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Périodique trimestriel
Octobre-décembre 2018

Périodique trimestriel
Octobre-décembre 2018
Prospective Jeunesse, Drogues  |  Santé   |  Prévention
est un trimestriel lancé en décembre 1996.
Jeunes, genres et usages de drogues (I)
Lieu interdisciplinaire de réflexion, de formation et d’échange d’expériences,
d’idées, de points de vue, cette revue interroge sous des regards différents des thèmes
liés aux usages de drogues, à la promotion de la santé et aux politiques
et pratiques sociales en matière de jeunesse.
Chaque numéro aborde un thème particulier.

Numéro d’agréation : P405048 - Bureau de dépôt – 1050 Bruxelles 5


Celui-ci est consacré à Jeunes, genres et usage de drogues (I).
Pour consulter les sommaires des numéros parus ou
contacter l’équipe de rédaction, visitez le site :
www.prospective-jeunesse.be

Avec le soutien de la Région Wallonne


et agréé par la Commission communautaire française
de la région de Bruxelles‑Capitale
Un trimestriel pour interroger sous des regards différents
les thèmes liés aux usages de drogues, la promotion de la santé
et les politiques et pratiques sociales en matière de jeunesse.
Retrouvez tous les numéros sur le site : Drogues
www.prospective-jeunesse.be Santé
Prévention

Milieux de vie Produits et leurs effets Pratiques professionnelles


–  Famille et parentalité (n 22, 24, 42, 43,
os
–  Plaisir (n 7, 8, 9, 10)
os
–  Promotion de la santé (nos 31, 34, 56, 61,
44, 49) –  Dépendance (no 39) 71, 73, 77-78, 82)
Prospective Jeunesse est Prospective Jeunesse –  L’école (nos 3, 4, 6, 25, 29, 55, 57, 64, 67, –  Drogues de synthèse (nos 14 – 15) –  Pratiques de prévention (nos 31, 50-51, 59,
un centre d’étude et de formation propose trois services : 77-78) –  Cannabis (nos 18, 20, 21, 72) 60, 63, 70, 80)
fondé en 1978. L’association est • Formation et accompagnement de –  La fête (no 35) –  Alcool (no 32) –  Réduction des Risques (nos 27, 28, 54, 79)
active dans le domaine de la pré- professionnels (seuls ou en équipe) Prospective Jeunesse a créé, avec –  Le monde du travail (no 26) –  Tabac (no 33) –  EVRAS (no 76)
vention des méfaits liés aux usages • Publication
  de la revue Infor-Drogues et Modus Vivendi, –  La prison (nos 13, 16, 40, 65) –  Alicaments (no 19) –  Représentations (no 46, 84)
de drogues, dans une optique de ­Prospective Jeunesse l’asbl Eurotox –  Milieu du sport (no 53) –  Ordinateur et internet (nos 47, 69, 58, 77-78) –  Secret professionnel (no 23)
promotion de la santé. • Entretiens individuels www.eurotox.org –  Amour (no 48) –  Travail en réseau (nos 45, 66)
–  Soins aux usagers (nos 41, 52)
–  Participation (nos 67, 68)
CONTACT 144 chaussée d’Ixelles, 1050 Bruxelles  §  02 512 17 66
revue@prospective-jeunesse.be  § www.prospective-jeunesse.be Contextes d’usage
–  La loi et la répression judiciaire (nos 1, 2, 38, 65 ,72, 79)
–  Pauvreté, marginalité et exclusion (nos 11, 12, 36, 37)
Éditeur responsable Correction orthographique –  Culture et consommation (nos 5, 17, 30, 58, 62, 77-78, 81, 83)
Pierre Baldewyns Alexandra Coenraets
Les articles publiés reflètent les ABONNEMENT ANNUEL gratuit ou de soutien Prix au numéro : 4 euros  Frais d’envoi compris
Rédactrice en chef opinions de leur(s) auteur(s) mais Numéro de compte bancaire : BE04 2100 5099 0831
Caroline saal pas nécessairement celles des
responsables de « Prospective
Jeunesse – Drogues Santé Formulaire d’abonnement ou de commande au numéro
Comité d’accompagnement
Pierre Baldewyns, Christine Barras, Prévention ». Ces articles Institution  ................................................................................................................................................................
peuvent être reproduits moyen- Nom ................................................................................................ Prénom .........................................................
Philippe Bastin, Line Beauchesne,
nant la citation des sources et
Mathieu Bietlot, Marc Budo, l’envoi d’un exemplaire à la ré- Téléphone ................................................................. Courriel ..............................................................................
Elodie Della Rossa, Christel Depierreux, daction. Ni Prospective Jeunesse Adresse de livraison
Sarah Fautre, Damien Favresse, asbl, ni aucune personne agissant Rue........................................................................................................................................ Numéro ...................
Sabine Gilis, Alexis Jurdant, au nom de celle-ci n’est respon- Code postal  ............................... Ville ...................................................................................................................
Bernadette Taeymans, sable de l’usage qui pourrait être
fait des informations reprises Pays .........................................................................................................................................................................
Patricia Thiebaut, Marinn Trefoix,
Jacques Van Russelt dans cette publication.
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Dessins
Jacques Van Russelt ISSN : 1370-6306 Date ........................................................... Signature ...........................................................................................
Les yaourts au sel

La vidéo, issue d’une émission de divertissement, a fait le tour de la toile. Une dizaine d’enfants
se succèdent dans un faux casting pour une publicité de yaourts. Garçons et filles reçoivent la
Les yaourts au sel 3
même consigne : avaler une cuillère du produit laitier, et s’extasier de son goût délicieux. Les enfants
Caroline Saal
seront surpris, les yaourts sont particulièrement salés. Leurs réactions prêtent à sourire, mais elles
ont aussi vite attiré l’attention des internautes. Tandis que les garçons grimacent ostensiblement, Un traitement différent ?
voire signalent le problème, les filles masquent au mieux leur étonnement et s’en tiennent à la Filles et garçons au tribunal pour
consigne. Cette différence de comportements est d’ailleurs commentée par la production de
enfant4
Arthur Vuattoux
l’émission : les filles sont des menteuses. Élégant. Des études confirment cette socialisation diffé-
renciée très précoce : alors que les petits garçons apprennent à affirmer leurs avis, les petites filles Vers une prévention et un traitement
intériorisent très jeunes qu’on attend d’elles obéissance et discrétion. sensible au genre ? 8
Sarah Simonis
Dans le numéro 83 de cette revue, Sylvie Ayral et Yves Raibaud listaient différentes statistiques
effrayantes de la valorisation de la virilité chez les petits garçons : en France, 95 % des sanctions « Je porte ma voix 
scolaires concernent les garçons ; 96,5 % de la population pénitentiaire est masculine ; 69 % des pour les autres » 12
tués en voiture sont des hommes ; 83,6 % des auteurs de crimes conjugaux sont des hommes ; Interview de Samanta Borzi
80 % des personnes décédées par overdose sont des hommes. Le revers de la médaille de cette
L’auto-santé, outil d’émancipation 
éducation différenciée ? des femmes ! 17
Voici plusieurs mois que les questions d’inégalités de genre occupent très fortement l’espace Interview de Catherine Markstein
médiatique et public. Prospective Jeunesse s’est dès lors interrogé : quelle place donner à ces
Genre et alcool. 
questions dans le secteur de la prévention ? Quelles analyses tirer des différences de taux de fré- Étude dans un centre de jour 21
quentation entre hommes et femmes dans les dispositifs de réduction des risques et de soin ? Pierre-Henri Mullier et Manuel Dupuis
Quelles masculinités encourager auprès des jeunes ? Devant l’étendue et la complexité des ques-
tions soulevées, nous avons décidé de consacrer deux numéros et un événement intitulés « Jeunes, MDMA : Boire de l’eau, certes,
mais pas trop ! 26
genres et usages de drogues ». Le deuxième numéro sera d’ailleurs une compilation des différentes
Michaël Hogge
interventions de cette journée.
Ce premier numéro rassemble des contributions hétérogènes : l’interview-plaidoyer d’une ex-
usagère devenue pair aidante, Samanta Borzi ; les résultats de la première enquête d’ampleur sur
la consommation féminine de drogues en Belgique (Gen-STAR, Sarah Simonis) ; l’analyse de la
production de normes genrées au tribunal pour enfants par Arthur Vuattoux. La promotion de la
santé n’est pas en reste grâce à l’appel de Catherine Markstein pour une auto-santé des femmes.
Manuel Dupuis et Pierre-Henri Mullier ont récolté les représentations des patients de leur centre
de jour sur l’alcoolisme au masculin et au féminin. Enfin, Michaël Hogge attire notre attention sur
le risque d’hyponatrémie en cas de consommation de MDMA et de fortes chaleurs, phénomène
peu connu et auquel les femmes sont potentiellement plus sensibles que les hommes.
Bonne lecture ! Retrouvez une bibliographie
Caroline Saal complémentaire en ligne :
www.prospective-jeunesse.be/la-revue
Rédactrice en chef

octobre-décembre 2018 page 3


ENQUÊTE

Filles et garçons au tribunal pour enfants

Un traitement différent ?
> Arthur Vuattoux, maître de conférences à l’Université Paris 13, laboratoire IRIS
Co-responsable du Réseau thématique « Sociologie de la jeunesse » de l’Association française de
sociologie 1

Les filles agissent-elles différemment des garçons face à la légalité ?


Pourquoi les garçons constituent-ils l’écrasante majorité des mineurs
déférés au tribunal ? Ou sont-ce les institutions judiciaires qui perçoivent
les délinquances adolescentaires et… influent sur un traitement différent
des garçons et des filles au tribunal pour enfants 2 ?

La justice des mineurs est l’héritière, en France, des Les questions qui se posaient alors étaient de plu-
politiques publiques de l’après Première guerre sieurs ordres : Comment une institution, dont l’objec-
mondiale, avec la nécessité de protéger et de sanc- tif premier est de dire et d’appliquer des règles de
tionner (en éduquant) les mineurs en difficulté. Ce droit, produit-elle ses jugements ? Les jugements
paradigme mêlant protection, éducation et répres- produits sont-ils perméables à des normes exté-
sion est incarné par le juge des enfants, qui juge tant rieures à l’institution, mais prédominantes dans la
en assistance éducative (mieurs protégés) qu’au société, à l’instar des normes de genre qui tendent
pénal (mineurs poursuivis pour des crimes ou délits). à construire des figures différenciées de l’adoles-
Les éducateurs de la Protection judiciaire de la jeu- cence masculine et féminine, et des déviances asso-
nesse, l’institution publique en charge de l’éducation ciées ? Dans quelle mesure la justice produit-elle
spécialisée de ces jeunes, sont également mobilisés, des formes d’arbitraire liées à la seule appartenance
y compris au tribunal où ils interviennent en amont de genre des justiciables ?
de la présentation devant le juge, pour évaluer,
prendre des renseignements sur les jeunes, leur L’institution judiciaire produit
personnalité, leurs conditions de vie. Cette justice, des normes de genre
considérée comme davantage « personnalisée »
1. (https://jeunesse.hypotheses.org/) que celle des adultes, intègre différents moments Un tel questionnement implique, pour mieux définir
Courriel : Vuattoux@univ-paris13.fr de diagnostic, de qualification et de décision basés le problème, de le situer au sein des controverses
2.  Ce texte est une version légèrement mo- sur la personnalité des mineurs. L’objet de mon existantes en la matière. Le genre peut être défini,
difiée d’un texte préalablement paru dans la
collection des Tepsis paper (documents de travail de terrain, mené au début des années 2010, si l’on suit Eleni Varikas, comme « une grille de lec-
travail du Laboratoire d’excellence Tepsis, consistait à comprendre en quoi cette personnali- ture, une manière de penser le monde et le politique
https://tepsis.io/).
sation des procédures pouvait être perméable à des à travers le prisme de la différence des sexes 3 ».
3.  Varikas E., Penser le sexe et le genre, Pa-
ris, Presses universitaires de France, 2006, rapports sociaux des plus communs, basés notam- Travailler sur le genre implique donc de travailler sur
p. 17. ment sur le genre. des divisions propres au monde social, et notamment

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sur la division des individus en deux genres distincts
et naturalisés, c’est-à-dire construits comme s’ils
étaient fondés en nature (comme si, par exemple,
les hommes étaient réductibles à des hormones, ou
au fait de posséder une anatomie dite masculine).
Dans le domaine de la justice, et plus singulièrement
dans celui de la prise en charge judiciaire des ado- Les filles, qui représentent près d’un délinquant
lescents, la question qui se pose est celle des déter- arrêté sur cinq, disparaissent ensuite de la chaine
minants genrés de la déviance : les filles agissent-elles pénale, en étant soit relaxées, soit prises en charge
différemment des garçons ? Pourquoi les garçons en assistance éducative.
constituent-ils l’écrasante majorité des mineurs
déférés au tribunal ? Les filles sont-elles « moins »
délinquantes ?
On a identifié trois réponses possibles à ces questions.
La première réponse n’est plus vraiment défendue
dans le champ académique, mais persiste à orienter
le sens commun et certains discours : c’est l’idée
selon laquelle les différences observées dans la celles qui construisent les identités des filles et des
déviance des filles et des garçons sont fondées en garçons. Les normes de genre, et la représentation
nature. Les filles auraient tendance à contester selon laquelle les filles et les garçons ne dévient pas
l’ordre social et familial (contestation considérée de la même façon des normes sociales seraient en
comme typique de l’adolescence) par des formes partie produites par les institutions du contrôle social.
de protestation intimes et légales (rejet parental,
adoption de codes vestimentaires spécifiques), alors La mise en perspective de quelques données chif-
que les garçons protesteraient plus ouvertement, frées invite à suivre cette piste : parmi les mineurs
dans l’espace public, notamment en commettant arrêtés par la police, 17 % sont des filles. Au
des vols ou des violences les amenant devant le tribunal, on ne recense plus que 10 % de filles
tribunal. Ces formes de protestations bien différen- parmi les adolescents jugés. Au terme de la
ciées renverraient à une question de biologie, une chaine pénale, dans les mesures de privation
question d’hormone, pourtant battue en brèche par de liberté, elles ne sont plus que 7 % 5. Autre-
les recherches les plus récentes 4. ment dit, les filles, qui représentent près d’un délin-
L’autre approche consiste à faire de ces « diffé- quant arrêté sur cinq, disparaissent ensuite de la
rences » une question de socialisation : les dé- chaine pénale, en étant soit relaxées (ou non pour-
viances féminines et masculines seraient en fait le suivies), soit prises en charge en assistance éduca-
fruit d’une socialisation différentielle. Ainsi, les filles tive (donc protégées par la justice). L’institution joue
seraient davantage habituées, par leurs parents ou donc bien un rôle dans la manière dont sont orga-
par l’école, à respecter les règles sociales et seraient nisées les carrières déviantes des filles et des garçons,
globalement écartées de l’espace public et des et donc sur les représentations de la déviance affé-
conduites à risques (en tout cas celles qui mènent rentes.
4.  Voir notamment Pahlavan F., « Contribu-
à des réponses pénales). Les garçons, quant à eux, Afin d’approfondir cette hypothèse, l’enquête a tion des facteurs biologiques dans les mani-
seraient plus libres d’agir, et par conséquent plus consisté en une ethnographie de deux tribunaux
festations des comportements d’agression
chez les femmes », dans Verlan P. et
facilement amenés à dévier des règles sociales. pour enfants français, et s’est basée sur l’observation Déry M., Les conduites antisociales des filles.
Si certains éléments de l’approche par la socialisation d’audiences durant une année, sur la réalisation Comprendre pour mieux agir, Québec, PUQ,
2006.
semblent pertinents, et ont été démontrés par de d’entretiens avec les professionnels de la justice 5.  Ces chiffres sont issus des statistiques
solides enquêtes, il convenait d’explorer une troi- (magistrats et éducateurs, principalement), ainsi que pénales nationales, notamment du Ministère
sième voie, souvent sous-estimée. Cette troisième sur l’analyse qualitative et quantitative de plus de de la Justice, de l’Observatoire national de la
délinquance et des réponses pénales (Minis-
approche consiste à voir dans l’institution un lieu 200 dossiers judiciaires pénaux et civils. Quelles tère de l’Intérieur) et du Casier judiciaire. Les
de production des normes sociales, y compris sont les principales conclusions de ce travail ? chiffres sont ceux de l’année 2011.

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La délinquante à protéger, quance. D’un côté, les adolescentes sont donc
le délinquant à surveiller : perçues comme des individus à protéger, quitte à
scripts genrés au tribunal mettre au second plan les éventuelles infractions
Les dossiers judiciaires analysés révèlent des régu- commises, et les adolescents comme des délin-
larités, des éléments d’interprétation qui distinguent quants, potentiellement délinquants en puissance.
assez nettement les dossiers des filles de ceux des La logique à l’œuvre est donc celle d’une forte dif-
garçons. Dans les dossiers des adolescentes, la férenciation des prises en charge basée sur des
procédure judiciaire semble focalisée sur les relations normes de genre, celle qui consiste à voir les filles
familiales et l’intimité des justiciables. Si une jeune (et plus généralement les femmes) comme des
fille est arrêtée après deux jours hors du domicile personnes vulnérables et les garçons comme les
familial, les policiers et les éducateurs lui demande- figures légitimes de la déviance. À cela s’ajoute l’idée
ront si elle a eu des relations sexuelles, si ces der- que le contrôle pénal, et notamment son lieu d’ap-
nières étaient protégées, ou si elle a un problème plication le plus symbolique, la prison, serait peu
relationnel avec ses parents. À l’inverse, l’analyse adapté aux femmes, alors qu’il est une réponse tout
des situations des garçons montre une focalisation à fait acceptable pour les hommes.
sur les actes commis, et éventuellement sur les Ce constat n’est toutefois pas nouveau, ni spécifique
groupes de pairs. On demandera davantage à un à l’institution judiciaire : il ne vient que confirmer et
adolescent s’il a déjà commis de tels actes par le préciser les connaissances acquises par ailleurs sur
passé, si d’autres garçons l’ont incité à le faire, on le traitement genré qui a cours dans la société.
fera un état des lieux de son entrée dans la délin- Ainsi, la sociologie de la sexualité a depuis longtemps

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mis en évidence l’existence, dans la société étasu- la notion de « script », il y a ainsi l’idée d’un sous-texte
nienne (et cela a également été montré pour les des actions humaines, communément partagé et
sociétés européennes) d’un « double standard institutionnalisé.
sexuel » (sexual double standard), c’est-à-dire d’une
conception différentielle de la sexualité en fonction Le genre, les individus
du genre des adolescent·e·s. En effet, les sciences et les institutions
sociales ont mis en lumière la tendance qu’ont les
Faut-il en conclure que les professionnels de la jus-
institutions de contrôle de la jeunesse, notamment
tice, lorsqu’ils jugent (magistrats) ou qu’ils évaluent
le cercle familial restreint (les parents ou proches
(éducateurs) les situations des mineurs, sont guidés
parents), à considérer tacitement les filles comme
par des « stéréotypes » de genre, influencés par leurs
des sujets sexuels à risque et donc à les contrôler,
représentations des déviances des filles et des gar-
alors que les garçons sont laissés libres d’expéri-
çons ?
menter leur sexualité (cette dernière étant parfois
même perçue comme une manière de réguler les Il est en réalité nécessaire de bien comprendre que
difficultés des garçons à l’adolescence). Ce double ces professionnels agissent au sein d’institutions,
standard va par ailleurs au-delà de la seule gestion et que c’est à travers ces institutions qu’ils formulent
de la sexualité (au sens des actes sexuels), elle im- leurs jugements, leurs évaluations. Le genre est un
plique la mise en œuvre de normes différenciées de système, qui organise les représentations et donne
socialisation : les filles sont généralement moins forme aux institutions. L’anthropologue Gayle Rubin
autorisées à sortir du domicile parental et elles ne décrit un « système de sexe/genre » qui a en charge
sont pas incitées à choisir leurs propres activités 6. « la socialisation des jeunes » et le fait de « fournir
des définitions ultimes quant à la nature des êtres
Le double standard observé dans la famille humains eux-mêmes 8 ». Dans le même esprit, Mary
trouve donc sa traduction dans les institutions Douglas met en avant la nécessité de percevoir les
du contrôle social, sous les traits d’un usage institutions comme fondées en nature, puis légiti-
différentiel de la sanction et de la protection. mées par des acteurs qui ne font qu’agir « sous
Afin de mieux cerner le phénomène et ses méca- pilotage institutionnel 9 ».
nismes, j’ai proposé de recourir à un concept em-
prunté, là encore, à la sociologie de la sexualité. La production du genre dans l’institution judiciaire
John Gagnon parle de « scripts de la sexualité » pour obéit donc à un mécanisme mis en lumière par les
décrire le fait que les individus, dans leur activité études de genre et l’anthropologie : celui d’une
sexuelle, agissent à partir de schémas convenus ou « pensée institutionnelle 10 » que partagent la plupart 6. Chesney-Lind M. et Shelden R.G., Girls,
des agents de l’institution, et qu’ils relayent dans Delinquency and Juvenile Justice. Fourth
consensuels (les schémas qui font, par exemple, Edition, John Wiley & Sons, 2014, p. 158.
que les différents moments d’un acte sexuel s’en- leurs activités les plus quotidiennes, de manière plus 7. Gagnon J., Les scripts de la sexualité. Es-
chaînent d’une certaine manière, et non d’une ou moins assumée. Le système de genre est un sais sur les origines culturelles du désir, Paris,
ensemble de pratiques, de discours, d’activités ins- Payot, 2008 (1991).
autre 7). Gagnon laisse la porte ouverte à un usage 8. Rubin G. , « Le marché aux femmes », dans
étendu du concept, et je propose de parler de titutionnalisées, et cela explique notamment sa Surveiller et jouir. Anthropologie politique du
« scripts de genre » pour décrire les schémas géné- grande régularité sociologique. sexe, Paris, EPEL, 2010, p. 75.
9.  Douglas M., Comment pensent les insti-
raux qui orientent l’action des professionnels de la Notons enfin que ce qui vaut pour le genre vaut tutions ?, Paris, La Découverte, 2013 (1999).
justice. Le fait de concevoir la délinquance des filles pour les autres rapports de pouvoir qui ont cours 10.  Ibid.
comme un problème psychique ou comme ayant dans la société et dont on peut trouver la trace dans 11.  Cette question occupe une partie impor-
une origine familiale et le fait de voir les garçons les dossiers judiciaires. Les origines ethno-raciales, tante de la thèse, et a notamment donné lieu
à une publication : Vuattoux A., « Les jeunes
comme des délinquants en puissance, répondent la classe sociale ou l’âge constituent aussi le socle Roumaines sont des hommes comme les
à des scripts de genre largement partagés. Derrière de différenciations au sein de l’institution judiciaire 11. autres », Plein Droit, no 104, 2015.

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ENQUÊTE

Drogues : vers une prévention


et un traitement sensible
au genre ?
> Sarah Simonis, chargée de projets scientifiques, Sciensano

La Belgique dispose de sa première étude sur les femmes usagères de


drogues en Belgique. Sarah Simonis, qui a mené l’étude, revient pour nous
1.  Back, S.E., Payne, R.L., Simpson, A.N., &
Brady, K.T. (2010). Gender and prescription sur les apprentissages principaux de cette recherche.
opioids : Findings from the National Survey on
Drug Use and Health. Addictive behaviors, 35
(11), 1001-1007 ;
Tang, A., Claus, R.E., Orwin, R.G., Kissin, W.B.,
& Arieira, C. (2012). Measurement of gender-
sensitive treatment for women in mixed-gender
substance abuse treatment programs. Drug and
Alcohol Dependence, 123 (1-3), 160-166. ;
Van Havere, T., Vanderplasschen, W., Broekaert, Des différences significatives ont été observées en Gen-Star est une étude Belspo 5 réalisée par Scien-
E., & De Bourdeaudhui, I. (2009). The influence Belgique et dans le monde au sujet de la consom- sano en collaboration avec Ugent et HoGent 6. Les
of age and gender on party drug use among
young adults attending dance events, clubs, mation (abusive ou non) d’alcool, de médicaments objectifs de celle-ci étaient donc de déterminer les
and rock festivals in Belgium. Substance Use et de substances illicites chez les hommes et les besoins d’une approche sensible au genre dans le
and Misuse, 44 (13), 1899-1915.
femmes 1. Bien que le rapport homme-femme diffère domaine de la prise en charge des usagères de
2.  Montanari, L., Serafini, M., Maffli, E., Busch,
M., Kontogeorgiou, K., Kuijpers, W., Ouwehand, d’un pays à un autre, ainsi qu’en fonction des moda- drogue ou d’alcool en Belgique, ainsi que les diffi-
A., Pouloudi, M., Simon, R., Spyropoulou, M., lités de traitement et de la substance d’abus princi- cultés et les obstacles rencontrés par ces femmes
Studnickova, B., & Gyarmathy, V.A. (2011). Gen-
der and regional differences in client characte- pale, les données portant sur la demande de traite- lorsqu’elles utilisent ces services. L’étude était divi-
ristics among substance abuse treatment clients ment mettent en avant que les hommes sont sée en différents volets et comprend des analyses
in the Europe. Drugs Education Prevention and
Policy, 18 (1), 24-31. quatre fois plus nombreux que les femmes qualitatives (entretiens approfondis et focus groupes)
3.  Greenfield, S. F., Brooks, A. J., Gordon, dans les services traitant des dépendances aux dro- et quantitatives (analyse de bases de données épi-
S. M., Green, C. A., Kropp, F., McHugh, R. K., & gues 2. démiologiques), une revue de la littérature et des
Miele, G. M. (2007). Substance abuse treatment
entry, retention, and outcome in women : A L’entrée en traitement peut être entravée par de bonnes pratiques nationales et internationales,
review of the literature. Drug and Alcohol De-
nombreux facteurs complexes, de nature socio- ainsi qu’un recensement des initiatives existantes.
pendence, 86 (1), 1-21.
4.  De Wilde, J. (2006). Gender-specific profile culturelle comme la stigmatisation sociale, socioé-
of substance abusing women in therapeutic
conomique (pauvreté, niveau d’instruction), ainsi Diversité des réalités
communities in Europe (Doctoral Dissertation).
Gent : Academia Press Gent. ; que par des obstacles systémiques (accessibilité Au travers des entretiens réalisés avec les usagères,
Kissin, W.B., Tang, Z.Q., Campbell, K.M., Claus, géographique et financière des services, heures les différents parcours de femmes révèlent une
R.E., & Orwin, R.G. (2014). Gender-sensitive
substance abuse treatment and arrest out- d’ouverture, absence de garderies 3). grande diversité d’histoires et de trajectoires. Mais
comes for women. Journal of Substance Abuse
Treatment, 46 (3), 332-339.
De plus, lorsque les femmes entament un pro- malgré cette variété, certaines caractéristiques spé-
5.  Belspo : Belgian Science Policy Office — gramme de soins, elles ont tendance à présenter cifiques de femmes fréquentant d’une part les pro-
Politique scientifique fédérale belge. des problèmes d’abus de substances plus grammes ambulatoires et d’autre part les pro-
6. + Partenaires (Eurotox asbl, Fédito BXL, VAD
vzw). Rapport complet : www.belspo.be/bels-
graves, incluant des troubles physiques, psycho- grammes résidentiels ont été distinguées, ainsi que
po/drugs/project_docum_fr.stm#DR73. logiques, familiaux et socioéconomiques 4. leurs besoins.

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Les usagères fréquentant les programmes ambu-
latoires à bas seuil d’accès semblent rechercher
davantage un soutien pratique, en ce compris une
aide sociale, un accompagnement dans la recherche
de logement, et de ressources financières. Des
besoins immédiats, de base, comme manger, dor-
mir, obtenir des seringues ou consulter un médecin,
peuvent être observés pour un large éventail de
consommatrices. En revanche, dans les programmes
résidentiels de traitement, les femmes expliquent
avoir davantage de besoins sur le long terme comme
fonder une famille, avoir un emploi, aller en vacances
et mener ce qu’elles appellent, une « vie normale ».
Étant donné les différences de besoins, le type d’aide
offert peut grandement varier. De fait, les services
offerts par les centres de traitement sont souvent
adaptés à cette demande. Dans les services ambu-
latoires, l’aide fournie est liée à l’organisation de la
vie quotidienne des consommatrices et les inter-
ventions visent à les aider à adopter un mode de vie
plus sain et à accéder aux soins de santé primaires.
l’usage du cannabis est plus marqué que dans les
Une assistance est proposée en ce qui concerne les
autres catégories d’âge. De même, une plus grande
consultations médicales, les procédures adminis-
proportion de jeunes femmes entre en traitement
tratives ou les demandes d’emploi ou de formation.
pour un usage problématique de cannabis. Les deux
Même si un soutien et des conseils psychologiques
autres substances pour lesquelles les jeunes femmes
sont également proposés, il ne s’agit pas de la prio-
entrent le plus souvent en traitement sont l’alcool
rité principale des consommatrices. Par contre, les
et la cocaïne.
consommatrices des programmes résidentiels visent
à un changement complet de mode de vie et d’exis- Si la consommation de cannabis et d’autres drogues
tence, en ce compris un nouveau départ dans la vie illicites telles que l’héroïne semble plutôt relever d’un
où la consommation d’alcool et de drogues n’a plus comportement masculin, on observe a contrario
sa place. Ces patientes en soins résidentiels diffèrent que la consommation d’antidépresseurs et de tran-
de la plupart des patientes des programmes ambu- quillisants est plus marquée chez les femmes que
latoires par le fait qu’elles sont engagées dans un chez les hommes. Ce constat confirme les tendances
processus différent de compréhension du rôle de observées dans le TDI 8 depuis plusieurs années. De
la consommation de substances dans leur vie et sur plus, pour l’usage d’alcool et des médicaments
la façon d’apprendre à vivre sans drogue ou alcool. psychoactifs, l’augmentation des taux de préva-
lence 9 est liée à l’âge. En revanche, pour les drogues
Âges et substances illicites on observe un phénomène inverse, à savoir
typiquement « féminines » une plus grande prévalence parmi les jeunes.
En outre, si l’on considère la proportion d’hommes
Parmi les usagères de drogues en traitement, la
et de femmes qui entrent en traitement pour un
catégorie d’âge des 15-30 ans est la moins repré-
usage problématique d’alcool, il semblerait que les
sentée. La proportion de femmes tend ensuite à
femmes entrent plus facilement que les hommes.
augmenter avec l’âge 7. La constatation a été la 7.  Source : TDI, 2015, Sciensano.
Les résultats indiquent aussi que les femmes se
même lors des entretiens : les femmes les plus jeunes 8.  TDI : Treatment Demand Indicator- Indicateur
dirigent plus souvent vers les hôpitaux que vers les de la Demande de Traitement.
étaient les plus difficiles à recruter dans les différents
centres spécialisés. L’hypothèse que nous formulons 9.  La prévalence est le nombre de personnes
centres (traitement, bas seuil, prévention). atteintes d’une maladie donnée au sein d’une
serait que le type de substance consommée, l’alcool, population. Le taux de prévalence est la propor-
Dans le groupe des jeunes femmes (15 à 30 ans), pourrait expliquer le choix du centre. tion de cas au sein de cette population.

Prospective Jeunesse  Drogues | Santé | Prévention  | 84 |  Périodique trimestriel octobre-décembre 2018 page 9


Difficultés d’accès Enfin, la pression sociale des rôles sexués ainsi que
et problématiques spécifiques les attentes liées à ces rôles peuvent être préjudiciables
aux femmes et aux mères 10. En effet, la femme est
Les entretiens réalisés nous ont permis de mettre
très souvent la première pourvoyeuse de soin pour
en avant d’une part les obstacles spécifiques ren-
les enfants, le mari ou compagnon, sans compter la
contrés par ces femmes ainsi que les facteurs moti-
prise en charge éventuelle d’autres proches. S’ajoutent
vationnels, d’autre part de voir émerger certains
à cela les responsabilités ménagères et la charge
thèmes sous-jacents dans ces récits.
mentale. Cette pression ressentie, ainsi que les res-
Parmi ces thématiques implicites, on peut retrouver ponsabilités liées aux différents rôles normatifs des
notamment la question de l’approche holistique du femmes se reflètent dès lors sur leurs perceptions
traitement, c’est-à-dire qu’autant le corps que l’es- d’elle-même. Leur santé physique et mentale passe
prit doivent être pris en compte dans l’approche alors au second plan, préférant privilégier leurs res-
thérapeutique. Ensuite, la question de la stigmati- ponsabilités d’épouse, de mère et de travailleuse
sation sociale pèse lourdement sur ces femmes, avant leur bien-être.
induisant dès lors un sentiment de honte et de
culpabilité qui peut entraver la reconnaissance de Pratiques existantes,
certains besoins spécifiques. Le travail avec les pairs et en Belgique ?
les aide à se sentir mieux comprises et cela dans La question de la prise en compte du genre dans
une optique de non-jugement, la question du sen- les centres de soins est relativement récente, mais
timent de sécurité et enfin les responsabilités quo- pas inexistante. Une réelle réflexion a déjà été menée
tidiennes qui les empêchent de prendre soin d’elles par certains professionnels et différents types d’ini-
et dès lors d’envisager une entrée en traitement. tiatives en Belgique existent, chacune avec ses
Le sentiment de sécurité à l’intérieur du centre de propres spécificités. En 2016, nous en avons dénom-
traitement peut être triple. Tout d’abord, il y a le fait bré 26, que ce soit au niveau de la prévention, de
de se sentir en sécurité au niveau du produit et de l’ambulatoire ou de l’offre résidentielle. Certaines
l’environnement, autrement dit d’être éloignée de initiatives sont mixtes, d’autres unisexes ; une partie
son entourage habituel. Ensuite la structure et les d’entre elles ciblent particulièrement la question de
activités quotidiennes fournies par le centre aident la parentalité et le suivi de la grossesse avec les soins
également à maintenir ce sentiment de sécurité. Et périnataux, tandis que d’autres s’adressent plus
enfin, le sentiment de sécurité peut être lié aux rap- globalement aux femmes à travers des groupes de
ports avec les hommes. Premièrement, étant don- parole ou des espaces réservés aux consommatrices.
né la faible proportion de femmes présentes en D’autres centres résidentiels ont mis en place une
traitement par rapport aux hommes, le fait de se réflexion plus approfondie sur les notions de genre
retrouver en minorité peut effectivement être difficile. et de sexisme avec des règlements très spécifiques.
Face à cela, se rajoute la question des traumatismes Certains permettent aux mamans avec un enfant
qui peuvent avoir été vécus par ces femmes liés en bas âge de résider avec elles sur place.
notamment aux abus physiques, psychique et sexuel, Sur la base de leur expérience et de leur pratique
ainsi que la question de la prostitution pour certaines. quotidienne, les programmes impliqués dans cette
Toutes ces questions rendent les échanges difficiles, recherche indiquent un réel besoin de pratiques spé-
notamment dans les groupes de parole ainsi que, cifiques au genre. Les professionnels qui les mettent
pour certaines, la cohabitation avec les hommes. en œuvre accordent une attention particulière aux
Un autre point important est la question de l’atta- besoins spécifiques des femmes, mais notent l’ab-
chement affectif et des relations amoureuses qui se sence d’outils et de méthodes de travail adaptés,
forment lors du séjour en centre. La plupart de ces ainsi qu’une formation centrée sur les questions rela-
aventures amoureuses mènent souvent et rapide- tives à l’égalité entre les hommes et les femmes. Par
10.  Neale, J., Nettleton, S., & Pickering, L. ment à un abandon de la cure. L’absence d’homme ailleurs, bien que la parentalité constitue un élément
(2014). Gender sameness and difference in ou l’existence d’espaces de vie et d’échanges sépa- essentiel à prendre en considération dans le traitement
recovery from heroin dependence : A qualita-
tive exploration. International Journal of Drug rés sont souvent cités comme étant bénéfiques et des femmes, il convient de souligner qu’il ne faut pas
Policy, 25, 3-12. positifs par ces femmes. limiter l’approche sensible au genre au rôle parental

page 10 octobre-décembre 2018 Prospective Jeunesse  Drogues | Santé | Prévention  | 84 |  Périodique trimestriel


Exemples spécifiques d’activités pour développer des pratiques sensibles au genre
• Dans les programmes résidentiels groupes en ce qui concerne les rôles • Fournir un accès à moindre coût
mixtes, la mise en œuvre d’activités et comportements normatifs genrés. aux consultations gynécologiques
réservées aux femmes peut aider les • L’installation d’un espace non-mixte et aux moyens de contraception.
femmes à renforcer leur propre iden- dans les programmes résidentiels, • La situation familiale doit être
tité en tant que femme et à créer un ainsi que l’installation séparée de prise en compte dans leur trajec-
sentiment d’appartenance au groupe. chambres et de salles de bains sont toire de traitement, car les responsa-
De plus, la difficulté d’être dans un recommandées. bilités familiales constituent souvent
grand groupe d’hommes peut être • Dans les programmes de soins un obstacle à la recherche d’un trai-
surmontée par des groupes de dis- mixtes ambulatoires, installer un tement. Des recommandations spé-
cussion spécifiques aux femmes sur espace physique spécifique seu- cifiques ont été établies comme : des
des sujets liés à la sexualité, à la pa- lement pour les femmes est recom- services de garde d’enfants durant
rentalité, à la violence ou à des be- mandé, ainsi que des groupes de les consultations, des services adap-
soins. Lorsqu’on aborde la question discussion unisexes. Ces mesures tés pour créer ou soutenir le lien
du genre, il est recommandé d’impli- permettent de créer des liens avec mère-enfant, créer une ligne télépho-
quer à la fois les hommes et les les membres du personnel sur la base nique d’assistance pour les utilisa-
femmes. Par conséquent, le même d’une relation de confiance et encou- trices qui est également disponible
type de groupes peut également être ragent les femmes à parler de sujets en dehors des heures de bureau, ou
développé pour les hommes. Cette plus sensibles. Un tel environnement envisager une combinaison de ser-
approche pourrait être un point de séparé et sûr est un élément essentiel vices « d’outreach » et de consulta-
départ pour construire un change- pour dépasser la peur du jugement. tion ambulatoire.
ment de mentalité dans les deux

des patients. Un cadre théorique ou une philosophie


globale sont souhaitables. De cette manière la prise 1.  Vers une approche globale et intégrée
en compte du genre pourrait devenir un concept plus – Développer une approche intégrée en incluant chaque dimension de
concret et plus accessible, ce qui pourrait stimuler la personne — vie affective, sociale, culturelle, spirituelle, physique et
d’autres services et les pousser à adopter cette ap- mentale — par la combinaison et l’intégration des soins médicaux, du
soutien social, du conseil psychologique, de l’autonomisation person-
proche dans leurs programmes.
nelle ainsi que des approches philosophiques et culturelles.
Recommandations – Développer un traitement intégré, prenant en compte la diversité et la
complexité des réalités sociales et adapté aux besoins de chaque
Sur base des résultats de cette étude, nous avons
utilisatrice — en ce compris des services de garde d’enfants, de soutien
formulé des recommandations regroupées autour
au logement, de formation professionnelle, de services bas-seuils et
de quatre thèmes majeurs incluant des mesures de réduction des risques, de trauma et d’autres types de thérapie
spécifiques pour développer un cadre structurel spécifique. Inclure une composante de suivi pour assurer la conti-
d’approches plus sensibles au genre. Un élément nuité des soins.
crucial pour mettre en œuvre avec succès ces recom- 2. Fournir de nouvelles possibilités de formation pour les membres du
mandations est l’implication de tous les acteurs dans personnel aux questions de genre et promouvoir l’échange de bonnes
le processus de mise en œuvre, qu’il s’agisse du pratiques entre les différents services.
niveau politique ou pratique. Les autorités politiques 3. Intégrer une vision plus large de la dimension de genre et des sujets liés
aux niveaux fédéral, régional et local doivent être aux stéréotypes de genre tels que la violence domestique, la parenta-
conscientes de la nécessité de travailler en étroite lité et les responsabilités familiales. Promouvoir l’équité entre les sexes
collaboration avec les différents acteurs sur le terrain via des programmes psychoéducatifs incluant aussi bien les hommes
et les centres spécialisés pour parvenir à des chan- et les femmes ou via des campagnes mondiales ou nationales de sen-
gements durables et efficaces 11. sibilisation.
4. Développer des campagnes de prévention ciblées et sensibles au genre,
notamment autour de quatre aspects spécifiques : la stigmatisation
11.  Si vous désirez avoir pour plus d’informations concer- sociale et le rôle des substances dans la vie des femmes, les groupes
nant l’étude Gen-Star, vous pouvez contacter : sarah.simo- de discussion spécifiques, les stratégies de réduction des risques et les
nis@sciensano.be. Vous pouvez également trouver le rap-
port complet via le lien suivant : www.belspo.be/belspo/
médicaments psychoactifs (ex. : benzodiazépine).
drugs/project_docum_fr.stm#DR73, ou via le site : drugs.
wiv-isp.be.

Prospective Jeunesse  Drogues | Santé | Prévention  | 84 |  Périodique trimestriel octobre-décembre 2018 page 11


TÉMOIGNAGE

« Je porte ma voix pour


les autres »
> Interview de Samanta Borzi, auteure et pair aidante

Polyconsommatrice pendant 20 ans, Samanta Borzi a couché son histoire


sur papier 1. Les relations familiales, les coûts de la consommation, la rue,
la perte d’un bébé, le placement du deuxième et cette troisième petite fille
qui accompagnera ce que Samanta appelle son rétablissement. 
Elle souhaite, écrit-elle, exposer son point de vue, et faire évoluer 
les mentalités. Celles du grand public. Celles des médecins,
des sages femmes, des services d’Aide à la jeunesse.
Samanta revient aujourd’hui sur les défauts des institutions,
sur les clichés qui guident trop souvent encore des réflexes professionnels
et sur les lunettes de pair aidante qu’elle chausse désormais.

Comment vous en êtes venue à écrire J’ai un bug, je me dis que j’ai une histoire à
votre témoignage La drogue dans mes raconter ! Mais est-elle assez importante
veines, mes enfants dans la peau ? pour pouvoir être narrée ?
Je ne crois pas au hasard, mais c’était un Après un échange téléphonique avec mon
concours de circonstances. J’avais arrêté compagnon, j’appelle l’éditrice, Véronique
de consommer, je m’étais mise en ménage, de Montfort, chez les éditions Boîte à Pan-
mais je n’arrivais pas à me trouver une iden- dore. De façon très saccadée, je lui ai racon-
tité dans tout ça. té mon histoire. La première chose qu’elle
La princesse avait trouvé son prince, ma fille m’a demandée, c’est « Est-ce que c’est vrai,
était auprès de moi, j’étais dans un combat tout ce que vous avez vécu ? ». Ensuite, elle
pour récupérer la garde de mon fils, mais je m’a demandé de faire une chronologie de
ressentais un mal être latent, comme si je tout ce que je lui avais expliqué. « Vous faites
n’arrivais pas à exister en tant que personne. deux, trois pages, avec ce qui vous semble
J’avais essayé différentes formations mais essentiel ». J’ai commencé, mais impossible
elles ne me convenaient pas. Un matin, sur de sortir mon vécu sous forme de date. J’ai
1.  Borzi Samanta, La drogue dans mes Facebook, dans mon vieux pyjama, je vois dû y mettre des mots, puis des adjectifs, des
veines, mes enfants dans la peau. L’histoire
extraordinaire d’une femme qui voulait deve- apparaitre une annonce disant « Cherchons couleurs, des sensations, des émotions.
nir ordinaire, La Boite de Pandore, 2016. des histoires extraordinaires à raconter ». J’étais néophyte et c’était assez abrupt. Au

page 12 octobre-décembre 2018 Prospective Jeunesse  Drogues | Santé | Prévention  | 84 |  Périodique trimestriel


plus j’écrivais, je crois, au plus j’étais à l’aise Vous écrivez : « Je suis une ex-
avec les mots et avec ce que je voulais expri- toxicomane, c’est mon identité ». Vous
mer. C’était même une jouissance, de trou- aviez besoin de le revendiquer
ver le mot juste pour définir exactement ce clairement ?
que je ressentais.
Je ne suis pas que ça, mais c’est une de mes
Je suis arrivée à notre rendez-vous avec 20 identités. Quand j’ai écrit et publié mon his-
pages. En lisant, elle a dit : « C’est bon, je toire, il y a plus de cinq ans, je voulais me
vous édite ! ». J’ai demandé qui allait l’écrire, servir de l’écriture pour m’en extraire. Je
et elle m’a répondu : « Vous. Vous faites ça voulais humaniser mon parcours, montrer
très bien ! ». Son téléphone a sonné et elle mon humanité, même quand je consomme
a dit qu’elle rappellerait plus tard, car elle enceinte, même quand je confie mon fils
était avec une auteure. À partir de ce mo- aux Services d’Aide à la Jeunesse. Quand
ment, je suis devenue auteure. C’est assez je serrais la main de quelqu’un, j’avais l’im-
insensé, comme coup de bol, et il faut voir pression que mon histoire était inscrite sur
d’où je venais… Cette dame, très working mon front. Je voulais la raconter. Des anec-
girl, hyper occupée, m’a donné toute ma dotes, j’en ai plein. J’ai déjà été mise au
place. Cette confiance m’a motivée. Elle m’a cachot alors que je venais porter plainte pour
proposé une méthodologie qui ne m’a pas viol. Mais j’étais prostituée. Une prostituée
convenu du tout. J’ai donc fait très simple. qui se plaint de viol, pour beaucoup de poli-
J’ai commencé par le premier souvenir, le ciers, c’est compliqué à comprendre. Je
premier déclencheur, et j’ai avancé. Après voulais exprimer tout ça. Quand le livre est
un mois de page blan­che, je me suis levée sorti, le débat sur les salles de consommation
quotidiennement, très tôt, à 4 heures du était déjà en cours. Les journalistes ont uti-
matin. La maison était paisible, je me faisais lisé des passages de mon témoignage. Ça
mon petit café et j’écrivais… Je l’ai écrit en a libéré ma parole, m’a permis d’affûter mon
neuf mois, comme une gestation, et je l’ai discours, tout en restant authentique.
fini par hasard le jour de mon anniversaire,
le 9 février ! Je pensais être contactée par des personnes
toxicomanes, mais le public qui m’a le plus
La parole d’une usagère est une parole contactée, ce sont des familles, des enfants
rare dans les médias, en politique, où les de personnes toxicomanes. Il leur manquait
premiers et les premières concernés par justement quelque chose pour humaniser
les questions de drogues sont souvent leurs parents. Mon témoignage leur disait :
absents. « Ce n’est pas parce qu’il ne t’aime pas, ou
pas assez, qu’il foire ; c’est parce qu’il ne
Oui, on oublie que les consommateurs de
s’aime pas assez lui-même ».
produits sont des citoyens, des citoyennes.
Beaucoup de gens m’ont demandé com-
Lâcher prise face à la dépendance d’une
ment j’avais pu assumer. C’est l’inverse que
personne qu’on aime est difficile pour
je ne comprends pas, ne pas assumer. Je
l’entourage.
suis quand même assez fière de mon par-
cours, de sa transformation. J’ai été chan- Parfois, l’entourage me semble plus mal en
ceuse aussi : j’ai gardé toute ma tête malgré point que la personne toxicomane. « Que
une grosse consommation de 22 ans d’hé- puis-je faire ? » est une question obsédante.
ro et de coke. Certes, j’ai quelques problèmes C’est compliqué de parler d’amour respon-
d’attention, de fatigue chronique, de mé- sable. Ce que j’entends par là, c’est accep-
moire. Je prends beaucoup de notes pour ter que la personne qu’on aime va se planter,
ne pas oublier. Mais j’ai la chance de pouvoir quoi qu’on y fasse ; accepter qu’elle va cou-
m’exprimer correctement, je la saisis, je porte ler, et l’accompagner avec amour, être sim-
ma voix pour les autres. C’est important. plement présent quand elle a besoin de nous.

Prospective Jeunesse  Drogues | Santé | Prévention  | 84 |  Périodique trimestriel octobre-décembre 2018 page 13


Il faut accepter que la personne vive son souffrance, savoir que c’est à cause de soi,
expérience, et qui sait ? Peut-être qu’un jour, c’est très dur. Mon instinct, c’est le peau à
elle écrira un livre. D’autres s’en iront. La vie peau. Mais l’infirmière m’en empêche. Elle
est ainsi faite. me dit « Non, on va l’emmailloter ». Je hurle
et elle m’abandonne. Je ne conçois absolu-
Votre livre pose également un regard sur ment pas qu’elle ait fait ça, mais, sur le
les pratiques professionnelles des moment, je n’ai pas de marge de manœuvre.
intervenants que vous avez croisés.
Lorsque vous racontez le sevrage de votre Vous dites que, plus tard, on vous a
fils, vous expliquez combien vous aviez expliqué que c’était une procédure
envie d’être là pour lui, combien vous instituée. Est-ce qu’on vous a expliqué les
vous sentiez impuissante et combien la raisons sur le moment ?
réaction de l’infirmière, qui vous écarte, Non ! Mais aujourd’hui, ça a changé. Les
vous affecte. hôpitaux recrutent d’ailleurs des bénévoles
J’avais très peur qu’on m’enlève le droit qui viennent s’occuper des bébés en se-
d’être présente. Le message était que toute vrage, les câliner. Je pense que les infirmières
contestation de ma part vis-à-vis du protocole trouvaient la pratique justifiée, mais c’était
en place signifiait un manque de volonté à une horrible pratique. Elles ont eu tellement
collaborer. Après un accouchement, toutes peur, elles sont tellement contaminées par
les hormones vous envahissent, le besoin le cliché de la mère toxicomane qui va for-
de tenir son bébé est là. Savoir qu’il est en cément maltraiter l’enfant, qu’elles m’ont

page 14 octobre-décembre 2018 Prospective Jeunesse  Drogues | Santé | Prévention  | 84 |  Périodique trimestriel


séparée de mon fils immédiatement. C’est
au niveau des pratiques professionnelles Les représentations des rôles sociaux des femmes, en par-
ticulier celui de la maternité, alimentent, consciemment ou
qu’il faut passer le message, qu’il faut iden-
non, une violence institutionnelle de la part de certains
tifier les erreurs. À ce moment-là, j’avais
représentants de la police, de la justice et de la santé. Dans
besoin d’écoute. D’être guidée par quelqu’un ses livrets de bonnes pratiques, Eurotox formule quelques
qui pouvait me parler comme une mère, et recommandations pour les professionnels, parmi lesquels :
pas comme une intervenante médicale.
• Renforcer la place de la vie affective et sexuelle dans la
Réduction des risques
La consommation d’alcool ou de drogues
• Introduire la parole autour de la grossesse et du projet
chez les femmes est peu étudiée.
de maternité dans les dispositifs de RDR et de traitement
Aujourd’hui, quelle est votre réflexion sur
• Construire des partenariats entre le secteur assuétudes
les stigmatisations de femmes usagères ?
et le secteur périnatal, les professionnels des maternités
Des différences vous ont marquée ? afin d’éviter les prises en charge urgentes et chaotiques
Je ne sais pas trop que répondre. Évidem- • Informer l’usagère des avantages des soins périnataux,
ment, la maternité était un moment horrible. des effets des drogues pendant la grossesse, des risques
Je portais la vie, et j’avais besoin de consom- des usages paternels et des options thérapeutiques, pour
mer pour fonctionner. C’est une distorsion elle et son bébé
énorme, et je le savais. Mon sentiment de • Prévenir le sevrage du nouveau-né et le syndrome d’alcoo-
culpabilité n’a jamais été aussi fort. Le produit lisation fœtale
m’a aussi servi à me couper de mon res- • Préparer l’hospitalisation
senti de culpabilité. Lors des descentes 2, je
• Encourager le rôle actif du/de la partenaire
sentais le bébé bouger et je me disais
• Encourager le lien avec le nouveau-né
« Qu’est-ce que je fais ? ». Le plus difficile
dans mon parcours, c’est cette période. Je Pour en savoir plus,
retrouvez les livrets de Bonnes pratiques d’Eurotox :
me suis aussi beaucoup coupée des autres.
Lors de la grossesse de Sacha, le gynéco- www.eurotox.org
logue lui-même n’en revenait pas de suivre
une mère consommatrice. Comment aurait-
il pu m’accompagner ? Les travailleurs ont lunettes de pair. Et ce rôle lui-même, d’ail-
à trouver ce moyen d’accompagner. Je l’ai leurs, n’a pas la même efficacité auprès de
trouvé dans l’haptonomie 3. toutes les personnes que je rencontre. Cer-
tains apprécient mon écoute, mais quelques-
Vous écrivez que les institutions sont uns n’acceptent pas mon aide à cause de
adaptées à la masse, et non pas à mon parcours. C’est leur choix.
l’individu.
Qu’est ce qui vous a menée à la pair 2.  La descente désigne la fin des effets de la
Oui, chacun a son histoire personnelle. Peut- drogue consommée. Ses manifestations
être qu’une maman peut être atteinte à la aidance ? sont variables (fatigue, état dépressif, anxié-
fois de dépendance et de mauvaise santé Après le livre et après un atelier d’écriture à té…).
3.  L’haptonomie est une méthode de prépa-
mentale. Peut-être qu’elle peut poser des la prison de Berkendael que j’avais organisé ration à l’accouchement, qui consiste à com-
actes problématiques. La protection de bénévolement, je me suis retrouvée femme muniquer avec son bébé in utero par le biais
l’enfant reste la priorité. Mais je ne représen- de ménage et comédienne. C’était très par- de caresses et d’attouchements à travers la
paroi du ventre. Elle inclut la mère comme le
tais aucun danger. J’assistais à une prise de ticulier comme période, les deux expériences père.
pouvoir. Je pense qu’il faut vraiment analy- contrastaient très fort. Après toutes ces 4.  La pair aidance désigne les pratiques
ser qui est la personne, quelle est son histoire années dans la rue, mon corps ne gérait pas d’accompagnement et de soutien de publics
confrontés à la précarité, à des problèmes de
et identifier des solutions dans les protocoles, le travail de femme de ménage. C’était trop santé mentale ou à des usages de drogues
accepter qu’elles vont différer d’une per- lourd. J’ai parlé à un ancien thérapeute de problématiques, par des pairs. Elle repose
sonne à l’autre. Mon rôle de pair aidante 4 mon envie d’être dans le social et d’être sur une « expertise du vécu » : les pairs ap-
portent leurs propres expériences, une en-
est justement de contribuer à améliorer les rémunérée. Il m’a conseillé de postuler aux traide, un soutien moral et un regard sur les
pratiques professionnelles par mes propres plans hivernaux du SAMU. J’ai envoyé mon pratiques institutionnelles.

Prospective Jeunesse  Drogues | Santé | Prévention  | 84 |  Périodique trimestriel octobre-décembre 2018 page 15


CV, et j’ai été engagée. Après la fin du plan tiques. Qui sait ? Par ailleurs, le public dépen-
hivernal, Housing first 5 m’a proposé alors la dant n’est pas un public avec lequel il faut
pair aidance. La sélection a duré deux mois attendre des résultats. Peu s’en sortiront. Ils
et, aujourd’hui, je collabore avec eux depuis passeront des étapes. Mais, au fond, ça veut
7 mois. J’adore. C’est presque utopique. dire quoi, s’en sortir ?
Nous ne travaillons pas sur les comporte-
ments parfaits (manger sainement, arrêter Revenons à ce médecin. Je suis persuadée
de consommer…) mais nous visons le réta- que nous ne naissons pas mauvais, mais
blissement en fonction de ce qui convient à que nous le devenons. Nous sommes trans-
la personne. Ça varie beaucoup. Dans mon formés par nos expériences de vie. Au sein
cas, le plan de rétablissement était l’arrêt d’Housing first, nous avons des supervisions
total du traitement de substitution, de toute mensuelles, qui font partie de notre travail.
béquille médicamenteuse, mais aussi de J’ai le droit de dire : « OK, je ne peux plus
trouver un job, de me sentir valorisée pro- faire telle chose pendant deux semaines ».
fessionnellement, et d’être une bonne mère. Nous avons le droit à la vulnérabilité. Nous
Une autre personne va vouloir fonctionner verbalisons et adaptons. Cette démarche
en prenant sa méthadone tous les jours. On me paraît fondamentale. Les mécanismes
en revient à l’adaptation à la personne, et institutionnels, les enjeux financiers, le tour-
non à la masse. En cela, Housing first porte nant politique vers la droite, tout ça pèse sur
mes valeurs. les épaules des assistants sociaux. Il faut
ouvrir la parole, mais ça demande de lever
Vous dites aussi qu’il faut prendre soin les tabous dans les institutions. Les intervi-
des travailleurs sociaux. Est-ce une sions entre membres de différentes institu-
réflexion issue justement de votre tions servent à identifier les difficultés, ce
expérience « des deux côtés de la qui peut ne pas fonctionner, et à nous appor-
barrière  » ? ter des solutions mutuelles.
J’ai beaucoup d’empathie pour les travail-
leurs sociaux, oui. Ça précède ma propre Et aujourd’hui, auriez-vous envie de
expérience professionnelle, j’en parle dans réécrire ?
le bouquin justement. Que s’est-il passé avec
ce médecin qui me gifle alors que je suis au Sur la pair aidance, surtout, et sur le travail
sol ? Comment en est-il arrivé là ? Avait-il holistique que je fais. Mais actuellement, je
trop d’heures de service derrière lui ? Était-il ne trouve pas les mots. J’ai aussi un projet
usé ? Usé de ce public dont je faisais partie ? de roman, autour de l’idée « Naît-on mauvais
Peut-être avait-il quelqu’un dans son entou- ou le devient-on ? ». Il est dans mon PC
rage aux prises avec les mêmes probléma- depuis 2 ans, j’y reviendrai peut-être.

5.  Le Housing first est un programme


d’in­sertion sociale de personnes sans-
abris, dont la première étape est le relo-
gement sans conditions.

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RÉFLEXION
L’auto-santé, outil
d’émancipation des femmes !
>  Interview de Catherine Markstein, médecin et fondatrice du réseau Femmes et Santé

Inspiré par le mouvement de santé des femmes, le collectif Femmes et


Santé prône la réappropriation de la santé comme outil d’émancipation 
des femmes, du début à la fin des règles et au-delà. Catherine Markstein
nous retrace l’histoire de cette asbl devenue réseau.

D’où vient la création du réseau Femmes Le soulagement, l’accompagnement, la perspective


et Santé ? d’affaiblir la douleur, de diminuer des symptômes
Nous étions deux femmes médecins, Mimi Szyper entravant la qualité de vie des malades, sont des
et moi, et notre réflexion s’est développée en paral- piliers de la pratique médicale.
lèle à un ras-le-bol du paternalisme hospitalier. Le Dans les années 70, en Europe, en Amérique latine
milieu hospitalier est un microcosme très fort hié- et aux États-Unis, naît un mouvement contestataire,
rarchisé, peu démocratique, voire autoritaire. Tout qui s’inscrit dans le mouvement de libération des
en bas, se trouvent les patients. Viennent les infir- femmes, le mouvement pour la santé des femmes.
mières, puis les médecins. En haut, il y a les chefs L’autodétermination, la valorisation des compé-
de service, qui sont très majoritairement des tences, des pratiques et des connaissances propres
hommes. Mimi et moi voulions sortir de ce micro- des femmes étaient au cœur.
cosme, travailler à un projet qui corresponde plus à
nos valeurs. J’avais 49 ans, je travaillais dans un Ce mouvement privilégiait une culture de transmis-
service de soins palliatifs. Dans ce domaine, la per- sion horizontale à un enseignement vertical. Il nous
sonne est beaucoup plus au centre du processus avait marquées. Nous en ressentions des influences
de soins, c’était déjà une petite révolution à l’hôpital. dans notre pratique, dans notre rencontre avec l’autre
J’ai beaucoup souffert cependant des résistances personne. Nous étions autour de la cinquantaine et
et des projections très péjoratives sur notre travail. nous nous intéressions à la surmédicalisation des
Accompagner des personnes atteintes d’une mala- cycles de vie. Cette période est appelée communé-
die incurable était perçu par certains comme de la ment la ménopause. Ce terme est lié à sa médica-
charité de bonnes sœurs. Ce dénigrement de notre lisation : je n’utilise plus jamais ce mot qui évoque
travail était vraiment vexant et très lourd. Les soins un arrêt, un stop, une fin. Or il s’agit juste de nos
palliatifs, le traitement de la douleur ne sont pas une dernières règles. Ça ne regarde personne. Nous
sous-catégorie de la médecine mais un domaine étions révoltées de cette surmédicalisation.
très développé. Il faut le prendre très au sérieux.
Contrairement au cliché, la médecine n’est pas que Comment avez-vous décidé d’agir ?
la guérison. Elle n’est pas toujours possible et long- Nous avons décidé de mettre en place des groupes
temps la pratique médicale a négligé les autres voies. de femmes, pour qu’elles puissent donner leur ré-

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ponse par rapport à cette surmédicalisation. Com- ception hormonale, un groupe sur l’hygiène mens-
ment vivent-elles les choses ? Que représente cette truelle, un groupe sur l’auto-examen gynécolo-
période pour elles ? C’est une adaptation tout à fait gique, etc. Je voulais sortir de la médecine préven-
physiologique du corps, une période un peu chao- tive terriblement basée sur la peur, de fausses
tique, mais c’est une transition stimulante, la re- promesses ainsi que sur l’idéologie du risque zéro,
cherche d’un nouvel équilibre. Toute la vie est faite et proposer aux femmes la promotion de la santé :
de changements physiologiques : l’adolescence, la comment garder mes seins, mon corps, mon péri-
grossesse, l’allaitement… Médicaliser, donner des née, en bonne santé ? Sont apparus les ateliers
médicaments, dont certains se sont avérés extrê- créatifs de la santé. Ensuite, le ministère nous a
mement dangereux, ressemble à gaver les femmes donné la mission de créer une plateforme, de plai-
en menaçant les récalcitrantes : « Si vous ne faites doyers, de revendications. La naissance de Femmes
pas ça, vous n’êtes plus une « vraie » femme ». & Santé date de l’automne 2004. Or il faut une renais-
Beaucoup de médecins et de firmes pharmaceu- sance du mouvement de la Santé des femmes, qui
tiques lient toujours ces changements physiolo- tienne tête à cette médecine des appareils, à la
giques à une sorte de maladie déficitaire. Une tran- biomédecine qui veut contrôler et dominer notre
sition physiologique n’est pas une maladie. Entre corps et nos cycles de vie pour des raisons écono-
outre, la traiter comme telle vulnérabilise les femmes. miques.
Elles sont dépossédées de la confiance dans leur
corps, du savoir concernant ses changements. Plu- C’est aussi très installé culturellement, on
tôt que de remplir l’espace avec des prétendues a envie d’être rassurée sur son état de
informations, très construites sur ce que doit être santé.
un corps de femme, sa vie, sa sexualité, nous avons Tout à fait ! On a peur et on nous fait peur.
choisi de nous taire et de donner la parole aux par- Nous croyons, nous apprenons à croire que,
ticipantes. Nous faisions de l’input de temps à autre, dès le départ, notre corps est fragile, poten-
mais pas celle des firmes pharmaceutiques ni des tiellement malade, imparfait face aux critères
médias féminins. Nous déconstruisions les mani- de beauté, invalide à certains moments.
pulations aux visées commerciales, nous expliquions Inadapté ! Malheureusement, en Europe,
les changements hormonaux. Par leurs échanges, cette représentation se transmet souvent de
les participantes répondaient à leurs propres inquié- mère en fille.
tudes : « Vais-je encore être séduisante ? Comment
mon corps va-t-il changer ? » Un réflexe est aussi de s’intéresser à
notre corps au moment où, justement, il
Progressivement, vos centres d’intérêt se montre des signes de dysfonctionnement.
sont multipliés. Comment ? Comment mobiliser des personnes en
Dans nos groupes de femmes, elles se réappro- amont, quand « tout va bien », « tout est
priaient ces savoirs facilement puis la parole s’ouvrait normal  » ?
sur cette période pas facile, mais importante pour Effectivement, la santé est souvent présen-
la construction d’une nouvelle identité. De sexua- tée comme un ensemble de prescriptions à
lité, d’amour, de travail, nous déviions sur des sujets suivre pour ne pas tomber malade. Nous
politiques : la violence reflétée dans les médias, la avons fonctionné par le travail en réseau.
pollution, le bruit, le monde scolaire… Progressive- Dès le départ, Femmes et Santé a travaillé
ment, ces femmes de 50 ans se sont dit qu’elles avec les grandes associations de femmes,
n’allaient pas rester entre elles. Elles observaient ce surtout Vie féminine et les Femmes Pré-
que les gynécologues disaient à leurs filles, elles voyantes Socialistes, mais aussi avec des
voulaient partager leur réappropriation de leurs corps
avec de plus jeunes générations. Et ça, c’est la belle
histoire de Femmes et Santé. Dans le groupe inter-
générationnel, il y avait des jeunes femmes qui
proposaient d’autres activités : un groupe de contra-

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plannings, avec certaines maisons médi- mères nous ont transmis des choses. Si on
cales. Nous avons présenté notre approche rassemble tous ces apports, il y a un grand
à des maisons de quartiers, à des associa- bol de savoirs qui se crée, se compose dans
tions. Nous nous sommes intégrées, nous chaque groupe. Bien sûr, quand on est
avons créé les contacts. malade, on va chez le médecin. Il est là pour
Nous avons aussi créé collectivement un ça. Mais nous devons nous réapproprier
référentiel expliquant nos ateliers t, pour que notre santé. Elle nous appartient.
les femmes puissent l’utiliser en autogestion
Quelles discriminations faites aux
totale, sans spécialiste, sans expert. Nous
femmes dans le cadre de la santé vous
voulions qu’avant le recours à la consultation
semblent nécessiter une attention
médicale, les femmes, organisées entre elles,
particulière ?
se sollicitent, s’échangent des informations,
des idées, fonctionnent en réseau. Il y a des Premièrement, je pense aux discriminations
très belles expériences de ce type, des en action communautaire, par rapport aux
groupes existant depuis 20 ou 30 ans. Les savoirs et aux compétences des femmes.
femmes issues du Maghreb ont fort déve- Certains véhiculent des préjugés que les
loppé cet échange. C’est très fort, c’est femmes originaires du Maghreb veulent
extraordinaire, il faut absolument valoriser échapper au contrôle médical en appliquant
et travailler ça. Cette valorisation est très des remèdes. La société occidentale n’a plus
difficile, parce qu’en action communautaire, l’habitude de cette santé : ici, tout est contrô-
la première prescription est l’apprentissage lé et l’enfant doit être vu souvent. Il y a des
du français langue étrangère pour ces statistiques, des protocoles, et si l’enfant ne
femmes. Oui, ça contribue à leur émanci- correspond plus à ces protocoles, alors on
pation, mais il ne faut pas le faire en dévalo- va l’examiner, le traiter… Certaines femmes
risant leurs apports et leurs connaissances. veulent échapper à cette surmédicalisation,
Il ne faut pas mettre un couvercle sur leur et la non-connaissance du français les fra-
approche. gilise, les expose plus à la prescription médi-
cale. On ne fait pas venir un traducteur ou
Comment défaire ces représentations une traductrice, le médecin se fait un juge-
d’une santé forcément médicalisée ? ment complètement subjectif, et la femme
ne peut pas placer un mot. Dans une pratique
En donnant le pouvoir d’agir ! Ce n’est pas
médicale vraiment participative, démocra-
une question individuelle, c’est une question
tique, inclusive, la parole de la personne est
collective. Tout le référentiel d’auto-santé
extrêmement importante, elle fait entière-
est construit pour augmenter la confiance
ment partie du traitement.
en soi, mais aussi pour partager avec les
autres. C’est l’empowerment le plus basique. Plus largement, le racisme est prégnant. Il
Le groupe est là pour échanger. Une per- existe beaucoup de projections très péjora-
sonne exprime un ressenti et, immédiate- tives, formatées sur des catégories de
ment, quelqu’un dans le groupe va réagir femmes. On projette sur les femmes afro-
en miroir : « moi aussi, ça m’arrive ». Se descendantes qu’elles sont comme ci,
sentir reconnu et compris est le fondement comme ça, qu’elles supportent mieux l’ac-
de toute thérapeutique. Toute femme a des couchement, qu’elles ont moins de douleurs
connaissances, même si nous en sommes ou plus de douleurs, qu’elles sont plus natu-
déjà très coupées. Nos mères, nos grands- relles. On « suggère » souvent un examen
gynécologique aux femmes réfugiées. C’est 1.  Référentiel Auto-santé des femmes, pu-
presque une stratégie hygiéniste vis-à-vis de blié par Femmes et Santé, le Monde selon
celles qui arrivent sur le territoire. Cet examen les Femmes et la Fédération des Centres
Pluralistes de Planning familial. Il est dispo-
est très souvent pratiqué par des hommes, nible au prix de 8 euros auprès de ces asso-
à contrepied des habitudes dans d’autres ciations.

Prospective Jeunesse  Drogues | Santé | Prévention  | 84 |  Périodique trimestriel octobre-décembre 2018 page 19


cultures, et ça peut faire peur à une femme dans un élan de politique nataliste, prati-
qui arrive dans un pays différent du sien. Or quaient sur les habitantes des stérilisations
l’examen pourrait être très facilement exer- sans leur consentement. Dans notre beau
cé par une infirmière ou bien par une sage pays aussi, il y a des dérives. Il faut vraiment
femme. Ensuite, on leur conseille souvent faire très attention. Privilégions de demander
une contraception chimique, parce qu’on par exemple d’envoyer des infirmières ou
ne veut pas que ces femmes « fassent des bien des sages femmes parler avec ces
gosses et encore des gosses ». Dans le femmes migrantes, la présence d’un traduc-
passé, les femmes étrangères ont été sou- teur ou d’une traductrice, de travailler en
mises à des examens forcés. Nous savons, groupe. Le groupe permet de se sentir plus
par exemple, que, encore dans les années en sécurité et non seules face à l’autorité
1970, à la Réunion, des médecins français, médicale, qui représente un pays qui fait un
peu peur. La discrimination est souvent très
La place n’était pas vide subtile, difficile à détecter. Mais il y a des
préjugés qui circulent. Il faut les combattre.
Catherine Markstein continue à transmettre ses re-
gards critiques sur les pratiques médicales envers les Enfin, il est heureux que la charge mentale
femmes et sur les chemins de libération dans une soit plus présente dans le débat public. Les
conférence gesticulée, inspirée par celle de Frank conditions de vie des femmes ainsi que l’iné-
Lepage. « Je voulais être dans la transmission, racon- galité de la répartition des tâches domes-
ter ce que j’ai vécu, être en contact avec la génération tiques ont des impacts directs et indirects
qui va me suivre. » sur la santé. Gardons le souci des autres,
mais il doit être partagé de manière éman-
Plus d’infos sur
https://conferences-gesticulees.be/?page_id=517 cipatrice.

page 20 octobre-décembre 2018 Prospective Jeunesse  Drogues | Santé | Prévention  | 84 |  Périodique trimestriel


RÉFLEXION
Genre et alcool

Étude dans un centre de jour


>  Pierre-Henri Mullier et Manuel Dupuis, psychologues au centre de jour l’Orée

Actuellement, émerge le concept d’alcoolisme de genre dans la littérature


scientifique. Des spécificités jusqu’alors peu investiguées le deviennent
au point de questionner l’existence d’un alcoolisme féminin et masculin.
En témoignent d’ailleurs les nouvelles pratiques de gender marketing,
concept aussi innovant qu’interpellant. Au Centre de jour l’Orée, nous
sommes fréquemment confrontés à des rapports sociaux de genre,
façonnant notre clinique. C’est pourquoi nous avons questionné notre
prise en charge dans le cadre d’un groupe de travail continu. Cet article
dévoile les représentations qui ont émergé, afin d’observer et dégager leur
impact potentiel dans l’accueil de notre public.

Dessine-moi un(e) alcoolique Que se dégagerait-il d’une telle rencontre si


ce mouton laissait place au sujet alcoolique,
Notre appréhension de la question des repré-
voire à une femme alcoolique ? Serions-nous
sentations s’est inspirée du livre de Saint
également amenés à redessiner nos repré-
Exupéry, Le Petit Prince. Dans cette histoire,
sentations 1 ? Au travers de cette analogie,
un passage met en scène la rencontre d’un
nous introduisons l’importance d’observer
aviateur et d’un Petit Prince. Ce dernier
les représentations qui parsèment le travail
demande à l’adulte de lui dessiner un mou-
clinique en alcoologie. Insistons sur l’intérêt,
ton. Après plusieurs essais infructueux,
tant pour le patient que pour le soignant, de
l’aviateur perd patience et lui dessine une
se dégager de ces représentations afin de
boîte à l’intérieur de laquelle se trouve son
créer un espace de rencontre thérapeutique.
mouton ce qui, à la surprise de l’aviateur,
ravit l’enfant.
Boire, c’est mal(e) ?
Dans cet échange, nous sommes témoins
d’attentes qui s’entrechoquent aux repré- Au sein de notre clinique, nous sommes
sentations trop infidèles de l’adulte. Ce n’est régulièrement témoins du regard social et 1.  Dans cet article, nous nous référons
à la définition de représentation sociale
que par une manipulation conceptuelle créa- sociétal dont le sujet alcoolique fait l’objet : comme « une forme de connaissances so-
tive et hasardeuse que les représentations il serait manipulateur, manquerait de volon- cialement élaborée et partagée ayant une
stéréotypées se voient enfermées plutôt que té… En parallèle, les démarches de soins visée pratique et concourant à la construction
d’une réalité commune à un ensemble so-
subies, ouvrant un espace de rencontre en constituent un réel défi pour les usagers et cial », Jodelet Denise, Les représentations
retour. usagères, tant concernant leur insertion sociales, Paris, PUF, 1994.

Prospective Jeunesse  Drogues | Santé | Prévention  | 84 |  Périodique trimestriel octobre-décembre 2018 page 21


sociale, que dans l’énergie qu’elles néces- Le masculin l’emporte,
sitent et suscitent. La honte, les rendez-vous le féminin le porte ?
ratés, le besoin d’être appuyé d’un tiers, les En amont de ce groupe de travail, nous avons
pré-alcoolisations parfois nécessaires à la imaginé quelles pourraient être, chez nos
prise de parole sont autant d’exemples qui patients, les représentations associées à
témoignent du poids de cette maladie et de l’alcoolisme de genre. Inscrits dans une
son étiquetage social. époque marquée par le changement, nous
Si l’alcoolique est l’objet de représentations anticipions des perceptions diverses et nuan-
négatives, il semblerait qu’il en soit encore cées à l’image de notre société.
davantage vis-à-vis du genre. Nolen-Hoek- Pourtant, dans le discours des usagers, ce
sema (2004) souligne par exemple que sur sont majoritairement des représentations
le plan psychosocial, une consommation classiques et inégalitaires qui règnent. Ainsi,
évaluée comme excessive est jugée plus l’homme qui boit bénéficie d’une immunité
négativement pour une consommatrice sociale par le caractère festif et naturel de
plutôt que pour un consommateur 2. ses consommations, là où la femme hon-
Chez le soignant, Geirsson, Hensing, & Spak teuse doit se cacher pour rester pure et res-
(2009) montrent par ailleurs que les repré- ponsable.
sentations de la consommation d’alcool, les Comment comprendre ces représentations
recommandations, mais aussi le traitement dichotomiques qui persistent dans le temps
proposé par les praticiens de santé diffèrent malgré leur caractère stéréotypant ? Com-
selon le genre du patient 3. Il est ainsi davan- ment répondre au fait qu’elles puissent nour-
tage proposé aux hommes une diminution rir les consommations et freiner les dé-
de leur consommation, tandis qu’un arrêt marches de soins ? De bon nombre de repré-
total sera souvent prescrit aux femmes. sentations sur l’alcool jaillit l’idée d’une
norme sociale qui fait office de repère, de
Nous constatons ainsi que la maladie alcoo-
normalité. Nous comprenons que le pouvoir
lique ne peut pas s’extraire de la réalité so-
des représentations réside dans le fait qu’il
ciale dans laquelle elle s’inscrit. Quelle place
n’est pas nécessaire qu’elles soient réalistes
les représentations peuvent-elles donc avoir
et objectives pour qu’elles impactent la réa-
dans la clinique de l’alcoologie en matière
lité et la façonnent. Leur ténacité vient parfois
de genre ?
d’ailleurs s’ancrer dans l’inconscient collec-
tif. Elles agissent donc comme une ligne de
Des représentations spécifiques conduite qui guide les pensées, les compor-
tements et les émotions sans que celles-ci
Au centre de jour L’Orée, nous accueillons
soient forcément acceptées rationnellement
quotidiennement un public mixte souffrant
par le sujet.
en majorité d’une dépendance à l’alcool,
globalement sur un mode indifférencié de Face à la maladie alcoolique et à ces mes-
genre. Les femmes sont sous-représentées sages sociaux paradoxaux, nous sommes
à raison, en moyenne, d’une femme pour ainsi témoins du défi que constitue pour une
deux hommes. De notre pratique quoti- femme alcoolique l’acte de se positionner
2.  Nolen-Hoeksema, S. (2004). Gender dienne avec les patients, de nos réflexions et de trouver une juste place. Cela n’est pas
differences in risk factors and consequences en groupe de travail, ainsi que d’un espace sans susciter une certaine ambiguïté iden-
for alcohol use and problems. Clinical Psy- de parole ouvert ciblé sur cette thématique, titaire. En effet, l’alcoolisme n’est pas une
chology Review, 24 (8), 981-1010.
3.  Geirsson, M., Hensing, G., & Spak, F. nous avons pu faire émerger des représen- maladie congruente avec l’image de la fémi-
(2009). Does Gender Matter? A Vignette tations diverses ainsi que des spécificités. nité. Le processus d’étiquetage qui se
Study of General Practitioners’Management Ces observations sont évidemment non construit parallèlement menace l’intégrité
Skills in Handling Patients with Alcohol-Relat-
ed Problems. Alcohol and Alcoholism, 44 exhaustives, issues de moments thérapeu- et l’identité de ces femmes qui doivent
(6), 620-625. tiques limités dans le temps. mettre en place des comportements psy-

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chologiquement coûteux si elles veulent s’en
préserver et correspondre à cette image
sociale de femme « (hy) performante ». Nous
pouvons ainsi entendre que, tant que l’alcoo-
lisation n’est pas devenue visible, l’alcoolisme
peut parfois rester longtemps une affaire
privée, à soi, pour soi. Certaines d’entre elles
vont même jusqu’à fantasmer le fait d’être
homme, symbole d’une maladie dont l’ex-
pression et l’impression seraient dépen-
dantes du genre. Entamer des démarches
de soins, c’est donc parfois révéler l’insoup-
çonnable, l’innommable et rendre public un
symptôme qu’il a fallu longtemps mettre
sous silence.
Chez l’homme, être alcoolique fait également
l’objet d’évaluations sociales négatives. Tou-
tefois, comparée aux femmes, cette consom-
mation abusive est souvent jugée comme
davantage congruente avec les rôles sociaux
traditionnellement imputés à ce dernier. La
permissivité et l’indulgence semblent être
des traits représentatifs qui influencent le
regard porté sur la maladie. Pourtant, l’homme
n’en jouit pas comme d’un facteur protecteur :
il en pâtit également mais par des mécanismes
différents, qui freinent la mise au travail sur
soi et la capacité de se réinventer en dehors
du champ des représentations.

La parentalité
La question de la parentalité en regard du
genre est apparue un élément-clé à un niveau
psychologique et identitaire pour les patients,
ainsi que dans l’organisation des soins.
Le diktat de la femme-mère
La féminité est fréquemment perçue par le
biais du pôle maternel, qu’il soit potentiel ou
réel. Cependant, alcoolisme et maternité
sont perçus et traités comme inconjugables. sion amenant bien souvent à de l’épuisement
Les sentiments de responsabilité, de culpa- psychologique, voire physique. Les man-
bilité, voire la honte de ne pas avoir la sen- quements dus à la maladie doivent être
sation d’accomplir correctement ce rôle de compensés et l’alcool recouvre à cet égard
mère, se confrontent violemment à l’injonc- une fonction d’automédication à différents
tion exprimée et intériorisée d’être une symptômes, notamment d’ordre anxieux et
« bonne mère ». dépressif.
Les critères d’exigence associés au rôle Dans notre centre, les mères évoquent régu-
maternel sont tels qu’ils suscitent une pres- lièrement ce devoir de porter la responsabi-

Prospective Jeunesse  Drogues | Santé | Prévention  | 84 |  Périodique trimestriel octobre-décembre 2018 page 23


Une paternité silencieuse
La question de la paternité interpelle égale-
ment, en entretiens individuels davantage
qu’en groupes de parole, car les pères s’y
Des phénomènes cliniques tels que le déni de révèlent plus volontiers. Dans le discours
l’alcoolisme chez l’homme ou la dissimulation des hommes, la paternité entachée de l’al-
de la consommation chez la femme ne sont plus coolisme est perçue socialement comme
un élément secondaire comparé aux
perçus comme des traits inhérents aux patients
femmes. De l’extérieur, le vide, l’exclusion
mais bien comme une réponse adaptative aux ou le décrochage paternel sonnent comme
stéréotypes de genre. Dans cette démarche de une conséquence normale, logique des al-
travail, le soignant réinjecte ainsi du sens à des coolisations à répétition. Le pater familias
comportements perçus a priori comme déchu d’un respect enlisé dans l’alcool
dysfonctionnels. manque de fiabilité et de crédibilité.
Or, derrière ce tableau aux allures silen-
cieuses, ces hommes évoquent fréquem-
ment un profond mal-être lié au fait d’être
éloigné, partiellement ou totalement, de
lité de l’éducation des enfants. Ceci peut
leur(s) enfant(s). L’abstinence ouvre souvent
parfois mettre en péril la prise en charge au
une porte pour la réappropriation de la place
vu de nos exigences en matière de présence,
de père. Pouvoir reconstruire une image et
ceci ouvrant par ailleurs une réflexion par
un récit à partir de ces représentations est
rapport à la flexibilité de notre cadre.
primordial et prend du temps.

Par exemple, pour Claudine, la maternité a En témoigne le cas de Sylvain, 55 ans, dont
constitué un temps une barrière psycholo- la situation complexe avait relégué la pater-
gique à la fréquentation du centre dans une nité au second plan par une attitude désin-
dynamique complexe. L’attention portée à vestie. En explorant ses représentations, nous
son système de représentations a permis de avons pu prêter une oreille attentive au déca-
se décaler d’une vision où ses comporte- lage que suscitait cette image d’« abstinent
ments étaient au départ décryptés surtout au travail » au regard infidèle d’« abonné
par une interprétation psychologique, qui absent » auquel ses proches le résumaient
laissait supposer une phase dépressive. Sa par souffrance. La méta-communication par
situation actuelle la renvoie à l’idée qu’elle le biais des représentations a permis au pa-
est une mauvaise mère. Elle pense que sa tient de pouvoir nuancer ces réalités et éla-
présence est indispensable à la maison borer une nouvelle vision unifiante.
lorsque son fils est chez elle. Or, être à la
Discussion
maison la renvoie à de fortes angoisses qui
la clouent au lit et renforcent son impuissance Les représentations en matière d’alcool mais
à être « une bonne mère ». Dans ce contexte, aussi de genre sont extrêmement présentes
elle ne peut évidemment aller mieux, dépri- chez nos patients, dans leur entourage
mée quand elle reste à la maison, culpabilisée ainsi que chez les soignants. Celles-ci guident
pour son fils quand elle vient au centre. Cette le patient dans son interprétation du monde
question de la maternité et de la présence au mais peuvent contribuer à le figer dans une
centre a pu être creusée, et les derniers entre- dynamique répétitive et aggraver certains
tiens ont permis à la patiente de se rendre symptômes, dont l’alcoolisation est un
compte de la nécessité de se dégager d’une exemple.
obligation à être là quantitativement pour son Dans cette étude, nous avons observé que
fils, quel que soit son état psychologique. les représentations associées à la dépen-

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dance à l’alcool trouvent des ancrages dif- sation simplifiante qui peut occulter une
férents selon le genre, et que celles-ci freinent étape centrale dans notre travail : l’écoute
les prises en charge de soin par des méca- d’un sujet et de son fonctionnement.
nismes spécifiques. Par ailleurs, les inégali-
tés culturelles traditionnellement marquées D’un point de vue clinique, s’ouvrir à ses
se manifestent encore aujourd’hui au travers représentations ainsi qu’à celles de son inter-
de représentations dichotomiques stigma- locuteur, c’est parfois décaler sa vision pour
tisantes. Comme si l’alcoolisme ne se suffi- diminuer les risques de collapse thérapeu-
sait pas à lui seul pour témoigner d’une tique. Les impressions, la catégorisation des
souffrance, les représentations de genre patients dans certains profils de consomma-
peuvent constituer une entrave supplémen- teur, voire certains diagnostics, sont des
taire aux soins dont il faut tenir compte. exemples d’éléments dont il nous semble
fondamental de pouvoir parfois se dégager.
En tant que soignants, dans quelle mesure Cette attitude amplifie l’émergence d’un
rejouons-nous des stéréotypes en se lovant espace de rencontre et diminue les résis-
dans des représentations préfabriquées ? tances des patients. D’autre part, des phé-
Comment apprivoiser ces représentations nomènes cliniques tels que le déni de l’alcoo-
comme matériel de rencontre, à défaut de lisme chez l’homme ou la dissimulation de
rendre compte ? la consommation chez la femme ne sont
Accueillir le patient alcoolique et collaborer plus perçus comme des traits inhérents aux
avec lui demande d’appréhender ces repré- patients mais bien comme une réponse
sentations, évolutives et caractéristiques de adaptative aux stéréotypes de genre. Dans
l’époque et de la culture dans laquelle elles cette démarche de travail, le soignant réin-
s’inscrivent. De cette manière, le soignant jecte ainsi du sens à des comportements
peut apprécier tout le système de représen- perçus a priori comme dysfonctionnels dans
tations qui a pris racine dans des croyances, une dynamique ressourçante qui borde les
des expériences révélatrices du parcours du perceptions du sujet sans les déformer.
sujet. En questionnant la genèse de ces Ainsi, à l’instar du Petit Prince, il est parfois
schémas mentaux, le soignant tend l’oreille de bon ton d’apprivoiser les représentations
vers un vécu singulier et évite une modéli- pour pouvoir réenchanter la relation.

Paroles glanées au fil des entretiens


« J’aurais préféré être un homme, Ça aurait été plus simple. Un homme qui boit trop,
c’est souvent perçu comme drôle, un bon vivant. Une femme qui boit trop, c’est
moche, ça inspire la pitié… On est des cachotières et des manipulatrices quand on
apprend à cacher ce vice. » (Parole de femme)

« J’ai eu besoin de plusieurs cures pour faire face aux rechutes. Quand j’y retournais,
ce qu’on voyait ce n’était pas mon combat mais mon absence, le fait que j’avais encore
échoué en tant que père. » (Parole d’homme)

« Au début, je ne trouvais même pas le temps pour boire. Je ne m’octroyais mon verre
qu’après avoir rempli mes tâches de mère. Après, je m’octroyais mon moment de
répit. Avec le temps, l’alcool a pris toute la place et, rapidement, on me pointait du
doigt pour ce que je ne pouvais plus assumer. » (Parole de femme)

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Ecstasy/MDMA et réduction des risques

Boire de l’eau, certes,


mais pas trop !
>  Michaël Hogge, docteur en sciences psychologiques, chargé de projets à Eurotox

Selon les récentes déclarations du parquet d’Anvers, deux femmes sont


décédées cet été 2018 quelques jours après avoir fait un malaise à
Tomorrowland 1. Elles avaient apparemment consommé de la MDMA. Mais
la cause principale de ces décès s’est avérée être une consommation
excessive d’eau. La météo particulièrement caniculaire a très certainement
favorisé cette hydratation excessive, en combinaison avec les effets de la
MDMA. Mais les usagers d’ecstasy sont-ils conscients de ce risque ? Alors
qu’un des messages essentiels fournis par les dispositifs de réduction des
risques est de justement penser à bien s’hydrater… Ces décès sont certes
rares, mais un décès évitable est un décès de trop !

MDMA : plusieurs complications La complication la plus fréquente est l’hyper-


possibles thermie maligne (ou hyperpyrexie), à savoir
une élévation anormale de la température
Une consommation de MDMA peut parfois
corporelle. Elle peut entrainer dans sa forme
induire différents types de complications
sévère une coagulation du sang dans les
ainsi que des troubles du comportement
micro-vaisseaux et une destruction des cel-
favorisant une atteinte de l’intégrité physique
lules musculaires, entrainant un dysfonc-
de la personne. Ces complications dépendent
tionnement des fonctions vitales (hépatiques,
à la fois de ce qui est effectivement consom-
rénales, cardiaques).
mé (quelle quantité de MDMA et par quelle
voie d’administration, consommation La MDMA a un effet hyperthermique parce
conjointe d’autres produits, etc.), des carac- qu’elle accélère le métabolisme musculaire.
téristiques de la personne (état psycholo- Elle provoque une élévation de la tempéra-
gique, état physique, antécédents médi- ture corporelle au repos dans un environne-
caux, etc.) et de l’environnement de consom- ment climatisé, mais cette hyperthermie est
1.  Tomorrowland est un festival belge de mation (contexte physique et social, condi- généralement modérée aux doses habi-
musique électronique. tions climatiques, etc.). tuelles. L’hyperthermie maligne est donc

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essentiellement précipitée par un dosage rotransmission sérotoninergique. C’est le cas
excessif combiné à d’autres facteurs : envi- de certains antidépresseurs (en particulier
ronnement surchauffé, danse ininterrompue, les inhibiteurs sélectifs de recapture de séro-
manque d’hydratation et d’aération, consom- tonine ou ISRS, ainsi que les inhibiteurs de
mation d’autres produits hyperthermiques la monoamine oxydase ou IMAO) ou d’autres
(stimulants, certains médicaments) ou de drogues (mCPP, LSD, MDEA, MDA, cocaïne,
produits déshydratant tels que l’alcool. amphétamine, etc.). Il serait fatal dans 10 à
Même si l’élévation de la température est 15 % des cas.
un phénomène dose-dépendant, la sévérité
La MDMA peut aussi occasionner la mort
de l’hyperthermie ne dépend ni de la quan-
suite à une hépatite toxique, un arrêt car-
tité ingérée ni du taux plasmatique de
diaque (mort subite) ou encore une hémor-
MDMA, mais plutôt du contexte de consom-
ragie cérébrale chez des personnes présen-
mation ainsi que de l’hydratation. Une étude
tant des pathologies ou une vulnérabilité
intéressante réalisée sur des rats mâles
préexistantes, mais ces cas sont rares.
(Brown & Kiyatkin, 2004) a montré qu’en
leur administrant une dose de MDMA 5 fois Enfin, la littérature scientifique fait également
inférieure à la dose létale, une légère hyper- état d’intoxications et de décès ayant pu être
thermie est observée lorsque la température imputés à une consommation excessive
ambiante est fixée à 23 °C et que les rats d’eau (voir par exemple, Hartung et al., 2002 ;
sont au repos, mais elle n’est que rarement O’Connor et al., 1999), qui peut engendrer
fatale. En revanche, la température corporelle une pathologie nommée hyponatrémie. Il
(cérébrale) ainsi que la mortalité par hyper- s’agit d’un trouble de l’équilibre hydro-élec-
thermie augmentent très fortement lorsque trolytique, c’est-à-dire de la répartition de
la température ambiante est fixée à 29 °C. l’eau et des minéraux nécessaires au bon
Cette étude a aussi mis en évidence que les fonctionnement de l’organisme. L’hypona-
effets hyperthermiques de la MDMA sont trémie se caractérise par une concentration
amplifiés lorsque les mâles sont mis en en sodium anormalement faible dans le
contact avec des femelles. Cette étude sou- plasma sanguin (moins de 135 mmol/litre).
ligne donc clairement l’impact du contexte Elle est généralement provoquée par une
physique et social sur les effets hyperther- consommation et/ou une rétention excessive
miques de la MDMA et la mortalité associée. d’eau. L’excès d’eau entraîne une dilution
du sodium et une chute de sa concentration
La consommation de MDMA peut également
dans le sang. Or le sodium est un élément
induire un trouble nommé syndrome séro-
indispensable au maintien de la balance
toninergique, provoqué par une activité
hydrique de l’organisme (répartition correcte
excessive du système de neurotransmission
de l’eau dans et en dehors des cellules). Un
impliquant la sérotonine 2. Ce syndrome se
déficit en sodium va entraîner une augmen-
manifeste par des symptômes mentaux (agi-
tation de la quantité d’eau dans les cellules,
tation, confusion, angoisse, désorientation)
par effet osmotique de passage de l’eau du
et neuromusculaires (tremblements, rigidité
milieu extracellulaire vers le milieu intracel-
musculaire, contractions musculaires et mou-
lulaire. Ce passage d’eau vers les cellules
vements oculaires involontaires, mouve- 2.  La sérotonine est un neurotransmet-
crée alors un œdème cellulaire, particulière- teur. Le système de neurotransmission
ments désordonnés) ainsi que par des signes sérotoninergique est impliqué dans de
ment dangereux sur le plan neurologique.
de dérèglement du système nerveux auto- nombreuses fonctions physiologiques
En effet, l’augmentation du volume du cer- telles que la thermorégulation, le cycle
nome (tachycardie, tachypnée, hyperthermie,
veau va entrainer sa compression dans la veille-sommeil, l’agressivité, les compor-
transpiration abondante, diarrhée, nausée…). tements alimentaires et sexuels, ou en-
boîte crânienne, ce qui entravera la circulation
Celui-ci est généralement observé en cas de core l’humeur. La MDMA agit sur cer-
sanguine et donc l’oxygénation des cellules. tains mécanismes impliqués dans la
consommation conjointe de MDMA et
neurotransmission sérotoninergique, ce
d’autres substances psychoactives agissant Au niveau symptomatologique, lorsque la qui permet de comprendre l’étendue et
partiellement ou principalement sur la neu- concentration en sodium plasmique est les caractéristiques de ses effets.

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inférieure à 125 mmol/litre, on observera le sanguin et en faire baisser dangereuse-
plus souvent des vertiges et des nausées. ment la concentration.
Entre 120 et 115 mmol/litre, des maux de • Danser pendant une longue période de
tête et un état confusionnel ou de stupeur temps et se retrouver dans un milieu
seront observés. Et lorsque la concentration confiné et surchauffé entraînent une aug-
tombe sous les 115 mmol/litre, l’œdème mentation de la température corporelle,
cérébral et l’hypoxie résultant de la compres- qui favorise le phénomène de transpi-
sion excessive du cerveau sont tels que le ration. Or d’importantes quantités de
tableau clinique évoluera progressivement sodium sont évacuées par la sueur 2, ce
vers des crises convulsives, une perte de qui en diminue la concentration dans
conscience, voire un coma, pouvant mener l’organisme. Ce phénomène sera inten-
au décès de la personne. Les symptômes sifié en cas de consommation excessive
se développent généralement entre 2 à d’eau, puisque la concentration résiduelle
12 heures après l’ingestion de MDMA, mais sera davantage diluée.
ils peuvent parfois survenir plus tardivement
et se confondre avec un état de fatigue in- • La consommation de MDMA induit une
tense voire un sommeil profond. L’hypona- sécrétion de vasopressine 3, une hor-
trémie engendre également des troubles mone ayant des effets antidiurétiques
digestifs (nausées, vomissements) et mus- (inhibition de la fonction rénale). La vaso-
culaires (perte de tonus, crampes, tremble- pressine va favoriser la rétention d’eau et
ments) non spécifiques. Cette pathologie entraîner une diminution de la concentra-
n’est pas forcément fatale, et lorsque l’hypo- tion de sodium dans le sang. Il existerait
natrémie est légère, elle peut même être par ailleurs une variabilité interindividuelle
asymptomatique. La nature des symptômes, au niveau de la quantité de vasopressine
leur intensité, et l’évolution du tableau cli- sécrétée suite à la prise de MDMA (Hall
nique dépendront de la gravité du trouble & Henry, 2006).
osmotique ainsi que de sa rapidité d’instal- • Il n’est pas exclu qu’un quatrième méca-
lation. nisme puisse aussi intervenir, même si
nous n’avons pu le relever directement
Hyponatrémie : plusieurs causes/ dans la littérature : la MDMA a un effet
facteurs de risque anorexigène (diminution de la sensation
2.  La quantité de sodium éliminée par la
sueur varient grandement d’un individu de faim), au même titre que d’autres subs-
à l’autre, indépendamment des quanti- La consommation de MDMA est susceptible tances amphétaminiques. En outre, cer-
tés de sueur transpirées, de sorte que de favoriser l’hyponatrémie par plusieurs tains usagers recommandent de ne pas
certaines personnes sont plus à risque mécanismes distincts :
que d’autres de développer des signes manger avant la prise du produit afin
d’hyponatrémie (voir Lara et al., 2016).
• La connaissance par les usagers du risque d’accélérer et intensifier la « montée » et
3.  Une sécrétion anormale de vasopressine de diminuer le risque de nausées. Une
peut également être provoquée par d’autres d’hyperthermie en cas de consommation
substances telles que certains antidépres- de MDMA a instauré chez certains d’entre réduction de la prise alimentaire lors de la
seurs, anti-inflammatoires ou neuroleptiques,
eux une habitude de consommation consommation de MDMA pourrait donc
mais également par plusieurs infections vi- également favoriser le risque de carence
rales (dont le VIH et l’herpès), par diverses de grande quantité d’eau par crainte
affections pulmonaires telles que la tubercu- de déshydratation. Cette crainte peut en sodium et autres sels minéraux, et
lose ou l’asthme, ou encore par certaines
être exacerbée par l’altération des percep- ainsi augmenter le risque d’hyponatrémie.
tumeurs (voir Peri, Pirrozi, Parenti, Festuccia
& Menè, 2010, pour une revue détaillée). La tions et du jugement induite par le produit. Globalement, il est probable que les formes
sécrétion de vasopressine est également Ainsi, l’assèchement de la bouche et de asymptomatiques d’hyponatrémie liées à la
favorisée par la consommation de nicotine,
en particulier chez les personnes qui ne fu- la gorge lié à la prise de MDMA peut être consommation de MDMA soient essentiel-
ment pas régulièrement. Les usagers de perçu comme une gêne ou un signal phy- lement dues à une sécrétion anormale de
MDMA qui présenteraient ou cumuleraient siologique de déshydratation, favorisant vasopressine, en l’absence de consomma-
ces facteurs seraient donc plus vulnérables
au risque de développement d’hyponatré- la consommation répétée d’eau. Cet ap- tion excessive d’eau ou de sudation impor-
mie. port excessif en eau va diluer le sodium tante. En revanche, en cas de conjonction

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de plusieurs mécanismes (surconsommation En cas de consommation de MDMA, les
d’eau, sudation importante, production anor- femmes sont également plus vulnérables
male de vasopressine, sous-alimentation), que les hommes au risque de développe-
le risque d’hyponatrémie symptomatique ment de l’hyponatrémie symptomatique, en
est élevé. La surconsommation d’eau ainsi particulier à celui de convulsions et de coma
que la transpiration abondante étant elles- (Rosenson, Smollin, Sporer, Blanc, & Olson,
mêmes favorisées par une température 2007). Cette vulnérabilité semble pouvoir
ambiante élevée, le contexte de consom- s’expliquer par plusieurs mécanismes méta-
mation joue certainement un rôle non négli- boliques et hormonaux :
geable dans la survenue des formes symp- • La consommation de MDMA entraîne
tomatiques. Mais il semble aussi que cer- une sécrétion de vasopressine plus
taines particularités physiologiques (proba- importante chez les femmes que chez
blement d’origine génétique) rendent cer- les hommes, et l’effet antidiurétique
taines personnes plus vulnérables au risque serait accentué car elles sont par ailleurs
d’hyponatrémie, en raison d’une élimination plus sensibles aux effets de cette hormone,
de sodium importante dans la sueur ou d’une en raison d’une activation accrue des
production élevée de vasopressine lors d’une récepteurs à la vasopressine situés au
prise de MDMA. niveau des reins.

Hyponatrémie : les femmes • Les femmes présentent une plus grande


particulièrement à risque sensibilité que les hommes aux effets
sérotoninergiques de la MDMA, ce
Même si les cas de décès causés par une qui entraîne chez elles une accentuation
hyponatrémie semblent relativement rares, de la soif ainsi que de l’assèchement de
il est probable qu’ils soient sous-estimés. la bouche, pouvant favoriser la prise d’eau.
Une récente étude montre d’ailleurs que
• Les cellules nerveuses du cerveau féminin
l’hyponatrémie asymptomatique est beau-
semblent plus sensibles que celles des
coup plus fréquente que l’on ne le croit chez
hommes à une carence en sodium, ce
les usagers de MDMA (van Dijken et al.,
qui augmente le risque de développer un
2013). Ces auteurs ont comparé, lors d’une
œdème cérébral et conséquemment une
rave party survenue à Amsterdam, différentes
crise convulsive ou un coma. Ce risque
mesures biologiques et comportementales
est par ailleurs exacerbé pendant la
chez des personnes ayant consommé de la
période menstruelle.
MDMA ainsi que chez des personnes qui
n’en ont pas consommé. Parmi les consom-
En conclusion
mateurs de MDMA, 14,3 % (soit 9 personnes
sur 63) présentaient un taux de sodium plas- L’hyponatrémie est une complication liée à
mique égal ou inférieur à 135 mmol/litre, l’usage de MDMA qui, au même titre que
alors qu’aucune carence en sodium n’a pu l’hyperthermie maligne, est induite par une
être observée chez les non-consommateurs. conjonction de facteurs liés aux produits
Cette hyponatrémie était de nature asymp- consommés, à la personne et à l’environne-
tomatique chez tous les sujets. Elle s’obser- ment. Bien que le plus souvent asymptoma-
vait principalement chez des femmes (dans tique, la forme aiguë de cette complication
8 cas sur 9). Celles-ci ne se distinguaient peut malheureusement être fatale. Sa prise
toutefois pas des autres consommatrices de en charge repose sur le traitement de
MDMA, au niveau de l’indice de masse cor- l’œdème cérébral (injection de mannitol) et
porelle, de la quantité d’eau ou d’autres li- sur une correction des désordres électroly-
quides ingérés ou encore de la quantité de tiques (par restriction hydrique à 1L/24h,
pilules consommées 4, ce qui est compatible administration de NaCl, administration d’un 4.  La quantité précise de MDMA conte-
avec le caractère multifactoriel de ce trouble. diurétique). Une réanimation doit parfois être nues dans les pilules n’était pas connue.

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envisagée. L’intervention doit être rapide, à l’usage de MDMA. Nous recommandons
d’où l’importance de pouvoir en reconnaitre donc d’informer aussi les usagers sur ce
les signes cliniques (pour une présentation risque en l’intégrant aux approches psycho-
détaillée des aspects de prise en charge, voir éducatives et aux supports informatifs dis-
Lassonde, 2005). ponibles.
Cette complication semble facilement évi- Des campagnes plus spécifiques pourraient
table. Pourtant, elle n’est que très rarement également être envisagées auprès des
intégrée de manière explicite dans les sup- femmes usagères, en particulier en cas de
ports et outils de réduction des risques liés météo caniculaire.

Bibliographie
–  Brown, P.L., & Kiyatkin, E.A. (2004). Brain hyperthermia induced by MDMA (‘ecs-
tasy’): Modulation by environmental conditions. European Journal of Neuroscience,
20, 51-58.
–  Hall, A.P., & Henry, J.A. (2006). Acute toxic effects of ‘Ecstasy’ (MDMA) and rela-
ted compounds: overview of pathophysiology and clinical management. British
Journal of Anaesthesia, 96, 678-685.
– Hartung, T.K., Schofield, E., Short, A.I., Parr, M.J.A., & Henry, J.A. (2002). Hypo-
natraemic states following 3,4-methylenedioxymethamphetamine (MDMA, “ecs-
tasy”) ingestion. Quarterly Journal of Medicine, 95, 431-437.
– Lara, B., Gallo-Salazar, C., Puente, C., Areces, F., Salinero, J.J. & Del Coso, J. (2016).
Interindividual variability in sweat electrolyte concentration in marathoners. Jour-
nal of the International Society of Sports Nutrition, 13:31.
–  Lassonde A.,« L’hyponatrémie. Une conséquence diluée de l’hydratation », Le
Médecin du Québec, 2005, 40, 51-55.
–  O’Connor, A., Cluroe, A., Couch, R., Galler, L., Lawrence, J., & Synek, B.N. (1999).
Death from hyponatraemia-induced cerebral oedema associated with MDMA
(“Ecstasy”) use. New Zealand medical journal, 112, 255-256.
–  Peri, A., Pirrozi, N., Parenti, G., Festuccia, F., & Menè, P. (2010). Hyponatremia and
the syndrome of inappropriate secretion of antidiuretic hormone (SIADH). Journal
of Endocrinologic Investigations, 33, 671-682.
–  Rosenson, J., Smollin, C., Sporer, K.A., Blanc, P., & Olson, K.R. (2007).  Patterns of
ecstasy-associated hyponatremia in California. Annals of Emergency Medicine,
49, 164-171.
– Van Dijken, G.D., Blom, R.E., Hené, R.J. Boer, W.H. & NIGRAM Consortium (2013).
High incidence of mild hyponatraemia in females using ecstasy at a rave party.
Nephrology Dialysis Transplantation, 28, 2277-2283.

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Un trimestriel pour interroger sous des regards différents
les thèmes liés aux usages de drogues, la promotion de la santé
et les politiques et pratiques sociales en matière de jeunesse.
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Milieux de vie Produits et leurs effets Pratiques professionnelles


– Famille et parentalité (n  22, 24, 42, 43,
os
–  Plaisir (n  7, 8, 9, 10)
os
– Promotion de la santé (nos 31, 34, 56, 61,
44, 49) –  Dépendance (no 39) 71, 73, 77-78, 82)
Prospective Jeunesse est Prospective Jeunesse – L’école (nos 3, 4, 6, 25, 29, 55, 57, 64, 67, –  Drogues de synthèse (nos  14 – 15) – Pratiques de prévention (nos 31, 50-51, 59,
un centre d’étude et de formation propose trois services : 77-78) –  Cannabis (nos 18, 20, 21, 72) 60, 63, 70, 80)
fondé en 1978. L’association est • Formation et accompagnement de –  La fête (no 35) –  Alcool (no 32) –  Réduction des Risques (nos 27, 28, 54, 79)
active dans le domaine de la pré- professionnels (seuls ou en équipe) Prospective Jeunesse a créé, avec –  Le monde du travail (no 26) –  Tabac (no 33) –  EVRAS (no 76)
vention des méfaits liés aux usages • Publication de la revue Infor-Drogues et Modus Vivendi, –  La prison (nos 13, 16, 40, 65) –  Alicaments (no 19) –  Représentations (no 46, 84)
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