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Mai 1994

Numéro 290

ISSN 0184 77 83

Bulletin Mensuel d'Information de l'Institut National d'Études Démographiques

Les Conférences mondiales sur la population


Une nouvelle Conférence Internationale sur la Population et le Développement doit se tenir au
Caire du 5 au 13 septembre 1994. Léon Tabah, ancien Directeur de la Division de la Population
à l’O.N.U., secrétaire général adjoint des conférences de Bucarest (1974) et Mexico (1984), re -
trace l’historique des conférences précédentes et analyse les enjeux de celle de 1994.(*)

L A première conférence internationale sur la


population fut organisée en 1927 à Genève
puis à Londres par la Société des Nations
l’Indonésie hollandaise, l’O.N.U. créa l’expres-
sion sans clarté ni élégance de « pays sous-déve -
loppés », à laquelle fut substituée vers 1960 la
(S.D.N.). L’Américaine Margaret Sanger menait circonlocution à peine meilleure « en voie de dé -
alors campagne contre la « maternité asservie » veloppement ». L’expression « Tiers Monde »
(« Motherhood in bondage »). La Conférence de (ni capitaliste, ni communiste) forgée en 1952
Genève eut, entre autres résultats, la création de par Alfred Sauvy et titre en 1956 du cahier n° 27
l’Union Internationale pour l’Etude scientifique de l’INED, devint universelle, tandis que sur le
de la Population (U.I.E.S.P.) qui réunit depuis la plan politique les « pays non alignés » tentaient
communauté mondiale des chercheurs. de s’organiser.
A l’époque, le « planning familial », présenté Julian Huxley, premier Directeur général de
comme l’exercice d’une liberté individuelle, l’UNESCO, connu pour ses travaux de génétique
heurtait les pays soucieux de combattre la dénata- et frère d’Aldous Huxley, auteur du « Meilleur
lité, dont la France. Ce débat naissant fut étouffé des Mondes », demandait que chaque pays se do-
par les clameurs expansionnistes et racistes de te d’une politique de population, intégrée dans
l’Allemagne hitlérienne sur l’« espace vital ». une politique mondiale. Il proposa dès 1948 de
De Rome à Belgrade réunir un Congrès mondial de la population, qui
se tint finalement à Rome en 1954. Ce fut une
Après la guerre, l’Organisation des Nations Conférence d’experts, et non de représentants de
Unies (O.N.U.) se dota d’une Commission de la gouvernements, encore que les débats furent au-
population et d’une Division de la Population, tant politiques et même idéologiques que scienti-
permanente et chargée des études démogra- fiques.
phiques. Confrontée au processus de décolonisa-
tion et d’abord à l’accession à l’indépendance de En 1956, Gregory Pincus mettait au point le pre-
pays surpeuplés, dont l’Inde britannique ou mier contraceptif oral, la « pilule », dont la fabri-
cation et la commercialisation ne commença
(*) Population et Sociétés a traité de la conférence de Bucarest véritablement qu’après 1960. La notion de crois-
dans son n° 73, octobre 1974, de celle de Mexico dans son
n° 184, octobre 1984. Une notice nécrologique de M. Rafaël sance démographique rapide (souvent dite « ex -
Salas est parue dans le n° 212, avril 1987. plosion ») se substituait peu à peu à celle de

Sommaire
Editorial : Les Conférences mondiales sur la population
• De Rome à Belgrade.........................................................................................................................................................1
• Le Plan mondiale d'action ...............................................................................................................................................2
• Coopérer pour quoi et pour qui ?....................................................................................................................................3
Annonces et publicités.......................................................................................................................................................4
surpopulation. En 1962, la Suède annonça qu’elle Directeur du FNUAP fut le Philippin Rafael
allait inclure la planification des naissances dans Salas. De 5 millions de dollars en 1969, le budget
les programmes de population qu’elle finançait. annuel du FNUAP est passé aujourd'hui à 240
En février 1965, la Commission de la population millions.
de l’O.N.U. endossait pour la première fois l’idée En décembre 1970, l’Assemblée générale décida
d’une assistance, aux pays qui la demandaient, que la Conférence mondiale de 1974 à Bucarest
sur les problèmes de population, y compris pour serait une réunion de gouvernements et non plus
le planning familial. Une nouvelle Conférence d’experts. La préparation scientifique et politique
d’experts fut convoquée en 1965 à Belgrade. A la de la Conférence fut confiée à la Division de la
séance inaugurale, le Français Philippe de Population, qui mit en chantier, comme la Confé-
Seynes, Sous-Secrétaire général en charge des rence de Stockholm de 1972 sur l’environne-
questions économiques et sociales, déclara que ment, un « Plan mondial d’action ».
les Nations Unies étaient prêtes à répondre à tou- La conférence de Bucarest se tint peu après le
te demande d’aide, sans que la neutralité de l’Or- « premier choc pétrolier ». Le « Nouvel Ordre
ganisation en soit affectée. Economique international » réclamait une ample
Le Plan mondial d’action redistribution mondiale des ressources. L’Algérie
L’époque de ce tournant dans les formes d’action et l’Argentine conduisirent une offensive contre
démographique des Nations Unies fut aussi celle le projet de Plan d’action, jugé malthusien et ins-
du retournement du taux de la croissance démo- piré par l’hégémonisme anglo-saxon. Les pays
graphique mondiale, passant par un maximum asiatiques, dont la Chine, qui pratiquaient déjà la
autour de 2,0% par an. L’idée que la croissance limitation des naissances, faisaient figure de
démographique influençait négativement le pro- « majorité silencieuse ».
grès économique fut relayée par le Club de Rome Le Plan profondément remanié fut finalement
et par le Hollandais Sicco Mansholt, Président de adopté par consensus, à l’exception du Vatican.
la Commission de Bruxelles, qui visaient tant la Selon sa philosophie, les variables démogra-
croissance économique des pays riches que la phiques étaient dépendantes du développement et
croissance démographique des pays pauvres. de la justice sociale (« le développement est le
En décembre 1966, douze chefs de gouvernement meilleur contraceptif »). La régulation des nais-
(Colombie, Inde, Malaisie, Népal, Singapour, sances était associée au bien-être familial, et la
Corée du Sud, Maroc, Tunisie, Egypte, Lybie, contraception à la protection maternelle et infan-
Syrie), auxquels s'étaient joints ceux de Suède et tile, à l’éducation des femmes, à la réglementa-
Finlande, avaient signé une « Déclaration sur la tion de l’âge au mariage. Nulle mention de
population », selon laquelle « les couples doi - l’avortement.
vent avoir la possibilité de planifier leur famille La Conférence de Bucarest légitimait la notion de
et de disposer des moyens et des connaissances à « politique démographique ». Certains pays – no-
cet effet ». C’était le signe d’un changement d’at- tamment en Amérique latine – modifièrent leur
titude dans le Tiers Monde. L’Argentin Raùl Constitution pour y intégrer le droit des per-
Prebisch, économiste faisant autorité sur les sonnes à choisir librement le nombre et l’espace-
questions de développement, s’élevait en 1970 ment des naissances, d’autres affichèrent des
contre « l’incapacité des systèmes économiques à objectifs chiffrés, comme le Mexique qui se fixa
absorber l’accroissement extraordinaire de la de faire baisser son taux de croissance démogra-
force de travail qui résulte… de l’accroissement phique de 3,2% par an en 1976 à 1% à la fin du
de la population commencée 15 à 20 ans aupara - siècle. Plus tard, l’Algérie se rallia à la nécessité
vant. » de « la maîtrise de la croissance démogra-
Le Secrétaire général, le Birman U Thant, décida phique ». Aujourd’hui même l’Iran a adopté un
alors de créer une institution spécialisée. Ce fut le programme de planification familiale en partie fi-
« Fonds des Nations Unies pour les Activités en nancé par le FNUAP.
matière de Population » (FNUAP), aujourd’hui Une Conférence de parlementaires sur la popula-
« pour la Population » tout court, avec le même tion et le développement se tint à Colombo (Sri
sigle (UNFPA en anglais). Le financement de ce Lanka) en septembre 1979. De ton beaucoup plus
Fonds était volontaire et son administration spontané que les conférences gouvernementales,
confiée au PNUD, Programme des Nations Unies elle souhaita une meilleure couverture des pro-
pour le Développement, consortium de pays blèmes de population par les media, ce qui
donateurs et de pays bénéficiaires, toujours prési- engagea le FNUAP à publier annuellement
dé par un Américain. Le fondateur et premier « L’Etat de la population du monde ». Elle

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innova en demandant aux leaders religieux d’œu- Le projet de « Programme mondial d’action »,
vrer dans le domaine. plus élaboré qu’à Bucarest et Mexico, traite des
Décidée en 1981, une nouvelle Conférence mon- sujets suivants : développement durable, pauvre-
diale se tint à Mexico en août 1984, dont le Se- té, environnement, condition féminine, responsa-
crétaire général était M. Rafaël Salas. On bilité et participation du sexe masculin,
commençait alors à percevoir la décélération de adolescents et jeunes, vieillissement, populations
la croissance démographique de nombreux pays, indigènes, mortalité maternelle, sida.
avec des combinaisons variées de croissance du Pour accroître l’utilisation de la contraception, la
niveau de vie et de programmes de planning fa- Conférence devra chercher à mobiliser des res-
milial. L’écart s’accroissait entre les pays, surtout sources nouvelles et à en optimiser l’utilisation.
asiatiques, qui s’intégraient au système mondial Mais la régulation des naissances n’épuise pas les
d’échanges, et ceux, notamment dans l’Afrique problèmes. Le vieillissement n’est désormais
subsaharienne, qui s’enfonçaient dans la paupéri- plus le lot des seuls pays riches, et devra être trai-
sation. L’administration Reagan, hostile aux in- té avec suffisamment d’anticipation. La croissan-
terventions planificatrices des Etats, supprimait ce urbaine démesurée dépasse les capacités de
la contribution américaine au FNUAP, accusé de gestion des villes du Tiers Monde. Les questions
financer l’avortement en Chine. de santé demeurent préoccupantes. L’émergence
Les pays européens commençaient timidement à du sida donne l’impression de la ressurgence des
attirer l’attention sur leurs propres problèmes dé- vieilles épidémies du passé. Et on ne parvient
mographiques, vieillissement, dénatalité, et mi- toujours pas à éradiquer des maladies anciennes,
grations internationales. A Bucarest encore, le comme le paludisme, qui font des millions de dé-
Plan d’action recommandait de faciliter « les cès annuels. L’avortement est mentionné dans le
mouvements de migrations volontaires » ; à pré-projet de préambule, qui en estime le nombre
Mexico, seulement « la réunification des familles à 50 millions par an (à comparer à 140 millions
de travailleurs migrants ». de naissances), « dont beaucoup réalisés dans de
Une vive discussion eut lieu sur l’avortement, mauvaises conditions de santé ».
mais le mot ne figura toujours pas dans le docu- Les migrations internationales pourraient susciter
ment final de la Conférence. On traita cependant les plus chaudes discussions, avec la fermeture
plus en détail de la condition des femmes, de la des frontières des pays riches. Faut-il relier cette
morbidité et de la mortalité. Les 88 recomanda- question à celle des transferts de technologies et
tions furent adoptées par acclamation, seul le de ressources auxquels obligent les liens entre
Saint-Siège faisant connaître à nouveau son op- population et dégradation de l’environnement?
position à la reconnaissance de « droits des indi - La montée en puissance économique de nombre
vidus, en particulier les adolescents non mariés, de pays asiatiques et latino-américains, contras-
en matière de rapports sexuels et de procréation, tant avec la paupérisation de l’Afrique, devrait
droits qui sont la prérogative des seuls couples requérir l’attention, et remettre en selle la coopé-
mariés ». ration Sud-Sud, jusqu’ici à peu près inexistante,
en complément de la coopération Nord-Sud.
Coopérer pour quoi et pour qui ?
La Conférence du Caire sera utile si elle fait
La Conférence du Caire a été préparée, comme avancer, si peu que ce soit, la solidarité interna-
les deux conférences précédentes, par des tionale. Les pays industriels, anciens et « nou-
groupes thématiques d’experts et par des confé- veaux », doivent s’attacher sérieusement aux
rences régionales préparatoires. Elle s’inspire problèmes de l’Afrique, en voie simultanée d’ur-
aussi du : banisation et de désertification galopantes, et en
— « Forum international sur la population à la butte à toutes sortes de dégradations alimentaire,
veille du 21ème siècle » ( Amsterdam 1989) qui sanitaire, écologique…
produisit une « Déclaration pour une meilleure Il est question d’ériger le FNUAP en institution
vie des générations à venir », très engagée sur le spécialisée pour la population, comme par
plan de la coopération internationale ; exemple la F.A.O. pour l’alimentation et l’agri-
— et de la « Commission Bruntland sur l’Envi - culture. La place à donner aux questions de popu-
ronnement et le Développement », établie en vue lation dans les débats politiques internationaux,
de la Conférence de Rio de Janeiro de 1992, qui a notamment par rapport aux questions d’environ-
défini le « développement durable », référence nement, pourrait bien être l’enjeu principal de la
désormais obligée des réunions internationales Conférence du Caire.
sur le développement à long terme. Léon TABAH

3
Célébration du tricentenaire de la naissance de A P A R A I T R E P R O CH A I NE M E NT

FRANÇOIS QUESNAY Recherches et Considérations


sur la population de la France
Médecin et physiocrate (1778)
(1694 - 1774)
par
M. MOHEAU

Réédition annotée par


Eric VILQUIN

Avec les contributions de


C.L. Behar, P. Bourcier de Carbon, A.M. Bourget,
E. Brian, B. Bru, J. Dupâquier, H. Hasquin, R. Le Mée

A PARIS
AL'INSTITUTNATIONALD'ÉTUDESDÉMOGRAPHIQUES

Colloque international 1994

Du 1er au 4 juin 1994


Versailles CONDORCET
Arithmétique politique
Renseignements, programmes et inscriptions : Textes rares ou inédits
INED - Christine Théré - (1768-1789)
Pierre Crepel et Bernard Bru, éd.
Tél.: (33-1) 42.18.21.84

Travaux et Documents
Cahier n° 133
Politiques de développement
et croissance démographique rapide
Jean BOURGEOIS-PICHAT
en Afrique
Rédacteur en chef : Patrick FESTY Édité par
Jean-Claude Chasteland
LA DYNAMIQUE Jacques Véron et
Magali Barbieri
AU SOMMAIRE DU N° 1 / 1994 DES POPULATIONS
Populations stables, semi-stables, quasi-stables
• Du groupe à l'individu : l'exemple des comportements Préface de Georges TAPINOS
migratoires - Daniel COURGEAU
• Formation de couples et fécondité hors mariage en
Grande-Bretagne - Eva LELIEVRE
• Dénatalité et marché matrimonial. Le cas de l'Italie en
1930-1950 - Françoise BARTIAUX CONGRÈS ET COLLOQUES
• Estimation de la mortalité au Bénin à partir d'une enquête N°13
à passages répétés - H. Martin LAOUROU Institut National d'Études Démographiques
Avec le concours du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche - DISTB
Institut National d'Études Démographiques
Centre Français sur la Population et le Développement
• La consanguinité, révélateur de la structure de la popula- puf puf
tion. L'exemple de la Valserine du XVIIIe siècle à nos
jours - Alain B IDEAU , Guy BRUNET , Evelyne H EYER et
Henri P LAUCHU
• Chronique de l'immigration
par Michèle TRIBALAT numéros spéciaux :
Notes et Documents :
• L'imprévisible fécondité égyptienne - Youssef COURBAGE Numéro 5 / 1993
• Le rôle du coroner et son influence et son influence sur SEXUALITÉ ET SCIENCES SOCIALES
les statistiques du suicide dans les îles britanniques -
Didier L ASSALLE Numéro 6 / 1993
• La population de la Palestine - Youssef COURBAGE LA FRANCE AU RECENSEMENT DE 1990

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