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Le rôle des réseaux de drainage agricole dans le

ralentissement dynamique des crues : interprétation des


données de l’observatoire Orgeval
H. Hénine, C. Chaumont, J. Tournebize, B. Augeard, C. Kao, Y. Nédelec

To cite this version:


H. Hénine, C. Chaumont, J. Tournebize, B. Augeard, C. Kao, et al.. Le rôle des réseaux
de drainage agricole dans le ralentissement dynamique des crues : interprétation des données de
l’observatoire Orgeval. Sciences Eaux & Territoires , INRAE, 2012, p. 16 - p. 23. �10.14758/SET-
REVUE.2012.CS3.03�. �hal-00755183�

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Le bassin versant de l’Orgeval :
16 50 ans de recherche au service
des acteurs de terrain

Le rôle des réseaux de drainage agricole


dans le ralentissement dynamique des crues :
interprétation des données de l’observatoire « Orgeval »

Le drainage agricole peut générer des impacts importants sur le cycle de l’eau, sur l’écologie du paysage
et sur les cours d’eau. Sur le bassin versant expérimental de l’Orgeval, les équipes scientifiques d’Irstea
étudient les processus de transfert des écoulements aux différentes échelles afin de comprendre
le comportement des réseaux de drainage et le rôle qu’ils peuvent jouer, notamment en période de crues.

A
u-delà de son intérêt agronomique, le parfois des superficies importantes au sein du bassin
drainage agricole souterrain influence versant. Les points de rejets des collecteurs et la mor-
sensiblement la réponse hydrologique phologie souvent rectiligne des fossés contribuent à la
des bassins versants concernés. L’étude perception négative du drainage agricole.
de son impact en aval, notamment sur En réalité, la connaissance des modifications hydrolo-
les inondations, implique l’examen de giques réellement induites est difficile compte tenu de
plusieurs processus de transfert aux différentes échelles la diversité des cheminements de l’eau et de la com-
(Robinson et Rycroft, 1999). À l’échelle de la parcelle, plexité des phénomènes en jeu. Aussi, le drainage peut
le drainage agricole a pour effet de réduire la contrainte
être dommageable, par augmentation des pics de débit,
agronomique liée à la présence dans les parcelles
comme il peut être bénéfique, par atténuation de ces pics
cultivées d’un excès d’eau hivernal temporaire. Cela
(Robinson et Rycroft, 1999). Cette complexité dépend
engendre une augmentation de la capacité de stockage
directement de la nature de l’événement de pluie et des
d’eau dans le compartiment sol en restaurant la capacité
caractéristiques du sol.
d’infiltration et, en conséquence, une diminution
du ruissellement de surface. À l’échelle du bassin Dans cet article, on cherche donc à comprendre le com-
versant, le transfert d’eau de la parcelle à l’exutoire est portement des réseaux de drainage de la parcelle au
soumis à une résistance hydraulique à l’écoulement versant afin de clarifier le rôle qu’ils peuvent jouer en
qui peut survenir : période de crues en utilisant deux approches :
•• dans le sol, particulièrement au voisinage du drain, •• étude détaillée du comportement pendant un événe-
ment de pluie, pour lesquels les processus et leurs inte-
•• dans les réseaux de drains et de collecteurs enterrés
ractions mis en jeux seront présentés ;
ou dans les fossés (Henine et al., 2010 ; Nédélec, 2005).
Le fonctionnement hydrologique d’un sol drainé est ainsi •• étude hydrologique fréquentielle des débits de pointe,
fortement influencé par la présence des drains enterrés. à partir de données issues d’un observatoire expérimental
Les écoulements issus du drainage sont transférés par de l’Orgeval (Seine et Marne) sur vingt ans.
les réseaux de collecteurs enterrés dans les fossés d’as-
sainissement agricole et les cours d’eau. En période de Méthode suivie dans cette étude et outils utilisés
crues, le rejet des écoulements en provenance de par-
celles agricoles drainées est souvent perçu comme une Une étude de l’impact du drainage agricole sur les crues
cause possible d’inondations, court-circuitant des zones doit considérer l’ensemble des facteurs spatio-temporels
tampons dans lesquelles les eaux auraient pu circuler de pouvant influencer le régime hydrologique à l’exutoire
manière plus diffuse en son absence, par infiltration ou du bassin versant.
ruissellement. En outre, les parcelles drainées couvrent En termes d’échelle spatiale (figure ➊), on distingue :

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des acteurs de terrain

1  Schéma de principe d’un système drainant


et processus hydrauliques et hydrologiques associés.

•• l’échelle de la parcelle regroupant les panneaux de


drains et le collecteur latéral ;
•• le réseau de drainage complet qui comprend l’en-
semble des parcelles drainées et le réseau de collecteurs
enterrés (primaire et secondaire) qui se rejettent en un
seul point dans le fossé à ciel ouvert ;
•• le petit bassin versant qui associe les réseaux de drai-
nage enterrés au réseau de fossés puis au réseau hydro-
graphique préexistant.
Cette étude va donc s’intéresser aux processus de trans-
fert (hydraulique et hydrologique) à ces différentes
échelles ainsi qu’à leurs interactions impactant directe-
ment le débit à l’exutoire du bassin versant.
En termes d’échelle temporelle, on distingue :
•• l’échelle d’un événement où les processus de transfert
de la parcelle à l’exutoire du bassin versant sont étudiés
en détails, avec une mise en évidence des interactions
possibles entre ces différents processus qui modifient le
comportement global du bassin versant ;
•• l’échelle d’une chronique hydrologique de longue
durée pour laquelle une sélection des débits de pointe
a été opérée.

Observatoire expérimental de l’Orgeval


Le bassin versant de recherche et d’expérimentation
(BVRE) de l’Orgeval est situé en Brie, à proximité de la de très profondes modifications liées à l’activité agri-
ville de Coulommiers (Seine et Marne), à soixante-dix cole. Ce bassin hydromorphe et densément aménagé a
kilomètres de Paris. Il s’étend sur 104 km2. Son sous-sol aussi l’avantage d’être suivi en continu depuis plus de
est de type sédimentaire daté du tertiaire (oligocène et quarante ans.
éocène). Les formations supérieures (formation de Brie Pour cette étude, les expérimentations sur le terrain
et les sables de Fontainebleau) ainsi que la présence menées par le passé sur deux bassins versants (figure ➋)
de niveaux plus imperméables en dessous (les argiles ont été exploitées. Sur un même site, le dispositif expé-
vertes) entraînent la formation de nappes superficielles. rimental ne permet pas de suivre le débit aux différents
Le sol est de type brun lessivé à texture limono- points du réseau, comme présenté sur la figure ➊.
argileuse (Luvisol) et présente des caractéristiques Toutefois, l’ensemble du suivi expérimental sur deux
d’hydromorphie temporaire car il est soumis à des sites en tête de bassin versant nous le permet (figure ➌).
nappes perchées superficielles. Dans la région de
grande culture de la Brie, le recours au drainage
agricole pour désengorger les parcelles et aux travaux
d’assainissement a augmenté la capacité de transfert du ➊ Rappel sur le dimensionnement
réseau hydrographique et a entraîné une modification du drainage agricole
du rapport entre l’infiltration et le ruissellement. On À l’échelle de la parcelle, la profondeur et l’écartement des drains sont dimen-
distingue des transferts d’eau rapides (horizontaux) sionnés pour permettre un tarissement de la nappe superficielle en un temps et
impliquant le drainage artificiel très largement implanté à une profondeur par rapport à la surface du sol compatibles avec les pratiques
(80 % de la surface agricole utile) et des transferts d’eau agricoles caractéristiques des cultures envisagées sur la parcelle, pour une pluie
de projet (P) courante, d’une durée de trois jours et d’une période de retour de un
plus lents correspondant à une infiltration profonde
à deux ans. À cette échelle, la capacité de transfert du drainage est limitée par ce
(transferts verticaux), qui alimentent deux principales critère de dimensionnement. La capacité maximale interceptée par les drains est
nappes (nappes de Brie et de Champigny). À mesure atteinte lors de la saturation complète du sol au dessus des drains, au moment de
que les cours d’eau incisent les plateaux sédimentaires, l’affleurement de la nappe superficielle en surface.
ces nappes contribuent au débit de surface.
Chaque collecteur du réseau de drainage est dimensionné pour évacuer le débit
L’occupation des sols se répartit entre agriculture inten- de projet intercepté par le réseau de drainage amont (qu’on appellera débit de col-
sive (80 %), forêt (12 %) et urbain (8 %). Bassin suivi lecte) en condition d’écoulement à surface libre. Lorsque le débit de collecte est
depuis 1962, l’Orgeval est le plus ancien BVRE français supérieur au débit seuil du collecteur (débit à pleine section), l’écoulement se fait
alors sous pression (qu’on appellera écoulement en charge).
encore en opération. Il dispose d’un important fond
d’études et de données : un environnement très bien Le fossé d’assainissement agricole à surface libre est recalibré de façon à ce que la
caractérisé, des séries chronologiques anciennes (essen- sortie du collecteur soit à une côte au moins égale au niveau d’eau issu d’une crue
tiel en hydrologie). Le bassin versant de recherche de de période de retour annuelle.
l’Orgeval est représentatif des bassins ruraux ayant subi

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2   Schéma du bassin versant de l’Orgeval ; présentation des deux sites d’étude (Goins et Mélarchez).

Les données acquises sont disponibles : est considérée égale à la pression dans ce dernier. À
•• à la sortie d’une parcelle drainée du bassin versant de la sortie d’un réseau de drainage complet à Mélarchez
Goins (1,7 ha), (figure ➌b), les vitesses moyennes par un capteur ultra-
sons à effet Doppler et la pression avec une sonde de
•• à la sortie d’un réseau complet en tête du bassin ver- pression sont mesurées. La combinaison de ces deux
sant de Mélarchez (80 ha), mesures permet de déduire le débit. Simultanément, la
•• à l’exutoire des bassins versants de Goins (130 ha) et hauteur d’eau dans le fossé, au point de rejet du collec-
de Mélarchez (710 ha). teur, est mesurée avec une autre sonde de pression.
À la parcelle de Goins, le suivi expérimental est réalisé L’ensemble des données exploitées dans cette étude, leur
dans une fosse, qui a été creusée pour atteindre le collec- période de disponibilité et le pas de temps d’observation
teur de la parcelle (figure ➌a). Le dispositif expérimental sont donnés dans le tableau ➊.
comprend un débitmètre électromagnétique au travers
du collecteur pour la mesure du débit et une sonde de
pression pour la mesure des variations du niveau d’eau
Résultats
dans la fosse. À cause de la connexion hydraulique exis- Les résultats de l’étude sont basés sur la comparaison entre
tante entre la fosse et le collecteur perforé, la hauteur le comportement du débit spécifique en un point du réseau
d’eau dans la fosse par rapport au niveau du collecteur de drainage (en sortie de la parcelle à Goins ou du réseau

3   Les différents points de mesure de débit : (a) débit à la sortie de la parcelle de Goins ;

(b) débit à la sortie d’un réseau de drainage complet à Mélarchez ; (c) débit à l’exutoire du bassin versant
de Goins (le même dispositif qu’à Mélarchez).

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1   Résumé des points des grandeurs observées, période et pas de temps d’observation.

Localisation Échelle Type de données Période Temps

Boissy-le-Châtel 3 Précipitations 1962-2012 Horaire

3 Débit à l’exutoire 1962-2012 Horaire

Hivers (sept. à mai)


2 Débit du réseau complet Horaire
Mélarchez de 1999 à 2003

Hauteur d’eau dans le fossé Hivers (sept. à mai)


2 Horaire
à ciel ouvert au point de rejet de 1999 à 2004

3 Débit à l’exutoire 1989-2012 Horaire

Hivers (sept. à mai)


1 Débit d’une parcelle drainée Horaire
Goins de 2006 à 2008

Pression à la jonction parcelle Hivers (sept. à mai)


1 Horaire
réseau de collecteur de 2006 à 2009

complet à Mélarchez) avec le débit spécifique à l’exutoire seuil, qui consiste à retenir tous les débits de pointe supé-
du bassin versant. Cette comparaison nous permet ainsi rieurs à un seuil de troncature de l’ordre de 250 L/s. La
de déduire, par la différence de comportement, les pro- comparaison entre les deux courbes nous renseigne sur
cessus dominants à chaque échelle et la contribution du la réponse du bassin versant aux différents événements,
drainage dans l’atténuation du débit à l’exutoire, pendant de différentes périodes de retour. Cette étude nous per-
les périodes de mise en charge du réseau de drainage. met également de déduire jusqu’à quelle fréquence de
débit de pointe l’atténuation du débit à l’exutoire par le
Ensuite, une analyse fréquentielle sur les pluies horaires a réseau de drainage est efficace.
permis de tracer la courbe de l’intensité de pluie en fonc-
tion de la période de retour, définie comme étant l’inverse Limitation de transfert des réseaux de drainage
de la fréquence d’apparition, sur un graphique semi-loga- Pour étudier cette limitation, on s’intéresse au comportement
rithmique. Simultanément, une analyse fréquentielle de hydraulique du réseau de drainage à l’échelle d’un événe-
débits de pointe horaires, basée sur l’approche débit ment, où les processus de transfert sont étudiés en détail.

4   Comparaison entre le débit à l’exutoire et le débit à la sortie d’un collecteur d’une parcelle

drainée pour un épisode de surcharge du réseau (Henine et al., 2010).

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5   Comparaison entre le débit à l’exutoire et le débit à la sortie du réseau de collecteur de Mélarchez (710 ha)

pour un épisode de surcharge du réseau (Nédélec, 2005).

Il s’agit de faire ici une étude du fonctionnement du drains (figure ➍). Cet impact peut être substantiel dans
réseau de drainage et de son rôle dans la rétention des les cas où la mise en charge est présente sur une grande
crues : un domaine jusqu’ici pauvre en références expé- partie du réseau.
rimentales. En se basant sur les données du bassin versant Une modélisation de l’impact du réseau de drainage, lors
de l’Orgeval (tableau ➊), nous allons analyser l’impact des crues les plus extrêmes, prenant en compte les diffé-
de la limitation de transfert du réseau de drainage sur le rents comportements observés lors de cette expérimen-
débit de collecte par les drains (à l’échelle de la parcelle) tation a été réalisée, et montre des résultats qui vont dans
et sur le débit au point de rejet (à l’échelle d’un réseau de le sens du phénomène observé sur le terrain.
drainage complet).
Influence du fossé à ciel ouvert sur le débit de rejet
Influence aval sur le débit de collecte
La capacité maximale d’évacuation d’un réseau de drai-
Pour étudier l’influence du réseau de collecteur sur le nage est atteinte pendant la mise en charge des collec-
débit de collecte, nous avons exploité les données du site teurs. Cette mise en charge est provoquée quand le débit
de Goins (tableau ➊). Les observations ont montré que de collecte dépasse le débit seuil : on parle de la mise
le débit en sortie d’une parcelle drainée, lors des événe-
en charge par l’amont, ou par la submersion du point de
ments de pluies intenses, reste limité à cause de la mise
rejet du réseau dans le fossé à ciel ouvert, on parle alors
en charge du collecteur de parcelle (Henine et al., 2010).
de la mise en charge par l’aval (Nédélec, 2005).
Un exemple de l’événement de mise en charge du réseau
observé du 14 au 18 avril 2008 est montré sur la figure ➍. Dans le cas de la submersion du point de rejet, l’expéri-
L’hydrogramme de crue à la sortie du collecteur de la mentation réalisée sur le site de Mélarchez a permis d’ex-
parcelle ressemble alors à celui d’un drainage contrôlé pliquer l’influence de la mise en charge du réseau sur les
par l’aval (comme l’indique la pression dans le collecteur) débits de pointe (Nédélec, 2005). Cette étude est basée
pour lequel l’eau est retenue temporairement dans la par- sur la comparaison entre le débit en sortie d’un réseau
celle pendant cette période de mise en charge et restituée de drainage (drainant une surface de 80 ha) et celui à
ensuite. Ce comportement à la sortie de la parcelle est l’exutoire du bassin versant (surface totale de 710 ha).
confirmé par les observations des variations du niveau La figure ➎ montre les observations pour un épisode de
de la nappe, observés dans des piézomètres de surface pluie du 30 décembre 2001 (Nédélec, 2005).
(1 m de profondeur) installés sur la même parcelle, qui Sur la figure ➎, on remarque une nette discordance entre
montrent l’effet d’une rétention d’eau par gonflement le débit spécifique (débit par unité de surface) mesuré à
de la nappe pendant la période de mise en charge des l’exutoire du bassin versant et celui mesuré à la sortie du
drains et un tarissement après cette période (Henine collecteur. Ce dernier présente une limitation du débit à
et al., 2010). Si la pression à l’aval d’un collecteur d’une 0,75 mm/h environ, tandis que le débit à l’exutoire du
parcelle est importante, on observe des débits négatifs bassin versant est variable et forme un débit de pointe
témoins de l’alimentation de la nappe par le réseau de spécifique supérieur à celui du collecteur.

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Ce comportement qui semble particulier a en fait Ce comportement est d’autant plus important qu’une
une explication hydraulique. La submersion du point proportion importante du bassin versant est drainée.
de rejet du collecteur provoque une limitation de sa Cette limitation du débit de rejet reste toutefois limi-
capacité d’évacuation, par contrôle hydraulique aval. tée. La saturation complète du système drainée (tuyaux
En effet, comme le montre la figure ➎, cette limitation et nappe) conduit à l’occurrence du ruissellement de
coïncide avec la submersion complète du collecteur surface qui participe au débit à l’exutoire (Augeard
(la remontée de l’eau dans le fossé au-dessus du col- et al., 2008).
lecteur à 0,5 m, figure ➎). Les événements de mise en charge des réseaux, obser-
Dans tous les cas, la mise en charge du réseau de drai- vés ou non lors d’expérimentations, constituent une
nage influence directement le débit de sortie. Les obser- information importante qu’il faudrait replacer dans un
vations de terrain montrent le rôle particulier joué par contexte global. En effet, à cause de la complexité des
le fossé à surface libre en mettant, par rétroaction, le interactions entre les différents processus de transfert
collecteur en charge, avec une limitation du débit de de la parcelle (drainée ou non drainée) à l’exutoire du
rejet. Il est ainsi mis en évidence un rôle d’autolimi- bassin versant, et de multiples configurations topogra-
tation du réseau de drainage par l’aval sur le débit de phiques de terrain qui influencent directement ces pro-
collecte à l’amont. Des études réalisées sur un modèle cessus de mise en charge, la réponse du système sera
physique de laboratoire et par simulations numériques différente. Dans l’objectif d’une approche plus globale,
ont confirmé ensuite certains aspects du phénomène la suite de cet article consiste à utiliser une approche
observé sur le terrain (Nédélec, 2005). statistique pour mieux comprendre la réaction du réseau
de drainage aux différents événements de pluie.
Conclusion sur la limitation du réseau de drainage
Les études réalisées sur le comportement des réseaux de
Étude de la limitation sur une longue série
drainage à l’échelle d’un événement ont permis de mettre Par le passé, des observations de débit menées à
en évidence leur capacité à limiter les débits de rejet et l’échelle de la parcelle sur le site de la Jaillière (Maine
leur rôle dans la rétention temporaire de l’eau dans le et Loire) ont montré que les débits de pointes (ruis-
système drainant (nappe et tuyaux). Sur les figures ➍ et ➎ sellement + drainage) en sortie de la parcelle drainée
on distingue deux phases essentielles : sont limités au-delà d’une certaine période de retour
(Lesaffre, 1988). Cette limitation est directement liée à
•• la phase de stockage de l’eau infiltrée dans le sol sous
la mise en charge des drains (encadré ➊). Ces mêmes
l’effet de la pression dans les drains ;
observations montrent également qu’il existe un débit
•• la phase de restitution de l’eau stockée lors du passage de pointe frontière à partir duquel les rejets d’une par-
des tuyaux d’un écoulement en charge à un écoulement celle drainée en présence d’excès d’eau temporaire pré-
à surface libre. sentent des hydrogrammes (drainage + ruissellement)
Ce fonctionnement favorise ainsi le ralentissement dyna- aux pointes moins intenses et moins volumineuses
mique des crues, tout en assurant la continuité des écou- que le seul ruissellement d’une parcelle non drainée
lements dans le réseau hydrographique. (Lesaffre, 1988).

6   Série de pluie et de débit horaires sur le bassin versant de Mélarchez (vingt ans de données).

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22 50 ans de recherche au service
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7   Distribution de la pluie (a) et du débit de pointe (b) mesurés durant vingt années à l’exutoire

du bassin versant de Mélarchez (Augeard et al., 2008).

À l’échelle du réseau de drainage complet, il existe des phase, une part de la pluie infiltrée est retenue dans le
données acquises pendant un nombre d’années impor- système de drainage, sans qu’elle ne participe au débit
tant sur le bassin versant de l’Orgeval, dans certains de pointe, limité par le dimensionnement généralement
points du bassin depuis 1962, au pas de temps horaire calculé à 0,6 mm/h pour la zone géographique d’étude ;
et journalier. •• une phase de forte augmentation de la pente de la
L’analyse des pluies et des débits à l’exutoire du bassin courbe des débits de pointe (début de la troisième
versant de Mélarchez (710 ha) sur vingt ans (figure ➏) a flèche) pour des événements de période de retour supé-
permis de réaliser les courbes fréquentielles des pluies rieure à dix ans. Ceci s’explique par le dépassement de
mises en parallèle avec celles des débits de pointe la capacité maximale de stockage du système drainant
(figure ➐). De par leur construction, la courbe des pluies pour les événements très intenses qui provoquent une
concerne toutes les valeurs mesurées et celle des débits plus forte contribution du ruissellement de surface dans
ne concerne que les débits de pointe, les deux courbes le débit de l’exutoire.
ne pouvant être représentées sur un même graphique.
En effet, une pluie d’une fréquence d’apparition donnée Conclusion
peut générer un débit de pointe de fréquence d’appari-
tion différente (supérieure ou inférieure). D’autre part, Nous avons présenté ici différentes approches permet-
la réponse du système drainant pour chaque pluie, de tant de comprendre le comportement des réseaux de
période de retour donnée, dépend fortement de l’état drainage pendant les crues et de répondre à la question
de saturation initial du sol. Pour cela, la comparai- de l’impact hydrologique du drainage :
son se limitera aux variations de la forme globale des •• phase 1 : accentuation des crues pour les périodes de
deux courbes. Ainsi, la figure ➐ montre trois phases retour compatible avec le dimensionnement du réseau
distinctes : de drainage (un à deux 2 ans). Le drainage a un impact
négatif en accélérant la propagation de la crue ;
•• une phase d’accélération du transfert d’eau par le
réseau de drainage pour la période de retour inférieure •• phase 2 : autolimitation et stockage dans le réseau
à deux ans (figure ➐b). La courbe des débits de pointe ou les parcelles, pour les crues de période de retour
pour des valeurs inférieures à 0,8 mm/h montre une entre cinq et dix ans, le drainage a un impact positif en
pente supérieure à celle des pluies (figure ➐a). Le drai- atténuant la propagation de la crue ;
nage, pendant cette phase, accentue les crues ; •• phase 3 : au-delà de dix ans, l’hydrosystème étant
•• une phase d’autolimitation du réseau de drainage saturé, le drainage ne montre plus d’impact.
pendant la période de retour entre deux et dix ans Généralement, la phase 2 est souvent occultée dans
(figure ➐b). Pendant cette phase, on observe une pre- les études, mais bien réelle, puisque mesurée à partir
mière diminution de la pente de la courbes des débits d’observations sur un bassin versant réel. À partir d’une
de pointe (début de la deuxième flèche, figure ➐b) indi- certaine valeur de débit spécifique, avoisinant la capa-
quant que les débits de pointe augmentent très faible- cité maximale d’évacuation du réseau, l’hydrogramme
ment avec l’augmentation de la période de retour, alors de crue à l’exutoire est sensiblement atténué. Cet écrê-
que la courbe correspondante pour la pluie continue tage est dû à la limitation de transfert dans le réseau
d’afficher un accroissement linéaire (figure ➐a). Dans de drainage, provoquant ainsi une rétention temporaire
le bassin de Mélarchez, le rejet du drainage agricole d’une partie de la pluie nette dans le système drainant
constitue la majeure partie du débit à l’exutoire : la (nappe et réseau de tuyaux).
limitation du débit d’évacuation par la mise en charge La limitation de transfert dans le réseau de drainage est
du réseau de drainage explique cette diminution de la directement liée à la mise en charge des drains et des
pente de la courbe des débits de pointe. Durant cette collecteurs. En pratique, cette mise en charge peut être

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contrôlée soit par les critères de dimensionnement de


chaque collecteur du réseau (rapport entre débit de col-
lecte maximal et débit d’évacuation maximal), soit pro-
voquée par un contrôle aval au contact du réseau avec
le fossé à ciel ouvert. Dans l’optique de valoriser ces
résultats pour mieux contrôler l’atténuation des crues,
des aménagements d’ouvrages dans le linéaire du fossé
peuvent être préconisés de telle sorte que les sorties des
collecteurs (photo ➊) soient submergées par le niveau
d'eau pour des crues de période de retour supérieure à
l'annuelle, et ainsi permettre un ralentissement dyna-
mique (Nédélec, 2005).  ■

Les auteurs
Hocine HÉNINE, Cédric CHAUMONT et Julien TOURNEBIZE
Irstea, centre d’Antony, UR HBAN, Hydrosystèmes et bioprocédés,
1 rue Pierre-Gilles de Gennes, CS 10030, 92761 Antony Cedex
 hocine.henine@irstea.fr
 cedric.chaumont@irstea.fr
 julien.tournebize@irstea.fr
Bénédicte AUGEARD
5-7 square Félix-Nadar, 94300 Vincennes
 benedicte.augeard@onema.fr
Cyril KAO
AgroParisTech, Centre de Paris,
19 avenue du Maine, 75732 Paris Cedex 15
 cyril.kao@agroparistech.fr

© Irstea
Yves NÉDÉLEC
CETE Sud-Ouest, Laboratoire de Bordeaux,
Rue Pierre Ramond, CS 60013, 33166 Saint-Médard-en-Jalles Cedex 1   Sortie d'un collecteur
 yves.nedelec@developpement-durable.gouv.f enterré à Mélarchez.

Quelques références clés...


A UGEARD, B., NÉDÉLEC, Y., BIRGAND, F., CHAUMONT, C., ANSART, P., KAO, C., 2008,
Effect of a non linear runoff response on the flood statistical properties. The case of a tile drained watershed,
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Sciences Eaux & Territoires Cahier spécial n°03 – 2012

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