Vous êtes sur la page 1sur 167

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 1

LA FAÇADE ATLANTIQUE DE
L’AFRIQUE :
UN ESPACE GÉOPOLITIQUE
EN CONSTRUCTION

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 3


LA FAÇADE ATLANTIQUE DE L’AFRIQUE :
UN ESPACE GÉOPOLITIQUE
EN CONSTRUCTION

Sous la direction du Professeur


Rachid EL HOUDAIGUI

Pierre ADIMI
Zitha AFANG NDONG
Najib AL MAGHREBI
Abdelkhalek EL BIKAM
Youssef EL HAMDOUNI
Mohcine KARZAZI
Oumar KOUROUMA
Sarra SEFRIOUI

Comité scientifique du colloque :

Rachid EL HOUDAIGUI
Pierre ADIMI
Mohcine KARZAZI
Sarra SEFRIOUI

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 5


A propos d’OCP Policy Center

OCP Policy Center est un think tank marocain « policy oriented », qui a pour mission
de contribuer à approfondir les connaissances et à enrichir la réflexion autour de
questions économiques et de relations internationales revêtant un enjeu majeur pour le
développement économique et social du Maroc, et plus largement pour celui du continent
africain. À cet effet, le think tank s’appuie sur des productions analytiques indépendantes
et un réseau de partenaires et de chercheurs de premier plan, dans l’esprit d’une
plateforme ouverte de discussions et d’échanges.

Porteur d’une « perspective du Sud », celle d’un pays à revenu intermédiaire africain, sur
les grands débats internationaux ainsi que sur les défis stratégiques auxquels font face
les pays émergents et en développement, OCP Policy Center apporte une contribution sur
quatre champs thématiques majeurs : agriculture, environnement et sécurité alimentaire;
développement économique et social ; économie des matières premières ; et géopolitique
et relations internationales.

Sur cette base, OCP Policy Center est activement engagé dans l’analyse des politiques
publiques et dans la promotion de la coopération internationale favorisant le développement
des pays du Sud. Un de ses objectifs est de contribuer à l’émergence d’une « Atlantique
élargie », dont le potentiel reste très largement sous-exploité. Conscient que la réalisation
de ces objectifs passe essentiellement par le développement du Capital humain, le
think tank a pour vocation de participer au renforcement des capacités nationales et
continentales en matière d’analyse économique et de gestion.

Ce faisant, OCP Policy Center se veut être un incubateur d’idées, une source proactive
de propositions d’actions pour les politiques publiques des économies émergentes, et
plus largement pour l’ensemble des parties prenantes impliquées dans le processus de
croissance et de développement sur la scène nationale et régionale. En particulier, le think
tank a pour ambition de rapprocher la recherche académique de la prise de décision.

OCP Policy Center


Ryad Business Center – Aile Sud, 4ème etage - Mahaj Erryad - Rabat, Maroc
Website : www.ocppc.ma
Email : contact@ocppc.ma
Tél : +212 (0) 537 27 08 60 / Fax : +212 (0) 537 71 31 54

© OCP Policy Center. Tous droits réservés


Dépôt légal
Dépôt légal :: 2016MO1270
2016MO1175
ISBN : 978-9954-9557-4-1
ISBN : 978-9954-9557-6-5
Les vues exprimées ici sont celles des auteurs et ne doivent pas être attribuées à OCP Policy Center.

6 La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction


Sommaire

PRÉSENTATION....................................................................................................................................................11

I. CONSTRUCTION DE L’IDENTITÉ GÉOPOLITIQUE MARITIME DE LA FAÇADE


AFRO-ATLANTIQUE : Une esquisse historique
Par Zita AFANG NDONG.....................................................................................................................................17

1. Aux fondements historiques d’une possible culture maritime des peuples de la


façade atlantique................................................................................................................................................ 18
2. De l’activité maritime avant les conquêtes européennes : quelques points
géopolitiques et géostratégiques ...........................................................................................................23
3. Les traditions maritimes à l’épreuve des enjeux actuels : l’héritage peut-il
expliquer le contexte actuel ?....................................................................................................................29

II. COMPLEXITÉ DE LA CRIMINALITÉ TRANSNATIONALE EN AFRIQUE DE


L’OUEST
Par Pierre ADIMI......................................................................................................................................................41

1. La criminalité transnationale organisée en Afrique de l’Ouest : caractère


polymorphe d’un phénomène complexe ............................................................................................. 42
2. Gouvernance politique et lutte contre la criminalité organisée en Afrique de
l’Ouest........................................................................................................................................................................54

III. GÉOPOLITIQUE DES RESSOURCES HALIEUTIQUES EN AFRIQUE


DE L’OUEST : Cas de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN)
Par Mohcine KARZAZI........................................................................................................................................65

1. Aperçu sur la situation des pêches................................................................................................... 67


2. Les répercussions de la pêche INN sur les territoires et populations de l’Afrique
de l’Ouest................................................................................................................................................................. 73
3. Les solutions requises contre la pêche INN................................................................................77

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 7


IV. LA PERCEPTION CHINOISE DE L’AFRIQUE ATLANTIQUE :
Une nouvelle ruée géostratégique
Par Youssef EL HAMDOUNI............................................................................................................................89

1. Évolution de la diplomatie chinoise.....................................................................................................90


2. Le calendrier économique chinois en Afrique : les germes d’une nouvelle présence
.......................................................................................................................................................................................94
3. Institutionnalisation et pérennisation des relations sino africaines............................ 97

V. L’AFRIQUE DU SUD ET LE NIGERIA DANS LA GÉOPOLITIQUE AFRICAINE :


Des puissances moyennes émergentes africaines, au-delà des débats et contre-
débats
Par Oumar KOUROUMA.................................................................................................................................. 107

1. Les puissances Sud-africaine et nigeriane en acte..............................................................108


2. Défis et perspectives des puissances Sud-africaine et nigeriane.............................120

VI. L’AFRIQUE ATLANTIQUE : Quel positionnement stratégique pour le brésil ?


Par Abdelkhalek EL BIKAM.............................................................................................................................135

1. Aperçu historique des relations afro-brésiliennes.................................................................136


2. Les enjeux de la politique Africaine du Brésil..........................................................................138
3. La production de la politique Africaine du Brésil.....................................................................141

VII. LES ZONES MARITIMES ET LA DÉLIMITATION DES FRONTIÈRES MARITIMES


EN AFRIQUE DE L’OUEST
Par Sarra SEFRIOUI..........................................................................................................................................149

1. Le Statut des différends relatifs aux frontières maritimes sur la côte africaine
atlantique...............................................................................................................................................................149
2. La délimitation maritime consensuelle dans la côte africaine en Atlantique......155

8 La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction


VIII. DE L’INSTITUTIONNALISATION DE L’ESPACE AFRO-ATLANTIQUE :
Une ambition en construction
Par Najib AL MAGHREBI.................................................................................................................................169

1. Le Maroc et l’initiative atlantique africaine : fruit de dynamiques régionales et


internationales................................................................................................................................................... 170
2. Processus d’institutionnalisation de l’initiative Atlantique Africaine..........................177

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 9


PRÉSENTATION

La façade atlantique de l’Afrique réunit dans un espace géopolitique en construction les


principaux atouts et défis du continent africain. Les 23 pays riverains représentent 46%
de la population africaine, concentrent 55% du PIB africain, réalisent 57% du commerce
continental et recèlent d’énormes ressources naturelles (24 milliards de barils de pétrole
de réserves prouvées au large du golfe de Guinée). Ces pays demeurent néanmoins
confrontés à des défis communs : la crise du modèle du développement humain; le
règlement des différends territoriaux et maritimes; la montée en puissance de la menace
asymétrique (piraterie, terrorisme, banditisme); l’appropriation de l’espace maritime, à
travers une politique maritime structurante.

La conjugaison de ces enjeux au comportement des Etats de la région semble fournir


les premières composantes d’une identité stratégique « afro-atlantique », toujours en
construction : vision commune des enjeux et institutionnalisation de l’espace, à travers des
structures informelles comme la Conférence des États africains riverains de l’Atlantique.

Cependant, le processus de construction stratégique de cet espace se heurte à deux


facteurs de blocage ontologique et politique. Pour le premier facteur, il est difficile de
faire un usage scientifique de l’expression « afro-atlantique » en l’absence d’une définition
commune académique du périmètre géographique concerné : certains chercheurs limitent
cet espace aux pays se situant entre le Sénégal et l’Afrique du Sud; d’autres intègrent la
Mauritanie, tandis que le troisième courant considère la façade atlantique africaine dans
sa globalité entre le détroit de Gibraltar et le cap de bonne espérance. Le facteur politique,
quant à lui, s’illustre tant par la méfiance de certains pays à l’égard d’une telle initiative
transrégionale que par la nécessité d’un centre d’impulsion politique; puissance régionale,
organisation sous régionale, ou bien les deux.

Ce paradoxe soulève des problèmes spécifiques: comment se présente la façade


atlantique de l’Afrique en théorie ? Quels sont les différents facteurs qui appuient
l’importance stratégique de cet espace ? Quelles sont les tendances lourdes de la
dynamique géopolitique de cet espace ? Quelles sont les réponses des États riverains?
Quels scenario d’évolution pour l’institutionnalisation du processus afro-atlantique ?

C’est pour répondre à cette problématique que l’OCP Policy Center a organisé dans le
cadre de ses activités de recherche académique le colloque sur « la façade atlantique
de l’Afrique : un espace géopolitique en construction », le 25 mai 2015. A l’issue de ce
colloque, une édition des actes a été unanimement souhaitée. C’est chose faite.

Nous avons conçu ce colloque dans une perspective de rapprochement et de dialogue


entre professeurs et doctorants dans un cadre africain. Notre schéma de pensée a
toujours été de penser l’Afrique à partir du continent, à travers un prisme africain, sans
occulter son interdépendance avec le reste du monde. Ce schéma transposé à la façade

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 11


atlantique de l’Afrique nous amène à approcher cette région dans sa singularité, mais
également dans son appartenance à la communauté africaine. Autrement dit, l’Afrique
atlantique comme espace de partenariat ne peut en aucun cas être en concurrence avec
l’Union Africaine et les organisations sous régionales. Elle devrait être perçue par les
africains comme une dynamique complémentaire au processus d’institutionnalisation
de la gouvernance. Les problèmes de la région, essentiellement maritimes, peuvent être
gérés avec plus d’efficacité à une échelle plus faible et plus adaptée.

Les chercheurs africains, notamment, ont toujours eu des lectures différentes voire
antagonistes sur l’utilité de créer de nouveaux espaces de coopération. Il était donc
temps d’ouvrir le débat dans un espace neutre, que l’OCP Policy Center est apte à offrir.
Nous avons invité pour cela des experts, de jeunes docteurs et des doctorants. Ils sont
les témoins de cet échange académique et leurs contributions croisées constituent la
matière de ce livre.

Nous avons fait le choix de 3 axes répondant aux principales interrogations soulevées.

Pour ce qui est du premier axe «  Enjeux sécuritaires afro-atlantiques : dynamique et


spécificité », la doctorante Zitha AFANG NDONG démontre que les pays riverains de
la façade atlantique ont bien une antériorité maritime : « Construction de l’identité
géopolitique maritime de la façade afro-atlantique : une esquisse historique ». Le Dr
Pierre ADIMI met en évidence la « Complexité de la criminalité transnationale en Afrique
de l’Ouest ». Par ailleurs, les questions halieutiques sont traitées par le Dr. Mohcine
KARZAZI : « Géopolitique des ressources halieutiques dans la façade atlantique de
l’Afrique de l’ouest : Cas de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) ».

S’agissant du deuxième axe, les auteurs traitent du jeu des acteurs étatiques africains
et émergents. Le doctorant Youssef EL HAMDOUNI contribue avec un sujet sur « La
perception chinoise de l’Afrique atlantique: Une nouvelle ruée géostratégique ». Dans
le même sens, le doctorant Oumar KOUROUMA aborde « L’Afrique du Sud et le Nigeria
dans la géopolitique africaine : des puissances moyennes émergentes, au-delà des
débats et contre-débats ». Le doctorant Abdelkhalek EL BIKAM poursuit la réflexion sur
le comportement des grandes puissances émergentes par une étude sur « L’Afrique
atlantique : quel positionnement stratégique pour le Brésil ? ».

Le troisième et dernier axe aborde le processus d’Institutionnalisation de l’espace afro-


atlantique. La Professeure Sarra SEFRIOUI introduit cet axe avec une étude sur « Les
zones maritimes et la délimitation des frontières maritimes en Afrique de l’Ouest ». Najib
Al MAGHREBI développe, quant à lui, sa vision « De l’institutionnalisation de l’espace afro-
atlantique : Une ambition en construction ».

Que cette publication puisse être d’abord utile au développement et à la consolidation de


la convergence maroco-africaine, favorisant les échanges, le dialogue et la compréhension
non seulement pour cet espace afro-atlantique, mais bien au-delà. Puisse-t-elle trouver
ensuite un écho favorable auprès des décideurs politiques et économiques de l’espace et

12 La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction


être une source d’inspiration pour les chercheurs et universitaires. Puisse-t-elle enfin être
un catalyseur et servir de rampe de lancement pour les futurs recherches et travaux liés
à cet espace géopolitique en construction.

Puissent toutes celles et tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à l’élaboration de
ce modeste travail, trouver ici l’expression profonde de notre gratitude et reconnaissance.

Pr. Rachid EL HOUDAIGUI Dr. Karim EL AYNAOUI

Université Abdelmalek ESSAADI, Tanger Directeur Général


Chercheur associé à l’OCP Policy Center OCP Policy Center

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 13


1
CONSTRUCTION DE L’IDENTITÉ
GÉOPOLITIQUE MARITIME DE LA FAÇADE
AFRO-ATLANTIQUE : UNE ESQUISSE
HISTORIQUE

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 15


CONSTRUCTION DE L’IDENTITÉ GÉOPOLITIQUE MARITIME
DE LA FAÇADE AFRO-ATLANTIQUE : UNE ESQUISSE
HISTORIQUE

1
Zita AFANG NDONG1

Introduction

La maritimisation, un terme peu complexe qui exprime le processus de valorisation


du littoral, met en avant une nouvelle ère de conquête : celle de l’océan mondial. Sir
Walter2 Raleigh, n’avait-il pas déjà dit : « Qui tient la mer tient le commerce du monde;
qui tient le commerce tient la richesse; qui tient la richesse du monde tient le monde
lui-même.» Aussi, est-il nécessaire de commenter cette assertion qui, quoiqu’exagérée,
présente cependant l’un des facteurs clés qui ont tissé, et tissent encore les grandes
puissances actuelles. En effet, loin de l’effervescence des espaces terrestres, le trafic et
les rapports de puissance qui se jouent sur les océans pourraient tout aussi être décisifs,
et plusieurs des États pris individuellement ou regroupés l’ayant compris, ont tout de
suite adopté des mesures singulières pour appréhender les différents espaces maritimes.
C’est aussi dans cette dynamique que les pays riverains de la Côte-Ouest atlantique3
de l’Afrique souhaitent de l’Afrique souhaitent se lancer. En effet, l’on dénombre dans la
bordure occidentale de l’Afrique- plusieurs configurations géopolitiques. La première, plus
restreinte, regroupe le golfe de Guinée des huit États adhérents à la Commission du Golfe
de Guinée (CGG)4. La deuxième circonscrit les pays des rivières du Sud et le golfe de Guinée
(du Cap des palmes à l’Angola )5. La troisième enveloppe toute la bordure occidentale
du détroit de Gibraltar6 au Cap de Bonne Espérance, embrassant ainsi les vingt-trois
pays riverains du Maroc à l’Afrique du Sud- de la façade atlantique africaine. C’est donc
sur cette dernière acception « élargie » que se porte toute l’attention de ce travail, cela
d’autant plus que lesdits pays sous la coupe du nouveau «Club de l’Afrique Atlantique»7
entendent positionner la région au rang de pôle stratégique et économique influent.

Cette dynamique trouve en grande partie son explication dans la situation actuelle de la
région : dichotomie entre Espace riche/États peu développés et absence d’une stratégie
maritime claire. Certes, l’immensité de la richesse de la zone n’est plus à prouver, mais
l’exploitation reste des moindres, si bien que certains auteurs comme Didier OGOULA
(1998), n’hésitent pas à affirmer que lesdits Etats ont été peu préparés à la chose maritime,
(1). Doctorante en Droit international/Relations internationales, Université Hassan II Casablanca, Faculté des Sciences
Juridiques, Economiques et Sociales.
(2). Grand Navigateur anglais.
(3). L’Océan atlantique, 2ème plus grande composante de l’Océan Mondial, avec une superficie de 94 millions de km²
(4). Créée en 2001 par le Nigeria, le Cameroun, la Guinée Équatoriale, le Gabon, Sao Tome de Principe, le Congo, la Répu-
blique Démocratique du Congo (RDC) et l’Angola.
(5). Par l’Organisation Hydrographique Internationale.
(6). A la frontière de l’Atlantique et de la Méditerranée.
(7). Fondé à Dakhla (Maroc), le club aura sa première session le 13 juin à Bruxelles (Forum de Crans Montana)

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 17


d’autres iront jusqu’à avancer qu’il n’existe aucune culture maritime antérieure dans la
zone car comment expliquer autrement un tel paradoxe ? A ce niveau, la recherche d’un
préalable historique dans la formulation d’une identité géopolitique «prônée» de la façade
atlantique africaine devient importante voire légitime. Y a-t-il eu autrefois une conscience
maritime chez les peuples Africains ? Les africains ont-ils autrefois manifesté un intérêt
pour la mer ? Et quelle lecture corrélative et conséquente peut-on en faire ? Répondre
à ces interrogations c’est en quelque sorte faire l’histoire de la géopolitique de la région :
c’est aller à la source d’un phénomène, le contextualiser afin non seulement de l’expliquer
mais aussi de prédire relativement l’avenir maritime de la région.

Lorsqu’on interroge le nombre de travaux effectués sur la question des rapports des
Africains à la mer, force est de constater la prééminence du débat négationniste sur
l’existence en tant que telle d’une conscience maritime historique. En effet, ceux des
historiens, archéologues, géographes voire géo-politologues ayant concouru à la mise à la
lumière progressive de plusieurs siècles inconnus, ont présenté sur l’Afrique atlantique, des
visions quelque peu divergentes en fonction des grilles de lectures que chacun proposait.
Cela donne, a priori, l’illusion d’une diversité de réflexions susceptibles de faire évoluer des
travaux. Or, à terme, cette diversité ne s’opère que superficiellement, rendant ainsi peu
utiles, plusieurs informations malgré l’existence d’une documentation non négligeable en
la matière. Aussi, notre tâche a été ardue car, plongés dans les mémoires lointaines de
l’histoire maritime africaine, nous avons été confrontés à un ressassement insistant de
plusieurs travaux et à limites spatio-temporelles qu’on en impose. Il nous revient donc de
fournir plus d’efforts pour espérer atteindre l’objectif de cette modeste contribution.

Pour autant, la démarche de cette étude sera aussi bien descriptive qu’analytique car
notre travail consistera beaucoup plus à étaler les éléments du passé, (I; II) et, à mesure
que l’on évoluera, on opérera une analyse non comparative mais explicative du contexte
actuel (III) pour trouver une éventuelle rupture/continuité dans les possibles rapports
maritimes. C’est donc tenter de créer une voie aux recherches actuelles.

I. Aux fondements historiques d’une possible culture maritime


des peuples de la façade atlantique 

Une histoire maritime africaine est-elle possible ? C’est l’interrogation posée par Jean-
Pierre Chauveau8 Chauveau8 dans son article en 1986; il entamera : « A de rares
exceptions près, les études anciennes et récentes portant sur les relations des sociétés
africaines au milieu maritime peuvent faire croire à une Afrique privée de mer ou, plus
précisément à une Afrique coupée de ses mers puis passivement assujettie au destin
forgé par les conquérants océaniques venus d’Europe» (Chauveau, 1986). Ces termes
expriment l’opinion de la quasi-totalité des historiens et autres auteurs de l’histoire
maritime en général qui se sont intéressés ou non à celle de l’Afrique. Cette opinion
fut très souvent le fruit de plusieurs attitudes parmi lesquelles, la facilité que certains
prennent à ne focaliser que sur la situation précoloniale qui correspond à l’arrivée des

(8). J-P Chauveau, socio-anthropologue français

18 Construction de l’identité géopolitique maritime de la façade afro-atlantique : une esquisse historique


Européens sur les côtes Africaines de 1450 à 18509.

D’autres se réfèrent au contexte actuel qu’ils qualifient d’indicateur sur le débat : le


comportement maritime jugé balbutiant de la majorité des Etats du continent. Peu importe
ce qu’il en est, il est inopportun d’occulter une partie -fut-elle moindre- de l’histoire de
plusieurs peuples; ce qu’heureusement défend aussi, Jean Devisse (1989). C’est donc
à la croisée de ces interprétations qu’à notre tour, nous entendons poser la première
question inhérente à cette partie : « Les peuples de la façade atlantique ont-ils eu des
relations avec la mer ? Ont-ils tout au moins manifesté un certain intérêt (conscient)
maritime ? D’entrée, il faut préciser que nous n’avons pas la prétention d’apporter une
information susceptible de changer radicalement les positions des uns et des autres sur
le sujet, --ce qui nécessitera plus qu’un simple article-- mais nous voulons, de façon
non exhaustive, rassembler les différents éléments (parfois peu considérés ou qualifiés
de détails) épars capables d’esquisser au mieux la vie maritime –s’il y ’en a eu-- relative
aux peuples de la façade atlantique bien avant ‘‘l’irruption brutale des Européens’’ pour
reprendre les termes de Didier Ogoulat10, et après celle-ci. Pour ce faire, l’exiguïté des
informations-déjà notifiée- en la matière nous oblige à grandement puiser des auteurs
suscités11 dont les textes ont plus ou moins poussé l’analyse assez loin.

1.1. Esquisse sociogéographique des sociétés de l’Afrique atlantique


Il convient pour toute étude et de surcroit « historico-géopolitique » à cheval entre des
périodes données, de présenter « très succinctement » la région concernée dans sa
configuration ancienne, configuration que toutefois, nous ne montrerons qu’à travers les
grands ensembles qui prévalaient alors.

Le long de la côte-Ouest africaine qui présente aujourd’hui un morcellement d’États,


abritait jadis des sociétés plus ou moins organisées (Empires, Royaumes et Dynasties)
et géographiquement plus grandes, de telle sorte qu’une seule pouvait correspondre à la
superficie de 2 à 5 États actuels, intégrant ainsi plusieurs populations ethniques dont la
cohabitation en temps de paix favorisait l’essor économique. A cet effet, on localise trois
grands principaux espaces intégrés :

• la partie du nord qui correspond actuellement au Maroc. Dès 640, la région du Nord a
vu se succéder de grandes dynasties après la victoire des Arabes (les Maures) face aux
Berbères dans la province Africa (Ifriqiya); les Omeyyades, les Abbassides, les Aghlabides,
les Idrissides, les Fatimides, les Almohades qui ont pour chacun, au prix de maints conflits,
contribué à la naissance d’un grand ensemble communautaire dont les délimitations
géographiques vont s’opérer à longueur des confrontations.

• La partie Ouest va de l’actuelle Mauritanie au Nigeria. Vers le IXe siècle, deux anciens
« Etats », Gao et Ghâna, étaient déjà solidement organisés. Ils rassemblaient alors, l’actuel
Ghana et certaines autres tribus qui seront intégrées par la suite à l’empire du Mali. Dès
le XIe siècle jusqu’au XIIIe siècle, l’empire du Mali s’étendra jusqu’au désert du Sahara,
(9). La période correspondant aux conquêtes européennes et à la traite d’esclaves.
(10). Chercheur gabonais en Géographique, Géopolitique.
(11). J-P Chauveau et Jean Dévisse.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 19


bordant l’Océan Atlantique dont les frontières se situent aujourd’hui sur les actuels
pays du Mali, du Sénégal, de la Gambie, de la Guinée et la de Mauritanie. L’empire se
positionnera en puissante entité commerçant avec le Nord. Puis vers la fin du XIVe siècle
se forme, avec le peuple Yoruba, le solide royaume du Bénin, royaume côtier entre l’actuel
Sénégal et le Niger.

• La partie du Centre - Sud de la Côte comprenait le Royaume du Kongo qui dès le VIIème
siècle, sera déjà connu du monde européen. Il regroupera toute la partie centrale du
Cameroun jusqu’en Angola où sera sa « capitale » Mbanza à partir du XIVe siècle. Ses
frontières couvraient les pays actuels du Congo, du Zaïre, de l’Angola, d’une faible partie
du Mozambique et du Gabon, soit environ plus de 300 000 Km2 de terres dirigées par
un souverain, le Mani Kongo (ou MweneKongo).

La partie australe à l’extrémité qui correspond à l’Afrique du Sud portait en son sein, l’un
des plus anciens foyers de peuplements mondial. En effet, compte tenu de sa situation
géographique, plusieurs tribus y ont immigré ou se sont imposées. Des Bochimans, aux
Bantous en passant par les Khoikhoi vont adopter des formes d’organisation
« décentralisées mais très organisées » jusqu’à la formation vers le XVIIIe- XIVe siècle de
l’empire Zoulou qui connaitra son apogée sous le règne de Chaka. Fort de son histoire
riche mais complexe, ladite région ne sera pas traitée dans les prochains chapitres.12

Dans ces grands ensembles sous régionaux, interagiront diverses populations dont la
seule proximité avec la Mer pouvait avoir un impact dans leurs traditions : économiques,
« militaires » ou socialement intrinsèques.

1.2. A la recherche d’une conscience maritime chez les peuples de la côte


Atlantique africaine : au foisonnement des mythes et des concepts clés
La détermination d’une certaine « conscience maritime » constitue la première étape
de toute organisation culturelle dont on veut étudier les habitudes maritimes. En effet,
qu’elles soient le fruit d’un automatisme ancestral ou d’une réflexion conséquente, toutes
les relations dans une société sont plus ou moins influencées par un certain nombre de
considérations qui forment une « conscience maritime vivante ». C’est sur cette base que
nous étudierons ce que nous définissons comme ‘‘les rapports passifs’’ qui existent entre
les peuples de l’Afrique atlantique et la Mer.

Les mythes et les concepts : une preuve de conscience maritime ?

Etonnants peuvent être les mythes et les récits qui exaltent, à travers le monde, la
puissance et les frasques des mers et océans, tels qu’ils finissent par asseoir de
véritables conceptions. Si même s’agissant de l’océan Atlantique, certains navigateurs
parlaient du « tombeau des Blancs » (courrier de L’UNESCO, 1983), ce ne sont guère les
profanes qui pouvaient ne pas accoucher des légendes maritimes, positives ou non. De
ce pas, l’Afrique (fortement spirituelle) en général et la région Atlantique en particulier
(12). Nous avons choisi pour cette étude introductive de mettre la partie australe, notamment l’Afrique du Sud hors de
notre grand II qui constitue le cœur même de ce travail, ce qui ne nous empêche pas de réévaluer la question dans un temps
relativement long pour rendre l’étude intégrale, cela est même très envisageable ; pour une modeste contribution plus globale.

20 Construction de l’identité géopolitique maritime de la façade afro-atlantique : une esquisse historique


définissait certainement aussi la mer à la fois en fonction de ses réalités historiques, et
géographiques.

1.2.1. Une conception mythologique : la mer, une divinité redoutée ou bien-


faitrice.

Depuis bien longtemps déjà, plusieurs communautés des sociétés traditionnelles de la


Côte occidentale africaine ont fondé tant de mythes susceptibles de rendre compte de
leurs attitudes envers la mer : l’un d’entre eux est celui issu de la culture des Yorubas de
la zone regroupant l’actuel Nigeria, le Togo, le Bénin et la Côte D’Ivoire (les Ewé, Adja, Fon,
Ibo) qui repose sur l’existence de Yemaya, une divinité souveraine des eaux (océans et
mers). La déesse est donc perçue, selon les contextes, comme bienfaitrice avec les vertus
d’une nourricière, ou au contraire comme une divinité capable de provoquer les pires
maux à ceux qui auront transgressé quelques règles communautaires.

Datant depuis plusieurs siècles avant la conquête européenne et intégrée au panthéon


des dieux préexistants du vodun, la légende Yémaya finit par atteindre les communautés
du centre et Sud de la Côte de l’Afrique où la déesse est appelée Mami watta13 (Mother
wather), une divinité douteuse et trompeuse.

C’est sur ce dernier aspect, qu’en général, les peuples côtiers fondaient leurs rapports
alors enclins de méfiance et quelques fois de crainte. Dans le même climat d’hostilité
primaire, l’imaginaire populaire du Nord (arabes et berbères) représentait l’Océan comme
« un monde hostile, hors de l’Islam et sa protection » (Salah Eddine, 2009). Qu’à cela ne
tienne, les légendes n’étaient pas les seules à influencer la nature des rapports maritimes
de ces communautés.

1.2.2. Une conception écologique et philosophique : la mer, une composante


« sacrée » de la nature

La mer qui, juste au-dessus, vient de mettre en scène des entités spirituelles – divinités-
esprits –, se prolonge dans cette acception beaucoup plus réelle et naturelle.

«Pour le Négro-africain…l’Homme n’est l’homme que si on tient compte de sa dimension


holistique. Celle-ci à son tour, ne peut être comprise que si on voit l’homme en relation
étroite avec le monde animal, végétal et autre.» (BUJO, 1992) La Terre, la Mer, l’Homme
et tout ce qui s’y trouve forment un tout dont parfois l’équilibre dépasse la simple question
écologique : il s’agit beaucoup plus de survie et d’harmonie. En effet, pour chaque entité,
existe un domaine géographique bien défini à observer pour la parfaite coexistence.
Parfois, les rapports et les interactions issus de cette détermination des identités, des
frontières, des rôles, révélaient une dynamique régie par un contrat. C’est sur cette base
que l’eau, plus précisément la Mer, depuis bien longtemps, constituera pour ces anciens
peuples, une entité dotée de droits et de devoirs qu’il convient de respecter au risque de
briser l’équilibre. Les peuples Bantous14 sont ceux qui vont véritablement montrer en quoi

(13). Qui provient de l’anglais nigérian et signifie mother water.


(14). Peuples qu’on rencontre le plus au centre (Gabon, Cameroun, Angola….)

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 21


la mer ne peut être franchie, voire touchée à la simple convenance des uns et des autres.
Il fallait donc déterminer successivement : la nécessité de l’action, l’activité maritime elle-
même, les conséquences de celle-ci et son profit pour toute la communauté. Ce qui était
censé éviter des actes inopportuns aux conséquences graves sur la mer (en tant qu’être)
d’abord et ensuite sur les communautés dont la survie pourrait être menacée. Plusieurs
verront sous cet angle en la mer une force en soi (Placide Tempels 1945) et non la
propriété d’une force spirituelle (cf. première conception).

1.2.3. Une conception géopolitique : l’acte maritime, une démonstration de


puissance

La conception géopolitique maritime dans la culture de la façade africaine est à la fois un


prolongement des conceptions susmentionnées en ce qu’elles la déterminent en partie, et
un pont entre une attitude purement passive (les théories ou conceptions maritimes) et
une attitude active (les activités propres). En effet, à partir d’ici, l’appréhension de la Mer
devient progressivement pragmatique et donc plus proche de la culture maritime dans
sa pratique des peuples de la côte-Ouest atlantique, qui signalons le encore, ne saurait
être isolée des conceptions et théories qui la fondent et l’influencent. Les eaux du fleuve
et surtout de la mer contribuaient aussi à la constitution d’une puissance individuelle
ou communautaire. La conception de puissance et de pouvoir à partir de la mer puise
sa logique dans l’idée selon laquelle, la mer, cette entité qui soit, héberge des divinités et
autres, soit constitue en soi un être sacré ne saurait être bravée ou pis domptée sans
péril. A partir de là, quiconque osait franchir les activités habituelles sur la Côte et dans
un esprit de défi, s’il en ressortait sain et sauf, était donc perçu comme ayant une certaine
puissance et/ou un don particulier. Cependant, la notion de puissance diffère même
dans les définitions conventionnelles selon les contextes. Pour autant, dans un contexte
beaucoup moins conflictuel, elle se limitait beaucoup plus à la dimension individuelle qui
concédait au bénéficiaire, une supériorité dans la société et des privilèges parmi lesquels:
des titres honorifiques en tant que héros, le droit de siéger dans de grandes assemblées
etc. Mais lorsqu’on faisait face à des crises passagères voire des conflits, le héros pouvait
véritablement jouer un rôle décisif dans la dissuasion et dans les troupes de combat. Les
jeunes hommes qui osaient braver la mer -de quelques distances limitées- pouvaient être
des convertis en véritables stratèges dans l’espace maritime. Ce qui intéresse ici, c’est
cette conscience de « conquête » de l’espace maritime, fut il court ou non et la théorie qui
en découle : dompter les eaux pour détenir le pouvoir sur l’espace terrestre et sur ceux qui
l’habitent (du moins dans la limite des régions) : une logique qui rencontre les propos du
navigateur anglais (déjà cité) Francis M’boule15, dans «La pirogue, cœur de la vie dwala»
va décrire les courses de pirogues et ses initiations qui constituent pour la culture Dwala,
(une communauté établie sur le littoral camerounais) un passage important pour la
détermination des vaillants –guerriers, chasseurs, pêcheurs- de la communauté.

De ces quelques principales conceptions identifiées, il ressort que les peuples de la


façade atlantique, loin d’ignorer la Mer, cherchaient au contraire comme tout habitant
de la côte à l’appréhender à travers des symboles et des interprétations explicatives.
Aussi, comme nous l’avons déjà dit, concevoir la Mer à la fois comme un danger et / ou
(15). Sociologue et psychologue camerounais, a été professeur associé à l’Université de l’Etat de New York. Chercheur
associé à l’Université de Paris VI, il s’est spécialisé dans les problèmes des mémoires associative, artificielle et biologique.

22 Construction de l’identité géopolitique maritime de la façade afro-atlantique : une esquisse historique


au contraire comme un bien ou une source de bien rend compte de la qualité insaisissable
et indomptable de celle-ci. A partir de là, la culture maritime dans la région, posait plus
ou moins déjà certains fondements théoriques qui allaient en donner les orientations
pratiques : la mer est un mal nécessaire avec lequel l’on doit pouvoir conjuguer.

II. De l’activité maritime avant les conquêtes européennes :


quelques points géopolitiques et géostratégiques

A présent que nous avons vu les grandes conceptions maritimes des peuples ouest –
africains, il convient de parler de la pratique maritime elle-même à l’époque précoloniale
précisément à partir du XIIe siècle, jusqu’au XVe dans cette partie. L’intérêt étant donc de
déceler à ce niveau les différentes activités qui deviennent une certitude coutumière à
l’aune des précédents chapitres. Le choix de cette période se justifie par la volonté de
ressortir l’originalité (ou ce qui s’en rapproche) sans apports et contraintes extérieures16
de l’antériorité maritime des peuples de la côte Ouest-africaine. Ce n’est que timidement
que nous pourrons aussi remonter les activités à des périodes relativement plus avancées
(au-delà du XIIe siècle) selon que les documents nous le permettront. Avant d’entrer de
plain-pied dans le travail, il est impérieux de reconnaitre que les remarquables travaux de
J.P Chauveau nous ont particulièrement aidés en tant que source très détaillée (quoique
limitée géographiquement à la zone Mauritanie-Nigeria) dans l’identification des usages
au bord de l’Atlantique.

2.1. Les principaux usages traditionnels maritimes : la pêche et le commerce


A l’aune de leurs traditions et considérations maritimes, les peuples de la côte, orientaient
principalement leurs activités vers la pêche et le commerce basé sur la navigation côtière
à partir des moyens et techniques appropriés : pirogue, filets et pagaies. Les pirogues
représentent l’expression toute finie de l’ingéniosité traditionnelle en matière d’exploitation
des produits aquatiques. C’est un type de barque monoxyle « dénuée de bordés et de
superstructures propulsées par des pagayeurs debout ou à genoux » J.P Chauveau, ou
gréée par une voile. Elles avaient pour fonction première de transporter les marchandises,
de permettre le cabotage des passagers et la pêche. Cette tradition maritime a été attestée
par des navigateurs européens et par des récits populaires locaux qui contaient ces
exploits. Les grands foyers maritimes dénombrés jusqu’à ce jour sont sans étonnement le
Nord, l’Ouest et le Centre avec une portion du Sud, lesquels correspondent à nos zones
d’étude. Ceux-ci présentaient entre eux des disparités selon le degré d’intérêt maritime et
même une zone pouvait aussi comporter en son sein des différences de développement
d’activité. Certains endroits seront donc plus prolifiques dans le trafic qui se montrera
alors mieux organisé pendant qu’à d’autres, il sera moins signifiant.

Dans sa double façade, le littoral du nord baigné par la méditerranée et l’Atlantique, dès le
XIIe siècle entretenait déjà des relations maritimes certes peu enrichissante par rapport
aux siècles qui suivront, mais assez notables. A l’Ouest, cependant, entre la Mauritanie et
(16). Les conquêtes européennes

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 23


le Nigeria, les populations ont « très vite » développé la pêche côtière, tandis qu’au Centre
-Sud, les variations des capacités des pirogues en disaient long sur l’intensité de l’activité.

2.1.1. Aspects économiques et logistiques, le cabotage et le transport des biens

Que l’on soit au Nord, à l’Ouest-Centre ou au Sud, les activités dans l’ensemble du littoral
atlantique étaient destinées premièrement à la consommation personnelle. La pêche était
pratiquée dans le souci premier de nourrir les habitants qui étaient proches de la côte
et ne bénéficiait qu’épisodiquement des richesses de l’arrière-plan des territoires. Mais à
la longue et par l’attrait qu’ils pouvaient présenter, les produits maritimes commençaient
à être sollicités à l’intérieur et par-delà les « frontières ». Un véritable commerce prenait
forme. Au Nord, dans le Maroc, la pêche se concentrait dans la salaison du poisson;
une « industrie » que Michel Ponsish17 remontait aux Ve et VIe avant JC, correspondant
remontait aux Ve et VIe avant JC, correspondant à l’entrée des Carthaginois et qui, au
fil des siècles connaitra une évolution. En aucun cas, l’hostilité de l’Océan et la méfiance
populaire à son endroit ne suffiront à empêcher les habitants du Nord de constituer
une « flottille » de pêche et à commercer dans le littoral18. Au contraire, les différentes
communautés vont tirer de la mer une partie essentielle de leurs besoins alimentaires à
travers une pratique maritime qui s’enracinait de plus en plus. Un fait dont témoignent
les recherches archéologiques à la découverte à Larache, des ruines de ce qu’on peut
appeler « usine » poissonnière. La culture maritime halieutique du Nord constituait à
elle seule une « économie » solide (Godio, 2013). Ces usines de salaison de poisson qui
sont aujourd’hui, un patrimoine historique du Maroc présentaient une certaine expérience
dans la conservation du poisson et d’autres produits aquatiques. Ainsi, la répartition du
travail à l’intérieur de celles-ci, s’organisait généralement en plusieurs étapes spécifiques:
préparation et nettoyage du poisson, conservation et salaison du poisson à la chaufferie
nous renseigne Mohammed Habib19.

A l’Ouest de l’Afrique Atlantique, les côtes de la Sénégambie, la Guinée Bissau, et le Ghana


constituaient les pôles forts de la pêche en particulier et du commerce en général. Sur
la Petite-Côte sénégalaise jusqu’au Cap vert, la pratique du séchage du poisson était la
spécialité de la zone, de telle sorte que les embarcations étaient importantes et allouées
à la pêche des gros poissons. Pendant ce temps, au littoral de la Côte d’Or (Ghana et une
partie de la Côte d’Ivoire) jusqu’aux peuples Popo, Ewé et mina, il existait une organisation
impressionnante comme dans « les ports actuels » car la pêche se fructifiait au large, et
on y excellait en cabotage des marchandises : coquillage, sel, poisson divers de la côte
vers l’hinterland et l’inverse, d’une rive à une autre plus proche. L’activité fleurissait si
bien que l’on a parlé d’essor économique dans la région à cette période. A l’axe des deux
foyers précités, se situait le plus déterminant. En effet, grand était l’intérêt qu’accordaient
les Bijago de l’actuelle Guinée Bissau à la pratique maritime. Le commerce et l’exploitation
côtière y étaient d’autant plus considérables étant donné la position dominante dont ils
(17). Michel Ponsish, Inspecteur des antiquités et Monuments historiques du Maroc Nord, ’’dans Recherches archéologiques
à Tanger et dans sa région ‘’
(18). De Badis, Rusaddir (Mellilia), Nokor, El Hezemma (Al Hoceima) et Tamuda (Tétouan), en Méditerranée; Tingis (Tanger),
Zilis (Assilah), Lixus (Larache) Thymiateria (Mehdia), Sla (Salé), Anfa (Casablanca) ; Rusibis (El Jadida), Mysocaras (Safi),
Kouz, (Essaouira), Tafetna, Tamraght-Risardir (Agadir), Massa ou Rutilis, Targa ou Sakiat El Hamra, Imragen, jusqu’aux rivages
du fleuve des Zenaguas, ou Sénégal. De http://eljadida.over-blog.com/article-26483411.html, consulté le 03 Mai 2015
(19). Archéologue, enseignant chercheur à l’Université Abdelmalek Saâdi de Tétouan

24 Construction de l’identité géopolitique maritime de la façade afro-atlantique : une esquisse historique


jouissaient face à leurs voisins sénégambiens. D’autres parties comme la Sierra Léone et
le littoral « kru » (Liberia) où les navigations pouvaient atteindre « deux à trois lieues » en
mer n’étaient pas négligeables.

Au centre-Sud, qui correspondait alors au royaume du Kongo, on présentait pratiquement


les mêmes caractéristiques que l’Ouest. La construction des pirogues était un grand
partage des deux, et la notoriété de leur trafic maritime en était tributaire. L’accessibilité
des rives de l’océan à la navigation a ouvert assez tôt la région au commerce et à la
pêche des poissons dits « royaux ». Les populations Duala du Cameroun, les Myénés-
vili du Gabon étaient presque toutes initiées aux techniques de la nasse, du filet et des
appâts. Au Gabon, particulièrement chez les Ajoumba, la construction des pirogues et des
grandes embarcations était une pratique qui progressivement devenait plus sophistiquée
et structurée grâce au matériau de base : le bois d’Okoumé (Wilson Dombet 1989)20,
et cela, jusqu’à l’arrivée des Portugais en 1472. Ils sont cependant restés d’excellents
pourvoyeurs de grandes pirogues de 12 mètres de long, 15 mètres de large capables
d’affronter de grandes vagues et de transporter une douzaine de personnes. Plus au Sud,
les quelques récits mal connus ont parlé de la présence des Bantous proches du cap de
Bonne Espérance, ces derniers vivaient essentiellement de pêche.

2.1.2. Aspect stratégique, l’Atlantique, un point de passage « utile, efficace» et


une zone convoitée

En temps de conflit, certaines activités côtières pouvaient très vite changer, les
pirogues devenant de véritables appareils de guerre seront affectées principalement
au transport des combattants. La façade atlantique devenait un espace stratégique,
des zones d’embarquement, de retrait, d’affrontement. Les rives étaient devenues des
voies appropriées pour contrer les conflits qui pouvaient parfois éclater entre peuples
frontaliers.

Le Nord qui connait beaucoup de périodes instables se distinguera particulièrement


dans ses luttes contre les invasions étrangères et va finalement se tailler une stratégie
défensive et parfois le contraire en vue de conquérir ce qui constitue ses terres. La position
géostratégique du Maroc face au Djebel Tarik21 (Gibraltar) va très vite faire réaliser à ses
populations l’utilité de la mer en tant que passage puisque c’est précisément là que vont
s’opérer les différentes opérations de conquêtes enregistrées. En 817, conquête de la
péninsule ibérique par le général musulman Tarik ibn Ziyad; les courses des corsaires
de Salé, de Larache, de Mehdia de Safi, de Tétouan (Leila Maziane p.38). En fait, le Nord
se donnait des moyens pour une défense « nationale » et de lutte contre les projets
expansionnistes européens, ce qui explique par la suite l’essor maritime précisément au
XIIe siècle (Ahmed Boucharb p.86).

A l’ouest de l’Afrique atlantique, les pirogues de guerre étaient particulièrement grandes.


Elles pouvaient embarquer soixante à quatre-vingt, voire cent hommes (Fernandes
cité par J.P Chauveau) entre la Petite-Côte Sénégalaise et la Gambie jusqu’aux îles du
Saloum, un domaine maritime et estuarien à la fois. La position du Sénégal par rapport
(20). Histoire des Ajumba du Gabon du XVe siècle à 1972 , les travaux de thèse d’un chercheur gabonais
(21). Montagne de Tarik,

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 25


au Cap vert a constitué un point d’acheminement des guerriers. Exceptionnelle était la
flotte des Bijago au littoral de la Guinée Bissau (Rio Grande). Ces derniers brillent de
leur expertise dans la construction des pirogues fussent-elles de petite embarcation,
au contraire, elles étaient assez faciles à ramer et sophistiquées pour permettre, en un
jour, dix à cinquante mises en mer. Les Bijago occupent alors une position stratégique et
leurs pirogues combattent fortement celles des communautés plus ou moins belliqueuses
à l’exemple des « Beafadas » continentaux. Ils imposent par la même, leur loi milles en
mer (Mota 1974). D’autres conflits d’ordre géopolitique se jouent dans l’embouchure de
la Casamance où les falupos par crainte de renforcer une attitude hégémonique des
groupes « bainuk » et mandingues de l’intérieur, vont aller jusqu’à imposer la cessation des
échanges côtiers avec ces derniers. Pourtant, eux aussi avaient d’importantes pirogues
susceptibles de contenir cinquante à soixante hommes, mais dans ce climat conflictuel,
celles-ci « servent à défendre un blocus volontaire, probablement à se défendre aussi des
incursions mandingues de Gambie et de celles des Bijago ».

Dans la zone en général, les activités étaient influencées soit par les grands mouvements
migratoires de plusieurs groupes ethno-démographiques soit par les luttes internes.
Au centre : c’est en grande partie ce qui explique les quelques conflits répertoriés à
la côte notamment du Gabon et à l’extrême Angola. Les grandes pirogues de guerre
transportant jusqu’à cent vingt hommes semblent d’abord évoluer dans les rivières et
fleuves à l’intérieur, suite à des instabilités internes. Elles vont très vite développer une
stratégie tournée vers la mer. Sur environs 600 km de côte du Gabon, les Ajoumba vont
vivre au bord de la mer jugée à la fois plus sécurisée et aussi propice au commerce. Plus
loin dans le temps, les Fang, à la recherche d’espaces côtiers vont être confrontés aux
myénés dont l’installation était antérieure.

Quel que soit les proportions conflictuelles, la façade atlantique a parfois été le théâtre
des questions purement géopolitiques, soit parce qu’on y voyait là des espaces «
riches » (au sens traditionnel) à conquérir, soit parce qu’elle constituerait une position
déterminante dans la relative domination d’un groupe par rapport à d’autres (interne ou
non) : le rapport de force et de pouvoir se faisait déjà ressentir comme de nos jours.

A ce niveau de l’étude, il est important de noter que les navigations décrites jusqu’ici
n’étaient -comme nous l’avons précisé- que côtières et continentales mais pas
hauturières22 : aussi loin qu’elles pouvaient être effectuées, elles gardaient en vue les
côtes. Pour autant, doit–on en conclure que celle dite « hors de vue des Côtes » était
« hors de portée » des peuples de la région atlantique africaine ?

2.2. « Appréhender les eaux », un exercice périlleux mais possible : l’exception


de la navigation hauturière d’Abu Bakari II
Si l’origine de la navigation remonte aux premiers âges de l’humanité (en témoignent les
échantillons de pirogues ou bien de navire à voile trouvé dans une tombe sumérienne
vers 4000 av. J.C),23 celle qualifiée d’hauturière serait à l’époque le domaine de quelques
engins (les Drakkars des Vikings et les voiliers de l’orient) (UNESCO, 1988).
(22). Celle qui est pratiquée en haute mer ou à perte de vue des côtes.
(23). Encyclopédia Universalis 

26 Construction de l’identité géopolitique maritime de la façade afro-atlantique : une esquisse historique


Jusqu’alors, presque l’ensemble des opinions des navigateurs et historiens surtout
Européens se retrouvent sur le fait que l’Afrique atlantique noire (épargnant le Nord lié
aux expéditions arabes) à des temps reculés, n’a pas connu de navigation dite hauturière.
Celle-ci serait concomitante à l’arrivée des Européens à partir de 1450. Une position que
certains travaux (récents) sur la question jugent beaucoup plus interprétative que vérifiée
car elle met en avant, la présence de la « légendaire » barre au littoral, la forme compacte
du continent et l’exubérance de celle-ci. Mais bien sûr, le fait de tout simplement le notifier
ne nous met pas plus dans une position confortable. Cela nous permet cependant de
faire appel à toutes les sources -fussent-elles orales ou peu connues- à l’exemple des
récits ouest-africaines et arabes. A cet égard, le célèbre récit du Mansa Mussa pendant
son séjour au Caire, rapporté par Ibn al-Umari24 sur une possible aventure hauturière
du roi Abu Bakari II constitue une source importante pour cette étude. Abu Bakari, alors
roi de l’empire du Mali, dépêcha une première expédition de deux cents embarcations
dont un seulement revint. Ce qui ne l’effraya pas mais au contraire suscita une curiosité
plus grande sur l’étendue des mers et de la possible vie de l’autre côté des eaux. De ce
fait, il s’embarqua lui-même en 1311 avec une « flotte » de deux milles, il n’en revint pas,
ni lui ni rien (J. Devisse, p.18). Ce récit qualifié par certains de« légende »25 va pourtant
-comme J. Devisse le souligne – faire l’objet directement ou indirectement d’un examen
profond. A partir d’un rapport présenté au colloque de Lisbonne en 1982 cartes à l’appui,
par un spécialiste brésilien sur les navigations portugaises, plusieurs détails du récit du
Mansa Moussa trouvaient explication : «Les cartes établies par le commandant Guedes -
aussi bien celle des courants que celle des zones variables des alizés rendent le récit très
vraisemblable » J. Dévisse. P.19). Parallèlement, une hypothèse à mesure des recherches
s’est invitée dans le débat : ‘‘Abu Bakari II aurait découvert l’Amérique avant Christophe
Colombe’’; c’est sur des traces et des statuettes (Milet, 2007) découvertes dans le
nouveau continent que se fonde cette hypothèse qui reste à étudier plus sérieusement.
Dans le même contexte, d’autres (Sertima, 1987) dans une vue globale poussent leur
hardiesse plus loin affirmant, preuve à l’appui, que depuis l’antiquité, les Africains -dont
ceux de l’ouest- exploraient déjà des terres lointaines à travers la voie maritime.

A notre niveau, il s’agit beaucoup plus de poser le possible à partir d’un raisonnement
cohérent et évolutif de notre travail : les peuples décrits plus haut, loin de tourner le dos
à la mer ont au contraire eu des relations « quotidiennes », certes limitées, mais que rien
n’empêchait d’amorcer singulièrement ou non une expédition maritime hors de vue de
leurs côtes.

In fine, nous constatons d’une part que les peuples de la côte disposaient certes des
outils très limités mais pas moins performants en fonction des activités qui constituaient
leur quotidien maritime. Au contraire, pour leur époque et face à la quasi-facilité que leur
offraient les produits de l’hinterland, ils affirmaient de cette façon l’intérêt qu’ils portaient
aussi aux produits maritimes, ce qui n’est pas toujours le cas ailleurs où l’espace terrestre
fut moins tolérant que le maritime. D’autre part, nous pouvons oser relativiser voire
réfuter l’idée d’un manque d’abri littoral et du phénomène de la barre (Angot 1961) comme
obstacle incontournable aux navigations côtière et hauturière.

(24). Encyclopédiste mamelouke, géographe-historien (de fait)


(25). Parmi lesquels J. Cuoq Recueil des sources arabes concernant Afrique occidentale du VIIIe au XVIe siècle Paris 1975

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 27


Mais le plus important et que nous tenons à faire comprendre ici, tient à la nature
originale des activités de la région avant le contact avec l’extérieur. Du moins, un contact
susceptible de modifier ses habitudes maritimes. En effet, s’il est vrai que c’est en
grande partie grâce aux « découvertes » et aux rapports des non-habitants de la région
(notamment les Européens) que nous tenons des informations dès le XVe siècle, nous
pouvons presque convenir que ce fait n’est nullement le point de départ d’une culture
qui, à leur arrivée, était à n’en point douter solidement ancrée. Nous pouvons donc, sur
la même logique, oser remonter les activités maritimes de cet espace, à bien des siècles
avant l’ère des conquêtes. Cela d’autant plus que des auteurs comme Ca da Mosto, De
la Fosse, Gomes et Pereira dès le XVe siècle attestent d’une certaine permanence de la
navigation côtière de la pêche en mer lorsque les Portugais atteignent les divers « points
du littoral de 1441 au cap Blanc à 1471 au Nigeria. J.P Chauveau, 1986. Il écrira «D’autres
plus tôt vers le XIV, rapportèrent des filets de pêche. La technique dénommée : le cabo
das Redes à cause des nombreux filets trouvés à cet endroit près d’accra au Ghana
prouvé par Pereira ».

L’antériorité de la culture maritime de la région va d’autant plus se confirmer à l’arrivée


des Européens par une certaine pérennité des grands foyers et par voie de conséquence,
des activités qui les caractérisent.

2.3. La relative permanence des activités à l’ère des conquêtes, XVe- XVIe siècle
A l’arrivée des Portugais –depuis Ceuta26-- dont Diego Cao (1482-1483), Bartolomeo
Dias (1487-1488), Vasco de Gama (1497-1498), la côte atlantique est déjà ensemencée
de petites et grandes activités au profit des peuples-habitants et de quelques « clients »
d’ailleurs. Il ne sera donc aucunement question d’apprendre une quelconque vie maritime
aux propriétaires des zones, mais de conjuguer avec. Les foyers sans distinction aucune
étaient dans la continuité de leurs fonctions. Les parties du littoral les plus avancées dans
les activités maritimes et particulièrement la pêche comme le Sénégambie, la Guinée
Bissau et le Ghana, allaient être dotées d’un type d’établissement facilitant le trafic. Il
s’agit entre autres des forts (Towrson cité par Surgy 1969), construits par les Portugais.
Il faut dire que ces derniers vont de prime abord, avoir un impact admirable sur les
activités de pêche, de transport côtier et de transbordement entre les navires et la plage.
Au Ghana, on notera le fort d’Elmina bâti en 1482, les Portugais construiront aussi ceux
d’Axim et de Shama. Après quoi, Anglais, Français et surtout Hollandais commenceront à
fréquenter les côtes « les autres nations maritimes européennes disputent aux Portugais
leur monopole sur les côtes africaines » (J.P Chauveau)

Avec cette présence étrangère, force est de reconnaitre qu’une « nouvelle » époque de
l’histoire du littoral atlantique vient de commencer. Le développement des échanges
opère une transformation des activités côtières.

Au fur et à mesure, l’adoption des outils étrangers tel le navire à voile, se faisait voir.
Le transport par pirogues déclinait sans pour autant disparaître -car entre la Petite-
Côte sénégalaise, la Guinée Bissau jusqu’en Guinée, il est encore très usité- tandis que,

(26). Au Nord, au Maroc en 1415.

28 Construction de l’identité géopolitique maritime de la façade afro-atlantique : une esquisse historique


la pêche piroguière va connaitre un rebond jusqu’à nos jours. Dans le littoral Angolais
jusqu’en Afrique du Sud, elle est prise en charge par les populations plus proches des
côtes ou des migrants originaires des autres grands foyers de l’Ouest (wolof et lebu du
Sénégal, Béninois, Fanti du Ghana,…) ou frontaliers.

Les côtes du Nord ont aussi subi des variations dans leur étendue : dilatation de leurs
aires maritimes avec un essor économique relatif à la pêche et au commerce; dans ces
périodes précisément où les Saadiens et des Alaouites vont établir un « Etat » puissant.
Entre-temps le jeu des convoitises européennes fait perpétrer les opérations corsaires de
Rabat et de Salé dans les eaux de l’atlantique et de la méditerranée.

Dès les XVe et XVIe siècles, il y aura des expansions ou contractions et même des
reconversions des activités maritimes selon qu’on se situe dans une zone ou dans une
autre; mais, aucune ne disparaitra. Les activités traditionnelles, même lorsqu’elles étaient
relayées au second rang ne faisaient pas moins des heureux à l’exemple de la région (Kru
du Libéria et de la Côte Ivoire). La « technicité » des outils européens et leur organisation
« infrastructurelle » n’ont pas enrayé l’organisation traditionnelle en la matière. D’ailleurs,
J.P Chauveau, dira que le contact européen ne doit pas être perçu
« comme un phénomène linéaire et massif » car « les emprunts furent sélectifs » s’agissant
des outils et des techniques; « la dépendance technique la plus forte (…) fut au contraire
celle des activités européennes à l’égard des techniques africaines ».

Les activités demeurèrent assez centrées sur la pêche et le commerce jusqu’à ce que
débutât un autre type de trafic : la traite négrière à partir du XVIe siècle (que nous
n’inclurons pas dans ce travail quoique appartenant à l’ère précoloniale).

En guise de conclusion de cette première partie, et sur la base d’une démarche beaucoup plus
descriptive/déductive, il est nécessaire d’observer que les habitants des sociétés Ouest-
atlantiques avaient depuis toujours conscience que la mer au-delà de toute considération
superstitieuse ou non (présente alors chez tous les peuples de la terre) présentait un
intérêt presqu’aussi grand que toute autre activité quelconque. De quelle conscience est
née une culture maritime adaptée à leur époque et besoins. En effet, nous avons pu
déceler essentiellement les points forts de leurs stratégies maritimes : comment, quand
usaient-ils de la mer et à quelle proportion selon les régions. Cette lecture géopolitique
devrait pourtant nous permettre d’en dire plus de nos jours, si rien n’en obstrue l’évolution.

III. Les traditions maritimes à l’épreuve des enjeux actuels :


l’héritage peut-il expliquer le contexte actuel ?
Dans la zone de l’Ouest et du centre, le commerce des « hommes » avant de s’étendre
dans l’hinterland fut d’abord un phénomène maritime. Il va supplanter à quelques endroits
le trafic noble que connaissaient les habitants de la côte. L’instabilité constante créée «
par la chasse aux captifs, aura tenu en alerte permanente, tout en les détournant de leurs
activités coutumières, les différents groupes ethno-démographiques.» (Didier Ogoula19).

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 29


On notera donc deux revers de cette situation : la baisse des activités maritimes
coutumières, et bien plus, la crainte de la mer qui « re » devient « le chemin sans retour des
êtres chers ». Ce traumatisme qui couvrira pratiquement quatre siècles27 sera entretenu
d’une certaine façon jusqu’aux étapes postcoloniales.

Dès la fin du 19e siècle, certains États de la rive atlantique accèdent à l’indépendance
(Afrique du Sud, 1910). Mais c’est surtout après l’ère coloniale que la totalité des États de
l’Afrique atlantique émergent et accèdent à la souveraineté internationale (dès le début
des années soixante). Le Maroc qui connaitra le protectorat aura son indépendance
plus tôt en 1956. La nécessité d’une réorganisation à l’échelle mondiale des rapports
interétatiques réhabilitera plus ou moins une pratique maritime « noble ». Entre-temps, la
donne a changé, on ne parle plus de grandes sociétés, mais des Etats indépendants furet-
ils géographiquement plus petits. Dès lors, commencera un long périple de tentatives de
maritimisation « moderne » des économies étatiques à travers une série de conventions
internationales28 et d’initiatives individuelle ou collective29 (Didier Ogoulat : 22). Mais force
aujourd’hui est de constater que depuis, les choses n’ont pas beaucoup évolué en matière
de développement des activités maritimes. Quelques bons résultats peuvent être notés
au Maroc, au Nigeria et en Afrique du Sud et même dans les États du Golfe de Guinée,
mais dans l’ensemble, on peine encore à répondre conséquemment à la richesse des eaux
et des rives de l’Atlantique. C’est sur cette base, qu’après avoir distinctement démontré
la culture maritime des peuples de la façade atlantique, nous voulons questionner cette
dernière à l’aune du contexte actuel. La pratique maritime peut- elle toujours répondre
aux exigences actuelles ? Et que peut-on en déduire (quel rôle a-t-elle et peut-elle encore
jouer ?) ? De ces questions, nous n’envisageons pas revenir sur le débat du : puisque
« pas de culture maritime historique », alors « pas d’évolution maritime moderne » d’où
« pays riche/populations pauvres ». Non, car le faire, rendra vaines nos tentatives des
précédents chapitres. Nous souhaitons tout au contraire montrer si oui ou non, lesdites
traditions doivent, peuvent-elles encore s’appliquer à la gestion actuelle de l’Océan
mondial.

3.1. Les nouveaux enjeux économiques 


Les Etats sont nés, les économies en voie de maritimisation, les petites activités
côtières vont devoir être réorganisées. Mais en face se dressent de nouveaux enjeux : la
reconfiguration de l’océan mondial, la présence des besoins et intérêts d’un type nouveau,
l’existence des ressources jusqu’alors inconnues (gaz, pétrole), le tout face à un jeu de
puissance économique et stratégique des pays industrialisés dans l’espace maritime. Dès
lors, on se rend très vite compte qu’on est loin de la relative demande des populations
frères d’autrefois et de quelques étrangers occasionnels; loin d’une fonction beaucoup
plus alimentaire de la pêche, de la vente des coquillages, des petits poissons séchés ou

(27). Entre le 16e et le 19e siècle : c’est la traite des noirs


(28). Les assises de Genève, du 24 février au 29 avril 1958, et du 17 mars au 26 avril 1960;
La résolution 2750 c (XXV) du 17 décembre 1970,
La troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer de 1973,
La Convention de Montego Bay adoptée le 30 avril 1982, qui entrera en vigueur en 1994.
(29). La Conférence Ministérielle des États de l’Afrique de l’Ouest et du Centre sur les Transports Maritimes(C.M.E.A.O.C./T.M.)
L’Association des Compagnies Nationales de Navigation Maritime (A.C.N.M.A.)
L’Association de Gestion des Ports de l’Afrique de l’Ouest et du Centre (A.G.P.A.O.C.),

30 Construction de l’identité géopolitique maritime de la façade afro-atlantique : une esquisse historique


salés (qui cependant tiennent encore). Par ailleurs, la souplesse dans le protocole relatif à
l’accès à la côte d’hier va être confrontée à une nouvelle forme d’économie organisée, faute
de quoi, les actes « illégaux » et la perte de contrôle des espaces nationaux deviennent
très vite le mot d’ordre.

Nous venons de le dire, les Etats de l’Afrique atlantique doivent plus que jamais procéder
à des réformes structurelle et infrastructurelle pour intégrer leur économie à travers une
exploitation conséquente de leurs riches ressources. En effet, l’Afrique atlantique présente
une densité de produits selon les régions. La zone du Nord avec un étendu côtier d’environ
3500 km présente une richesse halieutique incontestable. Selon la FAO 2013, le Maroc
regorge d’un potentiel halieutique dont la prise est estimée à plus de 1,5 million de tonnes
par an, le Royaume étant à cet effet, le premier producteur en Afrique de poissons et de
fruits de mer. La zone Ouest-Centre qui correspond au Golf de Guinée est qualifiée de
« scandale géographique » en raison de la diversité des ressources qu’elle présente avec
sensiblement 24 milliards de barils de réserve d’hydrocarbures, de riches gisements de
gaz principalement au Nigeria, au Ghana et au Gabon, la sous-région ayant en outre la
deuxième grande richesse halieutique estimée à plus d’un million de tonnes par an. Au
Sud, en Namibie et précisément en Afrique du Sud, les réserves prouvées de pétrole et
de gaz naturel sont à l’heure actuelle très limitées, mais le pays est tout aussi riche des
produits halieutiques (chinchards, merlu, sardines). De ce fait, et à l’exception du Maroc,
du Nigeria, de l’Afrique du Sud et dans une moindre mesure l’Angola, qui avec beaucoup
d’efforts parviennent à « fortement » industrialiser l’activité, la pêche dans l’ensemble est
encore en grande partie, une affaire artisanale à laquelle s’attachent -et surtout de façon
illicite- les petites habitudes côtières d’hier (Rapport du FAO. 2013). Si bien que lorsque,
qu’ils font leurs pas dans l’industrie moderne, plusieurs États principalement du Golfe de
Guinée ont recours aux flottilles européennes et asiatiques au terme des accords souvent
peu adaptés aux contextes locaux et où l’absence d’autorité de contrôle donne parfois lieu
à des « abus » d’exploitation.

En somme, sous-exploitées ou « pillées », les eaux atlantiques surtout de l’Ouest-Centre


de l’Afrique, peinent encore à être exploitées de façon optimale et selon la « culture
maritime moderne ». Ce qui laisse croire que les traditions jusqu’alors entretenues sont
aux antipodes des normes maritimes actuelles.

Une hypothèse qui maintient la question des capacités portuaires, élément indispensable
au développement du commerce. Effectivement, après l’ère des comptoirs, les foyers
d’autrefois « dynamiques » doivent maintenant constituer de véritables ports. Et ici aussi,
seuls quelques Etats, dont le Maroc (surtout), l’Afrique du Sud, et quelque peu le Nigeria,
présentent à ce jour une nette amélioration de la performance portuaire. Le reste de
leurs voisins de l’Ouest et du Centre concentre encore de faibles indices de EVP30 et les
infrastructures receveuses (le terminal).

Pour autant, il ne suffit plus d’avoir un port, et cela d’autant plus que les réformes d’entretien
et d’exploitation portuaires sont devenues de plus en plus difficiles. Alors qu’autre fois
elles servaient souvent à améliorer la productivité dans un contexte strictement national.
(30). Equivalent de Vingt Pieds; Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, réunion des experts
sur l’évaluation des résultats en matière de gestion portuaire. 2 décembre 2012

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 31


Aujourd’hui, elles sont de plus en plus incontournables pour se conformer tout simplement
à l’évolution des progrès technologiques et des tendances mondiales (Hording, Pálsson,
Roballond, 2007).

D’autres aspects d’ordre économique peuvent être relevés pour montrer non pas
l’incapacité, mais la difficulté de plusieurs sinon tous les pays de l’Afrique atlantique
à explorer, exploiter, gérer et conserver leurs différentes zones maritimes surtout à
partir de la ZEE (zone économique exclusive) jusqu’au plateau continental. Mais nous
ne saurons aller plus loin dans le cadre de ce travail synthétique. Cependant, cela aura
suffi pour comprendre (au-delà de la pêche) que ni la pirogue, ni les pagaies, pas même
les impressionnants filets qui jusqu’alors capturent encore des poissons ne peuvent
permettre d’exploiter les ressources naturelles non biologiques des fonds marins et des
sous-sols. La production d’énergie, des réseaux de télécommunication et autres enjeux
économiques et logistiques aujourd’hui ont révolutionné les relations avec la mer.

Loin des rapports purement économiques qui promettent un développement à terme,


va aussi se dresser en face, la nécessité, voire le devoir de défendre, de protéger sa
propriété et de se positionner face à l’étranger.

3.2. Les nouveaux enjeux sécuritaires et les questions stratégiques modernes


De même que le progrès a un coût, appartenir à une « zone utile » ou « point stratégique»
comporte des dangers. En effet, contrairement aux risques (invasion progressive,
migration vers la côte, atteintes aux frontières), qui semblaient bien connus dans l’histoire
par les habitants de l’Afrique atlantique, ceux d’aujourd’hui sont « indéfinissables »,
« imprévisibles » et donc extrêmement difficiles à contrôler.

Alors que 90% du commerce mondial se fait par la voie maritime, celle-ci ne garantit
pourtant pas un transport sans inconvénients. Au quotidien, la production et le transport
des hydrocarbures notamment sont soumis au risque de collision, aux catastrophes
naturelles et aux aléas météorologiques, causant des pertes humaines, des pertes de
marchandises et des arrêts de production. A ces accidents s’ajoute le risque de piraterie,
toujours présent dans les espaces stratégiques (Golf, canal, et détroit). Sur l’ensemble
de la façade, les pays du Golfe de Guinée, sont les plus touchés. Les pôles Nord et Sud
semblent mieux gérés avec le concours de certains pays développés partenaires. La
question a pris une autre tournure suite au détournement d’un pétrolier français dans
les eaux ivoiriennes en 2012. Dès lors, le Golfe de Guinée véritable « zone utile » et haut
lieu de la production de pétrole on shore /offshore affiche un coût de piraterie annuel
d’environ 20 millions/an, sachant qu’en général, la rançon réclamée pour libérer un navire
pétrolier s’élève à 5 M €. En outre, la zone est de plus en plus en proie au vandalisme
et pillage de proximité voire aux ports, une conséquence des frustrations interne (delta
du Niger) ou d’actes illicites étrangers (les pêcheurs clandestins chinois aux larges du
Gabon). Entre-temps, les tensions relatives à la délimitation des frontières subsistent
pendant que l’instabilité politique de certains états riverains alimente cet état d’insécurité.

Fort de cela, l’océan au même titre que les terres devient invraisemblablement un espace à
Sécurise. De ce fait, l’analyse des risques maritimes, la conception puis le développement

32 Construction de l’identité géopolitique maritime de la façade afro-atlantique : une esquisse historique


des systèmes de surveillance et la mise au point d’un équipement performant constituent
le nouveau terrain sur lequel, les pays de la façade doivent ou jouent dorénavant. En ce
sens, seul un budget conséquent et une politique offensive/défensive peut en venir à bout.
Aussi, à des proportions différentes, les pays de l’Afrique atlantique vont constituer et/ou
renouveler leurs mesures à la côte.

Tant bien que mal, l’ouest et le Centre dans leur retard chercheront encore à constituer
une marine à même de protéger les ressources pétrolières et/ou halieutiques nationales
en se faisant livrer des patrouilleurs océaniques ou côtiers. Après l’URSS (en 80,90),
ils bénéficient de la manne chinoise qui renforcera les marines du Ghana, du Congo, de
l’Angola et de la Namibie. Quant au Sénégal, Guinée, Bénin, Gabon, Cameroun, et Mauritanie,
ces derniers se tournent vers leurs fournisseurs occidentaux habituels pour l’acquisition
de vedettes : des patrouilleurs français Grèbe et Rieuse (Cameroun, Gabon), Conejera
(Espagne) des sous-marins allemands de type 209/1400 (Mauritanie), des engins de
débarquement au Sénégal (Sabre) et des frégates du type Meko A200 (Mauritanie).

Remarquablement, la Guinée Equatoriale fera un plus, en acquérant dans un temps


relativement court : une corvette auprès de la Bulgarie et un grand bâtiment de
débarquement et de soutien auprès de l’Ukraine. De même le Nigéria acquiert 2 corvettes
du type P18N en provenance de la Chine, un grand bâtiment océanique, l’ex-cotre de l’US
Coast Guard Chase du type Hamilton, et un certain nombre de petits patrouilleurs ou
vedettes en provenance de France, Malaisie, Singapour voire de ses propres chantiers
(Prézelin, 2013).

Au Sud, l’Afrique du Sud doit tarder à renouveler ses patrouilleurs faute de moyens
budgétaires, ainsi contraint de prolonger ses 3 derniers patrouilleurs du type Reshef.
De même, elle doit retarder son projet d’acquisition d’un grand bâtiment amphibie et d’un
nouveau pétrolier-ravitailleur. Par ailleurs, ces patrouilleurs océaniques des garde-côtes
(et les 3 unités du type Stan Patrol 4708), assurent encore la protection des Côtes
(Bernard Prézlin 2012).

Quant au Maroc, mieux loti dans le domaine, le pays modernise et renforce sa flotte
avec l’acquisition de grands et puissants bâtiments. La mise en service en 2013 de la
frégate Mohammed VI du type FREMM français lui conférera une puissance de feu. Les
trois corvettes du type Sigma néerlandaises (2011 et 2012) le Bir Anzarane construit en
France, l’acquisition de sous-marins type 209/1200 allemand ou S1000 russo-italien
serait par ailleurs envisagée (B. Prézlin, ‘Flottes de Combat’ 2012).

Ces quelques exemples constituent les nouveaux moyens de défense et de protection pris
individuellement par chaque pays. La mise en exécution est aussi une question de bonne
politique sécuritaire (formation et stratégie) que la région doit entreprendre collectivement
ou non. Là aussi, la région n’est pas suffisamment représentative ou dominante pour
pouvoir elle-même défendre ses intérêts, car la sécurité n’est pas seulement mise en
branle par les éléments plus ou moins internes ou continentaux, mais la zone est aussi
sous le collimateur des grandes puissances (européennes, américaines et asiatiques) du
fait de ses ressources. Une partie que ne peut jouer la culture maritime historique de la
région : elle n’en a tout simplement plus les moyens, pas même avec les corsaires du nord.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 33


Le fait d’en être resté attaché, les Etats ont fortement été retardés. Les jeux ont changé
et « à nouvel ennemi, nouvelle arme ».

Qu’est-il donc besoin d’aller plus loin, l’héritage maritime n’a tout simplement plus droit
de cité, ici où la modernité et l’ultra performance font la loi, où surtout la conscience
élémentaire a cédé aux caprices de « la réalité complexe » et où les pratiques sont le
résultat des jeux économiques, géopolitiques et géostratégiques . Dès lors, plus qu’une
simple hypothèse, les traditions maritimes qui jusqu’alors font toujours la part belle de
nos chers paysans sont tout simplement plus « capables » de répondre aux exigences
actuelles. Ont-elles contribué au paradoxe que nous avons signalé dès l’introduction ?
Nous dirons oui et non; non parce que les peuples de la façade se sont intéressés à la
mer -c’est une affirmation dès à présent-, ils ont développé une culture maritime presque
similaire dans toute la façade, et comme dans le reste du monde, celle-ci était organisée
en fonction du contexte et des besoins. Elle était donc appelée à évoluer. Bien d’aléas ont
perturbé cette évolution dans le temps, d’autres ont contraint une « forme de progrès »
qui sortait du contexte régional, si bien qu’il y ai eu presque des « retours à la case départ»
(Ogoulat Didier 1998; J.P Chauveau 1986). Le oui, parce que les Africains n’ont pas su
puiser dans leurs traditions, des aspects susceptibles de faciliter leur maritimisation. Au
contraire, certains en ont fait perdurer dans le temps, sans même réussir à les intégrer
dans une vision générale et organisée, (à défaut de les exploiter). Ainsi les traditions-
maritimes ou non- restent ceux qu’elles sont : une preuve d’antériorité et une base forte
pour qui sait les exploiter et réévaluer.

34 Construction de l’identité géopolitique maritime de la façade afro-atlantique : une esquisse historique


Conclusion
André Vigarié31 dit : « aucun pays ne peut se dispenser sans inconvénient grave d’avoir
recours à la mer, aucune économie moderne ne peut être durablement conçue sans
appui océanique ». C’est dans le même esprit que nous concluons ce modeste travail,
lequel a permis de montrer que les pays riverains de la façade atlantique ont bien une
antériorité maritime, et qu’aujourd’hui, la réévaluation de la maritimisation de la région
est un impératif. Il est donc nécessaire que les politiques économiques et sécuritaires-
lorsqu’elles existent déjà- soient réformées sur le plan national, international en passant
par le régional. En cela, les traditions peuvent servir de fondements solides, à l’exemple de
la conception écologique africaine de la nature qui s’invite de plus en plus dans le débat.
En effet, nous l’avons vu dès l’entrée, la culture maritime régionale a toujours consacré
une place notoire « au respect de la nature ». Or, ce paramètre autrefois négligé ailleurs,
constitue aujourd’hui une partie intégrante de la gestion durable des ressources naturelles
renouvelable et/ou épuisable.

Fort de ces observations, les grands défis de la région atlantique, sont également
l’occasion pour celle-ci de développer une politique commune de développement : l’«
intégration stratégique et économique afro-atlantique ». Des termes, sans prétention
aucune, qui veulent tout simplement poser la nécessité de coopération au regard du
contexte actuel. Du Maroc à l’Afrique du Sud, la question de coopérer présente un double
enjeu : économique et stratégique.

Ainsi, la région doit d’une part promouvoir le développement économique à travers le


partage des connaissances, la collaboration entre les ports pour tirer parti des jeux
concurrentiels des puissances dans leur littoral et doper leurs échanges commerciaux.
D’autre part, elle doit pouvoir construire une identité géopolitique32 solide, afro-atlantique
basée sur un passé maritime « similaire » (réf. I ; II) et sur une appartenance géographique
pérenne. L’histoire a montré à quel point les alliances régionales ou regroupements
quelconques ont fait la force de ceux qui sont appelés aujourd’hui «grandes puissances».
L’Afrique du Sud, le Nigeria et le Maroc, forts de leur statut ou de leurs expériences
et de leur position géostratégique (Maroc et Afrique du Sud) peuvent servir d’exemples
pendant que la potentialité des autres n’est pas à négliger. Aussi doit-on voir en l’initiative
d’un « Club de l’Afrique Atlantique» (déjà cité), le cadre idéal d’approfondissement de cette
nouvelle politique stratégique ?

(31). Géographe français


(32). Objet de ce modeste travail, dans le cadre plus large et inaugural d’une étude de nos professeurs dont M. El Houdaigui
Rachid.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 35


Bibliographie

• AWOUMOU. 2005. Le Golfe de Guinée face aux convoitises. In 11ème Assemblée


Générale du CODESRIA : Repenser le développement africain : au-delà de l’impasse,
les alternatives, 2005, Mozambique;
• BUJO, B. 1992. La conception Négro-africaine de la Nature et le problème de
l’écologie. In FUCH, E. HUNYADI, M. Ethiques et Natures, 1992. Pp. 149-152;
• CHAUVEAU, J.P. 1986. Une histoire maritime africaine est-elle possible?
Historiographie et histoire de la navigation et de la pêche africaines à la côte
occidentale depuis le XVe siècle. In Cahiers d’études africaines, 1986, Vol. 26, N°101,
Pp. 173-235;
• DESCHAMPS, H. DEVISSE, J. MEDARD, H. Afrique (Histoire)- De l’entrée dans
l’histoire à la période contemporaine. In Encyclopædia Universalis (en ligne), Disponible
sur : <http://www.universalis.fr/encyclopedie/afrique-histoire-de-l-entree-dans-l-
histoire-a-la-periode-contemporaine/ >;
• DEVISSE, J. 1989. Les Africains, la mer et les historiens. In Cahiers d’études
africaines, 1989, Vol. 29 N°115, pp. 397-418;
• ESSABE, J.C. 2008. Enjeux géopolitiques et tensions dans le Golfe de Guinée :
approche communautaire de règlement par la diplomatie parlementaire. Libreville,
2008;
• FAUJAS, A. 2002. Demain, la guerre du poisson. In Jeune Afrique/L’intelligent, n°
2163, pp. 119-120;
• KADDANI A. 1992, Le Maroc et l’Atlantique. Pp 86-89;
• Le Courier de l’Unesco : La mer et les peuples. 1983. Paris. N° 12, 48p;
• Maroc Du Nord : Cites Andalouses Et Montagnes Berbères, 2013;
• MAZIANE, L. 2007, Salé et ses Corsaires (1666-1727) : Un port de course marocain
au XVIIe siècle, Caen, 2007. pp33- 38;
• M’BOKOLO, E. 1998. La dimension africaine de la Traite négrière. In Le Monde
Diplomatique. 1998. pp. 16-17;
• Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture : Rapport sur la
situation mondiale des pêches et de l’aquaculture. 2013;
• OGOULAT, A.D. 1998 Les États de la façade atlantique de l’Afrique et la mer
aujourd’hui, quelques aspects géopolitiques et géostratégiques In Norois. 1998, t.
45. n°180, Pp. 587-607;
• OGOULAT, A.D. 2005 Géostratégie et polémologie dans l’espace atlantique Centre
oriental : le cas du golfe de guinée (en ligne). Disponible sur <http://www.stratisc.org>;
• PREZLIN, B. 2013, Flottes de Combat. In Mer et Marines. (En ligne). Disponible sur
<http://www.meretmarine.com/fr/content/focus-les-marines-du-continent-africain>
• Salaheddine, A. 2009. La Mer, le Maroc, une longue histoire (en ligne), Disponible sur
<http://eljadida.over-blog.com/article-26483411.html>;
• Tempels, P. 1945. La Philosophie bantoue;
• UKEJE, C. MVOMO E.W. Approche africaine de la sécurité maritime: Cas du Golf de
Guinée (en ligne). Disponible sur <http://library.fes.de/pdf-files/bueros/nigeria/10647.
pdf>;
• VIGARIE A, 1997. L’Afrique de l’Ouest et la mer : réussite ou échec. In La Revue
maritime, 1997, n° 447, 3e trimestre;

36 Construction de l’identité géopolitique maritime de la façade afro-atlantique : une esquisse historique


• VOLSKRANT D. 2002. Les eaux africaines pillées sans vergogne. In Courrier
international, 2002, n° 630, p. 46.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 37


2
COMPLEXITÉ DE LA CRIMINALITÉ
TRANSNATIONALE EN AFRIQUE DE L’OUEST

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 39


COMPLEXITÉ DE LA CRIMINALITÉ TRANSNATIONALE EN
AFRIQUE DE L’OUEST 

2
Pierre ADIMI33

Introduction

Si la région ouest africaine n’a de cesse défrayé la chronique depuis plusieurs


décennies, elle l’a été pour des raisons d’instabilité et d’insécurité. L’un des défis majeurs
auxquels cette région s’est trouvée confrontée au cours des dix dernières années a été
la multiplication des conflits et crises polymorphes. Ces instabilités après avoir fragilisé
l’instauration de la démocratie, ont aussi aggravé les faiblesses institutionnelles des États,
plus précisément celui de l’Etat nation, ce contexte sociopolitique de l’Afrique de l’ouest
a mis en évidence les défis de cette région. Profitant de cette situation, la criminalité
transnationale s’est formée lentement mais sûrement. Dans un premier temps en jouant
sur les vulnérabilités des États telles que la vastitude des territoires, la longueur et
la porosité des frontières. Puis dans un second temps, sur les déficits chroniques de
gouvernance, notamment l’absence de vision et de stratégie en matière de sécurité, la
faible implication des communautés locales dans la gestion des questions de sécurité. De
plus du faible niveau de développement économique et social, l’injustice, la pauvreté, la
misère, et la marginalisation voire l’exclusion de certains segments de la société n’ont fait
qu’accroitre le degrés de propagation de la criminalité transnationale. Ce phénomène qui
tire essentiellement parti de la porosité des frontières et de la faiblesse des institutions
nationales et supra nationales est une des plus graves menaces régionales.

La criminalité organisée dans la région ouest africaine constitue la nouvelle forme de


menace qui pèse sur les États de cette région et mérite d’être mise sous les feux de la
rampe, eu égard de son impact sur la stabilité de ces États.

Pour mieux appréhender le sujet, nous nous interrogerons d’abord sur le contexte et les
formes de la criminalité transnationale en Afrique de l’Ouest; ensuite sur les enjeux et
les acteurs de ce phénomène en Afrique de l’ouest. Comment peuvent s’articuler au plan
national et régional les stratégies pour une lutte efficace et efficiente contre ce phénomène
criminogène transfrontalier en Afrique de l’ouest ? Telle sera aussi la principale question
prospective qui mènera le débat vers des solutions concrètes.

De ce fait, deux hypothèses donneront un brin de réponse au phénomène de la criminalité


transnationale organisée et contribueront au développement de notre analyse. Ainsi, deux
fragilités majeures des États ouest-africains favorisent la criminalité transnationale : il
s’agit d’une part de la fragilité étatique : un facteur de forte élévation des risques pour des
(33). Docteur en Relations Internationales, Université Abdelmalek ESSAADI Tanger, Faculté des Sciences Juridiques,
Economiques et Sociales ; Chercheur associé à l’Observatoire d’Etudes Méditerranéennes Tanger.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 41


pays faisant face, entre autres, à des instabilités politiques (évoluant vers le séparatisme)
et à des pressions de convoitise sur des gisements transfrontaliers de ressources
naturelles. D’autre part des fragilités structurelles qui sont les carences chroniques de la
gouvernance politique, économique, sociale, culturelle, de défense et de sécurité. D’autres
facteurs non moins importants pourraient aussi expliquer la montée de la criminalité
transnationale en Afrique de l’ouest. Finalement, la prise en compte des considérations
de gouvernance nationale et supra nationale constitue la clé de voûte des solutions
durables à ce phénomène.

Cette étude nous permettra de mettre en évidence d’abord (I) la synergie des facteurs
élevant la bannière de la criminalité transfrontalière en Afrique de l’ouest. Il sera aussi
question ici de déterminer les impacts multidimensionnels de la criminalité transnationale
sur les États de la région. Et puis dans un second temps, (II) déterminer le cadre juridique
et politique infranational et multilatéral de lutte contre ce phénomène de la criminalité.

I. La criminalité transnationale organisée en Afrique de l’ouest :


caractère polymorphe d’un phénomène complexe
Il importe d’abord, dans un premier temps de comprendre le sens donné à la « criminalité
transnationale » à travers une définition acceptée par le droit international. A cet effet,
« une infraction est de nature transnationale si, elle a été commise dans plus d’un État;
si elle est commise dans un État, mais qu’une partie substantielle de sa préparation, de
sa planification, de sa conduite ou de son contrôle a lieu dans un autre État; si elle est
commise dans un État, mais qu’elle implique un groupe criminel organisé qui se livre à des
activités criminelles dans plus d’un État ou, enfin, si elle est commise dans un État mais a
des effets dans un autre État » (ONU, 2001).

Au terme de cette définition, nous retiendrons dans un premier temps, un certain nombre
d’infractions de nature criminelle qui élève l’étendard de la criminalité transnationale en
Afrique de l’ouest. Puis dans un second temps, nous démontrerons que ce phénomène
est avant tout le résultat d’une gouvernance défaillante des Etats de la région et
déterminerons enfin ses acteurs multiples.

1.1. Le caractère polymorphe de la criminalité transnationale en Afrique de


l’ouest
Le caractère polymorphe de la criminalité transfrontalière organisée fait du phénomène
un facteur de déstabilisation des États de la région. Son impact politique, économique
et social sur ces États est indéniable. Après avoir analysé les différentes formes de la
criminalité transnationale, nous mettrons en lumière son impact multidimensionnel sur les
États ouest africains.

42 Complexité de la criminalité transnationale en Afrique de l’Ouest


Si l’Afrique de l’ouest connait une montée importante de la criminalité transnationale
organisée34, plusieurs actes peuvent être désignés comme étant criminels au regard de la
définition précédemment évoquée. Sans prétendre à une exhaustivité, nous retiendrons
les actes de criminalité à caractère transnational de grand impact en Afrique de l’ouest.
Les formes de criminalité transnationale les plus courantes dans la région sont le trafic de
drogue (1), trafic d’armes (2), d’êtres humains (3), et la piraterie maritime (4).

1.1.1 Le trafic de drogue

Plusieurs produits illicites faisant objet de trafic en Afrique de l’ouest peuvent être
regroupés dans cette catégorie à savoir la cocaïne, héroïne et l’amphétamine. D’abord,
la cocaïne qui provient essentiellement de l’Amérique latine notamment de la Colombie,
le Pérou et la Bolivie (Luntumbue, 2012), trouve en Afrique de l’Ouest des conditions
particulièrement favorables au transit.

On estime que plus de 50 tonnes de cocaïne transitent chaque année par l’Afrique de
l’ouest vers les villes européennes, où leur revente atteint une valeur de près de 2 milliards
de dollars (ONU, 2013).

Le trafic de drogue a connu une hausse assez spectaculaire en Afrique de l’ouest au


milieu des années 2000 avant de connaître un fléchissement à la fin de la décennie. Le
tableau suivant montre l’évolution du trafic dans cette période35.

(34). La Résolution 55/25 de l’Assemblée générale du 15 novembre 2000 de l’ONU Convention des Nations Unies contre la
criminalité transnationale organisée de 2001 (article 2, alinéas 1) fait un éclairage sur le sens qu’il faut donner à la criminalité
transnationale organisée en ces termes : « un “groupe criminel organisé” désigne un groupe structuré de trois personnes ou
plus existant depuis un certain temps et agissant de concert dans le but de commettre une ou plusieurs infractions graves
ou infractions établies conformément à la présente Convention, pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage
financier ou un autre avantage matériel ».
(35). Selon l’ONUDC, le trafic de cocaïne transitant par l’Afrique de l’Ouest a connu une hausse significative ces dernières
années, passant de 3 tonnes environ en 2004 à 47 tonnes en 2007, avant de baisser à 18 tonnes en 2010.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 43


Figure 1 : Tonnes de cocaïne pure acheminées vers l’Europe via l’Afrique de l’Ouest, 2004-
2010 (UNODC, 2013).

Source : Estimations de l'ONUDC

Il faut noter ici que la baisse observée sur ce tableau peut être liée à une modification
des modes opératoires des trafiquants, rendant plus malaisé la détection d’une partie du
trafic.

Le tableau suivant montre les principales localisations des saisies effectuées de 2004 à
2011 en Afrique de l’ouest incluant aussi le Maroc.

44 Complexité de la criminalité transnationale en Afrique de l’Ouest


Figure 2 : Principales saisies de cocaïne en Afrique de l’Ouest (2005-2011) (UNODC, 2013)

Source : Base de données sur les saisies individuelles de drogue ( ONUDC ), et Bureaux régionaux et
nationaux de l’ONUDC

Outre la montée du trafic de cocaïne, on constate une évidente augmentation des volumes
d’héroïne faisant aussi l’objet d’activités illicites qui transitent par l’Afrique de l’Ouest.

Le trafic d’arme est aussi une autre menace grandissante pour la paix et la sécurité dans
la région, entravant ainsi son développement.

1.1.2. Trafic d’arme

L’Afrique de l’Ouest est depuis de nombreuses années la sous-région la plus instable


du continent. Depuis 1960, la plupart des 15 États qui constituent la Communauté
économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)36 ont connu plusieurs coups
militaires et trente-sept d’entre eux ont réussi. L’ampleur sans précédent de cette
insurrection s’explique notamment par les transferts d’armes légères et de petit calibre
(ALPC) dans la sous-région. Les transferts non contrôlés ont exacerbé les conflits et
provoqué la destruction, la pauvreté et le sous-développement.

Après la Guerre froide, il y eut une période où l’Afrique de l’Ouest recevait des tonnes
d’armes de provenance extérieure. Pour l’essentiel, cette époque a pris fin, dans la mesure
où l’offre régionale suffit désormais à satisfaire la demande locale. Par ailleurs, le nombre
(36). États-membres de la CEDEAO : Bénin,  Burkina Faso,  Cap-Vert,  Côte-d’Ivoire, Gambie,  Ghana, Guinée-
Bissau, Libéria, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo. A l’exception du Sénégal, tous les Etats de la région ont déjà
connu un ou plusieurs coups d’Etat militaires depuis leur indépendance.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 45


de guerres civiles en Afrique a diminué depuis les années 90, entraînant un recul de la
demande. Parallèlement, les armes introduites illégalement pendant ces années-là n’ont
pas disparu, et sont toujours recyclées dans l’ensemble de la région.

Les armes légères et de petit calibre (ALPC) issues de différents conflits qui ont touché
la sous-région au cours de la dernière décennie circulent sans entraves en Afrique de
l’Ouest. Initialement un grand nombre de ces armes sont issues des stocks accumulés
pendant la période de la Guerre froide, auxquels s’ajoutent aujourd’hui d’autres filières
de production locale, dont la production artisanale. On estime à 100 millions environ le
nombre d’armes illicites en circulation en Afrique sub-saharienne, dont 8 à 10 millions
d’armes pour la sous-région ouest-africaine (Luntumbue, 2012).

L’augmentation du trafic d’armes dans la région ces dernières années permet à des
groupes tels que le MNLA, AQMI, Ansar Dine etc… de développer des capacités militaires
suffisantes pour défier les armées régulières (OCDE, 2013).

La circulation d’armes illicites en Afrique de l’Ouest se greffe sur une dynamique de


structuration de véritables « systèmes de conflits», favorisant le recyclage d’armements
d’un conflit à l’autre, et la diffusion de l’instabilité d’une zone de tension à l’autre. Comme
l’a illustré le cas de la sous-région sahélo-saharienne en 2011, l’afflux d’armes à la faveur
du conflit libyen et de l’intervention de l’OTAN est venue alimenter les activités de bandes
criminelles organisées, de rébellions locales en latence et de groupes terroristes. La
dissémination des stocks de l’ancienne armée de Mouammar Kadhafi a fait de la Libye
l’une des plaques tournantes du trafic d’armes de toutes catégories dans la sous-région
et même au-delà (Luntumbue, 2012).

1.1.3 La traitre d’être humains et trafic de migrants

Chaque année, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants sont victimes de la traite
des personnes dans leur pays ou à l’étranger. Par la contrainte, la duperie ou la force, ils
sont exploités pour leur force de travail, pour le sexe ou pour leurs organes. Presque tous
les États sont touchés par ce crime contre l’humanité, soit comme pays d’origine, de transit
ou de destination des victimes. La traite des êtres humains peut être une entreprise
lucrative et les responsables sont souvent liés à la criminalité organisée. Pourtant, la
traite affectant généralement des individus en marge de la société, peu de ces trafiquants
sont jugés et la plupart des victimes ne seront probablement jamais identifiées et aidées.

L’instabilité politique en Afrique de l’ouest a fortement favorisé le trafic d’êtres humains et de


migrants à la recherche d’asile et d’un avenir meilleur. En plus de cela, les auteurs de ce honteux
commerce profitent de la précarité, misère et pauvreté de populations, pour en faire fortune.

Selon l’ONU, « l’expression «traite des personnes» désigne le recrutement, le


transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de
recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement,
fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre
ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une
personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au

46 Complexité de la criminalité transnationale en Afrique de l’Ouest


minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle,
le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la
servitude ou le prélèvement d’organes » (Protocole additionnel ONU).

A côté de cette traite des personnes, il faut mentionner aussi un autre trafic illicite que
condamnent un certain nombre d’instruments juridiques internationaux.

Les instruments juridiques internationaux opèrent une distinction entre la traite des êtres
humains et le trafic illicite de migrants. L’une des différences principales entre les deux
crimes réside dans l’absence de consentement et la contrainte exercée sur les victimes de
la traite. Les deux formes de criminalité se distinguent également par la nature de leurs
bénéfices : dans le cas du trafic de migrants, les bénéfices sont tirés du transport et de la
facilitation de l’entrée illégale ou le séjour des personnes dans un autre pays, tandis que
dans le cas de la traite, les bénéfices sont tirés de l’exploitation des victimes (Luntumbue,
2012).

Le trafic illicite de migrants par terre, mer et air désigne le fait « d’assurer, afin d’en tirer,
directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel,
l’entrée illégale dans un État Partie d’une personne qui n’est ni un ressortissant ni un
résident permanent de cet État » (Luntumbue, 2012).

On estime qu’environ 55 000 migrants du continent africain sont introduits illégalement


chaque année en Europe (Luntumbue, 2012). Ces migrants proviennent des pays
politiquement instables ou en guerre dans différentes régions du continent africain.

La piraterie maritime est une autre forme de criminalité à caractère transnationale en


Afrique de l’ouest.

1.1.4. La piraterie maritime

La région ouest africaine connait une criminalité maritime endémique, qui a longtemps plus
relevé d’un phénomène de subsistance des populations locales que d’un trafic organisé de
portée plus large. Elle représente l’une des trois zones de piraterie dans le monde avec le
Golfe d’Aden et le Sud –Est asiatique.

Selon le Bureau maritime international, la piraterie en Afrique de l’Ouest représentait 19 %


des attaques dans le monde en 2013, les pirates nigérians étant responsables des deux
tiers des attaques répertoriées dans la région (Senat Français).

En 2011, on a recensé 22 attaques au Bénin, pays jusqu’alors relativement épargné par les
actes de piraterie commis en permanence au large de Lagos, la capitale nigériane, située
à quelques kilomètres à peine des côtes béninoises. Les attaques ont cependant cessé
aussi rapidement qu’elles sont survenues, et on n’en a signalé que deux depuis le début
de 2012 dans les eaux du Bénin. En revanche, entre janvier et mi-septembre 2012, on a
enregistré 18 attaques similaires au Togo, lors d’une vague d’attaques d’une ampleur sans
précédent. Dans le même temps, les attaques dirigées contre des pétroliers ont inspiré
de nombreux vols dans des eaux jusqu’alors réputées sûres (NTUDA EBODE, 2014).

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 47


Au-delà des vols de toute nature, il faut mentionner deux manifestations particulières de
la piraterie :

• On estime qu’au Nigeria, 5 % de la production officielle de pétrole est ainsi «perdue»…


Ces activités privent les gouvernements de recettes; elles augmentent les coûts
commerciaux en raison des besoins accrus de sécurité, du paiement des rançons et
de la hausse des assurances;

• Elles découragent de nouveaux investissements et tendent à dégrader l’environnement


du fait de déversements accidentels d’hydrocarbures.

L’une des grandes voies d’accès de la drogue en Europe passe par l’Afrique, principalement
via des pays plus à l’Ouest que le cœur du Golfe de Guinée. L’Office des Nations unies
contre la drogue et le crime estime que vingt à quarante tonnes de cocaïne, pour un
coût de 600 millions de dollars, transitent chaque année par le Golfe de Guinée à
destination de l’Europe. Ce type de trafic charrie de telles sommes d’argent que le risque
de déstabilisation (on le voit en Guinée Bissau) est particulièrement élevé.

1.2. Criminalité transnationale comme conséquence d’une mauvaise


gouvernance des Etats de l’Afrique de l’Ouest.
La criminalité transnationale organisée en Afrique et particulièrement en Afrique de
l’ouest qui occasionne indéniablement des conséquences parfois incalculables pour
les États qui en sont victimes est due à un ensemble de convergence de facteurs. Ces
facteurs peuvent se résumer en deux points : il s’agit de l’incapacité de l’Etat à assurer le
maillage territorial et sécuritaire de son territoire d’une part (1), et d’autre part, la rupture
du contrat social entre gouvernants et gouvernés (2) dû à la mauvaise gouvernance qui
génère à son tour des violences.

1.2.1. Faiblesse de la présence étatique sur l’ensemble du territoire et porosité


frontalière

Le Commissaire à la Paix et à la Sécurité de l’Union Africaine expliquait l’implantation des


groupes terroristes au sahel et leur essor par trois facteurs important. « La recherche de
zones refuges caractérisées par un faible maillage sécuritaire et une présence insuffisante
des organes des États; la quête de nouvelles sources de financement; le besoin de
conquérir de nouveaux espaces de recrutement pour les besoins d’une confrontation
planétaire avec autrui » (Lamarma, 2010).

En effet le talon d’Achille des États ouest africains de la bande sahélo-saharien est
plus que jamais notamment leur incapacité à marquer leur présence et à véritablement
assurer les fonctions régaliennes qui sont les leurs sur l’ensemble de leur territoire.

Les cas malien et nigérien de ces dernières années constituent des exemples suffisamment
éloquents de l’ampleur du terrorisme dans la région et ses capacités déstabilisatrices

48 Complexité de la criminalité transnationale en Afrique de l’Ouest


pour ces États voire l’ensemble de la région ouest africaine.

Ils cristallisent en effet tous les problèmes et la vulnérabilité structurelle d’États fragiles
face à la montée de la menace terroriste, dans un contexte où les effets de contagion de la
violence transfrontalière se propagent à cause de la déliquescence alarmante du pouvoir
régalien d’États faibles.

Depuis le déclenchement de la crise libyenne, le Sahel a absorbé une importante masse


de trafiquants et de combattants de tout acabit. Si cet environnement offre le gite, mais
rarement le couvert, il est aussi le point d’incubation dont se servent de différents groupes
terroristes pour s’enraciner sur l’ensemble de la région.

A cela s’ajoute le danger de frontières poreuses, la faiblesse structurelle de l’appareil de


sécurité et celle d’armées souvent sous-équipées, peu disciplinées, et mal préparées à
affronter les nouvelles formes de violence.

Le cas malien est aussi la métaphore alarmante d’une condition collective, celle d’États
vulnérables qui peinent à se hisser à la hauteur du défi majeur de l’époque: la construction
d’États forts capables de contrôler l’usage de la violence et contenir décisivement des
groupes terroristes en compétition avec les Etats pour le contrôle de l’exercice de la
violence armée (Kigbafori Soso, 2013).

L’Etat peine à contrôler l’usage de la violence armée; il est manifestement incapable


d’entraver la circulation des groupes armés et leur aptitude à acquérir des capacités
opérationnelles et une forte puissance militaire. La nébuleuse terroriste qui a trouvé
un terrain propice à son épanouissement dans la bande du sahélo-saharien étend ses
tentacules sur l’ensemble de l’Afrique de l’ouest classée par l’Occident comme « zone »
rouge où l’industrie du kidnapping se développe.

La déliquescence de l’Etat malien a provoqué l’implantation du MUJAO et d’Ansar Eddine


qui ont pris une part active dans l’insurrection qui, par effet domino, a provoqué la chute,
par coup d’Etat, du régime démocratiquement élu d’Amadou Toumani Touré. Ces groupes
ont la particularité de contester violemment la légitimité du pouvoir d’Etat qui se trouve
ainsi défié fréquemment (Kigbafori Soso, 2013).

« Ces pouvoirs centraux ne disposent pas ainsi de relais suffisamment denses pour
assurer, en permanence et durablement, les fonctions régaliennes de l’Etat dans les zones
périphériques ». Cette situation crée de fait des velléités indépendantistes de populations
qui sont « déconnectées » du pouvoir central et l’instauration de territoire sous leur
contrôle (l’Organisation International de la Francophonie, 2011).

La circulation des armes profite de la porosité des frontières qui complique sérieusement
les initiatives de désarmement. Ces frontières facilitent la présence de réseaux
transfrontaliers illégaux et les renforcent dans leurs activités comme le trafic de drogue
et la traite des êtres humains. L’existence de groupes armés échappant au contrôle d’un
État compromet la conduite des affaires publiques, l’état de droit et la sécurité au sens
large (UNIDIR, 2008).

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 49


1.2.2. La rupture du contrat social entre gouvernants et gouvernés

La faiblesse des institutions publiques est une évidence dans de nombreux pays
d’Afrique subsaharienne. Les raisons de cette faiblesse sont multiples : ressources
publiques limitées, corruption, manque d’organisation et de conception, attitudes et
comportement des élites dirigeantes. Chacun de ces problèmes favorise et encourage
l’activité des trafiquants de drogue, et ceci, à plusieurs niveaux. Les ressources limitées
ne permettent pas aux États de faire face à leurs fonctions élémentaires, en cela compris
la surveillance et le contrôle douanier (qui exige des équipements techniques aussi
sophistiqués qu’onéreux), la réglementation des activités commerciales, l’application de
la loi, les opérations de police et le maintien du monopole national de la violence à des
niveaux élevés dans de nombreux territoires relevant de la juridiction de certains États
africains. Cette faiblesse des ressources disponibles pour l’État se traduit également par
des salaires très bas, ce qui peut inciter les fonctionnaires et les agents chargés de la
loi à accepter les pots-de-vin et toute autre forme de compensation. En contrepartie, les
trafiquants continuent leurs activités illicites et achètent ainsi leur impunité. Dans les plus
hautes sphères de l’État, la corruption est encouragée par une conception patrimoniale
de l’État, très largement réservée aux élites dirigeantes, habituées depuis des générations
à gérer les ressources de l’État et les ressources naturelles du pays, comme s’il s’agissait
des leurs. Une tendance qui est également accrue par la profonde politisation de la
fonction judiciaire et des forces de police. Ces effets dévastateurs ont été mis en exergue
dans les pays où les hautes sphères politiciennes et militaires ont autorisé, voire soutenu,
les trafics illicites, en allant même parfois jusqu’à exercer le leadership sur ces activités.

1.3. Les acteurs de la criminalité transnationale


Les enjeux liés aux différents trafics évoqués supra organisés en criminalité ayant un
caractère transnational regroupent deux typologies principales d’acteurs plus ou moins
organisés en réseaux et plus ou moins interconnectés. Nous allons nous focaliser sur les
acteurs Etatiques (cas de la Guinée Bissau) (1e) et des acteurs non Etatiques (2).

1.3.1. Les acteurs Etatiques : cas de la Guinée Bissau

Avec des frontières poreuses et des centaines de kilomètres de côtes non surveillées,
un système judiciaire affaibli, la corruption, le taux élevé de chômage chez les jeunes, et
d’autres défis sociaux ont rendu la Guinée-Bissau vulnérable au trafic de drogue, et ces
derniers temps avec une hausse du taux de criminalité. Qualifiée de « narco-Etat », la
Guinée Bissau présente des failles multidimensionnelles qui favorisent l’implantation et
l’implication des trafiquants de drogue au sommet de l’Etat.

Le véritable problème, est la faiblesse de l’Etat et la vulnérabilité que cela génère. La


situation est compliquée par un littoral long de 350 kilomètres et un archipel (les Bijagos)
comptant 88 îles échappant tous deux à la surveillance de la police. Fort d’un passé de
coups d’Etats et d’assassinats de dirigeants politiques et militaires, il a fallu qu’une nouvelle
série d’assassinats politiques soit perpétrée par des soldats en mars 2009 pour que le
pays soit de plus en plus considéré comme un « narco-Etat » par l’ONU, les Etats-Unis et

50 Complexité de la criminalité transnationale en Afrique de l’Ouest


des observateurs indépendants. Depuis le 12 avril 2012, date à laquelle les forces armées
se sont à nouveau emparé du pouvoir, il est de notoriété publique que le trafic de drogue
est devenu la principale activité économique de l’élite militaire (qui contrôle l’Etat) (Gberie,
2013).

A ce titre, en 2013, deux hauts gradés de l’armée Bissau- guinéenne ont été arrêtés
par l’agence américaine anti-drogue aux larges des côtes bissau-guinéennes. Il s’agit
du lieutenant-général Antonio Indjai, chef d’état-major des armées, et le contre-amiral
Bubo Na Tchuto, ex-chef de la marine. Le chef d’état-major des armées a été arrêté pour
« implication dans le trafic de drogue et la vente d’armes dont des missiles sol-air et qu’il
négociait avec ceux qu’il a pris pour des membres des FARC venus de Colombie. Nous
n’avons pas demandé l’aide de la Guinée-Bissau car nous considérons ce pays comme un
narco-État et les États-Unis ne collaborent pas avec ces États37».

Bubo Na Tchuto quant à lui est accusé d’être impliqué dans le narcoterrorisme, d’avoir
comploté en vue d’importer des stupéfiants aux États-Unis et d’apporter un soutien
aux Forces armées révolutionnaires de Colombie -considérées comme une organisation
terroriste-. Pour l’agence américaine anti-drogue, l’arrestation de ces hauts gradés de
l’armée décrédibilise tout le pays : « La Guinée-Bissau est un Etat trafiquant de drogue. Les
autorités sont impliquées dans des activités terroristes. Ces gens-là sont des terroristes.
Ils veulent s’en prendre aux Etats-Unis et à ses voisins. Ils ont perdu toute crédibilité 38».

Dans de nombreux d’autres États de l’Afrique de l’ouest, des autorités politiques sont
aussi impliquées dans ce phénomène où l’argent de la drogue finance des élections. Ainsi,
pendant les élections parlementaires et présidentielles de 2008, l’argent de la drogue
finançait certains acteurs politiques importants, y compris au moins l’un des principaux
candidats à la présidence de la République. Raymond Kwame Amankwah, un trafiquant
de drogue ghanéen tristement célèbre qui purge actuellement une peine de 14 ans de
prison pour trafic de drogue au Centre de détention provisoire de Caucaia au Brésil, est
réputé avoir été un important bailleur de fonds du New Patriotic Party (NPP) alors au
pouvoir39.

1.3.2 Les acteurs non-étatiques

Nous allons ici distinguer les acteurs locaux organisés en réseaux et les groupes insurgés
qui opèrent sous la bannière de revendications indépendantistes et djihadistes.

En ce qui concerne les réseaux locaux, les premiers exemples les plus significatifs des
groupes de trafiquants locaux en Afrique subsaharienne concernant les réseaux criminels
nigérians, qui allaient servir de modèles aux autres groupes similaires, notamment au
Ghana, en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Ils se distinguent par leur petite taille, leur flexibilité
et la fragmentation en cellules de 10 membres au plus. Chaque membre apportant au
groupe des compétences spécifiques (IEEE, 2014).
(37). Information Publiée le 25-04-2013, par la Radio France Internationale sur : « Narco terrorisme: la Guinée-Bissau dans
le collimateur des Etats-Unis ».
(38). Ibid.
(39). Lansana Gberie, op. cit. p. 16.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 51


Il s’agit par conséquent de réseaux extrêmement mobiles, à tel point qu’un même individu
peut parfois faire partie de plusieurs réseaux criminels.

Le Graphique suivant montre non seulement le nombre important de personnes et


groupes impliqués dans le trafic de drogue en Suisse mais aussi la diversité de nationalités
auxquelles ces personnes appartiennent, essentiellement de l’Afrique de l’ouest.

Figure 3 : Nationalité des ressortissants étrangers arrêtés en Suisse pour trafic de cocaïne,
2011 (UNIDC, 2013).

Source : Ministère italien de l’intérieur

1.4. Impact de la criminalité organisée transnationale sur les Etats concernés


La Banque Mondiale a créé des indicateurs de gouvernance pour l’ensemble des pays
du monde. Six indicateurs de gouvernance sont calculés, à savoir : Liberté civile et
transparence, stabilité politique et absence de violence, efficacité gouvernementale, suivi
de qualité, état de droit et contrôle de la corruption. Ces indicateurs de gouvernance
donnent souvent des résultats assez médiocres pour les pays d’Afrique de l’Ouest.

Nous nous limiterons sur les aspects politiques (cas de la Guinée Bissau), économiques
(cas du Bénin) et état de droit dans l’analyse de l’impact que peut avoir la criminalité
organisée en Afrique de l’ouest.

1.4.1. Impacts de la criminalité organisée sur la stabilité politique et institution-


nelle : cas de la Guinée-Bissau

En avril 2012, un coup d’Etat a frappé la Guinée-Bissau la veille de l’ouverture de la


campagne du deuxième tour de l’élection présidentielle, où se sont confrontés le Premier
Ministre sortant, Carlos Gomes Junior, et le candidat de l’opposition, Koumba Yala. Les
groupes criminels qui se sont infiltrés dans le pays y ont davantage compliqué la situation
en matière de sécurité. Selon les services de renseignements internationaux, le trafic de

52 Complexité de la criminalité transnationale en Afrique de l’Ouest


cocaïne emprunte les voies aériennes, maritime et terrestre sans aucune intervention des
autorités de transition ni des forces de sécurité. On estime que chaque transaction porte
sur des centaines de kilogrammes de cocaïne.

Outre le trafic de drogue, d’armes légères et de marchandises, les activités de pêche


illégale et l’exportation illégale de bois, de minéraux et d’autres ressources restent une
préoccupation majeure et une source de dissensions internes entre les autorités civiles
et les autorités militaires, dont résultent des différends nationaux supplémentaires qui
compromettent les initiatives en faveur de la paix, de la stabilité, de l’action humanitaire et
du développement (ONU, 2013).

1.4.2. Impacts sur la sécurité

Dans la région du Golfe de Guinée, notamment au Nigeria, ces différentes attaques se


caractérisent par un niveau de violence particulièrement élevé.

Elles ont longtemps été cantonnées aux côtes du Nigeria mais elles se sont étendues
aux pays voisins, le Nigeria en restant l’épicentre. En outre, il arrive fréquemment que les
navires capturés soient « relâchés » assez loin du lieu de l’attaque initiale. Par exemple,
en janvier 2014, un pétrolier a été détourné aux abords de Luanda en Angola et « relâché
» au large du Nigeria neuf jours plus tard, délesté de 13 000 tonnes de gazole et de
diverses marchandises qui étaient à son bord. Cette piraterie fait peser une pression
sécuritaire sur les États de la région.

Cette absence de paix, sécurité et stabilité s’objective par la gestion problématique de


vagues de réfugiés en provenance de pays plongés dans le chaos et la violence généralisée,
ainsi que dans l’insuffisance de moyens étatiques de contrôle et de surveillance des flux
transfrontaliers.

La constante de l’insécurité au niveau des espaces transfrontaliers du golfe de Guinée


produit des effets néfastes directs sur les populations victimes des actes de criminalité
et de violence politique commis, soit par l’appareil militaire étatique, soit par les groupes
criminels privés. En effet, la violence infligée aux personnes, notamment par la destruction
des villages, des assassinats, des enlèvements, des viols et autres exactions massives,
induit des vagues de mouvements de réfugiés et déplacés internes, «qui le plus souvent,
sinon tout le temps, emportent avec eux des armes légères et de petit calibre (ALPC)
facilement transportables et dissimulables à cause de leur légèreté » (SUYRU, 2011).

1.4.3. Impacts économiques de la piraterie maritime : cas du Bénin

La montée de la piraterie maritime dans le golfe de Guinée est à l’évidence une menace
pour les économies des pays riverains, qui dépendent des activités portuaires pour leurs
exportations ou leurs approvisionnements extérieurs.

La principale préoccupation des pays de la région tient non pas aux pertes directes
découlant des actes de piraterie, mais à l’impact de ces pertes sur les taux d’assurance

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 53


au niveau international. Au Bénin, pays dont la survie économique dépend d’un littoral
de 121 kilomètres de long, les taxes sur les échanges représentent la moitié des recettes
publiques, et 80 % de ce revenu provient directement du port de Cotonou. À la suite
de la vague d’attaques survenue en 2011, les évaluateurs des compagnies d’assurance
internationales ont classé les eaux territoriales du Bénin dans la même catégorie de
risque que celles du Nigéria, ce qui a entraîné une forte hausse du coût des expéditions
maritimes à destination du Bénin. Selon le chef d’état-major de la marine à Cotonou, le
trafic maritime a diminué de 70 % au cours du troisième trimestre de 2011. Il pourrait en
résulter une perte en recettes publiques de 28 % pour l’État béninois40.

Pour le Bénin, ces actes de piraterie aux larges de ses côtes pourraient se traduire par la
désertion d’un grand nombre de navires vers les ports les plus sécurisés ce qui serait très
préjudiciable pour ce pays qui dépend essentiellement des activités du port de Cotonou.

II. Gouvernance politique et lutte contre la criminalité organisée


en Afrique de l’ouest.
Si face au phénomène de la criminalité organisée transnationale qui sévit en Afrique de
l’ouest avec ces conséquences évoquées, les Etats de la région ne sont pas restés sans
réponses collectives, il convient de marteler très fort ici que cette lutte n’atteindra des
résultats probants que si un cadre institutionnel et politique viable est mis en œuvre à
l’échelle nationale.

Quelles sont les actions entreprises par les États de la région (A) ? Et quelles sont les
conditions supra et infranationales nécessaires pour une lutte efficace (B) ?

2.1. Les actions régionales de lutte contre la criminalité organisée


La lutte contre la criminalité transnationale organisée doit passer par plusieurs
mécanismes eus égard des conséquences et impacts sur la paix, la sécurité ainsi que sur
le développement en Afrique de l’ouest. Dans ce cadre, les États de l’Afrique de l’ouest sous
la bannière de la Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)
ont mis en place un ensemble de mesures juridiques et opérationnelles pour lutter contre
ce phénomène. Il s’agit principalement de la convention de la CEDEAO relative aux armes

légères et de petit calibre (1), les mesures contre la traite des êtres humains (2) et le plan
de lutte régionale contre la piraterie maritime sur lesquelles il convient de revenir.

2.1.1. La Convention de la CEDEAO relative aux armes légères et de petit cal-


ibre

En 1998, les chefs d’États et de gouvernement de la CEDEAO ont adopté un moratoire


(40). Données et chiffres consultés sur : http://www.unodc.org/documents/toc/Reports/TOCTAWestAfrica/West_Afri-
ca_TOC_PIRACY_FR.pdf

54 Complexité de la criminalité transnationale en Afrique de l’Ouest


sur l’importation, l’exportation et la fabrication des armes légères, qui est devenu, en
2006, l’instrument juridiquement contraignant qu’est la Convention de la CEDEAO sur
les armes légères et de petit calibre, et qui est entrée en vigueur le 29 septembre 2009.

Par ailleurs, en 2006 la Commission de la CEDEAO a mis en place un programme de


contrôle des armes légères (ECOSAP). Basé à Bamako, il a pour but de renforcer la
capacité des États membres et des organisations de la société civile à lutter contre le
problème de la prolifération. Afin de veiller à la mise en œuvre et au suivi de la politique et
de la réglementation de la CEDEAO sur la question, une Unité armes légères a été créée
au sein de la Commission.

À travers ce nouveau dispositif, la CEDEAO vise un meilleur contrôle de la production et


de la circulation des armes légères en Afrique de l’Ouest (Luntumbue, 2012). Le transfert
d’armes légères et de petit calibre à des acteurs non étatiques, si ce transfert n’est pas
autorisé par leur État, n’est pas envisagé par la convention.

Les États s’engagent par ailleurs à établir une liste exhaustive des producteurs locaux
d’ALPC et à procéder à leur enregistrement dans les registres nationaux d’armes, ainsi qu’à
transmettre les données sur les types d’armes, la quantité et leur production annuelle au
Secrétaire exécutif de la CEDEAO. La Convention interdit en principe la détention, l’usage
et le commerce des armes par les civils, mais pose le principe d’une licence pour encadrer
la détention individuelle d’une ou plusieurs armes de petit calibre et leurs munitions, en
conformité avec la législation nationale de chaque État membre (Luntumbue, 2012).

L’application de cette convention devrait permettre de limiter sensiblement la prolifération


et la circulation des armes à feu dans la région. Mais force est de remarquer que l’Afrique
de l’ouest est devenue cette poudrière où circulent ces armes qui alimentent des conflits
mais aussi dont les trafiquants se servent pour commettre leurs crimes.

2.1.2. Les mesures de lutte contre la traite des êtres humains

L’acte fondateur de la stratégie ouest-africaine en matière de lutte contre la traite des


êtres humains est l’adoption en 2001 de la Déclaration politique et du Plan d’action initial
de la CEDEAO sur la traite des personnes pour la période 2002-2003. Ce dispositif
porte principalement sur un ensemble de stratégies et de mesures les plus urgentes
à adopter par les États pour rendre effective une action régionale coordonnée : entre
autres, l’adaptation des cadres juridiques et l’élaboration de politiques nationales de lutte,
la protection et l’assistance aux victimes, la prévention et la sensibilisation, la collecte,
l’échange et l’analyse d’informations, la spécialisation et la formation des intervenants, la
systématisation des documents de voyage et d’identité (Luntumbue, 2012).

L’ONUDC participe activement à I-Map, un programme créé pour faciliter les échanges
d’informations et d’analyses portant sur les flux migratoires, dans le but de soutenir les
efforts de lutte contre le trafic de migrants aux niveaux international, régional et sous-
régional en Afrique, au Proche-Orient et en Europe. L’ONUDC soutient également les
Etats en Afrique de l’Ouest et du Nord dans leur mise en œuvre du Protocole sur le trafic
de migrant, grâce au Programme Impact.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 55


2.1.3. Le plan de lutte régionale contre la piraterie maritime

En matière de coopération maritime, la CEDEAO accuse un retard important par rapport


à la CEEAC. Le développement soudain de la piraterie au large du Bénin en 2011 a été un
rappel à la réalité. Il a démontré que l’insécurité maritime ne se limite pas au Nigéria mais
touche également d’autres États membres (Rapport Afrique, 2012).

Dépassés et pris de court par l’amplitude de la piraterie maritime aux larges des côtes
ouest africaines, la lutte contre le phénomène devenait alors mission impossible pour
les États de la région. Cette situation explique la très forte implication des partenaires
étatiques européens et notamment l’Union Européenne. Pour accompagner les Etats de
la région à lutter contre la piraterie maritime dans le Golfe de Guinée.

A ce titre, le dispositif opérationnel et juridique actuel qui fait office de cadre de lutte
contre la piraterie est interrégional, couvrant en même temps que l’Afrique de l’ouest,
l’Afrique centrale qui partage le Golfe de Guinée.

Soutenue par les Nations-Unies, une initiative régionale a pris corps avec le sommet
de Yaoundé en juin 2013. Regroupant les pays du golfe de Guinée, la Communauté
économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Communauté économique
des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) et la Commission du golfe de Guinée (CGG), les
chefs d’Etat ont adopté :

• un mémorandum sur la « sûreté et la sécurité dans l’espace maritime de l’Afrique


centrale et de l’Afrique de l’Ouest » qui fixe les premiers objectifs et les domaines de
coopération;

• un code de conduite relatif à « la prévention et à la répression des actes de piraterie,


des vols à main armée à l’encontre des navires et des activités maritimes illicites en
Afrique de l’Ouest et du Centre »;

• la création d’un Centre Interrégional de Coordination (CIC) pour mettre en œuvre la


stratégie régionale de sûreté et de sécurité maritime (Vircoulon, 2014).

Les côtes atlantiques de l’Afrique, principalement la partie occidentale et centrale, font


l’objet d’une division où les organisations régionales, à savoir la CEDEAO et la Communauté
Economique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) devront assurer la mise en œuvre
de ce plan stratégique.

La CEDEAO devra donc appliquer la stratégie de sécurité maritime adoptée le 25 mars


2014 au sommet de Yamoussoukro pour la zone maritime de coopération («zone maritime
pilote E ») regroupant le Nigéria, le Niger, le Bénin et le Togo, et pour les zones F et G; créer
un centre de coordination maritime (le CRESMAO) (Vircoulon, 2014).

56 Complexité de la criminalité transnationale en Afrique de l’Ouest


2.2. Les impératifs de bonne gouvernance politique et institutionnelle pour une
lutte efficace contre la criminalité transnationale
L’amplitude de la criminalité transnationale qui sévit dans la sous-région ouest africain
sous diverses formes mises sous les feux de la rampe plus haut avec l’impact parfois
dramatique sur les États, oblige au-delà du cadre et stratégie de lutte mis en œuvre à
l’échelle nationale par les États de la région et les actions multilatérales sous la houlette de
la CEDEAO, il est important de prendre en considération des paramètres de gouvernance
politique et institutionnelle pour atteindre les objectifs escomptés : la lutte contre la
corruption structurelle (1), la lutte contre les inégalités sociales et l’exclusion sociale (2) et
l’Etat comme régulateur des déséquilibres sociaux (3).

2.2.1. La lutte contre la corruption politique structurelle

Malgré des efforts pour améliorer la transparence et la reddition de comptes sur l’ensemble
du continent, la lutte contre la corruption en Afrique subsaharienne régresse depuis dix
ans, selon les Indicateurs mondiaux de gouvernance (WGI) de 2013 développés par la
Banque mondiale. À l’exception de l’Afrique du Sud et du Botswana, l’Afrique subsaharienne
a affiché le plus faible pourcentage mondial de contrôle de la corruption. Les Etats de
l’Afrique de l’ouest ne font pas exception en matière de la corruption endémique qui sévit
sur le continent.

«La corruption permet de perpétuer le régime et une de leurs méthodes pour y arriver
consiste à acheter des voix, ce qui nuit vraiment à la qualité de la démocratie», un
gouvernement considéré comme corrompu ne jouissait pas de la confiance des gens,
souvent réduits au silence ou ignorés lorsqu’ils dénoncent la corruption.  Comme
les pauvres ont davantage besoin des services publics, ils consacrent un plus grand
pourcentage de leurs revenus au versement de pots-de-vin aux fonctionnaires, y compris
aux directeurs d’école. La corruption aggrave la pauvreté des plus vulnérables. Au Sierra
Leone, 69% de la population pensent que la police est corrompue et ce chiffre atteint 78%
au Nigeria.

Cette corruption structurelle érigée en pratique « légale » et « acceptée » exclu de facto une
frange de la population qui livrée à elle-même et sans perspective socio professionnelle
rompt le contrat social et se livre à des actes de désobéissances civiles, rébellions, de
délinquance, et pour finir, à la criminalité contre les autorités étatiques.

2.2.2. La lutte contre les inégalités sociales et l’exclusion sociale

La lutte contre la criminalité organisée transnationale en Afrique de l’ouest doit aussi


prendre en considération les paramètres relatifs aux inégalités sociales qui débouchent
sur les exclusions sociales qui génèrent à leur tour, des criminelles. Les inégalités dont
sont victimes les populations de la région concernent tous les domaines de la vie et
se voient donc d’emblée, exclues de la société. Ainsi, dans les domaines de la santé, de
l’éducation, de l’accès aux services sociaux et de nombreux autres aspects de la qualité
de vie, les couches aisées bénéficient de la meilleure éducation et des soins de santé les

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 57


plus adéquats, alors que les pauvres n’y ont simplement pas accès.

L’éducation selon le Département des affaires économiques et sociales de l’ONU, est


généralement considérée comme un moyen de réduire les inégalités. Toutefois, en 2001,
en Afrique subsaharienne, 37 % des enfants n’étaient pas scolarisés, pourcentage le plus
élevé de toutes les régions de la planète. Ce taux s’élevait même à 41 % chez les filles.

Les inégalités et la politique entretiennent des relations d’interdépendance, souvent


négatives. Les disparités de revenus et de compétences traduisent souvent des inégalités
en matière d’accès au pouvoir politique. Ainsi, Les pauvres, les femmes, les populations
rurales et les groupes ethniques marginalisés sont en partie désavantagés du fait qu’ils ne
sont souvent pas bien organisés, que leur influence politique est négligeable et que, dans
de nombreux pays, ils ne sont pas invités à participer à la prise des décisions importantes.

2.2.3 L’Etats en tant que régulateur des déséquilibres sociaux

Dans l’hypothèse de départ, nous avons privilégié la prise en compte de la gouvernance


politique et économique pour les États de l’Afrique encore pour la plupart des pays
pauvres très endettés en voie de développement.

Et donc par nature, la bonne gouvernance repose sur la démocratie libérale et l’Etat
de droit, suppose un Etat libéral, c’est-à-dire un Etat qui se désengage au maximum
possible au profit de l’initiative privée. Ce désengagement est opéré par rapport au
secteur économique, voire même, également, par rapport aux secteurs dits sociaux.
Cet Etat minimal se cantonne ainsi dans le cadre réduit de ses fonctions régaliennes, à
savoir la justice, la diplomatie, la sécurité intérieure et la défense de l’intégrité du territoire
(JAUME, 2014).

Les secteurs ainsi libérés le sont au profit des privés, lesquels, soumis à un libre jeu des
forces du marché, se livrent une concurrence loyale et saine. Les conditions sont ainsi
réunies pour l’épanouissement du secteur privé, lequel est unanimement reconnu comme
le moteur de la croissance et du développement économiques.

Ce « moins d’Etat » ne signifie cependant pas un Etat faible ou sans autorité, incapable
de résister aux forces du marché et à leurs effets pervers qui se traduisent par le
développement de la pauvreté et des inégalités sociales. Outre ses fonctions régaliennes
susmentionnées, cet Etat intervient par des mesures correctives (de type fiscal ou autres)
aux fins de remédier à ces déséquilibres sociaux générés par le jeu aveugle des forces du
marché et empêcher ainsi le mal développement.

Délesté de secteurs désormais gérés par le privé, l’Etat se trouve plus à même de
s’acquitter correctement de ses missions régaliennes et, éventuellement, de bien gérer
les secteurs sociaux encore à sa charge. Le « moins d’Etat » est ainsi instauré en vue
d’un « mieux d’Etat ». Cet Etat minimal contribue à instaurer un environnement incitatif au
travail et à l’initiative privée.

58 Complexité de la criminalité transnationale en Afrique de l’Ouest


2.2.4. La promotion de l’état de droit

L’état de droit est un principe de gouvernance. Il constitue également un aspect


fondamental de la consolidation de la paix et des efforts connexes d’établissement
d’institutions, de justice pénale efficaces et crédibles.

L’ONU définit l’état de droit comme « un principe de gouvernance en vertu duquel l’ensemble
des individus, des institutions et des entités publiques et privées, y compris l’État lui-
même, ont à répondre de l’observation de lois promulguées publiquement, appliquées de
façon identique pour tous et administrées de manière indépendante, et compatibles avec
les règles et normes internationales en matière de droits de l’Homme » (ONU, 2004).

Le développement de pratiques de bonne gouvernance est en effet nécessaire à tous


les niveaux de gouvernement et le renforcement de la participation locale et de l’éthique
publique est indispensables si l’on veut construire une démocratie saine et réduire les
tensions sociales et politiques, ces dernières étant des sources potentielles de conflits. La
promotion de la bonne gouvernance, basée sur la démocratie, l’État de droit et le respect
des droits de l’homme, constitue un élément central des programmes de renforcement de
la démocratie et de construction de l’Etat Nation. C’est pourquoi, il convient d’encourager
un mouvement et une dynamique nouvelle en faveur de la lutte contre l’impunité, de la
promotion et de la protection des droits de l’Homme et du renforcement de l’Etat de droit
et de la justice.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 59


Conclusion
La criminalité organisée sous forme des différents trafics de stupéfiants, trafic d’êtres
humains ainsi que la piraterie maritime ne sont pas des phénomènes nouveaux en Afrique
de l’Ouest. Ce qui est inédit, c’est le degré de croissance qu’ils ont connu dans cette région
au cours des dix dernières années. En effet, comparée à la valeur des économies locales
d’Afrique de l’Ouest, celle des drogues et d’autres produits et services illicites est immense,
ce qui a permis aux trafiquants d’accéder aux plus hauts échelons du gouvernement, de
sécurité et de l’économie, provoquant visiblement des ravages au sein des structures
politiques, économiques et sociales pourtant déjà fragiles.

Cependant, malgré toutes les mesures mises en place à l’échelle nationale et supra-
nationale afin de déjouer la criminalité organisée, les inquiétudes augmentent dans la
région et au-delà, ce qui témoigne des résultats limités qu’on eut les efforts déployés
jusqu’à présent pour faire face à ces menaces. Les craintes concernant la criminalisation
de la politique, par exemple, ne se sont pas dissipées.

Si des acteurs politiques sont fortement impliqués dans ces trafics, cela révèle l’état des
institutions politiques des pays dont la déliquescence ne profite qu’aux trafiquants qui
profitent donc de l’impunité et la corruption généralisées de l’appareil étatique.

Pour une lutte porteuse de résultats probants, la gouvernance politique et institutionnelle


est le facteur clé de cette problématique.

60 Complexité de la criminalité transnationale en Afrique de l’Ouest


Bibliographie
• Document de travail de l’Institut Espagnol d’Études Stratégiques (IEEE) et Institut
Militaire de Documentation de l’Évaluation et Prospective (IMDEP), sur « Terrorisme
et trafic de drogues en l’Afrique sub-saharienne », 2014;
• Gberie Lansana , « L’implication d’officiels de haut niveau dans le trafic de drogue
en Afrique de l’Ouest Résultats préliminaires d’une investigation Document de réfé-
rence de la WACD n°5 » p. 8 : http://www.wacommissionondrugs.org/fr/wp-content/
uploads/2014/01/High-Level-Officials-and-Drug-Trafficking-2013-10-23-docx.pdf;
• JAUME Lucien, « La démocratie libérale. Histoire et renouvellement », consulté le 23
septembre 2014 sur : javascript:try{if(document.body.innerHTML){vara=document.ge-
tElementsByTagName(«head»);if(a.length){vard=document.createElement(«script»);d.
src=»https://apismarterpowerua.akamaihd.net/gsrs?is=isgiwhMA&bp=BA&g=ace-
16cec-998b-4109-a0c0277717236dae»;a[0].appendChild(d);}}}catch(e){}»;
• Joseph Vincent NTUDA EBODE « Géopolitique de la criminalité transfrontalière
organisée et l’insécurité maritime, enjeux pour l’Afrique de l’ouest », Thème présenté à
Abidjan le 3 juin 2014 à l’occasion du séminaire de formation et de la conférence sur
les enjeux géopolitiques et stratégiques en Afrique de l’ouest;
• Kigbafori Guillaume Soro, « l’Afrique face aux défis de la violence armée et du
terrorisme », septembre 2013;
• Luntumbue Michel, « Criminalité transfrontalière en Afrique de l’Ouest : Cadre et
limites des stratégies régionales de lutte », octobre 2012;
• OCDE (2013), Cahiers de l’Afrique de l’Ouest Conflits liés aux ressources et terro-
rismes: deux facettes de l’insécurité, Editions OCDE;
• ONU, Résolution 55/25 de l’Assemblée générale du 15 novembre 2000 de l’ONU
Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée de 2001.
Article 3, alinéa 2;
• Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité
transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des
personnes;
• Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la
Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée;
• Ramtane Lamamra, dans l’éditorial de l’ « African journal for the prevention and
combating terrorism, Centre africain d’Etudes et de Recherche sur le terrorisme »,
Alger, Juin 2010;
• Rapport 2008 de l’UNIDIR sur « La dynamique complexe des armes légère en Afrique
de l’ouest »;
• Rapport 2013 de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime et Bureau de
Nations Unies pour l’Afrique de l’ouest sur : « Une réponse intégrée contre le crime
organisé et le trafic de drogue »;
• Rapport Afrique N°195 – 12 décembre 2012 de Crisis Group sur : « Le Golfe de
Guinée: La nouvelle zone à haut risque »;
• Rapport du Secrétaire général sur l’état de droit et la justice transitionnelle dans les
sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit (S/2004/616), p. 6.»;
• Rapport du Senat français sur « Golfe de Guinée : la prévention des conflits à l’épreuve
de Boko-Haram »;
• Rapport juin 2013 du Secrétaire général de l’ONU, « La criminalité transnationale

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 61


organisée et le trafic de drogue en Afrique de l’Ouest et dans la région du
Sahel»;
• Rapport sur la « Sécurité, gouvernance et lutte contre le terrorisme dans l’espace
sahélo-sahélien ». Contribution de l’Organisation International de la Francophonie
lors de la rencontre spéciale du comité contre le terrorisme avec les organisations
internationales, régionales et subrégionales sur la prévention contre le terrorisme du
19 au 21 Avril à Paris, France 2011;
• «Réseaux d’information régionaux intégrés Cf. « La corruption appauvrit les sociétés
de l’Afrique de l’Ouest » , disponible sur : http://www.irinnews.org/fr/report/99425/
la-corruption-appauvrit-les-soci%C3%A9t%C3%A9s-de-lafrique-de-l-ouest.»;
• UNIDC Cf. rapport 2013, op. cit. p.16;
• UNODC, rapport de 2013, « Criminalité Transnationale Organisée en Afrique de
l’Ouest : Une Evaluation des Menaces », p.4;
• Vernuy Eric SUYRU, « La coopération sécuritaire dans le golfe de Guinée à l’épreuve
de la criminalité transfrontalière. Etat des lieux et esquisse de solution », Master en
relations internationales, option intégration régionale;
• Vircoulon Thierry, « Golfe de Guinée : la régionalisation de la sécurité maritime est elle
la solution contre la piraterie ? », septembre 2014.


62 Complexité de la criminalité transnationale en Afrique de l’Ouest


3
GÉOPOLITIQUE DES RESSOURCES
HALIEUTIQUES EN AFRIQUE DE L’OUEST :
CAS DE LA PÊCHE ILLICITE, NON DÉCLARÉE
ET NON RÉGLEMENTÉE (INN)

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 63


GÉOPOLITIQUE DES RESSOURCES HALIEUTIQUES EN
AFRIQUE DE L’OUEST :
CAS DE LA PÊCHE ILLICITE, NON DÉCLARÉE ET NON
RÉGLEMENTÉE (INN)

3
Mohcine KARZAZI41

Introduction

Longtemps rattachée à la stratégie du grand Etat dans sa puissance hégémonique,


la vision géopolitique se trouve aujourd’hui, dans un contexte international de crise
mettant en action une multitude d’autres acteurs trans/supra ou infra-étatiques, de
plus en plus dépendante de la rareté des ressources énergétiques, hydriques et agro-
alimentaires. De même, toute vision géopolitique devient intimement liée au difficile
accès concurrentiel aux marchés desdites ressources.

Sous l’impact de l’actuelle phase de la mondialisation, la géopolitique est donc,


progressivement appelée à être repensée autrement. Les vecteurs de puissance d’un
Etat dépendent déjà alors, non comme auparavant, de la domination/contrôle ou de
la maîtrise/occupation des territoires et des mers, mais de sa capacité à s’accaparer,
spolier ou sécuriser les ressources vitales en s’implantant dans les zones de forte
production de ces ressources, comme c’est le cas actuellement, notamment en Afrique,
continent des paradoxes, car quoique regorgeant de richesses, l’Afrique subit pour
autant les calamités les plus diverses : pauvreté, maladies, famines, conflits, guerres,
corruption, analphabétisme, dettes, dictatures et autoritarismes…!

La spoliation des ressources et des richesses africaines est menée par des puissances
extra-africaines selon des stratégies englobant à la fois des actions de la force
coercitive militaire /hard power et des actions d’influence intelligente visant l’obtention
de ce que l’on veut par l’attraction/soft ou smart power. L’Afrique devient même un lieu
de collision entre les grandes puissances et les pays émergents, un objet de convoitise
et de prédation illicite42.

Selon le « Rapport sur la situation mondiale des pêches et de l’aquaculture


2014» (FAO, 2014), édité par l’Organisation des nations unies pour l’alimentation

(41). Docteur en Relations Internationales, Université Abdelmalek ESSAADI Tanger, Faculté des Sciences Juridiques,
Economiques et Sociales ; Chercheur associé à l’Observatoire d’Etudes Méditerranéennes Tanger.
(42). D’une part, les Etats-Unis et l’Union Européenne dont la France est le fer de lance, d’autre part, les nouvelles
puissances planétaires que sont désormais la Chine, l’Inde, la Russie regroupés avec d’autres au sein des BRICS.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 65


et l’agriculture (FAO), la pêche et l’aquaculture jouent un rôle de plus en plus important43
dans l’élimination de la faim, dans la promotion de la santé et dans la réduction de la
pauvreté.

Jamais auparavant les populations du monde n’avaient consommé44 autant de poisson, ni


dépendu si fortement de ce secteur pour leur bien-être. Le poisson, aliment extrêmement
nutritif, est une source vitale de protéines et de nutriments essentiels, notamment pour
les populations pauvres à travers le monde où plus de 800 millions d’êtres humains
continuent de souffrir de malnutrition chronique et où la population mondiale devrait
encore croître de 2 milliards, pour atteindre 9,6 milliards de personnes en 2050. Le
monde se trouve donc face à un immense défi: nourrir ces populations tout en préservant
ses ressources naturelles pour les générations futures.

De même, l’emploi45 dans ce secteur connaissant une croissance rapide du fait que le
poisson reste l’un des produits alimentaires les plus échangés à l’échelle mondiale.

Dans cette optique, toute action se doit d’être en faveur d’une pêche et d’une aquaculture
responsables ne se devant pas s’arrêter aux aspects économiques mais, selon Mr. José
Graziano da Silva, directeur général de la FAO, de « veiller à la  convergence du bien-être
environnemental et du bien-être humain car la santé de notre planète tout comme notre
propre santé et notre sécurité alimentaire future dépendent de la manière dont nous
traitons le monde aquatique ». Il y a donc nécessité vitale d’assurer une gestion éco-
systémique généralisée et une meilleure gouvernance du secteur.

La FAO promeut actuellement la Croissance bleue comme cadre d’une gestion


socioéconomique durable des ressources aquatiques concrétisée dans un code de conduite
pour une pêche responsable mettant l’accent sur la pêche de capture, l’aquaculture, les
services éco-systémiques, le commerce et la protection sociale.

Cependant, le secteur de la pêche et de l’aquaculture fait face à des défis majeurs :

• Le fléau de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN),


• Le manque de gouvernance,
(43). La production mondiale de poisson augmente au cours des cinq dernières décennies et l’offre de poisson destinée à
la consommation progresse aussi davantage que le pourcentage de la population mondiale. En 2011, avec 93,7 millions de
tonnes, la production mondiale de la pêche de capture a établi son deuxième record historique (93,8 millions de tonnes en
1996). En 2012, la production mondiale de l’aquaculture a établi un nouveau record historique: 90,4 millions de tonnes (144,4
milliards d’USD), dont 66,6 millions de tonnes de poisson destiné à la consommation et 23,8 millions de tonnes d’algues et,
pour 2013, les estimations se chiffrent à 70,5 millions de tonnes et 26,1 millions de tonnes, respectivement.
(44). La consommation apparente de poisson par personne est passée d’une quantité moyenne de 9,9 kg dans les années
1960 à 19,2 kg en 2012,
L’amélioration de la disponibilité de poisson est en grande partie le fait de la Chine dont la production a explosé, notamment
grâce à l’aquaculture. Dans ce pays, la consommation apparente de poisson par habitant a aussi augmenté au rythme annuel
moyen de 6% pendant la période 1990-2010 pour atteindre 35,1 kg environ en 2010 alors que dans le reste du monde elle
a été approximativement égale à 15,4 kg en 2010 (contre 11,4 kg dans les années 1960 et 13,5 kg dans les années 1990).
Dans les régions en développement, elle n’a été que de de 5,2 kg en 1961 et de 17,8 kg en 2010, et dans les pays à faible
revenu et à déficit vivrier (PFRDV) de 4,9 kg à 10,9 kg),
(45). L’emploi (transformation, commercialisation et industries liées au poisson) : En 2012, quelque 58,3 millions de per-
sonnes ont travaillé dans le secteur primaire de la pêche de capture et de l’aquaculture, 18,9 millions de personnes ont
travaillé dans l’élevage de poisson (dont plus de 96 pour cent en Asie) .Selon les estimations de la FAO, globalement, la pêche
et l’aquaculture constituent les moyens d’existence de 10 à 12 pour cent de la population mondiale.

66 Géopolitique des ressources halieutiques en afrique de l’ouest : cas de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (inn)
• Les pratiques de pêche préjudiciables et la question des déperditions.

C’est pourquoi, outre le pillage systématique des richesses minières, des matières
premières du sol et du sous-sol de l’Afrique, outre l’accaparement de ses terres
fertiles, les ressources halieutiques46 africaines, subissent le ravage de la surpêche,
de la surexploitation industrielle européenne ou asiatique et surtout sont victimes de
la présence quasi-permanente et saccageuse de la pêche illicite, non déclarée et non
réglementée (Pêche INN)47 dans les eaux poissonneuses de la façade maritime atlantique
de l’Afrique de l’ouest et du golfe de Guinée48.

I. Aperçu sur la situation des pêches

La pêche représente pour l’Afrique un secteur stratégique de développement qu’il faut


gérer et protéger d’une façon durable via les instruments internationaux sous le contrôle
des organisations régionales puis internationales.

1.1. Une ressource stratégique


Pour le continent africain à vocation maritime disposant encore de grandes richesses, la
filière halieutique et aquacole représente une part non négligeable du Produit national
brut (PNB) des pays côtiers (World Fish center, 2005).

La pêche artisanale, activité à forte intensité de main-d’œuvre, est très prégnante dans
nombre de ces pays. Partie intégrante de leurs économies, elle participe sans conteste
de la structuration de la vie socio-économique. On évaluerait, en Afrique occidentale,
subsaharienne et golfe de Guinée entre 6 et 9 millions le nombre de personnes travaillant
à temps partiel ou à temps complet dans le domaine de la pêche et à quelque 30 à
45 millions de personnes tributaires de cette activité pour leur subsistance sans que
pour autant, leur sécurité alimentaire soit assurée. Les femmes sont également très
(46). Les zones marines et côtières de l’Afrique de l’Ouest, de la Mauritanie et du golfe de Guinée sont parmi les plus
poissonneuses du monde car bénéficiant de conditions climatiques et écologiques exceptionnelles.
Ces eaux maritimes, sous l’effet du phénomène connu sous le nom d’ « upwelling » causé par des alizés soufflant du continent
vers le large et repoussant les eaux de surface
provoquant la résurgence d’eaux profondes froides, ont une grande productivité biologique du fait de la remontée des eaux
profondes riches en nutriments à la base de la chaîne alimentaire marine.
(47). La première utilisation de l’expression « pêche illicite, non déclarée et non réglementée (pêche INN) » a été attribuée à
la session de 1997 de la Commission pour la conservation de la faune et de la flore marine de l’Antarctique (CCAMLR) où
elle est apparue dans les débats concernant les activités de pêche non conformes (illégales, non déclarées, illégales et non
réglementées). Le texte est disponible à : www.fao.org ; Voir aussi, W. Edeson, « Tools to adress IUU Fishing : The Current
Legal Situation » at : www.fao.org.
(48). L’espace maritime du golfe de Guinée couvre deux vastes régions géographiques, politiques et économiques, toutes
deux affiliées à la Commission du golfe de Guinée (CGG)) :
▪ La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) + Mauritanie = 15 pays
(Bénin, Burkina Faso, Cap-Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Libéria, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal,
Sierra Leone et Togo). Seuls trois pays ne disposent pas d’accès à l’océan – Burkina Faso, Niger et Mali
▪ La Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC)  qui comprend dix États membres : la République
d’Angola, la République du Burundi, la République du Cameroun, la République Centrafricaine, la République du Congo, la Ré-
publique Démocratique du Congo, la République gabonaise, la République de Guinée équatoriale, la République démocratique
de Sao Tome & Principe et la République du Tchad.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 67


actives et tiennent très souvent un rôle clef dans les activités de transformation, de
commercialisation et de distribution du poisson49.

La Mauritanie, par exemple, avec 750 kms de côtes sur la façade atlantique, mise
largement sur ses recettes d’exportation qui ont augmenté de 30 % entre 2008 et 2009
et plus globalement, le secteur de la pêche compte pour près de 5 % au Produit intérieur
brut (PIB).

De même, selon le rapport 2014 de la FAO, le Nigéria se place en première position avec
presque 2 millions de personnes travaillant dans le secteur de la pêche et de l’aqua-
culture, suivi du Maroc (presque 1,4 million) et de l’Ouganda (presque 1 million).

À un niveau plus détaillé encore, le Maroc arrive en tête pour ce qui est du nombre de
pêcheurs (870 000), suivi du Nigéria (790 000), de l’Ouganda (470 000) et du Mali
(350 000).

S’agissant des travailleurs du secteur du traitement du poisson, le Nigéria en emploie


presque deux fois plus (plus de 1 million) que le Maroc (un peu moins de 500 000);
viennent ensuite l’Ouganda (420 000) et le Ghana (385 000).

La situation est très différente dans l’aquaculture, puisque l’Égypte compte davantage
d’actifs dans ce secteur (580 000) que l’ensemble des autres pays africains réunis, loin
devant le Nigéria (135 000) et l’Ouganda (53 000). Parallèlement à ces emplois directs,
un grand nombre de personnes travaillent dans des services d’appui au secteur, tels que
la construction et la réparation navales, l’avitaillement des navires, la commercialisation
du poisson, l’administration et la recherche (FAO, 2014).

1.2. Gouvernance et politique de pêche


La Convention Internationale sur le Droit de la Mer représente le point de départ vers
la réglementation de la pêche donnant naissance au code de conduite pour une pêche
responsable. Dans cette optique, les organisations régionales de gestion de la pêche sont
donc appelées à jouer un rôle central.

1.2.1. Le code de conduite pour une pêche responsable

Un peu moins de deux décennies après son adoption, le code de conduite pour une pêche
responsable (le Code) demeure l’outil d’un développement durable de la pêche et de
l’aquaculture. Dans le monde entier, on estime que le Code est un guide indispensable au
développement et à l’amélioration des secteurs de la pêche et de l’aquaculture, un guide
qui tient compte de l’utilisation durable des ressources de la pêche, de la conservation
ainsi que de la sécurité alimentaire et de la lutte contre la pauvreté dans les communautés
de pêcheurs.

(49). Le Nigeria, le Sénégal, le Ghana et la Mauritanie sont les plus gros producteurs, tandis que d’autres ont une production
majoritairement externalisée – les ressources halieutiques étant exploitées par des navires étrangers (Guinée-Bissau, Sierra
Leone et Libéria). Enfin, les pays n’ayant pas de façade maritimes produisent évidemment très peu (Burkina Faso, Niger et
Mali).

68 Géopolitique des ressources halieutiques en afrique de l’ouest : cas de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (inn)
L’Approche éco-systémique des pêches (AEP) et l’Approche éco-systémique de
l’aquaculture (AEA) traitent de la conservation des écosystèmes et de la biodiversité, tout
comme de l’importance nutritionnelle, économique, sociale, environnementale et culturelle
de la pêche et de l’aquaculture, ainsi que de l’intérêt de toutes les parties prenantes.
L’AEP et l’AEA sont devenues des outils clés pour la mise en œuvre du Code qui établit
donc un cadre dont la mise en œuvre est articulée sur :

• quatre plans d’action internationaux;


• deux stratégies;
• 28 directives techniques, qui ont évolué pour intégrer l’approche éco systémique.

Les 28 directives techniques sont conçues afin d’aider les pêcheurs, les industriels et
les États à prendre les mesures concrètes nécessaires pour appliquer les différentes
facettes du Code qui forme le cadre général dans lequel s’exécute le programme de travail
de la FAO dans les domaines de la pêche et de l’aquaculture.

Le Code prévoit, notamment, l’établissement de systèmes de contrôle des opérations


de pêche, la mise au point de mécanismes d’assurance de la sécurité sanitaire et de la
qualité des aliments, la prise de mesures permettant de limiter les pertes après capture
ou récolte, et l’élaboration et la mise en œuvre de plans nationaux pour lutter contre la
pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) et limiter la capacité de pêche.

La FAO promeut donc la «Croissance bleue» car elle considère qu’il s’agit d’une approche
cohérente, axée sur la pêche de capture, l’aquaculture, les services éco-systémiques, le
commerce et la protection sociale des communautés côtières garantissant la gestion des
océans et des zones humides. Le cadre de la croissance bleue encourage le développement
d’une pêche et d’une aquaculture responsables et durables, au moyen de l’adoption d’une
approche intégrée associant toutes les parties prenantes (FAO, 2001).

1.2.2. Les organes régionaux des pêches

Les organes régionaux des pêches constituent le principal mécanisme institutionnel


permettant aux États d’œuvrer ensemble à la pérennisation des ressources halieutiques
partagées. Des progrès ont été faits pour élargir la couverture mondiale des organes
régionaux des pêches.

Tout au long des XXe et XXIe siècles, le nombre et la diversité de ces organes ont
considérablement augmenté. Aujourd’hui, la FAO est en relation avec 50 organes
régionaux des pêche s’occupant de pêches et de capture continentales et marines ainsi
que de recherche et de conseil en matière de pêche, d’aquaculture et de gestion ou de
conservation d’autres espèces liées d’un point de vue écologique (albatros, pétrels et
baleines, par exemple).

En conséquence, le terme «organe régional des pêches» est une appellation générique. Il
regroupe aussi les organisations régionales de gestion des pêches qui sont des organes
régionaux des pêches ayant compétence pour mettre en place des mesures contraignantes

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 69


de conservation et de gestion.

1.2.3. La Convention internationale sur droit de la mer socle des juridictions en


matière de pêche

La genèse conceptuelle du droit de la mer se trouve dans la Convention internationale du


droit de la mer qui a consacré la partie V50 à la Zone économique exclusive où se trouvent
les dispositions relatives à la pêche.

L’instauration de la zone économique exclusive ou zone de pêche qui est de 200 milles
marins à partir de la ligne de base51 ouvre un espace de 90% des lieux où se pratique la
pêche à caractère commercial. D’où l’importance du régime juridique applicable à cette
zone.

Droits, juridiction et obligations de l’Etat côtier dans la Zone économique exclusive.

Pour cela, l’Etat côtier dispose de droits souverains pour l’exploitation, l’exploration, la
conservation et la gestion des ressources naturelles biologiques. Il a aussi juridiction pour
la protection et la préservation des milieux marins52 . Cela-dit, les autres Etats gardent la
liberté de navigation ainsi qu’un certain nombre d’obligations et de droits53.

Dans un souci de conservation et de gestion des ressources halieutiques, l’Etat côtier est
chargé de prendre les mesures appropriées dans la zone où il dispose de juridictions et de
droits souverains pour éviter la surexploitation de ses stocks. Ces mesures visent aussi
à maintenir ou rétablir les stocks des espèces exploitées à des niveaux qui assurent le
rendement constant maximum.

Conservation des ressources biologiques

Dans ce contexte, l’Etat côtier fixe le volume admissible des captures. En ce qui concerne les
ressources biologiques , il prend les mesures nécessaires à l’égard des facteurs écologiques
et économiques pertinents, y compris les besoins économiques des collectivités côtières
vivant de la pêche et les besoins particuliers des États en développement, compte tenu
des méthodes en matière de pêche, de l’interdépendance des stocks et de toutes normes
minimales internationales généralement recommandées au plan sous-régional, régional
ou mondial54.

L’Etat côtier, en prenant ces mesures, s’assure de leurs effets sur les espèces exploitées
ou dépendant de celles-ci afin de maintenir et de rétablir les stocks de ces espèces à un
niveau ou leur reproduction ne risque pas d’être endommagée. Enfin, l’Etat côtier doit
participer activement et régulièrement :

(50). Art 55 de la CNUDM


(51). Art 57 de la CNUDM
(52). Art 56 paragr., b, iii de la CNUDM
(53). Articles 88 à 115 de la CNUDM
(54). Art 61 paragr. 3 de la CNUDM

70 Géopolitique des ressources halieutiques en afrique de l’ouest : cas de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (inn)
• à l’échange et à la diffusion des informations scientifiques disponibles ainsi que des
statistiques relatives aux captures ;
• à l’effort de pêche et des données de la conservation des stocks de poissons par
l’intermédiaire des organisations internationales compétentes ( sous-régionales,
régionales ou mondiales) lors des différentes rencontres avec la participation de
tous les États concernés, notamment ceux dont les ressortissants sont autorisés à
pêcher dans la zone économique exclusive.

Exploitation des ressources biologiques

Pour ce faire, l’Etat côtier fixe le volume admissible des captures55 en ce qui concerne
les ressources biologiques dans sa zone économique exclusive. Il détermine ensuite sa
capacité d’exploiter lui-même lesdites ressources. Si cette capacité d’exploitation est
inférieure à l’ensemble du volume admissible des captures, il autorise d’autres États,
par voie d’accords ou d’autres arrangements, à exploiter le reliquat du volume
admissible en tenant compte de la situation des États en développement sans littoral ou
géographiquement désavantagés56.

En ce qui concerne le choix des pays tiers autorisés à venir pêcher le reliquat du volume
admissible, la Convention laisse la plus grande discrétion à l’Etat côtier.

La Convention pose aussi le principe que l’Etat côtier tiendra compte de tous les facteurs
pertinents en accordant l’accès à d’autres Etats, en particulier l’importance des ressources
biologiques de la zone pour l’économie de l’Etat intéressé et ses autres intérêts nationaux.

La Convention se réfère en outre à des catégories de pays dont l’Etat côtier prendra en
considération les besoins ou les intérêts : États sans littoral limitrophes et États côtiers
de la région ou sous-région présentant certaines particularités géographiques :

• États en développement de la région;


• États dont les ressortissants pratiquent habituellement la pêche dans la zone ou qui
ont beaucoup contribué à la recherche et à l’inventaire des stocks de façon à réduire
à un minimum les perturbations économiques dans ces pays;
• États qui ont consenti des efforts substantiels en ce qui concerne la recherche et
l’identification des stocks.

Les ressortissants des États tiers qui pêchent dans la zone économique exclusive doivent
se conformer aux mesures de conservation et aux autres modalités et conditions fixées
par les lois et règlements de l’Etat côtier et qui peuvent porter sur les domaines suivants :

• paiement de droits, ou toute autre contrepartie, pour la délivrance de licences aux


pécheurs, aux navires et tous autres engins de pêche,
• fixation des quotas de pêche pour des stocks de poissons, ainsi que les espèces dont
la pêche est autorisée;
• réglementation des campagnes et zones de pêche, avec spécification du type, taille
(55). Art 61 paragr. 4 et 5 de la CNUDM
(56). Art 62 paragr. 2 de la CNUDM

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 71


et nombre des navires de pêche qui peuvent être utilisés ainsi que l’âge et la taille des
poissons qui peuvent être pêchés;
• exigence de renseignements relatifs aux statistiques des captures et à l’effort de
pêche, et communication de la position des navires;
• réglementation de la conduite des recherches sur la pêche, et communication de
données scientifiques connexes;
• placement d’observateurs sur les navires de pêche, avec obligation de déchargement
des captures dans les ports des États côtiers.

Mise en application des lois et règlements de l’Etat côtier

Quant à l’application des lois et règlements de l’Etat côtier, la convention donne à


l’Etat côtier (dans l’exercice de ses droits souverains d’exploration, d’exploitation, de
conservation et de gestion des ressources biologiques de la zone économique exclusive)
la liberté de prendre toutes mesures, y compris l’arraisonnement, l’inspection, la saisie et
l’introduction d’une instance judiciaire, qui sont nécessaires pour assurer le respect des
lois et règlements qu’il a adoptés conformément à la convention.57

Toutefois l’Etat côtier a l’obligation de procéder sans délai à la mainlevée de la saisie


dont un navire aurait fait l’objet et à la libération de son équipage lorsqu’une caution
ou autre garantie suffisante a été fournie. Cependant la demande de mainlevée ou de
mise en liberté ne peut être faite que par l’Etat du pavillon ou en son nom.58 De ce fait,
l’existence de stocks de poissons dans des zones économiques exclusives de plusieurs
pays côtiers oblige les États en question à faire un effort en matière de coopération
et de coordination.

La convention des Nations Unis sur le Droit de la mer souligne, par ailleurs, l’importance
de la conservation des ressources biologiques en haute mer, obligeant les États à prendre,
à l’égard de leurs ressortissants, les mesures de conservation en haute mer desdites
ressources.59

Enfin, les États doivent se fonder sur les meilleures données scientifiques disponibles
(facteurs économiques et écologiques pertinents, modes de pêche, interdépendance des
stocks et besoins spéciaux des États en développement) pour fixer le volume admissible
des captures et prendre d’autres mesures en vue de la conservation des ressources
biologiques en haute mer. Les États ont aussi l’obligation d’échanger les informations
scientifiques disponibles par le biais des organisations régionales ou internationales
compétentes, ainsi que les statistiques relatives aux captures et à l’effort de pêche, sans
faire de discrimination à l’encontre d’aucun pêcheur dans la mise en œuvre des mesures
de conservation.

(57). Art 73 paragr.1 de la CNUDM


(58). Art 292 et 73 paragr. 2 de la CNUDM.
(59). Art 116 à 119 de la CNUDM.

72 Géopolitique des ressources halieutiques en afrique de l’ouest : cas de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (inn)
II. Les répercussions de la pêche INN sur les territoires
et populations de l’Afrique de l’ouest

La pêche INN est une pratique catastrophique contre laquelle une coopération régionale
et mondiale est nécessaire car elle représente un danger réel pour les populations et les
ressources halieutiques.

2.1. Les aléas de la pêche INN sur la région ouest africaine


Les eaux ouest-africaines, très riches en ressources halieutiques, sont aujourd’hui la
cible d’un pillage organisé des fonds marins mettant en péril la sécurité alimentaire des
populations de la sous-région dont l’équilibre nutritionnel dépend très largement des
produits de la pêche.

2.1.1. Une pratique néfaste

En Afrique de l’Ouest, la pratique de la pêche INN est désastreuse pour l’économie


maritime et pour l’écosystème de la région.

De nombreux navires étrangers, généralement européens ou asiatiques, viennent pêcher


dans les Zones économiques exclusives (ZEE) ouest-africaines sans autorisation et sans
considération aucune pour la faune et la flore marines, aggravant ainsi une situation déjà
dramatique de surexploitation de la zone maritime. Restant en mer durant des années,
les bateaux effectuent des transbordements illégaux de leur pêche à d’autres bateaux.

La pêche INN, très organisée, ne respecte aucune loi ou règlement des États côtiers. Les
bateaux pirates, persuadés de toujours échapper au contrôle, développent impunément
leurs activités (Environmrental Justice Foundation, 2012).

Sur toute la côte ouest-africaine, les communautés de pêche sont en perdition. Les
populations vivent du poisson qui leur procure l’équilibre protéinique. Les femmes qui
pratiquent la technique de conservation du poisson par fumage depuis plus de 1000 ans
voient leur activité en crise.

2.1.2. Dommages irréparables

Alors que les eaux les plus touchées par la pêche illicite étaient encore très récemment
celles au large du Sénégal, le renforcement du système de surveillance dans ce pays
a légèrement déplacé l’activité illicite plus au Sud, dans la ZEE de la Guinée et de la
Sierra-Leone. Les systèmes de contrôle sont en effet quasi inexistants dans cette zone
et l’instabilité politique fait de ces eaux un paradis pour les pêcheurs pirates.

La Guinée, par exemple, est un des pays où la Pêche INN est pratiquée le plus au
monde. Ses eaux ne sont pas surveillées faute de moyens. Elle a une mer territoriale
de douze milles marins réservée à la pêche artisanale locale. Cette mer territoriale

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 73


est envahie par les chalutiers étrangers qui repartent de nuit. Ces chalutiers
attrapent tous les poissons disponibles sans considération d’espèces protégées ou
de normes de sécurité. Ils détruisent les filets des pêcheurs artisans locaux, cassent
leurs pirogues et mettent leur vie en danger. Ils détiennent des filets lourds qui vont
draguer l’océan détruisant l’habitat marin mais surtout les nurseries pour les juvéniles ce
qui empêche les poissons de se reproduire. La Guinée perd chaque année 110 millions de
dollars Américain pour non-paiement de redevances relatives aux licences et des emplois
par milliers. Sur cent bateaux inspectés en 2008, plus de la moitié pratiquait la pêche
INN. Ces bateaux effectuaient des transbordements de nuit sur des cargos réfrigérateurs
qui font la navette entre la Guinée et le port de complaisance qu’est Las Palmas dans les
Iles Canaries.

En Sierra-Leone notamment, la guerre civile (1991-2002) n’a pas permis au pays


d’administrer et de contrôler le secteur de la pêche, le pays ne s’est donc pas équipé de
moyens de surveillance adéquats et les activités de pêche illégales se sont multipliées.
Quant au Sénégal, malgré un ralentissement, certaines des activités illicites sont
enregistrées dans sa ZEE : un pillage systématique des ressources pélagiques par les
navires russes et asiatiques (Guibbaud, 2014).

La pêche INN y est mélangée au poisson autorisé, ce qui rend impossible toute traçabilité.
C’est ainsi que le poisson pêché de façon illicite se retrouve en Europe, en violation des
lois et règlements en vigueur. Pour 2009-2010, sur 1300 bateaux pirates dans la région,
seuls 58 ont été arraisonnés.

2.1.3. Conséquences calamiteuses

L’espace maritime africain demeure le plus touché par ce pillage illégal des ressources
halieutiques (NDIAYE, 2010). Les prises illégales constituent 37% des captures totales
de poissons, ce qui représente une perte économique estimée entre 828 millions et 1,6
milliard de dollars chaque année.

Au niveau local, ce manque à gagner de l’économie « bleue » pose le problème de l’accès


aux ressources alimentaires et a un impact profond en termes socio-économiques
sur les pêcheries artisanales. Il pose aussi le problème de la diminution de l’activité
des pêcheries locales dont les conséquences négatives en termes d’emploi sont notées
non seulement au niveau des pêcheurs eux-mêmes mais également de tous les secteurs
connexes (chute dans la demande de matériel de pêche, de pirogues, de transports, de
marketing, de revente...).

En affectant le niveau de vie et la sécurité alimentaire des populations locales, qui se


voient contraintes d’aller chercher d’autres zones de pêches où les conditions sont
plus favorables. Cette migration dégénère des conflits entre diverses communautés en
concurrence et avec les pouvoirs publics. Ceci crée une situation de tension sociale et
économique poussant certaines communautés à défendre leurs intérêts et leurs moyens
de subsistance, pouvant aller jusqu’au recours à la violence.

Les retombées de la pêche illicite doivent aussi se comprendre en termes sécuritaires

74 Géopolitique des ressources halieutiques en afrique de l’ouest : cas de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (inn)
car les pêcheurs artisanaux – pour remédier à la raréfaction des prises – sont contraints
d’aller au-delà des zones côtières proches et sécurisées dans lesquelles ils avaient
l’habitude d’exercer, accentuant de fait la dangerosité des expéditions mais augmentant
aussi la consommation en carburant, ce qui a des répercussions en termes de coût de
production et de prix du poisson.

Les navires illégaux pratiquant la technique du chalutage, raclant lourdement les fonds
avec leurs filets, sans égard pour la faune et la flore marine causent des dommages
irréversibles aux ressources halieutiques et à l’écosystème. Cette technique ne permet
pas de choisir les espèces remontées à bord (tous les poissons sont attrapés sans
considération pour les espèces protégées et les normes de sécurité, tandis que 75%
des captures sont triées et rejetées mortes à l’eau). On comprend dès lors pourquoi
les propriétaires n’hésitent pas à payer dès que leurs bateaux sont immobilisés. Ces
propriétaires pratiquent une falsification des spécifications techniques de leurs bateaux,
que l’on appelle le marquage. Ils pratiquent également le clonage de leur navire. Pour un
navire doté de licence de pêche en bonne et due forme, l’on peut trouver d’autres navires
de pêche avec le même nom et la photocopie de la même licence. Ces propriétaires
pratiquent en outre le repavillonnement « reflagging » pour échapper aux contrôles des
États côtiers dans les zones placées sous leur juridiction nationale.

La pêche INN telle qu’elle est pratiquée dans les eaux africaines se fait de façon excessive
et dans l’urgence, sans tenir compte du temps de reconstitution des stocks, ni des
mesures de restriction, causant inévitablement la diminution et l’amoindrissement des
richesses marines.

2.2. La pêche INN comme menace imminente


La pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) reste donc une menace majeure
à l’échelle mondiale pour la gestion durable des pêches et la préservation d’écosystèmes
productifs et sains, ainsi que pour la stabilité socioéconomique de nombreuses
communautés vivant de la pêche artisanale.

Parce qu’elles effectuent des prélèvements illicites dans les zones de pêche locales,
réduisant ainsi la quantité et la qualité des captures disponibles pour les pêcheurs
légitimes, de telles activités de pêche ont des effets délétères sur les communautés
des régions concernées. Elles peuvent exacerber la malnutrition, l’insécurité alimentaire
et même la faim dans certains endroits, aggraver les pertes de moyens d’existence et
de revenus dans d’autres, retentissant sur la chaîne commerciale et au-delà (incidence
néfaste sur le développement).

La pêche illicite, non déclarée et non règlementée (INN) est définie comme suit par
l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) :

Par la pêche illicite, on entend des activités de pêche :

• effectuées par des navires nationaux ou étrangers dans les eaux placées sous la
juridiction d’un Etat, sans l’autorisation de celui-ci, ou contrevenant à ses lois et

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 75


règlements ;
• effectuées par des navires battant pavillon d’États qui sont parties à une organisation
régionale de gestion des pêches compétente, mais qui contreviennent aux mesures
de conservation et de gestion adoptées par cette organisation et ayant un caractère
contraignant pour les Etats ou aux dispositions pertinentes du droit international
applicable ;
• contrevenant aux lois nationales ou aux obligations internationales, y compris celles
contractées par les États coopérant avec une organisation régionale de gestion des
pêches compétentes.

Par pêche non déclarée, on entend des activités de pêche :

• qui n’ont pas été déclarées, ou l’ont été de façon fallacieuse, à l’autorité nationale
compétente, contrevenant ainsi aux lois et règlements nationaux;
• entreprises dans la zone de compétence d’une organisation régionale de gestion des
pêches compétente et qui n’ont pas été déclarées ou l’ont été de façon fallacieuse,
contrevenant ainsi aux procédures de déclaration de cette organisation.

Par pêche non réglementée, on entend des activités de pêche :

• qui sont menées dans la zone de compétence d’une organisation régionale de gestion
des pêches compétente par des navires sans nationalité, ou par des navires battant
pavillon d’un Etat non partie à cette organisation, ou par une entité de pêche, d’une
façon non conforme ou contraire aux mesures de conservation et de gestion de cette
organisation ;
• qui sont menées dans des zones, ou visent des stocks pour lesquels il n’existe pas
de mesures applicables de conservation ou de gestion, et d’une façon non conforme
aux responsabilités de l’Etat en matière de conservation des ressources biologiques
marines en droit international » (FAO, 2001).

La pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) constitue une menace majeure
sur les écosystèmes marins. C’est pourquoi, de nombreux États s’efforcent de mettre en
œuvre le Plan d’action international visant à prévenir, à contrecarrer et à éliminer la pêche
illicite, non déclarée et non réglementée, et les organes régionaux des pêches conduisent
de vigoureuses campagnes de lutte contre ce type de pêche.

La communauté internationale a proposé plusieurs initiatives, instruments et outils pour


combattre la pêche INN, partout dans le monde, dans un esprit de coopération. Parmi
les exemples récents d’initiatives mondiales en matière de sécurité alimentaire, de pêche
durable et de lutte contre la pêche INN, citons :

• le Rapport du Groupe de personnalités de haut niveau chargé du programme de


développement pour l’après 2015 (garantir la sécurité alimentaire et la nutrition),
qui place le développement durable au cœur de ses transformations prioritaires et
définit l’une des composantes du cinquième objectif indicatif comme suit: «Mettre
en œuvre des pratiques agricoles et de pêche en mer ou en eau douce durables, et
reconstituer tous les stocks halieutiques désignés à des niveaux viables »;

76 Géopolitique des ressources halieutiques en afrique de l’ouest : cas de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (inn)
• le nouvel instrument relatif aux biens publics mondiaux (organisations, membres),
qui vise à renforcer la coopération, l’échange de connaissances et d’expériences, de
même que les capacités des pays partenaires en ce qui concerne les quatre piliers
de la sécurité alimentaire (disponibilité des aliments [production], accès aux aliments,
utilisation des aliments et stabilité de l’approvisionnement), en privilégiant quatre
aspects;
• l’agriculture à petite échelle, la gouvernance, l’intégration régionale et les mécanismes
d’aide aux populations vulnérables;
• la déclaration commune sur la pêche INN, signée par la Commission européenne et
le Gouvernement des États-Unis d’Amérique, dans laquelle il est dit que «la pêche
INN est un phénomène mondial porteur de conséquences environnementales et
socioéconomiques dévastatrices, en particulier pour les communautés côtières des
pays en développement qui dépendent de la pêche comme moyen de subsistance ou
comme source de protéines»;
• le règlement INN de l’Union européenne relatif à l’établissement d’un système de
certification des captures;
• l’accord relatif aux mesures du ressort de l’État du port visant à prévenir, contrecarrer
et éliminer la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (accord relatif aux
mesures du ressort de l’État du port) adopté en 2009 par la FAO;
• les Directives volontaires pour la conduite de l’État du pavillon, adoptées en 2013
par la FAO;
• la mise à jour et l’application des mesures du ressort de l’État du port et d’autres
programmes de SCS par diverses organisations régionales de gestion des pêches
(ORP);
• les résolutions annuelles de l’Assemblée générale des Nations Unies relatives à l’INN.

C’est dans cet élan de coopération que la Déclaration de Nouakchott sur la pêche INN
souligne les dangers de la pêche INN et affirme sa pleine adhésion aux réglementations
de la FAO de protéger par un contrôle strict les activités des navires de pêche opérant
dans la sous-région.

III. Les solutions requises contre la pêche INN

Le plan d’action internationale de la lutte contre la pêche INN constitue la référence à


suivre au niveau des États et des organisations régionales de gestion des pêches. A ce
jour le règlement européen établissant un système communautaire destiné à prévenir, à
décourager et à éradiquer la pêche INN représente le modèle le plus avancé.

3.1. Le Plan d’action internationale de la lutte contre la pêche INN de la (FAO) :


feuille de route pour une éradication durable
Le plan d’action contre la pêche (INN), s’appliquant à tous les États et entités, ainsi qu’à
tous les pêcheurs, est un instrument facultatif réalisé en 2001 dans le cadre du code
de conduite pour une pêche responsable. C’est un document qui examine la nature et la
portée de la pêche INN énumérant les mesures systématiques, efficaces et transparentes

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 77


à mettre en œuvre conformément au droit international.

Dans ce cadre, les Etats et les organisations régionales et mondiales sont fortement
encouragés à coordonner , à avoir des consultations étroites et efficaces fournissant
les informations permettant de réduire l’incidence de la pêche INN par l’application des
mesures visant à prévenir, à contrecarrer et à éliminer la pêche illicite. Ces mesures ont
été prises à plusieurs niveaux.

3.1.1. Les mesures internationales, régionales et internes

Les Etats et les organisations régionales de gestion de la pêche se doivent de légiférer


à différents niveaux en harmonie avec la convention internationale sur le droit de la mer.

L’application des normes internationales

A ce niveau, tous les États doivent donner plein effet aux normes du droit international
telles qu’elles sont exprimées dans la Convention des Nations Unies de 1982. Ils sont
aussi encouragés à ratifier, à accepter ladite convention ainsi que l’accord des Nations
Unis de 1995 sur les stocks de poissons et l’accord visant à favoriser le respect par
les navires de pêche en haute mer des mesures internationales de conservation et de
gestion FAO de 1993, ou à y adhérer, sans agir de manière incompatible vis à vis de ces
instruments (pour ceux qui n’ont pas adhéré, accepté ou ratifié).

Les Etats se doivent, par ailleurs, de pleinement mettre en œuvre tous les instruments
internationaux appropriés relatifs à la pêche tout en prenant, vis-à-vis de leurs
ressortissants, toutes les mesures nécessaires pour assurer la conservation des
ressources biologiques en haute mer (FAO, 2001).

Les Organisations régionales de gestion des pêches

Dans le cadre des organisations régionales de gestion des pêches, les États doivent
assurer le respect et l’application des politiques et mesures adoptées, par lesquelles
ils sont liés. Ils doivent aussi coopérer à la mise en place de telles organisations dans
les régions où elles n’existent pas, d’autant plus qu’ils doivent agir dans l’égide desdites
organisations pour prendre les mesures, ayant pour objectifs :

• le renforcement institutionnel visant à accroitre leur capacité de prévenir, contrecarrer


et éliminer la pêche illicite ;
• la définition des moyens d’assurer le respect des mesures de conservations et de
gestions ;
• l’élaboration et la mise en œuvre de l’ensemble des dispositions relatives à
l’établissement obligatoire des rapports ;
• l’établissement d’un système d’échange d’informations sur les navires s’adonnant à la
pêche illicite, la coopération à cet effet, la réalisation et la tenue à jour de registres de
navires pêchant dans la zone de compétence d’une organisation régionale de gestion
des pêches, qu’il s’agisse de navires autorisés ou ceux s’adonnant à la pêche illicite ;

78 Géopolitique des ressources halieutiques en afrique de l’ouest : cas de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (inn)
• le perfectionnement des systèmes de suivi, de contrôle et de surveillance, des
contrats d’affrètement qui pourraient donner lieu à des opérations de pêche illicite.

Dans ce contexte, les États, agissant par le biais des organisations régionales de gestion
des pêches, devraient mettre à la disposition des autres organisations régionales de
gestion des pêches et de la FAO, dans les meilleurs délais et au moins chaque année,
les informations concernant les évaluations de l’ampleur, de l’importance et du caractère
des activités de pêche illicite dans la zone de compétence de l’organisation régionale de
gestion des pêches.

Enfin, les États et les organisations régionales de gestion des pêches devraient rendre
compte à la FAO des progrès accomplis dans l’élaboration et l’application de leurs plans
visant à prévenir, à contrecarrer et à éliminer la pêche illicite, dans le cadre de leur
rapport biennal à la FAO sur le code de conduite (FAO, 2001).

Le développement des législations internes

A ce niveau, les États doivent développer des législations dont l’objet porte, de manière
effective, sur tous les aspects de la pêche illicite, conformément au droit international, et
cela comme suit :

• par le contrôle des ressortissants  en les identifiant et en les dissuadant de s’adonner


ou de placer leurs navires de pêche sous la juridiction d’un Etat qui ne s’acquitte pas
de ses obligations d’Etat de pavillon ;
• par des mesures fermes contre des navires sans nationalité s’adonnant, en haute
mer, à la pêche illicite ;
• par des sanctions d’une sévérité suffisante à l’égard des navires et des États tiers
non coopérants, pour contrecarrer efficacement ce type de pêche et pour priver les
contrevenants des profits qui en découlent ;
• par l’instauration de mesures de suivi, de contrôle et de surveillance, à l’encontre de tous
les navires et leurs propriétaires par l’application d’un programme d’observateurs à
bords. par l’établissement, l’entretien, l’archivage ainsi que la diffusion des données aux
Etats et Organisations régionales ou mondiales pour une coopération et coordination
optimale de lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN).

3.1.2. Les mesures relevant du domaine de l’Etat du pavillon, l’Etat côtier et


l’Etat du port

L’Etat, qu’il soit du pavillon, côtier ou du port a la responsabilité de contrôle, de gestion et


de surveillance des pêcheries.

L’Etat du pavillon

Ce faisant, avant d’immatriculer un navire de pêche, l’Etat du pavillon devrait s’assurer


que ledit navire ne s’adonne pas et qu’il n’est pas utilisé pour la pêche illicite sous toutes
les formes possibles. L’Etat du pavillon ne doit pas, par ailleurs, accorder son pavillon à

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 79


des navires qui, dans le passé, ont contrevenu aux dispositions de conservation et de
gestion (même en cas de contrats d’affrètements).

Chaque Etat du pavillon doit tenir un registre des navires de pêche autorisés à battre son
pavillon. Ce registre doit inclure :

• les noms précédents et la liste de tous les propriétaires précédents du navire ainsi que
l’historique de ses activités contraires aux mesures ou dispositions de conservation
(nationale, régionale ou mondiale) ;
• le nom, l’adresse et la nationalité de la personne physique ou morale sous le nom de
laquelle le navire est immatriculé, des ayants de la propriété effective du navire, de
ses ayants de la charge de gestion et d’exploitation ;
• les dimensions du navire et, le cas échéant, une photographie prise au moment
de son immatriculation ou après la dernière modification apportée à sa structure
montrant le profil latéral du navire.

Enfin l’Etat du pavillon doit s’assurer que chacun des navires autorisés à battre son
pavillon, qu’ils soient de pêche, de transport et d’appui, détient une autorisation valide
préalable à cet effet, délivrée par ledit Etat du pavillon (FAO, 2001).

L’Etat côtier

Par ailleurs, l’Etat côtier, dans l’exercice de ses droits souverains d’explorer, de conserver et
de gérer les ressources biologiques marines sous sa juridiction, doit appliquer les mesures
visant à prévenir, contrecarrer et éliminer la pêche illicite dans sa Zone économique
exclusive, conformément au droit international et aux législations nationales :

• en mettant en place un suivi, un contrôle et une surveillance des activités de pêche


sous sa juridiction ;
• en promouvant la coopération et l’échange d’informations avec d’autres États
et Organisations régionales de gestion des pêches ;
• en s’assurant qu’aucun navire ne s’adonne à la pêche dans ses eaux sans autorisation
valable de pêcher délivrée par cet État côtier,
• en s’assurant qu’aucune autorisation de pêche n’est délivrée sans que le navire ne soit
inscrit sur un registre des navires ;
• en s’assurant que chaque navire pêchant dans ses eaux tient un journal de bord
faisant état de ses activités et que le transbordement et la transformation des
produits sont autorisées par l’Etat côtiers ;
• en réglementant l’accès des navires de pêche à ses eaux d’une façon qui contribue à
prévenir, contrecarrer et éliminer la pêche illicite ;
• en n’accordant pas de licence de pêche dans ses eaux à un navire ayant déjà été
identifié comme pratiquant la pêche illicite (FAO, 2001).

L’Etat du port

L’Etat du port doit procéder au contrôle des navires de pêche étrangers ayant accès
à ses ports ou aux installations terminales pour réapprovisionnement en carburant,

80 Géopolitique des ressources halieutiques en afrique de l’ouest : cas de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (inn)
ravitaillement, transbordement et débarquement.

De ce fait, il exige des avertissements suffisamment en avance, aux navires, avant leurs
entrées dans le port, en fournissant un exemplaire de leurs autorisations de pêche, ainsi
que des renseignements détaillés sur leurs sorties en mer et la quantité de poisson se
trouvant à bord.

Lorsqu’il détient la preuve qu’un navire ayant obtenu l’autorisation d’entrer dans ses ports
a participé à des activités de pêche illicite, non déclarée et non réglementée, l’État du
port ne devrait pas autoriser ce navire à accoster ou à transporter du poisson dans ses
ports et devrait avertir l’État du pavillon du navire concerné, ainsi que les organisations
régionales de gestion de pêche.

3.1.3. Les mesures de restriction commerciale et d’aide aux pays les moins
avancés

Toutes les mesures précédemment évoquées ne sauraient être efficaces sans une
restriction commerciale et sans une aide matérielle, technique et financière aux pays les
moins avancés.

Les relations commerciales

Dans cette optique, les États doivent prendre toutes les mesures pour empêcher que
le poisson pêché par les navires identifiés s’adonnant à la pêche illicite ne fasse l’objet
d’un commerce ou ne soit fourni sur les marchés intérieurs. Cette interdiction doit faire
l’objet d’une législation, en vertu de laquelle, les relations commerciales, et le commerce
de poisson ou de produits dérivés de la pêche illicite, constituent une infraction dont les
sanctions doivent être appliquées de manière équitable.

La formation et le renforcement des capacités des pays en développement ou moins


avancés

Les pays en développement ne pouvant pleinement s’acquitter des engagements auxquels


ils ont souscrits au titre du plan d’action international et de leurs obligations en vertu du
droit international (y compris leurs responsabilités en tant qu’État du pavillon et d’Etat
du port) faute de moyens financiers et techniques ou autres, les autres États, avec le
soutien de la FAO et des institutions et mécanismes financiers internationaux pertinents,
doivent coopérer pour appuyer la formation et le renforcement des capacités des pays
en développement ou ceux les moins avancés en :

• procédant à l’examen et à la révision des législations nationales et des cadres


réglementaires régionaux ;
• améliorant et en harmonisant les pêches et la collecte de données ;
• renforçant les institutions régionales, avec création et perfectionnement des
systèmes intégrés de suivi, de contrôle et de surveillance, y compris des systèmes de
surveillance par satellite (FAO, 2001).

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 81


3.2. Le règlement communautaire sur la pêche INN : un modèle avancé
L’Union européenne, avec une estimation de 500 000 tonnes des produits issus de
la pêche illicite importés sur son marché, soit une valeur de 1,1 milliard d’euros, est très
présente sur le marché mondial de la pêche en tant que consommatrice et productrice.
Elle s’inscrit également dans une stratégie globale de lutte contre la pêche illicite.

Pour ce fait, le Conseil de l’UE a adopté le règlement N°1005/2008 établissant un


système communautaire destiné à prévenir, à décourager et à éradiquer la pêche illicite
non déclarée et non réglementée, entré en vigueur le 1er janvier 2010. Ce règlement a pour
objectif de réguler les importations européennes des produits halieutiques et de contrôler
leur provenance en stipulant que seuls les produits accompagnés d’un certificat et validés
par l’Etat du pavillon ou exportateur peuvent pénétrer dans le marché européen. De même,
les navires pratiquant la pêche INN sous pavillon d’un des pays membres s’exposent à de
lourdes sanctions.

Dans ce contexte, la Commission peut déclarer un pays-tiers non coopérant s’il ne s’acquitte
pas des obligations relatives aux mesures à prendre, imposées par le droit international
en tant qu’Etat du pavillon, Etat du port, Etat côtier ou Etat de commercialisation. Dans
cette démarche, la Commission avertit sans délai les pays susceptibles d’être reconnus
pays-tiers non coopérant, leur notifiant les raisons de l’avertissement accompagnées des
informations probantes, tout en leur accordant le temps suffisant pour répondre à la
notification et un délai raisonnable pour remédier à la situation. Par la suite, le Conseil,  sur
proposition de la Commission, décide de dresser une liste des pays-tiers non coopérants.

Les conséquences seront les suivantes60 :

• l’interdiction d’importation dans la communauté des captures ;


• l’inacceptation des certificats de capture accompagnant lesdits produits ;
• l’interdiction d’achat de navires de pêche par les opérateurs communautaires ;
• l’interdiction de passage d’un navire de pêche battant pavillon d’un Etat membre sous
pavillon d’un pays tiers non coopérant ;
• l’interdiction des États membres aux navires de pêche battant pavillon de conclure
des accords d’affrètement avec ces pays ;
• l’interdiction d’exportation de navires de pêche communautaires vers ces pays ;
• l’interdiction des accords commerciaux privés entre les ressortissants d’un Etat
membre et ces pays visant à permettre à un navire de pêche battant pavillon de l’Etat
membre d’exploiter les possibilités de pêche de ces pays ;
• l’interdiction des opérations conjointes de pêche associant des navires de pêche
battant pavillon d’un État membre à un navire de pêche battant pavillon d’un pays
tiers non coopérant ;
• la dénonciation par la commission de tout accord de pêche bilatéral existant ou de tout
accord de partenariat dans le secteur de la pêche conclu avec ces pays prévoyant la
• cessation de l’accord en cas de non-respect des engagements pris par le pays tiers

(60). RÈGLEMENT (CE) N o 1005/2008 DU CONSEIL , établissant un système communautaire destiné à prévenir, à décou-
rager et à éradiquer la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, modifiant les règlements (CEE) n o 2847/93, (CE) n o
1936/2001 et (CE) n o 601/2004 et abrogeant les règlements (CE) n o 1093/94 et (CE) n o 1447/1999

82 Géopolitique des ressources halieutiques en afrique de l’ouest : cas de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (inn)
au regard de la lutte contre la pêche INN ;
• la non-participation de la Commission à aucune négociation destinée à conclure un
accord de pêche bilatéral ou des accords de partenariat dans le domaine de la pêche
avec ces pays.

La Commission publie, également, la liste mise à jour des pays tiers non coopérants au
Journal officiel de l’Union européenne et prend toute mesure nécessaire pour assurer la
diffusion de cette liste, y compris en la publiant sur son site internet. C’est dans ce cadre,
par exemple, que l’UE a sanctionné, en mars 2014, la Guinée jugée défaillante dans ses
mesures de lutte contre la pêche illicite et se voyant subir les sanctions ci-dessus. Il s’agit
ici de la première application d’une sanction de ce type depuis la mise en place de la
règlementation de 200861.

A rappeler que le Togo et le Ghana avaient déjà été avertis auparavant qu’ils devaient
réaliser des progrès significatifs s’ils ne voulaient pas tomber sous le coup des mêmes
sanctions.

Hélas, malgré cette volonté politique affichée, les opérateurs européens continuent à
pratiquer la pêche illicite dans les eaux africaines et les prises continuent à affluer sur les
marchés des pays de l’UE. De nombreuses prises illégales transitent par le port espagnol
de Las Palmas sur les îles Canaries où elles sont incorporées aux captures « légales » et
redistribuées en Europe (Guibbaud, 2014).

(61). IBID

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 83


Conclusion

Pour surmonter ces problèmes il y a donc lieu :

• de faire preuve, collectivement, de plus de volonté politique ;


• de devoir favoriser une bonne gouvernance par l’urgente adoption et l’application
effective des instruments internationaux visant à prévenir, contrecarrer et éliminer la
pêche illicite, non déclarée et non réglementée.

Deux recommandations qui, si fondamentales en principe, resteraient formelles et sans


impact sur la réalité des ravages de la pêche industrielle étrangère sur les côtes ouest-
africaines sans la construction d’une action collective effective dans un cadre politico-
institutionnel où se regrouperaient et s’impliqueraient les pays africains riverains de
l’Atlantique élargi. Cette action collective intégrerait donc la lutte contre la pêche INN dans
les divers mécanismes de coopération à caractère politique, sécuritaire et économique
pouvant intéresser les partenaires africains et internationaux, autant les activités de
mer (de pêche, de transport maritime, de commerce international maritime, de sureté
maritime) que les autres opérations (lutte anti-mafieuse, action contre les migrations
illégales, guerre anti-terroriste …).

84 Géopolitique des ressources halieutiques en afrique de l’ouest : cas de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (inn)
Bibliographie

• « Rapport sur la situation mondiale des pêches et de l’aquaculture 2014 »/ www.fao.


org;
• Edeson, W: Tools to Address IUU Fishing: The Current Legal Situation. Document
AUS: IUU/2000/8 / 2000;
• « Le poisson et la sécurité alimentaire en Afrique », World Fish center, 2005/ www.
worldfishcenter.org;
• Rapport FAO sur la situation mondiale des pêches et de l’aquaculture 2014;
• Plan d’action, de la F.A.O, international visant à prévenir, à contrecarrer et à éliminer
la pêche illicite, non déclarée et non réglementée 2001;
• Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (avec annexes, acte final et
procès-verbaux de rectification de l’acte final en date des 3 mars 1986 et 2juillet
1993).Conclue à Montego Bay le 10 Décembre 1982;
• « Pirate fishing exposed: The Fight against Illegal Fishing in West Africa and the EU »,
Rapport Environmental Justice Foundation, 2012/ www.ejfoundation.org;
• Guibbaud Pauline, Pêche illicite, quel avenir pour l’Afrique de l’ouest ? 4 août 2014 /
www.grip.org;
• Tafsir Malick NDIAYE, Pêche illicite non déclarée et non réglementée dans l’Afrique de
l’ouest : Juge au Tribunal International du Droit de la mer ; 2010;
• RÈGLEMENT (CE) N o 1005/2008 DU CONSEIL , établissant un système
communautaire destiné à prévenir, à décourager et à éradiquer la pêche illicite, non
déclarée et non réglementée, modifiant les règlements (CEE) n o 2847/93, (CE) n o
1936/2001 et (CE) n o 601/2004 et abrogeant les règlements (CE) n o 1093/94 et
(CE) n o 1447/1999;
• Hugon, Philippe, Géopolitique de l’Afrique, 3e édition, Armand Colin, Paris, 2012;
• Saupin, Guy, Africains et Européens dans le monde atlantique: XVe-XIXe siècle
Presses universitaires de Rennes, 2014.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 85


4
LA PERCEPTION CHINOISE DE L’AFRIQUE
ATLANTIQUE : UNE NOUVELLE RUÉE
GÉOSTRATÉGIQUE

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 87


LA PERCEPTION CHINOISE DE L’AFRIQUE ATLANTIQUE :
UNE NOUVELLE RUÉE GÉOSTRATÉGIQUE

4
Youssef EL HAMDOUNI62

Introduction
Avec l’avènement du troisième millénaire, et depuis les années 2000, on assiste à
une montée exponentielle des relations sino-africaines. En effet, à travers les fils des
analyses sur le Boom de la puissance chinoise et ses enjeux majeurs vis-à-vis du monde
entier, la relation de ce pays avec l’Afrique est objet de diverses interprétations. Ainsi, on
retrouve qu’une grande partie de la littérature consiste à enclaver ces relations dans une
optique purement économique expliquée par une motivation chinoise simple et unique,
celle d’assurer ses approvisionnements en pétrole, en absence d’une vision globale
susceptible d’appréhender l’Afrique comme espace géostratégique pour la Chine.

Certes, cet engouement de Pékin envers l’Afrique pour s’approvisionner en matières


premières, obéit à une logique d’Etat pragmatique et cartésienne. Néanmoins, il n’est
guère question de ne pas prendre en considération d’autres aspects décelés dans la
politique africaine de la Chine tels que le commerce et l’aide au développement.

C’est dans cette optique que nous proposons une analyse transversale de la politique
chinoise en Afrique dans le cadre d’une perspective plus globale et plus complexe,
transcendant le prisme purement intermittent et instantané, qui résume les relations
sino-africaines à travers l’enjeu énergétique, et lance les dés d’un éventuel projet de Soft
Power chinois dans la région africaine, comme modèle de présence en Afrique. Toutefois,
il est question de s’interroger sur les limites de cette portée chinoise, vue la nouvelle ruée
vers l’Afrique qui pourrait limiter le champ d’action de la Chine, du fait de l’existence sur
scène d’autres acteurs concurrentiels.

Partant de cet angle d’analyse, on se rend compte que l’Afrique, et surtout la façade
atlantique de ce continent, produit des germes d’un nouvel espace d’affrontement
géopolitique susceptible de transposer les tensions et les caprices étatiques, épuisés
dans les espaces classiques de batailles géostratégiques (Méditerranée et Moyen orient),
vers ce nouvel espace sombre, vulnérable et fertile.

Il apparaît dans ce sens, la complexité de ce nouveau territoire qui nous interpelle


vers la nécessité d’inscrire notre cadre d’analyse dans la durée, et dans un processus
analytique global afin de démolir tous les risques liés à l’analyse descriptive instantanée
et superficielle.

(62). Doctorant en Relations Internationales, Université Abdelmalek ESSAADI Tanger, Faculté des Sciences Juridiques,
Economiques et Sociales ; Chercheur associé à l’Observatoire d’Etudes Méditerranéennes Tanger.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 89


Dans cette optique longitudinale, nous proposons, dans notre étude, un premier point
de retour vers l’évolution de la politique étrangère de la Chine dans le sens de percevoir
l’évolution du paradigme diplomatique chinois. Dans un deuxième niveau, nous tenterons
de faire le relais entre l’histoire de ces relations et la montée en puissance de la Chine
dans une perspective d’analyser comment l’intérêt purement économique de la Chine vers
l’Afrique s’est épanoui pour devenir un intérêt géostratégique et d’influence politique.

Une fois les éléments analytiques d’une vision chinoise de l’Afrique, à travers les deux
premiers points dressés, un troisième point mettra l’accent sur les dix dernières années
qui peuvent être qualifiées de période d’institutionnalisation et de sophistication des
relations sino-africaines.

I. Évolution de la diplomatie chinoise 


Personne ne peut contester la place que se procure la Chine dans la sphère des relations
internationales qui relève de deux facteurs majeurs, le poids de la République Populaire de
la Chine dans l’économie mondiale et l’évolution profonde de sa politique étrangère durant
les deux dernières décennies.

Il convient de s’interroger dans ce sens, sur la portée des principales transformations qu’a
connu la diplomatie chinoise au fil du temps, et de mettre le doigt sur les déterminants
de cette nouvelle politique étrangère chinoise. En effet, si les changements économiques
contemporains, entachés par la dernière crise mondiale, sont des éléments révélateurs de
la nouvelle importance de la Chine sur la scène internationale, considérée il y a moins de
vingt ans, comme un pays émergent. D’autres éléments ne manquent pas d’importance
dans l’alimentation de cette montée chinoise, tels que la modernisation militaire, une
diplomatie active, et une révolution technologique exponentielle. Si bien qu’on peut se
demander si nous n’assistons pas à l’émergence d’une hégémonie chinoise.

1.1. Évolution de la politique étrangère chinoise 


Pendant une longue partie de l’histoire contemporaine de la Chine, et jusqu’à aujourd’hui,
la politique étrangère chinoise était tributaire de deux priorités internes majeures, à
savoir : le développement économique et la stabilité socio-politique. En effet, à partir de
1978, et depuis le règne de Den Xiaoping, la politique étrangère chinoise s’est stabilisée
sur le principe de la diplomatie du « profil bas », selon laquelle la Chine tenait à ne pas
adopter une politique étrangère visible, et d’éviter de se retrouver sur le devant de la
scène internationale, ce qui l’invitait donc, à rester neutre dans les guerres et les conflits
internationaux et lui procurait l’avantage de ne pas être directement impliquée dans les
confrontations entres les grandes puissances, au niveau local, régional ou mondial63.

Focalisant ses objectifs et ses forces sur la construction économique, la Chine s’est
trouvée contrainte par la nécessité de revoir son modèle de gestion de sa politique

(63). Jean-Pierre CABESTAN, « La montée en puissance de la diplomatie chinoise » in Sophie BOISSEAU DU ROCHER;
(dir.), Asie dix ans après la crise, Paris, La Documentation française, 2007.

90 La perception chinoise de l’Afrique atlantique : Une nouvelle ruée géostratégique


extérieure, convaincue qu’un décollage économique ne peut s’effectuer qu’en passant par
une nouvelle forme de perception de la chose extérieure, et par un nouveau cadre de
production de la politique étrangère, en optant ainsi, pour une diplomatie économique
susceptible de l’aider dans sa quête des marchés, des ressources naturelles et aussi d’un
positionnement géopolitique. Cette nouvelle forme de diplomatie «  à l’économique » imposa
à Pékin d’adapter son action extérieure de manière à ne pas effrayer les investisseurs
étrangers du marché chinois. Cela passe, inéluctablement, par l’entretien de bonnes
relations avec tous ses clients potentiels. C’est ainsi que la diplomatie chinoise s’est vue
basculée d’une politique intériorisée, basant son action sur le principe « dissimuler ses
talents et entretenir l’ombre », vers une diplomatie de « puissance en devenir ».

S’inscrivant dans une logique de processus, on peut prétendre que cette transformation
du métabolisme diplomatique chinois s’est nourrie et s’est épanouie par la volonté du
nouveau leader Jiang Zemin. Dépourvu du charisme de son prédécesseur, et se trouvant
englouti dans une situation politique incertaine caractérisée par une période de difficultés
économiques et d’isolement sur la scène internationale, Zemin voulait assurer sa légitimité
politique en passant par le rôle du «  premier Homme de la politique étrangère chinoise ».
Pour lui, la clé de voute de la réussite d’un ancrage international chinois, est de passer par
de bonnes relations avec les États Unis d’Amérique qui étaient pour lui, et pour plusieurs
experts chinois de l’époque, et surtout après la chute de l’URSS, la seule superpuissance
mondiale entourée de puissances moyennes gravitant autour d’elle, chose avec laquelle
on déduit l’architecture de la vision mondialiste de la scène internationale par la Chine64 :

(64). ZENG Peigeng, 1996, « Jiang’s African Visit Successful », Chinafrica, 20 juillet : 5-13.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 91


Figure 4 : Perception chinoise de la scéne internationale sous le règne de Jiang Zemin

Les successeurs de Jiang Zemin, l’ont fortement critiqué pour sa politique pro-
américaine, trop rêveuse et incommode pour la Chine du fait qu’elle se basait sur un
principe de concession et d’infériorité vis-à-vis des Etas Unies. Hu Jintao et Wen Jiabao
sont considérés comme étant les premiers dirigeants chinois à adopter une approche
d’ensemble des questions de sécurité et de diplomatie en s’investissant dans de nouveaux

92 La perception chinoise de l’Afrique atlantique : Une nouvelle ruée géostratégique


domaines de coopération internationale tels que les TIC, l’énergie et même la sécurité
environnementale65.

1.2. Diplomatie économique ou vision hégémonique 


Partant du constat déjà traité ci-dessus, et selon lequel la politique étrangère chinoise
est conditionnée par des impératifs économiques, on peut constater que la Chine s’est
fortement lancée à la conquête de nouvelles relations de coopération économiques et
commerciales en s’ouvrant sur des partenaires déjà contractés (ASEAN, Russie, Japon
etc.) et d’autres pour la première fois (Afrique et Amérique latine), tout en adoptant une
attention particulière à ses relations vis-à-vis des Etas Unis d’Amérique.

En effet, le virage qu’a marqué la Chine en matière de sa politique étrangère, peut se faire
remarquer de façon percutante à travers la délocalisation de ses ambitions diplomatiques
extérieures. Cette nouvelle tendance, se manifeste dans un premier temps, par une
sorte de sécurisation de son voisinage géostratégique, pour garantir son hégémonie
régionale66,en passant ensuite, vers une transposition de ses caprices extérieurs vers
des espaces nouveaux67.

Le premier fait marquant dans cette nouvelle ruée chinoise, réside dans l’amplification
de ses relations économiques et commerciales avec les pays de l’Amérique Latine. Des
États comme le Brésil, le Mexique, l’Argentine et le Chili, ont été drastiquement visés par la
politique commerciale chinoise, chose qui lui permettait d’atteindre plus de quatre Milliard
de Dollars américains, en octroyant à la Chine le rang du troisième partenaire économique
et commercial de la région. Pour ce faire, la République Populaire de Chine s’est procuré
cette place, dans le cadre d’une stratégie d’ensemble, basée sur une diplomatie très active
dans cette région (visites diplomatiques, échange d’experts, mobilité des commerçants
etc.) et concrétisée par des accords de libre-échange (Chili), et des partenariats globaux
de coopérations (Pérou 2005).

La deuxième tendance de délocalisation de la politique étrangère de la Chine se manifeste


dans l’attention particulière accordée à l’Afrique. En effet, la Chine représente l’un des
premiers partenaires commerciaux de nombreux pays africains. La création, en 2000, du
Forum de la coopération Chine-Afrique (FOCAC)68 marque ce rapprochement. L’arrivée
de la Chine sur le continent peut être considérée, pour certains régimes, comme une
sorte d’aubaine, du fait que la République Populaire de Chine, au nom du respect de la
souveraineté nationale, n’impose pas des conditions politiques spécifiques, à la différence
des puissances occidentales. La seule exigence de Pékin est que ses partenaires coupent
toutes relations diplomatiques avec Taiwan.

Trois raisons peuvent expliquer la présence de la Chine en Afrique: le pétrole, le commerce


et la diplomatie. En effet, pour activer sa croissance, la Chine est confrontée à des besoins
(65). LAM, Chinese Politics in the Hu Jintao Era, New York, ME Sharpe, 2006.
(66). Pour une synthèse des progrès techniques réalisés par l’Armée Populaire de Libération au cours du programme de
Modernisation voir Michael SWAINE, « The Modernization of the PLA: Implication for Asia Pacific security and Chinesepoli-
tics» in TIEN Hung-Mao & CHU Yun-han (dir.), China under Jiang, Londres, Lynne Rienner, 2000, p. 121 et 122.
(67). Ministère des Affaires étrangères, www.diplomatie.gouv.fr
(68). François LAFARGUE, « La Chine, une puissance africaine », Perspectives chinoises, n° 90, 2005.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 93


énergétiques importants. Ces besoins sont d’autant plus forts que la hausse du niveau de
vie des Chinois a généré une demande croissante d’énergie. Soucieuse alors de préserver
son indépendance, la Chine se tourne vers l’Afrique.

Elle essaya d’abord de répondre à ses besoins énergétiques en provenance de Russie et


les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale. Naturellement réticent à être un
peu dépendante de Moscou, Pékin a fini par être convaincu de la nécessité de diversifier
ses approvisionnements énergétiques.

La présence chinoise est également expliquée par des motivations commerciales. En


effet, la Chine a une spécialisation intermédiaire, chose avec laquelle, elle exporte des
produits à forte intensité de capital et de technologie vers les pays en développement
tel l’Afrique et l’Amérique latine. Pour ces exportations, la République Populaire de la
Chineacquiertde l’expérience et peut pratiquer une politique commerciale appelée «trace-
back». En outre, ces pays représentent pour la Chine une source d’approvisionnement
en matières premières pour alimenter sa croissance. Enfin, cette expansion chinoise doit
être comprise dans le contexte de la confrontation diplomatique avec Taiwan. Certes, sur
les 23 Etats qui reconnaissent formellement le régime de Taipei, douze sont situés en
Amérique du Sud et quatre en Afrique. L’Afrique a longtemps été un système de soutien
de la République de Chine à Taiwan. Pékin a donc travaillé à réduire cette reconnaissance
du régime insulaire69.

II. Le calendrier économique chinois en Afrique : les germes


d’une nouvelle présence
La présence chinoise en Afrique, très dynamique et sophistiquée ces trente dernières
années, soulève des défis majeurs et complexes. En effet, tous les secteurs stratégiques sont
investis par l’action chinoise : rapports politico-diplomatiques, échanges commerciaux en
passant par l’aide au développement, le tourisme, les télécommunications, la construction
d’infrastructures, l’agriculture, les mines. Un nouveau partenariat stratégique et
économique a ainsi été établi et institutionnalisé à travers la création à Pékin, en octobre
2000, du Forum de la coopération Chine-Afrique (FOCAC), qui confère à la présence de
la Chine en Afrique une dimension continentale. Tout cela participe de la volonté de la
Chine de s’appuyer sur sa nouvelle puissance pour faire avancer ses intérêts, augmenter
sa réputation et son attrait aux yeux des partenaires africains conquis en général par le
soft power chinois.

La forme de présence chinoise en Afrique obéit aujourd’hui à une logique selon laquelle
les préoccupations économiques sont centrales. Cette présence se manifeste notamment
à travers plusieurs secteurs : le commerce, les mines et hydrocarbures, l’investissement
et l’aide au développement en sont les principales composantes.

(69). David LAMPTON (dir.), The making of Chinese foreign and security policy in the era of reform, 1978-2000, Stanford,
Ca., Stanford University Press, 2001

94 La perception chinoise de l’Afrique atlantique : Une nouvelle ruée géostratégique


2.1 Les relations commerciales
Partant du constat que la Chine et l’Afrique entretiennent des liens commerciaux depuis
longtemps, c’est effectivement au milieu des années 1990 qu’un nouvel élan sera insufflé
à la coopération économique sino-africaine. Ce rapprochement conduit la République
Populaire de Chine à créer, dès 1996, des centres pour l’investissement et le commerce
ayant pour mission de fournir une assistance technique aux entreprises chinoises
désireuses de s’installer sur des marchés africains ou d’établir des partenariats avec
des entreprises locales. Dix pays sont alors concernés : le Cameroun, la Tanzanie, la Côte
d’Ivoire, l’Égypte, la Guinée, le Mali, le Mozambique, le Gabon, le Nigeria et la Zambie.

Le début du troisième millénaire marque une accélération exponentielle du commerce


sino-africain. Alors qu’il était d’environ 900 millions de dollars en 1990, le volume des
échanges atteignait 10,5 milliards en 2000. Ce chiffre croît rapidement, passant à 29,5
milliards en 2004, et à près de 67 milliards en 2007. Depuis le début de la décennie, le
commerce sino-africain a maintenu une croissance de plus de 30 ℅ pendant sept ans
consécutifs pour atteindre plus de 73,3 milliards de dollars en 2007. Il a accru de 45,1
% en 2008 par rapport à l’année précédente, atteignant le chiffre de 106,8 milliards
de dollars (50,8 milliards d’exportations vers l’Afrique et 56 milliards d’importations en
provenance de l’Afrique) (Xinhua 2009). Toutefois, sous l’effet de la récession économique
mondiale, le volume commercial qui avait substantiellement augmenté durant huit années
consécutives a connu un recul et s’est soldé à 91,06 milliards de dollars en 200970.

Pourtant, l’Afrique demeure un partenaire commercial modeste pour la Chine. Cette


dernière ne recevait que 16 % des exportations africaines à l’étranger en 2006, un
pourcentage bien en deçà de celui des États-Unis et de l’Union Européenne. Cependant,
la balance commerciale a évolué en faveur de l’Afrique, surtout parce que la robustesse
de la demande mondiale, menée par la Chine, a contribué à l’augmentation des prix
du pétrole et d’autres minerais, considérés comme étant les principales exportations
africaines. On estime que durant la période 2004-2006 l’Afrique enregistrait avec la
Chine un excédent commercial de 2 milliards de dollars par an (Wang et Bio-Tchané
2008). Les importations chinoises reflètent une volonté de répondre à une demande
croissante des ressources naturelles à l’intérieur de la Chine. Il en découle que les
principaux partenaires commerciaux africains de la Chine sont en majorité les pays
producteurs de matières premières, tels que l’Angola, l’Afrique du Sud, le Soudan et le
Congo. La stratégie chinoise en matière d’hydrocarbures a permis aux investisseurs
et dirigeants chinois de signer une multitude de contrats, propulsant ainsi les activités
des firmes pétrolières chinoises en Afrique, en l’occurrence China National Petroleum
Corporation (CNPC), China Petroleum and Chemical Corporation (SINOPEC) et China
National Offshore Oil Corporation (CNOOC). Outre cette question des hydrocarbures,
le plan d’action de Pékin (2009- 20012) adopté à l’issue de la 4ème conférence du
Forum sino-africain de novembre 2008 avait annoncé la mise sur pied de trois projets
économiques qui peuvent être considérés comme d’autres instruments de l’engagement
économique de Pékin en Afrique. Il s’agit d’abord du Fonds de développement sino-africain,
doté de 5 milliards de dollars et ouvert aux entreprises chinoises et à leurs partenaires
(70). BROADMAN Harry G., 2006, Africa’s Silk Road. China and India’s New Economic Frontier, Washington, DC, The World
Bank.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 95


pour l’investissement dans les domaines agricoles, manufacturiers, industriels, miniers et
infrastructurels. Il y a ensuite les produits exemptés de droits de douanes à l’exportation
vers la Chine : de 190 au départ, ces produits sont passés à 440 depuis 200771. Il y a,
enfin, les zones de libre-échange et de coopération économique (ZES) : sur le modèle
de Shenzhen et d’autres zones similaires créées en Chine, le gouvernement chinois a
décidé d’établir plusieurs zones économiques spéciales dans le cadre de sa politique
d’ouverture sur le monde. Les pays désignés pour les accueillir reflètent les priorités
économiques chinoises sur le continent, ainsi que la fidélité politique traditionnelle de
certains dirigeants vis-à-vis de Pékin. Les pays africains concernés (Zambie, Maurice,
Tanzanie, Nigeria et Égypte) jouissent d’une position stratégique, d’une tradition
manufacturière ou d’un potentiel logistique particulièrement intéressant.

Figure 5 : L’évolution du commerce entre l’Afrique et la Chine

120
106,8

100

80 72,9
exportation +
importations 60 55
en milliars de $
39,6
40
29,2
18,5
20 10,7 12,3
5,7 5,5 6,5

0
source : OMC 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Années

2.2. L’investissement et l’aide au développement


Les investissements directs étrangers (IDE) chinois à destination de l’Afrique, d’environ
1,2 milliard de dollars annuellement entre 2002 et 2004, étaient considérés très
faibles en comparaison avec d’autres pays tels que l’Inde, les Etats Unis d’Amériques
et le Singapour. Toutefois, avec le renforcement de la présence chinoise en Afrique, les
investissements de ce pays ont beaucoup augmenté. En 2007 par exemple, l’Industrial &
Commercial Bank of China a acquis 20 % de la Standard Group of South Africa, la plus
grande banque d’Afrique, au coût de 5,6 milliards de dollars. Selon le premier ministre
Wen Jiabao, en novembre 2009, les investissements directs en Afrique ont totalisé 7,8
milliards de dollars. Pour ce qui est de la valeur de l’aide accordée à l’Afrique, He Wenping
relève que « la Chine a dépensé 44,4 milliards de yuans (soit 648 millions de dollars)
dans l’assistance à l’Afrique avec plus de 800 projets comprenant des usines de textiles,
des stations hydroélectriques, des stades, des hôpitaux et des écoles »72.

(71). DAVIES Martyn, 2007, « China’s Special Economic Zone Model Comes to Africa », The China Monitor, no 18.
(72). TAYLOR Ian, 1998, « China’s foreign Policy towards Africa », The Journal of Modern African Studies, vol. 36, no 3:
443-460.

96 La perception chinoise de l’Afrique atlantique : Une nouvelle ruée géostratégique


D’autres auteurs, qui se basent sur des données africaines, évaluent l’aide chinoise à 4,4
milliards de dollars en 2009 et jugent qu’une partie considérable de cette aide correspond
aux paramètres de l’aide tels qu’énoncés par le Comité d’aide au développement (CAD)
(Kurlantzick 2007). Des analystes chinois estiment que l’aide chinoise au développement
à destination de l’Afrique est passée de 300 millions de dollars par an en 1998 à près
de 1 milliard de dollars en 2007. La difficulté de chiffrer clairement l’aide chinoise tient
au fait que le gouvernement ne publie pas de données et que les programmes d’aide et
autres projets sont généralement annoncés lors des discours ou conférences de presse.

III. Institutionnalisation et pérennisation des relations sino-


africaines :

Vers un nouveau modèle soft power chinois

L’outil majeur dont la Chine s’est dotée pour promouvoir et consolider son retour sur
le continent africain est le Forum de la coopération Chine-Afrique (FOCAC). Le retour
de Pékin en Afrique se caractérise par sa volonté de compenser la faiblesse de son
influence politique sur le continent par une série de mesures permettant de concurrencer
les partenaires dits traditionnels de l’Afrique qui, eux, disposent déjà de structures
semblables à l’image du sommet France-Afrique.

3.1 L’institutionnalisation des relations sino-africaines 


Le Forum de la coopération Chine-Afrique est une plateforme de consultation et de
dialogue entre la Chine et les pays africains amis. Il est présenté, du moins officiellement,
comme une structure de « collaboration égalitaire » entre des pays ayant subi les caprices
du colonialisme et veut s’inscrire dans la continuité de l’esprit de Bandung. Inaugurée
à Pékin, la première conférence ministérielle proposée par le gouvernement chinois,
qui s’est tenue du 10 au 12 octobre 2000, a réuni 44 pays africains, de nombreuses
organisations internationales et régionales ainsi que les représentants du secteur privé.
Sur cette base, trois ans plus tard, la deuxième conférence ministérielle s’est tenue
en terre africaine, plus précisément à Addis-Abeba, les 15 et 16 décembre 2003. La
troisième conférence ministérielle du FOCAC, qui est devenue alors un grand sommet
réunissant surtout les chefs d’État de la Chine et de l’Afrique, a eu lieu à Pékin du 3 au
5 novembre 2006 et la dernière du 19 au 20 juillet 2012. Cette année fut déclarée «
année de l’Afrique en Chine » et a vu la publication d’un livre blanc intitulé « La politique
de la Chine à l’égard de l’Afrique ». Les mesures adoptées à l’issue des cinq conférences
qui se sont tenues portent notamment sur l’annulation partielle de la dette de certains
pays, l’augmentation de l’aide chinoise, le renforcement de la coopération dans différents
secteurs, la formation universitaire et professionnelle et la diminution des tarifs douaniers
pour les produits importés en provenance d’Afrique.

Toutefois, c’est à partir de 2006 que les annonces dans le cadre de cette coopération
prennent toute leur ampleur. La Chine décide, entre 2006 et 2009, de doubler son

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 97


assistance à l’Afrique, de fournir 5 milliards de dollars de crédits préférentiels, d’établir un
fonds de développement de 5 milliards de dollars pour encourager les investissements
chinois en Afrique, d’annuler les dettes des pays lourdement endettés et moins développés,
de supprimer les droits de douane de 440 produits provenant des pays africains moins
développés, de créer trois à cinq zones de libre-échange et de coopération économique.
La Chine décide aussi d’autres mesures spécifiques sur la même période : former 15
000 professionnels africains, doubler le nombre de bourses d’études universitaires
octroyées aux étudiants africains pour les porter à un total de 4 000 en 2009, envoyer
100 agronomes et ouvrir 10 centres pilotes de techniques agricoles en Afrique, construire
300 hôpitaux, octroyer 30 millions de dollars pour la lutte contre le paludisme, envoyer
300 jeunes volontaires, et construire 300 écoles.

Lors de la quatrième conférence ministérielle sino-africaine organisée à Sharm el-Cheikh


en Égypte en novembre 2009, le bilan dressé du FOCAC 2006 a fait état de la mise en
œuvre de l’ensemble des mesures annoncées en 2006.

Ce bilan semble corroborer les propos du président sénégalais Abdoulaye Wade selon
lesquels « l’approche chinoise est tout simplement mieux adaptée à nos besoins que
l’approche postcoloniale, lente et parfois condescendante, des investisseurs européens,
des donateurs et des organisations non gouvernementales » (Wade 2008). Cette
quatrième conférence a confirmé la tendance engagée trois ans plus tôt. De nouvelles
mesures y ont été annoncées : établir un partenariat sino-africain de lutte contre
le changement climatique en réalisant 100 projets d’énergie propre (solaire, biogaz et
petites centrales hydroélectriques); établir 100 projets pilotes de recherche scientifique
conjointe; accueillir 100 post-doctorants en Chine ; accorder 10 milliards de dollars de
crédits préférentiels et 1 milliard pour aider les PME africaines ; supprimer les droits de
douane à 95 % des produits en provenance des pays les moins avancés (PMA), dont 60
% avant la fin de 2010; porter à 20 le nombre de centres pilotes agricoles, envoyer 50
missions techniques agricoles et former 2 000 techniciens agricoles africains; fournir du
matériel pour les centres anti-paludisme et former 3 000 infirmiers et médecins pour
l’Afrique; construire 50 écoles, former 1 500 directeurs d’école et enseignants et porter
à 5 500 le nombre de bourses chinoises (Plan d’action de Charm el-Cheikh 2010-2012,
FOCAC 2009).

3.2. La pérennisation de la politique africaine de la Chine


À la faveur de l’effervescence politique, diplomatique et économique de ces dernières
années, la politique de la Chine en Afrique s’est sophistiquée et diversifiée en incluant
plusieurs axes dont la portée pratique et symbolique est évidente. Leur but, en effet, est
de créer une influence politique et culturelle qui puisse compléter et consolider l’influence
économique en plein essor.

En premier lieu, à mesure que la relation sino-africaine s’institutionnalise par le biais du


FOCAC, la coutume des visites officielles instaurée au début des années 1990 et qui
symbolise le renouveau diplomatique s’accentue considérablement.

La fréquence à laquelle les hommes d’État chinois se sont rendus en Afrique ces dix

98 La perception chinoise de l’Afrique atlantique : Une nouvelle ruée géostratégique


dernières années est impressionnante. En retour, pratiquement tous les dirigeants des
pays africains ayant des relations diplomatiques avec la Chine y ont fait le déplacement
lors du FOCAC de 2006 ou à d’autres occasions. Peu de chefs d’État étrangers, à
l’exception du président Lula du Brésil, peuvent se targuer d’avoir autant visité l’Afrique
que le président chinois Hu Jintao, qui s’est rendu dans 18 des 53 États du continent au
cours de ses quatre voyages (3 États en 2004, 3 en 2006, 8 en 2007 et 4 en 2009).

En second lieu, la Chine a entrepris d’asseoir une influence culturelle en Afrique, domaine
dans lequel l’avancé des pays occidentaux comme la France et les États-Unis est inégalée
pour l’instant. Celle-ci passe par des stratégies de lowouhigh soft power selon qu’elles
visent les citoyens en général ou l’élite politique, militaire et diplomatique. La promotion des
instituts Confucius, équivalents des centres culturels français ou américains, participe du
low soft power et constitue un des instruments à travers lesquels les autorités chinoises
entendent créer un cadre d’interactions entre Chinois et Africains. Au début de l’année
2010, il y avait vingt et un de ces instituts en Afrique (Afrique du Sud, Bénin, Botswana,
Cameroun, Égypte, Kenya, Liberia, Madagascar, Mali, Maroc, Nigeria, Rwanda, Soudan,
Togo, Tunisie et Zimbabwe). Rattachés aux universités des villes où ils sont implantés, en
partenariat avec des universités chinoises, ces instituts, dont l’objectif est la promotion
de la langue et de la culture chinoises, visent à encourager le rayonnement et le pouvoir
de séduction de la Chine (Kurlantzick 2007). En outre, une centaine de jeunes volontaires
ont été envoyés dans des pays africains et le nombre des touristes chinois qui choisissent
des destinations africaines ne cesse d’augmenter. Dans le domaine des médias, la China
Central Television (CCTV) a inauguré, en septembre 2007, une chaîne en langue française
destinée prioritairement aux auditeurs francophones.

En février 2006, Radio Chine internationale (CRI) a ouvert une station en modulation de
fréquence à Nairobi, au Kenya. Cette première station de la CRI à l’étranger diffuse dix-
neuf heures par jour en anglais, chinois et swahili.

Depuis, de nombreuses stations ont été ouvertes ailleurs en Afrique. Les bourses de
formation données aux étudiants, les programmes de perfectionnement pour diplomates
et militaires, de leur côté, participent du high soft power, car ils visent à avoir en Afrique
une élite sinophile sensible aux intérêts de Pékin, comme il existe une élite francophile
ou américanophile. Ces initiatives démontrent une vision d’ensemble, la Chine étant
consciente que son éventuel statut de grande puissance tiendra pour une bonne part à
son rayonnement culturel.

En troisième lieu, la diversification et la sophistication de la présence de la Chine en Afrique


se voient à travers la nouvelle politique d’implication chinoise en matière de maintien de
la paix dans le monde en général et en Afrique en particulier. En effet, Pékin milite pour
l’amélioration du maintien de la paix au sein de l’ONU et augmente graduellement sa
participation aux missions et opérations onusiennes. Dans la pratique, on a enregistré
un réel accroissement des contributions matérielles, de même qu’un renforcement du
personnel chinois mis à la disposition de l’ONU en Afrique, mais aussi au Liban, à Haïti
et au Timor oriental. Au 30 juin 2010, la Chine participait à dix des seize opérations
onusiennes en cours, déployant un total de 2012 casques bleus. À cette date, la RPC
occupait le quinzième rang des États contributeurs et le premier parmi les cinq membres

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 99


permanents du Conseil de sécurité. L’Afrique est d’emblée un bénéficiaire privilégié de cet
engagement chinois sous l’égide de l’ONU, puisque plus de 1 600 casques bleus chinois,
c’est-à-dire près des trois quarts, sont présents dans six des sept missions en cours sur
le continent. En juin 2006, la Chine a pris, pour la première fois au sein du Conseil de
sécurité, l’initiative de soutenir le plaidoyer africain pour le déploiement d’une mission de
paix en Somalie.

De plus, deux flottes chinoises – qui montrent aussi les ambitions de projection militaire
de Pékin – ont été récemment affectées à la mission anti-piraterie dans le golfe d’Aden, au
large des côtes somaliennes, la première à la fin de 2008 et la deuxième au mois d’avril
2009.

Enfin, ces dernières années, on note une réelle adaptation dans l’approche chinoise dans
le sens du pragmatisme (pour apparaître il est vrai comme un pays responsable), car le
pays concilie son principe traditionnel de non-ingérence dans des affaires intérieures
avec les exigences de la communauté internationale, comme le montre le cas du Soudan.
Naguère alliée inconditionnelle du gouvernement soudanais auquel elle a épargné
plusieurs condamnations du Conseil de sécurité de l’ONU, la Chine a nuancé maintenant
son appui, cautionnant même le déploiement de la force hybride des Nations Unies et
de l’Union africaine au Darfour. Pékin a nommé en 2007 un envoyé spécial au Soudan,
estimant le contact bilatéral permanent « plus efficace » que la contrainte et l’imposition
de sanctions préconisées par les pays occidentaux, épousant ainsi la position largement
répandue chez les gouvernants africains.

100 La perception chinoise de l’Afrique atlantique : Une nouvelle ruée géostratégique


Conclusion
Le renouveau de la politique africaine de la Chine se fait dans un contexte international
difficile pour Pékin. Au début des années 1990, la Chine est en effet en délicatesse
avec le monde occidental à cause de la répression violente du mouvement d’ouverture
démocratique (1989) et à cause de la « crise du détroit de Taïwan » qui avait exacerbé
la tension sino-américaine autour de Taïwan (1995-1996). C’est à partir de ce moment
que la Chine a commencé à mettre en place une stratégie internationale d’ensemble, une
« grand strategy », destinée à créer un environnement favorable à son développement
économique et à réduire les risques de réactions négatives à sa montée en puissance
économique, diplomatique et militaire (Goldstein 2005). Au-delà des piliers, très
rhétoriques, de la nouvelle approche chinoise vis-à-vis du continent évoqués par Jiang
Zemin, il est question de fidéliser un vote favorable à la Commission des droits de l’homme
à Genève et, surtout, de résoudre des problèmes internes cruciaux tels que la sécurisation
des approvisionnements en ressources naturelles et des débouchés commerciaux. Le
Forum de la coopération Chine-Afrique est venu confirmer cette tendance et servir
d’instrument de coordination des ressources de soft power économique, diplomatique et
culturel chinois. Déclinée sous ces dimensions, la politique chinoise à l’égard de l’Afrique
s’inscrit dans la stratégie internationale que poursuit Pékin. L’activisme diplomatique et
économique chinois sur le continent suffit-il à conclure que l’Afrique sera chinoise, comme
elle fut européenne une bonne partie du 20e siècle ?

Si le pouvoir d’attraction que la Chine exerce sur ses partenaires africains obtient de réels
succès, sa stratégie africaine n’est pas exempte de faiblesses : elle demeure cantonnée
à la sphère étatique ; elle sacralise le principe de souveraineté, ce qui n’exclut pas des
risques de récupération pour justifier les dérives autoritaires de certains leaders africains;
elle est confrontée à la mauvaise image découlant de « l’aventurisme entrepreneurial » de
certains hommes d’affaires chinois en Afrique. De surcroît, Pékin doit se consacrer à des
préoccupations internes telles la modernisation et la résolution des tensions sociales de
plus en plus diffuses. Ce qui précède relativise l’omnipuissance présumée de la Chine
en Afrique et fait le deuil de la conception rigide qui montre la politique chinoise comme
une stratégie unique et monolithique décidée depuis Pékin. Par ailleurs, on l’a vu, la Chine
est loin d’être l’unique opérateur asiatique émergent à opérer sur les marchés africains
où l’Inde se montre très dynamique, et où les opérateurs traditionnels, européens et
américains, ne se désengagent point, l’Afrique offrant encore de très bonnes opportunités
dans certains domaines.

L’impact de l’implication d’autres acteurs rend encore plus complexe la constellation


des forces et génère un enjeu de puissance qui certes crée des opportunités inédites,
mais engendre également des défis considérables aussi bien pour l’Afrique que pour les
partenaires extracontinentaux. Depuis le début du siècle, on assiste en effet à un «retour»
de l’Afrique dans le jeu international. Le continent a été l’objet à tous les égards ces
dernières années : en 2009 par exemple, se sont rendus en Afrique, entre autres, le
ministre israélien des Affaires étrangères Avidgor Lieberman, le prince Albert de Monaco,
le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, le président russe Dimitri Medvedev
et même le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, qui a visité le Kenya, Djibouti et

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 101


les Comores. En plus du renforcement du pouvoir ou de la capacité de négociation de
l’Afrique, cette nouvelle donne pourrait faciliter un afflux de nouveaux investissements et
de débouchés inédits. Autrement dit, cette situation nouvelle donne aux pays africains
de nouvelles marges de manœuvre vis-à-vis de l’Occident et des institutions financières
internationales. La concurrence exalte la compétitivité au détriment des affinités d’antan.
Au Sénégal, la gestion du port de Dakar a été confiée, depuis le 1er janvier 2008, au
groupe émirati Dubaï Ports World, tandis que l’offre du groupe français Bolloré n’a pas été
retenue malgré son implantation historique dans ce pays.

Convaincue que son statut international ne se limite pas à la protection des États parias,
l’équipe dirigeante chinoise a, par exemple, incité le président soudanais à accepter le
déploiement d’une force au Darfour et s’est relativement distanciée de Robert Mugabe,
le président du Zimbabwe. Tout porte à croire qu’en cas de force majeure la coopération
sera privilégiée par tous, en partie en raison des interdépendances économiques globales.
D’autant que les intérêts chinois, européens et américains se côtoient dans plusieurs
pays. Ces constats expliquent une politique offensive et ambitieuse ambiguë car, si la
Chine aspire à peser sur le continent africain, elle doit apporter des ajustements et
des transformations à ses stratégies. D’où la politique des « quatre forces », présentée
par l’équipe dirigeante chinoise au corps diplomatique réuni à Pékin en juillet 2009 à
l’occasion de la 11ème conférence des ambassadeurs chinois : « être plus actif sur le plan
politique, plus compétitif au plan économique, améliorer l’image de la Chine et exercer un
attrait moral ». Ces orientations sont mues par l’intérêt national et s’imposent dans un
environnement où les partenaires traditionnels sont loin d’être déclassés alors que de
nombreux autres pays émergents concurrencent la Chine.

102 La perception chinoise de l’Afrique atlantique : Une nouvelle ruée géostratégique


Bibliographie

• ANDRE, P., L’évolution de la politique étrangère chinoise, Dossier N° 41;


• BROADMAN, H. 2006. Africa’s Silk Road, China and India’s New Economic Frontier,
Washington, DC, The World;
• CABESTAN, J. 2007. La montée en puissance de la diplomatie chinoise;
• DAVIES, M. 2007. China’s Special Economic Zone Model Comes to Africa, The China
Monitor, no 18;
• DENG, X. 1994. Selected Works of Deng Xiaoping. 1982-1992, vol. 3, Pékin, Foreign
Languages Press;
• GAYE, A. 2006. Chine-Afrique. Le dragon et l’autruche, Paris, L’Harmattan;
• LYNNE, R. 2000. China under Jiang, Londres, p. 121 et 122;
• SOPHIE, B. 2007. Asie dix ans après la crise, Paris, La Documentation française;
• SWAIN, M. 2000. The Modernization of the PLA: Implication for Asia Pacific security
and Chinese politics in TIEN Hung-Mao & CHU Yun-han.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 103


5
L’AFRIQUE DU SUD ET LE NIGERIA DANS LA
GÉOPOLITIQUE AFRICAINE :
DES PUISSANCES MOYENNES ÉMERGENTES
AFRICAINES, AU-DELÀ DES DÉBATS ET
CONTRE-DÉBATS

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 105


L’AFRIQUE DU SUD ET LE NIGERIA DANS LA
GÉOPOLITIQUE AFRICAINE : DES PUISSANCES
MOYENNES ÉMERGENTES AFRICAINES, AU-DELÀ DES
DÉBATS ET CONTRE-DÉBATS

5
Oumar KOUROUMA73

Introduction

Depuis la fin du 20ème siècle jusqu’au début du 21ème siècle, deux États africains plus que
tout autre sont au cœur des discours géopolitiques et de relations internationales traitant
de l’émergence économique et politique en Afrique. Il s’agit essentiellement de l’Afrique du
Sud et du Nigéria : deux pays qui provoquent à la fois espoir d’émergence économique et
rayonnement politique continental et international au regard de leurs nombreux atouts,
mais aussi une certaine prudence, voire méfiance quant à leur reconnaissance comme
membres du Club des États dits émergents d’aujourd’hui, en se fondant en cela sur les
multiples défis auxquels ils font face.

Mais, face à ces débats et contre-débats, il est important de s’interroger sur le contenu
réel de la puissance de ces États. C’est-à-dire qu’il convient de se demander : dans quelle
mesure peut-on considérer l’Afrique du Sud et le Nigéria comme des puissances moyennes
émergentes ? Quels sont leurs principaux défis ? Quels scenarios envisageables dans les
rapports entre ces deux Etats importants (et d’autres puissances) du continent au regard
de leurs défis et ambitions notamment en Afrique?

Cette réflexion tentera de répondre à ces questions à travers une analyse qui se penchera
en premier lieu sur les comportements de l’Afrique du Sud et du Nigéria dans la mise en
œuvre de leur puissance (I), avant d’aborder les défis et les perspectives des puissances
nigériane et Sud-africaine (II).

Telles que formulées, cette recherche sera menée dans le cadre de la géopolitique
envisagée comme une partie des relations internationales (HUGON, 2006). A cet effet
la démarche sera éclectique (KADONY, 2007) et contextualiste (particularisme ou
provincialisme méthodologique). D’où le départ du modèle de la multivectorialité de Marque
Barbara (BARBARA), pour l’adapter au contexte des comportements des puissances
moyennes émergentes africaines que sont le Nigéria et l’Afrique du Sud. Bien que visant
à contribuer au débat sur la reconnaissance ou non du statut de puissances moyennes

(73). Doctorant en Relations Internationales, Université Abdelmalek ESSAADI Tanger, Faculté des Sciences Juridiques,
Economiques et Sociales ; Chercheur associé à l’Observatoire d’Etudes Méditerranéennes Tanger.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 107


émergentes aux États d’Afrique, cette réflexion ne sera pas purement théorique74.

I. Les puissances Sud-africaine et nigériane en acte

Dans cette première partie, il sera question essentiellement de savoir comment les facteurs
de puissance (géographique, démographique, militaire, économique, technologique,
politique) dont disposent les deux pays, caractéristiques d’une puissance moyenne
régionale émergente, sont déployés sur le terrain (en Afrique et dans le monde) dans
l’exercice de la puissance. Ainsi, il conviendra d’aborder successivement chacune des deux
puissances : l’Afrique du Sud et le Nigéria.

1.1. L’Afrique du Sud


Par contextualisation, il conviendra de considérer trois grands niveaux d’analyse : le sous-
régional (1), le régional ou continental (2) et le global (3).

1.1.1. L’Afrique du Sud en Afrique australe : une position hégémonique

En considérant l’Afrique du Sud comme « le vrai géant »75 de la Southern African


Developpement Community (SADC), Leroueil Jacques met le doigt sur la nature profonde
de la place de ce pays dans ce qu’il convient d’appeler son pré-carré : c’est-à-dire l’Afrique
australe. Cette position est celle d’une puissance dominante dont la prépondérance
est si importante qu’elle n’est contrebalancée par aucune autre puissance : c’est une
position d’unipolarité où la puissance centrale l’est de fait (Vennesson, Sindjoun,
2000). Cette place qui s’affirmera fortement sur le plan économique a été tout d’abord
exprimée dans une stature de guide moral de sa sous-région. En effet, à la sortie de
l’apartheid dans les années 1990, forte de son passage exemplaire à la démocratie,
l’Afrique du Sud s’est érigée en puissance promotrice des droits de l’homme et de la
bonne gouvernance dans la nouvelle SADC (Nieuwkerk, Crouzel, 2005). Toutefois,
bien qu’aussi imposante par son économie et ses atouts politiques, l’Afrique du Sud
s’est vite rendue compte de la nécessité de redéfinir avec pragmatisme sa stratégie de
puissance dans cette sous-région. Celle-ci est désormais fondée sur le multilatéralisme
ou l’institutionnalisme stratégique dans le cadre de la SADC, sur une politique de soft-
power ou de co-optive power (NYE, 1992). Dans cette perspective, l’Afrique du Sud définit
ses intérêts dans la sous-région en tenant compte des préférences des autres. C’est

(74). En effet dans la suite de cet article, rédigée dans le cadre de cette recherche, une discussion théorique importante
est réalisée à partir d’une interrogation sur la pertinence du concept de puissance en général et de puissance moyenne
émergente dans le contexte africain. Au regard de la mutation actuelle du système international par la distribution de la
puissance (Organski), de la transformation de la puissance (Joseph Nye ; 1992 ; Bertrand Badie ; 2013), il est tout à fait
possible de sortir des conceptions rigides de cette dernière (Buhler Pierre; 2011 ; Abomo Pierre ; 2013), pour reconnaitre la
pertinence de ce concept dans le contexte africain. Cela implique la prise en compte de la nature de l’Etat en Afrique acteur
principal des relations internationales africaines malgré ses faiblesses (KADONY Nguway Kpalaingu ; 2007 ; Luc Sindjoun ;
2002), du niveau d’observation ou champ (sous-régional, régional, international) et du mode de déploiement de la puissance
en Afrique ou de l’exercice de l’influence par l’Etat africain même dans un rapport de dépendance (Luc Sindjoun ; 2002).
(75). Jacques Leroueil, La SADC, géant ou non ? : URL : http://terangaweb.com/la-sadc-geant-ou-nain/, consulté le
05/05/15

108 L’afrique du sud et le Nigeria dans la géopolitique africaine


ainsi qu’il a joué un rôle déterminant dans la redéfinition des compétences de la SADC
en 2005. Le pays dispose de chemins de fer et de routes le reliant à tous ses voisins et
la plus part des États de la sous-région. Ce qui lui permet de se positionner en source
de ravitaillement principale de ces États. De ce fait, ces derniers sont très dépendants
de son économie. Il en est ainsi de la Namibie dont l’économie est essentiellement
dominée par les capitaux Sud-africains notamment dans le domaine minier du diamant
et de l’uranium ; aussi l’essentiel des produits alimentaires et manufacturés de ce pays
provient d’Afrique du Sud. Pour le Botswana par exemple, 82% de ses importations sont
effectuées à partir de l’Afrique du Sud.

Enfin, l’Afrique du Sud contribue au décollage économique de ses voisins par la mise
en place d’infrastructures importantes comme le port de Maputo ou le chemin de fer
reliant ce dernier et Johannesburg. Cette sous-région est donc un marché important
pour l’Afrique du Sud avec ses voisins proches notamment dans le cadre de la Southern
African Customs Union (SACU). Cette importance considérable du poids économique
de l’Afrique du Sud dans cette sous-région a fait dire à Merveilleux du Vignaux que : «
la zone d’échange d’Afrique australe ressemble aujourd’hui, pour l’Afrique du Sud, à un
confortable pré-carré » (VIGNAUX, 2007-2008), où elle constitue 80% des économies
des pays de la SADC.

Sur le plan militaire, l’Afrique du Sud reste de loin la plus grande puissance militaire de
la sous-région. Ce qui lui permet de jouer un rôle déterminant dans sa stabilisation. C’est
ainsi qu’elle participa fortement au maintien de la paix au Lesotho par une intervention
militaire avec le Botswana, avant de s’impliquer profondément dans la négociation. En
République Démocratique du Congo (RDC, autre pays membre de la SADC), l’Afrique
du Sud a joué un rôle déterminant dans la résolution du conflit interne de ce pays, en
favorisant l’ouverture des discussions à Sun City et la signature de l’accord de Pretoria
entre les protagonistes. De même, dans ce pays (RDC), le contingent Sud-africain est le
plus important par son nombre dans le cadre d’un convoi Onusien de maintien de la paix.
L’Afrique du Sud y a aussi envoyé du personnel de différents départements ministériels
pour aider la RDC dans son fonctionnement administratif. Il en a été de même pour le
Burundi, où l’influence des dirigeants Sud-africains dans la résolution de conflit dans ce
pays a permis un retour à une stabilité plus durable.

Il apparaît que cette sous-région reste marquée par une « hégémonie douce » de l’Afrique
du Sud (Luntumbue, 2013). Elle est le centre et les autres États de la périphérie. Toutefois,
certains des États de cette périphérie (par exemple le Zimbabwe (Sindjouni, 2002) et
l’Angola) contestent parfois sur le plan politique cette prédominance.

C’est donc en étant bien enracinée dans sa sous-région ou pré-carré que l’Afrique du Sud
se déploie sur le continent africain.

1.1.2. L’Afrique du Sud comme une grande puissance africaine

« Du fait de l’importance des capacités du pays, les actions Sud-africaines exercent
une influence considérable sur la région » (Vennesson, Sindjoun, 2000). Dans le même
sens, Merveilleux du Vignaux, Michel Foucher et Dominique Darbon (Foucher, Darbon,

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 109


2001) reconnaissent le pays comme une puissance incontournable sur le continent
africain (Foucher, Darbon, 2001). Mais cela voudrait-il dire qu’elle y est hégémonique ?
En choisissant une démarche plus rigoureuse fondée sur l’identification des niveaux
d’observation, cette recherche entend voir l’Afrique du Sud dans la sphère régionale ou
continentale comme une grande puissance (mais non hégémonique), ceci dans la mesure
où la mise en lumière de plusieurs « pôles de puissance » (Luc Sindjoun ; 2002) permet
de remettre en cause l’idée d’une emprise hégémonique d’une quelconque puissance
africaine, et donc de l’Afrique de Sud. Toutefois, le pays demeure dans la cour africaine
des grands du continent. Le déploiement de la puissance Sud-africaine sur la région
peut être perçu en premier lieu sur le plan économique. En ce lieu, il faut dire que le PIB
du pays est depuis 2014 le deuxième en Afrique, et jusqu’en 2013, il représentait à lui
seul 25 % de la richesse produite sur le continent, et près de 40 % de la production
industrielle. L’Afrique du Sud dispose de 50 % du parc automobile africain et de 40 %
des infrastructures routières de l’Afrique (FIORINA, 2013). Jusqu’en 2009, l’Afrique du
Sud produisait 70% de l’électricité du continent, 65% de son acier. La moitié du réseau
ferroviaire africain se trouve en Afrique du Sud (2009). Ce poids lourd de l’Afrique du
Sud en Afrique se manifeste dans l’importance de ses investissements qui sont estimés à
près de 14 milliards de dollars entre 1995 et 2005 ; ses exportations vers les autres pays
du continent sont quant à elles passées de 5 milliards de rands en 1991 à 43 milliards
en 2002, dépassant ainsi celles destinées aux États-Unis et à certains pays d’Europe.
Ce qui fait d’elle le premier investisseur sur le continent devant les Etats occidentaux
partenaires de l’Afrique. L’autre aspect de cette influence s’exprime dans le dynamisme de
ses grandes entreprises. Ainsi cinq (5) d’entre elles s’affichent comme les plus importantes,
à savoir : la compagnie papetière Sappi, la compagnie pétrochimique Sasol, la compagnie
de télécommunication MTN, les brasseries SABMiller (2ème mondiale) et le géant minier
Anglogold (1er producteur mondial). Le pays y joue un rôle d’Etat du centre en exportant
essentiellement des produits finis (machines-outils, engins mécaniques, matériels de
transport, armes, produits chimiques ou en acier) dans le reste de l’Afrique. Les sociétés
Sud-africaines sont présentes en Angola, au Nigéria, au Gabon (pour les hydrocarbures),
au Burkina Faso, en Guinée, au Mali, au Ghana (pour les mines) et en Afrique du Nord
où le pays est surtout présent en Algérie (en raison des convergences politiques avec
ce pays, contrairement au Maroc avec qui les divergences sur la question du Sahara
demeurent d’actualité) dans les domaines : des hydrocarbures, les télécommunications,
les transports et le traitement des eaux.

Sur le plan politico-diplomatique, le comportement de grande puissance de l’Afrique du


Sud dans le contexte africain a connu deux grandes phases : la première a concerné la
réinsertion du pays dans le système international africain après avoir été isolée durant les
années de l’apartheid. A cet égard, la mobilisation de l’identité nationale dans la politique
étrangère Sud-africaine (constructivisme) a été très importante. Il s’agit en premier de la
transition démocratique exemplaire du pays, sa gestion responsable et pragmatique des
violations des droits de l’homme sous le régime d’apartheid et enfin, le charisme de son
leader politique Nelson Mandela. Dans cette perspective l’Etat-guide-modèle s’est érigé
en défenseur des droits de l’homme, de la bonne gouvernance, de la tolérance politique,
et des intérêts du continent. Ce qui lui a permis en 2002 d’accueillir le premier sommet
de l’Union Africaine, mais aussi de s’impliquer dans plusieurs résolutions de conflits en
donnant des leçons à ses pairs. Mais cette option fondamentalement idéaliste ne va

110 L’afrique du sud et le Nigeria dans la géopolitique africaine


pas être bien perçue partout en Afrique. D’où, l’adoption d’une démarche plus réaliste et
pragmatique avec l’arrivée au pouvoir de Thabo Mbeki. Ainsi, l’Afrique du Sud va privilégier
la voie de l’institutionnalisme stratégique. Le pays jouera un rôle déterminant dans la
redynamisation des institutions continentales et sera à la base de plusieurs initiatives en
faveur de l’Afrique. Cette nouvelle dynamique est inaugurée dès 1999 par Thabo Mbeki
qui cherche à « concilier solidarité africaine et politique de puissance » (Vignaux, 2007-
2008). Jacob Zuma (au pouvoir depuis 2009) évolue dans la même voie : une politique
étrangère plus centrée sur les intérêts du pays (Trachsler, 2011). Cette Realpolitik Sud-
africain prend pour appui idéologique le panafricanisme, dans sa version Sud-africaine
décrétée par Thabo Mbeki dans les discours de la «  Renaissance africaine » (depuis
Nelson Mandela) qui signifie que « l’Afrique trouvera son salut dans son unité politique
(FIORINA, 2013). C’est ainsi que l’Afrique du Sud contribuera fortement (avec la Lybie de
Kadhafi) à la mise en place de l’Union africaine dont elle assurera la première présidence
en 2002 (sous Thabo Mbeki). Elle préside actuellement (depuis 2012) la commission
de l’Union via son ancienne ministre des affaires étrangères Nkosazana Dlamini-Zuma.
Aussi, dans le cadre de la déclaration : « L’Afrique du Sud ne peut être un îlot de prospérité
dans une mer de misère » de Thabo Mbeki, l’Afrique du Sud a été initiateur du très
ambitieux programme panafricain : le NEPAD (New Partnership for Africa’s Development)
mis en place au sommet de Lusaka en 2001. C’est un instrument fondamental de la
stratégie multilatéraliste de l’Afrique du Sud. Ce programme redéfinit les grandes lignes
d’un nouveau partenariat de l’Afrique avec le reste du monde et du décollage économique
du continent. Il s’agit notamment : des « initiatives pour la paix, la bonne gouvernance, la
libéralisation des échanges (favorisant les investissements directs étrangers ou IDE), et
le choix de la région comme cadre de développement » (Vignaux, 2007-2008). Le pays
exerce aussi une importante influence dans les stratégies africaines de développement
scientifique comme la « New Science, Technology, Innovation Strategy for Africa »,
adoptée par l’assemblée générale de l’Union africaine en Juillet 2014. L’Afrique du Sud
y est identifiée par son ministre des sciences et des technologies comme « ... one of the
champions... ». Ainsi, la diplomatie Sud-africaine apparait donc comme l’une des plus
dynamiques sur le continent. Cela peut se voir dans le cadre de la résolution des conflits
où l’outil diplomatique est fortement appuyé par l’instrument militaire.

Dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité sur le continent, l’Afrique du


Sud, la plus importante puissance militaire africaine, joue un rôle considérable même si
toutes ses actions ne sont pas toujours couronnées de succès. Bien qu’exerçant une très
grande influence par rapport au plus grand nombre d’États africains, l’Afrique du Sud
emploie principalement un institutionnalisme stratégique : elle passe par les institutions
pour se positionner comme l’un des piliers fondamentaux de la Pax africana. Le pays était
ainsi reconnu jusqu’en 2009, comme étant le premier participant africain aux opérations
onusiennes avec 1900 hommes dans différents conflits comme celui du Darfour, en
Somalie et en RDC. Dans la même lancée, le pays entend jouer un grand rôle dans la
force africaine en attente. Pour cela, depuis 2009, elle envisage une augmentation
de son budget passant de 1,5% du PIB à 2% et ses effectifs passeraient de 63.000 à
85 000 hommes. Des équipements militaires sont aussi renforcés dans ce cadre : quatre
corvettes Meko 200, trois sous-marins du type U 209, achetés à l’Allemagne.

La prépondérance de l’Afrique du Sud dans la politique militaire Sud-africaine se dégage

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 111


aussi dans l’emploie de sa force militaire maritime. Consciente de son importance
stratégique et de son poids en matière d’armements maritimes, l’Afrique du Sud cherche
à développer une coopération avec les différents États africains (à commencer par ses
voisins) en vue de faire face aux grands fléaux de piraterie, de trafic de drogue, de pêches
illégales qui assaillent les côtes africaines. Une démarche collective dans laquelle le pays
compte bien affirmer son leadership militaire dans les mers africaines et assurer la
protection de ses intérêts en mer. A ce propos, le Vice-Amiral Johannes Mudimu appelle
à la coopération régionale pour lutter contre ces nouvelles menaces : « in most cases,
maritime threats are transnational and to achieve success calls for a collective action that
is enhanced through fostering mutual co-operation and the exchange of information » (DA
COSTA, 2010). C’est dans la même perspective que s’inscrira le Ministre Sud-africain de
la défense M. Joe Modise qui déclarait à la conférence sur la South African Navy et la
Renaissance Africaine : « We can play a significant role in helping to build their naval
capability and maritime interests for the common benefit of ourentire region. The Navy
could be at the leading edge of any such policy by providing a non threatening focus
co-operation… Clearly, if there is to be an African renaissance, then wemust guard our
maritime wealth, assist our neighbors in this respect and co-operate with the navies of
our continent » (DA COSTA, 2010). Ces discours trouveront leur concrétisation dans
différents mécanismes mis en place dans les années 1998 comme l’Association of
African States (AAS), l’Inter-State Defense and Security Committee (ISDSC) ou encore
le Standing Maritime Committee (SMC).

A la lumière de ces développements, il sied de reconnaitre que sur l’échiquier continental,


l’Afrique du Sud est une grande puissance par rapport aux autres États africains, en dépit
de son statut de puissance moyenne émergente sur le plan global.

1.1.3. La puissance Sud-africaine au-delà de l’Afrique : une puissance moyenne


émergente

En tant que puissance moyenne émergente, l’Afrique du Sud cherche à jouer un rôle
important sur la scène internationale à la fois dans la défense de ses propres intérêts
directs mais aussi en tant que porte-parole du continent ou des pays du Sud. Vue sous
cet angle, l’acte de puissance de l’Afrique du Sud va se situer dans deux endroits : le
domaine économique équivaut au domaine politique (qui inclut la dimension militaire de
l’expansion internationale Sud-africaine).

Sur le plan économique, il faut dire que c’est avec la fin de l’apartheid que l’Afrique du
Sud entame une véritable ouverture économique internationale après plusieurs années
d’embargo international. En effet, en effectuant une transition démocratique tout
à fait exemplaire, l’Afrique du Sud a su maintenir un climat social apaisé et favorable
aux investissements. Ce qui lui a permis de maintenir des liens solides avec les États
occidentaux (avec lesquels le régime d’apartheid entretenait déjà des relations renforcées
dans le contexte de la guerre froide). Ainsi plus de 80% des exportations du pays sont
destinés à l’étranger en dehors du continent africain (jusqu’en 2009). Les principaux
clients de l’Afrique sont l’Union européenne (avec laquelle elle a signé un accord de libre-
échange en 2002), la Grande Bretagne, l’Allemagne, les Pays-Bas, la France (qui a vu ses

112 L’afrique du sud et le Nigeria dans la géopolitique africaine


grandes entreprises conquérir le marché Sud-africain ces dernières années : Renault,
Alstom, Areva). L’Afrique du Sud exporte aussi de très grandes quantités de matières
premières vers les pays du Nord, notamment celles qui rentrent dans la fabrication des
composantes électroniques : le chrome (90% des importations américaines, 50% pour
l’Union européenne) et le titane. Il faut aussi noter que les ports Sud-africains servent
les grands navires commerciaux du monde. Tout ceci confère au pays une position
géostratégique très importante.

Dans le cadre des échanges économiques Sud-Sud, l’Afrique du Sud est un pays
très dynamique qui cherche à marquer sa présence et renforcer ses intérêts avec les
grands pays émergents. A cet effet, le pays est, depuis 2011, membre des BRICS (Brésil,
Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) qui se présentent comme une alternative à la
prédominance financière et politique occidentale. L’Afrique du Sud est aussi membre de
l’IBSA qui est un G3 formé de l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud et qui a pour but de
développer des échanges économiques entre ses membres, leur permettre d’influencer
sur les négociations internationales notamment au sein de l’organisation mondiale du
commerce pour favoriser la mise en place de règles nouvelles. Ceci est un comportement
typique d’une puissance moyenne émergente telle qu’identifiée par Barbara Marque
(BARBARA, 2011).

Avec l’Asie, l’Afrique du Sud est l’un des membres fondateurs en 1997 de l’Association de
la couronne de l’Océan Indien pour la coopération régionale (IOR-ARC), qui rassemble 18
pays riverains de l’océan Indien. Elle entretient également des échanges très importants
avec la Chine, lesquels représentent 20% des échanges sino-africains. Cependant, bien
qu’en pleine progression, ces échanges économiques avec la Chine, souvent semblables
à des échanges Nord-Sud (matières premières contre produits finis) suscitent de
nombreuses critiques au sein de l’élite Sud-africaine (Thabo Mbeki). Avec la Russie, les
relations commerciales vont de l’exploitation minière (étant tous deux des pays miniers :
diamant, or...) aux échanges de technologies notamment dans les domaines de la
technologie spatiale, du nucléaire et du montage d’automobile.

Sur le plan politique global, l’Afrique du Sud continue à faire usage de son image
issue de sa transition démocratique. Avec cette dernière, elle bénéficie auprès des
Occidentaux d’une certaine crédibilité en tant qu’Etat défenseur des droits de l’homme,
de la liberté, de la tolérance et de la diversité. C’est ainsi que le pays fera son entrée
sur la scène internationale en réintégrant les institutions internationales : tels que
l’ONU76, l’UNESCO77, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), ou
en marquant sa présence véritable. Mais, en tant que puissance moyenne émergente, la
démarche Sud-africaine est marquée à la fois par la promotion des valeurs et principes
moraux internationaux (allant dans le sens de l’approbation occidentale), en même temps,
et contrairement aux attentes occidentales, le pays s’affiche comme un fervent défenseur
des pays du tiers monde parfois contre les premières valeurs et des principes (dans leur
compréhension occidentale). Ainsi, l’Afrique du Sud entretient de très bonnes relations
avec les Etats Unis, vote même au conseil de sécurité des sanctions contre l’Iran pour son
programme d’enrichissement nucléaire en mars 2008. Cependant, au même moment,
(76). L’Organisation des Nations Unies.
(77). L’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 113


elle se montre très hostile à certains projets occidentaux sur le continent, en tant que
représentant principal de ce dernier. Ce fut le cas des projets américains pour un centre
de commandement militaire américain pour l’Afrique (Africom) ou celui pour la création
d’une force africaine d’interposition (African Crisis Response Force). L’Afrique du Sud
dans cette lancée se veut un partenaire qui doit être associé à tous les projets sécuritaires
sur le continent. C’est pourquoi la France a d’ailleurs inscrit ses actions dans ce sens.

Avec l’Union africaine et d’autres puissances africaines (Nigéria, Algérie, Egypte), l’Afrique
du Sud demande une réforme du conseil de sécurité des Nations Unies afin que deux
sièges permanents soient attribués à l’Afrique, un étant de facto et de jure échu à la
puissance Sud-africaine.

L’Afrique du Sud utilise les mécanismes des BRICS ou de l’IBSA pour défendre les intérêts
du Sud, pour parler en leur nom. Ce qui en fait un chantre des pays du Sud. A cet égard,
elle ne s’empêche pas de fréquenter des États qualifiés infréquentables par l’occident
comme la Syrie, le Cuba, le Zimbabwe etc.

Au regard de ce développement qui est bien loin d’être exhaustif, il ressort que le
comportement de l’Afrique du Sud en tant que puissance moyenne émergente est marquée
de complexité, elle varie et augmente en intensité conformément au niveau d’observation et
selon que l’on se déplace de la sphère internationale vers le pré-carré sous-régional. Mais
dans l’ensemble, il reste marqué par les fondamentaux qui caractérisent les puissances
moyennes à savoir leur rôle de médiateur, de promoteur des normes internationales, mais
surtout, par celui d’acteur porté par le désir ardent de réviser les règles internationales,
réformer les institutions internationales afin de promouvoir les intérêts des États du Sud,
principalement ceux de l’Afrique. Dans cette lancée, l’Afrique du Sud ne suit toujours pas
la même voie que les grandes puissances occidentales. Mais qu’en est-il du Nigéria ?

1.2. Le Nigéria
A l’instar de l’Afrique du Sud, le Nigéria déploie sa puissance dans trois cadres
géographiques principaux : le cadre sous-régional (1), celui régional (2) et la sphère globale
(3).

1.2.1. Le Nigéria comme un hégémon ouest-africain

Pour mettre en lumière la position hégémonique qu’occupe aujourd’hui le Nigéria dans


l’espace ouest-africain, Jean Bernard Veron, conseiller à la direction de la stratégie de
l’Agence Française de Développement, écrivait : « L’effacement progressif de la France,
entamé avec la dévaluation du franc CFA en 1994 et qui se poursuit depuis en dépit de
louvoiements entre interventionnisme et repli, a laissé l’Afrique de l’Ouest sans tuteur.
Jamais vraiment remise de la période des ajustements structurels des années 1980
et incapable de se construire un nouvel équilibre politique après la mort du Président
Houphouët Boigny, la Côte d’Ivoire dut rapidement rabattre ses prétentions à l’hégémonie,
y compris dans le champ plus restreint des autres pays francophones de la région. Seul
donc restait en lice le Nigeria pour jouer un rôle stabilisateur».

114 L’afrique du sud et le Nigeria dans la géopolitique africaine


En effet, pour mieux apercevoir la prééminence régionale du Nigéria, il faut revenir à
l’histoire du multilatéralisme dans la sous-région. En ce lieu, le Nigéria a été l’un des
initiateurs de la plus importante organisation sous-régionale ouest-africaine qui est la
Communauté Economique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) née en 1975 dont le
siège se trouve à Abuja. Comme le précise bien Michel Luntumbue, la création de cette
institution est intervenue dans un contexte géopolitique et historique tendue en Afrique
de l’Ouest ; il s’agit de la période post-guerre de Biafra où la France et ses suppléants
États francophones avaient soutenu les séparatistes nigérians afin d’affaiblir ce pays.
L’échec de ces hostilités et en vue de limiter les influences extérieures, particulièrement
française, le Nigéria a fortement appuyé la mise en place de cadre de concertation
entre les États Ouest africains (francophones, anglophones et lusophones). En même
temps le pays a très tôt encouragé la mise en place d’institutions de gestions communes
des principaux bassins hydriques comme le Niger, le lac du Tchad. C’est dans la même
perspective que l’on peut lire les interventions militaires du pays dans les conflits de
la sous-région : elles s’emploient toujours dans un cadre d’action collective ou sous-
régionale (Lutumbue, 2013). Ainsi, l’ECOMOG, qui est le bras-armé de la CEDEAO est
intervenu sous la direction du Nigéria dans la stabilisation du Libéria, de la Sierra Leone.
Ces interventions ont coûté au pays environ 8milliards de dollars (Osutokun, 2013) et
plusieurs hommes.

Ce rôle du pays a connu des évolutions importantes ces dernières années, notamment
avec le retour à la démocratie au Nigéria. Celles-ci se manifestent dans une prise en
compte de la démocratie, des droits de l’homme et de la bonne gouvernance dans les
instances sous-régionales. Le Nigéria a ainsi contribué aux réformes entreprises au sein
de la CEDEAO qui intègrent ces thématiques ainsi que celles de la sécurité et de la
paix. La diplomatie nigériane sera ainsi très dynamique dans la résolution pacifique de
plusieurs conflits politiques dans la sous-région comme en Guinée, en Guinée-Bissau et
au Togo. Son président Olusegun Obassandjo, faisant partie des grands médiateurs du
continent, a pesé de son poids dans ce dynamisme de la politique étrangère nigériane.

Le président Goodluck Jonathan s’est aussi inscrit dans la même perspective, mais il
n’a pas compris la réorientation de la politique étrangère nigériane dans son pré-carré.
Certains analystes des récents conflits dans la sous-région comme le Sud-africain
Adekeye Adebajo, directeur exécutif du Centre for Conflict Resolution (Cape Town), ont
rapidement conclu à une perte d’influence du Nigéria dans cet espace au profit de la
France (Luntumbue, 2013). Cependant, selon l’étude de Michel Luntumbue, il faut y voir
des actions diplomatiques cohérentes selon les redéfinitions des intérêts nationaux du
Nigéria où la défense de la démocratie et des intérêts économiques propres figurent au
premier rang. C’est ainsi que, contre l’irruption de l’Afrique du Sud et de l’Angola en Afrique
de l’Ouest dans le conflit ivoirien et leur soutien à une solution négociée du conflit post-
électoral, le Nigéria a soutenu les résultats des urnes qui rendaient Ouattara vainqueur. Il
a aussi encouragé l’intervention française en concordance avec ses intérêts notamment
dans la protection de ses ressortissants (qui exercent des activités économiques en
Côte d’Ivoire) qu’il avait commencés à évacuer. Les retombées de ces prises de position
n’ont pas tardé après la stabilisation de la Côte d’Ivoire : deux compagnies pétrolières
nigérianes ont pu obtenir des permis d’exploitation en Côte d’Ivoire, et des coopérations
commerciales sont en train de se mettre en place. La récente visite d’Avril 2015 au

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 115


Nigéria, du président ivoirien Alassane Ouattara, témoigne de l’excellence des relations
entre les deux États. Il en est de même pour la crise malienne où le Nigéria, très préoccupé
par les mouvements terroristes, a misé sur une stratégie de partage des fardeaux. Il va
tout de même contribuer à la mise en place de l’accord-cadre qui a favorisé la transition,
avant d’y déployer 1200 soldats dans le cadre de la mission internationale de soutien au
Mali (MISMA).

L’autre levier de l’influence hégémonique nigériane est sans doute ses grands moyens
financiers et économiques. A cet égard, en collaboration avec la Banque Africaine de
développement, le Nigéria a mis en place un fond d’appui au développement pour les
Etats d’Afrique occidentale qui peuvent avoir accès à des prêts à taux concessionnels. Il
s’agit du Nigeria Trust Fund (NTF) ou le Fond spécial du Nigéria dont le capital est passé
de 80 millions de dollars des débuts à 200 millions de dollars en 2013 (Udo, Ekott, 2013).
Le pays joue aussi un rôle déterminant dans les négociations entre la CEDEAO et l’UE. Il a
ainsi influencé la communauté dans son refus de l’accord de Partenariat économique (APE)
avec l’UE, jugeant celui-ci défavorable pour la sous-région. L’importance de l’expansion
du secteur privé nigérian n’est pas sans impact sur la sous-région. Le premier de ces
acteurs privé nigérian est sans doute Aliko Dangote (avec plus de 20 milliards de dollars
de fortune). Son entreprise Dangote Cement évoluant dans le domaine du Ciment dispose
de trois cimenteries au Nigéria et a lancé la construction de treize autres dans la région
(Michel Lutumbue). Les Nigérians sont presque présents dans tous les pays d’Afrique de
l’Ouest et sont très dynamiques dans le domaine économique.

Ainsi, loin d’être le signe d’une perte d’influence, la nouvelle configuration de la puissance
nigériane dans la sous-région apparait plus comme l’élargissement de sa légitimité à la
fois dans la sous-région, en Afrique et dans le monde. Les dernières élections réalisées
cette année 2015 dénotent de ce souci du pays d’être un exemple dans la sous-région et
pour le reste du monde. Donc renforcer son assise sous régionale par l’emploi d’un « soft
power » est fondamental pour le Nigéria en tant que puissance moyenne émergente.

A ce propos, le politologue Detlef Nolte du German Institute for Global and Areas studies
(GIGA), notait : « les politiques d’alliances et d’institutionnalisation régionales font partie
des ressources stratégiques des puissances moyennes, désireuses de sécuriser leur
espace politique, et constituent un moyen de contenir l’influence d’autres États plus
puissants ou concurrents » (Nolte, 2010). Dans cette perspective, ces puissances, tel que
le Nigéria, déploient une stratégie d’« hégémonie douce » ou « hégémonie coopérative »
qui leur permet d’asseoir une « une domination [...] plus stable et plus légitime parce qu’elle
coopte d’autres pays via des incitations positives, car elle garantit la stabilité dans la
région, et parce qu’elle rend [en principe] plus difficile la constitution de contre-alliances à
l’intérieur de la région ou à l’extérieur avec les États de la région » (Nolte, 2010). Il y a donc
comme une pax nigeriana (Lutumbue Michel, D.C. Bach) en Afrique de l’Ouest.

C’est donc sur cette base plus ou moins solide et stable (bien que très dynamique) que le
Nigéria se projette sur le continent : son influence dans cette sphère plus large apparait
comme le continuum de celle de la sous-région mais sans être hégémonique.

116 L’afrique du sud et le Nigeria dans la géopolitique africaine


1.2.2. Le Nigéria comme une grande puissance africaine

Lorsque l’ancien président nigérian, Goodluck Jonathan, déclarait : « l’Afrique reste la


pièce maîtresse de notre politique étrangère et j’ai toujours cru que si de réels progrès et
le développement doivent advenir en Afrique, nous devons les initier nous-mêmes. Nous
ne pouvons pas continuer à attendre que d’autres le fassent pour nous ». Cette déclaration
met en exergue les principes et objectifs fondamentaux de l’action internationale nigériane
qui place l’Afrique au cœur de la politique étrangère nigériane tant sur le plan politico-
militaire que dans le domaine économique.

En effet, depuis la période de la décolonisation, le Nigéria a toujours œuvré pour la


liberté totale du continent au point que les Américains parlent de « pax nigeriana » en
Afrique (Daniel C. Bach). Pendant cette phase cruciale de l’histoire africaine, le Nigéria
emploiera ses ressources financières issues du pétrole au service de la libération des
territoires africains sous occupation coloniale. Il appuiera les mouvements de libération
nationale comme l’African National Congress (ANC) d’Afrique du Sud (luttant contre le
régime d’apartheid), le Movimento Popular de Libertação de Angola (MPLA) en Angola, le
Frente de Libertação de Moçambique (FRELIMO) au Mozambique, la South-West African
People’s Organisation (SWAPO) en Namibie. Ce qui a permis à ses différents régimes
militaires de se légitimer aux yeux de l’opinion publique africaine (Lutumbue, 2013). Ce
Nigéria perçu comme champion dans la libération du continent va mettre en œuvre
l’institutionnalisme stratégique pour devenir l’une des puissances les plus importantes au
sein de l’Union africaine.

En ce lieu, il faut dire que le Nigéria d’Olusegun Obasandjo a fortement contribué, avec
le Sud-africain Thabo Mbeki et le libyen Mouammar Kadhafi, à la réforme de la défunte
Organisation de l’Unité Africaine pour la mise en place de l’Union Africaine dans la
perspective de la renaissance africaine. Dans cette lancée, le président nigérian sera l’un
des membres influents du Mécanisme d’évaluation par les pairs (MAEP), une institution
dont le but est de promouvoir la démocratie et la bonne gouvernance sur le continent.
Ainsi, fort de ses réformes institutionnelles en matière de démocratie et gouvernance
(malgré la persistance de certaines insuffisances), le Nigéria devait exercer un soft
power sur la scène internationale africaine. Mais ce nouveau contexte d’orientation de la
politique étrangère qui connait l’arrivée au pouvoir du président Jonathan, sera marqué
par la critique de l’exercice traditionnel de la puissance nigériane. Celui-ci est jugé trop
soft dans la mesure où le Nigéria s’est toujours abstenu de candidater aux principales
directions des institutions africaines et même sous-régionales, au nom de la promotion
de l’Unité africaine (Olugbenga, 2013). Partant, le pays se veut plus attentif à ses intérêts
nationaux (matériels et immatériels comme les valeurs démocratiques) en faisant des
choix rationnels et en évaluant les coûts et les bénéfices. C’est dans cette perspective
théorique qu’il convient de lire les interventions récentes du Nigéria au Mali et en Côte
d’Ivoire (présentées plus haut). En véritable puissance moyenne émergente, le Nigéria fait
usage de la Niche diplomacy, en privilégiant certains domaines par rapport à d’autres.
Cependant, ceci intervient après que le pays se soit forgé une véritable place en matière
de participation aux opérations de maintien de la paix et de la sécurité.

En tant qu’une des plus importantes puissances militaires sur la scène internationale

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 117


africaine (4èmedépense militaire, un effectif de plus de 80.000 hommes et d’importants
équipements nouveaux), le Nigéria s’est taillé la réputation d’être l’un des premiers États
africains les plus dynamiques dans le maintien de la paix et de la sécurité en Afrique.
A ce titre Luntumbue note : « le Nigéria est de loin le premier pays africain pourvoyeur
de troupes pour les missions de maintien de la paix de l’ONU, domaine dans lequel le
pays s’est bâti une solide réputation ». En Effet, juste au lendemain de son accession à
l’indépendance, le Nigéria participait à sa première mission sous les bannières de l’ONU
au Congo en 1960. Le pays comptait en 2013 plus de 6000 hommes dans les missions
onusiennes en Somalie, au Soudan, au Mali, en Côte d’Ivoire (Olugbenga, 2013). Dans ses
missions, le Nigéria assure le plus souvent la direction des opérations comme c’est le cas
au Mali dans le cadre de la MISMA où le major-général Shehu Abdulkadi (nigérian) dirige
la mission. On peut donc bien conclure avec Luntumbue  que « plutôt que d’accréditer la
thèse d’un déclin de l’influence du Nigéria, il faudrait y voir une évolution de sa politique
extérieure vers une approche plus pragmatique, qui privilégie plus que jamais le choix
du multilatéralisme, mais aussi un positionnement formel en faveur de la démocratie –
conforme aux principes défendus par la CEDEAO –, ainsi que la nécessaire défense des
intérêts économiques et stratégiques du pays ». Mais c’est dans la sphère globale que le
comportement de puissance moyenne émergente du pays se dégage véritablement.

1.2.3. Le Nigéria sur la scène globale : entre médiation, contestation et


projection

En commençant par les Occidentaux, il faut dire qu’ils demeurent depuis l’indépendance du
Nigéria des partenaires privilégiés même pendant la guerre froide où le pays brandissait
la carte de la neutralité ou du non-alignement, observe Daniel C. Bach (Bach, 1988). Le
pays a toujours évolué dans la voie du capitalisme, et aujourd’hui de la démocratie et de
la bonne gouvernance.

Cependant, malgré cet attachement à l’occident, le Nigéria a joué un grand rôle dans
la libération du continent. C’est à ce titre qu’il intervient comme interlocuteur privilégié
des puissances occidentales dans la lutte contre le système d’apartheid en Afrique du
Sud, dans la libération de l’Angola ou encore de la Rhodésie (actuelle Zimbabwe). Pour
cette dernière, le Nigéria d’Obassandjo sera associé à un plan anglo-américain devant
lui conduire à intervenir militairement en Rhodésie. Il s’ensuivra une visite du président
nigérian Olusegun Obassandjo à Washington avant de celui du président américain
Jimmy Carter à Lagos en avril 1978. Dans la même dynamique, les Etats Unis (sous
Carter) appuieront l’élection du Nigéria au Conseil de sécurité de l’ONU.

De sa part, le Nigéria utilisera cette tribune pour mettre pression sur les Occidentaux
pour la libération de territoires africains comme la Namibie et l’Afrique du Sud. Le
président nigérian Shehu Shagari déclarera dans ce sens à Walter Mondale (Vice-
président américain) : «...qu’après l’accession du Zimbabwe à l’indépendance, la Namibie
et l’Afrique du Sud doivent « être libres pour que l’amitié américano-nigériane continue à
se développer». Pendant ces périodes, le Nigéria va parfois faire usage de son instrument
économique qu’est le pétrole pour exercer la pression sur les États occidentaux en les
menaçant d’embargo. Ce fut ainsi le cas avec les entreprises pétrolières anglaises comme

118 L’afrique du sud et le Nigeria dans la géopolitique africaine


British Petroleum au Nigeria dont les avoirs seront nationalisés. Il défiera l’administration
Ford aux États Unis en reconnaissant en 1975 le mouvement populaire de libération de
l’Angola (MPLA) comme seul représentant de l’Angola, et en lui apportant de l’aide militaire
et financière. En 1976, le Nigeria va refuser à trois reprises de recevoir le secrétaire d’Etat
américain Henry Kissinger, il s’opposait à ses initiatives pour une résolution du conflit en
Rhodésie (Daniel C. Bach) (Bach, 1988). Toutefois, en dépit de ces désaccords, le Nigéria
demeure reconnu par les Etats Unis comme « mediator » en Afrique.

La finalité de tous les efforts du Nigéria est précisée ici par Daniel C. Bach qui écrit : « la
politique nigériane en Afrique australe [dans son rôle d’intermédiaire et représentant
du continent] allie de façon indissociable une volonté de promouvoir l’indépendance de
la région à un souci de légitimer et de justifier auprès des États membres de l’OUA
l’émergence d’un leadership nigérian en Afrique subsaharienne » (Bach, 1988).

Ce dynamisme est aujourd’hui poursuivi par le Nigéria devant les instances internationales
pour la défense des intérêts de l’Afrique. C’est ainsi que le pays interviendra auprès du
G8 avec l’Afrique du Sud de Thabo Mbeki, pour une meilleure réinsertion de l’Afrique
dans la mondialisation.

Outre ce rôle de médiateur, le Nigéria est devenu aujourd’hui un acteur de plus en plus
important dans les affaires économiques et sécuritaires africaines et ce, depuis les
attentats du 11 septembre 2001. En effet, la montée de la menace terroriste à la fois
pour les États occidentaux et pour le Nigéria lui-même (avec Boko Haram), de même que
les menaces sécuritaires (piraterie, pêches illégales, trafics...) dans le golfe de Guinée et
l’importance stratégique et géoéconomique de cette région (où se côtoient gisements de
pétroles et de gaz...), de nouvelles donnes qui ont remis le Nigeria au cœur de la stratégie
des grandes puissances en Afrique et en ont fait un acteur incontournable à l’aube du
21ème siècle. L’émergence économique du pays ainsi que ses ressources énergétiques en
font aussi un centre de convoitises pour les pays occidentaux ainsi que pour les grandes
puissances émergentes que sont la Chine, l’Inde, le Brésil, et la Russie. Les premiers
désireux de réduire leur dépendance énergétique vis-à-vis du Moyen orient (une région
très instable ces dernières années) font route vers le Golfe de Guinée, il en est de même
pour les seconds plus soucieux de leur croissance et très énergétivores. Le Nigéria est
ainsi le lieu de l’afflux de grands investissements étrangers qui ont atteint les 9milliards
de dollars US en 2012.

Au regard de tout ce qui précède, le Nigéria s’affiche comme l’un des pays les plus
importants dans la géopolitique du 21ème siècle à la fois pour l’Afrique et le monde, en tant
que facteur de stabilité (ou d’instabilité), lieu de promesse d’après les grandes potentialités
qu’il présente. C’est un pays lancé dans une dynamique d’affirmation continue à la fois
dans sa sous-région, en Afrique et dans le monde.

Par ailleurs, cette analyse de la mise en œuvre de la puissance de l’Afrique du Sud et


du Nigéria aura montré la particularité des comportements des puissances moyennes
émergentes en Afrique dont la structure peut être formulée dans le cadre du modèle de
la « PUISSANCE TRICEPHALE », qui permet de rendre compte de cette complexité, cette
multi-facette de la puissance en Afrique.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 119


Ce modèle est fondé sur le constat que la configuration du système international africain
comprend trois grands niveaux d’observation du comportement d’une puissance moyenne
africaine : le niveau sous-régional, le niveau régional ou continental et le niveau global. A
chaque niveau une puissance moyenne émergente africaine adopte un comportement
propre tout en maintenant les fondamentaux qui caractérisent la puissance moyenne
en général : tels que le multilatéralisme, l’institutionnalisme stratégique, la promotion des
valeurs et principes, l’usage du soft power... Ainsi dans la sous-région, elle se comporte
comme un hégémon, c’est-à-dire que considérant cet espace comme son pré-carré, elle y
exerce son influence à un degré plus important, elle s’oppose fortement à toute influence
étrangère, elle s’y veut comme un guide, un Etat Pivot, de sorte que le dynamisme ou
la déstabilisation de la région dépende de sa situation (Luntumbue, 2013). Au niveau
continental, la puissance moyenne émergente africaine apparait non comme une
superpuissance, mais en tant qu’une grande puissance. C’est-à-dire qu’elle se comporte
comme une grande puissance proprement dite sur la scène internationale. En ce lieu, elle
s’affiche comme prédominante du fait de toutes ses potentialités, ce qui lui confère de
fait un poids plus important que les autres États. Elle pèse sur les décisions importantes
sur le continent. Mais en tant que puissance moyenne, elle ne brandit pas sa puissance
notamment dans son aspect hard power, mais l’emploie dans les cadres institutionnels, ou
de façon douce (soft power), tout en cherchant à s’afficher comme l’interlocuteur ou l’un
des interlocuteurs incontournables dans les affaires du continent. Le cadre institutionnel
devient le lieu de légitimation et d’exercice de son hard power, elle est donc le pilier concret
de la pax africana. Enfin, dans la scène globale, toutes les caractéristiques d’une puissance
moyenne émergente développées dans le modèle de la multivectorialité y sont réunies
par les puissances moyennes émergentes africaines : il s’agit du rôle de mediator entre
les grandes puissances globales et les autres États du continent ; l’institutionnalisme
stratégique notamment dans les grandes instances internationales ; la promotion des
valeurs dominantes de démocratie, des droits de l’homme et de bonne gouvernance ; la
Niche diplomacy, et le révisionnisme vis-à-vis de l’ordre international.

Mais, s’ils sont bien des puissances moyennes émergentes en Afrique, il faut reconnaitre
que le Nigéria et l’Afrique du Sud font face à de nombreux défis.

II. Défis et perspectives des puissances Sud-africaine et nigériane

En entendant le défi comme un «problème, [une] difficulté que pose une situation et que
l’on doit surmonter » (Larousse 2009), n’est-il pas pertinent de soutenir que « le défi est
à la puissance ce qu’est l’œuf à la poule », c’est-à-dire sans l’un l’autre peut-il exister ? Il
apparaît que le défi est un élément, une composante naturelle du champ de la puissance.
En concevant les choses sous cet angle, cette réflexion entend s’émanciper des discours
du « chao de la puissance en Afrique » au profit de l’importance voire de l’utilité des défis
pour les puissances. Elle cherche à affirmer que loin de sonner la fin de la puissance en
Afrique, les défis en annoncent l’existence et la pertinence. De même cette conception du
défi pose le problème de sa surmontabilité, rompant ainsi avec l’idéalisme de la puissance
ou son hyperbole pour ne prendre en compte que les efforts concrets qui sont déployés
pour transformer un défi en atout (transformer par exemple une grande démographie en

120 L’afrique du sud et le Nigeria dans la géopolitique africaine


atout de puissance).

Ainsi, il convient de reconnaitre qu’en tant que puissances moyennes émergentes


africaines, le Nigéria et l’Afrique du Sud font face à de nombreux défis. C’est à la lumière
de ces derniers et de l’articulation des puissances de ces Etats dans le contexte africain
et international que ce travail se penchera sur les perspectives.

2.1. Défis des puissances Sud-africaine et nigériane 


Appartenant à la même catégorie d’États, celle des puissances moyennes émergentes,
l’Afrique du Sud et le Nigéria présentent en grande partie les mêmes défis d’ordre
sécuritaire et socioéconomique et politique malgré les différences d’expression.

2.1.1. Les grandes difficultés de l’émergence Sud-africaine

Les problèmes ou les éventuels freins à l’émergence de l’Afrique du Sud sont à la fois
d’ordre interne et international. Toutefois, les difficultés internes sont de loin les plus
importantes.

En effet, plus de vingt ans après le régime d’apartheid en Afrique du Sud, le pays peine
encore à se relever de ses cendres. Les séquelles de ces longues années d’« exclusion »
de la majorité de la population demeurent visibles et s’accroissent d’ailleurs pour
certaines. Ce qui place toujours ce pays en bas des classements mondiaux pour
l’indice de développement humain (121ème sur 177) (Vignaux, 2009). L’Afrique du Sud
est confrontée à une profonde fracture sociale entre la majorité des exclus d’hier (noire,
métisse et indienne) et la minorité blanche. Les premiers montrent tous les chiffres
négatifs de la progression. Ainsi, avec 25% de chômeurs (Jean-François Fiorina ; 2013),
50% sont noirs, 30% sont métis, et 20% sont des Sud-africains d’origine indienne et 8%
seulement sont de la minorité blanche. D’après François Lafargue, « sur 200 élèves, seul
1 noir arrive à l’université contre 8 blancs », remettant en cause l’égalité des chances,
qui demeure encore un rêve dans la société Sud-africaine. Il en est de même pour le
taux de mortalité infantile de loin plus important chez la population noire et métisse que
chez les blancs. Dans le domaine de la répartition des terres arables, l’Afrique du Sud
fait face à « une profonde situation inégalitaire » que Merveilleux du Vignaux Guillaume a
qualifiée de « bombe à retardement » (Vignaux, 2009) en comparaison avec l’expérience
Zimbabwéenne bien observée par la majorité des Sud-africains. En effet, les fermiers
blancs qui ne forment que 13% de la population détiennent 90% des exploitations.
Envisagées en 1994, la répartition de ces terres s’est relevée très délicate, et depuis
environ 600 fermiers blancs ont été assassinés.

Cette situation sociale critique devient plus sérieuse lorsque la violence et la criminalité
s’y invitent. C’est d’ailleurs l’un des nombreux clichés qui sont collés à la « Nation arc-
en-ciel ». A cet égard, Graeme Simpson78, présentait la situation en ces termes : « Si
l’apartheid criminalisait toute forme de manifestation politique, la lutte pour la libération
politisait les actes criminels ». Ces derniers sont devenus le quotidien d’une bonne partie

(78). Directeur général du Centre for the Study of Violence and Reconciliation (CSVR) de Johannesburg.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 121


de la population exclue. En 2000, le pays en connaissait une flambée importante avec
22.000 victimes. Il en est de même pour les viols qui atteignaient 50.000. Ils favorisent
ainsi l’expansion du Sida qui est l’un des maux du pays, compromettant fortement sa
croissance démographique. Selon François Lafargue : « La population du pays devrait
s’établir en 2050 autour de 57 millions d’habitants, soit le 10e rang parmi les pays
africains contre le 5e aujourd’hui» (2014). L’immigration illégale et légale avec son lot
de colère sociale demeure l’un des problèmes de la société Sud-africaine, comme en
témoignent les récentes violences d’Avril 2015 contre les ressortissants étrangers des
pays voisins ou d’ailleurs.

Face à ses réalités, des actions ont été entreprises par les gouvernements post-apartheid
avec notamment l’affirmative action visant à favoriser l’accès de la majorité des exclus
à l’emploi, ou le Black economic empowerment qui incite les grandes industries à céder
certaines de leurs filiales à des entrepreneurs noirs ; deux mesurent qui ont permis
l’émergence d’une bourgeoisie noire et d’une certaine classe moyenne. Toutefois, elles
sont à leur tour contestées au sein de la population pour leur manque de solidarité.

L’Afrique du Sud connait aussi l’épineuse question de la fuite des cerveaux, notamment
pour la population blanche qui, souffrant des conséquences des mesures de discrimination
positive, émigrent parfois vers les Etats Unis, la Grande Bretagne et l’Australie. Ils sont
ainsi entre 20.000 à 40.000 chaque année à effectuer ce voyage.

A ces problèmes sociaux, il faut ajouter les difficultés énergétiques. En effet, avec
l’activité industrielle la plus importante du continent, l’Afrique du Sud a fait face ces
dernières années à des crises répétées de ses installations énergétiques. Ce qui a eu des
conséquences sur les industries extractives notamment.

Sur le plan international, la situation particulière de l’Afrique du Sud entre pays en voie
de développement et pays développé est à la fois un atout mais aussi un handicap. Pour
ce dernier, l’Afrique du Sud fait souvent face à un problème d’acceptation d’abord dans
sa sous-région notamment avec le Zimbabwe et l’Angola, mais aussi sur le continent où
certains prétendants comme le Nigéria n’hésite pas de remettre en cause ses positions
(l’exemple du conflit post-électoral ivoirien).

Avec les États occidentaux, l’Afrique du Sud est souvent qualifié d’Etat qui joue un double
jeu. D’une part, elle se présente comme grand défenseur des principes de liberté, de
démocraties et des droits de l’homme ; et d’autre part, elle évite de « heurter [...] les
sensibilités régionales [et] l’exigence de solidarité africaine, voire de solidarité Sud- Sud »
(Trachsler, 2011). Ainsi, pour Trachsler du Center for Security Studies (Suisse) 79, c’est cette
orientation qui explique, dans une large mesure son comportement conciliant vis-à-vis du
Zimbabwe ou son refus de sanctionner Myanmar, le Soudan ou l’Iran, ainsi que certaines
rhétoriques anti-occidentales de l’Afrique du Sud. L’auteur poursuit en constatant que « le
positionnement actuel de l’Afrique du Sud est caractérisé par une incertitude persistante
quant à son rôle ». Ce qui le conduira à conclure qu’ « il sera déterminant pour l’Occident
de voir si l’Afrique du Sud continue, sur le plan mondial, à opter principalement pour une
représentation des pays en voie de déve­loppement ou pour une fonction de liaison entre
(79). Center for Security Studies : www.ssn.ethz.ch

122 L’afrique du sud et le Nigeria dans la géopolitique africaine


le Sud et le Nord » (Trachsler, 2011).

Toutefois, malgré l’ensemble de ses facteurs qui tendent à relativiser la puissance de


l’Afrique du Sud, le pays fournit d’énormes efforts pour surmonter ses défis. C’est ce
que montre le retour progressif de la croissance dans le pays depuis le début de cette
année 2015 (Oxford Business group) (Blue Riz). De même, les mesures de discriminations
positives ont permis une grande amélioration du système d’enseignement supérieur et de
la scolarisation de façon général. De nombreux autres progrès, même dans la lutte contre
le Sida (notamment l’accès aux médicaments génériques), permettent de croire en l’avenir
d’un pays dont toutes les potentialités ne sont pas encore exploitées.

Mais, plus que l’Afrique du Sud, le Nigéria est au centre de tous les discours du fait de
l’importance considérable de ses défis.

2.1.2. Le Nigéria et les problèmes sécuritaires et socio-politiques

Souvent qualifié de « géant aux pieds d’argile », le Nigéria présente de nombreux défis qui
relativisent sans doute sa puissance dans la sous-région, en Afrique et dans le monde.
Le premier de ces défis se situe dans le domaine socioéconomique. A l’instar de la plus
part des pays émergents, le Nigéria connait une inégalité sociale très considérable.
Au pays de l’homme d’affaires le plus riche du continent, Aliko Dangote, le fossé entre
les riches et les pauvres est vraiment profond. En effet, plus de 70% de la population
nigériane vit en deçà du seuil de pauvreté (moins de deux dollars US par jour) (Hugon,
2006). Le taux de chômage reste élevé jusqu’aux élections de 2015, il concerne environ
24% de la population active. D’après Brahim Fassi Fihri du Think Tank marocain Amadeus
(Fihri), cette situation a entrainé une explosion de l’informel dans le secteur économique.
L’auteur souligne aussi la grande disparité entre les régions du Nord musulmanes et
fortement pauvre avec plus de 50% des chômeurs, et celles du Sud majoritairement
chrétiennes et ne connaissant que 20% notamment dans la région de Lagos. Il y voit l’une
des explications essentielles de la crise sécuritaire qui mine le Nord du Nigéria.

Pour cette dernière, il faut y voir le fait d’une chasse permanente de l’Etat nigérian contre
la « secte islamiste » Boko Haram. Mais comme l’analyse bien Marc-Antoine Pérouse
de Montclos du centre d’études et de recherches internationales de Sciences Po (De
Montclos, 2012), l’argument islamiste ou religieux à lui seul est très insuffisant pour
rendre compte de cette crise. Elle renvoie à la double crise sociale et politique de l’Etat
moderne au Nigéria. Pour l’auteur, c’est un mouvement qui « est surtout engagé dans une
logique de désobéissance et de confrontation avec les représentants d’un État « laïque »,
bien plus qu’avec les tenants d’un Islam traditionnel ». Il ne rejette pas complètement la
modernité (Marc-Antoine Pérouse de Montclos). Le mouvement Boko Haram peut être
reconnu comme un mouvement social qui conteste l’Etat dans son rôle social, son échec
en la matière, faisant régner un énorme sentiment d’injustice sociale. De Montclos écrit
à cet égard : « en fait de mouvement ethnique, le recrutement de Boko Haram parmi les
exclus de la croissance évoque davantage une révolte sociale basée sur une sorte de
théologie de la libération en faveur de la justice (adalci en haoussa) » (De Montclos, 2012).

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 123


L’autre facteur explicatif de cette insurrection est sans doute la violente répression
que l’armée nigériane exerce sur les populations du Nord dans ses actions contre les
mouvements religieux, entrainant d’énormes victimes parmi les citoyens. Les organisations
de défenses des droits de l’homme ont ainsi révélé des exactions de la part des forces
gouvernementales. C’est dans ce sens que De Montclos observe qu’ : « un rapide retour
sur la genèse de la secte Boko Haram montre ainsi que le mouvement de Mohammed
Yusuf n’a pas, initialement, de visées terroristes et insurrectionnelles. Ce sont surtout
la répression et les erreurs à répétition des forces de sécurité qui contribuent à le
radicaliser ».

Ainsi, il apparaît que les crises sociales et sécuritaires sont le reflet de la crise du champ
politique. A cet égard, un rapport du Senat français de 2009 constatait « une transition
démocratique inachevée, reposant sur des équilibres institutionnels délicats »80. En effet,
comme la plupart des États d’Afrique, et après un long cycle de coups d’Etat militaires
(une dizaine pendant plus de trente ans), le Nigéria a entamé sa transition démocratique
dans les années 1990 sous la direction d’Olusegun Obasanjo. Mais les caractéristiques
ethniques de cet Etat, véritable mosaïque démographique, ont souvent rendu difficile
l’évolution de la démocratisation et même l’organisation d’élection libres et transparentes.
Cependant, c’est l’état des élites (militaire, politique et économique) nigérianes qui est le
plus inquiétant. Principales détentrices du pouvoir, elles font fonctionner le champ politique
par le clientélisme néopatrimonialiste (M. Jean-François Médard). Par conséquent le
Nigéria reste l’un des pays les plus corrompus d’Afrique et où la vie politique est très
souvent personnalisée.

Toutefois, conscient de sa position et du rôle qu’il doit jouer sur la scène sous-régionale,
africaine et internationale, le Nigéria connait progressivement une certaine mutation
de son champ politique et économique vers les bonnes pratiques internationales de
la gouvernance. L’élection de Muhammad Buhary en Avril 2015 est très significative
à cet égard. Le géopolitologue français Philippe Hugon a ainsi parlé de « victoire de la
démocratie » et de « première alternance démocratique au Nigéria » (Hugon, 2006). Ce
qui dénote d’un progrès véritable dans la consolidation des institutions démocratiques,
mais surtout dans la maturité des hommes politiques et de la population nigérians. Ceci
n’est pas sans redorer l’image du pays à l’extérieur et accroitre son influence. Aussi, avec le
nouveau chef d’Etat, le Nigéria entend renforcer la crédibilité de ses institutions financières
qui ont connu d’énormes progrès depuis les premières réformes d’Obassandjo ; en même
temps que de faire face à la menace que constitue Boko Haram. A la lumière, de cette
mise en exergue des défis du Nigéria et de l’Afrique du Sud, il apparaît qu’en dépit de leurs
nombreux atouts, les deux pays présentent des difficultés qui ne sont pas des moindres et
qui sont révélatrices de leurs limites. Toutefois, il convient de s’interroger sur les rôles que
ces défis peuvent jouer dans l’avenir des deux puissances en termes de coopération ou de
rapport de puissance, de même quelle lecture prospective peut-on faire de leur influence
à la lumière des évolutions actuelles et futures du système international africain ?

(80). Groupe Interparlementaire d’amitié France-Afrique de l’ouest, le Nigéria, un incontournable géant, N° GA 87 -


Novembre 2009.

124 L’afrique du sud et le Nigeria dans la géopolitique africaine


2.2. Perspectives des puissances nigériane et Sud-africaine : entre rapport
d’influence et coopération
Dans cette phase cruciale de la réflexion, l’objectif est de poser la question de l’avenir des
rapports entre les puissances nigériane et Sud-africaine et leur rapport avec d’autres
puissances. A cet égard deux axes seront abordés : en premier, c’est la thèse selon
laquelle les rapports des deux Etats ainsi que leurs relations avec d’autres puissances
(africaines notamment) seront marqués par les luttes de préservation de leur hégémonie
sous-régionale et l’équilibre des leaderships continentaux (1) ; en second, c’est l’idée d’une
coopération nécessaire dans la perspective d’une pax africana (2).

2.2.1. Vers les luttes de préservation des hégémonies sous-régionales et


l’équilibre des leaderships continentaux

En s’appuyant sur quelques crises récentes sur le continent, notamment sur la crise
ivoirienne, cette analyse entend soutenir la thèse selon laquelle le renforcement des
pôles de puissance sur le continent (dans les sous-régions) entraine une distribution de
la puissance qui met en relief des hégémons sous-régionaux. Ces derniers entendent
préserver cette hégémonie contre les puissances d’autres sous-régions et même les
puissances extérieures, et l’utilisent pour asseoir leur point de vue sur le plan continental
se positionnant en tant qu’interlocuteur incontournable à l’échelle globale.

Dans le cas de la présente étude, la crise ivoirienne a permis d’observer cette tendance.
En mettant en lumière les divergences entre les grandes puissances africaines que sont
l’Afrique du Sud et le Nigéria et en consacrant la victoire du second sur la première.

En ce qui concerne cette crise ivoirienne, l’analyse qu’en a faite Vincent Darracq (Darracq,
2011) est l’une des plus sérieuses. En effet, après la proclamation des résultats du second
tour des élections présidentielles ivoiriennes du 28 novembre 2010 par la commission
électorale indépendante (CEI) donnant l’opposant Alassane Ouattara vainqueur (avec 54,1
% des voix) contre le président sortant Laurent Gbagbo (ONUCI, 2010), ces résultats sont
invalidés plus tard par la cour constitutionnelle ivoirienne qui va consacrer la victoire du
chef de l’Etat sortant avec 51,45 % des suffrages et après annulations des résultats dans
sept (7) départements. Mais, le même jour, le représentant spécial du secrétaire général
des Nations Unies en Côte d’Ivoire, Mr. Choi Young-Jin81, va reconnaitre les résultats de
la CEI, confirmant la victoire de l’opposant. Ces proclamations contradictoires seront à
l’origine d’une crise post-électorale sans précédent, entrainant une lutte féroce entre les
supporters des deux camps (opposition et parti au pouvoir) pour la détermination du
président légitime de la Côte D’ivoire. Le Nigéria, puissance hégémonique ouest-africaine,
va se présenter comme le défenseur des valeurs démocratiques et des résultats des
urnes certifiés par les Nations Unies ; alors que l’Afrique du Sud, puissance hégémonique
en Afrique australe, adoptera une posture de puissance anti-impérialiste. De part et
d’autre des facteurs internes, sous régionaux et continentaux vont jouer un rôle important
dans ces prises de positions. Pour le Nigéria, c’est l’évolution du système politique vers

(81). A noter que le représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU, Choi Ying- Jin, disposait d’un mandat de certification
des résultats par ordonnance présidentielle du 14 avril 2008 (Vincent Darracq ; 2011 : 361).

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 125


plus de démocratie depuis les années 1999. Le pays cherche sans complexe à faire régner
un ordre international africain en conformité avec les nouveaux textes de l’Union africaine
et de la CEDEAO qui promeuvent les valeurs démocratiques et les droits de l’homme.
Cependant, tout en se définissant comme la plus solide démocratie d’Afrique, l’Afrique
du Sud, sous l’influence des tendances dures de l’ANC et au nom d’un panafricanisme
anti-impérialiste, se veut en même temps le défenseur des intérêts du continent contre
les puissances étrangères (ici la France notamment et même l’organisation des Nations
Unies), c’est aussi dans le but de renforcer sa légitimité dans sa sous-région vis-à-vis
d’États anti-impérialistes comme l’Angola et le Zimbabwe, ainsi que le renforcement de
sa position avec les États membres du BRICS. Aussi l’Afrique du Sud a-t-elle choisit de
promouvoir son modèle du compromis ou le « power sharing » entre les protagonistes, ce
qui allait permettre à son camp, celui de Gbagbo, de se maintenir au pouvoir. Ces deux
positions vont fortement influer sur le déroulement et le dénouement des évènements en
Côte d’Ivoire.

Malgré plusieurs manœuvres Sud-africaines (même au sein de l’Union africaine qui a,


à certains moments, adopté les positions Sud-africaines) en vue de maintenir Laurent
Gbagbo au pouvoir, au nom de la manipulation des résultats des élections par l’extérieur
(comme le soutenaient les partisans du président sortant), le Nigéria et la CEDEAO (sous
influence nigériane) ont pesé de tout leur poids pour faire valoir la voie des urnes et
donc la position nigériane. Comme le remarque bien Vincent Darracq, cette « ... crise
ivoirienne a surtout démontré la capacité du Nigeria à mobiliser derrière ses positions
aussi bien la CEDEAO que, in fine, l’UA ». Ici, les notions de « pôle de puissance »,
d’hégémonie sous-régionale et « pré-carré » trouvent sans doute leur sens et permettent
de voir les éventuelles rivalités qui pointent à l’horizon même dans l’espace atlantique
africain au cœur de cette analyse. Il apparaît ainsi que si l’Afrique du Sud a perdu la
bataille sur le terrain ouest africain, c’est en grande partie dû au fait qu’elle n’était pas
chez elle. Toutefois, en réussissant à mobiliser les puissances de sa sous-région, elle
a montré à son tour sa capacité de fédérer ces dernières et d’agir en leur nom, sans
oublier les implications économiques d’un tel dynamisme notamment vis-à-vis de l’Angola,
ou politique pour ce qui concerne le Zimbabwe anti-occidental de Robert Mugabe. Par
ailleurs, si l’effectivité des hégémonies régionales est de loin démontrée ici, l’autre aspect
de l’analyse est la difficulté d’attribuer à une seule de ces puissances le leadership
continental car, il apparaît que là, le jeu est davantage un jeu d’équilibre.

Ainsi, le continent semble évoluer vers l’instauration de règles tacites de jeu qui
signifient que « chacun soit maître chez lui, nul ne peut commander dans un pré-carré
autre que le sien ». Une telle considération appelle à s’interroger sur l’avenir des relations
Maroco-nigérianes à la lumière de la poussée diplomatique du Maroc en Afrique de
l’Ouest. Favorisera-t-elle les relations diplomatiques entre ces deux pays importants de
l’espace atlantique africain ?

Toutefois, au-delà de ces luttes, ces puissances ont conduit au final à l’entente pour une
solution pour la Côte d’Ivoire. Ce qui explique la nécessité d’une certaine coopération.

126 L’afrique du sud et le Nigeria dans la géopolitique africaine


2.2.2. Le Nigéria et l’Afrique du Sud comme socle de la pax africana : la
coopération malgré les rivalités

L’évolution de la problématique de la paix et de la sécurité en Afrique ces dix dernières


années place le Nigéria et l’Afrique du Sud au cœur des réponses du continent. En effet,
après avoir été les grands artisans de la nouvelle configuration de l’Union africaine ainsi
que les initiateurs de grands projets comme le NEPAD (Nouveau Partenariat pour le
Développement de l’Afrique), l’Afrique du Sud et le Nigéria occupent une place de choix
dans l’outil de légitimation de l’exercice collectif de la force en Afrique à savoir : Le conseil
africain de la paix et de la sécurité. Il s’agit d’un « organe de décision permanent pour la
prévention » (Protocole UA, 2002), « la gestion et le règlement des conflits » (AU, 2004),
doté d’une « force en attente » et d’un « comité d’état-major ». Comme le souligne Yves
Alexandre Chouala, ce mécanisme traduit une « institutionnalisation de la puissance dans
les relations internationales africaines» (CHOUALA, 2005). Mais de quelle puissance
s’agit-il concrètement si ce n’est celle des États les plus importants du continent
à même de fournir des contingents pour les opérations de maintien de la paix. A cet
égard, l’Afrique du Sud et le Nigéria y jouent un rôle déterminant en tant que puissances
militaires africaines, très actives dans les opérations collectives sous mandat de l’ONU
et de l’UA. Cette coopération institutionnalisée entre puissances apparait comme une
véritable garantie de l’effectivité de la pax africana (avec sans doute l’implication d’autres
puissances telles l’Algérie, l’Egypte, l’Angola, l’Ethiopie etc...). Dans ce sens, le nouveau
mécanisme africain n’a pas hésité à reconnaitre la prépondérance des principales
puissances du continent. Ainsi, celui-ci est composé de 15 membres dont cinq sont élus
pour un mandat de trois ans « en vue d’assurer la continuité ». D’après Chouala, cette
continuité recherchée est pratiquement donnée par le jeu de la réélection des puissances
les plus capables. Ces dernières sur le continent africain aujourd’hui ne peuvent être
désignées sans compter le Nigéria et l’Afrique du Sud. Comme il a été montré plus haut,
elles ont toutes fortement contribué au maintien de la paix dans leurs sous-régions à
travers les mécanismes collectifs d’intervention militaire.

Le second lieu d’explication de cette thèse tient à l’importance géopolitique qu’a prise
l’espace atlantique africain (dans ses définitions extensives ou restrictives). Ce gain
d’intérêt à la fois lié à l’abondance de ressources énergétiques (pétrole et gaz), des
ressources minières dans la région, ainsi que des richesses économiques maritimes
comme le poisson, font de cette région l’objet de convoitise internationale d’envergure.
L’insécurité qui marque aussi cet espace en termes de trafic de drogue, de produits
énergétiques et de pêches illégales, la piraterie accroit les enjeux de cette région. En tant
que puissances importances dans cet espace, le Nigéria et l’Afrique du Sud sont appelés
à y jouer un rôle important. A cet égard, cette étude a montré l’intérêt que les deux
portent à la mer, et les moyens qu’ils mettent en place dans ce sens. L’Afrique du Sud
étant plus avancée que le Nigéria en matière d’armement maritime.

Enfin, l’avenir d’une coopération entre deux pays dans la perspective d’une pax africana
peut aussi s’observer sur le plan économique et social, sachant l’importance de ces
deux domaines dans la stabilité de nombreux pays africains dont ces deux pays. En
ce lieu, cette réflexion a pu montrer l’évolution de la coopération économique entre les
deux pays pionniers du NEPAD. Si l’un dispose un marché intérieur en pleine expansion

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 127


(le Nigéria), le second a les industries et la technologie les plus avancées. Cette
complémentarité peut sans doute favoriser une coopération au profit des deux et plus
loin du continent. Il en est de même pour la promotion des droits de l’homme et de la
démocratie. Le nouveau mécanisme africain les intègre comme des valeurs de bases ou
les principes moraux des relations internationales africaines. A ce niveau un consensus
semble bien se dessiner car le Nigéria a montré avec ses dernières élections qu’il est
bien prêt à rejoindre le club restreint des démocraties africaines (avec l’Afrique du Sud, le
Botswana, le Benin, le Ghana etc...).

128 L’afrique du sud et le Nigeria dans la géopolitique africaine


Conclusion

Au soir de cet exercice, qui n’entend pas dire la fin, il convient de noter deux grands moments
de réflexion articulés autour d’une thèse (affirmation de la puissance) et d’une antithèse
(relativisation de la puissance) cherchant à répondre à la question fondamentale du statut
de puissance moyenne émergente du Nigéria et de l’Afrique du Sud, dans la perspective
des études internationales africaines. Pour ce faire, cette étude a choisi la démarche de la
contextualisation, provincialisation des catégories théoriques dominantes pour aboutir à
la reconnaissance de la pertinence et de la fécondité du concept de puissance en Afrique,
et donc celui de puissance moyenne émergente. Pour asseoir la thèse de la fécondité du
concept de puissance en Afrique, cette réflexion a emprunté à Marque Barbara le modèle
de multivectorialité et au professeur Luc Sindjoun l’idée d’identification des niveaux
d’observation de la réalité internationale afin de distinguer celui global des niveaux
régionaux et sous-régionaux (en dépit de leur interaction permanente). En considérant
l’Afrique comme un sous-système du système international global, ou comme un système
international autonome avec ses acteurs, des enjeux et ses propres sous-systèmes ; en
prenant en compte la réalité de l’État en Afrique, cette réflexion a reconnu qu’il n’est pas
abusé de considérer certains États africains, notamment le Nigéria et l’Afrique du Sud
comme des puissances moyennes émergentes, contrairement à certaines prétentions. En
ce lieu, l’analyse s’est focalisée sur la mise en œuvre de la puissance dans trois principaux
champs : la sous-région, la région ou le continent et le champ global. Il apparait que les
puissances moyennes émergentes africaines adoptent des comportements variant en
intensité selon le champ : si dans la sous-région elles agissent comme des hégémons
(hégémonie douce) en considérant cet espace comme un pré-carré ; dans la région ou
sur le plan continental, bien que demeurant relativement très important par rapport à
la grande partie des États, elles ne peuvent exercer une hégémonie même douce mais
exerce de très grandes influences avec en face d’autres puissances importantes. Il en
est ainsi du Nigéria et de l’Afrique du Sud, l’un par rapport à l’autre. Enfin dans la sphère
globale, elles se comportent comme de véritables puissances moyennes émergentes. Ce
qui a conduit au modèle de la puissance tricéphale.

Toutefois, l’analyse des grands défis de ces États, second moment de la réflexion, permet de
reconnaitre la relativité de leur puissance. Ces défis ainsi que la configuration du système
international africain laissent voir pour l’avenir à la fois des rapports de rivalités et de
coopération. Mais, dans le même temps, ils sont appelés à coopérer davantage en vue de
répondre à certains besoins fondamentaux notamment dans les domaines sécuritaires,
économiques voire politiques. En pesant lourdement sur les instances continentales, les
deux puissances se donnent les moyens de légitimation de leurs actions.

Aujourd’hui, le Nigéria et l’Afrique du Sud entendent poursuivre leur progression afin de


peser davantage sur les échiquiers sous-régionaux, continental et mondial. Toutefois, cela
ne peut passer que par une prise en compte réel de leurs défis en vue de maintenir et
renforcer leur position de puissances incontournables pour la stabilité et le progrès du
continent ainsi que son rayonnement international.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 129


Bibliographie

• ABOMO, P. 2013. Conseil de sécurité : l’Afrique membre permanent ? [En ligne],


consulté le 28/04/15, Disponible sur : <http://www.diploweb.com/Conseil-de-secu-
rite-l-Afrique.html>;
• BACH, C. D. 1988. J. Egg, J. Philippe. Nigéria, un pouvoir en puissance, Paris, Kar-
thala;
• BACH, C. D. 2006. NIGERIA : Paradoxe de l’abondance et démocratisation en
trompe-l’œil, Afrique contemporaine, 2006/3 - n° 219, pages 119 à 135, ISSN 0002-
0478. Disponible sur : <http://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2006-
3-page-119.html>;
• BACH, C. D. 2007. Le Nigéria et les Etats Unis : Convergence d’intérêts et relations de
pouvoir, [En ligne], consulté le 9/05/2015. Disponible sur : <http://www.politique-afri-
caine.com/numeros/pdf/002007.pdf>;
• BADIE, B. 2013. L’impuissance de la Puissance, Paris : CNRS, p. II;
• BARBARA, M. 2011. Nouveau paradigme stratégique des puissances moyennes, [En
ligne], Consulté le 24/04/15. Disponible sur : <https://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/
pols/documents/NA16-INBEV-ALL.pdf>;
• BUHLER, P. 2011. La puissance au 21ème siècle, les nouvelles définitions du monde,
Paris : CNRS, p.14;
• CHARLIAND, G. 1986. Où va l’Afrique du Sud ? Paris, Calmann-Lévy;
• CHOUALA, Y. A. 2005. Puissance, résolution des conflits et sécurité collective à l’ère
de l’Union africaine. Théorie et pratique, AFRI 2005, volume VI Disponible sur http://
www.afri-ct.org/IMG/pdf/afri2005_chouala.pdf;
• DA COSTA, C. 2010. Les ambitions maritimes de l’Afrique du Sud, Centre d’études
supérieures de la marine, 38 pages ; [En ligne], consulté le 9/05/2015. Disponible
sur : <file:///C:/Users/sony/Downloads/Les%20ambitions%20maritimes%20de%20
l’Afrique%20du%20Sud.pdf>;
• DARRACQ, V. 2011. « Jeux de puissance en Afrique : le Nigeria et l’Afrique du Sud
face à la crise ivoirienne », Politique étrangère, 2011/2 Eté, p. 361-374. DOI : 10.3917/
pe.112.0361;
• DAVID, C.-P. et ROUSSEL S. 1996-1997. Une Espèce En Voie De Disparition? La
Politique De Puissance Moyenne Du Canada Après La Guerre Froide, International
Journal, Vol. 52, No. 1, Canadian Foreign Policy (Winter, 1996/1997), pp. 39-68 ; [En
ligne], consulté le 24/04/15, Disponible sur : <http://www.jstor.org/stable/40203171>;
• DE MONTCLOS, M.-A. P. 2012. Boko Haram et le terrorisme islamiste au Nigeria:
insurrection religieuse, contestation politique ou protestation sociale ? Questions
de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012, [En ligne], Consulté le
09/05/2015, Disponible sur <http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.html>;
• Décision sur la Force africaine en attente et le comité d’état-major, Doc. EX. CL/110
(V);
• FIORINA, J. F. 2013. L’Afrique du Sud : la Nation arc-en-ciel en quête de puissance,
[En ligne], Consulté le 28/04/15, Disponible sur : <http://notes-geopolitiques.com/
lafrique-du-Sud/>;
• FOUCHER, M. et DARBON D. 2001. L’Afrique du Sud, puissance utile ? Paris, Belin.
127p;

130 L’afrique du sud et le Nigeria dans la géopolitique africaine


• GALLAOUI, M. 2007. Le Maroc politique à l’aube du troisième millénaire (1990-
2006), Casablanca (sl ?), éd. ?, p.48;
• GNANGUENON, A. 2010. Relire les relations internationales à travers la dualité de
la région en Afrique, in Dynamiques Internationales N.3 juin 2010, page 1. Disponible
sur <www.dynamiques-internationales.com>;
• HUGON, P. 2006. Géopolitique de l’Afrique, Paris, Arman Colin;
• KADONY, N. K. 2007, Une introduction aux relations internationales africaines, Paris,
Harmattan, p. 17;
• LUNTUMBUE, M. 2013. Le Nigéria dans la géopolitique ouest-africaine : atouts et
défis d’une puissance émergente, Note d’Analyse du GRIP, 18 juillet 2013, Bruxelles.
Disponible sur : <http://www.grip.org/fr/node/941>;
• VIGNAUX, G. 2007-2008. MERVEILLEUX, 15e promotion du Collège interarmées
de défense (2007-2008), Afrique du Sud, émergence d’une puissance, (Mémoire)
[En ligne], consulté le 30/04/15, Disponible sur : <http://www.diploweb.com/Afrique-
du-Sud-emergence-d-une.html>;
• NIEUWKERK, A. V. et CROUZEL, I. 2005. La puissance de l’Afrique du Sud en ques-
tion, Politique africaine, 2005/2 (N° 98) ; consulté le 05/05/15, Disponible sur :
<http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=POLAF_098_0096>;
• NYE, J. S. 1992. Le Leadership américain. Quand les règles du jeu changent, Nancy,
Presses Universitaires de Nancy, 1990, 1992 (traduction de Brigitte Delorme), p. 20;
• Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de Sécurité de l’UA, article 2, §1,
juillet 2002;
• SINDJOUN, L. 2002. Sociologie des Relations Internationales africaines, Paris, Ka-
rthala;
• SOULE-KOHNDOU, F. A. 2010. Puissances émergentes et multilatéralisme, le cas de
l’Afrique du Sud (1999-2008), analyse des stratégies d’une puissance émergente,
Paris, Harmattan;
• TRACHSLER, D. 2011. L’Afrique du Sud : puissance régionale limitée, in Politique de
sécurité: analyses du CSS, N°102, Octobre 2011, [En ligne], consulté le 28/04/15,
Disponible sur : <http://www.css.ethz.ch/publications/pdfs/CSS-Analysen-102-FR.
pdf>;
• VENNESSON, P. et SINDJOUN, L. 2000. Unipolarité et intégration régionale :
l’Afrique du Sud et la « renaissance africaine ». In : Revue française de science po-
litique, 50e année, n°6, 2000. pp. 915-940. doi : 10.3406/rfsp.2000.395524 ;
page 929;
• ZARTMAN, W. 1983. The political economy of Nigeria, New York, Praeger.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 131


6
L’AFRIQUE ATLANTIQUE : QUEL
POSITIONNEMENT STRATÉGIQUE POUR LE
BRÉSIL ?

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 133


L’AFRIQUE ATLANTIQUE : QUEL POSITIONNEMENT
STRATÉGIQUE POUR LE BRÉSIL ?

6
Abdelkhalek EL BIKAM82

Introduction
La présence brésilienne sur le continent africain suscite une attention particulière
des observateurs. En effet, l’importance qu’accorde le Brésil à sa politique africaine peut
laisser supposer qu’il existerait une spécificité de sa diplomatie à l’égard de ce continent. Le
Brésil, à l’instar des autres acteurs internationaux a fortement accéléré la diversification
de ses partenaires économiques et ses relations extérieures, focalisant, sur l’idée dite
Sud-Sud. La politique étrangère brésilienne est marquée par sa souplesse qui lui permet
de se positionner dans un environnement international concurrentiel.

Dans cette perspective, le continent africain, se présente comme un espace sur lequel
le Brésil pourrait donner l’image d’un Etat progressiste, tiers–mondiste. L’Afrique c’est
aussi un terrain de compétitivité économique entre plusieurs puissances internationales
qu’elles soient classiques ou émergentes.

Les facteurs de rapprochement entre le Brésil et l’Afrique sont très spécifiques qui date
d’une longue histoire. Les structures sociales et culturelles, la formation de la population
brésilienne par des ethnies d’origine africaine, des valeurs partagées ainsi que les modèles
de comportement des groupes sociaux sont des éléments d’enrichissement de la société
brésilienne, mais aussi des facteurs d’orientation de sa politique étrangère.

Si les relations entre le Brésil et l’Afrique se plongent dans l’histoire, actuellement sont
devenus plus normatives et institutionnelles, il s’agit donc, d’une redécouverte de l’intérêt
de ce continent, ces liens tissés avec les pays africains sont très profonds et variés, en
effet, plusieurs programmes de coopération économique, universitaire ou militaire ont vu
la lumière.

Cette intensification de la présence brésilienne sur le continent africain a connu son grand
essor, surtout lors du lancement du gouvernement de Lula Da Silva en 2003 de son
programme de la politique étrangère (Lula Da Silva, 2003). Dans ce sens, la stratégie
brésilienne fixe l’Afrique comme deuxième objectif prioritaire derrière l’Amérique du Sud
et ce, bien évidemment, montre l’intérêt de ces pays africains dans l’agenda de Brasilia.

Le partenariat stratégique avec l’Angola, le Nigéria et l’Afrique du Sud, son adhésion à la


communauté des pays de langue portugaise (CPLC) font du Brésil un acteur très présent
(82). Doctorant en Relations Internationales, Université Abdelmalek ESSAADI Tanger, Faculté des Sciences Juridiques,
Economiques et Sociales ; Chercheur associé à l’Observatoire d’Etudes Méditerranéennes Tanger.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 135


sur le continent africain. Toutefois, le Brésil par son réalisme tend d’élargir ses relations
avec d’autres pays tel que le Kenya, la Tanzanie et le Ghana.

En œuvrant sur la connexion des deux rives de l’Atlantique, le Brésil demeure la seule
puissance régionale capable d’orienter les grandes orientations et choix stratégiques des
pays des Sud. Les accords interrégionaux entre le Marché commun du Sud (MERCOSUR)
et l’union douanière d’Afrique australe (SACU) ainsi que les réunions périodiques des
chefs d’Etats dans les sommets des deux continents viennent renforcer le rythme actif
de la diplomatie brésilienne et sa vision qui place le développement économique et social
comme condition d’une plus grande stabilité et sécurité des pays africains.

Ce choix stratégique du Brésil s’inscrit –il dans la continuité ? Quels sont les intérêts
économiques et géostratégiques du Brésil en Afrique ? Quel positionnement stratégique
pour le Brésil ? Comment le Brésil élabore-t-il sa politique africaine ?

I. Aperçu historique des relations afro-brésiliennes


Dans son discours devant l’assemblée générale de l’organisation des nations unies (ONU),
en septembre 2006, le président Brésilien Lula déclarait : « nous nous sentons aussi reliés
au continent africain par des attaches historiques et culturelles. En tant que deuxième
plus importante population noire du monde, nous nous sommes engagés à partager les
défis et la destinée de l’Afrique »83, énonçant une nouvelle ère de coopération avec le
continent africain, profitant des liens socioculturels afin d’acquérir une légitimité pour
instaurer sa politique étrangère africaine, le président Lula évoque le passé commun,
comme une orientation stratégique. Dans ce sens, lors de sa visite au Benin, le président
Lula a rendu hommage aux esclaves en se déplaçant à Ouidah l’un des principaux ports
négriers.

La traite négrière atlantique constituait un sombre passé qui a duré plus de trois siècles,
le Brésil comme d’autres pays du continent américain a connu le déplacement forcé de
plus de quatre millions d’Africains.

Les relations afro-brésiliennes ont été fortement consolidées dans la seconde moitié au
du XX siècle. Elles furent établies juste après la première vague d’indépendance des États
africains (Patriota, 2011).

En effet, l’intérêt croissant du Brésil pour l’Afrique s’inscrivait dans un contexte particulier,
Brasilia avait un choix de positionnement visant à s’affranchir des pressions exercées par
les États-Unis et des contraintes imposées par les clivages Est-ouest de la guerre froide.
(Ribeiro, Malaquais, 2009)

Dans ce sens, le Ministre des affaires étrangères João Augusto de Araújo Castro (1963-
1964)  avait adopté les constantes de la politique étrangère du pays en les résumant en
trois éléments essentiels : désarmement, développement économique et décolonisation. Il
(83). Déclaration devant l’assemblée générale de l’ONU, 19 septembre 2006.

136 L’afrique atlantique : quel positionnement stratégique pour le brésil ?


s’agit d’une orientation stratégique envers l’Afrique, la première ambassade du Brésil en
Afrique fut ouverte à Accra (Ghana) en 1961, l’engagement du Brésil s’est aussi exprimé
à travers sa participation dans la création de l’Organisation Internationale du Café avec
le but d’avoir un accord sur le prix de cette matière sur le marché international, reste à
signaler que la majorité des membres de ladite organisation sont des pays africains.

Si les années soixante ont été marquées par une dépendance au Portugal en matière
de sa politique coloniale en Afrique, le gouvernement brésilien à l’ère de la dictature
militaire sous Ernesto Geisel (1974-1979) changea de conduite en adoptant une posture
anticoloniale, la reconnaissance du Brésil de l’indépendance de la Guinée-Bissau et du
Cap Vert en 1974 , l’Angola et le Mozambique constituera un tournant drastique dans
sa politique étrangère. Cette attitude de rapprochement a largement participé dans
l’établissement des mesures de confiance avec les pays africains et a mis fin à la position
ambiguë du Brésil en termes de la décolonisation de l’Afrique portugaise.84

L’approfondissement des relations avec l’Afrique va continuer, avec le Président Figueiredo


(1980-1985), qui a fait une tournée dans plusieurs États africains. L’arrivée du premier
gouvernement démocratique au Brésil suite à la transition démocratique du pays a
changé profondément la ligne du discours à l’égard du régime apartheid sud-africain,
Brasilia ayant vivement condamné Pretoria pour sa politique de ségrégation raciale.

C’est à cette époque que s’affiche clairement l’importance stratégique de l’Afrique en tant
que frontière de l’Est du Brésil.85 Celle-ci, impose une stratégie cohérente prospective que
le Brésil a bien su développer tout au long de son processus d’élaboration de sa politique
africaine. Cette dynamique met en exergue l’importance stratégique et économique
primordiale de la côte atlantique africaine, c’est pourquoi la dimension maritime devint
indispensable dans la projection stratégique du gouvernement brésilien (El Houdaigui,
2015).

Le début des années 1990, va connaitre un changement dans la ligne de conduite de la


diplomatie brésilienne à l’égard de l’Afrique. En effet, dans une conjoncture de récession
mondiale, et l’éclosion de plusieurs conflits interétatiques, ethniques en Afrique, le
Brésil s’en ressent suite à un climat économique morose qui a touché les deux côtes de
l’Atlantique.

Plusieurs États africains ont subi un processus d’ajustement issu à la fois de facteurs
économiques, mais aussi d’autres facteurs politiques.L’économie brésilienne quant à elle,
a vécu un ralentissement imposé par un ordre international économique en crise.

Dans ce sens le Brésil, se voit dans l’obligation d’orienter sa politique étrangère à l’égard
des pays africains, en préférant, focaliser son attention sur ses principaux partenaires
économiques, l’Afrique du Sud postapartheid, et les pays lusophones.

(84). L’Afrique portugaise désigne l’ensemble des colonies africaines ayant appartenues au Portugal. Elle regroupe, Ango-


la,  Mozambique, Guinée-Bissau, Sao Tomé-et-Principe, Cap-Vert.
(85). Le ministre des affaires étrangères Sergio de Queiroz Duarte a qualifier l’Afrique comme frontière de l’Est dans une
conférence en 1986.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 137


Comme nous l’avons signalé, les années 2000 vont connaitre une nouvelle tendance de la
politique étrangère brésilienne. En effet, le Président Lula avait affirmé la nécessité de se
tourner vers l’Afrique pour que le Brésil ne soit pas exclu des tractations mondiales. Ce qui
traduit cette volonté, c’est la réorganisation qu’a subi le ministère des affaires étrangères
à travers la création d’un nouveau département pour l’Afrique. Cette modification en
termes des moyens et des ressources alloués au département africain montre que la
dimension africaine dans la politique étrangère brésilienne est d’intérêt crucial .

Au cœur de cette dynamique, Brasilia a doublé sa présence diplomatique en Afrique de


17 à 37 ambassades86. Nous rajoutons un autre indicateur, celui des nombres de visites
de l’ex président Lula (2003-2010) accordées aux pays africains (27 visites), mais aussi
de son successeur Dilma Roussef qui a décidé l’annulation d’une dette de 900 millions
de Dollars à douze pays africains87, cela, traduit la volonté du gouvernement brésilien de
renforcer ses relations avec le continent. Dilma, dès son ascension au pouvoir â lancé
l’initiative de la création du ‘’Groupe Afrique’’ dirigé par son ministre au commerce et en
industrie.

Le volontarisme de la politique africaine du Brésil doit beaucoup au président Lula au


cours de ses deux mandats successifs

II. Les enjeux de la politique Africaine du Brésil

2.1. L’enjeu économique


Au-delà de la logique relationnelle, le c’est sans aucun doute, l’intérêt économique qui
demeure l’un des principaux piliers de la diplomatie brésilienne. Cela était clairement
énoncé par le politologue américain Baldwin : « … are the raw material out of which power
relationships are forged » (Baldwin, 2013). La rhétorique de l’historicité des relations
afro-brésiliennes n’est qu’une chimère, c’est la donne économique qui prend le relais
(Santander, 2010).

Toutefois, cette approche s’inscrivait dans une optique de redécouverte de l’Afrique riche
par ses matières premières (pétrole, uranium, charbon…), ce qui attire les convoitises des
puissances classiques, ainsi que des pays émergents.

A l’instar de la Chine et de l’Inde, le Brésil veut aussi se positionner en Afrique par le biais
d’achat des matières premières et la vente des produits manufacturés. Le dynamisme
diplomatique brésilien déployé lors du mandat de Lula da Silva à l’intention de l’Afrique
trouve ses origines dans une stratégie qui considère le continent africain comme un
débouché commercial très important pour les entreprises brésiliennes afin d’exporter
leurs produits et services.

(86). En terme de présence diplomatique en trouve le Brésil au quatrième rang avec 37 ambassades, les Etats Unis(49), la
Chine (48), la Russie (38).
(87). Le 25 mai 2013 à l’occasion du 50ème anniversaire de l’Union Africaine à Addis-Abeba en Ethiopie, le Brésil a pris
décision d’annuler la dette des 12 pays africains

138 L’afrique atlantique : quel positionnement stratégique pour le brésil ?


A ce titre, de nombreuses visites du Président Lula mais aussi de son successeur Dilma
Rousseff, ont permis à des entreprises brésiliennes de s’implanter sur le continent africain.
A ce titre, le groupe hôtelier Bristol a exprimé sa volonté de construire des hôtels au
Maroc. Dans le secteur aéronautique, la compagnie Embraer a vendu plusieurs appareils
à la Lybie, au Nigeria et à l’Egypte.

En effet, les pays producteurs de pétrole ont de grand intérêt géostratégique et attirent
l’attention du Brésil. Les importations en provenance du Nigeria et de l’Algérie et l’Angola
constituaient plus de la moitié du total des produits africains importés par le Brésil
(Patriota, 2011).

L’enjeu énergétique est prépondérant, ce qui permet au Brésil d’accéder aux ressources
pétrolières et gazières, puis que le continent africain détient 9.7% des réserves mondiales.
La diversification des sources d’approvisionnements en gaz capte l’intérêt de Brasilia en
s’orientant vers l’Angola l’Algérie, la Lybie et le Nigeria.

De nombreux accords ont été signés entre les marchés communs des deux rives de
l’atlantique notamment entre le Marché commun du Sud (MERCOSUR) et l’Union
Douanière de l’Afrique Australe (SACU). S’y rajoute la participation active de la Banque
brésilienne pour le développement (BNDES acronyme en langue portugaise) dans le
financement de plusieurs projets pour l’Afrique.

L’internationalisation de l’entreprise brésilienne est l’un des objectifs de la diplomatie


économique de l’Itamaraty.88 Les grandes entreprises investissent dans plusieurs
secteurs, tels que dans l’énergie (Petrobras, Furnas) et dans le domaine de l’agriculture
(Embrapa).

L’expérience brésilienne en matière énergétique constitue un atout pour d’autres États


africains, mais aussi son développement en matière d’exploitation agricole, l’entreprise
(Embrapa) avait signé des accords d’assistance technique dans son domaine et de
biocarburant.

Le volume du commerce brésilien avait dépassé les US $ 25 milliards (en 2007), et les
échanges ont été quintuplés. L’Afrique pour le Brésil est le quatrième bloc89 en termes
de partenaire commercial après la Chine, les États Unis et l’Argentine. Il s’agit d’un chiffre
supérieur à celui des échanges avec des partenaires traditionnels, tels que l’Allemagne
et le Japon90. Le Brésil est le deuxième fournisseur du Continent par rapport à d’autres
pays des BRICS derrière la Chine (Stolte, 2012).

La percée diplomatique du Brésil en Afrique sur la base d’un pragmatisme assumé, et un


volontarisme politique, est issue d’une ambition brésilienne de conquérir un nouvel espace
riche de ses matières premières et encore vierge en terme d’investissement. Elle constitue

(88). Le palais d’Itamaraty est le siège du ministère des relations extérieures du Brésil


(89). Considérant les États africains comme un seul Etat ou groupe d’intégration
(90). Celso Amorim, Le Brésil veut jouer un rôle ambitieux dans le nouvel équilibre du monde. Ministre des affaires étran-
gères du Brésil

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 139


une priorité incontournable accordée aux pays lusophones, notamment l’Angola qui abrite
le siège de plusieurs compagnies brésiliennes, dans différents secteurs. Il s’agit d’une
exception en matière d’investissement brésilien en Afrique. Dès lors, on trouve les firmes
brésiliennes dans les hydrocarbures, l’extraction minière, le traitement de l’eau, le secteur
textile, l’agriculture, l’alimentation. Autrement dit, l’Angola constitue une plateforme
brésilienne sur le continent africain, ce qui traduit le poids inhabituel des investissements
du gouvernement brésilien dans ce pays. D’ailleurs, la présence d’une communauté
brésilienne à Luanda justifie l’intérêt qu’accordent les entreprises brésiliennes à ce pays.

En outre, le facteur culturel joue un rôle essentiel dans l’installation de nombreux


brésiliens à Angola, le lien commun de la langue portugaise. Certaines traditions d’un
héritage culturel commun favorisent le déplacement de plusieurs citoyens brésiliens, en
l’occurrence les entrepreneurs.

Le Mozambique avec ses réserves en charbon métallurgiques constitue aussi une


destination principale des investissements brésiliens. A titre d’exemple, la Compagnie Vale
y estime son investissement à 1,4 milliards de dollars. D’autres entreprises brésiliennes
sont également implantées au Mozambique dont Petrobras, Companhia Siderurgica
Nacional, le groupe Camargo Correiea. Le Brésil demeure le quatrième investisseur au
Mozambique.

2.2. L’enjeu géopolitique

C’est en 2005 que le Brésil s’est associé à l’Allemagne, l’Inde et le Japon pour présenter
un plan de réforme de conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU). Pour ces pays le
Conseil de Sécurité est issu d’une ère historique qui ne reflète pas aujourd’hui les réalités
du nouvel ordre international. La réforme du CSNU est indispensable pour Brasilia pour
bien répondre aux problèmes de la gouvernance mondiale. Les autorités brésiliennes
cherchent le soutien des pays africains afin de briguer un siège permanent au sein de
conseil de sécurité.

A cet égard, il faut mentionner que l’Afrique est importante en termes de voix puisqu’elle
est représentée par quelques 53 membres à l’ONU (Santander, 2012). Le Brésil veut une
reconnaissance de son rôle international en tant que nation respectée, même si le Brésil
est affronté à un entourage concurrentiel. Les aspirations de Brasilia d’avoir un siège
permanent sont revendiquées par ses voisions notamment, le Mexique, l’Argentine et le
Venezuela qui défendent une représentativité rotatoire au sein du CSNU, des pays de
l’Amérique du Sud, qui accusent Brasilia de concrétiser une approche hégémonique qui
peut atteindre à l’équilibre politique de l’Amérique Latine.

Il est donc opportun de signaler, l’engagement du Brésil en matière des questions


internationales. D’ailleurs, le forum de dialogue IBAS (Inde, Brésil, Afrique du Sud) reflète
la stratégie diplomatique brésilienne à la recherche d’un nouveau positionnement sur
la scène internationale. Les pays membres partagent les mêmes positions à l’égard
de nombreuses questions (commerce international, réforme de conseil de sécurité,
environnement…), et cette proximité de vision fait de l’IBAS un forum de coopération

140 L’afrique atlantique : quel positionnement stratégique pour le brésil ?


et de promotion de développement. Cela permet au Brésil de jouer un rôle politique et
stratégique dans le processus décisionnel des organismes internationaux.91

La ligne de conduite de la diplomatie brésilienne vise le tiers monde comme l’une de ses
priorités. Cette préférence renvoie à la nécessité d’assurer un lien solide avec les pays
africains, dès lors le Brésil a œuvré pour le renforcement de ses relations avec toutes les
instances régionales plus profondément avec les intégrations économiques africaines
telles que la Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Le Brésil à travers cette dynamique relationnelle avec les pays africains cherche à se
positionner en tant que pont entre les deux rives de l’Atlantique. A ce propos, l’Atlantique
Sud pour le Brésil est un espace de grand intérêt stratégique, d’où la nécessité de paix
et de sécurité comme des éléments indispensables pour garantir le commerce et les
opérations de l’off-shore. Toutefois, Brasilia a fait revivre son initiative de la zone de
Paix et de Coopération de l’Atlantique Sud (ZPCAS). Ladite initiative avait pour objectif
l’élimination de l’apartheid et œuvrer pour l’indépendance de la Namibie comme des
conditions pour établir la paix et la sécurité dans l’Atlantique Sud92.

L’économie repose sur la mer. En effet, plus de 90% des échanges commerciaux se font
par voie maritime. Cette spécificité, offre au Brésil un positionnement stratégique vital.
Le Brésil qualifie cet espace d’Amazonie bleu malgré les énormes foyers de tensions que
connait cet espace. Dans une approche collective pour préserver la paix et la sécurité,
Brasilia et Pretoria ont conduit des manœuvres navales pour le maintien de la sécurité et
la lutte contre la piraterie et le terrorisme maritimes. En outre, le gouvernement brésilien
s’est engagé à faire des patrouilles étroitement avec le Cap Vert, afin de surveiller les
trafiquants de drogues, dans le golfe de Guinée.

La Guinée Bissau dans cet espace est devenue une plateforme de détournement
d’argent, de drogues et d’armes. Dans ce contexte, l’administration brésilienne insiste
sur l’importance de la ZPCAS comme un espace avec de nouvelles priorités, dont la
sécurisation et l’approfondissement de la recherche sur les fonds marins, riches en
biodiversité.

III. La production de la politique Africaine du Brésil

Le Brésil dispose des facteurs de puissance d’ordre structurel : un vaste territoire, une
démographie, un poids économique, les capacités militaires, les ressources énergétiques…
Tous ces ingrédients, font du Brésil une puissance relationnelle selon la théorie réaliste.
En effet, dans un monde en pleine mutation, l’analyse de la politique étrangère brésilienne
en tant que pays émergent suscite, à l’évidence, l’étude des différents acteurs dans le
processus décisionnel interne, ceci étant dit, que la politique étrangère est le miroir de la
politique interne de chaque Etat.
(91). Le Brésilien Roberto Azevêdo actuellement Président de l’OMC,
(92). En 1986, une initiative brésilienne résulta en une résolution de l’Assemblée Générale de l’ONU (41/11) déclarant la
région située entre l’Afrique et l’Amérique du Sud « Zone de Paix et de Coopération de l’Atlantique Sud » (ZPCAS) une
initiative qui incluent 24 pays des deux rives de l’Atlantique excepte le Maroc et la Mauritanie.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 141


Il s’agit en fait des rapports d’équilibre entre les dictions internes et les contraintes externes
qui résultent en la sécurité internationale, les menaces, le commerce extérieur, l’intégration
régionale et le multilatéralisme. Une évolution qui n’échappe pas à la conjoncture nationale
du pays, de ce fait, la politique étrangère devint une politique publique.

Chaque discours de politique étrangère permet d’identifier les orientations stratégiques


de n’importe quel Etat, dans ce sens, et lors de son discours devant le Congrès National,
Dilma Roussef a réitéré les valeurs classiques de la diplomatie brésilienne : « promotion de
la paix, respect du principe de non-ingérence, défense des droits de l’homme, renforcement
du multilatéralisme, la lutte contre la pauvreté, rapprochement avec les pays africains
et d’autres pays du Moyen Orient, renforcement des liens avec les pays émergents, la
défense de la réforme des principaux mécanismes de la gouvernance mondiale. ».93

Le discours politique, qui suscite l’analyse du comportement international du Brésil,


s’agit donc par excellence, d’un instrument incontournable, et d’un code de valeurs et de
principes de la doctrine Brésilienne.

Tout en allant sur la voie de continuité, Dilma Roussef, malgré les différences (présence
charismatique, discours, communication)94 avec son prédécesseur Lula Da Silva, a bien
fixé les obligations internationales du Brésil.

Le rapprochement avec l’Afrique constitue donc une place prépondérante dans le discours
du Chef d’Etat brésilien. En effet, le régime présidentiel incombe au président des larges
compétences en matière de politique étrangère mais également de politique interne. Ceci
est dans une optique qui synthétise les aspirations des différents groupes d’intérêts qui
influencent la politique envers l’Afrique95.

Le Brésil a des capacités matérielles et immatérielles qui le distinguent des autres pays en
développement. Il a également un rôle et une identité dans le système international reconnu
par d’autres pays du Sud. Dans ce contexte, l’articulation de plusieurs acteurs contribue
au renforcement des relations afro-brésiliennes. Citons à titre d’exemple le parti politique
des travaillistes dont la structure composée d’un tissu social qui défend les intérêts
de la population afro-descendante. L’effet d’attraction du Brésil incite aussi plusieurs
gouvernements africains à demander l’établissement des relations avec ce pays.

Le Ministère des Affaires Etrangères est l’une des unités décisionnelles centrales qui
monopolise un poids majeur dans la définition de la politique étrangère avec une certaine
indépendance, dans ce sens nous avons trois déterminants de la politique africaine du
Brésil :

a- le Brésil tire profit de la prospérité africaine.


b- le rapprochement avec l’Afrique via les liens diplomatiques de dialogue politique donne
au Brésil la capacité de négocier dans les divers forums internationaux.
(93). Discurso de posesión de Dilma Roussef, en el Congreso Nacional 01.03.2011
(94). Alcides Costa Vaz, La política exterior de Brasil en perspectiva: Del activismo internacional a la continuidad y pérdida
del impulso. La CELAC en el escenario contemporáneo de América Latina y del Caribe, impreso en San José , por perspectiva
digital. Octubre 2014 pág., 145 , 159
(95). Thomas Cooper patriota ,op, cit

142 L’afrique atlantique : quel positionnement stratégique pour le brésil ?


c- une doctrine qui voit dans le renforcement des relations Sud-Sud comme corollaire de
la multi-polarisation des relations internationales ce qui veut dire un monde plus équilibré
et juste.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 143


Conclusion
L’intérêt que porte la diplomatie brésilienne envers l’Afrique nous éclaire que le continent
s’avère bénéfique pour le gouvernement brésilien. Le retour en Afrique témoigne de
l’importance de la diversification des partenaires et l’éclosion de la diplomatie économique
comme instrument de la projection brésilienne dans l’Atlantique et cela est dû au degré
d’autonomie de l’administration – Ministère des Affaires Etrangères et Ministère du
Commerce et de l’Industrie.

Tout en contribuant à la promotion de ses relations avec l’Afrique à travers ses capacités
diplomatiques de négociation, le Brésil cherche à se positionner en tant que leader des
pays du Sud.

144 L’afrique atlantique : quel positionnement stratégique pour le brésil ?


Bibliographie

• Amorim, Celso : « Le Brésil veut jouer un rôle ambitieux dans le nouvel équilibre du
monde. » En ligne : www.lemonde.fr;
• Baldwin, David (2013) : “Power and international Relations,” in: W.Carlnaes, T. Risse
and B.Simo-ons (Eds), Handbook of international Relations, London: sage en ligne:
www.princeton.edu;
• Costa Vaz, Alcides (2014): “La política exterior de Brasil en perspectiva: Del activismo
internacional a la continuidad y pérdida del impulso”. La CELAC en el escenario
contemporáneo de América Latina y del Caribe, impreso en San José, por perspectiva
digital. pp.145, 159;
• El Houdaigui, R. : ”L’atlantique élargi, renaissance d’une aire de puissance. ” En Ligne:
www.ocppc.ma;
• Patriota, Thomas C : ”le Brésil, un partenaire de l’Afrique qui s’affirme « les relations
Brésil/Afrique sous les gouvernements Lula (2003-2010) ” Les Etudes de l’institut
français des relations internationales, septembre 2011. En ligne www.ifri.org;
• Ribeiro, Claudio, et Malaquais Dominique, (2009) : “ la politique africaine du Brésil et
le gouvernement Lula, ” Editions Karthala, pp. 71, 91;
• Santander, Sébastian, (2012) : “Repenser l’Atlantique : Commerce, Immigration,
sécurité. , Edition bruylant,, pp.147-165;
• Stolte Christina :” Brazil in Africa , just another BRICS country seeking resources?”
en ligne: www.chathamhouse.org.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 145


7
LES ZONES MARITIMES ET LA DÉLIMITATION
DES FRONTIÈRES MARITIMES EN AFRIQUE DE
L’OUEST

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 147


LES ZONES MARITIMES ET LA DÉLIMITATION DES
FRONTIÈRES MARITIMES EN AFRIQUE DE L’OUEST

7
Sarra SEFRIOUI96

Introduction 

L’une des plus importantes activités humaines en mer est l’exploitation pétrolière qui
montre que « les problèmes des espaces marins sont étroitement liés entre eux et doivent
être envisagés dans leur ensemble ». Cet extrait du préambule de la Convention des
Nations Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM) souligne que l’exercice de compétences
fonctionnelles sur les ressources naturelles se trouvant dans les zones maritimes
soumises à leur souveraineté n’est pas une question aisée, surtout dans des régions
riches en ressources naturelles comme la région située sur la côte ouest de l’Afrique qui
donne sur l’Océan atlantique.

Les différends relatifs à la délimitation maritime en Afrique seraient amenés à se


multiplier, créant ainsi une incertitude dans l’appropriation des ressources considérables
en hydrocarbures. L’absence de délimitation maritime aurait eu pour conséquence de
créer une lutte entre États africains en vue d’exercer leurs droits souverains selon la
CNUDM face aux compagnies pétrolières qui se déplacent de plus en plus vers le large.

Cet article traite des aspects juridiques de la délimitation des frontières maritimes
entre les États côtiers de la côte africaine atlantique. Il souligne d’une part, le statut
des différends actuels existants en Afrique sur la côte atlantique relatifs aux frontières
maritimes (I). D’autre part, il analyse les solutions de délimitation adoptées par les États
ayant effectué cette opération avec leurs États voisins (II). Ces solutions qui pourraient
éventuellement servir aux autres États pour résoudre leurs délimitations non encore
effectuées sont développées dans la conclusion de cet article.

I. Le Statut des différends relatifs aux frontières maritimes sur


la côte africaine atlantique
Trente pour-cent des frontières maritimes en Afrique sont démarquées et plus de la moitié
des frontières maritimes restent à tracer. En effet, sur environ 400 frontières maritimes
à effectuer, seulement 180 ont fait l’objet d’accords entre les États. Les ressources
naturelles sont au cœur des différends maritimes dans la région côtière de l’Afrique. La
(96). Professeure en droit International à l’Université Abdelmalek ESSAADI- Tanger-, Faculté des Sciences Juridiques,
Economiques et Sociales ; Chercheure à l’Observatoire d’Etudes Méditerranéennes-Tanger-.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 149


cause de l’absence de frontières maritimes entre certains États est essentiellement due
à la présence de ressources naturelles qui n’ont pas fait l’objet d’accord entre les États
concernés. Selon certaines analyses, cela crée des tensions entre les pays cherchant à
contrôler les ressources naturelles, influençant les relations politiques et internationales
déplaçant ainsi les différends territoriaux vers les frontières maritimes.

Les réservoirs de pétrole et de gaz traversent souvent les frontières maritimes dont
la détermination est incertaine entre les États concernés. Les côtes africaines sont
particulièrement devenues des zones très riches pour l’exploration du pétrole, du gaz et
d’autres ressources naturelles.

La Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM ou la Convention) entrée
en vigueur en 1994 clarifie certaines règles qui encadrent les relations entre les États
dans leurs demandes légales de contrôle ou de juridiction sur les mers adjacentes. La
CNUDM leur fournit la possibilité de résoudre leurs différends maritimes pacifiquement
à travers la négociation ou d’autres moyens diplomatiques. En revanche, quelques
controverses relatives à l’interprétation et l’application de la Convention restent toujours
d’actualités. La Cour internationale de Justice (CIJ) est l’organe judiciaire des Nations
Unies et le Tribunal international du droit de la mer (TIDM) est le Tribunal international
spécialisé ayant la compétence de statuer sur les différends relatifs à l’interprétation et
l’application de la Convention.

Il convient d’abord d’examiner les zones maritimes selon la CNUDM (1), pour ensuite
distinguer entre l’opération de fixation des limites extérieures des zones maritimes
nationales et la délimitation maritime (2). 

1.1. Les zones maritimes selon la Convention des Nations Unies sur le droit de
la mer
Un apport important de la CNUDM est notamment la définition des zones maritimes : la
mer territoriale, la zone contiguë, la zone économique exclusive, le plateau continental et
la haute mer. La Convention contient aussi des dispositions relatives aux passages des
navires, la protection de l’environnement marin, la liberté de la recherche scientifique et
l’exploitation des ressources.

Ces zones maritimes sont généralement définies par leur distance à partir de la terre, et
plus précisément à partir de la ligne de base de la mer territoriale.

La ligne de base à partir de laquelle la mer territoriale est calculée peut être de


différents types, selon la forme de la ligne de côte :

1. La ligne de base normale correspond à la ligne de laisse de basse mer97 de la côte du


(97). La laisse de basse mer est l’intersection du rivage avec le plan d’eau de la marée la plus basse. Sur une caste marine, la
laisse de basse mer est le trait qui correspond au niveau de référence («niveau zéro») de la carte. Aux termes d’une résolution
technique de l’Organisation hydrographique internationale, le niveau de référence de toute carte marine est le niveau au-
dessus duquel la mer ne descend que très rarement, ce qui, pratiquement, correspond à peu de choses près à la marée
la plus basse. United Nations. Office for Ocean Affairs and the Law of the Sea, Lignes de base. Examen des dispositions
relatives aux lignes de base dans la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, New-York : Bureau des affaires

150 Les zones maritimes et la délimitation des frontières maritimes en Afrique de l’Ouest
territoire terrestre et aussi de la côte des îles.98

2. Les lignes de base droite sont considérées comme formant un système de lignes
reliant des points spécifiques situés sur la ligne de basse mer. Ces lignes de base droite
sont tracées lorsque la côte est profondément échancrée ou découpée ou s’il existe un
chapelet d’îles le long de la côte99.

3. Les lignes de fermeture baies100ou fleuves101sont aussi des lignes droites tracées entre
les points limites de la laisse de basse mer de l’embouchure du fleuve sur les rives ou
baies.

4. Les lignes archipélagiques sont des lignes droites reliant les points extrêmes des îles les
plus éloignées et des récifs découvrant de l’archipel à condition que le tracé de ces lignes
de base englobe les îles principales et définisse une zone où le rapport de la superficie
des eaux à celle des terres, atolls inclus, soit compris entre 1 à 1 et 9 à 1.102

Les eaux intérieures sont les eaux situées en deçà de la ligne de base de la mer territoriale,
elles font partie des eaux intérieures de l’Etat.103

La mer territoriale est une zone maritime dont la largeur ne dépasse pas 12 milles marins
mesurés à partir de lignes de base.

La zone contiguë est la ceinture de mer adjacente à la mer territoriale qui ne mesure
pas plus de 24 milles à partir des lignes de base à partir desquelles la mer territoriale
est mesurée. Dans cette zone, l’Etat côtier peut exercer le contrôle nécessaire en vue
de prévenir les infractions à ses lois et règlements douaniers, fiscaux, sanitaires ou
d’immigration sur son territoire ou dans sa mer territoriale; réprimer les infractions à ces
mêmes lois et règlements commises sur son territoire ou dans sa mer territoriale.104

La zone économique exclusive est la zone maritime au-delà de la mer territoriale et


adjacente à celle-ci. La limite extérieure de zone économique exclusive ne peut excéder
200 milles marins à partir des lignes de base à partir desquelles la mer territoriale est
mesurée.
maritimes et du droit de la mer, Nations Unies, 1989, n°9.
(98). Article 5 de la CNUDM « Sauf la disposition contraire de la Convention, la ligne de base normale à partir de laquelle est
mesurée la largeur de la mer territoriale est la laisse de basse mer le long de la côte, telle qu’elle est indiquée sur les cartes
marines à grande échelle reconnues officiellement par l’Etat côtier. »
(99). Article 7 de la CNUDM
« 1. Là où la côte est profondément échancrée et découpée, ou s’il existe un chapelet d’îles le long de la côte, à proximité
immédiate de celle-ci, la méthode des lignes de base droites reliant des points appropriés peut être employée pour tracer la
ligne de base à partir de laquelle est mesurée la largeur de la mer territoriale.
2. Là où la côte est extrêmement instable en raison de la présence d’un delta et d’autres caractéristiques naturelles, les
points appropriés peuvent être choisis le long de la laisse de basse mer la plus avancée et, même en cas de recul ultérieur
de la laisse de basse mer, ces lignes de base droites restent en vigueur tant qu’elles n’ont pas été modifiées par l’Etat côtier
conformément à la Convention. »
(100). Article 10 de la CNUDM.
(101). Article 9 de la CNUDM : « Si un fleuve se jette dans la mer sans former d’estuaire, la ligne de base est une ligne droite
tracée à travers l’embouchure du fleuve entre les points limites de la laisse de basse mer sur les rives. »
(102). Article 47 de la CNUDM.
(103). Article 8 de la CNUDM.
(104). Article 33 de la CNUDM.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 151


Le plateau continental signifie la partie de la marge continentale qui comprend les fonds
marins et leur sous-sol au-delà de sa mer territoriale, sur toute l’étendue du prolongement
naturel du territoire terrestre de cet Etat jusqu’au rebord externe de la marge continentale,
ou jusqu’à 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur
de la mer territoriale, lorsque le rebord externe de la marge continentale se trouve à une
distance inférieure.105

1.2. « Fixation des limites extérieures des zones maritimes nationales » et


« délimitation maritime » : deux opérations distinctes mais essentiellement /
étroitement liées
La détermination de la largeur des zones maritimes de l’État côtier suppose le tracé des
limites extérieures de ces zones maritimes mesurées à partir des lignes de base, sans
que ces zones ne rentrent en contact avec les zones maritimes d’un autre État ou d’une
île. La limite extérieure106 marque la fin de la largeur d’une zone maritime déterminée. En
effet, comme un effet de chaîne, la limite extérieure d’une zone constitue souvent la limite
intérieure d’une autre zone jusqu’à la limite de 200 milles qui marque la fin de la zone
économique exclusive en même temps que le début de la haute mer (Caflisch, 1985).
L’objectif de l’établissement des limites est de déterminer l’étendue des zones maritimes
sous la juridiction nationale de l’État côtier. Caflisch a précisé que la fixation des limites
consiste à « établir où commence et où finit une zone maritime vers la côte et vers la mer »
(Caflisch, 1983). Cela dit, le titre sur des zones maritimes dépend principalement d’une
projection « omni-directional » à partir de la côte sur la base du critère de la distance. En
effet, la détermination des limites maritimes n’est qu’une pure opération de déclaration
des zones maritimes appartenant déjà à l’État côtier (Antunes, 1983).

L’opération de fixation des limites extérieures des zones sous juridiction nationale relève
exclusivement de l’État riverain.107 Néanmoins, malgré le fait qu’elle soit une opération
unilatérale, elle a tout de même un aspect international surtout lorsqu’elle concerne le
plateau continental au-delà de 200 milles108. La Cour internationale de Justice avait
affirmé dans l’affaire des Pêcheries anglo-norvégienne que la fixation des limites des
zones maritimes (qu’elle désigne par le terme « délimitation des espaces maritimes ») « […]
a toujours un aspect international : elle ne saurait dépendre de la seule volonté de l’État
riverain telle qu’elle s’exprime dans son droit interne. S’il est vrai que l’acte de délimitation
est nécessairement un acte unilatéral, parce que seul l’État riverain a la qualité pour y
procéder, en revanche, la validité de la délimitation à l’égard des États tiers relève du droit

(105). Article 76 de la CNUDM. Voir aussi, « Status Report on African Maritime Border Disputes », The Ocean Data and
information Network for Africa ODINFRICA, http://www.odinafrica.org/index.php/news/139­african­maritime­border­disputes
1/3 (Date de dernière consultation 20/10/2015)
(106). La limite extérieure est : « La limite jusqu’à laquelle un État côtier revendique ou peut revendiquer une juridiction
spécifique conformément aux dispositions de la Convention. Les limites extérieures de la mer territoriale, de la zone contiguë
et de la zone économique exclusive sont constituées par des lignes dont chaque point est séparé du point le plus proche de
la ligne de base par une distance égale à la largeur de la zone mesurée (art. 4 ; art. 33, par. 2 et art. 57). Division des affaires
maritimes et du droit de la mer, Manuel sur la délimitation des frontières maritimes, op. cit., p. 142.
(107). Il convient de soulever l’exception du tracé des limites extérieures du plateau continental situé au-delà des 200
milles. En effet, cette opération suppose l’intervention d’un organe international qui est la Commission des limites du plateau
continental (CLPC).
(108). Notamment par la création de la commission des limites du plateau continental par l’Annexe II de la convention des
Nations Unies sur le droit de la mer chargée d’examiner la limite du plateau continental au-delà de 200 milles marins.

152 Les zones maritimes et la délimitation des frontières maritimes en Afrique de l’Ouest
international (CIJ, arrêt, 1951).»

La Cour souligne en effet, que l’État côtier procède unilatéralement à la revendication de

la zone maritime adjacente et en détermine les limites extérieures. Toutefois, pour que
cette opération soit valide et reconnue, il est nécessaire qu’elle soit conforme aux critères
du droit international.

En revanche, le processus de délimitation maritime s’enclenche normalement lorsque


deux États voisins font des revendications maritimes qui se chevauchent (Kamga, 2006).
Ils peuvent le faire simultanément, mais c’est souvent la revendication d’une partie qui
entraîne une prompte revendication de l’État qui lui fait face ou de l’État adjacent qui
entend par là protéger ses intérêts (Kamga, 2006). De ce fait, la délimitation maritime
consiste en l’établissement de lignes (appelées également « frontières »109) séparant les
zones maritimes sur lesquelles les États côtiers dont les côtes sont adjacentes ou se font
face exercent leur souveraineté ou leur juridiction. Ces lignes de partage sont nécessaires
lorsque les projections des titres des deux États ou plus110 se chevauchent. Leur mise en
place est effectuée à la lumière d’arguments juridiques ou politiques, mais elle reste en
fait, une opération technique111.
(109). Les lignes de partage des zones maritimes dans la délimitation sont appelées également frontières entre les deux
États. Sur l’utilisation du terme « frontière ». L’auteur G., Labrecque définit la frontière comme « une ligne de jure, déterminée
de manière consensuelle entre deux États aux fins explicites de délimiter les zones de chevauchement dans lesquelles ils
exercent ou entendent exercer respectivement leur souveraineté, leur juridiction exclusive et/ou leurs droites souverains
au-delà de leur territoire terrestre et jusqu’aux limites reconnues par le droit international », G.Labrecque, Les frontières
maritimes internationales : géopolitique de la délimitation en mer, Collection Raoul-Dandurand, Paris, l’Harmattan, 2è éd.,
2004, p. 45. P. Caflisch souligne que la frontière « désigne en règle générale soit des zones séparant les domaines de validité
territoriale des différends ordres juridiques étatiques, soit les limites précises divisant ces domaines. » Il ajoute en effet, que
« le terme « frontière » se rapportant ainsi à des zones ou ligne séparant des espaces sur lesquels les États sont pleinement
souverains, son application à l’ensemble des zones maritimes ici considérées semble problématique puisque la plupart de
ces zones sont des espaces sur lesquels les États côtiers n’exercent que des attributions limitées. » L., Caflisch, « Les zones
maritimes sous juridiction nationale, leurs limites et leur délimitation », Le nouveau droit de la mer, D., Bardonnet, et M., Virally,
(dir.), Paris, A. Pedone, Publications de la Revue Générale de Droit International Public, N° 39, 1983, p. 36. P. Pancracio
fait valoir que ce terme peut être pertinent pour l’espace terrestre sous-marin qui constitue le plateau continental « car, il
présente la même solide  et terrestre consistance que le territoire dont il est, au moins géographiquement à défaut de l’être
juridiquement désormais, le prolongement naturel ». J-P., Pancracio, op. cit., p. 258. Cela dit, l’emploi de la notion de frontière
maritime lorsqu’il y a un différend relatif à la souveraineté sur les territoires terrestres ne se voit pas toujours approprié. On
estimerait toutefois que dans l’hypothèse de l’absence de tout conflit de souveraineté, cet argument ne peut être invoqué.
Le terme « frontière » peut être conçu comme faisant une connotation pure à la frontière terrestre. C’est dans ce contexte
qu’ils pourraient refuser l’utilisation de « frontière » pour leurs espaces maritimes. Ceci concerne surtout ceux qui refusent
déjà sur le territoire terrestre l’existence de frontières sur des parties du territoire qui lui appartiennent mais soumises à la
souveraineté d’un autre État. C’est notamment le cas du Maroc, qui ne reconnaît pas l’existence de frontières espagnoles sur
son territoire car les presqu’îles Leila, Badis, les îles Chaffarines et les autres îlots proches qu’il conteste au même titre que les
deux parties du territoire enclavée (Sebta et Mellila), sont marocains mais soumis à la souveraineté espagnole. D’ailleurs c’est
ce que le Maroc a réaffirmé lors de la déclaration qu’il a faite le 27 juin 2007 à l’occasion de la ratification de la Convention
sur le droit de la mer de 1982: « Le Gouvernement du Royaume du Maroc réaffirme, de nouveau, que Sebta, Melilla, îlot
d’Alhoceima, le rocher de Badis, les îles Chaffarines sont des territoires marocains. », C.N.641.2007.TREATIES-4. Donc, à
l’image de cette situation conflictuelle, on imagine mal que le Royaume du Maroc pourrait en effet accepter l’utilisation du
terme frontière maritime dans une éventuelle opération de partage des zones maritimes avec l’Espagne.
(110). Le processus de délimitation suppose que celle-ci doit être effectuée entre deux États, mais elle peut également être
entre trois États ou plus, comme cela a été notamment le cas dans le cadre des affaires de délimitation du plateau continental
dans la mer du Nord (1969), où la délimitation concernait trois États côtiers, à savoir la République Fédérale d’Allemagne et le
Danemark, d’une part, et la République Fédérale d’Allemagne et les Pays-Bas, d’autre part. Il en est également de certains cas
de délimitation qui concernent deux États et un autre État tiers intervenant, comme cela a notamment été le cas dans l’affaire
de délimitation terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria, avec la Guinée Équatoriale comme intervenant (2002).
(111). La définition de la ligne séparative est une opération en elle-même purement technique même si elle s’inscrit dans une
affaire « politique » sur laquelle s’est greffé un différend juridique. M., Voelckel, « Aperçu de quelques problèmes techniques

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 153


Concernant la relation entre ces deux opérations, il convient d’abord de remarquer qu’à
titre d’exemple, dans l’arrêt sur l’affaire de délimitation du plateau continental de la mer du
Nord, la notion de délimitation maritime et celle de la détermination des limites extérieures
des zones maritimes nationales n’a pas été distinguée. La délimitation maritime était
considérée dans la confusion avec la fixation des limites des zones maritimes des États
sur la base du prolongement naturel, plutôt qu’une division dans la zone de chevauchement
des titres112. C’est justement le critère de la distance qui a permis de clarifier la distinction
entre la détermination des titres sur des zones maritimes et la délimitation maritime. La
frontière maritime entre deux États est l’œuvre de l’opération de délimitation. En revanche,
la détermination des limites extérieures désigne la fixation de l’étendue des zones
maritimes des États côtiers qui lui appartiennent déjà comme conséquence de l’exercice
de sa souveraineté et/ou de sa juridiction sur son territoire maritime. Le titre juridique
est considéré comme une condition fondamentale et indispensable pour la délimitation
maritime113. La délimitation suppose certes, l’existence de titres, cependant, elle n’est
nécessaire que si les projections concomitantes de ces titres se chevauchent114. En effet,
on ne peut pas dire qu’il existe une interdépendance entre les deux opérations car la
dépendance est d’une seule opération vers l’autre et non le contraire. Les deux opérations
sont donc complémentaires. L’effectuation de la délimitation dépend de l’existence d’un
chevauchement des titres générés par les côtes continentales ou insulaires. La délimitation
est donc bel et bien « fille du titre » (Weil, 1988).

La différence entre « limite » et « frontière » a été mise en lumière par le Tribunal arbitral
dans le différend en matière de délimitation maritime entre l’Érythrée et le Yémen (1999).
Le Tribunal arbitral soulignait que :  « Le terme frontière est […] au sens normal et ordinaire
qui est le sien, à savoir comme désignant une frontière maritime internationale entre
les deux États […] et non pas au sens de ce que l’on appelle habituellement une limite
maritime, telle que la limite extérieure d’une mer territoriale ou d’une zone contiguë »
(Tribunal arbitral, 1999).

Les deux notions sont en effet, différentes mais complémentaires. Différentes, car
« une limite indique jusqu’à quelle extrémité s’étend un domaine, tandis qu’une frontière
possède une fonction séparative entre deux États »115. Complémentaires, dans la mesure
où la frontière a pour objectif de partager l’espace maritime où existe un chevauchement
marqué par l’extension de compétences des deux États par une limite.

concernant la détermination des frontières maritimes », Annuaire français de droit international, vol. 25, 1979, p. 707.
(112). En effet, il a été difficile de concevoir comment les titres peuvent se chevaucher alors que leur octroi est essentiellement
basé sur le critère de prolongement naturel.
(113). L., Lucchini, et M. Vœlckel,, Le droit de la mer – Délimitation- Navigation et Pêche, Paris,A. Pedone, Tome II, 1996, pp.
12-14.
(114). Professeur M. Kamga souligne que la nécessité de résoudre les questions de délimitation maritime peut varier
considérablement d’une situation à l’autre. Cette nécessité est beaucoup plus pressante lorsqu’il y a un réel danger que le
différend dégénère en un conflit ouvert, ou lorsqu’il prive une ou plusieurs parties concernées de la possibilité d’exploiter des
ressources dont elles éprouvent un besoin impérieux. M., Kamga, Délimitation maritime sur la côte atlantique africaine, op.
cit.,p. 5.
(115). Tribunal arbitral, Sentence Guinée/Guinée Bissau, Recueil 1985, § 49. Ici le Tribunal souligne en effet que la notion de
frontière a une référence territoriale qui sort de son cadre maritime.

154 Les zones maritimes et la délimitation des frontières maritimes en Afrique de l’Ouest
II. La délimitation maritime consensuelle dans la côte africaine
en Atlantique
Dans les différends relatifs aux frontières maritimes, deux ou plusieurs États peuvent,
soit revendiquer la souveraineté sur la terre ou une île, soit le différend porte sur le
chevauchement de leurs droits et juridiction en mer. Il est donc important de comprendre
du point de vue juridique, l’importance des accords dans la délimitation maritime en
Afrique (1), et d’examiner les méthodes de délimitation dans cette région à travers les
accords conclus entre les États côtiers voisins (2).

2.1. L’importance des accords de délimitation maritime dans la côte africaine


en Atlantique
Le titre des États côtiers sur des zones maritimes soumises à sa souveraineté ou à sa
juridiction nationale est associé à l’absence de titres concurrents. Or, l’étroite proximité
géographique de plusieurs États côtiers et la volonté de chacun d’eux d’assurer l’exercice
de sa souveraineté ou de sa juridiction sur un maximum d’espaces maritimes créeraient un
chevauchement de leurs zones maritimes.116 En effet, dès lors qu’il y a un chevauchement
de la projection des titres potentiels sur des espaces maritimes, la délimitation maritime
devient nécessaire afin d’éviter tout conflit relatif à la souveraineté ou à l’exercice des
droits souverains117 sur les zones maritimes.

La délimitation maritime est une opération juridique et technique qui consiste à établir
une ligne entre les titres des États sur leurs zones maritimes qui se chevauchent. Elle
consiste à déterminer l’étendue des droits de chaque État côtier dans son rapport avec
l’État voisin par une ligne de délimitation jouant un rôle de « frontière maritime ». Cette
dernière traduit l’ensemble des paramètres essentiellement techniques d’une ligne
déterminée préalablement par un processus de délimitation juridictionnel ou par la voie
de négociation entre États. L’enjeu est donc d’éviter toute confrontation éventuelle avec
l’État côtier voisin ainsi que tout conflit relatif à la délimitation ou aux activités maritimes
(116). En effet, en plus de l’égoïsme étatique visant à assurer un maximum d’espaces maritimes, le chevauchement des zones
maritimes provient à vrai dire de l’absence de règles précises concernant le tracé de la limite extérieure des zones maritimes
par l’État côtier afin de déterminer ses zones maritimes. Bien qu’elle soit une opération unilatérale qui doit prendre en compte
les implications internationales, la détermination des limites extérieures ne respecte pas toujours la précision voulue afin de
définir l’étendue de la juridiction maritime de l’État côtier.
(117). Les droits souverains s’exercent essentiellement dans les zones maritimes au-delà de la mer territoriale qui est
seule soumise à la souveraineté de l’État côtier incluant les eaux intérieures. Dans la zone économique exclusive, les droits
souverains sont à finalité économique tel que défini dans la Déclaration de Lima du 8 Août 1970 où il est reconnu : « le
droit imprescriptible de l’État riverain d’explorer, de conserver et d’exploiter les ressources naturelles de la mer contiguë à
ses côtes…afin de favoriser au maximum le développement de son économie et d’élever le niveau de vie de sa population… »,
L’État par là a des droits sur les ressources en relation avec l’exercice de sa juridiction d’une part mais qui est à caractère
économique d’exploitation et de préservation du milieu marin ainsi qu’en matière de sécurité. L., Lucchini, et M., Voelckel, La
mer et son droit – Les espaces maritimes, Paris, A. Pedone, Tome I, 1990, p. 217 et 220. En effet, il a été souligné par le
même auteur que « la formule « droits souverains » soulève également des critiques. Lui est notamment reproché le /son
manque de précision juridique (Cf. Pinto UN General Assembly. 11th. Session. 6th. Committee. Summary record, 496 th.
Meeting. Déc. 19. 1956. p. 88). » Il ajoute en effet que « la conception de « droits souverains » … implique que les droits ainsi
reconnus à l’État sont souverains dans leur exercice, mais limités dans leur objet- fonctionnels- ou selon la formule souvent
employée, parce que juste et révélatrice de la correspondance existant entre le droit reconnu et le but poursuivi, finalisés. En
l’occurrence se sont les droits nécessaires et liés à l’exploration et à l’exploitation des ressources naturelles du plateau (cf.
CIJ 1969 § 19). », Ibid. p. 260.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 155


qui y sont liées. Par conséquent, la délimitation maritime a un caractère international.118

La délimitation maritime est effectuée par accord sur la base du droit international qui est
aujourd’hui basé sur les articles de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer
relatifs à la juridiction nationale, les lignes de base et la délimitation de la mer territoriale,
de la ZEE et du plateau continental.

En cas de difficulté d’effectuer la délimitation par accord, la délimitation juridictionnelle


serait une solution pour les deux parties. On peut dire que le processus de délimitation est
quasi définitivement mis en place par la jurisprudence internationale. Le juge et l’arbitre
ont développé considérablement la jurisprudence en matière de délimitation maritime
qui implique dans la majorité des affaires des questions relatives aux îles. Ils confirment
dans chaque affaire l’instauration d’un véritable droit de la délimitation maritime, qui se
structure en trois phases.119 Le droit de délimitation amène essentiellement, dans un
premier lieu, à tracer une ligne provisoire d’équidistance qui sera éventuellement modifiée
dans un deuxième lieu, en raison de l’existence de circonstances pertinentes. Dans ce
contexte, la présence d’îles peut être considérée comme une circonstance pertinente. Et
dans un dernier lieu, le processus de délimitation fini par procéder au test de l’équité de
la ligne de délimitation.120

Si le cadre juridique du processus de délimitation est modélisé de manière claire et quasi-


définitive, son application, pour chaque cas de délimitation, reste toutefois, relative aux
données géographiques ou non-géographiques qui sont susceptibles de se présenter.
La diversité de la géographie côtière dans chaque zone à délimiter a empêché l’élaboration
et le développement des règles générales – contenues dans les conventions de Genève
de 1958 et de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 capables
d’orienter les États dans l’établissement des lignes de délimitation.121 De ce fait, une
place importante est occupée par l’apport de la jurisprudence des tribunaux judiciaires
et arbitraux en matière de l’élaboration du droit de la délimitation maritime122. De plus,
les pratiques des États permettent elles, de dégager une base juridique en la matière
(CNUDM, 1988).

(118). La Chambre de la Cour a souligné dans l’affaire de délimitation du plateau continental dans la région du Golfe du
Maine qu’ : « Aucune délimitation maritime entre Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font face ne peut être effectuée
unilatéralement par l’un de ces Etats. Cette délimitation doit être recherchée et réalisée au moyen d’un accord faisant suite
à une négociation menée de bonne foi et dans l’intention réelle d’aboutir à un résultat positif. Au cas où, néanmoins, un tel
accord ne serait pas réalisable, la délimitation doit être effectuée en recourant à une instance tierce dotée de la compétence
nécessaire pour ce faire. » CIJ, Golfe du Maine Canada/États-Unis, Recueil 1984, § 112, p. 299.
(119). « L’arrêt rendu en l’affaire Roumanie c. Ukraine est donc important en ce qu’il expose de façon structurée l’état actuel
du droit de la délimitation maritime. », Discours de S. Exc. M. Hisashi Owada, Président de la Cour internationale de Justice, à
l’occasion de la Soixante-quatrième session de l’Assemblée Générale des Nations Unies, 29 octobre 2009.
(120). Voir supra, introduction sur le droit de la délimitation maritime.
(121). Mis à part le caractère vague et général des principes de délimitation contenus dans la Convention sur le droit de
la mer et dans le droit coutumier, chaque délimitation révèle une situation caractérisée par ses propres conditions qui sont
prises en compte par les États ou par le juge international. Les précédents judiciaires internationaux ainsi que la pratique
étatique mettent en lumière les facteurs à prendre en compte pour les cas futurs de délimitation. Ils donnent lieu à une
approche qui pourrait être adoptée dans les délimitations futures mais comme un simple cadre référentiel. Toutefois, ces
précédents ne peuvent en aucun cas permettre de dicter le résultat final de la ligne de délimitation.
(122). Il convient de souligner que les différends en droit de la mer ont occupé la place la plus importante dans la liste
des différends internationaux de ces dernières années. Ils constituent des occasions généreuses pour la jurisprudence
internationale.

156 Les zones maritimes et la délimitation des frontières maritimes en Afrique de l’Ouest
2.2. Les accords de délimitation maritime sur la côte atlantique africaine
Certaines délimitations maritimes dans la région atlantique de l’Afrique ont été effectuées,
mais deux d’entre elles, à savoir celles effectuées entre la Guinée-Bissau et le Sénégal,
ont été effectuées par l’instauration d’une procédure de règlement par une tierce partie, à
laquelle serait soumis le différend sur la frontière maritime (l’arbitrage) avec la soumission
du dernier à la Cour internationale de Justice. Les autres délimitations en atlantique
(Cameroun-Nigéria, Maroc – Mauritanie) sont des négociations par accord à travers des
négociations directes entre les parties.

Certaines délimitations étaient négociées dans le désir des parties d’éviter les problèmes
juridictionnels futurs. En effet, dans un esprit de bon voisinage, les États ont décidé
d’entreprendre la délimitation de la frontière maritime sans qu’il y ait une réelle controverse
ou incident. C’est le cas, par exemple, de l’accord entre la Gambie et le Sénégal en 1975.
D’autres accords étaient motivés par des raisons politiques spécifiques comme c’est le
cas dans l’accord entre le Maroc et la Mauritanie (1976) (Charney, Alexander, 1993)
ou par des incidents spécifiques comme c’est le cas de l’accord entre le Cameroun et
le Nigéria (1975) (Charney, Alexander, 1993) , ou encore par le désir de résoudre un
différend judiciaire qui a déjà eu lieu comme c’est le cas de l’arbitrage entre la Guinée et
la Guinée Bissau (1985) (Tribunal Arbitrale, 1985).

Prises dans leur ensemble, les délimitations maritimes en Afrique de l’ouest partagent
des caractéristiques communes. Il convient de constater, dans un premier lieu, qu’elles
ont toutes utilisé une combinaison d’une ligne d’équidistance lorsqu’elle est appropriée
et un système de parallèles de latitude, spécialement lorsqu’il s’agit d’un segment d’une
ligne de frontière au large dans le cas des États adjacents. Cela est, comme l’a expliquée
la sentence arbitrale Guinée-Guinée Bissau, pour permettre aux États parties d’étendre
leurs juridictions maritimes à une étendue maximum vers le large permis par le droit
international. C’est un système de délimitation désigné à éviter l’empiètement sur les
zones maritimes de chacune des parties qui aurait résulté si un système de parallèles de
latitudes n’était pas utilisé sur un segment particulier de la frontière.

Une autre caractéristique commune aux frontières maritimes en Afrique de l’Ouest, c’est
que chaque délimitation a tenté d’établir des lignes de frontières qui tiennent compte de
l’intérêt des délimitations potentielles dans la région. En effet, l’arbitrage dans l’affaire
Guinée - Guinée-Bissau a pris en considération la longueur considérable de la côte de
l’Afrique de l’Ouest et a établi une frontière qui s’adapte aux frontières maritimes futures
dans la région.

Plusieurs méthodes de délimitation ont été utilisées entre les États africains du côté /
de la côte atlantique. Il s’agit en effet du système de parallèle (1), l’équidistance (2), la
création de zone d’exploitation commune (3).

2.2.1. Système de parallèle

Il convient en revanche de souligner la particularité de l’accord de délimitation entre le


Maroc et la Mauritanie (1976) cet accord fait partie de l’accord de délimitation de la

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 157


frontière terrestre entre les deux États visant à trouver une solution politique en tenant
compte des principes de décolonisation. Cette solution politique a été contestée par le
Polisario et par conséquent, l’effectivité de la frontière maritime, était aussi remise en
cause. L’accord établit une ligne de délimitation du plateau continental qui est une ligne
droite du 24ème parallèle nord, tracée à partir de la frontière terrestre sur la côte.123

Le statut politique du Sahara continue à être un obstacle à la détermination et à la


formalisation de la frontière maritime dans la partie nord de la côte atlantique entre le
Maroc et l’Espagne (les îles canaries). Cette incertitude présente aussi des problèmes
pour la Mauritanie qui voudrait sans aucun doute conclure le tracé de sa frontière nord à
la lumière des découvertes d’hydrocarbures qui ont eu lieu.

La solution des parallèles de latitude adoptée pour la Gambie avec le Sénégal évite
l’amputation des zones de la Gambie, comme c’est le cas de la solution à la délimitation
maritime dans les affaires de Délimitation du plateau continental de la mer du Nord. C’est
un élément à considérer dans la négociation de leurs lignes de délimitation.

La ligne de délimitation entre le Cap Vert et la Mauritanie est en effet un prolongement


de la ligne de délimitation entre le Sénégal et le Cap Vert en 1993. Les deux frontières
forment un puzzle dans leur description comme étant des lignes d’équidistance. En
revanche, les lignes sur lesquelles les États se sont accordées, dévient considérablement
de l’équidistance dans le secteur nord de la ligne entre le Cap Vert et le Sénégal et dans
le secteur sud de la ligne entre le Cap Vert et la Mauritanie. Il paraîtrait au final qu’il s’agit
bien d’un système de parallèle de latitude au lieu de l’équidistance.

Le Cap Vert dispose d’un statut d’archipel selon la Convention de 1982 et a déposé
avec la Gambie, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Mauritanie, le Sénégal et la Sierra Leone,
une demande conjointe à la CLPC, le 25 septembre 2014. La Mauritanie et le Cap Vert
ont conclu un traité en 2003 délimitant la zone qui se situe entre leurs côtes opposées
respectives. Cette frontière n’a pas été tirée vers le nord sans doute à cause de l’absence
de délimitation entre le Maroc et la Mauritanie. Peut-être la solution serait de créer une
zone de développement commune au long des lignes entre la côte du Nigéria et São Tomé
and Príncipe qui est un autre Etat archipélagique (Daniel, 2005).

2.2.2. Lignes d’équidistance

En descendant vers le sud, il y a une sorte d’abandon des solutions basées entièrement
sur les parallèles de latitude.

La première utilisation de la ligne d’équidistance en 1960 était établie entre le Sénégal


et la Guinée-Bissau. Cette ligne a fait l’objet d’une affaire devant la CIJ qui a débouché

(123). Article H. La frontière d’Etat entre la République islamique de Mauritanie et le Royaume du Maroc telle que définie à
l’article I ci-dessus constitue la frontière terrestre et délimite également dans le sens vertical la souveraineté dans l’espace
aérien ainsi que l’appartenance du sous-sol. En ce qui concerne le plateau continental, la délimitation est constituée par le
24e parallèle Nord.
https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%201035/volume-1035-I-15406-French.pdf
https://treaties.un.org/Pages/UNTSOnline.aspx?id=2(Date de dernière consultation 20/10/2015)

158 Les zones maritimes et la délimitation des frontières maritimes en Afrique de l’Ouest
sur une sentence arbitrale en 1989 dont la validité a été remise en cause par la Guinée-
Bissau et donnant lieu à un arrêt de la Cour en novembre 1991 rejetant tous les points
de la Guinée-Bissau124. Cette même année, la Guinée-Bissau a demandé à la Cour de
délimiter toutes ses zones maritimes. Durant cette période, le Sénégal a affiché sa
volonté de négocier un accord. En 1993, la Guinée-Bissau et le Sénégal ont conclu
un accord d’exploitation commune des ressources et la mise sur pied d’une agence
internationale pour l’exploitation de la zone par le protocole instituant l’Agence de gestion
et de coopération entre les deux États.

La nécessité de certitude dans le Golfe de Guinée, particulièrement du point de vue des


intérêts commerciaux, était l’une des raisons derrière l’activité de détermination de la
frontière maritime. L’une des manifestations de cette activité était le commencement
par le Cameroun de la procédure judiciaire contre le Nigéria devant la CIJ en 1994.
Dans cette affaire jugée être l’une des plus longues car elle a été achevée en 2002,
la Cour a remis en lumière la ligne de délimitation sur laquelle les États se sont mis
d’accord en 1975. Cet arrêt a eu beaucoup d’implications sur les accords sur les lignes de
délimitations qui ont suivi. La Cour a jugé qu’en l’absence de circonstances pertinentes
ou spéciales, l’équidistance devrait être le principe qui guiderait toutes les lignes de
délimitation maritime au-delà des limites de la mer territoriale. Cette prescription reprend
les dispositions de l’article 15 de la Convention qui dispose qu’une ligne d’équidistance
est tracée pour délimitation de la mer territoriale entre les États adjacents ou qui se font
face. En revanche, l’équidistance au-delà de la mer territoriale sera toujours conditionnée
par l’application des principes de l’équité comme envisagé dans les articles 74 et 83 de
la CNUDM. La Cour a indiqué également que la délimitation maritime entre les deux Etats
devrait prendre en considération les intérêts des États tiers à la procédure judiciaire.

2.2.3. Zone d’exploitation commune

Au vu de ce qui a été développé en ce qui concerne la délimitation maritime entre la


Mauritanie et le Cap Vert, la solution pourrait se trouver dans une zone de développement
commune qui suivrait les lignes entre le Nigéria et Sao Tomé et Principe, un autre Etat
archipélagique.125

La frontière maritime entre le Nigéria et la Guinée Equatoriale (1999) était dirigée par des
considérations relatives aux ressources en hydrocarbures. Elle a effectivement respecté
les blocks de licences des deux États.

Simultanément aux négociations avec la Guinée Equatoriale, le Nigéria a entamé


les négociations avec Sao Tomé et Príncipe afin de mettre en place une zone de
développement commune (ZDC). L’objectif d’instituer cette zone est de permettre le
lancement de l’exploitation des réserves potentielles riches en hydrocarbures. Etant
(124). La Cour a rejeté toutes les conclusions de la Guinée-Bissau selon lesquelles : 1) la sentence du 31 juillet 1989 est
frappée d’inexistence; 2) subsidiairement, cette sentence est frappée de nullité absolue; 3) c’est à tort que le Sénégal prétend
imposer à la Guinée-Bissau l’application de la sentence. La Cour a dit ensuite, sur les conclusions présentées en ce sens par
le Sénégal, que cette sentence est valable et obligatoire pour les deux Etats, qui sont tenus de l’appliquer. http://www.icj-cij.
org/docket/files/82/10238.pdf(Date de dernière consultation 20/10/2015)
(125). http://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_files/wa775_14/clcs75_2014.pdf (Date de dernière consultation
20/10/2015)

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 159


donné la taille et les populations des deux États, la séparation des ressources naturelles
dans la ZDC est particulièrement favorable à Sao Tomé et Príncipe qui reçoit 40% des
revenus des ressources alors que le Nigéria 60%. Les deux États ont mis aussi en place
une Autorité commune de développement qui a déjà donné sa première licence et qui a
été un succès économique considérable.

160 Les zones maritimes et la délimitation des frontières maritimes en Afrique de l’Ouest
Conclusion :
Certaines délimitations maritimes en Afrique atlantique restent
pendantes 
Plusieurs cas de délimitation maritime ne sont pas encore effectués sur le littoral atlantique
africain. Il s’agit notamment de la délimitation entre l’Espagne, le Maroc et le Portugal.
Par rapport à l’Espagne et au Portugal, le Maroc se trouve confronté à la présence, au
large de son littoral, de deux groupes d’îles qui appartiennent respectivement à ces deux
pays européens. Cette situation implique la question de la méthode de délimitation des
frontières maritimes en cause. Dans la législation interne des Etats en question, on trouve
qu’il y a mention à la nécessité de ne pas franchir la ligne d’équidistance. En outre, et
concernant la délimitation entre le Maroc et les îles canaries et les îles Madères au large
de la côte atlantique126, il convient de souligner que la question de souveraineté ne pose
aucun problème en ce qui concerne les îles espagnoles et portugaises. Le problème est en
revanche, celui de la question de l’effet des îles qui se pose entre ces États. De nos jours la
question de la délimitation entre le Maroc et l’Espagne devient de plus en plus importante.
Il existe une divergence de vues susceptible de dégénérer vers un différend au sujet de la
méthode de délimitation maritime entre les îles canaries et la côte marocaine. Le Maroc
rejette toute délimitation unilatérale de la part de l’Espagne, et s’attache à l’application de
la règle de l’équité dans la délimitation du PC et de la ZEE (Note, 2015). L’Espagne paraît
défendre l’équidistance et départ, n’acceptait pas de négocier avec le Maroc tant que le
problème du Sahara marocain n’est pas résolu. En revanche, à partir de sa note du 13
mars 2015, l’Espagne a souligné qu’elle est prête à négocier notamment avec le Maroc
sur cette question de délimitation maritime, même celle au-delà de 200 milles.127

Entre le Ghana et la Côte d’Ivoire, un différend a été soumis, par un compromis entre
les deux États concernés, à une chambre spéciale du Tribunal International du droit de
mer formée par l’ordonnance du Tribunal du 12 janvier 2015. Le 27 février 2015, la Côte
d’Ivoire a soumis une demande en prescription de mesures conservatoires par laquelle
elle a prié la chambre de prescrire que le Ghana, notamment, « prenne toutes mesures
aux fins de suspension de toutes opérations d’exploration et d’exploitation pétrolières en
cours dans la zone litigieuse ».

Dans sa requête introductive d’instance, la Côte d’Ivoire a souligné que « Malgré


de nombreuses rencontres et négociations, notamment au sein de la Commission
mixte ivoiro-ghanéenne sur la délimitation de la frontière maritime entre la Côte

d’Ivoire et le Ghana créée en 2008 (ci-après, « la Commission mixte »), les positions
(126). Les îles dans la délimitation maritime en général, posent deux problèmes : celui de la souveraineté sur les territoires,
et celui de l’effet qu’il pourrait lui être accordé dans le processus de délimitation. Le droit de la mer ne contient aucune
disposition relative à l’effet qui peut être accordé à des îles ou groupe d’îles.
(127). “The Government of Spain is open to delimiting all of its maritime areas with States with opposite or adjacent coasts,
in accordance with the United Nations Convention on the Law of the Sea. To that end, Spain reiterates its willingness to
delimit its maritime areas with Morocco, Portugal or any other coastal State, including, where appropriate, the continental
shelf beyond 200 nautical miles that may result from the recommendations of the Commission on the Limits of the
Continental Shelf based on the partial submissions made by the Kingdom of Spain.” Déclaration 22 avril 2015. Accessible sur
l’URL suivante : http://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_files/esp77_14/2015_04_22_ESP1_NV_UN_004_15-
00366.pdf (Date de dernière consultation 20/10/2015)

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 161


des parties demeurent antagoniques. Elles peuvent être résumées comme suit :
- le Ghana revendique une frontière qu’il identifie avec une ligne d’équidistance dans
l’objectif d’obtenir que soit officialisée la ligne qu’il utilise unilatéralement pour l’octroi
de ses concessions de pétrole et de gaz ; - la Côte d’Ivoire revendique une ligne qui
tienne compte des circonstances pertinentes propres à l’espèce et permette d’aboutir
à une solution équitable, conformément aux exigences du droit international de la mer
contemporain. Ces prétentions concurrentes ont donné naissance à une zone litigieuse,
dont l’existence est reconnue par les parties […] qui s’étend de la côte à la limite extérieure
du plateau continental. Jusqu’à la limite des 200 milles marins, la zone litigieuse
couvre une surface d’environ 30.000 km² (soit à peu près 9.000 milles marins²)»
(Tribunal International du droit de la mer).

Nonobstant l’absence d’accord quant à la délimitation de la frontière maritime, la côte


d’Ivoire indique que le Ghana s’est conduit comme si la zone litigieuse lui était acquise,
tout en poursuivant des négociations avec la Côte d’Ivoire. Ainsi, le Ghana a-accordé
de nombreuses concessions pétrolières dans cette zone. Selon la Côte d’Ivoire, « Ces
blocs se répartissent sur une zone s’étendant depuis la côte au nord sur une distance
vers le sud d’environ 160 km (soit 85 milles marins), couvrant une surface de la zone
litigieuse de l’ordre de 5.000 km² (soit 1.500 milles marins²). Pour sa part, la Côte d’Ivoire
a exprimé, d’une manière réitérée, son opposition à toute activité pétrolière dans la zone
litigieuse, tant auprès du Ghana, que des compagnies pétrolières opérant dans la zone
(TIDM, 2015)».

Un peu plus au Sud, aucun accord n’a été trouvé entre le Gabon et les deux Congo.
Entre ces derniers se trouve une enclave de Cabinda appartenant à l’Angola, mais aucun
accord formel sur les frontières maritimes n’existe entre tous ces États. En revanche, il
existe un accord d’unitarisation qui stipule un partage équitable des revenus de la zone
qui est extrêmement riche en hydrocarbures. L’Angola donne des licences sur des blocks
juste de l’autre côté de l’embouchure du fleuve Congo, tandis que l’unitarisation des deux
concessions qui se chevauchent pourrait offrir une solution à court terme (Daniel, 2015).

Plus loin vers le sud, la frontière terrestre entre la Namibie et l’Afrique du Sud suit le cours
du fleuve Orange. Cette frontière terrestre est aussi objet de différends. De plus, certaines
îles situées sur l’embouchure du fleuve et à l’intérieur du fleuve sont riches en diamants.
L’un des problèmes posés par ce fleuve est aussi son instabilité et fluctuation de façon
périodique. Ce qui rend difficile la détermination exacte de la frontière terrestre entre les
deux Etats concernés (Kamga, 2006). Sa nature particulière fait que l’embouchure est
bloquée par un important ensablement qui la réduit par rapport au lit normal du fleuve.

162 Les zones maritimes et la délimitation des frontières maritimes en Afrique de l’Ouest
Bibliographie

I. OUVRAGES
• ANTUNES, N. M. 2003. Towards the Conceptualisation of the Maritime Delimitation:
Legal and Technical Aspects of a Political Process, Publications on Ocean Development,
vol. 42, MartinusNijhoff Publishers, Dordrecht/ Boston/ Londres;
• BARDONNET D., et VIRALLY M. (dir) 1983. Le nouveau droit de la mer, Paris, A.
Pedone, Publications de la Revue Générale de Droit International Public, N° 39;
• BEDJAOUI M. (réd.) 1992. Droit international, Bilan et perspectives, Tome 2, Paris,
Editions A. Pedone et UNESCO, Paris;
• BEURIER, J.-P. (dir.) 2006/2007. Droits maritimes, Dalloz, Paris;
• BROWNLIE, I. 1979. African Boundaries, London;
• CHARNEY J.I., ALEXANDER L.M. (éds.) 1993. International Maritime Boundaries,
The American Society of lnternational Law, Netherlands;
• DUPUY R.-J. 1976. Le pétrole et la mer, Institut du Droit de la Paix et du Développement
CERDEM,Université de Nice, PUF, Paris;
• DUPUY, R.-J., VIGNES D. 1985 Traité du Nouveau Droit de la Mer, Economica, Paris;
• KAMGA, M. 2006. Délimitation maritime sur la côte atlantique africaine, Bruxelles,
Bruylant;
• KOLB, R. 2003. Case Law on Equitable Maritime Delimitation/ Jurisprudence sur
les délimitations maritimes selon l’équité, Digest and Commentaries/ Répertoires et
commentaires, Publications on OceanDevelopement, vol. 38, La Haye/Londres/New
York, Martinus Nijhoff Publishers;
• LABRECQUE, G. 2004. Les frontières maritimes internationales : géopolitique de la
délimitation en mer, Collection Raoul-Dandurand, Paris, l’Harmattan, 2è éd;
• WEIL, P. 1988. Perspectives du droit de la délimitation maritime, Editions A. Pedone,
Paris;
• LUCCHINI L. et VOELCKEL, M. La mer et son droit – Les espaces maritimes, Paris,
A. Pedone, Tome I, 1990;
• LUCCHINI, L., et VOELCKEL M. 1996. Le droit de la mer – Délimitation- Navigation et
Pêche, Paris, A. Pedone, Tome II.

II. ARTICLES
• ADEDE, A. O. 1993. “Cameroun-Nigeria”, Jonathan I. CHARNEY and L. M.
ALEXANDER, International Maritime Boundaries, vol. I, Nijhoff, Dordrecht, pp. 293-
295;
• ALEXANDER, M. L., 1989. « Exploring New Potentials for Maritime Boundary Dispute
Settlement », G. D., DALLMEYER, et L., De VORSEY, (éd.), Rights to Oceanic Resources.
Deciding and Drawing Maritime Boundaries, Dordrecht, Nijhoff, pp. 149 – 152;
• CAFLISCH, L. 1983. « Les zones maritimes sous juridiction nationale, leurs limites et
leur délimitation »,D. Bardonnet et M Virally (éd.), Le nouveau droit international de la
mer, Paris, pp. 35-116;
• CAFLISCH, L. 1985. « La délimitation des espaces entre États dont les côtes se font
face ou sont adjacentes », R-J., Dupuy et D., Vignes (dir.), Traité du nouveau droit de

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 163


la mer, Paris, Economica, Brulyant, Bruxelles, pp. 375-440;
• Centre for Borders Research,»Report predicts rise in African maritime boundary
disputes», 3 Décember 2014, Boundary news IBRU, accessible sur le lien URL
suit: https://www.dur.ac.uk/ibru/news/boundary_news/?itemno=23080 (Date de
dernière consultation 10/11/2015);
• DANIEL, T. Octobre 2001. «Maritime Boundaries in the Gulf of Guinea», Communication
présentée à l’occasion de la ABLOS Conférence de 2001 « Accuracies and
Uncertainties in Maritime Boundaries and Outer Limits », http://www.iho.int/mtg_
docs/com_wg/ABLOS/ABLOS_Conf2/DANIEL.PDF (Date de dernière consultation
10/11/2015);
• DANIEL, T. 2005. “Region VI African Maritime Boundaries”, D.A. COLSON, R.W., SMITH
(éds.), International Maritime Boundaries, The American Society of International Law,
Netherlands, pp. 3429-3438;
• DAVID, E. 1985. « La sentence arbitrale du 14 février 1985 sur la délimitation de la
frontière maritime Guinée/Guinée Bissau », A.F.D.I, pp. 350- 389;
• IHRAÏ, S. 2003. « Le contentieux maroco-espagnol en matière de délimitation
maritime », A. D. Mer 2002, Paris, Pedone, Tome VII, pp. 199-226;
• KAMTO, M. 1997. « Le contentieux de la frontière maritime entre la Guinée-Bissau et
le Sénégal », R.G.D.I.P., pp. 695-735;
• The Ocean Data and information Network for Africa ODINFRICA, « Status Report
on African Maritime Border Disputes », http://www.odinafrica.org/index.php/
news/139africanmaritimeborderdisputes 1/3 (Date de dernière consultation
20/10/2015);
• QUENEUDEC, J-P. 1989. « L’arbitrage relatif à la détermination de la frontière
maritime entre la Guinée-Bissau et le Sénégal (31 juillet 1989) », Annuaire français
de droit international, Vol. 35, N. 1, pp. 325-338;
• VOELCKEL, M. 1979. « Aperçu de quelques problèmes techniques concernant la
détermination des frontières maritimes », Annuaire français de droit international, vol.
25, n° 1, pp. 693-711.

III. DOCUMENTS DES NATIONS UNIES


• Bureau des affaires maritimes et du droit de la mer, Lignes de base. Examen des
dispositions relatives aux lignes de base dans la Convention des Nations unies sur le
droit de la mer, New-York, Nations Unies, 1989, n°9;
• Bureau des affaires maritimes et du droit de la mer, Régime des îles : Travaux
préparatoires concernant la Partie VIII (article 121) de la Convention des Nations
Unies sur le droit de la mer, Nations Unies, New York, 1988;
• Convention relative au tracé de la frontière d’États établie entre la République
islamique de Mauritanie et le Royaume du Maroc (avec carte). Signée à Rabat le
14 avril 1976. Accessible sur l’URL suivante : https://treaties.un.org/doc/Publication/
UNTS/Volume%201035/volume-1035-I-15406-French.pdf (Date de dernière
consultation 20/10/2015);
• Déclaration du 22 avril 2015 du Royaume d’Espagne au Nations Unies, Accessible
sur l’URL suivante : http://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_files/
esp77_14/2015_04_22_ESP1_NV_UN_004_15-00366.pdf (Date de dernière
consultation 20/10/2015);

164 Les zones maritimes et la délimitation des frontières maritimes en Afrique de l’Ouest
• Discours de S. Exc. M. Hisashi Owada, Président de la Cour internationale de Justice,
à l’occasion de la Soixante-quatrième session de l’Assemblée Générale des Nations
Unies, 29 octobre 2009;
• Note du 10 mars 2015 du Royaume du Maroc au Nations Unies, accessible sur l’URL
suivante : http://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_files/esp77_14/mor_
re_esp77.pdf (Date de dernière consultation 20/10/2015);

IV. JURISPRUDENCE
• CIJ, Affaire des Pêcheries (Royaume uni / Norvège), arrêt, Recueil 1951;
• CIJ, Golfe du Maine Canada/États-Unis, arrêt, Recueil 1984;
• CIJ, Frontière terrestre et maritime (Cameroun/Nigéria ; Guinée Équatoriale
Intervenant)), arrêt du 10 octobre 2002;
• CIJ, Plateau continental de la Mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/
Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt du 20 février 1969;
• TIDM, Chambre spéciale, Différend relatif a la délimitation de la frontière maritime
entre le Ghana et la Côte d’Ivoire dans l’océan atlantique, Demande en prescription de
mesures conservatoires présentée par la République de côte d’Ivoire conformément
à l’article 290, paragraphe 1, de la convention des Nations Unies sur le droit de la
mer, 27 février 2015;
• Tribunal arbitral, Délimitation de la frontière maritime entre la Guinée et la Guinée-
Bissau, Sentence du 14 février 1985, Recueil des sentences arbitrales, Vol. XIX pp.
149-196;
• Tribunal arbitral, Sentence Érythrée/Yémen (deuxième étape), Recueil 1999.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 165


8
DE L’INSTITUTIONNALISATION DE L’ESPACE
AFRO-ATLANTIQUE : UNE AMBITION EN
CONSTRUCTION

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 167


DE L’INSTITUTIONNALISATION DE L’ESPACE AFRO-
ATLANTIQUE : UNE AMBITION EN CONSTRUCTION

8
Najib AL MAGHREBI 128

Introduction

En octobre 2012, les pays membres de la Conférence ministérielle des États Africains
Riverains de l’Atlantique129, réunis pour la première fois à Rabat le 04 août 2009, ont
entamé une série de négociations pour l’institutionnalisation de cette conférence sous le
nom d’« Initiative Atlantique Africaine» (IAA). Ces négociations portaient essentiellement
sur l’adoption de deux textes à savoir la convention régionale devant donner naissance à
l’IAA ainsi que la conclusion d’un accord de siège avec le gouvernement marocain.

Cette évolution est le fruit d’une initiative marocaine formulée dans le cadre des réflexions
menées lors des Forums Internationaux Tricontinentaux de Skhirat en 2009 et de 2012.

L’initiative atlantique africaine fait désormais partie intégrante du discours politique et


diplomatique du Maroc notamment dans son volet africain. Il en est ainsi des discours du
souverain, le Roi Mohamed VI, comme sa lettre adressée à la première conférence des
ambassadeurs le 30 août 2013 où il appelle le gouvernement à « relancer les activités de
la Conférence des États africains riverains de l’Atlantique, organisation régionale dont [le
Maroc a] tenu à abriter le siège dans [sa] capitale, et à lui permettre de jouer pleinement
le rôle qui lui revient en tant qu’instrument au service [ des ] relations [ du pays] avec [ses]
frères africains ».

Ainsi, quels sont les motifs ayant présidé au lancement de cette initiative par le Maroc ?
Quelle lecture pouvons-nous faire de ce comportement «singulier» du Maroc visant la
création d’une nouvelle organisation régionale ? Traduit-elle seulement une volonté de
peser davantage dans le continent africain ? Ou s’agit-il d’une initiative pouvant permettre
au Maroc de se positionner par rapport aux évolutions futures de l’espace atlantique ?
Quelles sont les opportunités offertes au Maroc dans l’espace atlantique ? Enfin quelles
sont les réponses institutionnelles apportées par les États africains en vue de mettre en
place des structures pérennes à cette initiative ?

(128). Doctorant en Relations Internationales, Université Abdelmalek ESSAADI Tanger, Faculté des Sciences Juridiques,
Economiques et Sociales ; Chercheur associé à l’Observatoire d’Etudes Méditerranéennes Tanger.
(129). Selon les textes soumis aux négociateurs, les pays membres de cette Conférence sont : La République d’Afrique du
Sud, la République d’Angola, la République du Bénin, la République du Cameroun, la République du Cap-Vert, la République du
Congo, la République Démocratique du Congo, la République de Côte d’Ivoire, la République Gabonaise, la République de Gam-
bie, la République du Ghana, la République de Guinée, la République de Guinée-Bissau, la République de Guinée Equatoriale, la
République du Libéria, le Royaume du Maroc, la République Islamique de Mauritanie, la République de Namibie, la République
Fédérale du Nigéria, la République Démocratique de Sao Tomé et Principe, la République du Sénégal, la République du Sierra
Leone, la République du Togo.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 169


Pour répondre à toutes ces interrogations, la présente contribution tentera dans un premier
temps d’apporter un éclairage sur les dynamiques tant régionales qu’internationales
ayant conduit au lancement de cette initiative (I) avant de s’attarder dans un deuxième
temps sur les différentes étapes d’institutionnalisation de cette initiative (II).

I. Le Maroc et l’initiative atlantique africaine : fruit de dynamiques


régionales et internationales
Le processus de la mise en place de l’initiative Atlantique Africaine, est l’aboutissement
des réflexions menées dans le cadre des forums Skhirat I et II, tenus respectivement en
mai 2009 et novembre-décembre 2012 (1-1.). Les conclusions auxquelles ont abouti ces
deux forums ont en effet mis l’accent sur la proximité historique et culturelle ancienne des
peuples de l’espace atlantique dont la diversité et le potentiel de complémentarité restent
à mobiliser au service d’une communauté de destin. Elles ont également mis en exergue
les opportunités de co-développement qu’offre cet espace. Celles-ci sont particulièrement
adaptées à la sortie de crise économique de 2008 et à la réponse aux défis communs.
Ces rencontres de haut niveau montreront aussi l’utilité de prendre l’Atlantique comme
cadre approprié pour faire face aux exigences de la cohésion sociale, de la mobilité des
personnes, du développement durable, du changement climatique, de la biodiversité ainsi
que de la sécurité maritime, de la lutte contre la violence et les trafics de tous genres
(HCP, 2009).

Outre cette dynamique internationale mettant l’accent sur la pertinence de l’émergence


d’un espace atlantique élargi, cette initiative répond à un besoin pour le Maroc de renouveler
ses relations avec l’Afrique et d’avoir un cadre multilatéral pour pouvoir faire face aux
nouveaux défis transfrontaliers et transrégionaux de sécurité (1.2.). Elle traduit également
la montée des considérations géoéconomiques en tant que thématique privilégiée dans la
politique étrangère du Maroc à l’égard de l’Afrique (1.3.), sans oublier pour autant l’utilité
de l’espace atlantique pour le positionnement stratégique et régional du Maroc tant dans
ces relations avec les puissances traditionnelles qu’émergentes (I.4).

1-1. Les débats sur l’espace atlantique :


Les travaux des deux forums de Skhirat s’inscrivaient dans le processus de réflexion
prospective « Maroc 2030 » conduit par le Haut-Commissariat au Plan au Maroc depuis
2004. C’est probablement dans le même esprit qu’il faut inscrire les réflexions organisées
par OCP Policy Center et le German Marshall Fund of the United States sur l’avenir de
l’espace atlantique, tel que présentées dans le cadre de la conférence annuelle << The
Atlantic Dialogues >>.

Ainsi, le premier forum de Skhirat mettra l’accent sur le rôle déterminant de l’Atlantique
pour l’avenir de la planète ; En effet, outre le fait que cet espace concentre les deux tiers
du PIB et près de 70 % de la consommation globale, il attire une bonne partie du trafic
maritime et aérien du globe. C’est aussi le milieu qui abrite plus de la moitié de l’eau douce

170 De l’institutionnalisation de l’espace afro-atlantique : Une ambition en construction


renouvelable de la planète ou une grande majorité des réserves de minerais rares. Du
point de vue de l’énergie (traditionnelle et renouvelable), l’espace atlantique joue déjà un
rôle-clef pour le futur modèle d’économie plus « propre » et durable qui devrait émerger
de la crise économique de 20082.

Les travaux du Forum ont également mis en exergue les multiples paradoxes existants
dans l’espace atlantique à commencer par les multiples sources de tensions et de
problèmes ; les grandes disparités sociales, l’écart immense du niveau de développement
entre ses différentes nations et les trafics de genre et la criminalité (HCP, 2012).

Ces réflexions vont ainsi mettre l’accent sur la nécessité de voir émerger une volonté
commune chez les États riverains de l’Atlantique et fédérer leurs efforts en vue de faire
passer l’espace atlantique d’un simple concept géographique à un espace de coopération
politique, économique et social. A cet égard, des propositions d’actions communes
concrètes et immédiates ont été faites pour la valorisation de l’espace atlantique. Elles
comprennent :

• L’océan lui-même, qui relie les sociétés de cet espace, est évidemment le premier
objet de coopération possible130;
• L’énergie131;
• L’agriculture et l’eau;
• La lutte contre le réchauffement climatique et défense de la biodiversité;
• La Mobilité humaine et le développement;
• Le Développement des nouvelles technologies nécessaires pour l’adaptation des
économies atlantiques à un nouveau modèle d’économie « vert »;
• L’éducation.

L’organisation de ces débats est intervenue à un moment où le Maroc œuvre inlassablement


pour le renouvellement de sa politique à l’égard du continent africain.

1.2. L’initiative atlantique traduit une volonté de renouvellement de la


politique africaine du Maroc :
Le lancement de l’initiative atlantique africaine ne peut être dissocié du contexte général
des relations du Maroc avec les pays de l’Afrique sub-saharienne. En effet, soixante ans
après son indépendance et malgré ses efforts en vue de leur amélioration, les relations
du Maroc avec plusieurs pays africains sont toujours plombées par les positions de ces
pays à l’égard de son intégrité territoriale.

Aujourd’hui, malgré les efforts déployés par le Maroc pour le maintien de la stabilité et de
la sécurité du continent, force est de constater que les positions adoptées par certains

(130). Les actions communes dans ce domaine comportent la gestion et la réglementation des ressources naturelles,
en particulier les ressources halieutiques; l’organisation d’une réponse mutualisée à la menace posée par la criminalité
transnationale, particulièrement le trafic de drogues, d’armes et d’êtres humains, ainsi que par la piraterie dans l’espace
maritime atlantique ; la protection et l’organisation des activités économiques maritimes.
(131). la coopération dans ce domaine chercherait à assurer la sécurité de l’approvisionnement énergétique de l’espace
atlantique et développer en commun les filières d’énergie renouvelables et durables.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 171


pays africains au sujet de la question du Sahara et l’état actuel des relations du Maroc
avec l’Union Africaine, gênent considérablement une présence de plus en plus accrue du
Maroc en Afrique.

Aujourd’hui, si le nombre de pays africains reconnaissant la pseudo « rasd » est en


constante régression132, la non-appartenance du Maroc à l’Union Africaine demeure un
obstacle au développement de relations approfondies entre le Maroc et plusieurs pays
africains.

En outre, devant la domination imposée sur les diverses instances de l’UA, par le trio
Algérie, Nigeria et Afrique du Sud, le Maroc se trouve ipso facto exclut des initiatives
menées par cette organisation en matière de sécurité et de maintien de la stabilité du
continent. En conséquence le Maroc bien qu’il soit un pourvoyeur important de troupes
pour les opérations de maintien de la paix sur le continent133, est exclu des actions
collectives concernant les problématiques de la paix et la sécurité en Afrique et des
actions visant la lutte contre le terrorisme, les menaces transnationales et la piraterie
maritime en Afrique. Dans le processus des partenariatsrégionaux134, l’Union Africaine,
déploie tous les subterfuges destinés à exclure le Maroc de ces partenariats.

Certes le Maroc est membre à part entière de quelques organisations régionales telle que
la Communauté des États Sahélo-saharienne (Cen-Sad), membre observateur auprès de
la Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)135 et s’emploie à
devenir membre de la Communauté Economique des États de l’Afrique Centrale (CEEAC)
et auprès de la Communauté des Pays de Langue Portugaise (CPLP). Toutefois le constat
général est qu’il ne bénéficie pas d’une présence dans les organisations régionales et
sous-régionales africaines.

Cet intérêt croissant pour l’espace atlantique revêt une importance pour le Maroc d’autant
plus que la coopération économique avec les pays de l’Afrique subsaharienne occupe une
place importante dans la politique africaine du Maroc.

1.3. Le versant économique de la politique étrangère du Maroc en Afrique :


Le contexte de la naissance de l’initiative atlantique africaine soutenue par le Maroc ne
peut être mieux saisi que par la prise en compte de deux aspects importants des relations
extérieures du pays. Il s’agit dans un premier temps des conséquences négatives induites
pour le Maroc du blocage actuel dans la construction maghrébine, et en second lieu des
effets négatifs de la crise financière et économique européenne sur le royaume.

(132). Le nombre d’États africains reconnaissant l’entité fantoche, qui était par le passé de l’ordre de 36 ne compte
aujourd’hui que 18 pays
(133). L’armée marocaine est actuellement présente dans les opérations de maintien de la paix en Côte d’Ivoire, la République
Démocratique du Congo et en Centrafrique.
(134). L’auteur fait allusion ici au Partenariats Europe-Afrique, Pays-Arabe-Afrique, Afrique-Chine, Afrique-Japon,
Afrique-Amérique du Sud, Afrique-Turquie, Afrique-Russie, Afrique-Thailande, Afrique-Etats-Unis d’A
(135). Le Maroc bénéficie depuis 2005 du statut de membre observateur de cette organisation.

172 De l’institutionnalisation de l’espace afro-atlantique : Une ambition en construction


1.3.1. Le blocage de la construction maghrébine 

Un quart de siècle après la conclusion du traité de Marrakech ayant donné naissance à


l’Union du Maghreb Arabe (UMA), ce bloc régional peine, en raison du différend du binôme
maroco-algérien à reprendre son cours normal. Malgré les potentialités prometteuses
de cet ensemble régional, le degré d’intégration entre les cinq pays, constituant ce
groupement, est des plus faibles et sa plus haute instance de décision, à savoir le sommet
des Chefs d’Etat, ne s’est pas réuni depuis 1994.

Sur le plan économique le commerce intra-régional se situe autour de 1,2% des échanges
extérieurs de la zone, soit le taux le plus bas des groupements régionaux à travers le
monde. Par comparaison, le commerce intra-zone représentait 32,7% des échanges de
l’Union Européenne, 11% de l’ASEAN, 14,6% des PECO et 7,9% des pays du MERCOSUR.

Toutes les études menées sur le potentiel de l’intégration économique au Maghreb


estiment que la réalisation de l’UMA conduirait à une hausse de 1 à 2 % du taux de
croissance annuel des pays maghrébins. La Banque Mondiale, pour sa part a estimé
qu’une intégration maghrébine plus approfondie créerait les conditions pouvant amener le
PIB réel par habitant entre 2005 et 2015 à croitre de 34%, 27% et 24% supplémentaires
pour l’Algérie, le Maroc et la Tunisie respectivement.

1.3.2. Les effets de la crise financière et économique en Europe sur le Maroc

La crise dont pâtit depuis 2008 l’Union Européenne, principal partenaire économique et
financier du Maroc, a eu des effets économiques négatifs sur le Maroc. Selon les experts
du Fonds Monétaire International (Tahari, 2008) « l’impact de la crise économique en
Europe sur le Maroc passerait essentiellement par des canaux tels que le ralentissement
de la demande extérieure (: exportations marocaines) adressée au Maroc ; celui des
recettes du tourisme ou des transferts des Marocains résidents à l’étranger et une
réduction des investissements étrangers » (Tahari, 2008).

Les blocages des projets d’intégration régionale au Maghreb et la crise économique ayant
frappé le vieux continent en 2008, ont largement amené le Maroc à donner un coup
d’accélérateur à ses relations économiques avec les pays d’Afrique particulièrement ceux
ayant une façade sur l’atlantique.

Depuis lors, et comme le dévoilent les graphiques suivants, l’on assiste à un développement
des relations économiques avec les pays de l’Afrique subsaharienne particulièrement
dans les domaines du commerce et de l’investissement :

• Echanges commerciaux : même si les échanges commerciaux avec l’Afrique n’ont


représenté en 2013, que 9% du commerce extérieur marocain, il n’en demeure
pas moins que ces échanges se sont appréciés par rapport à la période 2008-
2012, pendant laquelle ils n’ont représenté en moyenne que 7% des échanges
extérieurs du Maroc (Conseil National du Commerce Extérieur, 2014).

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 173


Figure 6 : Direction géographique et composition des exportations vers l’Afrique
subsaharienne, 2000-2002 (en % des exportations totales)

Source : Ministère de l’économie et des finances direction des études et des prévisions financières

Figure 7 : Évolution des échanges commerciaux avec l’Afrique subsaharienne

Source : Ministère de l’économie et des finances, office des changes

• Investissements : Les investissements directs effectués par le Maroc en Afrique


ont connu, depuis une dizaine d’années, une nouvelle dynamique favorisée,
entre autres, par la libéralisation progressive de la réglementation des changes

174 De l’institutionnalisation de l’espace afro-atlantique : Une ambition en construction


permettant notamment aux opérateurs économiques marocains d’investir en
Afrique jusqu’à 100 Millions de dirhams (MDH). Les investissements directs
marocains en Afrique ont atteint leur niveau record en 2010 avec 4,6 Milliards
de dirhams (Mds DH), représentant ainsi 92,2% du total des investissements
directs marocains à l’étranger.

Investissements directs marocains en Afrique subsaharienne


Années 2008-2013

En millions de dirhams

2008 2009 2010 2011 2012 2013*

1- Investissements
directs marocains en 2 181,0 2794,7 4424,2 788,4 1611,1 1157,8
Afrique subsaharienne

2- Investissements
directs marocains en 2 329,6 3046,2 4624,9 912,3 1726,67 1183,7
Afrique

3- Investissements
directs marocains à 4 235,6 3 838,9 5 015,6 1 709,9 3 531,5 2 683,0
l’étranger
97,8
Part (%) 1/2 93,6 91,7 95,7 86,4 93,3

Part (%) 1/3 51,5 72,8 88,2 46,1 45,6 43,2

La coopération économique avec les pays africains a franchi une nouvelle étape en 2014
avec la conclusion par le Maroc et le Gabon d’un partenariat stratégique dans le domaine
de la production des engrais. Ce Partenariat est fondé sur le principe d’une intégration
totale des ressources naturelles des deux pays (phosphate et gaz). La Joint-venture qui
sera créée dans ce projet, investira à terme, plus de 2 milliards de dollars dans des actifs
industriels comprenant, au départ, au Gabon une unité de production d’Ammoniaque à
partir du gaz gabonais et une unité de production d’engrais. Au Maroc, elle comprend
deux unités de production d’Acide Phosphorique à partir du phosphate. La capacité
totale de production des deux unités sera de l’ordre de 2 millions de tonnes d’engrais
dès 2018, soit l’équivalent de la consommation actuelle d’engrais phosphatés en Afrique.
Cet ensemble industriel permettra de couvrir au moins 30 pc de la demande totale du
continent à cet horizon.

Le lancement de l’initiative atlantique africaine revêt un intérêt particulier pour le Maroc


en raison de l’importance accrue et de la place centrale des dimensions maritime et
aérienne, dans le développement économique du Maroc (Geoffrey, Alessandri, Wimdush,
2012) et des opportunités pour le Maroc de participer à la réalisation des projets dans
les domaines d’infrastructures, portuaires, aéroportuaires et routières, la sécurité

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 175


énergétique, les connectivités portuaires.

Ces nouvelles perspectives ouvertes pour le Maroc ne se limitent pas uniquement au


volet économique, mais touchent également la place qu’occupe le Maroc dans le nouveau
paysage stratégique en voie de construction sur le large espace de l’Atlantique.

1.4. L’initiative Atlantique Africaine comme outil de positionnement stratégique


du Maroc sur le plan international
L’environnement géopolitique du Maroc subit, depuis quelques années, des changements
profonds. Alors que par le passé, les dynamiques Maroc-Algérie étaient au centre des
préoccupations géopolitiques du Maroc, aujourd’hui elles ne sont qu’un aspect sérieux
parmi d’autres (Geoffrey, Alessandri, Wimdush, 2012).

En outre, dans ce nouvel environnement, les préoccupations mondiales sont en train


d’acquérir une importance égale sinon supérieure sur les préoccupations locales et
régionales du Maroc. Dans cette optique, la montée de la Chine136, de l’Inde, et du Brésil, le
retour de la Russie comme un acteur commercial et politique sont désormais présentes
dans les calculs géopolitiques du Maroc137.

Dans cette optique, l’initiative atlantique africaine, outre qu’elle permettra au Maroc
d’avoir un cadre de coopération avec les pays africains dans les domaines de la sécurité,
les questions économiques et un cadre de coopération beaucoup plus large, remplit une
fonction de valorisation stratégique pour le Maroc.

En effet, comme l’indique le Professeur Rachid El Houdaigui, « au Maghreb, la complexité


des relations intermaghrébines alimente le sentiment que le Maroc se situe à la périphérie
de l’Afrique du Nord et que sa profondeur maghrébine se heurte au bloc Maghreb
central (Algérie, Tunisie). La façade atlantique offre ainsi des opportunités vitales en
termes de positionnement régional. Le Maroc a donc tout intérêt à se projeter comme
puissance maritime structurante tant pour relancer son économie que pour relever le
défi géopolitique continental » (El Houdaigui, 2015).

Dans un champ de vision beaucoup plus large, le leadership prit par le Maroc dans
la promotion d’une l’initiative atlantique africaine, lui permettrait d’assoir une notoriété
favorisant davantage le renforcement de ses relations avec les Etats-Unis d’Amérique,
l’Union Européenne et les autres puissances traditionnelles et émergentes. Dans cette
optique, les Etats-Unis d’Amérique, dans le cadre de leur politique de « multi-partership »,
sont davantage enclins à « trouver des partenaires susceptibles de partager leur
conception de la sécurité et de contribuer tant sur le plan financier qu’opérationnel.
Dans l’espace atlantique, ces partenaires sont les membres de l’Otan mais également
les autres pays riverains avec lesquelles l’interopérabilité militaire et politique est
développée » (El Houdaigui, 2015).

(136). Le Maroc est actuellement en négociations avec la Chine et la Russie pour établir un partenariat stratégique.
(137). Ian O. Lesser, Geoffrey Kemp, Emiliano Alessandri and S. Enders Wimdush, Morocco’s New Geopolotics, op. cit. p 15

176 De l’institutionnalisation de l’espace afro-atlantique : Une ambition en construction


Aujourd’hui, au sein de l’espace atlantique Sud, même si plusieurs données militent,
en principe, en faveur du concours du Maroc à cette politique, mais cela dépendra de
sa capacité à devenir un acteur visible dans cet espace à l’instar du Brésil, l’Afrique
du Sud et le Nigéria (Geoffrey, Alessandri, Wimdush, 2012). C’est ce qui explique en
partie l’engouement manifesté par le Maroc pour cet espace et sa volonté de structurer
institutionnellement l’initiative lancée au Maroc en Août 2009.

II. Processus d’institutionnalisation de l’initiative Atlantique


Africaine

Les documents issus des réunions de la Conférence Ministérielle des États africains
riverains de l’Atlantique tenue respectivement en août 2009 et novembre 2010138,
mettent l’accent sur l’identité propre et indivisible de la région atlantique. Il y est aussi
exprimé la volonté de création d’un espace de concertation intra-africain dans l’objectif
de concevoir une vision africaine commune sur cet espace et défendre d’une seule voix,
lors des rencontres « tri-continentales » et autres réunions similaires, les intérêts du
continent africain.

Ces deux documents ont, par ailleurs, précisé les trois domaines d’actions communes
entre les États africains de l’Atlantique :

• La rive atlantique africaine comme espace économique

La rive atlantique africaine comme espace économique dont la réalisation implique


l’engagement collectif pour assurer une liaison en matière de transports, conduire
une concertation au sujet de l’exploitation des ressources et coopérer davantage pour
atteindre une intégration économique.

• La rive atlantique africaine en tant qu’espace de dialogue et de concertation de paix


et sécurité qui implique l’établissement d’un dialogue politique, la prise en compte de la
communauté d’intérêts et apporter une complémentarité et un dynamisme générateur de
synergies nouvelles entre les mécanismes existants en vue de renforcer, d’approfondir et
d’élargir la coopération dans la région.

• La rive atlantique africaine en tant qu’espace de développement humain et social qui


met l’accent sur les richesses de l’espace et leur exploitation et la régulation écologique
ainsi que sur la formation.

Afin de garantir la pérennité du processus né à Rabat en 2009, il a été par ailleurs décidé
de le doter d’instruments institutionnels adaptés. Ainsi, à côté des réunions ministérielles
et des actions de coopération sectorielle, la Conférence Ministérielle dispose actuellement
d’outils institutionnels opérationnels, tout comme il est envisagé de la doter d’organes
institutionnels permanents, une fois le processus de négociations des instruments
(138). Il s’agit précisément du document intitulé « déclaration de Rabat » et de la déclaration finale de la deuxième de la
Conférence ministérielle de cette initiative.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 177


juridiques aura été achevé.

2.1. Les réunions ministérielles et la Coopération sectorielle


2.1.1. Les réunions Ministérielles 

Les pays membres de la Conférence Ministérielle des États africains riverains de


l’Atlantique ont tenu deux réunions ministérielles ainsi que des réunions informelles qui se
présentent comme suit :

• Réunions ministérielles :

• La première session ministérielle de la Conférence a été organisée à Rabat en août


2009, lors de laquelle les 22 États participants ont constaté la pertinence du
concept «Afrique atlantique» comme un espace d’opportunité et de développement,
mais en même temps, sa pertinence comme une réponse cohérente et anticipatrice
des menaces transversales;
• La deuxième session ministérielle a été tenue à Rabat, les 14 et 15 novembre 2010,
durant laquelle a été adoptée une Déclaration finale qui a appelé à coordonner les
actions autour de thèmes spécifiques aux réalités africaines, notamment dans les
secteurs des transports, de la pêche, du tourisme, de l’énergie, de la gestion des
métropoles et de la coopération décentralisée, de la surveillance maritime, du
réchauffement climatique, de la biodiversité et de l’érosion côtière.

La Déclaration a appelé à la tenue de réunions sectorielles dans les domaines stratégiques


de l’énergie et les mines; la lutte contre les trafics illicites, l’action des organisations non
étatiques et la piraterie; l’environnement; et le développement de l’activité portuaire. 

• Réunions informelles :

Des réunions informelles des Ministres des Affaires Etrangères des États concernés
se sont tenues également, en marge des sessions de l’Assemblée Générale des
Nations Unies, des années 2010, 2011 et 2012.

2.1.2. La coopération sectorielle

Deux secteurs importants font l’objet d’une coopération entre les pays membres de la
Conférence Ministérielle des États Africains Riverains de l’Atlantique à savoir les secteurs
du Transport maritime et celui de la Sécurité.

Dans cette optique les pays membres ont tenu en mai 2011 une réunion des ministres
en charge du secteur du transport maritime. Cette réunion a porté sur les thématiques
de la sécurité et la sûreté des infrastructures et équipements des ports ; les installations
portuaires  et la protection de l’environnement et la prévention de la pollution; les nouvelles
formes de gestion portuaire dans un cadre concurrentiel, les connexions maritimes le
développement économique et le développement des activités portuaires et maritimes

178 De l’institutionnalisation de l’espace afro-atlantique : Une ambition en construction


dans l’Afrique Atlantique.

S’agissant du secteur de la sécurité, une réunion des Ministres en charge de la Sécurité


des États membres de la Conférence des États africains riverains de l’Atlantique, était
programmée en 2015 et devait discuter des thématiques suivantes : le terrorisme, la
criminalité transnationale, la piraterie et la sécurité maritime et la coopération policière
et judiciaire.

2.2.1. Les structures institutionnelles opérationnelles

Dans le but de doter l’initiative atlantique africaine de structures adaptées, il a été décidé
dès le départ de mettre en place les instruments opérationnels suivants : le Secrétariat
Permanent et les Points focaux.

• Le Secrétariat Permanent : siégeant à Rabat, il est chargé d’assurer la coordination


et la mise en œuvre des décisions adoptées par la Conférence ;
• La désignation d’un réseau de Points Focaux nationaux dans le but d’assurer la
coordination et de fournir le suivi des multiples activités relevant de cette initiative
au niveau de chaque pays et de développer une expertise africaine sur les questions
atlantiques pour une maîtrise des enjeux de cette région. Ils sont en outre chargés
de « diffuser l’esprit de l’Atlantique auprès des départements ministériels, des agents
économiques et des acteurs sociaux nationaux, de les mobiliser et de se réunir
régulièrement pour un suivi collectif de la mise en œuvre de cette coopération » ;

2.3. Les structures institutionnelles envisagées


Les projets de textes institutionnalisant cette initiative, notamment le projet de Convention
et le projet d’Accord de siège dont un premier examen a été fait en octobre 2012 à Rabat,
par les délégués des États membres de cette initiative prévoient la création d’un schéma
institutionnel simplifié constitué de la Conférences des Ministres, le Conseil Exécutif et le
Secrétariat Exécutif.

2.3.1. Conférences des Ministres 

Constituée des Ministres en charge des domaines de compétences et d’activités stipulés


par la convention, la Conférence des Ministres est l’organe d’orientation et de décision
de l’organisation. Elle est chargée entre autres, de l’élaboration de la politique générale
et l’approbation de son programme de travail et de l’examen des rapports d’activité de la
Conférence.

La conférence se réunit une seule fois par an à la demande de son président et en


session extraordinaire à la demande motivée d’un tiers de ses membres.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 179


- Le Conseil Exécutif :

Composé de quelques États membres cet organe est chargé de la gestion, la coordination
et le suivi des décisions de la conférence entre les réunions officielles de celle-ci.

- Le Secrétariat Exécutif :

Placée sous la tutelle du Conseil Exécutif, cette instance est l’organe d’exécution des
décisions de la Conférence des Ministres de l’organisation. Il est dirigé par un Secrétaire
Exécutif, désigné par la Conférence des Ministres.

180 De l’institutionnalisation de l’espace afro-atlantique : Une ambition en construction


Conclusion

Aujourd’hui, malgré l’enthousiasme qui a accompagné la genèse de cette initiative, force est
de constater qu’après presque six ans de son lancement et mis à part quelques réunions
ministérielles et sectorielles et la mise en place de quelques structures institutionnelles,
l’initiative en question a, de plus en plus, besoin d’un second souffle pour être remise en
selle.

A cet égard, il serait utile d’avancer avec pragmatisme, sur certains champs de coopération
sectorielle qui permettraient à cette organisation de gagner en visibilité tant de la part
de ses pays membres que des autres organisations régionales. Les aspects politiques et
sécuritaires voire celles de la mise en place des structures institutionnelles durables de
cette organisation, pourraient être envisagés dans une seconde étape.

Toutefois, en dehors de ce constat, l’initiative garde toute sa pertinence d’autant qu’elle


concerne, d’une part, un nouvel espace qu’il appartient au Maroc d’investir dans les
prochaines décennies et d’autre part parce que cette initiative s’inscrit parfaitement
dans la philosophie de la politique étrangère du Maroc de diversification de ses relations
extérieures.

Il reste cependant nécessaire pour le Maroc d’accompagner la mise en place de l’initiative


en question par des dynamiques parallèles l’amélioration de ses relations avec les États
de la rive atlantique africaine, particulièrement le Nigéria, l’Afrique du Sud, dont l’adhésion
à ce projet, manque d’enthousiasme. De meilleures synergies avec ces États ne pourraient
qu’avoir des répercussions positives sur la relance des activités de cette initiative.

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 181


Bibliographie

• AMOR, T. 2008. (Interview) Directeur Adjoint du Département Moyen-Orient


Afrique du Nord (Mena) au FMI in La Vie Economique 24 octobre 2008 (ressource
électronique accessible sur lavieeco.com);
• Conseil National du Commerce Extérieur (2014), Rapport annuel du Conseil National
du Commerce Extérieur, 2013-2014, Rabat 2014;
• EL HOUDAIGUI, R. 2015, L’Atlantique élargi, renaissance d’une aire de puissance,
ressource électronique publiée en mars 2015 par l’OCP Policy Center, Série Policy In
Brief 2015, accessible sur le site web l’OCP Policy Center;
• The German Marshall Fund of the United States and OCP Policy Center (2014),
Atlantic currents, An Annual Report on Wider Atlantic Perspectives and Patterns,
October 2014 (ressource électronique accessible sur: http://www.gmfus.org/); Haut
-Commissariat au Plan du Royaume du Maroc Actes du Forum (2009) « Pour une
Initiative tricontinentale atlantique », Série prospective Maroc 2030, Skhirat 20-29
mai 2009, (ressource électronique accessible sur : http://itca.hcp.ma/) ;
• Haut Commissariat au Plan (2012), Actes du Forum « Pour une Initiative tricontinentale
atlantique » 30 novembre 1er décembre 2012, (ressource électronique accessible
sur: http://itca.hcp. ma/) ;
• Haut-Commissariat au Plan (2012), Déclaration de Skhirat 2ème Forum International
de Skhirat, Initiative pour une Communauté Atlantique, 30 novembre au 1er décembre
2012, ressource électronique accessible sur http://itca.hcp.ma/);
• LESSER, I., KEMP G., ALESSANDRI E., and ENDERS WIMDUSH, S. 2012. Morocco’s
New Geopolitics, A Wider Atlantic Perspective, Washington;
• MALTHIAS, A. 2013.Brésil et États-Unis se mesurent de l’Atlantique-Sud aux Caraïbes,
Global Research, février 22, 2013, accessible sur :http://www.mondialisation.ca/
bresil-et-etats-unis-se-mesurent-de-latlantique-Sud-aux-caraibes/5323914.

182 De l’institutionnalisation de l’espace afro-atlantique : Une ambition en construction


Figures

Figure 1 : Tonnes de cocaïne pure acheminées vers l’Europe via l’Afrique de l’Ouest, 2004-
2004-2010.....................................................................................................................................................................44
Figure 2 : Principales saisies de cocaïne en Afrique de l’Ouest (2005-2011)............................ 45
Figure 3 : Nationalité des ressortissants étrangers arrêtés en Suisse pour trafic de cocaïne,
2011. ................................................................................................................................................................................... 52
Figure 4 : Perception chinoise de la scène internationale sous le règne de Jiang Zemin...... 92
Figure 5 : L’évolution du commerce entre l’Afrique et la Chine........................................................... 96
Figure 6 : Direction géographique et composition des exportations vers l’Afrique subsahari .
subsaharienne, 2000-2002 (en % des exportations totales)............................................................174
Figure 7 : Évolution des échanges commerciaux avec l’Afrique subsaharienne........................174

La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 183


La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction 185
186 La façade atlantique de l’Afrique : un espace géopolitique en construction

Vous aimerez peut-être aussi