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LES TEXTES ÉCONOMIQUES PARLENT-ILS D'EUX-MÊMES ?

QUELQUES
RÉFLEXIONS SUR LE BILAN ET LES ENJEUX DE L'ÉDITION INED 2005
DES ŒUVRES DE QUESNAY

Christine Théré et Loïc Charles


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L'Harmattan | « Cahiers d'économie Politique / Papers in Political Economy »

2009/2 n° 57 | pages 67 à 100


ISSN 0154-8344
ISBN 9782296110519
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-cahiers-d-economie-politique-2009-2-page-67.htm
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LES TEXTES ÉCONOMIQUES PARLENT-ILS D'EUX-MÊMES ?
QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LE BILAN ET LES ENJEUX
DE L'ÉDITION INED 2005 DES ŒUVRES DE QUESNAY*

Christine THÉRÉ** et Loïc CHARLES***


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Résumé :
S’appuyant sur les apports historiographiques de l’édition INED 2005 des œuvres de
Quesnay, l’article évoque les enjeux historiques et analytiques que recouvre le travail
d’édition pour l’historien de la pensée économique. Les auteurs arguent que le travail
d’édition peut s’avérer une étape majeure dans le processus d’interprétation des textes. La
valeur heuristique du travail d’édition est illustrée par l’analyse d’un court texte inédit de
Quesnay. Sa mise en contexte permet de revisiter la théorie du surplus de Quesnay et aboutit
à remettre en cause l’interprétation habituelle de la théorie du "produit net" de Quesnay.

Abstract: Do Economic Texts Speak for Themselves? Putting the 2005 Edition of
Quesnay's Economic Writings in Perspective for the Historian of Economic Thought
Starting from the historiographical contribution of Quesnay’s works edition INED 2005, the
article shows the historical and analytical issues that editing raises for the historian of
economic thought. The authors argue that editing can be a major stage in the work of
interpretation. The heuristic value of editorial work is illustrated by the nanlysis of a brief
unpublished text of Quesnay. Contextualizing this piece allow us to re-examine Quesnay’s
theory of surplus and to call into question the usual interpretation of Quesnay’s theory of net
product.

Mots-clefs : Quesnay, François ; Physiocratie ; Tableau économique ; produit net ; théorie


du surplus

Keywords: Quesnay, François ; Physiocracy ; Tableau économique ; net product ; theory of


surplus

Classification du JEL : B 1

*
N’ayant pu participer au colloque "Editer des textes économiques", Jean-Claude Perrot a néanmoins
donné son imprimatur à ce texte, issu de notre communication. Toutefois, le "nous" n’engage ici que
les deux auteurs. Nous remercions Nicolas Rieucau pour ses suggestions et corrections.
**
INED, courriel : ch_there@ined. fr.
***
EconomiX et INED, courriel : charles@ined. fr.

Cahiers d'économie politique, n°57, L'Harmattan, 2009, pp. 67-100.


Christine Théré et Loïc Charles

"EDITEUR, s. m. (Belles-Lett.) on donne ce nom à un homme de Lettres qui veut bien


prendre le soin de publier les ouvrages d'un autre. […] Il y a deux qualités essentielles à un
éditeur ; c'est de bien entendre la langue dans laquelle l'ouvrage est écrit, & d'être
suffisamment instruit de la matiere qu'on y traite", Diderot, in Diderot et d’Alembert (éd.),
Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences et des arts. Paris, Briasson, 1751-1765.

Introduction

Comme nous le rappelle Diderot, le premier "éditeur" de Quesnay, publier les


manuscrits d’un économiste du siècle des Lumières requiert la maîtrise d’une
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langue, la connaissance de méthodes et de pratiques savantes qui nous sont
aujourd’hui en partie étrangères. Editer les Œuvres économiques complètes de
François Quesnay et autres textes ne fut donc pas un exercice aisé. L’ouvrage
imprimé porte la trace indélébile des circonstances qui ont prévalu dans sa
réalisation. Le projet d’une nouvelle édition des écrits de Quesnay est né au début
des années 1990, lors de l’organisation du colloque du Tricentenaire de la naissance
de l’auteur, qui s’était tenu à Versailles en juin 1994. Emporté par l’enthousiasme
des participants, l’INED s’était alors engagé à le réaliser. Au départ, il n’était guère
question que de réimprimer l’édition de 1958, François Quesnay et la physiocratie,
en y ajoutant les documents – en particulier la fameuse troisième édition du Tableau
économique – mis au jour par les spécialistes de la physiocratie depuis la parution
initiale. La liste de ces ajouts était à l’origine relativement courte. Les années
passant, elle s’allongea peu à peu au point qu’au commencement du nouveau
millénaire décision fut prise d’abandonner le projet initial et de préparer une édition
entièrement refondue qui ne garderait qu’une parenté assez lointaine avec celle de
19581.

Sur quelle base s’est effectuée cette refonte ? Les éditeurs ont conçu cette
nouvelle édition, au-delà de la simple mise à disposition des textes de Quesnay,
comme un outil de recherche pour les historiens. Cette expression a priori banale,
car toute édition de textes d’auteurs appartenant au passé peut la revendiquer,
recouvre un projet éditorial qui s’est organisé dans tous ses aspects à partir de ce
critère. La mise en œuvre d’un tel projet nous a imposé de composer avec
l’ambiguïté née du cumul des rôles des trois éditeurs. D’une part, nous
revendiquons une objectivité débarrassée de nos vanités de commentateurs de
l’œuvre de Quesnay, objectivité qui devait présider aux choix des textes, à leur
établissement, aux annotations, suivant ainsi l’injonction de Diderot. Mais, d’autre
part, nous sommes convaincus que le travail d’édition recèle des enjeux majeurs
pour l’interprétation tant historique qu’analytique des textes ainsi édités. Toutefois,

1. La biographie de François Quesnay et la bibliographie commentée des sources primaires et


secondaires établies par Jacqueline Hecht, qui ont été conservées, témoignent de cette parenté.

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Les textes économiques parlent-ils d’eux-mêmes ?

la contradiction est plus apparente que réelle et elle renvoie en fait à une vision des
rapports entre édition et histoire de la pensée qui nous semble anachronique2.

L’œuvre économique de François Quesnay est, de ce point de vue, un cas


d’école pour plusieurs raisons. Non seulement le Docteur a recours, comme la
plupart de ses contemporains, à l’anonymat et au pseudonyme, mais aussi et surtout
Quesnay développe avec plusieurs de ses disciples (Butré, Du Pont [de Nemours],
Le Mercier de la Rivière et le marquis de Mirabeau) des collaborations
particulièrement étroites qui débouchent sur la publication d’ouvrages écrits à
quatre, voire à six mains, pour lesquels sa propre contribution reste encore
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aujourd’hui mal identifiée par les commentateurs. En effet, l’unité matérielle
apparente des textes imprimés et publiés sous le couvert de l’Ami des hommes (le
marquis de Mirabeau) entre 1757 et 17743 masque le dialogue qui s’est instauré
entre le vieux maître et son enthousiaste disciple à l’occasion des réécritures
successives, et qui laisse çà et là poindre des divergences. Le Marquis critique par
exemple l’usage systématique que le Docteur fait des calculs alors que ce dernier
fustige les préventions de son disciple sur ce point (C. Théré et L. Charles 2008, pp.
19-20). Si, dans cet exemple, le point de vue de Quesnay prévaut exclusivement
dans l’imprimé, ce n’est pas toujours le cas4. Il peut donc s’avérer difficile, voire
critiquable, d’adopter une grille de lecture unique pour des textes dont la
composition n’a pas été univoque. Dans l’imprimé, ce dialogue, lorsqu’il n’a pas
débouché sur un consensus entre les deux auteurs, altère l’unité d’un texte où
plusieurs points de vue subsistent parfois, et il peut le rendre, sinon confus, pour le
moins difficile à interpréter sans ambiguïté. L’étude des versions manuscrites
permet au contraire de restituer précisément les paroles des uns et des autres et les
différences qui ont existé entre Quesnay et ses collaborateurs. Ce faisant, l’éditeur
se fait, sans même l’avoir voulu et avant même d’en avoir pris conscience, historien
de la pensée de François Quesnay et de ses collaborateurs : comment pourrait-il, en
effet, rendre compte de la part de l’un ou des autres à leurs ouvrages communs sans
avoir au préalable distingué, ne serait-ce qu’imparfaitement, ce qui relève de la
pensée de l’un de celle des autres ?

Le plan que nous allons suivre découle de ces quelques remarques


introductives. Dans une première partie, nous reviendrons sur la manière dont nous
avons effectué notre travail d’éditeur : quelles ont été les difficultés rencontrées et

2. En 1992, dans un texte important consacré à la méthodologie de l’histoire de la pensée économique,


P. Dockès et J. M. Servet avertissaient déjà : "en amont du travail de lecture et d’interprétation des
textes, se situe une nécessaire mise au point préalable de ceux-ci. Un travail d’édition de textes anciens
est en partie celui de tout historien […] trop d’historiens de la pensée économique ont tendance à
rester en aval de ces questions primordiales", dans P. Bridel (1992, p. 350).
3. Les textes de Mirabeau de cette époque, à l’exception de la Théorie de l’impôt et de la Philosophie
rurale, sont signés "L. D. H. "
4. Dans les notes du texte édité ci-dessous, nous mentionnons également quelques exemples de
passages réécrits par Mirabeau qui contredisent le propos de Quesnay.

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Christine Théré et Loïc Charles

(pour partie au moins) surmontées, les critères qui ont prévalu au moment du choix
des textes et la forme particulière de publication retenue. Dans une seconde partie,
nous prendrons prétexte d’un court texte publié en annexe pour montrer les enjeux
tant historiques qu’analytiques que recouvre le travail d’édition pour l’historien de
la pensée économique. L’argument que nous défendrons, et qui passera peut-être
pour iconoclaste aux yeux de nos collègues, est que le travail d’édition, par la
méticulosité et la rigueur qu’il implique pour le chercheur, représente une étape
majeure dans le travail d’interprétation. Pour le dire autrement, alors que
l’économiste ou l’historien de la pensée conçoit généralement le travail d’édition
comme une excroissance de son activité d’interprétation des textes de "son" ou
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(plus rarement) de "ses" auteurs, nous concevons, à l’inverse, notre travail
d’interprétation de Quesnay et de l’école physiocrate comme une continuation –
nous serions tentés de dire logique – de notre travail comme éditeurs des textes de
François Quesnay.

1. Les apports historiographiques de l’édition 20055

Depuis 1958, aucune publication n’avait proposé une vision d’ensemble de la


pensée de Quesnay et fait la synthèse des recherches menées depuis un demi-siècle.
Ce travail de synthèse, conjugué aux difficultés éditoriales liées à la complexité du
corpus de l’économiste, nous a conduits à nous interroger sur la nature même de son
œuvre. Fallait-il par exemple publier ses seuls textes économiques ou bien proposer
un corpus élargi à ses écrits philosophiques, politiques, mathématiques, voire
médicaux ? Et selon quels critères, sachant que les frontières de ces disciplines ont
été largement redessinées depuis le XVIIIe siècle ? Ainsi, pour prendre un exemple,
Quesnay et ses contemporains considéraient que le droit naturel était constitutif de
la "science nouvelle" qu’ils élaboraient, cela n’est plus vrai aujourd’hui.

Nous avons accordé la priorité à la contribution économique du Docteur. Ceci


nous a amenés à laisser de côté la plupart des ouvrages de médecine et de géométrie
qui encadrent chronologiquement la carrière d’auteur économique de François
Quesnay. Cependant, nous avons estimé nécessaire d’intégrer plusieurs textes qui
relèveraient aujourd’hui d’autres champs du savoir, comme le Despotisme de la
Chine ou un long extrait de l’Essai phisique sur l’œconomie animale (traité de
médecine). Les liens étroits qui unissent, d’une part, la théorie politique du
physiocrate à sa pensée économique, et de l’autre, sa théorie de la connaissance à sa
conception des déterminants du comportement social, justifient leur publication6.

5. Dans cette section, nous nous appuyons sur l’ "Introduction des éditeurs" de l’édition INED 2005
(pp. x-xxix).
6. L’importance de ces deux aspects pour l’œuvre économique de Quesnay a été récemment soulignée.
Cf. en particulier P. Steiner (1998) et L. Charles et P. Steiner (1999).

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Les textes économiques parlent-ils d’eux-mêmes ?

Partant, comme nous l’avons indiqué plus haut, de l’édition de 1958, la


première tâche qui nous incombait était de revenir au texte original et de vérifier
systématiquement les variantes, s’il en existait, des divers manuscrits (originaux et
copies) et des versions publiées du vivant de Quesnay. Si ce travail, parfois
fastidieux, a dans l’ensemble engendré des modifications assez marginales des
textes eux-mêmes – à quelques exceptions près –, il s’est avéré que plusieurs écrits
significatifs étaient concernés et que ces modifications fournissaient de précieuses
informations sur le contexte d’écriture de ces textes7. Ainsi plusieurs de ces écrits
ont donné lieu à deux versions du vivant de Quesnay. Les mieux connus sont les
cinq articles publiés en 1765-1766 dans le Journal de l’agriculture, du commerce et
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des finances et repris ensuite dans le recueil Physiocratie (1767) édité par son jeune
disciple, Du Pont. Leur seconde édition comporte, dans son ensemble, des variantes
significatives. Pour quatre d’entre eux, la taille et le nombre des modifications nous
ont conduits à publier les deux versions8. Elles apportent des nuances intéressantes
quant à l’évolution de la pensée de François Quesnay au cours de ces années qui
virent la constitution de l’école physiocratique, comme cela a été noté dans le cas de
"Droit naturel" (L. Charles et P. Steiner 1999, pp. 97-99). Toutefois, pour l’un de
ces textes, "Problème économique", les changements sont peu étendus et nous
avons simplement repris le texte de Physiocratie, en indiquant les variantes dans les
notes. Nos investigations ont permis de mettre au jour d’autres variantes, connues
des seuls spécialistes de l’Encyclopédie9, dans le cas de l’article "Fermiers" (1756),
ou qui n’avaient jamais été relevées, dans le cas des "Questions intéressantes sur la
population, l’agriculture et le commerce" publiées dans la quatrième partie de
L’Ami des hommes (1758).

Ces variantes sont intéressantes par ce qu’elles nous apprennent sur le


fonctionnement de l’édition au siècle des Lumières. Dans les deux cas, la présence
de variantes s’explique partie pour des raisons de censure, partie pour des raisons
techniques, et la plupart d’entre elles concernent la question politiquement délicate

7. Une partie du corpus échappe à ces révisions pour une raison simple : il n’existe qu’une seule
version princeps de ces textes. Dans cette catégorie entrent notamment les articles "Évidence" et
"Grains" imprimés dans les tomes VI et VII de l’Encyclopédie, les textes publiés dans le Journal de
l’agriculture, du commerce et des finances et dans les Ephémérides du citoyen, à l’exclusion des cinq
articles réédités dans Physiocratie, ou encore "Impôt" pour lequel il n’existe qu’un unique manuscrit.
Pour certains d’entre eux ("Impôts" et dans une moindre mesure "Grains"), nous avons néanmoins
corrigé quelques coquilles ou erreurs de transcription présentes dans certaines des éditions
précédentes. Pour plus de précisions, nous renvoyons les lecteurs à l’introduction de l’édition Quesnay
(INED 2005, p. ix-xxix).
8. "Observations sur le droit naturel des hommes réunis en société" ; "Analyse de la Formule
arithmétique du Tableau économique" ; "Lettre de M. N. … au sujet de l’objection qui lui a été faite
par M. H. … relativement à la productibilité du commerce et de l’industrie" ; "Second dialogue entre
M. N. et M. H. … sur les véritables propriétés du commerce et de l’industrie".
9. Comme d’autres articles de l’Encyclopédie, "Fermiers" a été modifié sur épreuves. L’exemplaire de
l’Encyclopédie déposé au Allegheny College (Oxford, UK) comporte le texte original de l’article de
Quesnay. Ces variantes ont été publiées in R. N. Schwab, W. E. Rex et J. Lough (1971, pp. 139-144).

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Christine Théré et Loïc Charles

des impôts10. Dans les deux cas aussi, les variantes textuelles concernent non pas des
éditions différentes, mais des copies d’une même édition auxquelles, dans certains
cas, l’imprimeur ou le libraire a ajouté des cartons11. Leur existence nous rappelle le
caractère fondamentalement artisanal de l’édition au siècle des Lumières, ainsi que
la complexité du jeu entre auteurs, censure et éditeurs. En effet, la plupart du temps,
le libraire-éditeur faisait imprimer un certain nombre d’exemplaires (quelques
dizaines, parfois plus) d’un texte avant d’en soumettre quelques-uns au censeur. Si
ce dernier trouvait à redire sur certains passages, le libraire supprimait les pages à
censurer, puis faisait imprimer de nouvelles pages avec un texte corrigé, le plus
souvent par l’auteur lui-même. Mais généralement un certain nombre d’exemplaires
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non censurés avaient déjà été distribués par l’auteur à ses amis et connaissances12.
Par ailleurs, il arrivait que l’auteur profitât du répit offert par la censure pour
réécrire certains passages, occasionnant alors de nouveaux cartons. Souvent, une
partie de l’édition avait déjà été vendue à d’autres libraires ou à des particuliers sans
ces nouveaux cartons. Ainsi il n’existe pas une seule version, mais plusieurs
versions du texte de l’édition originale, et le texte initial, non cartonné, ne subsiste
souvent que sur quelques copies très rares, lorsqu’il subsiste encore13.

Autre texte pour lequel nous avons pu retrouver un original avec des variantes
par rapport à la version canonique : le Despotisme de la Chine. S’il n’en existe
qu’une seule version imprimée, parue en 1767 dans les Ephémérides du citoyen, au
moins deux versions manuscrites subsistent. L’une d’entre elles est conservée dans
le fonds Du Pont de Nemours à la Historical Mills Library du Hagley Museum14. Ce

10. Pour plus de détails à ce sujet, voir INED 2005, p. 127-128, 331, 347, 381 et 386-387.
11. C’est-à-dire que la page initiale a été coupée entièrement, à l’exception d’une bande de papier
vierge près de la reliure, puis on lui a substitué une nouvelle page réimprimée, contenant le texte
corrigé, et qui a été collée à cette bande de papier. Dans tous les cas que nous avons repérés, les
cartons sont marqués par une étoile d’imprimerie "*" qui n’existe pas sur la page initiale. Notons que
dans un cas au moins, ce n’est pas seulement une page mais une feuille entière (c’est-à-dire plusieurs
pages d’un seul tenant) qui a été ainsi modifiée.
12. Le Marquis de Mirabeau refusait d’être rémunéré comme auteur, mais ses libraires-éditeurs,
Chaubert et Hérissant, lui garantissaient un certain nombre d’exemplaires gratis (le nombre nous est
inconnu) qu’il distribuait à ses amis et connaissances. Ainsi l’exemplaire non-censuré de l’Ami des
Hommes détenu par J.-C. Perrot est un envoi de l’auteur au parlementaire et académicien provincial
Bouhier.
13. En ce qui concerne le volume Physiocratie, qui lui aussi a été "cartonné" pour des raisons de
censure, nous ne sommes pas, à ce jour, parvenus à mettre la main sur un exemplaire non censuré.
Nous avons simplement pu identifier les pages modifiées (ornées d’une étoile dans l’exemplaire de la
Bibliothèque Nationale) : Quesnay (1768-1767, vol. I, pp. xcvii-xcviii, 21-22, 103-04 ; vol. II, pp. 199-
202). Nous avons pu également constater certaines variantes – qui concernent l’introduction de Du
Pont – à partir d’un des exemplaires conservés au Hagley Museum (Wilmington, E.U.). Voir à ce sujet
L. Charles, J. C. Perrot et C. Théré (2009).
14. The Winterthur manuscripts, Group 2, Series E, n°69. L’autre manuscrit du Despotisme de la
Chine (311 p. in-folio) dont nous connaissons l’existence faisait partie de la collection Pierre Quesnay.
Il a été vendu lors d’une enchère publique qui s’est tenue à l’Hôtel des ventes de Rouen, le 25 juin
1987, et nous n’avons pu retrouver son actuel propriétaire ni donc consulter le manuscrit. D’après le

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Les textes économiques parlent-ils d’eux-mêmes ?

manuscrit, que nous avons publié, présente des différences importantes, tant en
volume qu’en contenu, en comparaison du texte imprimé dans les Ephémérides :
plusieurs passages ne figurent pas dans l’imprimé, l’ordre du texte a été altéré, et
toutes les notes ont été supprimées. Ces changements apportent un éclairage
nouveau et indispensable sur le Despotisme de la Chine. Dans une note très
importante du premier chapitre de la version manuscrite (qui devient le chapitre
VIII dans l’imprimé), Quesnay annonçait à son lecteur que la majeure partie de son
texte était tirée d’autres ouvrages, partie qui était, dans la suite du manuscrit,
clairement distinguée de ses propres interventions. Dans la version imprimée, il
n’est plus possible de distinguer ce qui est emprunté de ce qui est rédigé par
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Quesnay15. De plus, le manuscrit confirme pleinement la primauté de ce chapitre
introductif qui a été reporté à la fin de l’ouvrage dans l’imprimé. Ce chapitre est
non seulement placé en tête dans le manuscrit mais, de plus, il n’est pas paginé,
contrairement au reste du texte. Par ailleurs, on notera que les allusions à la Chine
sont très rares dans la version manuscrite de ce chapitre, ce qui renforce son statut
de texte générique sur la théorie du bon gouvernement. Le manuscrit montre bien
que les six chapitres plus descriptifs (qui le suivent dans cette version) avaient pour
objet d’exposer une preuve historique d’"application" (c’est le mot de Du Pont) de
cette théorie : le fait qu’ils aient été copiés, pour l’essentiel, à partir d’autres
sources, bien loin de diminuer l’impact du texte le renforce au contraire aux yeux de
Quesnay, puisqu’il atteste du caractère non utopique de son projet politique (INED
2005, pp. 1005-1008). La version imprimée est à tout point de vue bien plus
confuse, ce qui a jeté le discrédit sur ce texte majeur : les chapitres illustratifs sont
désormais avant le chapitre théorique, les emprunts ne sont plus signifiés de
manière précise ni même tous avoués. Il est difficile de connaître l’origine de ces
modifications significatives dans le passage du manuscrit à l’imprimé. Faut-il
incriminer Baudeau qui dirigeait alors les Éphémérides, et dont Mirabeau écrira
plus tard que "le vénérable docteur le craignoit beaucoup pour ses hérésies", pour ce
malheureux travail d’édition16 ? Quesnay en est-il lui-même l’instigateur et en ce
cas, dans quelles circonstances et selon quels motifs17 ?

Par ailleurs, une longue tradition érudite peut nous faire oublier que l’auteur ne
reconnut publiquement aucun de ses écrits. François Quesnay économiste n’existait
donc pas pour ses premiers lecteurs. Cette discrétion était ordinaire en un siècle où

catalogue de l’exposition qui en reproduit la première page, il semblerait qu’il soit de la main du
même copiste que celui du Hagley Museum.
15. C’est ce qui explique que l’historien A. Maffei (1973) ait qualifié ce texte de "plagiat". La version
manuscrite montre pourtant que Quesnay n’avait pas eu l’intention de tromper son lecteur sur la
quantité et la nature de ses emprunts à d’autres écrits.
16. Mirabeau à Butré, lettre du 16 déc. 1777, in "Suite de la correspondance de l’année 1777",
Bibliothèque de l’Arsenal, ms 12101, f. 12.
17. On pense ici bien évidemment au rôle qu’a pu jouer la censure, même s’il est difficile de deviner a
priori ce qu’elle aurait pu trouver à redire dans ce texte. Pour répondre au moins partiellement à ces
questions, il serait bien évidemment intéressant de pouvoir consulter le second manuscrit du
Despotisme de la Chine.

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Christine Théré et Loïc Charles

les écrits politiques subissaient la censure. Une telle pratique engendre bien des
écueils pour l’éditeur moderne. Il y a quelques années, R. Zapperi (1988 [1971])
recensait un certain nombre de textes dont il attribuait la rédaction à Quesnay. Des
six articles qu’il mentionnait alors, un seul résiste à un examen approfondi. Paru
dans le tome XI des Ephémérides du citoyen de 1769, c’est un ajout intéressant,
moins par son contenu, que parce qu’il nous signale que le Docteur se mêlait
toujours d’économie politique au début de 177018. Par ailleurs, R. Zapperi (1988
[1971]) et E. Fox-Genovese (1976) ont attribué à Quesnay une participation à deux
écrits de Mirabeau, soit respectivement le Supplément à la Théorie de l’impôt (paru
en 1776) et le Mémoire sur les Etats Provinciaux (1755). Comme nous l’avons
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montré (INED 2005, pp. XXII, 1234-1235), il n’en est rien : Mirabeau a commencé la
rédaction du premier après la mort de son maître, le second texte avait été publié
avant leur rencontre. Etant donné que les relations entre Quesnay et son plus célèbre
disciple structurent l’interprétation de la physiocratie, aujourd’hui classique, de
l’historienne américaine, ces révisions sont significatives19.

Les rapports entretenus par Quesnay et ses collaborateurs, tout particulièrement


Mirabeau, et la manière dont ces deux auteurs ont travaillé ensemble pendant plus
d’une dizaine d’années, ont été les questions les plus difficiles à résoudre dans le
cadre d’une édition qui se vouait à la seule œuvre de François Quesnay. En effet,
comment faire la part de la contribution de Quesnay et de ses coauteurs ? Le produit
fini imprimé ne le dit jamais, seul le manuscrit, avec ses ratures, ses ajouts, ses
approbations ou ses remontrances, nous le révèle. Or, si Quesnay a souvent
participé à la rédaction d’ouvrages que nous attribuons aujourd’hui à ses
collaborateurs, Du Pont, Le Mercier de la Rivière, Mirabeau, Pattullo, seuls les
manuscrits auxquels le Marquis de Mirabeau fut lié nous sont, pour partie,
parvenus. Ainsi, malgré les témoignages de Du Pont et de Mirabeau, on ne peut
établir précisément la part exacte de Quesnay à De l’exportation et de l’importation
des grains (1764) et à l’Ordre naturel et essentiel des sociétés politiques (1767)20.
Nous sommes un peu mieux renseignés sur les interventions du Docteur dans
l’Essai sur l’amélioration des terres (1758) de Pattullo (L. Charles 2000). Mais
c’est uniquement dans le cas de la collaboration qui s’instaure entre François

18. "Comparaison des revenus des terres à la fin du seizième siècle, et de ceux d’aujourd’hui par M.
V. ; avec des Observations par M. A. ". Seules les notes sont de Quesnay (M. A.), le texte principal
étant de Bigot de la Touanne. À cette époque, le journal avait déjà accumulé trois mois de retard :
l’avis du censeur est daté du 23 janvier 1770. Jusqu’à la découverte de R. Zapperi, on pensait que la
dernière publication économique de Quesnay remontait à 1768.
19. Alors qu'E. Fox-Genovese aperçoit l’influence de Quesnay dans le Mémoire sur les Etats-
Provinciaux – qui, rappelons-le, était une version révisée d’un texte paru en 1750 –, le fait qu’elle
n’existe pas inciterait plutôt à reconsidérer l’évolution des idées de Mirabeau indépendamment de sa
rencontre avec le Docteur. Pour une tentative allant dans ce sens, mais qui ne prend pas en compte les
résultats de l’édition 2005 (car publiée auparavant), cf. G. Longhitano (1999b).
20. Cf. Du Pont (1906, p. 240-264). Pour l’Ordre naturel et essentiel des sociétés politiques, cf.
Mirabeau à Butré, lettre du 16 décembre 1777, in "Suite de la correspondance de l’année 1777",
Bibliothèque de l’Arsenal, ms 12101, f. 11.

74
Les textes économiques parlent-ils d’eux-mêmes ?

Quesnay et Victor Riquetti, Marquis de Mirabeau, que les sources nous permettent
d’en rendre compte de manière plus précise. Certes, seules les traces écrites de ces
échanges ont été conservées et les discussions que le Docteur et son disciple
pouvaient avoir lorsque ce dernier venait le visiter à Versailles nous restent, peut-
être à jamais, inaccessibles. Néanmoins, la richesse et la bonne préservation des
papiers manuscrits du Marquis dans plusieurs fonds d’archives nous ont offert des
possibilités inégalées21, et ceci d’autant plus que Mirabeau a été, de loin, le
collaborateur le plus constant de Quesnay, lui soumettant l’ensemble des ouvrages
qu’il a écrits entre leur rencontre (juillet 1757) et la mort de Quesnay en décembre
1774.
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Comme la plupart des manuscrits de ces textes, qui contiennent de nombreuses
annotations du Docteur, existent encore et sont conservés dans le fonds Mirabeau
des Archives Nationales et à la Bibliothèque de l’Arsenal, la publication érudite des
œuvres économiques véritablement complètes de François Quesnay devenait
possible. Toutefois, nous avons, en connaissance de cause, rapidement abandonné
cette possibilité. L’historien peut déplorer ce choix, l’éditeur y était contraint. En
effet, l’ensemble des ouvrages imprimés du Marquis de Mirabeau dont il s’agit
forme plus d’une dizaine de volumes22 et il existe généralement deux, parfois trois,
manuscrits plus ou moins bien conservés pour chacun d’entre eux23. Éditer
l’ensemble de ces écrits était une tâche dont la réalisation aurait pris plusieurs
dizaines d’années à moins de renforcer significativement le nombre de
collaborateurs de l’édition. Il n’était pas non plus possible d’éditer les seules
interventions de Quesnay. La plupart de celles-ci sont brèves, quelques-unes sont
plus longues jusqu’à représenter plusieurs pages dans l’imprimé, mais dans tous les
cas elles ont été écrites en marge du manuscrit initial. À quelques exceptions près

21. Pour un recensement de ses sources, voir notre inventaire dans l’édition : INED 2005, t. II, pp.
1225-1330. Depuis, nous avons encore élargi cette recension (limitée aux fonds concernant
directement Quesnay et ses activités dans l’édition INED) aux Archives du Musée Arbaud contenant
la quasi-totalité de la correspondance de Mirabeau avec son frère et l’économiste italien Longo, le
fonds de la Société royale d’agriculture de Soissons (Archives Départementales de l’Aisne), la
correspondance de Du Pont de Nemours (Hagley Museum) et un fonds concernant Butré aux Archives
Départementales du Loiret que nous avons partiellement ou entièrement dépouillés.
22. La liste de ces textes par ordre chronologique est : Introduction au mémoire sur les États
provinciaux (4e partie de L’Ami des hommes), Mémoire sur l’agriculture (5e partie de L’Ami des
hommes), Réponse à l’essai sur les ponts et chaussées, la voierie et les corvées, Tableau œconomique
avec ses explications (tous les deux dans la 6e partie de L’Ami des hommes), Théorie de l’impôt,
Philosophie rurale, Élémens de la philosophie rurale, Lettres sur la dépravation et la restauration de
l’ordre légal (2 volumes), les Economiques (2 volumes), les Leçons œconomiques, Science, ou les
Droits et les devoirs de l’homme. De même, l’essentiel des articles de Mirabeau insérés dans les
Éphémérides ont été amendés par le Docteur, ainsi que plusieurs inédits dont le Traité de la monarchie
publié par G. Longhitano.
23. Il y a même cinq manuscrits dans le cas de la Science, ou les Droits et les devoirs de l’homme. Par
ailleurs, certains des manuscrits sont incomplets ; enfin dans le cas de la Théorie de l’impôt le fonds
comprend également des épreuves corrigées par les éditeurs et un collaborateur de Quesnay et
Mirabeau, Morin.

75
Christine Théré et Loïc Charles

(voir le document que nous éditons en annexe), elles ne font sens qu’en regard du
texte de Mirabeau. Aussi, sans renoncer totalement à éditer certains de ces
manuscrits, ne serait-ce que pour en montrer la richesse, nous avons décidé de nous
concentrer sur un nombre limité d’entre eux, soit parce qu’ils avaient été édités par
G. Weulersse (éd. 1910) dans sa thèse complémentaire, soit parce qu’ils formaient
de véritables notes indépendantes, rédigées dans le cadre de la préparation d’un
ouvrage – la Philosophie rurale – et, de plus, susceptibles d’être regroupées en
dossiers thématiques.

L’étude de ces manuscrits offre une perspective qui permet de renouveler


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largement notre connaissance de l’œuvre économique de Quesnay. Trois niveaux
d’interventions du maître sur les textes de Mirabeau peuvent être distingués. Leur
volume et leur nature ont connu une évolution significative au cours du temps. Sur
les manuscrits de Mirabeau rédigés au tout début et à la fin de leur collaboration, la
contribution de Quesnay apparaît très mineure. Ainsi, en ce qui concerne les textes
réunis dans la quatrième partie de l’Ami des hommes, publiée en juin 1758, l’apport
de Quesnay fut très superficiel. Sans doute en grande partie en raison de son grand
âge et de ses problèmes de vue, Quesnay retouche à peine le dernier texte de
Mirabeau qu'il relit, la Science, ou les Droits et les devoirs de l’homme, publié en
1774, l’année de sa mort24.

Pour la très grande majorité des ouvrages issus de la plume infatigable du


Marquis, la part prise par Quesnay à la rédaction est toutefois plus conséquente.
Quesnay révise notamment le Mémoire sur l’agriculture envoyé à […] Berne et la
Réponse à l’Essai sur les Ponts et Chaussées, la voirie et les corvées, écrits en
1759-1760 et publiés dans les cinquième et sixième parties de l’Ami des Hommes. Il
réécrit notamment plusieurs longs passages de ces deux textes, comme en atteste
notamment l’extrait que nous donnons en annexe. Son travail est de même nature
sur tous les textes de Mirabeau imprimés après 1765 : les Elémens de la
Philosophie rurale (1767), les Lettres sur la dépravation et la restauration de
l’ordre légal (1767-1769), les Economiques (1769-1771), les Leçons œconomiques
(1770). Ils constituent une source particulièrement riche pour l’historien : en
comparant les divers états préparatoires à l’état final offert par l’imprimé, il devient
possible de rendre compte, partiellement au moins, de la dynamique et parfois des
motivations profondes de l’écriture d’un texte.

Trois des ouvrages traditionnellement attribués au Marquis de Mirabeau – le


Tableau œconomique avec ses explications (1760), la Théorie de l’impôt (1760) et
la Philosophie rurale (1763) – nous ont confronté à un dilemme : au vu des
manuscrits et des témoignages contemporains, notamment de Mirabeau lui-même,
Quesnay pouvait apparaître comme leur auteur principal. Fallait-il reproduire ces
textes intégralement à partir des versions imprimées, fallait-il de surcroît éditer les

24. Ce manuscrit se trouve aujourd’hui aux Archives de l’Arsenal où nous l’avons découvert.

76
Les textes économiques parlent-ils d’eux-mêmes ?

divers manuscrits disponibles ? La qualité inégale des sources manuscrites et leur


complexité nous ont conduits à opérer des choix éditoriaux différents pour chacun
de ces trois textes25. Le caractère fragmentaire des manuscrits de la Théorie de
l’impôt donne à toute attribution de l’ensemble de l’ouvrage un caractère trop
incertain pour justifier sa publication complète dans des Œuvres de Quesnay26.
Outre Quesnay et Mirabeau, nous savons que trois autres personnes participent à sa
confection : Butré, Legrand et Morin fournissent en effet des tableaux assortis
parfois d'un commentaire de quelque étendue27. Le travail de ces calculateurs est
supervisé par Quesnay, ce qui confirme son rôle essentiel dans la réalisation de
l’œuvre. Le 9 octobre 1760, Mirabeau écrit d’ailleurs à son frère à propos de
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l'ouvrage : c’est "le docteur qui l’a dirigé […]"28. Cependant, le caractère chaotique
des manuscrits disponibles et la difficulté à faire la part entre le texte directement
issu de la plume du Docteur et de celle de ses collaborateurs nous ont décidés à ne
pas l'inclure dans le corpus de ses œuvres. Toutefois, la Théorie de l’impôt n’est pas
absente de notre édition, puisque une partie de la correspondance de Quesnay qui
nous est parvenue concerne directement la rédaction de cet ouvrage29.

Le Tableau œconomique avec ses explications posait des difficultés éditoriales


un peu différentes puisque trois manuscrits complets subsistent aujourd’hui30. Ils
permettent de suivre les étapes de sa rédaction et d’apprécier la part respective de
Quesnay et de Mirabeau, mais aussi de Butré qui participa à sa confection. Le
manuscrit autographe de Mirabeau puise largement dans la "troisième édition" du
Tableau économique. Sur les deuxième et troisième versions, les interventions de
Quesnay sont de loin les plus nombreuses et les plus conséquentes. Finalement,
nous pouvons lui imputer la rédaction de plus de la moitié du texte publié dans la
sixième partie de l’Ami des hommes. Comme l’enchevêtrement des corrections et
des commentaires marginaux dus aux différentes plumes aurait nécessité, pour en
rendre tout l’intérêt, d’éditer les trois manuscrits, entreprise au-dessus de nos
moyens matériels, nous avons décidé de rééditer la version imprimée31.

25. Ici encore, nous reconnaissons le caractère imparfait et contingent de ces choix, mais il nous est
apparu plus important d’offrir un matériau nouveau, même incomplet, notamment pour inciter d’autres
chercheurs à aller plus loin.
26. Contrairement aux autres ouvrages de Mirabeau corrigés par Quesnay, il n’y a pas de manuscrit
complet et ordonné dans le fonds Mirabeau, mais une liasse contenant des chapitres souvent
incomplets ainsi que de nombreuses feuilles éparses.
27. Dans le fonds Mirabeau des Archives nationales, ces manuscrits sont conservés sous les cotes M
781 n°2 , M 784 n° 70-7, n° 70-10, n° 72-17, n° 72-23, n° 72-24, n° 72-30 à 36.
28. Musée Arbaud, Aix-en-Provence, ms 25, f. 309.
29. Voir les lettres n°14 à 20, INED 2005, t. II, pp. 1185-1209.
30. Le premier est un autographe de Mirabeau où il recopie notamment des pages entières de la
troisième version du Tableau économique. Le second comprend des annotations de Butré, Mirabeau et
Quesnay. Dans le troisième, seuls Mirabeau et surtout Quesnay interviennent.
31. L’historien V. Becagli les avait étudiés en vue d’une publication qui aurait compris les variantes
des versions manuscrites 2 et 3 collationnées à partir de l’imprimé, elle n’a malheureusement pas pu
aboutir. Il nous a gracieusement donné accès à son travail, V. Becagli (1971). Ce texte n’a connu

77
Christine Théré et Loïc Charles

Du point de vue de l’édition des écrits de François Quesnay, le fonds


concernant la Philosophie rurale offrait le plus d’intérêt. Il existe trois manuscrits
préparatoires complets aux Archives nationales. La version la plus ancienne est de
la main de Mirabeau. Les deux autres ont été établies par Garçon, le secrétaire du
Marquis, avec de multiples corrections, notes, et insertions de Quesnay, et quelques
additions effectuées par d’autres (Butré, Mirabeau et deux mains non identifiées).
Ce fonds comprend également un ensemble de fragments autographes de Quesnay,
rédigés à l’intention du Marquis à diverses étapes de la progression de l’ouvrage.
Ces fragments, qui ont été le plus souvent intégrés, après retouches, dans le texte
imprimé, forment des petits textes indépendants : plusieurs consistent en de
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véritables plans de chapitres qui détaillent à Mirabeau les points à développer,
d’autres sont construits à partir d’un tableau et de son commentaire ou encore
traitent de thèmes spécifiques, tels que la définition du commerce, les effets du
luxe, etc. Sur tous ces points, ils enrichissent largement la base textuelle sur
lesquelles le chercheur peut se reposer pour l’interprétation de la pensée
économique de Quesnay. Autre élément qui a joué dans notre choix, l’édition de ces
fragments contribuera, nous l’espérons, à réorienter l’attention des commentateurs
de la physiocratie vers la Philosophie rurale. Ce travail qui avait été entamé avec la
publication intégrale du chapitre 7 dans l’édition de 1958 et sa traduction par
Ronald Meek est en phase avec l’évolution récente de l’historiographie qui a
montré le caractère central de cet écrit, non seulement au plan de l’analyse
économique, mais également du point de vue des physiocrates eux-mêmes32. C’est
en tout plus d’une vingtaine de feuillets manuscrits inédits qui représentent environ
130 pages dans notre édition (soit un dixième du total). Pris collectivement, ils
constituent, à notre avis, un des apports les plus significatifs de cette nouvelle
édition.

Dans la publication de ces fragments manuscrits, comme plus généralement


pour l’ensemble de l’édition, nous avons fait le choix d’une présentation thématique
en sept parties33. Ce choix a été motivé par deux considérations. Premièrement, la
réunion selon un ordre artificiel, qu’il soit celui de la chronologie ou de la
thématique, d’extraits tirés des sources les plus diverses, dictionnaires, fonds
manuscrits, périodiques, recueils de pièces, etc., peut créer l’illusion de la continuité
et de l’unité de la pensée. Il convenait donc de mettre en garde une fois pour toutes
contre cet "effet de corpus" que la publication engendre d’elle-même. De ce point
de vue, il nous a semblé que le classement thématique du fait de la plus grande

qu’une seule réédition, à la diffusion confidentielle, depuis le XVIIIe siècle : Victor de Riquetti, Marquis
de Mirabeau, Tableau œconomique avec ses explications (1760 c).
32. J. Cartelier (2002) ; L. Charles (2003, 2004) ; W. Eltis (1996) ; C. Théré et L. Charles (2008).
33. "Textes philosophiques" ; "Textes économiques antérieurs au Tableau" ; "Tableau économique" ;
"Philosophie rurale" ; "Textes polémiques". La correspondance et l’inventaire des manuscrits de
Quesnay ont été rangés dans les "Documents associés" avec la biographie de Quesnay de Jacqueline
Hecht et quelques autres outils destinés à ceux qui souhaitent approfondir leurs recherches sur
François Quesnay et plus généralement sur la physiocratie.

78
Les textes économiques parlent-ils d’eux-mêmes ?

évidence de l’artifice permettait de mieux nous garantir contre ce biais d’unité.


Deuxièmement, et peut-être plus fondamentalement, cette division par thèmes et le
classement chronologique des textes à l’intérieur de chaque dossier permet de
percevoir de manière beaucoup plus directe l’évolution de la pensée de Quesnay sur
chacun de ces thèmes. Ainsi, en ce qui concerne la Philosophie rurale, nous avons
pu reconstituer la progression du texte à partir des tous premiers brouillons et
donner accès à la dynamique de la pensée de Quesnay. Au travers du dédale des
premiers essais consacrés à la question des dépenses des différentes classes d’agents
économiques, on voit peu à peu les chiffres et les catégories analytiques hérités de
sa précédente collaboration avec Mirabeau – le Tableau œconomique avec ses
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explications – se transformer pour atteindre la forme définitive qu’ils ont dans le
chapitre VII de la Philosophie rurale34. De même, le "dossier luxe" que nous avons
construit à partir de cinq fragments rangés sous six cotes différentes aux Archives
Nationales, permet de suivre le cheminement d’un texte de circonstance, rédigé par
Quesnay pour l’usage du contrôleur général Bertin, à partir de deux tableaux sur ce
thème présent dans la Philosophie rurale (INED 2005, pp. 717-750). Les étapes
intermédiaires font apparaître les hésitations de l’auteur, la modification de certains
chiffres du fait d’une évolution théorique, ou d’une simple erreur de calcul, et
même le passage du tableau économique sous forme de "zigzag", typique des
premières versions de 1759 et 1760, au tableau sous forme de "précis" qui domine
dans la version finale de la Philosophie rurale.

De manière plus générale, ces états incomplets font apparaître de multiples


aspérités significatives pour l’interprétation de la pensée de Quesnay, aspérités qui
ont presque totalement disparu dans le texte imprimé. Dans de nombreux cas, nous
avons pu constater que des fragments manuscrits formant une unité physique
étaient, à la suite des nombreuses réécritures, littéralement cassés en plusieurs
morceaux séparés les uns des autres, certains d’entre eux disparaissant même
purement et simplement du texte final. Même si nous avons laissé de côté
(provisoirement ?) la publication des trois manuscrits préparatoires complets de la
Philosophie rurale, il est possible de dresser un premier bilan sur ce qu’ils
apportent pour évaluer la contribution de la Philosophie rurale à la pensée
économique de Quesnay et à ses spécificités. Le premier point à souligner est la
difficulté de lecture de l’ouvrage qui peut être comparé à une véritable mosaïque
composée à partir des multiples fragments envoyés par Quesnay, mais également
Butré, au Marquis de Mirabeau et que ce dernier tente, tant bien que mal,
d’assembler de manière cohérente. De plus, chaque relecture donne lieu à des
recompositions et à de nouveaux ajouts principalement de Quesnay, mais on trouve
également des insertions de comptabilités agronomiques fournies par Butré qui
viennent saccader un peu plus la structure de l’ouvrage. Cette difficulté était

34. Cf. "Dossier dépenses", INED (2005), pp. 689-715

79
Christine Théré et Loïc Charles

d’ailleurs parfaitement identifiée par Mirabeau lui-même35. Le second point à


mentionner est l’importance de la Philosophie rurale dans l’œuvre économique de
François Quesnay et plus largement de la physiocratie. La lecture des plans de
chapitre envoyés par Quesnay à Mirabeau, de ses multiples remarques et notes sur
ce qu’il faut faire ou ne pas faire, vient s’ajouter aux témoignages des
contemporains pour identifier François Quesnay comme l’auteur principal, non
seulement du chapitre sept, mais de l’ensemble de l’ouvrage. Certes l’apport de
Mirabeau ne doit pas être nié, il est important, voire déterminant pour le chapitre
sur la population, mais il faut souligner le fait que c’est Quesnay qui dirige
l’ouvrage, fixe l’ordre et le nombre des chapitres, la nature des sujets à y aborder et
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jusqu’à son titre, comme le montre un de ses fragments autographes (INED 2005,
p. 777). Autre élément qu’il est utile de souligner, Quesnay s’entoure non seulement
de Mirabeau mais également de Charles de Butré dont la contribution presque
exclusivement limitée aux calculs et aux comptabilités est néanmoins importante,
car c’est sur cette base que Quesnay reconstruit son modèle arithmétique de
l’économie française.

Une fois la délimitation du corpus effectuée, il restait à adopter une politique


cohérente en ce qui concernait l’appareil critique (introduction, notes de bas de
page). Au plan des principes, les éditeurs se sont rapidement accordés sur le fait
qu’il fallait éviter de confondre le rôle d’éditeur avec celui de commentateur de
Quesnay. Aussi il était clair que nous nous limiterions dans nos interventions à
l’exposition du contexte et des faits qui éclairaient chacun des textes. Ce choix
délibéré de favoriser l’érudition plutôt que l’interprétation est désormais la règle
suivie dans toutes les éditions modernes d’auteurs du XVIIIe siècle36. Il a par ailleurs
été réaffirmé de manière convaincante par D. Besomi, éditeur de Harrod, face aux
récentes critiques de W. Young (D. Besomi 2006). Pourquoi est-il indispensable de
distancier ainsi deux activités, l’édition et l’analyse des textes, qui sont la plupart du
temps le fait des mêmes personnes ? Il n’est pas nécessaire ici de réitérer les
arguments de Besomi, indiquons simplement qu’il nous semble que ces deux
activités s’inscrivent dans des temporalités bien distinctes. L’interprétation, qui
participe de l’évolution de la théorie économique, relève du temps court (une
génération tout au plus), l’édition peut avoir une durée de vie largement
supérieure37. Aussi, si on se place du point de vue de l’édition, faire coexister dans

35. "Les circonstances ne me permettant pas alors d’imprimer, il se chargea du manuscrit et l’enrichit
de plusieurs matériaux de toute espèce, tables de progression etc., de manière que tout est dans cet
ouvrage ; mais une impression furtive et nullement suivie, ajoutant à l’imperfection du manuscrit, à la
profondeur des déductions, et à la manière abstraite de les rendre, a rendu cet ouvrage quelquefois peu
intelligible et toujours noyé de détails et trop profond pour le courant des lecteurs", Mirabeau à Carl
Friedrich, margrave de Bade, 31 mars 1770, in C. Knies (dir. ) (1892), vol. 1, p. 22.
36. Nous pensons ici aux éditions en cours de d’Alembert (CNRS éditions), Montesquieu (Voltaire
Foundation) ou encore Voltaire (Voltaire Foundation).
37. Ainsi l’édition publiée par Gustave Schelle de 1913 à 1923 est, aujourd’hui comme hier, l’édition
de référence pour le chercheur qui étudie l’œuvre de Turgot.

80
Les textes économiques parlent-ils d’eux-mêmes ?

les notes de bas de page l’une et l’autre, c’est précipiter l’usure du temps. Nous
nous sommes donc efforcés de limiter nos commentaires à la mise en perspective
historique, afin que cette édition soit la plus ouverte possible, qu’elle puisse être la
trame sur laquelle, nous l’espérons, les interprétations les plus diverses pourront se
tisser38.

2. De l’édition à l’interprétation

Dès lors qu’un même chercheur exerce les fonctions d’éditeur et de


commentateur (ce qui est notre cas), la distinction entre celles-ci peut paraître très
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artificielle, voire naïve. Nous pensons néanmoins qu’elle est justifiée. Tout d’abord,
si nous acceptons avec D. Diatkine et F. Magris (2006) que l’histoire de la pensée
tire sa spécificité, au sein de la discipline économique, du travail sur les textes, la
question de l’établissement de ces textes est primordiale. La recherche dans ce
domaine dépend alors directement de l’étendue du corpus considéré et de la qualité
scientifique des éditions utilisées. Dans le cas de Quesnay, l’enjeu est significatif.
Prenons un exemple bien connu des économistes, celui du Tableau économique. Il a
fallu attendre jusqu’aux années 1970 pour disposer d’une édition complète des trois
premières versions. Avec l’édition INED 2005, on peut désormais y ajouter quantité
de Tableaux préparatoires qui permettent de comprendre dans le détail la transition
entre les deux grands modes de présentation du Tableau : le "zigzag" et la "formule
arithmétique". D’autres Tableaux, tracés par Quesnay dans les marges des
manuscrits préparatoires complets de la Philosophie rurale ou sur des feuillets
détachés que le Docteur collait lorsque la place lui manquait, attendent encore
leur(s) éditeur(s). Ainsi, deux siècles et demi après sa conception et alors que des
dizaines et des dizaines d’articles lui ont été consacrés, qui peut prétendre avoir dit
le dernier mot sur le Tableau économique alors que des pans significatifs de
l’histoire de sa construction nous sont encore masqués ?

En effet, la mise au jour de brouillons préparatoires, de variantes d’un texte


connu, permet de considérer l’œuvre d’un auteur, ici Quesnay, de manière
diachronique : le commentateur n’aperçoit plus l’œuvre économique de l’auteur
comme un système clos, mais comme un travail toujours inachevé et dont les écrits
imprimés ne sont finalement qu’un état très partiel. Dans cette perspective, le travail
d’édition prend une dimension proprement heuristique par rapport à celui de
l’interprétation des textes. L’éditeur, parce qu’il doit s’interroger sur la place
chronologique de tel ou tel écrit et sur ses liens avec le reste de l’œuvre de l’auteur,
se voit contraint de les aborder d’une manière assez différente de celle du
commentateur de cette œuvre. Ce dernier s’intéresse essentiellement à la pensée de

38. De ce point de vue, notre perspective est très proche de celle des éditeurs des œuvres de Léon et
Auguste Walras telle qu’elle a été présentée par J. P. Potier et P. H. Goutte (in Bridel éd. 1992, p.
182) : "Notre édition se veut être non la réécriture de l’histoire de la pensée économique, mais un outil
pour cette tâche. "

81
Christine Théré et Loïc Charles

l’auteur, il cherche à retracer l’origine de tel ou tel concept, à préciser la manière


dont les idées s’articulent les unes aux autres pour former un tout cohérent, ou
encore à apprécier l’influence de tel ou tel aspect de la pensée de l’auteur sur ses
contemporains ou sur le développement ultérieur de l’analyse économique39.
L’éditeur est, lui, à la recherche de traces et d’indices matériels, par exemple
l’utilisation d’un mot plutôt qu’un autre que signale une rature, une date précise de
publication ou d’écriture, une citation directe ou indirecte d’un titre connu, la
mention d’un nom, bref tout élément concret qui lui permet de fournir une
chronologie, de préciser le contexte d’écriture ou de diffusion du texte. Ces deux
pratiques ont souvent été disjointes : aux historiens l’approche contextuelle des
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textes, aux économistes et autres chercheurs en sciences sociales, leur interprétation
au plan théorique. Il nous semble à l’inverse, et d’après notre propre expérience de
commentateur de l’œuvre économique de François Quesnay, que la connaissance
accumulée par le contact approfondi et laborieux avec ses textes peut constituer un
moment privilégié du travail de l’historien de la pensée. Allons plus loin, le choix
d’endosser pleinement et sans ambiguïté le rôle d’éditeur en abandonnant,
temporairement, notre regard d’interprète, nous a permis d’acquérir une sensibilité
différente, dont notre programme actuel de recherche porte l’empreinte.

Afin de donner du corps à notre argument, il est utile de produire un exempla,


un cas d’école si l’on veut, qui illustrera le pouvoir heuristique de la mise en
contexte propre au travail d’édition pour l’interprétation de la pensée d’un auteur.
Pour rendre l’exercice plus intéressant, nous avons sélectionné un texte inédit de
François Quesnay que nous avions rejeté, peut-être un peu rapidement, au moment
de l’établissement de l’édition INED. L’exercice promet d’être d’autant plus
intéressant que ce court texte va nous servir de guide pour revisiter un des
fondements analytiques de la théorie économique de Quesnay, la notion de produit
net, et l’histoire de son développement. Nous avons établi, introduit et annoté ce
texte selon les mêmes méthode et critères que pour notre édition. Le lecteur le
trouvera annexé à cet article (nous lui suggérons d’ailleurs de le lire avant de suivre
notre démonstration).

Le texte en lui-même n’est guère éclairant, il a besoin d’être mis en contexte


pour qu’il soit possible de mettre au jour ses contenus sémantiques et analytiques.
Dans le cas présent, nous nous intéressons à la nature du concept de produit net
chez Quesnay et à son évolution. Dans cette perspective, trois types de contextes
sont pertinents pour interpréter la note de Quesnay.

39. Le support matériel qui véhicule les idées de "son" auteur a assez peu intéressé l’historien de la
pensée économique qui, de manière pragmatique, utilise souvent l’édition la plus facilement
disponible, même si elle n’est ni la plus complète, ni la plus précise.

82
Les textes économiques parlent-ils d’eux-mêmes ?

Tout d’abord, il est important de dater précisément cet écrit et surtout de le


situer chronologiquement dans l’œuvre de Quesnay40. Il provient du fonds Mirabeau
des Archives nationales. Ce court texte (environ 1700 mots) figure en marge d’un
des manuscrits du Mémoire pour concourir au prix annoncé et proposé par la très
louable Société d’agriculture de Berne pour l’année 1759, ce qui nous permet d’en
fixer sans hésitation la rédaction à cette même année. Le concours fut en effet lancé
par la toute nouvelle Société économique de Berne le 10 janvier 1759 et la date
limite de réception des réponses était fixée au 1er janvier 176041. Le manuscrit de
Mirabeau fut par la suite imprimé en 1760 dans deux publications indépendantes :
le Recueil de mémoires concernants [sic] l’œconomie rurale par une Société établie
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à Berne en Suisse, avec les autres mémoires primés au concours ; la 5e partie de
l'Ami des hommes publiée à l’été 1760.

La période de rédaction peut être encore plus précisément déterminée. Le


Mémoire est évoqué par Quesnay dans une de ses lettres à Mirabeau, lettre écrite à
l’époque de l’impression de la seconde version (ou "édition") du Tableau
économique (INED 2005 p. 1184). Cette lettre non datée ayant été envoyée dans la
première moitié de l’année 1759, il est possible de situer la rédaction de la pièce
que nous publions au printemps, voire à l’été 1759, soit au moment même où
Quesnay développe son modèle économique dans les trois premières versions du
Tableau économique, conçues elles-aussi en 1759.

Le sujet central de ce fragment autographe de Quesnay est la distinction entre


"produit net" et "produit total". Pour quelles raisons cette discussion a-t-elle lieu
dans les marges du Mémoire envoyé à Berne et non ailleurs ? Pour répondre à cette
question, il faut replacer le texte dans un second contexte, celui des relations entre
le Marquis de Mirabeau et François Quesnay.

Les deux hommes se sont rencontrés pour la première fois en juillet 1757. À
l’été 1759, leur collaboration est restée ponctuelle et elle s’est inscrite dans un
registre principalement politique42. Le Mémoire envoyé à Berne est le premier
ouvrage économique de Mirabeau auquel Quesnay est pleinement associé. Ce
dernier rédige d’ailleurs l’essentiel des passages économiques les plus théoriques,
comme en témoigne l’extrait reproduit en annexe. Avec l’écriture du Mémoire se
met alors en place un dialogue entre le maître et l’élève dont la nature a échappé
aux commentateurs. En effet, ces derniers, sur la foi du récit qu’en a fait Mirabeau

40. Nous n’indiquons ici que les éléments pertinents pour les utiliser dans le cadre que nous nous
sommes fixés, les détails supplémentaires ont été renvoyés à la présentation et aux notes du texte.
41. Les mémoires reçus furent examinés le 2 février 1760. Cf. "Extraits de quelques unes des
délibérations de la Société œconomique", in Société œconomique de Berne éd. (1762), p. liii.
42. Le Traité de la Monarchie, le "Bref état des moyens pour la restauration de l’autorité du roi et de
ses finances" demeurés inédits, et l’Introduction au mémoire sur les états provinciaux. Les deux
premiers cités ont fait l’objet de publications modernes (G. Longhitano (1999) et G. Weulersse
(1913)), le dernier avait été publié dans la quatrième partie de L’Ami des hommes.

83
Christine Théré et Loïc Charles

dix ans après l’événement et dans des circonstances bien particulières, s’accordent
sur la rapidité de sa conversion aux idées économiques du Docteur43. Or, il n’en a
rien été et le public auquel s’adresse Quesnay dans les marges du Mémoire consiste
d’abord en son disciple, souvent rétif à son discours économique44. C’est là l’origine
de la longue note que nous reproduisons : Quesnay pense qu’il est nécessaire de
préciser les raisons théoriques et pratiques qui font prévaloir la culture des blés sur
tout autre type de culture sur le territoire suisse. Il combat la position que Mirabeau
avait exprimée dans les trois premières parties de l’Ami des hommes, rédigées et
publiées avant leur rencontre. Dans cet ouvrage, le Marquis soutenait que le
meilleur emploi des terres est celui qui nourrit directement (par les subsistances) ou
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indirectement (par les salaires distribués) le maximum d’hommes, de femmes et
d’enfants. À l’été 1759, il n’en était pas encore totalement revenu45.

En effet, dans l’extrait reproduit ici, Quesnay éprouve le besoin de discréditer


définitivement l’opinion de Mirabeau. Il répond à la première assertion en
effectuant la distinction entre valeur usuelle et valeur vénale (en argent) des
récoltes. La valeur usuelle n’est pertinente que pour déterminer le meilleur emploi
des terres pour une nation absolument privée de commerce avec l’étranger. Cette
nation est alors contrainte de produire directement ses propres subsistances pour
nourrir sa population. Toutefois, dès lors qu’elle commerce avec l’étranger, seule la

43. Ce récit se trouve dans une lettre à Rousseau datée du 30 juillet 1767 (in R. A. Leigh éd. 1979, pp.
255-266) dont un des principaux objectifs est de convaincre le Genevois des mérites de la nouvelle
science. Seule l’historienne américaine E. Fox-Genovese (1976) a étudié en détail la relation entre
Mirabeau et Quesnay à la fin des années 1750, mais si elle suggère que Mirabeau a joué un rôle
important dans la constitution de la physiocratie comme système de pensée, son argument est limité à
la seule dimension politique de la physiocratie. Pour elle, comme pour les autres commentateurs,
Mirabeau n’a joué aucun rôle dans la constitution de la physiocratie en tant que théorie économique.
44. Nous indiquons en note plusieurs modifications significatives que Mirabeau effectue sur le texte de
Quesnay. Mirabeau supprime notamment une phrase de Quesnay qui synthétisait son approche
économique du meilleur emploi des terres pour lui substituer une phrase de son cru. Cette dernière
reflète ses préoccupations populationnistes et politiques et elle n’a guère de lien avec le contenu du
texte inséré par le Docteur, cf. note 121. Pour d’autres exemples plus tardifs, cf. C. Théré et L. Charles
(2008).
45. Pour faire simple, le discours politique basé sur les mœurs de Mirabeau coexiste maladroitement
avec celui basé sur le produit net de Quesnay. Ce dernier ne prête guère attention au premier qu’il
cherche à circonvenir, alors que Mirabeau n’hésite pas à insérer des phrases de son crû dans les
raisonnements de Quesnay. Comme le font apparaître ces remarques et les paragraphes suivants, les
points de vue des deux hommes ne sont pas à ce stade identiques sur la nature et l’origine des richesses
et de la puissance des nations. De ce fait, il nous semble que l’analyse que M. Sonenscher (2007)
propose du Mémoire de Berne est très critiquable, non pas parce qu’il envisage la physiocratie du point
de vue de l’histoire de la pensée politique – perspective qui nous semble intéressante et novatrice –,
mais parce qu’il prétend étudier la question de la nature de la physiocratie à travers le Mémoire de
Berne sans prêter attention au fait qu’il n’y a pas un, mais deux points de vue systématiques et
différents, tant au plan économique qu’au plan politique, qui s’y expriment sans se réconcilier. Dans
les collaborations suivantes du Marquis avec Quesnay, le langage des mœurs tendra à s’effacer de
manière bien plus évidente devant celui du produit net : même si les manuscrits préparatoires
témoignent que les divergences n’avaient pas complètement disparues, l’évolution des textes jusqu’à
l’imprimé montrent que Mirabeau avait alors accepté la prééminence intellectuelle du Docteur.

84
Les textes économiques parlent-ils d’eux-mêmes ?

valeur en argent des récoltes peut réellement évaluer "le meilleur employ des terres"
(infra, p. 92) puisqu’il est toujours possible d’obtenir le nécessaire par l’échange
international.

La seconde proposition de l’Ami des hommes, un peu plus subtile, requerrait


une réponse plus conséquente au plan analytique. Dans ses annotations sur le
Mémoire de Mirabeau, Quesnay envisage la question du meilleur emploi des terres
sous trois points de vue : l’intérêt économique du propriétaire, celui du fermier et
celui de l’État46. Seul ce dernier est univoque, car les catégories de propriétaire et de
fermier recoupent des conditions sociales et, ce faisant, des comportements
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économiques bien différents. En effet, Quesnay distingue, d’une part, "le petit
propriétaire" et son homologue le petit fermier qui travaillent directement la terre
avec le concours de leur propre famille, sans avoir recours à une main d’œuvre
extérieure, et d’autre part, le grand propriétaire et le fermier qui utilisent de la main
d’œuvre salariée extérieure à leur famille. Les deux premiers agents renvoient au
modèle de la "petite culture" – notons néanmoins que l’expression n’apparaît pas
directement dans ce passage – et ils favorisent l’obtention d’un produit total le plus
grand possible (car celui-ci leur permet de payer les salaires de leur famille) au
détriment du produit net. Il en va bien différemment dans le cas du grand
propriétaire qui tire tout son revenu du produit net dégagé par sa propriété sous
forme de rente foncière. Le cas du fermier entrepreneur de culture est très proche de
celui du propriétaire : tous les salaires distribués appartenant à des ouvriers
indépendants, ils ne sont que de purs frais pour lui. Sa rémunération, comme dans le
cas du propriétaire, ne peut donc provenir que du produit net. Arrêtons-nous un
instant sur cette dernière affirmation pour noter que Quesnay suppose que le revenu
du fermier (son profit et le service de son capital) dépend du "produit net" de
l’exploitation. En d’autres termes, le profit du fermier est une partie du produit net47.
Le point est important et nous y reviendrons bientôt.

Finalement, pour Quesnay, c’est l’intérêt de l’État qui décide, car c’est de ce
seul point de vue que l’on peut faire apparaître sans ambiguïté la supériorité de la
maximisation du produit net sur celle du produit total. En effet, si le produit total
favorise la plus grande population, c’est également une population qui ne produit
pas au-delà de ses dépenses, si bien qu’il n’existe aucune ressource pour l’État ou la
nation en surplus du produit consommé par cette population. Autrement dit, la
population entretenue par le produit total n’est pas disponible, alors que l’État sera
au contraire d’autant plus riche et puissant qu’il pourra arracher en proportion plus
d’hommes à la glèbe et les rendre "disponibles pour tout autre exercice, pour les

46. Quesnay discerne un quatrième point de vue, celui de la population, qui est ici pour des raisons
d’exposition présenté avec celui de l’État car il n’a pas de signification indépendante au plan
analytique (la population n’est traité par Quesnay que par rapport à l’objectif de puissance de l’État).
47. "Mais dans l’autre cas, ou le fermier payeroit les frais a des domestiques, ou ouvriers etrangers a
ses interests il ne peut compter que sur le produit net pour son profit, et pour payer le fermage et
l’impost s’il en est chargé" (infra, p. 93).

85
Christine Théré et Loïc Charles

differentes professions, pour la guerre, pour [les] travaux publics &c. " (infra,
p. 95)48. Le produit net est ainsi la partie disponible du produit total. Il apparaît donc
clairement que c’est la notion de disponibilité qui permet à Quesnay de différencier
produit total et produit net. Du point de vue de l’État, seuls le produit et les hommes
"disponibles" contribuent réellement à sa richesse et sa puissance.

Avant de passer à l’interprétation à proprement parler de l’analyse économique


de Quesnay, il est nécessaire d’introduire un troisième contexte : celui de
l’évolution de la théorie économique de François Quesnay. En effet, nous savons
depuis le travail de R. Meek sur le Tableau économique que le concept de produit
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net connaît une évolution importante entre les articles de l’Encyclopédie et sa
réflexion plus tardive49. Le manuscrit du Mémoire envoyé à Berne et les
commentaires marginaux de Quesnay permettent de préciser la chronologie et la
manière dont s’effectue cette évolution. Comme l’avait noté R. Meek, Quesnay
avait dans un premier temps défini le produit net comme l’ensemble du surplus
obtenu par le fermier au delà de ses "frais", y compris son profit et l’intérêt du
capital avancé (1962 [1960], pp. 266-272). Cette perspective qu’il adopte dans
l’article Grains (INED 2005, pp. 164-165, 177, 189), se retrouve dans la seconde
version du Tableau économique. On peut y lire que "[l]es avances ne produisaient
du fort au faible, l’impôt à part, qu’environ 20 pour cent, qui se distribuaient à la
dîme, aux propriétaires, aux fermiers, pour son gain, les intérêts de ses avances, et
ses risques. Ainsi déficit de trois quarts sur le produit net. " (INED 2005, p. 408 ;
nous soulignons). Dans l’extrait que nous donnons, Quesnay reprend la même
analyse et inclut le profit du fermier dans le produit net (voir ci-dessus n. 47).
Pourtant, plus loin dans ce même manuscrit, Quesnay exclut ce profit du fermier du
produit net : "L’augmentation du prix du blé revient entierement en produit net et
par consequent en augmentation de revenu pour les proprietaires, et des droits
d’impost et de dixme" (Mirabeau et Quesnay, 1759, f. 23)50. C’est la première fois
qu’il procède ainsi. Quelques semaines plus tard, dans la troisième version du
Tableau économique, la question est définitivement tranchée : le profit du fermier et
l’intérêt de ses avances en capital sont clairement exclus du produit net. Le Docteur
éprouve en effet le besoin de réécrire le passage de la deuxième version du Tableau
cité ci-dessus : "Autrefois dans un tel royaume les avances ne produisaient du fort
au faible, l’impôt sur le laboureur compris, qu’environ vingt pour cent, qui se
distribuaient à la dîme, à l’impôt, au propriétaire ; distraction faite des reprises
annuelles du laboureur. Ainsi déficit de quatre cinquièmes sur le produit net des

48. Il n’est pas inutile de rappeler ici que Quesnay écrit à un moment où la France est en train de
perdre la Guerre de Sept ans contre l’Angleterre, un pays trois fois moins peuplé qu’elle, mais dont le
produit par habitant est largement supérieur à celui de la France d’alors.
49. "Now the interesting thing about Corn [l’article “Grains”] is that Quesnay in this article, but hardly
anywhere else in the whole of his later writings, adopts this Cantillonian approach and assumes that
the farmer shares in the net product" (R. Meek 1962 [1960], p. 268).
50. Notons que cette contradiction n’est pas résolue dans l’imprimé : elle a probablement échappé aux
deux auteurs, cf. Mirabeau et Quesnay (1760a), pp. 23 et 49.

86
Les textes économiques parlent-ils d’eux-mêmes ?

avances, […]" (INED 2005, p. 424 ; nous soulignons). La comparaison entre les
deux versions de cette note tirées des deuxième et troisième versions (ou "éditions")
du Tableau ne laisse aucun doute : la rémunération du fermier/laboureur qui fait
partie du produit net dans la version initiale de la note en est exclue dans la seconde.
C’est cette dernière définition qui sera reprise dans tous ses écrits ultérieurs.

La nature et les causes de ce changement essentiel dans l’analyse économique


de Quesnay peuvent maintenant être précisées, notamment en les associant à
d’autres évolutions significatives dans son vocabulaire conceptuel. Le premier
élément est, nous l’avons noté ci-dessus, l’association de la notion de disponibilité à
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celle de produit net (ou revenu). Parmi les manuscrits aujourd’hui accessibles, le
terme même apparaît, en effet, pour la première fois dans les notes marginales de
Quesnay au Mémoire de Mirabeau. Il est repris ensuite dans la maxime 21 de la
troisième version du Tableau économique, dans une discussion au contenu similaire
à celui des notes au Mémoire, puisqu’il s’agit dans les deux cas de montrer que le
nombre d’exploitants agricoles est moins important pour la richesse et la puissance
de l’État que la quantité de produit net qu’ils génèrent : "cette multiplicité de
fermiers est moins favorable à la population que l’accroissement des revenus : car la
population la plus assurée, la plus disponible pour les différentes occupations […]
est celle qui est entretenue par le produit net" (INED 2005, t. I, p. 435)51. Deux points
méritent d’être soulignés. Le premier renvoie à la chronologie de l’évolution de la
théorie de Quesnay : comme pour la définition du produit net, le changement a lieu
entre la deuxième et la troisième version du Tableau ; dans la deuxième (et les
textes précédents), la notion de disponibilité n’est pas précisément conceptualisée,
alors qu’elle l’est nettement dans la troisième et cette évolution est confirmée dans
les textes suivants52. Le second point renvoie à la place du court texte que nous
publions. Il occupe une position stratégique entre la deuxième et la troisième
version du Tableau, et il permet de rendre compte du basculement qui s’effectue
dans la pensée de Quesnay, d’une analyse économique où le statut du "produit net"
ou "revenu" était encore mal assuré vers une analyse où le "produit net" se
caractérise comme une richesse disponible.

Une seconde nouveauté sémantique vient confirmer notre interprétation :


l’apparition du terme et de la notion de "reprises". Dans les premiers écrits
économiques de Quesnay, la notion de coût était signifiée exclusivement par les
termes de "frais" et de "dépense(s)" dont Quesnay faisait un emploi massif53. Si le

51. Il est significatif que la maxime 21 soit la seule maxime entièrement nouvelle de la troisième
version (ou "édition") du Tableau qui en compte 24 contre 23 dans la deuxième version.
52. Notamment dans le Tableau œconomique avec ses explications et la "Formule arithmétique" où le
terme et la notion de disponibilité apparaissent à plusieurs reprises (INED 2005, pp. 444, 475, 521,
523 et 553).
53. 39, 52, 56 et 37 occurrences pour le mot "frais", 47, 55, 59 et 73 dans le cas de celui de "dépense"
(singulier ou pluriel) dans les quatre premiers textes de Quesnay, respectivement "Fermiers", "Grains",

87
Christine Théré et Loïc Charles

premier semble avoir revêtu dès l’origine un sens plutôt négatif alors que celui de
"dépense(s)" était plus neutre, les deux vocables étaient malgré tout relativement
interchangeables et opposés à ceux de "revenu" ou "produit net", eux aussi
largement substituables. Ainsi, dans le texte que nous publions, Quesnay utilise
"frais" à l’exclusion de tout autre terme pour désigner les coûts de production qu’il
oppose à la richesse réelle, le "produit net" ou le "revenu". Le terme de "dépenses"
figure lui de manière prééminente dans les trois premières éditions du Tableau
économique, puisqu’il est en tête des trois colonnes. Ce fait confirme d’ailleurs la
neutralité du terme, les dépenses pouvant être aussi bien "productives" (première
colonne) que "stériles" (troisième colonne) ; les "frais", eux, ne sont jamais
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productifs sous la plume de Quesnay même si dans les premiers écrits ils peuvent
être le fait de la classe productive.

C’est à nouveau dans la troisième version du Tableau que la donne est modifiée
et qu’il est fait pour la première fois mention des "reprises annuelles du laboureur".
Ces dernières apportent un degré de précision supplémentaire à l’analyse
économique de la richesse (INED 2005, p. 424 – la phrase complète est citée ci-
dessus)54. En effet, le terme de "reprises" vient perturber l’opposition binaire entre
les coûts, d’un côté, et le surplus, de l’autre. D’une part, les "reprises" sont un coût
anticipé : c’est la part du produit que l’entrepreneur agricole doit conserver par-
devers lui pour ses avances de l’année suivante. D’autre part, il est la condition
nécessaire et suffisante du produit net futur puisque dès lors que les "reprises" du
fermier sont préservées, il dispose des avances nécessaires à la reproduction des
richesses. Enfin, il est constitué d’une partie du surplus, puisqu’il intègre le profit
du fermier et l’intérêt de ses avances, mais c’est un surplus non disponible, puisque
affecté par avance aux "dépenses productives" futures. Cette spécificité est
soulignée par Quesnay dans le Tableau œconomique avec ses explications rédigé
par Mirabeau (assisté de Quesnay et Butré) et publié dans la sixième partie de
L’Ami des hommes. Il y est écrit : "Le produit net annuel des biens-fonds est séparé
des reprises annuelles des fermiers. Il appartient à trois propriétaires, au souverain,
au possesseur du bien et aux décimateurs. " (INED 2005, p. 460)55. En même temps,
Quesnay distingue désormais les simples "frais" du fermier (salaire des ouvriers et
consommations intermédiaires) des "reprises" qui intègrent "son gain, les intérêts de
ses avances, et ses risques". Cette évolution sera renforcée dans les écrits de
maturité par la spécialisation du terme de "frais", désormais plus rare et employé le

"Impôts" et "Hommes". Le comptage a été effectué à partir des fichiers électroniques de l’édition
2005.
54. Notons néanmoins que dans "Impôts", Quesnay avait associé le participe passé "reprises" au
substantif "dépenses" dans la définition suivante : "les richesses annuelles […] sont les produits qui,
toutes dépenses reprises, forment les profits que l’on retire des biens fonds" (INED 2005, p. 218 ; nous
soulignons).
55. Cette définition est un ajout autographe de Quesnay à un des brouillons du Tableau œconomique
avec ses explications (Mirabeau, Quesnay et Butré, 1759-1760, f. 14).

88
Les textes économiques parlent-ils d’eux-mêmes ?

plus souvent pour désigner des dépenses non productives liées au commerce ou à la
perception de l’impôt56.

Conclusion

Il est maintenant temps d’effectuer ce qui n’est qu’un rapport d’étape, car de
nombreux développements seraient possibles à partir des quelques éléments réunis
ici, notamment en mobilisant d’autres textes de Quesnay (et Mirabeau). Tout
d’abord, nous voudrions insister sur les changements de perspective qui découlent
de l’étude que nous avons menée. Le premier changement de perspective porte sur
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l’histoire de l’analyse économique de François Quesnay. Nous avons établi qu’en
1759, entre la deuxième et la troisième édition du Tableau économique, Quesnay
passe d’une forme spécifique de théorisation du surplus à une autre. Ce passage a
pu être identifié par l’étude d’un réseau de mots-concepts qui entretiennent des
relations analytiques étroites dans le système de Quesnay. L’analyse de ces mots et
des usages qu’en fait Quesnay au cours du temps devrait permettre un second
changement de perspective sur la place de la théorie du produit net de Quesnay dans
l’histoire des théories du surplus et que nous ne ferons qu’esquisser ici. Les
commentateurs ont généralement opposé Turgot à Quesnay sur ce point (voir par
exemple : J.-T. Ravix 1982). Pourtant après l’étude que nous avons menée, la
définition de Turgot du "produit net" et la manière dont il l’articule avec les notions
de "reprises" et de "frais" paraissent, au contraire, marquer une très forte continuité
entre ces deux auteurs57. Le troisième point porte sur les relations entre Quesnay et
le Marquis de Mirabeau. Quoique E. Fox-Genovese (1976) ait beaucoup fait pour
redonner à Mirabeau une place dans la formation de la doctrine physiocratique, sa
réévaluation était essentiellement fondée sur son apport en matière de pensée
politique. Dans notre étude, nous voyons que le dialogue entre les deux hommes a
également été essentiel dans le développement de la théorie économique
physiocratique, moins à cause des apports directs de Mirabeau, peu significatifs
dans ce domaine, que par l’émulation qu’il fait naître chez le vieux maître pour
préciser son analyse.

Éditer et interpréter sont des activités différentes, mais complémentaires. Il


nous a été naturel de mobiliser dans l’interprétation de la pensée économique de
François Quesnay des savoirs accumulés lors de la préparation de l’édition INED
2005 ; nous avons même montré que le travail d’édition a une valeur heuristique
pour le commentateur qui ne doit pas être sous-estimée. En effet, parce qu’une

56. En particulier dans la "Formule arithmétique" et le "Second problème économique" où frais est
associé exclusivement à ces deux types de dépenses dans des expressions telles que "frais de
commerce", "frais de voiturage", "frais de perception" (cf. notamment INED 2005, pp. 554, 556-558 et
620-621).
57. "Le revenu est la richesse que donne la terre au-delà des frais et reprises de celui qui la cultive […]
La production du sol, quand elle n’est qu’égale aux frais, est richesse, mais richesse non disponible ;
richesse et non revenu. " (Turgot 1766, in Schelle (1913-1923), t. II, p. 632).

89
Christine Théré et Loïc Charles

simple rature sur un manuscrit attire l’attention sur le choix et les changements du
vocabulaire de l’auteur, parce qu’un jeu de brouillons préparatoires renseigne sur
les intentions de l’auteur et sur les obstacles qui l’ont amené à éventuellement
réorienter son projet, parce que la comparaison des différentes éditions d’un texte
permet parfois de jeter la lumière sur l’évolution de son argumentation, leur étude
permet de cristalliser les mouvements de la pensée de l’auteur. La mise en contexte
de l’écrit n’est donc pas, pour l’historien de la pensée économique, une révérence
inutile à une érudition d’un autre temps ou d’une autre discipline, mais une étape
préparatoire, souvent décisive, de l’interprétation. À ce titre, l’éditeur est donc le
premier ouvrier de cette "histoire concrète de l’abstraction économique" que J. -C.
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Perrot appelait de ses vœux (1992, pp. 59-60).

90
Les textes économiques parlent-ils d’eux-mêmes ?

ANNEXE : NOTE MARGINALE DE QUESNAY AU MANUSCRIT DE MIRABEAU


MÉMOIRE POUR CONCOURIR AU PRIX ANNONCÉ ET PROPOSÉ PAR LA TRÈS
LOUABLE SOCIÉTÉ D’AGRICULTURE DE BERNE POUR L’ANNÉE 1759 (1759)

Présentation :

Le fonds Mirabeau des Archives nationales conserve deux manuscrits du


Mémoire envoyé pour concourir au prix proposé par la Société économique de
Berne : la version autographe de Mirabeau et une copie établie par son secrétaire,
Garçon, sur un grand cahier de 58 pages que Quesnay a annotées58. Cette copie
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comprend également un petit cahier non numéroté de 6 feuillets, sur lequel
Mirabeau a transcrit, en les adaptant légèrement, les trois plus longues notes de
Quesnay. Ces trois notes sont précédées des lettres majuscules A, B et C qui
indiquent les endroits où ces passages devaient être insérés. La longue note que
nous publions ici (M 783 5-2, pp. 9-12) a été reprise pour l’essentiel dans le texte
définitif59. Elle est d’ailleurs barrée sur le manuscrit par une grande croix p. 9, puis
par des traits verticaux. Enfin, rappelons que Weulersse avait publié quelques-unes
des notes de Quesnay sur le Mémoire que Mirabeau n’avait pas conservées dans le
texte imprimé (Weulersse 1910, pp. 35-39).

Le sujet du concours, qui fut annoncé publiquement le 10 janvier 1759, était :


"Les raisons, qui doivent engager la Suisse, par préférence, à la culture des Bleds.
Les empêchemens généraux et particuliers qui s’y rencontrent. Les moyens
généraux et particuliers, que ce pays fournit relativement à cette culture"60. Le
premier prix fut adjugé au mémoire d'A. Stapfer, diacre à Diesbach, le second, à
celui de Jean Bertrand, pasteur à Orbe61. La Société de Berne décida toutefois
d’ajouter deux accessits à la liste des mémoires couronnés : le premier fut attribué à
Seigneux de Correvon, du Conseil de Lausanne, le second à "M. le Marquis de
Mirabeau qui avait pris comme devise "Quis est qui vobis noceat, si boni
æmulatores fueritis"62. Les quatre mémoires primés furent publiés par la Société en
1760 (Société œconomique de Berne éd. 1762). En octobre de la même année, elle
proposa à Mirabeau de devenir un de ses membres honoraires étrangers, il apparaît
en second sur la liste imprimée (voir Mirabeau 1760).
Les règles de transcription sont celles employées dans l’édition Quesnay (INED
2005, pp. XXXI, 1156) pour les manuscrits autographes : la graphie d'origine est

58. La cote de l’autographe est M 783 n°5-1.


59. L’Ami des hommes, ou Traité de la population. Les passages figurent p. 21 à 27 du volume 3 de
l’in-4° (l’édition que nous avons utilisée et mentionnée en bibliographie).
60. Cf. "Extraits de quelques unes des délibérations de la Société œconomique" in : Mémoires et
observations recueillies [sic] par la Société œconomique de Berne. Année 1762. Berne, Société
typographique, [1762], p. liii.
61. Ces deux premiers prix étaient d'un montant respectif de 20 et 15 ducats.
62. La devise est empruntée à un passage de la Bible, Première épître de Saint-Pierre, 3 : 13 : "Qui est-
ce qui vous maltraitera, si vous êtes zélés pour le bien".

91
Christine Théré et Loïc Charles

conservée, ainsi que l'accentuation et la ponctuation. Nous avons seulement séparé


les mots, s'il y avait lieu, et rétabli les majuscules en début de phrase. Les
interventions des éditeurs sont entre crochets. La pagination du manuscrit est
indiquée dans le corps du texte entre crochets et en gras.

Transcription :

[9] Mais avant que d’entrer dans les détails [,] il faut se rappeller 63 les raisons
generales qui determinent le choix de la culture et de l’emploi64 des terres.
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Le meilleur employ des terres est celui qui procure le plus grand profit evalué
en argent ; en supposant que le pays ait un commerce exterieur libre et facile pour la
vente de son superflux [sic], et l’achat des denrees qu’il veut tirer de l’etranger, en
sorte que le profit qu’i[l] retire de la vente de son superflux puisse avec avantage lui
procurer l’achat de ce qui lui manque ; car c’est par la valeur en argent que se
mesure[nt] de part et d’autre les avantages ou les desavantages de ce commerce
reciproque [.] C’est donc par le plus grand profit des denrees du cru evaluees en
argent qui decide du meilleur employ des terres65.

Si l’on suposoit au contraire un pays isolé ou privé de commerce avec


l’etranger il seroit alors reduit à tirer de son sol toutes les productions necessaires
pour les besoins et les commodites de la vie. Dans ce cas c’est la valeur usuelle et
non la valeur venale des denrees qui pouroit decider66 du meilleur employ des terres
; la culture du blé ou d’autres grains67 comme denrees de premier besoin devrait
toujours avoir la preference sur la culture des denrees de moindre besoin, car68 la
valeur usuelle des productions du cru ne doit l’emporter sur la valeur venale que
l[orsqu]’on a pas la possibilité ou la facilité 69 du commerce exterieur. Mais il y a
des nations qui ne [sont] point dans ce cas et qui cependant ont a cet egard des
preiugés [préjugés] bien desavantageux et bien ridicules : de la on peut [10] juger
de la sagesse et des lumieres des gouvernemens.

Le meilleur produit des terres, evalué en argent doit etre70 consideré


relativement au produit total y compris les frais, et relativement au produit net frais
deduits. Une terre par exemple peut etre occupée en pré ou elle produiroit 71 : 100lt72

63. "quelques" a été raturé.


64. "de l’employ" répété a été raturé.
65. Plusieurs mots ont été raturés et "des denrees du cru evaluees" a été ajouté au-dessus de la ligne.
66. "décidé" a été raturé et remplacé par "pouroit decider".
67. "le bled" a été raturé et remplacé au-dessus de la ligne par "la culture du blé ou d’autres grains".
68. Un mot illisible a été raturé et remplacé par "car" au-dessus de la ligne.
69. Mots raturés illisibles.
70. "etre" a été ajouté au-dessus de la ligne.
71. Mot raturé illisible.
72. L'abréviation "lt" en exposant désigne des livres tournois.

92
Les textes économiques parlent-ils d’eux-mêmes ?

en foin ou paturage, qui n’exigeroit que 30lt de frais et qui rendroient 70lt de produit
net. Ou bien elle pouroit etre occupée a la culture du blé ou elle produiroit 150lt qui
exigeroient 100lt en73 frais et ne laisseroient74 que 50lt de produit net : on doit
examiner dans lequel de ces deux cas l’employ de cette terre seroit le plus
avantageux, par raport au proprietaire, par raport au fermier, par raport a la
population, par raport a l’etat75.

Par raport 76 au prorietaire dont le revenu est toujours etabli a raison du produit
net, il est tout decidé que l’employ de sa terre qui donne le plus de produit net, lui
est le plus avantageux : des lors la question est decider [sic] a l’egard des terres qui
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sont affermees, car le proprietaire a droit d’exiger le prix du fermage77 de sa terre78 a
raison du79 plus grand produit net qu’elle peut rapporter ; et il y a peu de raison
d’etat qui 80 peut legitimement donner atteintte a ce droit de proprieté.

Par raport au fermier son etat peut etre consideré sous [deux] points de vue 1°
dans le cas ou il auroit81 une grande famille qui seroit occupée aux travaux que la
terre exigent [sic] pour en tirer au prejudice du produit net le plus grand produit
total82 ; dans ce cas ou la famille du fermier gagne elle-meme les frais, et ou ces
frais lui sont rendu[s] par le produit total83 ; la terre alors paye le salaire de cette
famille, qui n’auroit pas besoin84 de chercher ailleurs d’autres ressources ou d’autres
gains pour subsister et ce seroit le proprietaire qui suporteroit le dommage du
moindre produit 85 net, suposé que le proprietaire le voulut bien, ou qu’il ne connut
pas assez ses interrests pour tirer de sa terre le revenu qu’elle peut lui raporter erreur
qu’on ne doit pas suposer86. Mais dans l’autre cas, ou le fermier payeroit les frais87 a
des domestiques, ou ouvriers 88 etrangers a ses interests il ne peut compter que sur le
produit net pour son profit, et pour payer le fermage et 89 l’impost s’il en est chargé.

73. "de" a été raturé et remplacé par "en" au-dessus de la ligne.


74. "il ne resteroit" a été raturé et remplacé par "laisseroient" au-dessus de la ligne, le "ne" initial étant
conservé.
75. "etat" et "population" ont été raturés et leur ordre inversé par des ajouts au-dessus de la ligne.
76. Mots raturés illisibles.
77. "sur le pied" a été raturé.
78. "sur le" a été raturé.
79. "du" a été ajouté au-dessus de la ligne.
80. Rature illisible.
81. Un mot a été raturé et remplacé par "auroit" au-dessus de la ligne.
82. "au prejudice du produit net" a été ajouté au-dessus de la ligne et "y compris les frais" barré en fin
de phrase, ce qui donnait initialement : "pour en tirer le plus grand produit total y compris les frais".
83. "qu’il retire de la terre" a été raturé.
84. "besoin" a été ajouté au-dessus de la ligne.
85. "suposé" a été raturé.
86. "erreur qu’on ne doit pas suposer" a été ajouté au-dessus de la ligne, précédé d’un mot raturé
illisible.
87. "les frais" a été ajouté au-dessus de la ligne.
88. "etrangers qui" a été raturé qu’ainsi qu’un mot ajouté au-dessus de la ligne.
89. "pour payer" ajouté au-dessus de la ligne a été ensuite raturé.

93
Christine Théré et Loïc Charles

Ainsi [il] s’attachera au plus grand produit net, et non au plus grand produit total
qui pouroit s’obtenir par de plus grands frais au prejudice du produit net. Quant
aux90 petits proprietaires qui cultivent eux-memes, et qui ont des91 familles
nombreuses a occuper aux travaux de la culture pour y trouver leur subsistance, il
n’est pas douteux comme nous l’avons92 deja expliqué qu’il[s] doivent se procurer le
plus grand produit total qui puisse93 s’obtenir par une augmentation de travaux, et
qui puisse en payer le salaire. 94

Cependant 95 nous ne parlons ici que des travaux qui ne peuvent s’executer que
par des hommes[. ] Tels sont par exemple les travaux de la culture de la vigne, des
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jardins &c. 96 car tous les travaux 97 ou l’on peut employer, et ou l’on employe
effectivement les animaux, par exemple98 les chevaux, les bœufs &c. il y auroit a
perdre pour les hommes qui executeroient eux-memes99 ces travaux quand meme ils
feroient 100 autant de travail ; il y auroit a perdre101 parce que les hommes depensent
plus que les animaux a produit égal. Ainsi a produit egal102 la concurrence des
hommes avec les animaux dans les travaux sera aux desavantages [sic] des
hommes ; a moins que les hommes103 ne se reduisent a une depense aussi bornee que
celle des animaux ce qui seroit le supreme degre de misere pour les hommes. Je dis
a produit egal [11] parce qu’il peut y avoir des dispositions de terrains, ou pour
toutes sortes de culture le travail des hommes auroit104 de l’avantage sur celui des
animaux pour mettre en bonne valeur ces sortes de terrains ; mais toujours105 faut-il
considerer que ces terrains sont moins avantageux que ceux qui peuvent etre
cultivés a produit egal avec des animaux, c’est pourquoi ces terrains restent
ordinairement incultes dans les pays ou il ne manque pas de terres faciles a cultiver
avec les animaux. C’est pourquoi aussi dans ces memes pays, s’il manque de
cultivateurs qui puissent faire les frais de la culture avec les animaux, les terres
restent en friche ; parce que les paysans ne se chargent de faire valloir ces terres
avec perte par le travail de leurs bras ; car s’il n’y avoit pas de cause qui enleve le

90. "les" a été raturé et remplacé au-dessus de la ligne par "Quant aux".
91. "une" raturé a été remplacé au-dessus de la ligne par "des".
92. "l’avons" a été ajouté au-dessus de la ligne.
93. "peut" raturé a été remplacé par "puisse" au-dessus de la ligne.
94. Le sous-titre "Par raport a la population" inséré initialement entre ce paragraphe et le suivant a été
barré.
95. Rature illisible.
96. "des jardins &c" a été ajouté au-dessus de la ligne.
97. "qui" a été raturé.
98. "par exemple" a été ajouté au-dessus de la ligne.
99. "eux memes" a été ajouté au-dessus de la ligne.
100. Un mot raturé a été remplacé par "feroient" au-dessus de la ligne.
101. "perdre" a été ajouté au-dessus de la ligne.
102. "a produit egal" a été ajouté au-dessus de la ligne.
103. "que les hommes" a été ajouté au-dessus de la ligne.
104. "a" raturé et remplacé par "auroit" au-dessus de la ligne.
105. "il arrive" raturé et remplacé par "toujours" au-dessus de la ligne.

94
Les textes économiques parlent-ils d’eux-mêmes ?

profit de la culture qui s’y feroit106 avec animaux, il n’y manqueroit pas [de]
cultivateurs qui y exerceroient cette culture, qui est moins dispendieuse que celle
qui s’execute par le travail des hommes : celle-ci ne peut donc pas supleer a celle-
là. C’est ce que la plupart des citadins ne peuvent pas comprendre ; aussi ne
manquent-ils pas de taxer les paysans de paresse dans les pays ou les terres restent
incultes. Il y a donc peu de cas où le colon puisse preferer le plus grand produit total
qui s’obtient par augmentation de frais, au prejudice du produit net.

C’est encore un des prejugés de nos citadins de croire que plus la culture
occupe d’hommes plus elle est favorable a la population, et a l’accroissement des
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richesses107. Il[s] ne pense[nt] pas qu’un etat 108 aratoire est formé de plusieurs
classes d’hommes et que plus la culture occuperoit d’hommes 109 dont le travail ne
produiroit que leur subsistance [,] les moissons110 ne suffiroient que pour la
nourriture des hommes occupée [sic] a la culture du sol. Il[s] ne pensent pas dî-je
[que] c’est le produit net qui forme les revenus, qui font subsister toutes111 les
differentes classes d’hommes d’un [É]tat [et] qu’ainsi, a produit net egal, plus
l’industrie et la richesse des entrepreneurs de culture112 epargnent de travail
d’hommes a la culture des terres, plus cette113 culture fournit a la subsistance
d’autres hommes, lesquels sont d’autant114 plus disponibles pour tout autre exercice,
pour les differentes proffessions, pour la guerre, pour [les] travaux publics &c. 115
qu’ils ne sont pas employes par la terre a la reproduction annuelle des richesses ; au
lieu que ceux qui y sont employés ne peuvent en etre détournés qu’au prejudice de
cette reproduction et 116 de toute la nation. Ainsi quand des travaux plus multipliés 117
augmenteroient le produit total au prejudice du produit net118, ces travaux et ce
produit total n’en seroient pas plus favorable a la population ; parce qu’elle
diminueroit autant d’une part qu’elle augmenteroit de l’autre.

106. "qui s’y feroit" a été ajouté en marge à gauche.


107. Dans l’imprimé, Mirabeau a inséré entre les deux phrases tout un passage sur l’Ami des hommes
qui soutenait un autre point de vue : "L’auteur d’un des premiers ouvrages complets sur cette matière
qui ait paru dans notre langue, et que la droiture de ses intentions a fait goûter assez généralement,
semble avoir établi ce principe dans son traité de la Population. Il considéroit les choses dans les vues
de l’humanité plus particulièrement que dans des vues œconomiques. En ces sortes de matières, les
esprits droits se rencontrent, sitôt qu’ils peuvent approfondir de bonne foi" (p. 25).
108. "est formé" a été raturé.
109. "qui ne" a été raturé.
110. "sols" a été raturé.
111. "les" devant "toutes" a été raturé.
112. "et la richesse des entrepreneurs de culture" a été ajouté au-dessus de la ligne.
113. "plus" a été raturé et remplacé au-dessus de la ligne par "des terres, plus cette".
114. Un mot raturé illisible a été remplacé au-dessus de la ligne par "lesquels sont d’autant".
115. Plusieurs mots ont été raturés et remplacés au-dessus de la ligne par "pour [les] travaux publics
&c. ".
116. "de tout l’etat" a été raturé.
117. "produiroient" a été raturé.
118. "net" a été ajouté au-dessus de la ligne.

95
Christine Théré et Loïc Charles

Il est pourtant vrai que si le produit total augmentoit en multipliant le travail des
hommes sans prejudice du produit net, le produit total favoriseroit alors la
population a raison de son augmentation ; mais il n’y auroit que des hommes de
plus, et non des revenus. Cependant ce s[er]oit une raison d’humanite et de droit
naturel pour acroitre autant qu’il seroit possible ce moyen de population ; mais
comme le produit net est l’objet du proprietaire et du fermier, l’un et l’autre seront
toujours peu disposés a faire des avances de frais qui ne tourneroient pas a leur
profit et qui les livreront119 davantage aux dommages qui arrivent par les accidens
auxquels120 les recoltes sont exposées. Il est donc certain que la preference des
cultures est presque toujours decidee par le produit net et non par le produit total. 121
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Il est evident aussi que par raport a l’[É]tat cette raison de preference ne peut
etre desavantageuse dans le cas ou un plus [grand] produit total pouroit augmenter
la population ; mais, comme nous l’avons remarqué, [on ne peut augmenter] les
hommes122 sans augmenter les revenus ; car cette123 augmentation de population ne
pouroit [être] par raport a l’etat qu’une augmentation sterile, une augmentation
d’hommes pauvres [12] attaches a la terre sans autre usage que celui d’en tirer
seulement124 leur subsistance, et de ne pouvoir en etre125 separés sans eteindre le
produit qui les fait subsister sans profit pour l’[É]tat ; car si on vouloit les faire
contribuer à des services ou a des impositions il faudroit tirer sur le produit net au
prejudice des autres126 de quoi payer leur subsistance ou leur impositions [sic], ou
les priver du necessaire. C’est cependant une portion d’habitans qui a droit a la vie
comme les autres ; mais qui par le lot incommunicable de leur subsistance et de leur
emploi ne peuvent contribuer ni participer a la prosperité de la patrie. Guidés par
ces points de vue generaux nous allons entrer127 dans les details relatifs a la question
proposes [sic].

119. "qui les exposeront" a été raturé et remplacé par "qui les livreront" au-dessus de la ligne.
120. "qui a les" a été raturé et corrigé en "auxquels".
121. La dernière phrase ne figure pas dans l’imprimé et Mirabeau conclut ainsi ce passage : "Ce
moyen intéressant de population dépend donc uniquement des mœurs et usages d’un pays, de
l’humanité et domesticité qui y sont en vogue" (Mirabeau et Quesnay 1760a, p. 26).
122. "les hommes"a été ajouté au-dessus de la ligne, sans compléter le reste de la phrase.
123. "ainsi" a été raturé et remplacé au-dessus de la ligne par "car cette".
124. "seulement" a été ajouté au-dessus de la ligne.
125. "en etre" a été ajouté au-dessus de la ligne.
126. "au prejudice des autres" a été ajouté au-dessus de la ligne.
127. "entrer" a été ajouté au-dessus de la ligne.

96
Les textes économiques parlent-ils d’eux-mêmes ?
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Mirabeau, Mémoire pour concourir au prix annoncé et proposé par la très louable Société
d’agriculture de Berne pour l’année 1759 (1759), avec annotation marginale de Quesnay,
Archives nationales, M 783 5-2, p. 12.

97
Christine Théré et Loïc Charles

RÉFÉRENCES

INED 2005, Œuvres économiques complètes de François Quesnay et autres textes,


Christine Théré, Loïc Charles et Jean-Claude Perrot (éd.), Paris, INED, 2 vol.
Becagli Vieri (1971), Ricerche et messe a punto sugli autori e sul testo del Tableau
economique (L’Ami des Hommes), Projetto di edizione, Firenze.
Besomi Daniele (2006), "A note on textual editing : a rejoinder to Young", Journal
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the History of Economic Thought, vol. 28, n°3, pp. 375-381.
Bridel Pascal (éd.) (1992), Editing Economists and Economists as Editors. Papers
given at a conference held at the Centre d’études interdisciplinaires Walras-
Pareto, University of Lausanne, Genève/Paris, Droz (Revue européenne des
sciences sociales, n°92).
Cartelier Jean (2002), "Zirkulation und Produktion in der "Philosophie rurale" :
Eine kritische Untersuchung", Vademecum zu einem Klassiker der
Physiocratie, A. Heertje,Verlag Wirtschaft und Finanzen (éd.), Düsseldorf,
2002.
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Charles Loïc et Steiner Philippe (1999), "Entre Montesquieu et Rousseau. La
physiocratie parmi les origines intellectuelles de la Révolution française",
Études Jean-Jacques Rousseau, Montmorency, Musée Jean-Jacques Rousseau,
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Charles Loïc, Perrot Jean-Claude et Théré Christine (2009), "“Anglo-saxon vs
Continental Scholarship : On Critical Editions of Economic classics”: A Reply
by Loïc Charles, Jean-Claude Perrot and Christine Théré", Contributions to
Political Economy, vol. 27, n° 2.
Diatkine Daniel et Magris Francesco (2006), "L’économie et son histoire : pour le
travail sur les textes", http://leda.univ-
evry.fr/PagesHtml/laboratoires/Epee/EPEE/colloques/DIATKINEMAGRIS_Scienc
eEcoetHistoire_ EPEE7122006.pdf (consulté le 8 septembre 2009).
Du Pont Pierre-Samuel (1906), L’Enfance et la jeunesse de Dupont de Nemours
racontées par lui-même, Paris, Plon-Nourrit et Cie.
Eltis Walter (1996), "The Grand Tableau of François Quesnay’s economics", The
European Journal of the History of Economic Thought, vol. 3, n° 1, pp. 21-43.
Fox-Genovese Elizabeth (1976), The Origins of Physiocracy. Economic Revolution
and Social Order, Ithaca and London, Cornell University Press.
Knies Carl (dir.) (1892), Carl Friedrichs Von Baden Brieflicher Verkher mit
Mirabeau und Du Pont, Heidelberg, Carl Winter’s Universitätsbuchhandlung,
2 vol.

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Leigh Ralph Alexander (éd.) (1979), Correspondance complète de Jean-Jacques


Rousseau, vol. 33 (avril-juillet 1767), Oxford, Voltaire foundation.
Longhitano Gino (éd.) (1999 a), Marquis de Mirabeau, François Quesnay, Traité de
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