d'en haut ne faisaient que la rendre plus humble
devant Dieu et devant les hommes. Elle les soumettait au jugement de son confesseur et
des personnes éclairées, de crainte de quelque illusion. Son obéissance envers ceux qui
avaient quelque autorité sur elle était parfaite; il est marqué dans la bulle de sa canonisa-
tion qu'elle n'osait presque pas lever les yeux sans l'autorisation de son directeur. Brigitte fit
bâtir le monastère de Wastène, au diocèse de Linkœping en Suède, et y plaça soixante reli-
gieuses. Elle leur adjoignit ensuite treize prêtres en l'honneur des douze apôtres et de saint
Paul, quatre diacres pour représenter les quatre docteurs de l'Église, et huit frères convers;
mais elle leur donna un logement séparé du monastère des religieuses. Elle donna aux hommes
et aux femmes la règle de saint Augustin, à laquelle elle ajouta quelques constitutions parti-
culières. Le but de cet ordre nouveau était d'honorer la passion du Sauveur et la sainte
Vierge. Les hommes étaient soumis à la prieure des religieuses pour le temporel, comme dans
l'ordre de Fontevrault; mais les religieuses étaient sous la conduite des religieux quant au
spirituel. La raison de ce règlement était fondée sur ce que, l'ordre ayant été spécialement
institué pour les femmes, les hommes n'y étaient admis que pour leur procurer des secours
spirituels. L'habitation des hommes était séparée par une clôture inviolable; l'église leur était
commune. Le chœur des religieuses était au-dessous de celui des religieux, de telle sorte
qu'ils ne pouvaient pas se voir. On trouve encore aujourd'hui en Allemagne et à Dantzig
quelques monastères brigittins ainsi constitués.
Ce fut là le commencement de l'ordre que l'on a depuis appelé de Sainte-Brigitte ou de
.S<MH<M~Mr. Les constitutions de cet ordre ont été approuvées par le siège apostolique.
Lorsque Brigitte eut demeuré environ deux ans dans le monastère de Wastène, Notre-Sei-
gneur lui apparut et lui commanda d'aller A Rome, afin qu'elle pût participer aux grâces
abondantes que tant de saints martyrs ont méritées par l'effusion de leur sang en faveur
de ceux qui visitent cette ville.
A l'époque du voyage de Brigitte à Rome, les séditions et les émeutes se succédaient
dans les États pontificaux. Urbain V regrettait déjà la tranquillité de son séjour a Avignon.
Les cardinaux profitèrent avec empressement de ces dispositions et supplièrent le pape de
retourner en France. Après quelques hésitations, le pontife crut enfin devoir se rendre a
leur désir. Cette nouvelle pénétra de douleur les vrais fidèles, qui voyaient ainsi recom-
mencer l'exil de la papauté. Quand le départ du pape eut été annoncé, Brigitte eut une
nouvelle vision dans laquelle Dieu lui révéla l'avenir et lui ordonna d'en informer Urbain V.
La sainte s'acquitta de sa mission; elle prédit au pape que, s'il retournait en France, une
mort certaine l'attendait. Soit qu'Urbain refusât de croire à l'authenticité de cette prophétie,
soit qu'il eût l'intention d'en décliner la menace en revenant plus tard en Italie, sa résolution
n'en fut pas ébranlée. Le 2& septembre i370, il fit son entrée à Avignon. Mais la terrible
menace de Brigitte ne tarda pas à s'accomplir. Dans la plénitude de sa force, de son acti-
vité, et lorsqu'il promettait un long règne, Urbain fut saisi tout à coup d'une maladie
inconnue, dont les rapides progrès firent pressentir sa fin prochaine. On dit qu'alors un
vif regret d'avoir ramené le saint-siége en France s'empara de son âme, et qu'il exprima
le vœu de retourner à Rome si la santé lui était rendue; mais ni Rome ni l'Italie ne
devaient le revoir. II mourut le 19 décembre '!370, après huit ans de pontificat.
Brigitte se fit admirer à Rome par l'éclat de ses vertus; eUe y vivait dans la retraite
qu'elle n'interrompait que pour se livrer aux bonnes œuvres; elle visitait les églises et
allait servir les malades dans les hôpitaux, donnant ses soins préferablement à ceux qui
inspiraient !e plus de répugnance. Elle fonda à Rome une maison pour les étudiants et les
pèlerins suédois. Cette maison fut rebâtie depuis, sous le pontificat de Léon X; elle est située
dans le Campo di Fiore, près du palais Farnèse.
Ainsi s'écoulait cette vie si pieuse et si privilégiée du ciel, lorsque Brigitte résolut de
s'embarquer pour la Palestine, afin de visiter les saints lieux. Catherine, sa fille,.l'accompagna
dans son pèlerinage. Elles visitèrent ensemble Jérusalem, Nazareth et Bethléem. Brigitte arrosa
de ses larmes les lieux qui avaient été sanctifiés par la présence du Sauveur. Ce fut
pendant ce pieux pèlerinage que Dieu favorisa sa servante de nombreuses et importantes
révélations sur la situation de plusieurs royaumes, comme la désolation de celui de Chypre,
et la ruine entière de l'empire des Grecs, à cause de leur schisme. Nott'e-Seigneur daigna
aussi lui révéler diverses particularités de sa Passion et de sa mort. Le long et pénible
voyage de Jérusalem épuisa les forces de Brigitte; elle fut attaquée avant son départ de la
Terre sainte d'une fièvre et d'une débilité d'estomac qui lui causèrent des douleurs très-
aiguës pendant une journée entière. Comme elle sentait approcher sa fin, elle se hâta de
partir pour Rome, où elle désirait mourir. Elle se retira chez les religieuses de Sainte-
Claire, qui habitaient le monastère de Saint-Laurent /~?.</)ern~ sur le Viminal. Notre-
Seigneur lui apparut dans sa dernière maladie et lui donna l'assurance de son bonheur
éternel. Brigitte rendit paisiblement son âme à Dieu le 23 juillet, l'an du salut 1373. Son
corps fut d'abord déposé dans l'église du monastère, puis transporté, par sa fille, en Suède,
au monastère de Wastène, suivant ses dernières volontés.
D'après l'ordre qu'elle en avait reçu, sainte Brigitte a écrit ses Révélations en langue
vulgaire. Le docteur Mathias et le prieur Pierre les ont traduites en latin et partagées en
huit livres, avec des préfaces et quelques explications. Les Révélations de sainte Brigitte ont trait
surtout à la Passion de Notre-Seigneur et à la sainte Vierge. L'immaculée conception de la
sainte Mère de Dieu et sa glorieuse assomption en corps et en âme y sont formellement
exprimées.
Une église fut construite, au xiv~ siècle, près de la place Farnèse, sur l'emplacement de
la maison habitée par sainte Brigitte pendant son séjour à Rome. Cette église est dédiée à la
sainte, et se trouve enclavée dans les bâtiments qu'elle avait fait bâtir pour servir d'asile aux
étudiants et aux pèlerins suédois. Ce sanctuaire fut restauré, en 1513, d'après une inscription
dont parle Fanucci*. Olaüs le Grand, le célèbre évéque d'Upsal, l'occupa sous le ponti-
ficat de Paul III. Après sa mort, Jules III en donna la jouissance aux religieuses dites
CoM~<!<c. Le cardinal Jean-François Alboni (plus tard pape sous le nom de Clément XI)
en fit construire la façade, la fit agrandir et orner de peintures. La fondation qui y était
annexée fut donnée aux pères de l'ordre du Très-Saint Sauveur. II paraît que ce fut à cette
époque que Biaggio Puccini, artiste fort distingué et considéré par Lanzi comme un pra-
ticien très-habile, couvrit le plafond et les murs de l'église de fresques assez remarquables.
Au-dessus du maître-autel se trouve un portrait de la sainte, fort apprécié comme modèle
antique. Quant à la Vierge et à l'enfant Jésus qui sont au-dessus de l'autel latéral, c'est
une copie d'un tableau d'Annibal Carrache. L'autre autel latéral est surmonté d'un cadre
ne renfermant qu'un bois noirci par le temps. Une inscription italienne porte que ce bois
est la table sur laquelle sainte Brigitte écrivit ses révélations. Au fond du chœur, dans le
haut, sont deux fenêtres ovales dont l'une donne sur un corridor, et l'autre sur une des
chambres de la sainte.
La porte de la première de ces chambres est surmontée d'un haut-relief en pierre
représentant la tête de sainte Brigitte entre deux têtes d'anges. Cette chambre ne présente
par elle-même rien de remarquable; mais elle est placée entre deux cellules qui offrent beau-
coup plus d'intérêt. Celle de gauche est transformée en chapelle; c'est là que la sainte est
morte. Cette chambre a la forme d'un carré allongé, ayant à peu près quatre mètres de lon-

1 ~C/'C pie </< ~OM<f.


gueur sur trois et demi de largeur. Un autel en stuc, fait par un artiste français, représente
la Mère des douleurs entre la Foi et l'Écriture sainte. Au dessus de cet autel est une
fresque représentant sainte Brigitte aux pieds de la sainte Vierge. De chaque côté sont des
personnages allégoriques à droite, la Foi et l'Espérance à gauche, la Charité. Sur le côté
droit de ce petit sanctuaire on voit i° la sainte ressuscitant un enfant mort 2° sa cano-
nisation, jolie fresque signée Brandon au~ dessous de laquelle est une inscription latine
portant le nom de Martin Y et la date (1391) de la canonisation. A gauche est une fenêtre
placée entre deux peintures représentant Brigitte, à droite avec saint François, à gauche
avec sainte Agnès; la fresque du fond représente sa mort; enfin, celle de la voûte montre
la sainte emportée par les anges. La cellule qui est à droite fixe l'attention des visiteurs
par les grands souvenirs qu'elle rappelle. C'est dans cette cellule que sainte Brigitte reçut
ses nombreuses visions. Quoique beaucoup plus simple que la chambre décrite précédem-
ment, elle présente plus d'intérêt, parce qu'elle a été conservée A peu près dans son état
primitif. On y voit cinq tableaux contemporains de la sainte, et un petit autel.

/!e/?e.rtOMx. monde, sinon ce qui peut nous conduire au ciel?


1° Que nous importe-t-il de savoir en ce
Or nous la trouvons, cette science, dans la méditation de la Passion du Sauveur. 2° Comment se fait-il
donc que nous y pensions si peu? Ah! c'est que nous ne voulons pas sincèrement devenir des saints.

PRIÈRE. Sainte Brigitte, mère des pauvres, très-fervente amie de Dieu, très-noble par votre naissance,
plus noble encore par votre foi, dont la piété fut si vive, qui passiez vos nuits dans la prière et la contem-
plation, qui avez été souvent consolée par des visions célestes, aimable à Dieu, aimable aux hommes, priez
pour nous. Sainte Brigitte, parfait exemplaire de chasteté, d'obéissance et de pauvreté, modèle des épouses et
des veuves, type admirable d'humilité et de pénitence, dont la douceur était ineffable, et qui aviez tant
d'amour pour la croix du Sauveur, priez pour nous. Sainte Brigitte, qui ne cessiez de vous livrer aux œuvres
de miséricorde, qui donniez tous vos biens aux pauvres, priez pour nous. Sainte Brigitte, qui à l'instant de
votre mort avez mérité d'être visitée par le Sauveur, dont la vie et la mort ont été illustrées par tant de pro-
diges, qui jouissez au ciel de l'éternelle béatitude, et venez en aide avec une grande miséricorde à ceux qui
vous implorent sur la terre, voici que nous vous implorons, priez pour nous.
(Traduction libre des Litanies de sainte Brigitte.)
CHAMBRE

UE

SAINTE CATHERINE DE SIENNE

A VIA DI SANTA-CHIARA.

(A.D.t347-t380.)

SAINTE CATHERINE naquit à Sienne de parents pauvres, bien qu'ils fussent alliés aux
illustres familles de Benincasa et de Borghèse, qui ont depuis donné des papes et des princes
à l'Église. Catherine ressentit dès son bas âge cette tendre piété qui est comme le signe
distinctif des âmes prédestinées. A huit ans elle fit vœu de virginité perpétuelle, priant la
très-sainte Vierge de la vouloir présenter pour épouse à son fils. A la suite de ce vœu,
elle se sentit pressée de se faire religieuse, et quand elle voyait des religieux, particulière-
ment de l'ordre de Saint-Dominique, elle allait baiser dévotement la trace de leurs pas.
A dix ans, Catherine cherchait déjà à vaincre le sommeil, afin de consacrer toutes les
heures de sa vie à la méditation et à la prière. De toutes les occupations manuelles aux-
quelles son père voulut la former, elle ne put jamais s'assujettir qu'à une seule le soin
des malades, de ceux surtout dont les infirmités effrayaient le zèle et refroidissaient la
charité. Ses parents, qui ne connaissaient rien de ses projets, songèrent à la marier
<
quand elle en eut l'âge; mais Catherine s'y refusa et se coupa elle-même les cheveux pour
montrer qu'elle n'aurait jamais de commerce avec les hommes. A dix-huit ans, elle prit
l'habit du tiers ordre de Saint-Dominique dans un couvent qui était attenant à l'église des
dominicains. Son plus grand plaisir était de rester enfermée dans sa cellule et de vaquer
à la prière. Ses mortincations n'eurent plus de bornes elle garda pendant trois ans un
silence qu'elle n'interrompait que pour parler à Dieu ou à son directeur. Notre-Seigneur
s'étant un jour montré à Catherine pendant qu'elle était en prière, lui fit cette révélation
« Sais-tu bien, ma fille qui tu es et qui je suis? Si tu sais ces deux choses, tu seras
bienheureuse. Tu es qui n'est pas, je suis qui suis si tu as cette connaissance dans ton
cœur, jamais l'ennemi ne pourra le tromper, et tu éviteras tous les piéges; tu ne consen-
tiras jamais à aucune chose contre mes commandements, et tu obtiendras sans peine toute
grâce, toute vérité et toute gloire. »
Le biographe de sainte Catherine de Sienne, qui fut en même temps un de ses direc-
teurs spirituels, admire avec raison le sens profond de cette prière, à la fois simple et
sublime. En effet, elle renferme en deux mots ce qu'il y a de plus élevé dans Platon, qui
définit Dieu ce qui est, et la créature ce qui n'est pas; idée qui semble empruntée de l'Écri-
ture sainte où Dieu se définit lui-même Ce/w' qui est, et où David dit à Dieu Voilà que
ma substance est devant vous comme Mn rien. Ce sublime résumé de la sagesse divine et
humaine, devenu l'oraison familière d'une jeune fille de teinturier, nous paraît à elle seule
une preuve évidente d'une illumination surnaturelle et céleste.
II semble qu'une existence comme celle de Catherine, existence cachée au monde,
étrangère aux habitudes et à l'éducation qu'on y reçoit, devait demeurer oubliée dans la
solitude; mais à cette époque du moyen âge, les princes et les peuples avaient foi dans la
puissance de la vertu et de la prière. Une pauvre religieuse était souvent aussi puissante
par la renommée de ses bonnes œuvres, qu'un conquérant par le bruit de ses succès. C'est
ce qui nous explique pourquoi les Florentins, voulant négocier leur réconciliation avec
Grégoire XI dont ils avaient méconnu l'autorité, s'adressèrent à Catherine. Celle-ci partit
pour Avignon, vêtue de l'habit du tiers ordre de Saint-Dominique; elle calma l'irritation du
pontife, obtint le pardon qu'elle était chargée de demander; puis elle insista auprès de
Grégoire pour qu'il revint à Rome, afin de ne pas laisser les sanctuaires des apôtres aban-
donnés et les villes d'Italie sans protecteur et sans guide. Le pape céda aux remontrances
de Catherine malgré les nombreuses difficultés qui s'opposaient à son retour, malgré surtout
l'opposition du roi de France. Il quitta Avignon au mois de septembre 1376, et arriva à
Ostie trois mois après.
Depuis cette époque jusqu'à sa mort, Catherine de Sienne ne cessa d'être mêlée à tous
les grands événements de la chrétienté.
La peste ayant fait sentir ses ravages en Italie, la sainte se dévoua généreusement au ser-
vice de ceux qui en étaient attaqués. Elle obtint de Dieu la guérison de plusieurs, entre
autres de deux dominicains remplis de vertus c'étaient les pères Raymond de Capoue, son
biographe, et Barthélemy de Sienne. Sainte Catherine insistait principalement sur la nécessité
d'apaiser la colère de Dieu par de dignes fruits de pénitence. Ses discours étaient si per-
suasifs que les plus grands pécheurs ne pouvaient y résister. On accourait de toutes parts
w
pour l'entendre et même pour la voir. Ceux qui avaient eu ce bonheur s'en retournaient
glorifiant Dieu et bien résolus de mener à l'avenir une vie plus chrétienne.
Quelque temps après, la sainte fit un voyage à Monte-Pulisano pour consacrer à Dieu
deux de ses nièces, qui devaient prendre le voile de Saint-Dominique; elle se rendit aussi
à Pise, où elle était attendue avec impatience, mais elle ne se détermina à entreprendre
ce voyage que quand ses supérieurs le lui eurent ordonné. Étant arrivée dans cette ville, elle
y rendit la santé à un grand nombre de malades, et y procura la conversion de beaucoup
de pécheurs.
Le fait suivant montre assez quelle était, pour cette œuvre de miséricorde, la grâce
particulière de notre sainte. Le pape Grégoire XI chargea le Père Raymond, de Capoue, avec
deux autres dominicains, d'entendre la confession de ceux que Catherine aurait engagés a
changer de vie. Ces religieux étaient au tribunal de la pénitence nuit et jour; ils pouvaient
à peine suffire à entendre tant ceux qui ne s'étaient jamais confessés que ceux qui t'avaient
fait sans les dispositions nécessaires.
Nous avons vu que, l'an 1376, les Florentins envoyèrent sainte Catherine de Sienne à
Avignon, pour faire leur soumission et leur paix avec le pape, s'engageant à ratifier toutes
]es conditions auxquelles elle jugerait à propos de conclure. Le pape, de son côté, remit
toute l'affaire entre tes mains de Catherine, lui recommandant seulement l'honneur de FÉgUse.
Mais les Florentins, c'est-à-dire ceux qui dominaient dans la ville, n'avaient rien moins
que des intentions pacifiques; ils entretenaient toujours des intrigues secrètes pour détacher
1 Italie de l'obéissance de Grégoire XI. Leurs ambassadeurs arrivèrent fort tard à Avignon,

et l'insolence avec laquelle ils parlèrent fit assez voir que la paix n'était pas le sujet de
leur voyage. L'accommodement ne put donc avoir lieu.
Le pape envoya Catherine Florence, persuadé qu'il était qu'elle apaiserait les révoltés.
La sainte trouva la ville livrée à l'anarchie; elle ne voyait que meurtres et confiscations.
Plus d'une fois sa vie fut menacée; mais elle se montra intrépide, même en présence des
épées que l'on tira contre elle. Elle réussit enfin, par son courage et sa persévérance, à
calmer l'effervescence populaire et à faire accepter la paix aux Florentins. Sa mission rem-
plie, elle dit à ses enfants spirituels « Maintenant, nous pouvons nous en aller, attendu
que, par la grâce de Jésus-Christ, j'ai exécuté ses ordres et ceux de son vicaire. »
Ce qui distinguait surtout le caractère de la dévotion de Catherine de Sienne, c'était
une confiance illimitée dans la protection de Dieu. Urbain VI. successeur de Grégoire XI,
lui ayant confié, elle et à sainte Catherine de Suède, le soin d'une négociation avec la cour
de Naples, Catherine de Suède s'effraya à la pensée de deux jeunes filles voyageant seules
dans les hôtelleries et sur les routes mais Catherine de Sienne ne craignait rien. « Si sainte
Agnès et sainte Marguerite, disait-elle, avaient ainsi calculé, elles n'auraient jamais gagné
la couronne du martyre. ')
Catherine revint à Rome, où l'avait appelée le pape Urbain VI afin de se servir de son
influence pour l'extinction du schisme d'Occident. Elle devait y finir ses jours. Sentant que
sa dernière heure approchait, elle demanda les sacrements de l'Église, qu'elle reçut avec une
grande ferveur; puis, ayant appelé ses filles et ses compagnes qui l'avaient suivie à Rome,
elle leur adressa une dernière exhortation, leur recommandant l'abnégation de soi-même,
l'application à l'oraison, la promptitude dans l'obéissance, la confiance en Dieu, la charité
mutuelle, et surtout un grand dévouement pour le vicaire de Jésus-Christ. Elle consacra
ensuite le peu de temps et de forces qui lui restaient à prier et à s'entretenir avec son divin
Époux; après quoi elle lui rendit son âme, le 29 avril 1380, à l'âge de trente-trois ans.
La mort de Catherine fut un deuil pour l'Église, et surtout pour le pape Urbain VI dont
elle était la conseillère. Elle avait été mêlée à tous les grands événements de la chrétienté.
D'un esprit élevé, pénétrant, elle s'était formée à la connaissance des hommes bien plus par
l'oraison que par l'expérience de la vie. Instruite à l'école de Jésus-Christ, Catherine passa
de l'atelier de son père à la cour des princes, du calme de la retraite au milieu du bruit des
factions; et partout elle fut à sa place, parce qu'elle avait puisé dans la solitude une fermeté
et une tendre charité que les passions du monde ne pouvaient vaincre on auaibtir.
Catherine fut enterrée dans t'égtise des dominicains de Sainte-Marie-de-ta-Minerve. on
l'on garde encore son corps sous l'autel de la chapelle du Saint-Sacrement. Son crâne et les
instruments de sa pénitence furent transportés chez tes dominicains de Sienne, dans l'église
même où elle allait prier et on le Sauveur daigna tant de fois se manifester à son humble
servante. Plusieurs sanctuaires s'élevèrent dans la suite sous son invocation. Le plus ancien se
trouvait près de !a Minerve, mais il fut abandonné au xvt' siècle pour l'église et le menas-'
tère, de Sainte-Catherine, situés sur le mont ~a~aMo~t, près de la place Trajane t. A la même
époque, un certain nombre de Siennois ayant formé une confrérie, dédièrent a sainte Cathe-
rine une ancienne église de Saint-Nicolas, qui se trouvait dans la ~rot~a Giulia. Cette confré-
rie distribuait des dots a de pauvres jeunes filles de Sienne.
On conserve aussi à Rome la chambre où vécut et mourut sainte Catherine. Cette
chambre, qui est représentée dans la gravure ci-jointe, fait partie d'une maison de modeste
apparence située dans la ria ~M~-C/i~ra (rue Sainte-Ctaire). Ce sanctuaire vénérable se
trouve à l'extrémité d'une petite cour. On voit au-dessus de la porte d'entrée une peinture
représentant l'Annonciation de la très-sainte Vierge Marie. C'est tout ce qui la distingue
au dehors.
Une première pièce, servant de vestibule a cette chambre transformée en chapelle,
porte sur tes parois de ses murs des inscriptions qui rappellent tes époques où différents
papes enrichirent ce petit sanctuaire de leurs dons. Un autel, orné de marbres précieux,
occupe la place du lit de la sainte. Les murs sont également revêtus de marbre et de pein-
tures à fresques dont nous allons expliquer les sujets principaux.
A droite et a gauche, sur tes murs latéraux, sont adossés des tombeaux de très-beau
marbre, enrichis d'ornements de bronze doré, et qui renferment tes corps des saints mar-
tyrs Héraclius et Exupérantius.
Au-dessus du tombeau de droite, un ange de marbre blanc déploie une légende qui porte
cette inscription

BEATA LUCIA, VtRGO NARNIENSIS, HUJUS HOSPITALIS DOMUS.

Ces quelques mots rappellent une visite que fit la bienheureuse Lucie à sainte Catherine
son amie, et l'hospitalité qu'elle reçut de la sainte qui la fit coucher dans sa chambre même.
Les peintures à fresques qui ornent tes murs représentent différentes scènes de la vie
de la sainte.
Le premier sujet à gauche, en entrant, représente le mariage de Catherine avec Notre-
Seigneur. Depuis longtemps, la sainte fille demandait à Notre-Seigneur d'affermir sa foi et de
t'agréer pour sa très-humble servante. Le divin Maître avait daigné lui répondre « Cathe-
rine, je t'épouserai dans la foi. » Or. un jour, aux approches du Carême, tandis que ta

On donnait le nom de Magnanapoli (Balnea Pauli CwttVtt) à cette partie de l'Esquilie qui avoisine la place Trajane. ( Rome
c/frc<!eMH~par M. Eugène de La Gournerie/t. Il, p. 47.)
famille de Catherine était à se réjouir dans les festins et tes fêtes, celle-<i s étant retirée
dans sa cellule pour y jouir plus intimement de la présence et de l'amour de son Dieu,
le Sauveur lui apparut et lui dit « Voici que moi, ton Sauveur, je t'épouserai dans la foi.
Tu la conserveras toujours pure jusqu'aux noces éternelles que nous célébrerons dans le
ciel. Tu triompheras par là de tous tes ennemis. »
Le second sujet que ton remarque à gauche, près de Faute!, représente Catherine pré-
sentant à un pauvre une croix d'argent.
Un jour qu'elle allait à l'église des frères prêcheurs de Sienne, un pauvre vint lui
demander l'aumône. Comme elle se trouvait sans argent, elle pria ce pauvre de l'accompa-
gner jusque chez elle. Celui-ci refusa et dit « Si vous avez quelque chose à me donner,
donnez-le-moi de suite, car je ne puis attendre. » Catherine, craignant de l'affliger, chercha
dans ses vêtements quelque chose qu'elle pût donner, et apercevant une croix d'argent
qu'elle portait attachée à un chapelet, elle la détacha et la donna ce
pauvre. La nuit
suivante, Notre-Seigneur lui montra cette même croix enrichie de pierreries, en lui disant
qu'il la lui rendrait devant tous au jour du jugement.
Le premier sujet qui se présente sur le mur qui se trouve derrière l'autel. nous
montre Notre-Seigneur Jésus-Christ prenant le cœur de sainte Catherine.
Un jour que la servante de Dieu était plongée dans une fervente oraison et suppliait le
Seigneur de lui retirer son cœur et sa volonté, il lui sembla en effet qu'elle se sentait ouvrir
la poitrine et arracher le cœur. Elle éprouvait une joie céleste et il lui semblait, quand elle
eut fini sa prière, qu'elle n'avait plus de cœur.
Le dernier sujet à droite, près de la porte, représente sainte Catherine recevant les
stigmates de la Passion de Notre-Seigneur.
Le plafond de la chambre de la sainte, qui est en bois, a été noirci par le temps. Il a
été conservé dans son état primitif. Les parois seules ont été changées celles qu'on y
voyait du temps de sainte Catherine furent transportées à l'église Sainte-Marie-de-la-Minerve
par le cardinal Antoine Barberini, qui en fit une chapelle particulière. Cette chapelle se
trouve derrière la sacristie de l'église; elle est ornée d'anciennes peintures du Pérugin.

Réflexions. 1" Les maux de FÉgHse doivent intéresser tons ses membres. 2" Si tous les chrétiens ne
peuvent pas la défendre par les armes de la parole tous peuvent prier pour elle. 3" Souvent la prière
d'une âme inconnue est plus efficace que tous les efforts du zèle le plus actif.

PmÈRE. Grâces vous soient rendues, ô Père éternel. de ce que vous ne m'avez point dédaignée, moi
votre créature, ni rejeté mes désirs. Malgré mes défauts innombrables, votre sagesse ne m'a point méprisée,
non plus que votre bonté et votre clémence. Au contraire, dans votre lumière vous m'avez donné la lumière;
dans votre sagesse j'ai connu la vérité; dans votre clémence j'ai trouvé l'amour de vous et du prochain.
Qui vous y a obligé? non mes vertus, mais votre charité seule. Puisse ce même amour vous incliner à
éclairer FœH de mon intelligence de la lumière de la foi, afin que je connaisse et comprenne votre vérité.
qui m'a été manifestée. Donnez-moi que ma mémoire soit capable de retenir vos bienfaits, que ma volonté
s'embrase du feu de votre charité. Je vous demande cordialement la même chose pour toute créature rai-
sonnable, en général et en particulier, et pour le corps mystique de la sainte Église.

(Tiré du gratte de l'obéissance. de sainte Catherine de Sienne.)


CHAMBREDE STEFRANÇOISE ROMAINE.AUMONASTÈREDE TORRE DE SPECCHI
CHAMBRE
UH
SAINTE FRANCOISE ROMAINE
<~
AU MONASTÈRE DE TORRE DE SPECCHI.

(A.D.]3R4-i440.)

ROME fut témoin, au commencement du xv" siècle, d'un de ces exemples de vertus
modestes auxquelles la célébrité semble s'attacher d'autant plus volontiers qu'elles cherchent
davantage le silence et l'oubli. Françoise de Bucci ou de Buxi appartenait A une des riches et
puissantes familles de l'aristocratie romaine. Elle naquit en 1384, de Paul de Buxis et de
Giacobella Rofredeschi. Le luxe dont Françoise fut environnée dès sa naissance, le brillant
avenir qui s'ouvrait devant elle, ne purent altérer la simplicité de son cœur. A onze ans
elle résolut de s'enfermer dans un cloître; mais ses parents, qui avaient autrement ordonné
de sa vie, trouvant pour elle une noble alliance dans la personne de Lorenzo Ponzani,
la marièrent sans tenir compte du désir qu'elle avait de garder la virginité. Françoise se
soumit à l'ordre de ses parents avec cette douceur obéissante qui était un des traits de son
caractère, et dans la nouvelle position que Dieu lui avait faite, elle sut, par sa tendresse et
ses attentions prévenantes, par cette sérénité constamment égale des âmes pures, se concilier
l'amour de tous ceux qui l'entouraient. Elle n'avait de pensées que pour Dieu, les pauvres
et sa famille; elle n'estimait ses richesses que parce qu'elles lui. donnaient les moyens d'assister
l'indigence; elle défendait aux personnes de sa maison de renvoyer aucun pauvre sans lui
faire l'aumône. Non contente d'assister ceux qui se présentaient chez elle, elle faisait por-
ter des secours aux malades qui ne pouvaient les venir chercher eux-mêmes. Dieu témoigna
par plusieurs miracles combien les libéralités de sa servante lui étaient agréables. Le mari
de Françoise voyant se multiplier miraculeusement dans sa maison les provisions de vin et
de blé à mesure qu'elle les épuisait, n'apportait aucune entrave à ces pieuses libéralités.
Françoise se prodiguait avec un égal dévouement au service des malades. Dans les temps
d'épidémie, elle les recueillait chez elle en aussi grand nombre que sa maison pouvait en
contenir, et pansait elle-même leurs ulcères. Ou la voyait visiter les l)ôpitaux el les plus
obscures chaumières, portant partout les trésors de sa charité et de sa foi.
C'était dans le cercle de ces grands et sublimes dévouements que se concentraient toutes
les jouissances de Françoise; elle fuyait ces fêtes bruyantes et ces amusements frivoles qui
étourdissent l'âme sans la distraire, et qui laissent le cœur vide. Mais, quelque goût qu'elle
eût pour la prière et pour ces différentes ceuvres de la charité, elle ne négligeait point les
devoirs de la famille. Ses mortifications étaient extraordinaires et toujours subordonnées à la
volonté de son mari, qui, de son côté, était rempli de prévenances pour elle. Le bannissement
de ce cher époux, la confiscation de ses biens par Ladislas de tapies, qui s'était emparé de
Rome, mirent la patience de Françoise à de rudes épreuves. Elle les supporta, non sans
douleur, mais avec un invincible courage et une admirable résignation « Je me réjouis de
tous ces malheurs, disait-elle, parce qu'ils sont une suite de la volonté du (jet. Quoique
chose que Dieu m'envoie, je louerai et bénirai toujours son saint nom.
Françoise s'était attiré l'affection et la confiance de plusieurs nobles dames qui fréquen-
taient comme elle l'église Sainte-Marie-ta-Neuve. Un jour, c'était en 1~25, leur parlant avec
une ferveur extraordinaire, elle leur exposa combien ce serait une chose agréable à Dieu si
toutes, d'un consentement unanime, se consacraient à la sainte Vierge, et sous sa protection
maternelle formaient uue association de piété dans cette même église, comme il y en avait
d'autres ailleurs, telles que celles du Rosaire ou du Scapulaire. Cette peusée plut singuliè-
rement à toutes ces dames, qui la regardèrent comme inspirée du ciel et digne d'être mise
à exécution sans délai. Le jour de l'Assomption, elles firent solennellement l'oblation de leurs
personnes à la sainte Vierge, d'où leur vint le nom d'Oblates.
Ce n'était là qu'un germe qui, avec le temps, devait produire quelque chose de plus
parfait. La congrégation des Oblates ne fut définitivement fondée que huit ans plus tard (H33).
Les pieuses dames qui en faisaient partie, les unes filles, les autres veuves, se réunirent
dans une maison appelée la Tour-des-Miroirs (Tor-dei-Specchi). Elles ne s'engagèrent par
aucun vœu ni par aucune obligation qui fussent en dehors des exigences de la vie séculière;
mais elles se réunirent pour se former ensemble à des habitudes plus sévères et à de
plus hautes vertus. Elles s exerçaient en commun à la pratique des bonnes œuvres, avec
cette intelligence de la charité qui a des consolations pour toutes les douleurs et des
secours pour toutes les infortunes. Françoise, leur mère et leur fondatrice, les dirigeait
par ses conseils, quoiqu'elle ne pût partager avec elles les avantages de la vie commune.
Son mari, qui vivait encore et qui souffrait beaucoup de ses infirmités, réclamait sa con-
tinuelle assistance. Après sa mort, Françoise mit ordre à ses affaires et se réunit à ses
chères filles. Elle alla se prosterner à la porte du couvent, nu-pieds, les bras en croix.
suppliant les sœurs, au milieu des larmes et des sanglots, de l'admettre dans leur société
comme une mendiante et une pécheresse qui, après avoir donné au monde la fleur de sa
jeunesse, venait offrir à Dieu les restes d'une vieillesse épuisée. Ce spectacle inattendu émut
jusqu'aux larmes toutes les religieuses, qui la relevèrent avec empressement et l'introdui-
sirent dans la maison avec une sainte joie. Elle prit l'habit et fit son oblation le jour de
Saint-Benoît, 21 mars 1~36. La direction de la maison était alors confiée à sœur Agnès de
Lellis; mais toutes les religieuses supplièrent Françoise de vouloir bien être leur supé-
rieure, comme elle était leur mère et leur fondatrice. Elle résista longtemps, étant venue.
disait-elle, « non pour être servie, mais pour servir les autres, comme la dernière de toutes."»
Elle consentit enfin à céder leurs instances; mais comme ses fréquentes visions et extases
pouvaient être un obstacle au parfait accomplissement de ses devoirs, elle prit pour assistante
la sœur Agnès de Lellis. La vie de Françoise était une règle vivante de perfection chaque
soir elle se prosternait devant toutes ses sœurs, et, les mains jointes, leur demandait hum-
blement pardon de toutes les fautes qu'elle avait pu commettre. On la vit s'assujettir aux
offices les plus humbles et traverser même quelquefois les rues de Rome conduisant un âne
qui portait les provisions du couvent. Cette abnégation et cette humilité élevèrent tellement
Françoise au-dessus de la vie sensible, que Dieu se plut à la combler de grâces exception-
nelles outre ses fréquentes extases et le don de prophétie qu'elle avait reçu, elle opéra
un grand nombre de miracles qui furent juridiquement attestés par des témoins oculaires.
Une révélation lui fit connaître, sept jours d'avance. le moment de sa mort. Elle expira
le 9 mars iMO, dans la cinquante-sixième année de son âge.
Son corps fut aussitôt transporté dans l'église des Olivétains de Sainte-Marie-Keuve,
qui était comme le chef-lieu de sa congrégation. C'est dans cette église que se trouve son
tombeau, chef-d'œuvre du Bernin. qui y a prodigué les pierres précieuses. On lit sur l'urne
funéraire l'inscription suivante

!N ISTO LOCO REQUIESCIT VEN. CORPUS B. FRANCISCO DE ROMA,


DICTA ALIAS DE PONTIANIS, Q~U~ FELICISSIMO TRANSITU, MIGRAVIT AD DOMINUM,
ANNO A NATIVITATE EJUSDEM MCCCCXXXX, DIE IX MENSIS MARTII,
EJUSQUE BEATA ANIMA ~TERNIS GAUDIIS EXULTAT IN COELIS.
CUJUS VITA ANGELICA MULTIS MIRACULIS FULGET IN TERRIS.

Sainte Françoise Romaine n'a été canonisée qu'en 1608, mais depuis longtemps son culte
avait été autorisé à Rome. L'église de Sainte-Marie-Neuve, où elle est enterrée, a été placée
sous son invocation, et sa fête y est toujours célébrée avec empressement et avec pompe.
Parmi les lieux auxquels se trouve attaché le souvenir de cette sainte veuve, nous cite-
rons, outre cette église, l'ancienne basilique de Sainte-Marie <fc;?M 7~ertm~ où pendant plu-
sieurs années elle allait recevoir les conseils du pieux ecclésiastique qui avait sa 'confiance;
l'oratoire de Sainte-Marie-et-Saint-Jacques t'?! capella, qui était voisin de sa demeure, et près
duquel elle fonda un petit hôpital où elle allait elle-même soigner les malades; enfin le
monastère Tor-de-Specchi (Tour-des-Miroirs), où elle passa les dernières années de sa vie.
La réhabilitation de la femme par le christianisme s'est principalement manifestée par les
saints dévouements de la charité avec laquelle elle s'associe, pour les adoucir, A toutes les
souffrances de l'humanité. Dès les premiers siècles de l'ère chrétienne, on a remarqué que
le nombre des femmes a toujours surpassé notablement celui des hommes dans toutes les
œuvres de miséricorde et-de dévouement. Il semble que la postérité de la nouvelle Ève ait
recueilli une plus grande abondance de compassion avec les larmes des saintes femmes qui
accompagnèrent le Rédempteur au Calvaire. Les hommes n'ont hérité que des larmes uniques
de saint Jeun. La première association de charité fut fondée par des femmes. Le catholicisme
a produit depuis, avec une incomparable fécondité, des congrégations religieuses de femmes
dévouées au soulagement de toutes tes misères. Ces innombrables armées de la charité qui
disent à la pauvreté « Vous êtes notre fille bien-aimée, et à toutes tes souffrances « Vous
êtes notre sœur, ont popularisé non-seulement l'assistance, mais le respect, l'amour et Je
culte du pauvre. Sur tous tes calvaires de l'humanité, au pied de toutes tes croix sur
lesquelles tes malheureux de ce monde sont cloués par la souffrance, par le crime, ou
par le malheur de leur naissance, it y a là une femme qui s'appelle la soeur ou la dame
de charité, touchant par tous tes points à nos misères sociales pour tes soulager, aux
besoins du peuple, a ses vieillards, à la jeune fille pour la préserver contre la contagion
du vice, a ses petits enfants qu'elle recueille dans ses crèches, à ses blessures, à son dés-
espoir, à sa faim; elle tes assiste par le travail qu'elle leur procure, par tes vêtements
dont elle tes couvre, par tes écoles et tes asiles qu'elle construit, et enfin par cette parole
de femme, la plus douce que le cœur du malheureux puisse entendre, car la femme a sur
tes tèvres un miel que n'ont pas tes nôtres, et dans le cœur des trésors de tendresse que
nous ne possédons pas au même degré. Comme elle sait mieux aimer que t'homme, elle
sait mieux aussi compatir.

He/!e.cMMM. 1" Être riche et ne pas abuser de ses richesses, c'est un devoir strict et rigoureux.
2" Être riche et ne pas tenir à ses richesses, c'est l'effet d'une vertu peu commune. 3° Mais être riche et
se dépouiller librement de ses biens par amour de Jésus-Christ, c'est le comble de la perfection.

PfUERE. 0 sainte Françoise, veuve romaine, si douce aux pauvres et qui viviez dans la conversation
familière de votre ange gardien ô sainte Jeanne Françoise de Chantal, illustre amie du très-illustre et très-
mellifique François de Sales; û bienheureuse Marie de l'Incarnation; ô toutes les saintes veuves qui n'avez
pas trouvé la tristesse et le découragement, mais une sainteté plus grande dans la solitude du veuvage,
vous qui soutenez souvent le courage de nos mères; ô saintes femmes, qui avez sanctifié le mariage, qui
avez parcouru en faisant le bien le chemin de notre vie, de qui on pouvait dire, là où il n'y avait plus
de misère «Elles ont passé par là; » ô vous qui avez accompli sans relâche les sept œuvres de miséricorde
corporelles et spirituelles, mais qui surtout avez donné à l'Église de robustes défenseurs et de fidèles enfants,
priez pour nous, priez pour nos sœurs et nos mères
CHAMBRE

DE
9

SAINT IGNACE DE LOYOLA


AU GESU.

(A.D.149t-)5M.)
1

I.

IGNACE naquit en Espagne, l'an 1491, dans la partie de la Biscaye connue aujourd'hui sous
le nom de Guipuscoa. Don Bertram, son père, et sa mère, Marine Saez de Balde, étaient
comptés parmi les sommités de la noblesse du pays. Ignace était bien fait de corps, affable
et officieux, mais en même temps très-emporté et ardemment passionné pour la gloire. Il fut
d'abord attaché à la maison de Ferdinand V en qualité de page. Ignace, qui préférait la vie
des camps à celle de la cour, s'enrôla dans l'armée où, malgré sa jeunesse, il ne le céda à
aucun de ses compagnons en courage; mais la conduite du jeune officier n'était rien moins
qu'édifiante. Infatué des maximes du monde, il ne rêvait que plaisirs et galanteries. En 1521,

/<
les Français ayant mis le siège devant Pampelune, Ignace, qui faisait partie de la garnison
de la ville, se distingua par son courage. Le premier sur la brèche, il fit une vigoureuse
résistance à l'ennemi; mais, tandis qu'au plus fort du combat un éclat de pierre le frap-
pait à la jambe gauche, un boulet lui cassait la jambe droite. Les Français s'étant rendus
maîtres de la place,traitèrent les prisonniers avec beaucoup d'égards, et principalement Ignace,
dont ils avaient admiré la valeur; ils l'envoyèrent au château de Loyola. Pour se distraire
et charmer ses ennuis pendant sa maladie, le jeune officier demanda des romans; comme
on n'en trouvait pas, on lui apporta la vie de Notre-Seigneur et celle des saints. Ignace lut
d'abord ces livres sans y apporter une grande attention; mais bientôt il y prit goût, et peu
à peu ce goût devint une véritable passion. Il admirait surtout l'abnégation des saints. « Ces
hommes, se disait-il à lui-même, étaient de la même nature que moi; pourquoi ne ferais-je
pas ce qu'ils ont fait? Touché de la grâce, Ignace résolut de les imiter, et il commença,
avec l'ardeur qu'il mettait en toute chose, à traiter son corps avec la plus grande rigueur.
4 peine fut-il guéri qu'it se rendit à Mont-Serrat, célèbre abbaye de bénédictins,
bâtie sur une montagne très-escarpée. H fit la confession générale de ses pèches, se lia par
le vœu de chasteté, puis, après avoir suspendu son èpéc A un pilier de l'église du monas-
tère en signe de renoncement à la milice séculière, il se rendit en costume de pèlerin à
Manrèse, et se retira dans une grotte devenue célèbre depuis, qui s'ouvrait sur une vallée
solitaire, appelée la Vo/Me du Paradis. Il jeûnait tous les jours au pain et à l'eau, si ce n'est qu'il
se permettait le dimanche quelques herbes cuites. Une chaîne de fer ceignait ses reins, et il
portait un cilice sous son vêtement de bure. C'est dans cette célèbre solitude de Manrèse qu'il
reçut cette abondante effusion de l'Esprit divin, qui l'instruisit bien mieux que n'auraient pu le
faire tous les docteurs du monde. Arrivé en peu de temps à tout ce que la perfection a de plus
sublime et de plus difficile, et touché de compassion sur l'aveuglement des pécheurs, Ignace
se dit à lui-même « Ce n'est point assez que je serve le Seigneur, il faut que tous les cœurs
l'aiment et que toutes les langues le bénissent. Plein de cette pensée, il sortit de sa solitude
et corrigea tout ce que son extérieur pouvait avoir de repoussant, afin de ne point effaroucher
ceux qu'il se proposait d'attirer et de gagner à Dieu. II modéra aussi ses austérités, quii
étaient excessives, puis il se mit à exhorter les pécheurs à la pénitence et a la vertu. C'est
à cette époque qu'il faut rapporter la composition de ses A.rerc:ce.< .s'/x/Mp~~ qu'il retoucha
dans la suite, et qu'il publia à Rome en 15~8. Il est le premier qui. par une méthode
nouvelle et facile, ait mis l'exercice de la méditation à la portée de tous les hommes.
Avant de s'occuper du salut des âmes. Ignace songea à accomplir le vœu qu'il avait
fait de visiter les lieux saints. 11 quitta Manrèse, sans rien vouloir accepter de ce qu'on
lui offrait pour son voyage. II s'embarqua à Barcelone, descendit à Gaëte, et vint de là à
Rome, en mendiant le long du chemin. Il fut reçu à l'hospice Saint-Jacques-des-Espagnols.
puis, après avoir reçu la bénédiction du pape Adrien VI, il partit pour la Palestine et arriva
à Jérusalem le t septembre de l'an i523. La vue des saints lieux le remplit d'une grande
joie. Il les visita dans les plus vifs sentiments de piété et de componction. Son bonheur
eût été de n'en plus sortir et de travailler a la conversion des mahométans; mais. sur
l'ordre exprès qu'il reçut du provincial des Franciscains de terre sainte, il retourna en
Europe. Il se fixa d'abord a Barcelone, où il étudia la grammaire; car, à l'exemple
des preux, il n'avait appris avant sa conversion qu'à dompter un cheval et à manier
une lance. Le soin avec lequel il ménageait son temps, et l'activité naturelle dont il était
doué, lui permirent de travailler à la conversion des pécheurs sans négliger ses études.
Après deux ans de séjour à Barcelone, il alla continuer son éducation littéraire à la célèbre
université d'Alcala, puis à Salamanque, puis enfin à Paris, où il arriva au mois de février
de l'année 528. Il étudia les lettres au collége Montaigu et la philosophie au collége Sainte-
Barbe. Pendant le séjour de trois ans qu'il fit à Sainte-Barbe, Ignace travailla avec succès
à la sanctification des élèves qui habitaient cette maison. Plusieurs, par suite de ses exhor-
tations, se convertirent et résolurent de renoncer au monde.
A quelque temps de là, nous retrouvons Ignace et six jeunes hommes qui l'accompagnaient,
prosternés dans l'église de Montmartre. Unis dans une même pensée, ils se vouaient à la défense
de l'Église, à la conversion des âmes, et scellaient par la communion cet engagement solennel.
Quels étaient-ils, ces hommes? Les uns, comme Ignace et François Xavier, appartenaient à
d'illustres familles dont les glorieux souvenirs vivaient dans leur imagination et les excitaient
instinctivement A un<' vie active et militante. Un autre. Pierre Le Fèvre, avait passé son
enfance 't garder les troupeaux sur les montagnes de la Savoie; et c'était dans cette soli-
tude de famé que. répondant à l'inspiration du ciel. il avait résolu de s'adonner a la médi-
tation et a l'étude. Lainez. Salmeron, Rodriguex et Bobadilla étaient tous des étudiants
incertains de l'avenir au milieu du mouvement des intelligences, et cherchant un but. une
pensée dans ce chaos de principes qui se disputaient le monde depuis la réforme. En sor-
tant de l'église de Montmartre, Ignace et ses compagnons prirent un frugal repas au pied
de la fontaine de Saint-Denis, puis ils se mirent en route sans trop savoir encore queUe
direction donner à leur zèle.
Us songèrent d'abord la
Palestine, puis ayant rencontré à Venise le célèbre Caraffa
et les Théatins, ils songèrent à fonder un institut analogue. Ignace comprit de suite l'oppor-
tunité d'un ordre religieux qui se mêlerait partout an clergé, serait partout l'auxiliaire du
chef de l'Église, se tiendrait aux avant-postes pour refouler l'hérésie menaçante, et sème-
rait des missionnaires de la foi dans toute la chrétienté et dans tous les pays infidèles. Le
voyage de la Palestine était devenu d'ailleurs impossible par suite de la guerre. Ignace prit
donc le chemin de Rome. espérant que les conseils du pape l'aideraient à mûrir et à exé-
cuter son projet. La seule chose qui fût parfaitement arrêtée dans sa pensée et dans celle
de ses compagnons, c'était qu'ils voulaient étre la Compagnie de ./e.;M.~ c'est-à-dire une troupe
d'élite, toujours placée a l'avant-garde et prenant le nom de son général, non par osten-
tation, mais comme un signe de ralliement, comme une preuve de dévouement et comme
un présage de victoire.
En attendant l'approbation pontificale, Ignace et ses compagnons commencèrent leur
apostolat à Rome. Lainez et Le Fèvre furent nommés professeurs à la Sapience; François
Xavier, qui était venu rejoindre Ignace, précha a Saint-Laurent in Damaso avec cette tendre
piété dont la persuasive expression touchait tous les cœurs. Ignace s'attacha à l'église de
Notre-Dame-du-Mont-Serrat et y donna des instructions chrétiennes. Tel était son désir de
travailler sans fin et sans relâche au salut des âmes et a la réforme des mœurs, qu'il sem-
blait le rendre indifférent à son propre salut. «J'aimerais mieux. disait-il quelquefois, vivre
dans l'incertitude de mon salut, pour servir Dieu et m'employer au salut de mes frères.
que de mourir maintenant avec la certitude du bonheur éternel~.
La Compagnie de Jésus fut constituée et approuvée par une bulle du 27 septembre 1540, et
le 17 avril suivant, Ignace et ses compagnons, après avoir visité les sept basiliques et com-
munié à Saint-Paul, prononcèrent les vœux de chasteté, de pauvreté et d'obéissance, tant
envers leur général qu'envers le pape, quelque part qu'il voulût les envoyer prêcher la foi.
Ignace fut élu supérieur général, et prit le gouvernement de la compagnie le jour de
Pâques 15~1. Après avoir fait sa promesse d'obéissance au souverain pontife, il reçut celle
de ses compagnons, et, pour leur donner l'exemple, il commença par faire le catéchisme
dans l'église de Sainte-Marie de Strala, qui lui fut cédée plus tard. Il rédigea ensuite ses
célèbres constitutions, qui traçaient à chacun la conduite qu'il devait tenir relativement a
sa propre sanctification, à celle du prochain et à l'éducation de la jeunesse. Il ne prescrivit

1. Légende du Bréviaire romain.


point d'habit particulier; ses religieux portaient celui des ecclésiastiques de ce temps-là
et, pour que rien ne les empêchât de se consacrer entièrement aux fonctions du saint
ministère, il ne les assujettit point à l'assistance au chœur. Ignace s'appliqua ensuite à
différentes œuvres de piété et de miséricorde; il fonda une maison à Rome pour recevoir
les juifs convertis, une autre à Sainte-Marthe pour les femmes pénitentes, sous le nom de
Filles repenties; il établit à Sainte-Marie et à Saint-Barthétemy-en-1'He des écoles pour les
orphelins des deux sexes; à Sainte-Catherine de Funari un conservatoire pour les filles des
courtisanes et pour celles de ces pauvres filles qui, après être sorties du conservatoire,
deviendraient veuves ou seraient obligées de se séparer de leurs maris il fonda enfin à
Saint-Apollinaire, près de Torre ~M~Mt~M~, le collége germanique, spécialement destiné à
former des ouvriers évangéliques pour l'Allemagne et la Hongrie.
Les disciples d'Ignace étonnaient déjà le monde par leur dévouement et leur zèle apos-
tolique. François Xavier évangélisait les Indes, et méritait par ses travaux d'en être surnommé
l'apôtre. Jean Nugnez et Louis Gonzalez passaient dans les royaumes de Fez et de Maroc
pour instruire les esclaves chrétiens; quatre autres partaient pour le Congo et treize autres
pour l'Abyssinie. Enfin le roi de Portugal demandait à la société naissante plusieurs mission-
naires pour ses possessions de l'Amérique méridionale, où ils fondèrent ces belles sociétés
chrétiennes auxquelles les incrédules n'ont pu refuser leur admiration. Paul III désignaitt
deux théologiens de la compagnie pour assister avec ses légats, et en son nom, au concile
de Trente. Ignace choisit Jacques Laynez et Alphonse Salmeron. Malgré leur capacité et
leur vertu, qui lui étaient bien connues, il leur donna cependant ses instructions, leur
recommandant surtout de parler avec modestie et humilité, d'éviter les disputes inutiles et
une vaine ostentation de savoir. Claude Le Jay assista au même concile en qualité de théo-
logien de l'évoque d'Augsbourg.
Ainsi, il n'était pas une position de la vie, pas une souffrance morale, que la Compagnie de
Jésus, dès son origine, n'embrassât de son ardente sollicitude. L'instruction à tous les degrés,
l'éducation religieuse, la conversion des pécheurs et des infidèles, la propagation de la foi
dans le nouveau monde, la garde de l'innocence des pauvres filles abandonnées et j~rt'cK-
tantes (pericolante), comme on dit à Rome, la Compagnie de Jésus entreprit tout cela, et elle
suffit à tout. « A la plus grande gloire de Dieu disait sans cesse Ignace Ad majorem Dei
gloriam! tel était le cri de ralliement qu'il avait donné à ses disciples!
Ce fut en 1546 que les jésuites commencèrent à enseigner. François de Borgia, que
l'Église a depuis mis au nombre de ses saints, leur fit bâtir à Gandie le premier collége
qu'ils aient possédé en Europe, avec la jouissance de tous les privilèges accordés aux uni-
versités. L'année précédente, ils étaient entrés en possession du séminaire-de Goa, et avaient
commencé à y enseigner les principes de la langue latine à la jeunesse indienne. Leur
second collége fut celui de Coïmbre. Ces établissements, et plusieurs autres qui furent
fondés bientôt après, étaient tous dirigés par le père Simon Rodriguez, qui jouissait d'une
grande réputation de science et de sainteté.
Ignace passa le reste de sa vie à Rome, où il avait établi le siège de sa compagnie.
Il la gouverna pendant quinze ans en qualité de général; mais ses infirmités ne lui permet-
tant pas d'en remplir toutes les fonctions, il obtint pour assistant le père Jérôme Nadal.
Devenu plus libre, il consacra tout son temps à la prière et ne songea plus qu'a se pré-
parer à la mort. Il eût voulu pouvoir hâter le moment où son âme serait séparée de son
corps. Toutes les fois qu'il levait les yeux au ciel, il s'écriait avec transport « Que la
terre me paraît vile à la vue des cieux! » II pleurait de joie en songeant à la mort, rempli
de cette pensée qu'enfin il verrait Dieu face à face, qu'il l'aimerait et le louerait pendant
toute l'éternité. Quand il envoyait ses missionnaires quelque part, il avait coutume de leur
dire « Allez, mes frères, allez embraser le monde et répandre partout ce feu que Jésus-
Christ est venu apporter sur la terre. » Il avait un admirable talent pour ramener les
pécheurs, et il accueillait les vrais pénitents avec une singulière douceur. Souvent il se
chargeait en partie de satisfaire pour eux à la justice divine. Sentant sa fin s'approcher,
il dicta encore à ses enfants quelques maximes sur les principaux devoirs de la vie reli-
gieuse. La veille du jour où il devait sortir de ce monde, il envoya demander au souverain
pontife la bénédiction, articulo mortis. Le lendemain matin, on le vit lever les yeux et
les mains au ciel; puis on l'entendit prononcer le saint nom de Jésus, après quoi il rendit
tranquillement le dernier soupir, le 31 juillet 1556, dans la soixante-cinquième année de
son âge. Avant et après sa mort, l'opinion sur sa sainteté fut unanime et universelle. Des
miracles étant venus la confirmer, le serviteur de Dieu fut béatifié par Paul V en 1609,
et canonisé en 1622 par Grégoire XV.
Saint Ignace a doté l'Église d'un des ordres les plus célèbres qu'elle ait comptés dans
son sein, et il a su léguer à ses enfants son esprit et ses admirables inspirations. Dans
son livre des Exercices spirituels (Exercitia spiritualia) qui suffirait à lui seul pour immor-
taliser son pieux auteur, la constitution de l'ordre se résume ainsi Le but principal de
l'ordre étant la gloire de Dieu, les membres de la société doivent travailler au salut du
prochain comme au leur; ils remplissent ce but par la prédication, les missions, les caté-
chismes, là controverse contre les hérétiques, la confession, et surtout par l'instruction de
la jeunesse; ils travaillent à leur propre salut par la prière intérieure, l'examen de con-
science, la lecture des livres ascétiques et la fréquente communion. Les membres nouvel-
lement admis dans la société passent par un sévère noviciat de deux ans, durant lequel
toutes les études sont interrompues, et qui est principalement employé à des exercices
spirituels. A la fin du noviciat se font les premiers et souvent même les seconds vœux, sem-
blables à ceux des autres ordres. La pauvreté des membres consiste en ce qu'ils ne peuvent
posséder, soit individuellement, soit collectivement, ni revenus, ni propriétés, et doivent se
contenter de ce qu'on leur donne pour leurs besoins. Mais les colléges sont dotés, pour
que ceux qui enseignent et ceux qui étudient ne perdent pas leur temps aux soins de leur
entretien. Après le? noviciat commencent les études, qui consistent principalement dans la
connaissance des langues, de la poésie, de la rhétorique, de la philosophie, de la théologie,
de l'histoire ecclésiastique et de l'Écriture sainte. Ceux qui se livrent à cette étude doivent,
pour entretenir la piété dans leur cœur, faire de fréquents examens de conscience, s'ap-
procher des sacrements tous les trois jours, et renouveler leurs vœux deux fois par an.
Alors vient le second noviciat, qui dure un an et pendant lequel on est employé à la
prédication, aux catéchismes et à l'enseignement. Cependant, la majeure partie du temps doit
être consacrée à la contemplation, dont saint Ignace a tracé le plan dans ses Exercices
spirituels. Les membres de la société sont partagés, d'après leur talent, eu trois classes
1° les profès, qui, outre les trois vœux monastiques, font le quatrième vœu d'obéissance
absolue au pape pour les missions. Il y a peu de profès ou de jésuites qui soient admis à
faire ce quatrième vœu. C'est parmi eux que sont élus le général et les autres chefs des
instituts de l'ordre. Ces instituts sont les maisons professes, dirigées par un préfet; les
colléges comprenant au moins treize membres, sous un recteur les collèges affiliés ou
résidences, ayant un supérieur, et dans lesquels les pères âgés trouvent une retraite pour
se reposer ou pour mettre la dernière main à leurs écrits; enfin, les maisons de missions,
établies pour venir au secours du clergé séculier; 2° les c(Mt(/M<fM~, qui comprennent la majo-
rité des membres de la société, chargés de l'enseignement des colléges et du ministère
pastoral, et parmi lesquels on compte les scolastiques, qui sont destinés aux plus hauts emplois
de l'enseignement; 3" les coadjuteurs temporels, frères laïques, destinés aux services manuels
et aux plus basses fonctions. A la tête de chaque province est placé un provincial. L'ordre
tout entier est gouverné par un général qui réside à Rome, jouit d'un pouvoir absolu, en
tant qu'il observe les anciennes lois de l'ordre. Les modifications ne peuvent être intro-
duites que dans les assemblées générales. Le général nomme les supérieurs; cependant il
consulte le provincial et trois autres jésuites. Les supérieurs de tous les instituts sont
obligés de rendre compte chaque année, au général, de la conduite et du progrès de leurs
subordonnés. Le général a six assistants, hommes éprouvés et expérimentés, appartenant à
l'Allemagne, la France, l'Espagne, le Portugal, l'Italie et la Pologne, qui sont élus dans les
assemblées générales. Un admoniteur est adjoint au général; il a pour mission de le soutenir
comme un ami, un père et un confesseur. Ainsi la société, présentant le modèle d'une monar-
chie fortement et hiérarchiquementconstituée, d'une législation sage et parfaite, devait, par
son organisation vigoureuse, exercer dans le monde la plus puissante influence, malgré les
calomnies et les persécutions dont la compagnie de Jésus a été l'objet. C'est sa gloire, et c'est
aussi le 'signe de sa force et le plus décisif témoignage de sa justification, d'avoir été et
d'être encore un signe de contradiction parmi les peuples; son nom, son but, et les services
immenses qu'elle a rendus à l'Église, lui ont mérité cet honneur d'être associée a ses humi-
liations comme à ses triomphes.
Les souverains pontifes ont plusieurs fois élevé la voix pour rendre hommage au zèle
et au dévouement que cette vaillante milice a montrés dans la défense des intérêts sacrés
de la foi 1.

4. Voici les touchantes expressions de la bulle ~~MMMM, du pape Paul H! « Ce sont des hommes qui, poussés par le sounte
de l'Esprit saint, se sont rassemblés de différentes contrées du monde, et, après avoir renoncé aux plaisirs du siècle, ont consacre pour
toujours leur vie au service de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, de nous et des autres pontifes romains, nos successeurs. Ils ont déjà
travaillé depuis plusieurs années d'une manière louable dans la vigne du Seigneur, prêchant publiquement la parole de Dieu, après
en avoir obtenu la permission requise, exhortant les fidèles en particulier à mener une vie sainte et méritoire du bonheur éterne), et
les engageant à faire de pieusesméditations, servant dans les hôpitaux, instruisant les enfants et les simples fidèlesdes choses néces-
saires à une éducation chrétienne; en un mot, exerçant avec un zèle digne de toutes sortes d'éloges, dans tous les pays qu'ils ont par-
courus, tous les onices de la charité et toutes les fonctions propres à la consolation des âmes. » Le même pontife disait, en 1S49,
dans sa bulle Licet debitum: Lorsque nous portons, comme un père tendre, les regards de notre âme sur la Société de Jésus, que
«
nous avons instituée et approuvée, et qui, semblable à un champ fertile dans le Seigneur, se distingue par les fruits muttiptiés et
abondantsqu'elle a produits et qu'elle continue de produire chaquejour parmi le peuple chrétien, par ses paroles et ses exemples, à
IL

Le corps de saint Ignace fut d'abord inhumé dans la petite égfise des Jésuites; mais plus
tard, lorsque Grégoire XV eut inscrit le nom du fondateur de la Compagnie de Jésus au cata-
logue des saints, it fut transféré dans la monumentale église du Gesù, que la famille Farnèse
fit bâtir au pied du Capitole comme un splendide hommage de son respect pour l'institut. Rome
ne tarda pas à voir s'élever dans son enceinte des sanctuaires placés sous l'invocation du saint
fondateur. Le cardinal Ludovisi lui dédia l'église attenante au collége romain (.Sat~-AyMace). La
nef en fut dessinée par le Dominiquin et la façade par l'Algarde. Le tombeau de saint Ignace
au Gesù devint bientôt l'objet de la vénération des Romains. Un des disciples du saint, le père
Pozzi, dont on voit les œuvres d'art dans plusieurs églises de Rome, lui érigea, vers la fin du
xvt' siècle, une splendide chapelle au lieu même de sa sépulture. Cette chapelle de Saint-
Ignace est éblouissante de richesses; le fronton en est occupé par les trois personnes divines.
Dans la main du Père Éternel est un globe de lapis-lazuli d'une inestimable valeur; la dépouille
du saint repose sous l'autel dans une urne de bronze doré, parsemée de pierres précieuses.
Sa statue d'argent massif s'élève derrière le tabernacle, et de remarquables sculptures repré-
sentent la Religion, d'un côté terrassant l'hérésie, de l'autre adorée par les peuples barbares.
Le couvent du Gesù est attenant à l'église. C'est un bâtiment grandiose, d'une propreté
sans égale et d'une simplicité remarquable dans son architecture. Les corridors du premier
étage sont décorés de petites gràvures représentant les épisodes les plus saillants de la vie
de saint Ignace et de saint François Xavier; ceux du deuxième et du troisième sont ornés
des portraits des nombreux martyrs de la compagnie. Le silence le plus profond règne dans
ces longs corridors; on croirait visiter un édifice inhabité, si l'on ne rencontrait de temps
en temps un frère ou un père qui vous salue avec cette grâce inexprimable et ce sourire
angélique, symbole de la joie intérieure et de la paix qui est le privilége de la vie reli-
gieuse. Un large corridor sert de vestibule aux chambres dites chapelles de ~at'M<Hacc. Ces
chambres ont été conservées dans leur état primitif; ce sont les mêmes portes, les mêmes
murs. La première chambre sert de sacristie à la chapelle dite de Saint-Ignace. On y lit la
copie de l'ancienne inscription qui se trouvait autrefois sur la porte d'entrée cette inscrip-
tion porte que saint Ignace, ayant un jour reçu plusieurs lettres de sa famille, les jeta au feu
sans les décacheter. A droite de cette chapelle se trouve une porte latérale qui ouvre dans la
chambre voisine, dite chapelle de la Sainte-Vierge. C'est dans cette chambre que saint Ignace
et saint François de Borgia ont rendu leur âme à Dieu. Le saint fondateur a habité cette
chambre; c'est là qu'il recevait saint Philippe de Néri, avec lequel il était lié d'une étroite

la gloire du Roi des rois et pour l'accroissementde la foi, nous jugeons convenable de combler de grâces spéciales cette Société et
les sujets dont elle est composée, qui rendent leurs services au Très-Haut en odeur de suavité, et de lui accorder favorablement
tout ce dont elle a besoin pour se régir et se conduire d'une manière utile et heureuse, et s'employer fidèlement dans le Seigneur au
salut des âmes. »
amitié; c'est là qu'il célébrait la sainte messe dans les derniers mois de sa vie, et que
les trois divines personnes lui apparurent plusieurs fois pendant la célébration des saints
mystères. L'autel dont il se servait a été conservé, ainsi que le tableau qui est placé au-
dessus, représentant la Sainte Famille et saint Jean-Baptiste. C'est dans cette chapelle que
saint François de Sales se retirait pour prier, pendant son séjour à Rome, et que saint
Charles Borromée a célébré sa seconde messe; c'est encore ta que furent reçus dans la com-
pagnie saint Stanislas Kostka, saint François de Borgia et saint Louis de Gonzague, puis le
très-révérend Père Claude Acquaviva. La chambre qui sert de sacristie à cette chapelle fut
habitée par le frère Jean Paul, le compagnon inséparable du saint fondateur; on y admire
le portrait du jeune Ignace en guerrier. La troisième pièce contient, outre le parasol du saint
apôtre des Indes, une immense quantité de reliques qu'on expose à la vénération des fidèles
au jour de la fête des saints à qui elles appartiennent. En revenant à la chambre d'entrée,
on trouve à gauche la chapelle de saint Ignace; c'était son cabinet de travail. C'est là qu'il
écrivit les constitutions de sa compagnie. L'ouverture de cette chapelle donne sur un balcon
d'où saint Ignace se plaisait à admirer le ciel et à répéter les paroles qu'il. prononçait si
souvent dans la grotte de Manzèse Heu! yM~w sordet tellus, quum ca?/Mm aspicio! Dans cette
même chambre est mort, en odeur de sainteté, Jacopo Lainez, second général de l'Ordre. Sur
l'autel, on voit l'image de saint Ignace; en face de l'autel, sa statue reproduisant les pro-
portions de son corps. Il est revêtu des habits sacerdotaux, de la soutane et des souliers
qui étaient à l'usage du saint pendant sa vie. Ce précieux trésor est dû aux soins du frère
Jean Paul, son fidèle compagnon.
Les souverains pontifes, pour témoigner leur respect et leur vénération à ce chef
immortel de la milice de Jésus, ont enrichi de nombreuses indulgences les chapelles et le
couvent du Gesù. Il est permis de célébrer le saint sacrifice dans les chapelles du Gesù
tous les jours de l'année, et même la messe votive du saint patron, excepté les fêtes de
première et de deuxième classe. Le célébrant, et les fidèles qui y reçoivent la sainte com-
munion, jouissent chaque fois de l'indulgence de sept années et sept quarantaines.

Réflexions. 1° La pensée du Ciel élève l'âme et la soutient contre les difficultés de la vertu. 2° Quel-
ques instants de violence et une éternité de bonheur. 3° Élevons nos esprits et nos cœurs à d'autres pen-
sées, à d'autres affections que celles de la terre, et nous comprendrons comme saint Ignace que les
espérances terrestres sont méprisablesà qui attend le Ciel. <?Mamsordet tellus, quum ca~MHt aspicio

PUÈRE COMPOSÉE PAR SAINT IGNACE. Recevez, Seigneur, l'offrande que je vous fais de ma liberté, de
ma mémoire, de mon entendement et de ma volonté. Vous m'avez donné tout ce que je possède je vous le
rends et le soumets à votre divine volonté, afin que vous disposiez de moi en tout, comme il vous plaira.
Accordez-moi seulement votre grâce. Avec cela je suis riche et ne veux plus rien.
CHAMBRE DE SAINT PIE V

AU COUVENT DE SAINTE SABINE.

(A.D. 1504-1572.)

MiCHEL GaiSLERt, qui devait être plus tard Pie V, naquit le 27 janvier 150~, dans la
petite ville de Bosco, près d'Alexandrie, en Piémont, d'une famille noble de Bologne, mais
déchue de son ancienne splendeur et tombée dans la pauvreté par suite des guerres civiles
du xiv' siècle.
Aussitôt que le jeune Michel fut capable de comprendre le langage de ses parents,
les enseignements de la foi et de la piété abondèrent à son oreille. On lui apprit soigneu-
sement les principes de la religion, et ses premières impressions se fortifièrent surtout
sous le toit domestique, sous l'influence de l'exemple de ses parents. Une telle éducation
devait recevoir sa récompense. Dès sa douzième année, le jeune Michel se sentit puissam-
ment appelé à la vie religieuse. Un jour, deux religieux de Saint-Dominique étant venus
à Bosco, il les accosta d'une voix timide et les surprit par la maturité de son jugement,
par ses questions et par ses réponses, à tel point que les religieux lui promirent de l'ini-
tier à leurs études et même de le faire entrer dans leur ordre, s'il s'en rendait digne.
L'enfant accepta leur offre avec joie. Il courut vers son père et sa mère, s'agenouilla,
implora leur bénédiction, et, s'attachant au pan de la robe d'un des Dominicains, les suivit
jusqu'au couvent de Voghère où il fut admis. Le prieur regarda cet enfant comme un
trésor confié à sa garde, et s'appliqua de toutes ses forces à seconder les vues de la
Providence. Au terme de son noviciat, il fut reçu a la profession, qu'il fit en l'année i5i9,
sous le nom de Michel Alexandrin.
Le jeune religieux s'adonna à l'étude de la philosophie et fit de tels progrès dans cette
science qu'on le jugea capable de l'enseigner. Il enseigna ensuite la théologie avec un
grand succès. Un de ses biographes nous apprend qu'il traitait divinement de la science
de Dieu, et qu'il savait mêler parmi les épines de la scolastique les épines du Calvaire~. Le
P. Michel fut ordonné prêtre à vingt-quatre ans. Il fut envoyé en 15~3 au chapitre de

). ~t'e </e s<tt'H<7~'<' par !e révérend Père Jean-Baptiste Feuillet, p. 8.


27
la province qui se tenait à Palerme. H y soutint des thèses et réfuta, dajis trente proposi-
tions principales, l'hérésie luthérienne qui commençait a se répandre. Enfin, ses vertus et
sa science portèrent sa réputation si haut, que les religieux l'appelèrent à l'envi aux pre-
mières dignités de l'ordre. Nommé supérieur de plusieurs maisons, il en bannit le relâche-
ment, corrigea les abus, maintint la discipline encore plus par ses exemples que par ses
discours. On croyait voir ressusciter en lui les Pacôme et les Hilarion; partout où il se
trouva, il fit revivre l'esprit de saint Dominique dans toute sa pureté et sa ferveur. Nommé
commissaire du saint office, le P. Michel Alexandrin manifesta, dans l'exercice de cette
charge importante, cette inflexibilité impartiale et calme qu'il sut conserver dans les
plus hautes dignités; il possédait d'ailleurs ce rare assemblage de qualités qui devaient se
concentrer alors dans les ministres de l'inquisition et dont saint Paul avait d'avance légué
la définition et le conseil « .~o~/ei<t M/'t'e unitatem spiritus vinculo pacis. Soucieux de con-
server l'unité de l'esprit dans le lien de la paix 1. » La conservation de l'orthodoxie et le
salut des âmes faibles, que corrompaient de perfides leçons et de fâcheux exemples,
devinrent, dès lora, la préoccupation de toute sa vie. Rude à lui-même, il ne portait jamais
de manteau; il voyageait à pied, un sac sur les épaules, et si la chaleur l'accablait, il ne cher-
chait de remède que dans le jeûne. Dans son office d'inquisiteur, il était sévère, inflexible,
quelque opposition qu'il rencontrât autour de lui et quelques menaces qui lui fussent faites.
Il CM sera ce qu'il ~eura à Dieu, disait-il souvent, et il suivait la route qu'il s'était tracée.
Cette sévérité était dans Michel Alexandrin tellement dénuée d'amour-propre, elle était l'effet
d'une si profonde obéissance à ce qu'il considérait comme un devoir, qu'elle avait laissé
toute leur naïveté à ses qualités naturelles. Cet homme si inflexible lorsqu'il s'agissait de la
foi, était d'une bienveillance inaltérable pour tous ceux qui lui demandaient des conseils ou
des secours. Il visitait assidûment les prisonniers, travaillait et réussissait souvent à conver-
tir les plus opiniâtres. Parmi les coupables se trouvait un juif qui, devenu chrétien, était
tombé deux fois dans l'hérésie; il était condamné au feu. Le charitable inquisiteur entre-
prit de lui sauver la vie de l'âme et du corps, et il y réussit.
En 1556, Michel Alexandrin fut nommé évéque des diocèses unis de Népi et de
Sutri; en 1557, Paul IV, voulant concentrer autour de lui l'action des hommes les plus
éminents, le créa cardinal. Michel se fit nommer cardinal Alexandrin, parce que ce nom,
imposé par le père provincial à l'heure solennelle de sa profession dans l'ordre, lui rappelait
les plus chers souvenirs de son enfance, de son pays et de sa vocation. Tous les membres
du sacré collége, d'un mouvement spontané, remercièrent le pape de leur avoir donné un
si glorieux collègue.
Cette haute dignité ne changea rien à l'ordre de vie du saint religieux. Il conserva la
robe dominicaine, observa ses jeûnes et ses austérités habituelles et vécut avec toute la sim-
plicité du cloître. Plein de cet esprit qui rend pauvre dans la richesse et riche dans la
pauvreté, il ne voulait pas que ses parents attachassent à son crédit la moindre espérance
temporelle, et sa fermeté à cet égard, consignée par lui-même dans une lettre à sa nièce
Pauline Ghisheri, mérite une place dans cette notice

1 Êp!tre aux Êphésiens.,


<v, 3.
« Ma chère nièce, j'ai appris avec joie, par votre lettre du 26 février, la bonne union
que vous entretenez avec votre mari qui est un honnête homme, et que vous vivez ensemble
dans la crainte et l'amour de Dieu, comme de vrais chrétiens. Gardez-vous bien de vous
en faire accroire pour être la nièce d'un cardinal. Le rang que je tiens dans l'Église vous
doit être un motif d'actions de grâces à Dieu et une nouvelle obligation dans la vertu.
Demandez pour moi la grâce de soutenir par une vertu sainte ce rang où le vicaire de
Jésus-Christ m'a é!evé. Vous ne devez pas souhaiter que Dieu m'élève davantage en ce monde;
vous ne voyez que l'éclat de ma nouvelle dignité, et vous ignorez quels sont les soins, les
inquiétudes, les chagrins où elle m'engage et dont j'étais heureusement affranchi dans le
cloître. Pour ce que vous me mandez touchant l'affaire de votre beau-frère, sachez, ma
chère nièce, que tes bénéfices ne se donnent point à la chair et au sang, mais à la vertu
et au mérite. Jusqu'à présent. Dieu m'a fait la grâce de ne pas me mêler de cet infâme
commerce; ne pensez donc pas que, sur mes vieux jours, je veuille charger ma conscience
de ces intrigues criminelles
La maison du nouveau cardinal n'était composée que des personnes dont il ne pouvait
se passer. H avait soin de les instruire lui-même de leurs devoirs, et, avant de les prendre
à son service, il les avertissait qu'ils ne pensassent pas entrer dans le palais ,d'un cardinal,
mais s'engager dans un couvent. Ces conditions remplies leur assuraient toutes sortes de
bontés de sa part. La plus grande salle de son palais était érigée en infirmerie pour les
serviteurs qui tombaient malades. Il était affable et plein d'indulgence envers tous ceux qui
venaient traiter d'affaires avec lui ou l'importuner de sollicitations. Personne n'éprouva
jamais un refus d'audience, et l'ensemble de sa conduite comme ses moindres démarches
faisaient comprendre que Dieu ne voulait l'appeler aux plus hautes dignités de l'Église
qu'afin que, de cette hauteur, il pût servir, instruire et édifier plus de monde.
A la mort de Pie IV, le sacré collége étut d'une voix unanime le cardinal Alexandrin.
Comme il refusait d'accepter le fardeau redoutable de la papauté, les cardinaux se jetèrent
à ses genoux et le conjurèrent de prononcer les paroles solennelles de l'acceptation. Le car-
dinal Alexandrin, voyant l'inutilité de sa résistance, adora en tremblant les ordres du Ciel
et prit le nom de Pie, comme un nouvel engagement envers Dieu et un hommage rendu à la
mémoire de Pie IV.
Elevé sur la chaire pontificale à une époque où l'Église était menacée par les ennemis
du dehors et les désordres de ses propres enfants, Pie V déploya, pendant son glorieux
pontificat, la sagesse, la pénétration, la doctrine et la piété dont l'épouse de Jésus-Christ
était altérée. Sans être rude ni superbe, il fut grave et vigilant; il ne fut aveugle sur
aucun désordre, mais sut se montrer clément à propos; il ne fut indulgent pour aucun
abus tout en laissant dans son coeur une place largement hospitalière pour tous les
repentirs; le ressentiment ne l'entraînait pas au delà du devoir, la séduction ne l'en fit
jamais sortir; il se fit aimer dans le bien, craindre dans le mal. Sa physionomie avait
reçu l'empreinte exacte de son âme; son visage amaigri était à la fois serein et sévère; sa
barbe, longue et blanche, semblait l'ornement naturel d'une bouche qui ne laissait échapper

). Touron. //owwc.! </<!M/y-M de ~'M'a~'c de .S~<owt'M~M< t. )V.


que de vénérables discours, et son front chauve portait, avant la tiare, la triple couronne
de la vieillesse, de la science et de la vertu. Lorsqu'on était admis a son audience, après
avoir traversé ces salles du Vatican, brillantes de marbre, étincelantes d'or, parsemées de
chefs-d'œuvre, on était fortement saisi en apercevant ce vieillard vêtu d'une grossière étoffe,
comme à l'époque où il était moine à Sainte-Sabine, et le visage amaigri par les jeûnes
fréquents dont l'habitude lui était restée sur le trône pontifical. Quelquefois on rencontrait
Pie V prosterné au pied de l'autel, répandant des flots de larmes, et, lorsqu'il se rele-
vait, ses traits étaient comme illuminés d'une joie céleste.
Pie V commença la réforme générale qu'il méditait par celle de sa maison et de sa
propre capitale. Il prescrivit une règle de conduite aux dignitaires et aux domestiques
de sa maison. Une lecture spirituelle se faisait trois fois par semaine à haute voix dans
le palais. La prière du soir commençait publiquement à une heure déterminée; le saint
pontife ne manquait jamais d'y assister, et lorsqu'il se retirait, les portes du palais res-
taient closes.
Les papes à leur couronnement avaient coutume de faire des largesses au peuple de
Rome. Pie V les convertit en aumônes qu'il répandit dans le sein des pauvres. Chargé du
gouvernement de la ville et du monde, il trouvait le moyen de vaquer aux exercices
de piété d'un religieux, et de faire tous les jours deux méditations à genoux devant le très-
saint Sacrement. Un seigneur anglais se convertit à la religion catholique en le voyant
baiser les pieds d'un mendiant tout couvert d'ulcères. Pie V témoigna un vif intérêt à l'infor-
tunée Marie-Stuart. La même main qui fournissait la dot aux pauvres filles abandonnées
écrivit à la fille des rois pour la consoler dans sa prison. Il étendit sa sollicitude jusqu'en
Amérique, aux Indes et aux extrémités du nouveau monde, et tandis qu'il aplânissait les
voies devant les missionnaires, il s'efforçait d'arrêter l'ennemi commun du nom chrétien.
Il envoya des secours aux chevaliers de Malte, et ses libéralités suffirent pour leur per-
mettre de bâtir une ville nouvelle. Enfin, lorsque Sélim II, successeur du grand Soliman,
attaqua l'île de Chypre et mit en alarme toute la chrétienté, le père des fidèles se concerta
avec Philippe II, roi d'Espagne, pour repousser l'invasion musulmane. Pie V fut nommé
chef de la croisade. Le commandement des galères fut confié &à Marc-Antoine Colonna,
celui de l'armée à don Juan d'Autriche. En envoyant sa bénédiction au général de l'armée,
il lui ordonna expressément de congédier les soldats de mœurs dissolues, avec promesse
de la victoire s'il suivait ce conseil. Les croisés rencontrèrent la flotte ennemie à l'ancre
devant le port de Lépante, et bientôt, aux premiers rayons du soleil levant, ils aperçurent
tes Turcs rangés en bataille. Don Juan d'Autriche ne tarda pas à donner le signal en
élevant la bannière bénite par les mains du pape. Officiers et soldats s'agenouillèrent et se
mirent en prière. Ils restèrent dans cette position jusqu'à ce que les deux flottes se fussent
approchées. Alors un second signal fut donné, et l'action s'engagea. Un vent favorable,
l'avantage du nombre, tout semblait promettre la victoire aux Turcs; ils chargèrent avec
fureur. Mais le vent changea tout à coup, et, poussant contre eux la fumée de l'artillerie
chrétienne, il les enveloppa d'un épais nuage qui tes aveuglait. Après trois heures de lutte,
la terreur saisit les infidèles et la déroute commença. La victoire des chrétiens fut complète.
A dater de cette défaite, la puissance des Ottomans ne fit plus que décroitre. Jamais ils ne purent
se relever du coup qui frappa au cœur leur empire dans la journée de Lépante. Cette vic-
toire était due aux prières de Pie V qui, comme un autre Moïse, n'avait cessé d'élever les
mains vers le ciel, avec les vœux et les prières de l'Église. La victoire des chrétiens près
de Lépante rappela celle qu'Auguste avait remportée, non loin de là, sur le voluptueux
Antoine. Cent trente bâtiments furent pris, cinquante-cinq coulèrent à fond, et vingt-cinq
mille Turcs périrent. Les enfants d'Ali-Pacha, qui avait été tué dans le combat, furent
envoyés à Rome. Ils y arrivèrent à la suite de Colonna, à qui le pape voulut décerner
tous les honneurs du triomphe. Colonna trouva sur son passage des inscriptions, des arcs
splendides, une foule empressée et tumultueuse. Derrière lui marchaient les captifs, parmi
lesquels tous les yeux cherchaient les jeunes enfants d'Ali. On eût pu se croire trans-
porté aux temps de la république, et ce fut au milieu des plus vives acclamations que le
vainqueur monta comme Pompée au Capitole. Il fut conduit de là au Vatican, où le pape
le reçut entouré des cardinaux, et, afin qu'il ne manquât rien à sa gloire, le célèbre
Muret prononça son panégyrique.
Ce fut en mémoire de ce glorieux événement que Pie V fit célébrer la tête du Rosaire le
premier dimanche d'octobre. Il inséra aussi les mots de Secours des chrétiens dans les litanies
de la sainte Vierge. Un tableau de la bataille de Lépante fut commandé à Vasari pour la
sala Reggia du Vatican, et le peuple romain fit construire le soffite doré d'Aracioli, comme
un hommage de sa pieuse reconnaissance envers la Mère de Dieu. L'année suivante il se
préparait & profiter de la victoire remportée sur les infidèles; mais il mourut de la pierre
le i"' mai 1572. « Seigneur! disait-il souvent dans sa maladie, Seigneur! augmentez mes
douleurs et ma patience. » II avait soixante-huit ans, trois mois et quinze jours quand
Dieu l'appela à lui. Il fut béatifié par Clément X en 1672, et canonisé en 1712 par
Clément XI. Son corps, conservé dans l'église de Sainte -Marie-Majeure, est exposé chaque
année à la vénération des fidèles, qui admirent, après plus de trois cents ans, sa parfaite
intégrité.
Pie V fut regretté de tous les habitants de Rome, des uns à cause de son austérité,
des autres à cause de sa justice. Il aimait les lettres, et l'un des premiers actes de son
pontificat avait été de demander à chaque évéque les noms des ecclésiastiques de sa dépen-
dance qui se distinguaient par leurs vertus et leur science, afin qu'ils eussent part à sa
faveur.
Les Pères dominicains ont conservé avec un religieux respect la chambre que Pie V
habitait au couvent de Sainte-Sabine avant d'occuper le siège de saint Pierre. Cette chambre
mesure dix mètres de longueur sur huit de largeur; elle est ornée de pilastres surmontés
du chapiteau ionique. Sur l'autel se trouve un crucifix devant lequel méditait le saint pape;
le tableau qui se trouve au-dessus de l'autel représente le bienheureux en prière; à la
muraille de droite, au-dessus de la fenêtre, on voit une fresque représentant saint Pie V
donnant de la terre du Colysée aux ambassadeurs de Venise qui demandaient des reliques;
à la muraille de gauche, une fresque pareille représente le même pontife chassant le
démon du corps d'une jeune fille; au-dessous, une autre peinture montre saint Philippe
de Néri prophétisant à notre saint, alors cardinal, son élection prochaine; au-dessus de
la porte d'entrée on voit saint Pie V quittant une fenêtre et annonçant que la bataille de
Lépante était remportée par les armées chrétiennes. Aux deux côtés de l'autel s~ trouvent
plusieurs châsses renfermant quelques reliques de sainte Sabine et de plusieurs autres
martyrs

Réflexions. prière est la grande ressource de l'Église catholique. 2" Elle peut espérer contre
1" La.
l'espérance même, parce qu'elle possède dans son sein cette grande ressource qui est Jésus-Christ, qu'elle
possède sur ses autels. 3° Quand la tempête de la tentation gronde autour de nous, armons-nous de ce
puissant moyen pour vaincre l'ennemi de notre salut.

PfHf:BE (tir~ de l'office de saint Pie v. 5 moi). 0 Dieu, qui avez daigné choisir le bienheureux pontife saint Pie V

pour écraser les ennemis de votre Église et restaurer le culte divin, faites que nous soyons protégés par
les embûches
son intercession, et que nous nous attachions à votre service, afin que, surmontant toutes
des ennemis, nous jouissions de la paix éternelle.
CHAMBRE

nR

SAINT PHILIPPE DE NÉRI


A SAN GIROLAMO DELLA CARITA

(SAtNT-J~RÔMR-DE-LA-CHAniTE).

(A. D.)SlI-t595.)

ON aime à rapprocher de saint Ignace un autre saint que Rome vénère comme son
bienfaiteur et l'un de ses thaumaturges les plus favorisés du Ciel. C'est saint Philippe de
Néri. Né dans la ville des fleurs, dans la belle et gracieuse Florence, comme un lis très-
pur dont. rien ne devait flétrir la virginale candeur, le 21 juillet de l'année 1511, Philippe
mena la vie d'un saint dès son âge le plus tendre. On ne pouvait rien voir de plus doux
et de plus aimable. Aussi l'appelait-on le bon Philippe. Son âme ascétique puisait dans la
contemplation des choses divines la même abondance de charité qui s'élançait par bonds
impétueux du cœur ardent d'Ignace de Loyola. Comme l'âme naturellement chrétienne de
Philippe de Néri se sentait entrainée vers Dieu sans effort et par attrait, elle n'eut besoin
m de catastrophes imprévues, comme Ignace, ni de longues méditations sur un lit de dou-
leur, pour découvrir la voie que la Providence lui avait tracée. Dès sa jeunesse, il renonça
à la succession d'un oncle qui voulait l'engager dans le négoce, et, libre envers le monde,
il se rendit à Rome pour s'y livrer à l'étude de la philosophie et des saintes lettres. On
distinguait Philippe au milieu des jeunes gens de son âge, à son visage amaigri par le jeûne,
et à cette beauté céleste qu'impriment aux traits du jeune homme la virginité de l'âme et
les saintes ardeurs de la piété. Philippe allait souvent visiter les grandes basiliques romaines
avec un certain nombre d'amis qu'il avait attirés à lui par le charme de sa piété; et la
nuit, tandis que la ville était muette, que les temples étaient fermés, il descendait dans les
catacombes de Saint-Calixte, et là, agenouillé sur les tombeaux des martyrs, il demeurait
plongé dans l'adoration et la prière.
A ces exercices nocturnes Philippe joignait les macérations du corps et l'usage de la
discipline, afin d anéantir la vie des sens, dont il eut a combattre les séductions jusqu'à
!<ge de cinquante ans Il voulait ainsi diriger vers Dieu toutes les tendresses et les énergies
(le son âme ardente. Aussi les auteurs de sa vie nous disent-ils que cet homme séraphique
languissait sous le poids du divin amour Charitate Dei t)M/Kem<Ms ~an~Me~ jugiter. Cet amour
divin qui embrasait le cœur de Philippe se répandait avec effusion sur les pauvres, les
malheureux, les pèlerins, et surtout les déshérités de la fortune et de la santé qui sont chargés
de représenter en ce monde la pauvreté et les souffrances de Jésus-Christ. Il visitait assidû-
ment les hôpitaux, servait affectueusement les malades, leur apprenant surtout à sanctifier
leurs souffrances. Il a laissé à Rome plusieurs monuments de sa tendre charité pour les
malheureux. Parmi ceux qu'il gagnait à la vie parfaite, la plupart entrèrent dans des ordres
religieux, quoique lui-même restât séculier. Aussi saint Ignace, qui le connaissait et l'aimait
singulièrement, le comparait-il à une cloche, qui appelle le peuple à l'église quoiqu'elle-
même reste dans la tour. Ainsi Philippe amenait-il les autres en religion, sans sortir
lui-même du siècle.
Il s'associa d'abord à une confrérie fondée en 1519, à ~tn<e?'d?M<e-<<t-CAan<ejpour
porter les secours de la piété chrétienne à tous ceux qui avaient besoin d'assistance ou de
consolation; il soutint cette œuvre et la développa. Plus tard, aux approches du Jubilé
de 1550, il fonda dans l'église ~o[!?t<p~'e-tH-Ca~Kpo une congrégation nouvelle dans le
but de recevoir et de nourrir les voyageurs étrangers que l'année sainte du Jubilé devait
amener à Rome. Cette congrégation fut approuvée en 15~t8, par Paul 111, sous le nom de la
Sainte- Trinité pour les pèlerins, et le costume de ses membres fut un sac rouge, emblème
du feu de la charité.
Lorsque l'année sainte fut passée, Philippe de Néri employa le zèle des confrères de la
Trinité à environner de soins les convalescents qui sortaient des hospices, sans avoir encore
la force de se livrer au travail. Il les reçut dans l'établissement destiné aux pèlerins et ne
les rendit à leurs familles qu'avec la santé et les moyens de ne plus leur être à charge.
Philippe se décida ensuite à entrer dans les ordres, et lorsqu'il eut été ordonné prêtre,
il se retira à Saint-Jérôme-de-la-Charité, où il demeura trente-cinq ans dans la société des
pieux ecclésiastiques qui administraient les sacrements dans cette paroisse. Chaque soir
il ouvrait dans sa chambre, qui existe encore, des conférences sur tous les points du dogme
catholique; les jeunes gens affluaient à ces saintes réunions; on y voyait Baronius, Bordini,
qui fut plus tard archevêque, et Tarugia, neveu du pape Jules III.
Les disciples de Philippe résolurent d'exercer ensemble le ministère de la prédication et
les devoirs de la charité. A cet effet ils embrassèrent la vie commune sous la direction du
saint prêtre dont la parole était si puissante sur leurs cœurs. Philippe de Néri leur rédigea
une règle, et ce fut ainsi que commença la congrégation de l'Oratoire.
Tel était l'ordre des exercices spirituels de l'Oratoire. Saint Philippe y assistait tous les
jours, et sa présence excitait le zèle de ceux qui annonçaient la parole. de Dieu, en même
temps qu'elle édifiait tous les assistants. Il voulait que le style des sermons et des entre-
tiens fût toujours simple et familier. Il savait que la parole de Dieu ne doit qu'à elle-même
son efficacité, et qu'elle n'a pas besoin de secours étrangers pour s'emparer du cœur de
l'homme et pour incliner doucement sa volonté. L'apôtre nous dit que la parole de Dieu
est un glaive à deux tranchants. Pour pénétre)' nos âmes et les subjuguer, il n'est pas
nécessaire qu'elle emprunte à la rhétorique humaine ses artifices ingénieux. Voilà pourquoi
Philippe de Néri imposait pour règle fondamentale à ses prêtres d'éviter les vains ornements
du discours, de laisser de côté les questions subtiles et abstraites, mais de se contenter
d'exposer avec simplicité des choses utiles et facilement comprises par toutes sortes de per-
sonnes. Il aimait à répéter que la chaire de l'Oratoire n'avait pas été établie pour traiter
des sujets scolastiques. ni pour faire entendre des déclamations oratoires, mais bien pour
enseigner comment on acquiert les vertus chrétiennes, et comment on triomphe de ses
passions. « Ce n'est pas pour charmer l'oreille des auditeurs que vous devez prêcher,
disait-il mais pour émouvoir leurs cœurs, et leur inspirer ou l'horreur du vice ou l'amour
de Jésus-Christ.
Comme la prière est la clef d'or qui ouvre le ciel, comme elle fait descendre sur la
terre l'abondance des secours célestes, dont la faiblesse humaine a tant besoin pour mar-
cher d'un pas ferme et rapide dans la voie des commandements de Dieu, Philippe de
Néri établit la prière quotidienne. Il voulut que les portes de l'Oratoire s'ouvrissent chaque
jour à telle ou telle heure déterminée, selon les saisons, pour une prière faite en commun
suivant la coutume des premiers fidèles.
L'église de Saint-Jérôme-de-la-Charité est bâtie sur l'emplacement de la maison de
sainte Paule; elle rappelle le souvenir de cette illustre fille des Scipions, et celui de
saint Jérôme qui logea dans cette maison pendant son séjour à Rome. L'église fut longtemps
un pèlerinage obligé pour les artistes, parce qu'elle possédait la Communion de -M!M< Ve/'dmc,
chef-d'œuvre du Dominiquin. Aujourd'hui elle n'en possède plus qu'une copie, l'original
ayant été transporté au Musée du Vatican. Outre ces grands souvenirs, l'église de Saint-
Jérôme en rappelle d'autres plus récents et plus chers encore a la piété romaine depuis que
saint Philippe de Néri a sanctifié ce lieu par sa présence.
La gravure ci-jointe représente la chambre qu'il habita. Cette chambre fait partie de la
maison attenante a l'église. En entrant dans la conciergerie, on aperçoit d'abord, au fond
du vestibule, l'ancien escalier qui conduit au premier étage. Arrivé à cet étage, on lit sur
une porte à main gauche l'inscription suivante

PRtMUM BEATI PHILIPPI


NERII FLORENTINI
ORATORIUM
ANNO DOMINI MDLVIII.

C'est dans cet oratoire que saint Philippe transféra les conférences spirituelles, lorsque
sa chambre devint trop petite pour le grand nombre de personnes qui désiraient l'entendre.
A côté de cet oratoire on voit une chambre transformée en chapelle. Sur un des côtés
de l'autel. on lit l'inscription suivante

QUI CESARE BARONIO,


POI CARDINALE DI S. CH!ESA,
PER ORDINE DI S. FtUPPO,>
RECITO PIU VOLTE
HISTORIA ECCLESIASTICA
DE SUOI ANNALI.

« Ici César Baronius, devenu plus tard cardinal de la sainte Église, par ordre de saint Philippe, développa
plusieurs fois l'histoire ecclésiastique de ses annales. »

Sur la partie opposée, on lit

QUESTO FU IL PRIMO
ORATORIO
FATTO FABRICARE DAL SANTO,
NON ESSENDO PIU CAPACI
LE SUE STANZE.
ANNO )558.

« Ceci fut te premier oratoire que fit construire le saint, ses chambres n'étant plus suffisantes.
Année 1558. »

monte de là à l'étage supérieur, on arrive à la petite chambre du saint par un


Si on
double escalier. Sur la porte on lit ce qui suit

DIVI PHILIPPI NERII CUBICULUM HOC INTERIUS NON


TAM CORPORIS EJUS Q~UIETE QUAM NOCTURNA SPIRITUS CONTEMPLATIONE
TRIGINTA TRIUM ANNORUM SPATIO SANCTIFICATUM COELITUM
PR~SENTIA S~PISSJME ILLUSTRATUM DIU CLAUSUM AD AUGENDAM TANT!
PATRIS VENERATIONEM PIA MANUS RESERAVIT AC DECENTIUS ORNAVIT.
ANNO M D CC XXIII.

Cette chambre a la forme d'un balcon, avec une tribune ayant vue sur l'oratoire qui se
trouve au-dessous.
C'est dans cette chambre qu'était le lit du saint. On y a élevé un autel sur lequel ou
a placé une image de la Très-Sainte Vierge.
Sur les parois on lit les deux inscriptions suivantes

!N QUESTA STANZA, TROVANDOSI INFERMO IL P. S. FILIPPO NERI, COMPARVE


UN ANGELO, CON UN PANE DI ZUCCHERO, CHE BISOGNAVA
!N UNA BEVANDA QUALE AVENDO PRESA IL SANTO DOPO UN BREVE RIPOSO, SI
RITROVO PERFETTAMENTE SANO'.

« Saint Philippe de Néri se trouvant malade dans cette chambre, un ange lui apparut faisant fondre
un morceau de sucre dans une potion. Le saint l'ayant prise, après quelques instants
de repos se trouva entièrement guéri. ')

tN QUESTA CAMERA, ESSENDO VENUTO A VISITARE IL P. S. FILIPPO NERI,5


ALESSANDRO DE MEDICI, AMBASCIATORE DI TOSCANA, IL S. PADRE GLI PREDISSE
IL CARDINALATO, E !N BREVE IL PONTIFICATO E QUESTO FU LEONE X~.

« Dans cette chambre, Alexandre de Médicis, ambassadeur de Toscane, étant venu visiter saint Philippe
de Néri, celui-ci lui prédit le cardinalat, et peu après le pontificat. C'est lui qui fut Léon X. »

Deux grands tableaux peints à l'huile représentent ces deux faits. Au-dessous de cette
chambre, sur la porte d'entrée du grand oratoire, on lit

D. 0. M. CUBICULUM HOC S. PHILIPPI NERII UBI PER TRIGINTA TRIUM


ANNORUM CURRICULA VIT~ SANCTITATE ET ANIMARUM ZELO
INCOMPARABILITER ENITUIT PRIMAQUE CONGREGATIONIS ORATORII OMNI
D!GNUS––FECIT FUNDAMENTA.
LAUDE
EQUES ASCANIUS PANTHERA DE CIVITATE COLLENSI !N HETRURIA– PROPRIIS
SUMPTIBUS RESTAURAVIT AC DECENTIUS ORNAVIT.
ANNO DOMINI M D C XXXVII.

L'amour de Dieu ne demeure jamais oisif dans un coeur c'est un feu qui cherche à
/M/!ea?tons. 1°

se communiquer. 2° Si, comme saint Philippe de Néri, nous aimons véritablement Dieu, comme ~lui aussi,
nous porterons les autres à l'aimer.

PtuÈRE~ 0 saint Philippe, mon glorieux protecteur, qui pendant votre vie eûtes pour l'humilité un
tel amour que vous méprisâtes non-seulement les louanges des hommes, mais encore leur estime, obtenez-
moi pareillement une si belle vertu. Vous voyez combien je suis superbe dans mes pensées, dédaigneux
dans mes paroles, ambitieux dans mes actes. Ah! 1 obtenez-moi l'humilité du cœur; que mon esprit soit

Vita, cap. xx, n" 43.


4. Bacci, 2. Vo)g.t<< lib. III, cap. vt.
3. Sa Sainteté Pie IX, par un rescrit de la Sacrée Congrégation des Indulgences du 17 mai ')852, a accordé cinquante jours
d'indulgences, une fois )e jour, à ceux qui réciteront cette prière et les deux suivantes, afin d'obtenir, par l'intercession de saint
Philippe de Néri. quelques vertus spéciales.
dépouillé de tout orgueil, et que les sentiments que vous aviez de vous-même y soient profondément
imprimés, car vous vous estimiez le plus méchant de tous les hommes, et c'est pour cela que vous vous
réjouissiez d'être méprisé, et que vous en cherchiez même les moyens. Oui, ô grand saint, obtenez-moi la
véritable humilité de cœur et la connaissance de mon néant, afin qu'étant méprisé je m'en réjouisse; que
d'autres m'étant préférés je ne m'en offense point; qu'étant loué je n'en tire point vanité, mais que je
cherche uniquement à être grand aux yeux de Dieu, et que tout mon désir soit de recevoir de lui seul
toute ma gloire. Pater, Ave et Gloria.
CHAMBRE

SAINT PHILIPPE DE NÉRI

AU PALAIS MASSIMI.

(A.D.]M4-).')M.)

LES vertus de Philippe de Néri jetaient un si vif éclat, les exercices quotidiens établis
à Saint-Jérôme-de-la-Charité produisaient des résultats si consolants, que les Florentins qui
habitaient Rome le prièrent instamment d'accepter la direction de l'Église qui appartenait
à leur ville natale, et qui était désignée sous le nom de Saint-Jean des Florentins. Cette église
était plus spacieuse que l'oratoire de Saint-Jérôme-de-la-Charité. Cependant, Philippe de Néri
ne consentit à acquiescer aux instances de ses compatriotes que sur l'ordre du Pape; mais
il se réserva la faculté de continuer à habiter sa chère cellule de Saint-Jérôme-de-la-
Charité. Il se contenta d'envoyer à saint Jean quelques-uns de ses prêtres, du nombre
desquels était Baronius.
Lorsque la communauté eut desservi ainsi pendant dix ans l'église de Saint-Jean, les
Florentins renouvelèrent leurs instances auprès de Philippe de Néri pour obtenir que les
exercices de l'Oratoire y fussent transférés. Le saint serviteur de Dieu se rendit à leurs
pressantes sollicitations. Sortis, selon l'expression de Baronius, de l'étable de Bethléem, où
ils avaient pris naissance dans une maison obscure, et transportés dans le nouvel oratoire
de Saint-Jean, construit sur de larges proportions par la magnificence des Florentins, les
disciples de Philippe de Néri attirèrent une foule plus nombreuse que jamais à leurs exer-
cices quotidiens. L'utilité de l'institution de l'Oratoire parut alors évidente à tous les yeux.
Tous les rangs, toutes les positions se confondaient pour venir entendre chaque soir la
.parole de Dieu, simplement et pieusement annoncée.
La congrégation de l'Oratoire était définitivement fondée. Le pape Grégoire XII l'approuva
l'an 1575. Elle se composait d'ecclésiastiques et de laïques sans vœux particuliers. Philippe
de Néri avait voulu que la Société devint le refuge de ceux qui désiraient mener la vie
commune sans toutefois s'engager dans un ordre religieux. Quoique le but principal de
l'Oratoire fût l'instruction du peuple, plusieurs de ses membres s'adonnèrent, dès le principe,
à de hautes et fortes études. Les savants Baronius, Orderic, Raynaldi, appartenaient à
l'Oratoire. Le premier, sur l'ordre de saint Philippe, commença ses célèbres annales de
l'histoire ecclésiastique, où, reprenant toute l'histoire de l'Église depuis Jésus-Christ jus-
qu'au xvi' siècle, il résume les anciennes histoires, les actes des martyrs, les vies des
saints, les écrits des Pères, la succession des Pontifes, les ordonnances des Conciles, année
par année. Cet immense travail fut continué par Orderic Raynaldi et par Jacques Ladeschi,
tous deux de la même congrégation de l'Oratoire.
L'esprit qui règne dans cette gigantesque histoire, ce n'est pas l'esprit de tel ou tel
homme, de telle ou telle nation, mais l'esprit de l'Église une, sainte, catholique, aposto-
lique et romaine. Si l'on joint à ces annales ecclésiastiques celles d'Augustin Cornicelli et de
Barnabite de Novare pour les siècles antérieurs, on aura une histoire vraiment universelle
de Dieu et de l'homme, dans laquelle tous les temps, tous les lieux, tous les événements,
tous les peuples concourent vers un même centre qui est Jésus-Christ, l'alpha et l'oméga,
le commencement et la fin. qui fut hier, qui est aujourd'hui, qui sera dans tous les
siècles.
Ainsi les disciples de Philippe de Néri rivalisaient de zèle pour le service de l'Église et
l'édification du prochain. Philippe, de son côté, se donnait tout entier à la conversion des
pécheurs. Il les attirait à Dieu avec tant d'art, avec une si sainte habileté, qu'ils en étaient
eux-mêmes étonnés. Il savait s'accommoder au tempérament, au caractère de chacun.
si bien qu'on pouvait lui appliquer ces paroles de l'Apôtre « Je me fais tout à tous
pour les sauver tous. Toujours aimable, toujours plein de l'esprit de Dieu, il avait le
talent de renvoyer contents et meilleurs ceux qui l'approchaient. Un jour entre autres, le
jeune François Spazzara, glorieux rejeton d'une noble famille, vint trouver le P. Philippe
afin de causer familièrement avec lui. « Vous vous livrez maintenant à l'étude du droit?
lui dit le saint. Oui, père Philippe, et avec beaucoup d'ardeur. Que vous êtes heu-
reux Parlez-moi un peu de vos projets, continua le saint en lui faisant des caresses
extraordinaires. J'espère être bientôt reçu docteur. Que vous êtes heureux! Je compte
devenir avocat consistorial, puis entrer dans la prélature. Que vous êtes heureux! »
Puis le saint se mit à détailler toutes les grandeurs que le monde pouvait lui offrir et
dont l'idée avait passé par la tête du jeune homme. Après chaque gloire, chaque avantage.
il répétait « Que vous êtes heureux » François prenait tout cela au sérieux, lorsque le saint,
le pressant tendrement sur son cœur, lui dit tout bas à l'oreille « Et après? » Ces deux
mots restèrent si profondément gravés dans l'âme du jeune homme que, de retour chez
lui, il ne pouvait s'empêcher de se les redire. A la suite de chacun de ses rêves de
fortune revenaient ces deux mots inexorables « Et après! et après il me faudra mourir.
tout quitter. être jugé. absous ou condamné. Vanité de tout ce qui se passe! ') s'écria-t'il
un jour. Puis, tournant toutes ses pensées vers Celui qui ne passe pas. il entra dans la
congrégation de l'Oratoire, où il vécut et mourut saintement~.

<. Vie de ~~<M< Philippe, )iv. n. p. 237.


Ainsi commença la célèbre congrégation de 1 Oratoire. sous la direction de Philippe
de Néri. Le saint fondateur et ses disciples vivaient ensemble dans l'union la plus parfaite.
distribuaient entre eux les offices de la maison, les remplissaient tour a tour. trois fois
la semaine ou pour un temps plus considérable. Ils servaient à table, avaient soin des
provisions et faisaient la cuisine. On vit donc le grand Baronius occuper ses mains, qui
écrivaient si doctement les annales de l'Église, à préparer et A cuire des aliments. Plu-
sieurs personnages étant a! tés le voir pour traiter avec lui de graves affaires. ou éciaircir des
points d'histoire, le trouvèrent entouré d'un tablier, lavant les assiettes et les écuelles. Ils
furent profondément édifiés de ce spectacle, et déclarèrent que Baronius avait encore plus
de droits à leur vénération lorsqu'il remplissait les fonctions de cuisinier que lorsqu'il
écrivait les annales. Du reste, ce digne disciple de Philippe de Néri remplissait si volon-
tiers cet humble office, qu'il avait écrit gaiement sur la cheminée César Baronius.
cuisinier a perpétuité 1. »
Dieu honora saint Philippe de Néri de ses faveurs les plus extraordinaires, et se servit
de lui en plusieurs circonstances pour manifester sa puissance. Outre les dons de pro-
phétie et du discernement des esprits, il avait aussi celui des miracles.
La bulle de sa canonisation atteste qu'il a guéri subitement plusieurs malades, les uns
par le signe de la croix, les autres par la seule imposition des mains; ceux-ci par la
prière qu'il adressait à Dieu pour obtenir leur guérison. ceux-là enfin en commandant
aux maladies de se retirer.
Rome conserve un témoignage mémorable de la puissance d intercession de ce glorieux
thaumaturge.
Le jour des calendes d avril, 16 mars de l'année i583. un malheur imprévu plongea
dans le deuil la noble famille du prince Fabricio Massimi. Un jeune enfant de quatorze
ans. Paul- Fabricio, se débattait sur son lit dans les convulsions de l'agonie c'était le fils
de la maison, l'orgueil de son père, la joie de sa mère, l'amour de ses sœurs. Toute la
noble famille pleurait, agenouillée autour de ce lit de douleur. Tout à coup le père se lève
et dépêche un de ses domestiques auprès de saint Philippe de Néri, en le suppliant d'accourir
sans délai. Philippe, qui était alors à l'autel, ne put venir qu'une heure après. Durant cet
intervalle, un prêtre, dom Camillo, fit les prières de la recommandation de l'âme au jeune
moribond, qui expira entre ses bras avant l'arrivée du serviteur de Dieu. Déjà le prince
Fabricio venait de rendre les derniers devoirs a son fils en lui fermant lui-même les
yeux, et Francesca, la bonne de l'enfant, se préparait à laver selon l'usage le corps du
défunt et à le revêtir de ses vêtements funèbres, lorsque survint saint Philippe « Hélas
s'écrie Fabricio en le voyant, hélas! père, Paul est mort; il n'y a plus rien à faire; que
n'êtes-vous venu plus tôt? » Philippe se rendit à la chambre mortuaire, où il trouva la bonne
Francesca se préparant à parer l'enfant de ses vêtements funèbres; il s'approcha du lit,
puis, s'étant fait apporter de l'eau bénite, il en répandit sur la bouche et le visage du mort.
lui imposa les mains, se mit en prières, le toucha et l'appela deux fois par son nom.
Aussitôt, au grand étonnement de la famille qui était présente. Paul ouvrit les yeux,
répondit au saint et revint à la vie 2.
f. ~)".Mr /~M'oMt'!M. c~wM p<'r/)~/«'< lita S. /<M, etc., axctore Ant. Galliono, p. );*6.
La chambre dans laquelle fut opéré cet éclatant miracle est précisément celle que repré-
sente la gravure ci-jointe. Elle se trouve à )'intérieur du palais du prince Massimi, sur la
t'r[ Popa/e. Elle a été convertie depuis en chapelle, et elle jouit de tous tes priviléges des
oratoires publics. Cette chambre avait conservé sa forme primitive jusqu'à ces derniers
temps, mais le cardinal François Saverio, membre de l'illustre famille des princes Massimi,
l'a fait restaurer et décorer. On y admire le tableau qui représente ce prodige.
Et pour que le souvenir d'un prodige aussi célèbre passât à la postérité, il fut établi
dans la pieuse et illustre maison des princes Massimi, de faire célébrer chaque année, le
16 mars, une fête publique et solennelle. Les fidèles y accourent en foule pour fêter
l'anniversaire d'un si grand événement.

/M/!M'tOM. 10 Tout est promis à la ferveur de la prière, jusqu'aux miracles. 2° Et nous qui prions
sisouvent, nous n'obtenons presque tien 3" Ah! c'est que nous prions mal. Seigneur Jésus, apprenez-
nous à prier. Domine, doceno~orare/

PRIKKE.– 0 très-glorieuxsaint Philippe, vous conservâtes toujours intact le beau lis de la pureté avec un
si grand honneur. Cette vertu brillait dans vos yeux, resplendissait sur vos mains, jaillissait de tout votre
corps et exhalait une odeur si agréable qu'elle consolait, encourageait et donnait la dévotion à ceux quii
se trouvaient en rapport avec vous. Obtenez-moi du divin Esprit un véritable amour pour une aussi belle
vertu, afin que ni les discours ni les mauvais exemples des personnes vicieuses ne puissent jamais faire
impression sur moi. Ne permettez en aucune manière que je perde une si belle vertu; et, comme la fuite
des occasions, la prière, le travail, l'humilité, la mortification des sens et la fréquentation des Sacrements
furent les armes au moyen desquelles vous vainquîtes la chair, ce terrible ennemi, obtenez-moi aussi, je
vous en supplie, de me servir de ces mêmes armes pour le repousser. Oh ne me privez point de votre
assistance, et montrez en ma faveur ce zèle que vous aviez pendant la vie pour vos pénitents, que vous
préserviez de toute corruption. Faites-le, ô grand saint, et soyez, pour l'exercice d'une si belle vertu, mon
bien-aimé protecteur. f~er, Ave et Gloria.
CHAMBRE

DE

SAINT PHILIPPE DE NÉRI


A LA CHIESA NUOVA.-
(A.D. 1564-)5)N.)

LA congrégation de l'Oratoire se trouvant régulièrement constituée, il importait qu'elle


eût une maison et une église indépendantes de toute sujétion. Grégoire XIII, témoin des
prodiges de conversion que les exercices de l'Oratoire ne cessaient de produire, voulut
organiser définitivement et perpétuer une institution dont vingt quatre années d'expé-
rience avaient prouvé l'utilité. Il donna à Philippe de Néri l'église de Sainte'-Marie
Va~tee~ comme celle qui lui paraissait la mieux située pour favoriser le développement de
la congrégation et le succès des exercices spirituels. Cette église, située dans le Parione,
quartier très-peuplé, menaçait ruine à cause de sa vétusté; on conseilla à Philippe de la
reconstruire sur de plus larges proportions. Le pape, les cardinaux et les fidèles lui
vinrent en aide avec une merveilleuse générosité. Chacun voulut s'imposer un sacrifice et
contribuer à la construction de la nouvelle église. Les pauvres eux-mêmes s'empressèrent
d'apporter leur obole.
Quand les pères de l'Oratoire furent enfin établis chez eux, possesseurs indépendants
d'une église et d'une maison commune, ils se réunirent en congrégation le 8 mai 1577,
et, d'une voix unanime, ils nommèrent pour supérieur du nouvel institut leur saint fonda-
teur, Philippe de Néri. Mais quoique supérieur, et donnant tous ses soins à la bonne
direction de l'Oratoire, Philippe continuait à habiter sa chère cellule de Saint-JërÔme-de-
la-Charité. Prié plusieurs fois par ses enfants spirituels de venir demeurer au milieu d'eux,
il n'avait jamais pu s'y décider, voulant ainsi cacher autant que possible son titre
de fondateur d'une congrégation. Il ne fallut rien moins que l'ordre du chef de l'Église
pour décider l'humble serviteur de Dieu à quitter une cellule où il avait passé tant d'années
et où il espérait mourir.
Habitant désormais sous le même toit que ses enfants spirituels, et chargé comme supé-
rieur général de leur direction, Philippe s'occupa de l'organisation définitive de l'Oratoire.
JI déclara que sa volonté expresse était que ses entants spirituels demeurassent dans l'état
de prêtres et de clercs séculiers, sans se lier par des vœux, servant Dieu librement avec
une volonté toujours complétement spontanée, s'appliquant à l'oeuvre de leur salut et de
celui du prochain, en persévérant dans les exercices de l'Oratoire. Tel était le but que se
proposait Philippe de Néri en fondant l'Oratoire, et il n'en eut jamais d'autre durant tout le
cours de sa vie. Comme l'affirme le P. Augustin Manni, dans un de ses manuscrits, Philippe
de Néri se proposa d'introduire dans l'Église un institut qui, sans effrayer par des austé-
rités religieuses, sans resserrer !e cœur par des pratiques difficiles attirât par la règle
d'une vie modérée, mais tendant à la perfection, ceux qui n'ont pas le courage d'embrasser
une vie rigide et austère, et qui sont surtout gagnés au service de Dieu par l'esprit de
douceur et de suavité.
Le souverain pontife avait pleinement approuvé le but de l'Oratoire il déclara qu'il
voulait que la congrégation se perpétuât dans l'Eglise sans aucun vœu, parce qu'il y avait
assez d'ordres religieux pour ceux qui voulaient s'imposer ce lien. Toutefois la liberté
laissée aux membres de l'Oratoire n'était aucunement préjudiciable a la communauté ou
aux individus; elle ne consistait pas à laisser chacun maître d'agir comme il voulait, sans
être soumis à aucune règle, sans obéir à personne. Elle consistait en ce que chacun pou-
vait, à son gré, rester dans la congrégation ou en sortir, et c'est en cela que l'Oratoire
diffère des ordres religieux; mais tant qu'on y demeurait, on était obligé d'observer les
règles et la discipline de l'institut. Du reste, Philippe de Néri exigeait des siens une obéis-
sance ponctuelle. 11 avait l'admirable et rare talent de rendre l'obéissance facile et l'autorité
aimable. C'est qu'il déployait beaucoup de douceur en maniant les volontés de ses sujets.
Il les traitait avec une suavité merveilleuse et une extrême, habileté; il adoucissait telle-
ment ses ordres qu'ils semblaient être plutôt des prières; il pratiquait cette maxime qu'il
répétait souvent « Veux-tu être bien obéi, commande peu. »
Quelques membres de l'Oratoire, dans les commencements, prétendaient que l'on ne
devait rien posséder en propre dès qu'on appartient à une congrégation. Ils rédigèrent à
cet effet un mémoire. Le saint fondateur, en lisant ce mémoire, effaça les paroles qui
étaient contraires à sa pensée et il écrivit au-dessus « //c~e6[t!~ p(M~eaM<; qu'ils aient.
qu'ils possèdent! » II précisait ainsi la différence qui devait exister entre son institut et un
ordre religieux. Quant à ce qui regarde les vêtements, Philippe de Néri voulut qu'on prît
soin d'éviter la singularité. Il prescrivit l'habit que les prêtres séculiers ont coutume de
porter. Mais s'il ne permettait pas que les habits fussent en soie et d'une forme trop élé-
gante, il défendait pareillement qu'ils fussent sales et déchirés. Il avait souvent sur les lèvres
le mot de saint Bernard « La pauvreté m'a toujours été agréable, mais la saleté jamais. o
Les Constitutions de l'Oratoire, rédigées par Philippe de Néri, furent confirmées par un
bref apostolique du pape Paul V. Elles s'observent encore à Rome et dans toutes les mai-
sons de l'Oratoire.
Chargé d'années et de mérites, Philippe touchait au terme de la carrière qu'il avait si
saintement parcourue. Désirant rentrer dans sa vie obscure et se décharger du fardeau de
l'autorité, il abdiqua les fonctions de supérieur général de l'Oratoire. Il eut pour succes-
seur le célèbre Baronius, qui était pour Philippe un fils spirituel de prédilection. Le saint
fondateur passa encore deux ans sur la terre après son abdication volontaire. Le 12 mai
1595, il eut une hémorrhagie si abondante, que l'on crut que Dieu allait l'appeler à lui. César
Baronius lui administra l'Extréme-Onction. Il reçut également le saint Viatique des mains
de saint Charles Borromée. Sa santé s'améliora ensuite, et il put même reprendre ses exer-
cices spirituels jusqu'au jour de la fête du Saint-Sacrement, qui se trouvait, cette année-là,
le 25 mai. Le soir il se mit au lit sans aucun signe d'épuisement, puis, pressentant l'heure
prochaine de sa mort, il répéta de nouveau ces paroles qu'il avait prononcées tant de fois les
jours précédents « Il faut mourir! il faut enfin mourir! Bientôt il fut pris d'un violent accès
de toux. Comme on vint à lui pour le soulager, il dit aux médecins Ne cherchez plus de
remèdes, car je vais mourir, » On appela les pères de la communauté. Quand ils furent tous
rassemblés, ils s'agenouillèrent autour du lit de leur bienheureux père et donnèrent un libre
cours à leur douleur et à leurs larmes. Baronius récita les prières de la recommandation de
l'âme; puis s'approchant du malade, il s'écria « Père, vous nous quittez sans pouvoir nous
adresser une parole; donnez-nous au moins votre bénédiction. » A ces mots, Philippe sou-
leva la main, ouvrit les yeux qu'il tenait fermés depuis quelque temps, les tourna vers
le ciel, puis les abaissa vers les pères agenouillés, comme s'il leur eût obtenu la bénédiction
de Dieu même. Sans autre mouvement et sans autre douleur, il rendit son âme à Dieu, le
26 mai 1595.
Philippe de Néri fut inhumé dans une petite chapelle, sous le premier arceau de la
nef de la nouvelle église qu'il avait fait construire (la Chiesa A~'a). L'inscription suivante
est gravée sur son tombeau

CORPUSPHILIPPI NER.H,
S.
CONGREGATIONIS ORATORII FUNDATORIS,
AB IPSO DORMITIONIS DIE ANNOS
QUATUOR ET QUADRAGINTA
INCORRUPTUM DIVINA VIRTUTE SERVATUM,
OCULIS FIDELIUM EXPOSITUM,
A DILECTIS IN CHRISTO FILIIS,

SUB EJUSDEM PATRIS ALTARI,


PERPETUA SEPULTURE MORE MAJORUM
COMMENDATUM EST.
ANNO SALUTIS MDCXXXV! URBANI PAPfE VIII. XVI,1
INDICTIONE VH, IDIBUS APRILIS.

Nero del Nero, noble Florentin, ayant obtenu un fils par l'intercession de Philippe de
Néri, voulut lui donner un témoignage de reconnaissance en faisant construire une riche
et magnifique chapelle en son honneur. C'est celle où se trouve actuellement le corps
du saint. Les murs en sont incrustés de jaspe, d'agate et d'autres pierres précieuses. La
coupole est soutenue par quatre colonnes d'albâtre et ornée de rosaces en nacre se déta-
chant sur un fond d'azur. Sur le pavé, qui est en harmonie avec la coupole, sont dessinées
des roses en albâtre et autres pierres; au milieu, on remarque uu morceau de jaspe oriental
vert. Les mêmes pierres précieuses ornent t'entrée de la chapelle.
La cellule habitée par saint Philippe dans le couvent a été religieusement conservée,
ainsi que les différents meubles qui ont servi A l'usage du serviteur de Dieu. On y
voit son confessionnal en bois de sapin vermoulu, et dont le siége est garni d'un petit
coussin doublé de cuir. A l'instar des confessionnaux d'Italie, les grilles se composent d'une
simple feuille de tôle percée de petits trous ronds comme une écumoire. Que de sages
conseils, que de consolantes paroles, que d'exhortations coMt'er~ct~M ont passé par là! On
garde dans une armoire la chaufferette du saint confesseur; elle est couverte d'un bois
grossier; plus loin c'est son pauvre lit, et enfin le modeste banc sur lequel il s'asseyait,
lorsqu'il faisait ses conférences spirituelles aux membres de sa congrégation. La voûte de
cette même chambre est ornée d'une magnifique fresque de Berettini représentant une extase
de saint Philippe de Néri. Cette pièce unique composait tous les appartements de celui qui
refusa tant de fois les palais, les richesses et les dignités humaines. C'est là qu'il donnait
ses audiences spirituelles, et recevait ses nombreux visiteurs.
La petite chapelle du saint est contiguë à la pièce dont nous venons de parler; ici rien
n'est changé même porte, même crucifix en bois, même tableau de la sainte Vierge tenant
l'Enfant Jésus, même autel; en un mot, même ameublement à l'usage du saint prêtre et
tant de fois témoin de ses prières, de ses larmes et de ses divines extases. On ne peut,
sans éprouver un profond saisissement, fouler ce sol vénérable et appliquer ses lèvres au
tableau miraculeux placé sur l'autel. A la sacristie de l'église, on voit un assez grand
nombre de lettres autographes du saint, une bonne partie de ses vêtements, le reliquaire
qu'il reçut de saint Charles Borromée après l'avoir guéri, le crucifix qu'il portait sur sa
poitrine et un morceau de pain laissé par lui à son dernier souper, la veille de sa mort.

~f/tOM.s. 1° four gagner des âmes a Dieu, il faut commencer par le bien servir soi-même. 2° Com-
nient persuaderez-vous qu'i! faut l'aimer, si vous paraissez négligent à son service?

PRIÈRE. 0 mon bien-aimë avocat, saint Philippe, qui persévérâtes toujours dans la vertu, et qui
plein de mérites, reçûtes du Dieu tout-puissant la couronne de gloire en récompense de vos fatigues, obte-
nez-moi la grâce de ne me lasser jamais dans son saint service. Vous qui fûtes si favorable à vos dévots,
en leur obtenant le don de la persévérance dans le bien, obtenez-le-moi aussi en venant à mon secours
au moment extrême de ma mort, et obtenez-moi la grâce de sortir de cette vie muni des Sacrements de
la religion. En attendant, û grand saint, intercédez pour moi, afin que je fasse pénitence de mes péchés et
que je les pleure amèrement tous les jours de ma vie. Vous qui voyez mes misères et tous les liens qui m'atta-
chent au péché et à la terre, obtenez-moi la grâce de les briser et la résolution constante d'être tout à Dieu.
Obtenez-moi encore un ardent désir de coopérer à mon salut, et une constance invincible dans le bien
commencé, afin que je sois digne, par votre intercession, de vous être associé dans la bienheureuse éternité.
CHAMBRE

DE

SAINT FÉLIX DE CANTALICE


AUX CAPUCINS

(A.D.t5t3-t587.)

PARMI cette pléiade d'amis qui subissaient le charme de la sainteté de saint Philippe de
Néri, il faut compter Félix de Cantalice, qui a laissé à Rome des souvenirs toujours
vivants. Félix était né l'an 1513, à Cantalice, près de Citta-Ducale, dans l'État ecclésias-
tique, de parents pauvres mais remplis de vertu. Qui n'aimerait, dit sa légende, le petit
Félix, si pieux dès son enfance, que déjà on lui donnait le surnom de saint! Mais qui
ne l'aimerait petit berger, taillant une croix dans l'écorce d'un arbre et priant au pied de
cette croix durant des heures entières! Il récitait d'abord avec ferveur l'Oraison dominicale,
la Salutation angélique, le Symbole des Apôtres, le Gloria Patri et autres prières connues.
Mais bientôt, Dieu lui ayant accordé la grâce de la contemplation, toutes ses pensées
devenaient comme une prière. Devenu garçon laboureur, il méditait pendant son travail;
tout ce qu'il voyait, tout ce qu'il entendait, réveillait en lui de pieuses affections. Mais
rien ne le touchait plus tendrement que le souvenir des souffrances de Jésus-Christ. Quand
on lui demandait s'il savait lire, il répondait « Je ne sais que six lettres, cinq rouges et
une blanche; les rouges, ce sont les cinq plaies de notre Sauveur; la lettre blanche, c'est
la sainte Vierge. A une humilité profonde, il joignait un fond Inaltérable de gaieté, de
douceur et de charité envers les autres. Quand quelqu'un l'insultait, il avait coutume de
lui répondre Dieu veuille faire de vous un saint! « Tel était le jeune Félix. »
Cependant ce petit laboureur n'en croyait pas faire assez. Ayant entendu lire la vie des
Pères, il conçut un grand désir de les imiter. Un incident l'y détermina sans retard. Un
jour qu'il labourait, son maître s'étant présenté tout à coup en habit noir, les jeunes bœufs
qu'il conduisait eurent peur, se jetèrent de côté, renversèrent Félix et lui firent passer le
soc de la charrue sur le corps. On le croyait perdu; il se releva sans autre mal que ses
vêtements déchirés, remercia Dieu de tout son cœur, et quitta son maître, qui le vit
partir avec bien du regret. C'était vers l'an 15~0. Félix se présenta au couvent des capucins
de Citta-Ducale et demanda à y être reçu en qualité de frère convers. Le supérieur, en lui
donnant l'habit, lui montra un crucifix; ensuite, après lui avoir expliqué ce que le Sau-
veur avait souffert pour nous, il lui dit de quelle manière un religieux devait imiter ce divin
modèle par une vie de renoncements et d'humiliations. Félix, attendri jusqu'aux larmes, se
sentit animé d'un ardent désir de retracer en lui les souffrances de Jésus-Christ, et de
crucifier par la mortification le vieil homme avec toutes ses convoitises. Pendant son novi-
ciat, il parut déjà tout pénétré de l'esprit de son ordre, qui est un esprit de pauvreté, de
pénitence et d'humilité. Souvent il se jetait au pied du maître des novices, pour le prier
de doubler ses mortifications et de le traiter avec plus de rigueur que les autres, qui
étaient, à l'entendre, plus dociles que lui et plus portés à la vertu. Par ce profond mépris
de lui-même, il parvint bientôt à une éminente perfection. Il fit ses vœux en 1545.
Félix était si intimement lié à Dieu, que, même dans le monde, lorsqu'il allait faire
la quête, rien ne pouvait le distraire. Un frère lui ayant demandé un jour comment il
pouvait s'entretenir dans un recueillement aussi parfait, il lui répondit: «Toutes les créatures
servent nous élever à Dieu quand nous les regardons de bon œil. Ses supérieurs lui
permirent de distribuer aux pauvres une partie de sa quête. Cette permission s'accordait
merveilleusement avec sa charité. On le voyait visiter les pauvres malades et leur rendre
les services les plus humbles. Les pécheurs ne pouvaient entendre ses exhortations sans être
attendris; il avait surtout une onction admirable lorsqu'il disposait quelque moribond à
parattre devant Dieu. Par une exacte vigilance sur lui-même, Félix conserva jusqu'à la
mort une pureté inviolable. Il joignait à cette vigilance de grandes austérités corporelles.
II marchait toujours nu-pieds et portait un rude cilice garni de pointes aiguës. Lorsqu'il
n'avait point à craindre de se faire remarquer, il jeûnait au pain et à l'eau. Les trois
derniers jours de carême, il ne prenait aucune nourriture. Il passait en prières une grande
partie des nuits, et ne dormait que deux ou trois heures; encore ne prenait-il un peu de
repos qu'à genoux, la tête appuyée sur un paquet de branches; s'il se couchait, c'était sur
des planches ou des sarments. Il mettait tout en œuvre pour cacher les faveurs extraor-
dinaires qu'il recevait de Dieu. Il employait divers prétextes pour déguiser ses mortifica-
tions il s'excusait, par exemple, de ne point porter de sandales, en disant qu'il marchait
ainsi avec plus de facilité.
Pressé par l'amour divin, il composa des cantiques spirituels dans un style simple
mais plein d'une onction admirable. Jamais il ne les chantait qu'il ne fût dans une espèce
d'extase et tout absorbé en Dieu. II avait une vive dévotion au saint nom de Jésus et le
prononçait fréquemment avec tendresse, ainsi que le mot Deo gratias, pour remercier Dieu
continuellement de ses bienfaits. Quand il rencontrait de jeunes enfants, il les engageait à
prononcer dévotement avec lui ces paroles. On voyait les enfants accourir à lui, dès qu'ils
l'apercevaient, pour dire Jésus et Deo yr<<M, à quoi Félix répondait avec des larmes de joie.
On avait pour cet humble religieux une si grande vénération, que lorsqu'il passait dans
la rue, les princes se découvraient la tête pour le saluer, les cardinaux faisaient arrêter
leurs carrosses. Enfin, lorsqu'il mourut, suivant sa prédiction, le 18 mai 1587. on fut plu-
sieurs jours avant de pouvoir l'enterrer, à cause de la multitude infinie du peuple, qui,
trouvant les portes du couvent fermées, escalada les murs, remplit les cours, les salles,
la rue, la place et l'église. Saint Félix de Cantalice fut béatifié en 1625 par Urbain VIII,
et canonisé en i7i2 par Clément XI

On vénère à Rome, au monastère des capucins de la place Barberini, la chambre


qui fut habitée par saint Féiix de Cantalice. Cette chambre n'est qu'une humble cellule de
deux mètres carrés.
Au fond se trouve un humble autel à peine éclaire par une petite lucarne dont
le volet, arraché de ses gonds, est soigneusement conservé dans une armoire fermée à
clef et que l'on ouvre au visiteur. Les murs sont très-crevassés et revêtus d'un châssis en
fil de fer qui les soutient. On ne les a pas réparés depuis la mort du saint. La porte a
été également enlevée et placée au-dessus d'une chapelle de confrérie qui précède la
chambre qui lui sert de sanctuaire. Cette pauvreté est bien digne de vénération.

7!e/!&rton~. Il n'est pas nécessaire d'avoir un genre sublime ni de rares connaissances pour réussir
1"
dans la méditation. 2" Tout homme en est capable dès qu'il est capable de connaitre et d'aimer Dieu. 3" Si
nous y trouvons tant de difficultés, c'est que nous n'y portons pas assez de simplicité.

PmÈRE. 0 Dieu, qui


avez voulu illustrer dans votre Église, la simplicité évangélique et la vie inno-
cente du bienheureux Félix de Cantalice faites qu'instruits par ses exemples et aidés par ses suffrages
nous parvenions heureusement jusqu'à Jésus-Christ, qui daigna le recevoir de la terre dans ses bras. Par
Jésus-Christ Notre-Seigneur, etc. Ainsi soit-il.

~4e<<t -S<c~r!<M, 1 maii. Godescard. mai.


CHAMBRE DE SAINT CAMILLE DE EELLLS.A LA MADELEINE.
CHAMBRE
DE

SAINT CAMILLE DE LELLIS


A LA MADELEINE.

(A.D.t5M-I6t~.)
J

CAMILLE DE LELLIS naquit à Bacchiano, dans l'Abruzze, en ~550. Fils d'un soldat, et
soldat lui-même, Camille ne tarda pas à prendre les habitudes peu régulières des camps
et se fit remarquer surtout par son amour pour le jeu. Licencié après la campagne de
Tunis, en 157&, il ne rapporta du service militaire que son équipement. Il joua successi-
vement son sabre, son mousquet, sa giberne, sa capote et jusqu'à sa chemise; il perdit
tout. Réduit au dénùment de toutes choses. l'infortuné jeune homme fut obligé, pour
trouver de quoi subsister, de se mettre au service d'autrui. Mais malgré ses égarements
Dieu ne l'abandonna pas; il daigna même le visiter d'une manière spéciale par sa grâce.
Il éprouvait souvent dans son âme un vif regret du passé, et, comme l'enfant prodigue, il
apercevait le doigt de Dieu dans la condition humiliante à laquelle ses désordres l'avaient
réduit. Une exhortation touchante que lui fit un jour le gardien des Capucins acheva sa
conversion. Éclairé par la lumière qui venait de briller à ses yeux, il fond en larmes,
déteste tous les crimes de sa vie passée, et demande au ciel miséricorde. Cet heureux
changement arriva au mois de février de l'année 1575.
Camille avait alors vingt-cinq ans. Sa résolution prise, il ne songea plus qu'à l'accom-
plir et à porter dans le service de Dieu le dévouement sans bornes d'âne grande âme, la
franchise et la loyauté d'un soldat. Il entra successivement au noviciat chez les CapuciM
.et les Cordeliers; mais ces religieux ne voulurent pas le recevoir à cause d'un ulcère
qu'il avait à la jambe et que les médecins jugèrent incurable. Camille se rendit à Rome et
y servit pendant l'espace de quatre ans les malades de l'hospice Saint-Jacques. Il donnait
ses soins de préférence aux moribonds. Il tâchait de leur procurer tous les secours spiri-
tuels et corporels que leur situation réclamait. C'est dans l'exercice de cet humble et
sublime dévouement qu'il conçut le projet d'instituer une société de prêtres qui devaient
se consacrer avec lui au service des malades par le seul motif de la charité. Il trouva
des compagnons tels qu'il le désirait, mais il rencontra de grands obstacles à l'exécution
de ses desseins dont il triompha plus tard.
Pour se mettre en état d'assister plus utilement les malades, Camille résolut de se pré-
parer à recevoir les saints Ordres. Après avoir étudié la théologie et acquis le degré de
science qui lui était nécessaire, il fut ordonné prêtre en 158A, et chargé de desservir la
chapelle de Notre-Dame-aux-Miracles, près du Tibre. Cette nouvelle fonction l'obligea de
quitter la direction d~ l'hôpital Saint-Jacques.
La même année il institua sa congrégation pour le service des malades. fit porter
11

a ceux qu'il admit, un habit noir avec un manteau de même couleur. Ils allaient tous
tes jours A l'hôpital du Saint-Esprit, où ils servaient les pauvres avec autant de zèle et de
ferveur que si c'eût été Jésus-Christ en personne. Ils faisaient les lits des malades et leur
rendaient les services les plus pénibles A la nature; ils les exhortaient à se préparer à la
réception des derniers sacrements, afin d'obtenir de Dieu la grâce d'une bonne mort. Ils
prirent le nom de clercs réguliers, ministres des infirmes ou frères du bien mourir.
Dès qu'une épidémie se déclarait, on les voyait accourir auprès du lit des victimes,
Camille de Lellis à leur tête, et lorsque leurs services devenaient inutiles, cette courageuse
et sainte milice, décimée par le fléau, s'en retournait avec la bénédiction du peuple, pour
aller affronter d'autres dangers et soulager d'autres souffrances. La vie de Camille de Lellis
se passa ainsi dans les lazarets et à l'hôpital du Saint-Esprit. Tout ce que le père le plus
dévoué, tout ce que la mère la plus tendre peut inventer pour soulager et consoler un
enfant malade et l'aider à sanctifier ses souffrances, l'ingénieuse chanté de Camille le mettait
en oeuvre.
Encouragé par les premiers succès de son œuvre, l'apôtre de la charité porta plus
loin ses vues; il voulut que ses frères s'engageassent à servir les pestiférés, les prisonniers
et ceux mêmes qui mourraient dans leurs propres maisons. H leur ordonna d'exhorter les
malades qu'ils assisteraient, à régler de bonne heure leurs affaires temporelles, afin qu'ils
pussent ensuite s'occuper de celle de leur salut; de ne point les laisser trop longtemps
avec des amis ou des parents qui pourraient les troubler par un excès de tendresse; de
leur inspirer de vifs sentiments de pénitence, de résignation, de foi d'espérance et de
charité; de leur apprendre à accepter la mort en esprit de sacrifice, et en expiation -de
leurs péchés. Il fit un recueil de prières qu'ils devaient réciter pottr les personnes qm
étaient à l'agonie.
Il n'y avait personne qui ne fût charmé d'une institution qui avait la chari'të pour
principe et le soulagement spirituel et temporel des malades pour but. Le projet en parais-
sait d'autant plus admirable qu'il avait été formé et exécuté par un -homme sans lettres et
sans crédit. Le pape SMte-Quint le confirma en 1586, et donna à Camille l'église de Sainte-
Marie-Madeleine pour son usage et pour celui de ses frères. En 1591, Grégoire XIV érigea la
nouvelle congrégation en ordre religieux, sous l'obligation toutefois d'ajouter aux vœux de
pauvreté, de chasteté et d'obéissance, celui de servir les malades, même ceux qui seraient
attaqués de la peste.
L'humilité du saint fondateur était extraordinaire; il se regardait comme le dernier de
là communauté, an point que ceux qui le connaissaient en étaient dans l'étonnement.
Voulant se donner plus de temps pour servir les pauvres et se dérober à l'attention, il se
démit du généralat de son ordre en 1607. 11 parlait aux malades avec une onction à laquelle
il était impossible de résister; il leur apprenait à réparer les défauts de leurs confessions
passées, et leur inspirait les sentiments de componction et de repentir qui appellent le
pardon du ciel. L'amour de Dieu était le thème inépuisable de ses exhortations et même
de ses conversations; s'il lui arrivait d'entendre un discours où il n'en fût point parlé, il
disait que c'était un anneau auquel il manquait un <<MWKM~.
La pensée du ciel consolait Camille dans l'accomplissement de ce pénible apostolat. On
l'entertdait souvent répéter ces paroles de saint François d'Assise « Le bonheur que j'espère
est si grand que toutes les peines et toutes les souffrances deviennent pour moi un sujet
de joie.
Étant tombé malade dans un voyage qu'il fit pour visiter les maisons de son ordre, il
retourna à Rome. Averti par les médecins que sa maladie était désespérée, il s'écria « Je me
réjouis de ce que l'on m'a dit Nous irons dans la maison du Seigneur. » II reçut le saint
Viatique des mains du cardinal Ginnasi, protecteur de son ordre, et rendit son âme à Dieu le
1& juillet 1614, comme il l'avait prédit, a l'âge de soixante-cinq ans. Son corps fut inhumé

auprès du grand autel de l'église de Sainte-Marie-Madeleine. Mais Dieu ayant fait connaître
dans la suite la sainteté de son serviteur par les nombreux miracles opérés A son tombeau,
il fut exhumé et placé sous l'autel même. Il a été depuis renfermé dans une chasse en
bronze qui est placée sous l'autel de l'une des chapelles de l'église. On voit dans une autre
chapelle, à droite, le crucifix miraculeux, qui, détachant ses mains de la croix, adressa
un jour au serviteur de Dieu ces consolantes paroles « De quoi vous affligez-vous, homme
pusillanime? Continuez votre entreprise, je serai votre appui. Cette œuvre n'est pas la
vôtre, mais.la mienne. »
On conserve religieusement dans le couvent des Croceferi la chambre qui fut habitée
par saint Camille de Lellis. Suivant l'usage d'Italie, elle a été transformée en chapelle.
Cette chambre est carrée. Au fond est une fenêtre à plein cintre devant laquelle est un
autel garni d'une vitrine où sont renfermées plusieurs reliques du saint, savoir deux
paires de chaussures, une espèce de verge, des bas et des tuniques de lin et de laine, une
bavette, un mouchoir de poche, une lampe de verre, deux coupes et un morceau de
chandelle. Au milieu de toutes ces reliques se trouve une botte renfermant les lettres et les
constitutions du saint. La vitrine dans laquelle sont déposés tous ces objets précieux, est
surmontée d'un petit tableau ovale représentant saint Camille aux pieds de la sainte Vierge.
Quant aux parois, elles sont recouvertes de peintures. A droite, en entrant, est un
tableau représentant le saint au moment où il reçoit le saint Viatique des mains du cardinal
Ginnasi. A gauche, on le voit étendu sur un lit de parade.
Dans un coin de la chambre, on remarque un grand reliquaire en forme d'ostensoirr
renfermant le pied droit du saint. On voit dans cette précieuse relique les traces d'une
plaie qui lui rongea les chairs et même l'os.
Saint Camille de Lellis fut béatifié en 16~2, et canonisé en 16&4 par Benoît XIV.
~ctons. 1° C'est la gloire de la religion chrétienne d'avoir pourvu efficacement au soulagement de
toutes les misères. 2° Il n'y avait que l'exemple d'un Dieu rédempteur qui pût inspirer de si généreux
sacrifices. 3" Montrons donc que nous sommes dignes d'être ses disciples, en les continuant selon notre
pouvoir.

PfuÈRE.– Seigneur, faites moi la grâce d'entrer dans votre esprit, afin d'entrer dans vos opéra-
tions car ce n'est pas tout de faire le bien, il faut le bien faire. Donnez nous de faire toutes choses
dans l'esprit de Jésus-Christ; donnez-nous cette charité ardente et dévouée qui accomplit les oeuvres de
miséricorde spirituelle et corporelle sur les membres souffrants de votre Fils; donnez-nous cette prudence
chrétienne qui consiste à juger, à parler, à opérer, comme la sagesse éternelle, revêtue de notre chair,
a jugé, parlé et opéré. Ainsi soit-il. (SAINT VtNCE~T DE PAUL.)
CHAMBRE
t'EE

SAINT JOSEPH DE CALASANZ


A SAINT-PANTALÉON.

(A. D. 1556-tMS.)

RoME a sur les autres églises le glorieux avantage d'avoir ouvert la première des écoles
gratuites pour les enfants du peuple. L'initiative de cette institution charitable est due à un
saint prêtre, qui a laissé des souvenirs précieux dans la ville éternelle. Joseph de Calasanz,
né le il septembre 1856, d'une famille noble et riche, donna dès ses plus tendres années
des indices de sa tendre charité pour les enfants, et du soin qu'il prendrait un jour de leur
éducation; étant encore très-jeune, il aimait à les réunir autour de lui, à leur apprendre
les mystères de la foi, ainsi que les ~ières quotidiennes. Devenu prêtre, après de longues
et fortes études, il évangélisa pendant huit ans, avec le zèle et le succès d'un apôtre, plusieurs
provinces d'Espagne. Mais, d'après une inspiration particulière, il se rendit à Rome, en 1592.
Là, non content de macérer son corps par les jeûnes, les veilles et de grandes austérités, il
s'occupait à instruire les enfants, à visiter et à consoler les malades, à soulager les pauvres
les plus abandonnés, et s'associait à saint Camille de Lellis pour le service des pestiférés.
M fut ainsi vingt ans à étudier la volonté de Dieu et à s'y préparer.
Dieu lui ayant fait connaître qu'il était appelé à l'éducation des enfants, surtout des
enfants pauvres, il établit, sous la protection spéciale de la sainte Vierge; une congrégation
de religieux, dite des Écoles-Pies. L'objet de cette congrégation est d'apprendre aux enfants
à lire, à écrire, à calculer, à tenir les livres chez les commerçants et dans les bureaux,
et d'enseigner les humanités, les langues savantes, la philosophie, les mathématiques et
la théologie. Elle se répandit bientôt jusqu'en Espagne, en Autriche et en Pologne. Mais,
pour la fonder et la propager, le saint instituteur supporta tant de travaux et souffrit tant de
contradictions, et avec une si invincible patience, qu'on l'appelait un autre Job. Quoique
supérieur général, il ne laissait pas d'instruire les petits enfants, surtout les plus pauvres, au
point de balayer lui-même leurs salles et de les accompagner dans les rues. Malgré une faible
santé, persévéra cinquante ans dans cet humble ministère. Aussi Dieu le favorisa-t-il du
il
don de prophétie et de miracles. A l'âge de plus de quatre-vingts ans, it eut a subir la
persécution de trois membres de sa congrégation. Calomnié auprès de l'autorité, il fut tra-
duit publiquement devant un tribunal de Rome; bientôt même il fut déposé de sa charge de
supérieur général, et obligé de subir le joug de son principal persécuteur. Le 25 août 16~8,
il mourut à Rome, dans la disgrâce, à l'âge de quatre-vingt-douze ans, après avoir prédit le
rétablissement et l'accroissement de son ordre, qui, à ce moment-là, était presque anéanti.
La vertu de Joseph de Calasanz ne tarda pas à sortir du nuage dont la calomnie l'avait
enveloppée. Dieu se chargea de justifier son serviteur en glorifiant sa tombe par de nombreux
miracles. La fête de saint Joseph de Calasanz a été fixée au 27 août. Son office a été approuvé
en 1769.
Les enfants de saint Joseph de Calasanz ont conservé avec un religieux respect la maison
sanctifiée par la présence de leur fondateur. Cette maison est devenue pour eux un sanctuaire
riche en souvenirs et en précieuses reliques; c'est le couvent qui tient à l'église de Saint-
Pantaléon. II est occupé par les Frères des Écoles chrétiennes, fondés par saint Joseph de
Calasanz. On y voit encore la grande salle dans laquelle il faisait les écoles; une inscrip-
tion rappelle qu'un jour, dans cette salle même, étant au milieu de ses religieux, la sainte
Vierge, portant le divin Enfant, lui apparut, remplissant tout l'appartement d'une lumière
'éclatante et de l'odeur des parfums les plus exquis. Le saint fut ravi en extase et soulevé
de terre, en présence de ses frères qui attestèrent ce miracle.
Cette scène est représentée dans le tableau qui est au-dessus de l'autel élevé dans cette
salle.
A droite de cet autel se trouve une porte au-dessus de laquelle on lit l'inscription
suivante

CUBICULUM DIUTURNO PER XXXV! AN. INCOLATU,


SANCTI JOSEPHI CALASANCTII JEJUNIIS, VIGILIIS, CHAMENNIIS, FREQUENTI COELITUM
APPARITIONE ET SIGNIS, DEMUM AC BEATA MORTE HONESTATUM, ALTARI
CONDITO DEDICATUM, VENERABUNDUS INGREDERE.

Sur la porte même se trouve une pancarte où le fait suivant est rapporté
Un jour que saint Joseph de Calasanz allait visiter un de ses amis très-malade, le véné-
rable Glicerio Landriani, celui-ci lui dit Mon père, je ne veux pas mourir sans avoir reçu
votre bénédiction, et quand même je serais mort avant, j'irais vous la demander.
Saint Joseph de Calasanz, l'ayant refusée par humilité, s'en alla. Mais le jour même, le
vénérable Glicerio mourut, et pendant la nuit il vint frapper à la porte de saint Joseph et
entra dans sa chambre pour lui demander sa bénédiction.
Au fond de cette chambre se trouve un autel où l'on célèbre le saint sacrifice, le 27 août.
jour de la fête de saint Joseph.
Un tabernacle vitré, placé au milieu de cet autel, contient le calice, la patène et la palle
dont se servait saint Joseph pour dire la messe.
Au-dessus est un tableau qui le représente en extase.
De chaque côté de l'autel, dans des armoires vitrées, sont les ornements sacrés dont il
se servait.
D'autres armoires vitrées, tout autour de la chambre, renferment les différents objets qui
lui ont appartenu, son lit, ses vêtements, son linge et ses ustensiles de ménage.
On conserve même avec soin, dans une salière, le sel qui s'y trouvait les dernières fois
qu'il mangea.
On conserve aussi un très-grand nombre de ses écrits, qui forment huit fort volumes
reliés.
Ses meubles, qui sont en bois très-commun, sont placés sur les armoires, afin qu'ils
n'encombrent pas trop cette chambre qui a été convertie en chapelle. La table sur laquelle
il écrivait est soigneusement renfermée.
On conserve encore, avec les instruments de ses pénitences corporelles, disciplines,
cilices, etc., une pierre de marbre, qu'il était obligé de placer sur son cœur pour le rafraî-
chir, lorsque, dans ses transports d'amour pour Dieu, la chaleur extérieure s'accroissait à
un degré trop élevé.
On voit aussi, sous un globe de verre, son masque, pris sur sa figure après sa mort.
Un grand reliquaire, que l'on tient ordinairement voilé, contient son foie, son cœur, sa
langue et son estomac soigneusement embaumés et desséchés.
La fenêtre, la porte et le plafond de cette chambre sont tels qu'au temps où le saint
vivait.
IIdemeura là trente-six ans.
Le corps de saint Joseph de Calasanz repose dans une urne de porphyre, sous le maltre-
autel de l'église, qui est sous son vocable et sous celui de saint Pantaléon. Cette église est
attenante au couvent.

Réllexions. 1° Les personnes chargées de l'éducation des enfants doivent se persuader que le succès
de leurs soins dépend principalement de leurs exemples. 2° Leurs élèves croiront toujours que ce qu'ils leur
voient faire est permis, et les plus belles maximes ne produiront aucun effet, si elles se trouvent en oppo-
sition avec leur conduite.

PmÈnE. 0 saint Joseph de Calasanz, mon très-doux protecteur, vous êtes cette grande âme qui brûla
continuellement sur cette terre de la plus vive chanté pour Dieu et pour le prochain. C'est cet amour qui
vous fit constamment abhorrer le péché, conserver votre innocence et aspirer au martyre. C'est lui qui vous
rendit ardent à convertir les hérétiques, à ramener les pécheurs, à élever chrétiennement la jeunesse. C'est
lui qui fit de vous le père et le soutien des afuigés, des vierges, des veuves, des orphelins, des infirmes,
des prisonniers et des malheureux de toute espèce. 0 mon saint avocat, votre charité ne s'est pas éteinte
au ciel. Au contraire, elle a augmenté et s'est enflammée davantage. Jetez d'en haut un regard de pitié
sur un pauvre malheureux qui implore votre protection. Considérez les misères de mon âme, et soyez ému
de compassion. Ah! demandez pour moi au Père de la grâce, à Celui qui règle les cœurs, la lumière pour
me connaître, la douleur pour pleurer mes fautes, la volonté et la force pour pratiquer les devoirs d'un
chrétien, la persévérance finale pour bien mourir. Secourez-moi encore, puissant protecteur des affligés, dans
mes besoins temporels, pourvu que l'absence des peines ne soit pas pour moi un obstacle à la conquête
des biens éternels. Si cela était, laissez-moi dans les tribulations, mais obtenez-moi la grâce de souffrir avec
patience et de remercier le Seigneur. Vous m'en avez donné l'exemple, vous qui, agité et affligé par tant de
traverses, par tant de persécutions et tant de travaux, avez conservé cependant la tranquillité et la justice
dans votre cœur, et la louange et la reconnaissance sur les lèvres, ce cœur et ces lèvres que Dieu a voulu
conserver purs et sans tache, à la honte du temps et des éléments. Soyez-moi propice, ô saint protecteur, et
bénissez-moi. Ainsi soit-il!
(Traduit de l'italien.)
CHAMBRE

DE

SAINT STANISLAS KOSTKA


AU NOVICIAT DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.

(A. D.)550-)568.)

TOUT ce qui est jeune a un charme inexprimable de fraîcheur et de beauté; la sainteté


elle-même, qui inspire toujours le respect, a dans la jeunesse cette merveilleuse puissance
d'attraction qui séduit les âmes les plus indifférentes. Moins imposante que dans l'âge mûr,
elle paraît plus attrayante et semble participer de la beauté extérieure qui orne nos pre-
mières années. C'est cette beauté surnaturelle de la sainteté qui prête tant de charmes à la
vie du jeune Stanislas Kostka. La pureté de son âme virginale, la tendresse enflammée de'
son amour pour Dieu, son dévouement au culte de la Reine des Anges, en ont fait le patron
et le modèle de la jeunesse.
Stanislas naquit au château de Rostkou, dans la basse Pologne, le 28 octobre 1550.
Il était le dernier des enfants de Jean Kostka, sénateur de ce royaume, et de Marguerite
Kuiska, sœur du palatin de Moravie. Le premier usage qu'il fit de sa raison fut de se
consacrer à Dieu avec une ferveur qui était au-dessus de son âge. Le jeune Stanislas était
doux et affable et son visage avait une expression de sérénité grave et sérieuse qui lui
attirait le respect. Il était beau, mais sa beauté avait quelque chose de contenu comme sa per-
sonne. Le sentiment de la pudeur était si élevé et si délicat en lui, qu'une parole peu retenue
suffisait pour le troubler. La vivacité du sang polonais qui coulait dans ses veines, la liberté
des écoles allemandes où il fut envoyé. les railleries de ses condisciples, l'ambition de
sa famille riche et puissante, rien ne put ternir la pudique fraîcheur de cette âme pré-
destinée.
Son frère Paul Kostka et le précepteur qu'on leur avait donné à tous deux, mirent
tout en usage pour détourner Stanislas de la vie sainte qu'il menait. Le pauvre enfant
supporta leurs railleries avec la constance d'un petit martyr. Il ne se plaignait pas; son
visage était toujours égal. et jamais une parole de reproche et de murmure ne sortit de
sa bouche pendant les deux ans que dura cette persécution. Durant le séjour qu'il fit à
Vienne pour ses études, Stanislas logeait avec son frère et son précepteur chez un luthé-
rien. Atteint d'une maladie dangereuse, il exprima le désir de recevoir le saint Viatique;
mais le luthérien chez lequel il logeait ne voulut pas y consentir, malgré les instances
réitérées du malade. Stanislas s'adressa alors à sainte Barbe.et la conjura, selon l'usage
qui existe dans les royaumes du Nord, de lui obtenir la grâce d'une bonne mort et de
recevoir les derniers sacrements. Sa prière fut exaucée. Une nuit que la, violence de
son mal l'empêchait de dormir, il vit paraître près de son lit sainte Barbe accompagnée de
deux anges dont l'un lui apportait le saint Sacrement. A ce spectacle, Stanislas se leva plein
de joie et se mit à genoux sur son lit; puis il reçut en paix, avec un bonheur et un
amour indicibles, la nourriture divine qu'il avait tant souhaitée.
Revenu à la santé, Stanislas résolut d'entrer dans la Compagnie de Jésus. Il se rendit à
Rome et alla trouver le supérieur général, François de Borgia, qui l'admit au noviciat.
Stanislas édifia les jeunes novices comme autrefois il avait édifié ses camarades de classe.
II ne faisait rien que d'ordinaire, mais il s'appliquait à donner à chacune de ses actions
toute la perfection dont elle était susceptible. Il observait la règle de la maison avec une
exactitude exemplaire il était prêt à tout, ne s'excusant point, ne trouvant rien de
difficile, de sorte que son supérieur l'appelait quelquefois, en riant, le tout-puissant. Il n'y
avait pas encore dix mois qu'il était au noviciat lorsqu'il se sentit intérieurement averti
que sa mort approchait. Cette âme si littéralement angélique n'avait pu revêtir un corps
que pour quelques jours, et cette enveloppe de jeunesse et de grâce, quelque transparente
qu'elle fût, ne devait pas receler longtemps de si purs rayons. Stanislas Kostka avait voué la
plus tendre dévotion à la sainte Vierge il demanda de mourir avant la fête de l'Assomp-
tion afin d'assister dans le ciel au renouvellement de ce glorieux triomphe. Son vœu fut
exaucé. Un affaiblissement soudain le saisit la veille de cette sainte journée. Les derniers
sacrements lui furent administrés en toute hâte, et il rendit son âme virginale à Dieu,
vers trois heures du matin le 15 août 1568.
« Au moment d'entrer dans sa dix-neuvième année, dit un pieux auteur, dans la fleur
de l'adolescence, orné des plus heureuses qualités et tel qu'une fleur qui vient d'éclore,
Stanislas fut cueilli d'entre les épines de ce désert et attaché à l'immortelle guirlande du
céleste époux. Sa stature, moyenne, mais bien prise, réunissait l'élégance à une sorte de
majesté. Son teint était blanc; ses cheveux, de couleur noire, prenaient à leur extrémité
une teinte gracieuse et moins foncée; son visage était arrondi, ses yeux brillants et trans-
parents, mais presque toujours humides et imprégnés de larmes, comme si son cœur se
fût incessamment fondu par l'abondance de la douceur spirituelle. Tout respirait la modestie
dans son regard, dans sa démarche, dans ses gestes, dans ses mouvements; tout était
digne et réservé dans ses discours. En lui jamais de tristesse; sa physionomie était tou-
jours sereine, et son aspect aimable. La félicité de son âme nourrie des délices de la vie
bienheureuse faisait épanouir sur tout son extérieur les fleurs de la divine charité; cette
âme pure restait, non point par intervalle, mais continuellement soulevée vers le ciel et
unie au bien suprême. »
Stanislas mourant à dix-huit ans s'était élevé à un degré de sainteté digne du culte
public, qu'il avait pour ainsi dire conquis dès l'enfance. Il avait réalisé dans sa personne
ces paroles du livre de la Sagesse « Il s'est rendu parfait en peu de temps; et dans le
petit nombre d'années qu'il a vécu, il s'est avancé à l'égal de ceux qui ont une plus.
longue vie; Dieu s'est hâté de le retirer de ce lieu de misère et de péché, parce que
son âme lui était agréable. ».
La vertu du jeune saint avait jeté un tel éclat dans la ville de Rome, que ses funé-
railles ressemblèrent plutôt à une marche triomphale qu'à un convoi funèbre. On ne
remarquait point de changement en lui; ses traits n'étaient point efïacés; il n'avait rien
perdu de la vivacité de ses couleurs; on remarquait encore sur son visage cette expression
de douceur qui l'avait rendu aimable à tous ceux qui l'approchèrent pendant sa vie. Aussi
accourait-on de toutes parts pour le contempler sur son lit de mort que, par un rappro-
chement qui s'emparait involontairement de toutes les imaginations, on avait entouré de
fleurs. On s'agenouillait, on baisait ses mains qu'on arrosait de larmes; on recueillait avec
respect les fleurs dont on avait parsemé son corps, et chacun admirait sur son visage les
signes de l'immortalité au lieu des symptômes de la mort, ce qui fit dire au P. François
Tolet, qui fut depuis cardinal, ces paroles remarquables Cela est admirable, un jeune
enfant vient de mourir, et il attire tout le monde à lui; chacun le veut voir, chacun lui
veut baiser les pieds. Hélas nous mourrons peut-être bien vieux, nous autres; en fera-t-on
autant pour nous? »
Le corps du jeune saint fut enterré comme ceux des autres religieux de la Compagnie,
excepté qu'il fut mis dans un cercueil, où il demeura plus de deux ans sans se corrompre,
quoiqu'il n'eût point été embaumé. Il s'en exhalait même parfois une odeur si douce que
toute la chapelle en était remplie, Dieu voulant ainsi ajouter ce dernier témoignage de la
pureté angélique de son serviteur à tous ceux qu'il avait déjà rendus. Le corps du saint
fut plus tard transporté à la nouvelle église de Saint-André, que le prince Pamphili fit
bâtir au noviciat de Rome avec une magnificence digne de sa piété. On y voit encore
aujourd'hui le tombeau et la cellule du saint. L'église du couvent est entièrement revêtue
de marbres rares et enrichie de fresques précieuses. Entre autres tableaux, on remarque
au maître-autel le C/'M<teM<'n< du Bourguignon, et, dans la chapelle de saint Stanislas, le
portrait du saint par Charles Maratte. Depuis le pavé jusqu'à la voûte, cette chapelle étin-
celle de dorures et de marbres choisis mais son plus bel ornement est le corps de saint
Stanislas, conservé sous le maître-autel, dans une riche châsse en lapis-lazzuli.
La chambre de saint Stanislas forme pour ainsi dire le vestibule de cette chapelle;
bien que simple, elle est ornée de plusieurs petits tableaux, dont le plus grand repré-
sente saint Stanislas, priant pour délivrer un Frère des tentations qui l'assaillaient; douze
ébauches, dues au pinceau du Zoboli, représentent les faits les plus saillants de la vie et
quelques miracles du saint novice; on y vénère aussi comme précieux souvenirs, deux
portes qui servirent, l'une à une chapelle où saint Ignace célébrait la sainte messe, l'autre
à la chambre de saint François de Borgia. Sur la porte d'entrée, qui est d'un joli travail,
avec le socle en marbre, on lit une inscription en latin qui atteste que saint Stanislas
Kostka, par sa vie et par sa mort, a sanctifié cette chambre. On entre ensuite dans une
petite cellule qui possède plusieurs tableaux, dont le plus remarquable est un grand por-
trait de saint Louis de Gonzague; quelques autographes des vénérables, bienheureux et saints
de la Compagnie, et un charmant travail en relief reproduisant la mort de saint François
Xavier. Passant de là dans les chapelles, on voit dans la première, en face de la porte,
l'autel de la sainte Vierge, sur lequel est renfermé, dans un tabernacle de bois doré, la
première copie qui fut faite de l'image de la très-sainte Vierge, qu'on vénère dans la
basilique de Sainte-Marie-Majeure. Dans l'autre partie, à gauche, qui est réellement la
chambre où mourut saint Stanislas, et en face de l'autel de la sainte Vierge, il y a un autre
autel dédié à ce saint on y voit un tableau représentant saint Stanislas recevant la
sainte hostie de la main d'un Ange. Le portrait du saint est regardé comme un des
plus ressemblants. Mais ce qui mérite le plus d'attention, c'est la statue du saint.
Une balustrade de cuivre enferme une marche d'albâtre gracieusement nuancée de gris
et de blanc, qui entoure le gros bloc de marbre formant le lit, sur lequel est couché le
saint mourant; sa tête repose sur deux oreillers; la blancheur du marbre de la tête, des
mains et des pieds fait un frappant contraste avec le noir foncé de l'habit religieux. De
sa main droite, il tient le crucifix et le chapelet; de sa gauche, une petite image de la. sainte
Vierge, sur laquelle se fixent ses tendres regards. L'expression de la figure, la pose du
corps sont admirables. Le ciseau du célèbre Le Gros s'est vraiment surpassé. Toutefois,
la triste réalité de cette image n'est pas ce qui convenait le mieux à ce sanctuaire; le
souvenir des saints nous rappelle bien moins l'aspect physique de la mort que les inef-
fables joies de la vie éternelle. Pour compléter 1 idée de l'artiste, on a suspendu sur la tête
de la statue un tableau représentant la sainte Vierge soutenue par les anges, entourée de
sainte Agnès, de sainte Barbe et de sainte Cécile; elle tend la main pour recevoir cette
âme bienheureuse, et les anges jettent des fleurs sur ce lit de mort et de triomphe. Ce
tableau, encadré dans une belle corniche dorée, est du chevalier Errinardi.
Les chapelles de Saint-Stanislas sont très-fréquentées par le peuple de Rome et surtout
par les étudiants, qui viennent offrir généreusement à leur saint patron les médailles d'or
et d'argent qu'ils ont reçues pour prix de leur conduite on de leurs succès.

Réflexions. 1° Heureuses les âmesqui, fuyant le monde, préfèrent la maison du Seigneur aux taber-.
nacles des pécheurs! 20 Le monde les plaint; ah! c'est qu'il n'a jamais goûte les saintes délices dont les
enivre le divin Époux.

PtUF.RE. 0 mon très-aimable protecteur Stanislas, séraphin de charité, je me réjouis avec vous de
cette flamme ardente d'amour qui conserva toujours votre cœur pur, innocent, élevé et uni à son Dieu, et
je vous supplie humblement de m'obtenir du Seigneur un tel amour pour lui seul, qu'il consume toutes
mes affections terrestres.
CHAMBRE

DE
E

SAINT LOUIS DE GONZAGUE


AU COLLÉGE ROMAIN.

(t568-)59L)

LE COLLÉGE romain est le plus important établissement d'instruction publique qui ait été
fondé au xvi" siècle. Il a servi de modèle à tous les établissements de ce genre en Europe.
et aujourd'hui encore il se tient à la hauteur de son ancienne réputation. II possède une
bibliothèque de près de soixante-dix mille volumes, un observatoire un musée fondé en
partie par le célèbre père Kircher et qui contient une collection nombreuse de camées,
médailles, vases, bronzes, terres cuites, peintures antiques, monuments de tous les pays
et de tous les âges, parmi lesquels sont venus prendre place, tour à tour, l'épée du connétable
de Bourbon et la pipe de Thamas Kouli-Kan.
Mais à côté de tous ces trésors il en est d'autres plus inappréciables qui saisissent for-
tement l'âme lorsqu'on entre dans cette sainte demeure. Ceux qui donnèrent la vie à cette
magnifique institution, ceux qui en firent comme le centre du mouvement des intelligences
au xv!" siècle, ces héros de la science et de la foi, Ignace François de Borgia, Laynez,
Bellarmin, ont passé par là. Leur souvenir plane, comme un encouragement et une béné-
diction, sur ces salles où ils présidèrent aux études, sur ces chaires où peut-être retentit
leur parole, sur ces modestes cellules qu'ils ont habitées. Parmi cette pléiade de saints qui
ont illustré cette grande école catholique, il y a un nom béni qui est devenu cher à la
jeunesse chrétienne, et dont le souvenir reste vivant à Rome. C'est Louis de Gonzague,
ce jeune saint, la fleur de la Compagnie de Jésus, que la douce aménité de son caractère
et ses vertus angéliques avaient rendu l'objet d'un affectueux respect, et tout ensemble un
des saints les plus populaires de la ville éternelle, le protecteur le plus aimé de la jeu-
nesse romaine. Fils aîné du marquis Ferdinand de Gonzague, prince du saint-empire, Louis
de Gonzague naquit au château de Castiglione, au diocèse de Bresse, le 9 mars 1568. Il fut
élevé dans la crainte de Dieu par sa pieuse mère. Louis, encore enfant, avait un abord si
aimable et un maintien si modeste, qu'H semblait à
ceux qui le portaient entre leurs bras
qu'ils tenaient un ange à la vue duquel ils se sentaient intérieuremeut amenés
à la vertu.
Dès l'âge de sept ans, il fut tellement prévenu des grâces du Ciel, qu'il
résolut dès lors
de renoncer à l'amour du siècle pour se consacrer tout entier à l'amour divin.
Il avait ses
exercices de piété réglés comme un homme déjà expérimenté dans la vie spirituelle. A
huit
ans, son père le mena à la cour du grand-duc de Toscane; mais, bien loin de se laisser
corrompre à un air si contagieux, Louis y continua ses exercices spirituels; et, pour triom-
pher plus facilement des embûches du démon, des appas du monde
et de sa propre
concupiscence, il prit la sainte Vierge pour son avocate,
se mit sous sa protection, et fit
vœu de virginité perpétuelle. Lorsqu'il eut atteint sa seizième année, il résolut d'exécuter
le dessein qu'il avait formé de se faire religieux. Il
entra au noviciat de la Compagnie
de Jésus j'an 4585, n'ayant pas encore dix huit
ans accomplis. Il fut dès le premier
jour le modèle des novices par sa modestie,
sa piété et sa soumission à la règle. Il allait.
les jours de fête catéchiser les
pauvres et les paysans; il visitait les hôpitaux, laissant
partout les témoignages les plus touchants de son humilité et de
sa charité. En i59j
une épidémie s'étant déclarée à Rome, Louis se dévoua au service des malades;
c'est
en les assistant qu'il fut atteint de la contagion. Loin de s'en attrister, il remercia Dieu de
hâter le jour de sa délivrance. Les remèdes qu'on lui prescrivit le
soulagèrent pendant
quelque temps mais il lui resta une fièvre lente qui dura trois mois,
comme pour lui
donner le moyen d'attendre avec plus de tranquiliité l'heureux
moment de sa mort. Nôtre-
Seigneur lui en ayant fait connattre le jour, il l'en remercia; puis, il dit
à ceux qui l'assis-
taient, qu'il quitterait la terre le jour de l'octave du Très-Saint-Sacrement.
En effet, le jour
même, le père Provincial étant venu le voir, lui demanda
comment il se portait « Nous nous
en allons, lui dit-il, mon Père.-Et où? reprit le supérieur. Au ciel,
ajouta-t-il, comme
je l'espère par la miséricorde de mon Dieu, si mes offenses
passées ne m'en empêchent.
Louis de Gonzague rendit son âme à Dieu, la nuit du 20 »
au 21 juin 1591. II était âgé de
vingt-trois ans, trois mois et onze jours.
Dès que sa mort fut connue, l'infirmerie où était
son corps fut envahie par les
élèves du collége, qui songeaient moins à prier
pour le repos de son âme qu'à se recom-
mander à son intercession plusieurs d'outre
eux se jetèrent sur ses vêtements, qu'ils se
disputaient comme de précieuses reliques.
Le corps de Louis fut transporté processionnellement
à l'église du collége et inhumé
dans la chapelle du Crucifix,
au côté gauche de l'église. Il a été exhumé depuis et
Placé dans la magnifique chapelle qui
a été bâtie sous son nom par le marquis Scipion
Lancelotti. Cette chapelle fait partie de l'église
Saint-Ignace, qui est attenante au Collége
romain. On admire dans cette chapelle, qui
se trouve à droite, un bas-relief de Legros,
représentant saint Louis de Gonzague. Sous l'autel brille
une châsse revêtue de lapis-lazzuli
dans laquelle repose le
corps virginal du jeune saint. L'autel est remarquable par les
marbres précieux et les colonnes
torses de ~rt antique dont il est orné.
Après avoir visité le tombeau de saint
Louis de Gonzague, on aime à visiter aussi les
chambres qu'il a habitées
au Collége romain. La piété de la jeunesse de Rome en a fait
autant de sanctuaires. E!!es sont connues sous le nom de C~ sanc-
tuaires sont an nombre de trois uue chapette de la sainte Vierge, la chambre que saint
Louis habita, et une vaste salle ornée de fresques qui sépare les deux chapelles.
Sur la porte qui donne entré? dans la salle on lit

MEMORIvt ET HONORI
ALOYSII GONZAG/E COELESTIS PATRONI
CULTORES EJUS ANNO M DCC LXXXX
HOSPITIA SANCTUARIA EXORNAVERUNT.

Les murs de cette salle sont ornés de quatorze fresques qui reproduisent les plus mémo-
rables souvenirs de la vie du saint, dans l'ordre suivant

Ab explosi tormenti periculo


An~eHca ope subtrahitur..

Saint Louis est représenté mettant le feu à une pièce de canon; il porte le casque et la
cuirasse; un ange étend devant lui sa main pour le protéger contre l'effet du recula

Novennis vh'ginitatem vovet.

Le saint est à genoux devant un autel et offre un lis à la sainte Vierge.

Vit'ibus deficit
Horrnrc ottpaj'nm qoHs vix noverat.

Le confesseur sort du confessionnal. et soutient Louis tombant en défaiHance.

A S. CarotoBorronfpo
Cœlesti pane primum reficitur.

Saint Louis reçoit pour la première fois la sainte communion des mains de saint Charles
Borromée.
Senem coram adolescentibus
Turpia loquentem corripit et fugit.

H réprimande et quitte brusquement un vieillard qui tenait des discours obscènes devantt
des jeunes gens.
A P. Claudio Aquaviva
ln societatem admittitun

II est reçu dans la Compagnie de Jésus par le Père Aquaviva.

). Vie de saint /.OMM de ~oK~~Me, cdition d'Avignon, ch. n, p. 7 et t): ch. tl, p. 13: ch. v, p. ch. x, p. 5), et
ch.xx\u,p.S:
Excusat silentii regulam
Card. Borromaeo ad alloquium provocanti.

Le cardinal lui ayant adressé la parole il s'excusa de ne pouvoir lui répondre, à cause
de la règle qui lui prescrit le silence.

Exteros modestia allicit.

Saint Louis se rend en classe; il marche en tête de la file, les yeux baissés et dans la
tenue la plus modeste et la plus recueillie, qui suffirait à le faire reconnaître entre tous ses
compagnons, si le peintre n'avait pas entouré son front d'une auréole.
CuHnœ prœfecto subservit.

Le saint, l'auréole au fron lave des assiettes dans un baquet et les passe au frère
cuisinier, qui les pose dans les étagères.

~Egrum t e infectum
Ad nosocomium defert.

Le saint est représenté p~'tant dans ses bras un pestiféré.

In extasim raptus, suée mortis diem intelligit.

Tandis qu'au pied de son lit deux pères prient profondément recueillis, le saint, plongé
dans l'extase, rayonne et parait contempler un surnaturel et ravissant spectacle.

A Benedicto Papa XIII


Studiosae juventutis patronus constituitur.

Benoît XIII est assis sur un trône et présente le décret au général de la Compagnie
de Jésus qui est à genoux devant lui. Plus loin, on voit aussi agenouillés et pieusement
attentifs, quelques écotiers du CoHége romain: un Germanique en soutane rouge, un orphe-
lin en soutane blanche, etc., etc.
Discipulorum Coll. Romani vota excipit.

Une file d'écoliers se dirige en chantant vers l'autel de saint Louis, portant dans
leurs mains des bourses richement travaillées où sont renfermées des adresses et des lettres
qui doivent rester durant huit jours exposées sur le tombeau du saint. Louis de Gonzague
plane dans les airs au milieu des nuages de gloire et laisse tomber un regard protecteur
sur ces candides offrandes. Cette cérémonie se fait tous les ans, le jour de la fête du
saint. Les bourses sont ensuite tivrées et envoyées aux dévots de saint Louis en Amérique,
en Angleterre, en France, etc.

A S. M. Magdalena de Pazzis ccetesti


Gloria praefutgens conspicitur.

La chapelle de la sainte Vierge s'ouvre sur cette salle. Consumée en 18~9 par un incen-
die allumé par tes révolutionnaires, elle a été restaurée en 1860.
On lit sur la porte:

SACELLUM. DEIPARIE. VIRGtNIS. D. N.


ANNO M DCCC XLIX
PERDUELLIUM. FRAUDE. ET. SCELERE
COMBUSTUM. AC. RENE. DELETUM
SODALES..COLLEGI!. ROMAN!. S. I.
IN. AMPLIOREM FORMAM. RESTITUENDUM
ET. NOVO. CULTU. EXORNANDUM. CURARUNT.
ANNO. M DCCC LX.

25 novembre 1587, fête de sainte Catherine, saint Louis fit ses premiers vœux. On
voit encore sur l'autel le portrait de la Vierge, copie de la célèbre peinture de l'Espagnol
Sassoferrata, devant laquelle saint Louis accomplit cet acte de religion. Le dévouement des
soldats français casernés au Collége romain arracha aux flammes ce précieux souvenir.
comme aussi les nombreuses et belles reliques que possède cette chapelle.
Au -dessus de l'autel une belle fresque représente le Sauveur bénissant une corbeille
de grappes et un faisceau d'épis que lui présentent deux anges prosternés devant lui. D'autres
anges sont groupés encore autour de Jésus, les uns tenant dans leurs mains des encensoirs
odorants, les autres dans l'acte d'une adoration profonde. La fresque du milieu de la voûte
reproduit le triomphe de saint Louis reçu par la sainte Vierge et son Fils au séjour de
la gloire.
La troisième chambre est celle que saint Louis habita durant ses études en théolo-
gie. Elle a été convertie en chapelle. Au-dessus de la porte on voit le véritable portrait
de l'aimable saint, et je dois. dire qu'il ne ressemble aucunement aux portraits de fan-
taisie qui se vendent chez les marchands d'estampes. Le saint a la figure longue, le teint
pale, le nez aquilin, les pommettes saillantes, plutôt creuses que pleines. Un certain mé-
lange de force et de douceur répandu sur la physionomie harmonise tous les traits et
donne à la figure un caractère de maturité que justifient l'histoire du jeune héros chrétien,
et ces paroles de l'Écriture consacrées à son éloge c Mort à la fleur de l'âge, il avait vécu
les années du vieillard. Co7MMMMM<M~!?! brevi, explevit lempora mM~a.
A l'extérieur, au-dessus de la porte de la même chambre, on lit

HIC UBI VIVEBAS COLERIS; SED VIVUS IBIDEM,


DIGNUS ALOYSI QUI COLERIS ERAS.

On conserve sous l'autel les planches qui renfermèrent jusqu'à l'époque de sa béatifi-
cation le corps du saint. Des peintures qui rappellent divers traits de sa vie des croix
des médailles d'or et d'argent, des cœurs offerts par la piété des dévots de saint Louis.
embellissent ce sanctuaire pieux et recueilli. Parmi tous ces dons et ces témoignages de
piété on remarque un manuscrit du saint qui avait disparu en 18~9, et qui a été rendu au
Collége romain~ par le saint-père, à qui il avait été offert par un prêtre de la Vénétie qui
l'avait trouvé et acheté à Venise. C'est le traité de la pénitence écrit sous la dictée du
père Vasquez. L'écriture ferme et régulière du saint se lit aisément.
En 1861, le 21 juin, le Saint-Père envoya au Collége romain un nouveau témoi-
gnage de sa dévotion pour saint Louis. Il consiste en un lis de grandeur naturelle une
tige de vermeil porte huit fleurs dont trois fermées et cinq ouvertes. C'est un travail
d'une exquise élégance enrichi de riches pierreries distribuées avec art. Un pistil flexible
s'élève du fond des calices entr'ouverts et fait briller aux regards les couleurs changeantes
d'une pierre précieuse. Un ruban tissu de diamants serre le milieu de la tige et s'étend
des deux côtés pour laisser voir le nom de l'auguste donateur.
A la sacristie on voit encore des lettres autographes du saint, la copie d'un portrait
fait de son vivant et dont l'original se conserve à Modène, un crucifix peint sur toile que
saint Louis emporta avec lui de la maison paternelle.
C'est un vrai bonheur pour le pèlerin de visiter ces pieux sanctuaires d'où semble
s'exhaler je ne sais quel parfum d'innocence et de sainteté qui réjouit délicieusement le
cœur. Angélique jeune homme, fleur immortelle de la Compagnie de Jésus, et sa plus belle
apologie, modèle de la jeunesse chrétienne, aimable Louis de Gonzague obtenez pour la
jeunesse l'esprit sacré qui vous anima!

Réflexions. pour la foi de voir un jeune prince sacrifier avec tant de générosité tous
1" Quel spectacle
les avantages de la terre et se livrer avec tant d'ardeur à la pratique des vertus les plus héroïques!
2" Qu'avons-nous sacriné pour Dieu? Que faisons-nous pour lui?

PRIÈRE. Vierge sainte, Marie, ma souveraine, je viens me jeter dans le sein de votre miséricorde et
mettre, dès ce moment et pour toujours, mon âme et mon corps sous votre sauvegarde et sous votre pro-
tection spéciale. Je vous confie et remets entre vos mains toutes mes espérances, toutes mes peines et mes
misères, ainsi que le cours et la fin de ma vie, afin que, par votre très.-sainte intercession et par vos
mérites, toutes mes œuvres soient faites selon votre votonté et celle de votre divin Fils. Ainsi soit-il!1

<. En <858, le jour de la fête du saint. Ce précieux missel, de 402 pages in-4", est renfermé dans un étui en bois recouvert de
velours cramoisi avec des fermoirs et les armes de Pie IX en argent.
2. Cette prière a été composée par saint Louis de Gonzague.
CHAMBRE
DU BIENHEUREUX

CRISPINO DE VITERBE
AU COUVENT DES CAPUCINS.

(A.D.iOM-nSO.)

LE bienheureux Crispin naquit à Viterbe, le 13 novembre 1668, de parents 'pauvres, mais


vertueux, qui ne négligèrent rien pour lui donner une éducation chrétienne. Sa mère l'avait
consacré de bonne heure à la sainte Vierge, et s'était appliquée à lui inspirer envers la
Mère de Dieu un respect et une confiance sans bornes; elle savait que le salut de son fils
était assuré sous la protection de cette reine puissante.
On voulait engager le jeune Crispin dans le service militaire; mais, ayant eu l'occasion
d'assister à la profession de deux jeunes capucins, il fut tellement frappé de leur recueillement
et de leur ferveur qu'il s'écria « C'est à cette armée que je veux appartenir; je sens la croix
de saint François dans mon cœur, et je veux l'y conserver à jamais. » Il demanda, en effet,
à être admis comme frère lai ou laïque dans un couvent de Capucins à Viterbe, et fit pro-
féssion à l'âge de vingt-six ans.
Ses supérieurs l'employèrent souvent à quêter pour la maison, et c'est en s'acquittant
de cette pénible fonction qu'il trouva une multitude d'occasions de montrer sa charité pour
les pauvres et les malheureux de toute espèce, soit en soulageant leurs besoins temporels,
soit en leur donnant des avis et des remèdes salutaires pour la sanctification de leurs âmes.
Personne ne donnait un meilleur conseil, et les plus hauts personnages, les cardinaux et
les prélats le regardaient comme un homme spécialement favorisé de Dieu. Cependant son
humilité demeurait inébranlable, au milieu des témoignages de vénération qu'il recevait conti-
nuellement, et il ne s'acquittait pas avec moins d'empressement de tous les offices qui lui
étaient confiés, quelque bas qu'ils fussent. Qu'on le chargeât du soin des malades, ou de la
cuisine, ou de la propreté de la maison, il acceptait tout, parce qu'il ne voyait dans l'ordre
de ses supérieurs que la volonté de Dieu. Cet humble religieux vécut ainsi jusqu'à l'Age de
quatre-vingt-deux ans.
Le fer mai 1750, il annonça lui-même sa mort prochaine, et bientôt il tomba dangereu-
sement malade. Matgré la sainteté de sa vie, une vive frayeur s'empara de lui; mais la confiance
en Dieu ne tarda pas à reprendre le dessus, et on l'entendit s'écrier souvent « 0 mon
Jésus! vous m'avez racheté par votre sang. Assistez-moi à cette heure! Achevez l'œuvre de
votre amour Assurez-moi de mon salut » Puis s'adressant à ia sainte Vierge, il disait
0 vous, puissante et vénérable Mère de Dieu, soyez mon avocate, mon refuge, ma protectrice,
souvenez-vous de moi à ma dernière heure! Quand le médecin qui le visitait lui eut annoncé
qu'il ne conservait aucun espoir de guérison, il s'écria dans un transport de joie, comme
le prophète « Je me suis réjoui de ce qu'on m'a dit Nous irons dans la maison du
Seigneur. Au milieu de ses plus grandes souffrances, il montrait une patience, une sérénité
et une ferveur admirables. Il vécut encore jusqu'au 19 mai suivant; il avait annoncé d'avance
que ce jour-là même serait celui de sa mort. Il attendit dans un calme parfait l'instant de
sa délivrance, et, quand il se vit arrivé à la dernière heure de son pèlerinage, il fixa une
dernière fois les yeux sur le crucifix et sur une image de la sainte Vierge, puis il rendit
son âme à Dieu, dans les sentiments de la foi la plus vive. Sa fête a été fixée au 23 mai. par
Pie VII, dans le décret de sa béatification.
Le peuple se porta en foule à l'église des Capucins pour vénérer le corps du serviteur
de Dieu. Ce saint corps est conservé à Rome, dans l'intérieur de l'autel de l'église des religieux
capucins, de la place Barberini; il est placé sous une glace qui permet de le voir et de
constater qu'il a échappé jusqu'alors à la corruption du tombeau. Les Capucins conservent
également, avec un religieux respect, la pauvre cellule qui fut habitée par le bienheureux
Crispino de Viterbe. Ils l'ont transformée en chapelle, sans toutefois rien changer à son ameu
blement. Cette humble cellule mesure deux mètres carrés; on y voit quelques reliques de
saints appartenant à l'ordre des Capucins, et, entre autres, un lambeau de la robe du bien-
heureux Crispino. L'autel qui a été construit est fort simple quelques chandeliers de bois
et quelques bouquets de fleurs en font presque tout l'ornement.
A ce modeste ameublement ajoutons un portrait en cire de l'enfant Jésus, couché au
pied de la croix. C'est ce qu'on nomme à Rome le santo Bambino. Les enfants de saint Fran-
çois d'Assises ont une grande dévotron à la sainte enfance de Notre-Seigneur; aussi trouve-t-on
dans tous leurs couvents le santo /Ho plus ou moins richement décoré.

/<e/!e.rMMM. Depuis que Jésus-Christ a consacré les humiliations dans sa personne, elles sont deve-
10

nues pour ses véritables disciples un sujet de gloire. 2" Si donc nous éprouvons tant de répugnance à nous
y soumettre, c'est une preuve que notre foi est encore bien faible.

PR~nE.– 0 Dieu, qui avez élevé aux plus hautes vertus votre fidèle serviteur, le bienheureux Crispin,
accordez à nos prières qu'après avoir, par son intercession, imité ses vertus sur la terre, nous méritions
de jouir avec lui des torrents de délices que vous lui avez réservées dans le ciel; par Jésus-Christ Notre-
Seigneur, qui vit et règne avec vous en l'unité du Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Ainsi soit-it!
CHAMBRE
DU BIENHEUREUX

LÉONARD DE PORTO-MAURIZIO

A SAINT-BONAVENTURE.
(A.D.)6'76-)T5t.)

PAUL-JÉRÔME DE CASA NuovA, né le 20 décembre 1676, de parents honnêtes et pieux,


à Port-Maurice, dans le diocèse d'Albenga, montra dès son enfance une piété tendre et affec-
tueuse qui semblait annoncer sa sainteté future, et qui devint toujours plus remarquable à
mesure qu'il avançait en âge. Appelé à Rome dès l'âge de dix ans, par unde ses oncles qui
y demeurait, il y fut élevé par les Jésuites, au Collége romain. Il ne fut inférieur en talent
à aucun de ses condisciples, et il les surpassa tous par la pureté de ses mœurs, par son
austérité, son mépris de lui-même et son amour des choses saintes. Il paraissait faire revivre
saint Louis de Gonzague.
Sa vertu lui procura l'avantage d'être admis dans la petite congrégation formée dans
l'Oratoire du Père Caravita. Cette congrégation était composée de douze jeunes gens choisis
parmi les plus fervents et les plus zélés, dont la pratique était de faire le catéchisme dans
les églises et d'aller, les jours de fête, chercher dans la ville les gens oisifs, pour les con-
duire aux prédications. Après avoir terminé ses études, Paul-Jérôme entra au couvent de
Saint-Bonaventure des Mineurs Observantins réformés, Il y prononça ses vœux sous le nom
de Léonard de Port-Maurice, sous lequel il est plus connu.
Il employa le temps de son noviciat et celui qui suivit immédiatement sa profession
à l'étude approfondie des obligations de son état, à la lecture des livres spirituels et à
l'exercice de l'oraison. Sa régularité faisait l'admiration de ses frères. Il disait quelquefois
« Si, pendant que nous sommes jeunes, nous faisons peu de cas des petites choses; lorsque
nous serons avancés en âge et que nous aurons plus de liberté, nous nous permettrons de
manquer aux points les plus importants. » Sa conduite servait d'exemple, et, par ses discours,
il animait les autres religieux à la pratique de la vertu. « Nous pouvons, avec le secours
de la grâce, leur disait-il, non-seulement être bons, mais même devenir des saints. »
Léonard, ayant été or<)onné prêtre, tut appliqué aux missions; mais ses forces corpo-
retles ne répondant pas a l'ardeur de son zèle, il tomba dangereusement malade et futt
obligé, pendant cinq ans, de borner ses soins a la sanctification de son Ame. C'est à cette
époque, qu'étant allé dans son pays natal, il fit connaître dans cette contrée le pieux
exercice du Chemin de la Croix, dévotion aujourd'hui si répandue, et que les souverains
pontifes ont favorisée en y attachant de grandes indulgences. Le saint religieux revenu à la
santé, s'étant rétabli par l'assistance spéciale de la sainte Vierge, travailla de nouveau à la
sanctification des âmes avec un tel zèle, que l'on s'étonnait qu'il pût supporter de si grandes
fatigues. Les missions nombreuses qu'il donna l'obligèrent a parcourir une grande partie
de l'Italie. Après être resté plusieurs années en Toscane, il fut appelé à Rome et dans les
campagnes environnantes, puis envoyé a Gènes et en Corse, et enfin il revint dans les États
de l'Eglise.
Partout où il prêchait, il ramenait les pécheurs a Dieu; il affermissait les bons dans la
piété et il excitait les parfaits à une nouvelle ferveur. A Rome, les personnes du plus haut rang
couraient entendre ses sermons. On remarquait, parmi ses auditeurs les plus assidus, l'illustre
Lambertini, qui fut depuis élevé sur ta chaire de saint Pierre sous le nom de Benoît XIV,
et qui ne parlait de Léonard de Port-Maurice qu'avec la plus grande estime. Il eut souvent
recours a lui dans la direction de sa conscience. Saint Liguori avait également la plus
grande estime pour Léonard, qu'il se plaisait à appeler le grand missionnaire de notre époque.
Le salut du prochain ne faisait pas négliger à notre saint missionnaire le soin de son âme.
Ce même homme qui a passé presque toute sa vie dans les rudes travaux de l'apostolat, a pra-
tiqué constamment la plus héroïque mortification. Il ne vivait que de pain trempé dans l'eau
et de fruits secs..Toutes ses actions étaient réglées d'après les motifs les plus purs et les
plus élevés, rien d'indifférent dans sa conduite. Il avait tout prévu, comme on peut s'en
convaincre par ses /?~oh<<to~, qu'il a observées scrupuleusement pendant trente-quatre ans.
Le bienheureux Léonard prit ces admirables Résolutions l'an 1717, dans sa chère solitude
de Sainte-Marie de la Rencontre dont il était le fondateur. Cette solitude est située à environ
deux lieues de Florence, sur une terre sanctifiée par le bienheureux Guérard, un des
premiers membres du tiers ordre de Saint-François. Ces Résolutions, image parlante de la
pureté de son âme et de la ferveur de son cœur, sont écrites en entier de sa propre
main. II les gardait soigneusement dans la manche de son habit, où elhes furent trouvées
après sa mort. Personne n'avait jamais eu connaissance de ce merveilleux recueil, à l'exception
de ses confesseurs auxquels il les communiquait durant les saints exercices de la retraite;
car, ne se confiant pour rien à lui-même, il les soumit à l'approbation de ses directeurs,
auxquels il déférait avec toute la simplicité d'un enfant. Deux fois par an, au temps de ses
exercices spirituels, il les relisait, et examinait avec une sévère exactitude s'il y avait été
fidèle II avait coutume de dire en commençant ses pieux exercices « Allons faire le
noviciat pour le paradis; j'ai donné jusqu'ici des missions aux autres, maintenant je vais
en donner une au frère Léonard. Voici le titre que le bienheureux donna à ces saintes
Résolutions
« Résolutions faites dans le temps des exercices spirituels, auxquels j'ai eu le bonheur
de vaquer une ou deux fois par an. dans la sainte solitude de Sainte-Marie de la Ren-
contre, en Toscane, en commençant dès l'année 1717, et renouvelées avec plus de ferveur
dans l'année 1735; enfin rétablies pour la dernière fois dans l'année 1745, au couvent du
Mont de Gênes.
Ces Résolutions ne seront pas inutiles aux âmes qui se consacrent au service de Dieu,
ni à celles qui, dans le monde, aspirent à la perfection. Ce sont les mémoires t'~t/KM d'un
saint; on y voit son âme à découvert; on est initié à tous les secrets d'une vertu envi-
ronnée des hommages et de la vénération de l'Église catholique. Les plus petits détails de
la vie et les actes les plus solennels du saint ministère, tout y est prévu.
Le bienheureux Léonard avait une haute estime pour le livre des Exercices spirituels de
saint Ignace, et, afin d'en étendre l'usage, il obtint de Cosme HI, grand-duc de Toscane et
admirateur de ses vertus, une maison dans les environs de Florence, où il assemblait
souvent les fidèles qui désiraient s'occuper plus particulièrement, dans le recueillement et
le silence, de leurs intérêts spirituels. Ils y suivaient, sous sa direction, les exercices de
la retraite selon la méthode prescrite par ce grand saint.
Plusieurs confréries durent leur établissement à Léonard de Port-Maurice; il en institua
une dans l'église de Saint-Théodore à Rome, en l'honneur du Sacré-Cœur de Jésus. Les noms
de Jésus et de Marie étaient .souvent dans sa bouche; afin d'y rappeler l'attention, il
voulait qu'on les inscrivît dans des endroits exposés aux yeux du public. Il recommandait
fortement la pratique de la méditation sur la passion du Sauveur, et pour la propager, il
fit élever à Rome, dans l'amphithéâtre de Vespasien, connu sous le nom de Colysée, de
petites chapelles dans lesquelles sont représentées toutes les souffrances du Sauveur, depuis
sa prière au jardin des Olives jusqu'à sa mort sur le Calvaire. En plusieurs villes, il institua
aussi l'adoration perpétuelle de Jésus-Christ dans le Saint-Sacrement.
Le bienheureux Léonard approchait de sa fin. Un religieux de sa congrégation lui
ayant écrit de venir à Rome, pour se reposer et mourir tranquille au couvent de
Saint-Bonaventure, le vénérable vieillard lui répondit « S'il pla!t à Dieu, vos prévisions
seront bientôt accomplies: je sens que la barque est vieille et qu'elle ne peut plus naviguer.»»
Ce fut le 23 novembre que le bienheureux Léonard sentit les premières atteintes de sa
maladie. Néanmoins il voulut encore célébrer la sainte messe. Un de ses confrères l'ex-
hortait à la laisser ce jour-là "Vous ne voulez donc pas que je m'enrichisse, lui répondit-il
une messe vaut mieux que tous les trésors du monde. » Il s'endormit, sans aucune agonie,
du sommeil des justes, le 26 novembre 1751. Lorsque Benoît XIV, qui gouvernait alors l'Église,
apprit son trépas, il dit "Nous avons beaucoup perdu, mais nous avons gagné un protec-
teur dans le ciel. a
De nombreux miracles opérés par l'intercession de ce saint religieux manifestèrent sa
sainteté. Pie VI, qui l'avait connu personnellement et qui le révérait, promulgua, le 14 juin
1796, le décret de sa béatification.
C'est au couvent de Saint-Bonaventure, sur le mont Palatin, que se trouve la chambre
habitée par le bienheureux Léonard de Port-Maurice. Au-dessus de la porte d'entrée on lit
cette inscription
HOC !N CUBICULO, BEATUS LEONARDUS A PORTU MAURITIO
MORTEM OBIIT IN OSCULO DOMINI.
DIE XXVI NOVEMBRES AN° i~5~

En face de la porte, un autel occupe la place du lit du bienheureux. On y voit aussi, à


droite en entrant, son portrait en buste et de grandeur naturelle. Sa figure est expressive
et douce. On a placé au-dessous de ce portrait un reliquaire renfermant une chemise en
laine du bienheureux. A côté de l'autel, à droite, dans un autre reliquaire, se trouve la
corde qui ceignait ses reins. De l'autre côté, et dans la même disposition, se trouve la disci-
pline avec laquelle il macérait sa chair; elle est formée de languettes de fer. Enfin, en
retournant vers la p. "te, on voit dans un autre reliquaire la bannière qu'il portait dans les
missions auxquelles il fut envoyé par ses supérieurs.
Les ossements du bienheureux Léonard de Port-Maurice ont été recouverts d'une couche
de cire qui reproduit ses traits avec une telle perfection qu'on peut le croire en chair et en
os. t) repose sous le maître-autel de l'Église du couvent de Saint-Bonaventure.

/{f/!ej7t0))~. 1° Nous devons de temps en temps nous dérober au tumulte des affaires pour rentrer en
nous-mêmes. 2° C'est le seul moyen d'empêcher le dépérissement de la piété au milieu du commerce du monde

PmERE. 0 Dieu éternel, me voici prosterné devant le trône de votre majesté en vous adorant hum
blement, je vous offre toutes mes pensées, toutes mes paroles, toutes mes actions de ce jour; j'ai intention
de faire tout pour votre amour, pour votre gloire, pour accomplir votre divine volonté, pour vous servir,
vous louer et vous bénir; pour être éclairé dans les mystères de la foi, pour assurer mon salut et pour
espérer en votre miséricorde pour satisfaire à votre justice divine pour tant d'énormes péchés que j'ai com-
mis pour soulager les âmes du purgatoire, pour obtenir à tous les pécheurs la grâce d'une vraie conver-
sion en un mot, je veux faire aujourd'hui toutes mes actions en union des pures intentions qu'ont eues

en cette vie Jésus et Marie, tous les saints qui sont dans le ciel, et tous les justes qui sont sur la terre. Je
voudrais pouvoir signer de mon propre sang cette intention, et je voudrais même la répéter dans tous les
moments de ma vie, aussi bien que durant toute l'éternité. 0 mon Dieu, recevez ma bonne volonté; don-
nez-moi votre sainte bénédiction, avec une grâce efficace, pour ne pas tomber dans le péché mortel, mais
principalement durant cette journée, pendant laquelle je désire gagner toutes les indulgences qu'il me sera
possible, assister à toutes les messes qui seront célébrées aujourd'hui dans tout l'univers, en en faisant l'ap-
plication aux âmes du purgatoire, afin qu'elles soient délivrées de leurs peines. Ainsi soit-il 1

). Cet acte d'offrande a été composé par le bienheureux Léonard.


~:i/uv~Dr\r. uu D.rAUL Uh LA UKUiÀ. A UlUVANNi h PAULO.
CHAMBRE
DU BtENHHUREUX

PAUL DE LA CROIX
A SAN GIOVANNI E PAOLO.

(A.D.1994-)T!5.)

PAUL, surnommé de la Croix, fils de Luc Danei et d'Anne-Marie Massari, naquit le 3 jan-
vier 169~, à Ovada, dans le diocèse d'Acqui, en Piémont. Il reçut au baptême les noms de
Paul-François; sa mère, qui était très-pieuse, lui inspira de bonne heure l'amour de la vertu.
La vie des saints anachorètes ces parfaits modèles de pénitence, avait pour le jeune Paul
un charme particulier. Il conserva précieusement le souvenir de leurs vertus, et il com-
mença dès son jeune âge à les pratiquer.
Paul s'était lié d'amitié avec plusieurs jeunes gens vertueux tous leurs entretiens rou-
laient sur des sujets de piété, mais celui sur lequel Paul insistait davantage était la passion
de Jésus-Christ. Ce mystère le touchait si sensiblement que, le vendredi, il se contentait pour
toute nourriture d'un morceau de pain et ne buvait qu'une boisson qu'il composait secrè-
tement de fiel et de vinaigre. Le désir de combattre les ennemis de la foi le décida à
s'engager comme volontaire dans une armée que formait la république de Venise pour faire
la guerre aux Turcs; mais bientôt il comprit que Dieu l'appelait à une autre milice. Il
forma alors le projet de fonder une congrégation établie sur l'entier détachement des choses
de la terre, et il en traça le plan. Il soumit son dessein à son évoque, qui l'ayant approuvé,
lui donna l'habit religieux le 22 novembre 1720. Paul, à cette époque, était âgé de vingt-
six ans; ce fut probablement dès cette époque qu'il ajouta à son nom celui de la Croix.
Le nouveau religieux se retira dans une espèce de cellule, prés de l'église de Saint-
Charles, à Castellazo, lieu que sa famille habitait. C'est là qu'il dressa la règle de l'institut
qu'il voulait établir. Son nouveau genre de vie lui causa bien des répugnances et des
combats intérieurs, mais il les surmonta par le secours de la grâce. Son travail achevé, il
alla demeurer avec son frère Jean-Baptiste dans un ermitage, près d'une église de cam-
pagne. De la il parcourait les pays d'alentour pour y prêcher la pénitence. Paul se retira
ensuite sur le mont Argentaro, dans un ermitage qui portait le nom de 1 Annonciation. Son
frère l'y suivit bientôt, et là ils se livrèrent aux exercices de la plus rude pénitence. Émile
Cavalieri, évéqne de Troja, dans le royaume de Naples, instruit de la sainteté de ces deux
religieux, les appela dans son diocèse. Ils s'empressèrent de répondre à l'invitation du pieux
prélat et remplirent ses intentions en édifiant son peuple par l'austérité de leur vie.
L'année sainte de 1725 les ayant appelés à Rome, ils y virent Benoît XIII qui ap-
prouva de vive voix le genre de vie des deux frères et leur permit de recevoir des no-
vices. Deux ans après, le même pontife les ordonna prêtres, et leur témoigna dans cette
circonstance un intérêt particulier. Après diverses courses ils retournèrent au Mont-Argen-
taro. C'est dans ce lieu qu'ils jetèrent les fondements de la Congrégation connue maintenant
sous le nom de Société des Pères Passionistes. Trois sujets se présentèrent bientôt, un clerc
et deux laïques; ils devinrent leurs premiers compagnons. Alors Paul et son frère commen-
cèrent à donner des missions. Les succès les plus éclatants couronnèrent les efforts de
Paul; son air humble et mortifié touchait les cœurs, et ses discours convertissaient les
pécheurs. Il acquit une telle considération dans l'esprit des habitants d'Orbitello, ville de
Toscane, qu'ils lui firent bâtir une maison de retraite en forme de communauté régulière.
Le saint homme en prit possession le 1lt septembre 1737, avec neuf nouveaux compagnons,

car les premiers l'avaient quitté. Il eut peu de temps après, le 15 mai 17&1, la consolation
d'obtenir du pape Benoît XIV un bref pour la confirmation de son institut.
Ainsi assuré de l'approbation du Saint-Siège, auquel il était sincèrement soumis, Paul
s'occupa de perfectionner l'organisation de sa congrégation.
Cet homme de Dieu avait acquis sur l'esprit des peuples une si grande autorité, par la
sainteté de sa vie et la force de ses prédications, que les plus grands pécheurs et les hommes
des classes les plus élevées de la société cédaient à la puissance merveilleuse de son élo-
quence. Un officier supérieur de troupes lui dit un jour, après s'être confessé « Mon père,
je me suis trouvé à la guerre dans des actions assez chaudes, et j'ai été assez près du canon;
mais jamais je n'ai tremblé comme je le fais de la tête aux pieds, maintenant que je suis
devant vous.
Le désir de conserver les fruits des prédications du saint missionnaire porta les habi-
tants des divers pays qu'il avait évangélisés à établir de nouvelles maisons de son institut.
Il eut la satisfaction d'en voir s'élever douze, et une communauté de femmes qui s'étaient
réunies sous une règle commune qu'il leur avait tracée.
Ce ne fut pas sans de grandes contradictions et sans beaucoup d'obstacles que le
serviteur de Dieu parvint à former ces établissements; on chercha même à détruire sa
congrégation; mais sa prudence, sa douceur et sa patience assurèrent le succès de ses
entreprises. Il entretenait l'esprit de ferveur dans ces maisons par les visites qu'il y faisait,
et il assura leur existence par l'approbation de sa société, qu'il obtint successivement
des papes Clément XIII, Clément XIV et Pie VI. Paul de la Croix témoignait un grand zèle
pour la propagation de la foi, et lorsqu'il rencontrait des missionnaires zélés et pleins de
l'esprit apostolique, il ne se lassait jamais de les écouter. Il priait beaucoup pour les peuples
privés de la lumière de la foi, et surtout pour la conversion de l'Angleterre. Souvent il
disait à ses religieux « Priez pour l'Angleterre; pour moi, quand je le voudrais, je ne pour-
rais m'empêcher de le faire. Dès que je me mets en prière, ce malheureux royaume se
présente à mon esprit; et voilà plus de cinquante ans que je prie pour sa conversion~. »
Dans sa vieillesse, Paul vint se fixer à Rome, où il donna sa dernière mission pendantt
le jubilé de 1769. Le pape Clément XIV lui donna l'église de Saint-Jean-Saint-Paul ainsi
que la maison qui y est jointe et que venaient de quitter les pères de la Mission. Cette
maison fut la dernière demeure du serviteur de Dieu. Une incommodité qui alla toujours
en augmentant lui annonça que sa fin était prochaine. Il s'y prépara par un redoublement
de ferveur et par la réception des Sacrements.
Enfin, après avoir donné à ses Frères les plus beaux exemples de vertu et les plus
sages conseils, le saint vieillard expira tranquillement, le 18 octobre 1775, pendant qu'on
lui lisait la Passion selon saint Jean; il était âgé de quatre-vingt-un ans. Tous les assistants
furent tellement pénétrés de la sainteté de Paul, qu'ils se disaient, après qu'il eut fermé
les yeux « Aujourd'hui nous avons vu comment meurent les saints. »
L'austérité de la pénitence du serviteur de Dieu et ses rudes travaux étaient des titres
suffisants pour faire désirer qu'il fût placé au nombre des héros de la religion que l'Église
honore d'un culte public. La canonisation ne tarda pas à être demandée, et peu de temps
après-sa mort on commença les enquêtes nécessaires pour y parvenir.
Le pape Pie VI le déclara vénérable. Pie VII, le 18 février 1821, proclama l'héroïsme
des vertus de Paul de la Croix; la Congrégation des Rites approuva, le 20 avril 1822, la
procédure faite à Fondi sur les miracles opérés par son intercession et, le 1~ mai 1853, on
célébra à Rome, dans l'église de Saint-Pierre du Vatican, la cérémonie de sa béatification.
Le corps du bienheureux Paul de la Croix a été inhumé dans l'église Saint-Jean et
Saint-Paul, au mont Cœlius. C'est dans le couvent attenant à l'église que le saint religieux
a passé les dernières années de sa vie. Le couvent est devenu le chef-lieu de l'ordre des
Passionistes. Ces humbles religieux conservent avec un pieux respect la chambre où leur
vénérable fondateur passa ses derniers jours. On arrive à cette chambre par un bel esca-
lier. Une porte à deux battants y donne entrée.

t. Par suite, cette pieuse sollicitude du serviteur de Dieu pour le royaume d'Angleterre s'est transmise à ses enfants, qui
conservent l'espoir d'être appelés à contribuer un jour à )a conversion de )'/<e des Saints, depuis si longtemps séparée de la
seule véritable Église. En l'année 4834, un prêtre français, se trouvant à Rome, visita )e couvent de Saint-Jean et Saint-Paul,
où réside le Père générai de la congrégation des Passionistes. Il fut frappé de la régularité angélique de CM fervents religieux,
et vivement impressionné du désir ardent qu'ils témoignaient de passer en Angleterre. De retour en France, il se mit en devoir
d'aider aux préparatifs de cette importante mission, et, en 4840, quatre prêtres passionistes italiens venaient fonder une maison
de leur ordre à Ère, près Tournai, en Belgique, dans une propriété appartenant à une famille française.
Le premier sujet qui se présenta pour être admis au noviciat fut un jeune Anglais de haute naissance et nouvellement
converti. Il enseigna la langue anglaise aux Pères, persévéra dans sa sainte vocation, et lord Spencer devint ainsi l'humble Père
Ignace.
Le Père Dominique, supérieur du monastère beige, fut invité peu de temps après par Mgr Wiseman, alors coadjuteur de
M~Watsch, à se rendre dans le district central. I) fit d'abord deux fois le voyage d'Oscott, où est établi le séminaire épisco-
pal et, en <842, la règle des Passionistes s'observait à Aston-Hall, près de la ville de Stone. Le Père Dominique étaMit e<Muit<'
son institut à Woodchester, dans )e comté de Glocester. Quand il mourut, il s'occupait de la fondation d'un autre monastère à
Hampstead, près de Londres.
Ce fut le Père Dominique de la Mère de Dieu qui eut )e bonheur de recevoir l'abjuration du célèbre docteur Newman
dont )e retour au catholicisme eut tant d'éclat, et qui est aujourd'hui à la tète de la Congrégation de l'Oratoire en Angleterre.
Le premier objet digne de remarque que l'on voit dans cette chambre, c'est, à droite en
entrant, un globe de verre de grande dimension, sous lequel se trouvent deux masques de
cire moulés sur la figure du bienheureux Paul après sa mort. Ils respirent une paix pro-
fonde et n'ont rien de repoussant. Ces deux masques sont placés sur une table ornée de
draperies. A côté, se trouve une grande vitrine dans laquelle sont placés tous les vêtements,
tes ornements d'église et les livres qui ont appartenu aux bienheureux.
Une vitrine semblable, faisant face à celle-ci, renferme son linge et autres objets qui
étaient a son usage. Le tout est soigneusement attaché, étiqueté et scellé de cire rouge.
L'autel qui est placé entre ces deux vitrines forme le fond de la chambre. Il est sur-
monté d'un tableau très-ordinaire, représentant le bienheureux Paul enlevé au ciel par les
Anges.
Dans une autre partie de la chambre, près d'une grande et belle fenêtre, on remarque
un grand fauteuil dans lequel le bienheureux se reposait de ses fatigues.
Enfin, au fond de cette même chambre, à l'extrémité opposée à l'autel, se trouve une
petite porte qui conduit dans une seconde pièce très-petite, où se trouve un autel fort simple.
C'était là que le bienheureux célébrait la messe lorsque son âge et ses infirmités ne lui
permettaient pas de descendre A l'église.

Réflexions. l°QueHe glorieuse fonction que de coopérer avec Jésus-Christ au salut des âmes! 2° Quand
nous n'en sauverions qu'une, devrions-nous plaindre nos peines?

PtUERE'O glorieux Faut, qui fûtes ici-bas un miroir d'innocence et un exemple de pénitence, saint
héroïque que Dieu destina à méditer nuit et jour la douloureuse passion de son Fils unique, et à répandre
dans le monde la piété et la dévotion, par le moyen de vos prédications, de votre exemple et de votre in-
stitut ô apôtre puissant par la parole et par les œuvres, qui avez consacré votre vie à ramener aux pieds du
crucifix les âmes égarées de tant de pauvres pécheurs, de grâce jetez du haut du ciel un regard favorable
sur mon âme, et écoutez mes prières. Obtenez-moi un amour si grand pour la passion de Jésus, qu'en médi-
tant sans cesse sur ce sujet, cet amour me fasse partager ses peines, reconnaître la malice de mes péchés
dans les profondes plaies de mon Sauveur, et obtenir de lui, comme de la source du salut, la grâce de
les pleurer amèrement, et une volonté efficace de vous imiter dans votre pénitence, si je ne l'ai pas fait
dans votre innocence. Accordez-moi, ô bienheureux Paul, la grâce que j'implore prosterné à vos pieds, par-
ticulièrement en ce moment. (Exprimer ce que l'on désire.) De plus, obtenez à la sainte Église, notre mère,
la victoire sur ses ennemis, aux pécheurs leur conversion, aux hérétiques, et spécialement à l'Angleterre où
vous avez tant prié, le retour à la foi catholique. Enfin obtenez-moi de Dieu une sainte mort, afin que je
puisse avec vous aller jouir de lui pendant l'éternité. Ainsi soit-il Pa<M-, Ave, Gloria.

4. Sa Sainteté Pie IX a bien voulu accorder une indulgence d'une année à qui récitera cette prière dans les conditions
requises, et l'indulgence plénière le 46 novembre de chaque année, fête du bienheureux Paul, à gagner au jour de l'octave, à
qui aura récité cette même prière tous les jours pendant le mois précédent.
CHAMBRE
nr
VÉNÉRABLE JOSEPH LABRE
A LA VIA DI SERPENTE
(A.D.I'748-)'!83.)

BENOtT-JosEPH, fils de Jean-Baptiste Labre, laboureur et mercier, naquit le "26 mars 1748.
a Amette, paroisse de l'ancien diocèse de Boulogne, aujourd'hui du diocèse d'Arras. Son
éducation fut confiée à un de ses oncles paternels, prêtre, et curé d'Erin. Benoît-Joseph
avait l'esprit pénétrant, un jugement solide et la mémoire heureuse. Sa première jeunesse
fut remarquable par son innocence et sa piété. Son oncle ne tarda pas à découvrir les
merveilles que la grâce opérait dans l'âme de cet enfant; il lui enseignait la langue latine
et l'envoyait à l'école de sa paroisse. La lecture des sermons du P. Lejeune, célèbre pré-
dicateur de la congrégation de l'Oratoire, fit sur son esprit une impression profonde et
acheva de le détacher du monde. A la mort de son oncle, Benoît-Joseph sollicita de ses
parents la permission de se retirer à la Trappe. Ayant obtenu cette permission, il se rendit à
l'abbaye; mais, comme il n'avait que seize ans, les religieux le renvoyèrent. Affligé de cette
contradiction, Benoît-Joseph entreprit en 1770 le voyage d'Italie. Il songeait à entrer dans
quelque maison religieuse de ce pays; mais la Providence avait d'autres desseins sur lui, car il
ne paraît pas qu'il ait cherché & se fixer dans aucune maison religieuse. Il se rendit à Rome
après avoir passé par Lorette et par Assise, vivant en pauvre pèlerin. Arrivé dans la ville sainte,
il en visita les sanctuaires et fit divers pèlerinages dans des lieux très-éloignés. Il visita deux
fois la célèbre église de Notre-Dame d'Einsidlen ou des Ermites en Suisse; le tombeau de
Saint-Nicolas, à Bari, et le mont Gargan, dans le royaume de Naples. Dans ses voyages, il
marchait le plus souvent nu-pieds, en hiver comme en été, vêtu d'une redingote qui tom-
bait presque en lambeaux, sans compagnon de voyage pour ne pas être distrait, et
sans provisions pour le lendemain. II vivait d'aumônes, mais ne mendiait point il ne gar-
dait rien au delà du strict nécessaire, et partageait avec les autres pauvres ce qu'on
lui donnait par charité. Le serviteur de Dieu passa six années dans ces rudes exercices
de pénitence, après quoi il revint à Rome et n'en sortit plus que pour aller une fois
l'an à Lorette. Son unique occupation était de rester dans les églises la journée entière à
prier à genoux ou debout; le soir il allait entendre une instruction que l'on faisait aux
pauvres; puis it se retirait dans un enfoncement de murailles ruinées qui se trouvaient
près du Colysée. Ce lieu lui convenait beaucoup, parce qu'il se trouvait a proximité des sta-
tions du chemin de la croix érigé dans cet amphithéâtre; mais l'incommodité de ce séjour
le força dans la suite à le quitter, et à prendre un lit dans l'hôpital évangétique, où il
demeura jusqu'à sa mort.
Matgré tout le soin qu'il prenait de se dérober à l'attention, Benoît-Joseph devenait
l'objet de l'admiration publique, et on le vénérait comme un saint. Sa vie était une
prière continuelle, qu'il n'interrompait que pour exercer des œuvres de miséricorde ou
prendre quelques heures de repos. Le 16 avril 1783, qui était le mercredi saint, Benoît-
Joseph, qui avait passé le carême dans la pratique de la plus rigoureuse pénitence, tomba
évanoui sur les degrés qui conduisent à l'église de Notre-Dame-des-Monts à Rome; il fut
conduit chez un homme de bien, nommé Zacarelli, qui était son ami. A peine arrivé dans
cette maison, il perdit connaissance, et tandis qu'on priait pour lui la sainte Vierge, pour
laquelle il avait toujours eu une tendre dévotion, il expira tranquillement, le 16 avril 1783,
à l'âge de trente-cinq ans.
A peine Benoît-Joseph eut-il rendu le dernier soupir, que le peuple romain s'em-
pressa de lui* rendre hommage. « Le saint est mort tel était le cri qui s'échappait de
toutes les bouches. Son corps, exposé pendant cinq jours, conserva sa fraîcheur et sa
flexibilité, sans aucune marque de corruption. 11 fut inhumé près du maitre-autel de
l'église de Notre-Dame-des-Monts et son tombeau devint bientôt un des pèlerinages les
plus fréquentés de Rome. On invoquait avec confiance le serviteur de Dieu. Cette confiance
ne fut pas vaine. Des miracles nombreux manifestèrent son pouvoir dans le ciel. On
compte plus de cinquante villes où des guérisons subites ont été opérées par son intercession.
Ces prodiges furent si publiquement constatés, qu'un ministre anglican, nommé Thayer, qui se
trouvait alors à Rome, se rendant à l'évidence, se convertit à la foi catholique. On commença
sans délai instruire le procès de canonisation de Benoît-Joseph Labre. Dès l'année 1783, la
Congrégation des Rites lui décerna le titre de Vénérable. M~ de Pressy, évéque de Boulogne
publia un mandement le 3 juillet 1783, pour annoncer à ses diocésains les vertus et la
sainte mort du serviteur de Dieu. Enfin le Vénérable Benoît-Joseph a été béatifié par
Sa Sainteté Pie IX glorieusement régnant, en 1860.
La gravure ci-jointe représente la pauvre cellule que le bienheureux habita pendant
son séjour à Rome.

/<MOtM. 1° On ne tient plus à rien sur la terre quand on a goûte le bonheur de servir Dieu.
2° Ce que le monde estime parait si petit et si méprisable, des qu'on en juge par les lueurs de la foi!

PRIÈRE. Je veux suivre, ô Jésus! le chemin que vous avez pris; je veux vous imiter; je ne le
puis que par votre grâce. 0 Sauveur abject et humble, donnez-moi la science des véritables chrétiens et
le goût du mépris de moi-même, et que j'apprenne la leçon incompréhensible à t'esprit htH~ny~m est
de mourir à soi-même par le détachement que produit la véritable humilité. (FÉNELON.)/~

~N.
~y
~s
'~<~
~j~~ y
TABLE DES MATIÈ RE S

IX.
ORDRE DES GRAVURES.

Lata.
Numéros. Pages.
1. Pie 1

2. Cachot de saint Pierre et de saint Paul aux prisons Mamertines 13


3. Lieu du martyre de saint Pierre, à Saint-Pierre-in-Montorio 25
4. Prison de saint Paul à Santa-Maria in via
Trois-Fontaines. 29
5. Lieu du martyre de saint Paul aux

7.
8. Navone.
6. Platonia de saint Pierre et de saint Paul à
nom.
Saint-Sébastien.
Bains de la maison de sainte Cécile à l'église de ce
Souterrain de sainte Agnès, place
37
41
45
53
9.

11.
12.
Chambre de saint François d'Assise à Ripa Grande.
Chambre de saint Grégoire le Grand à l'église de ce nom
10. Chambre de saint Dominique, de saint François et de saint Ange à Sainte-Sabine

Chambre de saint François d'Assise, saint Dominique, saint Ange, à l'église de la Mere-Admirabte.
59
65

73

Chambre de sainte Brigitte, place Farnèse


13.
14. Chambre de sainte Catherine de Sienne à via di Santa-Chiara.
Chambre de sainte Françoise Romaine au monastère de Torre de Specchi
81
87
15. 93
16. Chambre de saint Ignace de Loyola au Gesù 97

17.
18.
19.
Chambre de saint Pie au couvent de Sainte-Sabine
V

Chambre de saint Philippe de Néri à San Girolamo della


Chambre de saint Philippe de Néri au palais Massimi
Carita. 105
lll
1177
20. Chambre de saint Philippe de Néri à Chiesa Nuova 121
21. Chambre de saint Félix de Cantalice aux Capucins 125
22. Chambre de saint Camille de Lellis à la Madeleine 129
~60 TABLE DES MATIERES.
~Lim~ros.

23.
24.
Chambre de saint Joseph de Calasanz à Saint-Pantatëon.
Jésus
Chambre de saint Stanislas Kostka au Noviciat de la Compagnie de
t'a~fs.
133
137
25. Chambre de saint Louis de Gonzague au Cottëge Romain l<tl
26. Chambre du bienheureux Crispino de Viterbe au couvent des Capucins H7
27. Chambre du bienheureux Léonard de Porto-Maurizio à Saint-Bonaventure. H9
28. Chambre du bienheureux Paul de la Croix à San Giovanni ePaolo 153-

29. Chambre ou mourut le vënërabte B.-J. Labre, via di Serpente


4~
~r~ 157

~M~
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PAtUS. –)Mt'n))tHRH:n); ).CL~H.ttU';SA)\T-H:XO)r,7


7

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