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BOURGEOIS DE SOYE, HBRAIRE-ËDITECR
16, rue de Seine, 16
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SANCTUAIRES
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DANS LA VILLE ETERNELLE
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~Mpra~ LES SANCTUAIRES DE ROME,
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1862.
SANCTUAIRES
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A. BOURGEOIS DE SOYE, LIBRÀTRE-ÉDtT EUR
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AU LECTEUR
ses reliques, elle est le plus grand mausolée; par ses édinces, le
plus grand palais; par ses diverses liturgies, la plus grande chaire
pastorale de l'univers. (M<" f?RRBKT.)
LE culte que l'Église catholique rend aux reliques de ses saints n'est pas, comme t'hérésie le prétend,
quelque chose d'accessoire ou d'accidentel dans le christianisme, mais il tient à son essence même, parce
qu'il se produit sous l'influence de la révélation et qu'il satisfait d'ailleurs les instincts les plus intimes de la
nature humaine. Toute famille vénère le tombeau de ses pères; elle aime à les immortaliser dans son sou-
venir en conservant quelque chose d'eux-mêmes. Toute nation honore les tombeaux de ses grands hommes;
elle a ses musées où elle recueille et conserve avec un religieux respect les différents objets qui ont servi à
leur usage. Jadis l'ancienne Égypte ne croyait pas que ses Pyramides fussent des demeures trop fastueuses pour
renfermer dans leurs flancs de granit les ossements de ses souverains. La France a ses Saint-Denis. ses Sainte-
Geneviève, dont elle a fait les nécropotes séculaires de la souveraineté, de la science et du génie. Bien plus,
non contents de recueillir les restes de nos souverains ou de nos grands hommes sous les voûtes et dans les
caveaux de nos plus belles basiliques, nous rassemblons dans nos palais jusqu'aux objets qui ont touché leurs
corps, ou qu'ont maniés leurs mains un vêtement, une armure, etc. Un livre d'heures fait revivre devant nous
ce saint roi qui sut porter sur le trône de France l'héroïsme de la vertu. A celui qui nous dirait que ce
livre n'est pourtant qu'un livre, nous répondrions qu'il faut avoir l'âme pétrifiée pour n'y sentir que cela.
Le caractère propre de l'individualité, c'est de faire reporter sur les objets qu'elle s'est appropriés, et qui
demeurent après elle, quelque chose des sentiments qui se rapportent à elle-même. On conçoit que ce culte
rendu par la famille aux reliques des ancêtres et par la société aux reliques de ses grands hommes, n'a
rien que de légitime, et qu'il correspond aux instincts les plus intimes de la nature. C'est la religion du sou-
venir, de l'admiration, de la reconnaissance et de l'amour; c'est la piété filiale et le patriotisme élevés à la
hauteur d'un culte. Malheur à une famille, malheur à une nation, si la passion du lucre ou des jouissances
étouffait en elles ce noble sentiment de la piété filiale, si le théâtre ou la bourse leur faisaient oublier le
culte des vieilles tombes
Le culte rendu par l'Église aux reliques de l'élite de ses fils, qui sont les saints, n'est que l'expression de
ce sentiment l'Église est la famille de Dieu, la nation sainte*. Donc, comme famille et comme nation,
l'Église obéit au sentiment le plus élevé de la nature humaine en vénérant les restes mortels de ses enfants.
Or, comme les reliques des saints sont non-seulement de vénérables débris du temps, mais des membres
augustes auxquels la grâce divine a communiqué un caractère de grandeur surnaturelle, et qu'ils sont d'ailleurs
marqués du sceau de la résurrection glorieuse, on conçoit dès lors que t'Égtise donne un caractère religieux
a son culte. On conçoit qu'elle les place sur ses autels, qu'elle transforme les tombes de ses saints en glo-
rieux reliquaires, qu'elle les couvre de fleurs, qu'elle y fasse brûler l'encens, qu'elle les entoure des sym-
boles de la résurrection, et que ses chants, enfin, soient, non des gémissements mêlés de regrets et de larmes.
mais des chants de triomphe et d'allégresse.
Remarquons encore que, par ce culte publie et universel rendu aux saints et à leurs reliques, l'Église
affirme son immortelle fécondité et, par là même, sa divinité. Elle peut dire à ceux que les clartés admirables de
sa foi ne peuvent convaincre Si vous ne croyez pas au témoignage de ma doctrine, croyez du moins à mes
œuvres. Mesœuvres, ce sont mes saints. Partout où je passe, partout où je plante ma croix, je fais croître des
vertus que le monde avant moi ne connaissait pas. Je crée des cœurs nouveaux; d'un enfant d'Adam, je
fais un saint. Donc, si je fais les œuvres de Dieu, croyez que je suis de Dieu.
Enfin, par le culte des reliques, l'Église satisfait un besoin de la piété que la religion ne doit pas négliger.
Elle nous rappelle les exemples des saints et nous les rend pour ainsi dire présents. Pouvons-nous voir
d'un œit indifférent les restes de ces anges qui ont passé en ce monde? N'est-ce pas un spectacle empreint
(l'une beauté touchante et toute chrétienne que celui de l'Église catholique agenouillée en tous lieux sur
les tombeaux de ses héros, reliant ainsi, par un mutuel échange de service et d'amour, ceux qui ont
atteint le port et ceux qui luttent contre les uots de cette mer si agitée du monde, et encourageant ceux-ci
par l'exemple de leurs glorieux devanciers? Comment ne pas voir une institution profondément morale
dans cette communion journalière des vivants au souvenir des vertus et aux leçons de sainteté de ceux
qui se sont endormis du sommeil des justes?
Que certains esprits, atteints d'une frivolité incurable, n'entendent rien sous ce rapport au culte des
reliques, cela est dans l'ordre. Pour comprendre tout ce qui touche à l'ordre surnaturel, il faut du sérieux
dans la tête et surtout dans le cœur. Mais quiconque voudra y réfléchir, je ne dis pas avec le sentiment de
la piété, mais avec les simples données de la philosophie chrétienne, rendra justice à l'Église.
Ces hauts et féconds enseignementsrenfermés dans le culte des reliques, ne se manifestent nulle part avec
une plus grande richesse d'expression que dans la capitale du monde chrétien. On en conçoit la raison. S'il
est un lieu dans le monde où la sainteté doive exercer son empire et manifester ses prodiges d'abnéga-
tion et de charité, c'est évidemment la ville qui a été choisie par Dieu pour être le centre de la chrétienté.
Rome qui possède dans son sein le chef de l'Église, et avec lui la chaire indéfectible de la vérité, doit être
le foyer de la vie chrétienne. Mère de la vérité, elle doit être aussi la mère de la sainteté. Depuis dix-huit
siècles, la ville des papes offre au monde ce divin témoignage de sa prédestination et s'affirme la ville
sainte. Elle nous apparaît comme le Cnwpo Santo du monde chrétien le plus complet qui existe. Ce que les
caveaux de Saint-Denis furent autrefois pour les races royales de France, les temples et les plus humbles
chapelles de Rome le sont pour une grande partie de cette dynastie de héros chrétiens qui se sont transmis,
de siècle en siècle, la croix et la charité de l'Homme-Dieu. Les plus grands saints qui aient honoré le chris-
tianisme ont vécu à Rome et y ont laissé des souvenirs de leur passage. La plupart de ces hommes, qui ont
été martyrs par le sang ou par la charité, ont voulu que quelque chose d'eux-mêmes allât rejoindre le
grand concile des catacombes. Les voyageurs qui font le pèlerinage de Rome, ne se doutent pas des glo-
rieux et pieux souvenirs renfermés dans la capitale du monde chrétien. Exclusivement préoccupés des sou-
venirs païens de leur éducation, dirigés par des Guides destinés à des voyageurs de toutes les sectes, et dont
le moindre défaut est de laisser dans l'ombre le point de vue religieux, ils ne connaissent de Rome que
ses ruines, la face artistique de ses monuments et le coté purement humain de ses institutions. Ils
<. CivM sanctorum et domestici Dei. (Epist. S. Pauli ad Ephe~ i), 4M.j
admirent le ~o-tfn) où parlait Cicéron, le Théâtre de Pompée ou périt César, la Voie sacrée que par-
couraient les triomphateurs, le Capitole d'où partaient les édits du peuple-roi, le Panthéon d'Agrippa, les
Thermes somptueux de Caracalla et l'Amphithéâtre monumental du Colisée. Les ruines de Rome païenne fixent
surtout leur attention, et ils n'admirent de Rome chrétienne que les richesses artistiques de ses basiliques,
de son Vatican, et l'imposante majesté des cérémonies papales. Il résulte de là que Rome chrétienne est peu
connue. La ville des Papes est sans doute la ville des arts, pleine de chefs-d'œuvre incomparablesqui font
sa gloire, et de ruines monumentales qui rappellent les grands épisodes de l'histoire du peuple-roi; mais
elle est plus que cela elle est encore, elle est surtout pour le catholique la grande nécropole du chris-
tianisme, le reliquaire le plus complet de la sainteté. Gardienne immortelle de tout ce qui est grand, de
tout ce qui est saint, elle conserve religieusement les reliques précieuses des saints qu'elle a produits, l'école
où ils ont enseigné, la cellule où ils ont prié, les lieux qu'ils ont sanctifiés, et jusqu'aux objets qui ont servi
à leur usage.
Ces monuments de la sainteté sont autant de foyers d'intéressants souvenirs, qui font revivre les glo-
rieux triomphes de la grâce.
Quel vaste champ de méditation offre au chrétien la prison Mamertine, d'où saint Pierre et saint Paul
ont été conduits au martyre! Quels exemples d'héroïsme nous rappellent les lieux témoins du martyre des
jeunes vierges romaines, Cécile et Agnès! On aime à rêver sur les ruines d'un temple, d'une statue antique,
ou d'un tombeau; mais il semble que, toute idée de culte mise à part, l'imagination et le cœur devraient
être plus vivement frappés devant ces glorieux trophées de la sainteté. Les mausolées d'Adrien et de Cécilia
Métetta ne sont, après tout, que de magnifiques monuments, qui semblent élever jusqu'au ciel le témoignage
du néant de la gloire humaine. Les tombeaux de saint Pierre et de saint Paul, et de cette dynastie de
héros chrétiens qui se sont donné rendez-vous à Rome, parlent plus éloquemment à l'imagination et au
cœur. Ils rappellent au chrétien les plus glorieux souvenirs des triomphes de l'âme, la victoire de l'esprit
sur la chair, de la vie sur la mort. Ces tombes glorieuses, transformées en brillants reliquaires, parlent d'es-
pérance tout y respire la résurrection de la vie. Tombes prophétiques qui, au rebours de toutes les autres,
font penser surtout à l'avenir et qui parlent bien moins du néant de l'homme que de son immortalité.
La pensée fondamentale de ce livre est de mettre en lumière ces glorieuses reliques de Rome chré-
tienne. Comme j'étais forcé de m'imposer des limites, j'ai dû me borner à faire connaître les lieux sancti-
fiés par la présence et par les prières des principaux saints qui ont habité la ville éternelle.
Les saints dont je donne la notice offrent un ensemble de vertus qui réalise, dans les plus grandes pro-
portions, cette image de Jésus-Christ que chaque saint, suivant le mot de l'Apôtre, a portée dans son âme et
dans sa chair. La charité, qui constitue l'unité fondamentale de la sainteté, produit sans doute dans tous les
serviteurs de Dieu un même portrait du Sauveur. Mais, dans cette unité même, la sainteté individuelle prend
une forme différente, selon le tempérament de chaque saint. Il existe divers ordres parmi les anges de la
terre, comme il y a divers chœurs parmi les anges des cieux. Chacun de ces ordres reproduit d'une manière
plus saillante quelque caractère particulier de l'Homme-Dieu, de telle sorte que les traits partiels qui
constituent la physionomie spirituelle de ces différents ordres, étant réunis et fondus ensemble, retracent la
figure du divin Exemplaire aussi complétementqu'ils peuvent l'être dans des copies terrestres. Le choix que j'ai
fait parmi les saints qui ont vécu à Rome reproduit ces différents ordres de la sainteté. Le sénat apostolique est
représenté dans saint Pierre et saint Paul. L'armée des confesseurs et des martyrs y compte ses héros les plus
célèbres et les plus anciens. Sans parler des saints apôtres Pierre et Paul, quels noms que ceux de Cécile et
d'Agnès! Ces deux jeunes vierges nous offrent le témoignage le plus saisissant du triomphe de la faiblesse
sur la force. Le collége des docteurs est représenté par saint Grégoire le Grand; le chœur des vierges, par la
séraphique Catherine de Sienne; enfin, les noms qui sont devenus les glorieux synonymes de l'humilité,
de la pauvreté volontaire, de la subjugation des sens, de la mansuétude du martyre, de la charité, du zèle
apostolique, se retrouvent dans cette galerie. Qu'il nous suffise d'indiquer, pour les fondateurs d'ordre,
saint Ignace de Loyola, saint François d'Assise, saint Dominique, Paul de la Croix; pour les œuvres de
bienfaisance, saint Philippe de Néri, saint Camille de Lellis et le pieux fondateur de l'instruction primaire
gratuite à Rome, saint Joseph de Calasanz; pour tes veuves, sainte Brigitte de Suède et sainte Françoise
Romaine; pour les missionnaires évangéliques, Léonard de Port-Maurice; pour la jeunesse, saint Louis de
Gonzague et saint Stanislas Kostka; pour les pauvres, l'humble Félix de Cantalice et le bienheureux Labre.
Il suffira au lecteur de rapprocher par la pensée les vertus principales que chacun de ces saints représente
spécialement, pour obtenir un ensemble de traits reproduisant la copie la moins imparfaite de la perfection
de l'Homme-Dieu. C'est, j'oserai le dire, comme une mosaïque, formée, non avec des couleurs ou des mor-
ceaux de marbre, mais avec les vertus de ceux qui vécurent de la vie même de Jésus-Christ; mosaïque dou-
blement sacrée, et par l'objet qu'elle représente, et par les matériaux dont elle est composée. Tous les siècles
chrétiens ont travaillé à cette œuvre, depuis saint Pierre qui l'a commencée jusqu'au bienheureux Joseph-
Benoît Labre, qui la termine.
Quiconque se placera à ce point de vue en étudiant Rome, y admirera autre chose que l'agencement
artistique de quelques pierres; il verra les merveilles de la Rome païenne s'effacer devant les merveilles de
Rome chrétienne, et jetant un regard de pitié sur le Forum, il s'écriera avec le Tasse « 0 Rome, ce ne
sont pas tes colonnes, tes arcs de triomphe, tes thermes que je recherche en toi, mais le sang répandu
pour le Christ et les os dispersés dans cette terre maintenant consacrée. Oh puisse-je lui donner autant
de baisers et de larmes que je puis faire de pas en traînant mes membres infirmes! »
Que les lecteurs bienveillants me permettent de leur indiquer un motif particulier d'indulgence pour
un livre qui en a tant bes< J'ai dû me borner à remplir un cadre qui m'était tracé, à collationner, a
mettre en ordre des docun ts qui m'étaient fournis, et à les compléter par ceux que j'ai recueillis moi-
même pendant le séjour de deux années que j'ai fait à Rome. L'initiative de ce livre-album est due à
Mgr Luquet, évoque d'Hésebon, de sainte et vénérable mémoire. Il avait désigné lui-même les saints qui
figurent dans cette galène. La mort nous l'a enlevé avant qu'il ait pu même ébaucher l'oeuvre qu'il avait
conçue. J'ai tenu à respecter le cadre que le vénérable prélat s'était tracé, et à n'être que l'exécuteur
d'une œuvre dont il avait posé les premières assises.
Uni avec lui dans un même sentiment de dévouement et d'amour envers le Vicaire de Jésus-Christ, je
dépose humblement ce livre aux pieds de Sa Sainteté Pie IX. Daigne son regard paternel s'abaisser sur les
auteurs et sur l'éditeur des .S<MM;tu<MfMde Rome, et agréer l'hommage qu'ils Lui offrent comme l'expresMMt
du~g~r~eux~
de leur soumission à l'Église mère et maîtresse, et de leur vénération pour la personne auguste
Pontife qui la gouverne.
LE PAPE PIE IX
JEAN-MARIE MASTAÏ, aujourd'hui glorieusement régnant sous le nom de Pie IX, est né
le 13 mai 1792, à Sinigaglia, ville des États romains, dans la légation d'Urbino-el-Pesaro.
La famille des comtes Mastaï était une des plus anciennes et des plus estimées de la
province c'était incontestablement la première de la ville de Sinigaglia. Les Mastaï étaient
de père en fils gonfaloniers. Cet honneur était devenu presque une propriété de famille.
Il est rare qu'un grand homme ou un saint n'ait pas eu près de son berceau une
femme choisie c'est par les secrètes influences de l'apostolat de la mère que Dieu éveille
dans le cœur de l'enfant les premières révélations de sa vie morale, et qu'il lui commu-
nique ce mélange de douceur et de force qui compose les âmes d'élite. La comtesse
Mastaï fut pour Jean-Marie cette femme choisie de Dieu. Unissant à un grand caractère
une haute piété, elle n'avait pas les.sottes complaisances des grandes dames de nos jours,
qui, obéissant à une aveugle et coupable tendresse, entourent leurs enfants de soins amol-
lissants. Elle s'attacha avant tout à inspirer à ses enfants une tendre et solide piété, un
grand zèle pour la cause de l'Église, et une ardente charité pour les pauvres.
Le jeune Jean-Marie montra de bonne heure une vive intelligence et une vivacité extra~
ordinaire qui se révélaient sur une figure ouverte, belle et toute pétillante d'esprit. Les pre-
mières prières qu'il apprit de sa mère demandaient à Dieu d'assister le pape Pie VI, qui
était alors prisonnier de la république française.
A douze ans, Jean-Marie entra au collége de Volterra, dirigé par les religieux scolopies.
Il s'y fit remarquer par une application heureuse, par la sûreté de l'esprit, la finesse du
bon sens, si rare à cet âge, et enfin par cette candeur d'âme, par cette piété affectueuse et
éclairée qui caractérisent les âmes prédestinées. En le voyant on pouvait toujours dire de
lui ce que, dans sa charmante naïveté, le père La Rivière a écrit de saint François de
Sales « Ce béni enfant portait dans toute sa personne le caractère de la bonté; son visage
était gracieux, ses yeux doux, son regard aimant et son petit maintien si modeste que rien
plus. Il semblait un petit ange. o Jean-Marie s'attacha à développer ce bonheur d'organisa-
tion. Comme il se sentait intérieurement appelé à l'état ecclésiastique, il vint à Rome pour
se former à la science et aux vertus du sacerdoce auprès d'un de ses oncles qui était
chanoine de Saint-Pierre. Après le retour de Pie VII, il entra à l'Académie ecclésiastique.
eu il passa trois ans. <~n raconte que le célèt~re théologien Graziosi, son professeur, s'écria
un jour. ému de sa charité de sa douceur et de sa piété, que ~/<M<aï c[!Yn< le coto- d'un p~/x'.
Jean-Marie reçut les ordres mineurs en 1818. Dès ce moment, nous le voyons se
dévouer aux labeurs de l'apostolat. ï) suivit d'abord, en qualité de catéchiste, des mission-
naires qui se rendaient a Sinigaglia. Le 18 décembre 1818. il fut ordonné sous-diacre, et
enfin promu au sacerdoce en 1819. Il célébra pour la première fois la sainte messe, le jour de
PAques, a Rome, dans le petit sanctuaire de ~n<<?m6[ del fn/e~nctm~ sanctuaire qui servait
d'église aux enfants pauvres de l'hospice de T~CtovanH:. Ce sanctuaire lui était plus cher
que toutes les basiliques c'était la basilique de l'indigence. Il entrait dans les desseins
de Dieu que l'abbé Mastaï préludât par le service volontaire des pauvres aux grandeurs de sa
destinée. Nommé directeur de l'hospice par Pie VII, l'abbé Mastaï consacra sa fortune, ses
soins et ses forces a la prospérité spirituelle et matérielle de cet établissement, dont il fitt
une institution toute nouvelle par les réformes qu'il y introduisit. Il ne tarda pas a gagner
l'affection des jeunes enfants, dont il était bien moins le maître que le père. Il vivait avec
eux, les connaissant tous par leur nom, les suivant tous, même après leur sortie de l'hos-
pice, dans les diverses carrières qu'ils embrassaient. Il employait jusqu'au dernier bajocco de
sa pension à procurer a ses orphelins des vêtements plus chauds, une nourriture plus
saine. Sa miséricordieuse et délicate charité, non contente de nourrir ces pauvres enfants,
voulait encore les dédommager de la privation des caresses maternelles en leur procurant
les distractions et les plaisirs innocents que l'indigence leur refusait.
L'abbé Mastaï garda sept ans la direction de l'hospice Tata-Giovanni. A trente et un ans,
il fut appelé à une autre œuvre beaucoup plus importante qui l'obligea de quitter sa famille
adoptive. Mgr Muzi, envoyé au Chili par Pie VII comme vicaire apostolique, demanda l'abbé
Mastaï pour auditeur. Pie VII agréa ce choix. La nouvelle de ce départ retentit comme un
coup de foudre dans les salles de l'hospice. Les orphelins de Ta/a–Ctoraw!: allaient perdre
leur second père. Ce fut un deuil universel.
Pendant le séjour qu'il fit en Amérique, l'abbé Mastaï en visita les nombreuses missions.
Il se mit ainsi d'avance en contact avec ces peuples dont il devait un jour devenir le pas-
teur suprême, et il apprit par lui-même à connaître les besoins des âmes dans les diverses
parties du monde.
Le pape Léon XII, qui avait été singulièrement frappé de l'esprit pénétrant et du bon
sens dont le jeune auditeur avait donnée des preuves dans sa mission, le nomma chanoine
de Sainte-Marie in Via lata; puis, voulant mettre à profit cette activité infatigable, cet
esprit d'ordre et cette générosité de dévouement que l'on avait admirés en lui dans la
direction de l'hospice T~a-~oraKM~ il le nomma président de la commission directrice du
grand hospice de Saint-Michel à Ripa Grande.
Cet hospice est un des plus beaux et des plus grands établissements de charité que pos-
sèdent Rome et le monde. C'est à la fois une maison de retraite pour les vieillards et les
infirmes, une immense école professionnelle pour les jeunes filles pauvres, et une sorte
d'atelier gigantesque pour les enfants abandonnés. A l'époque ou l'abbé Mastaï fut nommé à
sa direction, la situation financière de l'hospice réclamait une infatigable vigilance et une
sage économie. En deux ans les déficits furent comblés, et le jeune prélat s'était acquis
la considération d'un administrateur émérite. Lorsque l'ordre fut rétabli dans l'administra-
tion de l'hospice Saint-Michel, le pape Léon XII jugea que l'abbé Mastaï pouvait gouverner
un diocèse; il le nomma à l'archevêché de Spolète dans le Consistoire du 21 mai 1827. La
direction de Saint-Michel n'avait pas enrichi le diligent et charitable prélat, car, pour payer
ses bulles, il dut vendre une petite propriété qui lui restait.
A cette époque, Spolète nourrissait les feux de la guerre civile. La division était dans les
esprits avant de descendre dans les carrefours. Elle n'y descendit pas, grâce à son nouvel
archevêque. Spolète peut se rappeler tout ce que M~ Mastaï déploya de pieuse diplomatie
pour l'apaisement des passions, tout ce qu'il fit d'efforts délicats et persévérants pour
amener ces haines italiennes à fraterniser, à s'amnistier entre elles, et à s'éteindre dans un
universel pardon. Un jour, un seul jour, à l'époque des émeutes sanglantes de 1831,
l'insurrection parut devant Spolète, mais vaincue et poursuivie par les Autrichiens. L'arche-
vêque alla trouver le général autrichien, demanda la grâce des vaincus et l'obtint; puis.
revenant aux insurgés, il les harangua, et fit tomber à ses pieds ces armes que les Autri-
chiens n'auraient pu ravir qu'à des cadavres. II désarma les rebelles et les sauva.
Lorsque Mgr Mastaï fut transféré en 1832 à l'évêché plus important d'Imola, Spolète lui
témoigna des regrets unanimes. La ville envoya au pape une députation pour le conjurer
de laisser son archevêque à l'amour de son diocèse.
A Imola, Monseigneur Mastaï continua ses œuvres de zèle et de dévouement. Il trouva
des réformes à faire dans son diocèse; il les fit, et, ce qui est rare, il sut faire aimer les
réformes et le réformateur. Il fonda et dota une maison de retraite où chaque année il
retrempait l'âme de son clergé. Il s'occupa d'étendre la sphère de l'enseignement dans son
séminaire il établit dans son propre palais une académie biblique pour les prêtres de son
diocèse. Il les réunissait une fois par mois pour traiter en commun un sujet tiré des livres
sacrés. Ces conférences, qu'il présidait et dirigeait lui-même, entretenaient dans son clergé
l'amour des, fortes études, et mettaient en honneur dans son diocèse la haute théologie.
Grégoire XVI, qui appréciait le mérite et les vertus. de Mgr Mastaï, le désigna cardinal
!H petto dans le Consistoire du 23 décembre 1839, et le proclama dans celui du H décembre
18&0. Cette haute dignité ne changea rien aux habitudes de l'archevêque d'Imola. Il continua
à dépenser sa personne et ses revenus au profit des pauvres. Il fonda deux maisons de refuge
pour les orphelins des deux sexes; une école gratuite fut ouverte à ht classe pauvre; il éta-
blit un collége pour les étudiants sans fortune, qui suivaient comme externes les cours du
séminaire; il oon~a aux sœurs de Saint-Vincent de Paul la direction de l'hospice d'Imola
augmenté d'un asile pour les femmes aliénées il fonda de ses propres deniers un refuge
pour les filles repenties, et il en con~a la direction à des religieuses du Bon-Pasteur, qu'il
fit venir d'Angers, en France; enfin, il répara le tombeau de saint Cassien et décora à ses
frais la chapelle de Notre-Dame des Douleurs, dans l'église des Servîtes. Le diocèse d'Imola
admirait la charité inépuisable de son pasteur. Un seul homme y trouvait à redire c'était
Baladetti, son majordome, qui, voyant chaque jour le palais épiscopal se dégarnir de quelque
objet précieux, s'indignait, en bon intendant, des folles prodigalités de la bienfaisance de
son maître.
M- Mastaï gouvernait l'église d'Imola depuis quatorze ans. lorsque la mort du pape
Grégoire XV! l'appela à Rome pour prendre part à l'élection de sou successeur. H entra
au Conclave le 15 juin. Dès le premier tour du scrutin, ses craintes furent vives; son nom
avait réuni plus de voix que celui du cardinal Lambruschini, dont on regardait l'élection
comme probable. Le lendemain, deux scrutins se succédèrent. La candidature du cardinal
Mastaï recrutait chaque fois tous les suffrages qui désertaient le cardinal Lambruschini. Le
16 juin eut lieu le scrutin définitif. Le cardinal Mastaï fut chargé de lire tout haut les suf-
frages que le premier scrutateur déployait et que le second inscrivait. Il lut dix-huit fois
de suite son nom. Il fallait trente-quatre voix pour atteindre la majorité canonique. Le pieux
cardinal, voyant que la majorité se prononçait pour lui, voulut s'arrêter. Cette épreuve était
trop forte pour sa modestie; il conjura ses confrères de remettre à un autre le soin de
lire le reste des votes. C'eût été annuler l'élection. On lui permit seulement d'interrompre
la lecture il profita de ce moment de répit pour tremper son âme dans la volonté de
Dieu. Le dépouillement du scrutin s'acheva sans trouble; trente-six voix proclamèrent le car-
dinal Mastaï. L'élection faite par les suffrages fut ratifiée par l'acclamation. Rome avait un
souverain, et le monde catholique un pontife. 11 emprunta son nom à Pie VII, son glorieux
prédécesseur sur le siège d'Imola, et le lendemain, le camerlingue annonça, du haut du
balcon (lu Quirinal, la nouvelle de l'élection au peuple romain qui remplissait la place
Annuntio vobis gaudium ma~HU/M. Papam habemus eminentissimum ac reverendissimum dominum
Yo~Mnem-Mar~m Mastai Ferretti, S. R. E. j~re~~erM~ cardinalem, qui sibi nomen imposuit Pius /A.
« Je vous annonce une grande joie. Nous avons pour pape l'éminentissime et révérendissime
seigneur Jean-Marie Mastaï Ferretti, cardinal-prêtre de la sainte Église romaine, qui a pris
le nom de Pie IX. »
Le couronnement du pontife eut lieu le 21 juin, dans la basilique de Saint-Pierre. Après
la messe, le nouveau pape se rendit avec son cortége sur le grand balcon, et là, en pré-
sence de Rome, de l'Italie et du monde, le camerlingue plaça la tiare sur la tête de Pie IX
en prononçant la formule sacramentelle « Recevez la tiare aux trois couronnes et sou-
venez -vous que vous êtes le père des princes et le guide des rois sur la terre, le
vicaire de notre Sauveur Jésus-Christ, A qui est l'honneur et la gloire dans les siècles
des siècles. »
Le peuple de Rome accueillit l'élection de Pie IX par un délire d'amour et d'enthou-
siasme. Il n'avait pas oublié le pieux aumônier de Tata-Giovanni; il savait qu'il était bon,
que chaque douleur accueillie par lui s'en allait consolée, et qu'il avait été le père de
toute une génération d'orphelins. Ainsi, les bonnes œuvres des premières années de l'abbé
Mastaï revenaient au nouveau pontife en touchants souvenirs et en reconnaissance popu-
laire. « Nous avons un pape à nous, se disait-on; il nous aime, c'est notre père. »
L'enthousiasme fut universel à Rome, et il se traduisit pendant plus d'une année par
des fêtes et des scènes populaires attendrissantes de confiance et d'amour. L'Italie et l'Eu-
rope tressaillirent au nom de Pie IX, dont on connaissait l'esprit éclairé et le grand cœur.
Chacun avait comme un pressentiment que le pontificat qui commençait serait glorieux
entre tous.
Le nouveau pontife voulut informer lui-même ses frères qui étaient à Sinigaglia de
son élévation sur le siège de Saint-Pierre. Cette lettre peint l'âme de Pie IX
« Rome, 16 juin, 11 heures 3/4 après midi.
« Le bon Dieu, qui humilie et qui exalte, s'est plu à m'élever du néant A la plus
sublime dignité de ce monde. Que sa très-sainte volonté soit faite à jamais! Je sens l'im-
mense poids d'une telle charge; je sens également l'extrême insuffisance, pour ne pas dire
l'absolue nullité de mes forces. Grand motif de prier; et vous aussi, priez pour moi. Le
conclave a duré quarante-huit heures. Si la ville veut faire, en cette circonstance, une
démonstration publique, prenez les mesures nécessaires. Mon vif désir est que la somme
qu'on y destine, soit employée à quelque objet d'utilité générale, suivant l'avis des chefs
de la cité. Quant à vous, chers frères, je vous embrasse de tout mon cœur en Jésus-Christ.
Et loin de vous réjouir, ayez compassion de votre frère, qui vous donne a tous sa béné-
diction apostolique.
une grande énergie de volonté et une fermeté héroïque. En face des emportements de
l'anarchie et des ébranlements de son trône, il n'a craint ni de se taire, ni de parler,
et sa voix courageuse s'est toujours élevée à propos pour condamner l'erreur et pour pro-
clamer le droit. Dans sa conduite, il a conservé une modération et' une dignité héroïques,
et, comme un martyr déjà préparé pour le sacrifice, il a su communiquer à tous ses écrits,
à toutes ses protestations un accent de résignation et de confiance inimitables. Nec terremus,
nec timemus, disait saint Ambroise, si doux et si fort dans sa mansuétude. Nous ne voulons
pas effrayer, mais nous ne craignons pas, répète Pie IX, et son calme plein de dignité
est l'éloquent commentaire de ses paroles.
Tel est Pie IX, autant du moins qu'il est permis de le peindre dans un écrit qui
n'est pas encore de l'histoire. La postérité vénérera en lui un des plus grands et des plus
saints pontifes que Dieu ait donnés à son Église. Ses contemporains, qui reçoivent de plus
près le rayonnement de ses vertus, saluent dans sa personne la plus grande figure du
xix" siècle. Les catholiques, les yeux filialement attachés sur lui, se réjouissent de voir
comme Dieu l'a bien fait pour soutenir le choc des tempêtes qui battent le rocher de
l'Église.
CACHOT DE SAINT PIERRE
I.
SAINT PIERRE, le prince des apôtres, le chef visible de l'Église, la colonne inébranlable
de la foi, la pierre et la base de la religion, le vicaire de Jésus-Christ et le fondement
sur lequel l'Église a été bâtie, doit être regardé comme le prince des saints, des docteurs
et des pontifes, le modèle des croyants, des martyrs et des pénitents. Toutes les auréoles
de la sainteté brillent autour de la tête de ce lieutenant de Jésus-Christ; toutes les palmes
sont dans ses mains. Plus favorisé qu'Abraham, plus puissant que Moïse, plus inspiré que
les prophètes, Pierre a reçu de Jésus-Christ, avec l'investiture de son autorité souveraine,
le sens infaillible de la vérité. Il est le législateur monarque, le pontife monarque, le
docteur monarque de l'humanité chrétienne, le roi et le premier roi de la seule dynastie
qui soit éternelle. Il a reçu la sagesse d'en haut pour condamner et pour absoudre; il
tient les clefs du ciel, et c'est à lui que l'humanité doit dire ce qu'il disait lui-même au
Sauveur des hommes « Vous avez les paroles de la vie éternelle
Pierre s'appelait Simon avant sa vocation à l'apostolat. II était de Bethsaïde, petite ville
de la Galilée, sur le bord du lac de Génézareth, fils de Jonas ou Jean, d'une naissance
fort obscure et pêcheur de profession. André, son frère, ayant appris de saint Jean-Baptiste
que Jésus était le vrai Messie, s'empressa de lui annoncer cette heureuse nouvelle « Nous
avons trouvé le Messie, » lui dit-il; et il le conduisit vers Jésus. Or, Jésus ayant fixé ses
regards sur Simon, lui dit: «Tu es Simon, fils de Jean, tu seras appelé Céphas~, ce qui
veut dire Pierre ou roc inébranlable." Lorsque Jésus-Christ fit le choix de ses douze apôtres,
Simon fut encore l'objet d'une consécration particulière et distinctive <e premier qu'il nomma
fut Simon, à qui il donna <e nom de PIERRE
Jésus lui répondit « Tu es bienheureux, Simon, fils de Jean, parce que ce n'est
point la chair ni le sang qui t'ont révélé ceci, mais mon Père qui est dans les cieux.
Et je te dis, moi, que tu es PIERRE et que sur cette pierre je bâtirai mon ÉGLISE,
et que les portes de l'enfer ne prévaudront jamais contre elle. »
La portée de ces dernières paroles est surhumaine, il faut en convenir. Le divin fon-
dateur de l'Église prévoit tous les maux qui doivent fondre sur elle, toutes les tempêtes dont
elle sera assaillie, tous les assauts qui seront livrés à son existence, a son indépendance, à
son unité, & son autorité les persécutions, les schismes, les hérésies, les apostasies, toute
cette succession continue de mépris, d'injures, de blasphèmes, de sophismes, d'hypocrisies,
de ruses, de violence et de sang, depuis Néron jusqu'aux persécuteurs de Pie IX, depuis
Celse et Julien jusqu'à Voltaire, depuis Arius jusqu'à Luther, et tout ,ce que les siècles futurs
préparent d'épreuves à l'Église. Or Jésus Christ prédit que c'est l'Église qui l'emportera,
et depuis dix-huit siècles la prophétie du Sauveur n'a cessé de s'accomplir. Et, en effet,
l'Église n'est-est pas l'enclume divine qui a brisé tous les marteaux de l'hérésie et de l'im-
piété ? Certes, la foi grandit appuyée sur ce double prodige, et elle redit avec d'Aguesseau
Pour le prédire, il fallait être prophète pour le tenir, il faut être Dieu. »
En même temps Jésus-Christ ajoute « Je te donnerai les clefs du royaume des cieux
tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que tu délieras sur la
terre sera délié dans les cieux. » Tous les Pères conviennent que, par ces paroles, Jésus-
Christ a promis à Pierre de lui donner l'investiture de son pouvoir souverain pour gouver-
ner l'Église. La suite du récit évangélique ne nous permet pas le moindre doute à ce
sujet. La veille de sa passion, pendant ce repas de la Pâque où les entrailles de sa charité
se rompirent, pour ainsi dire, en des paroles du plus ineffable amour, une discussion
s'était engagée entre les apôtres il s'agissait de savoir lequel d'entre eux devait passer
pour le plus grand. Jésus leur dit qu'à la différence des princes de la terre, le plus grand
d'entre eux devait se considérer comme le plus petit et le serviteur des autres puis,
comme s'il eût voulu désigner celui qui devait être à ce titre le plus grand d'entre
eux, il dit à Pierre Simon! Simon! voici que Satan a demandé de vous cribler tous,
comme l'on crible du froment; mais j'ai prié pour toi en particulier, afin que ta foi
ne défaille point lors donc que tu auras été converti, affermis tes frères. Paroles
mémorables qui confient à Pierre, et par lui à l'Église, l'infaillibilité doctrinale. Tous les
autres apôtres seront tentés contre la foi; ils pourront succomber et faillir; Pierre sera protégé
contre l'erreur. En vertu de la prière de celui pour qui vouloir c'est pouvoir, Pierre res-
tera à tout jamais l'organe infaillible de la vérité. C'est pourquoi, lorsqu'il s'élèvera un
doute contre la foi, lorsque l'hérésie dressera la tête et essayera de séduire les fidèles, on
s'adressera à Pierre, toujours vivant dans ses successeurs, comme à celui qui a les paroles
de la vie éternelle et qui a reçu le sens infaillible des enseignements divins on le consul-
tera, et sa réponse fera loi. Lorsque Pierre aura parlé, l'Église sera confirmée dans la foi.
Tels sont les magnifiques priviléges promis par Jésus-Christ à celui qui doit le repré-
senter visiblement sur la terre. Désormais, Pierre est désigné le premier dans les prin-
cipaux événements de la vie de Notre-Seigneur. Parmi les témoins de la transfiguration
du Sauveur, Pierre est le premier nommé; seul, il prend la parole dans cette grande
circonstance~. C'est encore Pierre qui est chargé de préparer la Pâque et l'institution de
la divine Eucharistie 2 c'est Pierre qui met l'épée à la main pour défendre son maître
contre les valets du grand prêtre, qui s'étaient emparés de sa personne. Les autres
apôtres abandonnent alors Jésus-Christ; Pierre seul le suit jusqu'au prétoire. Il est vrai
qu'il eut la faiblesse de renier son maître; mais son apostasie ne fut que momentanée,
et le regard de Jésus-Christ suffit pour le rappeler à lui-même. Il pleura amèrement sa
faute, et quitta le prétoires
C'est encore à Pierre que le mystère de la résurrection du Sauveur est spécialement
révélé. C'est à lui que Jésus-Christ se manifeste le premier; c'est lui qu'il charge d'annoncer
II.
La prison Mamertine est devenue l'objet de la vénération des fidèles depuis qu'elle
a été sanctifiée par la présence des saints Apôtres. Cette prison noire et humide doit son
nom au quatrième roi de Rome, Ancus Martius, qui la fit creuser sur le modèle des prisons
de Syracuse, dans le roc même du Capitole. Elle est située presque à mi-côte de cette mon-
tagne, et se compose de deux cachots placés l'un au-dessus de l'autre. Le premier, creusé
à vingt-cinq pieds sous terre, est la prison Mamertine proprement dite. On y pénètre aujour-
d'hui par un escalier de construction moderne. Dans les temps de la Rome conquérante et
barbare, cette affreuse prison n'avait ni escalier ni porte; elle n'avait d'autre entrée qu'une
ouverture circulaire pratiquée au centre de la voûte, et qui est aujourd'hui fermée par une
forte grille en fer. On remarque, à droite, les traces d'un soupirail qui laissait arriver
quelque peu d'air dans ce vivant tombeau. Le cachot mesure vingt-quatre pieds de longueur
sur dix-huit de largeur, et treize d'élévation. Une ancienne inscription, placée à hauteur
d'homme, porte que cette prison fut restaurée l'an 57~ de Rome, par les consuls Vibius
Rufinus et Cocceius Nerva~
Le second cachot est creusé au-dessous du premier. Il est plus étroit, plus bas, plus
humide et complétement privé de lumière c'est la prison Tullienne (~o&M? Tullianum) Elle
doit son nom et son origine à Servius Tullius, sixième roi de Rome. Ce cachot n'avait,
comme le premier, ni escalier ni porte. On y descendait les condamnés par une ouverture
pratiquée au centre de la voûte. C'était dans la prison Tullienne que se faisaient les exé-
cutions des grands coupables et des citoyens réputés comme tels. La prison Mamertine était
comme la salle d'attente où l'on donnait la question. Ainsi, les malheureux enfermés dans
le cachot supérieur pouvaient entendre distinctement les cris étouffés et les râlements des
malheureux qu'on étranglait dans le second cachot; ils pouvaient même contempler par la
grille de la voûte l'horrible spectacle de leur supplice et de leurs angoisses. Les Gémo-
nies aboutissaient au bas de l'escalier Tullien. Elles étaient ainsi appelées des gémissements
Tite-Live, liv. H.
de ceux qui montaient cet escalier. C'est par cet escalier que les confecteurs, armés de
crocs, traînaient dans le Tibre les cadavres des suppliciés.
Une multitude de personnages célèbres de l'antiquité reçurent la mort dans cette hor-
rible prison. Jugurtha, roi de Numidie, fut condamné a y mourir de faim. Les complices de
Catilina y furent étranglés par ordre de Cicéron. Séjan, favori de Tibère, y périt par le
glaive. Il était d'usage d'y mettre à mort les prisonniers de marque, et principalement les
chefs étrangers qui avaient orné le triomphe du vainqueur. Lorsque le char du triompha-
teur arrivait au pied du Capitole, on détachait les principaux prisonniers du cortége, et
tandis que le triomphateur montait par le Clivus Ca~o/tMM~ au temple de Jupiter, les mal-
heureux vaincus étaient entraînés vers les Gémonies. On leur faisait traverser un petit pont
suspendu qui communiquait au cachot supérieur, et on les précipitait dans la prison Tullienne,
où ils étaient égorgés. Le vainqueur ne sortait du temple de Jupiter qu'après avoir entendu
retentir à son oreille le mot tatal': ~c<M~ est, tout est fini.
Tel était le sort ordinaire que la Rome païenne réservait aux rois et aux généraux étran-
gers qui défendaient leur patrie et leur indépendance nationale contre son ambition.
Rome chrétienne, qui a pris soin de marquer en les sanctifiant les lieux témoins de
l'apostolat et des souffrances des saints Apôtres et des martyrs, a élevé un sanctuaire
au-dessus de la prison Mamertine. Ce sanctuaire est dédié à saint Joseph, patron des menui-
siers. La tribune grillée qui ouvre sur le cachot inférieur semble correspondre exactement à
l'ouverture par laquelle les bourreaux tiraient avec des crocs les cadavres des victimes.
On y vénère encore la colonne de granit à laquelle les glorieux confesseurs de la foi furent
attachés, la fontaine miraculeuse que saint Pierre fit jaillir de terre pour baptiser ses geôliers,
Processe et Martinien, ainsi que quarante-sept soldats qui y furent martyrisés à leur tour.
Cette fontaine conserve invariablement la même quantité d'eau dans toutes les saisons.
L'inscription suivante, gravée au-dessus de la colonne de granit, sur l'un des murs de
la prison, est destinée à rappeler aux pieux visiteurs ces grands souvenirs
Saint Pierre fut assis sur la chaire de Rome vingt-quatre ans, cinq mois et onze
jours, terme où nul de ses successeurs n'est arrivé; il avait occupé le siège d'Antioche
pendant sept ans. Les évéques de Rome ne lui ont pas seulement succédé pour ce siège
particulier qui s'étend sur quelques villes d'Italie, mais aussi pour sa primauté sur tous
les évéques et sur toutes les Églises du monde. Héritiers de cette primauté souveraine, ils
sont investis de toutes les prérogatives que Jésus Christ a confiées à Pierre. Comme lui,
ils ont le pouvoir de lier et de délier par toute la terre; de déclarer les vérités de la
foi et de terminer par un jugement définitif les controverses qui s'élèvent dans l'Église;
de faire des lois universelles et qui obligent le peuple chrétien; d'assembler les Conciles
généraux, de les présider et de confirmer leurs décrets; de condamner les hérésies,
d'expliquer le sens véritable des Écritures, et généralement de faire tout ce qui est du
ressort du souverain pasteur du troupeau de Jésus-Christ. En effet, ce n'est pas seule-
ment à la personne de Pierre, mais aussi à celle de tous ses successeurs, que Notre-
Seigneur a dit « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes
de l'enfer ne prévaudront pas contre elle. Pais mes agneaux, pais mes brebis. » Comme
cette Église devait subsister jusqu'à la fin des siècles, elle avait besoin d'une succession
de pasteurs aussi stable qu'elle-même, et qui ne finît qu'avec le monde. Or tous les
Pères, tant grecs que latins, éclairés par la tradition, ont perpétuellement reconnu
dans les évêques de Rome les héritiers de la puissance de saint Pierre. Saint Jérôme
écrivait au pape Damase « Pour moi, je suis uni de communion à votre béatitude, c'est-
à-dire à la chaire de saint Pierre. Je sais que l'Église a été bâtie sur cette pierre quiconque
mange l'agneau hors de cette maison est un profane. Celui qui ne ramasse point avec vous
ne fait que disperser. Saint Pierre Chrysologue, écrivant à Eutychès, l'exhorte à recevoir
avec obéissance les décisions de l'évoque de Rome, « parce que saint Pierre, qui vit et
préside dans son siège, » continue d'y déclarer la vérité de la foi. Le dernier des Pères de
l'Église, saint Bernard, énumère en ces termes les prérogatives de la primauté du pontife
romain « Vous êtes, écrit-il au pape Eugène, le grand-prêtre, le souverain Pontife, le
prince des évêques et l'héritier des apôtres, Abel par la primauté, Noé par le gouver-
nement, Abraham par le patriarcat, Melchisédech par l'ordre, Aaron par la dignité, Samuel
par l'autorité, Pierre par la puissance, et Christ par l'onction; c'est à vous que les clefs
ont été données et que les ouailles ont été confiées; les autres prélats ont été appelés à
une part de votre sollicitude, mais toute la plénitude de la puissance vous a été commu-
niquée. Enfin votre juridiction n'a point d'autres bornes que celles du monde, au lieu
que celle des autres évoques est limitée à quelques ressorts particuliers. Enfin Bossuet,
qu'on n'accusera pas d'avoir exagéré les prérogatives de l'évéque de Rome, couronne ces
témoignages Qu'on ne dise point, qu'on ne pense point que ce ministère de saint
Pierre finisse avec lui. Ce qui doit servir de soutien à une Église éternelle ne peut
jamais avoir de fin. Pierre vivra dans ses successeurs Pierre parlera toujours dans sa
chaire; c'est ce que disent les Pères, c'est ce que confirment six cent trente évoques au
concile de Chalcédoine. »
Rien de plus formel enfin, pour exprimer la souveraine primauté de l'évoque de
Rome, que les titres sous lesquels il est salué par toutes les voix de la tradition c'est
le Père de tous les pères, le pontife des chrétiens, le souverain prêtre ou le prince des
prêtres, le vicaire de Jésus-Christ, le chef du corps de l'Église, le fondement de l'édifice
ecclésiastique, le pasteur du troupeau de Notre-Seigneur, le père et le docteur de tous les
fidèles, le gouverneur de la maison de Dieu, le gardien de sa vigne, l'époux de l'Église,
l'évéque universel, l'organe de l'Esprit-Saint. Les divines prérogatives de la chaire de Pierre
sont également acclamées par les docteurs de l'Église et par les conciles. Cette chaire immor-
telle, rougie du sang du prince des apôtres, ils la proclament à l'envi la chaire de la vérité,
la mère et la maîtresse de toutes les religions, l'arbitre infaillible de toutes les questions
de la foi, la règle certaine des bonnes mœurs, la lumière du ciel, l'organe de la volonté
divine, la pierre de touche des Livres saints, l'interprète de l'Écriture Sainte, la gloire et
l'ornement des saints, la consolation des justes, la terreur des méchants, la ruine et le fléau
des hérétiques, le zèle et le refuge des esprits blessés par le doute, et qui offre le bienfait
et le repos de la foi aux âmes de bonne volonté qui cherchent la vérité en vérité.
Ces magnifiques prérogatives, par lesquelles il a plu à Dieu de faire d'un simple
mortel son représentant sur la terre, nous imposent l'obligation de respecter, dans la
personne du pontife romain, le vicaire de Jésus-Christ, et de nous attacher avec une
foi ferme et constante à la doctrine de son siège. Ce titre seul de chef de l'Église suffit
pour faire comprendre aux catholiques le cas qu'ils doivent faire de certains livres et de
certaines brochures qui nous présentent le pape, tantôt comme un hors-d'oeuvre dans
l'Église, tantôt comme une puissance étrangère. Quoi le souverain pontife serait
une puis-
sance étrangère dans l'Église de Jésus-Christ! C'est-à-dire que la tête et le cœur seraient
étrangers au corps qu'ils animent, l'œil à celui qu'il éclaire, le vicaire de Jésus-Christ à
ceux qui reconnaissent Jésus-Christ pour maître! Le souverain pontife n'est étranger nulle
part ici-bas. Partout où bat un cœur catholique, il compte un disciple, un sujet, un
enfant. Au milieu des forêts vierges de l'Amérique, comme au sein de l'Europe civilisée,
toute bouche catholique l'acclame le chef des croyants et le pasteur du troupeau, et le
salue de ce nom de père commun des fidèles, qui n'appartient qu'à lui.
Sachons donc respecter et aimer dans le successeur de Pierre l'autorité de Jésus-Christ.
Restons inébranlablement attachés à sa foi et soumis à ses décrets. Affermi par la prière
du Sauveur, il est et il restera à tout jamais dans le monde l'organe de la vérité. Toute
doctrine qui contredit ses enseignements est convaincue d'erreur, et ne peut,
sans une usur-
pation sacrilége, se donner pour un écho du ciel. Jésus-Christ n'a prêché qu'une doctrine;
il n'a fondé qu'une Église, et cette Église il l'a fondée sur Pierre.
Que sont devenues ces Églises d'Orient et d'Angleterre, autrefois si
técondes, et
maintenant frappées d'impuissance et de stérilité depuis qu'elles
se sont séparées de la
chaire de Pierre? Plus d'indépendance dans l'apostolat, car ces Églises ne peuvent plus
enseigner que ce qui plaît au prince; plus de dignité dans le caractère de son clergé,
devenu un outil d'administration. Cherchez bien, interrogez toutes les communions séparées
de Rome, vous ne trouverez partout que des Églises stériles et asservies, un clergé rentier
et dégradé, devenu, depuis l'évéque jusqu'au prêtre, un instrument au service du pouvoir.
Remercions Dieu de nous avoir fait naître dans le sein de l'Église catholique, aposto-
lique et romaine, et restons attachés du fond de nos entrailles à ses divins enseignements.
« Tremblons, dirons-nous avec Bossuet, à l'ombre même de la division; songeons au
malheur des peuples qui, ayant rompu l'unité, se rompent en tant de morceaux, et ne
voient plus dans leur religion que la confusion de l'enfer et l'horreur de la mort! Ah! pre-
nons garde que ce mal ne nous gagne. Déjà nous ne voyons que trop parmi nous de ces
esprits libertins qui, sans savoir ni la religion, ni ses fondements, ni ses origines, ni sa
suite, blasphèment ce qu'ils ignorent et se corrompent dans ce qu'ils savent. « Nuées sans
eau, dit l'apôtre saint Jude; "docteurs sans doctrine, » qui pour toute autorité ont leur
hardiesse, et pour toute science leurs décisions précipitées; « arbres deux fois morts et
déracinés, » morts premièrement parce qu'ils ont perdu la charité, mais doublement morts
parce qu'ils ont perdu la foi, et entièrement déracinés, puisque, déchus de l'un et de
l'autre, ils ne tiennent à l'Église par aucune fibre « astres errants, » qui se glorifient dans
leurs routes nouvelles et écartées, sans songer qu'il leur faudra bientôt disparaître; ruis-
seaux desséchés, » parce qu'ils ne communiquent plus avec la source intarissable de la doc-
trine et de la grâce, qui est Jésus-Christ même représenté sur la terre par son vicaire.
C'est la gloire de l'Église de France d'avoir conservé, avec le principe de l'unité, la
fécondité de l'apostolat. Les liens qui l'unissent au Saint-Siège sont si étroits, et elle
lui a donné, à différentes époques de son histoire, des témoignages si éclatants de son
dévouement, que les papes se sont plu à reconnaître solennellement qu'elle occupait le
premier rang entre les autres Églises, dans le dévouement et dans l'amour. Chaque fois
l'Église a su
que les droits du vicaire de Jésus-Christ ont été attaqués, la fille aînée de
prouver qu'entre elle et la sainte Église romaine, c'est, selon l'expression de saint Paul,
A LA VIE ET A LA MORT, ad convitendum et ad commoriendum. Voilà ce
qu'affirment nos tradi-
tions, et avec elles les pontifes romains « Dans l'ardeur de la foi et dans le dévouement
au siège apostolique, l'Église gallicane, dit Grégoire IX, ne suit pas, elle précède toutes
les autres 2. »
T~a-ton. mais peut-on demeurer dans l'Église sans être uni à celui que
1° Hors de l'Église point de salut
Jésus-Christ en a fait le chef supérieur? 2° Honorons le Souverain Pontife comme le Père commun de tous les
ûdèles suivons-le comme notre guide, soumettons-nousà lui comme à notre maître.
(~ttahott de /C., liv. ch. rt, v. L)
<.7/Cor.~Yn,3.
2. Utpote quœ in fervore fidei Christianae, ac devotione stoticae sodis, non sequatur alias, sed antecedat. (Epist. Greg. IX,
ad Episc. Remens. )
PRIÈRE. Véritablement, mon Dieu, c'est une chose juste et digne de vous louer de ce que vous êtes si
admirable en vos Saints, comme en ceux qui vous glorifient souverainement,qui font le plus bel ornement du
corps mystique de votre Fils, et qui servent de fondement à votre Église, laquelle vous avez révélée aux Prophètes
et établie sur les Apôtres, entre lesquels vous choisîtes le bienheureux saint Pierre, à cause de la confession qu'il
fit de votre Fils unique et, le posant pour pierre fondamentale de votre Église, vous le fîtes grand-prêtre et
dépositaire de vos Sacrements, et lui donnâtes le pouvoir de faire garder au Ciel ce qu'il ordonnerait sur la terre.
En considération de cet honneur, nous solennisonsaujourd'hui cette fête et vous offrons des sacrifices de grâces
et de louanges, par le même Seigneur Jésus-Christ.
(Prière tirée du Sacramentairede saint Grégoire le Grand, conservé à la Bibliothèque Vaticane,
fête de la Chaire de saint Pierre, 18 janvier.)
SAINT PIERRE IN MONTORIO
(A. D. C!.)
SAINT PIERRE, après être resté enfermé dans la prison Mamertine près de neuf mois,
fut condamné à mourir du supplice de la croix. On le fouetta auparavant, comme l'exi-
geaient les lois romaines, ce qu'il endura d'autant plus volontiers que ce tourment le
rendait plus conforme à son divin Maître. On vénère encore, dans l'église de Sainte-Marie
Traspontina, la colonne à laquelle il fut attaché. Saint Pierre fut ensuite conduit sur une
crète élevée du mont Vatican, appelée aujourd'hui ~oM<or<o_, c'est-à-dire mont d'Or. Suivant
l'opinion la mieux fondée, le ~o~~ono faisait partie, non du Janicule, mais du Vatican.
C'est ainsi qu'on justifie l'expression des anciens auteurs, qui placent sur le mont Vatican
le crucifiement de saint Pierre 1. Il est probable que Néron avait choisi ce lieu afin de
pouvoir, du haut de ses balcons, se repaître du supplice du Pasteur suprême, comme
il avait voulu jouir des angoisses des simples brebis en les faisant servir de torches dans
ses jardins. Avant d'arriver au lieu du supplice, l'apôtre détacha de sa jambe la bande
qui enveloppait les plaies occasionnées par ses chaînes, et la jeta à l'endroit où a été
érigée depuis la petite église de la Bande della Fasciola Une croix avait été préparée
sur le sommet de la montagne Pierre devait y être attaché, afin d'imiter son divin
Maître dans son dernier supplice, comme il avait imité ses vertus et représenté sa per-
sonne en qualité de son lieutenant; mais le disciple ne se croyant pas digne d'une si
parfaite ressemblance avec Notre-Seigneur, pria ses bourreaux de le crucifier la tête en
bas, ce qu'ils lui accordèrent d'autant plus volontiers 'que son supplice en devenait plus
infâme et plus douloureux. C'est ainsi qu'il mourut, louant et bénissant Dieu, en présence
de ses bourreaux et des saintes femmes qui étaient venues, en secret, sur le lieu de son
supplice, pour recueillir ses dernières paroles. Deux d'entre elles, Basilisse et Anastasie,
4. Les auteurs qui pensent que saint Pierre a été cruciBé sur !e Vatican sont Mullio, Comestore, Biondo, ACaranno,
Panvinio et Anastase !e Bibliothécaire.
C'est PégHse des Saints-Nérée et AchiHée, devant les thermes de Caracalla.
furent saisies au moment où elles recueillaient le sang de l'apôtre, et elles eurent la
tête tranchée. Le corps du prince des apôtres fut recueilli par un saint prêtre nommé
Marcel, puis embaumé et enseveli sur la montagne du Vatican, qu'une si riche dépouille
a rendue depuis plus vénérable que ne le fut jamais le Capitole. Saint Pierre fut martyrisé
la treizième année du règne de Néron; il était âgé de quatre-vingts ans.
Les premiers chrétiens, qui se montraient si fidèles à marquer par des monuments
durables les traces des apôtres, ne pouvaient manquer de garder soigneusement la mémoire
du lieu consacré par le martyre de saint Pierre et de l'entourer de leur vénération.
Une voie en zigzag, ornée des stations du Chemin de la Croix, conduit jusqu'au sommet
de la colline et avertit le pèlerin qu'il touche une terre sanctifiée. Le sanctuaire élevé sur
le Montorio est devenu plus tard la riche église que l'on admire aujourd'hui. Elle est bâtie
sur le sommet du monticule d'où l'on découvre les sept royales collines et Rome tout
entière. La garde en est confiée aux humbles enfants de saint François. Cette église
renferme quelques peintures remarquables, entre autres un Christ flagellé à la Colonne,
peint sur les dessins de Michel-Ange par Sébastien del Piombo, une Conversion de saint
Paul, par Vasari, et 'enfin deux belles statues représentant, l'une la Religion, et l'autre la
Justice. L'église portait à son origine le titre de la Sainte Vierge joint à celui qu'elle
porte aujourd'hui, et elle était comptée au nombre des vingt abbayes privilégiées de Rome.
La petite chapelle représentée dans la gravure fut bâtie précisément sur le lieu même
du martyre de saint Pierre; c'est un des plus gracieux édifices de la Renaissance. Ce
monument fut construit par Bramante, en forme de coupole, aux frais de Ferdinand IV;
il est orné de seize colonnes doriques de granit oriental, et composé de deux chapelles
superposées; au centre du pavé, qui est en marbre précieux, se trouve l'ouverture sphé-
roïde qui servit de piédestal à la croix. Une lampe brûle au-dessus de la terre arrosée
du sang de l'apôtre martyr. A partir du dimanche de la Passion jusqu'au dimanche de la
Quasimodo, il y a indulgence plénière pour tous les fidèles qui visitent la chapelle.
Le martyre de saint Pierre, en terminant ses souffrances et son apostolat, inaugura
le règne de sa gloire et de sa puissance, qui durera autant que le monde. Par
son apostolat et son martyre à Rome, Pierre avait posé les bases de la grande régéné-
ration chrétienne dans la ville même, en qui se résumaient alors les destinées du monde.
C'est à lui que l'on peut appliquer, avec plus de justesse, ce que le poëte a dit d'un
conquérant: «Jamais le pied d'un mortel n'a imprimé sur la terre une plus forte empreinte,
et son pied s'est arrêté là. » En effet, le corps de Pierre, déposé dans le sol romain,
comme un germe sacré a poussé de glorieux et immortels rejetons. « Après la confession
de son martyre, dit saint Hilaire de Poitiers, Simon Pierre, étendu, couché dans les
fondements de l'édifice chrétien, porte tout le môle de l'Église, et, loin d'en être
écrasé, il tient d'une main ferme et active les clefs du royaume céleste. » Rome contient
donc désormais dans les flancs de son Vatican un rocher plus immuable que celui de
son vieux Capitole; car, après avoir confessé la divinité de Jésus-Christ par sa mort,
comme il l'avait confessée par sa prédication et par ses œuvres, le voici fixé à la place
qui lui avait été préparée selon les divines préordinations, dit saint Léon. Sa tombe est
le berceau de l'Église, et la base immuable du trône de la papauté. Autour de ses
dépouilles glorieuses rayonne la construction immense de l'édifice divin. Là est le siège de la
souveraineté du Christ; là est le centre de son action et de son gouvernement; !à est sa tente
royale, son tabernacle parmi les hommes; là, par la présence permanente de son lieute-
nant visible, Jésus-Christ gouverne son Église; il enseigne, il redresse, il lie, il délie, il
commande aux intelligences et maintient dans le monde cette royauté de la vérité qui, ne
laissant plus au mensonge de triomphe assuré ni paisible, ne lui permet plus d'étouffer
la sainte liberté des consciences, et qui, toujours prête à combattre pour la justice,
n'ignore pas qu'elle prépare son propre triomphe lorsqu'elle accepte le martyre. C'est ainsi
que Jésus-Christ perpétue son autorité et son apostolat dans la personne de son vicaire,
et qu'il réalise à toujours son titre d'Emmanuel.
« C'est de là, dit Bossuet, que
fut établie et fixée à Rome la chaire éternelle, la
principauté principale; l'Église mère, qui tient en sa main la conduite des autres Églises;
le chef de l'épiscopat d'où part le rayon du gouvernement; la chaire unique en laquelle,
seule, tous gardent l'unité; et c'est là que Pierre demeure à jamais dans ses successeurs
le chef des évéques catholiques et le fondement des fidèles. » Comme Jésus Christ,
dont il est la manifestation visible, il était hier. il est aujourd'hui, il sera toujours, ~e/~
hodie, in M'cM~a/ En vertu des divines promesses, la puissance de Pierre s'est maintenue
malgré les efforts de l'enfer, qui a tourné contre elle toutes ses forces, malgré le temps,
qui use tout ce qui n'est pas divin. Qui de nous ignore les revers, les vicissitudes, les
révolutions des plus florissantes monarchies? Que reste-t-il de ce grand empire de Rome
qui avait courbé sous son sceptre tous les peuples? La royauté de Pierre a survécu à ces
ruines. Les siècles passent, elle ne passe point; d'autres empires pourront succéder à ce
que nous voyons, mais la puissance de la Papauté survivra aux empires qui naîtront après
elle. Elle paraîtra quelquefois s'affaiblir et chanceler, mais on ne la verra jamais succomber.
Telle a été, telle est encore aujourd'hui la Papauté. Voilà pourquoi rien ne l'émeut, rien
ne l'ébranlé, rien ne la séduit, rien ne l'épouvante. Un royaume lui échappe ou lui
revient, un soldat heureux la menace ou la flatte, un génie relève ou courbe la tête, les
peuples lui dressent un Calvaire ou un Thabor que lui importe?a Si elle a parfois des
larmes à verser, c'est pour pleurer le malheur des peuples qui se séparent de'son sein;
car elle est mère, et elle sait que ceux qui s'éloignent d'elle sont condamnés à périr;
mais quant à son avenir, elle est sans inquiétude. Elle sait qu'il n'y a pas de main assez
forte pour renverser son trône, parce que le fondement sur lequel elle est appuyée est la
digue immuable que la mer affolée peut bien couvrir d'écume, mais qu'elle ne peut emporter
ni franchir, selon la promesse de Jésus-Christ même: « Tu es Pierre, et sur cette pierre
je bâtirai mon Église, et les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle. »
Dix-huit siècles de perpétuité ont vérifié cette promesse. Depuis l'épiscopat de saint
Pierre, qui a cimenté l'Église romaine de son sang, jusqu'à celui de Pie IX, qui la
dirige aujourd'hui par sa sagesse, qui l'édifie par ses vertus et qui la défend par son
courage, les pontifes se sont succédé sans interruption dans l'Église qui a reçu la
primauté, et l'on peut dire que ce passé de dix-huit siècles est la garantie de l'avenir.
0 Rome, cité privilégiée de Dieu, plus illustre par ton Vatican que par ton Capitole,
après tant de siècles et tant d'assauts, tu es toujours debout, toujours vierge dans ta
foi, toujours maîtresse, toujours mère. Assise sur tes sept royales collines, tu domines
le monde et présides encore à ses destinées. Bienfaitrice des peuples dans le passé, espé-
rance de l'avenir, tu restes encore dans le présent, au milieu des ruines intellectuelles
et de la confusion des systèmes qui se disputent le monde, la reine de la vérité, la tête
et le cœur de la société, et le dernier rempart des éternels principes de justice et de
charité que les peuples ne peuvent abdiquer, sans se condamner à -mourir.
« 0 sainte
Église romaine, s'écrie Bossuet, mère des Églises et de tous les ndèles,
Église choisie de Dieu pour unir ses enfants dans la même foi et la même charité, nous
tiendrons toujours à ton unité par le fond de nos entrailles. Si je t'oublie, Église romaine,
puissé-je m'oublier moi-même! Que ma langue se sèche et demeure immobile dans ma
bouche si tu n'es pas toujours la première dans mon souvenir, si je ne te mets pas au
commencement de tous mes cantiques de réjouissance. ~6!A6pre<t< lingua mea faucibus meis, si
non meminero tui, si non proposuero VerM~a/em in principio ~<œ mete. o
/}e/!f;rto?M. sentir bien fort pour lutter contre la foi de tant de siècles, et l'autorité
1° Il faut se
de tant de grands génies. 2° Plaignons ceux qui s'aveuglent si étrangement, et attachons-nous toujours
plus fortement à notre sainte religion. 3" Mais que nous servirait la foi sans les oeuvres de la foi?
(Imitation de J.-C., liv. I", ch. ix, v. 1.)
I.
SAINT PAUL, l'apôtre et le docteur des nations, était Juif, de la tribu de Benjamin,
et s'appelait Saul. Né à Tarse, ville célèbre de la Cilicie, deux ans après la naissance
de Notre-Seigneur, il était citoyen romain, l'empereur Auguste ayant accordé aux habi-
tants de cette ville le droit de bourgeoisie, en récompense de leur fidélité. Son père
l'envoya tout jeune encore à Jérusalem pour y être élevé et instruit dans la science de
la loi et des traditions judaïques par Gamaliel, le plus célèbre docteur de ce temps.
Saul, doué d'un esprit pénétrant et élevé, fit de rapides progrès sous la direction d'un
tel maitre, et devint bientôt l'un des partisans les plus ardents de la Loi judaïque. Son
zèle pour le maintien des observances légales en fit l'un des plus ardents persécuteurs
de l'Église. Non content d'avoir demandé la mort de saint Étienne, son parent, il faisait
rechercher les fidèles qui étaient cachés dans Jérusalem; il parcourait les villes de la
Judée, pénétrait dans les maisons pour en tirer par force les chrétiens qui s'y trouvaient,
les trainer en prison et les faire charger de fers. Enfin, comme les limites de la Judée,
de la Galilée et de la Palestine étaient trop étroites pour satisfaire le zèle de ce fou-
gueux persécuteur, il demanda au Conseil des princes des prêtres des lettres de com-
mission adressées aux synagogues et aux Juifs de Damas, avec plein pouvoir d'y faire
une recherche exacte de tous les fidèles, et d'y exterminer ainsi l'Église naissante.
Muni de ces odieux pouvoirs et plein de menaces, Saul partit pour Damas. Or il arriva
que, comme il approchait de cette ville, il se trouva, lui et ses compagnons, environné
à l'improviste d'une lumière extraordinaire plus brillante que le soleil. Saisi d'effroi par
cette apparition subite, Saul tomba à terre, et il entendit une voix qui lui disait « Saul,
Saul, pourquoi me persécutes-tu? Il répondit Qui êtes-vous. Seigneur? Le Seigneur lui
dit Je suis Jésus que tu persécutes; il t'est dur de regimber contre l'aiguillon. Alors Saul,
saisi d'étonnement et de frayeur, dit Seigneur, que vous plaît-il que je fasse? Et le
Seigneur lui répliqua Lève-toi et entre dans la ville, et là tu verras ce que tu dois
faire. » Saul se leva, disposé à obéir à la voix de Jésus Christ, mais quoiqu'il eût les
yeux ouverts, il ne voyait rien; on le prit par la main et on le conduisit à Damas,
où il demeura trois jours aveugle.
Un des disciples de Jésus Christ, nommé Ananie, ayant été averti de cet événement
par une révélation, alla trouver Saul, lui imposa les mains et lui rendit la vue puis,
après l'avoir suffisamment instruit, il le baptisa.
Cette conversion fit grand bruit dans l'Église naissante. Le plus ardent persécuteur
de l'Église de Jésus-Christ allait en devenir l'apôtre le plus zélé; le loup était changé
en agneau. Saul changea son nom en celui de Paul, et ne songea plus qu'à prêcher la
divinité de Jésus-Christ. Comme il connaissait parfaitement les Écritures, et qu'il avait
l'esprit vif et insinuant, les docteurs de la Loi furent tellement alarmés de sa conversion,
qu'ils résolurent de s'emparer de sa personne; mais les chrétiens que Paul avait déjà
convertis l'arrachèrent aux mains de ses ennemis. De Damas, Paul alla d'abord à Jéru-
salem pour y visiter Pierre et recevoir du chef du collége apostolique la consécration
de son apostolat. Il avoue lui-même qu'il avait entrepris ce voyage pour voir et entre-
tenir le prince des apôtres ce qui marque dit saint Jérôme, qu'il témoignait un
respect particulier au chef de l'Église. De Jérusalem, Paul se rendit à Tarse, puis à
Antioche, où saint Barnabé l'appela à son aide, puis à Chypre, où il convertit le
proconsul Sergius Paulus. Il évangélisa ensuite et successivement la Pamphylie, la Pisidie,
Iconium, ville de Lycaonie, où l'une de ses plus belles conquêtes fut sainte Thècle; puis
il retourna à Jérusalem pour y assister au premier concile qui y fut présidé par saint
Pierre. De Jérusalem, Paul se rendit en Phrygie, en Galatie et en Macédoine, portant
partout la lumière de l'Évangile et convertissant un grand nombre de Gentils. Il évan-
gélisa également les villes de Philippes, de Thessalonique et de Berée; de là il se rendit
à Athènes. Dès son arrivée dans cette ville célèbre, il discuta avec les stoïciens et les
épicuriens, dont les sectes, si différentes entre elles par la doctrine, étaient néanmoins
également ennemies de l'Évangile. Ces philosophes, vaincus par l'éloquence de Paul, le
conduisirent à l'Aréopage, pour rendre compte, devant les juges de ce célèbre tribunal, de
la doctrine nouvelle qu'il enseignait. L'apôtre y prononça un discours admirable, qui
ravit toute l'assemblée. Prenant pour thème une inscription qu'il avait lue au frontispice
d'un temple d'Athènes Au DIEU INCONNU, il annonça ce Dieu aux membres de l'Aréopage
«Athéniens, leur dit-il, il me semble qu'en toutes choses vous êtes très-religieux; car,
passant dans votre ville et voyant les statues de vos dieux, j'ai trouvé même un autel où
il était écrit: Au DiEH INCONNU. Ce Dieu donc que vous adorez sans le connaitre, c'est celui
que je vous annonce. le Seigneur du ciel et de la
terre, qui n'habite point dans les
temples bâtis par les hommes, et qui n'est point honoré par les œuvres des mortels comme
s'il avait besoin de quelque chose, lui qui donne tout à tous, et la vie et la respira-
tion. » Puis continuant sur le même ton, Paul parla avec tant de force et d'éloquence de
la divinité de Jésus-Christ, de la résurrection des morts et de la sainteté de l'Évangile,
que saint Denys, l'un des plus savants de cette illustre académie, se convertit, ainsi qu'une
dame nommée Damaris.
D'Athènes, Paul revint à Corinthe, où il demeura près de dix-huit mois, pendant
lesquels il signala son apostolat par de grands prodiges et de nombreuses conversions. Il
écrivit de là ses deux épitres aux Thessaloniciens. L'apôtre se rendit ensuite à Antioche,
puis à Éphèse, ville devenue célèbre par le temple de Diane, que l'on comptait au
nombre des sept merveilles du monde. Enfin, après avoir visité de nouveau les chré-
tientés de la Macédoine et de l'Achaïe, l'apôtre des nations se rendit à l'île de Crète,
où il laissa Tite pour gouverner l'Église qu'il y avait fondée. 'De Nicopolis, où il passa
l'hiver, il écrivit sa seconde lettre aux Corinthiens. De là il retourna à Corinthe, et c'est
du port de cette ville, appelé Cenchrée, qu'il écrivit son épitre aux Romains. Il y traite
du mystère de la déchéance de l'homme par le péché d'Adam, et de sa régénération par
la grâce de Jésus-Christ; de sa prédestination et de son élection éternelle, qu'il nous
montre dans la pure volonté de Dieu, et enfin de la hauteur et de la profondeur de ses
jugements, que l'homme doit respecter. De Philippes, où il retourna pour éviter les
embûches des Juifs, Paul se rendit à Troade, puis visita successivement Assen, Mytilène,
Chio, Samos et Milet. Il convoqua dans cette dernière ville les évéques et les prêtres qui
s'y trouvaient, et les engagea à s'acquitter avec soin du gouvernement de ceux que le
Saint-Esprit avait commis à leur charge; il conclut son discours par cette belle sentence
de notre Seigneur Jésus Donner est une chose plus heureuse ~e recevoir. Après quoi il pria à
genoux avec eux et leur fit ses adieux avec larmes.
Les fidèles, aifligés de son départ, versèrent des larmes abondantes, et se jetant
à son cou, le baisèrent et le conduisirent jusqu'au vaisseau qui l'attendait, extrê-
mement attristés de ce qu'il leur avait dit qu'ils ne le verraient plus. Paul aborda à
Tyr, où il demeura sept jours pour consoler les fidèles qui s'y trouvaient. De là il se
rendit à Césarée, où il passa une semaine. Il savait qu'en allant à Jérusalem, il n'échap-
perait pas à la haine des Juifs, qui avaient juré de le perdre. Néanmoins il n'hésita
point à faire ce voyage. Il y trouva les chaînes et la prison qu'il attendait; mais Jésus-
Christ daigna consoler sa captivité par sa présence. Il lui apparut la nuit, et lui dit ces
paroles pour le fortifier « Ayez bon courage, Paul, parce que, comme vous avez rendu
témoignage de moi dans Jérusalem, il faut aussi que vous le fassiez dans Rome. » Paul fut
déféré au gouverneur romain Félix, puis à son successeur Festus, qui faisait sa résidence à
Césarée. Mais l'apôtre, après avoir confondu ses ennemis et prouvé son innocence, déclara
qu'il en appelait à César, et que c'était devant le tribunal de César même qu'il voulait
être jugé.
Comme Paul était citoyen romain, on dut accepter son appel. En conséquence, il fut
conduit à Rome. Les fidèles, avertis de son arrivée, allèrent au-devant de lui. Les Actes
des Apôtres fournissent, sur son arrivée à Rome, des indications précises « Nous nous
dirigeâmes vers Rome; les frères de cette ville, l'ayant appris, vinrent à notre rencontre
jusqu'au forum d'Appius et aux Trois Tavernes. Paul les ayant vus, rendit grâces à Dieu
et en prit confiance 1.
Le forum d'Appius, dont il est ici question, était à cinquante et un milles de Rome.
II.
L'apôtre n'était pas arrivé à Rome en secret il venait plaider sa cause, comme
citoyen Romain, devant l'empereur. Rien ne l'obligeait donc à chercher une retraite dans
quelque quartier obscur et isolé. Il convenait même que son habitation ne fût pas trop retirée,
puisqu'il avait l'intention, comme la suite l'a montré, d'y attirer un grand nombre de
visiteurs pour leur annoncer la parole de Dieu, en attendant qu'il fût rendu à la liberté.
<. D'uedi venendo crediamo che per la via et porta Appia, ora detta di San Bastiano entrasse nella citta. (blartinelli,
Prim. <ro/ della Croce, p. 34.)
Pour satisfaire à cette convenance, il loua un logement dans une maison de la via Lata;
cette rue, qui partait du Capitole à l'endroit appelé aujourd'hui Macello de Corvi, et con-
duisait au Champ-de-Mars, était un passage très-fréquente. L'apôtre s'y trouvait d'ailleurs
dans le voisinage des tribunaux devant lesquels il devait comparaître. Le cardinal Baronius
croit que la maison qu'il loua faisait partie des anciens monuments de la diaconesse Marier
Paul y passa deux. ans sous la garde d'un soldat. Trois jours après son arrivée dans cette
prison, l'apôtre, dont le zèle ne connaissait ni retard ni danger, y convoqua les princi-
paux d'entre les Juifs qui restaient à Rome il leur annonça l'Évangile et leur prouva par
le texte de la Loi, par les figures et par les prophéties, que Jésus-Christ était le libéra-
teur promis à leurs pères. Mais ni l'éloquence surhumaine de Paul, ni ses chaînes, plus
éloquentes encore que sa parole, ne purent convaincre ces hommes à la tête dure.
La tradition qui recommande à la vénération des fidèles la prison de saint Paul à la
via Lata, remonte au iv" siècle. Saint Jérôme l'indique sans la citer. « Je crois, dit-il, que
c'est aussi pour ces raisons que saint Paul a gardé pendant deux ans l'appartement qu'il
avait loué 2. o Cette tradition a passé plus tard dans un office qui se chantait autrefois
dans l'église Sainte-Marie in via Za~ le jour de la fête patronale, et qui depuis a été con-
signé dans les archives de cette ancienne diaconie
1. Mansit autem biennio toto in suo conducto, et suscipiebat omnes qui ingrediebantur ad eum, praedicansregnum Doi,
et docens quœ sunt de Domino Jesu Christo, cum omni fiducia, sine prohibitione. (Act. Apost., cap. xxvm, v. 30 et 31.)
2. Paulus senex, nunc autem et vinctus Jesu Christi, obsecro te pro meo filio, quem genui in vinculis, Onesimo, qui tibi ali-
quando inutilis fuit, nunc autem et mihi et tibi utilis, quem remisi tibi. Tu autem illum, ut mea viscera, suscipe. (V. 9-12.)
3. Ego enim jam delibor, et tempus resolutionis meae instat. Bonum certamen certavi, cursum consummavi, fidem servavi. In
reliquo reposita est mihi corona justifia*, quam reddet mihi Dominus in illa die justus judex non solum autem mihi, sed et iis qui
diliguntadventum ejus. (Cap. iv, v. 6-8.)
souvenirs de l'Église primitive, et de relire entre les quatre murs, encore subsistants, du
lieu où elles ont été écrites, ces touchants passages des épîtres du grand apôtre, qui font
allusion à sa captivité.
Le glorieux prisonnier de Néron ne considérait que la couronne invisible qui était pro-
mise à son fécond et laborieux apostolat; mais le juste Juge, qui se plaît à faire éclater la
gloire de ses Saints a voulu lui donner par surcroît la gloire terrestre, qu'il n'attendait
pas. Sa prison est devenue un sanctuaire aimé et vénéré par la piété des Romains et des
pèlerins catholiques. On y descend par un escalier situé sous le portique de la belle église
de Sainte-Marie t'Mt ~e~ qui a été construite au-dessus de la prison. On y voit un
modeste autel, et dans un angle, près du soupirail, une colonne de granit entourée d'une
chaîne antique scellée à sa base. La tradition affirme que ce fut avec cette chaîne et à cette
colonne que le geôlier Martial attachait Paul, son captif, et les autres prisonniers. Une
main ingénieuse a gravé à la colonne ces mots, qui sont de Paul lui-même Sao VERBUM
DEI NON EST ALLIGATUM. A l'autre extrémité de la prison, on voit un puits entouré de murs
peu élevés et surmonté d'un grillage. C'est là que se trouve la source d'eau vive que
l'apôtre fit jaillir miraculeusement pour baptiser d'abord Martial, son geôlier, et une foule de
néophytes qu'il convertit. Cette source miraculeuse conserve invariablement le même niveau.
La prison de saint Paul, à l'époque où il l'habitait, était de plain-pied. Si elle se trouve
aujourd'hui au-dessous du niveau de la rue, on ne doit pas s'en étonner, d'après tout ce
que l'on sait de l'exhaussement du sol, dont il existe des preuves nombreuses et
évidentes
dans la plupart des anciens quartiers de Rome.
Ce lieu si vénérable par les grands souvenirs qu'il rappelle, n'a pas cessé d'être entouré
de la pieuse sollicitude des souverains pontifes et des fidèles. Aussi voyons-nous qu'une des
plus anciennes diaconies de Rome y fut établie; or, les diaconies sont d'origine apostolique.
Tandis que l'autorité des pontifes consacrait cette illustre prison, le zèle des chrétiens se
plaisait à l'embellir. Une légion de martyrs, dominée par une image miraculeuse de la
Sainte Vierge, garde encore aujourd'hui ce lieu d'apostolique mémoire. Dans ce nouveau
ciel, où sont représentés tous les âges et toutes les conditions, on remarque surtout le
courageux diacre Agapet, dont le corps repose sous le maître-autel~.
Réflexions. chrétien ne désire rien tant que de voir s'étendre l'empire de Jésus-Christ.
1° Le vrai
2° Mais ce zèle pour la conversion des peuples est une prérogative
qui appartient à l'Église catholique, et
qu'aucune secte ne saurait lui envier.
(Imitation de J.-C., liv. II, ch. tx, v. 1.)
PRIÈRE. Saint Paul, ami de Dieu, très-admirable et très-saint apôtre, qui, pour l'amour de Jésus-
Christ et pour l'accroissementdans le monde de la foi catholique, avez été battu de verges à Philippes, puis
jeté dans les fers; qui avez été lapidé à Icône et à Thessalonique, puis livré aux bêtes à Éphèse; qui avez
A SAINT-PAUL-TROIS-FONTAINES.
( A.D.66.)
Al'angle de l'église, derrière une forte grille en fer, on voit la colonne à laquelle Paul
était lié lorsque la hache du licteur lui trancha la tête. Cette colonne, ou plutôt ce tronçon
de colonne, est de marbre blanc et peut avoir cinq pieds de hauteur sur quatre de circon-
férence. L'autel du saint, éloigné de quelques pas, est orné de colonnes de porphyre noir,
uniques en grandeur et en beauté. En se rendant au lieu du supplice, Paul avait converti
à la fois trois soldats qui faisaient partie de l'escorte, Longinus, Augustus et Mégitus. La
mort du grand apôtre devait être signalée par un miracle plus grand encore. Avant de
quitter le monde qu'il avait conquis à la foi, Paul lui devait un témoignage immense,
éternel, qui résumât, en les confirmant, tous les prodiges de sa vie, et qui, perpétuel-
lement visible aux yeux des générations, les auérmît dans la doctrine du christianisme
jusqu'au jour de l'éternité. La divine Providence accorda au monde ce grand miracle.
La tête de l'apôtre martyr tombe sous le tranchant du glaive, et aussitôt deux miracles
Voir, sur l'authenticité de cette lettre de saint Denis, Choggio, De ~o~. div. Petri, etc., p. 25 et 26.
2. H était d'usage, chez les Romains, que les condamnés à la peine capitale s'enveloppassentla tête d'un voile pendant leur
exécution. L'historien Josèphe et les Actes de saint Cyprien parlent de cet usage.
s'accomplissent à la fois au lieu de sang, c'est du lait qui jaillit; la colonne, la terre, le
bras, la chlamyde du licteur en sont inondés 1. La tête fit trois bonds en tombant de la
colonne, et des trois points du sol qu'elle toucha, jaillirent trois fontaines qui coulent encore.
Elles sont renfermées dans l'église, laissant entre elles quatre pieds environ d'intervalle et
conservant chacune sa température différente 2.
Après l'exécution, Plautilla enveloppa dans un voile la tête de l'apôtre, qu'elle vint
déposer dans la catacombe de Lucine, sur la voie d'Ostie. Par les soins d'une matrone qui
portait également le nom de Lucine, le reste du corps fut transporté dans le même cimetière
Pendant que cela se passait, le prêtre Marcel donnait, à l'autre extrémité de Rome, une
royale sépulture à Pierre, qui venait d'expirer sur les hauteurs du Vatican.
La seconde église est celle de l'ancien monastère de l'ordre de Cîteaux, dédiée aux saints
martyrs Vincent et Anastase. Elle est remarquable en ce qu'elle nous offre un type parfait
de la structure des premières églises des Cisterciens. Le style roman domine dans cette
église, et il est empreint d'un caractère de pureté et de vigueur fort remarquables les
pilastres sont ornés d'une fresque de Raphaël représentant les douze apôtres. L'Orient et
l'Occident sont pour ainsi dire réunis dans cette église, le premier, par saint Anastase,
martyrisé en Perse sous Chosroès; le second, par saint Vincent, la gloire de l'Espagne. La
plus grande partie de leurs corps est réunie en ce lieu comme pour servir de témoignage à
l'unité et à la catholicité de la foi.
La troisième église est consacrée à la Sainte Vierge sous le titre de Sancta Maria Scala
Co~t. Ce nom lui est venu d'une vision qu'y eut saint Bernard. En célébrant le saint sacri-
fice, il vit une échelle mystique par laquelle les âmes du purgatoire montaient au ciel. Cette
église fort ancienne est ornée d'une grande et précieuse mosaïque de Quera Florentin elle
a été fort bien restaurée au xvi" siècle. Elle renferme les reliques de dix mille deux cent
trois martyrs mis à mort sous Dioclétien, en haine de Jésus-Christ et de la foi chrétienne,
comme l'atteste l'inscription'suivante, qu'on lit sur la porte de la catacombe de saint Zenon
1. Ce fait est attesté par saint Ambroise, Serm. 68, et saint Jean Chrysostome, Orat. in prtMC..4~o.«.
2. Baronius, ~MMs~es. t. 1er, p. 478. 3. 76~ t. I' p. 478, H. 43.
géants. Rome chrétienne a eu pour fondateurs deux hommes qui étaient pacifiques comme
Abel, l'âme de la race des justes, qui étaient plus frères par l'âme qu'on ne l'est par la
chair, qui sont morts de la même mort, du même dévouement, aux portes de la même
ville, la même année, le même jour, et plus tard, comme nous le dirons, leurs ossements
ont été mêlés ensemble ces deux frères n'ont pas été divisés même dans la mort 1. L'an-
tique fratricide a été remplacé par une fraternité divine qui a présidé & la seconde nais-
sance de Rome, destinée désormais à répandre par toute la terre, avec l'Évangile, le dogme
et le sentiment de la fraternité humaine. La tradition, qui nous montre l'endroit où ces
fondateurs de Rome chrétienne se sont embrassés avant de mourir, ajoute un dernier trait
à ces .analogies »
Saint Paul a laissé quatorze épîtres, qui renferment toute la religion et la morale chré-
tienne. Ces épîtres, qui sont autant de chefs-d'œuvre, renferment les vérités fondamentales
de la religion, les devoirs de la morale, et elles respirent le plus tendre amour pour Jésus-
Christ. Avec quelle lucidité Paul sonde les abîmes de la charité de Jésus-Christ qui surpasse
toute science avec quelle sûreté d'expression il nous fait connaître la vertu de la Croix
par laquelle le ciel est réconcilié avec la terre! avec quelle sublimité de langage il célèbre
le mystère de l'unité par lequel les anges et les hommes ne forment plus qu'une même
famille, dont Dieu est le père et dont Jésus-Christ' est le chef!
.Re/rM)?M. 1" Lesépîtres de saint Paul sont le plus beau commentaire de l'Évangile. 2° Lisons- les
avec assiduité, mais lisons-les aussi avec piété. 3° C'est l'esprit de Dieu qui les a dictées, et il n'appartient
qu'au même esprit d'en donner l'intelligence.
(lmitation de J.-C., liv. III, ch. vu, v. 4.)
P)UERE. Glorieux apôtre de Dieu, père de la sainte Église, prédicateur et docteur de notre sainte foi,
qui avez labouré le champ de la sainte doctrine, lavé, arrosé de vos sueurs et de votre sang, maintenant
que vous régnez glorieusement avec Dieu, je vous supplie humblement de vous souvenir de moi, en priant
Dieu qu'il m'accorde le don d'une foi ferme et d'une brûlante charité. Obtenez-moi le don de science, afin
que je sache ce que je dois faire ou éviter, afin que je connaisse l'état présent de mon âme et la fin à
laquelle je dois tendre, et que, mettant en pratique la loi que vous avez prêchée, je mérite de partager un
jour votre bonheur dans le ciel.
(Choix de Prières, tirées des manuscrits du xine siècle.)
1. !n morte
quoque non sunt divisi. Reg. lib. H, cap. v. 23.
ï. ~MtMM de Rome chrétienne, par MF Gerbet, évéque de Perpignan, Introduct., p. 2~ et 22.
PLATONIA
DE
L'église Saint-Sébastien hors les murs est comptée au nombre des basiliques constan-
tiniennes. Elle est bâtie sur les célèbres catacombes de Saint-Callixte; la façade est ornée
d'un portique soutenu par six colonnes de granit; la nef est large, élevée, et se termine
par un autel décoré de quatre colonnes de vert antique. La partie la plus remarquable et la
plus vénérée de cette église est la Platonia ou Locus ad catacumbas. On appelle de ce nom le
lieu où reposèrent pendant quelque temps les corps de saint Pierre et de saint Paul.
La Platonia est une espèce de souterrain passablement éclairé où se trouve un puits
qui est devenu célèbre dans l'histoire. Ce souterrain avait reçu dès les premiers temps une
visite qu'il n'attendait pas quelques hommes y étaient entrés mystérieusement, portant deux
cadavres auxquels ils donnaient des marques extraordinaires de respect, et qu'ils firent des-
cendre avec précaution dans un puits creusé au centre. C'étaient les corps des saints apôtres
Pierre et Paul que l'on avait dû retirer de leurs premiers tombeaux. On raconte que, l'empe-
reur Héliogabale ayant voulu agrandir son cirque du Vatican, afin que ses éléphants pussent
y courir plus à l'aise, les chrétiens avaient craint que le lieu où le corps de saint Pierre
reposait ne fût envahi et profané; et comme quelque nouveau caprice du fou couronné pou-
vait menacer aussi le cimetière de Lucine qui possédait les reliques de saint Paul, ils
avaient transporté secrètement les corps des deux apôtres dans les Catacombes.
Une autre version, qui paraît mieux fondée, explique autrement le fait de la déposi-
tion des corps des saints apôtres dans ce souterrain. Suivant cette version, il advint dans le
premier siècle même que des chrétiens d'Orient, jaloux de posséder les restes de saint
Pierre et de saint Paul, les enlevèrent furtivement comme un bien qui leur appartenait,
parce que ces apôtres étaient leurs compatriotes, et qu'ils voulaient les rendre à leur pays.
Craignant d'être découverts, ils les avaient cachés provisoirement dans ce souterrain. Mais
au moment où ils se disposaient a les en retirer pour continuer leur route, un orage, qui
survint comme une menace du ciel, les en empêcha, et les chrétiens de Rome, qui avaient
été avertis à temps, reprirent ces deux corps. L'inscription que le pape saint Damase.
qui vivait au iv' siècle, a fait graver sur une pierre des Catacombes,- confirme ce récit
« Vous qui cherchez les noms de Pierre et de Paul, vous devez savoir que ces saints ont demeuré
autrefois ici. Ils sont, nous l'avouons volontiers, les enfants de l'Orient qui nous les a envoyés. A la suite
du Christ, et par le mérite de leur martyre, ils sont arrivés au port céleste et dans le royaume des justes.
Mais Rome a dû défendre ceux qui étaient devenus ses concitoyens'. »
Par la double allusion qu'elle fait à la jalousie des Orientaux et au devoir qu'avait
Rome de garder ses apôtres, cette inscription s'adapte à la tradition consignée dans les
œuvres de saint Grégoire. Voici cette tradition
« On sait, dit saint Grégoire, qu'au temps de leur martyre (il
parle des saints apôtres),
les fidèles vinrent de l'Orient redemander leurs corps à titre de compatriotes. Les ayant
emportés à deux milles, hors de la ville, dans le lieu dit aux Catacombes, ils les y dépo-
sèrent. Réunis en grand nombre, ils s'efforcèrent ensuite de les enlever mais la violence
du tonnerre et de la foudre les effraya et les dispersa, au point qu'ils n'osèrent plus
renouveler leur tentative. Alors les Romains sortirent de la ville, et, par un effet de la
bonté divine, ils enlevèrent les corps et les déposèrent la où ils sont aujourd'hui~. »
D'après cette tradition, les corps des apôtres ont été reportés tout de suite dans leur
première demeure; tandis que, suivant l'autre légende, ils seraient restés dans les Catacombes
pendant une trentaine d'années environ, depuis le règne d'HéliogabaIe jusqu'au temps du
pape saint Corneille, qui les aurait réintégrés dans leurs tombeaux. Le caveau où les saints
corps reposèrent se trouve sous l'autel qu'on voit au milieu de la Platonia. Il n'y a pas
d'autre ouverture que le jour étroit pratiqué à l'une des extrémités. Pour y pénétrer, il faut
nécessairement déplacer une portion de l'autel.
M. Perret', architecte français, explora la Platonia en 18~9. Il fit enlever les décombres
qui remplissaient le caveau, et mit ainsi à découvert les larges plaques en marbre dont la
Platonia tire son nom
1. Constat quia oo tempore quo passi sunt, ex Oriente fideles venerunt qui eorum corpora sicuti civium suorum repete-
rent. Quœ ducta usque ad locum, qui dicitur ad Catacumbas,collocata sunt. (Gregor., <M~CoMS<<M<tM. August. Epistol., lib. IV.)
2. Ibid., lib. IV, ep. 0.
3. Le gouvernementfrançais a fait publier, à ses frais, les beaux dessins copiés aux Catacombes par M. Perret.
4. Roma sotteranea, etc., de Bosio; in-4", Rome, Grignani, 1650, pages 256 et suiv.
Voici comment la Correspondance de /~H!e~ rendait compte
de cette intéressante explora-
tion « Depuis plusieurs siècles, le puits (caveau) a été rarement visité. M. Perret en a
mesuré exactement toutes les parties. La forme est un carré de 2 mètres 60 centimètres.
Le haut est formé par une voûte à cinq portions de cercle. Le fond, divisé en deux parties,
et les côtés sont revêtus de marbre blanc, à la hauteur de 1 mètre 15 centimètres. On voit
une ouverture qui communique probablement avec les Catacombes. Des traces de peintures
qu'on discernait à peine firent espérer que ce lieu saint en était couvert. Après un travail
de plusieurs jours afin d'enlever le mortier et le nitre très-épais qui les couvraient depuis
plusieurs siècles peut-être, M. Perret a trouvé une peinture assez bien conservée, ainsi
composée Notre-Seigneur, au milieu d'un arc-en-ciel, la tête entourée de l'auréole; saint
Pierre à sa droite, dans une attitude de suppliant; il paraît recevoir quelque chose de
Notre-Seigneur; saint Paul est a sa gauche, et, de chaque côté, un palmier fleuri. Cet
ensemble de peintures occupe tout le côté opposé à l'entrée. Sur la partie latérale à
gauche, M. Perret a découvert aussi une figure tenant une couronne à la main. On voit du
même côté les traces de quatre autres personnages tenant aussi des couronnes. Tout porte
à croire que du côté opposé sont encore cinq figures, ce qui formerait le nombre des douze
apôtres.
«Les figures de Notre-Seigneur, de saint Pierre et de saint Paul ont environ 90 centi-
mètres de hauteur, celles des côtés latéraux n'ont que 70 centimètres plusieurs filets de
diverses couleurs les divisent de la voûte, qui est ornée de compartiments crucifères.
« Ces peintures remontent au iv' siècle.
Telle est du moins l'opinion de M. Minardi, à
qui M. Perret a fait part de sa découverte. Ce serait précisément l'époque où saint Damase
fit revêtir ce lieu de plaques de marbre; il est à croire que les 'peintures furent faites en
même temps.
La gravure ci-jointe représente la Platonia telle qu'elle existe aujourd'hui. Sur les gradins
supérieurs de l'autel, on voit les bustes des saints apôtres. L'orifice du caveau dans lequel
reposèrent leurs corps, est au dessous de l'autel. Pour pénétrer dans ce caveau, il faut
nécessairement déplacer une partie de l'autel. On vénérait autrefois, dans ce même caveau,
la chaire pontificale rougie du sang du pape Étienne, égorgé dans ce lieu pendant la célé-
bration des saints mystères. Il n'en reste plus, dans ce souterrain, que la place assez
reconnaissable. Le grand-duc de Toscane, Cosme III, a eu la malheureuse dévotion de
demander et le fatal pouvoir d'obtenir cette chaire. Il l'a transportée dans l'église des
Chevaliers de Saint-Étienne, à Pise, où elle est privée de son entourage naturel, au lieu
de la laisser là où elle semblait fixée pour toujours, sous le triple sceau de l'antiquité, du
sang et d'un grand souvenir.
Pie VI, dans un rescrit du 28 juillet 1778, accorda par l'organe de la secrétairerie des
Mémoriaux, une indulgence de cent jours aux fidèles qui, contrits, réciteront au moins une
fois le jour la prière suivante, avec un Pater, Ave et Gloria, en l'honneur des saints apôtres
Pierre et Paul.
Sa Sainteté accorda de plus une indulgence plénière, applicable aux fidèles défunts, à
Réflexions. vénérer les précieux restes des héros de la religion. 20 En versant leur
10 H est juste de
sang pour Jésus-Christ, ils nous ont transmis la foi dans toute sa pureté et montré la voie qui conduit au
salut.
PRIÈRE. 0 saints apôtres Pierre et Paul, je vous choisis aujourd'hui et à jamais pour mes protec-
teurs et mes avocats particuliers; je me réjouis humblement, tant avec vous, saint Pierre, prince des apôtres,
de ce que vous êtes cette pierre sur laquelle Dieu a bâti son Église, qu'avec vous, saint Paul, choisi de
Dieu pour être un vase d'élection et le prédicateur de la vérité dans tout l'univers. Obtenez moi, je vous
supplie, une foi vive, une espérance ferme, une charité parfaite, un entier oubli de moi-même, le mépris
du monde, la patience dans les adversités, l'humilité dans la prospérité, l'attention dans la prière, la pureté
de cœur, la droiture d'intention dans mes actions, la diligence à remplir les devoirs de mon état, la con-
stance dans mes résolutions, la résignation à la volonté de Dieu, la persévérancedans la grâce divine jusqu'à
la mort, afin qu'ayant, par votre intercession et par vos glorieux mérites, surmonté les tentations du monde,
du démon et de la chair, je sois digne de paraître devant le souverain et éternel Pasteur des âmes, Jésus-
Christ, qui vit et règne, avec le Père et le Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles, pour le posséder
et l'aimer pendant toute l'éternité. Ainsi soit-il! 1 Pater, Ave et Gloria.
LES
ï.
SAINTE CECJLE~ vierge, naquit à Home d'une famille noble qui jouissait des honneurs du
patriciat. Élevée dès le berceau dans la foi chrétienne, Cécile pratiquait avec une entière
fidélité la loi divine que le Christ est venu apporter aux hommes. Elle se voua dès son
enfance à la virginité, mais ses parents aspiraient à contracter pour elle une alliance hono-
rable. Embellie de toutes les grâces de la nature, faible image de la beauté de son âme,
Cécile leur semblait mûre pour un hymen terrestre. Valérien était le nom du jeune homme
qui devait recevoir la main de la jeune vierge. Le jour des noces étant venu, tandis que les
bruyants et profanes concerts s'exécutaient pendant le festin, Cécile chantait aussi, mais dans
son cœur, et sa mélodie s'unissait à celle des anges. Elle redisait au Seigneur cette strophe
du psalmiste qu'elle adaptait à sa situation « Seigneur Seigneur veillez sur mon cœur
et sur mon corps, et faites la garde autour d'eux, pour qu'ils vous restent immaculés et
purs. L'Église redit chaque année ces paroles de la vierge au jour de son triomphe, et,
pour honorer le sublime concert que Cécile exécutait avec les esprits, elle l'a saluée Reine
de l'harmonie. Or, vint la nuit où elle se trouva seule avec son époux dans la chambre
nuptiale, et elle lui dit 0 très-doux et bien-aimé jeune homme' j'ai un secret à te
révéler; mais il faut que tu me jures de le garder scellé "dans ton âme.Valérien le lui
jura. Alors elle lui dit: "J'ai pour amant un Ange de Dieu, jaloux de la virginité de mon
corps, et qui la garde jour et nuit avec son glaive. Si tu l'outrageais, il te frapperait, et
tu perdrais la fleur de ta charmante jeunesse; mais s'il voit que tu m'aimes d'un amour
chaste et pudique, il t'aimera lui aussi, et il se montrera à toi dans sa gloire. –Valérien
lui répondit « Si tu veux que je te croie, fais-moi voir cet Ange, et si je reconnais que
c'est un Ange, je ferai ce que tu voudras; mais si c'est un homme, que tu aimes, je vous
frapperai tous deux de mon épée. » Cécile lui dit « Si tu crois au vrai Dieu, et que tu
ET PARTOUT. Quand il eut fini de lire, il dit à Valérien « Crois-tu que cela soit vrai?" Valé-
rien ayant dit qu'il croyait, le vieillard disparut, et aussitôt saint Urbain baptisa Valérien.
Or Valérien, en rentrant dans la chambre nuptiale, y trouva l'Ange qui s'entretenait avec
Cécile. L'Ange tenait dans ses mains deux couronnes faites de roses et de lis il en donna
une à Cécile et l'autre à Valérien, et leur dit « Gardez ces couronnes, et avec elles le
cœur pur et le corps vierge ce sont des roses et des lis du Paradis je les ai cueillis
pour vous et je vous les apporte. Jamais ils ne se faneront jamais leur parfum ne s'éva-
porera et des yeux chastes pourront seuls les voir. Maintenant, toi, Valérien, parce que tu
as acquiescé au désir pudique de Cécile, le Christ, Fils de Dieu, m'a envoyé vers toi pour
recevoir toute demande que tu aurais à lui adresser. ') Le jeune homme, saisi de reconnais-
sance, se prosterne aux pieds du divin messager, et lui dit Rien en cette vie ne m'est
plus doux que l'affection de mon frère. Je réduirai donc mes demandes à une seule je
supplie le Christ de délivrer mon frère Tiburce, comme il m'a délivré moi-même, et de
nous rendre tous deux parfaits dans la confession de son nom. » L'Ange répondit
« Ta parole
plaît au Seigneur; tous les deux vous viendrez à lui, une palme de martyr en
main. » L'Ange remonta aux cieux et laissa les époux dans la plénitude de leur bonheur.
Comme ils s'entretenaient ensemble, Tiburce, frère de Valérien, impatient de le revoir, entra
et vint suspendre ce colloque angélique mais quelle fut sa surprise de sentir émaner dans
la chambre des époux une odeur de roses et de lis « D'où vient donc cette odeur de
roses dans cette saison? s'écrie Tiburce. Quand je tiendrais en main le plus odorant bouquet
de ces fleurs, je ne respirerais pas un parfum plus embaumé; il me semble que ce parfum
pénètre dans mon sang, le rafraîchit et le ravive." –Valérien lui dit: « C'est moi, ô Tiburce,
qui ai obtenu pour toi la faveur de sentir cette suave odeur; si tu veux croire, tu mériteras
même de voir les fleurs dont elle émane. C'est alors que tu connaîtras celui dont le sang
est vermeil comme les roses et dont la chair est blanche comme le lis 1. Cécile et moi
<. Il est inutile de faire observer que Valérien désigne, sous ce langage figuré, le mystère de l'Eucharistie, que les premiers
chrétiens ne révélaient point aux infidèles, et qui n'était manifesté aux catéchumènesque peu de jours avant leur baptême.
nous portons des couronnes que tes yeux ne peuvent voir encore les fleurs qui les com-
posent ont l'éclat de la pourpre et la pureté de la neige. « Est-ce un songe, ô Valérien,
s'écria Tiburce, ou parles tu selon la vérité? Il Jusqu'ici, répondit l'époux de Cécile,
notre vie n'a été qu'un rêve; mais maintenant nous sommes dans la vérité, et il n'y
point eu pour nous de mensonge; car les dieux que nous adorions ne sont que des démons. »
« Comment le sais-tu? répondit Tiburce. Valérien répondit a Un Ange du Seigneur
me l'a enseigné et tu pourras voir toi-même cet esprit bienfaisant, si tu veux te purifier
de la souillure des idoles. » « Et combien de temps, répliqua Tiburce, devrai-je attendre
cette purification qui me rendra digne de voir l'Ange de Dieu » « Elle sera prompte,
reprit Valérien jure moi seulement que tu renonces aux idoles et qu'il n'est qu'un seul
Dieu dans les deux." « Je ne comprends pas, dit Tiburce, à quelle fin tu exiges de moi
cette promesse. »
Alors Cécile prit à son tour la parole et démontra à Tiburce la vanité des idoles d'airain
et de bronze, muettes et sourdes comme leur enveloppe de métal; elle n'avait pas fini,
que Tiburce convaincu s'écria « Celui qui ne croit pas à tout cela est un insensé. Alors
Cécile, découvrant sa poitrine, la baisa, et lui dit « Aujourd'hui je te reconnais pour mon
frère; je suis ta sœur dans le Christ, comme je suis dans le Christ l'épouse de ton frère.
Va donc avec lui pour que tu sois baptisé, et que tu puisses voir les visages angéliques.
–Valérien conduisit son frère Tiburce au pape Urbain, qui lui donna le baptême. Mais les
deux frères, ayant été dénoncés au proconsul romain, furent condamnés à mort. Le jour de
leur exécution, aux premières clartés de l'aube, Cécile vint les encourager « Allez soldats
du Christ, leur dit-elle rejetez les œuvres de ténèbres et couvrez-vous des armes de la
lumière. » Les deux martyrs furent conduits à quatre milles de la ville, dans le temple de
Jupiter, et comme ils refusèrent de sacrifier, ils y reçurent du même coup la mort et la cou-
ronne de vie. Cécile recueillit leurs corps et les ensevelit. La jeune vierge ne tarda pas à
suivre son époux. Almachius, préfet de Rome. la fit traduire à son tribunal comme épouse
de Valérien, et lui ordonna de sacrifier ou de se préparer à la mort. Or, les officiers du
tribunal se pressaient autour d'elle, et ils pleuraient de voir cette belle jeune fille qui allait
mourir; mais elle leur dit 0 bons jeunes gens, ne pleurez ni sur ma beauté ni sur ma
jeunesse, car je ne fais que les échanger contre une beauté meilleure et contre une jeunesse
sans déclin. C'est donner de la boue pour recevoir de l'or; c'est changer une chaumière
contre une maison dorée. Tout ce que j'aurai donné à Dieu, il me le rendra au centuple.
Croyez-vous à ce que je vous dis là? Ils répondirent tous « Nous croyons que le Christ.
fils de Dieu, qui possède une telle servante, est le vrai Dieu. » Le pape Urbain baptisa les
nouveaux convertis au nombre de plus de quarante.
Almachius fit rappeler Cécile a son tribunal. Il frémit a la vue d'une victime si douce
et si fière, et, feignant de ne pas la reconnaître pour la fille des Cœcilius, il ouvrit ainsi
l'interrogatoire c Jeune fille, quel est ton nom?" « Devant les hommes, je m'appelle
Cécile, dit la vierge; mais chrétienne est mon plus beau nom." « Quelle est ta condition?»
»
« Citoyenne de Rome, de race illustre et noble. D'où te vient cette assurance devant
moi ?" « D'une conscience pure et d'une
foi sincère. » n Pourquoi cet orgueil dans tes
paroles ?" Elle répondit « Ce n'est pas de l'orgueil c'est de la fermeté. Almachius
dit « Ignores-tu donc quel est mon pouvoir?» « Et toi, ignores-tu quel est mon nancé."»
« Quel est-il? « Le Seigneur Jésus-Christ. » « Malheureuse, ne sais-tu pas que nos
maîtres, les invincibles empereurs, ont ordonné que ceux qui ne voudront pas nier qu'ils sont
chrétiens soient punis, et que ceux qui consentiront à le nier soient acquittés. » Cécile
répondit « Est-il une conduite plus impie et plus funeste que la vôtre? Vous employez les
tortures pour faire avouer aux malfaiteurs la qualité de leurs délits et leurs complices s'agit-il
de nous, tout notre crime est dans notre nom, et il nous suffit de renier ce nom pour
trouver grâce devant vous. Mais nous connaissons toute la grandeur de ce nom sacré, et
nous ne pouvons pas le renier. Mieux vaut mourir pour être heureux, que vivre pour être
misérables. Vous voudriez entendre de notre bouche un mensonge mais en proclamant la
vérité, nous vous infligeons une plus cruelle torture que celle que vous nous faites subir. n
« Malheureuse femme, dit Almachius, ignores-tu donc que le pouvoir de vie et de mort
est déposé entre mes mains par l'autorité des invincibles princes? Comment oses tu me
parler avec cet orgueil? Autre chose est l'orgueil, autre chose est la fermeté reprit la
vierge j'ai parlé avec fermeté, non pas avec orgueil, car nous avons ce vice en horreur.
Si tu ne craignais pas d'entendre encore une vérité, je te montrerais que ce que tu viens
de dire est faux. » « Voyons, dit le préfet, qu'ai-je dit de faux? » a Tu as prononcé
une fausseté, répondit Cécile, quand tu as dit que les princes t'avaient conféré le pouvoir
de vie et de mort. » « Ai-je donc menti en disant cela? répliqua alors le préfet étonné.
"Oui, dit la vierge, et si tu me le permets, je te prouverai que tu as menti contre
l'évidence même. » « Explique toi » reprit Almachius déconcerté.–«N'as-tu pas dit,
répliqua Cécile, que les princes t'ont conféré le pouvoir de vie et de mort ? Tu sais bien
cependant que tu n'as que le seul pouvoir de mort. Tu peux ôter la vie à ceux qui en
jouissent, j'en conviens; mais tu ne saurais la rendre à ceux qui sont morts. Dis donc que
tes empereurs ont fait de toi un ministre de mort, mais rien de plus si tu ajoutes autre
chose, tu mens, et sans aucun avantage. »
Le préfet, dissimulant la honte de cet affront, lui dit avec une modération feinte
« Laisse là cette audace et sacrifie aux dieux. » En prononçant ces paroles, il désignait les
statues qui remplissaient le prétoire. Cécile répondit « Il me paraît que tu as perdu l'usage
des yeux. Les dieux dont tu me parles, moi et tous ceux qui ont la vue saine, nous ne
voyons en eux que des pierres et des pierres inutiles. Palpe -les plutôt toi-même, tu sen-
tiras ce qu'il en est. Ces statues de pierre feraient plus de service, si on les jetait dans
une fournaise pour les convertir en chaux. Elles s'usent dans leur oisiveté, et sont inca-
pables de se défendre des flammes ou de t'en tirer toi-même. Le Christ seul peut sauver
de la mort, et délivrer du feu l'homme coupable. » Ce furent les dernières paroles de Cécile
devant le juge. La vierge venait de venger, par ses énergiques réponses, la dignité humaine
que la tyrannie païenne avait si indignement violée; elle avait ûétri le matérialisme grossier
qui asservissait le monde, et confessé courageusement la doctrine divine qui allait le régé-
nérer. Il ne lui restait plus qu'à recevoir les palmes du martyre qu'elle avait conquises.
Almachius, irrité de n'avoir pu vaincre la constance de Cécile, ordonna qu'on la
recon-
duisît à sa maison, afin qu'elle y reçût la mort sans bruit et sans tumulte. Il craignait de
donner de l'éclat à l'exécution de cette jeune femme, qui, outre qu'elle appartenait à
une
famille patricienne, joignait à tant de grâces le don d'attirer à elle tous les nobles
cœurs.
Les ordres d'Almachius portaient qu'elle serait enfermée dans la salle des bains de
son palais,
que les Romains appelaient le caldarium. On devait allumer un feu violent et continu dans
l'hypocauste, et la vierge, laissée sans air sous la voûte ardente, aspirerait la mort avec
la vapeur embrasée, sans qu'il fût besoin de faire venir un licteur pour l'immoler.
Ce lâche expédient fut sans succès. Cécile, toute rayonnante de joie, entra dans le lieu
de son martyre, et y passa tout le reste du jour et la nuit suivante, sans que -l'atmosphère
enflammée qu'elle respirait eût fait distiller de ses membres la plus légère moiteur. Une
rosée céleste, semblable à celle qui rafraîchit les trois enfants dans la fournaise de Babylone,
tempérait délicieusement les feux de ce redoutable séjour. En vain les ministres de la cruauté
d'Almachius attisaient l'incendie par le bois qu'ils plaçaient sans cesse sur le brasier; en
vain un souffle dévorant s'échappait continuellement par les bouches de chaleur; Cécile était
invulnérable, et attendait avec calme qu'il plût à l'Époux divin de lui ouvrir une autre
route pour aller à lui. Un licteur reçut l'ordre de lui trancher la tête, dans le lieu
même où elle se jouait de la mort. Cécile accueillit avec allégresse le bourreau qui lui appor-
tait avec la mort la couronne nuptiale. Le licteur brandit son glaive avec vigueur, mais son
bras mal assuré ne put, après trois coups, abattre la tête de la vierge; et comme une loi
défendait au bourreau qui, après trois coups, n'avait pas achevé sa victime, de la frapper
davantage, il dut laisser Cécile baignée dans son sang aux prises avec la mort. L'héroïque
vierge survécut pendant trois jours à son supplice. Elle en profita pour exhorter les fidèles
qui l'entouraient à demeurer fermes dans la foi. Avant de mourir, Cécile reçut la visite du
pape Urbain, et lui adressa ces dernières et touchantes paroles « Père, j'ai demandé au Sei-
gneur ce délai de trois jours, pour remettre aux mains de Votre Béatitude mon dernier
trésor; ce sont les pauvres que je nourrissais, et auxquels je vais manquer. Je vous lègue
aussi cette maison que j'habitais, afin qu'elle soit par vous consacrée en église, et~qu'elle
devienne un temple au Seigneur à jamais. »
Ce furent les dernières paroles de Cécile. Elle se recueillit ensuite pour remercier le
Christ qui daignait l'associer à la gloire de ses athlètes, et réunir sur sa tête les roses du
martyre aux lis de la virginité. Les cieux s'ouvraient déjà à son œil mourant, et une
dernière defaillance annonça le terme de ses souffrances. Elle était couchée sur le côté droit,
les genoux réunis avec modestie. Au moment suprême, ses bras s'affaissèrent l'un sur l'autre,
et comme si elle avait voulu garder le secret du dernier soupir qu'elle envoyait au divin
objet de son unique amour, elle tourna contre terre sa tête sillonnée par le glaive, et son
âme, se détachant doucement de son corps, s'envola vers son bien-aimé c'était le 52 no-
vembre 232.
IL
Le pape Urbain s'empressa de satisfaire aux pieux désirs que Cécile lui avait exprimés
avant de mourir. Il convertit la maison de la jeune martyre en église et la consacra lui-
même. Lorsque la paix fut rendue à l'Église, Rome chrétienne distingua le nom de Cécile
entre tant d'autres qui furent sa gloire dans ces jours de l'épreuve; elle inscrivit le nom de
la fille des Cécilius sur le sacré diptyque du canon de la messe, et fixa sa fête au 22 novembre,
comme on le voit par le Martyrologe de saint Jérôme. Sous le pontificat de saint Pascal, on
retrouva le corps de sainte Cécile, qui avait été inhumé dans le cimetière de Prétextât; le
~ocM~M contenait le corps de la sainte enveloppé de vêtements brochés d'or et trempés de
son sang. Ce corps fut déposé avec ceux des saints Valérien. Tiburce. Maxime, et des papes
Urbain et Lucien dans l'église Sainte-Cécile, que le pape Pascal fit rebâtir, afin de la rendre
plus digne du dépôt qu'elle devait contenir. Cette église, de style byzantin, est fort remar-
quable par l'élégance et la richesse de la décoration de son portique. La crypte où repose
le corps de la sainte a son ouverture au bas des marches du chœur. 11 est renfermé dans
une châsse de cyprès, doublée d'une autre d'argent, de la valeur de quatre mille deux cent
quatre-vingt-douze cens d'or. Cette châsse est un don du pape Urbain VIII, qui fut miracu-
leusement guéri par l'intercession de la sainte martyre. On admire aussi sa belle statue en
marbre blanc, due au ciseau d'Étienne Maderne, la représentant couchée sur le côté, telle
qu'elle fut trouvée lorsque son tombeau fut ouvert par le cardinal Sfondrate. Cette statue, placée
au fond de l'abside, repose dans une niche oblongue. dont tous les abords sont incrustés
d'onyx, de lapis-lazuli et des marbres les plus rares Une riche balustrade à hauteur d'appui,
à laquelle sont suspendues quatre-vingt-dix lampes qui brûlent perpétuellement jour et nuit,
défend l'approche de ce lieu sacré dont l'enceinte est pavée d'albâtre oriental et d'autres
pierres précieuses. Le centre de cette élégante marqueterie présente une plaque de marbre
noir sur laquelle on lit en lettres d'or
PtuÈRE. avez consacré à Dieu la musique devenue chrétienne sous vos mains;
0 sainte Cécile, qui
ô sainte Agathe, ô sainte Lucie, vierges chères à l'Église romaine ô sainte Geneviève, libératrice de la
France, qu'une autre vierge a délivrée plus tard; ô milliers de vierges auxquelles se viennent joindre tous
les jours tant de nouvelles fiancées du Roi céleste; ô fleurs du paradis, ô vous à qui la virginité n'a sou-
vent pas suffi, et qui avez voulu unir aux lis de la candeur les roses pourprées du martyre; ô glorieux
exemplaires de nos filles et de nos sœurs, priez pour nous, priez pour nous!1
(Choix de Prières tirées des manuscrits des xm' et x<v' siècles, page 306.)
4. Nous avons pris pour guide, dans cette notice, l'Histoire de sainte Cécile, par le R. P. Dom Prosper Guéranger,
abbé de Solesmes.
9. Pope, Ode for music, on S. Cecilia's day.
SOUTERRAIN
DE
E
SAINTE AGNES
PLACE NAVONE
(A.D.304.)
I.
Parmi les martyrs de la foi qui donnèrent leur sang pour Jésus-Christ au iv" siècle, il
n'en est point de plus célèbre que sainte Agnès. « Tous les peuples, dit saint Jérôme se
réunissent pour célébrer dans leurs discours et dans leurs écrits les louanges de la jeune
vierge, qui sut triompher de la faiblesse de son âge comme de la cruauté des tyrans, et
qui couronna la gloire de la chasteté par celle du martyre.
La légende de sainte Agnès est fort remarquable par la naïveté et la grâce touchante
dont elle est imprégnée; comme elle ne s'écarte, dans ce qui est essentiel, ni du récit de
Prudence, ni de celui de saint AmbAise, nous la suivrons dans la courte notice que nous
allons donner de la vie et du martyre de la jeune vierge romaine.
Agnès naquit à Rome, de parents riches et craignant Dieu, qui prirent soin de l'élever
selon sa qualité et sa naissance, mais principalement de la former à la pratique du chris-
tianisme dont ils faisaient profession. Dès ses plus tendres années, Agnès conçut un très-
ardent amour pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, et elle fit de tels progrès dans la piété,
que la méditation des souffrances et de la mort du Sauveur était son aliment le plus ordi-
naire. Le démon essaya d'arrêter le cours de ces heureux progrès, et il espéra triompher
de sa vertu en se servant de la beauté de son corps pour perdre celle de son âme. Dans
fils du gouverneur romain, un
ce dessein il inspira à un jeune chevalier, nommé Procope,
violent amour pour Agnès. Comme elle revenait des écoles, Procope la vit, et il l'aima.
Pour la séduire, il lui promit des diamants, des perles et des richesses royales, si elle
consentait à l'épouser. Mais la jeune enfant, repoussant ses propositions, lui répondit d'un
ton ferme et plein de modestie chrétienne Retire-toi, tison d'enfer, aiguillon de péché,
pierre de scandale et appât de mort. Ne pense pas que je sois jamais infidèle à mon époux,
à qui je me suis tellement unie que mon âme ne vit que de son amour. Ne flatte pas
non plus ta pensée qu'il y ait quelque mérite en toi qui te puisse justement faire prétendre
à être son rival, car il possède des qualités qui le rendent incomparable et uniquement
digne d'amour il est noble, il est beau, il est sage, il est riche, il est bon, il est puis-
sant. Si tu veux savoir son origine, il reconnaît un Dieu pour son père, qui l'a produit
sans mère, et la mère qui l'a mis au monde n'a pas moins été vierge pour avoir eu ce
fils. Il est si beau que sa splendeur surpasse la clarté du soleil et de tous les astres, et
que les cieux mêmes sont ravis dans l'admiration de sa beauté, et disent, sans parler, qu'ils
ne sont que des ténèbres à son égard. Il est si sage et m'a tellement captivée de son
amour, que je ne puis penser à d'autre qu'à lui, et maintenant que je parle de son excel-
lence, je sens un si grand plaisir, qu'encore que je t'aie en horreur, je suis bien aise de
te voir pour te le pouvoir dire. II est si riche qu'il m'a donné un trésor qui vaut mieux
que tout l'empire romain, et que personne ne le sert qui ne soit comblé de richesses. Que
te dirai-je de sa bonté, qui n'a point de mesure? Pour la faire paraître avec plus d'éclat,
il m'a marquée de son sang. Il m'a donné sa foi et sa parole qu'il ne m'abandonnera jamais.
Il m'a prise pour son épouse, il m'a donné de belles robes et de beaux joyaux d'un prix
inestimable. Il est si puissant qu'il ne peut être vaincu par toutes les forces du ciel et de
la terre; les malades sont guéris par la seule odeur de sa personne, et les morts revien-
nent à la vie par l'éclat de sa voix. C'est pourquoi je suis toute à lui, et je l'aime mieux
que mon âme et que ma vie môme, et je serais très-aise de pouvoir mourir pour lui.
Quand je l'aime, je suis chaste; quand je m'approche de lui, je suis pure; et quand je
l'embrasse, je suis vierge. Cela étant ainsi, regarde si je le dois sacrifier à l'espérance de
quelque récompense, ou à la crainte de quelque peine. »
Procope, entendant ce discours, crut que la vierge Agnès était éprise d'amour pour
quelque autre grand seigneur, et que ce langage passionné s'adressait à celui qu'elle aimait,
L'insensé jeune homme en ressentit une telle jalousie qu'il en tomba malade. Son père, qui
était instruit de la cause de sa maladie, fit venir Agnès, et il s'eSbrça de lui persuader
d'épouser son fils « qui se mourait d'amour pour elle. » Agnès resta inébranlable dans sa
résolution, et elle répondit « qu'elle ne pouvait violer la foi qu'elle avait jurée à son pre-
mier époux. » Le proconsul lui demanda « quel était ce premier époux. » Agnès répondit
« que c'était le Christ. » Le proconsul, charmé d'avoir un prétexte de se venger du refus
qu'il
venait d'éprouver, somma Agnès de renoncer au Dieu des chrétiens « Choisis, lui dit-il,
ou sacrifie sur-le-champ à Vesta avec nos vierges, ou je te ferai jeter au lupanar au milieu
des courtisanes. » La sainte répondit « Il n'y a rien au monde qui puisse me faire quitter
l'époux que j'ai choisi; si je refuse le mariage de votre fils, que j'estime d'ailleurs beau-'
coup, je ne me laisserai pas abuser jusqu'au point d'adorer des statues insensibles qui
n'ont ni oreilles, ni langue, ni vie. Vous me menacez de me faire trainer dans un lieu infâme,
pour y exposer ma pureté; c'est ce que je ne crains pas; parce que j'ai un ange avec moi,
qui est l'un des serviteurs innombrables de mon époux par lequel je suis gardée, et qui
prendra ma défense d'une façon merveilleuse et mon Seigneur Jésus, que vous ne connaissez
pas, m'environne de toutes parts, comme un mur que l'on ne saurait forcer. »
Cette courageuse réponse mit le proconsul dans une telle fureur contre la jeune vierge
Agnès, qu'il la fit dépouiller et conduire toute nue au lupanar. Mais à peine avait-elle
quitté ses vêtements que ses cheveux poussèrent miraculeusement tout d'un jet, et cou-
vrirent sa nudité de l'épaisseur de leurs tresses, comme l'aurait fait une robe ou un man-
teau. Arrivée dans la caverne impure, Agnès y trouva l'ange de Jésus-Christ qui l'illumina
de son auréole, et lui donna une tunique blanche comme la neige. Transportée de recon-
naissance à la vue de ce prodige, elle se mit en prières et rendit grâces à Dieu de la
protection visible dont il la couvrait pour sa pureté.
Procope, qui était le principal motif de la cruauté exercée contre la jeune vierge, l'alla
trouver au lupanar, espérant pouvoir satisfaire sa passion coupable. L'insensé voulut approcher
d'Agnès, mais l'ange qui la gardait le frappa, et il tomba mort aux pieds de la vierge. A cette
nouvelle, le proconsul, désespéré, vint en pleurant au lupanar, et voyant le corps inanimé
de son fils, il demanda a Agnès comment il était mort. Agnès répondit « L'époux dont
il voulait souiller l'épouse l'a frappé et l'a tué. » Le proconsul lui dit « Si tu leres-
suscites, tu prouveras que ce n'est pas toi qui l'as tué avec tes sortilèges. Agnès s'étant
mise en prières, le jeune homme ressuscita, et il confessa Jésus-Christ.
Ce miracle, qui semblait devoir arracher Agnès à la persécution, ne fit qu'irriter les
prêtres des idoles, qui ameutèrent le peuple contre elle, en la faisant passer pour une
magicienne. Le proconsul voulait la délivrer, mais, redoutant la colère du peuple, il l'aban-
donna à un vice-proconsul nommé Aspasius, et il abandonna lâchement cette victime inno-
cente à la fureur des païens, semblable en cela A ces juges timides et craintifs qui, connaissant
l'innocence d'un accusé, n'osent l'absoudre comme ils y sont obligés, dans la crainte de
perdre la faveur des grands ou du peuple.
Aspasius fit jeter Agnès dans un bûcher ardent; mais les flammes, s'écartant, se sépa-
rèrent des deux côtés, et en s'éloignant d'Agnès, elles allèrent atteindre la foule qui entourait
son bûcher. Alors Aspasius ordonna à un licteur d'aller lui enfoncer son glaive dans la
gorge, et c'est de cette sorte que Jésus-Christ s'unit à son épouse par les noces sanglantes
du martyre.
Les chrétiens et les parents d'Agnès, témoins de ses miracles, ensevelirent son corps
et se réjouirent dans le Seigneur du triomphe de son épouse. Le huitième jour après sa
mort, ses parents étant venus pour veiller dans la grotte de son sépulcre, tout à coup,
dans le silence de la nuit, ils virent un chœur de vierges qui, revêtues de cyclades tissues
d'or, passaient au travers d'une grande lumière, et au milieu d'elles, la bienheureuse
vierge, parée aussi de cette cyclade éblouissante, et a sa droite un agneau plus blanc que
le lait. A ce spectacle, ils furent frappés de stupeur, ainsi que tous ceux qui les accompa-
gnaient. Agnès pria les vierges saintes de s'arrêter; et, debout devant ses parents, elle leur
dit « Vous voyez que vous ne devez pas mepleurer comme une morte; mais réjouissons-
nous ensemble, et félicitez-moi, parce que j'ai été reçue avec ces compagnes dans les
demeures lumineuses, et que je suis unie dans les deux à celui que j'ai aimé sur la terre
de toute ma puissance d'aimer. Et ayant dit ces choses, elle disparut. C'est en mémoire
de cette vision que tous les ans, à la fête d'Agnès, on bénit les petits agneaux.
Cette vision, semblable à plusieurs autres récits de la même époque, a ici un charme
particulier, parce qu'à la scène céleste qu'elle retrace correspond une scène terrestre, qui
semble être l'image de la première. L'empressement avec lequel les vierges du ciel se
réunissaient autour de l'âme de sainte Agnès se répéta bientôt après, parmi les vierges de
la terre, autour de son tombeau. En effet, dès que la paix fut rendue à l'Église, Constance
Auguste, la fille de Constantin, imitant le courageux exemple de sainte Agnès, se voua à la
virginité et fonda le premier monastère de vierges chrétiennes qui ait eu une existence
assurée. La noble fille de Constantin voulut qu'on l'enterrât près du tombeau de sainte Agnès.
Peu de temps après, deux autres filles du même empereur, Hélène, femme de Julien, et
Constantine, femme de Gallus, décédées, l'une à Vienne, dans les Gaules, l'autre au fond de
la Bithynie, vinrent de l'Occident et de l'Orient rejoindre leur soeur endormie à l'ombre de
la jeune sainte.
L'Église que Constantin a fait élever sur la grotte d'Agnès conserve encore son archi-
tecture primitive, et elle semble avec ses formes pleines de pureté, n'être que l'épa-
nouissement de la tombe virgh e exhaussée et agrandie~. Un autre trait de la vision
dont nous venons de parler semble s'être incorporé dans une cérémonie qui subsiste encore
aujourd'hui. Tous les ans, le jour de la fête de sainte Agnès, l'abbé de Saint-Pierre bénit
à la messe, dans l'église qui est dédiée à la sainte sur la place Navone, deux petits agneaux
parés de fleurs et de rubans. Après cette cérémonie, les deux agneaux sont portés au pape,
qui les bénit de nouveau; on les porte ensuite aux religieuses de Saint-Laurent-de-Panis-
perne, ou aux capucines, qui font, de la laine de ces agneaux, les palliums que le pape
envoie, après les avoir bénits, aux archevêques et aux évoques qui occupent des sièges pri-
vilégiés. Les palliums sont un symbole de douceur et de pureté.
IL
Le lupanar où sainte Agnès fut jetée, et qu'elle sanctifia par le triomphe de sa pureté, est
situé à Rome, place Navone, autrefois cirque d'Agonale ou Alexandrin (du nom d'Alexandre
Sévère qui le répara). C'est un souterrain composé de deux pièces voûtées en belles
pierres; chaque pièce mesure douze pieds de hauteur sur autant de largeur, et vingt pieds
de longueur. Ce lupanar se trouvait à fleur de terre dans l'ancienne Rome, mais les exhaus-
sements de terrain produits par le temps en ont fait un souterrain. On y descend par un
escalier situé dans l'église dédiée à sainte Agnès. Au détour de l'escalier on trouve devant
soi une table de marbre blanc, scellée dans le mur, et portant l'inscription suivante
Réflexions. 1° La modestie est le rempart de la chasteté. 2" Celui qui se tient ferme dans ce retran-
chement a droit de compter sur des miracles. 3° Mais il n'a fallu qu'un regard pour faire de David
n,n
PRIÈRE. Vase d'élection, vase d'honneur, fleur d'un incorruptible et céleste parfum, vous avez donné
au monde un modèle incomparable de pudeur et de vertu. Et maintenant vous voilà aux cieux, la palme
triomphale en main, couronnée de fleurs comme les autres vierges. Ah! nous ne sommes pas dignes de
votre gloire, et ne demandons qu'à aller au ciel, humblement confondus parmi tous les élus; obtenez-nous
cette grâce. Ainsi soit-il!l
ADAM DE SAINT-VICTOR,Prose Animemur ad agonem, xu* siècle.)
CHAMBRE
DE
E
I.
n.
Cet humble sanctuaire est éclairé par une lampe et par une fenêtre qui se trouve à
l'extrémité de la chambre opposée à la grille. An-dessous de la fenêtre, on remarque un
siège de marbre blanc ayant la forme antique d'un fauteuil; il est d'une seule pièce et
très-massif. C'était le siège de saint Grégoire. Enfin, près de l'église, on voit encore un
autre sanctuaire, appelé Triclinium pauperum, dans lequel le saint pontife donnait lui-même
à manger à douze pauvres. On aime à y revoir la table sur laquelle il les servait lui-
même. Les murs du triclinium sont ornés d'une jolie fresque représentant le miracle de
Nôtre-Seigneur, lorsqu'il vint s'asseoir un jour parmi les douze pauvres que le charitable
pontife servait.
Le corps de saint Grégoire a été transporté au Vatican. On y conserve son pallium,
sa ceinture et le reliquaire qu'il portait à son cou.
Saint Grégoire le Grand est regardé comme le premier réformateur de la liturgie
romaine. C'est lui qui a donné à cette vénérable et antique liturgie cette grandeur et cette
majesté dans le chant et dans les offices, qui nous impressionnent si profondément~. L'ordre
des solennités de l'Église romaine, fixé d'abord par saint Gélase, le fut en dernier lieu
par saint Grégoire. Pour accroître la majesté du culte, ce même pape fonda à Rome deux
écoles de chantres qui se sont maintenues jusqu'à nos jours.
<. « Je n'ai jamais entendu ce chant grave et pathétique entonné par les prêtres et répondu affectueusement par une
infinité de voix d'hommes, de femmes, de jeunes filles et d'enfants, sans que mes entrailles ne s'en soient émues, n'en
aient tressailli, et que les larmes ne m'en soient venues aux yeux. ') fDiderot, Essai sur la peMt<Mre.)
Réflexions. 1° Dieu veutêtre adoré en esprit, mais U veut aussi l'hommage de nos lèvres. 2° Les
cérémonies de la Religion, en fixant notre imagination, touchent notre cœur. 3° L'homme, ayant un corps
et une âme, doit à Dieu un culte intérieur et extérieur. ù" Les offices publics de l'Église ont toujours fait
les délices des saints. 5° Si nous y trouvons si peu de goût, n'est-ce pas une preuve de notre indifférence
pour la gloire de Dieu et l'édification de nos frères ?
DE
E
SAINT DOMINIQUE
A SAINTE-SABINE.
(A.D. U70-IM!.)
I.
SAINT DoMmiQUE naquit l'an 1170 à Calaroga, petit bourg du diocèse d'Osma, dans la
vieille Castille. Il était fils de Félix de Gusman et de Jeanne d'Asa. Dieu
se plut à
révéler au monde la gloire future de Dominique avant même qu'il fût né. Sa mère, le
portant encore dans son sein, fit une neuvaine de prières à saint Dominique de Silos,
pour obtenir une heureuse délivrance. Le septième jour de sa neuvaine, ce bienheureux
abbé lui apparut, avec son habit religieux, mais dans une splendeur toute céleste,
et il
l'assura que l'enfant qu'elle portait dans son sein serait, par sa sainteté et
sa science
la lumière du monde et la consolation de toute l'Église.
C'est sous ces heureux auspices que naquit Dominique. Sa mère lui donna
ce nom
au baptême, pour témoigner sa reconnaissance au saint abbé qui lui avait révélé la
grandeur future de son enfant. Dominique n'eut presque rien de l'enfance que la petitesse
et l'impuissance corporelles; il était modeste, retenu, humble et obéissant. A sept ans
commencés, il quitta la maison paternelle, et fut envoyé à Gumiel d'Isan, chez
un oncle
vénérable par sa piété, qui remplissait les fonctions d'archiprétre. Le jeune Dominique
assistait avec lui à tous les offices de l'église, et après avoir donné un temps convenable
à l'étude et à ses autres devoirs, il employait tout le reste à l'oraison, à des lectures
pieuses et à diverses œuvres de charité.
A l'âge de quatorze ans, il se rendit à l'Université de Palencia
pour y terminer ses
études. Le séjour qu'il y fit fut de dix années. Il consacra les six premières à l'étude des
lettres et de la philosophie, sans rien relâcher de ses exercices de piété. a Mais dit
un
historien de sa vie, l'angélique jeune homme, bien qu'il pénétrât facilement dans
les
sciences humaines, n'en était cependant pas ravi parce qu'il y cherchait vainement la
sagesse de Dieu, qui est le Christ. Nul des philosophes, en effet, ne l'a communiquée aux
hommes; nul des princes de ce monde ne l'a connue. C'est pourquoi, de peur de con-
sumer en d'inutiles travaux la fleur et la force de sa jeunesse, et pour éteindre la soif
qui le dévorait, il alla puiser aux sources profondes de la théologie. Invoquant et priant
le Christ, qui est la sagesse du Père, il ouvrit son cœur à la vraie science, ses oreilles
aux douceurs des saintes Écritures; et cette parole divine lui parut si douce, il la reçut
avec tant d'avidité et de si ardents désirs, que pendant quatre années qu'il l'étudia, il
passait les nuits presque sans sommeil, donnant à l'étude le temps du repos. Afin de boire
à ce fleuve de la sagesse avec une chasteté plus digne encore d'elle, il fut dix ans à
s'abstenir de vin. C'était une chose merveilleuse et aimable à voir, que cet homme en qui
le petit nombre de ses jours indiquait la jeunesse, mais qui, par la maturité de sa con-
versation et la force de ses mœurs, révélait le vieillard. Supérieur aux plaisirs de son
âge, il ne cherchait que la justice; attentif à ne rien perdre du temps, il préférait aux
courses sans but le sein de l'Église sa mère, et le repos sacré de ses tabernacles et toute
se vie s'écoulait entre une prière et un travail également assidus. Dieu le récompensa de
ce fervent amour avec lequel il gardait ses commandements, en lui inspirant un esprit de
sagesse et d'intelligence qui lui faisait résoudre sans peine les plus difficiles questions. »
A cet ardent amour pour l'étude de la théologie, Dominique joignait une tendre cha-
rité pour les pauvres. On le vit pendant une horrible famine qui désolait l'Espagne leur
donner tout ce qu'il possédait, même ses vêtements. Il vendit jusqu'à ses livres annotés de
sa main, pour en distribuer le prix aux pauvres; et comme on s'étonnait qu'il se privât ainsi
du moyen d'étudier, il prononça ces belles paroles, les premières de lui qui soient arrivées
à la postérité < Je ne veux pas étudier sur des peaux mortes, et laisser des hommes mourir
de faim. »
Le vénérable Diego, évéque d'Osma, instruit de la sainteté et du mérite de Domi-
nique, le nomma chanoine de sa cathédrale. « Revêtu de cette dignité, Dominique parut
entre ses frères, les chanoines, dit le bienheureux Jourdain de Saxe, comme un
flambeau qui brûle; le premier par la sainteté, le dernier de tous par l'humilité de son
cœur, répandant autour de lui une odeur de vie qui exhalait un parfum semblable à
l'encens dans les jours d'été. Ses frères, admirant une si belle religion, l'élurent
leur sous prieur, afin que, placé plus haut, ses exemples fussent plus visibles et plus
puissants. Pour lui, comme un olivier qui pousse des rejetons, comme un cyprès qui
grandit, il demeurait jour et nuit dans l'église, vaquant sans relâche à la prière, et se
montrant à peine hors du cloître, de peur d'ôter du loisir à sa contemplation. Dieu lui
avait donné une grâce de pleurer pour les pécheurs, pour les malheureux et les affligés.
portait leurs maux dans un sanctuaire intérieur de compassion, et cet amour doulou-
reux, lui pressant le cœur, s'échappait au dehors par des larmes. C'était sa coutume, rare-
ment interrompue, de passer la nuit en prières et de s'entretenir avec Dieu, sa porte
fermée. Quelquefois alors on entendait des voix et comme des rugissements sortir de ses
entrailles émues qu'il ne pouvait contenir. Il y avait une demande qu'il adressait souvent
spéctatement à Dieu, c'était de lui donner une vraie charité, un amour à qui rien ne
coûtât pour le salut des hommes, persuadé qu'il ne serait vraiment un membre du Christ
que lorsqu'il se consacrerait tout entier, selon ses forces, à gagner des âmes, à l'exemple
du Sauveur de tous, le Seigneur Jésus-Christ, qui s'est immolé sans réserve à notre
rédemption. Il lisait un livre qui a pour titre, Conférences des Pères, lequel traite à la fois
des vices et de la perfection spirituelle, et il s'efforçait, en le lisant, de connaître et de
suivre tous les sentiers du bien. Ce livre, avec le secours de la grâce, l'éleva à une diffi-
cile pureté de conscience, à une abondante lumière dans la contemplation, et à un degré
de perfection fort grand.
Les austérités de Dominique ne l'empêchaient pas de travailler à la conversion des
pécheurs. Son évéque lui ayant permis d'aller prêcher l'Évangile dans les diverses provinces
de l'Espagne, il s'appliqua à instruire les peuples des vérités chrétiennes, et à détruire
les erreurs que les mahométans et les hérétiques répandaient partout. Les fruits de ses
prédications furent très-abondants il confirma les catholiques dans la foi, confondit les
infidèles, et convertit une multitude de Maures hérétiques, parmi lesquels on compte le
fameux hérésiarque Reynier, qui embrassa depuis l'ordre des Frères prêcheurs. Enfin, il
s'acquit une telle réputation par sa sainteté et par les succès éclatants de son apos-
tolat, qu'on lui offrit un évéché suffragant de Compostelle. Dominique refusa cette pro-
position « Dieu ne l'avait pas envoyé, disait-il, pour être évéque, mais pour prêcher.
Non me ~Mt'< Dominus cpMCOjoare, sed proedicare. » II obtenait les conversions merveilleuses qu'il
opérait, principalement par la prédication du saint rosaire, dont il expliquait les mystères,
et recommandait la pratique à ses auditeurs.
Alphonse, roi de Castille, ayant nommé l'évéque d'Osma, dom Diego, son ambassadeur
en France pour y négocier le mariage du prince Ferdinand, son fils, avec la princesse
de Lusignan, ce prélat voulut que Dominique l'accompagnât dans ce voyage. Tous deux,
traversant Je Languedoc, y furent témoins des progrès effrayants de la secte des Albigeois ou
manichéens, et ils en conçurent une amère désolation. Arrivés à Toulouse, où ils ne devaient
s'arrêter qu'une nuit, Dominique s'aperçut que son hôte était hérétique. Quoique le temps
fût court, il ne voulut pas que son passage fût inutile à l'homme égaré qui le recevait.
II passa la nuit à l'entretenir, et l'éloquence imprévue du saint toucha tellement le cœur
de l'hérétique, qu'il revint à la loi avant que le jour fût levé. Une autre merveille s'ac-
complit & l'occasion de cette conversion Dominique, ému par le triste spectacle des
ravages de l'erreur, eut pour la première fois la pensée de créer un ordre consacré a la
défense de l'Église par la prédication 1.
Lorsque l'évéque d'Osma eut terminé l'affaire qu'il était chargé de traiter à la cour du
roi de France, il se rendit à Rome avec Dominique, et demanda au pape la permission
de retourner en France pour y travailler à la conversion des hérétiques. Le pape acquiesça
à sa demande et limita à deux ans le séjour de l'évoque en Languedoc, en lui permet-
tant d'y laisser Dominique et les autres missionnaires qui seraient nécessaires pour con-
tinuer son œuvre. Dom Diego et Dominique revinrent en France pour exécuter leur pieux
dessein. Déjà, pour comprimer l'erreur, Rome avait envoyé des légats et des mission-
1. In oscula sancta ruens, et sinceros amplexus, dixit Dominicus Tu es socius meus, tu curres pariter: stemus simul,
et nullus adversarius praevaiebit. Ex tune ergo facti sunt cor unum et anima una in Domino. (Act. ~M</MS<.)
2. Lacordaire, Vie de saint Dominique.
!L
On montre au couvent de Sainte-Sabine la chambre qui fut habitée par saint Domi-
nique pendant son séjour à Rome. Ce couvent, situé sur l'Aventin, avait été donné au
saint fondateur par le pape Honorius III. C'est à Sainte-Sabine que les Frères prêcheurs
revêtirent pour la première fois l'habit de leur ordre. Ce couvent est devenu depuis l'une
des maisons les plus illustres de l'Institut, et il a conservé avec un religieux respect le
souvenir du saint fondateur. On lit sur la façade les noms des saints religieux qui l'ont habité
saint Dominique, saint Raymond de Pennafort, saint Thomas d'Aquin, saint Hyacinthe, qui fut
la lumière de la Pologne, et saint Pie V. La chambre qui fut habitée par saint Dominique a été
conservée dans son état primitif; elle peut avoir dix pieds de longueur sur six de largeur.
Elle a été convertie depuis en chapelle et divisée en trois compartiments le premier compar-
timent sert de vestibule aux autres, le second a été décoré de marbres précieux dus à la
munificence de Charles IV, roi d'Espagne, qui, chassé de son trône par Napoléon P'\ s'était
réfugié à Rome. Au-dessus de l'entrée du troisième compartiment, on lit une inscription
qui rappelle aux pèlerins que saint Dominique et saint François y passèrent plusieurs fois
la nuit ensemble dans les doux épanchements d'une conversation toute céleste
Réflexions. 10 La vie mixte, qui est en partie active, en partie contemplative, est la plus excellente.
2° Ce fut celle de Jésus-Christ, des apôtres et de tous les saints qui ont travaillé au salut des âmes. 3" Un
prêtre qui laisserait éteindre en lui l'esprit de prière, serait une âme morte dans un corps vivant.
PRIÈRE [composée par le B. Jourdain, deuxième général d<- l'ordre des Frères prtcheurs). TrOS-Sâint prêtre de Dieu, COnfeSSCUr
vénérable, prêcheur éminent, bienheureux père, saint Dominique, choisi vierge par le Seigneur, vous qui
avez su entre tous plaire à Dieu et être aimé de lui pendant vos jours, vous qui vous êtes rendu glo-
rieux par votre vie, par votre doctrine et vos miracles, nous nous réjouissons de vous avoir pour avocat
favori auprès du Seigneur notre Dieu. Je vous en prie, ô père miséricordieux, soyez favorable à mon âme
pécheresse, privée de toute vertu et de toute grâce, et enveloppée d'une multitude de fautes et de la lèpre
des pécheurs.
Encore à la fleur de l'âge, vous avez consacré votre virginité à ce magnifique Époux des vierges. Vêtu
de la blancheur baptismale et paré des grâces du Saint-Esprit, vous avez voué votre âme au Roi des rois,
dans les sentiments de l'amour le plus pur. Depuis longtemps muni des armes de la règle, vous avez disposé
des degrés vers le ciel dans votre cœur. Croissant de vertus en vertus, vous vous êtes élevé du bien au
mieux. Vous avez présenté à Dieu votre corps comme une hostie vivante, sainte et agréable. Formé par une
loi divine, vous vous êtes tout entier consacré à Dieu. Ayant enfin abordé la vie de la perfection, après avoir
tout abandonné pour suivre, dépouillé de tout, Jésus-Christ pauvre lui-même, vous avez préféré amasser des
trésors dans les cieux plutôt que sur la terre. Vous reniant tout à fait vous-même et portant courageu-
sement votre croix, vous vous êtes appliqué à suivre les traces de notre Rédempteur et véritable guide. Par
zèle de Dieu consumé d'un feu divin, mû par votre excessive charité, dans la ferveur d'un esprit ardent et
par TTBUde pauvreté, vous vous êtes adonné tout entier à la religion apostolique et très-parfaite; et pour-
voyant à cette œuvre par un conseil d'en haut, vous avez institué l'ordre des Frères prêcheurs. Par vos
mérites glorieux et vos exemples, vous avez éclairé la sainte Église dans toute la terre. Ayant enfin quitté
la prison de la chair, ravi dans la cour suprême, vous êtes monté glorieux dans le ciel. Encore revêtu de
votre première robe d'innocence, vous vous êtes approché de Dieu, û notre puissant avocat. Je vous en sup-
plie donc, vous qui avez désiré avec tant de zèle le salut du genre humain, secourez-moi, secourez tous
mes chers frères, tout le clergé et le peuple, et le pieux sexe féminin. Vous êtes par-dessustous les saints,
et après la bienheureuse Reine des vierges, mon espérance et ma douce consolation. Vous êtes mon refuge
de prédilection. Prêtez-vous donc favorablement à mon aide. Je me réfugie vers vous seul vers vous seul
je m'approche hardiment, je me prosterne à vos pieds. Suppliant, je vous invoque comme mon patron, je
vous implore, je me recommande à vous avec dévotion. Daignez, je vous en conjure, me recevoir, me
garder, me protéger, me secourir avec bonté, afin qu'à l'aide de votre protection je sois digne d'acquérir
la grâce désirée de mon Dieu, de trouver miséricorde et d'obtenir pour mon salut les remèdes de la vie
présente et de la vie future.
Obtenez-moi cette grâce, ô Maître, obtenez-la-moi! Je vous en prie, chef illustre, père nourricier, bien-
heureux Dominique, qu'il en soit ainsi. Je vous demande instamment de me secourir, moi et tous ceux
qui vous invoquent. Soyez-nous véritablement Dominique, c'est-à-dire le gardien vigilant du troupeau du
Seigneur. Veillez toujours sur nous et gouvernez ceux qui vous sont confiés; réformez-nous, et corrigés,
réconciliez-nous avec Dieu. Après cet exil, offrez-nous avec joie au Seigneur béni et à notre Seigneur et
Sauveur Jésus-Christ, le Fils bien-aimé et très-haut de Dieu dont l'honneur, la gloire, la louange, la joie
inénarrable, la félicité perpétuelle avec la glorieuse Vierge Marie et toute la cour des habitants du Ciel,
subsistent sans fin dans les siècles éternels. Ainsi soit- il
CHAMBRE
DE
0
I.
FRANçots D'ASSISE, plus jeune de quelques années que saint Dominique, occupe avec lui
le premier rang parmi les héros de la sainteté que le moyen âge a légués à l'admiration
du monde. Il naquit en 1182 dans la ville d'Assise. Sa mère, Picca Moriconi, lui donna au
baptême le nom de l'apôtre saint Jean. Son père, Pierre Bernardone, issu d'une famille
noble et originaire de Florence, était marchand. Il donna au petit Jean le surnom de
François, par reconnaissance pour la France, où il avait fait sa fortune. C'est sous ce dernier
nom qu'il fut toujours connu dans la suite. Le jeune François entra d'abord, comme son
père, dans la carrière commerciale. Pierre Bernardone était un homme avare et d'un
caractère dur; son fils, au contraire, avait la noble passion de la ,pitié et de la bienfai-
sance, qu'il portait parfois jusqu'à la prodigalité. Tous ses profits étaient au service de ses
amis. Les idées chevaleresques, la vie aventureuse des armes avaient des attraits infinis
pour cette âme énergique et noble. François avait un caractère de véritable héros. Dieu,
qui avait ses desseins sur cette âme prédestinée, agit sur elle par sa grâce, et fit servir à
sa gloire cette riche et belle nature. François répondit à l'appel de Dieu et renonça aux
espérances du monde pour s'armer chevalier du Christ. Sa piété se manifesta tout d'abord
par une miséricordieuse sollicitude pour les pauvres.
François avait vingt-cinq ans lorsque, ayant brisé tous les liens de la chair et du sang,
dégagé de tous les liens qui l'avaient retenu dans le siècle, il alla chercher fort loin une
solitude, pour y pratiquer la pauvreté qu'il avait embrassée dans son cœur.
L'église de Notre-Dame-des-Anges, dite de la Por~oncM~e~ parce qu'elle était sur
une petite portion de terre qui appartenait aux Bénédictins, était abandonnée et presque
entièrement ruinée. L'amour tendre et la dévotion extraordinaire qu'avait François pour
la très-sainte Vierge lui inspirèrent le désir de la rétablir. 11 le fit par son travail
et par la quête. C'est dans cette église, située à six cents pas d'Assise, que le saint reçut
de si grandes faveurs du ciel, et elle fut depuis comme le berceau de son ordre. Un jour
l'Évangile où Jésus-Christ dit à ses disciples
y entendant la messe, il ouït lire cet endroit de
« N'ayez ni or,
ni argent, ni aucune monnaie; n'emportez même pour le voyage ni sac, ni
deux habits, ni souliers, ni bâton. » François, éclairé tout à coup d'une lumière surnatu-
relle et le cœur embrasé d'un nouveau désir de la plus haute perfection, connut que c'était
là ce que Dieu demandait de lui, et prit ce conseil pour sa règle. Il ôte ses souliers, jette son
bâton, renonce pour toujours à l'or et à l'argent, et ne gardant que sa tunique, il se ceint
d'une corde. Pratiquant ainsi à la lettre ce qu'il y avait de plus parfait, il se sentit pressé
d'aller prêcher la pénitence à ses concitoyens. Comme Jésus-Christ, son maître et son
modèle, il annonça les douceurs de la paix, le martyre de l'amour divin, les longues et
durables prospérités de la fraternité chrétienne. Il montrait à tous dans le ciel un seul
père des hommes, qui est Dieu; et, comme son patron saint Jean, il s'en allait répétant
partout ces admirables paroles ~M chers petits CH/hn~ cn'mez-t'oM~ les uns les autres. C'était la
prédication de la charité, de l'amour entre les peuples, de la concorde entre les puissances.
de l'amour entre tous; divine éloquence qui, tombant des lèvres de saint François, lui
conquit une famille plus nombreuse que les étoiles du (ici. François ne tarda pas à voir
une multitude de disciples qui voulurent partager sa pauvreté et son apostolat. Il en fit sa
famille et les associa à ses travaux.
Dès ce moment, 1208, l'ordre des Frères mineurs fut fondé. Cette innombrable famille
franciscaine, qui a renouvelé la face de l'Église et du monde, est née de l'union intime de
François avec la pauvreté. Dieu a béni ce saint mariage; il a dit aux deux époux: « Allez,
croissez et multipliez et cette parole féconde a reçu un merveilleux accroissement.
François puisait dans la prière et dans la pratique de la pénitence le courage de l'apôtre
et la sagesse du législateur. Un jour, après un long ravissement extatique, il rassembla ses
frères et leur dit « Prenez courage et réjouissez-vous dans le Seigneur. Dieu m'a montré
clairement que, par sa bénédiction, il répandra dans toutes les parties du monde cette famille
dont il est le père. J'ai vu une grande multitude venant à nous pour prendre le même
habit et la même vie; les Français viennent, les Espagnols se précipitent, les Anglais et les
Allemands courent, toutes les nations s'ébranlent, et voilà que le bruit de ceux qui vont et
qui viennent pour exécuter les ordres de la sainte obéissance, retentit encore à mes oreilles.
Allez donc annoncer la pénitence pour la rémission des péchés et la paix; vous trouverez des
hommes fidèles, doux et pleins de charité, qui recevront avec joie vous et vos paroles;
d'autres, infidèles, orgueilleux et impies, qui vous blâmeront et se déclareront contre vous.
Supportez tout avec une humble résignation; soyez patients dans la tribulation, fervents dans
la prière, courageux dans le travail, et le royaume de Dieu, qui est éternel, sera votre
récompense. H Cela dit, François traça au milieu du chemin le signe de la croix, indiquant
de la sorte à ses frères la direction qu'ils devaient suivre pour prêcher l'Évangile dans les
quatre parties du monde puis il embrassa les nouveaux chevaliers du Christ et de la
pauvreté. Le saint fondateur se rendit ensuite à Rome pour obtenir du saint-siége la confir-
mation de l'ordre qu'il venait de fonder. Le pape Innocent III repoussa d'abord sa demande;
mais la nuit suivante, ayant vu François qu'il avait mal reçu, soutenant de ses épaules
l'église de Latran qui semblait menacer ruine, il s'empressa, dès son réveil, de faire cher-
cher le serviteur de Dieu; il approuva aussitôt sa règle de vive voix, et l'établit ministre
général de son ordre après l'avoir ordonné diacre. On ne put jamais le décider à se faire
ordonner prêtre.
Tandis que les enfants de François se multipliaient sous la bénédiction du ciel et de
l'Église, Dieu inspirait à une humble fille, nommée Claire, la résolution de se placer sous
la direction du saint patriarche elle y fit des progrès si rapides dans la voie de la per-
fection, qu'ayant renoncé à tous ses biens, elle fonda un des plus saints et des plus
illustres ordres religieux de filles. François leur donna des règles conformes à son institut,
et elles furent appelées, d'abord les pauvres dames, et depuis les religieuses de sainte Claire
ou les Clarisses.
Un grand nombre de personnes mariées, touchées par les discours et les exemples de
François et de Claire, songèrent à se retirer dans le cloître; mais le saint patriarche leur
observa que l'on pouvait se sanctifier dans tous les états, et que l'état de mariage n'était
pas incompatible avec une vie chrétienne et pénitente. Il leur traça un genre de vie con-
forme à leur condition et qui fut la troisième règle de son ordre. Il donna le nom de
frères ou ~RM~ de la pénitence à ceux ou à celles qui entrèrent dans cette société, qui fut
appelée depuis le tiers ordre de saint François.
Au bout de quelques années, les Tierçaires n'étaient plus une simple association res-
treinte, mais l'association la plus vaste, qui unit le plus de cœurs et d'âmes dans l'Église
de Jésus Christ. Riche d'une admirable variété de secours surnaturels, et approprié, par
le fait même de sa constitution, à toutes les exigences des professions légitimes, le tiers
ordre a fait resplendir les brillants rayons de la plus éclatante sainteté sur toutes les condi-
tions et sur tous les degrés de la hiérarchie sociale; les existences même les plus agitées,
après s'y être engagées, se sont couronnées d'une perfection de vertus qui semblait ne devoir
éclore et se développer que dans le silence et à l'ombre du cloître.
A son retour au couvent de Notre-Dame-des-Anges,François tint'un chapitre général de
tout son ordre. Après la dissolution de cette célèbre assemblée, qui réunit plus de cinq
mille religieux, il partit pour la Syrie avec quelques-uns de ses frères. Arrivé à Damiette,
il se présenta au sultan, et lui déclara avec un courage héroïque que Dieu l'envoyait pour
lui démontrer la fausseté de la loi de Mahomet, et lui apprendre la voie du salut dans la
seule loi chrétienne. Une déclaration aussi hardie devait lui mériter la couronne du martyre;
mais Dieu le réservait à un martyre d'amour. Le sultan, charmé par ses entretiens, le
renvoya avec de grands honneurs.
François revint en Italie, et se retira sur le mont Alverne, près d'Assise. Comme il lui
tardait de se décharger des fonctions du généralat, il se démit en faveur de l'un de ses
religieux, Pierre de Catane. Le reste de sa vie se passa dans l'exercice de la prière et de
la plus austère pénitence. Sur la fin du Carême, il reçut du ciel une insigne faveur, dont
l'Église a consacré la mémoire par une fête. Écoutons saint François de Sales <- Le grand
serviteur de Dieu, homme tout séraphique, voyant la vive image de son Sauveur crucifié
effigiée en un Séraphin lumineux, qui lui apparut sur le mont Alverne, l'attendrit plus
qu'on ne sauroit imaginer, saisi d'une consolation et d'une compassion souveraines; car.
regardant ce beau miroir d'amour que les Anges ne se peuvent jamais assouvir de regarder,
hélas! il pasmoit de douceur et de contentement! Mais, voyant aussi, d'autre part, la vive
représentation des playes et blessures de son Sauveur crucifié, il sentit dans son âme le
glaive impétueux qui transperça la sacrée poitrine de la Vierge mère, au jour de la passion,
avec autant de douleur intérieure que s'il eust été crucifié avec son cher Sauveur.
« Cette âme doncques, ainsi amollie, attendrie, et presque toute fondue en cette amou-
reuse douleur, se trouva, par ce moyen, extrêmement disposée à recevoir les impressions
et marques de l'amour et douleur de son souverain Amant; car la mémoire étoit toute
destrempée en la souvenance de ce divin Amant; l'imagination, appliquée fortement à se
représenter les blessures et meurtrissures que les yeux regardoient si parfaictement bien
imprimées en l'image présente; l'entendement recevoit les espèces infiniment vives que
l'imagination lui fournissoit; et enfin, l'amour employoit toutes les forces de la volonté
pour le complaire et conformer à la passion du Bien-Aimé, dont l'âme sans doute se trou-
voit toute transformée en un second crucifix. Or, l'âme, comme forme et maîtresse du
corps, usant de son pouvoir sur iceluy, imprima les douleurs des playes dont elle étoit
blessée ès endroits correspondants à ceux esquels son Amant les avoit endurées. L'amour
est admirable pour aiguiser l'imagination, afin qu'elle pénètre jusques à l'extérieur.
L'amour donc fit passer les tourments intérieurs de ce grand amant sainct François jusques
à l'extérieur, et tel que le corps d'un même dard de douleur duquel il avoit blessé le
cœur. Mais de faire les ouvertures en la chair, par dehors, l'amour qui estoit dedans ne
le pouvoit pas bonnement faire; c'est pourquoi l'ardent Séraphin, venant au secours, darda
des rayons d'une clarté si pénétrante, qu'elle fist réellement les playes extérieures du
crucifix en la chair, que l'amour avoit imprimées intérieurement en l'ame.
« 0 vrai Dieu, Théotime que de douleurs amoureuses et que d'amours doulou-
reuses car non-seulement alors, mais tout le reste de la vie, le pauvre saint alla toujours
traînant et languissant comme bien malade d'amour. »
Saint François ne vécut plus, depuis ce martyre d'amour, que par une espèce de
miracle. Sentant que sa fin approchait, il se fit transporter au couvent de Notre-Dame-
des-Anges. Il voulait rendre son âme à Dieu dans le lieu même où il avait reçu l'esprit de
la grâce. Quand il fut dans la plaine, il pria les Pères qui le portaient, de le tourner vers
la ville d'Assise, et, se soulevant sur sa couche, il prononça ces solennelles paroles
« Soyez bénie du Seigneur, ville fidèle à Dieu, parce que beaucoup d'âmes seront sauvées
en vous et par vous. Un grand nombre de serviteurs du Très-Haut demeureront dans
l'enceinte de vos murailles, et plusieurs de vos citoyens seront choisis pour la vie éter-
nelle. » Et il pleurait amèrement. Arrivé à Sainte-Marie-des-Anges, il demanda qu'on lui
ôtât sa tunique, afin de mourir dans le dénûment de toutes choses, comme Jésus-Christ,
son divin modèle. On le satisfit; mais, en même temps, le gardien, ayant pris une pauvre
tunique et une corde, les lui présenta, lui disant « Je vous prête cet habit comme à un
pauvre prenez-le par obéissance. » Le saint obéit. Comme il était entouré de tous ses
frères, qui éclataient en sanglots 'et fondaient en larmes, il les exhorta à conserver l'amour
de Dieu, qui était l'âme de leur institut,, à observer la règle avec une extrême ponctualité,
et à ne se départir en rien de cette rigoureuse et parfaite pauvreté, qui était leur caractère
distinctif. Puis étendant sur eux ses bras placés l'un sur l'autre en forme de croix, il pria
le Seigneur de bénir tous ses chers enfants et de leur tenir lieu de père. Il se fit lire
ensuite la passion de Notre-Seigneur, et récita lui-même d'une voix mourante le psaume 141,
puis il rendit sa belle âme à Dieu, le samedi 4 octobre 1226. Il avait quarante-cinq ans.
Il fut canonisé l'année suivante, le 16 juillet 1227, par le pape Grégoire IX.
II.
Le pèlerin visite avec un pieux respect, au couvent des Frères mineurs de San-Francesco a
Ripa, sur l'emplacement jardins de César, la chambre que saint François d'Assise habita
des
de son vivant. Cette chambre mesure quatre mètres de longueur sur trois de largeur,
et elle n'est éclairée que par une fenêtre qui donne dans l'intérieur d'une sacristie.
En entrant par la porte actuelle, on voit à gauche, dans la muraille, une porte très-
ancienne, assez étroite, et de bois très-commun, qui sert aujourd'hui à fermer un petit
placard. Cette porte était celle de l'escalier par lequel passait saint François pour monter
dans sa chambre. Un peu plus loin, toujours à gauche, on voit les traces d'une porte
murée. Le mur est complétement dans son état primitif. C'est là que se trouvait l'escalier,
si étroit, qu'à peine un homme eût pu y passer, et si bas, que saint François lui-même
n'y montait qu'en rampant sur les pieds et les mains. Son humilité s'était toujours opposée
à ce qu'on y fit le moindre changement pour sa commodité personnelle.
Un rideau placé derrière l'autel cache le véritable portrait de saint François d'Assise.
On le croit contemporain du saint. Ce portrait est entouré des plus précieuses reliques, et
rien n'est plus curieux que la manière ingénieuse dont sont disposés les nombreux reli-
quaires qui couvrent tout le retable de l'autel.
Ce retable est en bois très-simple, formant des colonnes et des panneaux. Toutes ces
colonnes tournent sur elles-mêmes ainsi que les panneaux, au moyen d'un engrenage inventé
par un religieux du couvent et caché derrière une boiserie, à droite de l'autel.
On évalue le nombre de ces reliques à vingt mille environ.
Les plus remarquables sont des morceaux de la vraie croix, du suaire de Notre-
Seigneur, des vêtements de la sainte Vierge, un doigt de sainte Hélène, du sang de saint
Victor, un morceau du bâton de saint Joseph, des vêtements de sainte Catherine de Bologne,
des vêtements de saint François d'Assise. Il serait presque impossible de nommer toutes les
reliques que renferme ce sanctuaire.
On remarque sous l'autel un grand coffre doré où le pape et le cardinal vicaire ont
seuls le droit de prendre des reliques.
Au-dessus de l'autel, un ange sculpté en bois et suspendu au plafond porte une légende
où sont écrits ces mots ln plenitudine sanctorum detentio ~ea.
En regardant le mur de droite, on voit derrière une forte grille de fer, une grosse
pierre que les religieux ont toujours conservée avee respect c'est elle qui servait d'oreiller
à saint François d'Assise. A côté et un peu au-dessus, à droite, était la petite lucarne.
actuellement murée, qui donnait du jour dans cette cellule.
Le plafond en bois, que le temps a noirci, est le même que du temps de saint François.
Cette chambre fut transformée en chapelle par le cardinal de Montalto.
Le cardinal Pallavicini établit le retable du maitre-autel.
Les cloîtres du couvent représentent, dans des fresques nombreuses et fort remarquables,
les papes, les cardinaux, les hommes illustres, les saints et les martyrs de l'ordre. Ces
cloîtres offrent ainsi aux religieux une galerie de famille dont la vue a fait germer plus
d'une vertu et encouragé plus d'un sacrifice.
III.
« Toute mon âme est si enflammée d'amour, si unie à lui, si transformée en lui, qu'elle se consume
d'amour.
« Ni le feu ni le fer ne l'en sépareraient; la division ne peut entrer dans une telle union; la souffrance
et la mort ne peuvent atteindre à la hauteur où elle est ravie; toutes les choses créées sont bien loin au-
dessous d'elle, et elle est établie au-dessus de tout. 0 mon âme! comment es-tu arrivée à posséder de tels
biens! C'est du Christ qu'ils te viennent; embrasse-le donc avec délices.
« Je n'ai plus d'yeux pour voir la créature; toute mon âme
crie vers le Créateur; ni le ciel ni la terre n'ont
rien qui me soit doux tout s'efface devant l'amour du Christ. La lumière du soleil me parait obscure quand je
vois cette face resplendissante; les chérubins et leur science, les séraphins et leur amour ne font rien pour qui
voit le Seigneur.
« Que personne ne me fasse
de reproches si un tel amour me rend insensé. Il n'y a point de cœur qui
ne se défende, qui puisse fuir les chaînes de l'amour. Comment le cœur ne se consumerait-il point dans une
telle fournaise? Oh! si je pouvais trouver une âme qui me comprit, qui eût pitié de mes angoisses!
« Le ciel et la terre me crient, toutes choses me crient que je dois aimer. Chacun me dit Aime de tout
ton cœur celui qui t'aime et te désire si ardemment, qu'il nous a tous faits pour t'attirer à lui.
« Je voudrais aimer plus si je pouvais plus; mais mon cœur ne peut trouver davantage. Je ne puis donner
plus que moi-même; je me suis donné tout entier pour posséder cet amant qui fait de moi un homme
nouveau depuis que je t'ai trouvée, ô beauté ancienne et toujours nouvelle! ô lumière immense dont l'éclat
est doux
« A la vue de tant de bonté, je suis entraîné hors de moi sans savoir où; mon cœur s'amollit comme la
cire, et on y trouve l'empreinte du Christ. Jamais on ne vit une telle métamorphose mon cœur transformé se
dépouille de lui-même pour se revêtir du Christ.
« Mon âme, doucement enchaînée, se précipite dans les embrassementsdu Bien-Aimé; plus elle contemple
sa beauté, plus elle est hors d'elle-même riche du Christ, elle met tout en lui, et n'a plus aucun souvenir
d'elle-même.
« Transformée en lui, elle est presque
le Christ lui-même! Unie à Dieu, elle devient presque divine; ses
richesses sont au-dessus de toute grandeur; tout ce qui est au Christ est 'à elle; elle est reine. Puis-je encore
être triste en demandant la guérison de mes fautes? Il n'y a plus en moi de sentine où se trouve le péché; le vieil
homme est mort et dépouillé de toutes ses souillures.
« Une nouvelle créature est née dans le
Christ je suis dépouillé du vieil homme et devenu un homme
nouveau; mais l'amour est si ardent que mon cœur est fendu comme par un glaive, et que les flammes le
consument. Je me jette dans les bras du Christ, et je lui crie 0 amour! fais-moi mourir d'amour!
« Je languis et brûle pour vous; je soupire après vos
embrassements;quand vous vous retirez, je me meurs;
je gémis et pleure pour vous retrouver, et mon cœur se consume en efforts pour se transformer en vous. Ne
tardez donc plus, venez à mon aide, tenez-moi attaché à vous.
« Voyez ma peine, û mon amour! je ne puis résister à de
tels feux; l'amour m'a pris, et je ne sais où je
suis; je marche comme un homme égaré dans sa route; souvent la défaillance me prend; je ne sais comment
supporter un tel tourment.
Vous m'avez dérobé mon âme je ne puis voir ce que je dois faire; ceux qui me voient demandent si un
amour qui n'agit plus plaît au Christ; mais s'il ne vous plaît pas, que puis-je faire? L'amour qui me domine
m'ôte l'action, la volonté; je ne puis plus ni sentir ni agir.
« Je savais parler, mais je suis devenu muet; je voyais, et me voilà aveugle; jamais il n'y eut plus mysté-
rieux abîme. Je parle en me taisant; je fuis et je suis enchaîne; je tombe et je monte; je tiens et je suis tenu;
je suis à la fois dedans et dehors; je poursuis et je suis poursuivi. 0 amour sans mesure pourquoi me rends-tu
fou et me fais-tu mourir dans une ardente fournaise? ')
Réflexions. 1° Les monastères sont la sauvegarde de l'innocence et l'asile de la pénitence. 2" Le monde
n'en veut point, parce qu'ils condamnent sa lâcheté et le convainquent de folie. 3" La vraie piété doit en
désirer l'établissement de tout son pouvoir.
CE
E
SAINTE BRIGITTE
PLACE FARNÈSE.
(A.D.ISM-tS-M.)
SAINTE BRIGITTE naquit vers l'an 1302, à l'extrémité de la Suède, dans le domaine de
Finstadt, non loin d'Upsal, qui était alors la capitale de tout le royaume. Sa famille, qui
était des plus illustres, descendait des anciens rois du pays; la piété y était héréditaire
comme la noblesse. Dès l'Age de sept ans, Brigitte pratiqua la vertu avec une perfection
admirable. Elle grandissait sous l'œil de Dieu comme un lis très-pur qui s'élevait de la
terre au ciel. Elle conservait la pureté de son corps et de son âme comme le plus précieux
trésor qu'elle pût posséder. On admirait en elle un heureux assemblage de toutes les vertus
la sobriété avec la modestie, la simplicité avec la retenue, l'humilité avec l'obéissance, la
beauté dans la conscience, la joie dans la patience avec une charité infatigable.
A l'âge de dix ans, ayant ouï prêcher sur la Passion de Notre-Seigneur, elle vit, la
nuit suivante, cet aimable Sauveur dans le même état qu'il était sur la croix et qui lui
dit: Regarde, ma fille, de quelle manière j'ai été traité. » « Qui est-ce, mon Dieu,
s'écria-t-elle, qui vous a fait toutes ces plaies?" « Ce sont ceux qui méprisent mes
commandements, repartit Jésus-Christ, et qui ne se mettent pas en peine de correspondre
à la tendresse de mon amour. » Cette vision si touchante fit une telle impression sur la
jeune enfant, qu'elle ne pouvait plus penser au mystère de la Passion sans verser des larmes.
Elle aurait bien désiré conserver perpétuellement sa virginité, mais son père la maria a Ulphon,
prince de Néricie, en Suède. Les deux époux, également pieux, firent de leur maison une
sorte de monastère où ils se livraient aux pratiques de la pénitence. Ils eurent huit enfants,
dont deux se croisèrent plus tard et moururent dans la Palestine. Une de leurs fUIes, Cathe-
rine, se fit religieuse, et elle est honorée comme sainte le 22 mars. Brigitte employa tous ses
soins a élever ses enfants dans la crainte de Dieu et a graver dans leur cœur les maximes
de la religion chrétienne. Un jour, ayant su que son fils avait manqué de jeûner la veille
de la Saint-Jean-Baptiste, elle en fut extrêmement affligée et en pleura amèrement; ce qui
fut si agréable au divin précurseur, qu'il lui apparut et l'assura qu'en sa considération il
serait le protecteur de ce méme fils. Lorsqu'elle eut assez d'enfants pour le soutien de sa
famille, elle persuada à son mari de garder la continence le reste de leur vie. On croit
que ce prince, à la suite d'une maladie dont il fut guéri par les prières de son épouse,
embrassa la vie religieuse. il mourut en odeur de sainteté dans le monastère d'Alvastre,
de l'ordre de Cîteaux; sa mémoire est marquée, dans le Martyrologe de l'Ordre, au 26 juillet.
Après la mort de son mari, Brigitte renonça au rang de princesse pour se consacrer
avec plus de liberté a la pénitence. Elle partagea les biens de son époux à ses enfants avec
la plus strictejustice, et ne songea plus qu'à sa perfection. Les austérités qu'elle pratiquait
son) incroyables; elle les redoublait encore les vendredis, ne vivant ces jours-là que d'un
peu de pain et d'eau. Ce genre de vie ayant provoqué les sarcasmes et la critique de cer-
laines personnes, Brigitte n'en tint aucun compte et se contenta de répondre « Je n'ai
pas commencé pour vous, et toutes vos railleries ne me feront point changer de résolu-
tion vous me ferez plaisir de ne me point inquiéter, mais de prier Dieu qu'il me donne
la grâce de persévérer dans cet état. » Comme les louanges des hommes ne la touchaient
point, de même leur mépris ne faisait aucune impression sur son cœur. Elle fut d'ailleurs
confirmée dans son pieux dessein par une vision où Notre-Seigneur, lui apparaissant au
milieu d'une nuée toute lumineuse, lui dit: Je suis votre Maître et votre Dieu, et je veux
converser familièrement avec vous; vous serez mon épouse, et je me servirai de vous
comme d'un canat pour faire connaître aux hommes des secrets qu'ils ignorent; et ce que
je vous dirai contribuera au salut de plusieurs. Écoutez donc ma voix, et rendez un compte
fidèle a votre confesseur des mystères que je vous manifesterai. Ce fut là le commen-
cement des révélations de Brigitte; depuis ce temps, elle n'entreprit plus rien que par un
mouvement exprès du Saint-Esprit. Elle avait alors pour confesseur un célèbre docteur en
théologie, nommé Mathias, qui était chanoine de la cathédrale de Linkœping.
Cette sévérité envers elle-même n'empêchait point Brigitte de témoigner une douceur
merveilleuse pour son prochain. Elle avait surtout une extrême compassion pour les pau-
vres elle en nourrissait douze chaque jour, les servant elle-même à table et leur fournis-
sant tout ce qui leur était nécessaire le jeudi elle leur lavait les pieds.
Les abondantes lumières qu'elle recevait d'en haut ne faisaient que la rendre plus humble
devant Dieu et devant les hommes. Elle les soumettait au jugement de son confesseur et
des personnes éclairées, de crainte de quelque illusion. Son obéissance envers ceux qui
avaient quelque autorité sur elle était parfaite; il est marqué dans la bulle de sa canonisa-
tion qu'elle n'osait presque pas lever les yeux sans l'autorisation de son directeur. Brigitte fit
bâtir le monastère de Wastène, au diocèse de Linkœping en Suède, et y plaça soixante reli-
gieuses. Elle leur adjoignit ensuite treize prêtres en l'honneur des douze apôtres et de saint
Paul, quatre diacres pour représenter les quatre docteurs de l'Église, et huit frères convers;
mais elle leur donna un logement séparé du monastère des religieuses. Elle donna aux hommes
et aux femmes la règle de saint Augustin, à laquelle elle ajouta quelques constitutions parti-
culières. Le but de cet ordre nouveau était d'honorer la passion du Sauveur et la sainte
Vierge. Les hommes étaient soumis à la prieure des religieuses pour le temporel, comme dans
l'ordre de Fontevrault; mais les religieuses étaient sous la conduite des religieux quant au
spirituel. La raison de ce règlement était fondée sur ce que, l'ordre ayant été spécialement
institué pour les femmes, les hommes n'y étaient admis que pour leur procurer des secours
spirituels. L'habitation des hommes était séparée par une clôture inviolable; l'église leur était
commune. Le chœur des religieuses était au-dessous de celui des religieux, de telle sorte
qu'ils ne pouvaient pas se voir. On trouve encore aujourd'hui en Allemagne et à Dantzig
quelques monastères brigittins ainsi constitués.
Ce fut là le commencement de l'ordre que l'on a depuis appelé de Sainte-Brigitte ou de
.S<MH<M~Mr. Les constitutions de cet ordre ont été approuvées par le siège apostolique.
Lorsque Brigitte eut demeuré environ deux ans dans le monastère de Wastène, Notre-Sei-
gneur lui apparut et lui commanda d'aller A Rome, afin qu'elle pût participer aux grâces
abondantes que tant de saints martyrs ont méritées par l'effusion de leur sang en faveur
de ceux qui visitent cette ville.
A l'époque du voyage de Brigitte à Rome, les séditions et les émeutes se succédaient
dans les États pontificaux. Urbain V regrettait déjà la tranquillité de son séjour a Avignon.
Les cardinaux profitèrent avec empressement de ces dispositions et supplièrent le pape de
retourner en France. Après quelques hésitations, le pontife crut enfin devoir se rendre a
leur désir. Cette nouvelle pénétra de douleur les vrais fidèles, qui voyaient ainsi recom-
mencer l'exil de la papauté. Quand le départ du pape eut été annoncé, Brigitte eut une
nouvelle vision dans laquelle Dieu lui révéla l'avenir et lui ordonna d'en informer Urbain V.
La sainte s'acquitta de sa mission; elle prédit au pape que, s'il retournait en France, une
mort certaine l'attendait. Soit qu'Urbain refusât de croire à l'authenticité de cette prophétie,
soit qu'il eût l'intention d'en décliner la menace en revenant plus tard en Italie, sa résolution
n'en fut pas ébranlée. Le 2& septembre i370, il fit son entrée à Avignon. Mais la terrible
menace de Brigitte ne tarda pas à s'accomplir. Dans la plénitude de sa force, de son acti-
vité, et lorsqu'il promettait un long règne, Urbain fut saisi tout à coup d'une maladie
inconnue, dont les rapides progrès firent pressentir sa fin prochaine. On dit qu'alors un
vif regret d'avoir ramené le saint-siége en France s'empara de son âme, et qu'il exprima
le vœu de retourner à Rome si la santé lui était rendue; mais ni Rome ni l'Italie ne
devaient le revoir. II mourut le 19 décembre '!370, après huit ans de pontificat.
Brigitte se fit admirer à Rome par l'éclat de ses vertus; eUe y vivait dans la retraite
qu'elle n'interrompait que pour se livrer aux bonnes œuvres; elle visitait les églises et
allait servir les malades dans les hôpitaux, donnant ses soins préferablement à ceux qui
inspiraient !e plus de répugnance. Elle fonda à Rome une maison pour les étudiants et les
pèlerins suédois. Cette maison fut rebâtie depuis, sous le pontificat de Léon X; elle est située
dans le Campo di Fiore, près du palais Farnèse.
Ainsi s'écoulait cette vie si pieuse et si privilégiée du ciel, lorsque Brigitte résolut de
s'embarquer pour la Palestine, afin de visiter les saints lieux. Catherine, sa fille,.l'accompagna
dans son pèlerinage. Elles visitèrent ensemble Jérusalem, Nazareth et Bethléem. Brigitte arrosa
de ses larmes les lieux qui avaient été sanctifiés par la présence du Sauveur. Ce fut
pendant ce pieux pèlerinage que Dieu favorisa sa servante de nombreuses et importantes
révélations sur la situation de plusieurs royaumes, comme la désolation de celui de Chypre,
et la ruine entière de l'empire des Grecs, à cause de leur schisme. Nott'e-Seigneur daigna
aussi lui révéler diverses particularités de sa Passion et de sa mort. Le long et pénible
voyage de Jérusalem épuisa les forces de Brigitte; elle fut attaquée avant son départ de la
Terre sainte d'une fièvre et d'une débilité d'estomac qui lui causèrent des douleurs très-
aiguës pendant une journée entière. Comme elle sentait approcher sa fin, elle se hâta de
partir pour Rome, où elle désirait mourir. Elle se retira chez les religieuses de Sainte-
Claire, qui habitaient le monastère de Saint-Laurent /~?.</)ern~ sur le Viminal. Notre-
Seigneur lui apparut dans sa dernière maladie et lui donna l'assurance de son bonheur
éternel. Brigitte rendit paisiblement son âme à Dieu le 23 juillet, l'an du salut 1373. Son
corps fut d'abord déposé dans l'église du monastère, puis transporté, par sa fille, en Suède,
au monastère de Wastène, suivant ses dernières volontés.
D'après l'ordre qu'elle en avait reçu, sainte Brigitte a écrit ses Révélations en langue
vulgaire. Le docteur Mathias et le prieur Pierre les ont traduites en latin et partagées en
huit livres, avec des préfaces et quelques explications. Les Révélations de sainte Brigitte ont trait
surtout à la Passion de Notre-Seigneur et à la sainte Vierge. L'immaculée conception de la
sainte Mère de Dieu et sa glorieuse assomption en corps et en âme y sont formellement
exprimées.
Une église fut construite, au xiv~ siècle, près de la place Farnèse, sur l'emplacement de
la maison habitée par sainte Brigitte pendant son séjour à Rome. Cette église est dédiée à la
sainte, et se trouve enclavée dans les bâtiments qu'elle avait fait bâtir pour servir d'asile aux
étudiants et aux pèlerins suédois. Ce sanctuaire fut restauré, en 1513, d'après une inscription
dont parle Fanucci*. Olaüs le Grand, le célèbre évéque d'Upsal, l'occupa sous le ponti-
ficat de Paul III. Après sa mort, Jules III en donna la jouissance aux religieuses dites
CoM~<!<c. Le cardinal Jean-François Alboni (plus tard pape sous le nom de Clément XI)
en fit construire la façade, la fit agrandir et orner de peintures. La fondation qui y était
annexée fut donnée aux pères de l'ordre du Très-Saint Sauveur. II paraît que ce fut à cette
époque que Biaggio Puccini, artiste fort distingué et considéré par Lanzi comme un pra-
ticien très-habile, couvrit le plafond et les murs de l'église de fresques assez remarquables.
Au-dessus du maître-autel se trouve un portrait de la sainte, fort apprécié comme modèle
antique. Quant à la Vierge et à l'enfant Jésus qui sont au-dessus de l'autel latéral, c'est
une copie d'un tableau d'Annibal Carrache. L'autre autel latéral est surmonté d'un cadre
ne renfermant qu'un bois noirci par le temps. Une inscription italienne porte que ce bois
est la table sur laquelle sainte Brigitte écrivit ses révélations. Au fond du chœur, dans le
haut, sont deux fenêtres ovales dont l'une donne sur un corridor, et l'autre sur une des
chambres de la sainte.
La porte de la première de ces chambres est surmontée d'un haut-relief en pierre
représentant la tête de sainte Brigitte entre deux têtes d'anges. Cette chambre ne présente
par elle-même rien de remarquable; mais elle est placée entre deux cellules qui offrent beau-
coup plus d'intérêt. Celle de gauche est transformée en chapelle; c'est là que la sainte est
morte. Cette chambre a la forme d'un carré allongé, ayant à peu près quatre mètres de lon-
PRIÈRE. Sainte Brigitte, mère des pauvres, très-fervente amie de Dieu, très-noble par votre naissance,
plus noble encore par votre foi, dont la piété fut si vive, qui passiez vos nuits dans la prière et la contem-
plation, qui avez été souvent consolée par des visions célestes, aimable à Dieu, aimable aux hommes, priez
pour nous. Sainte Brigitte, parfait exemplaire de chasteté, d'obéissance et de pauvreté, modèle des épouses et
des veuves, type admirable d'humilité et de pénitence, dont la douceur était ineffable, et qui aviez tant
d'amour pour la croix du Sauveur, priez pour nous. Sainte Brigitte, qui ne cessiez de vous livrer aux œuvres
de miséricorde, qui donniez tous vos biens aux pauvres, priez pour nous. Sainte Brigitte, qui à l'instant de
votre mort avez mérité d'être visitée par le Sauveur, dont la vie et la mort ont été illustrées par tant de pro-
diges, qui jouissez au ciel de l'éternelle béatitude, et venez en aide avec une grande miséricorde à ceux qui
vous implorent sur la terre, voici que nous vous implorons, priez pour nous.
(Traduction libre des Litanies de sainte Brigitte.)
CHAMBRE
UE
A VIA DI SANTA-CHIARA.
(A.D.t347-t380.)
SAINTE CATHERINE naquit à Sienne de parents pauvres, bien qu'ils fussent alliés aux
illustres familles de Benincasa et de Borghèse, qui ont depuis donné des papes et des princes
à l'Église. Catherine ressentit dès son bas âge cette tendre piété qui est comme le signe
distinctif des âmes prédestinées. A huit ans elle fit vœu de virginité perpétuelle, priant la
très-sainte Vierge de la vouloir présenter pour épouse à son fils. A la suite de ce vœu,
elle se sentit pressée de se faire religieuse, et quand elle voyait des religieux, particulière-
ment de l'ordre de Saint-Dominique, elle allait baiser dévotement la trace de leurs pas.
A dix ans, Catherine cherchait déjà à vaincre le sommeil, afin de consacrer toutes les
heures de sa vie à la méditation et à la prière. De toutes les occupations manuelles aux-
quelles son père voulut la former, elle ne put jamais s'assujettir qu'à une seule le soin
des malades, de ceux surtout dont les infirmités effrayaient le zèle et refroidissaient la
charité. Ses parents, qui ne connaissaient rien de ses projets, songèrent à la marier
<
quand elle en eut l'âge; mais Catherine s'y refusa et se coupa elle-même les cheveux pour
montrer qu'elle n'aurait jamais de commerce avec les hommes. A dix-huit ans, elle prit
l'habit du tiers ordre de Saint-Dominique dans un couvent qui était attenant à l'église des
dominicains. Son plus grand plaisir était de rester enfermée dans sa cellule et de vaquer
à la prière. Ses mortincations n'eurent plus de bornes elle garda pendant trois ans un
silence qu'elle n'interrompait que pour parler à Dieu ou à son directeur. Notre-Seigneur
s'étant un jour montré à Catherine pendant qu'elle était en prière, lui fit cette révélation
« Sais-tu bien, ma fille qui tu es et qui je suis? Si tu sais ces deux choses, tu seras
bienheureuse. Tu es qui n'est pas, je suis qui suis si tu as cette connaissance dans ton
cœur, jamais l'ennemi ne pourra le tromper, et tu éviteras tous les piéges; tu ne consen-
tiras jamais à aucune chose contre mes commandements, et tu obtiendras sans peine toute
grâce, toute vérité et toute gloire. »
Le biographe de sainte Catherine de Sienne, qui fut en même temps un de ses direc-
teurs spirituels, admire avec raison le sens profond de cette prière, à la fois simple et
sublime. En effet, elle renferme en deux mots ce qu'il y a de plus élevé dans Platon, qui
définit Dieu ce qui est, et la créature ce qui n'est pas; idée qui semble empruntée de l'Écri-
ture sainte où Dieu se définit lui-même Ce/w' qui est, et où David dit à Dieu Voilà que
ma substance est devant vous comme Mn rien. Ce sublime résumé de la sagesse divine et
humaine, devenu l'oraison familière d'une jeune fille de teinturier, nous paraît à elle seule
une preuve évidente d'une illumination surnaturelle et céleste.
II semble qu'une existence comme celle de Catherine, existence cachée au monde,
étrangère aux habitudes et à l'éducation qu'on y reçoit, devait demeurer oubliée dans la
solitude; mais à cette époque du moyen âge, les princes et les peuples avaient foi dans la
puissance de la vertu et de la prière. Une pauvre religieuse était souvent aussi puissante
par la renommée de ses bonnes œuvres, qu'un conquérant par le bruit de ses succès. C'est
ce qui nous explique pourquoi les Florentins, voulant négocier leur réconciliation avec
Grégoire XI dont ils avaient méconnu l'autorité, s'adressèrent à Catherine. Celle-ci partit
pour Avignon, vêtue de l'habit du tiers ordre de Saint-Dominique; elle calma l'irritation du
pontife, obtint le pardon qu'elle était chargée de demander; puis elle insista auprès de
Grégoire pour qu'il revint à Rome, afin de ne pas laisser les sanctuaires des apôtres aban-
donnés et les villes d'Italie sans protecteur et sans guide. Le pape céda aux remontrances
de Catherine malgré les nombreuses difficultés qui s'opposaient à son retour, malgré surtout
l'opposition du roi de France. Il quitta Avignon au mois de septembre 1376, et arriva à
Ostie trois mois après.
Depuis cette époque jusqu'à sa mort, Catherine de Sienne ne cessa d'être mêlée à tous
les grands événements de la chrétienté.
La peste ayant fait sentir ses ravages en Italie, la sainte se dévoua généreusement au ser-
vice de ceux qui en étaient attaqués. Elle obtint de Dieu la guérison de plusieurs, entre
autres de deux dominicains remplis de vertus c'étaient les pères Raymond de Capoue, son
biographe, et Barthélemy de Sienne. Sainte Catherine insistait principalement sur la nécessité
d'apaiser la colère de Dieu par de dignes fruits de pénitence. Ses discours étaient si per-
suasifs que les plus grands pécheurs ne pouvaient y résister. On accourait de toutes parts
w
pour l'entendre et même pour la voir. Ceux qui avaient eu ce bonheur s'en retournaient
glorifiant Dieu et bien résolus de mener à l'avenir une vie plus chrétienne.
Quelque temps après, la sainte fit un voyage à Monte-Pulisano pour consacrer à Dieu
deux de ses nièces, qui devaient prendre le voile de Saint-Dominique; elle se rendit aussi
à Pise, où elle était attendue avec impatience, mais elle ne se détermina à entreprendre
ce voyage que quand ses supérieurs le lui eurent ordonné. Étant arrivée dans cette ville, elle
y rendit la santé à un grand nombre de malades, et y procura la conversion de beaucoup
de pécheurs.
Le fait suivant montre assez quelle était, pour cette œuvre de miséricorde, la grâce
particulière de notre sainte. Le pape Grégoire XI chargea le Père Raymond, de Capoue, avec
deux autres dominicains, d'entendre la confession de ceux que Catherine aurait engagés a
changer de vie. Ces religieux étaient au tribunal de la pénitence nuit et jour; ils pouvaient
à peine suffire à entendre tant ceux qui ne s'étaient jamais confessés que ceux qui t'avaient
fait sans les dispositions nécessaires.
Nous avons vu que, l'an 1376, les Florentins envoyèrent sainte Catherine de Sienne à
Avignon, pour faire leur soumission et leur paix avec le pape, s'engageant à ratifier toutes
]es conditions auxquelles elle jugerait à propos de conclure. Le pape, de son côté, remit
toute l'affaire entre tes mains de Catherine, lui recommandant seulement l'honneur de FÉgUse.
Mais les Florentins, c'est-à-dire ceux qui dominaient dans la ville, n'avaient rien moins
que des intentions pacifiques; ils entretenaient toujours des intrigues secrètes pour détacher
1 Italie de l'obéissance de Grégoire XI. Leurs ambassadeurs arrivèrent fort tard à Avignon,
et l'insolence avec laquelle ils parlèrent fit assez voir que la paix n'était pas le sujet de
leur voyage. L'accommodement ne put donc avoir lieu.
Le pape envoya Catherine Florence, persuadé qu'il était qu'elle apaiserait les révoltés.
La sainte trouva la ville livrée à l'anarchie; elle ne voyait que meurtres et confiscations.
Plus d'une fois sa vie fut menacée; mais elle se montra intrépide, même en présence des
épées que l'on tira contre elle. Elle réussit enfin, par son courage et sa persévérance, à
calmer l'effervescence populaire et à faire accepter la paix aux Florentins. Sa mission rem-
plie, elle dit à ses enfants spirituels « Maintenant, nous pouvons nous en aller, attendu
que, par la grâce de Jésus-Christ, j'ai exécuté ses ordres et ceux de son vicaire. »
Ce qui distinguait surtout le caractère de la dévotion de Catherine de Sienne, c'était
une confiance illimitée dans la protection de Dieu. Urbain VI. successeur de Grégoire XI,
lui ayant confié, elle et à sainte Catherine de Suède, le soin d'une négociation avec la cour
de Naples, Catherine de Suède s'effraya à la pensée de deux jeunes filles voyageant seules
dans les hôtelleries et sur les routes mais Catherine de Sienne ne craignait rien. « Si sainte
Agnès et sainte Marguerite, disait-elle, avaient ainsi calculé, elles n'auraient jamais gagné
la couronne du martyre. ')
Catherine revint à Rome, où l'avait appelée le pape Urbain VI afin de se servir de son
influence pour l'extinction du schisme d'Occident. Elle devait y finir ses jours. Sentant que
sa dernière heure approchait, elle demanda les sacrements de l'Église, qu'elle reçut avec une
grande ferveur; puis, ayant appelé ses filles et ses compagnes qui l'avaient suivie à Rome,
elle leur adressa une dernière exhortation, leur recommandant l'abnégation de soi-même,
l'application à l'oraison, la promptitude dans l'obéissance, la confiance en Dieu, la charité
mutuelle, et surtout un grand dévouement pour le vicaire de Jésus-Christ. Elle consacra
ensuite le peu de temps et de forces qui lui restaient à prier et à s'entretenir avec son divin
Époux; après quoi elle lui rendit son âme, le 29 avril 1380, à l'âge de trente-trois ans.
La mort de Catherine fut un deuil pour l'Église, et surtout pour le pape Urbain VI dont
elle était la conseillère. Elle avait été mêlée à tous les grands événements de la chrétienté.
D'un esprit élevé, pénétrant, elle s'était formée à la connaissance des hommes bien plus par
l'oraison que par l'expérience de la vie. Instruite à l'école de Jésus-Christ, Catherine passa
de l'atelier de son père à la cour des princes, du calme de la retraite au milieu du bruit des
factions; et partout elle fut à sa place, parce qu'elle avait puisé dans la solitude une fermeté
et une tendre charité que les passions du monde ne pouvaient vaincre on auaibtir.
Catherine fut enterrée dans t'égtise des dominicains de Sainte-Marie-de-ta-Minerve. on
l'on garde encore son corps sous l'autel de la chapelle du Saint-Sacrement. Son crâne et les
instruments de sa pénitence furent transportés chez tes dominicains de Sienne, dans l'église
même où elle allait prier et on le Sauveur daigna tant de fois se manifester à son humble
servante. Plusieurs sanctuaires s'élevèrent dans la suite sous son invocation. Le plus ancien se
trouvait près de !a Minerve, mais il fut abandonné au xvt' siècle pour l'église et le menas-'
tère, de Sainte-Catherine, situés sur le mont ~a~aMo~t, près de la place Trajane t. A la même
époque, un certain nombre de Siennois ayant formé une confrérie, dédièrent a sainte Cathe-
rine une ancienne église de Saint-Nicolas, qui se trouvait dans la ~rot~a Giulia. Cette confré-
rie distribuait des dots a de pauvres jeunes filles de Sienne.
On conserve aussi à Rome la chambre où vécut et mourut sainte Catherine. Cette
chambre, qui est représentée dans la gravure ci-jointe, fait partie d'une maison de modeste
apparence située dans la ria ~M~-C/i~ra (rue Sainte-Ctaire). Ce sanctuaire vénérable se
trouve à l'extrémité d'une petite cour. On voit au-dessus de la porte d'entrée une peinture
représentant l'Annonciation de la très-sainte Vierge Marie. C'est tout ce qui la distingue
au dehors.
Une première pièce, servant de vestibule a cette chambre transformée en chapelle,
porte sur tes parois de ses murs des inscriptions qui rappellent tes époques où différents
papes enrichirent ce petit sanctuaire de leurs dons. Un autel, orné de marbres précieux,
occupe la place du lit de la sainte. Les murs sont également revêtus de marbre et de pein-
tures à fresques dont nous allons expliquer les sujets principaux.
A droite et a gauche, sur tes murs latéraux, sont adossés des tombeaux de très-beau
marbre, enrichis d'ornements de bronze doré, et qui renferment tes corps des saints mar-
tyrs Héraclius et Exupérantius.
Au-dessus du tombeau de droite, un ange de marbre blanc déploie une légende qui porte
cette inscription
Ces quelques mots rappellent une visite que fit la bienheureuse Lucie à sainte Catherine
son amie, et l'hospitalité qu'elle reçut de la sainte qui la fit coucher dans sa chambre même.
Les peintures à fresques qui ornent tes murs représentent différentes scènes de la vie
de la sainte.
Le premier sujet à gauche, en entrant, représente le mariage de Catherine avec Notre-
Seigneur. Depuis longtemps, la sainte fille demandait à Notre-Seigneur d'affermir sa foi et de
t'agréer pour sa très-humble servante. Le divin Maître avait daigné lui répondre « Cathe-
rine, je t'épouserai dans la foi. » Or. un jour, aux approches du Carême, tandis que ta
On donnait le nom de Magnanapoli (Balnea Pauli CwttVtt) à cette partie de l'Esquilie qui avoisine la place Trajane. ( Rome
c/frc<!eMH~par M. Eugène de La Gournerie/t. Il, p. 47.)
famille de Catherine était à se réjouir dans les festins et tes fêtes, celle-<i s étant retirée
dans sa cellule pour y jouir plus intimement de la présence et de l'amour de son Dieu,
le Sauveur lui apparut et lui dit « Voici que moi, ton Sauveur, je t'épouserai dans la foi.
Tu la conserveras toujours pure jusqu'aux noces éternelles que nous célébrerons dans le
ciel. Tu triompheras par là de tous tes ennemis. »
Le second sujet que ton remarque à gauche, près de Faute!, représente Catherine pré-
sentant à un pauvre une croix d'argent.
Un jour qu'elle allait à l'église des frères prêcheurs de Sienne, un pauvre vint lui
demander l'aumône. Comme elle se trouvait sans argent, elle pria ce pauvre de l'accompa-
gner jusque chez elle. Celui-ci refusa et dit « Si vous avez quelque chose à me donner,
donnez-le-moi de suite, car je ne puis attendre. » Catherine, craignant de l'affliger, chercha
dans ses vêtements quelque chose qu'elle pût donner, et apercevant une croix d'argent
qu'elle portait attachée à un chapelet, elle la détacha et la donna ce
pauvre. La nuit
suivante, Notre-Seigneur lui montra cette même croix enrichie de pierreries, en lui disant
qu'il la lui rendrait devant tous au jour du jugement.
Le premier sujet qui se présente sur le mur qui se trouve derrière l'autel. nous
montre Notre-Seigneur Jésus-Christ prenant le cœur de sainte Catherine.
Un jour que la servante de Dieu était plongée dans une fervente oraison et suppliait le
Seigneur de lui retirer son cœur et sa volonté, il lui sembla en effet qu'elle se sentait ouvrir
la poitrine et arracher le cœur. Elle éprouvait une joie céleste et il lui semblait, quand elle
eut fini sa prière, qu'elle n'avait plus de cœur.
Le dernier sujet à droite, près de la porte, représente sainte Catherine recevant les
stigmates de la Passion de Notre-Seigneur.
Le plafond de la chambre de la sainte, qui est en bois, a été noirci par le temps. Il a
été conservé dans son état primitif. Les parois seules ont été changées celles qu'on y
voyait du temps de sainte Catherine furent transportées à l'église Sainte-Marie-de-la-Minerve
par le cardinal Antoine Barberini, qui en fit une chapelle particulière. Cette chapelle se
trouve derrière la sacristie de l'église; elle est ornée d'anciennes peintures du Pérugin.
Réflexions. 1" Les maux de FÉgHse doivent intéresser tons ses membres. 2" Si tous les chrétiens ne
peuvent pas la défendre par les armes de la parole tous peuvent prier pour elle. 3" Souvent la prière
d'une âme inconnue est plus efficace que tous les efforts du zèle le plus actif.
PmÈRE. Grâces vous soient rendues, ô Père éternel. de ce que vous ne m'avez point dédaignée, moi
votre créature, ni rejeté mes désirs. Malgré mes défauts innombrables, votre sagesse ne m'a point méprisée,
non plus que votre bonté et votre clémence. Au contraire, dans votre lumière vous m'avez donné la lumière;
dans votre sagesse j'ai connu la vérité; dans votre clémence j'ai trouvé l'amour de vous et du prochain.
Qui vous y a obligé? non mes vertus, mais votre charité seule. Puisse ce même amour vous incliner à
éclairer FœH de mon intelligence de la lumière de la foi, afin que je connaisse et comprenne votre vérité.
qui m'a été manifestée. Donnez-moi que ma mémoire soit capable de retenir vos bienfaits, que ma volonté
s'embrase du feu de votre charité. Je vous demande cordialement la même chose pour toute créature rai-
sonnable, en général et en particulier, et pour le corps mystique de la sainte Église.
(A.D.]3R4-i440.)
ROME fut témoin, au commencement du xv" siècle, d'un de ces exemples de vertus
modestes auxquelles la célébrité semble s'attacher d'autant plus volontiers qu'elles cherchent
davantage le silence et l'oubli. Françoise de Bucci ou de Buxi appartenait A une des riches et
puissantes familles de l'aristocratie romaine. Elle naquit en 1384, de Paul de Buxis et de
Giacobella Rofredeschi. Le luxe dont Françoise fut environnée dès sa naissance, le brillant
avenir qui s'ouvrait devant elle, ne purent altérer la simplicité de son cœur. A onze ans
elle résolut de s'enfermer dans un cloître; mais ses parents, qui avaient autrement ordonné
de sa vie, trouvant pour elle une noble alliance dans la personne de Lorenzo Ponzani,
la marièrent sans tenir compte du désir qu'elle avait de garder la virginité. Françoise se
soumit à l'ordre de ses parents avec cette douceur obéissante qui était un des traits de son
caractère, et dans la nouvelle position que Dieu lui avait faite, elle sut, par sa tendresse et
ses attentions prévenantes, par cette sérénité constamment égale des âmes pures, se concilier
l'amour de tous ceux qui l'entouraient. Elle n'avait de pensées que pour Dieu, les pauvres
et sa famille; elle n'estimait ses richesses que parce qu'elles lui. donnaient les moyens d'assister
l'indigence; elle défendait aux personnes de sa maison de renvoyer aucun pauvre sans lui
faire l'aumône. Non contente d'assister ceux qui se présentaient chez elle, elle faisait por-
ter des secours aux malades qui ne pouvaient les venir chercher eux-mêmes. Dieu témoigna
par plusieurs miracles combien les libéralités de sa servante lui étaient agréables. Le mari
de Françoise voyant se multiplier miraculeusement dans sa maison les provisions de vin et
de blé à mesure qu'elle les épuisait, n'apportait aucune entrave à ces pieuses libéralités.
Françoise se prodiguait avec un égal dévouement au service des malades. Dans les temps
d'épidémie, elle les recueillait chez elle en aussi grand nombre que sa maison pouvait en
contenir, et pansait elle-même leurs ulcères. Ou la voyait visiter les l)ôpitaux el les plus
obscures chaumières, portant partout les trésors de sa charité et de sa foi.
C'était dans le cercle de ces grands et sublimes dévouements que se concentraient toutes
les jouissances de Françoise; elle fuyait ces fêtes bruyantes et ces amusements frivoles qui
étourdissent l'âme sans la distraire, et qui laissent le cœur vide. Mais, quelque goût qu'elle
eût pour la prière et pour ces différentes ceuvres de la charité, elle ne négligeait point les
devoirs de la famille. Ses mortifications étaient extraordinaires et toujours subordonnées à la
volonté de son mari, qui, de son côté, était rempli de prévenances pour elle. Le bannissement
de ce cher époux, la confiscation de ses biens par Ladislas de tapies, qui s'était emparé de
Rome, mirent la patience de Françoise à de rudes épreuves. Elle les supporta, non sans
douleur, mais avec un invincible courage et une admirable résignation « Je me réjouis de
tous ces malheurs, disait-elle, parce qu'ils sont une suite de la volonté du (jet. Quoique
chose que Dieu m'envoie, je louerai et bénirai toujours son saint nom.
Françoise s'était attiré l'affection et la confiance de plusieurs nobles dames qui fréquen-
taient comme elle l'église Sainte-Marie-ta-Neuve. Un jour, c'était en 1~25, leur parlant avec
une ferveur extraordinaire, elle leur exposa combien ce serait une chose agréable à Dieu si
toutes, d'un consentement unanime, se consacraient à la sainte Vierge, et sous sa protection
maternelle formaient uue association de piété dans cette même église, comme il y en avait
d'autres ailleurs, telles que celles du Rosaire ou du Scapulaire. Cette peusée plut singuliè-
rement à toutes ces dames, qui la regardèrent comme inspirée du ciel et digne d'être mise
à exécution sans délai. Le jour de l'Assomption, elles firent solennellement l'oblation de leurs
personnes à la sainte Vierge, d'où leur vint le nom d'Oblates.
Ce n'était là qu'un germe qui, avec le temps, devait produire quelque chose de plus
parfait. La congrégation des Oblates ne fut définitivement fondée que huit ans plus tard (H33).
Les pieuses dames qui en faisaient partie, les unes filles, les autres veuves, se réunirent
dans une maison appelée la Tour-des-Miroirs (Tor-dei-Specchi). Elles ne s'engagèrent par
aucun vœu ni par aucune obligation qui fussent en dehors des exigences de la vie séculière;
mais elles se réunirent pour se former ensemble à des habitudes plus sévères et à de
plus hautes vertus. Elles s exerçaient en commun à la pratique des bonnes œuvres, avec
cette intelligence de la charité qui a des consolations pour toutes les douleurs et des
secours pour toutes les infortunes. Françoise, leur mère et leur fondatrice, les dirigeait
par ses conseils, quoiqu'elle ne pût partager avec elles les avantages de la vie commune.
Son mari, qui vivait encore et qui souffrait beaucoup de ses infirmités, réclamait sa con-
tinuelle assistance. Après sa mort, Françoise mit ordre à ses affaires et se réunit à ses
chères filles. Elle alla se prosterner à la porte du couvent, nu-pieds, les bras en croix.
suppliant les sœurs, au milieu des larmes et des sanglots, de l'admettre dans leur société
comme une mendiante et une pécheresse qui, après avoir donné au monde la fleur de sa
jeunesse, venait offrir à Dieu les restes d'une vieillesse épuisée. Ce spectacle inattendu émut
jusqu'aux larmes toutes les religieuses, qui la relevèrent avec empressement et l'introdui-
sirent dans la maison avec une sainte joie. Elle prit l'habit et fit son oblation le jour de
Saint-Benoît, 21 mars 1~36. La direction de la maison était alors confiée à sœur Agnès de
Lellis; mais toutes les religieuses supplièrent Françoise de vouloir bien être leur supé-
rieure, comme elle était leur mère et leur fondatrice. Elle résista longtemps, étant venue.
disait-elle, « non pour être servie, mais pour servir les autres, comme la dernière de toutes."»
Elle consentit enfin à céder leurs instances; mais comme ses fréquentes visions et extases
pouvaient être un obstacle au parfait accomplissement de ses devoirs, elle prit pour assistante
la sœur Agnès de Lellis. La vie de Françoise était une règle vivante de perfection chaque
soir elle se prosternait devant toutes ses sœurs, et, les mains jointes, leur demandait hum-
blement pardon de toutes les fautes qu'elle avait pu commettre. On la vit s'assujettir aux
offices les plus humbles et traverser même quelquefois les rues de Rome conduisant un âne
qui portait les provisions du couvent. Cette abnégation et cette humilité élevèrent tellement
Françoise au-dessus de la vie sensible, que Dieu se plut à la combler de grâces exception-
nelles outre ses fréquentes extases et le don de prophétie qu'elle avait reçu, elle opéra
un grand nombre de miracles qui furent juridiquement attestés par des témoins oculaires.
Une révélation lui fit connaître, sept jours d'avance. le moment de sa mort. Elle expira
le 9 mars iMO, dans la cinquante-sixième année de son âge.
Son corps fut aussitôt transporté dans l'église des Olivétains de Sainte-Marie-Keuve,
qui était comme le chef-lieu de sa congrégation. C'est dans cette église que se trouve son
tombeau, chef-d'œuvre du Bernin. qui y a prodigué les pierres précieuses. On lit sur l'urne
funéraire l'inscription suivante
Sainte Françoise Romaine n'a été canonisée qu'en 1608, mais depuis longtemps son culte
avait été autorisé à Rome. L'église de Sainte-Marie-Neuve, où elle est enterrée, a été placée
sous son invocation, et sa fête y est toujours célébrée avec empressement et avec pompe.
Parmi les lieux auxquels se trouve attaché le souvenir de cette sainte veuve, nous cite-
rons, outre cette église, l'ancienne basilique de Sainte-Marie <fc;?M 7~ertm~ où pendant plu-
sieurs années elle allait recevoir les conseils du pieux ecclésiastique qui avait sa 'confiance;
l'oratoire de Sainte-Marie-et-Saint-Jacques t'?! capella, qui était voisin de sa demeure, et près
duquel elle fonda un petit hôpital où elle allait elle-même soigner les malades; enfin le
monastère Tor-de-Specchi (Tour-des-Miroirs), où elle passa les dernières années de sa vie.
La réhabilitation de la femme par le christianisme s'est principalement manifestée par les
saints dévouements de la charité avec laquelle elle s'associe, pour les adoucir, A toutes les
souffrances de l'humanité. Dès les premiers siècles de l'ère chrétienne, on a remarqué que
le nombre des femmes a toujours surpassé notablement celui des hommes dans toutes les
œuvres de miséricorde et-de dévouement. Il semble que la postérité de la nouvelle Ève ait
recueilli une plus grande abondance de compassion avec les larmes des saintes femmes qui
accompagnèrent le Rédempteur au Calvaire. Les hommes n'ont hérité que des larmes uniques
de saint Jeun. La première association de charité fut fondée par des femmes. Le catholicisme
a produit depuis, avec une incomparable fécondité, des congrégations religieuses de femmes
dévouées au soulagement de toutes tes misères. Ces innombrables armées de la charité qui
disent à la pauvreté « Vous êtes notre fille bien-aimée, et à toutes tes souffrances « Vous
êtes notre sœur, ont popularisé non-seulement l'assistance, mais le respect, l'amour et Je
culte du pauvre. Sur tous tes calvaires de l'humanité, au pied de toutes tes croix sur
lesquelles tes malheureux de ce monde sont cloués par la souffrance, par le crime, ou
par le malheur de leur naissance, it y a là une femme qui s'appelle la soeur ou la dame
de charité, touchant par tous tes points à nos misères sociales pour tes soulager, aux
besoins du peuple, a ses vieillards, à la jeune fille pour la préserver contre la contagion
du vice, a ses petits enfants qu'elle recueille dans ses crèches, à ses blessures, à son dés-
espoir, à sa faim; elle tes assiste par le travail qu'elle leur procure, par tes vêtements
dont elle tes couvre, par tes écoles et tes asiles qu'elle construit, et enfin par cette parole
de femme, la plus douce que le cœur du malheureux puisse entendre, car la femme a sur
tes tèvres un miel que n'ont pas tes nôtres, et dans le cœur des trésors de tendresse que
nous ne possédons pas au même degré. Comme elle sait mieux aimer que t'homme, elle
sait mieux aussi compatir.
He/!e.cMMM. 1" Être riche et ne pas abuser de ses richesses, c'est un devoir strict et rigoureux.
2" Être riche et ne pas tenir à ses richesses, c'est l'effet d'une vertu peu commune. 3° Mais être riche et
se dépouiller librement de ses biens par amour de Jésus-Christ, c'est le comble de la perfection.
PfUERE. 0 sainte Françoise, veuve romaine, si douce aux pauvres et qui viviez dans la conversation
familière de votre ange gardien ô sainte Jeanne Françoise de Chantal, illustre amie du très-illustre et très-
mellifique François de Sales; û bienheureuse Marie de l'Incarnation; ô toutes les saintes veuves qui n'avez
pas trouvé la tristesse et le découragement, mais une sainteté plus grande dans la solitude du veuvage,
vous qui soutenez souvent le courage de nos mères; ô saintes femmes, qui avez sanctifié le mariage, qui
avez parcouru en faisant le bien le chemin de notre vie, de qui on pouvait dire, là où il n'y avait plus
de misère «Elles ont passé par là; » ô vous qui avez accompli sans relâche les sept œuvres de miséricorde
corporelles et spirituelles, mais qui surtout avez donné à l'Église de robustes défenseurs et de fidèles enfants,
priez pour nous, priez pour nos sœurs et nos mères
CHAMBRE
DE
9
(A.D.149t-)5M.)
1
I.
IGNACE naquit en Espagne, l'an 1491, dans la partie de la Biscaye connue aujourd'hui sous
le nom de Guipuscoa. Don Bertram, son père, et sa mère, Marine Saez de Balde, étaient
comptés parmi les sommités de la noblesse du pays. Ignace était bien fait de corps, affable
et officieux, mais en même temps très-emporté et ardemment passionné pour la gloire. Il fut
d'abord attaché à la maison de Ferdinand V en qualité de page. Ignace, qui préférait la vie
des camps à celle de la cour, s'enrôla dans l'armée où, malgré sa jeunesse, il ne le céda à
aucun de ses compagnons en courage; mais la conduite du jeune officier n'était rien moins
qu'édifiante. Infatué des maximes du monde, il ne rêvait que plaisirs et galanteries. En 1521,
/<
les Français ayant mis le siège devant Pampelune, Ignace, qui faisait partie de la garnison
de la ville, se distingua par son courage. Le premier sur la brèche, il fit une vigoureuse
résistance à l'ennemi; mais, tandis qu'au plus fort du combat un éclat de pierre le frap-
pait à la jambe gauche, un boulet lui cassait la jambe droite. Les Français s'étant rendus
maîtres de la place,traitèrent les prisonniers avec beaucoup d'égards, et principalement Ignace,
dont ils avaient admiré la valeur; ils l'envoyèrent au château de Loyola. Pour se distraire
et charmer ses ennuis pendant sa maladie, le jeune officier demanda des romans; comme
on n'en trouvait pas, on lui apporta la vie de Notre-Seigneur et celle des saints. Ignace lut
d'abord ces livres sans y apporter une grande attention; mais bientôt il y prit goût, et peu
à peu ce goût devint une véritable passion. Il admirait surtout l'abnégation des saints. « Ces
hommes, se disait-il à lui-même, étaient de la même nature que moi; pourquoi ne ferais-je
pas ce qu'ils ont fait? Touché de la grâce, Ignace résolut de les imiter, et il commença,
avec l'ardeur qu'il mettait en toute chose, à traiter son corps avec la plus grande rigueur.
4 peine fut-il guéri qu'it se rendit à Mont-Serrat, célèbre abbaye de bénédictins,
bâtie sur une montagne très-escarpée. H fit la confession générale de ses pèches, se lia par
le vœu de chasteté, puis, après avoir suspendu son èpéc A un pilier de l'église du monas-
tère en signe de renoncement à la milice séculière, il se rendit en costume de pèlerin à
Manrèse, et se retira dans une grotte devenue célèbre depuis, qui s'ouvrait sur une vallée
solitaire, appelée la Vo/Me du Paradis. Il jeûnait tous les jours au pain et à l'eau, si ce n'est qu'il
se permettait le dimanche quelques herbes cuites. Une chaîne de fer ceignait ses reins, et il
portait un cilice sous son vêtement de bure. C'est dans cette célèbre solitude de Manrèse qu'il
reçut cette abondante effusion de l'Esprit divin, qui l'instruisit bien mieux que n'auraient pu le
faire tous les docteurs du monde. Arrivé en peu de temps à tout ce que la perfection a de plus
sublime et de plus difficile, et touché de compassion sur l'aveuglement des pécheurs, Ignace
se dit à lui-même « Ce n'est point assez que je serve le Seigneur, il faut que tous les cœurs
l'aiment et que toutes les langues le bénissent. Plein de cette pensée, il sortit de sa solitude
et corrigea tout ce que son extérieur pouvait avoir de repoussant, afin de ne point effaroucher
ceux qu'il se proposait d'attirer et de gagner à Dieu. II modéra aussi ses austérités, quii
étaient excessives, puis il se mit à exhorter les pécheurs à la pénitence et a la vertu. C'est
à cette époque qu'il faut rapporter la composition de ses A.rerc:ce.< .s'/x/Mp~~ qu'il retoucha
dans la suite, et qu'il publia à Rome en 15~8. Il est le premier qui. par une méthode
nouvelle et facile, ait mis l'exercice de la méditation à la portée de tous les hommes.
Avant de s'occuper du salut des âmes. Ignace songea à accomplir le vœu qu'il avait
fait de visiter les lieux saints. 11 quitta Manrèse, sans rien vouloir accepter de ce qu'on
lui offrait pour son voyage. II s'embarqua à Barcelone, descendit à Gaëte, et vint de là à
Rome, en mendiant le long du chemin. Il fut reçu à l'hospice Saint-Jacques-des-Espagnols.
puis, après avoir reçu la bénédiction du pape Adrien VI, il partit pour la Palestine et arriva
à Jérusalem le t septembre de l'an i523. La vue des saints lieux le remplit d'une grande
joie. Il les visita dans les plus vifs sentiments de piété et de componction. Son bonheur
eût été de n'en plus sortir et de travailler a la conversion des mahométans; mais. sur
l'ordre exprès qu'il reçut du provincial des Franciscains de terre sainte, il retourna en
Europe. Il se fixa d'abord a Barcelone, où il étudia la grammaire; car, à l'exemple
des preux, il n'avait appris avant sa conversion qu'à dompter un cheval et à manier
une lance. Le soin avec lequel il ménageait son temps, et l'activité naturelle dont il était
doué, lui permirent de travailler à la conversion des pécheurs sans négliger ses études.
Après deux ans de séjour à Barcelone, il alla continuer son éducation littéraire à la célèbre
université d'Alcala, puis à Salamanque, puis enfin à Paris, où il arriva au mois de février
de l'année 528. Il étudia les lettres au collége Montaigu et la philosophie au collége Sainte-
Barbe. Pendant le séjour de trois ans qu'il fit à Sainte-Barbe, Ignace travailla avec succès
à la sanctification des élèves qui habitaient cette maison. Plusieurs, par suite de ses exhor-
tations, se convertirent et résolurent de renoncer au monde.
A quelque temps de là, nous retrouvons Ignace et six jeunes hommes qui l'accompagnaient,
prosternés dans l'église de Montmartre. Unis dans une même pensée, ils se vouaient à la défense
de l'Église, à la conversion des âmes, et scellaient par la communion cet engagement solennel.
Quels étaient-ils, ces hommes? Les uns, comme Ignace et François Xavier, appartenaient à
d'illustres familles dont les glorieux souvenirs vivaient dans leur imagination et les excitaient
instinctivement A un<' vie active et militante. Un autre. Pierre Le Fèvre, avait passé son
enfance 't garder les troupeaux sur les montagnes de la Savoie; et c'était dans cette soli-
tude de famé que. répondant à l'inspiration du ciel. il avait résolu de s'adonner a la médi-
tation et a l'étude. Lainez. Salmeron, Rodriguex et Bobadilla étaient tous des étudiants
incertains de l'avenir au milieu du mouvement des intelligences, et cherchant un but. une
pensée dans ce chaos de principes qui se disputaient le monde depuis la réforme. En sor-
tant de l'église de Montmartre, Ignace et ses compagnons prirent un frugal repas au pied
de la fontaine de Saint-Denis, puis ils se mirent en route sans trop savoir encore queUe
direction donner à leur zèle.
Us songèrent d'abord la
Palestine, puis ayant rencontré à Venise le célèbre Caraffa
et les Théatins, ils songèrent à fonder un institut analogue. Ignace comprit de suite l'oppor-
tunité d'un ordre religieux qui se mêlerait partout an clergé, serait partout l'auxiliaire du
chef de l'Église, se tiendrait aux avant-postes pour refouler l'hérésie menaçante, et sème-
rait des missionnaires de la foi dans toute la chrétienté et dans tous les pays infidèles. Le
voyage de la Palestine était devenu d'ailleurs impossible par suite de la guerre. Ignace prit
donc le chemin de Rome. espérant que les conseils du pape l'aideraient à mûrir et à exé-
cuter son projet. La seule chose qui fût parfaitement arrêtée dans sa pensée et dans celle
de ses compagnons, c'était qu'ils voulaient étre la Compagnie de ./e.;M.~ c'est-à-dire une troupe
d'élite, toujours placée a l'avant-garde et prenant le nom de son général, non par osten-
tation, mais comme un signe de ralliement, comme une preuve de dévouement et comme
un présage de victoire.
En attendant l'approbation pontificale, Ignace et ses compagnons commencèrent leur
apostolat à Rome. Lainez et Le Fèvre furent nommés professeurs à la Sapience; François
Xavier, qui était venu rejoindre Ignace, précha a Saint-Laurent in Damaso avec cette tendre
piété dont la persuasive expression touchait tous les cœurs. Ignace s'attacha à l'église de
Notre-Dame-du-Mont-Serrat et y donna des instructions chrétiennes. Tel était son désir de
travailler sans fin et sans relâche au salut des âmes et a la réforme des mœurs, qu'il sem-
blait le rendre indifférent à son propre salut. «J'aimerais mieux. disait-il quelquefois, vivre
dans l'incertitude de mon salut, pour servir Dieu et m'employer au salut de mes frères.
que de mourir maintenant avec la certitude du bonheur éternel~.
La Compagnie de Jésus fut constituée et approuvée par une bulle du 27 septembre 1540, et
le 17 avril suivant, Ignace et ses compagnons, après avoir visité les sept basiliques et com-
munié à Saint-Paul, prononcèrent les vœux de chasteté, de pauvreté et d'obéissance, tant
envers leur général qu'envers le pape, quelque part qu'il voulût les envoyer prêcher la foi.
Ignace fut élu supérieur général, et prit le gouvernement de la compagnie le jour de
Pâques 15~1. Après avoir fait sa promesse d'obéissance au souverain pontife, il reçut celle
de ses compagnons, et, pour leur donner l'exemple, il commença par faire le catéchisme
dans l'église de Sainte-Marie de Strala, qui lui fut cédée plus tard. Il rédigea ensuite ses
célèbres constitutions, qui traçaient à chacun la conduite qu'il devait tenir relativement a
sa propre sanctification, à celle du prochain et à l'éducation de la jeunesse. Il ne prescrivit
4. Voici les touchantes expressions de la bulle ~~MMMM, du pape Paul H! « Ce sont des hommes qui, poussés par le sounte
de l'Esprit saint, se sont rassemblés de différentes contrées du monde, et, après avoir renoncé aux plaisirs du siècle, ont consacre pour
toujours leur vie au service de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, de nous et des autres pontifes romains, nos successeurs. Ils ont déjà
travaillé depuis plusieurs années d'une manière louable dans la vigne du Seigneur, prêchant publiquement la parole de Dieu, après
en avoir obtenu la permission requise, exhortant les fidèles en particulier à mener une vie sainte et méritoire du bonheur éterne), et
les engageant à faire de pieusesméditations, servant dans les hôpitaux, instruisant les enfants et les simples fidèlesdes choses néces-
saires à une éducation chrétienne; en un mot, exerçant avec un zèle digne de toutes sortes d'éloges, dans tous les pays qu'ils ont par-
courus, tous les onices de la charité et toutes les fonctions propres à la consolation des âmes. » Le même pontife disait, en 1S49,
dans sa bulle Licet debitum: Lorsque nous portons, comme un père tendre, les regards de notre âme sur la Société de Jésus, que
«
nous avons instituée et approuvée, et qui, semblable à un champ fertile dans le Seigneur, se distingue par les fruits muttiptiés et
abondantsqu'elle a produits et qu'elle continue de produire chaquejour parmi le peuple chrétien, par ses paroles et ses exemples, à
IL
Le corps de saint Ignace fut d'abord inhumé dans la petite égfise des Jésuites; mais plus
tard, lorsque Grégoire XV eut inscrit le nom du fondateur de la Compagnie de Jésus au cata-
logue des saints, it fut transféré dans la monumentale église du Gesù, que la famille Farnèse
fit bâtir au pied du Capitole comme un splendide hommage de son respect pour l'institut. Rome
ne tarda pas à voir s'élever dans son enceinte des sanctuaires placés sous l'invocation du saint
fondateur. Le cardinal Ludovisi lui dédia l'église attenante au collége romain (.Sat~-AyMace). La
nef en fut dessinée par le Dominiquin et la façade par l'Algarde. Le tombeau de saint Ignace
au Gesù devint bientôt l'objet de la vénération des Romains. Un des disciples du saint, le père
Pozzi, dont on voit les œuvres d'art dans plusieurs églises de Rome, lui érigea, vers la fin du
xvt' siècle, une splendide chapelle au lieu même de sa sépulture. Cette chapelle de Saint-
Ignace est éblouissante de richesses; le fronton en est occupé par les trois personnes divines.
Dans la main du Père Éternel est un globe de lapis-lazuli d'une inestimable valeur; la dépouille
du saint repose sous l'autel dans une urne de bronze doré, parsemée de pierres précieuses.
Sa statue d'argent massif s'élève derrière le tabernacle, et de remarquables sculptures repré-
sentent la Religion, d'un côté terrassant l'hérésie, de l'autre adorée par les peuples barbares.
Le couvent du Gesù est attenant à l'église. C'est un bâtiment grandiose, d'une propreté
sans égale et d'une simplicité remarquable dans son architecture. Les corridors du premier
étage sont décorés de petites gràvures représentant les épisodes les plus saillants de la vie
de saint Ignace et de saint François Xavier; ceux du deuxième et du troisième sont ornés
des portraits des nombreux martyrs de la compagnie. Le silence le plus profond règne dans
ces longs corridors; on croirait visiter un édifice inhabité, si l'on ne rencontrait de temps
en temps un frère ou un père qui vous salue avec cette grâce inexprimable et ce sourire
angélique, symbole de la joie intérieure et de la paix qui est le privilége de la vie reli-
gieuse. Un large corridor sert de vestibule aux chambres dites chapelles de ~at'M<Hacc. Ces
chambres ont été conservées dans leur état primitif; ce sont les mêmes portes, les mêmes
murs. La première chambre sert de sacristie à la chapelle dite de Saint-Ignace. On y lit la
copie de l'ancienne inscription qui se trouvait autrefois sur la porte d'entrée cette inscrip-
tion porte que saint Ignace, ayant un jour reçu plusieurs lettres de sa famille, les jeta au feu
sans les décacheter. A droite de cette chapelle se trouve une porte latérale qui ouvre dans la
chambre voisine, dite chapelle de la Sainte-Vierge. C'est dans cette chambre que saint Ignace
et saint François de Borgia ont rendu leur âme à Dieu. Le saint fondateur a habité cette
chambre; c'est là qu'il recevait saint Philippe de Néri, avec lequel il était lié d'une étroite
la gloire du Roi des rois et pour l'accroissementde la foi, nous jugeons convenable de combler de grâces spéciales cette Société et
les sujets dont elle est composée, qui rendent leurs services au Très-Haut en odeur de suavité, et de lui accorder favorablement
tout ce dont elle a besoin pour se régir et se conduire d'une manière utile et heureuse, et s'employer fidèlement dans le Seigneur au
salut des âmes. »
amitié; c'est là qu'il célébrait la sainte messe dans les derniers mois de sa vie, et que
les trois divines personnes lui apparurent plusieurs fois pendant la célébration des saints
mystères. L'autel dont il se servait a été conservé, ainsi que le tableau qui est placé au-
dessus, représentant la Sainte Famille et saint Jean-Baptiste. C'est dans cette chapelle que
saint François de Sales se retirait pour prier, pendant son séjour à Rome, et que saint
Charles Borromée a célébré sa seconde messe; c'est encore ta que furent reçus dans la com-
pagnie saint Stanislas Kostka, saint François de Borgia et saint Louis de Gonzague, puis le
très-révérend Père Claude Acquaviva. La chambre qui sert de sacristie à cette chapelle fut
habitée par le frère Jean Paul, le compagnon inséparable du saint fondateur; on y admire
le portrait du jeune Ignace en guerrier. La troisième pièce contient, outre le parasol du saint
apôtre des Indes, une immense quantité de reliques qu'on expose à la vénération des fidèles
au jour de la fête des saints à qui elles appartiennent. En revenant à la chambre d'entrée,
on trouve à gauche la chapelle de saint Ignace; c'était son cabinet de travail. C'est là qu'il
écrivit les constitutions de sa compagnie. L'ouverture de cette chapelle donne sur un balcon
d'où saint Ignace se plaisait à admirer le ciel et à répéter les paroles qu'il. prononçait si
souvent dans la grotte de Manzèse Heu! yM~w sordet tellus, quum ca?/Mm aspicio! Dans cette
même chambre est mort, en odeur de sainteté, Jacopo Lainez, second général de l'Ordre. Sur
l'autel, on voit l'image de saint Ignace; en face de l'autel, sa statue reproduisant les pro-
portions de son corps. Il est revêtu des habits sacerdotaux, de la soutane et des souliers
qui étaient à l'usage du saint pendant sa vie. Ce précieux trésor est dû aux soins du frère
Jean Paul, son fidèle compagnon.
Les souverains pontifes, pour témoigner leur respect et leur vénération à ce chef
immortel de la milice de Jésus, ont enrichi de nombreuses indulgences les chapelles et le
couvent du Gesù. Il est permis de célébrer le saint sacrifice dans les chapelles du Gesù
tous les jours de l'année, et même la messe votive du saint patron, excepté les fêtes de
première et de deuxième classe. Le célébrant, et les fidèles qui y reçoivent la sainte com-
munion, jouissent chaque fois de l'indulgence de sept années et sept quarantaines.
Réflexions. 1° La pensée du Ciel élève l'âme et la soutient contre les difficultés de la vertu. 2° Quel-
ques instants de violence et une éternité de bonheur. 3° Élevons nos esprits et nos cœurs à d'autres pen-
sées, à d'autres affections que celles de la terre, et nous comprendrons comme saint Ignace que les
espérances terrestres sont méprisablesà qui attend le Ciel. <?Mamsordet tellus, quum ca~MHt aspicio
PUÈRE COMPOSÉE PAR SAINT IGNACE. Recevez, Seigneur, l'offrande que je vous fais de ma liberté, de
ma mémoire, de mon entendement et de ma volonté. Vous m'avez donné tout ce que je possède je vous le
rends et le soumets à votre divine volonté, afin que vous disposiez de moi en tout, comme il vous plaira.
Accordez-moi seulement votre grâce. Avec cela je suis riche et ne veux plus rien.
CHAMBRE DE SAINT PIE V
(A.D. 1504-1572.)
MiCHEL GaiSLERt, qui devait être plus tard Pie V, naquit le 27 janvier 150~, dans la
petite ville de Bosco, près d'Alexandrie, en Piémont, d'une famille noble de Bologne, mais
déchue de son ancienne splendeur et tombée dans la pauvreté par suite des guerres civiles
du xiv' siècle.
Aussitôt que le jeune Michel fut capable de comprendre le langage de ses parents,
les enseignements de la foi et de la piété abondèrent à son oreille. On lui apprit soigneu-
sement les principes de la religion, et ses premières impressions se fortifièrent surtout
sous le toit domestique, sous l'influence de l'exemple de ses parents. Une telle éducation
devait recevoir sa récompense. Dès sa douzième année, le jeune Michel se sentit puissam-
ment appelé à la vie religieuse. Un jour, deux religieux de Saint-Dominique étant venus
à Bosco, il les accosta d'une voix timide et les surprit par la maturité de son jugement,
par ses questions et par ses réponses, à tel point que les religieux lui promirent de l'ini-
tier à leurs études et même de le faire entrer dans leur ordre, s'il s'en rendait digne.
L'enfant accepta leur offre avec joie. Il courut vers son père et sa mère, s'agenouilla,
implora leur bénédiction, et, s'attachant au pan de la robe d'un des Dominicains, les suivit
jusqu'au couvent de Voghère où il fut admis. Le prieur regarda cet enfant comme un
trésor confié à sa garde, et s'appliqua de toutes ses forces à seconder les vues de la
Providence. Au terme de son noviciat, il fut reçu a la profession, qu'il fit en l'année i5i9,
sous le nom de Michel Alexandrin.
Le jeune religieux s'adonna à l'étude de la philosophie et fit de tels progrès dans cette
science qu'on le jugea capable de l'enseigner. Il enseigna ensuite la théologie avec un
grand succès. Un de ses biographes nous apprend qu'il traitait divinement de la science
de Dieu, et qu'il savait mêler parmi les épines de la scolastique les épines du Calvaire~. Le
P. Michel fut ordonné prêtre à vingt-quatre ans. Il fut envoyé en 15~3 au chapitre de
Réflexions. prière est la grande ressource de l'Église catholique. 2" Elle peut espérer contre
1" La.
l'espérance même, parce qu'elle possède dans son sein cette grande ressource qui est Jésus-Christ, qu'elle
possède sur ses autels. 3° Quand la tempête de la tentation gronde autour de nous, armons-nous de ce
puissant moyen pour vaincre l'ennemi de notre salut.
PfHf:BE (tir~ de l'office de saint Pie v. 5 moi). 0 Dieu, qui avez daigné choisir le bienheureux pontife saint Pie V
pour écraser les ennemis de votre Église et restaurer le culte divin, faites que nous soyons protégés par
les embûches
son intercession, et que nous nous attachions à votre service, afin que, surmontant toutes
des ennemis, nous jouissions de la paix éternelle.
CHAMBRE
nR
(SAtNT-J~RÔMR-DE-LA-CHAniTE).
(A. D.)SlI-t595.)
ON aime à rapprocher de saint Ignace un autre saint que Rome vénère comme son
bienfaiteur et l'un de ses thaumaturges les plus favorisés du Ciel. C'est saint Philippe de
Néri. Né dans la ville des fleurs, dans la belle et gracieuse Florence, comme un lis très-
pur dont. rien ne devait flétrir la virginale candeur, le 21 juillet de l'année 1511, Philippe
mena la vie d'un saint dès son âge le plus tendre. On ne pouvait rien voir de plus doux
et de plus aimable. Aussi l'appelait-on le bon Philippe. Son âme ascétique puisait dans la
contemplation des choses divines la même abondance de charité qui s'élançait par bonds
impétueux du cœur ardent d'Ignace de Loyola. Comme l'âme naturellement chrétienne de
Philippe de Néri se sentait entrainée vers Dieu sans effort et par attrait, elle n'eut besoin
m de catastrophes imprévues, comme Ignace, ni de longues méditations sur un lit de dou-
leur, pour découvrir la voie que la Providence lui avait tracée. Dès sa jeunesse, il renonça
à la succession d'un oncle qui voulait l'engager dans le négoce, et, libre envers le monde,
il se rendit à Rome pour s'y livrer à l'étude de la philosophie et des saintes lettres. On
distinguait Philippe au milieu des jeunes gens de son âge, à son visage amaigri par le jeûne,
et à cette beauté céleste qu'impriment aux traits du jeune homme la virginité de l'âme et
les saintes ardeurs de la piété. Philippe allait souvent visiter les grandes basiliques romaines
avec un certain nombre d'amis qu'il avait attirés à lui par le charme de sa piété; et la
nuit, tandis que la ville était muette, que les temples étaient fermés, il descendait dans les
catacombes de Saint-Calixte, et là, agenouillé sur les tombeaux des martyrs, il demeurait
plongé dans l'adoration et la prière.
A ces exercices nocturnes Philippe joignait les macérations du corps et l'usage de la
discipline, afin d anéantir la vie des sens, dont il eut a combattre les séductions jusqu'à
!<ge de cinquante ans Il voulait ainsi diriger vers Dieu toutes les tendresses et les énergies
(le son âme ardente. Aussi les auteurs de sa vie nous disent-ils que cet homme séraphique
languissait sous le poids du divin amour Charitate Dei t)M/Kem<Ms ~an~Me~ jugiter. Cet amour
divin qui embrasait le cœur de Philippe se répandait avec effusion sur les pauvres, les
malheureux, les pèlerins, et surtout les déshérités de la fortune et de la santé qui sont chargés
de représenter en ce monde la pauvreté et les souffrances de Jésus-Christ. Il visitait assidû-
ment les hôpitaux, servait affectueusement les malades, leur apprenant surtout à sanctifier
leurs souffrances. Il a laissé à Rome plusieurs monuments de sa tendre charité pour les
malheureux. Parmi ceux qu'il gagnait à la vie parfaite, la plupart entrèrent dans des ordres
religieux, quoique lui-même restât séculier. Aussi saint Ignace, qui le connaissait et l'aimait
singulièrement, le comparait-il à une cloche, qui appelle le peuple à l'église quoiqu'elle-
même reste dans la tour. Ainsi Philippe amenait-il les autres en religion, sans sortir
lui-même du siècle.
Il s'associa d'abord à une confrérie fondée en 1519, à ~tn<e?'d?M<e-<<t-CAan<ejpour
porter les secours de la piété chrétienne à tous ceux qui avaient besoin d'assistance ou de
consolation; il soutint cette œuvre et la développa. Plus tard, aux approches du Jubilé
de 1550, il fonda dans l'église ~o[!?t<p~'e-tH-Ca~Kpo une congrégation nouvelle dans le
but de recevoir et de nourrir les voyageurs étrangers que l'année sainte du Jubilé devait
amener à Rome. Cette congrégation fut approuvée en 15~t8, par Paul 111, sous le nom de la
Sainte- Trinité pour les pèlerins, et le costume de ses membres fut un sac rouge, emblème
du feu de la charité.
Lorsque l'année sainte fut passée, Philippe de Néri employa le zèle des confrères de la
Trinité à environner de soins les convalescents qui sortaient des hospices, sans avoir encore
la force de se livrer au travail. Il les reçut dans l'établissement destiné aux pèlerins et ne
les rendit à leurs familles qu'avec la santé et les moyens de ne plus leur être à charge.
Philippe se décida ensuite à entrer dans les ordres, et lorsqu'il eut été ordonné prêtre,
il se retira à Saint-Jérôme-de-la-Charité, où il demeura trente-cinq ans dans la société des
pieux ecclésiastiques qui administraient les sacrements dans cette paroisse. Chaque soir
il ouvrait dans sa chambre, qui existe encore, des conférences sur tous les points du dogme
catholique; les jeunes gens affluaient à ces saintes réunions; on y voyait Baronius, Bordini,
qui fut plus tard archevêque, et Tarugia, neveu du pape Jules III.
Les disciples de Philippe résolurent d'exercer ensemble le ministère de la prédication et
les devoirs de la charité. A cet effet ils embrassèrent la vie commune sous la direction du
saint prêtre dont la parole était si puissante sur leurs cœurs. Philippe de Néri leur rédigea
une règle, et ce fut ainsi que commença la congrégation de l'Oratoire.
Tel était l'ordre des exercices spirituels de l'Oratoire. Saint Philippe y assistait tous les
jours, et sa présence excitait le zèle de ceux qui annonçaient la parole. de Dieu, en même
temps qu'elle édifiait tous les assistants. Il voulait que le style des sermons et des entre-
tiens fût toujours simple et familier. Il savait que la parole de Dieu ne doit qu'à elle-même
son efficacité, et qu'elle n'a pas besoin de secours étrangers pour s'emparer du cœur de
l'homme et pour incliner doucement sa volonté. L'apôtre nous dit que la parole de Dieu
est un glaive à deux tranchants. Pour pénétre)' nos âmes et les subjuguer, il n'est pas
nécessaire qu'elle emprunte à la rhétorique humaine ses artifices ingénieux. Voilà pourquoi
Philippe de Néri imposait pour règle fondamentale à ses prêtres d'éviter les vains ornements
du discours, de laisser de côté les questions subtiles et abstraites, mais de se contenter
d'exposer avec simplicité des choses utiles et facilement comprises par toutes sortes de per-
sonnes. Il aimait à répéter que la chaire de l'Oratoire n'avait pas été établie pour traiter
des sujets scolastiques. ni pour faire entendre des déclamations oratoires, mais bien pour
enseigner comment on acquiert les vertus chrétiennes, et comment on triomphe de ses
passions. « Ce n'est pas pour charmer l'oreille des auditeurs que vous devez prêcher,
disait-il mais pour émouvoir leurs cœurs, et leur inspirer ou l'horreur du vice ou l'amour
de Jésus-Christ.
Comme la prière est la clef d'or qui ouvre le ciel, comme elle fait descendre sur la
terre l'abondance des secours célestes, dont la faiblesse humaine a tant besoin pour mar-
cher d'un pas ferme et rapide dans la voie des commandements de Dieu, Philippe de
Néri établit la prière quotidienne. Il voulut que les portes de l'Oratoire s'ouvrissent chaque
jour à telle ou telle heure déterminée, selon les saisons, pour une prière faite en commun
suivant la coutume des premiers fidèles.
L'église de Saint-Jérôme-de-la-Charité est bâtie sur l'emplacement de la maison de
sainte Paule; elle rappelle le souvenir de cette illustre fille des Scipions, et celui de
saint Jérôme qui logea dans cette maison pendant son séjour à Rome. L'église fut longtemps
un pèlerinage obligé pour les artistes, parce qu'elle possédait la Communion de -M!M< Ve/'dmc,
chef-d'œuvre du Dominiquin. Aujourd'hui elle n'en possède plus qu'une copie, l'original
ayant été transporté au Musée du Vatican. Outre ces grands souvenirs, l'église de Saint-
Jérôme en rappelle d'autres plus récents et plus chers encore a la piété romaine depuis que
saint Philippe de Néri a sanctifié ce lieu par sa présence.
La gravure ci-jointe représente la chambre qu'il habita. Cette chambre fait partie de la
maison attenante a l'église. En entrant dans la conciergerie, on aperçoit d'abord, au fond
du vestibule, l'ancien escalier qui conduit au premier étage. Arrivé à cet étage, on lit sur
une porte à main gauche l'inscription suivante
C'est dans cet oratoire que saint Philippe transféra les conférences spirituelles, lorsque
sa chambre devint trop petite pour le grand nombre de personnes qui désiraient l'entendre.
A côté de cet oratoire on voit une chambre transformée en chapelle. Sur un des côtés
de l'autel. on lit l'inscription suivante
« Ici César Baronius, devenu plus tard cardinal de la sainte Église, par ordre de saint Philippe, développa
plusieurs fois l'histoire ecclésiastique de ses annales. »
QUESTO FU IL PRIMO
ORATORIO
FATTO FABRICARE DAL SANTO,
NON ESSENDO PIU CAPACI
LE SUE STANZE.
ANNO )558.
« Ceci fut te premier oratoire que fit construire le saint, ses chambres n'étant plus suffisantes.
Année 1558. »
Cette chambre a la forme d'un balcon, avec une tribune ayant vue sur l'oratoire qui se
trouve au-dessous.
C'est dans cette chambre qu'était le lit du saint. On y a élevé un autel sur lequel ou
a placé une image de la Très-Sainte Vierge.
Sur les parois on lit les deux inscriptions suivantes
« Saint Philippe de Néri se trouvant malade dans cette chambre, un ange lui apparut faisant fondre
un morceau de sucre dans une potion. Le saint l'ayant prise, après quelques instants
de repos se trouva entièrement guéri. ')
« Dans cette chambre, Alexandre de Médicis, ambassadeur de Toscane, étant venu visiter saint Philippe
de Néri, celui-ci lui prédit le cardinalat, et peu après le pontificat. C'est lui qui fut Léon X. »
Deux grands tableaux peints à l'huile représentent ces deux faits. Au-dessous de cette
chambre, sur la porte d'entrée du grand oratoire, on lit
L'amour de Dieu ne demeure jamais oisif dans un coeur c'est un feu qui cherche à
/M/!ea?tons. 1°
se communiquer. 2° Si, comme saint Philippe de Néri, nous aimons véritablement Dieu, comme ~lui aussi,
nous porterons les autres à l'aimer.
PtuÈRE~ 0 saint Philippe, mon glorieux protecteur, qui pendant votre vie eûtes pour l'humilité un
tel amour que vous méprisâtes non-seulement les louanges des hommes, mais encore leur estime, obtenez-
moi pareillement une si belle vertu. Vous voyez combien je suis superbe dans mes pensées, dédaigneux
dans mes paroles, ambitieux dans mes actes. Ah! 1 obtenez-moi l'humilité du cœur; que mon esprit soit
AU PALAIS MASSIMI.
(A.D.]M4-).')M.)
LES vertus de Philippe de Néri jetaient un si vif éclat, les exercices quotidiens établis
à Saint-Jérôme-de-la-Charité produisaient des résultats si consolants, que les Florentins qui
habitaient Rome le prièrent instamment d'accepter la direction de l'Église qui appartenait
à leur ville natale, et qui était désignée sous le nom de Saint-Jean des Florentins. Cette église
était plus spacieuse que l'oratoire de Saint-Jérôme-de-la-Charité. Cependant, Philippe de Néri
ne consentit à acquiescer aux instances de ses compatriotes que sur l'ordre du Pape; mais
il se réserva la faculté de continuer à habiter sa chère cellule de Saint-Jérôme-de-la-
Charité. Il se contenta d'envoyer à saint Jean quelques-uns de ses prêtres, du nombre
desquels était Baronius.
Lorsque la communauté eut desservi ainsi pendant dix ans l'église de Saint-Jean, les
Florentins renouvelèrent leurs instances auprès de Philippe de Néri pour obtenir que les
exercices de l'Oratoire y fussent transférés. Le saint serviteur de Dieu se rendit à leurs
pressantes sollicitations. Sortis, selon l'expression de Baronius, de l'étable de Bethléem, où
ils avaient pris naissance dans une maison obscure, et transportés dans le nouvel oratoire
de Saint-Jean, construit sur de larges proportions par la magnificence des Florentins, les
disciples de Philippe de Néri attirèrent une foule plus nombreuse que jamais à leurs exer-
cices quotidiens. L'utilité de l'institution de l'Oratoire parut alors évidente à tous les yeux.
Tous les rangs, toutes les positions se confondaient pour venir entendre chaque soir la
.parole de Dieu, simplement et pieusement annoncée.
La congrégation de l'Oratoire était définitivement fondée. Le pape Grégoire XII l'approuva
l'an 1575. Elle se composait d'ecclésiastiques et de laïques sans vœux particuliers. Philippe
de Néri avait voulu que la Société devint le refuge de ceux qui désiraient mener la vie
commune sans toutefois s'engager dans un ordre religieux. Quoique le but principal de
l'Oratoire fût l'instruction du peuple, plusieurs de ses membres s'adonnèrent, dès le principe,
à de hautes et fortes études. Les savants Baronius, Orderic, Raynaldi, appartenaient à
l'Oratoire. Le premier, sur l'ordre de saint Philippe, commença ses célèbres annales de
l'histoire ecclésiastique, où, reprenant toute l'histoire de l'Église depuis Jésus-Christ jus-
qu'au xvi' siècle, il résume les anciennes histoires, les actes des martyrs, les vies des
saints, les écrits des Pères, la succession des Pontifes, les ordonnances des Conciles, année
par année. Cet immense travail fut continué par Orderic Raynaldi et par Jacques Ladeschi,
tous deux de la même congrégation de l'Oratoire.
L'esprit qui règne dans cette gigantesque histoire, ce n'est pas l'esprit de tel ou tel
homme, de telle ou telle nation, mais l'esprit de l'Église une, sainte, catholique, aposto-
lique et romaine. Si l'on joint à ces annales ecclésiastiques celles d'Augustin Cornicelli et de
Barnabite de Novare pour les siècles antérieurs, on aura une histoire vraiment universelle
de Dieu et de l'homme, dans laquelle tous les temps, tous les lieux, tous les événements,
tous les peuples concourent vers un même centre qui est Jésus-Christ, l'alpha et l'oméga,
le commencement et la fin. qui fut hier, qui est aujourd'hui, qui sera dans tous les
siècles.
Ainsi les disciples de Philippe de Néri rivalisaient de zèle pour le service de l'Église et
l'édification du prochain. Philippe, de son côté, se donnait tout entier à la conversion des
pécheurs. Il les attirait à Dieu avec tant d'art, avec une si sainte habileté, qu'ils en étaient
eux-mêmes étonnés. Il savait s'accommoder au tempérament, au caractère de chacun.
si bien qu'on pouvait lui appliquer ces paroles de l'Apôtre « Je me fais tout à tous
pour les sauver tous. Toujours aimable, toujours plein de l'esprit de Dieu, il avait le
talent de renvoyer contents et meilleurs ceux qui l'approchaient. Un jour entre autres, le
jeune François Spazzara, glorieux rejeton d'une noble famille, vint trouver le P. Philippe
afin de causer familièrement avec lui. « Vous vous livrez maintenant à l'étude du droit?
lui dit le saint. Oui, père Philippe, et avec beaucoup d'ardeur. Que vous êtes heu-
reux Parlez-moi un peu de vos projets, continua le saint en lui faisant des caresses
extraordinaires. J'espère être bientôt reçu docteur. Que vous êtes heureux! Je compte
devenir avocat consistorial, puis entrer dans la prélature. Que vous êtes heureux! »
Puis le saint se mit à détailler toutes les grandeurs que le monde pouvait lui offrir et
dont l'idée avait passé par la tête du jeune homme. Après chaque gloire, chaque avantage.
il répétait « Que vous êtes heureux » François prenait tout cela au sérieux, lorsque le saint,
le pressant tendrement sur son cœur, lui dit tout bas à l'oreille « Et après? » Ces deux
mots restèrent si profondément gravés dans l'âme du jeune homme que, de retour chez
lui, il ne pouvait s'empêcher de se les redire. A la suite de chacun de ses rêves de
fortune revenaient ces deux mots inexorables « Et après! et après il me faudra mourir.
tout quitter. être jugé. absous ou condamné. Vanité de tout ce qui se passe! ') s'écria-t'il
un jour. Puis, tournant toutes ses pensées vers Celui qui ne passe pas. il entra dans la
congrégation de l'Oratoire, où il vécut et mourut saintement~.
/M/!M'tOM. 10 Tout est promis à la ferveur de la prière, jusqu'aux miracles. 2° Et nous qui prions
sisouvent, nous n'obtenons presque tien 3" Ah! c'est que nous prions mal. Seigneur Jésus, apprenez-
nous à prier. Domine, doceno~orare/
PRIKKE.– 0 très-glorieuxsaint Philippe, vous conservâtes toujours intact le beau lis de la pureté avec un
si grand honneur. Cette vertu brillait dans vos yeux, resplendissait sur vos mains, jaillissait de tout votre
corps et exhalait une odeur si agréable qu'elle consolait, encourageait et donnait la dévotion à ceux quii
se trouvaient en rapport avec vous. Obtenez-moi du divin Esprit un véritable amour pour une aussi belle
vertu, afin que ni les discours ni les mauvais exemples des personnes vicieuses ne puissent jamais faire
impression sur moi. Ne permettez en aucune manière que je perde une si belle vertu; et, comme la fuite
des occasions, la prière, le travail, l'humilité, la mortification des sens et la fréquentation des Sacrements
furent les armes au moyen desquelles vous vainquîtes la chair, ce terrible ennemi, obtenez-moi aussi, je
vous en supplie, de me servir de ces mêmes armes pour le repousser. Oh ne me privez point de votre
assistance, et montrez en ma faveur ce zèle que vous aviez pendant la vie pour vos pénitents, que vous
préserviez de toute corruption. Faites-le, ô grand saint, et soyez, pour l'exercice d'une si belle vertu, mon
bien-aimé protecteur. f~er, Ave et Gloria.
CHAMBRE
DE
CORPUSPHILIPPI NER.H,
S.
CONGREGATIONIS ORATORII FUNDATORIS,
AB IPSO DORMITIONIS DIE ANNOS
QUATUOR ET QUADRAGINTA
INCORRUPTUM DIVINA VIRTUTE SERVATUM,
OCULIS FIDELIUM EXPOSITUM,
A DILECTIS IN CHRISTO FILIIS,
Nero del Nero, noble Florentin, ayant obtenu un fils par l'intercession de Philippe de
Néri, voulut lui donner un témoignage de reconnaissance en faisant construire une riche
et magnifique chapelle en son honneur. C'est celle où se trouve actuellement le corps
du saint. Les murs en sont incrustés de jaspe, d'agate et d'autres pierres précieuses. La
coupole est soutenue par quatre colonnes d'albâtre et ornée de rosaces en nacre se déta-
chant sur un fond d'azur. Sur le pavé, qui est en harmonie avec la coupole, sont dessinées
des roses en albâtre et autres pierres; au milieu, on remarque uu morceau de jaspe oriental
vert. Les mêmes pierres précieuses ornent t'entrée de la chapelle.
La cellule habitée par saint Philippe dans le couvent a été religieusement conservée,
ainsi que les différents meubles qui ont servi A l'usage du serviteur de Dieu. On y
voit son confessionnal en bois de sapin vermoulu, et dont le siége est garni d'un petit
coussin doublé de cuir. A l'instar des confessionnaux d'Italie, les grilles se composent d'une
simple feuille de tôle percée de petits trous ronds comme une écumoire. Que de sages
conseils, que de consolantes paroles, que d'exhortations coMt'er~ct~M ont passé par là! On
garde dans une armoire la chaufferette du saint confesseur; elle est couverte d'un bois
grossier; plus loin c'est son pauvre lit, et enfin le modeste banc sur lequel il s'asseyait,
lorsqu'il faisait ses conférences spirituelles aux membres de sa congrégation. La voûte de
cette même chambre est ornée d'une magnifique fresque de Berettini représentant une extase
de saint Philippe de Néri. Cette pièce unique composait tous les appartements de celui qui
refusa tant de fois les palais, les richesses et les dignités humaines. C'est là qu'il donnait
ses audiences spirituelles, et recevait ses nombreux visiteurs.
La petite chapelle du saint est contiguë à la pièce dont nous venons de parler; ici rien
n'est changé même porte, même crucifix en bois, même tableau de la sainte Vierge tenant
l'Enfant Jésus, même autel; en un mot, même ameublement à l'usage du saint prêtre et
tant de fois témoin de ses prières, de ses larmes et de ses divines extases. On ne peut,
sans éprouver un profond saisissement, fouler ce sol vénérable et appliquer ses lèvres au
tableau miraculeux placé sur l'autel. A la sacristie de l'église, on voit un assez grand
nombre de lettres autographes du saint, une bonne partie de ses vêtements, le reliquaire
qu'il reçut de saint Charles Borromée après l'avoir guéri, le crucifix qu'il portait sur sa
poitrine et un morceau de pain laissé par lui à son dernier souper, la veille de sa mort.
~f/tOM.s. 1° four gagner des âmes a Dieu, il faut commencer par le bien servir soi-même. 2° Com-
nient persuaderez-vous qu'i! faut l'aimer, si vous paraissez négligent à son service?
PRIÈRE. 0 mon bien-aimë avocat, saint Philippe, qui persévérâtes toujours dans la vertu, et qui
plein de mérites, reçûtes du Dieu tout-puissant la couronne de gloire en récompense de vos fatigues, obte-
nez-moi la grâce de ne me lasser jamais dans son saint service. Vous qui fûtes si favorable à vos dévots,
en leur obtenant le don de la persévérance dans le bien, obtenez-le-moi aussi en venant à mon secours
au moment extrême de ma mort, et obtenez-moi la grâce de sortir de cette vie muni des Sacrements de
la religion. En attendant, û grand saint, intercédez pour moi, afin que je fasse pénitence de mes péchés et
que je les pleure amèrement tous les jours de ma vie. Vous qui voyez mes misères et tous les liens qui m'atta-
chent au péché et à la terre, obtenez-moi la grâce de les briser et la résolution constante d'être tout à Dieu.
Obtenez-moi encore un ardent désir de coopérer à mon salut, et une constance invincible dans le bien
commencé, afin que je sois digne, par votre intercession, de vous être associé dans la bienheureuse éternité.
CHAMBRE
DE
(A.D.t5t3-t587.)
PARMI cette pléiade d'amis qui subissaient le charme de la sainteté de saint Philippe de
Néri, il faut compter Félix de Cantalice, qui a laissé à Rome des souvenirs toujours
vivants. Félix était né l'an 1513, à Cantalice, près de Citta-Ducale, dans l'État ecclésias-
tique, de parents pauvres mais remplis de vertu. Qui n'aimerait, dit sa légende, le petit
Félix, si pieux dès son enfance, que déjà on lui donnait le surnom de saint! Mais qui
ne l'aimerait petit berger, taillant une croix dans l'écorce d'un arbre et priant au pied de
cette croix durant des heures entières! Il récitait d'abord avec ferveur l'Oraison dominicale,
la Salutation angélique, le Symbole des Apôtres, le Gloria Patri et autres prières connues.
Mais bientôt, Dieu lui ayant accordé la grâce de la contemplation, toutes ses pensées
devenaient comme une prière. Devenu garçon laboureur, il méditait pendant son travail;
tout ce qu'il voyait, tout ce qu'il entendait, réveillait en lui de pieuses affections. Mais
rien ne le touchait plus tendrement que le souvenir des souffrances de Jésus-Christ. Quand
on lui demandait s'il savait lire, il répondait « Je ne sais que six lettres, cinq rouges et
une blanche; les rouges, ce sont les cinq plaies de notre Sauveur; la lettre blanche, c'est
la sainte Vierge. A une humilité profonde, il joignait un fond Inaltérable de gaieté, de
douceur et de charité envers les autres. Quand quelqu'un l'insultait, il avait coutume de
lui répondre Dieu veuille faire de vous un saint! « Tel était le jeune Félix. »
Cependant ce petit laboureur n'en croyait pas faire assez. Ayant entendu lire la vie des
Pères, il conçut un grand désir de les imiter. Un incident l'y détermina sans retard. Un
jour qu'il labourait, son maître s'étant présenté tout à coup en habit noir, les jeunes bœufs
qu'il conduisait eurent peur, se jetèrent de côté, renversèrent Félix et lui firent passer le
soc de la charrue sur le corps. On le croyait perdu; il se releva sans autre mal que ses
vêtements déchirés, remercia Dieu de tout son cœur, et quitta son maître, qui le vit
partir avec bien du regret. C'était vers l'an 15~0. Félix se présenta au couvent des capucins
de Citta-Ducale et demanda à y être reçu en qualité de frère convers. Le supérieur, en lui
donnant l'habit, lui montra un crucifix; ensuite, après lui avoir expliqué ce que le Sau-
veur avait souffert pour nous, il lui dit de quelle manière un religieux devait imiter ce divin
modèle par une vie de renoncements et d'humiliations. Félix, attendri jusqu'aux larmes, se
sentit animé d'un ardent désir de retracer en lui les souffrances de Jésus-Christ, et de
crucifier par la mortification le vieil homme avec toutes ses convoitises. Pendant son novi-
ciat, il parut déjà tout pénétré de l'esprit de son ordre, qui est un esprit de pauvreté, de
pénitence et d'humilité. Souvent il se jetait au pied du maître des novices, pour le prier
de doubler ses mortifications et de le traiter avec plus de rigueur que les autres, qui
étaient, à l'entendre, plus dociles que lui et plus portés à la vertu. Par ce profond mépris
de lui-même, il parvint bientôt à une éminente perfection. Il fit ses vœux en 1545.
Félix était si intimement lié à Dieu, que, même dans le monde, lorsqu'il allait faire
la quête, rien ne pouvait le distraire. Un frère lui ayant demandé un jour comment il
pouvait s'entretenir dans un recueillement aussi parfait, il lui répondit: «Toutes les créatures
servent nous élever à Dieu quand nous les regardons de bon œil. Ses supérieurs lui
permirent de distribuer aux pauvres une partie de sa quête. Cette permission s'accordait
merveilleusement avec sa charité. On le voyait visiter les pauvres malades et leur rendre
les services les plus humbles. Les pécheurs ne pouvaient entendre ses exhortations sans être
attendris; il avait surtout une onction admirable lorsqu'il disposait quelque moribond à
parattre devant Dieu. Par une exacte vigilance sur lui-même, Félix conserva jusqu'à la
mort une pureté inviolable. Il joignait à cette vigilance de grandes austérités corporelles.
II marchait toujours nu-pieds et portait un rude cilice garni de pointes aiguës. Lorsqu'il
n'avait point à craindre de se faire remarquer, il jeûnait au pain et à l'eau. Les trois
derniers jours de carême, il ne prenait aucune nourriture. Il passait en prières une grande
partie des nuits, et ne dormait que deux ou trois heures; encore ne prenait-il un peu de
repos qu'à genoux, la tête appuyée sur un paquet de branches; s'il se couchait, c'était sur
des planches ou des sarments. Il mettait tout en œuvre pour cacher les faveurs extraor-
dinaires qu'il recevait de Dieu. Il employait divers prétextes pour déguiser ses mortifica-
tions il s'excusait, par exemple, de ne point porter de sandales, en disant qu'il marchait
ainsi avec plus de facilité.
Pressé par l'amour divin, il composa des cantiques spirituels dans un style simple
mais plein d'une onction admirable. Jamais il ne les chantait qu'il ne fût dans une espèce
d'extase et tout absorbé en Dieu. II avait une vive dévotion au saint nom de Jésus et le
prononçait fréquemment avec tendresse, ainsi que le mot Deo gratias, pour remercier Dieu
continuellement de ses bienfaits. Quand il rencontrait de jeunes enfants, il les engageait à
prononcer dévotement avec lui ces paroles. On voyait les enfants accourir à lui, dès qu'ils
l'apercevaient, pour dire Jésus et Deo yr<<M, à quoi Félix répondait avec des larmes de joie.
On avait pour cet humble religieux une si grande vénération, que lorsqu'il passait dans
la rue, les princes se découvraient la tête pour le saluer, les cardinaux faisaient arrêter
leurs carrosses. Enfin, lorsqu'il mourut, suivant sa prédiction, le 18 mai 1587. on fut plu-
sieurs jours avant de pouvoir l'enterrer, à cause de la multitude infinie du peuple, qui,
trouvant les portes du couvent fermées, escalada les murs, remplit les cours, les salles,
la rue, la place et l'église. Saint Félix de Cantalice fut béatifié en 1625 par Urbain VIII,
et canonisé en i7i2 par Clément XI
7!e/!&rton~. Il n'est pas nécessaire d'avoir un genre sublime ni de rares connaissances pour réussir
1"
dans la méditation. 2" Tout homme en est capable dès qu'il est capable de connaitre et d'aimer Dieu. 3" Si
nous y trouvons tant de difficultés, c'est que nous n'y portons pas assez de simplicité.
(A.D.t5M-I6t~.)
J
CAMILLE DE LELLIS naquit à Bacchiano, dans l'Abruzze, en ~550. Fils d'un soldat, et
soldat lui-même, Camille ne tarda pas à prendre les habitudes peu régulières des camps
et se fit remarquer surtout par son amour pour le jeu. Licencié après la campagne de
Tunis, en 157&, il ne rapporta du service militaire que son équipement. Il joua successi-
vement son sabre, son mousquet, sa giberne, sa capote et jusqu'à sa chemise; il perdit
tout. Réduit au dénùment de toutes choses. l'infortuné jeune homme fut obligé, pour
trouver de quoi subsister, de se mettre au service d'autrui. Mais malgré ses égarements
Dieu ne l'abandonna pas; il daigna même le visiter d'une manière spéciale par sa grâce.
Il éprouvait souvent dans son âme un vif regret du passé, et, comme l'enfant prodigue, il
apercevait le doigt de Dieu dans la condition humiliante à laquelle ses désordres l'avaient
réduit. Une exhortation touchante que lui fit un jour le gardien des Capucins acheva sa
conversion. Éclairé par la lumière qui venait de briller à ses yeux, il fond en larmes,
déteste tous les crimes de sa vie passée, et demande au ciel miséricorde. Cet heureux
changement arriva au mois de février de l'année 1575.
Camille avait alors vingt-cinq ans. Sa résolution prise, il ne songea plus qu'à l'accom-
plir et à porter dans le service de Dieu le dévouement sans bornes d'âne grande âme, la
franchise et la loyauté d'un soldat. Il entra successivement au noviciat chez les CapuciM
.et les Cordeliers; mais ces religieux ne voulurent pas le recevoir à cause d'un ulcère
qu'il avait à la jambe et que les médecins jugèrent incurable. Camille se rendit à Rome et
y servit pendant l'espace de quatre ans les malades de l'hospice Saint-Jacques. Il donnait
ses soins de préférence aux moribonds. Il tâchait de leur procurer tous les secours spiri-
tuels et corporels que leur situation réclamait. C'est dans l'exercice de cet humble et
sublime dévouement qu'il conçut le projet d'instituer une société de prêtres qui devaient
se consacrer avec lui au service des malades par le seul motif de la charité. Il trouva
des compagnons tels qu'il le désirait, mais il rencontra de grands obstacles à l'exécution
de ses desseins dont il triompha plus tard.
Pour se mettre en état d'assister plus utilement les malades, Camille résolut de se pré-
parer à recevoir les saints Ordres. Après avoir étudié la théologie et acquis le degré de
science qui lui était nécessaire, il fut ordonné prêtre en 158A, et chargé de desservir la
chapelle de Notre-Dame-aux-Miracles, près du Tibre. Cette nouvelle fonction l'obligea de
quitter la direction d~ l'hôpital Saint-Jacques.
La même année il institua sa congrégation pour le service des malades. fit porter
11
a ceux qu'il admit, un habit noir avec un manteau de même couleur. Ils allaient tous
tes jours A l'hôpital du Saint-Esprit, où ils servaient les pauvres avec autant de zèle et de
ferveur que si c'eût été Jésus-Christ en personne. Ils faisaient les lits des malades et leur
rendaient les services les plus pénibles A la nature; ils les exhortaient à se préparer à la
réception des derniers sacrements, afin d'obtenir de Dieu la grâce d'une bonne mort. Ils
prirent le nom de clercs réguliers, ministres des infirmes ou frères du bien mourir.
Dès qu'une épidémie se déclarait, on les voyait accourir auprès du lit des victimes,
Camille de Lellis à leur tête, et lorsque leurs services devenaient inutiles, cette courageuse
et sainte milice, décimée par le fléau, s'en retournait avec la bénédiction du peuple, pour
aller affronter d'autres dangers et soulager d'autres souffrances. La vie de Camille de Lellis
se passa ainsi dans les lazarets et à l'hôpital du Saint-Esprit. Tout ce que le père le plus
dévoué, tout ce que la mère la plus tendre peut inventer pour soulager et consoler un
enfant malade et l'aider à sanctifier ses souffrances, l'ingénieuse chanté de Camille le mettait
en oeuvre.
Encouragé par les premiers succès de son œuvre, l'apôtre de la charité porta plus
loin ses vues; il voulut que ses frères s'engageassent à servir les pestiférés, les prisonniers
et ceux mêmes qui mourraient dans leurs propres maisons. H leur ordonna d'exhorter les
malades qu'ils assisteraient, à régler de bonne heure leurs affaires temporelles, afin qu'ils
pussent ensuite s'occuper de celle de leur salut; de ne point les laisser trop longtemps
avec des amis ou des parents qui pourraient les troubler par un excès de tendresse; de
leur inspirer de vifs sentiments de pénitence, de résignation, de foi d'espérance et de
charité; de leur apprendre à accepter la mort en esprit de sacrifice, et en expiation -de
leurs péchés. Il fit un recueil de prières qu'ils devaient réciter pottr les personnes qm
étaient à l'agonie.
Il n'y avait personne qui ne fût charmé d'une institution qui avait la chari'të pour
principe et le soulagement spirituel et temporel des malades pour but. Le projet en parais-
sait d'autant plus admirable qu'il avait été formé et exécuté par un -homme sans lettres et
sans crédit. Le pape SMte-Quint le confirma en 1586, et donna à Camille l'église de Sainte-
Marie-Madeleine pour son usage et pour celui de ses frères. En 1591, Grégoire XIV érigea la
nouvelle congrégation en ordre religieux, sous l'obligation toutefois d'ajouter aux vœux de
pauvreté, de chasteté et d'obéissance, celui de servir les malades, même ceux qui seraient
attaqués de la peste.
L'humilité du saint fondateur était extraordinaire; il se regardait comme le dernier de
là communauté, an point que ceux qui le connaissaient en étaient dans l'étonnement.
Voulant se donner plus de temps pour servir les pauvres et se dérober à l'attention, il se
démit du généralat de son ordre en 1607. 11 parlait aux malades avec une onction à laquelle
il était impossible de résister; il leur apprenait à réparer les défauts de leurs confessions
passées, et leur inspirait les sentiments de componction et de repentir qui appellent le
pardon du ciel. L'amour de Dieu était le thème inépuisable de ses exhortations et même
de ses conversations; s'il lui arrivait d'entendre un discours où il n'en fût point parlé, il
disait que c'était un anneau auquel il manquait un <<MWKM~.
La pensée du ciel consolait Camille dans l'accomplissement de ce pénible apostolat. On
l'entertdait souvent répéter ces paroles de saint François d'Assise « Le bonheur que j'espère
est si grand que toutes les peines et toutes les souffrances deviennent pour moi un sujet
de joie.
Étant tombé malade dans un voyage qu'il fit pour visiter les maisons de son ordre, il
retourna à Rome. Averti par les médecins que sa maladie était désespérée, il s'écria « Je me
réjouis de ce que l'on m'a dit Nous irons dans la maison du Seigneur. » II reçut le saint
Viatique des mains du cardinal Ginnasi, protecteur de son ordre, et rendit son âme à Dieu le
1& juillet 1614, comme il l'avait prédit, a l'âge de soixante-cinq ans. Son corps fut inhumé
auprès du grand autel de l'église de Sainte-Marie-Madeleine. Mais Dieu ayant fait connaître
dans la suite la sainteté de son serviteur par les nombreux miracles opérés A son tombeau,
il fut exhumé et placé sous l'autel même. Il a été depuis renfermé dans une chasse en
bronze qui est placée sous l'autel de l'une des chapelles de l'église. On voit dans une autre
chapelle, à droite, le crucifix miraculeux, qui, détachant ses mains de la croix, adressa
un jour au serviteur de Dieu ces consolantes paroles « De quoi vous affligez-vous, homme
pusillanime? Continuez votre entreprise, je serai votre appui. Cette œuvre n'est pas la
vôtre, mais.la mienne. »
On conserve religieusement dans le couvent des Croceferi la chambre qui fut habitée
par saint Camille de Lellis. Suivant l'usage d'Italie, elle a été transformée en chapelle.
Cette chambre est carrée. Au fond est une fenêtre à plein cintre devant laquelle est un
autel garni d'une vitrine où sont renfermées plusieurs reliques du saint, savoir deux
paires de chaussures, une espèce de verge, des bas et des tuniques de lin et de laine, une
bavette, un mouchoir de poche, une lampe de verre, deux coupes et un morceau de
chandelle. Au milieu de toutes ces reliques se trouve une botte renfermant les lettres et les
constitutions du saint. La vitrine dans laquelle sont déposés tous ces objets précieux, est
surmontée d'un petit tableau ovale représentant saint Camille aux pieds de la sainte Vierge.
Quant aux parois, elles sont recouvertes de peintures. A droite, en entrant, est un
tableau représentant le saint au moment où il reçoit le saint Viatique des mains du cardinal
Ginnasi. A gauche, on le voit étendu sur un lit de parade.
Dans un coin de la chambre, on remarque un grand reliquaire en forme d'ostensoirr
renfermant le pied droit du saint. On voit dans cette précieuse relique les traces d'une
plaie qui lui rongea les chairs et même l'os.
Saint Camille de Lellis fut béatifié en 16~2, et canonisé en 16&4 par Benoît XIV.
~ctons. 1° C'est la gloire de la religion chrétienne d'avoir pourvu efficacement au soulagement de
toutes les misères. 2° Il n'y avait que l'exemple d'un Dieu rédempteur qui pût inspirer de si généreux
sacrifices. 3" Montrons donc que nous sommes dignes d'être ses disciples, en les continuant selon notre
pouvoir.
PfuÈRE.– Seigneur, faites moi la grâce d'entrer dans votre esprit, afin d'entrer dans vos opéra-
tions car ce n'est pas tout de faire le bien, il faut le bien faire. Donnez nous de faire toutes choses
dans l'esprit de Jésus-Christ; donnez-nous cette charité ardente et dévouée qui accomplit les oeuvres de
miséricorde spirituelle et corporelle sur les membres souffrants de votre Fils; donnez-nous cette prudence
chrétienne qui consiste à juger, à parler, à opérer, comme la sagesse éternelle, revêtue de notre chair,
a jugé, parlé et opéré. Ainsi soit-il. (SAINT VtNCE~T DE PAUL.)
CHAMBRE
t'EE
(A. D. 1556-tMS.)
RoME a sur les autres églises le glorieux avantage d'avoir ouvert la première des écoles
gratuites pour les enfants du peuple. L'initiative de cette institution charitable est due à un
saint prêtre, qui a laissé des souvenirs précieux dans la ville éternelle. Joseph de Calasanz,
né le il septembre 1856, d'une famille noble et riche, donna dès ses plus tendres années
des indices de sa tendre charité pour les enfants, et du soin qu'il prendrait un jour de leur
éducation; étant encore très-jeune, il aimait à les réunir autour de lui, à leur apprendre
les mystères de la foi, ainsi que les ~ières quotidiennes. Devenu prêtre, après de longues
et fortes études, il évangélisa pendant huit ans, avec le zèle et le succès d'un apôtre, plusieurs
provinces d'Espagne. Mais, d'après une inspiration particulière, il se rendit à Rome, en 1592.
Là, non content de macérer son corps par les jeûnes, les veilles et de grandes austérités, il
s'occupait à instruire les enfants, à visiter et à consoler les malades, à soulager les pauvres
les plus abandonnés, et s'associait à saint Camille de Lellis pour le service des pestiférés.
M fut ainsi vingt ans à étudier la volonté de Dieu et à s'y préparer.
Dieu lui ayant fait connaître qu'il était appelé à l'éducation des enfants, surtout des
enfants pauvres, il établit, sous la protection spéciale de la sainte Vierge; une congrégation
de religieux, dite des Écoles-Pies. L'objet de cette congrégation est d'apprendre aux enfants
à lire, à écrire, à calculer, à tenir les livres chez les commerçants et dans les bureaux,
et d'enseigner les humanités, les langues savantes, la philosophie, les mathématiques et
la théologie. Elle se répandit bientôt jusqu'en Espagne, en Autriche et en Pologne. Mais,
pour la fonder et la propager, le saint instituteur supporta tant de travaux et souffrit tant de
contradictions, et avec une si invincible patience, qu'on l'appelait un autre Job. Quoique
supérieur général, il ne laissait pas d'instruire les petits enfants, surtout les plus pauvres, au
point de balayer lui-même leurs salles et de les accompagner dans les rues. Malgré une faible
santé, persévéra cinquante ans dans cet humble ministère. Aussi Dieu le favorisa-t-il du
il
don de prophétie et de miracles. A l'âge de plus de quatre-vingts ans, it eut a subir la
persécution de trois membres de sa congrégation. Calomnié auprès de l'autorité, il fut tra-
duit publiquement devant un tribunal de Rome; bientôt même il fut déposé de sa charge de
supérieur général, et obligé de subir le joug de son principal persécuteur. Le 25 août 16~8,
il mourut à Rome, dans la disgrâce, à l'âge de quatre-vingt-douze ans, après avoir prédit le
rétablissement et l'accroissement de son ordre, qui, à ce moment-là, était presque anéanti.
La vertu de Joseph de Calasanz ne tarda pas à sortir du nuage dont la calomnie l'avait
enveloppée. Dieu se chargea de justifier son serviteur en glorifiant sa tombe par de nombreux
miracles. La fête de saint Joseph de Calasanz a été fixée au 27 août. Son office a été approuvé
en 1769.
Les enfants de saint Joseph de Calasanz ont conservé avec un religieux respect la maison
sanctifiée par la présence de leur fondateur. Cette maison est devenue pour eux un sanctuaire
riche en souvenirs et en précieuses reliques; c'est le couvent qui tient à l'église de Saint-
Pantaléon. II est occupé par les Frères des Écoles chrétiennes, fondés par saint Joseph de
Calasanz. On y voit encore la grande salle dans laquelle il faisait les écoles; une inscrip-
tion rappelle qu'un jour, dans cette salle même, étant au milieu de ses religieux, la sainte
Vierge, portant le divin Enfant, lui apparut, remplissant tout l'appartement d'une lumière
'éclatante et de l'odeur des parfums les plus exquis. Le saint fut ravi en extase et soulevé
de terre, en présence de ses frères qui attestèrent ce miracle.
Cette scène est représentée dans le tableau qui est au-dessus de l'autel élevé dans cette
salle.
A droite de cet autel se trouve une porte au-dessus de laquelle on lit l'inscription
suivante
Sur la porte même se trouve une pancarte où le fait suivant est rapporté
Un jour que saint Joseph de Calasanz allait visiter un de ses amis très-malade, le véné-
rable Glicerio Landriani, celui-ci lui dit Mon père, je ne veux pas mourir sans avoir reçu
votre bénédiction, et quand même je serais mort avant, j'irais vous la demander.
Saint Joseph de Calasanz, l'ayant refusée par humilité, s'en alla. Mais le jour même, le
vénérable Glicerio mourut, et pendant la nuit il vint frapper à la porte de saint Joseph et
entra dans sa chambre pour lui demander sa bénédiction.
Au fond de cette chambre se trouve un autel où l'on célèbre le saint sacrifice, le 27 août.
jour de la fête de saint Joseph.
Un tabernacle vitré, placé au milieu de cet autel, contient le calice, la patène et la palle
dont se servait saint Joseph pour dire la messe.
Au-dessus est un tableau qui le représente en extase.
De chaque côté de l'autel, dans des armoires vitrées, sont les ornements sacrés dont il
se servait.
D'autres armoires vitrées, tout autour de la chambre, renferment les différents objets qui
lui ont appartenu, son lit, ses vêtements, son linge et ses ustensiles de ménage.
On conserve même avec soin, dans une salière, le sel qui s'y trouvait les dernières fois
qu'il mangea.
On conserve aussi un très-grand nombre de ses écrits, qui forment huit fort volumes
reliés.
Ses meubles, qui sont en bois très-commun, sont placés sur les armoires, afin qu'ils
n'encombrent pas trop cette chambre qui a été convertie en chapelle. La table sur laquelle
il écrivait est soigneusement renfermée.
On conserve encore, avec les instruments de ses pénitences corporelles, disciplines,
cilices, etc., une pierre de marbre, qu'il était obligé de placer sur son cœur pour le rafraî-
chir, lorsque, dans ses transports d'amour pour Dieu, la chaleur extérieure s'accroissait à
un degré trop élevé.
On voit aussi, sous un globe de verre, son masque, pris sur sa figure après sa mort.
Un grand reliquaire, que l'on tient ordinairement voilé, contient son foie, son cœur, sa
langue et son estomac soigneusement embaumés et desséchés.
La fenêtre, la porte et le plafond de cette chambre sont tels qu'au temps où le saint
vivait.
IIdemeura là trente-six ans.
Le corps de saint Joseph de Calasanz repose dans une urne de porphyre, sous le maltre-
autel de l'église, qui est sous son vocable et sous celui de saint Pantaléon. Cette église est
attenante au couvent.
Réllexions. 1° Les personnes chargées de l'éducation des enfants doivent se persuader que le succès
de leurs soins dépend principalement de leurs exemples. 2° Leurs élèves croiront toujours que ce qu'ils leur
voient faire est permis, et les plus belles maximes ne produiront aucun effet, si elles se trouvent en oppo-
sition avec leur conduite.
PmÈnE. 0 saint Joseph de Calasanz, mon très-doux protecteur, vous êtes cette grande âme qui brûla
continuellement sur cette terre de la plus vive chanté pour Dieu et pour le prochain. C'est cet amour qui
vous fit constamment abhorrer le péché, conserver votre innocence et aspirer au martyre. C'est lui qui vous
rendit ardent à convertir les hérétiques, à ramener les pécheurs, à élever chrétiennement la jeunesse. C'est
lui qui fit de vous le père et le soutien des afuigés, des vierges, des veuves, des orphelins, des infirmes,
des prisonniers et des malheureux de toute espèce. 0 mon saint avocat, votre charité ne s'est pas éteinte
au ciel. Au contraire, elle a augmenté et s'est enflammée davantage. Jetez d'en haut un regard de pitié
sur un pauvre malheureux qui implore votre protection. Considérez les misères de mon âme, et soyez ému
de compassion. Ah! demandez pour moi au Père de la grâce, à Celui qui règle les cœurs, la lumière pour
me connaître, la douleur pour pleurer mes fautes, la volonté et la force pour pratiquer les devoirs d'un
chrétien, la persévérance finale pour bien mourir. Secourez-moi encore, puissant protecteur des affligés, dans
mes besoins temporels, pourvu que l'absence des peines ne soit pas pour moi un obstacle à la conquête
des biens éternels. Si cela était, laissez-moi dans les tribulations, mais obtenez-moi la grâce de souffrir avec
patience et de remercier le Seigneur. Vous m'en avez donné l'exemple, vous qui, agité et affligé par tant de
traverses, par tant de persécutions et tant de travaux, avez conservé cependant la tranquillité et la justice
dans votre cœur, et la louange et la reconnaissance sur les lèvres, ce cœur et ces lèvres que Dieu a voulu
conserver purs et sans tache, à la honte du temps et des éléments. Soyez-moi propice, ô saint protecteur, et
bénissez-moi. Ainsi soit-il!
(Traduit de l'italien.)
CHAMBRE
DE
(A. D.)550-)568.)
Réflexions. 1° Heureuses les âmesqui, fuyant le monde, préfèrent la maison du Seigneur aux taber-.
nacles des pécheurs! 20 Le monde les plaint; ah! c'est qu'il n'a jamais goûte les saintes délices dont les
enivre le divin Époux.
PtUF.RE. 0 mon très-aimable protecteur Stanislas, séraphin de charité, je me réjouis avec vous de
cette flamme ardente d'amour qui conserva toujours votre cœur pur, innocent, élevé et uni à son Dieu, et
je vous supplie humblement de m'obtenir du Seigneur un tel amour pour lui seul, qu'il consume toutes
mes affections terrestres.
CHAMBRE
DE
E
(t568-)59L)
LE COLLÉGE romain est le plus important établissement d'instruction publique qui ait été
fondé au xvi" siècle. Il a servi de modèle à tous les établissements de ce genre en Europe.
et aujourd'hui encore il se tient à la hauteur de son ancienne réputation. II possède une
bibliothèque de près de soixante-dix mille volumes, un observatoire un musée fondé en
partie par le célèbre père Kircher et qui contient une collection nombreuse de camées,
médailles, vases, bronzes, terres cuites, peintures antiques, monuments de tous les pays
et de tous les âges, parmi lesquels sont venus prendre place, tour à tour, l'épée du connétable
de Bourbon et la pipe de Thamas Kouli-Kan.
Mais à côté de tous ces trésors il en est d'autres plus inappréciables qui saisissent for-
tement l'âme lorsqu'on entre dans cette sainte demeure. Ceux qui donnèrent la vie à cette
magnifique institution, ceux qui en firent comme le centre du mouvement des intelligences
au xv!" siècle, ces héros de la science et de la foi, Ignace François de Borgia, Laynez,
Bellarmin, ont passé par là. Leur souvenir plane, comme un encouragement et une béné-
diction, sur ces salles où ils présidèrent aux études, sur ces chaires où peut-être retentit
leur parole, sur ces modestes cellules qu'ils ont habitées. Parmi cette pléiade de saints qui
ont illustré cette grande école catholique, il y a un nom béni qui est devenu cher à la
jeunesse chrétienne, et dont le souvenir reste vivant à Rome. C'est Louis de Gonzague,
ce jeune saint, la fleur de la Compagnie de Jésus, que la douce aménité de son caractère
et ses vertus angéliques avaient rendu l'objet d'un affectueux respect, et tout ensemble un
des saints les plus populaires de la ville éternelle, le protecteur le plus aimé de la jeu-
nesse romaine. Fils aîné du marquis Ferdinand de Gonzague, prince du saint-empire, Louis
de Gonzague naquit au château de Castiglione, au diocèse de Bresse, le 9 mars 1568. Il fut
élevé dans la crainte de Dieu par sa pieuse mère. Louis, encore enfant, avait un abord si
aimable et un maintien si modeste, qu'H semblait à
ceux qui le portaient entre leurs bras
qu'ils tenaient un ange à la vue duquel ils se sentaient intérieuremeut amenés
à la vertu.
Dès l'âge de sept ans, il fut tellement prévenu des grâces du Ciel, qu'il
résolut dès lors
de renoncer à l'amour du siècle pour se consacrer tout entier à l'amour divin.
Il avait ses
exercices de piété réglés comme un homme déjà expérimenté dans la vie spirituelle. A
huit
ans, son père le mena à la cour du grand-duc de Toscane; mais, bien loin de se laisser
corrompre à un air si contagieux, Louis y continua ses exercices spirituels; et, pour triom-
pher plus facilement des embûches du démon, des appas du monde
et de sa propre
concupiscence, il prit la sainte Vierge pour son avocate,
se mit sous sa protection, et fit
vœu de virginité perpétuelle. Lorsqu'il eut atteint sa seizième année, il résolut d'exécuter
le dessein qu'il avait formé de se faire religieux. Il
entra au noviciat de la Compagnie
de Jésus j'an 4585, n'ayant pas encore dix huit
ans accomplis. Il fut dès le premier
jour le modèle des novices par sa modestie,
sa piété et sa soumission à la règle. Il allait.
les jours de fête catéchiser les
pauvres et les paysans; il visitait les hôpitaux, laissant
partout les témoignages les plus touchants de son humilité et de
sa charité. En i59j
une épidémie s'étant déclarée à Rome, Louis se dévoua au service des malades;
c'est
en les assistant qu'il fut atteint de la contagion. Loin de s'en attrister, il remercia Dieu de
hâter le jour de sa délivrance. Les remèdes qu'on lui prescrivit le
soulagèrent pendant
quelque temps mais il lui resta une fièvre lente qui dura trois mois,
comme pour lui
donner le moyen d'attendre avec plus de tranquiliité l'heureux
moment de sa mort. Nôtre-
Seigneur lui en ayant fait connattre le jour, il l'en remercia; puis, il dit
à ceux qui l'assis-
taient, qu'il quitterait la terre le jour de l'octave du Très-Saint-Sacrement.
En effet, le jour
même, le père Provincial étant venu le voir, lui demanda
comment il se portait « Nous nous
en allons, lui dit-il, mon Père.-Et où? reprit le supérieur. Au ciel,
ajouta-t-il, comme
je l'espère par la miséricorde de mon Dieu, si mes offenses
passées ne m'en empêchent.
Louis de Gonzague rendit son âme à Dieu, la nuit du 20 »
au 21 juin 1591. II était âgé de
vingt-trois ans, trois mois et onze jours.
Dès que sa mort fut connue, l'infirmerie où était
son corps fut envahie par les
élèves du collége, qui songeaient moins à prier
pour le repos de son âme qu'à se recom-
mander à son intercession plusieurs d'outre
eux se jetèrent sur ses vêtements, qu'ils se
disputaient comme de précieuses reliques.
Le corps de Louis fut transporté processionnellement
à l'église du collége et inhumé
dans la chapelle du Crucifix,
au côté gauche de l'église. Il a été exhumé depuis et
Placé dans la magnifique chapelle qui
a été bâtie sous son nom par le marquis Scipion
Lancelotti. Cette chapelle fait partie de l'église
Saint-Ignace, qui est attenante au Collége
romain. On admire dans cette chapelle, qui
se trouve à droite, un bas-relief de Legros,
représentant saint Louis de Gonzague. Sous l'autel brille
une châsse revêtue de lapis-lazzuli
dans laquelle repose le
corps virginal du jeune saint. L'autel est remarquable par les
marbres précieux et les colonnes
torses de ~rt antique dont il est orné.
Après avoir visité le tombeau de saint
Louis de Gonzague, on aime à visiter aussi les
chambres qu'il a habitées
au Collége romain. La piété de la jeunesse de Rome en a fait
autant de sanctuaires. E!!es sont connues sous le nom de C~ sanc-
tuaires sont an nombre de trois uue chapette de la sainte Vierge, la chambre que saint
Louis habita, et une vaste salle ornée de fresques qui sépare les deux chapelles.
Sur la porte qui donne entré? dans la salle on lit
MEMORIvt ET HONORI
ALOYSII GONZAG/E COELESTIS PATRONI
CULTORES EJUS ANNO M DCC LXXXX
HOSPITIA SANCTUARIA EXORNAVERUNT.
Les murs de cette salle sont ornés de quatorze fresques qui reproduisent les plus mémo-
rables souvenirs de la vie du saint, dans l'ordre suivant
Saint Louis est représenté mettant le feu à une pièce de canon; il porte le casque et la
cuirasse; un ange étend devant lui sa main pour le protéger contre l'effet du recula
Vit'ibus deficit
Horrnrc ottpaj'nm qoHs vix noverat.
A S. CarotoBorronfpo
Cœlesti pane primum reficitur.
Saint Louis reçoit pour la première fois la sainte communion des mains de saint Charles
Borromée.
Senem coram adolescentibus
Turpia loquentem corripit et fugit.
H réprimande et quitte brusquement un vieillard qui tenait des discours obscènes devantt
des jeunes gens.
A P. Claudio Aquaviva
ln societatem admittitun
). Vie de saint /.OMM de ~oK~~Me, cdition d'Avignon, ch. n, p. 7 et t): ch. tl, p. 13: ch. v, p. ch. x, p. 5), et
ch.xx\u,p.S:
Excusat silentii regulam
Card. Borromaeo ad alloquium provocanti.
Le cardinal lui ayant adressé la parole il s'excusa de ne pouvoir lui répondre, à cause
de la règle qui lui prescrit le silence.
Saint Louis se rend en classe; il marche en tête de la file, les yeux baissés et dans la
tenue la plus modeste et la plus recueillie, qui suffirait à le faire reconnaître entre tous ses
compagnons, si le peintre n'avait pas entouré son front d'une auréole.
CuHnœ prœfecto subservit.
Le saint, l'auréole au fron lave des assiettes dans un baquet et les passe au frère
cuisinier, qui les pose dans les étagères.
~Egrum t e infectum
Ad nosocomium defert.
Tandis qu'au pied de son lit deux pères prient profondément recueillis, le saint, plongé
dans l'extase, rayonne et parait contempler un surnaturel et ravissant spectacle.
Benoît XIII est assis sur un trône et présente le décret au général de la Compagnie
de Jésus qui est à genoux devant lui. Plus loin, on voit aussi agenouillés et pieusement
attentifs, quelques écotiers du CoHége romain: un Germanique en soutane rouge, un orphe-
lin en soutane blanche, etc., etc.
Discipulorum Coll. Romani vota excipit.
Une file d'écoliers se dirige en chantant vers l'autel de saint Louis, portant dans
leurs mains des bourses richement travaillées où sont renfermées des adresses et des lettres
qui doivent rester durant huit jours exposées sur le tombeau du saint. Louis de Gonzague
plane dans les airs au milieu des nuages de gloire et laisse tomber un regard protecteur
sur ces candides offrandes. Cette cérémonie se fait tous les ans, le jour de la fête du
saint. Les bourses sont ensuite tivrées et envoyées aux dévots de saint Louis en Amérique,
en Angleterre, en France, etc.
La chapelle de la sainte Vierge s'ouvre sur cette salle. Consumée en 18~9 par un incen-
die allumé par tes révolutionnaires, elle a été restaurée en 1860.
On lit sur la porte:
25 novembre 1587, fête de sainte Catherine, saint Louis fit ses premiers vœux. On
voit encore sur l'autel le portrait de la Vierge, copie de la célèbre peinture de l'Espagnol
Sassoferrata, devant laquelle saint Louis accomplit cet acte de religion. Le dévouement des
soldats français casernés au Collége romain arracha aux flammes ce précieux souvenir.
comme aussi les nombreuses et belles reliques que possède cette chapelle.
Au -dessus de l'autel une belle fresque représente le Sauveur bénissant une corbeille
de grappes et un faisceau d'épis que lui présentent deux anges prosternés devant lui. D'autres
anges sont groupés encore autour de Jésus, les uns tenant dans leurs mains des encensoirs
odorants, les autres dans l'acte d'une adoration profonde. La fresque du milieu de la voûte
reproduit le triomphe de saint Louis reçu par la sainte Vierge et son Fils au séjour de
la gloire.
La troisième chambre est celle que saint Louis habita durant ses études en théolo-
gie. Elle a été convertie en chapelle. Au-dessus de la porte on voit le véritable portrait
de l'aimable saint, et je dois. dire qu'il ne ressemble aucunement aux portraits de fan-
taisie qui se vendent chez les marchands d'estampes. Le saint a la figure longue, le teint
pale, le nez aquilin, les pommettes saillantes, plutôt creuses que pleines. Un certain mé-
lange de force et de douceur répandu sur la physionomie harmonise tous les traits et
donne à la figure un caractère de maturité que justifient l'histoire du jeune héros chrétien,
et ces paroles de l'Écriture consacrées à son éloge c Mort à la fleur de l'âge, il avait vécu
les années du vieillard. Co7MMMMM<M~!?! brevi, explevit lempora mM~a.
A l'extérieur, au-dessus de la porte de la même chambre, on lit
On conserve sous l'autel les planches qui renfermèrent jusqu'à l'époque de sa béatifi-
cation le corps du saint. Des peintures qui rappellent divers traits de sa vie des croix
des médailles d'or et d'argent, des cœurs offerts par la piété des dévots de saint Louis.
embellissent ce sanctuaire pieux et recueilli. Parmi tous ces dons et ces témoignages de
piété on remarque un manuscrit du saint qui avait disparu en 18~9, et qui a été rendu au
Collége romain~ par le saint-père, à qui il avait été offert par un prêtre de la Vénétie qui
l'avait trouvé et acheté à Venise. C'est le traité de la pénitence écrit sous la dictée du
père Vasquez. L'écriture ferme et régulière du saint se lit aisément.
En 1861, le 21 juin, le Saint-Père envoya au Collége romain un nouveau témoi-
gnage de sa dévotion pour saint Louis. Il consiste en un lis de grandeur naturelle une
tige de vermeil porte huit fleurs dont trois fermées et cinq ouvertes. C'est un travail
d'une exquise élégance enrichi de riches pierreries distribuées avec art. Un pistil flexible
s'élève du fond des calices entr'ouverts et fait briller aux regards les couleurs changeantes
d'une pierre précieuse. Un ruban tissu de diamants serre le milieu de la tige et s'étend
des deux côtés pour laisser voir le nom de l'auguste donateur.
A la sacristie on voit encore des lettres autographes du saint, la copie d'un portrait
fait de son vivant et dont l'original se conserve à Modène, un crucifix peint sur toile que
saint Louis emporta avec lui de la maison paternelle.
C'est un vrai bonheur pour le pèlerin de visiter ces pieux sanctuaires d'où semble
s'exhaler je ne sais quel parfum d'innocence et de sainteté qui réjouit délicieusement le
cœur. Angélique jeune homme, fleur immortelle de la Compagnie de Jésus, et sa plus belle
apologie, modèle de la jeunesse chrétienne, aimable Louis de Gonzague obtenez pour la
jeunesse l'esprit sacré qui vous anima!
Réflexions. pour la foi de voir un jeune prince sacrifier avec tant de générosité tous
1" Quel spectacle
les avantages de la terre et se livrer avec tant d'ardeur à la pratique des vertus les plus héroïques!
2" Qu'avons-nous sacriné pour Dieu? Que faisons-nous pour lui?
PRIÈRE. Vierge sainte, Marie, ma souveraine, je viens me jeter dans le sein de votre miséricorde et
mettre, dès ce moment et pour toujours, mon âme et mon corps sous votre sauvegarde et sous votre pro-
tection spéciale. Je vous confie et remets entre vos mains toutes mes espérances, toutes mes peines et mes
misères, ainsi que le cours et la fin de ma vie, afin que, par votre très.-sainte intercession et par vos
mérites, toutes mes œuvres soient faites selon votre votonté et celle de votre divin Fils. Ainsi soit-il!1
<. En <858, le jour de la fête du saint. Ce précieux missel, de 402 pages in-4", est renfermé dans un étui en bois recouvert de
velours cramoisi avec des fermoirs et les armes de Pie IX en argent.
2. Cette prière a été composée par saint Louis de Gonzague.
CHAMBRE
DU BIENHEUREUX
CRISPINO DE VITERBE
AU COUVENT DES CAPUCINS.
(A.D.iOM-nSO.)
/<e/!e.rMMM. Depuis que Jésus-Christ a consacré les humiliations dans sa personne, elles sont deve-
10
nues pour ses véritables disciples un sujet de gloire. 2" Si donc nous éprouvons tant de répugnance à nous
y soumettre, c'est une preuve que notre foi est encore bien faible.
PR~nE.– 0 Dieu, qui avez élevé aux plus hautes vertus votre fidèle serviteur, le bienheureux Crispin,
accordez à nos prières qu'après avoir, par son intercession, imité ses vertus sur la terre, nous méritions
de jouir avec lui des torrents de délices que vous lui avez réservées dans le ciel; par Jésus-Christ Notre-
Seigneur, qui vit et règne avec vous en l'unité du Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Ainsi soit-it!
CHAMBRE
DU BIENHEUREUX
LÉONARD DE PORTO-MAURIZIO
.«
A SAINT-BONAVENTURE.
(A.D.)6'76-)T5t.)
/{f/!ej7t0))~. 1° Nous devons de temps en temps nous dérober au tumulte des affaires pour rentrer en
nous-mêmes. 2° C'est le seul moyen d'empêcher le dépérissement de la piété au milieu du commerce du monde
PmERE. 0 Dieu éternel, me voici prosterné devant le trône de votre majesté en vous adorant hum
blement, je vous offre toutes mes pensées, toutes mes paroles, toutes mes actions de ce jour; j'ai intention
de faire tout pour votre amour, pour votre gloire, pour accomplir votre divine volonté, pour vous servir,
vous louer et vous bénir; pour être éclairé dans les mystères de la foi, pour assurer mon salut et pour
espérer en votre miséricorde pour satisfaire à votre justice divine pour tant d'énormes péchés que j'ai com-
mis pour soulager les âmes du purgatoire, pour obtenir à tous les pécheurs la grâce d'une vraie conver-
sion en un mot, je veux faire aujourd'hui toutes mes actions en union des pures intentions qu'ont eues
en cette vie Jésus et Marie, tous les saints qui sont dans le ciel, et tous les justes qui sont sur la terre. Je
voudrais pouvoir signer de mon propre sang cette intention, et je voudrais même la répéter dans tous les
moments de ma vie, aussi bien que durant toute l'éternité. 0 mon Dieu, recevez ma bonne volonté; don-
nez-moi votre sainte bénédiction, avec une grâce efficace, pour ne pas tomber dans le péché mortel, mais
principalement durant cette journée, pendant laquelle je désire gagner toutes les indulgences qu'il me sera
possible, assister à toutes les messes qui seront célébrées aujourd'hui dans tout l'univers, en en faisant l'ap-
plication aux âmes du purgatoire, afin qu'elles soient délivrées de leurs peines. Ainsi soit-il 1
PAUL DE LA CROIX
A SAN GIOVANNI E PAOLO.
(A.D.1994-)T!5.)
PAUL, surnommé de la Croix, fils de Luc Danei et d'Anne-Marie Massari, naquit le 3 jan-
vier 169~, à Ovada, dans le diocèse d'Acqui, en Piémont. Il reçut au baptême les noms de
Paul-François; sa mère, qui était très-pieuse, lui inspira de bonne heure l'amour de la vertu.
La vie des saints anachorètes ces parfaits modèles de pénitence, avait pour le jeune Paul
un charme particulier. Il conserva précieusement le souvenir de leurs vertus, et il com-
mença dès son jeune âge à les pratiquer.
Paul s'était lié d'amitié avec plusieurs jeunes gens vertueux tous leurs entretiens rou-
laient sur des sujets de piété, mais celui sur lequel Paul insistait davantage était la passion
de Jésus-Christ. Ce mystère le touchait si sensiblement que, le vendredi, il se contentait pour
toute nourriture d'un morceau de pain et ne buvait qu'une boisson qu'il composait secrè-
tement de fiel et de vinaigre. Le désir de combattre les ennemis de la foi le décida à
s'engager comme volontaire dans une armée que formait la république de Venise pour faire
la guerre aux Turcs; mais bientôt il comprit que Dieu l'appelait à une autre milice. Il
forma alors le projet de fonder une congrégation établie sur l'entier détachement des choses
de la terre, et il en traça le plan. Il soumit son dessein à son évoque, qui l'ayant approuvé,
lui donna l'habit religieux le 22 novembre 1720. Paul, à cette époque, était âgé de vingt-
six ans; ce fut probablement dès cette époque qu'il ajouta à son nom celui de la Croix.
Le nouveau religieux se retira dans une espèce de cellule, prés de l'église de Saint-
Charles, à Castellazo, lieu que sa famille habitait. C'est là qu'il dressa la règle de l'institut
qu'il voulait établir. Son nouveau genre de vie lui causa bien des répugnances et des
combats intérieurs, mais il les surmonta par le secours de la grâce. Son travail achevé, il
alla demeurer avec son frère Jean-Baptiste dans un ermitage, près d'une église de cam-
pagne. De la il parcourait les pays d'alentour pour y prêcher la pénitence. Paul se retira
ensuite sur le mont Argentaro, dans un ermitage qui portait le nom de 1 Annonciation. Son
frère l'y suivit bientôt, et là ils se livrèrent aux exercices de la plus rude pénitence. Émile
Cavalieri, évéqne de Troja, dans le royaume de Naples, instruit de la sainteté de ces deux
religieux, les appela dans son diocèse. Ils s'empressèrent de répondre à l'invitation du pieux
prélat et remplirent ses intentions en édifiant son peuple par l'austérité de leur vie.
L'année sainte de 1725 les ayant appelés à Rome, ils y virent Benoît XIII qui ap-
prouva de vive voix le genre de vie des deux frères et leur permit de recevoir des no-
vices. Deux ans après, le même pontife les ordonna prêtres, et leur témoigna dans cette
circonstance un intérêt particulier. Après diverses courses ils retournèrent au Mont-Argen-
taro. C'est dans ce lieu qu'ils jetèrent les fondements de la Congrégation connue maintenant
sous le nom de Société des Pères Passionistes. Trois sujets se présentèrent bientôt, un clerc
et deux laïques; ils devinrent leurs premiers compagnons. Alors Paul et son frère commen-
cèrent à donner des missions. Les succès les plus éclatants couronnèrent les efforts de
Paul; son air humble et mortifié touchait les cœurs, et ses discours convertissaient les
pécheurs. Il acquit une telle considération dans l'esprit des habitants d'Orbitello, ville de
Toscane, qu'ils lui firent bâtir une maison de retraite en forme de communauté régulière.
Le saint homme en prit possession le 1lt septembre 1737, avec neuf nouveaux compagnons,
car les premiers l'avaient quitté. Il eut peu de temps après, le 15 mai 17&1, la consolation
d'obtenir du pape Benoît XIV un bref pour la confirmation de son institut.
Ainsi assuré de l'approbation du Saint-Siège, auquel il était sincèrement soumis, Paul
s'occupa de perfectionner l'organisation de sa congrégation.
Cet homme de Dieu avait acquis sur l'esprit des peuples une si grande autorité, par la
sainteté de sa vie et la force de ses prédications, que les plus grands pécheurs et les hommes
des classes les plus élevées de la société cédaient à la puissance merveilleuse de son élo-
quence. Un officier supérieur de troupes lui dit un jour, après s'être confessé « Mon père,
je me suis trouvé à la guerre dans des actions assez chaudes, et j'ai été assez près du canon;
mais jamais je n'ai tremblé comme je le fais de la tête aux pieds, maintenant que je suis
devant vous.
Le désir de conserver les fruits des prédications du saint missionnaire porta les habi-
tants des divers pays qu'il avait évangélisés à établir de nouvelles maisons de son institut.
Il eut la satisfaction d'en voir s'élever douze, et une communauté de femmes qui s'étaient
réunies sous une règle commune qu'il leur avait tracée.
Ce ne fut pas sans de grandes contradictions et sans beaucoup d'obstacles que le
serviteur de Dieu parvint à former ces établissements; on chercha même à détruire sa
congrégation; mais sa prudence, sa douceur et sa patience assurèrent le succès de ses
entreprises. Il entretenait l'esprit de ferveur dans ces maisons par les visites qu'il y faisait,
et il assura leur existence par l'approbation de sa société, qu'il obtint successivement
des papes Clément XIII, Clément XIV et Pie VI. Paul de la Croix témoignait un grand zèle
pour la propagation de la foi, et lorsqu'il rencontrait des missionnaires zélés et pleins de
l'esprit apostolique, il ne se lassait jamais de les écouter. Il priait beaucoup pour les peuples
privés de la lumière de la foi, et surtout pour la conversion de l'Angleterre. Souvent il
disait à ses religieux « Priez pour l'Angleterre; pour moi, quand je le voudrais, je ne pour-
rais m'empêcher de le faire. Dès que je me mets en prière, ce malheureux royaume se
présente à mon esprit; et voilà plus de cinquante ans que je prie pour sa conversion~. »
Dans sa vieillesse, Paul vint se fixer à Rome, où il donna sa dernière mission pendantt
le jubilé de 1769. Le pape Clément XIV lui donna l'église de Saint-Jean-Saint-Paul ainsi
que la maison qui y est jointe et que venaient de quitter les pères de la Mission. Cette
maison fut la dernière demeure du serviteur de Dieu. Une incommodité qui alla toujours
en augmentant lui annonça que sa fin était prochaine. Il s'y prépara par un redoublement
de ferveur et par la réception des Sacrements.
Enfin, après avoir donné à ses Frères les plus beaux exemples de vertu et les plus
sages conseils, le saint vieillard expira tranquillement, le 18 octobre 1775, pendant qu'on
lui lisait la Passion selon saint Jean; il était âgé de quatre-vingt-un ans. Tous les assistants
furent tellement pénétrés de la sainteté de Paul, qu'ils se disaient, après qu'il eut fermé
les yeux « Aujourd'hui nous avons vu comment meurent les saints. »
L'austérité de la pénitence du serviteur de Dieu et ses rudes travaux étaient des titres
suffisants pour faire désirer qu'il fût placé au nombre des héros de la religion que l'Église
honore d'un culte public. La canonisation ne tarda pas à être demandée, et peu de temps
après-sa mort on commença les enquêtes nécessaires pour y parvenir.
Le pape Pie VI le déclara vénérable. Pie VII, le 18 février 1821, proclama l'héroïsme
des vertus de Paul de la Croix; la Congrégation des Rites approuva, le 20 avril 1822, la
procédure faite à Fondi sur les miracles opérés par son intercession et, le 1~ mai 1853, on
célébra à Rome, dans l'église de Saint-Pierre du Vatican, la cérémonie de sa béatification.
Le corps du bienheureux Paul de la Croix a été inhumé dans l'église Saint-Jean et
Saint-Paul, au mont Cœlius. C'est dans le couvent attenant à l'église que le saint religieux
a passé les dernières années de sa vie. Le couvent est devenu le chef-lieu de l'ordre des
Passionistes. Ces humbles religieux conservent avec un pieux respect la chambre où leur
vénérable fondateur passa ses derniers jours. On arrive à cette chambre par un bel esca-
lier. Une porte à deux battants y donne entrée.
t. Par suite, cette pieuse sollicitude du serviteur de Dieu pour le royaume d'Angleterre s'est transmise à ses enfants, qui
conservent l'espoir d'être appelés à contribuer un jour à )a conversion de )'/<e des Saints, depuis si longtemps séparée de la
seule véritable Église. En l'année 4834, un prêtre français, se trouvant à Rome, visita )e couvent de Saint-Jean et Saint-Paul,
où réside le Père générai de la congrégation des Passionistes. Il fut frappé de la régularité angélique de CM fervents religieux,
et vivement impressionné du désir ardent qu'ils témoignaient de passer en Angleterre. De retour en France, il se mit en devoir
d'aider aux préparatifs de cette importante mission, et, en 4840, quatre prêtres passionistes italiens venaient fonder une maison
de leur ordre à Ère, près Tournai, en Belgique, dans une propriété appartenant à une famille française.
Le premier sujet qui se présenta pour être admis au noviciat fut un jeune Anglais de haute naissance et nouvellement
converti. Il enseigna la langue anglaise aux Pères, persévéra dans sa sainte vocation, et lord Spencer devint ainsi l'humble Père
Ignace.
Le Père Dominique, supérieur du monastère beige, fut invité peu de temps après par Mgr Wiseman, alors coadjuteur de
M~Watsch, à se rendre dans le district central. I) fit d'abord deux fois le voyage d'Oscott, où est établi le séminaire épisco-
pal et, en <842, la règle des Passionistes s'observait à Aston-Hall, près de la ville de Stone. Le Père Dominique étaMit e<Muit<'
son institut à Woodchester, dans )e comté de Glocester. Quand il mourut, il s'occupait de la fondation d'un autre monastère à
Hampstead, près de Londres.
Ce fut le Père Dominique de la Mère de Dieu qui eut )e bonheur de recevoir l'abjuration du célèbre docteur Newman
dont )e retour au catholicisme eut tant d'éclat, et qui est aujourd'hui à la tète de la Congrégation de l'Oratoire en Angleterre.
Le premier objet digne de remarque que l'on voit dans cette chambre, c'est, à droite en
entrant, un globe de verre de grande dimension, sous lequel se trouvent deux masques de
cire moulés sur la figure du bienheureux Paul après sa mort. Ils respirent une paix pro-
fonde et n'ont rien de repoussant. Ces deux masques sont placés sur une table ornée de
draperies. A côté, se trouve une grande vitrine dans laquelle sont placés tous les vêtements,
tes ornements d'église et les livres qui ont appartenu aux bienheureux.
Une vitrine semblable, faisant face à celle-ci, renferme son linge et autres objets qui
étaient a son usage. Le tout est soigneusement attaché, étiqueté et scellé de cire rouge.
L'autel qui est placé entre ces deux vitrines forme le fond de la chambre. Il est sur-
monté d'un tableau très-ordinaire, représentant le bienheureux Paul enlevé au ciel par les
Anges.
Dans une autre partie de la chambre, près d'une grande et belle fenêtre, on remarque
un grand fauteuil dans lequel le bienheureux se reposait de ses fatigues.
Enfin, au fond de cette même chambre, à l'extrémité opposée à l'autel, se trouve une
petite porte qui conduit dans une seconde pièce très-petite, où se trouve un autel fort simple.
C'était là que le bienheureux célébrait la messe lorsque son âge et ses infirmités ne lui
permettaient pas de descendre A l'église.
Réflexions. l°QueHe glorieuse fonction que de coopérer avec Jésus-Christ au salut des âmes! 2° Quand
nous n'en sauverions qu'une, devrions-nous plaindre nos peines?
PtUERE'O glorieux Faut, qui fûtes ici-bas un miroir d'innocence et un exemple de pénitence, saint
héroïque que Dieu destina à méditer nuit et jour la douloureuse passion de son Fils unique, et à répandre
dans le monde la piété et la dévotion, par le moyen de vos prédications, de votre exemple et de votre in-
stitut ô apôtre puissant par la parole et par les œuvres, qui avez consacré votre vie à ramener aux pieds du
crucifix les âmes égarées de tant de pauvres pécheurs, de grâce jetez du haut du ciel un regard favorable
sur mon âme, et écoutez mes prières. Obtenez-moi un amour si grand pour la passion de Jésus, qu'en médi-
tant sans cesse sur ce sujet, cet amour me fasse partager ses peines, reconnaître la malice de mes péchés
dans les profondes plaies de mon Sauveur, et obtenir de lui, comme de la source du salut, la grâce de
les pleurer amèrement, et une volonté efficace de vous imiter dans votre pénitence, si je ne l'ai pas fait
dans votre innocence. Accordez-moi, ô bienheureux Paul, la grâce que j'implore prosterné à vos pieds, par-
ticulièrement en ce moment. (Exprimer ce que l'on désire.) De plus, obtenez à la sainte Église, notre mère,
la victoire sur ses ennemis, aux pécheurs leur conversion, aux hérétiques, et spécialement à l'Angleterre où
vous avez tant prié, le retour à la foi catholique. Enfin obtenez-moi de Dieu une sainte mort, afin que je
puisse avec vous aller jouir de lui pendant l'éternité. Ainsi soit-il Pa<M-, Ave, Gloria.
4. Sa Sainteté Pie IX a bien voulu accorder une indulgence d'une année à qui récitera cette prière dans les conditions
requises, et l'indulgence plénière le 46 novembre de chaque année, fête du bienheureux Paul, à gagner au jour de l'octave, à
qui aura récité cette même prière tous les jours pendant le mois précédent.
CHAMBRE
nr
VÉNÉRABLE JOSEPH LABRE
A LA VIA DI SERPENTE
(A.D.I'748-)'!83.)
BENOtT-JosEPH, fils de Jean-Baptiste Labre, laboureur et mercier, naquit le "26 mars 1748.
a Amette, paroisse de l'ancien diocèse de Boulogne, aujourd'hui du diocèse d'Arras. Son
éducation fut confiée à un de ses oncles paternels, prêtre, et curé d'Erin. Benoît-Joseph
avait l'esprit pénétrant, un jugement solide et la mémoire heureuse. Sa première jeunesse
fut remarquable par son innocence et sa piété. Son oncle ne tarda pas à découvrir les
merveilles que la grâce opérait dans l'âme de cet enfant; il lui enseignait la langue latine
et l'envoyait à l'école de sa paroisse. La lecture des sermons du P. Lejeune, célèbre pré-
dicateur de la congrégation de l'Oratoire, fit sur son esprit une impression profonde et
acheva de le détacher du monde. A la mort de son oncle, Benoît-Joseph sollicita de ses
parents la permission de se retirer à la Trappe. Ayant obtenu cette permission, il se rendit à
l'abbaye; mais, comme il n'avait que seize ans, les religieux le renvoyèrent. Affligé de cette
contradiction, Benoît-Joseph entreprit en 1770 le voyage d'Italie. Il songeait à entrer dans
quelque maison religieuse de ce pays; mais la Providence avait d'autres desseins sur lui, car il
ne paraît pas qu'il ait cherché & se fixer dans aucune maison religieuse. Il se rendit à Rome
après avoir passé par Lorette et par Assise, vivant en pauvre pèlerin. Arrivé dans la ville sainte,
il en visita les sanctuaires et fit divers pèlerinages dans des lieux très-éloignés. Il visita deux
fois la célèbre église de Notre-Dame d'Einsidlen ou des Ermites en Suisse; le tombeau de
Saint-Nicolas, à Bari, et le mont Gargan, dans le royaume de Naples. Dans ses voyages, il
marchait le plus souvent nu-pieds, en hiver comme en été, vêtu d'une redingote qui tom-
bait presque en lambeaux, sans compagnon de voyage pour ne pas être distrait, et
sans provisions pour le lendemain. II vivait d'aumônes, mais ne mendiait point il ne gar-
dait rien au delà du strict nécessaire, et partageait avec les autres pauvres ce qu'on
lui donnait par charité. Le serviteur de Dieu passa six années dans ces rudes exercices
de pénitence, après quoi il revint à Rome et n'en sortit plus que pour aller une fois
l'an à Lorette. Son unique occupation était de rester dans les églises la journée entière à
prier à genoux ou debout; le soir il allait entendre une instruction que l'on faisait aux
pauvres; puis it se retirait dans un enfoncement de murailles ruinées qui se trouvaient
près du Colysée. Ce lieu lui convenait beaucoup, parce qu'il se trouvait a proximité des sta-
tions du chemin de la croix érigé dans cet amphithéâtre; mais l'incommodité de ce séjour
le força dans la suite à le quitter, et à prendre un lit dans l'hôpital évangétique, où il
demeura jusqu'à sa mort.
Matgré tout le soin qu'il prenait de se dérober à l'attention, Benoît-Joseph devenait
l'objet de l'admiration publique, et on le vénérait comme un saint. Sa vie était une
prière continuelle, qu'il n'interrompait que pour exercer des œuvres de miséricorde ou
prendre quelques heures de repos. Le 16 avril 1783, qui était le mercredi saint, Benoît-
Joseph, qui avait passé le carême dans la pratique de la plus rigoureuse pénitence, tomba
évanoui sur les degrés qui conduisent à l'église de Notre-Dame-des-Monts à Rome; il fut
conduit chez un homme de bien, nommé Zacarelli, qui était son ami. A peine arrivé dans
cette maison, il perdit connaissance, et tandis qu'on priait pour lui la sainte Vierge, pour
laquelle il avait toujours eu une tendre dévotion, il expira tranquillement, le 16 avril 1783,
à l'âge de trente-cinq ans.
A peine Benoît-Joseph eut-il rendu le dernier soupir, que le peuple romain s'em-
pressa de lui* rendre hommage. « Le saint est mort tel était le cri qui s'échappait de
toutes les bouches. Son corps, exposé pendant cinq jours, conserva sa fraîcheur et sa
flexibilité, sans aucune marque de corruption. 11 fut inhumé près du maitre-autel de
l'église de Notre-Dame-des-Monts et son tombeau devint bientôt un des pèlerinages les
plus fréquentés de Rome. On invoquait avec confiance le serviteur de Dieu. Cette confiance
ne fut pas vaine. Des miracles nombreux manifestèrent son pouvoir dans le ciel. On
compte plus de cinquante villes où des guérisons subites ont été opérées par son intercession.
Ces prodiges furent si publiquement constatés, qu'un ministre anglican, nommé Thayer, qui se
trouvait alors à Rome, se rendant à l'évidence, se convertit à la foi catholique. On commença
sans délai instruire le procès de canonisation de Benoît-Joseph Labre. Dès l'année 1783, la
Congrégation des Rites lui décerna le titre de Vénérable. M~ de Pressy, évéque de Boulogne
publia un mandement le 3 juillet 1783, pour annoncer à ses diocésains les vertus et la
sainte mort du serviteur de Dieu. Enfin le Vénérable Benoît-Joseph a été béatifié par
Sa Sainteté Pie IX glorieusement régnant, en 1860.
La gravure ci-jointe représente la pauvre cellule que le bienheureux habita pendant
son séjour à Rome.
/<MOtM. 1° On ne tient plus à rien sur la terre quand on a goûte le bonheur de servir Dieu.
2° Ce que le monde estime parait si petit et si méprisable, des qu'on en juge par les lueurs de la foi!
PRIÈRE. Je veux suivre, ô Jésus! le chemin que vous avez pris; je veux vous imiter; je ne le
puis que par votre grâce. 0 Sauveur abject et humble, donnez-moi la science des véritables chrétiens et
le goût du mépris de moi-même, et que j'apprenne la leçon incompréhensible à t'esprit htH~ny~m est
de mourir à soi-même par le détachement que produit la véritable humilité. (FÉNELON.)/~
~N.
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~j~~ y
TABLE DES MATIÈ RE S
IX.
ORDRE DES GRAVURES.
Lata.
Numéros. Pages.
1. Pie 1
7.
8. Navone.
6. Platonia de saint Pierre et de saint Paul à
nom.
Saint-Sébastien.
Bains de la maison de sainte Cécile à l'église de ce
Souterrain de sainte Agnès, place
37
41
45
53
9.
11.
12.
Chambre de saint François d'Assise à Ripa Grande.
Chambre de saint Grégoire le Grand à l'église de ce nom
10. Chambre de saint Dominique, de saint François et de saint Ange à Sainte-Sabine
Chambre de saint François d'Assise, saint Dominique, saint Ange, à l'église de la Mere-Admirabte.
59
65
73
17.
18.
19.
Chambre de saint Pie au couvent de Sainte-Sabine
V
23.
24.
Chambre de saint Joseph de Calasanz à Saint-Pantatëon.
Jésus
Chambre de saint Stanislas Kostka au Noviciat de la Compagnie de
t'a~fs.
133
137
25. Chambre de saint Louis de Gonzague au Cottëge Romain l<tl
26. Chambre du bienheureux Crispino de Viterbe au couvent des Capucins H7
27. Chambre du bienheureux Léonard de Porto-Maurizio à Saint-Bonaventure. H9
28. Chambre du bienheureux Paul de la Croix à San Giovanni ePaolo 153-
~M~
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