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P ne mettraient-elles pas
en avant la mauvaise
idée du mois? Ne serait-
ce pas un moyen de décom-
plexer les collaborateurs face à
blaient à l’idée de se tromper.
Avec, pour corollaire, des af-
faires non réalisées. La peur de
se tromper empêche en outre
certains de lancer leur propre
Que dire face à l’erreur
Vous voulez que vos colla-
borateurs soient moins paraly-
sés par l’erreur? A vous de don-
Par exemple: «J’ai bien aimé la
manière dont tu as répondu à
ce client.» Mais pas: «J’aime
l’erreur? D’apprendre? De les entreprise. D’explorer de nou- ner le bon exemple, en bien le travail que tu fais», car
pousser à présenter des idées velles voies. De créer de nou- commençant par reconnaître les c’est trop général. Ensuite, dites
vraiment originales? Pourquoi veaux produits. vôtres! Et en acceptant celles des pourquoi l’action vous a posé un
les écoles de management ne Pas question évidemment de autres. Mais que dire face à problème et donnez-en la
créeraient-elles pas des cours banaliser ici les fautes profes- quelqu’un ayant commis une er- conséquence. Puis trouvez un
sur l’échec? Ne serait-ce pas une sionnelles. Ni les erreurs dues à reur? «Ce n’est pas facile d’en terrain d’entente pour l’avenir.
manière de le dédramatiser? De la paresse, à la négligence ou au parler, mais il est important de le Demandez ce que l’autre en
montrer que rares sont ceux qui manque de professionnalisme. Il faire.» Et Floriane Briefer de pense et remerciez le collabora-
sont arrivés au sommet sans être est en revanche indispensable conseiller: «N’attaquez pas. teur. «Il est important d’être
passés par la cave? de parler de l’échec dû à la vo- Soyez constructif, bienveillant, dans la gestion de la reconnais-
Vous souriez? Pas moi. En lonté d’innover, d’entreprendre. mais ferme sur le fond.» Et de sance face aux échecs: dire
Suisse (et de manière générale L’échec reste un tabou, mais rappeler le b.a.-ba du feed-back. quand on est content et quand
en Europe), la peur de l’échec les choses changent, lentement. Commencez avec quelque chose on n’accepte pas quelque chose.
reste très présente. Une crainte Les gens commencent à en par- de spécifique que vous avez ap- Les gens s’améliorent quand ils
qui a un impact certain sur ler. Des cours comme celui sur précié dans le travail de l’autre. savent quoi faire!»
l’économie. En été 2002, un l’entrepreneurship de Create
sondage montrait que plus de la Switzerland, mis en place par
DANIEL BOREL
«Le succès peut être votre pire ennemi»
«Nous avons lancé la caméra
digitale il y a plus de dix ans.
Un échec à l’époque. Un de
nos piliers forts aujourd’hui.»
express
commercialisation ratée. Venir trop tôt
coûte une fortune. Nous aurions pu «mou-
«Le succès n’est jamais acquis.» C’est par trois en quelques années, créant ainsi rir» de ce type d’indigestion! Cela dit, on
le credo martelé par Daniel Borel. Le co- une croissance extraordinaire du marché ne connaît jamais la dimension réelle du
fondateur de Logitech en est convaincu. (bad news, good news!). Du jour au len- marché. Surtout dans les nouveaux do-
Et ne s’en plaint pas. «On n’apprend que demain, nos marges se sont effondrées. maines technologiques. Mais qui ne tente
de ses échecs, rarement de ses succès. Le Nous avons dû radicalement changer rien n’a rien. Et persévérance rime aussi
succès peut être votre pire ennemi: il vous notre approche du marché et abandonner avec chance. Cette caméra, qui a été un
fait croire que vous êtes fort, très fort, que toute production en Europe et aux USA, et échec à l’époque, est devenue dix ans plus
vous pourriez même marcher sur les eaux. en même temps développer la Chine aussi tard un des piliers forts de notre gamme
Et c’est à ce moment-là que vous vous vite que possible. Fermer des usines, li- de produits. Pour mémoire, la «souris» ne
noyez.» Une leçon tirée de la vie de Logi- cencier des collaborateurs, ça touche les représente «plus» que 40% de nos ventes.
tech. tripes, surtout lorsque c’est «votre œuvre». Comment j’ai rebondi après cet échec,
«Nous sommes passés d’un chiffre d’af- Cela vous marque à vie. Vous n’engagez cette restructuration, ces licenciements?
faires de 20 millions de francs en 1986 à ensuite plus de la même manière, jamais. Heureusement, dans ces circonstances,
430 millions en 1993, de façon très profi- En termes simples, j’ai appris que toute votre esprit est totalement absorbé par
table. En 1993 cependant, notre business activité n’ayant pas de vraie valeur ajoutée l’Action! Il faut «survivre», aller de l’avant,
model, basé entre autres sur une produc- est appelée à disparaître, tôt ou tard. Il vous battre. Tout en restructurant, ce qui
tion «locale» (Europe, USA et Asie) n’était faut oser faire face à la réalité. Anticiper est est toujours dramatique, il faut continuer
plus justifié. Après deux trimestres de essentiel pour la «survie». Il est donc im- à vendre, à motiver ses collaborateurs sou-
pertes, nous avons dû restructurer très ra- pératif de maintenir un haut niveau de vent affectés par ce qu’ils lisent dans les
pidement, fermer des usines… Deux tri- compétences parmi tous vos collabora- médias ou entendent à la maison! Ignorer
mestres de pertes dues à des frais de re- teurs. Et si un jour vous devez vous en sé- la «Schadenfreude», qui pousse parfois
structuration, c’est peu dans la vie d’une parer, vous savez qu’ils retrouveront plus certains à se réjouir de l’infortune de ceux
entreprise, surtout si celle-ci est active facilement un emploi. Raison pour laquelle qui ont eu l’audace de se lancer: vous avez
dans le monde brutal et global de l’infor- l’Etat devrait soutenir la formation conti- pris des risques, vous avez des problèmes,
matique. Et pourtant, cette mauvaise sur- nue et aider fiscalement les sociétés qui cela devait bien arriver… Vous, en tant
prise a créé des frissons dans le public pen- permettent à leurs collaborateurs de conti- que chef d’entreprise, vous sentez comme
dant des années. nuer à se former. Sur le long terme, le un boulet aux pieds alors que vous devez
Notre erreur? Nous n’avons pas assez pays et la société sont gagnants. courir vite, très vite. Heureusement, dans
anticipé la chute des prix des ordinateurs Et puis il y a aussi eu l’apprentissage ce genre de situation, vous avez en gé-
personnels, dont la valeur a été divisée des produits lancés trop tôt… alors que néral plus d’énergie que jamais.»
JANE ROYSTON
«Ne sous-entendez jamais que votre client est un idiot»
«Ma plus grande erreur? J’en ai fait tel-
«Il est important de montrer
lement! En voici une qui peut être utile à
bien des entreprises. Environ quatre ans
que les gens qui ont réussi
après avoir créé Natsoft, qui comptait une
ont aussi eu des ratés.»
bonne vingtaine de collaborateurs, nous
réalisions plus de la moitié de notre chiffre chaque réunion sans les membres exécu-
d’affaires grâce à seul client, une grosse tifs. Dans la start-up qui a fait faillite, nous
multinationale basée à Genève dont le ne pouvions pas discuter sans le directeur
département informatique avait plus de général. Après coup, tous les administra-
100 employés. Ces derniers n’avaient pas teurs se sont rendu compte qu’ils pen-
réussi, en plus de deux ans, à sortir un seul saient la même chose. Ensuite, il faut veiller
produit qui tournait. Son responsable a à mettre les bonnes personnes au bon en-
alors fait appel à nous. En six mois, nous droit. Sinon, cela peut être fatal. Ainsi,
leur avons livré ce qu’il fallait. Mon erreur nous aurions dû garder le fondateur à la
– monumentale!– a été de le crier sur les vente et choisir un autre directeur géné-
toits. De dire que nous étions vraiment ral (cela dit, nous avions besoin d’argent
bons, que nous avions réussi, en six mois, et ce n’est pas terrible dans ces condi-
à faire ce qu’eux, cinq fois plus nombreux, tions-là d’engager un CEO). Nous aurions
n’avaient pas réussi en près de trois ans. également dû faire preuve de plus de di-
Inutile de dire que la multinationale n’a ligence: en exigeant de descendre d’un
pas été contente et que nous n’avons plus cran dans les résultats financiers et de voir
obtenu de contrats: ce n’est pas une très les chiffres détaillés (comment arriverons-
bonne tactique de laisser sous-entendre nous à de telles ventes, l’AVS a-t-elle été
que son client est un idiot. Je pense que payée?…). Et en vérifiant un certain
c’est un bon exemple, car on est tenté de nombre de dires (tout le monde croyait
faire cela tous les jours.» que la propriété intellectuelle appartenait
Cette entrepreneuse dans l’âme a un à la société; en fait, elle était aux mains du
strates
BERTRAND PICCARD
«Voir sa part d’erreur plutôt que d’imputer ses échecs aux autres»
«Il est très important de parler des er- «Ne pas parler de l’échec
reurs et des échecs, sinon on donne l’im- fait croire que le succès est facile.»
pression aux gens que le succès est facile»,
persuade Bertrand Piccard. Ce psychiatre
et aventurier pense d’ailleurs qu’en Suis- que j’aie changé d’attitude. En fait, je
se, «on est très peu tolérant face à l’échec, n’avais pas dit auparavant assez claire-
peut-être justement parce c’est un pays ment quelles étaient mes attentes.»
qui croit que la vie est facile.» Autre ex- Comment rebondir? «En recherchant
plication possible: on a ici davantage une en soi les compétences que l’on n’avait
mentalité de rentiers que d’entrepreneurs. pas trouvées ou pas utilisées avant. Et bien
Du moins si l’on en juge par la majorité des se dire que lorsqu’on tente une aventure
questions posées à Bertrand Piccard lors- que personne n’a jamais entreprise, le
qu’il a dévoilé son intention de faire le chemin que l’on cherche à défricher, s’il
tour du monde en avion solaire. Elles di- était facile, aurait déjà été emprunté. Les
saient en substance: «Vous avez aujour- échecs sont alors des défis supplémen-
d’hui l’aura de quelqu’un ayant réussi. taires à relever.
N’avez-vous pas peur de perdre cette Dans le quotidien, l’échec est beau-
image?» coup plus difficile, car il nécessite une re-
Justement, derrière la réussite, quels mise en question. Il faut vraiment se de-
insuccès? «Je pèche parfois par excès mander pourquoi on a raté et, plus difficile
express
DR
l’on arrive à tirer une analyse rappeler qu’il n’y a ici ni pri- couvre une infraction pénale, tel le non-paiement
Vincent Jeanneret
valable, en gardant une hon- son pour dette, ni privation de l’impôt à la source ou des assurances sociales).
nêteté intellectuelle et en ne de statut pour faillite. Mais une distinction – de La société est alors dissoute et les noms des diri-
mettant pas toute la responsa- taille – doit être établie entre les personnes morales geants n’apparaissent dans aucun fichier particu-
bilité sur les autres. Car, et physiques. Pour l’entrepreneur ayant constitué lier. Attention toutefois: la direction générale et
comme le souligne Ber- sa société en nom propre, les risques sont beau- le conseil d’administration peuvent quand même
trand Piccard: «Si on pro- coup plus importants que pour celui qui a créé avoir des ennuis, si un créancier demande d’ins-
jette la responsabilité une SA. En effet, la faillite de l’entreprise équivaut taurer une procédure contre les organes, espérant
sur l’extérieur, on alors à une faillite personnelle (qui se traduit en acte ainsi obtenir une condamnation des responsables
n’évolue en défaut de biens) et est traînée derrière soi pen- pour fautes ou aggravation du surendettement.
pas.»
Tout ça, c’est
très bien, mais comment re-
bondir suite à un échec, quand à une personne. «A un très bon en vacances, mais que vous avoir donné toute son énergie
on a mis trois ans à créer un ami, son partenaire de vie… à n’alliez ni acheter les billets et son temps pour son emploi)
produit qui se plante magistra- quelqu’un sachant écouter de d’avion, ni réserver votre loge- est longue. «Elle dure environ
lement, tout donné à sa carriè- manière constructive, sans ment», image Floriane Briefer. deux ans», a constaté Floriane
re et que l’on subit un licencie- juger ni materner, et deman- «Il faut une certaine pédago- Briefer.
ment, monté sa société et que der quels apprentissages on gie de l’effort, se fixer des ob- Et elle est moins difficile
l’on doit mettre la clé sous le peut tirer de cette brisure», per- jectifs motivants et savoir s’au- pour ceux «qui n’ont pas
paillasson? suade Floriane Briefer. La mise tomotiver». Notamment s’il construit leur identité au niveau
«D’abord, il faut la volonté en mots de sa douleur est très faut acquérir certaines compé- de leur statut, mais en fonction
d’affronter l’échec», conseille importante. tences. de qui ils sont vraiment. Autre-
David Veenhuys. Ne pas dissi- La colère aussi doit s’expri- Cela dit, la phase de transi- ment dit, ceux qui ne confon-
muler la poussière sous le tapis. mer. «Tant que vous la refou- tion après une grosse cassure dent pas leur identité profes-
«Puis, l’accepter, ce qui consti- lez contre vous et contre le (typiquement le cadre supé- sionnelle avec leur identité de
tue une vraie décision qui per- monde, vous ne pouvez pas re- rieur qui perd son job après vie.» ■
met de continuer», poursuit bondir.» C’est comme dans une
Bertrand Piccard. Ne surtout phase de deuil: il y a colère et
pas rester dans une phase de
déni. «Sinon, on a tendance à
tristesse. «Redéfinissez alors vos
valeurs, réactualisez vos repères
Réussir sa sortie
jeter le bébé avec l’eau du bain de vie.» On apprend souvent à Genilem estime, dans un de planté sur ce coup, mais c’est
en passant à tout à fait autre mieux se connaître. C’est le ses derniers magazines «Créa- quelqu’un de bien. Mettez
chose, ou alors à ne plus rien moment aussi de voir quelles teurs» que «vous pouvez enco- toutes les chances de votre côté
faire du tout», constate Floria- compétences développer, quels re réussir votre sortie». C’est-à- pour accélérer votre rebond.
ne Briefer, qui a créé il y a dix objectifs atteindre. dire? «Réussir son dépôt de Votre image va dépendre de la
ans à Genève BrieF’R Forma- Voilà pour la phase de ré- bilan, voire sa faillite, c’est en qualité de votre communica-
tions, institut spécialisé en dé- flexion. Mais ce n’est pas parce sortir avec le respect de ses par- tion.» Communication certes
veloppement personnel et pro- que l’objectif est défini que le tenaires et de son entourage. difficile, mais payante à long
fessionnel. «C’est typiquement tour est joué: reste le passage à Que l’on dise de vous: il s’est terme.
le cas d’une personne ayant l’action. «Sinon, c’est comme si
perdu son job et qui fait sem- vous décidiez où vous partez
blant de travailler. Du coup,
elle n’active pas son réseau,
alors que c’est vital pour un La plupart des entreprises doivent innover. On ne
cadre recherchant un emploi.»
Ensuite, parler de l’échec. peut pas créer sans risquer de se tromper. Ne pas
«Pas forcément à n’importe
qui, ni n’importe comment.» accepter l’erreur est donc un pari dangereux.
Mais il faut au moins en parler