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L'historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France

Problématique :
Quand et comment les différentes mémoires françaises de la guerre se sont-elles construites ?
Quel rôle pour les historiens?

Notions :
Collaboration, crime contre l'humanité, épuration, FFL, GPRF, Haute Cour de justice,
Malgré-nous, négationnisme, rafle du Vel d'Hiv, résistancialisme, STO, Vichy.

Mémoire et histoire sont deux représentations différentes du passé. L'histoire est une
reconstruction savante et incomplète, qui se veut objective et à vocation universelle alors que
la mémoire est subjective, affective et en lien avec le passé.

1. Une priorité au sortir de la guerre : restaurer l'État

Désigner et punir les coupables


De juin à septembre 1944 c'est l'épuration spontanée : des cours martiales improvisées
décident d'exécutions sommaires (environ 10 000), des femmes sont tondues.
Le GPRF met en place l'épuration légale, La Haute Cour de justice siège de septembre 1944 à
1949. Plus de 120 000 personnes sont jugées, Pétain est condamné à mort (puis gracié par de
Gaulle). Au début des années 1950, la quasi-totalité des personnes condamnées sont
amnistiées (ex. René Bousquet). La volonté est de « fermer la parenthèse de Vichy ».

Rétablir l'ordre
Le GPRF rétablit le 9 août 1944 la légalité républicaine en annulant tous les actes de Vichy et
nomme des commissaires de la République. Il désarme le Résistance.

Retrouver son rang


La France obtient une zone d'occupation en Allemagne et en Autriche ainsi qu'une place de
membre permanent au Conseil de sécurité de l'ONU et intègre ainsi le camp des vainqueurs...

2. Des mémoires qui s'opposent

Le temps de l'union « résistancialiste»


Des années 1940 aux années 1970, la mémoire d'une France majoritairement résistante
s'impose, refusant la responsabilité collective de la France et de la République dans la
collaboration et la participation à la «solution finale» (Vichy seul coupable). L'adhésion
massive au pétainisme de nombreux Français est refoulée.
De Gaulle le 25 août 44 à Notre-Dame de Paris : « Paris libéré. Libéré par lui-même [...]
avec l'appui et le concours de la France tout entière. »

La mémoire gaulliste
La vision gaulliste met ainsi en avant le combat militaire des FFL et leur participation à la
victoire des Alliés (effacer la défaire de 1940) et l'unité de la France à travers la Résistance.

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L'historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France

Cette mémoire est mise en scène : création de l'Ordre des compagnons de la Libération,
célébration de l'appel du
18 juin, cérémonies au Mont Valérien où ont été fusillés 4500 résistants. Le
19 décembre 1964, les cendres de Jean Moulin sont transférées au Panthéon.

La mémoire communiste: le « parti des 75 000 fusillés»


Le rôle des communistes dans la Résistance intérieure (rôle des FTP) fonde la légitimité
nationale du PCF, gommant la période du pacte germano-soviétique. Se forge le mythe du
parti martyr, celui des 75 000 fusillés (chiffre très largement surestimé).

La mémoire des prisonniers de guerre et des déportés


La guerre a fait 190 000 morts et près de 1 850 000 prisonniers en 1940. Ils incarnent la
preuve vivante de la plus grande défaite que la France ait connue dans son histoire.
Un cas particulier: celui des 140 000 « Malgré-nous » dont la mémoire est également
refoulée, surtout après le drame d'Oradour sur Glane et le procès qui voit condamner 17
Alsaciens Lorrains membres de la division SS Das Reich. (Près d'un quart des Malgré-nous
sont morts, soit aux combats soit en camps de prisonniers).
Les travailleurs du STO (600 000) ont dû rentrer chez eux par leurs propres moyens et leur
réinsertion se fait souvent dans une certaine suspicion. Par ailleurs l'opinion n'est pas prête à
comprendre l'inimaginable c'est-à-dire le génocide et la barbarie. Les déportés rescapés des
camps ne sont pas écoutés. De plus, on ne distingue pas déportés de la Résistance et
déportés raciaux (Juifs et Tziganes) et les camps de concentration des camps
d'extermination.

3. La mémoire revisitée

Vichy « un passé qui ne passe pas »


« Le mythe du bouclier » est présenté par la droite revenue au pouvoir dans les années 1950:
la France aurait eu pour se défendre l'épée, tenue par de Gaulle, et le bouclier, tenu par
Pétain, qui aurait ainsi pratiqué un double jeu pour faciliter la tâche des Alliés et protéger la
France. La responsabilité des crimes de l'Occupation est rejetée sur les Nazis et quelques
traîtres.

La position ambiguë des présidents de la Ve République


Pour Charles de Gaulle, il n'y a qu'une France, celle de la Résistance. Georges Pompidou
amnistie le milicien Touvier au nom de la réconciliation nationale, pour « tourner la page »
de Vichy. Valéry Giscard d'Estaing prône la réconciliation avec l'Allemagne. Pour François
Mitterrand, comme pour de Gaulle, Vichy n'était pas la République, cependant, il commémore
le 8 mai et la rafle du Vel d'Hiv.
Jacques Chirac prend une position courageuse en 1995, et endosse au nom de la France les
crimes de Vichy. Nicolas Sarkozy a une position plus ambiguë en 2007, les valeurs de la
Résistance, courage, patriotisme sont célébrées (plateau des Glières) mais pas celles de la
démocratie sociale solidarité, justice sociale... François Hollande en juillet 2012 se situe sur la
ligne fixée par Jacques Chirac.

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L'historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France

Le rôle des artistes


Dès 1963, Jean Ferrat chante Nuit et brouillard. Les cinéastes vont aussi jouer un grand rôle.
Le cinéma exalte l'héroïsme des résistants comme la Bataille du rail ou participe à la
construction de la mémoire de la déportation (Nuit et brouillard).
Le film de Marcel Ophüls, Le chagrin et la pitié, marque un tournant, il aborde l'Occupation
dans une ville de province sous un jour nouveau et démystifie l'image d'une France
uniquement résistante.
Le cinéma et l'Occupation
La Bataille du rail, René Clément, 1946. Nuit et brouillard, Alain Resnais, 1955.
Paris brûle-t-il?, René Clément, 1966. L'armée des ombres, J.-Pierre Melville,
1969.
Le chagrin et la pitié, Marcel Ophuls, 1971. Lacombe Lucien, Louis Malle 1974.
Le dernier métro, F. Truffaut 1980. Uranus, Claude Berri 1990.
Monsieur Batignole, G. Jugnot, 2002. Indigènes, R. Bouchareb, 2006.
Un Village français, L. Triboit, 2009, série télévisée).

Le travail des historiens


Jusque dans les années 1970, les travaux des historiens étaient surtout consacrés à la
Résistance (Une exception Robert Aron, L'histoire de Vichy, 1954).
L'ouvrage La France de Vichy de l'universitaire américain Paxton est publié en janvier 1973.
L'auteur, à partir d'archives allemandes et américaines, montre que Vichy voulut la politique
de collaboration avec l'occupant, qu'il a participé de manière autonome à la persécution et à la
répression des Juifs (statut des Juifs dès 1940, recensement, rafles...). Depuis, les nouveaux
textes de loi sur les archives de 1997-2000 (réduisant les délais à 25 ans), Vichy devient
l'objet de nombreux travaux d'historiens.

La reconnaissance officielle par la France des crimes commis par l'État français
Le 16 juillet 1993, François Mitterrand assiste à la commémoration de la rafle du Vel'd'Hiv.
En 1995, Jacques Chirac dans un discours solennel reconnaît la responsabilité de la France
dans les crimes commis par le régime de Vichy, il parle de « faute collective ».
Les procès pour crime contre l'humanité vont contribuer à lever les ambiguïtés l'ancien
préfet de la Marne René Bousquet est assassiné en 1993 à quelques mois de son procès, Paul
Touvier (chef de la Milice) est jugé en 1994, Klaus Barbie chef de la Gestapo lyonnaise l'est
en 1997-1998, Maurice Papon, sous-préfet de Bordeaux pendant l'Occupation, en 1998.

4. La mémoire de la Shoah

La lente renaissance d'une mémoire juive


Après la guerre, s'instaure une mémoire patriotique de la déportation qui regroupe toutes les
victimes du nazisme (politique, raciale, travail forcé) sans distinction. La différence entre
camps de concentration et d'extermination n'est pas faite. Le camp dont on parle à l'époque,
c'est Dachau et non Auschwitz.

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L'historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France

Les rares rescapés juifs veulent reprendre au plus vite le cours de leur vie. Le caractère
spécifique du génocide, 75 000 juifs de France ont péri, et la responsabilité de l'État français
sont gommés.
Le procès à Jérusalem d'Adolf Eichmann en 1961, où 111 témoins dénoncent son rôle dans la
mise en place de la « solution finale », provoque chez les juifs du monde entier une prise de
conscience de la spécificité de la Shoah et une volonté de l'affirmer devant la communauté
internationale.
Des associations comme l'Association des Fils et Filles de Déportés Juifs de France
(FFDJF créée en 1979 par Beate et Serge Klarsfeld) organisent la traque des nazis, déposent
des plaintes pour crime contre l'humanité (imprescriptible depuis 1964) et obtiennent
l'ouverture de procès, mettant ainsi fin à l'impunité dont jouissent les responsables français et
allemands du génocide.
Le film Shoah de Claude Lanzmann en 1985, documentaire de 11 heures, provoque un
véritable choc et vulgarise l'utilisation du terme Shoah pour l'extermination spécifique des
Juifs.

La montée du négationnisme et le rôle des historiens


En France, les survivants sont de plus en plus nombreux à témoigner (Simone Veil) malgré la
difficulté à mettre en mots ce qu'ils ont vécu. Face à eux le négationnisme antisioniste nie
l'existence des chambres à gaz et la « solution finale ». La renaissance de l'extrême droite en
France au début des années 1980, ravive également l'inquiétude des Français juifs quant à la
pérennité d'une mémoire du génocide.
Les historiens se mobilisent (P. Vidal-Naquet, L'anatomie d'un mensonge, 1980). La
communauté juive obtient l'inculpation pour crime contre l'humanité d'anciens responsables
du régime de Vichy (Jean Leguay, Paul Touvier, Maurice Papon).
Les thèses négationnistes:
« Le prétendu gazage et le prétendu génocide juif ne sont qu'un seul et même mensonge
historique... » déclare Robert Faurrisson.

La mémoire officielle
Le 30 juin 1990, la loi Gayssot condamne tout propos négationniste et en 1993, une journée
de commémoration des « persécutions racistes et antisémites » est instaurée le 16 juillet, date
anniversaire de la rafle du Vel'd'Hiv' (1942). La mission Mattéoli (1997) est chargée de mettre
à jour les spoliations des biens juifs et d'indemniser les familles.
En 2000, la fondation de la mémoire de la Shoah est créée et présidée par Simone Veil. En
2005 est inauguré à Paris le Mémorial de la Shoah avec le « Mur des noms » des 76 000
déportés.

A RETENIR:

Il est important de distinguer mémoires et histoire.


Longtemps les mémoires de la Seconde Guerre mondiale se sont opposées. La France a mis
50 ans pour assumer sa responsabilité dans les crimes commis sous l'Occupation.

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L'historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France

Le génocide des juifs de France est entré progressivement et difficilement dans la mémoire
collective.
Les historiens ont pris le relais des mémoires et continuent leur travail à partir des archives.
La mémoire reste cependant un Instrument politique.

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