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4.

Nouveaux enjeux méthodologiques

Le tournant ethnographique : David Morley

Objectif de ses recherches centrées sur les familles : s’intéresser à l'étude de la réception et des
récepteurs, en particulier l’écoute télévisuelle. De manière plus précise, l'objectif est de tenter de
comprendre comment les groupes d'auditoires utilisent concrètement et de manière active la
télévision, en tant qu'élément intégré à leur culture, c'est-à-dire comment ils interprètent les contenus
télévisuels en fonction de ce qu'ils sont et comment ils participent à la création sociale du sens par les
lectures qu'ils en font.

Il adopte une attitude pragmatique afin de tester les théories de Hall sur le terrain en faisant appel aux
méthodes ethnographiques pour recueillir leur matériau : interviews approfondies, observations,
observations participantes, etc. Selon ses propres mots, The Nationwide peut être comprise comme
une traduction opérationnelle du modèle « encoding-decoding » de Hall.

"The Nationwide Audience" (1980), une étude à domicile de la réception d’un magazine politique
populaire. L'étude du "texte" et du public de Nationwide avait notamment pour objectif de dégager des
patterns d'interprétation à travers des variables de classe sociale et de genre. Les résultats de cette
étude - Il a interrogé 29 groupes de téléspectateurs, - ont démontré la complexité et la diversité des
modèles de décodage, et l'impossibilité d'en rendre compte dans la seule notion de classe sociale.

S’il y a corrélation entre caractéristiques socioculturelles des groupes et types


d’interprétation, Morley va montrer qu’il existe des groupes très éloignés dans
l’espace social mais qui partagent néanmoins les mêmes codes : des cadres du
secteur bancaire et des apprentis s’accordent à dire que les questions posées sont
neutres et professionnelles et les commentaires naturels et de bon sens. D’autres
fois, des groupes socialement proches mobilisent des codes opposés : deux groupes
de jeunes, non diplômés de la classe ouvrière ont des jugements totalement opposés
sur l’émission et son traitement : les uns la jugent professionnelle et objective, les
autres la trouvent faite pour les riches étant donné qu’elle ne montre que des familles
unies de la middle class qui possèdent une voiture et un logement confortable .

Le décodage est une opération dont les liens avec les critères sociaux (âge, classe…) n’a de sens
que s’il est mis en relation avec les codes et les compétences culturelles des individus (culture
profane ou savante, politique et ordinaire…). La recherche sur la réception doit donc être comprise
comme une expérience multidimensionnelle qui s’apparent moins à une activité de consommation
qu’à une participation selon des modalités et à des degrés divers. Elle doit rappeler surtout que
regarder la télévision est avant tout une expérience sociale, même à domicile .
Le tournant ethnographique : Ien Ang

Ien Ang est une chercheuse hollandaise qui décide à son tour de se ré-approprier les études de Stuart
Hall pour analyser Dallas.
Elle va écrire dans un journal populaire Hollandais et demander aux lectrices de lui donner ses
sentiments sur la série. Elle a reçu 42 réponses qui lui ont permis de construire sa propre typologie
des audiences.
Elle distingue les admirateurs de la série (Dallas-lovers) qui sont moqués par les haters mais qui
assument d’aimer la série et en acceptent l’encodage tel quel ou presque - ils intègrent de leur plein
gré l’idéologie de la culture de masse - et ceux qui occupent une position oppositionnelle (Dallas-
haters). Pour ces derniers le feuilleton est critiquable car il est un pur produit commercial. Ils voient la
série comme un programme stéréotypé, autant sur les relations hommes/femmes que sur les
représentations de l’univers américains. Une troisième catégorie opère une réception distanciée (the
ironic viewing) qui leur permet de jouir de la série sans culpabilité : ils regardent la série mais adoptent
un discours distancié et ironique. Du coup ils possèdent un certain jugement sur leur perception, qui
leur permet de ne pas tomber sous la coupe du code hégémonique.

5. Prolongements : les travaux sur les gender studies


Aux USA, derrière le mot genre/gender, pour éviter le mot féministe trop connoté, il y a les études
féministes, les études gays et lesbiennes, les études trans (queer studies, porn studies and sexuality
studies). Derrière le mot race, il y a les Black Studies, Hispanic Studies, Post-colonial studies etc.
Finalement les CS étudient toutes les minorités, éthniques, sexuelles, colonisées etc.

Les études féministes s’intéressent à la problématique de la représentation des femmes dans les
médias – qui ne porte pas tant sur le fait qu’elles y soient minoritaires – mais sur le fait qu’elles sont
également assignées à des représentations de genre souvent réductrices. Ces études mettent par
exemple l’accent sur les stéréotypes féminins présents dans les médias (porn studies, femme au
foyer, femme ménagère etc.)1

Institutionnalisation dans les années 80 de ces études : c'est-à-dire de recherche et d'enseignement à


l'intérieur de l'université, selon des temporalités et des degrés qui varient en fonction des contextes
nationaux.- alors qu’elles n’arrivent en France qu’à la fin des années 2009/2010.

1
https://rfsic.revues.org/619#bodyftn37 : dans les années 50, certains magazines ont
assigné/assignent les femmes à une conception de la féminité centrée autour de la maternité et du
foyer. Les tâches domestiques et l’éducation des enfants, le foyer et la maternité sont désignés
comme sources du bonheur et de l’accomplissement de soi pour les femmes. Betty Friedan (1970)
dénonce quant à elle une marchandisation de la femme et sa présentation castrée, cad belle et lissée.
Ex : Gender Studies2 ou l’interprétation féminine : analyse de la différence de
perception en fonction du genre sexuel3.

Janice Radway (Reading the Romance, 1991) a parfaitement montré quant à elle comment ces
pratiques de réception dites légitimes pouvaient faire l’objet d’une appropriation spécifique par un
groupe social dominé. Ses travaux (1987) sur les pratiques de lecture des romans d’amour de la
collection Harlequin vont montrer que c’est le contexte domestique de la lecture qui confère au genre
sa signification.

Les lectrices ont d’abord conscience du caractère peu valorisé et valorisant de ce genre littéraire et
que cette pratique souvent décriée par les hommes. Mais face à cette stigmatisation elles déploient
des tactiques de légitimation spécifiques comme la revendication des vertus didactiques des
romans, leur vertu thérapeutique (comme drogue inoffensive) par opposition aux drogues ou aux
alcools. La lecture est vécue par les femmes comme une déclaration d’indépendance, la revendication
d’un espace de liberté qui les soustrait à la routine quotidienne et les fait sortir de leur rôle d’épouse et
de mère (elles refusent en prenant un livre la demande permanente d’attention et de soins adressée
par la famille) : vertu modestement protestataire de la lecture qui leur permet de s’échapper de leur
rôle traditionnel.

La lecture des romans sentimentaux leur apporte une gratification émotionnelle car les récits
opposent les valeurs féminines d’amour et de relations personnelles privées aux valeurs masculines
de compétition et d’accomplissement et reconnaissent la victoire des premières. Elles voient dans ces
romans la chronique d’une victoire féminine sur le monde matériel : les codes et stratégies de la
narration fonctionnent sur la transformation d’un héros, personnage condescendant, distant et froid en
un proche tendre et démonstratif. La lecture de romance qui permet la construction d’un monde
imaginaire répond donc à des besoins personnels de tendresse et d’attention que les pratiques
patriarcales ne comblent pas et trouve donc son origine dans le mécontentement et l’insatisfaction.

Selon Jan Cohn, Romance and the Erotics of Property (1988):

2
1960-1970 : Approche consistant à contester le déterminisme biologique et à analyser les rapports de pouvoir
entre les sexes et qui pointe la dimension "politique" de questions jusque-là privées comme la contraception,
l'avortement, le mariage, etc.
Ce processus a été plus précoce et plus abouti aux Etats-Unis que dans la plupart des pays européens, et
notamment en France. Initialement, on ne parlait pas d'études sur le genre mais d'études féministes (feminist
studies) ou d'études sur les femmes (women's studies). Aujourd'hui plusieurs appellations coexistent, notamment
dans les pays francophones : on parle ainsi d'études sur le "genre", sur "les rapports sociaux de sexe", d'études
"féministes" ou encore "sur les femmes".
En France, l'institutionnalisation des études féministes a été un processus difficile : il faut attendre la
seconde moitié des années 1990 pour voir ces études connaître un réel essor, avec la création de revues
scientifiques reconnues par les classements internationaux. Dans la décennie 2000, on a vu apparaître une
nouvelle génération de chercheurs / chercheuses qui se rallient désormais au terme du "genre" pour
désigner leurs travaux, et qui aspirent à intégrer l'université au titre de cette spécialité.
3
Domaine d’étude académique, portant sur la question du genre sexuel, et la différence sociale faite entre les
sexes biologiques.
All popular romantic fiction originates in the failure of patriarchal culture to satisfy its
female members. (Toute fiction romantique populaire vient dans l'échec de la culture
patriarcale pour satisfaire ses membres féminin)

Selon Cohn, la culture patriarcale en particulier au sein de la bourgeoisie ont rendu les femmes
économiquement démunies ; elles ont été exclues non seulement du marché du travail mais aussi du
mythe du principal de la société bourgeoise, le mythe de l'ascension sociale.

Le fantasme du roman populaire existe afin de redresser les conditions réelles économiques et
sociales des femmes dans le monde d'aujourd'hui : les stratégies inavouées des héroïnes passives
économiquement sont l’association entre pouvoir économique et sexuel, ce qu’incarne la figure des
héros romantiques : la réussite économique devient une condition du héros du roman (Mythe du
prince charmant). La richesse, sa propriété et sa puissance économique, sont des attributs de base de
sa virilité.

Dans le roman érotique Fifty Shades of Grey (50 nuances de Grey4) une étudiante en littérature au
caractère bien trempé tombe amoureuse du prince charmant : un homme beau, riche, tendre et
attentionné qui va bientôt révéler un côté sombre qu’il veut exprimer avec sa femme dans le
sadomasochisme. Premier tome de la trilogie sado-masochiste à l'eau de rose de la Britannique E. L.
James, 50 nuances de Grey s’est arraché à plus de
32 millions d'exemplaires aux États-Unis depuis sa
sortie en mai 2011, et à plus de 40 millions
d'exemplaires au niveau mondial. La trilogie 5 a été
vendue à 46 pays en 45 langues. Elle est annoncée
comme le nouveau best seller de romance érotique
destinées aux femmes d’où l’appellation marketing
« Porno pour maman ».

Selon Alice Schwarzer, féministe allemande de référence (2012) le film ne relève pas de la
pornographie mais de l’histoire d’amour. La femme est à priori soumise aux desiderata sexuels de son
mari d’où l’impression de régression de la condition féminine évoquée par les critiques. En fait les
lectrices y voient autre chose : Christian, le mari dominateur, ne fait rien qui aille contre la volonté
d'Anastasia. Quand elle trouvera que ces pratiques deviennent excessives, elle ne se soumettra plus.
C’est à cela que tient la fascination de millions de lectrices : jouer avec le feu, sachant qu’on peut
l’éteindre soi-même. La soumission au lit est en fait la métaphore de la soumission au quotidien et
le livre est perçu par les femmes non pas comme un recul de la condition féminine mais comme
une perspective de femme parfaitement émancipée qui serait réduite à un objet passif mais reste
un sujet actif pensant 

4
Grey est à la fois le nom de famille du héros et la couleur grise
5
Les tomes 2 (Cinquante nuances plus sombres) et 3 (Cinquante nuances plus claires) sortiront en janvier et
février 2013
Le courant des Gender Studies peut également dénoncer la dimension sexuée des productions
filmiques et le rapport de domination qui s’y construit.

Dans tous les cas, on aperçoit comment le sens provient d’une négociation entre les objets
symboliques et les pratiques sociales de leurs publics.

Voir des ex de travaux sur le power point pour sa propre culture.

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