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UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES

Faculté des sciences sociales, politiques et économiques


Departement de Science politique

La Roumanie - du placard à la libération


Eléments pour une histoire socio-politique des revendications
homosexuelles dans une société postcommuniste

Dissertation présentée
en vue d’obtenir le titre de Docteur en Sciences Politiques

Par Andreea Sînziana Cârstocea

Sous la direction du Professeur Paul MAGNETTE

Année académique 2009-2010

Membres du jury :

M. Jean Michel DE WAELE, Université Libre de Bruxelles


M. Eric FASSIN, Ecole Normale Superieure, Paris
M. Eric REMACLE, Université Libre de Bruxelles
Mme. Florence TAMAGNE, Université Lille III
2
Remerciements
Mon intérêt pour les questions homosexuelles date depuis déjà un bail... Cela a commencé
avec un mémoire de fin d’études à l’Université de Bucarest et a continué par un projet soumis à
l’Ecole Doctorale Francophone en Sciences Sociales toujours à Bucarest. L’Université Libre de
Bruxelles m’a plus tard accueillie, d’abord dans le cadre du Programme de Diplôme d’Etudes
Approfondies, par la suite en tant que doctorante.
Plusieurs institutions donc, mais surtout plusieurs personnes ont contribué d’une façon ou
d’une autre à l’aboutissement de ce travail. Nommer ici tous ceux qui m’ont apporté leur soutien
pendant ces longues années me serait impossible. Je voudrais commencer par les institutions qui
m’ont accordé leur appui financier : ma gratitude s’adresse notamment au Fond Jacques Lewin –
Inès Henriques de Castro de l’Université Libre de Bruxelles et à l’Agence Universitaire de la
Francophonie, pour avoir fait confiance à ce travail ; tous les responsables qui m’ont accueillie et
suivie ont été remarquablement gentils et aimables.
Je voudrais exprimer ma reconnaissance à Jean-Michel De Waele ; c’est lui qui, lors de
notre rencontre à l’Ecole Doctorale de Bucarest, m’a encouragée à poursuivre mes recherches à
Bruxelles et c’est lui qui s’est retrouvé à de nombreuses fois à mes côtés, pour m’encourager, pour
me soutenir, pour me pousser quand je ne comprenais pas que la seule manière de faire avancer le
travail c’était de se « jeter à l’eau ». Jean-Michel m’a lancée dans cette aventure et il a fait tout ce
qui était humainement possible pour que j’apprenne comment être « un vrai chercheur ». Les
publications, les colloques, les rencontres avec toute personne qui aurait pu m’aider sur ma
thématique de recherche, les demandes de crédits pour un colloque à Bruxelles, un autre à Bucarest
et les interactions avec le milieu moins accueillant de l’institution qui a ouvert ses portes à
l’organisation de ce dernier - c’est Jean-Michel qui su comment m’encourager à les mener à bonne
fin. J’en ai beaucoup appris et j’ai acquis plus de confiance en moi. Merci, Jean-Michel.
Tout aussi courageux et confiant dans ma capacité à remettre ce travail, Paul Magnette
mérite plus de remerciements que je ne pourrais jamais exprimer. Evidement, cela va de pair avec
une immense admiration et, pour que je sois honnête jusqu’au bout, avec une certaine intimidation :
ma voix n’a jamais arrêté de trembler quand je devais lui parler ! Je le remercie beaucoup pour
m’avoir acceptée comme doctorante et pour m’avoir permis de m’éloigner suffisamment de
l’européanisation pour découvrir ce que je voulais dire dans ces pages. Son avis m’a toujours aidée
à voir plus clair dans la masse de travail que je devais assumer et en sortant de son bureau je me
suis retrouvée plus motivée.
Toujours à l’ULB, nombre de professeurs m’ont aidée tout au long des années : Eric
Remacle a suivi ma problématique avec grand intérêt. Anne Weyembergh a non seulement accepté
de faire un travail énorme lors du colloque que nous avons organisé ensemble en décembre 2004,

3
mais elle a également assuré une grande partie des tâches liées à la publication qui en est issue.
Dans une période où son intérêt de recherche allait vers d’autres horizons, elle s’est engagée dans
cette aventure et l’a poursuivie jusqu’au but, au prix de nombreuses heures de travail parfois
tendues. Elle m’a beaucoup appris et je lui en sais gré. Mais Anne n’a pas été la seule : François
Forêt, Justine Lacroix, Aude Merlin, Pascal Delwit, Berengère Marques Pereira, Serge Jaumain s’y
ajoutent. Qu’ils en soient tous remerciés ici.
La réflexion que j’ai menée dans les pages qui suivent doit beaucoup à d’autres personnes
que j’ai eu la chance de rencontrer, qui s’intéressent au sujet des questions homosexuelles et qui
travaillent dans des centres de recherches extérieurs à l’ULB. Eric Fassin a exprimé une vive
curiosité pour ma recherche lors de notre première rencontre à l’Ecole Doctorale de Bucarest et il
m’a montré depuis une ouverture et une disponibilité très rassurantes. A son tour, Florence
Tamagne a su jeter sur ce travail un regard qui me l’a rendu toujours plus intéressant à moi-même
et m’a encouragée et soutenue à le faire connaître via des publications et des communications. Les
échanges avec eux m’ont beaucoup apporté. Une place spéciale dans mon parcours revient à Rose-
Marie Lagrave, qui a découvert ce projet et lui a donné une première chance à l’occasion de mon
recrutement à l’Ecole Doctorale de Bucarest. Depuis lors, Cristian Preda, Daniel Sotiaux, Jean-
Arnault Dérens, Sandrine Kott, Vivian Schmidt, Francine Muel-Dreyfus ont partagé avec moi des
moments d’étonnement devant les réalités roumaines et m’ont aidée à cristalliser une réflexion là-
dessus.
Cette these doit beaucoup à ceux qui ont accepté de partager leurs expériences de vie avec
moi: je remercie Michael Holscher, David St. Vincent, Guido Spaanbroek, Jennifer Tanaka, Dennis
van der Veur pour leur gentillesse et leur disponibilité, ainsi que Vera Cîmpeanu, Adrian Coman,
Mona Nicoara, Ion Iacos, qui ont trouvé du temps à m’accorder. Je remercie Chris Newlands, Ivan
Fisher, Scott Long, Joke Sweibel, Georgia McPeak, Haydar Koyel, Jason Maddix, ainsi que Florin
Buhuceanu, Tudor Kovacs, Florin Radu, Bogdan Stefan, Florin Ghita, Irina Nita, Flori Olteanu,
Lucian David, Alin Florescu, Cristi Branea, Luminita Ratiu, Adrian Paun, Romanita Iordache,
Stefan Iancu, Daniel, Octav, Claudia. Chacun à sa façon, ils m’ont aidée à rassembler ces
informations.
Le travail à l’ULB s’est aussi traduit dans des journées au bureau, des conférences et des
colloques, des pauses café ou des pauses midi, des barbecues (moins souvent) ou des cigarettes
partagées en même temps que les impressions d’un cours ou autre, d’une lecture, d’une inquiétude.
Heureusement que les collègues étaient là pour rendre les longues journées de travail moins dures
et les pauses plus intéressantes : je dirais merci, le CEVIPOL ! Mais il y a eu d’abord le
GASPPECO… Alors mon grand merci au GASPPECO d’antan et au CEVIPOL d’aujourd’hui.
Vous avez toujours su m’apporter un sourire et vous montrer ravi(e)s de me voir ! Julien, Katya,
Nico, Amandine, Emilie, Sharon, Nicolas… et Ninucia. Ma grande reconnaissance se tourne vers

4
Ramona. Avec discrétion et respect, elle m’a accueillie dans son bureau quand je venais d’arriver à
l’Institut de Sociologie. Elle m’a montré ce que signifiait le travail à l’ULB sans prétendre tout
savoir ou tout comprendre. Elle a su m’aider, m’encourager, me réconforter ; son regard toujours
positif m’a secondée surtout pendant la rédaction de cette thèse. Ramona, multumesc, colega !
Je ne voudrais pas oublier les collègues et amis qui ne sont pas rattachés au CEVIPOL,
mais qui m’ont également soutenue et encouragée, surtout David Paternotte, Antoine Heemeryck,
Bogdan Popa. Ou des amis à Bucarest ou ailleurs, qui ont su m’écouter pour partager mes doutes et
ma joie: Aline Rapp, Marion Samaran, Fernand Léguillier, Dana Chiriac, Georgia McPeack,
Mihaela Lepadatu, Lucian Popa, Adrienne Lee, Benoît Léguillier, Mihaela Vieru, Julia Curry. A
Bruxelles, celui qui a partagé avec moi une grande partie des plaisirs de la rédaction a su m’écouter
avec la même délicatesse avec laquelle il sait remplir les assiettes des meilleures créations
culinaires et les verres du meilleur vin !

Cette thèse a été lancée et a pu être menée au terme grâce au soutien de ma sœur, Ioana. En
2004, quand je venais de commencer l’aventure du doctorat, elle mettait fin au sien. Les difficultés
qu’elle avait rencontrées, les moments de doute, les hésitations qui avaient accompagné sa
recherche se sont transformés dans un apprentissage qui m’a beaucoup servi ! Sa rigueur et son
sérieux m’ont parfois submergée. Elle a su contourner cela avec son humour et sa fragilité. Les
corrections, les discussions, les livres, les articles, les heures passées au téléphone, les longues
emails, l’appartement … merci. Et n’oublions pas la première gay pride à Bucarest, quand on a
affronté ensemble l’opprobre social et les anathèmes des dévotés orthodoxes ! Merci à Radu aussi.
Je devrais peut-être remercier mes parents: ils m’ont toujours poussée à faire des études,
malgré moi ! Aller à l’université d’abord, puis aller plus loin, continuer dans une université à
l’étranger, connaître la vie académique européenne, faire la « recherche comme il faut »… Je ne
sais pas encore s’ils sont contents - parfois je me demande s’ils ne seraient pas mieux si leur fille
n’avait pas de thèse et qu’ils la voient davantage !
Geoffrey, thank you for your patience and your understanding. You’re the butter (and salt)
on my bread!
Et si c’est toi que j’ai oublié quand j’ai écris ces lignes, merci à toi aussi !

5
6
Table des matières
Liste des abréviations et sigles.......................................................................................... 11
Introduction ....................................................................................................................... 13
Chapitre 1 : Considérations sur les modalités de recherche des questions
homosexuelles..................................................................................................................... 38
Préambule ........................................................................................................................ 39
A. À la recherche des questions homosexuelles à l’est de l’Europe ............................... 42
Regards sur l’homosexualité dans les PECO .............................................................. 44
Le cas roumain............................................................................................................. 47
B. L’homosexualité comme objet d’étude: les études gaies et lesbiennes ...................... 57
C. Les études gaies et lesbiennes, pour quoi faire ? ........................................................ 83
Chapitre 2 : Incursions historiques : séquelles ou métamorphoses du passé .............. 90
Préambule ........................................................................................................................ 91
A. Interdit, clandestinité, dissimulation. Regard diachronique sur l’homosexualité....... 93
Homosexuels depuis 2000 ans ? L’homosexualité en Roumanie................................ 93
L’homosexuel et « l’homo sovieticus » : une contradiction dans les termes............... 97
Fouiller les ténèbres : quelques repères d’une histoire clandestine........................... 101
B. « Le totalitarisme est allé jusque dans l'utérus ! » .................................................... 116
C. « Les restes du communisme sont dans la casserole ».............................................. 120
Chapitre 3 : Sortir de l’ombre : l’aube d’une mobilisation homosexuelle en Roumanie
........................................................................................................................................... 124
Préambule ...................................................................................................................... 125
A. L’effondrement du communisme : une nouvelle ère pour les homosexuels roumains ?
....................................................................................................................................... 126
Daniel Iorga : ensemble, c’est mieux ! ...................................................................... 133
Razvan Ion : portrait d’un combattant....................................................................... 138
B. L’introuvable « société civile » à l’est...................................................................... 152
Chaptire 4 : Les conditions de possibilité d’un changement concernant les provisions
légales sur l’homosexualité dans le cas roumain .......................................................... 157
Préambule ...................................................................................................................... 157
A. Premiers pas sur la voie de la démocratisation – la réforme de la législation .......... 159
B. L’article 200 à l’agenda du Gouvernement roumain ................................................ 162
L’option européenne – une priorité du Gouvernement roumain ............................... 163
Les entrepreneurs de la démocratie ........................................................................... 166
Affronter la question homosexuelle : sous le regard de l’Europe ............................. 174
C. Mettre l’homosexualité à l’agenda du Conseil : la Roumanie ou le « litmus test » . 175
D. Des acteurs travaillant sur une question à l’échelle internationale........................... 179
Chapitre 5 : La Parlement roumain face à l’article 200 : « qu’on modifie, d’accord,
mais qu’on n’y change rien ! » ....................................................................................... 188
Préambule ...................................................................................................................... 189
A. L’article 200 à l’agenda du Parlement...................................................................... 190
L’argument du droit à la vie privée ............................................................................... 197
L’argument de l’instance supranationale....................................................................... 199
L’argument de la cohérence interne du droit................................................................. 201
L’argument religieux, de la spécificité nationale et de la tradition ............................... 202
L’argument de la procréation, reproduction et démographie ........................................ 204
L’argument du danger pour les enfants, prosélytisme, pédophilie................................ 205

7
L’argument de l’ordre naturel, de la biologie et de la génétique, de la médecine......... 206
L’argument de l’opinion publique................................................................................. 207
Chapitre 6 : Contre l’homosexualité, pour la santé de la nation. Contre les
discriminations, pour les droits de l’Homme ................................................................ 222
Préambule ...................................................................................................................... 223
A. L’Eglise orthodoxe roumaine, gardienne de la morale nationale traditionnelle....... 225
La morale, la santé, la nation en péril. La menace de l’homosexualité..................... 225
Au salut de la nation .................................................................................................. 231
« L’Etat chez lui, l’Eglise chez elle » ? ..................................................................... 235
B. APADOR-CH, gardienne des principes de la démocratie ; les droits de l’Homme . 238
APADROR-CH - l’essor d’un partenaire local fiable ............................................... 239
Devant la Cour constitutionnelle ............................................................................... 248
C. Bilan intermédiaire.................................................................................................... 254
Chapitre 7 : ACCEPTez nous ! Ensemble pour une Roumanie plus gaie.................. 258
Préambule ...................................................................................................................... 259
A. Les antécédents de la mobilisation ........................................................................... 260
Débat public autour de l’homosexualité : l’orientation sexuelle - un droit humain ?263
Sinaia : une réunion insolite ...................................................................................... 269
B. L’institutionnalisation de l’association ACCEPT..................................................... 282
Actions d’alerte – les premiers pas du militantisme.................................................. 282
Détourner l’interdiction : l’enregistrement juridique ................................................ 285
L’association ACCEPT : détails d’ordre pratique..................................................... 287
C. Un nouvel acteur dans le paysage associatif roumain .............................................. 294
Chapitre 8 : Les questions homosexuelles ou « l’extension du domaine de la
démocratie » ..................................................................................................................... 298
Préambule ...................................................................................................................... 299
A. L’intégration européenne - une priorité politique majeure....................................... 300
La configuration du spectre politique lors des élections de 1996.............................. 300
L’Europe : termes et conditions..................................................................................... 303
B. Du côté des militants................................................................................................. 307
ACCEPT & Co - lobbying and advocacy.................................................................. 307
Le regard toujours attentif de l’Eglise orthodoxe roumaine...................................... 313
C. De nouveau devant le Parlement : le difficile passage de l’ordre symbolique à l’ordre
politique......................................................................................................................... 313
D. Rien de nouveau dans l’espace « carpato danubien pontique », quelques changements
majeurs dans l’espace européen .................................................................................... 316
Chapitre 9 : S’adapter à l’Europe : est-il plus difficile pour… la Roumanie ? ......... 326
Préambule ...................................................................................................................... 327
A. L’article 200 à l’épreuve de l’intégration à l’Union européenne ............................. 328
L’heure du compromis, le temps de l’intégration européenne .................................. 329
Non à l’homosexualité, oui à l’Europe, mais une Europe chrétienne ....................... 335
ACCEPT : la chronique du « succès » ...................................................................... 340
Une nouvelle législature, les mêmes défis ................................................................ 348
B. Europe – européanisation.......................................................................................... 351
Quelle définition pour l’européanisation ? ................................................................ 352
De la conditionnalité de l’Union européenne ............................................................ 355
L’Europe- une opportunité pour les revendications lgbt ........................................... 358
Conclusions ...................................................................................................................... 365
Dictionnaire...................................................................................................................... 377

8
Bibliographie.................................................................................................................... 379
Articles et chapitres d’ouvrages consultés..................................................................... 379
Ouvrages........................................................................................................................ 395
Sources .......................................................................................................................... 407
Annexes............................................................................................................................. 415

9
10
Liste des abréviations et sigles

AI – Amnesty International
APADOR-CH – Asociatia pentru Apararea Drepturilor Omului in Romania – Comitetul
Helsinki / L’Association pour la défense des droits de l’Homme en Roumanie – Comité
Helsinki
ARAS – Asociatia Romana Anti Sida / Association roumaine anti sida
ASCOR – Asociatia Studentilor Crestini Ortodocsi din Romania / Association des
Etudiants chrétiens orthodoxes de Roumanie
BAG – Bucharest Acceptance Group / devenu plus tard ACCEPT
BOR – Biserica Ortodoxa Romana / L’Eglise orthodoxe roumaine
CDR – Conventia Democrata Romana / Convention démocratique roumaine
CNCD – Consiliul National pentru Combaterea Discriminarii / Conseil national de lutte
contre la discrimination
CNSAS – Consiliul National pentru Studierea Arhivelor Securitatii / Conseil national pour
l’étude des archives de la Securitaté
CoE – Conseil de l’Europe
EGALITE – Equality for Gays and Lesbians in the European Institutions
FDSN – Frontul Democratic al Salvarii Nationale / Front démocratique du salut national
FSN – Frontul Salvarii Nationale / Front du salut national
GDS – Grupul pentru Dialog Social / Groupe pour le Dialogue Social
HRW – Human Rights Watch
IGLHRC – International Gay and Lesbian Human Rights Commission
ILGA – International Lesbian and Gay Association
IGLYO – International Gay and Lesbian Youth Organization
LADO – Liga pentru Apararea Drepturilor Omului / Ligue pour la Défense des Droits de
l’Homme
LGBT(Q) / lgbt(q) – lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels, queer
N.V.I.H. COC Nederland – Association néerlandaise pour l’intégration de
l’homosexualité COC (Cultuur en Ontspannings Centrum)
OG – Ordonanta de guvern / Ordonnance gouvernementale
OUG – Ordonanta de urgenta / Ordonnance d’urgence du Gouvernement
PAC – Partidul Aliantei Civice / Pari de l’alliance civique
PC – Partidul Comunist / Parti communiste
PD – Partidul Democrat / Parti démocrate.
PDAR – Partidul Democrat Agrar din România / Parti démocrate agraire de Roumanie.
PDSR – Partidul Democratiei Sociale din România / Parti de la démocratie sociale de
Roumanie.

11
PECO – Pays d’Europe centrale et orientale
PER – Partidul Ecologist Român / Parti ecologiste roumain.
PL ’93 – Partidul Liberal 1993 / Parti libéral 1993
PNL – Parti National Liberal / Parti national libéral.
PNL-CD – Partidul National Liberal - Conventia Democrata / Parti national libéral-
convention démocrate.
PNTCD – Partidul National Taranesc Crestin Democrat / Parti national paysan chrétien
démocrate.
PRM – Partidul România Mare / Parti de la Grande Roumanie.
PS – Partidul Socialist / Parti socialiste.
PSD – Partidul Social Democrat / Parti social-démocrate.
PSDR – Partidul Social Democrat Român /Parti docial-démocrate roumain.
PSM – Partidul Socialist al Muncii / Parti socialiste du travail.
PUNR – Partidul Unitatii Nationale Române / Parti de l’unité nationale roumaine.
PECO – Pays d’Europe centrale et orientale
SIRDO – Societatea Independenta Romana pentru Drepturile Omului / Société
indépendante roumaine pour les droits de l’Homme
UDMR – Uniunea Democrata a Maghiarilor din Romania / Union démocratique des
hongrois de Roumanie
UE – Union européenne
UNESCO-CEPES - United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization – le
Centre européen pour l’Enseignement supérieur
USAID – United States Agency of International Development
USD – Uniunea Social Democrata / Union sociale démocrate

12
Introduction

« Un acte immoral et honteux », « un choix personnel », « une véritable


perversion », « une maladie », « une pratique sexuelle », « une passion anormale », « une
atteinte à l’honneur d’une personne », « un crime », « un dérèglement psychologique »,
« une déviance », « un droit », « un péché », « une pathologie moderne », « un
comportement mortel pour la société », « une préférence » … Cette liste de références est
loin d’être exhaustive. Leur objet – l’homosexualité. Plus encore : « pédéraste »,
« homosexuel », « sodomite », « lesbienne », « uraniste », « tribade », « drag queen »,
« inverti », « butch », « folle », « gay1 », « queer2 »… Tous des mots pour désigner des
hommes ou des femmes, des gens, des êtres humains – les homosexuel(le)s3, les personnes
lgbt4. A travers les mots c’est la réalité même d’une disposition, d’une conduite, d’un
choix, d’un style de vie qui fait l’objet des interrogations. Cette réalité5 constitue l’objet de
cette recherche.

1
Le terme « gay » sera employé dans cette analyse de la manière suivante : en tant que substantif,
« gay », avec le pluriel « gays », et en tant qu’adjectif « gay », avec les variations selon genre et
nombre « gaie », « gais », respectivement « gaies ». Néanmoins, quand il s’agit de citations, nous
respectons les choix des auteurs quant à l’emploi de ces termes.
2
Terme provenant également de l’anglais, qui signifie dans le langage commun bizarre, étrange,
malade, anormal, excentrique. Progressivement le terme a acquis une signification qui renvoie à la
sexualité. Employé dans un premier temps de manière injurieuse, comme insulte à l’égard des gays
et des lesbiennes, le terme est repris par ceux-ci, qui commencent à se désigner eux-même comme
« queers », à savoir spéciaux, différents des autres. Vers la fin des années 1980, le mot commence à
changer de sens, étant repris par ceux qui refusent les désignations de gay ou lesbienne, qu’ils
considèrent figées et excluantes.
3
Le terme « homosexuels » sera parfois employé dans le texte de manière générique, pour désigner
les homosexuels et les lesbiennes, pour éviter la lourdeur des répétitions et rendre la lecture plus
aisée.
4
« lgbt » sera employé ici pour lesbiennes, gays, bisexuel/les et transsexuel/les.
5
Dans l’emploi que nous ferons du terme « homosexualité » et des termes connexes
« homosexuel/les », « gays », « lesbiennes », il faudra s’attacher jusqu’à plus d’éclairages, à
considérer un usage formel, de concepts neutres et descriptifs, qui témoignent d’une réalité comme
telle, à savoir le constat des relations sexuelles entre des individus de même sexe. Toute valeur
conceptuelle ou analytique sera mise entre parenthèses, ainsi que l’implication d’une conscience
identitaire. Cette précaution de neutralité initiale est nécessaire afin de ne pas imposer des
interprétations déjà faites et elle est la condition pour l’élucidation la plus appropriée des faits
sociaux à l’œuvre dans le contexte roumain.

13
Les questions homosexuelles

A la fin du XIXe siècle, puis dans l’entre-deux-guerres, certains pays d’Europe


avaient vu émerger des mouvements homosexuels ; la plupart furent étouffés ou
violemment réprimés et ne survécurent pas à la Seconde Guerre mondiale, d’autres
renaquirent, sous des formes différentes, à la fin des années soixante. C’est d’ailleurs
depuis lors que des hommes et des femmes, des associations et des groupes ont commencé
à faire entendre leurs voix afin d’obtenir le droit, qui peut apparaître de nos jours comme
banal, de vivre sa propre sexualité et d’effacer les discriminations sur la base du sexe ou de
l’orientation sexuelle. Des pressions sociales montantes demandaient l’égalité des droits et
la libération des mœurs. Le modèle majoritaire « sex for reproduction » perdit rapidement
du terrain au profit du nouveau « sex for pleasure », qui donne au plaisir et à la satisfaction
individuelle la place principale. De forts mouvements sociaux ont poussé le droit à
s’adapter à l’évolution de la société, aux mutations profondes des structures sociales. La
laïcisation de la sexualité, la libération des attitudes se sont traduites par des réformes
législatives et des normes plus permissives concernant la contraception, l’avortement, les
rapports sexuels hors mariage ou l’homosexualité. Le modèle du couple marié, procréateur
et hétérosexuel, fut sérieusement mis en question et, on pourrait dire, il a cessé d’être le
modèle unique.
De nos jours, des dénotations négatives renvoyant à la criminalité ou au péché,
comme certaines de celles énumérées ci-dessus, sont de moins en moins mobilisées, mais
la différence d’orientation sexuelle continue d’entraîner l’incompréhension, le rejet, voire
même la haine. A part cela, si elle fut pendant longtemps un sujet pratiquement jamais
abordé publiquement, l’homosexualité demeure marquée par un certain tabou.
Malgré tout, l’homosexualité se trouve de plus en plus au premier plan de la scène
publique : que ce soit par le biais de la presse, de la télévision, ou directement par les
manifestations de la gay pride6 qui nous font voir dans les rues des capitales européennes
nombre de personnes lgbt, que ce soit par l’intermédiaire du cinéma, de la littérature ou de
l’art, le sujet de l’homosexualité est désormais incontournable. Des personnes
6
Terme anglais qui signifie littéralement « fierté homosexuelle », qui est rentré comme tel dans le
vocabulaire de nombreuses langues pour désigner les marches et les manifestations des
homosexuels ; la première gay pride a été organisé à New York le 28 juin 1970 par le Gay
Liberation Front et la Gay Activist Alliance, pour célébrer le premier anniversaire des émeutes de
Stonewall. Depuis, de telles manifestations ont lieu dans des très nombreux pays du monde aux
environs de la même date.

14
homosexuelles affirment ouvertement qu’elles existent, demandent d’être acceptées,
revendiquent une reconnaissance légale de leurs droits. Protection de la vie privée,
reconnaissance de la vie en couple, mariage, adoption, homoparentalité, reproduction
médicalement assistée font l’objet de débats passionnés et créent des brèches dans les
sociétés : les organisations militantes affrontent les églises, les milieux politiques
rencontrent la société civile, la gauche et la droite combattent… Si les questions de
l’homosexualité restent polémiques et difficiles, pour autant les réflexions juridiques et
politiques sur le sujet reconnaissent l’homosexualité comme une liberté, comme un choix
individuel et elles cherchent à répondre à ces nouvelles exigences et à mettre fin aux
discriminations sociales et juridiques. L’homosexualité est de plus en plus abordée comme
une question complexe et problématique, qui réclame des solutions plus adaptées et
englobantes, et surtout qui montre les bouleversements profonds des sociétés actuelles.

Au cours des dernières décennies, maints travaux sur le genre et la sexualité ont
rendu compte des transformations profondes de ces « réalités » dans les pays occidentaux.
Le champ de la recherche a ouvert ses portes à la sexualité en général et plus
spécifiquement à l’homosexualité. L’espace académique de l’Amérique du Nord7 serait le
plus avancée en la matière, avec une riche production scientifique dans nombre de
disciplines (sociologie, anthropologie, histoire, philosophie). Ainsi, l’émergence des gay
and lesbian studies pourrait être située à partir des années 1970, après les évènements de
Stonewall et la fondation du Gay Liberation Front8. Les années qui ont suivi ont connu un
développement considérable de la recherche sur les questions concernant la sexualité. Les
disciplines sociales se sont mobilisées afin de cerner la nature de ce phénomène et elles
sont arrivées à déconstruire des catégories considérées par le passé comme étant figées
(telles que sexe, masculin/féminin), à mettre en place des nouveaux concepts (par exemple
genre, identité, ordre symbolique, homophobie), voire même de nouveaux sous-champs de
questionnement scientifique transdisciplinaires (comme les gender studies, les women
studies et plus tard les queer studies) qui, même si problématiques, sont moins réducteurs

7
Sur l’historiographie des recherches concernant l’homosexualité aux Etats-Unis, voir par exemple
Eric FASSIN, « Politiques de l’histoire : Gay New York et l’historiographie homosexuelle aux
Etats-Unis », in Actes de la recherche en sciences sociales, N° 125, Décembre 1998, pp. 3-8.
8
Le 27 juin 1969, le bar homosexuel Stonewall a été la scène d’une intervention en force de la
police ; les personnes présentes ont décidé de riposter et d’affronter les forces policières et
l’évènement marque symboliquement le début de la libération homosexuelle aux Etats-Unis. Le
Gay Liberation Front a été fondé pendant les mois qui ont suivi.

15
et plus aptes à rendre compte de ces réalités que ne l’étaient les sciences sociales
classiques.
En France, la recherche portant sur l’homosexualité est de date beaucoup plus
récente9 : ce n’est que pendant la décennie 1980 que la production intellectuelle se déplace
du front militant vers la sphère universitaire et il faut attendre les années 1990 pour voir
s’affirmer une véritable réflexion sur la question homosexuelle, avec une préoccupation
marquée pour les bouleversements des modes de vie provoqués par le sida. Dernièrement,
c’est la problématique du couple homosexuel et de l’homoparentalité qui réclame
l’attention des chercheurs et on assiste à la démultiplication des productions circonscrites
au courant qu’il est désormais convenu d’appeler « les études gaies et lesbiennes10», allant
de paire avec l’essor tout aussi remarquable des études sur le genre.
Le retard enregistré par le cas français n’est pas illustratif pour l’ensemble de
l’Europe ; si aux Pays-Bas, en Allemagne ou en Grande-Bretagne les chercheurs sont plus
organisés et s'ils réfléchissent depuis plus longtemps aux enjeux de la question
homosexuelle, tel n’est pas le cas dans la majorité des pays du sud de l’Europe, encore
moins dans les pays situés derrière ce que l’on nommait autre fois « le rideau de fer ».
La chute du Mur de Berlin avait fait découvrir un paysage hétéroclite, du fait que le
« bloc de l’Est » était fragmenté et hétérogène : les situations des personnes lgbt variaient

9
L’état de la question fait l’objet de différents articles, par exemples Rommel MENDES-LEITE,
« ‘A la française’ Les recherches sur les homosexuels et les lesbiennes dans le domaine des
sciences humaines et sociales en France (1970-1995) », in Rommel MENDES-LEITE, Le sens de
l’altérité. Penser les (homo)sexualités, Paris, L’Harmattan, 2000 ; Sylvie CHAPERON,
« L’histoire contemporaine des sexualités en Frances », in Vingtième Siècle. Revue d’histoire, N°
75, juillet – septembre 2002, pp. 47-59; Florence TAMAGNE, « Histoire des homosexualités en
Europe : un état des lieux », in Revue d’histoire moderne et contemporaine, N° 53-54, octobre –
décembre 2006, pp.7-31.
10
Généralement c’est le syntagme anglais « gay and lesbian studies » qui est employé pour faire
référence aux travaux sur les homosexualités ; depuis quelques années, une autre formule s’est
affirmée, « LGBT studies », et encore plus récemment « LGBTQ studies » - lesbiennes, gays, bi,
trans et queer. Il y a plusieurs manières de traduire en français, comme « les études gay et
lesbiennes », la formule consacrée par Didier Eribon en 1997 lors de l’organisation d’un colloque
sur cette thématique, ou « les études gays et lesbiennes », par exemple chez Sylvie Chaperon, les
« études lesbiennes et gays », comme l’emploie Régis Revenin, « les études gaies et lesbiennes »
dans l’emploi de Rommel Mendes-Leite, par exemple, ou « les études gayes et lesbiennes », chez
David Paternotte. Parfois les chercheurs francophones reprennent la formule anglaise telle quelle
(surtout au Canada). Quant à nous, nous avons précisé l’emploi du substantif « gay » et les
variations selon genre et nombre dans le cas de l’adjectif. Par conséquent, la formule employée sera
« études gaies et lesbiennes » ou « études lgbt ». Dans la même logique annoncée, lorsqu’il s’agit
de citations, nous respectons les choix des auteurs quant à l’emploi de ces termes.

16
considérablement d’un pays à l’autre11, autant en ce qui concerne les cadres juridiques, que
les conditions sociales, allant de la totale interdiction des relations homosexuelles
(Roumanie) à des cas où l’homosexualité avait déjà été dépénalisée dans les années 1960
(Bulgarie, République Tchèque en 1961) ou bien où elle le fut peu après le changement du
régime (Estonie en 1992, Russie en 1993). Les conditions de vie sont d’autant plus
variables, allant depuis des formes de socialisation solides (Hongrie, ancienne République
Démocratique Allemande) à l’inexistence pure et dure (Roumanie, Albanie, Bosnie-
Herzégovine, Serbie). Des évolutions importantes se sont produites également dans les
pays postcommunistes pendant les dernières décennies. Toutefois, l’ensemble de la région
reste marquée par l’absence quasi-complète d’intérêt scientifique pour les questions
concernant les homosexualités.
En ce qui concerne la Roumanie, avant les années 1990 le sujet de l’homosexualité
n’était pratiquement jamais abordé publiquement. Loin de ce que l’on aurait pu attendre, la
décennie 1990 ne connut pas une expansion des productions sur la question, bien au
contraire. Si on élimine la production journalistique ou encore les articles de vulgarisation
produits par les associations militantes surtout pendant la deuxième moitié de la période,
nous ne trouverons pas de trace de quelque production littéraire que ce soit, et d’autant
moins d’une quelconque production académique. Les études effectuées de l’étranger sur le
cas roumain ne sont pas nombreuses non plus. Nous nous confrontons donc à un terrain
d’analyse vierge et au moment où nous avons commencé cette recherche, l’étude de
l’homosexualité représentait un sujet original, même unique, sinon tout à fait excentrique.
Notre effort sera de répondre à cette lacune dans les connaissances, sans ignorer les
avantages mais aussi les désavantages d’une telle situation : un champ si peu étudié offre
des possibilités généreuses en ce qui concerne le cheminement de l’analyse. En même
temps, le désavantage se présente dans la forme du risque d’un trop ample découpage,
puisqu’il n’y a pas de voie déjà ouverte qui pourrait aider à tracer les frontières de cette
démarche.

Les questions homosexuelles en Roumanie

Après la chute du régime communiste en 1989, la société roumaine connaît


l’émergence d’un nouveau type de revendications, celles relatives aux droits et aux libertés

11
Voir l’Annexe I pour un état de la situation des questions homosexuelles en Europe.

17
des personnes lgbt. Les questions homosexuelles deviennent dans le contexte roumain une
thématique qui sollicite des réponses appropriées, qui impose des exigences adaptatives,
qui provoque des affrontements, qui réclame des transformations. Mais, si dans un pays
comme la France l’actualité politique des années 1990 a pu être monopolisée par la
question de l’ouverture du mariage aux couples du même sexe, dans la même période en
Roumanie le combat relatif à l’homosexualité visait à défendre le principe de la liberté
individuelle. En effet, à la sortie du communisme les revendications se focalisent sur la
dépénalisation des relations homosexuelles. L’article 200 du Code pénal roumain hérité du
régime communiste criminalisait les relations homosexuelles entre adultes consentants, en
privé ; cet article a été abrogé en 2001, par Ordonnance d’urgence du Gouvernement12. La
première décennie qui suit la chute du régime communiste apporte au premier plan un
nombre de changements importants, principalement en ce qui concerne le statut légal des
relations homosexuelles. Ces évolutions législatives sont accompagnées de l’émergence de
formes de socialisation, d’échanges et d’interactions, et notamment de la mise en place et
du développement de la première association des gays et des lesbiennes dans ce pays,
ACCEPT13.
Le changement législatif a représenté notre point de départ pour cette analyse :
nous nous sommes penchée sur les processus par lesquels l’ordre hétéronormatif14 imposé

12
Le Parlement roumain est constitué de deux Chambres - la Chambre des députés et le Sénat -
composées respectivement de 343 et 143 membres après les élections de 1996 et de 345 et 140
membres après 2000. Ceux-ci sont élus pour 4 ans au scrutin proportionnel avec un seuil minimal
(de 3 % jusqu’en 2000 et 5% depuis) des suffrages pour être représenté. Les deux Assemblées du
Parlement exercent le pouvoir législatif sur pied d’égalité, chacune d’entre elles ayant ainsi le
pouvoir de bloquer le processus d’élaboration des lois. Elles partagent leur droit d’initiative avec le
Gouvernement. 250 000 citoyens peuvent également soumettre au Parlement une proposition de loi
qui ne peut toutefois concerner les impôts, les affaires internationales ou l’amnistie. Le
Gouvernement peut, en application de l’article 114 de la Constitution, se substituer au Parlement et
légiférer par Ordonnance d’urgence sur la base d’une habilitation du Parlement. Il semble que le
gouvernement ait fait une application particulièrement étendue de ce mécanisme (le tiers des actes
réglementaires aurait été adopté selon cette procédure), y compris dans le domaine des ‘lois
organiques’ qui sont en principe exclues de cette procédure.
13
Le nom du groupe, qui signifie en effet « j’accepte », figure dans tous les documents en
majuscules, mais il ne s’agit pas d’une abréviation, seulement d’une préférence pour cette manière
de libeller le nom. Nous allons respecter cette manière d’orthographier le nom du groupe. Pour le
choix du nom, voir infra, Chapitre 7.
14
Le concept d’hétéronormativité fait référence aux situations sociales dans lesquelles toute
orientation sexuelle autre que celle hétérosexuelle est stigmatisée ou même passe inaperçue. Cela
implique également la conception selon laquelle les relations sexuelles ou le couple ne peuvent
exister qu’entre personnes de sexes différents ou l’idée qu’il y a deux sexes différents, masculin et
féminin, et les être humains sont soit hommes, soit femmes. Voir à ce sujet Michael WARNER,
« Introduction : Fear of a Queer Planet », in Social Text, N° 9, 1991, pp. 3-17.

18
par le régime communiste commence à chanceler et cède petit à petit le terrain face à la
légitimation d’un mode de vie alternatif, défini par l’option pour l’homosexualité. Quels
sont les processus sociaux et politiques entraînés par la passage à la démocratie qui ont
permis à la question de l’homosexualité de trouver une place légitime dans la société
roumaine ?
Aborder ce questionnement dénote des choix qui réclament une justification :
Premièrement, c’est pour des raisons de compétences linguistiques et culturelles, tout aussi
bien que d’accès aux sources que nous avons choisi le cas roumain et pas un autre.
Cependant, c’est un autre point qui a suscité aussi bien notre intérêt, à savoir les
dimensions que le sujet de la dépénalisation de l’homosexualité a acquises dans ce pays.
Les défis de l’homosexualité y sont, bien évidement, aussi controversés qu’ailleurs, parce
que mettant en question le modèle hétéronormatif et patriarcal traditionnel; le caractère
« anormal », « immoral » ou « pathologique » de l’homosexualité est invoqué pour justifier
un traitement discriminatoire. Les protagonistes des conflits sont les mêmes acteurs
sociaux qu’ailleurs : le politique, la société civile, l’Eglise, les militants. Pourtant, il ne
s’agit pas simplement de la revendication des droits, de la liberté, d’une place dans la
société pour les personnes lgbt. Le long parcours depuis l’incrimination des actes
homosexuels vers la décriminalisation est devenu dans ce cas le symbole des adversités de
la transition, un symptôme des résistances à la démocratisation, un point d’impasse dans le
processus d’intégration du pays aux organismes européens. Dans un contexte où nombre
de réformes, de révisions, d’améliorations tardent à se mettre en place et où des obstacles
importants empêchent le développement économique, politique et social, le sujet de
l’homosexualité devient l’emblème pour ces difficultés. Déchiffrer les ressorts derrière la
dépénalisation de l’homosexualité en Roumanie s’avère donc stimulant de ce point de vue,
puisque les enjeux à relever dans ce cas sont considérables et touchent à des questions
tellement englobantes.
Un deuxième choix a été celui de ne pas faire une comparaison : pourquoi se
limiter à un seul pays et l’étudier dans la spécificité ? La perspective de la comparaison
semblerait plus riche d’enseignements qu’une étude nationale isolée, incapable de séparer
la spécificité du général. Il y aurait nombre d’avantages à choisir un autre cas, sinon
plusieurs, et discerner les similitudes et les différences, ne serait-ce que pour sortir de
l’exception et tenter une interprétation d’un degré plus élevé de généralité. Au moins trois
cas s’imposent comme candidats possibles si on pense à la comparaison, avec une

19
importante base commune, mais aussi des différences significatives : tout d’abord la
Bulgarie, pays de tradition majoritaire orthodoxe, comme la Roumanie, et encore comme
la Roumanie, pays ex-communiste. Plus intéressant encore, le cas de la Pologne, pays ex-
communiste, mais catholique, où l’Eglise joue un rôle souvent invoqué comme étant
comparable au rôle de l’Eglise orthodoxe en Roumanie. Une autre perspective
envisageable et aussi séduisante aurait été une comparaison avec la Grèce : pays
orthodoxe, mais membre du Conseil de l’Europe depuis 197415 et de l’Union européenne
depuis 1981. Ce ne furent pas nos seules limites personnelles (des contraintes temporelles
et d’espace, de compétences linguistiques et donc d’accès aux sources) qui ont tempéré
notre enthousiasme. Le choix que nous avons fait est aussi le résultat de certaines limites
plus objectives : nous avons affaire, quand il s’agit de la question homosexuelle, à un
terrain qui n’a pas du tout été exploré auparavant. Dans les trois pays candidats à la
comparaison potentielle, la Bulgarie, la Pologne, respectivement la Grèce, et surtout dans
le cas roumain, il n’y a pas de recherche portant systématiquement sur les questions lgbt.
L’histoire même de l’homosexualité est en train de s’écrire. Il nous a semblé donc
nécessaire de nous concentrer sur une chose à la fois, vu la difficulté et la nouveauté d’une
telle démarche. Malgré tout, pour ne pas courir le risque de nous noyer dans la spécificité
roumaine et afin de nous protéger contre la tentation de surévaluer notre cas, nous allons
garder un regard attentif sur les trois cas indiqués : des détails significatifs, des points
communs, des variations éloquentes seront invoqués tout au long de l’analyse.

Pour revenir à notre raisonnement, l’objectif initial de ce travail a été de déchiffrer


et d’analyser les conditions de l’ouverture du système politique roumain aux
revendications homosexuelles. Il s’agit donc d’une problématique qui traversait les
sociétés occidentales surtout à la fin des années 1960 et pendant les années 1970. C’est à
partir de ce moment-là que la mise en question des répressions relatives aux gays et aux
lesbiennes occupe le premier plan des agendas politiques et que le dispositif répression /
libération commence à faire l’objet de critiques et de réprobation.
Ainsi, nous nous sommes proposée d’examiner le processus de déconstruction de
ce dispositif répression / libération dans le cas roumain, mettant au centre de l’analyse à la
fois les dynamiques politiques et les acteurs sociaux qui se sont investis dans l’action, à

15
La Grèce est devenue membre du Conseil en 1949, mais elle a dû s’en retirer en 1969 après
l’instauration de la dictature militaire. Elle en est redevenue membre en 1974.

20
savoir les porteurs des revendications. Pour ce faire, le terrain initialement choisi pour
notre recherche – la société roumaine postcommuniste – a été doublement recontextualisé.
Tout d’abord verticalement : une incursion dans l’histoire nous a permis de mettre en
lumière les prémices du processus de légitimation. Longtemps niés dans leur existence
même, les homosexuels roumains sont les héritiers d’un passé marqué par la peur, la honte,
l’enferment dans un espace social clos et relégués à la marge de la société. Il s’agissait
donc de restituer à la fois les racines d’un climat d’isolement et de peur et les sources
d’une sociabilité clandestine, mais pourtant réelle. Horizontalement par la suite, le fait de
déplacer la focale de l’analyse vers les espaces européen, voire international nous
permettra de mettre en évidence la participation plurielle des acteurs et de l’imbrication de
leurs rôles dans l’articulation de revendications lgbt. Il s’agit donc de suivre et de retracer à
la fois les stratégies individuelles et les interactions interpersonnelles, ainsi que les tensions
et les affrontements qui transcendent les frontières nationales.
Désormais, cette recherche qui se propose de rendre compte de l’émergence des
revendications gaies et lesbiennes en Roumanie à la sortie du communisme revient à faire
le point sur un univers social complexe et mobile, qui se déplace continuellement à la
frontière de différentes espaces, tant au plan local ou national, qu’au plan global ou
international. Comment rendre intelligible l’apparition de ces revendications, leurs
contretemps, leur mise en place, les réponses qui ont été trouvées ? Répondre à ce
questionnement impose de jouer entre plusieurs espaces théoriques, de mobiliser des
concepts provenant d’horizons théoriques diversifiés, enfin, de retravailler des
interprétations existantes, d’affiner certaines notions et de les confronter aux réalités de
notre terrain d’observation. Cette analyse implique alors une approche théorique plurielle,
adaptée aux nécessités de la recherche.

Approche croisée et plurielle : démarche méthodologique, terrain, sources

Constater le positionnement multiple de notre objet de recherche et la mobilité des


frontières de l’univers analysé réclame une réponse analytique capable de rendre compte
de ces configurations complexes. Ainsi, plutôt que de privilégier une perspective
unidimensionnelle et homogénéisante, nous avons opté pour une démarche qui s’inscrit

21
plutôt dans la lignée réflexive de l’approche croisée16. Dans cette logique, les entités
individuelles ne sont pas considérées exclusivement en elles-mêmes, mais surtout elles
sont situées dans leur contexte et dans leur historicité, avec un plus d’attention aux
configurations complexes qui en découlent. Il n’a pas été question, lors de l’articulation de
cette démarche d’un quelconque choix stratégique voué à contourner une critique
commune – la focalisation sur un seul volet de la réalité mène souvent à des réductions,
des simplifications, des omissions et finalement à des interprétations erronées. La
perspective plurielle nous a été, par contre, imposée par la nature même de l’objet étudié.
De plus, les objectifs de l’investigation exigent de faire appel à des outils conceptuels
variés et à des approches théoriques multiples, qui seront mobilisés à des stades différents
du développement du raisonnement. Pour rendre notre propos plus clair, il convient de
souligner quelques aspects qui à notre avis participent à justifier la démarche plurielle
adoptée dans ce travail :

a) Les questions homosexuelles constituent une matière nouvelle pour les sciences
politiques, discipline dans laquelle cette recherche s’inscrit premièrement. Une
conséquence directe de cette originalité correspond au fait que le champ d’investigation
auquel nous nous attaquons est manifestement marqué par une insuffisance théorique. Pour
contourner ces limites et rendre compte du réel observé, nous avons fait appel à d’autres
disciplines, surtout la sociologie et l’histoire.
b) Le point de départ de ce travail a été une curiosité empirique, à savoir celle de
déchiffrer l’agencement des relations entre les différents acteurs impliqués dans le
processus d’intervention sur la législation roumaine concernant les relations
homosexuelles. La quête d’une manière adéquate d’interpréter les imbrications constatées
lors de la collecte des données nous a menée à ouvrir plusieurs pistes théoriques, afin de
trouver la porte d’entrée la plus satisfaisante. De nombreux allers-retours entre la théorie et
le terrain nous ont confrontée à la nécessité de retravailler des interprétations existantes,
d’affiner les notions élaborées ailleurs et de les adapter aux réalités constatées, dans un
effort continu de refuser des interprétations déjà faites, d'accorder les théories aux réalités
constatées sur le terrain. Cela a conduit à la mobilisation successive de nombre d’éléments

16
Michael WERNER, Bénédicte ZIMMERMANN, « Penser l’histoire croisée : entre empirie et
réflexivité », in Michael WERNER, Bénédicte ZIMMERMANN (dir.), De la comparaison à
l’histoire croisée, Paris, Seuil, 2004, pp. 15-49.

22
appartenant aux approches transitologiques, à la sociologie de l’assistance à la
démocratisation, tout autant qu’à la sociologie des nouveaux mouvements sociaux, aux
études européennes ou aux théories des réseaux transnationaux de militants.
c) Comme il s’agissait d’étudier un processus de changement, nous avons donné la
priorité à un développement chronologique, choix qui demande une explication. Il s’agit
premièrement d’une raison d’ordre pratique : le déroulement temporel des moments que
nous reconstituons n’est ni évident, ni facile à élucider. On a affaire avec une période (au
moins jusqu’en 1996, mais aussi après dans une certaine mesure) où le fait seul de lire une
revue à thématique gaie chez soi pouvait constituer une preuve dans une inculpation17 .
Cette situation qui appelait les acteurs à faire attention à leur sécurité et par conséquent à
être extrêmement discrets explique le manque d’archives sur la constitution des
organisations, sur leurs démarches et leurs actions. Ainsi, un effort assidu a été nécessaire
pour arriver à reconstituer l’enchaînement historique des faits.
De plus, il s’agit d’une raison circonstancielle, à savoir le fait que cette exploration
est une démarche pionnière : c’est la première fois qu’une histoire des revendications
homosexuelles est écrite pour le cas roumain. Nous restons convaincue qu’un tel travail est
nécessaire afin d’ouvrir ce champ à la recherche et afin de le construire en tant que tel.
Elucider d’abord les faits, reconstituer les événements, remonter le fil du temps donnent
subséquemment de la matière pour des réflexions ultérieures qui pourront faire l’économie
du déroulement chronologique.
Enfin, ajoutons aussi une raison qui renvoie aux fins de l’analyse : suivre l’ordre
temporel des transformations permet de prendre en compte un nombre élevé de facteurs qui
rentrent en interactions complexes et qui s’affirment plus au moins en même temps sur la
scène sociale et politique ; regarder les croisements des relations et les structurations
multidimensionnelles des enjeux sur une échelle temporelle nous aide à suivre les
développements.

17
Voir à ce titre le rapport Public Scandals. Sexual Orientation and Criminal Law in Romania /
Scandaluri Publice. Orientarea sexuala si legea penala in Romania, Human Rights Watch &
International Gay and Lesbian Human Rights Commission, 1998. Le cas de Ovidiu Chetea, Nicolae
Petricas et Nicolae Stupariu : deux personnes sont arrêtées par la police suite à la descente dans
leur appartement (fait possible à cause de l’arrestation antérieure de la troisième personne qui
habitait l’appartement !), ce qui donne l’occasion de trouver des « matériaux pornographiques qui
ne comprennent que des images de relations sexuelles entre hommes », pp. 28-30.

23
Echappant à une focalisation exclusive sur un seul axe d’analyse, notre approche se
propose donc de suivre les interactions entre des acteurs pluriels à travers des structures
multiples qui influencent leurs actions. Une attention particulière est accordée aux
individus, ce qui permet d’affiner l’analyse. Privilégier les variations des niveaux
d’observations et la confrontation des logiques sociales sur diverses échelles nous permet
au bout du compte de saisir à la fois la singularité du cas roumain, mais surtout son
inscription dans un contexte global, transnational.

Notre objectif de repérer les dynamiques des interactions et des transformations


s’inscrit dans une logique de dépistage des processus18. Présente dans la littérature
anglophone comme « process tracing », cette méthode répond opportunément aux intérêts
du chercheur s’appliquant aux puzzles empiriques19, puisqu’elle rapproche étroitement la
théorie et les données, en combinant un peu de tout dans le but d’expliquer le plus
finement possible certaines situations réelles. Il s’agit donc de « retracer le fonctionnement
des mécanismes de causalité en jeu dans une situation donnée » à partir des relations entre
les acteurs et de la reconstruction des processus dans lesquels ils sont impliqués20. Cette
méthode vise à reconstituer les processus par lesquels une situation a émergé et pour cela
elle fait appel à des mémoires historiques, des interviews, des documents personnels ou
d’associations ; elle s’appuie également sur les interactions entre les acteurs et les
configurations qui en résultent, ce qui implique une approche dynamique et relationnelle et
comporte une dimension qualitative.

Dès lors, toute une série de sources ont été utilisées afin d’arriver au but que nous
nous étions donné. Nous avons entrepris dans une première phase une analyse du discours

18
Cette méthode est largement utilisée dans les études sur l’européanisation, sur les politiques
publiques ou sur les relations internationales : « Europeanists do it; IR scholars do it – all with the
goal of bringing theory closer to what really goes on in the world », Jeffrey T. CHECKEL, « It’s
the Process Stupid ! Process Tracing in the Study of European and International Politics », in Arena
Working Paper, N° 26, 2005, http://www.arena.uio.no; voir aussi Richard PRICE, « The
Genealogy of the Chemical Weapons Taboo », International Organization, Vol. 49, N° 1, 1995,
pp. 73-103; Id., « Reversing the Gun Sights : Transnational Civil Society Targets Land Mines »,
International Organization, Vol. 52, N° 3, 1998, pp. 613-644; Alexandra GHECIU, « Security
Institutions as Agents of Socialization? NATO and the ‘New Europe’ », International
Organization, Vol. 59, N° 4, 2005, pp. 973-1012; John L. CAMPBELL, « Ideas, Politics, and
Public Policy », in Annual Review of Sociology, N° 28, 2002, pp. 21-38.
19
Jeffrey T. Checkel, It’s the Process Stupid ! art. cit., p. 17.
20
Ibidem.

24
politique, tel qu’il ressort des débats parlementaires. Le dépouillement du Journal Officiel,
qui comprend la retranscription des débats parlementaires, auquel s’ajoute une analyse de
contenu de la législation interne, de l’ensemble des propositions et projets de loi relatifs à
l’abrogation de l’article 200 ont constitué le point de départ dans la décortication des
différents moments du changement.
Nous avons également mobilisé des documents en provenance des institutions
européennes : les rapports réguliers du pays de la Commission européenne, les rapports du
pays, les documents de travail élaborés par les rapporteurs européens, ainsi que les textes
de divers directives, avis et recommandations (voir liste des sources). Des documents
produits par nombre d’organisations internationales – newsletters, rapports, appels – s’y
ajoutent, ainsi que les lettres ouvertes envoyées aux hommes politiques roumains par les
représentants des organismes politiques internationaux ou par leurs pairs d’autres pays.
A part ces sources, le plus facilement accessibles, notre corpus empirique se
compose d’un nombre de documents plus rares et beaucoup plus difficiles d’accès: il s’agit
de certains documents personnels appartenant à quelques acteurs impliqués dans les
négociations, ainsi que de documents associatifs. Ce corpus est moins riche : très rares
dans un premier temps, puisque perdus en majorité pour la période antérieure à
l’enregistrement juridique de l’association ACCEPT, ils deviennent un peu plus structurés
et plus systématiques après 1996. Ainsi, nous avons pu consulter le bulletin de
l’association, les communiqués de presse, des documents internes, etc. produits par
l’association ACCEPT, dans son activité de lobbying et advocacy. De la période précédant
l’enregistrement de l’association ACCEPT, peu de documents ont survécu – ce qui devient
objet d'analyse et sera expliqué en détail21.
En ce qui concerne les débats, à part les sources mentionnées, nous avons
également suivi les prises de positions dans la presse ou dans les medias de manière plus
générale. Il faut souligner à ce point que le poids des médias n’a pas été pris en compte
dans l’analyse : nous n’avons pas cherché à comprendre le rôle des publications et leur
positionnement sur la question de l’homosexualité sur la scène politique roumaine. Nous
avons décidé de ne pas élargir l’investigation sur ce plan puisque, après avoir essayé
d’identifier un possible « débat public » autour de la question homosexuelle dans la presse
roumaine, nous avons été amenée à observer l’absence d’un débat structuré, voire même
l’absence d’un discours substantiel sur l’homosexualité en général. De manière générale, il

21
Cf. Chapitre 7.

25
y a eu relativement peu d’intérêt pour la question, ce qui nous a permis de prendre en
compte les médias seulement comme source secondaire et non pas en tant qu’acteurs sur la
scène politique. Ceci étant dit, il ne serait peut-être pas sans intérêt pour une recherche sur
les médias de prendre en compte leur rôle de formateurs d’opinion sur la question.

A titre informatif, nous intégrons à ce point les résultats d’une micro-recherche que
nous avons effectuée pendant l’année 2000 dans le cadre d’une maîtrise à la Faculté
de Psychologie et Sciences de l’Education de l’Université de Bucarest, et qui nous a
apporté de très faibles résultats :
La presse ne manifeste pas beaucoup d’intérêt pour l’homosexualité. Sans rentrer dans
les détails de cette analyse, nous précisons qu’il s’agit d’une analyse de la presse
écrite, qui a porté sur sept des plus importants quotidiens, dont nous avons dépouillé
les collections de tous les numéros de l’an 2000 : Evenimentul zilei, România liberă,
Adevărul, NaŃional, Libertatea, Jurnalul naŃional, Ziua. Les conclusions de l’analyse
sur la presse attestent une certaine inconstance de la présence du sujet dans les
quotidiens, le maximum étant atteint aux mois de septembre et d’octobre.
L’explication de ce fait nous ramène à la corrélation avec les événements déroulés
dans l’intervalle 4-8 octobre à Bucarest22, à savoir la Conférence Européenne de
l’Association Internationale des Gays et Lesbiennes (ILGA) ; néanmoins les sujets des
articles n’étaient que partiellement consacrés à cet événement. Les articles touchent à
des événements relevant de la catégorie des faits divers (crimes dont les victimes
étaient des homosexuels, cas de pédophilie, bref la délinquance homosexuelle). Parmi
les quotidiens consultés, ceux qui enregistrent la plus grande fréquence du sujet sont
Evenimentul zilei et NaŃional, dont généralement la thématique relève plutôt du fait
divers. L’homosexualité intervient sporadiquement dans România liberă et Adevărul,
qui présentent notamment des informations relatives aux modifications législatives en
Roumanie et à l’étranger.
De nombreux articles abordent des sujets circonscrits au thème de l’homosexualité en
relation avec l’Eglise23. Mais les choses ne sont pas si simples qu’elles en ont l’air:
d’un côté, il s’agit de prises de position des officiels de l’Eglise orthodoxe ou de
l’Eglise évangélique par rapport à l’abrogation de l’article 200. De telles interventions
ne sont pas nombreuses. De l’autre côté, il s’agit d’articles traitant de relations
homosexuelles dans les couvents, le plus souvent entre moines, entre religieuses, entre
prêtres et autres personnes non impliquées dans la vie monacale; même des cas de
prêtres pédophiles sont attestés. Le langage utilisé dans la presse écrite lorsqu’il s’agit

22
Cf. Chapitre 9.
23
A ce sujet, voir infra, Chapitre 6.

26
du sujet de l’homosexualité est rarement neutre et descriptif: il oscille entre
l’agressivité et l’ironie, allant jusqu’à la suggestion piquante.

Nous avons choisi de tourner notre attention vers la presse en tant que source quand
il s’agit de l’Eglise orthodoxe roumaine, un acteur qui est intervenu de manière
systématique sur la question tout au long de la décennie 90. Nous n’avons pas examiné la
presse de manière générale, mais plus spécifiquement nous avons consulté les productions
officielles de la Patriarchie de Bucarest : Biserica Ortodoxa Romana, le bulletin officiel de
la Patriarchie roumaine, Ortodoxia, Vestitorul Ortodoxiei Românesti, Studii Teologice. S’y
ajoute un recueil de discours du Patriarche Teoctist, Pe treptele slujirii crestine24.

Last, but not least, ce corpus des sources a été complété par des entretiens. Pour
saisir les logiques qui structurent les interactions entre les acteurs étudiés, nous avons
adopté la méthode de l’entretien qualitatif semi-directif. Les entretiens réalisés avec des
fondateurs de l’association et des responsables actuels, des membres anciens ou actuels de
l’association ACCEPT ont été menés tout au long de ce travail. Exploratoires dans un
premier temps, ils nous ont permis par la suite, grâce à la technique de la boule de neige,
de reconstituer les réseaux de relations informelles. La reconstruction des chaînes
d’interdépendances – qui dépassent le contexte roumain pour s’allonger vers Bruxelles ou
New York – et des réseaux interpersonnels, ont nécessité une accumulation progressive des
connaissances. Nous avons mené dans un premier temps des entretiens avec des
responsables et des membres d’ACCEPT, lorsque nous nous sommes lancée dans cette
recherche, en 2002-2003. Suite à ces entretiens exploratoires, le réseau d’interactions, au
lieu de s’élargir, paraissait se réduire à trois figures majeures : Adrian Coman25, Vera
Cîmpeanu26 et Scott Long27. A la fin de chaque discussion, les trois figures s’imposaient
comme les dépositaires de l’histoire des revendications lgbt en Roumanie et de toute
information qui n’était pas connue par la personne interviewée. Si les entretiens avec
Adrian Coman et Vera Cîmpeanu ont été menés sans trop de difficulté, la discussion avec
Scott Long reste un desideratum de cette analyse. Nous avons rencontré Scott Long à

24
Etapes de la dévotion chrétienne, recueil comprenant les discours du Patriarche, Vol. VIII – X,
Bucarest, Editura Institutului Biblic si de Misiune al Bisericii Ortodoxe Romane, 1998-2001.
25
Cf. Chapitre 7.
26
Cf. Chapitre 6.
27
Cf. Chapitre 6.

27
Bucarest en 2006, lors d’une fête privée et nous avons réussi à échanger quelques
impressions, plutôt brièvement, tout en établissant les détails d’un rendez-vous de travail et
en échangeant des numéros de téléphone. Lors de la date et l’heure prévues, Scott Long ne
s’est pas présenté au rendez-vous. De nombreuses tentatives de rentrer en contact avec lui
pendant son séjour à Bucarest n’ont pas connu de succès. De nombreux courriers
électroniques pendant les années suivantes n’ont pas reçu de réponse. Finalement, en 2009,
suite à des interventions auprès de quelques uns de ses amis proches, nous avons
finalement reçu une réponse et nous avons de nouveau convenu les détails d’un entretien,
cette fois-ci téléphonique. Quelques tentatives répétées de réaliser cet entretien n’ont pas
non plus connu de succès.
Pour revenir à la détermination des réseaux des relations interpersonnelles et des
chaînes d’interdépendances, cela a été possible une fois que les entretiens se sont
concentrés vers des personnes qui n’étaient plus reliées à l’association ACCEPT. Les
entretiens avec Adrian Coman et Vera Cîmpeanu, révélateurs de toute une série
d’informations utiles, nous ont semblé néanmoins insuffisants pour refaire l’histoire de la
mise en place de l’association ACCEPT. Même si les personnes interviewées estimaient
les deux personnages comme les plus en mesure de satisfaire notre curiosité, nous avons
poursuivi notre intérêt de corroborer le plus de témoignages possibles et pour ce faire nous
avons élargi notre recherche vers tous les noms reliés à un moment ou l’autre, d’une façon
ou d’une autre, aux questions homosexuelles sur la scène publique en Roumanie. Nous
avons ainsi mené des entretiens avec des collaborateurs ou des volontaires de l’association
ACCEPT en Roumanie notamment, mais aussi à Bruxelles, à New York, à Londres, à
Budapest ou à La Haye. C’est aussi progressivement que nous avons pu accéder à des
informations essentielles pour notre enquête et surtout à des archives personnelles uniques.
A partir de ces sources, nous avons pu éclaircir l’émergence des revendications
gaies et lesbiennes et faire le point sur les différents moments du changement, sous la
forme d’autant de micro-événements qui ont convergé vers le résultat espéré, à savoir la
dépénalisation des relations homosexuelles, et également vers la création d’une association
qui concentre son activité sur les droits humains des homosexuel-le-s.
Cela nous amène à souligner les nombreuses difficultés en termes d’accès aux
sources : souvent lacunaires et manquant de consistence, les sources écrites disponibles
présentaient un risque réel de nous conduire à des résultats trompeurs ou au moins
tronqués. Pour contourner cette difficulté, une grande quantité de temps et d’énergie a été

28
consacrée à rassembler des témoignages oraux, à les nuancer et surtout à les accommoder
mutuellement, pour les confronter finalement avec les sources écrites disponibles.
L’examen des témoignages est en lui-même difficile : il s’agit d’un thème particulièrement
subjectif et, même si nous n’avons pas à faire avec un passé trop lointain, des distorsions,
même involontaires, peuvent compromettre la crédibilité des souvenirs.
Des complications supplémentaires doivent être soulignées et discutées : il s’agit
premièrement de la difficulté, voir même de l’impossibilité de retrouver les acteurs. Nous
avons fait mention du cas de Scott Long, sujet clé de cette recherche, qui, en dehors de
quelques impressions sommaires échangées dans un cadre informel, reste silencieux dans
cette analyse, malgré nos efforts soutenus de le faire intervenir dans l’histoire. Sans refuser
explicitement son apport, il n’est pas arrivé à donner cours à nos invitations répétées au
dialogue. Scott Long n’est pas le seul exemple. Plusieurs personnages que nous avons
réussi à retrouver, soit ont refusé l’invitation directement, soit, sans la décliner
explicitement, n’ont pas abouti y répondre, en invoquant nombre de raisons pour reporter
l’entretien pour une autre date ou, tout compte fait, en laissant nos messages sans réponse.
Dans certains de cas, les réponses reçues déclinaient le dialogue en indiquant Adrian
Coman, Vera Cîmpeanu ou Scott Long comme personne à contacter pour notre enquête.
Dans la même lignée de l’impossibilité de retrouver les acteurs, notons les anciens
collaborateurs qui sont tout simplement disparus, sans laisser d’adresse et sans garder le
contact avec leurs anciens « amis » ou « connaissances »28. Il s'y ajoute une autre difficulté,
cette fois-ci de nature matérielle : nombre de personnes impliquées dans cette histoire à un
moment ou à un autre ne se trouvent plus en Roumanie ; certains sont en Europe
(Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni surtout), certains aux Etats-Unis ou au Canada.
Même si plusieurs missions de recherche ont été effectuées pendant les années consacrées
à cette recherche, il nous a été impossible de créer les conditions pour rencontrer toutes ces
personnes. Parfois des entretiens téléphoniques ont été conduits, parfois des échanges par
courrier électronique ont contribué à la collecte de données.
Une autre difficulté qui mérite un plus d’attention nous renvoie à l’impossibilité, au
moins avec certains des acteurs interviewés et surtout dans une première étape des
échanges, de dépasser la barrière du discours officiel. A titre d’exemple, nous invoquons
un cas particulier : un certain sujet, F. R., se trouve au sein de l’association ACCEPT
depuis sa mise en place et il est l’un des plus anciens volontaires, devenus par la suite

28
Voir par exemple Ingrid Baciu, Bogdan Voicu, Sorin Vulpe, George Iacobescu, Cf. Chapitre 7.

29
employé à temps plein. Dans notre requête d’informations, nous nous sommes adressée à
lui avec la sollicitation de conduire un entretien sur son activité. La demande metttait
explicitement l’accent sur le fait que c’est son activité personnelle, son implication et son
expérience qui nous intéressent, ses impressions après avoir travaillé si longtemps avec
ACCEPT. Tout en répondant positivement à notre demande, il promit de nous faire
parvenir à Bruxelles une suite de documents, aux frais de l’association. En recevant
l’envoi, nous y avons découvert une collection de brochures de présentation et d’autres
matériels informatifs sur l’association, des cartes postales publicitaires et même un
préservatif… Lors de l’entretien, il n’a pas exprimé une seule opinion personnelle,
s’accrochant à un langage d’institution, parlant des projets actuels de l’association et en
évitant les réponses directes aux questions plus pointues sur ses positions personnelles.
Une telle attitude a été très présente lors de nos interviews et ce n’est qu’après un long
travail d’investissement dans les échanges et les interactions avec les interviewés que nous
avons réussi à dépasser le « discours officiel ». Cela nous amène à mettre en lumière un
autre aspect qui mérite un plus de précisions, à savoir la question de notre propre rapport à
l’objet.

Quel rapport à l’objet ?

Jeffrey Escoffier, lors de l’introduction de son ouvrage « American Homo.


Community and Perversity29 », une collection d’essais sur les politiques gaies et lesbiennes
aux Etats-Unis, souligne le lien étroit entre les dynamiques qu’il décrit et son parcours
individuel : « This historical trajectory from closeted individual to the dynamic of
comunity buildings describes, I believe, a characterisitc journey of the white, modern,
North American homosexual. Perhaps more realistically, it epitomizes one particular
generation’s experience, my own. Maybe most accurately, it describes my own journey
through the tangled politics of authenticity, identity, and community» (c’est nous qui
soulignons).
Contrairement à ce cas particulier et à une majorité des travaux sur les questions
homosexuelles, il ne s’agit pas dans notre cas d’une relation biographique avec l’objet dont
nous traitons. C’est probablement un avantage en termes de rigueur de l’analyse, puisque

29
Jeoffrey ESCOFFIER, American Homo. Community and Perversity, Berkeley, University of
California Press, 1998. Voir la page 4 pour la citation ci-après.

30
ce ne sont pas les objets les plus proches que l’on analyse le mieux. La distance par rapport
à l’objet étudié et la mise en perspective bénéficient d’emblée de ce positionnement.
Néanmoins, quelles sont les conséquences en termes d’accès à l’information, de
problématique vécue, de réseaux de connaissances et d’amitiés ? Est-il possible d’observer
un comportement aussi caché et aussi stigmatisé qu’un comportement homosexuel sans
avoir une certaine familiarité avec celui-ci ? Cela ne va pas sans plus de précisions.
Notre entrée dans l’univers lgbt roumain s’est faite d’une double manière : d’une
part, dès les premières étapes de la recherche, nous nous sommes orientée principalement
vers les parties plus visibles de cet univers, à savoir l’association ACCEPT. Nous avons
pris contact avec le président et le directeur exécutif de l’association et nous avons
minutieusement exploré les archives disponibles dans le Centre de documentation abrité
par ACCEPT. Il faut déjà préciser que l’association a toujours été ouverte à recevoir
comme membres ou personnel toute personne intéressée, indistinctement de l’orientation
sexuelle. Devenir membre n’a pas posé de problèmes et nous avons participé à nombre de
réunions et d’assemblées générales annuelles. Dans un premier temps de cette analyse,
comme le centre d’intérêt portait sur les revendications homosexuelles, nous avons
privilégié ces contacts, puisque notre intention était de déchiffrer les actions des porteurs
de ces revendications. Il nous a paru alors que l’univers lgbt s’ouvrait difficilement au
regard extérieur.
D’autre part, toujours dès les premières étapes de la recherche, nous avons connu
l’univers homosexuel roumain à travers des relations d’amitié avec des gays et des
lesbiennes, surtout des expatriés vivant à Bucarest. Cette deuxième entrée nous a permis de
connaître des gays et des lesbiennes roumaines qui n’étaient pas reliés à l’association, qui
avaient ou pas une certaine expérience avec ACCEPT et qui avaient déjà une position
personnelle quant à l’espace militant homosexuel roumain. La première entrée, comme
nous l’avons précisé, s’est avérée plutôt restrictive (voir supra : toutes les pistes
d’investigation nous ont ramenée vers les trois personnages clé : Adrian Coman, Vera
Cîmpeanu, Scott Long). Par conséquent, nous nous sommes tournée vers cette deuxième
entrée, ce qui nous a permis d’élargir la sphère des interlocuteurs, même de lier des
amitiés, des relations durables. Ces observations nous ont amenée à considérer « le choix
de l’homosexualité30 » avec précaution : dans ce cas particulier, il ne s’agit pas de

30
« Les jeunes chercheurs et doctorants dont nous proposons les travaux inédits ne se contentent
pas de travailler sur un thème parmi d’autres. Ils font aussi le choix de l’homosexualité. Ils

31
l’orientation sexuelle qui facilite ou, au contraire, rend plus difficile l’accès à l’univers
homosexuel. Dans ce cas particulier, l’association ACCEPT se présente comme un univers
en quelque sorte fermé : cela nous a inspiré toute une série de questions sur les liens avec
les réseaux de sociabilité homosexuelle31.
Tout compte fait, notre rapport à l’objet homosexuel réclame plus de clarifications.
Nous avons commencé cette recherche en Roumanie, au début des années 2000 ; en
ce qui concerne les questions de sexualité et d’autant plus d’homosexualité, nous pouvons
affirmer que « le discours a toujours été coupable ou provocateur, rarement neutre et
objectif32 ». Même dans le cadre universitaire, peu d’interlocuteurs considéraient
l’homosexualité en tant qu’orientation sexuelle. Les termes moralisateurs, les
commentaires allusifs et les affirmations calomnieuses n’étaient même pas mis en
question. L’avis unanime plaçait l’homosexualité en dehors du champ scientifique et plutôt
dans la sphère de la morale ou de la psychologie. Dans ce contexte nous nous sommes
eforcée de rester dans la neutralité scientifique et nous avons décidé de ne pas rentrer dans
des argumentaires partisans ou détracteurs. Mais au fur et à mesure que nous nous
familiarisions avec la problématique des homosexualités, nous n’avons pas tardé, comme
le dit Eric Fassin, « à [nous] rendre compte qu’en travaillant sur des objets politiques, on
ne peut pas rester extérieur au politique : le simple fait de dire que la réalité est complexe
[…] peut avoir des effets politiques33 ». Nous avons ainsi été amenée à reconnaître et à
accepter donc qu’aborder l’homosexualité, même en tant que chercheur en sciences
politiques signifie prendre une position sur le sujet.
Néanmoins, notre intention est d’éviter le militantisme et les exagérations. D’une
part, il y a aujourd’hui une large acception du fait que « l’homosexualité serait plus libre
que jamais34 » et nous constatons l’accent mis sur les réalisations et les transformations
sans précédent dans l’histoire. La visibilité dans les médias des personnes lgbt, les

transfigurent ainsi le truisme de l’homosexualité comme « choix de vie »… », Bruno PERREAU,


« Le choix de l’homosexualité », in Bruno PERREAU (dir.), Le choix de l’homosexualité.
Recherches inédites sur la question gay et lesbienne (avec la collaboration de Marie-Elisabeth
Handman et Françoise Gaspard), Paris, EPEL, 2007, pp. 9-30.
31
Cf. Chapitre 7, 8 et 9.
32
TAMAGNE, Florence, Histoire de l’homosexualité en Europe. Berlin, Londres, Paris. 1919 –
1939, Paris, Seuil, 2000, p. 9.
33
« Notre oncle d’Amérique », entretien avec Eric Fassin réalisé par Philippe Mangeot et Victoire
Patouillard, in Vacarme, N° 12, Printemps 2000, consulté en ligne www.vacarme.eu.org.
34
TIN, Louis-Georges, « Introduction », in Dictionnaire de l’Homophobie, Paris, PUF, 2003, p.
IX.

32
avancées législatives concernant le couple homosexuel ou l’homoparentalité plaident pour
la vision de l’homosexualité en tant que réalité sociale acceptée. D’autre part, les outrages
contre les personnes homosexuelles, les atteintes à leur intégrité physique, les
discriminations parlent d’un climat fondamentalement homophobe, toujours intolérant,
même dans les pays les plus avancés en matière des droits humains des lgbt35.
Entre ces deux perspectives, nous tentons de faire la part des choses et de garder
l’équilibre. Les militants se félicitent pour la réussite, ils se donnent de nouvelles cibles,
formulent des objectifs à suivre pour rendre la vie meilleure. Les opposants se plaignent de
la dépravation de la société et signalent la déperdition des valeurs et les effets pervers de la
modernisation. Notre objectif est de comprendre les confrontations entre les deux et
d’expliciter le résultat de ces confrontations – le changement social.
La provocation à laquelle nous avons décidé de répondre, c’était justement essayer
de refaire le « real world puzzle » en prenant en compte toutes les pièces mais en même
temps ne pas s’éloigner trop de la pièce centrale – l’homosexualité. Garder ce fragile
équilibre entre trop et trop restreint a été à la fois le principal défi de cette analyse et
également la source de notre fascination. Le sujet touche à un nombre de questions qui
dépassent largement « la question homosexuelle » et qui ont affaire à des problèmes de
société et de politique qui s’entremêlent dans un tissu dense et riche en énigmes qui
demandent un éclairage. Réfléchir à cet engrenage, cerner les enjeux sous-jacents,
comprendre leurs implications pour des secteurs différents de la société, voila ce qui a
suscité notre intérêt.

Le déroulement du raisonnement

Le cheminement de notre réflexion dans la poursuite des outils théoriques les plus
appropriés pour rendre intelligibles les réalités du terrain, les allers-retours entre la
littérature et les sources ont déterminé en grande partie l’organisation de notre
raisonnement.
Dans un premier temps, lors du premier chapitre (consacré à un état des savoirs
en matière de recherches sur les questions gaies et lesbiennes), nous nous sommes proposé

35
L’intolérence à l’égard de l’homosexualité apparaît comme « une réalité planétaire » pour
reprendre le syntagme utilisé par Dominique REYNIE, La fracture occidentale. Naissance d’une
opinion européenne, Paris, Editions de la Table Ronde, 2004, p. 125.

33
de découvrir quels sont les enjeux conceptuels des recherches qui portent sur les
homosexualités. Notre point de départ a été l’idée de retrouver les lignes directrices
d’autres recherches portant sur un sujet similaire, afin de délimiter au mieux notre objet
d’étude. C’est pour cela que nous avons commencé par nous intéresser aux travaux portant
sur l’homosexualité à l’Est de l’Europe. Nous avons vite découvert le manque de points de
repères – les productions intellectuelles consacrées à cet espace-là sont en effet très
limitées, tant pour ce qui est de leur nombre que pour ce qui est de leur portée heuristique.
Nous avons alors élargi la focale de l’analyse vers l’espace occidental, puisque les
thématiques reliées à l’homosexualité y ont été davantage développées. Nous nous sommes
confrontée ainsi au champ des « études gaies et lesbiennes », que nous avons tenté de
systématiser au profit de notre recherche. A la fin de ce passage en revue des études gaies
et lesbiennes, nous nous sommes rendu compte plus spécifiquement de notre intérêt de
recherche, à savoir d’écrire l’histoire politique des revendications gaies et lesbiennes en
Roumanie, en partant de la réalité des faits. Ainsi, ce n’était qu’à la suite d’un
dépouillement des détails factuels, à travers les interrogations successives des
constellations des acteurs et de l’univers dans lequel ils agissent, qu’il nous était possible
de clarifier les enjeux théoriques plus généraux. Nous avons donc fait le choix de ne pas
considérer comme allant de soi les outils conceptuels et les interprétations formulées à
partir de l’étude d’autres contextes, mais de privilégier les faits, tout en essayant de récolter
des fragments de théories à même de recouvrir les imbrications de la réalité que nous
observions sur notre terrain spécifique.
Le deuxième chapitre fait un bref retour en arrière : il s’agit d’une tentative de
récupération du passé, mais pas de manière systématique. Etant donné que l’analyse vise
surtout la période postcommuniste, ce détour par l’histoire ne se propose que de retracer
quelques touches saillantes. L’idée principale est de faire sortir à la lumière la réalité de
l’existence des relations homosexuelles et non pas des détails de l’expérience
homosexuelle avant 1989, de briser le tabou et pas de peindre un tableau. Nous avons donc
donné la priorité aux sources secondaires : par exemple des textes juridiques pour le statut
légal de la « condition homosexuelle », respectivement des textes littéraires pour la
« sociabilité » homosexuelle. Il nous apparaît comme un héritage important de cette
période le fait que même vingt ans après la chute du régime communiste et dix ans après la
dépénalisation de l’homosexualité, les productions qui attestent du fait homosexuel sont
très pauvres, voir même inexistantes : les homosexuels eux-mêmes n’ont pas commencé à

34
partager leurs expériences, ils ne racontent toujours pas leurs vies, leurs histoires. Ce
deuxième chapitre met en lumière après tout quelques attributs de l’expérience
homosexuelle, qui ne disparaissent pas avec le passage à un nouvel ordre politique :
l’anonymat, l’invisibilité, la dissimulation…
Avec le troisième chapitre nous nous attaquons effectivement à notre matière :
une fois le régime communiste renversé, la nouvelle ère ne semble pas apporter la
libéralisation pour les homosexuels roumains. Même si quelques tentatives existent, elles
n’ont pas la force de percer vers l’arène politique. Les répressions légales persistent et le
cadre social reste clos. Ce qui nous intéresse concerne moins le manque de cohésion de
cette partie de la population – qui est d’ailleurs une caractéristique généralisée au niveau de
la société roumaine de l’époque - mais le fait que, en dépit d’une absence notoire de
revendications « d’en bas », le Gouvernement aborde la thématique de la dépénalisation
des relations homosexuelles entre adultes consentants.
Cette question constitue la matière du quatrième chapitre, qui démontre que
l’initiative du Gouvernement revient à l’influence externe, à travers deux voies :
directement du Conseil de l’Europe et à travers les « entrepreneurs de la démocratie », par
exemple des associations comme ILGA, Human Rights Watch, Amnesty International et
International Gay and Lesbian Human Rights Commission (IGLHRC). Ce chapitre apporte
également au devant de la scène le lobbying effectué par ces instances, particulièrement
ILGA, auprès du Conseil de l’Europe et la manière dont le cas roumain est utilisé pour
augmenter leur influence.
Le chapitre suivant, le cinquième, regarde les réactions du Parlement roumain
envers l’initiative du Gouvernement d’intervenir sur l’article 200. Notre but n’est pas une
analyse en soi du discours des acteurs politiques ; nous envisageons néanmoins une mise
au clair des arguments articulés autour du sujet de l’homosexualité, puisqu’ils sont le
miroir de différents conflits dans la société roumaine : normes – mentalités ; Etat – Eglise ;
politique interne – politique étrangère. Le résultat de la « réforme » du Code pénal, que
nous analysons ici, constitue l’expression de ces conflits.
Le chapitre six poursuit l’analyse des principaux acteurs qui s’érigent en
défenseurs ou adversaires de la « cause homosexuelle ». Si l’article 200 suscite l’attention
des instances européennes (le Conseil et divers réseaux transnationaux), au plan interne il

35
revient à l’Eglise orthodoxe et à l’association des droits de l’Homme36 APADOR-CH de
prendre en charge le sujet de l’homosexualité. Les prises de position et les stratégies de ces
deux pôles de la société seront explorés avant d’examiner la mise en place d’un nouvel
acteur dans le paysage associatif, à savoir l’association ACCEPT. La création de cette
association, sa préhistoire et les modalités qu’elle trouve pour fonctionner font la matière
du septième chapitre.
Lors du chapitre huit, l’analyse se poursuit par le décryptage d’une nouvelle tentative
d’intervenir sur l’article 200, en 1997, et surtout elle fait le point sur les avancées au sujet
de l’homosexualité au niveau européen. Au-delà des décisions de la Cour Européenne des
droits de l’Homme, le Parlement européen et le Cour européenne de Justice accordent une
importance accrue aux situations des homosexuels dans les Etats membres, qui se
traduisent dans deux directives : EC 43 et EC 78, éléments-clés pour la politique future de
l’Union en matière des droits lgbt.
Finalement, le chapitre neuf analyse les ressorts de la décision du Gouvernement
roumain d’abroger l’article 200, juste après l’ouverture des négociations d’adhésion à
l’Union, en suivant les actions de ces mêmes acteurs à travers les différents niveaux : local,
européen, transnational.

L’homosexualité constitue dans notre vision un phénomène qui s’inscrit dans une
perspective politique et sociale et qui ne peut être compris que grâce à des facteurs d’ordre
interne et externe à la communauté homosexuelle. Elle est, en même temps, un phénomène
dont l’étude peut apporter un éclairage sur l’évolution de la société roumaine
contemporaine, sur de l’état de la démocratie, tout aussi bien que sur les dynamiques de
l’européanisation. Les échanges autour de cette thématique révèlent la complexité des
enjeux de la démocratisation : les décalages entre les normes et les mentalités, les
déséquilibres entre les priorités de la politique interne et les priorités au niveau européen,
les limites du domaine de la démocratie et les extensions de la morale dans la vie politique.
Ces questions forment un ensemble complexe et hétéroclite dont cette recherche tente de
donner les moyens de comprendre les logiques, les argumentaires, les transformations.

36
Les expressions « droits de l’Homme » et « droits humains » seront utilisées par la suite de
manière interchangeable.

36
Chapitre 1 : Considérations sur les modalités de recherche des questions
homosexuelles

Préambule
A. À la recherche des questions homosexuelles à l’est de l’Europe
Regards sur l’homosexualité dans les PECO
Le cas roumain
Les sciences sociales et humaines roumaines face à l’homosexualité
Parcours d’un projet particulier
Regards de l’ouest vers l’est : l’homosexualité en Roumanie comme objet de l’intérêt
des chercheurs occidentaux
Des nouvelles questions – où chercher les réponses ?

B. L’homosexualité comme objet d’étude: les études gaies et lesbiennes


Quelle institutionnalisation ?
Alliance, rupture, symbiose : l’homosexualité et les sciences
Savoir et pouvoir
La réappropriation du passé homosexuel
Qu’est-ce que l’homosexualité ? qu’est-ce qu’être homosexuel ?
Le paradigme essentialiste
Le paradigme constructiviste
Au-delà des études gaies et lesbiennes : les théories queer
Silence = death. La menace du sida

C. Les études gaies et lesbiennes, pour quoi faire ?

37
Chapitre 1 : Considérations sur les modalités de recherche des questions
homosexuelles

« L’homosexualité renvoie à une pratique sexuelle mais définit aussi une population
étudiée par la sociologie, elle entre dans les schémas d’interprétation de la psychanalyse, elle est
une catégorie juridique, politique, une composante de l’imaginaire social et médiatique, elle
caractériserait une certaine identité individuelle ou collective, etc. L’homosexualité apparaît
comme une notion plurielle dans un ensemble complexe de définitions, de pratiques, d’études, de
discours lui donnant à chaque fois un certain statut, une configuration plus ou moins nette, une
importance plus ou moins affirmée. Loin d’indiquer une simple possibilité de la sexualité et du
désir, l’homosexualité est un objet pour le droit, la sociologie, la psychanalyse, l’anthropologie,
l’imaginaire collectif, etc., mais est surtout un objet pluriel construit par les catégories, les
paradigmes, les problèmes qui structurent ces différents points de vue (qui ne sont pas
nécessairement cohérents entre eux) ».
Jean-Philippe Cazier, L’objet homosexuel – De l’objet au sujet ?

« L’homosexualité est à la fois une condition psychologique, un désir érotique et une


pratique sexuelle. Et ce sont pourtant trois choses différentes. Une même personne peut soutenir
ces trois conceptions à la fois, selon des combinaisons variables et des accentuations différentes.
Aucune des trois notions ne peut atteindre une suprématie suffisante sur les autres pour détruire
leur plausibilité et éliminer leur séduction une fois pour toutes. D’où l’état de crise conceptuelle
qui entoure la notion d’homosexualité aujourd’hui ».
David Halperin, « Homosexualité », Dictionnaire des Cultures Gays et Lesbiennes

« … la production des homosexualités est devenue aujourd’hui l’un des principaux


chantiers des études gays et lesbiennes, ébranlées, mais aussi revitalisées par la théorie queer ».
Florence Tamagne, Au-delà des catégories

38
Préambule

Les trois citations que nous avons choisies pour ouvrir cette partie de notre étude
soulignent d’une façon ou d’une autre combien l’homosexualité s’avère problématique, et
à plus d’un égard.
Cet objet d’étude n’a pas toujours existé ; le terme même n’a qu’une existence
récente. La naissance de la notion d’homosexuel comme personne ayant des rapports avec
une personne de même sexe37, par opposition à l’hétérosexuel, est attribuée à l’écrivain
hongrois Karoly Maria Kertbeny en 186938. Imprimé pour la première fois en allemand, à
Leipzig, le mot homosexualität fait son entrée dans l’histoire à travers deux brochures qui
prennent la forme de lettres ouvertes adressées au ministre de la Justice de Prusse, qui
demandaient l’abrogation des lois pénales sur les « actes contre nature ».
La notion est entrée lentement dans le langage commun par l’intermédiaire des
études médicales et de la presse, à des moments différents selon les pays. Auparavant,
c’était des termes péjoratifs qu’on employait pour désigner les homosexuels, notions qui
comprennent l’interdiction morale et religieuse, comme « sodomite » ou « bougre »,
remplacés plus tard par « pédéraste » ou « infâme » (avec leurs correspondants dans les
différentes langues). En employant des termes plus neutres comme « inverti », « uraniste »
et finalement « homosexuel », les médecins essayaient de dépasser la manière négative de
qualifier ces comportements et de mettre en avant une vision objective du phénomène et
une approche scientifique. Progressivement, grâce aux travaux de Krafft-Ebing, Otto
Weininger, Havelock Ellis ou Sigmund Freud, le terme s’impose et devient la principale
dénomination pour les relations entre personnes de même sexe, mais la notion
d’homosexualité est associée de plus en plus à une aspiration pathologique de l’individu.

37
« Si la conceptualisation scientifique de l’homosexualité est nouvelle, elle reflète une habitude de
pensée beaucoup plus ancienne, caractéristique de l’Europe du Nord et du Nord-Ouest depuis la
Renaissance : les catégories d’actes sexuels ne s’opèrent pas selon les rôles sexuels ou sociaux
tenus par les partenaires sexuels, mais plutôt selon le sexe anatomique des personne », David
HALPERIN, Cent ans d’homosexualité et autres essais sur l’amour grec, Paris, EPEL, 2000,
traduit de l’anglais par Isabelle Châtelet, p. 214.
38
« En 1869, l’écrivain-journaliste hongrois Karoly Maria Kertbeny emploie pour la première fois,
semble-t-il le terme ‘homosexuel’, dans un mémoire anonyme réclamant l’abolition des lois
pénales sur les ‘actes contre nature’, adressé au Dr Leonhardt, ministre de la Justice de Prusse.
Même si le terme mit plusieurs dizaines d’années à s’imposer, cette date, pour beaucoup
d’historiens, fait office de rupture et permet de distinguer clairement le sodomite, criminel contre
Dieu, et l’homosexuel, criminel contre la société ». Florence TAMAGNE, Histoire de
l’homosexualité en Europe… op. cit. p. 24.

39
L’emploi du terme « homosexualité » est en effet délicat, puisqu’il envoie à une
double problématique : du comportement ou du désir homosexuel et de l’orientation ou de
l’identité homosexuelle. Les individus, qu’ils aient des relations sexuelles avec des
personnes de même sexe ou qu’ils éprouvent du désir pour celles-ci, ne se reconnaissent
pas nécessairement une identité homosexuelle et ne se définissent pas en termes
d’homosexuels, et cela pour des causes variables, qu’il s’agisse de l’ignorance, ou qu’ils le
trouvent trop chargé négativement. Dans ce dernier cas, il s’agit également du refus de
s’inscrire dans la logique scientifique et médicale et du rejet d’une identité formulée par la
société hétérosexuelle. Dans ce contexte, le terme anglo-américain « gay », marque un
changement de perspective, désignant l’homosexualité vécue de façon ouverte et
l’opposition aux acceptations négatives et astreignantes.
A ce double sens s’y ajoute une troisième dimension, celle de pratique sexuelle qui
n’implique pas nécessairement le désir érotique dirigé vers le même sexe : dans les
recherches statistiques mises en place par des organisations internationales centrées sur la
problématique du sida, une autre désignation est employée pour éviter les difficultés du
terme « homosexuel » et qui est considérée plus fortunée pour surprendre la réalité :
l’expression « men having sex with men », et l’acronyme qui lui correspond, MSM,
signifie littéralement « hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes ».
L’emploi de cette expression reste toutefois limité à des cadres très spécifiques.
Comme nous pouvons le constater, ce sont éminemment les hommes qui ont fait
l’objet de ces déterminations et les relations sexuelles entre partenaires de sexe masculin
qui ont attiré le plus l’opprobre ou ont suscité la condamnation. En ce qui concerne les
femmes, puisque l’homosexualité féminine a toujours posé moins de problèmes sociaux, le
vocabulaire est plus pauvre et c’est en particulier le terme « lesbienne » qui est employé.
Les évolutions de ces dernières décennies montrent la volonté de transgresser les
limites imposées par ces déterminations et adopter des catégories plus souples et plus
flexibles (ce qui ne nous épargne pas d’autres difficultés), comme par exemple le terme
« queer », présent dans le langage commun, mais qui n’entre dans le langage académique
que vers le commencement des années 199039. Mot anglais signifiant « étrange », « peu

39
Voir par exemple David HALPERIN, « The Normalizing of Queer Theory », in Journal of
Homosexuality, Vol. 45, pp. 339-343; Eve KOSOFSKY SEDGWICK, Epistemology of the Closet,
Berkley, University of California Press, 1990; Eve KOSOFSKY SEDGWICK, Tendencies,
Durham, Duke University Press, 1993; George CHAUNCEY, Gay New York. The Making of the
Gay Male World, 1890-1940, Londres, Harper Collins Publishers, 1995.

40
commun », « queer » a été utilisé surtout comme insulte à l’égard des homosexuels, qui le
récupèrent par provocation et finalement il s’impose comme qualification positive pour
toute personne, hétérosexuels compris, qui n’accepte pas l’hétérosexisme de la société.
Ce terme n’est pas encore rentré dans le langage commun en Roumanie et il est très
peu utilisé même dans les milieux militants. D’ailleurs, dans le contexte roumain,
l’homosexualité est souvent associée à tort exclusivement à l’homosexualité masculine.
Très souvent, le sens même du mot est confondu avec « relations sexuelles entre hommes »
au détriment de sens correct40 « relations sexuelles entre personnes de même sexe »
Dans quelle perspective nous situons nous quant à notre approche ? L’une des
premières questions auxquelles nous nous sommes confrontée lors de notre étude sur
l’homosexualité concerne justement le contenu de cette notion : De quoi voudrions nous
parler quand nous parlons de l’homosexualité en Roumanie ? Qu’est ce qui fait l’intérêt
que nous portons à ce sujet ?
Est-ce que notre intérêt porte sur l’homosexualité en tant que désir érotique envers le
même sexe ? Ou plutôt en tant que choix d’objet sexuel, identité homosexuelle ? Ou est-ce
plutôt les comportements, les pratiques que nous voudrions explorer ? Quels sont les points
où ces dimensions se recoupent ou est-il besoin que ces dimensions se recoupent pour que
l’homosexualité fasse l’objet de notre examen ? Et surtout pour quoi étudier la question de
l’homosexualité en Roumanie et pas ailleurs ?
Notre attachement au cas roumain est resté incontournable. Réfléchir à la question
homosexuelle, aux rapports sociaux des sexes, à la masculinité et la féminité, aux questions
de genre en dehors de ce cadre perdait toute de suite son intérêt. Comme cela, nous avons
commencé à prendre en compte l’idée selon laquelle ce n’était pas l’homosexualité en tant
que telle, dans l’une ou l’autre acception, qui fait notre objet d’étude, mais plutôt notre
intérêt porte sur la société roumaine avant de s’adresser à l’homosexualité : il ne s’agit peut
être pas des enjeux que l’homosexualité soulève, mais de la manière dont la société
roumaine vit les transformations survenues après 1989, les revendications homosexuelles
n’étant qu’un indice, une lentille à travers laquelle nous avons choisi d’explorer l’univers
post-communiste.

40
Le terme « homosexualité » est né de l’association d’une racine grecque – « homo », qui signifie
« semblable » et une racine latine – « sexuel ». La dite confusion a comme cause la supposition que
le terme associe en fait deux racines latines, « homo, -inis », qui signifie « être humain » mais aussi
« homme ».

41
Nous avons alors mis de côté l’idée de rechercher comment l’identité homosexuelle
s’articule dans ce cas particulier, pour privilégier l’exploration des transformations sociales
et politiques de la société roumaine, cela à travers un cas spécifique – l’émergence des
revendications homosexuelles. Il s’agissait d’une part d’investiguer les conditions sociales
et politiques qui ont rendu possible que les homosexuels deviennent visibles et d’autre part
d’interroger les mécanismes sociaux et politiques dont ils ont fait usage pour afficher leur
existence et commencer la négociation de leurs rapports avec la société dans laquelle ils
vivent.
Nous avons cherché par la suite à retrouver les outils conceptuels les plus adaptés et
le cadre d’analyse le plus convenable pour notre but, à savoir l’ouverture de la société
roumaine après la chute du régime communiste à l’émergence d’un nouvel type de
revendications, celles des personnes lgbt. Néanmoins, comme nous avons gardé
l’homosexualité comme enjeux principal qui structure les processus politiques et sociaux
dans la société post-communiste roumaine, nous avons privilégié la lecture des recherches
qui abordent d’une manière ou d’une autre le sujet des relations homosexuelles dans les
anciens pays communistes. Ces lectures, comme nous allons le voir, ont déterminé d’autres
choix théoriques et nous ont amenée à pousser notre réflexion plus loin.

A. À la recherche des questions homosexuelles à l’est de l’Europe

L’une des premières entrées dans la littérature que nous avons explorées afin de
formuler plus clairement nos questions de recherche a été le repérage et le classement des
écrits précédents portant sur les questions homosexuelles à l’est de l’Europe et plus
particulièrement sur le cas roumain. Nous nous sommes donné comme objectif de
reconstruire l’univers de la recherche et de déterminer les filiations intellectuelles des
auteurs pour mieux placer notre propre cas dans une paradigme ou autre d’investigation,
mais aussi de déchiffrer les théories et les méthodes qui ont mobilisé des instruments
conceptuels appropriés afin de les faire travailler pour notre étude.
Mais lors de cet examen de l’état des lieux des recherches portant sur la thématique
de l’homosexualité à l’est, nous avons vite constaté la pauvreté des écrits abordant le sujet ;
les questions homosexuelles tiennent plutôt de l’extravagance, puisque dans les universités
autochtones, tout aussi bien que dans le monde scientifique international peu d’études y

42
sont consacrées, et de manière plutôt accidentelle. Nous pouvons affirmer sans exagérer
que, dans le milieu scientifique francophone, le paysage des publications n’inclut
quasiment aucune production portant sur des questions liées à l’homosexualité à l’est de
l’Europe41. L’espace anglophone serait plus généreux, mais les recherches ne sont pas
nombreuses et il n’y a aucune étude systématique sur aucun des pays d’Europe centrale et
orientale42.
Le cas de la Russie s’écarte en quelque sorte de la règle : plusieurs auteurs lui ont
consacré des études, la plupart dans des universités d’outre Atlantique ou du Royaume
Uni, leur intérêt portant notamment – mais pas exclusivement sur l’univers littéraire :
Simon Karlinsky43, Laura Enelstein44, Laurrie Essig45, Dan Healey46, Brian James Baer47,
Diana Lewis Burgin48, auxquels s’ajoute Igor Kon49, à Moscou même. La discussion de ses
travaux offre peu d’éléments utiles pour notre étude, étant donnée l’hétérogénéité des

41
L’exception tardive serait notre article sur la Roumanie dans le numéro 53-4/2006 de la Revue
d’histoire moderne et contemporaine sur la thématique « Ecrire l’histoire des homosexualités en
Europe : XIXe-XXe siècles » coordonné par Florence TAMAGNE. S’y ajoute l’article d’Agnès
Chetaille sur la Pologne : Agnès CHETAILLE, « Emergence et stratégies du mouvement gay et
lesbien en Pologne. Le rôle des opportunités politiques », in Transitions, dossier « Mouvements
sociaux et représentation politique en Europe centrale et orientale », édité par Cédric PELLEN,
Vol. 49, N° 1, 2009.
42
A l’heure actuelle un projet intéressant de ce point de vue vient de voir le jour aux Etats-Unis, où
Chuck Stewart a préparé l’édition d’une encyclopédie internationale des thématiques concernant
les personnes lgbt, qui compte des entrées sur quelques pays de l’est de l’Europe, dont celle sur la
Roumanie que nous avons signée nous même ou celle sur la Moldavie, signée par Julien Danero.
Chuck STEWART (éd.), The Greenwood Encyclopédia of LGBT Issues Worlwide, 3 volumes,
Greenwood Publishing Group, CA, 2009. Ce recueil aura au moins le mérite de faire le point sur
les situations légales, sociales et politiques en Europe de l’Est, dans une langue accessible et de
manière unitaire.
43
« Russia's Gay Literature and Culture: The Impact of the October Revolution », in Martin
DUBERMAN, Martha VICINUS, George CHAUNCEY JR (éds.), Hidden From History:
Reclaiming the Gay and Lesbian Past, Ontario, New American Library, Penguin 1989.
44
The Keys to Happiness: Sex and the Search for Modernity in Fin-de-Siecle Russia, Ithaca,
Cornell University Press, 1992; « Soviet Policy toward Male Homosexuality: Its Origins and
Historical Roots » in Journal of Homosexuality Vol. 29, N° 2-3, 1995.
45
Queer in Russia. A Story of Sex, Self, and Other, Durham & Londres, Duke University Press,
1999.
46
« Masculine Purity and Gentlemen’s Mischief: Sexual Exchange and Prostitution between
Russian Men, 1861-1941 », in Slavic Review, Vol. 60, N° 2, 2001, pp. 233-265.
47
« Russian Gays/Western Gaze. Mapping (Homo)Sexual Desire in Post-Soviet Russia »,, in QLG,
Vol. 8, N° 4, 2002, p. 499-521.
48
Sophia Parnok: The life and work of Russia's Sappho, New York University Press, 1994.
49
The Sexual Revolution in Russia. From the Age of the Czars to Today, traduit par James Riordan,
New York, Free Press, 1995.

43
directions de recherche et le manque de théorisation, mais nous allons les garder à la portée
de main pour une série d’illustrations comparatives.
Dans cet espace presque désert, quelques exceptions ont attiré notre attention. Nous
avons choisi de présenter ces travaux séparément, à savoir une première sous-section parle
des écrits sur l’ensemble des pays d’Europe Centrale et Orientale, pour qu’une deuxième
soit consacrée exclusivement aux travaux sur le cas roumain ; cette dernière est à son tour
organisée sur deux niveaux différents : les productions occidentales sur le cas roumain, et
respectivement les productions indigènes.

Regards sur l’homosexualité dans les PECO

Si de manière générale l’est de l’Europe reste dans la pénombre quant aux


informations concernant les situations des personnes lgbt, l’exception de la règle est
incarnée par deux ouvrages collectifs qui sont loin de couvrir la thématique, mais qui
offrent quelques indices sur la question.
Le premier ouvrage n’est pas concentré exclusivement sur l’est de l’Europe, mais il
mérite notre attention à plus d’un égard. Il s’agit de l’une des premières histoires des
mouvements gais et lesbiens qui se proposent un degré de compréhension globale :
coordonnée par Barry Adam, The Global Emergence of Gay and Lesbian Poilitics est paru
en 1999 aux Etats-Unis50. Il s’agit incontestablement d’une première dans l’univers des
productions sur l’homosexualité, garantie par les vastes ambitions des auteurs, tant du
point de vue du nombre de pays réunis, que de l’effort théorique déployé dans
l’introduction et la conclusion de l’ouvrage ; les coordonnateurs du volume cherchent en
effet à analyser les facteurs favorisant ou défavorisant l’émergence et la croissance des
mouvements homosexuels de manière globale, l’internationalisation du mouvement, les
rapports entre les mouvements lesbiens et féministes, en ouvrant toute une série d’axes de
réflexion sur les enjeux liés à l’homosexualité.
Ouvrage collectif juxtaposant des contributions sur différents cas nationaux (le
Canada, les Etats-Unis, le Brésil, l’Espagne, le Japon et l’Australie, ou le Zimbabwe et la
Namibie) il comprend aussi une étude de synthèse portant à la fois sur la Roumanie, la

50
Barry D. ADAM, Jan Willem DUYVENDAK, André KROUWEL (dir), The Global Emergence
of Gay and Lesbian Poilitics. National Imprints of a Worldwide Movement, Philadelphia, Temple
University Press, 1999.

44
Hongrie et la République tchèque. Sous la signature de Scott Long nous retrouvons une
série d’informations sur l’aube de la mobilisation ou le manque de mobilisation dans les
PECO. Lui-même militant pour les droits de l’Homme et participant actif dans
l’émergence du mouvement gai et lesbien d’abord en Hongrie et peu après en Roumanie,
l’auteur de cet article présente un aperçu informé sur la réalité du terrain, mais comme il
l’avoue lui-même, n’étant ni sociologue ni anthropologue, il compte sur les autres pour
faire le travail d’interprétation51 concernant les communautés gaies et lesbiennes dans cette
partie du monde.
Autre point de repère dans le paysage des publications s’aventurant à fournir un
regard sur l’est de l’Europe, même s’il est partiel, c’est un ouvrage collectif publié en 2007
par le Mirovni Institut de Ljubljana sous la direction de Roman Kuhar et Judith Takacs52.
Ce recueil tente de fournir une vue d’ensemble sur la situation des personnes lgbt dans
l’espace ex-soviétique, avec des contributions abordant un grand nombre de pays, parmi
lesquels la Hongrie, la Slovénie, la Pologne, mais aussi l’Estonie ou la Bulgarie (le cas
roumain ne fait l’objet d’aucun article inclus dans cet ouvrage). Issu d’une conférence
organisée à l’automne 2005 à Ljubljana, le volume a été complété par d’autres
contributions que celles présentées à cette occasion-là, pour arriver à mettre ensemble 21
études de cas sur des aspects variés de la vie quotidienne des gays, lesbiennes, bisexuel/les
ou transsexuel/les à l’Est, organisées en six sections portant sur des aspects identitaires
jusqu’à la question de l’homophobie. La plupart des contributions s’inscrivent dans une
double logique – de recherche académique, mais aussi militante ; comme l’affirment dans
l’introduction les deux sociologues coordonnateurs de l’ouvrage, « as important as the
obvious academic aim of the book is the political goal of the project : to voice those whose
experiences are analyzed here and whose everyday lives’ joys and pains are mirrored in
the texts present here53 » D’ailleurs, la majorité des auteurs présents dans ce volume se
retrouvent d’une manière ou d’une autre dans le champ universitaire : il s’agit des
sociologues, anthropologues ou jeunes doctorants et étudiants inscrits dans des universités
occidentales ou est-européennes ; il ne manque pas néanmoins d’activistes pour les droits
des lgbt (par exemple le leader d’Amnesty International en Belarus, qui est présenté en tant

51
« Because I’m neither a sociologist nor an anthropologist nor a political scientist, I am, in those
respects, reliant on others to do my work for me », p. 260, note en bas de page 2.
52
Roman KUHAR, Judith TAKACS (éds.), Beyond the Pink Curtain: Everyday Life of LGBT
People in Eastern Europe, Ljubljana, Mirovni Institut, 2007.
53
Roman KUHAR, Judith TAKACS, « Introduction », in Beyond the Pink Curtain… op. cit., p. 11.

45
que l’un des principales figures du mouvement lgbt dans ce pays). De plus, la plupart des
contributeurs eux-mêmes sont non seulement « queer or queer friendly », pour reprendre
les mots de Gert Hekma, qui préface l’ouvrage, mais ils sont bien insérés dans les milieux
associatifs et militants (comme par exemple Campagne Against Homophobia en Pologne
ou Háttér Support Society en Hongrie).
Nous pourrions énumérer d’autres études plus restreintes et disparates sur des cas
particuliers des pays de l’est : Kevin Moss, Roman Kuhar ou Judith Takacs sont des
signatures retrouvées sur des écrits portant sur la thématique de l’homosexualité à l’Est54 ;
il s’agit surtout d’articles sur des questions très ponctuelles, qui apparaissent de manière
sporadique dans des publications de langue anglaise. La variété des langues dans la région
et par conséquent le manque d’accessibilité d’autres possibles écrits sur les situations
locales se traduit dans un mystère presque total qui règne au sujet des gays et des
lesbiennes dans les PECO. Les informations à ce sujet proviennent dans la plus grande
partie des rapports des organisations internationales (comme ILGA ou Amnesty
International) ou des nouvelles journalistiques lors des événements de type gay pride ou
des festivals gais.

Si il faut conclure sur les travaux abordant d’une manière ou d’une autre les
thématiques concernant l’homosexualité à l’est, nous pouvons affirmer sans exagérer
qu’elles s’apprêtent à découvrir la réalité, mais ils tardent à l’interpréter. Les quelques
travaux existants montrent l’effort considérable entrepris pour décrire les conditions
sociales et les situations juridiques, pour expliquer les changements et découvrir les
particularités de situations nationales, avec un fort accent sur les avancées et les
« victoires » obtenues ou, selon le cas, sur le chemin encore à parcourir pour que les
personnes lgbt puissent vivre une vie « normale ». Le lecteur reste pourtant sur sa faim
quand il s’agit de comprendre le pourquoi de ces situations, comment les changements
54
Kevin MOSS, « The Underground Closet: Political and Sexual Dissidence in Eastern Europe »,
in Ellen E. BERRY, (éd.), Genders 22: Postcommunism and the Body Politics, New York, New
York University Press, 1995, p. 229-251; Michael Jose TORRA, « Gay Rights after the Iron
Curtain », in Fletcher Forum of World Affairs, Vol. 22, N° 2, 1998, pp. 73-87; Jurgen LEMKE
(éd.) Gay Voices from the Est, Bloomington, Indiana University Press, 1991; Mark CORNWAL,
« Heinrich Rutha and the Unraveling of a Homosexual Scandal in 19930s Czechoslovakia », in
GLQ, Vol 8, N° 3, 2002, pp. 319-347; Judith TAKACS, Position, State of Development and Role of
Sexual Minority Media. Hungary, The Netherlands and Slovenia, Research Paper Prepared for the
Peace Institute Fellowship Program 2002, Ljubljana, Mirovni Institut / The Peace Institute, 2003;
Roman KUHAR, Media Representation of Homosexuality. An Analysis of the Print Media in
Slovenia, 1970-2000, Ljubljana, Mirovni Institut / The Peace Institute, 2003.

46
concernant la situation des personnes lgbt se sont produits, en quoi consistent-ils ou
comment s’explique le retard ou la mise en place des réformes dans ce domaine de la vie
sociale.

Le cas roumain

Les sciences sociales et humaines roumaines face à l’homosexualité :

L’exemple particulier de la Roumanie ne présente pas d’originalité du point de vue


des avancements des recherches; comme nous l’avons tout brièvement noté dans
l’introduction de ce travail, les questions homosexuelles dans ce pays n’arrivent pas à faire
l’objet de l’intérêt scientifique. Dans les centres universitaires roumains, des sujets
concernant l’homosexualité, et même plus généralement la sexualité, ne sont pas appréciés
en tant que sujets « légitimes » de la recherche en science sociales et humaines ; les travaux
roumains de science politique surtout - qui privilégient des recherches plutôt théoriques et
abstraites, choisissent des sujets appartenant au champs de l’histoire des idées politiques ou
même philosophiques, mettent l’accent sur les perspectives spéculatives et vont parfois
vers l’essai de philosophie politique et sociale, favorisant des sujets cosmopolites ou
lointains - sont restée pendant longtemps loin de l’empirique, éloignée des réalités du
terrain autochtone. Quelque peu différente, la psychologie n’a pas entièrement évité le
sujet, mais nous ne pouvons pas non plus affirmer qu’il existe un intérêt soutenu pour ces
aspects. La sociologie et l’anthropologie sont tout aussi fermées aux questions
homosexuelles, et, effectivement, on pourrait compter sur les doigts d’une main les
productions en langue roumaine et publiées en Roumanie, ouvrages et articles compris ;
quant à leur contenu, il réclame quelques commentaires.
Ce sont les sociologues qui se sont intéressés les premiers à l’homosexualité, mais
les résultats restent peu substantiels :
Sorin Radulescu, en 1994, dans un article55 paru dans la revue Sociologie
româneasca (Sociologie roumaine), suivi par Ilie Badescu en 1995, dans un article paru

55
« Perspective sociologice si dileme etice in analiza homosexualitatii » (Perspectives
sociologiques et dilemmes éthiques dans l’analyse de l’homosexualité), in Sociologie româneasca,
N° 5, 1994.

47
dans une brochure d’information adressées aux membres du Parlement56, et plus
récemment, en 2005, Sorin Spineanu Dobrota, celui-ci dans un ouvrage57, ont tenté tour à
tour de s’exprimer sur la question.
Radulescu d’abord et ensuite Dobrota cherchent à se placer sur une position de
neutralité scientifique en ce qui concerne la question homosexuelle, ce qui se traduit dans
la réserve et la prudence qui caractérisent leurs propos sur le fait homosexuel. Abordant
l’homosexualité, les deux auteurs, à dix ans de distance, conçoivent leur propos comme
s’adressant à un public qui considère l’homosexualité comme une anormalité, un
comportement déviant ; ils essaient alors de ne pas se placer sur une position explicitement
« favorable » à l’homosexualité.
Sociologues appartenant à des générations différentes, Radulescu et Dobrota
partagent le même intérêt pour les questions homosexuelles ; d’ailleurs ils sont également
contributeurs au premier ouvrage en roumain consacré à l’homosexualité,
« L’Homosexualité – normale ou patologique », signée par Dobrota et préfacée par
Radulescu.
Dans le cas de Sorin M. Radulescu l’intérêt pour cette thématique prend forme à
travers ses recherches sur les comportements déviants, sujet qui l’a préoccupé tout au long
de sa carrière en tant que sociologue : à partir de 1982 il travaille comme chercheur au
Centre de Recherches Sociologiques (actuellement l’Institut de Sociologie de l’Académie
Roumaine), à part une charge de cours en sociologie (depuis 1973 jusqu’en 2000)
premièrement à l’Université de Bucarest et par la suite dans des universités privées. A
propos de l’homosexualité il n’a pas une contributions significative : il se limite à souligner
quelques difficultés soulevées par les études sur l’homosexualité, à savoir des aspects
éthiques, et passe à opérer quelques distinctions qu’il trouve nécessaires pour entreprendre
une étude sociologique de l’homosexualité : il différencie « identité » et « conduite » ou
« préférence », pour passer également en revue certaines évaluations quantitatives tirées
des travaux des chercheurs américains. Le seul point où l’article fait référence à la situation

56
Il s’agit d’un article intitulé « Homosexualitatea, un studiu sociologic » (L’homosexualité, une
étude sociologique), article paru dans la brochure Homosexualitatea, propaganda a degenerarii
umane (L’homosexualité, propagande de la dégénération humaine), éditée par l’Association des
étudiants chrétiens orthodoxes roumains. La publication et la circulation de cette brochure font
l’objet de l’analyse dans le Chapitre 6, où nous allons examiner le contenu, le but et les
circonstances d’apparition de ce recueil de textes.
57
Homosexualitatea : normal sau patologic (L’homosexualité : normale ou pathologique),
Bucarest, Edition Triton, 2005.

48
roumaine, c’est l’observation du contexte religieux : quelques fragments d’interview avec
un prêtre roumain lui servent d’exemple pour illustrer l’idée selon laquelle l’Eglise en
général considère l’homosexualité comme un péché, l’Eglise orthodoxe n’y faisant pas
exception.
Quant à Dobrota, son parcours est plus complexe ; il commence des études en
sociologie à Cluj (achevées par une maîtrise en 1995), il continue à Bucarest avec une
maîtrise en sciences politiques (achevée en 2000) et il obtient le titre de docteur en
sociologie en 2004, de nouveau à l’Université Babes Bolyai de Cluj. Son intérêt pour les
droits de l’Homme, ainsi que le nombre de conférences internationales sur le sujet, de
même que des stages de recherche à l’étranger (Londres, Paris), ainsi que les collaborations
avec le Ministère de l’Education et la Recherche sur différents programmes de recherche et
d’évaluation complètent son profil. Dobrota précise dès les premières pages de son
ouvrage son attitude par rapport à l’homosexualité : il se déclare bienveillant, mais il ajoute
immédiatement : « je plaide pour que l’existence du phénomène soit reconnue. […] La
société a besoin de nous (les spécialistes dans le domaine de la socio psycho pédagogie)
pour lui expliquer que l’homosexualité est un comportement atypique et non pas anormal
(souligné dans le texte) ». Nous entendons dans l’écriture de Dobrota la peur de ne pas
vexer, de ne pas se montrer trop favorable, le constant souci de mobiliser des arguments
« scientifiques » pour appuyer une affirmation ou l’autre. D’ailleurs, notre principale
critique à cet ouvrage vise justement cet aspect : l’auteur n’arrive ni à expliquer la
condition de l’homosexualité en Roumanie, ni à rendre plus claires les fondements des
attitudes négatives envers l’homosexualité dans ce pays, en ce concentrant trop sur
l’impartialité de ses affirmations et mettant en place un plaidoyer contre la stigmatisation
et les préjugés. On retiendra néanmoins l’ouvrage de Sorin Spineanu Dobrota comme une
étude sérieusement documentée, qui nous fournit une somme de données sur le contexte
roumain, qui ne s’attarde pas sur les jugements moralisateurs, mais qui tente de formuler
les questionnements dans des termes neutres et désencombrés des références négatives.
A l’autre extrême nous retrouvons l’article de Badescu, véritable réquisitoire qui se
place sans appel en dehors de l’espace scientifique. Il définit l’homosexualité comme « un
phénomène de renversement axial (sic !) de l’orientation sexuelle des individus », rendu
possible au sein de la société par « la perte de son pouvoir de réaction aux courants qui
peuvent la désorganiser » et il ajoute que « le modèle le plus complet pour expliquer ce

49
phénomène est celui de l’anthropologie chrétienne », mais jusqu’à la fin de l’article on
n’apprend ni en quoi ce modèle consiste, ni comment il fonctionne.
La figure du sociologue Badescu nous ramène à faire attention à un type de
discours très rependu dans les milieux intellectuels roumains à la sortie du communisme :
formé pendant les années 1970–1980 (maîtrise en sociologie en 1972 et doctorat de la
même Université de Bucarest en 1984), il appartient à une génération largement attachée à
l’idéologie communiste, qui éprouve des difficultés à se débarrasser des servitudes et
s’adapter aux nouvelles réalités sociales. S’appuyant sur une base institutionnelle solide (il
est le chef de la chaire de sociologie de l’Université de Bucarest), il propage un discours
qui se veut scientifique, mais qui en fait mélange peu d’analyse sociologique avec
beaucoup d’idéologie et de discours moralisateur.
Dans le même ordre s’inscrit la prise de position de Ioan Mihailescu (professeur de
sociologie et recteur de l’Université de Bucarest de 1996 à 2005) : sans être expressément
consacré à la question de l’homosexualité, son article « Valeurs et normes sociales dans la
période de transition. Le rôle des institutions sociales dans le dépassement des crises des
normes et des valeurs » paru en 200158 s’avère très éloquent à cet égard. L’auteur affirme
le devoir des intellectuels qui, selon lui, « ont pour responsabilité de garder, de
promouvoir et de créer les normes et les valeurs sociales et de maintenir la moralité
civique », à un moment où très peu de personnes se préoccupent du destin culturel et moral
du peuple roumain. Il ajoute quelques commentaires sur les fonctions de l’institution de
l’Eglise et son rôle social, soulignant sa « mission accomplie » lors des débats autour de la
législation concernant les relations homosexuelles : dans les moments d’incertitude et de
bouleversement des normes, la morale chrétienne reste le seul point de référence stable et
inattaquable. Il ajoute également que l’augmentation de la permissivité sociale vis-à-vis
des comportements sanctionnés par la morale chrétienne ne devrait pas se confondre avec
une modification du statut moral des comportements homosexuels, qui, d’après lui, restent
toujours immoraux.
Les peu nombreux travaux qui s’attaquent au sujet de l’homosexualité, même s’ils
plutôt accidentels et pas du tout systématiques, démontrent néanmoins la complexité et la
difficulté de la thématique : traitée ici avec beaucoup de précautions, afin de ne pas
choquer ou déranger, là avec une ferme aversion et répudiation, l’homosexualité transparaît

58
Ion MIHAILESCU, « Valori si norme sociale in perioada tranzitiei. Disfunctionalitati normative
si valorice », in România sociala (Roumanie sociale), N°1, 2001, p. 4.

50
dans les discours comme une question d’un poids social énorme. En l’abordant, les
sociologues roumains ne se préoccupent pas de comprendre et expliquer le phénomène,
mais de le justifier ou plutôt de le rejeter. Certains se placent sur des positions d’autorité,
en mobilisant leur savoir et leur statut social pour promouvoir ce qu’ils estiment le « bien
de la nation », les « valeurs pérennes », les « repères à suivre dans une période de crise ».
Le sujet de l’homosexualité touche à des questions fondamentales dans la société, il suscite
des angoisses identitaires, il mobilise des discours invoquant la dégénération et la crise, la
santé morale du peuple, l’identité et la spécificité nationales. Ces types d’argumentation
seront abordés de manière plus approfondie dans un chapitre suivant, mais il est opportun
de souligner la nature controversée de cette thématique : apparemment un aspect
secondaire et plutôt marginal de la vie sociale, au premier abord circonscrit à une partie
minoritaire, voire infime de la société, l’homosexualité s’avère une question qui touche à
l’ensemble de la société, qui interpelle les fondements du pouvoir et les principes
d’organisation de la vie sociale.

Parcours d’un projet particulier

Dans un tel contexte académique, l’intérêt isolé d’un étudiant envers ces questions se
voit vite épuisé dans un mémoire de fin d’études, aucune recherche plus soutenue et de
longue haleine n’ayant été entreprise. Ridiculisé par les professeurs et les collègues,
étiqueté de manière automatique comme ayant une orientation homosexuelle seulement
suite à son intérêt pour le sujet, harcelé ou insulté, tels pourraient être les réactions
auxquelles on s’expose en abordant l’homosexualité.
En ce qui concerne la présente étude, elle a été lancée dans un premier temps au sein
de l’Université de Bucarest, à la Faculté de Sciences de l’Education à l’occasion d’un
mémoire de maîtrise en 2001. Il s’agissait à ce moment-là d’entreprendre un mémoire de
fin d’études portant sur les difficultés des familles face à l’homosexualité d’un enfant /
adolescent et les manières de gérer la situation du point de vue du soutien psychologique
accordé aux familles.
L’idée d’une telle étude est née lors d’un séminaire dans lequel le professeur chargé
du cours de « Consiliera familiei », Ecaterina Vrasmas, a soumis aux débats un petit article
de journal qui racontait l’histoire d’un jeune homme qui avait été expulsé par sa famille en
raison de son homosexualité avouée. En nous retrouvant comme la seule personne dans un

51
groupe de 20 étudiants à contester la réaction de la famille en cause et à la qualifier comme
inacceptable, notre intérêt a redoublé : il s’agissait de notre point de vue d’argumenter la
nécessité de comprendre le fait homosexuel afin de l’accepter, puisque l’abandon de son
propre enfant ne nous semblait pas viable. Le professeur cité s’est chargé de coordonner le
projet, quelques ajustements requis : le mot « homosexualité » ne pouvait pas apparaître
dans le titre, il a été remplacé par le syntagme « personnes ayant des relations sexuelles
avec des personnes de même sexe » étant l’un d’entre eux.
Il s’agit, il faut le souligner, d’une période où la législation punitive des relations
homosexuelles avait été abrogée depuis quelques mois, mais notre intérêt ne portait pas à
ce moment sur les débats parlementaires ou sur les avancements législatifs, questions que
nous avions appris de manière secondaire, lors des échanges avec des amis plus concernés.
Lors de la défense publique de ce travail quelques uns des membres du jury se sont
montrés plus que sceptiques quant à une telle recherche et l’un d’entre eux nous a
interrogée sur l’existence même des « sujets » ; est ce que nous avons discuté avec des
personnes de cette orientation sexuelle-là ? elles existent pour de vrai ? il ne serait pas
question ici d’inventer un problème qui n’est qu’un soit disant « problème », une fausse
piste, puisqu’il n’y a pas d’homosexuels en Roumanie… La réaction de ce spécialiste dans
la théorie de l’éducation montre non seulement la méconnaissance du travail qui lui avait
été présenté mais, surtout, la méconnaissance de la réalité sociale dans laquelle il vivait et
travaillait, la brèche profonde entre la « tour d’ivoire » de la recherche roumaine et les
objets empiriques de la société, le cadre dans lequel ces professeurs-là exerçaient leur
métier.
Deux années plus tard, ce fut dans le cadre d’une école doctorale internationale,
basée à Bucarest à l’aide de l’Agence de la Francophonie, que ce projet reçut de l’attention
(et un support financier également), ce qui nous a permis de nous lancer réellement dans
cette recherche.
Ce qui présente de l’importance de notre point de vue, c’est l’aspect international :
c’est grâce à l’examen par un comité formé de professeurs en provenance des pays
occidentaux francophones (la France, le Canada, la Belgique et la Suisse y étaient
représentés, ainsi que la Roumanie) que, à notre avis, ce projet de recherche a pu être
considéré comme portant sur un sujet légitime ; l’intérêt accordé aux questions gaies et
lesbiennes à l’ouest de l’Europe et de l’autre coté de l’Atlantique a contribué dans ce cas à
rendre possible une recherche sur les questions gaies et lesbiennes à l’Est.

52
Il ne s’agit pas d’ignorer les difficultés qui entourent cette sorte de recherche dans les
universités occidentales, mais de souligner le fait que dans nombre de ces universités à
l’ouest, ces sujets sont de plus en plus reconnus en tant que novateurs et des pistes de
recherche légitimes, susceptibles de faire avancer la connaissance et d’apporter des
éclairages riches aux problèmes de la société. C’est d’ailleurs l’une des particularités et les
buts de l’institution qui a soutenu premièrement notre projet : l’Ecole Doctorale
Francophone en Sciences Sociales fût créée afin d’encourager des recherches novatrices
sur les pays d’Europe Centrale et Orientale, des approches interdisciplinaires et orientés
vers des directions d’investigation nouvelles, avec un intérêt accru pour des sujets
originaux.

Regards de l’ouest vers l’est : l’homosexualité en Roumanie comme objet de l’intérêt des
chercheurs occidentaux

C’est toujours au sein d’universités occidentales que l’on peut trouver quelques
rarissimes mais d’autant plus notables recherches consacrées au sujet de l’homosexualité.
Si de manière générale en dehors des frontières roumaines l’homosexualité attire surtout
l’attention des journalistes ou des rapporteurs des droits de l’Homme, parfois des
scientifiques s’y intéressent également.
Deux chercheurs roumains rattachés à des universités nord-américaines, Catalin
Augustin Stoica, docteur en sociologie de la Stanford University, Californie 59, et Denise
Roman, docteur en sciences politiques de la York University, Canada 60, ont publié en 2003
deux travaux portant sur l’homosexualité. L’article de Catalin Augustin Stoica, An
Otherness that Scares. Public Attitudes And Debates on Homosexuality in Romania61, explore
les attitudes publiques envers l’homosexualité, plus exactement envers les homosexuels masculins,
en tant que figures de l’altérité et de la différence, plaçant le questionnement dans le cadre de
l’interactionnisme symbolique. Il dresse une étude succincte, mais détaillée, qui prend en compte
un nombre élevé de variables (comme l’absence d’avis des experts sur la question, l’implication de
l’Eglise orthodoxe dans les débats, les médias) mais qui reste nuancée et sensible aux difficultés de

59
Titre obtenu en 2005 ; depuis directeur du Centre de Sociologie Urbaine et Régionale (CURS) à
Bucarest.
60
Titre obtenu en 2002 ; depuis chercheur rattaché à l’UCLA Center for Study of Women.
61
Catalin Augustin STOICA, « An Otherness that Scares. Public Attitudes And Debates on
Homosexuality in Romania », in Henry F CAREY, National Reconciliation in Eastern Europe
(Reconciliation Nationale en Europe de l’est), Columbia University Press, 2003, pp. 271-285.

53
la méthodologie de recherche (par exemple de l’objectivité dans l’observation participante). Dans
l’espace limité d’une contribution à un ouvrage collectif, cette étude parvient à offrir une image
compréhensive et éloquente de la société roumaine ; nous regrettons seulement que, même si
publié en 2003, elle présente cette image de la Roumanie d’avant 1996, sans une mise à jour sur les
avancements ayant lieu depuis.
En ce qui concerne l’ouvrage de Denise Roman62, c’est le septième chapitre qui nous
intéresse puisqu’il aborde la thématique de l’homosexualité. Intitulée « Between Ars Erotica and
Scientia Sexualis : Queer subjectivities and the Discourse of Sex », cette partie est un exemple
typique pour la mobilisation des moyens des théories queer pour aborder un terrain situé en Europe
de l’est. L’auteur exploite quelques facettes des paradigmes queer (en passant par Joan Scott,
Michel Foucault et Judith Butler), dans la mesure où elles s’avèrent pertinentes pour établir un
tableau des expériences homosexuelles et pour déconstruire des identités homosexuelles en
Roumanie, dans une comparaison parfois illustrative, parfois hâtive avec des phénomènes similaire
à l’Ouest. Nous retenons assurément de cette étude, qui semble parfois prématurée dans l’analyse,
prolixe en références théoriques mais pauvre en observations empiriques, l’encadrement de la
construction du désir : à la rencontre de deux univers, l’Ouest et l’Est, comme un hybride qui se
nourrit autant de la scientia sexualis que de l’ars erotica.
Le cas roumain attire l’attention de Carl Stychin (professeur de droit et théorie sociale à
l’Université de Reading, Royaume-Uni, depuis 1998) qui l’utilise dans deux productions sur
des thématiques plus amples, comme la « citoyenneté sexuelle » européenne63ou la globalisation
64
du discours sur les droits de l’Homme . Dans l’ouvrage Governing Sexualities. The
Changing Politics of Citizenship and Law Reform, Stychin explore dans un paradigme
juridique la tension entre deux concepts essentiels, la citoyenneté sexuelle et la citoyenneté
transnationale européenne ; le rôle de la loi dans les conditions de réforme accélérée et de
libéralisation des provisions régulant les pratiques homosexuelles sont examinés dans le
contexte de l’intégration européenne. Le dernier chapitre de ce volume est dédié au cas
roumain et marque un changement de la focale d’analyse vers élargissement de l’Europe
et l’impact des politiques de la sexualité dans ce cadre, en soulignant l’importance de la

62
Denise ROMAN, Fragmented Identities. Popular Culture, Sex, and Eveyday Life in
Postcommunist Romania, Oxford, Lexington Books, 2003.
63
Carl STYCHIN, Governing Sexualities. The Changing Politics of Citizenship and Law Reform,
Oxford, Hart Publishing, 2003.
64
Carl STYCHIN, « Same-Sex Sexualities and the Globalization of Human Rights Discourse », in
McGill Law Journal, Vol. 49, 2004, pp. 951 – 968.

54
thématique de la sexualité en tant qu’entrée privilégiée pour l’étude de thèmes comme
l’identité, le transnational, l’occidentalisation, l’internationalisation des droits de l’Homme
ou la globalisation. D’ailleurs, ces mêmes questions font la chair du deuxième ouvrage
mentionné auparavant, qui fait référence au cas roumain : cette fois-ci l’accent est mis sur
l’utilisation réussie des circonstances de la globalisation et de l’universalisation du
discours sur les droits de l’Homme pour réformer le cadre juridique relatif aux relations
homosexuelles.
Dans un premier temps les observations de Stychin nous ont séduite : nous avons
retrouvé dans ses travaux une idée qui non seulement correspondait à notre vision des
choses, mais qui réussissait à exprimer d’une manière argumentée et soutenue
empiriquement une interprétation qui faisait déjà lieu commun dans les visions
journalistiques sur la situation en Roumanie : « it was pressure from the institutions of the
EU that ultimately led to legal change65 », affirme Stychin. Il s’agit donc du régime
transnational de l’Union européenne qui contribue à la mise en place des provisions
législative qui garantissent des droits pour les gays et les lesbiennes roumains. Mais une
fois que nous passons à la démonstration, son argumentation s’avère vraiment insuffisante:
il est vrai, il y a des pressions de la part de l’Union européenne, mais c’est tout ce qu’il y
a ? Alors pour quoi le changement des lois n’a pas été accompli plus vite ?Pour quoi a-t-on
besoin de dix ans pour que le Code pénal soit réformé au sujet des relations
homosexuelles ?
Notre intérêt va plus en détail, nous sommes concernée par les interactions au plan
micro, nous nous proposons de rendre compte des échanges qui ont lieu au plan interne, ce
qui reçoit l’input des instances externes, mais de quelle manière et avec quelles réactions ?
De plus, Stychin mobilise des termes comme « mouvement », « militants»,
« identité », « communauté », « combat ». Quel est le sens de ces notions ? Peut-on parler
d’un mouvement gay et lesbien en Roumanie ? Peut-on parler d’identité homosexuelle ou
de communauté homosexuelle dans un contexte où personne n’a fait son coming-out ?
Nous estimons que ces termes réclament plus d’attention. Ce sont des outils qui ont été
mobilisés dans les réflexions sur les situations politiques et sociales des homosexuels de
l’autre coté de l’Atlantique et à l’ouest de l’Europe, surtout à partir des années 1970, et
employés depuis dans les contextes occidentaux pour expliquer les revendications gaies et

65
Carl STYCHIN, op. cit., p. 962.

55
lesbiennes; peut-on les transférer tels quels aux situations d’Europe centrale et orientale
trente ans plus tard ?

Des nouvelles questions – où chercher les réponses ?

Après cet examen de l’univers des recherches sur la thématique de l’homosexualité à


l’est de l’Europe nous nous sommes retrouvées en difficulté : il n’est pas vraiment possible
de se situer dans un paradigme de recherche, puisque les travaux sur la question sont
tellement disparates et inégaux. Il s’agit à la fois de l’impossibilité de discerner un tel
paradigme, de tracer une perspective de recherche homogène : les apports viennent de
différentes disciplines ou se servent du croisement de différentes approches. Egalement, les
fins explicatives s’entremêlent avec les déclarations justicières, les logiques de recherches
sont parfois brouillées par les logiques d’action.
Une chose nous est devenue claire : les écrits sur l’homosexualité à l’Est ne
comprennent pas de clefs pour rendre compte de l’émergence des revendications
homosexuelles en Roumanie à la sortie du communisme. Nous avons considéré donc utile
de dépasser l’univers des recherches consacrées à l’homosexualité à l’est : non seulement il
est pauvre, mais il resserre la focale beaucoup trop sur les situations des personnes lgbt
sans nous offrir assez d’éléments sur les conditions politiques et sociales dans les pays en
question, sur le cadre plus large qui permet ou empêche l’affirmation homosexuelle.
Pour trouver les instruments en état de faciliter l’accès à l’interprétation des enjeux
politiques et sociaux qui ont permis l’ouverture des questions homosexuelles dans ce
contexte et pour décrypter les notions susceptibles d’apporter des éclairages sur les
manières de traiter la cause homosexuelle, nous tournons notre attention vers d’autres
horizons plus prometteurs. A ce point, deux directions se sont profilées comme plus
pertinentes :
D’une part, il nous a paru alors opportun d’ouvrir l’investigation vers les
transformations postcommunistes en Europe de l’est, à savoir les transformations
survenues en Roumanie après la chute du mûr de Berlin. D’autre part, comme nous avions
décidé de garder la thématique de l’homosexualité comme l’indicateur privilégié des
transformations postcommunistes, à la lumière des recherches occidentales qui touchent à
l’homosexualité en Roumanie, il nous est devenu nécessaire d’essayer de comprendre

56
davantage les enjeux soulevés par cette thématique ailleurs, dans des contextes où les
questions homosexuelles font depuis plus longtemps l’objet d’une réflexion scientifique.
Les recherches occidentales sur le cas roumain font toutes appel à une série de termes
qui ne sont pas du tout évidents, qui ne peuvent pas d’après nous faire l’économie d’une
explication plus détaillée. Pour réussir à rendre compte de la façon la plus adéquate
possible de la réalité du terrain, nous avons besoin d’interroger ces termes, porteurs d’une
histoire qui a été faite dans un autre espace et dans un autre temps.
En conséquence directe de ces constatations, nous avons alors commencé à voir
comment pouvait-on mettre au profit les acquis de deux autres directions de recherche,
chacune porteuse d’une tradition assez récente, mais que nous avons considéré en mesure
d’ouvrir de nouvelles possibilités pour comprendre l’émergence des revendications lgbt en
Roumanie : d’une part la littérature sur les transformations post-communistes, de l’autre
une direction tout aussi nouvelle, et également imbriquée – les études gaies et lesbiennes.
Ces deux directions ont fait l’objet de notre attention de manière concomitante, avec
plus d’intérêt vers l’une ou l’autre à des moments différents, mais nous avons néanmoins
poursuivi les lectures dans les deux sphères, en essayant de les faire se rencontrer à un
moment donné. Ce n’est qu’après avoir décortiqué les points d’articulation du domaine des
études gaies et lesbiennes que nous avons compris comment faire usage des recherches sur
les transformations post-communistes, et c’est dans cet ordre que nous avons choisi de
restituer les fils de cette étude.

B. L’homosexualité comme objet d’étude: les études gaies et lesbiennes

L’intérêt pour le sujet de l’homosexualité date depuis peu et il n’est pas traité de la
même manière partout dans le monde. Mais la thématique s’est avérée féconde pour la
recherche et depuis une trentaine d’années on assiste à l’affirmation plus ou moins aboutie
selon le contexte institutionnel national d’une nouvelle discipline : les études gaies et
lesbiennes
Il ne s’agit pas d’une branche des sciences politiques ; au sein des sciences politiques,
l’intérêt pour la sexualité en général et l’homosexualité en particulier tarde à occuper les
esprits des chercheurs, tandis que les études sont moins nombreuses et de date plus récente,
surtout dans l’espace francophone. Malgré son inscription principale dans l’univers des

57
sciences politiques, notre démarche relève d’une logique de recherche multidimensionnelle
et pluridisciplinaire. C’est pourquoi notre examen de littérature ne se limite pas aux seules
productions issues des sciences politiques. Une telle option serait d’ailleurs difficile à tenir,
étant donné le flou des frontières, traduit non seulement dans des approches théoriques
combinées, mais également dans des appartenances institutionnelles multiples des
chercheurs.
L’appellation « études lgbt » fait référence, même en dépit d’un regroupement formel
ou institutionnalisé, à l’ensemble des travaux qui portent sur l’homosexualité, plus
exactement aux examens, analyses, interprétations du phénomène complexe des relations
d’amitié affective, romantique ou sexuelle entre personnes du même sexe. Il s’agit, d’une
part, de rassembler la multitude de recherches circonscrites à des disciplines différentes
mais qui s’intéressent à l’homosexualité, qu’il s’agisse de l’histoire, de la sociologie, de
l’anthropologie, des sciences politiques, de la religion, du droit, de l’art et de la littérature,
de la psychologie, de la philosophie, ou même de la médecine. Par ailleurs, nous
constatons une prédilection pour des interprétations qui dépassent les découpages
traditionnels de la recherche et les frontières des disciplines académiques au sens classique,
pour la mise en question de concepts classiques du système de la science, pour l’effort de
pousser l’interprétation du monde social au-delà des catégories usuelles à travers le
croisement de différentes approches épistémologiques. Dans l’acception de Régis Revenin,
qui dresse un panorama de ces travaux en France de 1970 jusqu’à 2006, « il convient donc
d’inclure dans ce champ toute étude scientifique, réalisée au sein ou en dehors de
l’Université, ayant les lesbianismes et/ou les homosexualités masculines pour objets
d’étude principal ou comme étant l’une des dimensions du sujet étudié66 ».

Quelle institutionnalisation ?
L’émergence des études lgbt est associée à l’essor du mouvement de libération gay et
lesbien des années 1970 aux Etats-Unis, mais elle se confirme petit à petit au Canada et en
Europe aussi, et aujourd’hui nombre d’universités proposent des formations dans ce
domaine : par exemple la City University of New York, la University of Chicago, la Duke
University, mais aussi l’Univeristé de Toronto ou l’Université d’Amsterdam proposent
aujourd’hui des formations en gay and lesbian studies. En France, l’Ecole Normale

66
Régis REVENIN, « Les études et recherches lesbiennes et gays en France (1970-2006) », in
Genre et Histoire, N° 1, 2007, www.genrehistoire.fr.

58
Supérieure67 ou l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales68 offrent des
enseignements circonscrits à ce domaine de recherche, sans disposer d’un département
consacré aux homosexualités.
Il existe également des instituts de recherche dédiés : le Gay and Lesbian Studies
Project de l’University of Chicago ou Williams Institute for Sexual Orientation Law and
Public Policy de l’UCLA Law School. Des publications spécialisées sont de plus en plus
nombreuses, notamment The Journal of Homosexuality, publié par Haworth Press Inc., le
GLQ: A Journal of Lesbian and Gay Studies, publié par Duke University Press. S’y
ajoutent les bulletins publiés par des centres de recherches, par exemple Center/Fold:
Toronto Centre for Lesbian & Gay Studies Newsletter ou Homologie
Documentatiecentrum Homostudies de l’Université d’Amsterdam et toute une série de
périodiques moins académiques publiés par des associations et organisations de lgbt. Un
grand nombre de centres de documentation essayent de constituer des bases de données au
sujet de l’homosexualité, avec des points d’intérêt très variés, qui couvrent des domaines
divers, qui ne se limitent pas aux matériaux scientifiques, à savoir des travaux d’histoire ou
qui traitent des questions sociales, politiques, culturelles ou d’identité, mais qui
s’appliquent à reconstituer des collections de revues, d’images, ou de productions
littéraires à thématique homosexuelle. Des sections consacrées aux études gaies et
lesbiennes existent désormais dans les grandes bibliothèques (voir par exemple le cas de la
New York Public Library), qui se rajoutent aux centres de documentation indépendants
(voir par exemple le Fond Suzan Daniel mis en place à Gand, Belgique ou le Centre
d’Archives et de Documentation GayKitschCamp (créé à Lille, France69, par Patrick

67
Sans être consacré exclusivement aux études sur les homosexualités, le séminaire Actualité
sexuelle : politiques et savoirs du genre, de la sexualité et de la filiation, conduit au sein de cette
institution, par le sociologue Eric Fassin avec Michel Feher, philosophe, et Michel Tort,
psychanalyste, traite de ces thématiques.
68
Françoise Gaspard, sociologue, et Didier Eribon, philosophe, ont animé un séminaire de
recherches sur les homosexualités (« Sociologie des homosexualités »), entre 1998 et 2004. Marie-
Hélène Bourcier, sociologue, anime depuis 2007 un séminaire de recherche intitulé Théories
culturelles et politiques queer.
69
Un projet d’ouvrir un centre d’archives et de documentation lgbt est en cours à Paris, avec le
soutien de la mairie ; appelé Centre d'Archives et de Documentation Homosexuelles de Paris
(CADHP), il a été rebaptisé Centre des Mémoires LGBT Paris Île-de-France,
http://www.archiveshomo.info/.

59
Cardon, mais fermé depuis le 1er janvier 2007) et aux sites internet qui rassemblent toutes
sortes d’informations sur les gays et les lesbiennes70.
De plus, des maisons d’éditions spécialisées sont créées et fonctionnent depuis
quelques années, comme par exemple en France, EPEL, les Editions GKC/ Question de
Genre, rattachées au centre de documentation GayKitschCamp, Editions gaies et
lesbiennes, H&O, La Cerisaie, KTM, Double Interligne, Diesel. Y compris les grandes
maisons d’éditions, comme Odile Jacob, Fayard ou le Seuil, commencent à publier des
ouvrages sur les questions homosexuelles, sujets jusqu’il y a pas longtemps absents de
leurs catalogues.

Etant donné l’étendue du domaine couvert par les études gaies et lesbiennes et
compte tenu de leur ambition affichée de regrouper l’ensemble des recherches portant sur
« les questions homosexuelles », le fait d’aborder des aspects concernant d’une façon ou
d’une autre l’homosexualité place forcément les produits de la recherche dans la sphère de
cette nouvelle discipline. Il faut noter que traiter de la thématique des changements sociaux
survenus après l’effondrement du communisme roumain et engendrés par l’adhésion du
pays aux organismes européens en plaçant la dépénalisation de l’homosexualité au cœur de
l’analyse rend inévitablement notre approche susceptible d’être encadrée dans le champ
des « études gaies et lesbiennes ».
Nous nous arrêtons sur les études lgbt pour découvrir la façon d’aborder les questions
homosexuelles la plus adéquate à notre étude de cas, ainsi que pour clarifier toute une série
de notions qui sont largement utilisées dans la recherche sur les questions homosexuelles,
parfois de manière automatique : « mouvement gay et lesbien », « identités
homosexuelles », « communauté homosexuelle » reviennent très souvent dans les discours,
non seulement les discours académiques, mais également dans les discours médiatiques ou
militants.
Pour ce faire, nous procédons dans les pages suivantes à une brève présentation du
domaine des études lgbt, en mettant en évidence quelques points qui ont marqué leur
dynamique. Il ne s’agira ni d’une reconstitution chronologique de l’émergence et du
développement de ce champ de recherche, ni d’un tableau exhaustif de l’évolution de la
théorisation du sujet au sein des différentes disciplines pour arriver aux acquis des

70
Par exemple www.lambda-education.ch ou http://semgai.free.fr,
http://www.archiveshomo.info/.

60
approches interdisciplinaires. Par contre, ce que nous proposons c’est de faire ressortir
quelques repères généraux, au-delà des contextes nationaux71 , qui ont marqué la
structuration de ce domaine de manière globale et qui s’avèrent d’une utilité certaine pour
la structuration de notre raisonnement.

Toute tentative de synthétiser le développement des études gaies et lesbiennes est


fatalement partielle ; elle serait d’ailleurs rapidement rendue obsolète par le rythme alerte
de l’expansion des recherches sur ces thématiques, l’effervescence créatrice de
perspectives et angles d’approche novateurs, la distance critique permanente des
chercheurs et la révision des interprétations. Les directions d’analyse sont multiples et les
problématiques toujours en plein processus de reconfiguration; même les termes employés
sont constamment retravaillés pour interroger les évidences sociales, culturelles ou
politiques, puisqu’il s’agit d’un domaine non seulement en quête de sa propre légitimation,
mais qui cherche aussi à légitimer certaines évolutions sociales souvent non comprises
dans les normes sociales dominantes. Il s’ajoute les décalages entre les situations
empiriques analysées, l’hétérogénéité des cadres juridiques, les différentes interprétations
des mêmes théories ou concepts d’un contexte à l’autre, la migration des chercheurs entre
diverses universités qui se trouvent dans des traditions de recherche distinctes.
Il convient donc de noter que pour cette mise au point sur les productions gaies et
lesbiennes nous nous appuyons notamment sur les recherches entreprises dans l’espace
anglo-saxon (les Etats-Unis et le Royaume-Unis) et dans l’espace francophone (la France
et Canada) ; il est question ici principalement d’accessibilité linguistique (les travaux
germanophones par exemple, ainsi que ceux en italien ou espagnol nous étant
inaccessibles). Mais il s’agit aussi des contextes les plus riches, les plus avancées, où la
discipline est la plus articulée au niveau académique. Néanmoins, il ne faut pas ignorer les
différences essentielles entres ces espaces, les parcours différents dans l’élaboration de la

71
Pour le cas états-unien, Jeffrey Escoffier, par exemple, parlait en 1998 de cinq paradigmes dans
les études lgbt: « the search for authenticity (from 1969 to 1976), the social contruction of identity
(from 1976 to the present), essential identity (from 1975 to the present), difference and race (from
1979 to the present), and cultural studies (from 1985 to the present) ». Il ajoute que l’épidémie du
sida « stimulated a great deal of research on male homosexual behavior and culture », Jeffrey
ESCOFFIER, American Homo... op. cit.

61
discipline ou les traditions d’investigation scientifique ainsi que les influences réciproques
et le déplacement des courants de pensée d’un contexte à l’autre72.
Si nous faisons référence par exemple aux cas des Etats-Unis et de la France73, nous
remarquons que des questions concernant la sexualité ont émergé dans le débat public au
cours des années 1970 des deux côtés de l’Atlantique ; mais ce début en parallèle débouche
sur des évolutions à rythmes différents : aux Etats-Unis les études gaies et lesbiennes vont
vite concerner des groupes de chercheurs institutionnalisés qui travaillent dans des
laboratoires ou des unités d’enseignement ; en France, jusqu’à nos jours, les institutions de
recherche sont encore assez fermée par rapport à ce genre de sujet. De l’autre côté de
l’Atlantique, les premières recherches historiques sur les homosexualités sont directement
liées au militantisme et bénéficient même du soutien des associations ; dans l’Hexagone,
les liens entre la recherche historique sur les sexualités et le militantisme ont été beaucoup
plus ardus et parfois l’attachement d’un chercheur au militantisme le renvoie aux marges
des institutions74. Des travaux français, comme ceux de Simone de Beauvoir, Claude Levi-
Strauss, Michel Foucault, Jacques Derrida, Gilles Deleuze, Monique Wittig, se trouvent à
la base des différents concepts et théories élaborés par les chercheurs de langue anglaise ;
par contre, la réception des études américaines reste tardive en France : Gender Trouble,

72
Pour une histoire de l’émergence de la discipline aux Etats-Unis et en Europe voir: Journal of
Homosexuality, Vol. 24, N° 1-2, 1992 (publié simultanément sous le titre Gay and Lesbian Studies,
New York, The Haworth Press, 1993), Journal of Homosexuality, Vol. 25, N° 1-2, 1993 (publié
simultanément Gay Studies from the French Cultures: Voices from France, Belgium, Brazil,
Canada, and the Netherlands, New York, The Haworth Press, 1993).
73
La seule synthèse comparative est celle d’Anne Claire REBREYEND, « Comment écrire
l’histoire des sexualités au xxe siècle. Bilan historiographique comparé français / anglo-
américain », in Clio. Histoire, femmes et sociétés, N° 22, 2005, pp. 185-209. Nous retrouvons
beaucoup d’éléments de comparaison (qui vont d’ailleurs plus loin que la sphère des études lgbt)
dans les travaux d’Eric Fassin : Eric FASSIN, « Politiques de l’histoire : Gay New York et
l’historiographie homosexuelle aux Etats-Unis », art. cit. ; Clarisse FABRE, Eric FASSIN, Liberté,
égalité, sexualités. Actualité politique des questions sexuelles, Paris, Belfond, 2003 ; Eric FASSIN,
L’Inversion de la question homosexuelle, Paris, Editions Amsterdam, 2008. Pour un état de la
question dans le cas français voir : Sylvie CHAPERON, « L’Histoire contemporaine des sexualités
en France », in Vingtième siècle. Revue d’histoire, N° 75, 2002, pp. 47-59 ; Sylvie CHAPERON,
« Histoire contemporaine des sexualités : ébauche d’un bilan historiographique », in Cahiers
d’histoire, N° 84, 2001, pp. 5-22 ; Régis REVENIN, « Les études et recherches lesbiennes et gays
en France … » art. cit. Pour l’historiographie homosexuelle américaine voir par exemple, Jeffrey
ESCOFFIER, American Homo.op. cit., (part two) deuxième partie : « Intellectuals and Cultural
Politics », pp. 99-185.
74
Sylvie CHAPERON, art. cit. ; Pierre-Olivier DE BUSSSCHER, « Les enjeux entre champ
sociologique et mouvement homosexuel en France au temps du sida », in Sociologie et société,
Vol. XXIX, N° 1, 1997, pp. 47-60.

62
l’ouvrage de Judith Butler75 n’est traduit en français qu’en 2005, après quinze ans
d’existence en anglais, mais, comme le remarque Eric Fassin, « il y a, on s’en réjouira, une
actualité française de Judith Butler76 ». D’autres travaux de langue anglaise ont été traduits
en français ces dernières années, parmi lesquels des titres qui appartiennent à David
Halperin, Jonathat Katz, Leo Bersani77. L’image des études gaies et lesbiennes comme un
problème spécifiquement anglo-saxon commence à se briser. Au-delà des spécificités
nationales, nous allons chercher à baliser quelques points de référence dans le domaine des
études lgbt, pour mieux situer notre cas particulier et décrypter les moyens de l’interpréter
les plus appropriés.

Alliance, rupture, symbiose : l’homosexualité et les sciences

Un premier élément de balisage essentiel pour la structuration du domaine des études


gaies et lesbiennes est la relation avec les sciences elles-mêmes. Placer l’homosexualité
dans les rangs de la science reste un point délicat depuis les premières tentatives d’aborder
le sujet ; si les préoccupations pour les questions concernant l’homosexualité se placent
aujourd’hui dans les plus divers champs de recherche, il faut néanmoins remarquer qu’il ne
s’agit pas d’une évolution en souplesse, d’autant moins d’une évidence universellement
acceptée. C’est plutôt le paradoxal qui caractérise les rapports avec la science, comme nous
allons le voir en ce qui suit.
Dans un premier temps, nous constatons un lien de type « alliance » entre l’approche
scientifique et l’homosexualité ; depuis la fin du XIXe siècle, le regard savant s’arrête sur
les relations sexuelles afin de les expliquer et par cela les rendre acceptables. Les premiers

75
Judith BUTLER, Gender Trouble : Féminism and the subversion of identity, New York &
Londres, Routledge, 1990, traduit en français par Cynthia Kraus, Trouble dans le genre. Pour un
féminisme de la subversion, Paris, La Découverte, 2005.
76
Eric FASSIN, « Résistance et réception : Judith Butler en France », in L’Inversion de la question
homosexuelle, op. cit., pp. 215-233 ; voir aussi Jérome VIDAL, « Judith Butler en France : trouble
dans la réception », in Mouvements, N° 47-48, 2006 ; Jean-Luc Deschamps résume l’apparition du
bouquin en français dans les termes suivants : « [il] vient malheureusement conforter la vieille
rumeur selon laquelle tout ce qui naît aux États-Unis (dans le domaine social, politique, culturel,
économique...) finit par se réaliser en Europe dix ans après et par arriver en France cinq ans plus
tard ! ».
77
David M. HALPERIN, Cent ans d’homosexualité op.cit.; Id., Saint Foucault, Paris, EPEL,
2000 ; Jonathan Ned KATZ, L’invention de l’hétérosexualité, Paris, EPEL, 2003 ; Leo BERSANI,
Homos : Repenser l’identité, Paris, Odile Jacob, 1998.

63
travaux sur l’homosexualité se donnaient comme objectif de la faire connaître en tant que
phénomène qui n’avait rien d’abominable et représentait une variété d’accéder à la
jouissance, digne d’être tolérée. C’est dans ce sens que Magnus Hirschfeld78 bâtit son
projet d’intégration sociale des homosexuels : il tente de prouver l’hypothèse du caractère
inné de l’homosexualité pour plaider contre la persécution des homosexuels. Son idée est
de mettre à profit les acquis de la science dans le plaidoyer contre la dépénalisation des
relations homosexuelles. Il s’agit donc d’une naturalisation de l’homosexualité, puisqu’elle
est considérée non comme le résultat d’un choix, mais plutôt comme un trouble.
Cette logique, aussi bienveillante qu’elle soit, a un revers : elle mène à la
pathologisation de l’homosexualité. Si celle-ci n’est plus regardée comme un crime, elle
n’en reste pas moins une perversion. Et les sciences du XXe siècle, la médecine tout
d’abord, en continuant avec la psychiatrie et la psychanalyse, ajoutent de plus en plus dans
ce sens ; l’homosexuel devient une catégorie médicale, relevant de la dégénérescence, du
trouble du cortex postérieur, de l’inversion du sens génital… Nous sommes en plein
paradoxe en ce qui concerne les rapports entre les sciences et l’homosexualité : bénéfiques,
en tant que moyen de libération, elles réclament l’innocence de l’homosexuel comme
individu qui ne peut pas être tenu responsable de son trouble; néfastes, en tant que vecteur
d’exclusion, elles associent l’homosexualité et l’anomalie, elles proposent une vision de
l’homosexualité comme pathologie et fixent des cadres très serrés pour les homosexuels,
assignés au statut de victimes irresponsables.
C’est principalement en réaction à cette aporie que le rapport entre les sciences et
l’homosexualité est à un moment donné redéfini comme une « rupture». Il s’agit d’un
effort soutenu de reconfiguration des références, à travers le refus des modèles et des
repères figés de la science, la critique du savoir existant, la contestation du discours
traditionnel sur l’homosexualité. C’est la révolte contre le discours normalisateur des
détenteurs officiels de la vérité construisant le personnage pathologique de l’homosexuel.
A cela s’ajoute la contestation directe des pratiques idéologiques des universités, la

78
Médecin allemand (1868 – 1935), considéré comme l’un des pères fondateurs des mouvements
de libération homosexuelle, grâce à sa pétition pour l’abolition du paragraphe 175 du code pénal
allemand de son époque, qui condamnait d’une peine de prison les relations homosexuelles entre
hommes; elle réunit 6000 signatures et fut présentée au Reichstag, mais n’aboutit pas. Le texte de
la pétition peut être consulté sur le site de l’association Les Triangles roses :
http://www.triangles-roses.org. Pour une analyse des origines du militantisme en Europe et les
enjeux des initiatives de Hirschfeld (le Comité Scientifique humanitaire – WhK de 1897 ainsi que
l’Institut pour la connaissance sexuelle à Berlin de 1919) voir Florence TAMAGNE, Histoire de
l’homosexualité en Europe… op. cit.

64
recherche de moyens de rompre avec la tradition qui assimilait l’homosexualité à la
criminalité ou simplement l’intention de donner lieu à des représentations positives de
l’homosexualité.
Dans une première étape, ces tentatives se situent à l’extérieur de l’univers
scientifique ; nous avons affaire à des productions de vulgarisation du sujet de
l’homosexualité, suivies de près par des témoignages sur le passé plus au moins récent, la
récupération de la mémoire par des récits de vie, en un mot, des tentatives de documenter
l’expérience homosexuelle. Dépasser le discours médicalisant sur l’homosexualité et
mettre en cause les manières conventionnelles de faire la science se traduisent néanmoins
par la mise en place d’une troisième façon de décrire le rapport entre science et
homosexualité, le type « symbiose » : c’est en effet à partir de ce moment-là qu’on peut
proprement parler d’études gaies et lesbiennes. Il s’agit à la fois de l’organisation et la
publication d’enquêtes sociologiques et de sondages sur les comportements homosexuels et
d’une réflexion historique et socio-historique sur l’homosexualité, allant jusqu’à
l’élaboration d’un discours sur les modes de vie, les identités, les géographies des lieux, les
cultures homosexuelles.
La critique du discours traditionnel s’institue à son tour en tant que forme particulière
de discours légitime, s’articule comme sphère de connaissance. Refuser les cadres
traditionnels de réflexion, contester les effets du savoir médical ou psychiatrique, chercher
d’autres moyens de comprendre l’homosexualité signifient au bout du compte produire de
nouveaux cadres d’intelligibilité, proposer de nouvelles grilles d’interprétation, imaginer
des concepts plus adéquats et mettre en œuvre de nouveaux systèmes de compréhension
des phénomènes sociaux. Nous constatons l’entrée du sujet de l’homosexualité dans la
sphère académique avec la mise en place des zones de réflexion dans l’académie où
l’accent tombe sur la mise en question, sur la déconstruction des savoirs, sur la recherche
d’autres moyens d’élucider la réalité.
Nous pouvons affirmer à ce stade que le type « alliance » et le type « rupture »
constituent en effet la préhistoire des études gaies et lesbiennes et ce n’est qu’avec le type
« symbiose » qu’on assiste à la naissance de la discipline proprement dite. (Cela annonce
d’ailleurs une autre question essentielle de la structuration de ce champ, à savoir la
récupération du passé, mais cet aspect nous occupera plus loin.) Effectivement,
l’homosexualité, en tant qu’expérience individuelle ou en tant que réalité socialement
organisée, peut finalement constituer une catégorie scientifique et un objet de recherche,

65
analysé, observé et interprété à l’aide de concepts et méthodes propres à une discipline où,
selon le cas, un amalgame de disciplines quand il s’agit des approches interdisciplinaires.
Ceci dit, il faut aussi remarquer que l’avancement au grade de matière académique ne
dissout pas les paradoxes, mais en crée d’autres : en effet, comme nous allons le montrer,
en raison du déplacement des questionnements dans le cadre des nouvelles théories queer,
la mise en cause tourne vers la possibilité et aussi la pertinence d’un savoir scientifique sur
le phénomène de l’homosexualité.
L’institutionnalisation des études gaies et lesbiennes, tantôt une victoire, tantôt un
objectif encore à atteindre, est regardée parfois avec l’angoisse qu’elle pourrait entraîner
une brèche irréconciliable entre le scientifique et la communauté des homosexuel(le)s. Les
scientifiques, de la hauteur de leur tour d’ivoire universitaire, pourraient perdre le contact
avec les réalités du terrain et les problèmes vraiment importants ou significatifs pour les
personnes directement concernées. La question est clairement formulée par Jeffrey
Escoffier, qui se demande si « en tant que discipline académique [les études gaies et
lesbiennes] devraient, ou pourraient exister en dehors des liaisons structurales avec les
luttes politiques des gays et des lesbiennes79 ».
A part le fait de souligner les rapports problématiques entre la science et
l’homosexualité, la remarque d’Escoffier met aussi en évidence un autre point crucial dans
la structuration des études gaies et lesbiennes, à savoir leur filiation avec le militantisme.
C’est un autre point de repère à souligner et nous y consacrerons la suite de notre revue.

Savoir et pouvoir

La portée politique des travaux sur l’homosexualité, voire leur lien génétique avec le
militantisme homosexuel constitue un aspect essentiel et tout aussi complexe pour l’aire
des études gaies et lesbiennes. La production de discours sur l’homosexualité est due
principalement, en ordre chronologique, mais également dans l’ordre de l’importance
quantitative des travaux réalisés, à l’intérêt que les homosexuels portent à eux-mêmes, et
elle est étroitement liée à l’essor du mouvement homosexuel. C’est la préoccupation des
gays et des lesbiennes pour leur condition sociale, la volonté de rendre leur vie meilleure

79
Dans le texte: « whether as an academic discipline it should, or can, exist without structural ties
to lesbian and gay political struggles », Jeffrey ESCOFFIER, « Inside the Ivory Closet : The
Challenges Facing Lesbian and Gay Studies », in Out/Look, Vol. 3, N° 2, 1990, p. 40.

66
qui se retrouvent à la base des écrits sur l’homosexualité, et cela depuis la fin du XIXe
siècle. Karl Heinrich Ulrichs80 n’est que l’un des premiers à en faire la preuve avec ses
écris sur l’anima muliebris virili corpore inclusa (une âme de femme dans un corps
d’homme) et il reste dans l’histoire du mouvement de libération homosexuelle comme un
pionnier. Comme nous l’avons déjà noté, c’est la stratégie de Magnus Hirschfeld de mettre
à profit les acquis de la science pour plaider contre la persécution des homosexuels, idée
surprise dans la formule « l’égalité des droits grâce à la science ». Même si sa tentative et
les avancés de son Institut für Sexualwissenschaft (Institut pour la recherche sur la
sexualité) ne débouchent pas sur la réussite projetée, l’idée selon laquelle une meilleure
compréhension scientifique de l’homosexualité serait la clé pour son acceptation sociale
perdure jusqu’à nos jours. Il n’est pas moins vrai que le militantisme s’est emparé de la
critique du discours sur l’homosexualité et il a tenté de disqualifier les théories
scientifiques. A ce propos, nous rejoignons la remarque d’Yves Roussel, qui affirme que
dans le cas français, « c’est […] dans la contestation radicale du discours scientifique sur
l’homosexualité que s’est fondé le mouvement homosexuel légitime81.
Il s’agit donc à la fois de faire avancer des revendications à l’aide du discours
scientifique, d’utiliser celui-ci pour se légitimer82, et de mettre en question ce discours et
tenter de dépasser ses limites, en participant à la mise en place d’un nouveau discours, plus
adéquat aux objectifs de reconnaissance et d’accès à l’ensemble des sphères de la vie
sociale et politique. De nos jours, il reste un objectif parfois clairement formulé d’élaborer
des productions scientifiques pour échafauder des stratégies de résistance et de libération.
A quelques exceptions près, les travaux dans le champ des études gaies et lesbiennes
s’inscrivent dans une démarche universitaire engagée83 : militer contre l’invisibilité,

80
Lui-même homosexuel, Karl Heinrich Ulrichs (1825-1895) milite pour la dépénalisation de
l’homosexualité en publiant des essais sur le sujet, premièrement sous le nom de Numa Numantius,
puis sous son propre nom. C’est lui qui lance le terme « uranisme » et sa définition de
l’homosexualité comme un troisième sexe sera reprise par la suite par Hirschfeld.
81
C’est nous qui soulignons ; voir Yves ROUSSEL, « Le mouvement homosexuel français face
aux stratégies identitaires », in Temps modernes, mai-juin 1995.
82
Même en collaborant à des recherches et en nouant des alliances stratégiques avec des experts ;
voir Line CHAMBERLAND, « Du fléau social au fait social. L’étude des homosexualités », in
Sociologie et sociétés, Vol. XXIX, N° 1, 1997, pp. 5-20.
83
A ce propos, voir par exemple la logique d’« une politique de la mémoire, une politique de
l’histoire et une politique du savoir » dans laquelle s’inscris le Dictionnaire des cultures gays et
lesbiennes, qui, selon les propos de son coordinateur, Didier Eribon, serait « un manifeste ». Didier
ERIBON (dir.), Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, Paris, Larousse, 2003, p. 17. Un autre
exemple dans le même sens, le Dictionnaire de l’homophobie, est considéré par son coordonnateur,

67
combattre l’ordre hétéronormatif de la société, lutter contre les discriminations. Légitimer
la structuration de la communauté gaie et lesbienne se fait à travers la création à la fois
d’une idéologie de l’identité homosexuelle, et d’une idéologie des mécanismes par lesquels
les sociétés en viennent à exclure certains individus de la vie sociale ou d’une partie de
celle-ci. Arriver à interpréter ce que signifie « être homosexuel », traduire dans les termes
justes les réalités du vécu homosexuel, comprendre la manière de fonctionner d’une société
qui met en place des pratiques répressives contre une partie de ses individus donneraient la
clé pour rendre cette société plus inclusive et, au but du terme, assurer non seulement une
place meilleure pour une minorité, mais une meilleure organisation sociale de manière plus
globale.
Pour ce faire, les productions sur les questions gaies et lesbiennes générées par les
mouvements de libération homosexuelles tournent autour de quelques grands thèmes que
nous avons choisi de recenser par la suite.

La réappropriation du passé homosexuel

Comme nous l’avons noté plus haut, c’est en grande partie grâce aux préoccupations
pour améliorer la condition des homosexuels que la plupart des productions à ce sujet ont
vu la lumière du jour. La légitimation du combat pour dépénaliser les relations entre
personnes de même sexe, la lutte contre les discriminations sociales sur la base de
l’orientation sexuelle, le militantisme pour obtenir des droits égaux pour les personnes lgbt
passent par l’effort de mieux appréhender le phénomène de l’homosexualité.
Comment rendre ces revendications raisonnables ? Comment justifier des demandes
qui viennent à l’encontre des appréhensions communes ? Où trouver les fondements
valables pour mettre en cause les principes unanimement acceptés dans la société ?
Afin de briser le tabou du silence, de contester les visions qui associent
l’homosexualité au trouble et à la délinquance, l’attention des militants se tourne vers le
passé. En montrant l’existence d’une continuité de ce phénomène tout au long de l’histoire
de l’humanité, redécouvrir ses racines, chercher des figures célèbres et découvrir leur
orientation homosexuelle, mettre en avant les différentes acceptions de ce qu’on comprend
par « homosexuel » à différents moments dans le temps ou dans différents contextes

Louis-George Tin, « sans doute une véritable base de réflexion, et pourquoi pas, d’action », Louis-
George TIN, Dictionnaire de l’homophobie, Paris, PUF, 2003, p. XVI.

68
culturaux apparaissent comme tout autant de possibilités pour apporter un éclairage au
sujet, relativiser les dénominations négatives et ouvrir la porte pour une meilleure
compréhension de ce que signifie l’expérience homosexuelle.
La réflexion sur l’homosexualité porte dans une importante partie sur la découverte
de l’héritage des temps plus anciens, sur l’interprétation de l’histoire en sortant à la lumière
des faits jusque là occultés ou ignorés, où même sur une tendance de réinterprétation de
récits historiques considérés partiels ou déformés par la recherche classique84. Il s’agit
d’une préoccupation de plus en plus structurée pour récupérer le passé, d’un effort de
rattraper la connaissance d’un aspect de l’humanité longtemps laissé dans l’ombre – la
sexualité en général et l’homosexualité plus particulièrement.
Il faut remarquer tout de même qu’il ne s’agit pas exclusivement d’un intérêt
d’historiens ; de manière prépondérante l’histoire, mais aussi la sociologie, l’anthropologie
ou la psychologie s’intéressent aux enjeux de l’homosexualité. Pareillement, les
questionnements s’entremêlent dans une même étude ; les paradigmes sont difficiles à se
préciser en abordant ces sujets qui touchent à des aspects de la vie sociale et politique
fondamentalement imbriqués et inséparables. De ce point de vue, les perspectives sont fort
nombreuses : nous retrouvons des travaux pour reconstruire l’histoire à travers des
expériences individuelles, des communautés et des subcultures, des organisations
homophiles et jusqu’aux mouvements des gays et des lesbiennes. Le spectre des travaux
couvre une large variété de contextes temporels et une toute aussi ample diversité des
aspects sociaux analysés et des questions soulevées.

Avant de synthétiser les différents sens des démarches récupératrices du passé, il


s’impose de souligner encore une fois le décalage entre la France et les Etats-Unis, mais
aussi entre la France et d’autres pays européens ; pour ce faire, nous allons prendre en

84
« En trafiquant les textes d’origine, en les adaptant de façon à neutraliser leur dimension homo-
érotique, quand il ne s’agissait pas du rejet pur et simple de cet héritage, et en dénigrant les sociétés
barbares ou primitives ayant donné libre cours à des pratiques ouvertement homosexuelles, nombre
d’historiens et d’anthropologues ont participé au tabou entourant l’homosexualité », Michel
DORAIS, « La recherche des causes de l’homosexualité, une science fiction ? », in Daniel
WELZER-LANG, Pierre DUTEY, Michel DORAIS, La peur de l’autre en soi ; du sexisme à
l’homophobie, Quebec, VLB éditeur, 1994, p. 4.

69
compte surtout des productions anglophones pour cette section de notre étude et marquer
les exemples français sans entrer dans les détails spécifiques de ce cas85.
A partir des années 1970, qui marquent l’aube du mouvement gai et lesbien et
également l’établissement des études gaies et lesbiennes, la tendance principale est à la
récupération et à la mise en circulation de toute une série de productions antérieures, qu’il
s’agisse de la littérature, de la médecine ou de la psychiatrie, de productions consacrées au
sujet de l’homosexualité ou bien signées par des auteurs homosexuels. Des travaux édités
précédemment sont republiés, regroupés dans des collections, éventuellement traduits dans
d’autres langues de circulation plus large. Des ouvrages datant depuis presque un siècle
deviennent une sorte de patrimoine et autorisent la réclamation d’une continuité avec un
héritage militant plus ancien.
Plus encore, nous assistons à une tentative de reconstitution de l’histoire même de
l’homosexualité, à travers des récits de vie et la récupération de la mémoire du passé
récent, cela principalement sous l’impact des critiques féministes ; « donner une voix aux
exclu(e)s de l’histoire officielle » de pair avec « le personnel est le politique », des
formules consacrées par le féminisme, sont mis en pratique pour révéler les expériences
homosexuelles dans leur authenticité. L’histoire de la vie privée des gays et des lesbiennes
est en train d’être écrite.
La requête du passé homosexuel donne lieu à des recherches de plus en plus
structurées et abouties. Remonter le cours du temps à la recherche de cette réalité à la fois
toujours présente et jamais entièrement visible s’accorde avec l’investigation des
manifestations de l’homosexualité dans diverses sociétés et se traduit dans une véritable
socio-histoire de l'homosexualité. L’attention se tourne vers les années précédant la
libération des années 1970 et l’expérience homosexuelle est interrogée à travers la lutte
contre l’oppression sociale et la difficulté des homosexuels à affirmer leur véritable soi.
Critiquer le modèle pathologique qui offrait des appréhensions déformées disqualifiant
l’homosexualité correspond à la tentative de comprendre ce que l’homosexualité est

85
Pour une synthèse sur l’émergence des études gaies et lesbienne en France et les problématiques
majeures dans ce cas voir par exemple : Rommel MENDES-LEITE, « The status of research on
homosexuals and lesbians in humanities and social sciences in France (1970 - 1995) » traduit en
français : « A la française. Les recherches sur les homosexuels et les lesbiennes dans le domaine
des sciences humaines et sociales en France. 1970-1995), http://semgai.free.fr, Sylvie
CHAPERON, « L’Histoire contemporaine des sexualités en France », art. cit., Pierre-Olivier DE
BUSSCHER, « Les enjeux entre champ scientifique et mouvement homosexuel en France au temps
du sida », in Sociologie et sociétés, Vol. XXIX, N° 1, 1997, pp. 47-60.

70
« véritablement ». Dans ce sens, les analyses se concentrent sur la révélation de la nature
profonde homosexuelle, d’abord à soi-même, ensuite devant les autres. L’investigation de
l’affirmation d’une identité homosexuelle s’arrête bientôt sur la constitution du mouvement
homosexuel, en mettant l’accent sur les objectifs, les stratégies mises en place pour
affronter l’ostracisme social, les contestations du système légal et politique, les
affrontements pour arriver à participer à tous les aspects de la vie sociale. Le dispositif
complexe répression – libération, ses formes, ses origines sociales et historiques,
l’influence sur l’individu ou sur le politique sont examinés à travers la documentation
détaillée de cas divers, qui constituent les bases d’une histoire politique du mouvement gai
et lesbien. L’exploration du passé homosexuel plus éloigné ou plus récent mène néanmoins
à la nécessité d’affronter une question nouvelle : est ce qu’on peut parler d’une
homosexualité, immuable et inchangée, qui traverse l’histoire ?
Si dans un premier temps les efforts sont concentrés sur la reconstitution de
l’expérience homosexuelle et la révélation de l’homosexualité dans son authenticité, les
avancées dans l’exploration de ce phénomène montrent des variations à la fois selon les
époques et au gré des espaces culturels.
Qu’est ce que c’est, être homosexuel ? Qu’est ce que ça signifie, l’homosexualité ?
Les études gaies et lesbiennes ont été fondamentalement marquées par l’étiologie ; la
question de la définition de l’homosexualité s’avère toujours un point épineux.

Qu’est-ce que l’homosexualité ? qu’est-ce qu’être homosexuel ?

Nous avons observé en début de ce chapitre que les origines du terme


« homosexualité » sont repérables vers la fin du XIXe siècle : après sa mise en circulation
par Karl Maria Kertbeny, le mot est employé dans les écrits médicaux et psychanalytiques
de l’époque et acquiert progressivement le statut de catégorie de la science, plus objective
et plus adéquate pour décrire la réalité des relations sexuelles entre individus de même
sexe. A ce titre, les articles de Karl Frieddrich Otto Westphal, neurologue berlinois, ou le
célèbre ouvrage Psychopathia Sexualis de Richard von Krafft-Ebing, professeur de
psychiatrie à l’université de Vienne et médecin légiste des tribunaux, sont considérés
comme les plus importants dans l’attestation de ce concept. Ultérieurement, l’investigation

71
scientifique s’intéresse à déchiffrer le contenu de cette notion et le débat s’articule autour
de la quête d’une définition de l’homosexualité plus appropriée.
En revanche, « l’identité homosexuelle » constitue une question plus récente et, de ce
fait, plus compliquée. Effectivement, ce n’est qu’à partir de la mise en place d’un
mouvement de libération homosexuelle que l’attention tourne vers ce que signifie « être
homosexuel » contrairement à ce que signifie « l’homosexualité ». Les événements de
Stonewall86 ont ouvert la voie d’une préoccupation pour l’expérience homosexuelle en tant
que telle, le vécu de tous les jours des personnes homosexuelles en tant qu’êtres humains
comme les autres. Le mouvement revendicatif a été accompagné par l’élaboration d’un
discours sur la culture et l’identité homosexuelle, issu de la nécessité d’imaginer une
idéologie plus adéquate, qui d’une part reflète mieux les pratiques communautaires mais
qui, d’autre part, est en mesure de légitimer la structuration de cette communauté.

« La littérature sur l’homosexualité à la fois suit et contribue à formuler les


définitions sociales et l’identité homosexuelle. A la fin du XIXe siècle et au début du XXe
siècle, il s’agissait de justifier ou de combattre scientifiquement les stigmates assignés à un
groupe social désigné comme « homosexuel » en élaborant une géographie sexuelle dont
les territoires se définissaient en fonction de leur rapport avec la nature. Les écrits actuels
[au commencement des années 90, n.n.] s’inscrivent dans les tentatives de transformation
du stigmate en critère d’appartenance à un groupe social en voie d’émancipation87. »
Cette observation de Michael Pollak surprend pertinemment les controverses
entourant les discours sur l’homosexualité qui se fondent sur deux façons distinctes de
comprendre le phénomène : la perspective essentialiste et la perspective constructiviste,
une controverse qui ne se réduit pas à la compréhension de l’homosexualité, mais que nous
retrouvons par exemple dans l’analyse des rapports sociaux de sexe, où les discussions

86
Stonewall Inn c’est le nom d’un bar gay dans la Christopher Street à New York ; lors d’un
contrôle policier pendant la nuit du 27 juin 1969, les habitués du bar décident spontanément
d’affronter les forces de police, donnant l’occasion à quelques jours de confrontations soldées par
des arrestations mais aussi des blessés des deux côtés. L’événement marque symboliquement le
début de la libération homosexuelle au Etats-Unis.
87
Michael POLLAK, Une identité blessée. Etudes de sociologie et d’histoire, Paris, Editions
Métailié, 1993, p. 199.

72
portent principalement sur le lien entre le sexe biologique et les caractéristiques qui lui sont
attribuées88.
Dans le premier cas, les efforts de la recherche sont concentrés sur l’exploration des
« causes » de l’homosexualité, les origines de ce phénomène qui est conçu en termes de
forme prédéterminée de la sexualité humaine, de condition innée ou acquise très tôt dans le
développement de la personne, d’orientation particulière du désir sexuel, à la fois constante
et naturelle. De l’autre côté, les efforts explicatifs des adeptes des théories constructivistes
se concentrent sur les processus sociaux, les interactions, les facteurs externes et les
apprentissages qui participent à l’articulation des identités sexuelles. Si dans le premier cas
l’accent tombe sur le caractère particulier de l’homosexualité, dans le deuxième
l’homosexualité est entendue comme une variation, et ce qui présente plus d’intérêt ce sont
les causes de la marginalisation de l’homosexualité dans les sociétés.
Sans entrer dans les détails des approches qui s’inscrivent dans l’une ou l’autre de ces
directions de recherche89, nous notons quelques lignes principales de la réflexion.

Le paradigme essentialiste :

Bien qu’ils ne se définissent pas comme tels, les essentialistes considèrent


l’homosexualité comme une propriété intrinsèque de certains individus, échappant
largement aux influences extérieures, sociales. Les homosexuels ont toujours existé, à
différentes époques et dans différentes aires culturelles, donc le fait homosexuel tient d’une
réalité en soi, constante et indépendante des conditions sociales. L’homosexualité serait
donc une forme prédéterminée de la sexualité humaine qui définirait certains individus,
une réalité stable et naturelle, qui échapperait aux influences extérieures. Ainsi définie,

88
Les controverses entre l’essentialisme est le constructivisme renvoient à plusieurs thématiques de
la philosophie ou de l’épistémologie, en remontant au fil des siècles jusqu’à l’antiquité avec les
divergences entre les théories platoniciennes et celles aristotéliciennes sur la connaissance. Ces
deux paradigmes coexistent au sein des savoirs scientifiques, mais aussi dans le savoir commun, en
traduisant la tendance de regrouper les similarités dans des catégories stables plutôt que d’opérer
avec des notions flexibles.
89
Pour un inventaire des différentes écoles de pensée qui s’inscrivent dans l’un ou l’autre
paradigme voir par exemple l’article de Michel DORAIS, « La recherche des causes de
l’homosexualité, une science fiction ? », in Daniel WELZER-LANG, Pierre DUTEY, Michel
DORAIS, La peur de l’autre en soi… op. cit., pp 168-182 ; Raja HALWANI, « Essentialisme,
Social Constructionism and the History of Homosexuality » », in Journal of Homosexuality, Vol.
35, N° 1, 1998, pp. 25-51.

73
l’homosexualité est conçue comme une composante de la personnalité, une essence de la
personne, avec le sous-entendu qu’il s’agit d’un défaut de la nature, d’une déviation par
rapport à la norme hétérosexuelle. Dans cette logique, ce qui intéresse les chercheurs est de
découvrir les origines des préférences sexuelles pour le même sexe ; les causes de cette
forme de la sexualité humaine restent à découvrir, sans questionner même les causes de
l’hétérosexualité, qui apparaît comme « normale ».
Naît-on homosexuel ou le devient-on graduellement ? Les opinions des essentialistes
en la matière divergent. Une branche importante de l’exploration de l’homosexualité
s’arrête sur la première hypothèse : il s’agit là de toute une série de théories reliant
l’homosexualité à des critères biologiques (gènes, hormones, traits physiologiques) comme
les variations des chromosomes X de l’ADN ou l’exposition du fœtus à certains niveaux
hormonaux. Une toute autre lignée dans l’exploration des causes de l’homosexualité
embrasse l’hypothèse de l’acquisition précoce de cette orientation : dans ce sens, la
psychanalyse propose des théories s’appuyant sur les dynamiques psychologiques
familiales comme « le complexe d’Oedipe mal résolu » ou « la formation réactionnelle ».
La constante de ses théories est leur accord à considérer l’homosexualité comme un fait
« naturel » et pas comme un fait « social » : la concrétisation d’une préférence pour le
même sexe ne tiendrait pas à une opportunité culturelle.
Les explications essentialistes de la sexualité ont été largement critiquées autant du
point de vue de leurs prémisses, que de leurs méthodes et de leurs conclusions ; elles sont
de nos jours appréciées comme insuffisantes pour rendre compte de la diversité de la
sexualité humaine. Notons néanmoins que cette manière de formuler les hypothèses n’a
pas été abandonnée : plus récemment les recherches génétiques sur le caractère inné de
l’homosexualité s’avèrent convaincantes pour au moins une partie de la communauté
scientifique américaine90 et la quête des facteurs explicatifs du désir homosexuel reste
ouverte. Cette façon d’interroger les origines de l’homosexualité est tombée sur un plan
secondaire lorsque les questionnements se sont déplacés vers les causes de la
marginalisation de l’homosexualité. Avec les approches constructivistes l’enjeu de la
recherche n’est plus la cause ou l’origine de l’homosexualité, mais de comprendre les
stratégies sociales qui confèrent à la sexualité son sens et sa signification.

90
Voir à ce titre les travaux du neurologue Simon LeVay: Simon LEVAY, « A Difference in
Hypothalamic Structure between Heterosexual and Homosexual Men», in Science, Vol. 253, N°
5023, 1991, pp. 1034-1037, The sexual brain, Cambridge, MIT Press, 1993, Queer science: The
use and abuse of research into homosexuality, Cambridge, MIT Press, 1996.

74
Le paradigme constructiviste

En contrepartie du discours essentialiste, la perspective constructiviste refuse le


caractère prédéterminé de l’orientation sexuelle, en reprochant aux approches essentialistes
de reproduire les schémas de la pensée psychomédicale du XIXe siècle et d’enfermer les
homosexuels dans des images figées, qui ne correspondent pas à l’expérience
homosexuelle.
S’inspirant en grande partie de Foucault et considérant ses thèses sur l’importance
des pratiques discursives dans la régulation sociale de la sexualité, les constructivistes
entendent prendre en compte la formation des représentations de l’homosexualité tout au
long de l’histoire. Seulement après avoir regardé l’identité homosexuelle dans sa
généalogie historique et déchiffré la formation des représentations de l’homosexualité au
long du temps, on peut analyser les effets de ces représentations sur la vie des homosexuels
eux-mêmes. Pour les constructivistes, cette histoire commence avec l’apparition même des
termes « homosexuels » ou « homosexualité » au XIXe siècle ; c’est avec la critique de ces
termes et à travers le renoncement à la prétention de découvrir l’essence de
l’homosexualité, que la nécessité d’imaginer un nouveau sens aux modes de vie
homosexuels s’impose. Ce besoin est aussi illustré par l’usage d’une nouvelle
terminologie : « gay » est censé surprendre cette revalorisation de l’expérience
homosexuelle, alors que « straight91 » remplace « hétérosexuel ».
Dans cette perspective, l’intérêt n’est plus l’étiologie de l’homosexualité, mais la
pluralité, l’enchevêtrement de facteurs pouvant expliquer les conduites humaines ; dans
cette logique l’accent est mis sur les processus sociaux, les interactions et les
apprentissages culturels. Plutôt que d’avancer des causalités pour expliquer
l’homosexualité, il s’agit de prendre en compte une multitude de facteurs qui s’influencent
mutuellement.
Les constructivistes mettent en avant l’arbitraire de la stigmatisation de
l’homosexualité et questionnent son infériorisation comme comportement intrinsèquement
différent de celui de la majorité. En introduisant des distinctions entre les actes sexuels et
les significations qui leur sont attachées, entre les comportements et les identités élaborées
à partir de ces comportements, ils tentent de saisir les mécanismes par lesquelles une

91
Terme anglais signifiant littéralement « droit », « strict ».

75
société en vient à exclure des individus de la vie sociale, les modalités de gouvernement de
l’homosexualité et des homosexuels.
« On ne naît pas homosexuel, on apprend à l’être92 ». Explorer comment on devient
homosexuel, telle est la tâche des constructivistes ; qu’il s’agisse de l’interactionnisme
symbolique, de l’apprentissage social ou des théories de l’étiquetage, le noyau des
explications est fait de rôles sociaux des individus dans leurs relations avec les autres pôles
de la vie sociale.

La controverse entre l’essentialisme et le constructivisme est considérée de nos jours


dépassée dans la mesure où le débat est jugé comme portant sur les causes de
l’homosexualité, biologiques dans le premier paradigme, ou psychosociales, dans le
deuxième ; également, elle est arrivée à terme en tant qu’affrontement entre deux stratégies
discursives qui se sont vidées de leurs ressources explicatives. Les réflexions autour des
phénomènes liés aux homosexualités, principalement dans l’espace anglo-américain, et
plus récemment en France, se sont de plus en plus concentrées sur d’autres défis
théoriques, à savoir les possibilités d’expliquer la multitude de référents des identités :
l’appartenance raciale, le sexe, le genre, les classe sociales sont porteurs des significations
qui mettent en question l’unité d’une éventuelle « identité » homosexuelle. On assiste avec
ce genre de questionnements à la naissance des théories queer.

Au-delà des études gaies et lesbiennes : les théories queer

Les rapports entres les théories queer et les études gaies et lesbiennes sont résolument
compliqués93. Les propos de Denis Altman sont suggestives de ce point de vue : « […]
queer studies emerged in the American academy in the early 1990s, the bastard child of

92
Ces propos appartiennent à Michael Pollack, qui reprend la phrase célèbre de Simone de
Beauvoir « On ne naît pas femme, on le devient », expression utilisée par la suite pour illustrer la
quintessence de la socialisation de genre. Pollack continue : « La carrière homosexuelle commence
par la reconnaissance de désirs sexuels spécifiques et par l’apprentissage des lieux et des façons de
rencontrer des partenaires », Michael POLLACK, Une identité blessée… op. cit., p.184.
93
Sur le projet « queer » et les relations avec les études gaies et lesbiennes voir surtout : Eve
KOSOFSKY SEDWICK, Tendencies op. cit.; Judith BUTLER, Bodies that Matter : On the
Discoursive Limits of ‘Sex’, New York, Routledge, 1993; Michael WARNER, « Introduction»,
Fear of a Queer Planet, Minneapolis, University Of Minnesota Press, 1993; Lisa DUGGAN,
« Making it Perfectly Queer», Socialist Review, vol 22, N° 1, 1992, pp. 11-32; Nikki SULLIVAN,
A Critical Introduction to Queer Theory, New York, New York University Press, 2003.

76
gay and lesbian movement and postmodern literary theory »94. Effectivement, les
représentants les plus influents de ce paradigme de recherche – Judith Butler, Eve
Kosofsky Sedwick, Teresa de Lauretis, Davis Halperin, Michael Warner – proposent une
nouvelle lecture des identités et des différences sexuelles à l’aide des méthodes dérivées de
la sémiotique et du déconstructivisme ; en se nourrissant notamment des théories post-
structuralistes françaises, des études littéraires et culturelles et des critiques féministes, ils
mettent en place une critique de toute forme de catégorie identitaire. C’est à travers la
notion de « sujet » que cette critique est d’abord formulée : si la recherche humaniste
s’intéresse traditionnellement au « sujet » en tant que sujet unitaire, cohérent et
autodéterminé, les travaux de ces chercheurs commencent à rejeter ce concept. Dans leur
perspective, le sujet n’existe pas avant les structures sociales, mais il se constitue à travers
et dans ces cadres, et par conséquent, il n’est jamais autonome et entier, mais plutôt
contingent. La subjectivité n’est pas une propriété du soi, mais elle a ses origines à
l’extérieur, et elle est donc mouvante, fluctuante.
La pensée queer conteste tout schéma interprétatif construit autour de l’identité ; les
théoriciens de ce courant s’aperçoivent que dans les paradigmes antérieurs l’identité
homosexuelle était pensée dans un rapport serré avec l’identité hétérosexuelle – l’une
renvoie à l’autre et ce n’est que à travers ce rapport binaire qu’elles peuvent être conçues,
en se donnant du sens réciproquement. Dans cette logique, il est impossible de réfléchir à
l’identité homosexuelle en dehors de l’hétérosexualité, puisque ces deux termes
parviennent à être intelligibles l’un à l’aide de l’autre. De plus, « dans un tel système,
l’anormalité sert à définir et à stabiliser le normal en absorbant, en contenant et en
diffusant tout ce qui n’est pas de l’ordre de la normalité95 » ; autrement dit, penser
l’homosexualité en rapport avec la norme hétérosexuelle participe à l’affirmation renforcée
de cette dernière. Ce que les théories queer apportent de nouveau c’est l’interrogation
même de cette organisation binaire de la sexualité : hétérosexualité versus homosexualité ;
déconstruire cette manière de concevoir le tandem ‘homosexuel – hétérosexuel’, étudier le
dilemme implicite de la réflexion sur l’homosexualité, à savoir l’affirmation encore plus
forte de l’hétérosexualité sont les défis auxquels la recherche devrait répondre.

94
Denis ALTMAN, « On Global Queering», in Australian Humanities Review,
http://www.lib.latrobe.e du.au/AHR/copyright.html.
95
Line CHAMBERLAND, « Du fléau social au fait social. L’étude des homosexualités » art. cit.,
p. 12.

77
Mais aborder cette provocation théorique implique la contestation de toute une série
d’aspects de la recherche concernant l’homosexualité, qui vont même au-delà de
l’homosexualité ou de la sexualité, pour toucher à la société toute entière ; nous pourrions
même affirmer que la contestation se trouve au cœur de la pensée queer. Comme
l’explique Michael Warner,
« Every person who comes to a queer self-understanding knows in one way or
another that her stigmatization is intricated with gender, with the family, with notions of
individual freedom, the state, public speech, consumption and desire, nature and culture,
maturation, reproductive politics, racial and national fantasy, class identity, truth and
trust, censorship, intimate life and social display, terror and violence, health care, and
deep cultural norms about the bearing of the body. Being queer means fighting about these
issues all the time, […] means being able, more or less articulately, to challenge the
common understanding of what gender difference means, or what the state is for, or what ‘
health’ entails, or what would define fairness, or what a good relation to the planet's
environment would be96 ».
S’il s’agissait de synthétiser les significations de la notion de queer, alors une phrase
célèbre de l’auteur cité ci-dessus conviendrait le mieux :
« La préférence pour queer consiste […] dans une résistance exhaustive aux régimes de la
normalité97. »

A force de tout mettre en question, la critique tourne également contre la


dénomination accoutumée « études gaies et lesbiennes ». Les raisons en sont nombreuses :
d’une part, il s’agit de leur échec à englober la multiplicité des manifestations de la
sexualité humaine, la variété des pratiques sexuelles et des cultures sexuelles dites
différentes ou « perverses ». Une telle appellation reproduirait les frontières identitaires qui
excluent les sexualités périphériques, comme la bisexualité, la transsexualité, le
travestisme, ou même le sadomasochisme. D’autre part, il s’agit de leur tendance à devenir
à leurs tours normatives, en se concentrant surtout sur une population gaie, blanche et de
classe moyenne. De ce point de vue la contestation vise à la fois l’exclusion des lesbiennes
et l’ethnocentrisme. En ce qui concerne l’exclusion des lesbiennes, les propos de Marie-

96
Michael WARNER, « Fear of a Queer Planet », art. cit. , p. 6.
97
« The preference for ‘queer’ represents […] a more thorough resistance to regimes of the
normal », ibid, p. 16.

78
Hélène Bourcier résument très clairement le point qui suscite le mécontentement : « la
formule lesbian and gay est devenue productrice de silences pour les lesbiennes à partir du
moment où elle veut dire gay only.98 » Concernant l’ethnocentrisme, c’est notamment le
contenu du terme gay qui réclame une révision : l’identité spécifiquement gaie tellement
recherchée pendant la période de l’immédiat après la libération des années 1970 a été trop
modelée selon la figure de l’homosexuel blanc de classe moyenne. Ce compartimentage
suivant des critères de race et de classe est dévoilé comme source de normes, base pour
rendre invisibles ou pour discriminer99 les autres groupes (« tantes », « folles »100, « drag-
queens »101, « latino », « noir », « beurs » etc.)
Des travaux nouveaux se sont alors développés, croisant les critères ou refusant les
déterminations, avec l’ambition de transgresser le simple clivage homosexualité –
hétérosexualité. La pensée queer imagine un espace plus inclusif, où on prend en compte la
richesse des subjectivités et la pluralité des références, qu’elles soient sexuelles, ethniques,
de race, de genre ou socio-économiques.
Dans cette logique, les identités ne sont conçues ni comme l’axe de la construction de
soi, ni comme noyau de la socialisation et par conséquence des communautés, ni comme
raison de la mobilisation. Les identités ne peuvent pas être analysées ; elles sont mobiles,
se composent et se recomposent continuellement, se faisant doubler par des subjectivités
toujours multiples et jamais déterminées.

Pour résumer, les théories queer, dans la filiation des approches constructivistes,
tentent d’orienter l’objectif de la recherche sur l’homosexualité vers une analyse critique
des discours et des représentations culturelles ou scientifiques concernant les sexualités ;
elles se distancient néanmoins du courant constructiviste par l’effort de reconnaître une
complexité bien plus étendue de ces questions et extrapolent l’examen critique sans limite,
questionnant sans cesse la possibilité d’un savoir scientifique sur le phénomène de
l’homosexualité.

98
Marie-Hélène BOURCIER, « Queer move/ments », in Mouvements, N° 20, mars – avril 2002,
pp. 37-43, p. 41.
99
Le terme « infradiscrimination » est utilisé pour décrire les discriminations à l’intérieur des
groupes homosexuels.
100
Terme familier désignant un homosexuel masculin efféminé et extraverti.
101
Terme qui désigne les hommes qui poussent à l’extrême les caractéristiques prêtées à la
féminité, en dépassant le travestissement.

79
Dans certains contextes de recherche, surtout dans les pays anglophones, nous
retrouvons les appellations études gaies et lesbiennes et études queer utilisées de manière
interchangeable ; malgré les différences fondamentales entre les manières de formuler les
problématiques, nous constatons la volonté d’établir la consistance de cette discipline, ainsi
que sa continuité. En raison de leur prétention de regrouper les productions sur le thème
d’homosexualité, les études gaies et lesbiennes s’approprient les productions des théories
queer. Parfois envisagées comme une évolution des études gaies et lesbiennes, parfois
contestées comme leur mise à mort, les études queer ont réalisé sans doute l’élargissement
de la recherche à « toutes les sexualités qui transgressent les normes102 et plus encore, à
l’ensemble des sexualités et des processus qui construisent les différenciations sexuelles
dans différents contextes historiques et culturels103. »

Silence = death104. La menace du sida

Bien que notre tableau des principaux points de balisage du domaine des études gaies
et lesbiennes ne prétende pas à l’exhaustivité, il serait impossible d’ignorer la thématique
du sida105 et ses implications pour la structuration de ce champ de production de savoir et
des mobilisations pour les droits de personnes lgbt. Dans les pays industrialisés, le sida est
apparu dans un premier temps comme une maladie des homosexuels ; au commencement
des années 1980, l’épidémie était considérée comme une nouvelle peste, mais aussi comme
le cancer gay. En juin 1981, le Center for Disease Control and Prevention d’Atlanta (CDC)
rendit publique à travers son bulletin hebdomadaire Morbidity and Mortality Weekly
Report, l’observation d’une nouvelle maladie qui affectait les homosexuels ; d’ailleurs, la
102
Voir à ce titre certaines instances où l’on préfère l’appellation LGBTQ studies à la place de
l’ancienne dénomination gay and lesbian studies.
103
Line CHAMBERLAND, « Du fléau social au fait social. L’étude des homosexualités », art. cit.,
p. 13.
104
En 1987, la ville de New York était parsemée d’affiches représentant un triangle rose sur un
fond noir, avec l’inscription « silence=death », une action mise en place par l’association Act Up ;
le slogan visait à briser le tabou sur l’épidémie de sida, faisant appel à une autre page de l’histoire,
la déportation des homosexuels par les nazis. La récupération du symbole du triangle rose mettait
en parallèle deux instances où la discrétion sur les faits avait fait des victimes : « silence about the
oppression and annihilation of gay people, then and now, must be broken as a matter of our
survival » Depuis 1991 c’est le ruban rouge qui est devenu le symbole de ceux qui soutiennent la
cause de la sensibilisation au sujet du sida.
105
Steven EPSTEIN, Impure Science: AIDS, Activism and the Politics of Knowledge, Berkley,
University of California Press, 1996.

80
première appellation utilisée fut GRID (Gay Related Immune Deficiency -
Immunodéficience liée à l’homosexualité), avant que la dénomination AIDS / sida
(Acquired Immune Deficiency Syndrome – syndrome de l'immunodéficience acquise) se
soit généralement imposée. En France, comme au Etats-Unis, l’incidence de la maladie est
très élevée et les homosexuels masculins représentent le groupe le plus touché.
Prévenir l’expansion de l’infection devint par la suite une priorité et l’urgence de
l’action une exigence. La mobilisation des organisations ne se fit pas attendre106, mais dans
un premier temps les réponses à l’épidémie furent partagées entre panique et déni. Panique,
puisque l’envergure de la maladie et l’impossibilité de la maîtriser mettaient sérieusement
en question la confiance dans les sciences biomédicales ; panique également puisqu’elle se
faisait l’écho à des angoisses les plus profondes liées à la sexualité et la mort. Déni,
puisque l’épidémie contribue à la stigmatisation des homosexuels et à la recrudescence des
humiliations et des qualifications négatives ; déni également puisque personne ne désire
une nouvelle médicalisation de la sexualité.
Il est certain que la nécessité de résoudre la crise provoquée par le sida contribue,
d’une part, à rendre l’homosexualité moins abstraite: « [r]ien n’a donné aux gays autant de
visibilité que le sida107 » ; les pouvoirs publics sont forcés à s’exprimer sur des questions
concernant les comportements sexuels, sujets considérés auparavant comme appartenant à
la vie privée. Tant aux Etats-Unis qu’en France108 , la maladie a également motivé la
radicalisation de l’activisme homosexuel. Dans le cas français, on peut même parler de la
« renaissance » du militantisme homosexuel avec des conséquences sur la reconnaissance
des structures communautaires ainsi que leur financement, avant de connaître plus

106
En France, la première association de lutte contre la maladie est établie en 1983 : Vaincre le
sida (VLS) ; en 1984 l’association Aides se construit autour de la maladie et de sa problématique,
en 1988, Santé et plaisir gay (SPG), en 1989, Act up-Paris. 1989 c’est aussi le moment où l’État
entre en jeu avec la création de l’Agence française de lutte contre le sida (AFLS). Act Up (Aids
Coalition to Unleash Power). La première organisation de lutte contre sida au monde date depuis
janvier 1982, établie à New York avec le nom Gay Men’s Health Crisis ; le modèle de cette
organisation est reproduit à Londre, par Terrence Higgins Trust. Voir à ce sujet Michael
POLLACK, Une identité blessée… op. cit., Cristophe BROQUA, Agir pour ne pas mourir ! Act
Up, les homosexuels et sida, Paris, Presses de Sciences Po, 2005.
107
Leo BERSANI, Homos. Repenser L’identité, Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christian
Marouby, Paris, Editions Odile Jacob, 1998, p. 39.
108
Steven SEIDMAN, « Queer-Ing Sociology, Sociologizing Queer Theory : An Introduction », in
Sociological Theory, Vol. 12, N° 2, 1994, pp. 166-177, p. 172 ; Pierre-Olivier BUSSCHER, «
Mouvements homosexuels et lutte contre le sida », in Revue critique de l’actualité scientifique
internationale sur le VIH et les virus des hépatites, N° 76, juillet-août 1999 : « seuls les Etat Unis
et la France voient le succès à long terme, conduisant à une radicalisation politique d’une part
importante du mouvement homosexuel », p. 2.

81
récemment une phase de normalisation109, où le sida commence à être intégré comme une
caractéristique courante et non remarquable de la vie communautaire.
Le besoin d’intervenir, et d’intervenir en urgence, est doublé de la nécessité de mieux
connaître le phénomène ; agir implique une connaissance du problème. C’est justement cet
impératif de recueillir des informations sur ce qui arrive à une partie de la population qui
marque l’entrée de la thématique « homosexualité et sida » dans le champ de la recherche.
Il s’agit en premier lieu des enquêtes sur des comportements sexuels et des pratiques
sexuelles liées à l’homosexualité, jusque là ignorés, comme la bisexualité, la prostitution
masculine ou travestie, les lieux de drague, les back-rooms110. Le risque fait l’objet de la
recherche ainsi que l’efficacité des campagnes de prévention ou les rituels de deuil
développés par des associations de lutte contre le sida. Bientôt, l’intérêt de la recherche
porte sur l’activisme autour de la crise, sur la gestion sociopolitique de la maladie et sur ses
représentations culturelles111.
De nos jours la forte assimilation du sida avec l’homosexualité ne constitue plus une
réalité dans les pays occidentaux, mais les difficultés que la maladie pose aux modes de vie
homosexuels sont toujours présentes. L’épidémie est considérée de plus en plus comme
concernant l’ensemble de la population112, gays, lesbiennes, transsexuels, travestis
compris. La thématique de l’homosexualité et du sida occupe une place importante dans le
paysage des études gaies et lesbiennes pendant la dernière décennie du XXe siècle et elle

109
Une littérature abondante a été produite sur le sujet. Voir plus particulièrement: R.
ROSENBROCK, F. DUBOIS-ARBER, M. MOERS, P. PINELL, D. SCHAEFFER, M. SETBON,
« The normalisation of AIDS in Western European countries », in Social Science & Medicine, N°
50, 2000, pp. 1607-1629.
110
Back room, terme anglais, désigne une arrière salle de certains bars offrant à leur clientèle un
espace délimité voué aux relations sexuelles anonymes.
111
Olivier FILLIEULE, Christophe BROQUA, «La lutte contre le sida » in Xavier CRETTIEZ et
Isabelle SOMMIER (éds.), La France rebelle. Tous les foyers, mouvements et acteurs de la
contestation, Paris, Michalon, 2002, pp. 329-343 ; Christophe BROQUA, France LERT et Yves
SOUTEYRAND (éds.), Homosexualités au temps du sida, Paris, ANRS, 2003.
112
Il ne faut pas ignorer pourtant le nombre de tendances qui s’enchaînent ou qui se recoupent au
sein de la « communauté » homosexuelle concernant le sida : ainsi, on a pu parler de
« déhomosexualisation » et « réhomosexualisation » du sida, à différentes époques et dans
différents contextes. Par exemple, L.A. Gay and Lesbian Center a lancé il y a quelques années une
campagne autour du slogan : « AIDS is a Gay Disease. Own it. End it », afin de sensibiliser la
population gaie jeune. D’autre part, nous notons la tendance tout à fait contraire, le plaidoyer pour
la régénération de l’identité gaie à travers la libération de la menace du sida ; à ce sujet voir les
travaux d’Eric ROFES, Reviving the Tribes. Regenerating Gay Men’s Sexuality and Culture in the
Ongoing Epidemic, Binghampton, The Haworth Press, 1996.

82
constitue la source d’une profonde réflexion avec des conséquences inattendues113 quant à
la réflexion actuelle sur les sexualités : il s’agit du poids donné aux revendications
actuelles du mouvement homosexuel, du partenariat ou du mariage homosexuel, de
l’homoparentalité114.

C. Les études gaies et lesbiennes, pour quoi faire ?

A la fin de ce passage en revue des principaux nœuds d’articulations des études gaies
et lesbiennes, le moment est arrivé de faire le point sur les acquis de ces travaux que nous
pouvons mobiliser pour notre raisonnement.
Comme nous l’avons déjà noté dans la première section de ce chapitre, en Roumanie
les sciences sociales et humaines ne se sont quasiment pas intéressées au sujet de
l’homosexualité ; nous ne disposons pas d’un corpus d’écrits sur le fait homosexuel ou du
sujet homosexuel, ni plus anciens, ni dans l’actualité. Pour ce fait, nous considérons que
reprendre les débats autour des rapports des sciences au fait homosexuel n’aiderait pas à
faire avancer la connaissance sur le cas roumain. Le sujet est vite épuisé si nous
remarquons que l’entrée par la science s’est avérée un chemin sans issue, au moins
jusqu’au présent.
Un colloque consacré aux études gaies et lesbiennes, que nous avons nous-même
organisé à Bucarest en septembre 2005 sous le titre « Les mouvements associatives gais et
lesbiens en Europe » fut une première pour l’espace académique roumain. Ce colloque a
été organisé de manière conjointe par l’Université libre de Bruxelles, à savoir le Groupe
d’Analyse Socio-Politique des Pays d’Europe Centrale et Orientale, et l’Université de
Bucarest plus précisément l’Institut de recherches politiques de Bucarest. Notons toutefois

113
« Among the unexpected consequences of the AIDS epidemic is the rapid growth of an
international discourse around sexuality », Dennis ALTMAN, « On Global Queering » art. cit.
114
Il n’est pas question ici de considérer l’adoption du PaCS français comme une amélioration des
vies des veufs homosexuels, mais nous rejoignons ici l’hypothèse de Fillieule et Broqua selon
laquelle la situation juridique des partenaires d’homosexuels décédés du sida ou des leurs enfants
va donner plus d’appui aux débats autour de ces propositions juridiques. « Formulée sous une
forme embryonnaire dès la fin des années 1970, elle est reprise et développée dans les années 1980
par les seuls groupes ‘politiques’ qui existaient alors. C’est à partir du début des années 1990 que le
projet prend de l’ampleur, lorsque son principal promoteur put arguer, pour le défendre, de la
situation intolérable rencontrée par les partenaires d’homosexuels décédés du sida » Olivier
FILLIEULE, Pierre-Olivier BROQUA, Jalons pour une histoire de l’espace des luttes
homosexuelles en France, en manuscrit, pag 12.

83
que l’initiative a appartenu à la partie belge et la mise en place a été possible grâce à un
partenariat longuement cultivé entre les deux groupes de recherche. Néanmoins,
l’organisatrice a reçu une lettre de protestation de la part d’un membre du corps enseignant
de l’institution roumaine hôte de l’événement, qui y exprimait, entre autres, sa conviction
que « un tel sujet n’a pas de place à l’université ». Le colloque115 s’est déroulé dans de
bonnes conditions, sans incidents, mais sans une grande audience non plus, malgré la
publicité auprès des autres facultés de Bucarest.
Nous pourrons donc conclure que l’univers scientifique roumain est peu ouvert au
sujet de l’homosexualité et explorer cette entrée n’apporte pas plus que l’observation de
cette absence.

Un autre point qui a marqué le développement des travaux sur les questions
homosexuelles a été, comme nous l’avons vu, l’explosion de l’épidémie du sida au
commencement des années ’80. Cette entrée ne s’avère pas trop riche non plus sur notre
terrain, mais justement de ce point de vue, elle est très intéressante.
Au moment de la découverte du virus de l’immunodéficience humaine et tout au long
des années 1980, le régime communiste roumain tenta d’occulter son existence ; le
discours officiel affirmait l’absence du virus ou de la maladie dans le pays et les hôpitaux
non seulement n’enregistraient pas les cas, mais le sang n’était même pas testé pour le
virus. Cela a donné des résultats catastrophiques au niveau national, puisque nombre de
transfusions ont été effectuées sans que le sang soit testé, surtout pour des enfants de bas
âge. Après 1990, une fois que la vérité sur la maladie est sortie à la lumière, la population
la plus touchée par le virus n’était pas la population homosexuelle, comme dans les pays
occidentaux, et même de nos jours le sida n’est pas mis en lien direct avec

115
Le colloque a également bénéficié du soutien financier de la Communauté française de
Belgique et de l’association bucarestoise ACCEPT de défense des droits des minorités sexuelles
(voir plus loin, chapitre 7) ; des membres de cette association ont été invités à une discussion
ouverte avec les participants au colloque après les travaux. Il s’agit de Gabriel Andreescu, ancien
membre d’APADOR-CH, Vera Cîmpeanu et Florin Buhuceanu, de la part d’ACCEPT, Csaba
Ferenc Astztalos, CNCD (Conseil National contre la Discrimination), Bogdan Popa, Université de
Bucarest, membre sympathisant ACCEPT, en dialogue avec Florence Tamagne, Université Lille
III, France, Jean Michel De Waele, Université Libre de Bruxelles, Anna Gruszczyńska,
Jagiellonian University Krakow, Poland, Panos Dendrinos, University of Glasgow, Sylvain Ferez,
Université Montpellier I, France, Cecile Chartrin, Institut d’Etudes Politiques de Rennes, Ilaria
Simonetti, EHESS-Paris, Fabrizio Cantelli, Centre de Recherche sur l’Action Publique,
Université Libre de Bruxelles, Sînziana Preda, Faculty of Sociology and Psychology
Universitatea de Vest Timi oara.

84
l’homosexualité. D’autre part, l’association ACCEPT, pendant longtemps la seule
organisation enregistrée officiellement qui défend les droits des homosexuels en
Roumanie, a toujours soutenu des campagnes des informations sur le HIV / sida, leur
programme destinés à ce but étant les plus anciens. La manière de mettre en place ces
programmes, comme nous allons le voir, a été assez discrète, en évitant soigneusement la
mise en avant des risques d’infection, afin de ne pas nourrir les connotations négatives déjà
largement répandues de l’homosexualité. Le sujet du sida va revenir au cours de notre
analyse, mais comme une question de détail, et non pas comme élément de structuration du
discours.
Et puisque nous avons touché aux « militants », à savoir l’association ACCEPT, il
convient de noter à ce moment le manque de matériel mis en circulation à travers
l’activisme : ni les membres de cette association, ni les volontaires ou leurs collaborateurs
ne sont des producteurs de discours sur l’homosexualité. Ils n’essaient pas de légitimer
leurs demandes à l’aide d’écrits, de publications, de recherches, d’argumentaires… Nous
allons développer ces aspects plus loin (cf infra, Chapitre 7) ; pour le moment soulignons
que c’est la pauvreté des productions militantes – sinon leur absence même – qui motive
notre choix de ne pas considérer le discours des activistes comme un point central de notre
raisonnement.

Pour résumer, ce regard en survol sur la diversité des productions sur la question de
l’homosexualité nous a amenée à constater un nombre d’éléments qui appellent à réserve
quant à la possibilité de reprendre sur notre terrain roumain les acquis des études gaies et
lesbiennes :
Comme nous l’avons noté auparavant, il ne s’agit pas d’un champ bien articulé ou
gouverné par une réflexion structurée; bien au contraire, nous avons affaire à un domaine
tout à fait nouveau, soumis à des reconfigurations successives et en plein mouvement et
cela au cours d’une très courte période de temps.
Les acquis des uns deviennent vite l’objet de la critique des autres et les débats
n’arrivent pas à établir des points d’appui communs ; les voix se font entendre de tous les
côtés, sans réussir à s’accorder sur une même gamme, parfois l’impression étant de ne
même pas rechercher la tonalité commune, mais de préférer un concours du genre qui crie
le plus fort ou quel écho dure le plus longtemps. Seul le sujet, les questions homosexuelles,
constitue l’élément fédérateur de ces recherches sous la coupole d’une même discipline.

85
Dans ces conditions, nous constatons un glissement terminologique, né du besoin de
trouver des notions plus adéquates pour décrire et interpréter la réalité de ce phénomène.
Même s’ils ont donné l’occasion à des questions intéressantes sur l’organisation de la
société et sur la façon de gouverner les sexualités, les débats autour des notions n’on pas
abouti à faire avancer de manière significative la connaissance: l’homosexualité, les
homosexualités, gay et lesbienne, lgbt, queer, sont autant d’expressions impuissantes en
elles-mêmes à éclairer cette réalité, mais l’examen de leurs significations et les moyens de
leur accorder du sens devient à son tour un autre type de discours, qui met en question les
façons classiques de comprendre le monde et cherchent à dépasser les frontières. Ces
préoccupations pour la mise en cause des sciences, d’extrapoler les sens et renverser
l’organisation de la connaissance pour qu’elle comprenne l’homosexualité dépasse
largement l’intérêt de notre étude.

Cela ne signifie pas que les écrits sur les questions homosexuelles ailleurs ne nous
servent pas pour notre recherche, bien au contraire. C’est seulement après avoir parcouru
nombre d’ écrits sur l’homosexualité à l’ouest et avoir mis en lumière les principaux points
sensibles de ce domaine que nous ayons compris plus précisément qu’est ce qui suscitait
notre intérêt pour l’émergence des revendications homosexuelles en Roumanie : dans la
même lignée des recherches pionnières sur le mouvement gay et lesbien à partir des années
1970, nous nous proposons de déconstruire le dispositif répression / libération, en mettant
au centre de l’analyse à la fois les dynamiques politiques et les acteurs sociaux investis
dans l’action, les porteurs des revendications.
Il nous semble alors pertinent d’analyser l’émergence des questions homosexuelles
qui se font jours dans ce pays comme le résultat non seulement de conditions politiques,
mais de la composition sociologique des divers éléments ayant joué un rôle dans
l’articulation de ces demandes. Dès lors, étudier la mise en place des revendications gaies
et lesbiennes en Roumanie correspond à saisir un univers social qui interagit sans cesse à la
frontière de différents champs ou espaces, tant au plan local ou national, que global ou
international. Par conséquent, rendre intelligibles l’apparition de ces revendications, leurs
contretemps et leur succès tardif réclame aussi de jouer entre plusieurs espaces théoriques,
d’invoquer divers concepts et de retravailler des interprétations existantes, d’affiner les
notions et les adapter aux réalités.

86
En regardant l’espace des études gaies et lesbiennes nous constatons sans peine que
les outils pour atteindre notre objectif ne sont pas entièrement disponibles ; il est vrai, les
mêmes revendications propres à la constitution du mouvement gay et lesbien aux Etats-
Unis ou en France sont en train de s’exprimer à l’est avec un retard de trente ans ; les
productions éclairant ces phénomènes, on le constate vite, souffrent d’un manque de
conceptualisation qui les rend inutilisables en dehors des contextes des sociétés
occidentales contemporaines et nombre d’éléments clés pour le paysage roumain ne
rentrerait pas dans leur grille d’analyse. Il serait alors question d’arriver à des résultats
fragmentaires ou à des conclusions qui tiennent de l’évidence, qui affirment les décalages
et les spécificités. Il faudra rester attentifs et récolter ces fragments de théories qui sont
capables de recouvrir les imbrications de la réalité.

Nous avons compris à la fin de cette systématisation des productions sur les
questions homosexuelles que notre porte d’entrée ne réside pas dans les confrontations
conceptuelles qui ont alimenté les échanges dans le domains des études gaies et lesbiennes
depuis des années. Notre investigation des enjeux soulevés par la question homosexuelle
reste attachée aux faits, privilégie les réalités du terrain et puis fait appel à des outils
théoriques afin de formuler les explications les plus pertinentes. Le refus d’embrasser une
certaine conception ou une certaine théorie et la tester ou la faire fonctionner par la suite
nous amène alors à privilégier les faits comme tels, pour les laisser conduire la réflexion
sur un niveau plus abstrait.

En effet, nous avons constaté que notre centre d’intérêt ne se plaçait pas dans
l’exploration des processus mêmes à travers lesquels les représentations de
l’homosexualité ont émergé en Roumanie, à savoir la construction (ou la déconstruction)
des identités sexuelles ; cela ne signifie pas que la construction identitaire n’a pas de place
dans l’analyse. Notre intérêt ne porte guère sur la reconstruction des stratégies sociales et
politiques qui donnent du sens à l’homosexualité dans ce cas précis ; cela ne veut pas dire
que ses stratégies peuvent être ignorées. Mais cette démarche s’inscrit dans la ligne de
recherche ouverte à partir des années 1970, qui s’intéresse à la découverte de terrains
nouveaux, à éclairer un segment de la réalité jusque là ignoré. Dans le même esprit que les
recherches s’intéressant à la mise en œuvre des mouvements homosexuelles depuis les
années 1970, cette étude se propose de déchiffrer l’émergence des questions

87
homosexuelles en Roumanie, et cela dans une double logique : explorer les conditions
sociales et politiques qui rendent possible l’apparition et la montée de l’intérêt pour les
questions homosexuelles dans ce pays, ainsi que l’apparition des premières formes
d’organisation homosexuelle.

88
Chapitre 2 : Incursions historiques : métamorphoses et séquelles du passé

Préambule
A. Interdit, clandestinité, dissimulation. Regard diachronique sur l’homosexualité
Homosexuels depuis 2000 ans ? L’homosexualité en Roumanie
L’homosexuel et « l’homo sovieticus » : une contradiction dans les termes
Fouiller les ténèbres : quelques repères d’une histoire clandestine
La réforme du Code pénal de 1968
La vie arc-en-ciel sous l’étoile rouge : Sur les traces d’une homosociabilité roumaine
Mihai Radulescu : « nous sommes vivants et êtres humains entiers »
Ion Negoitescu : « pédéraste du même genre que Gide ou Cocteau »

B. « Le totalitarisme est allé jusque dans l'utérus ! »

C. « Les restes du communisme sont dans la casserole »

89
Chapitre 2 : Incursions historiques : séquelles ou métamorphoses du
passé

« Une société capitaliste fonctionne selon une logique économique alors qu’une
entreprise communiste était un mode de vie ».
Mihaela Miroiu, Confessions féministes

« Né dans le sein gelé de l’hiver, Staline est mort. Son hiver persiste ».
Nicolae Balota, Caietul albastru (Le cahier bleu)

« La première fois où je suis allé à Bucarest, un type de la Securitate


m’accompagnait ; je lui avais posé des questions sur la vie gaie dans cette ville. Il m’a
regardé longuement et puis il a dit : ‘By gay do you mean humourous ?’ Je lui ai expliqué
et il a exclamé : ‘Oh, mon Dieu, non ! Nous n’avons pas de ça en Roumanie !’ J’ai insisté,
bien, mais, quand même, il doit y en avoir quelques-uns à l’Est. Il m’a répondu : ‘Ils sont
tous à Budapest !’[…] Je dois admettre que, la première fois où j’y suis allé, il m’a semblé
que j’avais atterri dans le plus triste endroit sur terre. J’ai vu la misère dans laquelle les
gens vivaient, la peur, la méfiance, la difficulté à parler librement. Triste, mais amusant en
même temps ‘O, tara trista, plina de humor...’ (Oh, pays triste, plein d’humour) ».
Paul Bailey, Dilema Veche, interview de Marius Chivu

90
Préambule

Notre étude des transformations concernant les relations homosexuelles suite à


l’effondrement du communisme en 1989 passe d’abord par une brève incursion dans
l’histoire, que nous considérons comme une étape exploratoire préliminaire afin d’éclairer
le changement survenu. En effet, en suivant la ligne de pensée exploitée par les adeptes de
la « path dependence »116, nous cherchons à comprendre comment l’héritage du passé,
communiste principalement, mais également ancien, influence et entraîne des phénomènes
qui se suivent chronologiquement ; il s’agit principalement, pour paraphraser David Stark,
d’essayer de voir comment les acteurs sociaux sur la scène postcommuniste roumaine ont
construit « avec les ruines du communisme », et non pas « tabula rasa sur les ruines du
communisme » 117
Nous procédons à ce détour par l’histoire pour mettre en avant le poids des situations
antérieures dans les configurations postcommunistes, les phénomènes de continuité ou de
ruptures qui se produisent au niveau des normes légales et sociales lors du passage d’un
ordre politique à un autre, mais aussi pour mieux comprendre les représentations sociétales

116
La théorie de la path dependence a été d’abord élaborée dans le domaine de l’économie, pour
rendre compte de la concurrence entre les différentes structures économiques qui présentent des
avantages grâce à leurs places respectives dans le système précédent ; cette approche a été ensuite
utilisée pour analyser les évolutions politiques et sociales et rendre compte de l’importance du
« chemin emprunté » dans le passé dans les configurations nouvelles. Voir notamment David
STARK, « Sommes-nous toujours au siècle des transitions ? Le capitalisme est-européen et la
propriété ‘recombinante’ », in Politix, n° 47, 1999, pp. 89-129 ; David STARK, Laszlo BRUSZT,
Postsocialist Pathways. Transforming Politics and Property in East Central Europe, Cambridge,
Cambridge University Press, 1998; David STARK, Laszlo BRUSZT, « One Way or Multiple
Paths? For a Comparative Sociology in East European Capitalism », in American Journal of
Sociology, Vol. 106, N° 4, 2001, pp. 1129-1137. Ensuite, d’autres recherches ont tenté de faire
travailler ce concept; Paul PIERSON, « Increasing Returns, Path Dependence and the Study of
Politics », in American Political Science Review, Vol. 94, N° 2, 2000, pp. 251-267 ; Taylor C.
BOAS, « Conseptualizing Continuity and Change. The Corporate – Standanrd Model of Path
Dependence », in Journal of Theoretical Politics, Vol. 19, N° 1, pp. 33-54 ; James MAHONEY,
« Path Dependence in Historical Sociology », in Theory and Society, Vol. 29, N° 4, 2000, pp. 507-
548 ; Sandrine KOTT, Martine MESPOULET, «Faire de l’histoire pour penser le changement »,
dans Sandrine KOTT, Martine MESOPULET, Antoine ROGER (éds.), Le post-communisme dans
l’histoire, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 2006, pp. 7-16; Dominique COLAS,
(dir.), L’Europe post-communiste, Paris, Presses Universitaires de France, 2002 ; Sandrine
DEVAUX, Engagements associatifs et postcommunisme. Le cas de la République tchèque, Paris,
Belin, 2006 (qui s’intéresse au rôle du passé dans la (re)définition des identités collectives).
117
David STARK, « Sommes-nous toujours au siècle des transitions ?... » art. cit., p. 93, Voir aussi
DOBRY, Michel, «Les voies incertaines de la transitologie : choix stratégiques, séquences
historiques, bifurcations et processus de path dependence », in Revue française de science
politique, Vol. 50, N° 4, 2000, pp. 585-614.

91
de l’homosexualité et les prises de position relatives à ce sujet dans le contexte roumain.
Pour ce faire, nous avons choisi de structurer notre propos en deux moments, que nous
estimons comme révélateurs de la logique de cette démarche.
Dans une première section, la plus étoffée, nous tentons d’esquisser un tableau le plus
complet possible des relations homosexuelles avant la chute du communisme, sans
toutefois procéder à une étude exhaustive d’archives judiciaires ou de documents
personnels118. Nous nous rapportons aux textes juridiques secondaires ainsi qu’aux sources
littéraires, complétés par les informations que nous avons pu apprendre lors des entretiens
semi directifs. Ce choix de ne pas entrer dans l’analyse des archives ne tient pas à un
simple manque d’intérêt, ni à une économie de ressources ; il renvoie plutôt à la logique
interne de ce travail. Comme notre recherche porte sur l’émergence des revendications
homosexuelles après la chute du communisme, nous ne consacrons à cette période qu’un
examen sommaire, nous ne procédons pas à une incursion dans l’histoire de manière
systématique.
La situation de l’homosexualité avant et durant le communisme roumain devrait faire
l’objet d’une étude plus large et plus articulée, elle pourrait constituer toute seule l’objet
d’une thèse; à l’heure actuelle, aucune recherche ne porte sur ce sujet. Bien que la période
communiste se soit constituée comme un très riche champ de recherches en sciences
sociales, la vie privée sous le communisme reste un aspect peu exploré et peu connu, et
l’homosexualité l’est encore moins. Quant à nous, à travers cette étendue temporelle, nous
cherchons à éclaircir les touches saillantes et les éléments prédominants que nous estimons
avoir de l’importance dans les articulations des processus dans la période suivante ouverte
par le changement de système politique, et nous ne proposons donc pas de repeindre en
détails les avatars de la question homosexuelle tout au long des époques antérieures.
Il s’agit néanmoins d’un recueil de données qui, à notre connaissance, sont pour la
première fois réunies dans une même étude et qui pourraient être exploitées comme une

118
Approfondir l’enquête sur la période communiste nous a tenté tout au long de ce travail : l’idée
d’examiner les archives judiciaires et policières (des proces verbaux de police, des comptes rendus
des procès des homosexuels), les sources médicales (fiches d’observation clinique, diagnostiques,
ouvrages médicaux), ainsi que mener des entretiens avec des personnes ayant vécu leur
homosexualité avant 1989 ne nous a pas quitté et nous gardons pour un tel travail une couriosité
tuoujours éveillée. Malheureusement ces sources ne sont pas facilement disponibles, parfois elles
ne sont pas accessibles du tout. Nous ne pouvons qu’espérer que le passage du temps apportera ces
questions à la lumière et de plus en plus d’archives seront ouvertes à la consultation publique.

92
porte d’entrée en la matière lors d’un examen plus approfondi et orienté vers une histoire
des sexualités et des homosexualités en Roumanie.
Dans une deuxième section nous allons tenter une mise en perspective de notre sujet
particulier : qu’est ce que nous pouvons apprendre sur la sexualité en général durant le
régime de Ceausescu ? Situer notre sujet spécifique – les relations homosexuelles – dans le
cadre plus large auquel il appartient – la sexualité, découvrir les visions guidant les
relations de couple, la famille, le désir, mettre en lumière le manque d’éducation sexuelle
et de matériel informatif révèlent des éléments intéressants pour une appréhension plus
pertinente des enjeux liés à l’homosexualité.
Cette mise en perspective de notre sujet particulier complète notre courte incursion
dans le passé et met les bases afin d’appréhender le besoin de renégociation d’un nouvel
ordre social et politique au passage d’un régime politique à l’autre, contexte qui donne
l’occasion à des transformations relatives au statut des relations homosexuelles et à la
renégociation des normes régissant la vie sexuelle dans la Roumanie des années 1990.

A. Interdit, clandestinité, dissimulation. Regard diachronique sur


l’homosexualité119

Homosexuels depuis 2000 ans ? L’homosexualité en Roumanie

A l’occasion de la deuxième gay pride roumaine du 3 juin 2006, on pouvait lire sur
l’une des banderoles portées par les manifestants : « Gay, de la Traian si Decebal (Gays
depuis Trajan et Decebal) », deux figures considérées comme les ancêtres symboliques du
peuple roumain120. Les origines du peuple roumain sont l’objet de controverses non

119
Nous avons fait une première entrée dans la matière lors de la rédaction d’un mémoire de DEA
en sciences politiques intitulé « De l’hétérosexualité obligatoire à l’affirmation homosexuelle (le
cas de la Roumanie après 1989) » que nous avons rédigé sous la direction de Paul Magnette à
l’Université Libre de Bruxelles, pendant l’année universitaire 2003-2004. Une version préparatoire
de cette section à été publiée dans la Revue d’histoire moderne et contemporaine, Ecrire l’histoire
des homosexualités en Europe : XIXe- XXe siècles, dossier coordonné par Florence Tamagne, Paris,
Belin, N° 53-54, 2006, pp. 191-210. Je remercie Jean Michel De Waele, Paul Magnette et Florence
Tamagne pour leur lecture attentive des pages qui se trouvent à la base de ce texte ainsi que pour
leurs conseils précieux.
120
L’empereur romain Trajan attaqua Decebal et fonda, au terme de deux guerres (101-102 avant
JC et 105-106 avant JC), la province de Dacia Felix sur le territoire de la Roumanie actuelle.

93
seulement scientifiques, mais aussi politiques, puisque les voix nationalistes avancent
comme hypothèse l’émergence de la Roumanie d’aujourd’hui sur les bases de la province
romaine Dacia Felix et « la continuité daco-roumaine » sur ces territoires. Cette hypothèse,
qui a connu son essor au XVIIIe siècle suite aux activités de l’Ecole transylvaine (Scoala
ardeleana)121, met en avant la primauté et la présence originelle des Roumains – qui
descendraient directement des Daces romanisés et latinisés par les légions de Trajan à
Aurélien - dans une région dominée par les « trois nations », les Magyars, les Saxons et les
Sicules122. L’Eglise orthodoxe roumaine a également récupéré cette thèse et elle se
présente dès lors comme le principal garant de l’identité nationale durant des siècles123, ce
qui se traduit dans cette optique par la présomption de la pureté et de la santé morale du
peuple roumain. L’homosexualité ne serait donc qu’un vice moderne, une influence
extérieure venue des peuples païens, qui contreviendrait à ses traditions historiques.
Le message arboré lors de la manifestation de 2006 ne constitue donc pas un exemple
classique de légitimation par l’histoire, mais il entend démasquer ce nationalisme extrême,
ainsi que l’influence excessive de l’Eglise dans une société qui se veut laïque,
démocratique et moderne. Faire appel au passé, une stratégie à laquelle les militant-e-s
homosexuel-le-s ont consacré beaucoup d’attention, notamment dans l’espace anglo-saxon,
n’aurait pas le même écho dans le cadre roumain, puisque l’histoire reste très silencieuse
sur le sujet. Prouver qu’au fil des siècles, à certaines époques, l’homosexualité a été plus
présente ou plus facilement acceptée qu’à d’autres, chercher dans les temps anciens des
figures marquantes qui auraient témoigné de pratiques et/ou de sentiments pour des
personnes du même sexe s’avère particulièrement ardu. Les sources restent très pauvres et
le sujet est occulté dans les récits historiques disponibles124. Même le discours médical125

121
Pour une présentation claire et concise voir par exemple Bogdan RADULESCU, « La
Roumanie à la croisée des chemins », in Eléments, N° 90, novembre 1997.
122
L’idée fut reprise sous Ceausescu, avec l’expression devenue lieu commun, « la Roumanie, une
île latine dans un océan slave ».
123
Cet aspect sera exploré plus en détails dans un chapitre suivant ; voir infra Chapitre 6.
124
Nous retenons ici une exception notable, à savoir la recherche entreprise par Cristina Vintila
Ghitulescu sur les stratégies matrimoniales dans la société roumaine du XVIIe siècle, à partir
d’archives judiciaires inédites, surtout des registres du Métropole orthodoxe de Bucarest : Cristina
GHITULESCU, La construction et la déconstruction du couple. Les jeux du mariage dans la
Valachie au XVIIIe siècle, thèse de doctorat, Paris, Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales,
2004. A partir de cette recherche, trois volumes ont été publiés en roumain, deux essais et un
roman : In salvari si cu islic : Biserica, sexualitate, casatorie si divort in Tara Romaneasca a
secolului al XVIII-lea, Bucarest, Humanitas, 2004 ; Focul Amorului. Despre dragoste si sexualitate
in sociatatea romaneasca, 1750-1830, Bucarest, Humanitas, 2006 ; Evghenitii, Bucarest,
Humanitas, 2006.

94
se montre silencieux sur cette question, non seulement au sujet de l’homosexualité, mais
aussi au sujet de la sexualité en général, qui reste un thème très peu traité dans la société
roumaine. Comme l’affirme Valerian Tuculescu, ancien président de l’Association des
Psychiatres libres, « la sexualité n’a jamais été un objet d’étude pour les sciences
médicales en Roumanie ; la sexualité a toujours constitué une question de politique ou de
morale »126.

Dans ces conditions, le discours juridique peut nous offrir davantage d’informations
sur la situation de l’homosexualité. Le Code pénal roumain le plus ancien date de 1864,
avant même que les trois principautés roumaines ne soient réunies en un seul pays127.
Inspiré par la législation française, plus précisément par le Code pénal napoléonien, il ne
comprenait pas de références à l’homosexualité. Pourtant, dans un code pénal régional qui
était à l’époque en vigueur en Transylvanie, connu comme Codul ardelenesc, nous
trouvons un article spécialement consacré au viol d’un homme par un autre homme, pour
lequel était prévue une peine pouvant atteindre jusqu’à cinq ans de prison128. Après 1918,
date de la création de la Grande Roumanie, le Code pénal de 1864 devint le texte de

125
L’homosexualité est souvent définie comme un comportement sexuel déviant : des ouvrages
médicaux, des traités de psychologie ou de psychiatrie publiés par diverses maisons d’éditions,
encore en 2001, classent l’homosexualité dans la même catégorie que la nécrophilie, la pédophilie
ou la bestialité ; pour ne citer que deux exemples, voir Constantin ENACHESCU, Tratat de
psihologie, Bucarest, Edition Tehnica, 2001 ou Valeriu RUSU, Dictionar medical, Bucarest,
Edition Medicala, 2001.
126
Cité par Scott Long et Bogdan Voicu, dans une interview de 1997, dans Public Scandals…, loc.
cit., p. 88. Ce rapport, coordonné par Scott Long et paru sous l’égide de Human Rights Watch et
IGLHRC, constitue le premier compte rendu de la situation légale et sociale des personnes lgbt en
Roumanie après 1989 ; ayant comme base des interviews réalisées depuis 1991 jusqu’au 1997 avec
des détenus, membres du Parlement roumain, des policiers et des responsables des établissements
pénitentiaires, il atteste de l’impact de l’article 200 dans la vie des homosexuel(le)s roumain(e)s. Le
rapport est largement accessible en ligne. Les détails de la réalisation de ce rapport seront explorés
dans le Chapitre 8.
127
L’union de la Valachie avec la Moldavie est accomplie de facto par Alexandre Ioan Cuza en
1859. A la fin de la Première Guerre mondiale, la Bessarabie (27 mars 1918), la Bucovine (28
novembre 1918) et la Transylvanie (1 decembre 1918) rejoignent la Roumanie, pour constituer la
Grande Roumanie. La Seconde Guerre mondiale fait éclater le royaume et le territoire se réduit à sa
taille d’aujourd’hui.
128
Article 242 : « Si de tels actes sont commis entre hommes, violemment ou sous la menace, ils
seront considérés comme des perversions contre nature et ils seront passibles d’une peine pouvant
aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement ; si le crime a pour conséquence la mort de la victime, la
peine sera l’emprisonnement à vie ». (Constituie crimă de acte impudice nefire ti, care se
pedepse te cu recluziunea până la cinci ani, când asemenea acte se săvâr esc între bărbaŃi, prin
violenŃă sau ameninŃări, iar dacă crima a pricinuit moartea părŃii vătămate, cu temniŃă grea pe
viaŃă).

95
référence, n’établissant pas de différence entre les relations hétérosexuelles ou
homosexuelles129. A l’époque, l’influence française ne se limitait pas à cette législation
inspirée du Code Napoléon ; Paris détenait la position privilégiée de modèle aussi bien
pour la vie politique que pour la vie culturelle, la mode et les coutumes journalières. Les
hommes politiques, les intellectuels, la bourgeoisie de Roumanie prenaient la vie
parisienne comme source d’inspiration ; nombre d’intellectuels allèrent donc poursuivre
leurs études dans la capitale française ; le français était couramment parlé dans les cercles
huppés de Bucarest, où des journaux en français étaient publiés. Le nom de « Petit Paris »
attribué à la capitale roumaine date de cette époque. La flamboyance homosexuelle de
Paris n’atteignit cependant pas Bucarest : les bals homosexuels et travestis qui faisaient la
réputation de la capitale française n’eurent pas d’équivalent à Bucarest - ou alors l’histoire
n’en rend pas compte. Au milieu des années trente, alors que la répression nazie qui
s’abattait sur Berlin faisait de Paris le nouveau centre de la vie homosexuelle en Europe, la
capitale roumaine suivit l’exemple allemand, ce qui s’exprima notamment par des
changements juridiques. En 1936, sous l’influence de la Garde de Fer fasciste qui entendait
imposer des règles strictes pour la morale sociale, le parlement du Royaume roumain, sous
la souveraineté du Roi Charles II, réforma le Code pénal. La nouvelle loi créait une
catégorie spéciale de délits concernant l’outrage à la morale publique et de nouvelles
dispositions étaient ajoutées au sujet des infractions sexuelles, qui furent dès lors
considérées comme des infractions aux bonnes mœurs. L’article 431 fut introduit,
prévoyant des peines allant de six mois à deux ans de prison pour « les actes d’inversion
sexuelle commis entre hommes ou entre femmes, dans le cas où ils provoqueraient un
scandale public ». Cette formulation a fait l’objet de nombreux débats à l’époque, d’une
part la formulation « inversion sexuelle » posant problème, d’autre part le syntagme
« scandale public » n’étant pas clair. La première version de cet article concernait
l’utilisation du terme « homosexualité », mais son sens exact n’était pas clair : certains
considéraient qu’il ne comprenait pas l’homosexualité féminine, certains appréciaient, au
contraire, qu’il incluait le lesbianisme, mais pas « la pédérastie », comprise comme la
relation entre un homme et une femme quand la femme est l’agent passif (coitus per
anum). D’ailleurs, les discussions autour de cet article de loi montraient que les termes
n’étaient pas clarifiés, mais utilisés selon des interprétations personnelles et inexactes. Des

129
Pour les dispositions légales au sujet de l’homosexualité, voir Vasile DONGOROZ, « Articol
despre pederastie » (Article sur la pédérastie), in Curierul Judiciar, N° 6-9, Bucarest, février 1930.

96
mots comme « pédérastie », « sodomie », « saphisme », « tribadisme », « lesbianisme »
étaient utilisés arbitrairement, sans définition préalable, selon l’entente personnelle ; par
contre, les décideurs étaient précautionneux quand il s’agissait du terme « homosexualité »,
d’origine étrangère. De l’autre côté, « scandale public » n’avait pas une définition claire
dans la loi, ce qui laissait de l’espace pour des interprétations aléatoires. Il était même
possible que la police puisse créer le scandale public en publiant les informations d’une
affaire homosexuelle130. La version finale de la loi ne faisait donc pas strictement mention
des relations homosexuelles, les décideurs convenant de ne pas employer un mot exotique,
qui ne faisait pas partie à l’époque du langage juridique indigène et qui n’était pas assimilé
dans le langage commun. Le terme « homosexualité » ne fut jamais inscrit dans les textes
légaux, mais dans la version suivante du Code pénal, reformulée après l’instauration du
régime communiste, les choses ont été éclaircies quant à « l’amour qui n’ose pas dire son
nom »131.

L’homosexuel et « l’homo sovieticus » : une contradiction dans les termes

L’instauration des régimes communistes correspond de manière générale à


l’aggravation des mesures punitives des relations homosexuelles par rapport à la période de
l’entre deux guerres mondiales ou même à l’imposition de politiques de répression radicale
des homosexuels. Les idéologues du communisme s’inscrivent dans la lignée de pensée
homophobe qui régnait à l’époque : l’homosexualité est un vice des élites, résultant de la
décomposition morale engendrée par le luxe aristocratique et le système capitaliste132.

130
Ces questions font l’objet de la discussion dans le rapport Public Scandals… loc. cit. pp. 10-12.
131
L’expression est en fait un vers du poème « Two loves » - « I am the Love that dare not speak
its name », écrit par Alfred Bruce Douglas ; c’est la relation de Douglas avec Oscar Wilde qui rend
célèbre l’auteur de même que le vers, qui devient vite le syntagme de prédilection pour désigner
l’homosexualité. Nombre d’ouvrages, plus anciens ou plus récents, l’utilisent depuis même dans le
titre (par exemple François PROCHE, L’amour qui n’ose pas dire son nom (Oscar Wilde), Paris,
Bernard Grasset, 1927, Maud de BELLEROCHE, Oscar Wilde ou l’amour qui n’ose pas dire son
nom, Paris, Dualpha, 2004).
132
Michelet, Proudhon ou encore Zola s’inscrivent dans cette lignée ; d’autre part on retrouve des
défenseurs de la cause homosexuelle parmi les socio démocrates allemands favorables à
l’abrogation du paragraphe 175 ; voir par exemple la courte synthèse de Pierre ALBERTINI,
« Communisme », in Dictionnaire de l’homophobie op. cit., pp. 103-106. Pour plus d’informations,
se référer au Journal of Homosexuality, Vol. 29, N° 2-3, 1995, publié simultanément Gert
HEKMA, Harry OOSTRHUIS, James D. STEAKLEY, Gay Men and the Sexual History of the
Political Left, Haworth Press, 1995.

97
Même si nous ne disposons pas d’écrits méthodiques théorisant l’homosexualité, la
correspondance entre Marx et Engels montre bien qu’ils ridiculisaient l’action de Karl
Heinrich Ulrichs contre le paragraphe 175 du Code pénal allemand et véhicule une
conception selon laquelle les homosexuels seraient des pervers constituant une ‘mafia’
occulte qui corromprait la jeunesse133.
Cependant, la révolution bolchevique débute par la tolérance de l’homosexualité, en
abrogeant la loi tsariste qui pénalisait le ‘crime contre nature’134 ; la première édition de
l’Encyclopédie soviétique considère que l’homosexualité ne constitue ni un crime, ni un
acte contre nature, dans une vision psychopathologique qui excuse les victimes de leurs
maladies ou anormalités. Le tournant des années 1930, exigé par la morale stalinienne135,
débouche sur une loi punissant de cinq ans de travaux forcés les rapports homosexuels
consentis, ce qui met fin à une décennie et demie de ‘libération’. Les stratégies d’ingénierie
sociale instaurées par Staline vers la fin des années 1920, avec la mise en place du premier
plan quinquennal (1929) et l’expansion de la force ouvrière vers les villes apportent

133
Dans une lettre datée du 22 juin 1869 adressée à Karl Marx et en réponse au livre d’Ulrichs
Gladius Furens, Engels écrit : « C’est assurément un ‘uraniste’ tout à fait surprenant que tu m’as
envoyé. Ce sont vraiment des révélations tout à fait contre-nature. Les pédérastes commencent à se
compter et trouvent qu’ils constituent une puissance dans l’Etat » cité dans Daniel BORRILLO,
Dominique COLAS, L’Homosexualité de Platon à Foucault. Anthologie critique, Paris, Plon,
2005, p. 287.
134
Le Code des Lois de 1830 et ensuite le Code pénal de 1832 punissaient la sodomie de cinq ans
d’exil en Sibérie ; la dépénalisation de 1917 prend fin en décembre 1933, quand l’article 154 (puis
121) réintroduit dans le Code pénal les termes de 1832. Voir Dan HEALEY, « Homosexual
Existence and Existing Socialism. New Light on the Repression of Male Homosexuality in Stalin’s
Russia », in GLQ, Vol. 8, N° 3, 2002.
135
Il est intéressant de remarquer dans un nombre d’écrits disparates la mention hâtive et
fragilement argumentée à une possible filiation entre homosexualité et espionnage ; selon Dan
Healey, l’idée d’introduire une loi réglementant les relations homosexuelles appartient au chef de la
police de l’époque, Gernikh Iagoda ; en faisant son rapport sur des raids à Moscou et Leningrad qui
ont conduit à l’arrêt de 130 hommes, il suggère que ces personnes se constituaient dans des ‘salons,
centres, groupes et d’autres formations de pédérastes, dans le but d’espionner pour le compte des
Nazis’. L’idée ne revient pas dans les motivations du projet de loi, mais Healey reste convaincu que
« the new law was eventually presented to and by foreign communists as a measure to prevent
infiltration by fascists » ; voir Dan HEALEY, art. cit., p. 362. Monika Pisankaneva, dans son
article sur la Bulgarie, reprend cette même idée, affirmant que lors du procès de 1964 qui avait
impliqué 26 homosexuels, l’une des accusations résidait dans le fait que « plusieurs cas de
relations homosexuelles entre citoyens bulgares et des étrangers visitant le pays en provenance des
pays capitalistes ont été détectés dans plusieurs villes bulgares » Voir Monika PISANKANEVA,
« The Forbidden Fruit : Sexuality in Communist Bulgaria », papier présenté à la conférence
Socialism and Sexuality, Amsterdam, 2003. Enfin, l’idée revient chez Sandrine Kott, qui, analysant
le cas particulier d’un ouvrier est-allemand, affirme : « L’ensemble de sa conduite devient alors
suspect […] car il risquerait de livrer des ‘secrets’ à ses amis qui, sous prétexte d’homosexualité,
sont immédiatement assimilés à des espions », voir Sandrine KOTT, Le communisme au quotidien.
Les entreprises d’Etat dans la société est-allemande, Paris, Belin, 2001, pp. 152-153.

98
également la ‘normalisation’ de la sexualité, qui est réduite à la fonction reproductrice.
L’homosexualité correspond à la déperdition d’énergie et de production, mais elle
représente un péril encore plus terrifiant – le fascisme. En effet, un article de Maxim Gorki,
paru le 23 mai 1934 et largement évoqué depuis, offre dans la presse soviétique une
condamnation enflammée de l’homosexualité comme une perversion qui produit le
fascisme. L’expression devenue célèbre « éradiquez l’homosexualité et le fascisme
disparaîtra » provient de cet article136. En conséquence, les efforts pour éradiquer
l’homosexualité sont immédiatement déployés et la répression s’enclenche ; le nombre
d’homosexuels envoyés dans des camps est difficile à établir puisque ladite « atrocité »
était associée à de multiples autres assignations pour désigner les ‘criminels sociaux’, les
‘élément nocifs nuisibles pour la société’137. Toujours est-il que l’édition de 1952 de
L’Encyclopédie soviétique définit l’homosexualité comme « un penchant contre nature.
[…] Dans la société soviétique, de saine moralité, l’homosexualité est réprimée en tant
que dépravation sexuelle et punie par la loi. Dans les pays bourgeois, l’homosexualité,
signe de la décomposition morale des classes dirigeantes, est en fait impunissable »,
continue le texte138.
L’image de l’homme nouveau, le bon ouvrier hétérosexuel opposé au bourgeois
efféminé et pervers fera le tour de tous les pays communistes. En Chine, par exemple, la
vision communiste de la sexualité se situe dans la continuation des théories néo-
confucéennes sur la famille visant à limiter la sexualité au mariage, et même si l’on ne
constate aucune loi explicite interdisant l’homosexualité, les « passions de la manche
coupée »139 sont réglementées à travers d’autres mesures juridiques contre les

136
L’article « L’Humanisme prolétarien » estime quant à lui : « Dans le pays où le prolétariat
gouverne courageusement et avec du succès, l’homosexualité, avec ses effets pervers sur la jeune
génération, est considérée comme un crime social puni par la loi. Au contraire, dans le ‘pays
civilisé’ des grands philosophes, érudits et musicien [alias l’Allemagne], elle est pratiquée en
liberté et impunément. Il y a déjà une expression sarcastique : ‘éradiquez l’homosexualité et le
fascisme disparaîtra’ » cité dans Laura ENGELSTEIN, « Soviet Policy Towards Male
Homosexuality : Its Origins and Historical Roots », in Journal of Homosexuality, Vol. 29, N° 2-3,
1995.
137
Dan Healey fait mention de termes comme ‘aliéné’, ‘ancien bourgeois’, ‘potentiel trotskyste’,
Dan HEALEY, art. cit., p. 363.
138
L’entrée ‘homosexualité’ de la deuxième édition de l’Encyclopédie Soviétique, cité par Borrillo
et Colas, Daniel BORRILLO, Dominique COLAS, op. cit., p. 287.
139
Terme littéraire employé pour désigner les amours homosexuels masculins, entré dans le
langage commun à partir d’une histoire racontant le choix d’un empereur de la dynastie Han de
couper la manche de son vêtement pour éviter de réveiller son amoureux qui s’était endormi
dessus. Dans la même logique suggestive rentrent d’autres expressions désignant l’homosexualité,

99
« comportements répugnants » ou le « houliganisme ». A Cuba, les efforts pour traquer les
homosexuels atteignent aussi des formes extrêmes ; durant les premières années après
avoir supplanté la dictature de Batista, le régime de Fidel Castro140 s’est fait fort de
nettoyer la capitale La Havane, qui était vue comme un paradis touristique grâce à la
prostitution non seulement féminine mais également masculine. Les purges morales, les
humiliations publiques, les camps UMAP (Unidades Militares para el Aumento des
Produccion), les reconcidas (arrestations en masse) traitent le problème. Ce n’est qu’après
1975 que le climat s’est amélioré, avec l’abrogation des provisions qui interdisaient aux
artistes homosexuels de professer (Resolucion Numéro 3) et l’instauration de
compensations financières aux victimes des purges141.
Plus près de Roumanie, dans les Balkans, en Bulgarie par exemple, pendant les
premières années du communisme la législation concernant les relations homosexuelles
reste telle qu’elle avait été héritée du régime antérieur (à savoir qu’elle prévoyait une peine
allant jusqu’à 5 ans pour des relations sexuelles entre hommes), mais elle évolue à partir de
1951, quand les mesures punitives sont étendues également aux relations homosexuelles
entre femmes142. Toutefois, cette législation sera écartée du Code pénal bulgare dès 1968.
Néanmoins, cela ne rend pas l’homosexualité socialement acceptable et des provisions
discriminatoires perdurent en ce qui concerne l’âge de la majorité pour les personnes
impliquées dans des rapports homosexuels, à la différence des relations hétérosexuelles.
D’autres pays communistes renoncèrent à différents moments à la répression,
abandonnant l’interdiction totale des relations homosexuelles et allant jusqu’à tolérer une
certaine vie gay et lesbienne, discrète mais bien réelle, comme ce fut le cas en Hongrie ou
en Tchécoslovaquie143 ; mais le cas de la République Démocratique Allemande reste bien

comme « la pêche partagée », ou, pour le lesbianisme, « partager un repas » ; voir Neil MILLER,
Out of the Past. Gay and Lesbian History from 1869 to the Present, New York, Alyson Books,
2006, pp. 454-457. Voir également Ney BENSADON, Sodome ou l’homosexualité, Chapitre sept:
« L’homosexualité en Chine », Paris, L’Harmattan, 2004.
140
Premier ministre de 1959 à1976 et ensuite président jusqu’en février 2008.
141
Nombre de productions de différentes factures font le récit de la situation à Cuba : Allen
YOUNG, Gays Under the Cuban Revolution, San Francisco, Grey Fox Press, 1981, Reinaldo
ARENAS, Before the Night Falls, New York, Viking, 1993, Ian LUMSDEN, Machos, Maricones,
and Gays, Philadelphia, Temple University Press, 1996.
142
Par l’introduction de l’article 176 dans le Code pénal, voir Monika PISANKANEVA, art. cit.,
p. 8.
143
Il est important de noter le manque généralisé d’études portant sur l’homosexualité, la vie des
gays et des lesbiennes ou les mouvements LGBT dans ces pays. Parmi les exceptions, nous
pouvons noter Judit TAKACS, Position, State of Development and Role of Sexual Minority Media;
Hungary, The Netherlands and Slovenia, Research Paper Prepared for the Peace Institute

100
une exception144 : non seulement le paragraphe 175 du Code pénal a été révoqué en 1968,
mais l’ouverture et la tolérance de l’homosexualité ont permis aux groupes LGBT de
fonctionner déjà depuis 1982, cela avec le soutien de l’Eglise protestante, jusqu’à l’année
1986 et la création du Sonntags Club, le premier groupe soutenu par l’Etat145.

Néanmoins, les options du régime communiste roumain en matière de sexualité et


d’homosexualité se rapprochent plus du noyau intégrateur du communisme, à savoir la
version soviétique, que de la variante exceptionnelle est-allemande. Les mesures adoptées
pendant les années communistes en Roumanie arrivent à rendre les homosexuels
invisibles, imposent le silence sur la question de l’homosexualité, le tabou sur la sexualité
en général, et les prises de positions officielles vont jusqu’à nier l’existence des
homosexuel-le-s.

Fouiller les ténèbres : quelques repères d’une histoire clandestine

En nous penchant sur la période communiste146 en Roumanie, nous avons vite


constaté que retracer une histoire de l’homosexualité à cette époque marquait un terrain
bien difficile. Il faut préciser d’emblée que cette section n’a aucune prétention à
l’exhaustivité, ni à l’originalité ; aucun document inédit n’a été consulté, aucune archive
non plus. Etant donné que notre intérêt central porte sur la période post-communiste, ce
coup de sonde dans les temps communistes est partiel et assumé comme tel. Nous avons
rassemblé un certain nombre d’informations disparates, qui s’articulent pour la première
fois dans un même corpus ayant comme but de retracer les repères d’une histoire des gays

Fellowship Program 2002, Ljubljana, The Peace Institute, 2003) ou Mark CORNWALL,
« Heinrich Rutha and Unraveling of a Homosexual Scandal in 1930s Czechoslovakia », in GLQ,
Vol. 8, N° 3, Duke University Press, 2002, pp. 319 –347.
144
Neil Miller rend compte de ce fait en invoquant la position des socialistes est-allemands envers
la dépénalisation de l’homosexualité même avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir et leur soutien à
l’initiative de Magnus Hirschfeld pour abroger le paragraphe 175 du Code pénal allemand. Voir
Neil MILLER, op. cit., p. 466.
145
Nous ne devrons pas non plus exagérer cette tolérance, puisque l’homosexualité n’était pas
vraiment socialement acceptée et on assistait toujours à des discriminations et injustices envers les
homosexuels. Neil MILLER, op. cit., pp. 465-468, John PARSONS, « East Germany Faces Its
Past: A New Start for Socialist Sexual Politics », in OUT/LOOK, Summer 1989; Leslie
FEINBERG, « Forming of Gay Groups Ignites Church Struggle », in Workers World Newspaper, 2
Décembre 2004.
146
Le premier gouvernement communiste s’installe en Roumanie le 6 mars 1945 tandis que le
régime communiste est renversé en Roumanie en décembre 1989.

101
et des lesbiennes en Roumanie. Nous avons non seulement reconstitué une image -
fragmentaire, certes, mais pourtant fidèle -, de la situation des relations homosexuelles
pendant les années du communisme, mais nous entendons lancer en même temps quelques
pistes pour une éventuelle étude centrée sur cette période-là. Pour ce faire, nous avons
choisi d’aborder cet intervalle temporel selon deux niveaux : d’un point de vue formel nous
allons prendre en compte le discours juridique et la réforme touchant aux relations entre
personnes de même sexe, auquel est ajouté un angle plus concret, à savoir le répertoire
d’une sociabilité homosexuelle reconstitué à partir de documents publiés.

La réforme du Code pénal de 1968

Les informations les plus accessibles concernant l’homosexualité pendant le


communisme roumain proviennent du Code pénal, et ce même si ces informations ne sont
pas nombreuses. Si dans un premier temps on ne constate aucun changement en ce qui
concerne les provisions législatives relatives à la vie sexuelle, l’an 1968, après
l’installation au pouvoir de Nicolae Ceausescu en 1965147, est marqué par une réforme
marquante : la Grande Assemblée Nationale de la République Socialiste Roumaine révisa
entièrement le Code pénal de 1936, introduisant de nouvelles catégories d’infractions
concernant la vie sexuelle148. Alors que l’accent était mis sur les valeurs de la famille,
« cellule de base de la société », être homosexuel contrevenait ouvertement à l’idéologie de
l’Etat-parti. Des modifications au Code pénal vinrent compléter la politique
interventionniste réglementant la vie des familles, avec une section nouvelle, plus large,
concernant « les infractions contre les personnes » ; désormais « les relations sexuelles
entre deux personnes de même sexe » se rangeaient aux côtés de la « corruption sexuelle
des mineurs » ou « les perversions sexuelles commises en public ». Les peines prévues
pour ces faits étaient plus sévères, de un à cinq ans de prison, contre six mois à deux ans
dans le Code antérieur. De plus, la condition du « scandale public » était supprimée, et les
actes sexuels commis en privé entre adultes consentants devenaient un crime. Par ailleurs,

147
Après sa confirmation dans la fonction suprême du Parti, Nicoale Ceausescu est élu par la
Grande Assemblée Nationale comme président du Conseil d’Etat le 9 décembre 1967. « La
concentration du pouvoir de Parti et d’Etat dans les mains d’un seul homme est effective » affirme
Cristian BOCANCEA, La Roumanie du communisme au post-communisme, Paris, L’Harmattan,
1998, p. 51.
148
V. PAPADOPOL, I. STOENESCU, et G.V. PROTOPOPESCU (éds.), Codul Penal al
Republicii Populare Romane Adnotat, Bucarest, Editions de Stat, 1948.

102
trois paragraphes ont été ajoutés et prévoyaient des circonstances aggravantes. Dans sa
nouvelle formulation, l’article 200 du Code pénal communiste énonçait :

« Les relations sexuelles entre personnes du même sexe sont punies par une peine
de un à cinq ans de prison.
« S’il implique un mineur, une personne dans l’impossibilité de se défendre ou une
personne incapable d’exprimer sa volonté, ou s’il est le résultat de la contrainte,
l’acte décrit à l’alinéa 1 sera puni par une peine de deux à sept ans de prison.

Si l’acte décrit à l’alinéa 2 porte atteinte à l’intégrité corporelle ou à la santé de la


victime, il sera puni par une peine de trois à dix ans de prison. S’il provoque la
mort ou le suicide de la victime, il sera puni par une peine de sept à quinze ans de
prison.

Suggérer à quelqu’un ou convaincre une personne de pratiquer l’acte décrit à


l’alinéa 1 sera puni par une peine d’un à cinq ans de prison149 ».

Dans cette forme l’article 200 va perdurer dans la législation roumaine jusqu’en
1996. Il constitue la justification d’une intrusion systématique dans la vie privée, qui atteint
des formes extrêmes pendant les années 1970-1980. Il faut noter néanmoins que les
persécutions des homosexuels existaient bien avant cette réforme, celle-ci aggravant
seulement leur situation et renforçant les modalités de contrôle social.
Comme s’il suffisait que l’homosexualité soit interdite pour qu’elle disparaisse, les
rapports officiels affirmaient l’inexistence des homosexuels, de la même manière que celle
des personnes infectées par le VIH150. Mais les uns, comme les autres sont des réalités
incontestables de l’ordre socialiste roumain, malgré tous les efforts pour les faire
disparaître et en dépit de tous les mécanismes d’alignement social et de standardisation de
la vie.

149
Codul Penal cu completările, modificările i abrogările până la 2 octombrie 1992 (Le Code
pénal et ses compléments, modifications et abrogations jusqu’au 1er octobre 1992), édition par
Iulian Poenaru, sans lieu, 1992.
150
. Ce n’est qu’après 1989 que les infections du HIV sont officiellement admises et que les
autorités médicales reconnaissent l’existence des malades du sida en Roumanie. On découvre alors
de nombreux cas d’infections à travers des transfusions sanguines.

103
La vie arc-en-ciel sous l’étoile rouge : sur les traces d’une homosociabilité roumaine

Il n’existe que peu d’indices quant à une subculture homosexuelle sous le


communisme151, mais le passage du temps permettra l’ouverture d’un certain nombre de
pistes152. Si les archives judiciaires et policières représentaient les sources privilégiées
d’une investigation sur l’homosexualité pendant le communisme, un nombre de sources
secondaires commencent peu à peu à documenter le fait homosexuel : il s’agit
principalement de mémoires et confessions, surtout sous forme de journaux intimes153,
complétés par des entretiens et des témoignages154.

151
Deux personnalités pourraient constituer de bons points pour démarrer une recherche : le
musicologue George Balan (n. 1929), moins connu du public roumain puisqu’installé en
Allemagne depuis 1977 à Sankt Peter où il a fondé une école de musique. Il revient dans le paysage
publiciste roumain avec des ouvrages consacrés à la musicologie, mais aussi avec la publication de
sa trilogie sur l’homosexualité Iubirea mai presus de fire. Trilogia iubirii prigonite (L’amour au-
delà de la nature. La trilogie de l’amour opprimé), qui comprend : Iubirea interzisa (L’Amour
interdit), Chisinau, Editura Cartier, 2001, Celalalt eros (L’autre éros), Chisinau, Editura Cartier,
2001 et Homophobia (L’Homophobie), Bucuresti, Editura Maiko, 2004. Malheureusement ses
écrits ne contiennent pas de références à l’univers roumain, mais un éventuel entretien pourrait
apporter un aperçu précieux. Egalement, un entretien avec le journaliste Neculai Constantin
Munteanu (que nous avons essayé d’obtenir sans jamais recevoir une réponse à notre demande)
pourrait constituer un autre point de départ: né 1941, autoexilé en 1977 en Allemagne (l’ancienne
République fédérale à l’époque), il collabore jusqu’à nos jours à la radio Europa Libera, où
actuellement il a son propre programme intitulé Eu si cainele meu, Securitatea (Moi et mon chien,
La Securitate); c’est au micro de ce programme qu’il fait son coming out le 8 février 2007
(www.europalibera.org consulté le 10 février 2007) ; il participe le 9 avril au programme de
Robert Turcescu 100% sur la chaîne de télévision roumaine Realitatea TV où il discute également
de ce sujet. Voir également Alexandra OLIVOTTO, « Homosexual, da, turnator, niciodata »
(Homosexuel, oui, dénonciateur, jamais), in Cotidianul, le 10 avril 2007 ; Neculai Constantin
MUNTEANU, Ultimii sapte ani de acasa. Un ziarist in dosarele securitatii, (Les 7 dernières
années à la maison. Un journaliste dans les dossiers de la Securitate), Bucarest, Curtea Veche,
2007.
152
Il est intéressant de noter toute une série de noms des personnalités dont l’orientation sexuelle
ne constitue pas un secret et de remarquer également que ces noms dévoilés appartiennent tous à
des personnalités déjà décédées : Petru Comarnescu, critique littéraire (1905-1970), Alexandru
Demetriad, pianiste (1903-1983), Radu Ionescu, critique d’art (1930-2005), Crin Teodorescu,
metteur en scène de théâtre (1925-1970), George Oprescu, critique et historien d’art (1881-1969),
Stere Popescu, coregraphe ( ?- 1968), Radu Olteanu, avocat, Gabriel Popescu, danseur.
153
Nicolae BALOTA, Caietul albastru (Le Cahier Bleu), Bucarest, Editions Ideea europeana,
2007, Ion NEGOITESCU, Straja Dragonilor, Cluj, Apostrof, 1994 ; Mihai RADULESCU, Jocul
cu moartea. Insemnari, pagini de jurnal si corespondenta, 1933-1957 (Le jeu avec la mort. Notes,
pages de journal, correspondance, 1933-1957), Bucarest, Humanitas, 1999 ; Paul GOMA,
Culoarea curcubeului ’77. Cod « Barbosul », (La couleur de l’arc en ciel ’77. Code « Le barbu »),
Iasi, Polirom, 2005 ; Matei CALINESCU, Ion VIANU, Amintiri in dialog. Memorii, (Souvenirs en
dialogue. Mémoires), Iasi, Polirom, 2005.
154
Svetlana CARSTEAN, « A treia cale(II). Interviu cu Emil Hurezeanu », in Observator cultural,
N° 112, 16-22 avril 2002, Adrian NICULESCU, « Dizidenta romaneasca », in Observator cultural,

104
Deux cas seront évoqués par la suite comme deux entrées possibles dans l’univers
homosexuel et qui pourraient être exploités comme points de départ d’une recherche future
plus approfondie : le musicologue Mihai Radulescu (1919 – 1959) et le critique littéraire et
écrivain Ion Negoitescu (1921 – 1993). Les histoires personnelles de ces deux hommes,
membres de la même génération, au-delà des dissemblances incontestables, témoignent de
la plausibilité d’une chronique de la sociabilité155 gaie avant la chute du communisme ;
elles démontrent également la discrétion, la prudence, voire même le secret qui entourent
ce milieu, ainsi que le risque perpétuel inhérent à la condition homosexuelle.

Mihai Radulescu : « nous sommes vivants et des êtres humains entiers »156

Dans ce premier cas, c’est principalement à partir des écrits de Stelian Tanase157, que
la recherche sur l’univers homosexuel roumain des années 1950 pourrait prendre contour ;
historien et politologue roumain s’intéressant aux campagnes d’intimidation des
intellectuels à partir de 1958, il découvre indirectement des indices sur un important procès
collectif158 impliquant plus de vingt personnalités. Celles-ci ne constituaient apparemment

N° 113, 23-29 avril 2002, Gelu IONESCU, « Istoria, istoria… », in Observator cultural, N° 136, 1-
7 octobre 2002.
155
Notion introduite dans la sociologie allemande par Georg Simmel, utilisée aujourd’hui surtout
dans les travaux d’histoire sociale, mais également présente dans la littérature sur les mouvements
sociaux ; « la problématique de la sociabilité fait l’hypothèse de l’importance sociologique des à-
côtés de l’action collective et de leur influence déterminante dans la constitution des identifications
et des enjeux de mobilisation », voir à cet égard Gildas RENOU, « Sociabilité(s) », in Olivier
FILLIEULE, Lilian MATHIEU, Cécile PECHU (dir.), Dictionnaire des mouvements sociaux,
Paris, Presses de Sciences Po, 2009, pp. 502-510 ; Gildas RENOU, « L’institution à l’état vif.
Sociabilité et structuration des groupes dans un syndicat de salariés », in Politix, N° 63, 2003, pp.
53-77 ; Doug McADAM, Ronnelle PAULSEN, « Specifying the Relationship between Social Ties
and Activism », in American Journal of Sociology, Vol. 99, N° 3, 1993, pp. 640-667 ; Claire
BIDART, « Sociabilités : quelques variables », in Revue française de sociologie, Vol. 29, N° 4,
1988, pp. 121-149.
156
Mihai RADULESCU, Jocul… op. cit., pp. 455.
157
Stelian TANASE, Anatomia mistificarii 1944-1989 (L’Anatomie de la mystification. 1944-
1989), Bucuresti, Humanitas, 1997, 2003. L’auteur s’intéresse dans son ouvrage à l’un des procès
les plus marquants contre les intellectuels, désigné sous le nom de « Noica – Pillat », à partir des
plus importantes figures impliquées, le philosophe Constantin Noica et l’écrivain Constantin Pillat ;
Al. O. Teodoreanu, Sergiu Al. George, Alexandru Paleologu, Nicolae Steinhardt, Ar avir Acterian
sont également accusés dans ce procès et condamnés à de longues peines de prison pour « complot
contre l’ordre social ».
158
Alexandra Olivotto, dans un excellent article paru dans le journal Cotidianul, apporte plus de
détails sur ce procès, montrant que nombres de détails seraient disponibles, voir Alexandra
OLIVOTTO, « Elita gay din Romania in puscariile comuniste » (l’Elite gaie roumaine dans les
prisons communistes), in Cotidianul, 9 mai 2007.

105
pas un groupe d’homosociabilité, mais le document peut néanmoins fournir un certain
nombre de pistes pour accéder à l’univers homosexuel durant cette période. C’est à partir
de ses découvertes que nous avons eu la possibilité de mettre ensemble quelques pièces du
cas de Mihai Radulescu, tableau complété par la publication de son journal intime et des
entretiens avec son frère, Dan Radulescu, l’éditeur du journal.
Mihai Radulescu, fils de Mihai et Alice Radulescu, est né à Turin, Italie, où son père
achevait ses études d’ingénieur. La famille revient en Roumanie en 1921 et s’installe à
Braila, port sur le Danube. En 1937, la famille emménage à Bucarest, où Mihai commence
des études de droit après le lycée et satisfait le service militaire obligatoire à l’époque, en
tant qu’élève volontaire de l’Ecole d’officiers en réserve de Targoviste. Il rencontre
Constantin Noica, avec qui il entretient une relation amicale jusqu’à sa mort, et d’autres
hommes de lettres et artistes bucarestois. Il explore alors sa sexualité, qu’il considère
anormale, et il tente de comprendre son « déséquilibre organique159 » ; c’est à ce moment
qu’il connaît Irina Hanciu (Eliade), qui devient plus tard sa fiancée, une relation qui
n’aboutit pas au mariage, mais qui évolue en une étroite amitié. Il entre dans le Corps
diplomatique en 1946, mais il est démis de ses fonctions un an plus tard, quand le nouveau
ministre des Affaires étrangères, Ana Pauker, réorganise l’institution. Il est arrêté et fait
face à une enquête, tout comme d’autres diplomates, mais il est libéré sans être impliqué
dans un procès. Il réoriente ensuite sa carrière vers la musique, fait des études de violon et
est engagé à l’Orchestre de l’Opéra de Cluj en 1948. Son ami Alexandru Paleologu décrit
les années passées à Cluj comme une période bénéfique pour Mihai, qui entre dans un
monde « à la Wilde » : « il parvient à avoir le sentiment qu’il est entouré par des égaux,
que son homosexualité n’est ni épouvantable ni diabolique, qu’il n’est pas seul. Il était
dans un milieu intéressant, raffiné et cynique, où tous se permettaient de parler
ouvertement de ces choses »160 Ce n’est pas exactement l’impression qui ressort de son
journal, où il affirme même que « l’intelligentsia locale ne [l’]’intéresse plus du tout. »161
Il faut remarquer aussi qu’il ne fait pas mention ouvertement de son homosexualité, pas en
des termes explicites en tout cas, mais plutôt de son « problème », du « sujet », ou de « la
question ». Néanmoins, il évoque son histoire d’amour dévastatrice avec un certain A., une
aventure avec un certain S., qui témoignent d’un plus d’assurance personnelle par rapport

159
Mihai RADULESCU, Jocul… op. cit. p. 88.
160
Al Paleologu, in Stelian TANASE, op. cit, pp. 288-289.
161
Mihai RADULESCU, Jocul… op. cit., p. 397.

106
aux notes antérieures qui restent dans l’abstrait, qui parlent d’amour, mais très peu de
commentaires explicites. En 1951 il revient à Bucarest comme membre de l’Orchestre de
la Cinématographie. Il se lance dans la musicologie avec des interventions et programmes
à la radio, des articles et des études dans les revues musicales, des conférences ; il devient
membre de l’Union des Compositeurs roumains en 1958. Il entretient une vive
correspondance avec Noica (assigné à domicile à Campulung), et est au centre d’une vie
culturelle riche, organisant chez lui des rencontres autour d’une lecture ou d’une audition,
occasions de socialiser et d’échanger, de faire de nouvelles connaissances162. Les pages de
son journal gardent très peu de notes de cette période. Le 7 mai 1959, il est arrêté et
impliqué dans un procès collectif : plus de vingt intellectuels homosexuels sont condamnés
à des peines de deux à cinq ans de prison. Le 22 septembre, Mihai est condamné à 5 ans,
mais au lieu d’être transféré vers le pénitencier, il est envoyé à Malmaison, un autre lieu
d’enquête. Il meurt quelques jours plus tard, le 31 octobre.

L’hypothèse avancée par Stelian Tanase considère ce procès comme politique et non
pas de mœurs ; l’auteur le met en relation avec les campagnes d’intimidation des
intellectuels, suggérant que l’inculpation pour délit de mœurs n’était qu’un instrument, un
outil d’intimidation, pour répandre la peur et submerger tout esprit libre: « Vers la fin des
années 1950, le régime communiste lance une vague de répression. Après le départ de
l’Armée rouge, Gheorghiu Dej se propose de démontrer à Moscou qu’il est capable de
contrôler la situation. Après la révolution de Budapest deux ans auparavant, il a toutes les
raisons pour être inquiet. Les victimes sont les anciennes élites, des hommes politiques
libérés entre 1954 et1956, des représentants de l’ancienne bourgeoisie, déjà détruits
économiquement à la fin des années 1950. Mais les cibles préférées sont les intellectuels. A
Budapest, c’est les intellectuels qui ont joué le rôle de ‘moteur’ de la révolte. […] Le
régime préférait souvent utiliser d’autres prétextes pour condamner. […] C’est aussi le
cas de Mihai Radulescu, arrêté le 7 mai 1959 »163. Nombre de personnes proches de
l’affaire, interviewées par Tanase, confirment cette supposition : Alexandru Paleologu,
Irina Eliade, C. Visinescu, son avocat dans le procès, Dan Radulescu, son frère, tous
mettent au premier plan le poids politique de ce procès.

162
Nicolae Balota décrit dans son journal l’une de ces rencontres chez Mihai Radulescu du 12 avril
1955. Nicolae BALOTA, op. cit. pp. 513-514.
163
Stelian Tanase, « Postfata », in Mihai RADULESCU, Jocul… op. cit. , pp. 479-482.

107
Nous ne sommes pas en mesure de confirmer ou infirmer cette hypothèse ; mais nous
estimons que le cas de Radulescu est rendu encore plus compliqué par les relations
d’amitié que celui-ci entretenait avec Constantin Noica et d’autres personnes impliquées
dans ce procès. Les investigations réalisées par Stelian Tanase montrent clairement
l’intention des enquêteurs d’impliquer Radulescu dans ce dernier cas164. Compléter ces
résultats avec d’autres témoignages, d’autres journaux intimes et mémoires, d’autres
entretiens avec les familles ou les amis des personnes impliquées dans le procès politique
aux allures de procès de mœurs pourraient confirmer cette hypothèse.
Quant au cas spécifique de Mihai Radulescu, une recherche qui mettra l’accent sur
son procès de mœurs pourrait déterminer si son homosexualité a été utilisée contre lui, ou
plus généralement comment l’homosexualité pouvait être utilisée comme un instrument
politique ; une piste à explorer serait une éventuelle proposition de collaboration avec la
Securitate dans le procès Noica – Pillat, qui lui aurait permis la diminution de sa peine
prescrite dans le procès de mœurs, voire même son annulation165, technique qui s’avère
opérationnelle, comme nous allons le voir, dans un autre cas.
Qui sont les autres personnes accusées d’homosexualité ? Retracer leurs récits de vie
serait une pièce fondamentale dans une recomposition éventuelle de l’univers homosexuel
roumain des années 1950. Suivre leurs parcours, assembler la carte de leurs réseaux
sociaux, décrypter les lieux de sociabilité, donneraient la chance non seulement de
reconstituer le tableau de la vie homosexuelle d’un segment privilégié de la société, les
intellectuels, mais également d’étendre l’étude au-delà de l’univers intellectuel, en incluant
d’autres niveaux de la société et d’autres facettes de la vie homosexuelle à cette époque.
Cette approche représente d’ailleurs un sujet de recherche pertinent et intéressant que
nous aimerons examiner après avoir conclu ce travail, qui pourrait compléter et élargir les
connaissances sur la période communiste et mettre au jour des aspects méconnus de la vie

164
Tanase retrouve seulement trois comptes-rendus des enquêtes de Radulescu à Malmaison, du
12, 13 et 24 octobre ; il soupçonne que d’autres pages manquent. La mort de Radulescu reste un
mystère pour Tanase : les différentes explications varient entre le suicide (la variante officielle et
celle de son avocat) ou l’assassinat par torture (soupçonnée par son frère ou d’autres membres don
son entourage).
165
Cette direction de recherche est suggérée par Petre Sirin, ami de Mihai Radulescu : « Lorsqu’il
était enquêté dans le procès de mœurs, il a été contacté au moins deux fois par des représentants
de la Securitate, qui lui ont fait comprendre que ces investigations étaient totalement mineures, et
que cette enquête infamante lui serait épargnée, au cas où il acceptait de collaborer dans des
investigations beaucoup plus importantes, à savoir l’activité subversive du groupe de Noica » Petre
Sirin, cité par Stelian Tanase, Anatomia…, op. cit., p. 281.

108
quotidienne sous le communisme et l’articulation des rapports sociaux et des relations de
pouvoir.
Sans tenter une périodisation du régime communiste, nous nous tournons à présent
vers la deuxième moitié de l’époque communiste, qui se situe, comme nous l’avons noté,
sous l’empreinte de l’article 200 du Code pénal, article spécialement créé pour réglementer
les relations homosexuelles.

Ion Negoitescu : « pédéraste du même genre que Gide ou Cocteau »166

La figure de l’écrivain et critique littéraire Ion Negoitescu s’impose comme un cas


sinon illustratif, certainement incontournable, puisqu’il est le seul personnage de la vie
intellectuelle roumaine de l’époque à avoir publiquement affirmé son homosexualité et à
l’avoir vécue ouvertement, l’assumant comme un attribut de sa personnalité excentrique et
controversée. Son autobiographie, commencée mais pas accomplie, est parue en Roumanie
en 1994167, événement qui lui assure pour longtemps le statut de figure publique singulière
dans le paysage roumain. L’originalité de cet écrit ne se limite pas à l’affirmation et
l’exploration de son homosexualité, mais elle réside aussi dans son caractère explicite et
nu : « Même si elle commence sous des auspices goethéennes, elle est probablement la
seule biographie roumaine conçue dans l’esprit d’une totale sincérité rousseauiste.
Personne n’a eu le courage auparavant d’une confession tellement directe et honnête,
d’autant plus que son auteur a été un pédéraste du même genre que Gide ou Cocteau, mais
dans un pays qui était loin d’être libéré de préjugés sexuels, même pendant l’époque
postcommuniste »168.
Si les publications surtout culturelles parues depuis le commencement des années
1990 comportent plus de références à la vie et l’activité de Negoitescu169 qu’à celles de
Radulescu, il n’est pas moins juste de remarquer que les informations ne sont que peu
substantielles, les différentes histoires invoquant le même point critique, l’année 1977. Le

166
Portrait de Negoitescu évoqué par le critique littéraire Nicolae Manolescu, Nicolae
MANOLESCU, Istoria critica a literaturii romane. 5 secole de literatura (Histoire critique de la
littérature roumaine. 5 siècles de littérature), Pitesti, Paralela 45, 2008. p. 920.
167
Ion NEGOITESCU, Straja dragonilor, op. cit.
168
Nicolae MANOLESCU, op. cit. p. 920.
169
Lettre Internationale, hiver 1993-1994, Dilema, N° 100, 1994, N° Observator cultural, N° 112,
2002, Romania literara, N° 8, 2005.

109
compte-rendu de son œuvre et de sa vie réalisé par Alex Stefanescu170 nous fournit plus de
repères pour esquisser ce cas ; les deux volumes du journal Caietul albastru de Nicolae
Balota171, l’un des amis de Negoitescu, comprennent également beaucoup de détails sur sa
vie.
Né le 10 août 1921 à Cluj, fils de l’officier Ioan Negoitescu et de Lucretia, Ion
Negoitescu suit des études dans un lycée de sa ville natale, période qui correspond à
l’affirmation de son homosexualité, découverte très tôt et racontée à son professeur de
littérature, dans un exposé préparé pour la classe172. Il commence ses études universitaires
en 1941 toujours à Cluj, à la Faculté des Lettres et de Philosophie, mais l’institution est
déplacée à Sibiu pendant la guerre. Il devient membre du groupe littéraire Cercul de la
Sibiu, aux côtés de Radu Stanca, I. D. Sarbu, Stefan Aug. Doinas, Nicolae Balota,
notamment, et s’occupe de la revue de ce groupe, Revista cercului literar. Rentré à Cluj à
la fin de la guerre, il essaie de mettre sur pieds une revue littéraire, Euphorion. Il disparaît
du paysage publiciste pendant une longue période. Il occupe à un moment donné un poste
de bibliothécaire à la filiale de Cluj de l’Académie roumaine, pour y revenir vers 1956
avec des chroniques littéraires surtout dans les revues Viata romaneasca et Caiete critice.
Ses idées ne sont pas bien reçues, les critiques véhiculées dans le journal Scânteia
l’accusent de « porter atteinte aux fondements de la littérature socialiste », il est exclu de
l’Union des Ecrivains, et les attaques culminent en 1961 avec son arrestation et sa
condamnation à 5 ans de prison assortie de la confiscation de ses biens pour « complot
contre l’ordre social ». Libéré en 1964173, il reprend son activité éditoriale en tant que
rédacteur de la revue Luceafarul (1965-1967) et Viata romaneasca (1968-1971). Il est reçu
comme membre de l’Union des Ecrivains et son volume de critique littéraire Poezia lui
Eminescu (La Poésie d’Eminescu), rédigé à partir de 1953, a pu finalement paraître en
1967, mais d’autres volumes sont censurés et leur publication refusée. Plusieurs tentatives
de suicide ponctuent son existence, entre autres le 23 août 1974 (date symbolique de la fête
nationale sous le régime communisme, célébration de la « victoire contre le fascisme »),
choisie pour protester contre l’interdiction de publier, mais aussi en 1977, après avoir été

170
Alex STEFABESCU, « Ion Negoitescu », in Romania literara, N° 13, 2001, pp. 12-13.
171
Nicolae BALOTA, op. cit.
172
Ion NEGOITESCU, Straja dragonilor, op. cit.
173
Le 11 avril 1964, par le décret 176/1964, selon Stelian TANASE, Anatomia… op. cit., p. 299.

110
enquêté par la Securitate suite à son adhésion à la protestation de Paul Goma174. C’est
d’ailleurs un épisode souvent invoqué pour illustrer l’instrumentalisation politique de
l’orientation sexuelle par les services secrets roumains.
Sans entrer dans les détails de cet épisode, il convient de rappeler les points
principaux : après la Déclaration de la Charte 77 en Tchécoslovaquie, l’écrivain Paul
Goma décide de lancer une forme d’adhésion roumaine à ce proteste ; il rédige alors, à titre
personnel, une lettre adressée à Pavel Kohout, mais le document principal prend la forme
d’une lettre ouverte adressée à la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe
réunie à Belgrade, qui réclame que le régime de Ceausescu respecte les droits de l’Homme
affirmés lors de la Conférence de Helsinki. Signée dans un premier temps par 8 personnes,
suite à sa médiatisation par la chaîne de radio Europa libera, la lettre en arrive à compter
200 signatures le 1er avril, date à laquelle son promoteur est arrêté par la Securitate175 ;
néanmoins, seulement deux autres personnes publiques rejoignent Goma dans cette
protestation, à savoir Ion Negoitescu et le psychiatre Ion Vianu176.
L’homosexualité de Negoitescu était bien connue, l’écrivain ne la contestait pas, il
n’essayait pas de la cacher non plus. Emil Hurezeanu, son ami et son exécuteur
testamentaire, décrit cet aspect de sa personnalité et les interprétations déformées dont il se
faisait victime : « Negoitescu était une star, d’un charisme irrépressible. De plus, il était
une personne d’une honnêteté intellectuelle et humaine extrêmement séduisante. Il avait
beaucoup de jeunes admirateurs, des beaux, des laids, des garçons, des filles, qui ne
voulaient pas être homosexuels et qui ne sont pas devenus homosexuels en fréquentant
Negoitescu. La grande faute a été d’assumer qu’il devait séduire chaque garçon qui
rentrait dans sa maison177 ».

174
Pour les détails de ce proteste voir Paul GOMA, Culoarea… op. cit, Voir également Lucia
DRAGOMIR, L'Union des Ecrivains. Une institution littéraire transnationale à l'Est : l'exemple
roumain, Paris, Belin, 2007.
175
Goma est arrêté le 1 avril 1977, violemment battu et torturé pendant l’enquête et finalement
libéré un mois plus tard, le 6 mai, suite à la campagne internationale de médiatisation lancée par la
Radio Free Europe. Il quitte la Roumanie et s’installe à Paris avec sa femme et son fils.
176
Ion Vianu (n. 1934), psychiatre. Après avoir adhéré à la protestation de Goma, il quitte la
Roumanie pour s’installer en Suisse ; militant pour les droits de l’Homme et dénonciateur des abus
de la Securitate dans les cliniques psychiatriques, il est membre de l’Association internationale
contre les Abus politiques en Psychiatrie, devenue Geneva Initiative on Psychiatry. Il publie des
articles médicaux, collabore à la radio Free Europe ainsi qu’aux revues La Nouvelles Alternative,
Lettre internationale, Dilema. Il retourne vivre en Roumanie en 2003.
177
Emil Hurezeanu dans une interview avec Svetlana Carstean, art. cit. « A treia cale(II). Interviu
cu Emil Hurezeanu », in Observator cultural, N° 112, 16-22 avril 2002.

111
Passée de vue ou tolérée, l’homosexualité de Negoitescu devient vite un outil à la
portée de la Securitate : arrêté après avoir adhéré à la protestation de Goma, il est interrogé
brutalement et menacé avec un procès de mœurs, risquant jusqu’à 5 ans de prison. Mais la
Securitate lui offre le pardon contre le reniement de sa position hostile au régime. Il finit
par accepter l’échange, et il écrit un texte favorable à la politique culturelle du régime
communiste, article publié dans la revue Romania literara178. Il négocie également un
passeport et le droit de voyager, et ne tarde pas à quitter la Roumanie (d’abord en 1979,
pour une festival de poésie en Belgique, puis avec d’autres bourses et financements
extérieurs), pour s’installer finalement à Munich en 1983. Il est décédé en 1993.
Examiner de plus près l’univers de Negoitescu pourrait ouvrir une piste d’accès
généreuse à l’univers homosexuel roumain, surtout pendant les années 1970. Son style de
vie, le fait qu’il assumait ouvertement son orientation, pourrait nous fournir nombre
d’indices sur la vie homosexuelle à l’époque. Cette possibilité est heureusement toujours
ouverte : Negoitescu laisse un journal qui apparemment est écrit dans le même esprit de
sincérité que son autobiographie et qui ne fait pas l’économie des détails de sa vie privé :
« c’est le journal d’une personne qui doute, mais qui inscrit son homosexualité dans
l’ensemble de sa personnalité »179. Cette parution n’interviendra cependant que dans
quelques années, la publication étant soumise à une clause exigeant expressément qu’un
délai de 30 ans soit respecté avant la parution, à savoir jusqu’en 2023.

Dans les pages précédentes nous avons invoqué deux figures de l’univers intellectuel
roumain qui ont poursuivi un style de vie dont l’homosexualité faisait partie intégrante ; à
partir de telles personnalités publiques180 nous pouvons imaginer une exploration plus
systématique du sujet. Nous notons également que, malgré l’opacité et le mystère qui

178
Voir Ion NEGOITESCU, In cunostinta de cauza. Texte politice, Cluj, Dacia, 1990 ; Matei
CALINESCU, Ion VIANU, Amintiri… op. cit.
179
Emil Hurezeanu in art cit.
180
L’énumération antérieure pourrait être élargie à d’autres noms, par exemple : l’écrivain Rudi
Schuler (qualifié par Manolescu d’« uraniste comme Negoitescu »), Edouard Motas (ami de Mihai
Radulescu et d’Irina Eliade ; cette dernière décrit sa rencontre avec Motas à Munich dans un
entretien avec Stelian Tanase), le danseur Dumitru (Trixy) Checais, (condamné à des travaux
forcés en raison de son orientation sexuelle); la traduction en roumain de l’ouvrage de Paul Russell
offre aussi quelques pistes : le metteur en scène Petre Sirin, mais aussi Gabriel Negry ou Edi
Radeanu, vraisemblablement partenaires de Petru Comarnescu. Voir Paul ROUSSELL, Cele mai
influente 100 persoanalitati gay, (Les 100 personnalités gaies les plus influentes) traduit par
Mihnea Gafita, Pitesti, Paralela 45, 2004.

112
caractérisent le sujet de l’homosexualité, il se dévoile plus facilement dans les milieux
artistiques ; cela ne devrait pas occulter l’exploration des comportements homosexuels aux
autres niveaux de la société181. La période communiste, le temps de l’interdit et du
contrôle, s’entrevoit comme un âge noir pour les relations homosexuelles de manière
générale. Jusqu’à la réalisation d’une recherche plus poussée dédiée à ce sujet, nous
pouvons seulement souligner quelques touches qui, même si sommaires, restent fidèles à la
réalité.
L’intrusion dans la vie privée et l’atteinte aux libertés personnelles sont devenus des
lieux communs lors de l’évocation des abus communistes. Le contrôle social, les
procédures d’uniformisation de la société, la construction de « l’homme nouveau » mettent
à profit des moyens aberrants qui vont de la surveillance des activités sexuelles, à travers
l’exploitation de tout comportement en dehors de la norme comme instrument de chantage,
jusqu’à la dissimulation des incriminations politiques sous l’étiquette de crimes civils.
Afin de se mettre à l’abri et protéger leur vie privée, pour contrecarrer l’intrusion
dans leurs choix personnels et pour éloigner les soupçons, beaucoup d’homosexuels
choisirent de mener une double vie, se dissimulant sous le masque de la famille
conventionnelle, et abandonnèrent l’espoir de poursuivre des relations homosexuelles,
difficiles et surtout dangereuses, dans le cadre privé. Les rencontres homosexuelles se
déroulaient de préférence dans des endroits publics, des gares ou des parcs, autour des
toilettes publiques, dans l’espoir d’échapper à la surveillance, sous le couvert de
l’anonymat. De l’autre côté, une solution plus heureuse, mais pas très souvent accessible,
fut l’exil ; nombre d’homosexuels choisirent de quitter un pays où leur orientation sexuelle
était synonyme de perversion, de crime, de débauche et d’anormalité.
Tous les homosexuels n’ont pas choisi de se cacher, de vivre des vies doubles ou de
quitter le pays. Assumer une orientation sexuelle autre que la norme correspondait à courir
non seulement le risque de la prison, mais aussi celui du harcèlement et du chantage : les
personnes connues comme homosexuelles « bénéficiaient » de la protection de la police à
condition de fournir des informations sur leurs partenaires, leurs connaissances, voisins ou
collègues. Une fois découverts, les homosexuels pouvaient continuer à garder le secret sur
leur orientation sexuelle au prix de leur collaboration future avec la police. Effrayés par les

181
Une entrée intéressante de ce point de vue est offerte dans le rapport Public Scandals. Sexual
Orientation and Criminal Law in Romania, où, dans une section très courte, il décrit quelques traits
de la vie homosexuelle pendant le communisme et reprend des fragments d’interviews avec des
victimes de l’article 200 avant 1989; voir Public Scandals…,. op. cit. pp. 13-17.

113
conséquences que ces révélations auraient pu avoir sur leur vie publique, par les sanctions
sociales que le dévoilement de leur homosexualité aurait pu entraîner, nombre
d’homosexuels finirent par collaborer avec la police182.
Mais cela ne représente en rien un traitement réservé aux homosexuels, manifestes ou
inavoués : les structures de surveillance vont jusqu’à la fabrication des fautes, des preuves
et des témoignages et l’accusation d’homosexualité pouvait servir pour couvrir des
arrestations et des interrogatoires politiques. Le chantage et l’envoi en prison, surtout
pendant les années du régime de Ceausescu, sous couvert de l’article 200, furent
abusivement utilisés comme instrument d’intimidation ou comme un outil effectif contre
les dissidents politiques183. L’accusation d’homosexualité, tout comme celle de vol de
biens publics, d’abus de pouvoir ou de relations avec des étrangers servirent à couvrir les
arrestations de personnes ayant des vues contraires à l’idéologie officielle.
Les abus ne s’arrêtent pas là : les interventions des autorités n’ont même pas toujours
eu besoin de preuves, ni de justifications, de simples soupçons ou des dénonciations
suffisaient pour que la Securitate organise des descentes au domicile des individus et opère
des arrestations. Arrivés au bureau de police, les suspects, battus et maltraités, étaient
forcés de signer des déclarations soutenant qu’ils avaient entretenu des relations
homosexuelles ; les interrogatoires visaient aussi à découvrir les noms d’autres personnes
impliquées dans de telles pratiques184. L’opprobre social, le déchirement de la famille, les
sanctions professionnelles brisaient la vie des homosexuels, avec parfois des conséquences
tragiques, comme le suicide.
Considérés comme « inexistants » dans les rapports officiels, les homosexuels
devaient être tenus à l’écart de la société ; cela ne signifie pas que la vie homosexuelle ait
été altérée jusqu’à la faire disparaître complètement. Une certaine sociabilité a continué à

182
Public Scandals… loc. cit.
183
« Etant donné qu’Amnesty International et d’autres organisations ne reconnaissaient pas à
l’époque les condamnés pour cause d’homosexualité en tant que prisonniers de conscience, les
personnes suspectes ou considérées déloyales au système pouvaient être arrêtées sous l’incidence
de l’article 200, sans attirer l’attention de la communauté internationale, ce qui permettait de
maintenir les apparences du respect des droits de l’homme. » ; voir le rapport Scandaluri publice,
op. cit., pp. 13. Voir aussi le cas des 6 protestataires de confession néo-protestante menacés par un
procès sous l’article 200 relaté dans Comisia Prezidentiala pentru Analiza Dictaturii comuniste in
Romania. Raport final (Commission présidentielle pour l’Analyse de la Dictature communiste de
Roumanie, Rapport final), Bucarest, 2006, pp. 378.
184
Des descriptions succinctes des méthodes d’intervention de la police se retrouvent dans le
rapport Public Scandals…,. op. cit. p. 13-17 ; le rapport comprend des fragments d’interviews avec
des inculpés.

114
subsister, dans des formes précaires, certainement, plutôt sous le voile de l’anonymat,
comme des pratiques sexuelles secrètes, et surtout dans des espaces publics, comme les
lieux de dragues classiques, les parcs où les toilettes publiques. Nous rejoignons
l’observation de Scott Long, qui met en évidence le contenu du savoir commun dans les
« subcultures homosexuelles urbaines » : à son avis, les liens de sociabilité homosexuelle
tournent autour de l’apprentissage des moyens de survie, c'est-à-dire se dérober à la
surveillance, échapper au chantage et éviter l’arrestation185. Pour soutenir cette remarque
Long invoque le pourcentage beaucoup plus élevé des jeunes (moins de 25 ans) arrêtés par
la police pour relations homosexuelles par comparaison aux plus âgés. Il infère que
l’explication de ce fait réside dans un processus d’apprentissage qui nécessite
l’expérience ; les jeunes sont beaucoup plus vulnérables puisque « [they] may not have
been integrated into those rudimentary communities long enough to have learned the
available folk wisdom about avoiding getting cought186 ». Comme cet auteur, nous
estimons nécessaire une ethnographie de ce savoir populaire concernant la survie, une
piste que nous considérons ouverte pour une exploration future de ce sujet187.
Dans un premier temps, influencée par la législation française, la législation
roumaine ne prévoyait pas de mesures répressives pour les relations entre personnes du
même sexe. Cela change après 1936 et à partir de 1968 les relations homosexuelles sont
clairement mises en hors-la-loi avec la publication de l’article 200 du Code pénal, qui
interdisait les relations homosexuelles entre adultes consentants, même en privé.
Si la « Ville des Lumières » avait toujours fasciné les milieux intellectuels roumains
et faisait office de modèle et de source d’inspiration, en particulier durant l’entre-deux-
guerres, « le Petit Paris » bucarestois ne garde pas beaucoup de traces d’une vie
homosexuelle. L’absence d’informations sur les milieux gays et lesbiens durant cette
185
« […] very small gay male subcultures managed to develop in major cities. […] gays
elaborated a corpus of knowledge about preventing, or surviving, blackmail and arrest », Scott
LONG, Gay and lesbian movements… art. cit., pp. 243.
186
Scot LONG, art. cit., pp. 261
187
Laud Humphreys, sociologue américain, avait entrepris une enquête ethnographique sur les
relations homosexuelles anonymes dans les toilettes publiques, avec laquelle il a reçu un doctorat à
l’Université de Washington en 1968. Sa recherche, publiée aux Etats-Unis en 1970, a soulevé
beaucoup de critiques, surtout du point de vue de sa méthode. Voir Laud HUMPHREYS, Tearoom
Trade. Impersonal Sex in Public Places, Chicago, Aldine, 1970, traduit en français Le commerce
des pissotières. Pratiques homosexuelles anonymes dans l’Amérique des années 1960, Paris, La
Découverte, 2007. Pour les détails de la controverse, voir Eric FASSIN, « De l’archéologie de
l’homosexualité à l’actualité sexuelle, Préface », in Laud HUMPHREYS, Le commerce, op. cit.,
pp. 5-10, et Henri PEREZ, « Une nouvelle approche de la déviance. Postface à l’édition
française », in ibidem, pp. 189-199.

115
période est peut-être une conséquence des années de révisions et de réévaluations de
l’histoire durant la période communiste. Toujours est-il que les preuves quant à l’existence
d’une subculture homosexuelle – publications, spectacles, lieux de rencontre - nous font
aujourd’hui défaut. Les sources médicales, littéraires ou autobiographiques n’apportent que
peu de renseignements. Les archives judiciaires et policières sont sans doute les plus
riches : un examen systématique des statistiques judiciaires, de comptes rendus des procès
d’homosexuels, des procès verbaux de la police pourrait donner sinon une image complète,
du moins un tableau plus exhaustif que celui dressé dans les pages antérieures
Pour finir, nous retenons que la question de l’homosexualité est entourée par le tabou,
que les instances où les homosexuels sont présents dans la société roumaine communiste
sont décidément liées à la criminalité ; l’emprisonnement, l’humiliation, l’emploi du
« stigmate » comme instrument de chantage associé à une orientation sexuelle qui n’était
pas « normale » représentaient les manières d’adresser l’homosexualité avant 1989. Mais
le fonctionnement du système n’est pas sans fissure : à un certain niveau des personnes
homosexuelles ont réussi à déjouer le contrôle et à trouver des solutions pour subsister,
comme partout et en tous temps. Toujours est-il que davantage d’efforts sont nécessaires
pour mettre en lumière les imbrications de cet univers. Remarquons également que
l’homosexualité n’était qu’un petit morceau d’un ensemble plus large, la sexualité,
instrumentalisée par le pouvoir dans les mêmes buts : la régulation, l’uniformisation, le
contrôle.

B. « Le totalitarisme est allé jusque dans l'utérus ! »188

S’intéressant à la vie privée durant les années du communisme, le chercheur qui


voudrait recueillir des informations sans procéder personnellement à une recherche
élaborée et exhaustive sur le sujet tourne son attention vers les travaux déjà accomplis. Au
premier abord, les idées ressortant des analyses disponibles renvoient à quelques traits de
la société roumaine, à savoir le paternalisme et le patriarcat, l’appropriation de la vie privée
des individus par le régime communiste, le contrôle social, les politiques
interventionnistes, les répressions. Tellement célèbres dans l’imaginaire commun, les

188
Mihaela Miroiu, dans une interview à Iulia Hasdeu, « En Roumanie le féminisme académique a
un ascendant sur le féminisme militant », in Nouvelles questions féministes, Vol. 23, N° 2,
Antipodes, 2004, pp. 88-96.

116
projets d’ingénierie sociale destinés à la régulation sociale, à l’homogénéisation des
individus, à la création de l’homme nouveau asexué où à l’expansion démographique
restent tout aussi vagues en ce qui concerne leurs implications concrètes.
Si nous cherchons des analyses plus nuancées, qui dépassent les clichés habituels, des
travaux qui vont au-delà du discours public et de l’idéologie, quelques études
d’anthropologie189 mais surtout des études suivant la perspective de la construction
politique du genre190 nous offrent une image beaucoup plus détaillée et plus parlante des
réalités sociales. Dans l’ouvrage de Gail Kligman, La Politique de la duplicité, les
mécanismes politiques du contrôle de la reproduction191 pendant les années Ceausescu
deviennent le miroir de la vie quotidienne ; grâce à son analyse, nous disposons
aujourd’hui d’une image très éloquente des conséquences du contrôle politique sur les
aspects les plus intimes de la vie en couple, d’autant plus suggestive qu’elle couvre
simultanément plusieurs niveaux de la réalité, renforcés par la confrontation avec
l’expérience subjective. Nous découvrons alors une autre dimension de la politique
interventionniste, non seulement exprimée dans les nombres, même si ceux-ci sont

189
Liviu CHELCEA, Puiu LATEA, Romania profunda in comunism. Dileme identitare, istorie
locala si economie secundara la Santana (La Roumanie profonde pendant le communisme.
Dilemmes identitaires, histoire locale et économie secondaire à Santana), Bucarest, Nemira, 2000 ;
Aurora LIICEANU, Nici alb, nici negru. Radiografia unui sat romanesc, 1948-1998 (Ni blanc, ni
noir. La radiographie d’un village roumain, 1948-1998), Bucarest, Nemira, 2000.
190
A titre d’exemple : Susan GAL, Gail KLIGMAN, Politicile de gen in perioada socialista. Un
eseu istoric comparativ, Iasi, Polirom, 2003 (édition originale : The Politics of Gender after
Socialism, Princeton University Press, 2000) ; Laura GRUNBERG, « Women’s NGOs in
Romania », in Susan GAL, Gail KLIGMAN (éds.), Reproducing Gender…op. cit., pp. 307-336;
Laura GRUNBERG, Mihaela MIROIU (éds.), Gen si societate. Ghid de initiere (Genre et société.
Guide d’initiation), Bucuresti, Alternative, 1997 ; Ionela BALUTA, Ioana CIRSTOCEA (éds.),
Directii si teme de cercetare in studiile de gen din Romania, Bucarest, Colegiul Noua Europa –
Ecole Doctorale en Sciences Sociales, 2003 ; Mihaela MIROIU, Mircea MICLEA, R’Estul si
Vestul (Le R’Est et l’Ouest), Iasi, Polirom, 2005.
191
Le décret 770 de 1966 interdisait l’avortement aux femmes de moins de quarante ans qui
n’avaient pas encore donné naissance à quatre enfants. De plus, même si la contraception n’était
pas officiellement prohibée, il était matériellement impossible d’y avoir accès, la pilule et le stérilet
restant inaccessibles. La fermeture des frontières empêchait d'aller avorter à l'étranger. Le décret
770 fut parmi les premières lois à être abrogées après la chute du régime de Ceausescu. Les
conclusions d’une autre étude, portant cette fois-ci sur les pratiques sexuelles et la reproduction
après 1989, apportent au premier plan une vision des femmes sur l’avortement en tant que l’un de
« leurs droits » qui a été payé avec de nombreuses vies, une « récompense », « la seule bonne chose
que la démocratie a apporté aux femmes ». Adriana BABAN, « Women’s Sexuality and
Reproductive Behaviour in Post-Ceausescu Romania: A Psychological Approach », in Susan GAL,
Gail KLIGMAN (éds.), Reproducing Gender. Politics, Publics, and Everyday Life after Socialism,
Princeton, Princeton University Press, 2000, pp. 225-255.

117
choquants192, mais dans ses conséquences sur le rapport au corps et à la sexualité, au sexe
opposé, au plaisir et à l’éducation sexuelle de la jeune génération.
Dépourvus de tout moyen de contraception193, dans une logique où la sexualité est
réduite à sa fonction reproductrice et dans les conditions où donner naissance à un autre
enfant signifiait rendre encore plus difficiles les conditions de vie de la famille, les
Roumains ont quasiment fait disparaître le plaisir, le remplaçant par la peur, la honte ou le
désespoir. Le sexe opposé devient presque l’ennemi, surtout pour les femmes qui sont
beaucoup plus touchées par les effets d’une grossesse non souhaitée que les hommes,
perçue comme une source de malheur, de risque, de mort même ; dans ce registre, la
ménopause est attendue comme un soulagement. Pour reprendre l’exclamation de Mihaela
Miroiu, philosophe roumaine promotrice du féminisme dans le milieu universitaire du
pays, « Même nos facultés reproductives et même notre érotisme étaient contrôlés par
l'Etat. Le totalitarisme est allé jusque dans l'utérus ! »194
La législation sur l’avortement est complétée par d’autres mesures qui participent à
rendre l’attitude générale envers la sexualité encore plus grotesque, telles que la sur-
taxation des célibataires, l’allocation de primes pour les mères de familles nombreuses,
l’interdiction des relations extraconjugales, et par conséquent le risque pour toute femme
ayant eu des activités sexuelles illicites d’être accusée de prostitution.
Le climat général en ce qui concerne les relations sexuelles est dominé par le négatif,
par l’angoisse et surtout par le malentendu et la méconnaissance. En effet, le discours
officiel est non seulement très pauvre, mais quand nous retrouvons des publications qui
192
Dans un premier temps le taux de fécondité monte rapidement et dès 1969 le taux d'un million
de naissances supplémentaire est atteint. Mais très rapidement l'avortement illégal se développe,
malgré les mesures dures contre cette pratique (la détection systématique des femmes enceintes par
des contrôles gynécologiques obligatoires exécutés sur le lieu de travail, l’interdit de soigner les
femmes blessées à cause d'une intervention clandestine tant qu'elles n'ont pas dénoncé leur
avorteuse, etc.), ce qui entraîne une croissance du taux de mortalité maternel. A la chute du
dictateur on a estimé que le décret 770 avait entraîné une surnatalité de 2 millions d'enfants, mais il
avait également entraîné la mort de plus de 11 000 femmes.
193
Les contraceptifs et les préservatifs n’étaient pas disponibles sur le marché ; il était quand même
possible des les acheter sur le marché noir et la population y a eu recours ; cela implique donc qu’il
n’y avait pas de conseil médical quant à la concentration hormonale des pilules, aux interactions
avec les antibiotiques, la cigarette ou autres; d’ailleurs les contraceptifs oraux avaient une
réputation très négative : cancérogène, cause d’infertilité, etc.
194
Mihaela Miroiu, dans une interview de Iulia HASDEU, art. cit. (« En Roumanie le féminisme
académique a un ascendant sur le féminisme militant », in Nouvelles questions féministes, Vol. 23,
N° 2, Antipodes, 2004, pp. 88-9). Elle utilise des termes comme « obligation [matrimoniale] et
risque » pour décrire le sexe avant 1989, voir Mihaela Miroiu, Mircea MICLEA, R’Estul si vestul…
op. cit. Mihaela Miroiu s’impose comme « la figure proue du féminisme post-communiste en
Roumanie », voir Ioana CIRSTOCEA, Faire et vivre… op. cit., pp. 51-77.

118
osent aborder le sujet de la sexualité195, le récit est rarement scientifique, mais
propagandiste et idéologisant, déclarant saine la seule sexualité dans le cadre du mariage ,
le tout décrit dans des formules euphémistiques.
La situation est désastreuse en ce qui concerne l’éducation sexuelle : quasi-
inexistante à l’intérieur des familles, elle l’est tout autant dans les écoles, où tout est limité
à une présentation de quelques vagues éléments de biologie des sexes, dans le cadre des
classes d’anatomie enseignées au lycée ; parfois des cadres médicaux, souvent lors de
sessions séparant garçons et filles, apportent un complément aux informations tronquées
des manuels scolaires, portant sur les maladies sexuellement transmissibles, plutôt dans des
établissements urbains que ruraux néanmoins, où même les heures consacrées à la
reproduction peuvent être employées pour approfondir une autre matière, considérée
comme « plus importante ».
Si on ajoute à cette image, le manque généralisé de matériel comportant un contenu sexuel
ou érotique196, qu’il s’agisse de magazines masculins, de photos, de films197, le tableau a
quelque chose de surnaturel.
Nous pourrions conclure à ce sujet, suivant Adriana Baban, que « [t]hrough a
combination of traditional cultural attitudes, communist ideology and a hypocritical
morality, sexuality has not been a part of public discourse in Romania. Considered vulgar
and associated primarily with procreation, sexuality was at best an ‘absent presence’ »198.

195
Par exemple Ioan VINTI, Sfaturi pentru tinerii casatoriti (Conseils pour les jeunes marriés),
Bucarest, Medicala, 1975, rééditée en 1984 ; Valentina LICIU, Pregatirea pedagogica a
adolescentilor pentru viata de familie (La préparation pédagogique des adolescents à la vie de
famille), Bucarest, Didactica si Pedagogica, 1975 ; Vasile NITESCU, Adolescenta
(L’Adolescence), Bucarest, Stiintifica si Enciclopedica, 1985.
196
Même la nudité ne paraît pas chargée de significations érotiques : par exemple, lors de contrôles
gynécologiques, la préservation de la pudeur des patientes n’était pas un aspect pris en compte ;
dépourvues de leurs propres vêtements, les femmes n’étaient fournies ni de chemises de malade ni
de chaussures, les portes des cabinets de médecins pouvaient s’ouvrir en pleine consultation pour
laisser entrer ou sortir des personnes autres que le personnel médical.
197
Le premier magazine Playboy, lancé aux Etats-Unis en 1953 et en France en 1973, ne fut lancé
en Roumanie que dans les années 1990. Du matériel érotique, même si une rareté, arrivait pourtant
en Roumanie au fond des valises de ceux qui réussissaient à faire un voyage à l’étranger où qui
travaillaient dans les pays partenaires où il était acheté dans les « shop » (les magasins destinés aux
étrangers et où seulement les devises étrangères pouvaient servir à acheter la marchandise). Les
chaînes de télévision voisines, surtout serbe, mais aussi hongroise, étaient aussi des sources des
films et divertissement, par rapport à la télévision roumaine qui ne diffusait que deux heures par
jour à la fin des années 1980.
198
. Adriana BABAN, art. cit., p. 239.

119
Notre intérêt ne porte pas sur l’analyse des causes ni des implications de cet état des
choses que nous avons brièvement décrit ; de plus, nous sommes entièrement consciente
que le croquis de cette section n’est que fragmentaire, partiel et surtout insuffisant pour
apprécier la complexité de la sexualité sous le communisme. Nous espérons toutefois avoir
réuni un nombre significatif d’indices pour placer le thème de l’homosexualité dans un
cadre plus large, autant pour relativiser l’absurdité qui caractérise les rapports homosexuels
durant le communisme, que pour ajouter à cette invraisemblance : l’homosexualité n’est
qu’une facette de la sexualité ; la sexualité en général constitue un chapitre distinctif et
richissime du communisme. Une exploration plus longue et plus minutieuse serait
nécessaire pour être en mesure de comprendre l’envergure de ces problématiques et leurs
enjeux.

C. « Les restes du communisme sont dans la casserole199 »

Dans les pages précédentes nous avons procédé à un coup de sonde dans le passé,
afin de clarifier la situation de l’homosexualité à la sortie du communisme en 1989, point
qui marque le commencement de la période que nous analysons. Nous avons procédé à
cette incursion historique puisque nous nous attachons à croire que le moment 1989,
invoqué comme point de repère, comme marque d’une nouvelle ère, tournant indéniable de
l’histoire, s’inscrit dans un processus complexe et contradictoire d’évolution des situations
sociales et politiques ; nous avons affaire à un « avant » et un « après », mais le moment de
la chute du régime ne signifie pas un point initial d’un processus inédit de développement
social et politique. Par contre, nous considérons le passage d’un régime à l’autre comme
une suite des transformations qui impliquent des réaménagements des éléments d’avant,
des réorganisations des routines, des pratiques, des ressources qui existent déjà et qui
entrent en interaction avec des éléments nouveaux. Des aspects de la vie sociale passée,
des acquis, des expériences, des compétences ou des coutumes, se prolongent dans
l’intervalle temporel qui suit, certains jouent comme facteurs favorisant le changement,
d’autres agissent plutôt comme freins. Nous envisageons l’héritage du passé au cœur des

199
Ce sous titre est inspiré par l’ouvrage d’une journaliste croate qui étudie la vie quotidienne des
femmes à l’est, Slavenka DRAKULIC, Les restes du communisme sont dans la casserole, Paris,
Jacques Bertoin, 1992, édition originale How we survived communisme and even laughed, New
York, Harper Collins Publishers, 1991.

120
réaménagements ayant lieu à la sortie du communisme : un ensemble qui se transforme,
qui se recompose pour répondre à des demandes nouvelles, qui pèsent lourdement,
bloquent ou encombrent les évolutions. Le patrimoine de l’histoire contribue à l’ordre
présent, donnant l’occasion à des métamorphoses ou laissant des séquelles. Après avoir
esquissé les principaux traits de ce patrimoine, nous nous lançons dans l’analyse en
essayant de déchiffrer la reconfiguration des structures existantes qui laisse la place à
l’émergence des revendications homosexuelles et à la brèche dans le dispositif de
répression.

Nous mettons fin à ce chapitre avec une citation qui illustre de façon suggestive
l’atmosphère à la sortie du communisme, l’héritage avec lequel les homosexuels roumains
commençaient une « nouvelle vie », à savoir l’incertitude, la méfiance, le double sens, la
dissimulation. Il s’agit d’un fragment du journal de Renaud Camus, écrivain français, qui
se trouve en Roumanie au cours de l’année 1991, en tant que chargé de mission du
ministère des Affaires étrangères, occasion pour lui de donner une série de conférences à
Bucarest, Cluj, Iasi, etc. Homosexuel lui-même, il décrit dans les pages de son journal,
publié en 1996, un épisode vécu dans les bains publics « très délabrés » de Grivita, dans la
rue Sfintii Voievozi, à Bucarest. Un endroit qui donne l’occasion à des rencontres
sexuelles entre hommes, il ne divulgue en rien les faits qui sont en train de se passer ;
l’atmosphère reste froide et ne laisse pas de place pour l’érotisme ou la sensualité.
Néanmoins, les attouchements, les échanges érotiques ont bien lieu, mais d’une manière
impersonnelle, accidentelle, détachée, comme si les gens n’ont pas conscience de leurs
agissements, en s’esquivant, en n’assumant pas leurs propres actes : « Cette fois, c’est
vraiment l’aventure dans les ruines. Il y fait grand froid, sauf dans la vapeur même, et
encore. Tout est parfaitement lépreux, l’ambiance générale n’est que médiocrement
érotique, et passablement lucifuge. Presque rien n’apparaît, du presque rien qui peut se
passer : tout le monde a l’air abîmé dans ses pensées, ou dans la conversation, et pas le
moindre humour ne se manifeste, faut-il le dire ? […] J’avais un admirateur très
entreprenant, lui, mais plutôt en caresses et même furtifs baiser sur l’épaule qu’en
attouchements prolongés. Il a même joui de ce très peu que je ne rechignais guère à lui
accorder, quoiqu’il ne m’intéressât guère ; et j’ai joui moi aussi, mais avec quelqu’un
d’autre. […] Personne ne jette à quiconque de coup d’œil, à vrai dire. Tout se passe
comme par accident, ou plutôt par distraction. Chacun pourrait dire à peu près : « Ah,

121
tiens, ça par exemple ! Je suis en train de vous b[…], excusez-moi, je ne m’en étais pas
aperçu. » Mais personne ne dit rien, ni ne s’aperçoit de rien. » 200

200
Renaud CAMUS, La guerre de Transylvanie. Journal 1991, Paris, P.O.L., 1996, pp. 357-363.
Je remercie Baptiste Coulmont pour m’avoir parlé de cet ouvrage. Nous avons seulement suggéré
le mot, étant donné son caractère explicite qui pourrait ne pas convenir aux certains esprits moins
habitués à l’univers homosexuel.

122
Chapitre 3 : Sortir de l’ombre : l’aube d’une mobilisation homosexuelle en Roumanie

Préambule

A. L’effondrement du communisme : une nouvelle ère pour les homosexuels


roumains ?
Daniel Iorga : ensemble, c’est mieux !
Razvan Ion : portrait d’un militant
Commission Nationale pour les Minorités Sexuelles- une première manquée
Ingrid Baciu : un projet pour les lesbiennes sans lesbiennes
Parler, débattre, échanger – coup de projeteur sur l’homosexualité
1er décembre, la Journée Mondiale de Lutte contre le Sida
Même si ça ne nous convient pas, l’homosexualité existe quand même!
Gay 45 : le premier bulletin lgbt
Festival lgbt à Bucarest
Précisions

B. L’introuvable « société civile » à l’est

123
Chapitre 3 : Sortir de l’ombre : l’aube d’une mobilisation
homosexuelle en Roumanie

« Aucun hétérosexuel ne songe à faire son coming out, il est déjà dans l’univers
public, de par sa ‘normalité’ il jouit depuis toujours de la présomption d’hétérosexualité.
L’homosexuel, lui, à cause de sa différence, doit s’annoncer, demander la permission et
prévenir ‘les normaux’ de son entrée dans un territoire qui ne lui est pas naturellement
destiné ».
Daniel Borrillo, L’homophobie

« ‘Out’ n’est pourtant pas un mot parmi d’autres, indiquant une mode esthétique
ou idéologique comme une autre : c’est la métaphore qui définit par excellence la
mobilisation homosexuelle depuis ses débuts. Le langage transpose ici une opposition
temporelle, historico-politique, entre ‘oppression’ et ‘libération’, en une opposition
spatiale, psycho-politique, entre le ‘dedans’ d’un désir intime, secret voire clandestin, en
tout cas privé, et le ‘dehors’ d’une sexualité publique, affichée et revendiquée ».
Eric Fassin, L’inversion de la question homosexuelle

124
Préambule

Il est généralement d’usage d’examiner l’histoire de l’homosexualité dans la longue


ou la moyenne durée201 ; notre intérêt porte sur une période très courte, de 1989 à 2001,
mais que nous estimons révélatrice d’un nombre de transformations importantes, parmi
lesquelles la plus manifeste est celle du statut légal des relations homosexuelles. Ces
évolutions concernent à un certain degré l’émergence de formes de sociabilité202,
d’échanges et d’interactions plus ouvertes, mais surtout la mise en place d’une association
défendant les droits des personnes lgbt, ACCEPT, association qui s’érige en porteuse des
revendications homosexuelles en Roumanie.
Dans la première partie de l’analyse nous avons retracé les principales lignes du
champ des études gaies et lesbiennes ; le constat de l’étendue de ce domaine et surtout la
prétention à englober toute préoccupation portant sur des questions homosexuelles rendent
cette approche susceptible de s’y encadrer, nous avons exploré alors les portes d’entrées les
plus adéquates que ce champ peut ouvrir pour notre travail.
Par la suite, une courte incursion dans le passé nous a permis de mettre en lumière les
prémisses du processus de légitimation des homosexuels roumains entamé à partir de
1989 : l’absence de repères, le manque d’information, le climat de peur et de clandestinité,
l’enfermement dans un cadre répressif qui étouffait toute manifestation hors normes ont
concouru à rendre très difficile – voire impossible – l’articulation d’une subculture
homosexuelle significative ou d’un groupe, même minoritaire, obscur et dissimulé, mais
qui trouverait néanmoins une place dans l’espace social. S’il est possible de collecter des
indices qui attestent de l’existence de comportements homosexuels, l’existence d’une

201
Voir par exemple pour la France, Marie-Jo BONNET, Un choix sans équivoque. Recherches
historiques sur les relations entre les femmes, XVIe-XXe siècles, Paris, Denoël-Gonthier, 1981 ;
Maurice LEVER, Les Bûchers de Sodome. Histoire des « infames », Paris, Fayard, 1985 ; Frédéric
MARTEL, Le Rose et le Noir, Paris, Editions du Seuil, 1996.
202
Voir sur cette notion Claire BIDART, « Sociabilité : quelques variables », in Revue française de
sociologie, Vol. 29, N° 4, 1988, pp. 121-149 ; Bruno DURIEZ et Frédéric SAWICKI, « Réseaux de
sociabilité et adhésion syndicale. Le cas de la CFDT », in Politix, N° 63, 2003, pp. 17-51 ; Gildas
RENOU, « L’institution à l’état vif. Sociabilités et structuration… », art. cit. Dans les analyses des
mouvements sociaux la « sociabilité » est analysée comme une dimension constitutive de l’action
collective, mais les travaux anglophones utilisent plutôt d’autres expressions, comme « social ties »
- « liens sociaux ».

125
« subculture gay » en Roumanie et les attributs d’une telle sociabilité restent ouverts à
l’exploration.
Si l’interdit et la répression sont les marques de la période communiste, elles ne se
traduisent pas dans une sublimation des comportements homosexuels ; nos conclusions
n’entendent pas nier l’existence des homosexuels ou des relations homosexuelles. Les
homosexuels continuent à exister, à trouver des moyens de subsistance, parfois sous le
couvert fragile d’une double vie, parfois de façon plus audacieuse, en déjouant les
dynamiques du contrôle.
Nous voudrions souligner néanmoins les traits de ces interactions : l’anonymat, le
secret, l’isolement et l’individualisation de l’expérience homosexuelle. Le contrôle social
ne signifie pas l’annihilation, l’extinction des comportements en dehors de la norme ; ces
comportements sont rendus moins perceptibles et plus dissimulés, ils sont poussés vers des
niveaux moins accessibles de la scène sociale.

A. L’effondrement du communisme : une nouvelle ère pour les homosexuels


roumains ?

1989 – La vague des révolutions atteint l’est de l’Europe et fait tomber le Mur de
Berlin. En Roumanie, le 15 décembre 1989 marque le début des manifestations anti-
communistes à Timisoara, ville à l’ouest du pays ; elles se répandent jusqu’à Bucarest le 21
décembre, et le 22 décembre est considérée comme la date de la chute du régime
communiste roumain. Ceausescu est exécuté le 25 décembre après un procès sommaire.
Les premières élections libres en mai 1990 installent le Front du Salut national au pouvoir
et Ion Iliescu devient président. Voilà en quelques mots le commencement d’un âge
nouveau203.
Le changement politique de 1989 reste présenté dans l’historiographie comme un
point de départ, tournant de l’histoire et « annus mirabilis » ; dans l’étude présente, nous
prenons le moment 1989 comme repère pour situer le début de la période analysée, mais

203
Voir par exemple Cristian BOCANCEA, La Roumanie du communisme au post-communisme
op. cit.; Catherine DURANDIN, Histoire des Roumains, Paris, Fayard, 1995 ; Ralf
DAHRENDORF, Reflections on the Revolutions in Europe, Chatto & Windus, 1990 ; Pavel
CÂMPEANU, Ceau escu, anii numărătorii inverse (Ceau escu, les dernières années), Ia i,
Polirom, 2002 ; Florin CONSTANTINIU, O istorie sinceră a poporului român (Une histoire
sincère du peuple roumain), Bucarest, Univers Enciclopedic, 1997.

126
nous n’y accordons qu’une valeur de point de repère temporel. Nombre de réformes
politiques et sociales sont mises en place à la sortie du communisme et les efforts en faveur
de la démocratisation supposent toute une série de changements à tous les niveaux de la vie
sociale. Cela étant dit, la chute du régime communiste n’entraîne pas la destruction absolue
de l’ancien ordre social, des routines, des pratiques, des habitudes qui avaient cours par le
passé; il s’agit plutôt de restructurations, réaménagements, évolutions et transformations
plus ou moins rapides, plus ou moins difficiles, à des degrés variables de complexité, qui
touchent à des paliers différents de l’organisation sociale et qui comportent des
implications plus étroites ou plus amples sur d’autres segments de la vie sociale. Des
ressources déjà en place, des liens sociaux formés au fils du temps pèsent sur les
configurations nouvelles, favorisant ou encombrant les changements204.
Ainsi, dans un premier temps, il semble que la chute du communisme n’apporte
aucune amélioration à la situation des personnes lgbt en Roumanie. Les personnes
susceptibles d’avoir entretenu des relations homosexuelles continuent d’être arrêtées par la
police, interrogées de manière brutale et envoyées en prison205. La législation héritée du
régime antérieur reste effective et la police en fait pleinement usage. Rappelons nous, le
premier paragraphe de l’article 200 hérité de l’ancien régime traitait de la question
homosexuelle dans les termes suivants : « Les relations sexuelles entre personnes du même
sexe sont punies par une peine de un à cinq ans de prison »206. L’article 200 n’était pas une
lettre de loi sans application réelle, au contraire, tout au long des années 1990, la police en
fait usage et envoie en prison des personnes ayant entretenu des relations homosexuelles
consensuelles. En 1993, trois personnes se trouvaient dans les établissements pénitentiaires
de Gherla, Oradea et Focsani sur la base de ce premier paragraphe de l’article 200,

204
Nous avons déjà invoqué le courant de la « path dependence » dans le chapitre antérieur de cette
analyse. Voir également l’analyse de Daniel Barbu, qui estime que l’idée se retrouve dans les écrits
de l’historien roumain Nicolae Iorga, néanmoins sans prétendre à l’explication épistémologique ;
celui-ci avait publié en 1913 un article intitulé Byzance après Byzance dont l’idée principale est
que « Byzance ne disparaît pas après la chute de Constantinople». Voir BARBU, Daniel, « BizanŃ
contra BizanŃ ? Note despre fondul culturii politice române ti » (Byzance contre Byzance. Notes
sur le fond de la culture politique roumaine), dans Romanian Political Science Revue Studia
Politica/Revistã românã de tiinŃã politicã, Vol. 1, N°4, 2001, pp. 1199-1219.
205
Voir sur ce sujet les nombreux cas présentés dans le rapport IGLHRC Public Scandals… déjà
cité, pp. 17-30.
206
Codul Penal cu completările, modificările i abrogările până la 2 octombrie 1992 (Le Code
pénal et ses compléments, modifications et abrogations jusqu’au 1er octobre 1992), édition par
Iulian Poenaru, sans lieu, 1992.

127
auxquelles s’ajoutent cinquante autres207, arrêtées sur la base des autres paragraphes de cet
article. Entre eux, Ciprian Cucu et Marian Mutascu, deux jeunes hommes qui s’étaient
rencontrés à travers une petite annonce dans un journal local et qui ont tenté de poursuivre
leur relation en secret ; alertée par la sœur aînée de Ciprian, la police les arrête pour des
investigations et ils seront ensuite condamnés à deux ans de prison pour Mutascu,
respectivement un an dans le cas de Cucu. Plus tard, après avoir accomplis sa peine,
Mutascu se suicide : « he killed himself because he could not bear the pressure of isolation
and fear », dit son ami, Ciprian. Il continue « A part of me went into the earth with
him »208. Un autre jeune homme, Cosmin Hutanu, sera condamné à une peine de 14 mois
en prison après avoir volontairement satisfait oralement un de ses amis, Traian Pasca se
retrouve lui-même en prison après avoir fait une plainte contre deux hommes qui avaient
cambriolé son logement et l’avait forcé d’entretenir des relations sexuelles avec eux. Les
exemples pourraient continuer209 pour illustrer un climat difficile et risqué.

L’ambiance sociétale au commencement des années 1990 se trouve globalement sous


le signe du chaos, de la panique, de l’angoisse210. Pour contextualiser brièvement, il s’agit
d’une période profondément troublée, où les repères se désagrégent et se recomposent
rapidement ; l’atmosphère demeure imprégnée par la confusion, les événements troublés de
décembre 1989, le mystère autour des prétendus terroristes, le nombre de personnes
décédées, les traces des balles. C’est l’époque des événements de Targu Mures211, des

207
Rapport APADOR CH, 1993.
208
Public Scandals… déjà cité, pp. 21.
209
Voir Public Scandals… déjà cité pour plus de détails sur ces cas.
210
Sur les conditions politiques, sociales et économique à la sortie du communisme voir la série
d’articles publiés par Edith LHOMEL : « La Roumanie en 1990. L’année politique : un pouvoir
prisonnier du passée », in Edith LHOMEL, Thomas SCHREIBER (dir), L’Europe centrale et
orientale. De l’espoir aux réalités, Paris, La Documentation française, 1991, pp. 191-226 ; Id. « La
Roumanie en 1992. L’année politique : les débuts d’une nouvelle donne », in Edith LHOMEL,
Thomas SCHREIBER (dir), L’Europe centrale et orientale ; entre stabilisation et implosion, Paris,
La Documentation française, 1993 ; Id. « Les malentedus de la ‘transition’ », in Edith LHOMEL,
L’Europe centrale et orientale : dix ans de transormations, 1989-1999, Paris, La Documentation
française, 2000 ; Dorel ABRAHAM, « Atlasul sociologic al schimbarilor sociale din Romania
postcomunista. Studii preliminare » (Atlas sociologique du changement social en Roumanie
postcommuniste. Etudes Préliminaires), in Socilogie romaneasca (Sociologie roumaine), Vol. 1,
2000, pp. 1-38.
211
Mars 1990 reste dans l’histoire comme la date des très violentes confrontations interethniques
dans la ville de Targu Mures ; cinq personnes décédées, 278 blessées, 30 personnes mises en
accusation, 21 arrêtées par la police, une église orthodoxe incendiée, nombre de sièges de partis
vandalisés. Voir Gabriel ANDREESCU, Ruleta : români si maghiari, jurnal tematic (La roulette :
roumains et hongrois ; journal d’une thématique), Iasi, Polirom, 2001.

128
manifestations de la Place de l’Université à Bucarest et des premières « minériades »212,
des premières élections libres de 1990 et de septembre 1992213. Les luttes politiques, les
réformes économiques, les conflits interethniques, la pauvreté laissent peu de place pour
une préoccupation authentique pour les droits de l’homme. Véhiculée de manière
exhaustive dans les discours de propagande pendant les années communistes, l’expression
« droits de l’Homme » s’était vidée de sens et elle était devenue une forme sans fond, sans
signification et sans écho dans les esprits des citoyens, autant que dans ceux des hommes
politiques.
Michael Shafir avait observé le manque de signification du concept « droits de
l’Homme » dans le contexte roumain surtout du côté des représentants des partis de droite
pour lesquels « human rights were but a fiction of the cowardly and the weak214 ». Le
phénomène ne se résume pas aux fractions de droite de la société ou de la scène politique

212
Dès les premiers jours suivant le 22 décembre 1989, l’activité politique commence par la
nomination du Premier Ministre – Petre Roman – et la formation du Front du Salut national et du
Conseil du Front du Salut national qui allaient assumer les fonctions de parlement et d’exécutif
jusqu’à l’organisations des élections ; un décret-loi est approuvé afin de permettre le
fonctionnement des partis, et au commencement de l’année 1990 le Parti national paysan chrétien
et démocrate et le Parti national libéral sont inscrits. Le Conseil décide de sa participation aux
élections et s’inscrit comme parti, ce qui provoque les premiers mécontentements. Une
mobilisation importante restée dans la mémoire publique comme « les événements de la Place de
l’Université » débute à la fin d’une manifestation qui donne lieu à des affrontements entre les
sympathisants des partis historiques et ceux du nouveau parti issu du Front du Salut National. Ce
dernier est vu comme ayant ‘confisqué la révolution’ et les revendications principales des
manifestants concernent la mise en illégalité de tout parti communiste, l’interdiction de l’activité
politique de toute personne ayant fait partie de l’appareil d’Etat communiste, l’autorisation des
chaînes radio et TV indépendantes, etc. La Place de l’Université, du centre de Bucarest, sera
occupée pendant plusieurs mois par des manifestants anti-communistes et sera déclarée ‘zone libre
de communisme’. Pour mettre fin aux manifestations, le président Iliescu (élu le 20 mai 1990 par
85% des participants au vote) demande l’aide aux mineurs, qui arrivent à Bucarest le 13 juin, ce qui
donne lieu à des combats sanglants de rue. Voir à ce sujet Ruxandra CESEREANU, « Fenomenul
Piata Universitatii 1990 » (La Place de l’Université en tant que phénomène), in 22. Revista
Grupului pentru Dialog Social, 12 mai 2003 ; Alin RUS, Mineriadele. Intre manipulare politica si
solidaritate muncitoreasca (Les minériades. Entre manipulation politique et solidarité ouvrière),
Editions Curtea Veche, Bucarest, 2007 ; Mihnea BERINDEI, Ariadna COMBES, Anne
PLANCHE, 13-15 iunie 1990, realitatea unei puteri neocomuniste, Bucarest, Humanitas, 2006
(traduit du français Le livre blanc, la réalité d’un pouvoir néocommuniste, Paris, La Découverte,
1990).
213
Les élections de 1992 sont vécues comme une entrée dans la normalité où le monopole du Front
(devenu « démocratique ») du Salut national diminue et une opposition viable est formée. Ion
Iliescu, le candidat du FDSN, validé avec 85.07% des voix en 1990 perd sa supériorité et est
contraint au ballottage par le nouveau venu, le candidat de la Convention démocratique de
Roumanie, Emil Constantinescu (président de 1996 à 2000).
214
Voir Michael SHAFIR, « The Mind of Romania’s Radical Right », in Sabrina RAMET (éd.),
The Radical Right in Central and Eastern Europe since 1989, University Park, Pennsylvania State
University Press, 1999, pp. 213-232, p. 217 pour la référence.

129
et n’est pas encore un trait du passé lointain. En effet, les droits de l’Homme ne constituent
toujours pas une acquisition intégrée par l’ensemble des membres du corps politiques :
« Les droits de l’Homme sont une ineptie de deux sous215 et il est vraiment honteux de
continuer à en parler216 » affirme Vasile Dâncu, sociologue, mais aussi homme politique,
député et membre du Parlement européen depuis 2009. Et cette affirmation date de 2000,
lors de la publication de son volume intitulé « Contre les idéologies ».
Si les droits de l’homme ne sont pas un véritable thème d’intérêt politique ou de
débat public pendant la période suivant immédiatement le renversement du communisme,
les droits des homosexuels le sont encore moins.

Le climat sociétal n’enregistrait aucun signe notable d’une possible détente des
attitudes envers l’homosexualité. L’Institut Roumain pour la Recherche de la Qualité de
Vie de l’Académie Roumaine avait organisé en juin 1993 une enquête sociologique au
niveau national qui comprenait deux questions touchant à l’homosexualité ; 75% des
personnes enquêtées ont répondu ne pas souhaiter avoir des personnes homosexuelles
comme voisins, et 86% des répondants ont estimé que l’homosexualité n’était jamais
justifiée217.

JAMAIS 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 TOUJOURS
JUSTIFIEE 85% 4% 1% 1% 3% 1% 1% 1% 1% 1% JUSTIFIEE

© Institutul pentru Cercetarea Calitatii Vietii

Par contre, l’homosexualité commence peu à peu à susciter l’intérêt des médias ; si le
sujet était demeuré tabou pendant la période antérieure à 1989, comme s’il suffisait qu’il
soit hors-la-loi pour disparaître intégralement, des aspects qui renvoient aux relations
sexuelles entre partenaires de même sexe se dévoilent progressivement et avec
prépondérance dans les tabloïds qui cherchent l’« exotique », le sensationnel pour faire
monter les ventes. Ainsi, dans un premier temps, c’est l’homosexualité féminine qui
échappe à l’interdit ; mais il ne s’agit pas, loin de là, d’articles informés ou de
problématisations autour de la question, ni de petites annonces de femmes à la recherche

215
« gogorita de doua parale » dans le texte.
216
Vasile DÂNCU, Tara telespectatorilor fericiti. Contraideologii » (Le Pays des téléspectateurs
heureux), Cluj, Dacia, 2000, p. 210.
217
Catalin Augustin STOICA, « An Otherness that Scares… », art. cit.

130
d’une rencontre ; l’imagerie lesbienne est utilisée exclusivement comme accessoire dans la
fantasmagorie hétérosexuelle masculine. Des images provocatrices de belles jeunes
femmes nues ou à moitié dénuées, engagées dans des attouchements et des caresses
accompagnent les annonces des lignes téléphoniques érotiques, des nouveaux sex-shops,
des clubs ou casinos.

D’une part, l’homosexualité masculine, lorsqu’elle retient l’intérêt des journalistes,


est systématiquement présentée en relation avec la criminalité, le scandale, la débauche,
comme un symptôme inquiétant d’une société atteinte par « le mal de la modernité ». Le
personnage de l’homosexuel se confond avec le malfaiteur, le criminel, l’individu qui vit
en dehors de la société et qui se laisse porter par des impulsions malsaines, passions
violentes, rage et jalousie aveugles. Le stéréotype de l’homosexuel dépravé, immoral et
malfaiteur n’est pas mis en question.
Un cas particulier avait fait la première page des journaux, d’autant plus mémorable
qu’il impliquait une personne publique, une personnalité de la vie artistique, appréciée et
aimée par le public. Il s’agit d’Ioan Luchian Mihalea218, chanteur, compositeur, réalisateur
TV, coordonnateur d’un célèbre groupe vocal d’enfants, Minisong. Le 30 novembre 1993
il est victime d’une attaque violente dans sa résidence personnelle à Bucarest, où son
cadavre est découvert par la suite. La Police établit vite les détails de sa mort : les
agresseurs faisaient partie de l’entourage de l’artiste, il s’agit de deux jeunes hommes avec
lesquels Mihalea entretenait des relations homosexuelles, malgré le fait qu’il fût marié et
père d’un enfant. La presse reprend alors l’incident en le présentant comme un épisode de
jalousie exacerbée, considéré un trait commun des relations homosexuelles. La mort de
l’artiste est comparée à d’autres cas similaires, comme celui de 15 novembre 1991, qui met
fin à la vie d’un médecin psychiatre, Paul Constantinescu ; lui aussi marié, lui aussi
homosexuel, lui aussi trouve sa mort suite à une attaque violente dans son propre
appartement. Le portrait de l’homosexuel impliqué dans des histoires illicites, ténébreuses
et funestes est souverain.

218
Les détails de ces deux cas sont largement décrits dans l’ouvrage de Lidia POPEANGA, Alecu
RACOVICEANU, Noi l’am ucis pe Mihalea (Nous avons tué Mihalea), Bucarest, Trustul de Presa
National, 1997. Les deux auteurs ont fait leurs carrières comme journalistes d’investigation et ont
enquêté les deux cas à l’époque. Voir Alecu RACOVICEANU, « A fost ucis de doua ori » (Il a été
tué deux fois), in Jurnalul National, le 6 janvier 2008. Voir également l’article signé Lidia BOBES,
« <Dumnezeu vrea sa platesc pentru ce am facut> » (Dieu veut que je paye pour ce que j’ai fait »,
in Libertatea, le 2 octobre 2009, qui reprend la confession de l’un des assassins de Mihalea.

131
L’univers homosexuel se dévoile petit à petit, mais c’est à travers des histoires
macabres, des crimes passionnels et des faits délictueux. La plupart des homosexuels
continuent à rester dans l’ombre, à vivre leurs doubles vies, ils ne s’exposent pas aux
regards publics et poursuivent leurs trajectoires sans assumer la différence, en gardant
secrète leur orientation sexuelle.
Il y avait néanmoins des formes de sociabilité homosexuelle qui, d’une manière ou
d’une autre, subsistaient au contrôle ; il s’agit des réseaux informels, plutôt des groups de
connaissances, pas exclusivement homosexuels, qui se rencontraient pour partager,
discuter, passer du bon temps, comme n’importe quel autre groupe d’amis ;
l’homosexualité ne constituait pas le point de liaison principale. Ce n’était pas autour de
l’orientation sexuelle que les amitiés se nouaient, mais elle ne tenait pas non plus
totalement du secret, c’était plutôt un fait comme un autre, une préférence personnelle,
connue, mais pas mise en avant219. Certains avaient continué à vivre leur homosexualité et
réussi à se tenir à l’écart des regards communs, sans toutefois tenter de changer leurs
façons de vivre.
D’autre part, d’autres personnes avaient non seulement continué à vivre leur
orientation sexuelle différente, mais avaient également commencé à prendre en
considération la possibilité d’une autre manière de faire cela, à savoir ouvertement, comme
un choix personnel, comme un trait de personnalité. Certaines voix commençaient donc
petit à petit à mettre en question les bases de l’interdiction et à imaginer une autre vie, en
liberté. La conception de l’homosexualité en tant qu’un droit de la personne de disposer de
son propre corps et de faire des choix personnels commence peu à peu à gagner une place
dans les esprits ; certes, plutôt de manière individuelle et plutôt d’une manière assez peu
assertive, mais l’idée surgit et des moyens de la faire avancer plus amplement sont
exploités. Il s’agit à ce titre de quelques initiatives enregistrées durant la première moitié
des années 1990 de rassemblement autour du sujet de l’homosexualité afin d’imaginer des
formes d’action pour questionner le système répressif.
Les premières tentatives de regroupement autour de la question homosexuelle sont
enregistrées dans la capitale et elles sont reliées principalement aux noms de deux

219
Ce passage utilise des informations que nous avons recueillies lors d’entretiens semi-directifs
avec des personnes homosexuelles tout au long de cette recherche. Les interviewés parlent de
« soirées entre amis », de « rassemblements chez un ami », de « fêtes », de « réunions chez un ami
commun », de l’ « anniversaire d’une connaissance », etc. L’une des personnes avec qui nous
avons discuté décrit la situation de l’un ou l’autre homosexuel dans un groupe : « tout le monde le
savait [qu’il était homosexuel], mais personne ne parlait de cela ».

132
personnages : Razvan Ion et Daniel Iorga. Les détails de ces efforts d’agrégation autour du
sujet de l’homosexualité font l’objet de l’analyse dans les pages suivantes, où nous nous
proposons de mettre en lumière les acquis et les difficultés de la mobilisation
homosexuelle à la sortie du communisme.

Daniel Iorga : ensemble, c’est mieux !

Nous avons retrouvé à plusieurs reprises lors de nos recherches de terrain des
références à une certaine cohésion sociale homosexuelle ; un site Internet par exemple,
source que nous cataloguons comme peu fiable et qui a d’ailleurs disparu depuis que nous
l’avons consultée, évoque un groupe homosexuel qui avait selon toute vraisemblance
existé à Bucarest dans la première moitié des années 1990. Le site en cause, un portail
britannique qui prétend constituer un fond d’archives relatives au cas roumain, relate
l’existence du groupe Total Relations (nom originalement en anglais), qui ne comptait pas
moins de 50 membres, hommes et femmes220. Le même nom, sans préciser le nombre
d’adhérents, revient dans un article établissant un état des lieux paru dans le rapport de
1995 de l’International Gay and Lesbian Human Rights Commission (IGLHRC)
« Unspoken Rules – Sexual Orientation and Women’s Human Rights »221. Ingrid Baciu,
Vera Cimpeanu et Mona Nicoara222, qui signent l’entrée sur la Roumanie dans ce rapport,
témoignent de l’existence du groupe Total Relations. Les auteurs notent l’existence d’un
autre groupe, Group 200, sans ajouter d’autres précisions. A ces deux groupes s’ajoute un
troisième, à Ploiesti, ville situé à 60 km au nord de la capitale, qui n’a pas de nom
consigné. Les trois auteures ajoutent que chacun de ces groupes avait existé pendant une
très courte période et dans la clandestinité, mais elles ne les situent pas dans un moment
temporel précis, tandis que les éventuelles activités de ces collectifs restent un mystère.

220
« Romania Documents Archive : March 11, 1992, Romanian Queer Group Formed. The first
gay and lesbian organisation in Romania was granted official recognition. The organisation’s name
is <Total Relations> and has a membership of over 50 men and women ». www.raglb.org.uk
consulté le 23 mars 2004.
221
Ingrid BACIU, Vera CÎMPEANU et Mona NICOARA, « Romania », in Rachel
ROSENBLOOM, (éd.), Unspoken Rules – Sexual Orientation and Women’s Human Rights, San
Francisco, USA, International Gay and Lesbian Human Rights Commission, 1995, un rapport
spécial préparé pour United Nations Fourth World Conference on Women, qui contient des
rapports sur 31 pays, avec des documents sur la violation des droits de l’homme, et des lesbiennes
particulièrement.
222
Nous nous arrêtons plus en détail sur chacune de ces personnes plus tard dans notre analyse.

133
Nous retrouvons les mêmes trois exemples dans le numéro 30 de l’ILGA Euroletter ;
Yves Nya Ngatchou, l’auteur de l’exposé sur la Roumanie présenté dans le bulletin, ajoute
une remarque évocatrice de la situation roumaine : « These exemples are just reflecting
how gay and lesbian life goes in Romania : with abundent rumours and very little
certitudes »223.
Les résultats de nos propres recherches documentaires s’ajoutent à cette observation:
les entretiens ultérieurs n’ont pas abouti à confirmer l’existence de ces groupes que très
laborieusement, les personnes interrogées n’ayant reconnu aucun des noms. Plus encore,
lors d’une interview, Vera Cimpeanu, l’une des trois auteurs de l’article cité et qui a eu par
la suite un rôle important dans l’affirmation de la cause homosexuelle224, elle n’a pas pu
confirmer ces faits, prétextant un trou de mémoire à ce sujet. Des personnes interviewées
par la suite n’ont pas été en mesure de confirmer ou non l’appartenance à l’un ou l’autre de
ces groupes, les noms ne leur étaient pas familiers, même de loin.
Des investigations plus poussées et le croisement de diverses sources, rendue
possible surtout par la découverte dans une archive personnelle d’une série de documents
internes de l’association ACCEPT, nous ont finalement permis de certifier l’implication de
Daniel Iorga dans ces deux initiatives pionnières.
Né en 1965 à Brasov, Daniel Iorga suit une formation d’économiste dans sa ville
natale qui sera complétée plus tard à Bucarest par des études universitaires en management
financier. Il se déclare un « fortuné du destin » puisque son orientation sexuelle est depuis
très tôt découverte par sa famille, qui lui offre le soutient et la compréhension lui
permettant de vivre ouvertement son homosexualité : « j’avais 16 ans, je pense, pas plus,
et ma famille m’avait encouragé de ne pas me cacher ; si je connaissais quelqu’un, mieux
venir ensemble à la maison, c’était plus prudent…225 ». Il admet une certaine facilité à
relier des amitiés, en se décrivant comme « très sociable, bavard même, bon vivant,
jovial », qualités qui lui assurent toute une série de relations sociales, avec des personnes
provenant de différents milieux et de différentes âges. L’un de ses anciens amis le décrit
dans des termes très chaleureux : « He was a god-father of sorts for gays in Bucharest at
the time, and the centre of gay social life before there were public places. He used to have
some of the best parties in the mid-90s! He had enormous charisma and played the role of

223
Yves Nya NGATCHOU, « Romania – situation outline », in ILGA Euroletter 30, janvier 1995.
224
Cf. Chapitre 6.
225
Interview par téléphone avec Daniel Iorga, le 8 décembre 2009.

134
supportive mentor to young gays ». Toutefois, il ne s’empare pas du rôle de moteur de ces
réseaux de socialisation, mais il admet sans difficulté avoir fait partie de différents groups,
il parle ouvertement de ses rencontres et de ses liaisons et avoue avoir connu des figures
plus proéminentes de la scène homosexuelle bucarestoise. En même temps, il préfère ne
pas dévoiler leurs noms et de respecter le choix de ces personnes de rester dans la
clandestinité.
Daniel Iorga décrit la scène homosexuelle pendant les premières années de la
décennie 90 comme vivante, mais discrète, dynamique, mais bien circonscrite à un milieu
clandestin, active, mais dissimulée. L’ouverture des frontières avait permis à un certain
nombre d’individus de voyager et connaître des milieux homosexuels plus ouverts, surtout
à Budapest. De plus, des étrangers arrivent à Bucarest, certains d’entre eux homosexuels,
désireux de connaître la scène homosexuelle roumaine. Il parle donc d’un réseaux
d’interactions diverses qui restent néanmoins en dehors de la scène sociale et difficilement
perceptibles de l’extérieur. Ce réseau de connaissances lui vaut une réputation moins
noble, à savoir nombre de personnes qui l’ont connu suggèrent avoir soupçonner des
activité illégale de trafic de personnes : « There were rumors at the time that he was
involved in illegal business activity, including perhaps supplying young Romanians to a
forigner who had a private apartment near the Intercontinental Hotel ». Ou encore,
« j’avais entendu qu’il était impliqué dans des affaires très sales, non seulement des
échanges sur le marché noir, mais même qu’il procurait de la chaire jeune aux étrangers
qui visitaient Bucarest ». Au-delà de ces accusés impossibles à prouver, il est certain que
ses réseaux de sociabilité dont il faisait partie, cet ensemble hétéroclite de personnes qui
l’entourent, se trouve derrière ce qui arrive à être désigné comme le groupe Total
Relations. Il décrit le regroupement comme ayant une vie très courte, en février 1992 et
ajoute quelques détails sur les circonstances de cet essai d’agrégation d’un groupe :
Total Relations correspond en réalité à une initiative particulière appartenant à
Razvan Teodorescu. Malheureusement décédé, donc impossible d’interviewer directement,
Razvan Teodorescu avait ouvert sa propre boîte, avec un profil assez large pour lui
permettre une variété d’activités, puisqu’il pensait à lancer une entreprise privée ; il avait
enregistrée juridiquement son affaire, mais il n’avait pas trop investi dans ce secteur, ni
trop exploité les possibilités qu’il pouvait offrir. Total Relations représentait plutôt une
potentielle source de revenu, mais son patron avait gardé son emploi et ne s’était pas
vraiment lancé dans le secteur privé. Homosexuel lui-même et intégré dans cet espace

135
d’interactions informelles avec d’autres homosexuels, parmi lesquels Daniel Iorga, Razvan
Teodorescu avait considéré à un moment donné d’utiliser sa boîte déjà mise en place
comme la personnalité juridique d’un groupe gay; il aurait été possible alors de rassembler
des fonds et lancer une organisation homosexuelle. L’idée reste néanmoins au stade de
projet, elle n’est pas poursuivie et elle n’aboutit à rien de concret. Apparemment Razvan
Teodorescu avait reçu plusieurs menaces téléphoniques et il avait perdu son emploi suite à
cette tentative, ce qui le détermine à abandonner toute initiative et s’éloigner le plus
possible de la scène publique. C’est la fin du groupe Total Relations, qui se retire dans la
clandestinité.
La même année, 1992, toujours grâce à l’amitié avec Razvan Teodorescu, Daniel
Iorga commence sa collaboration avec l’Association Roumaine Anti-Sida - ARAS226, en
suivant des cours de conseiller et des stages de formation dans le domaine de la prévention
HIV/SIDA. Pendant les sept années suivantes il travaille pour cette association, à la ligne
d’appel d’urgence établie, SIDA Hotline. Un an après l’échec du groupe Total Relations,
Daniel Iorga participe à une nouvelle tentative d’un regroupement homosexuel de percer
sur la scène sociale : Group 200. Il s’agit de nouveau de faire la passage de l’interaction
informelle déjà en place entre des amis et des connaissances vers une forme plus organisée
d’agrégation autour du sujet de l’homosexualité, cette fois-ci à travers une démarche plus
ciblée politiquement, agissant explicitement pour la suppression de l’article 200 du Code
pénal, d’où le nom du cercle. Cette initiative ne connaîtra pas non plus le succès escompté,
demeurant au stade d’un groupe informel et ne parvenant jamais à gérer les difficultés
matérielles et organisationnelles. L’obstacle incontournable dans la mise en place de ce
groupe fut l’impossibilité formelle de l’enregistrer juridiquement, ce qui mit entre
parenthèses toute autre évolution et toute demande de fonds, principalement.
La création d’une association devait être faite en respectant une loi qui datait de 1924
(la loi 21/1924), dont l’article 3 stipule: « Les associations et établissements à but non
lucratif ou patrimonial ne peuvent acquérir de personnalité morale que sur une décision
motivée du tribunal civil de leur lieu de résidence. Cette décision ne peut être prononcée
qu’à la demande des intéressés : a) après avis du ministère compétent quant au but de
l’association ou de l’établissement ; b) après prononciation des conclusions du Ministère
public et après constat de la conformité à la présente loi des statuts ou documents

226
Organisation non-gouvernementale enregistrée le 10 avril 1992 à Bucarest, fonctionnant dans un
premier temps sur la base du volontariat : http://www.arasnet.ro.

136
constitutifs, de la composition des organes de direction et d’administration et des autres
conditions227 »
Il est question donc d’un processus compliqué, réclamant de l’expertise judiciaire
pour la mise en place d’un dossier fourni, des documents administratifs complexes. Sans
avoir ni les connaissances juridiques nécessaires, ni les moyens financiers pour embaucher
un représentant juridique, Daniel Iorga prend contact avec la SIRDO, la Société
indépendante roumaine pour les droits de l’Homme, où fonctionnait à l’époque une
« Commission Nationale pour les Minorités Sexuelles »228 Les résultats de cette courte
rencontre entre les deux partie ne sont pas exceptionnels, il s’est agi plutôt d’une prise de
contact informelle et de l’exploration d’une collaboration possible, mais qui ne s’est pas
réalisée; le Group 200 succombe tout comme son prédécesseur Total Relations.

Cet épisode concernant la prise de contact avec la SIRDO demande quelques


clarifications, que nous allons développer par la suite. Pour conclure sur ce passage qui met
au premier plan les deux tentatives de fonder un groupe lgbt roumain, nous soulignons que
ces deux initiatives ne parviennent pas à déboucher sur une mobilisation significative
autour de l’homosexualité. Si ces groupes ont existé, même pour des périodes limitées et
sans arriver à une forme quelque peu organisée, si leurs adhérents étaient liés par la volonté
de changer quelque chose dans leur situation sociale ou légale, il est certain qu’ils n’ont
pas permis d’accomplir quoi que ce soit. Même la mémoire collective de ce qui allait
devenir la scène militante pour les droits des homosexuels en Roumanie (comme
l’association ACCEPT) semble au premier abord ignorer leur existence. Mais nous
considérons qu’elles restent dans l’histoire comme les premières tentatives d’organisation
et de solidarisation pour la cause. Même fragile et instable, la cohésion existe ou au moins
un embryon de cette cohésion. Notons néanmoins que Daniel Iorga n’est pas sorti de la
scène des revendications homosexuelles : nous allons le retrouver plus tard, lors de la mise
en place de l’association ACCEPT et notre analyse reviendra à ce moment-là sur son rôle
précis.

227
Texte publié dans le Journal Officiel no. 27/1924. Cette loi reste en vigueur jusqu’au 31 janvier
2000, changement opéré par l’Ordonnance 26/2000.
228
Voir ci après.

137
Razvan Ion : portrait d’un combattant

Une autre figure distincte qui rompt le silence qui entoure le phénomène homosexuel
propre aux premières années d’après 1989 est celle de Razvan Ion. Né en 1970 à Bucarest,
Razvan Ion suit les cours de la Faculté des Langues et Littératures étrangères (département
d’anglais) à l’Université de Bucarest et à partir de 1991 on le retrouve comme journaliste à
la rédaction du quotidien d’opposition Romania Libera (Roumanie Libre), plus tard dans
229
celle de Tineretul Liber (Jeunesse Libre) , Meridian ou de la revue Baricada230. Lui-
même homosexuel, il commence à s’intéresser de plus près au sujet231 et, comme Daniel
Iorga, il est animé par l’idée de sortir du tabou le sujet de l’homosexualité; si ce dernier
avait envisagé comme premier angle d’action la mise en place d’un groupe, une association
rassemblant gays et lesbiennes, la démarche de Razvan Ion donne priorité aux débats
autour de ce sujet. Nous ne retrouvons pas une autre initiative de regroupement, mais
plusieurs initiatives dont le but était d’attirer l’attention publique sur les faits homosexuels.
Son statut de journaliste facilite l’accès à l’espace des médias roumains.
Pour ce faire, grâce à un esprit curieux exercé dans son métier, il commence à se
documenter sur la question et à chercher le plus d’informations possible sur l’état des
choses dans la société roumaine. Une des conséquences directes de ses efforts de
documentation et recherche est la création de la « Commission Nationale pour les
Minorités Sexuelles », en mai 1991, au sein de l’organisation non-gouvernementale
SIRDO (la Société indépendante roumaine pour les droits de l’Homme), une première
absolue dans l’espace associatif roumain. Pourtant, les détails de la mise en place de cette
commission ternissent en quelque sorte sa réputation qui, à première vue, paraît annoncer
229
Romania Libera et Adevarul (La Vérité, l’ancien Scanteia, L’Etincelle) sont les deux principaux
journaux quotidiens après 1990, avec 1,5 millions d’exemplaires durant les premières deux années,
pour baisser en 1992 à 180 000 exemplaires pour Adevarul et 110 000 exemplaire pour Romania
Libera. Tineretul Liber, l’ancien Scanteia Tineretului, apparaît dans la nouvelle formule le 22
décembre 1989 et atteint un tirage de 700 000 exemplaires. Le dernier numéro est sorti en avril
1997. Voir Alexandra Buzas, « Focus : 20 de ani de ziare – intre idealismul dat de libertate si
afacere, in capitalism » (Focul : 20 ans de journalisme – entre l’idéalisme offert par la liberté et
l’affaire, dans le capitalisme », article en ligne, www.mediafax.ro, le 23 décembre 2009.
230
Le journal Meridian et la revue Baricada appartiennent à une catégorie que les journalistes
appellent « publications météoritiques », pour illustrer leur existence plutôt brève. Les deux étaient
édités par Eduard Victor Gugui, qui se trouvait à la tête du Mouvement Ecologiste de Roumanie ;
Meridian se proclamait le premier journal indépendant après 1989. Inspiré par International Herald
Tribune, le journal accordait un large espace aux nouvelles internationales ; il disparaît vers le
milieu des années 1990.
231
En absence d’autre précision, les faits présentés ici sont basés sur l’entretien avec Razvan Ion,
mai 2009.

138
la création d’un organisme spécial consacré aux questions homosexuelles, avec le soutien
d’une organisation formelle et bien installée dans le paysage associatif roumain après
1989, la SIRDO (Société indépendante roumaine pour les droits de l’Homme).
Pour rendre notre propos plus explicite, il convient de reprendre les circonstances de
la naissance de cette commission.

Commission Nationale pour les Minorités Sexuelles - une première manquée

A la recherche de tout moyen pertinent d’attirer l’attention sur le sujet de


l’homosexualité, Razvan Ion se lance en 1992 dans une campagne d’investigation des cas
particuliers de personnes arrêtées sur la base de l’article 200. Il se rend compte que son
accès aux données reste très limité et se met par conséquent à la recherche des possibilités
d’accéder aux informations ; c’est à travers cet intérêt de documentation qu’il entre en
contact avec Cornel Ormeneanu, le directeur de la Société Indépendante Roumaine pour
les Droits de l’Homme.
A l’époque, la SIRDO, comme la LADO (la Ligue de défense des droits de
l’Homme), était considérée232 comme bien connue et fermement insérée dans le paysage
roumain depuis 1990, en tant qu’organisation non-gouvernementale dont l'objectif était de
défendre et promouvoir les droits de l’Homme et les libertés fondamentales, conformément
à la Charte des Nations-Unies, des conventions et traités signés par la Roumanie. Qui plus
est, une attention spéciale était accordée dans l’activité de cette association à la façon dont
l'Etat adoptait et adaptait les instruments internationaux pour le respect des droits de
l’Homme. Mais l’association comme telle ne présente pas beaucoup d’intérêt pour notre
recherche, puisqu’elle ne se fit pas porte-parole spécifiquement de la cause homosexuelle.
Les coordinateurs de cette association acceptent de recevoir Razvan Ion comme
collaborateur suite à l’intervention d’un tiers, un ami commun de Razvan Ion et de Cornel
Ormeneanu, qui les met en contact. Razvan Ion considérait que posséder une carte
professionnelle émise par la SIRDO allait lui faciliter les contacts et l’accès à
l’information ; Cornel Ormeneanu, étant donné que l’association qu’il dirigeait se

232
Razvan Ion n’est pas le seul à apprécier les activités de ces deux associations comme très
visibles et d’un certain impact dans les premières années après 1989 ; la même opinion est partagée
par d’autres personnes interviewées : Ion Iacos, Daniel Iorga, Adrian Coman. Plus tard, APADOR-
CH s’impose plus fermement comme un acteur stable dans ce secteur et SIRDO est fragmentée par
des conflits politiques intérieurs, surtout après le recrutement de Rodica Stanoiu, membre du Parti
Social Démocrate et future Ministre de la Justice.

139
concentrait sur les problématiques des droits de l’Homme, accepte de mettre en place un
« Programme National pour les Minorités Sexuelles233 », puisque l’accord initial
n’impliquait pas d’autres engagements à part l’acceptation de Razvan Ion au sein de
l’association. Il ne s’agissait donc ni d’un programme bien articulé ou méthodiquement
structuré, ni de fonds qui y soient destinés ou d’autres ressources.
Ainsi, ce qui peut paraître au premier regard comme l’acte de naissance d’une
structure formelle qui se charge des problématiques concernant l’homosexualité, s’avère,
lors d’un dépouillement plus nuancé des circonstances et des implications, une complicité
informelle : Razvan Ion obtint une carte professionnelle en mesure d’ouvrir plus de portes -
à savoir il allait se présenter désormais comme membre d’une association militant pour la
défense des droits de l’Homme - alors que du côté de la SIRDO, il ne s’agit pas de
représenter la cause homosexuelle, mais plutôt de faire un geste qui peut être même
interprété comme une faveur personnelle. Les évolutions de cette commission et la manière
de s’impliquer dans les initiatives concernant les droits des personnes lgbt le confirment234.
D’une part, le souvenir des acteurs que nous avons pu rencontrer n’est pas consensuel
quant au nom exact de cette branche créée sous les auspices de la SIRDO pour les droits
des personnes lgbt. La même initiative est désignée parfois en tant que « programme
national pour les minorités sexuelles », d’autres fois comme la « commission des droits des
gays et des lesbiennes » ou même comme la « commission pour les minorités sexuelles ».
Il serait impossible d’établir avec certitude le nom, la composition et les activités de cette
branche puisque les documents officiels disponibles n’en font pas mention et d’autres
documents susceptibles de confirmer les témoignages n’existent plus. Le projet en question
est donc resté une initiative informelle, sans être inscrite sur la liste des programmes de
l’association.
D’autre part, les membres de ce programme / projet / commission ne sont pas
explicitement connus ; en dehors de Razvan Ion, actif jusqu’en 1993, nous avons pu
déterminer un seul autre nom, mais la personne n’a pu être contactée. D’ailleurs, si nous
nous limitons exclusivement aux dires de ce dernier, « la Commission était formée d’une

233
Ce programme est cité également dans ILGA Euroletter 30, janvier 1995.
234
De plus, nous avons essayé à plusieurs reprises de prendre contact avec cette association afin
d’apprendre la position de ses responsables sur la question, mais nos appels sont restés sans
réponse. Razvan Ion déclare sa certitude à l’égard de la volonté des responsables SIRDO de ne pas
être associés de quelle manière que ce soit à la cause homosexuelle, cela étant dans le détriment de
leur image publique.

140
seule personne», à savoir lui-même. Mais il révise son propos par la suite pour ajouter le
nom d’Ingrid Baciu.

Nous procédons à ce point à un court interlude afin de présenter Ingrid Baciu : la


question de l’homosexualité implique de manière générale dans le cadre roumain des
années 1990 surtout les hommes homosexuels ; Ingrid Baciu est la seule personne à faire
tourner l’attention vers l’existence des lesbiennes. Avant de continuer l’analyse de
l’implication de la SIRDO dans la cause homosexuelle et de la contribution de Razvan Ion
à la diffusion d’informations relatives à l’homosexualité, nous procédons à ce court
interlude qui tente de jeter un coup de projecteur sur une réalité encore plus difficile à
saisir, les relations entre les femmes235.

Ingrid Baciu : un projet pour les lesbiennes sans lesbiennes


L’histoire d’Ingrid Baciu est en quelque sorte différente. Elle rentre sur la scène des
cette commission en 1993, juste avant que le programme soit suspendu, mais son arrivée
est particulière : elle participe à une émission télévisée pour parler de l’expérience
homosexuelle, une émission qui traitait en fait du crime de Ioan Luchian Mihalea et dont le
réalisateur se proposait de dévoiler l’univers homosexuel. Après avoir convenu avec celui-
ci de rester dans l’obscurité et de ne pas avoir révéler son nom au public, Ingrid Baciu
accepte de parler de l’expérience homosexuelle ; ignorant cet accord préalable, le
réalisateur ne respecte pas les termes convenus avec son invitée et c’est ainsi que Ingrid
Baciu fait son apparition sur les écrans sans même le savoir. Suite à cette apparition
télévisée, elle se trouve « sortie du placard », les gens la reconnaissent et elle perd son
travail. Une fois son orientation sexuelle dévoilée, Ingrid Baciu se lance dans ce qu’elle
appelle « des activités qui avaient pour objectif l’amélioration de la visibilité de la
communauté gaie en Roumanie, particulièrement des lesbiennes ». Cela se traduit en fait
par sa présence dans quelques émissions radio ou télévisées; elle accepte d’être interviewée
et de parler ouvertement de son orientation sexuelle.

235
Nicole Albert, par exemple, argumente que le lesbianisme est maintenu dans l’invisibilité
davantage encore que l’homosexualité masculine, puisque la lesbienne, contrairement à son
homologue masculin, enfreint les règles sexuelles comme sociales, qui la cantonnent au rôle
d’épouse et de mère dans l’espace du foyer. Voir Nicole ALBERT, « De la topographie invisible à
l’espace public et littéraire : les lieux de plaisir lesbien dans le Paris de la Belle Epoque », in Revue
d’histoire moderne et contemporaine, N° 53-54, 2006, pp. 87-103.

141
Après cet incident elle prend contact avec la SIRDO et tente de mettre en place un
groupe de lesbiennes, sans y parvenir. Selon ses propres mots :
« During my stay in the SIRDO I have managed to bring together only a few women:
some were feminists, others simply got involved because they had a lot of spare time on
their hands. None of them were lesbians, however, and, despite the fact that we publicized
our activity throughout the country, no lesbians contacted our project » 236

Quelle était l’activité dont elle parle, qui sont les personnes qui l’ont contactée, quels
sont les détails de ce projet restent des questions sans réponse pour le moment. Nous
n’avons pas réussi à retrouver Ingrid Baciu pour qu’elle nous livre directement la version
de son implication dans la Commission pour les Droits des Gays et des Lesbiennes de la
SIRDO ; des personnes qui l’ont connue affirment avoir perdu le contact, apparemment
Ingrid est partie à l’étranger et elle n’a pas maintenu les relations. Nous avons donc
reconstitué les traits de cette tentative d’expérience militante lesbienne de ces années-là à
travers les témoignages de quelques personnes qui l’ont connue et à l’aide du rapport
qu’elle avait rédigé en collaboration avec Mona Nicoara et Vera Cîmpeanu. Le projet
d’Ingrid Baciu n’aboutit pas237, mais nous allons la retrouver plus tard et nous allons
continuer à suivre son implication sur la scène lgbt roumaine et mettre en lumière la
situation particulière des lesbiennes dans le contexte roumain.

***

Pour revenir à l’examen de la difficulté de la SIRDO d’assumer la cause


homosexuelle, nous continuons notre propos par l’évocation du moment de rupture de
l’alliance entre l’association et les porteurs des initiatives concernant les personnes lgbt :
durant l’année 1993, une série d’ébauches de projets paraît prendre contour : Razvan Ion,
comme nous allons le voir plus en détail, est de plus en plus visible et attire l’attention des
médias, Ingrid Baciu s’attaque à un projet destiné à rassembler les lesbiennes ; d’autre part
Daniel Iorga, comme nous l’avons noté, se tournait vers la SIRDO alors qu’il envisageait
un soutien possible à la création d’un groupe lgbt. Dans un premier temps la collaboration

236
Ingrid BACIU, Vera CÎMPEANU et Mona NICOARA, « Romania », in Rachel
ROSENBLOOM, (ed.), Unspoken Rules… art. cit.
237
Selon les propos de Razvan Ion, « elle n’a pas réussi à faire grande chose ».

142
entre ces différentes parties et l’association se profile comme souhaitable et surtout
réalisable, mais elle ne sera jamais achevée au-delà de l’état d’un contrat informel. Les
partenariats prennent fin et le programme pour les minorités sexuelles s’éteint.
Alors que le sujet de l’homosexualité paraît susciter sinon de la solidarité, au moins
de la convergence, le jalon autour duquel les différentes initiatives s’articulaient, à savoir la
SIRDO, s’éloigne en quelque sorte de ces initiatives. Les motivations de ce recul restent
ouvertes aux spéculations : certains l’expliquent par des malentendus personnels, d’autres
évoquent des complications administratives, les uns prétextent ne pas s’en souvenir
exactement, les autres suggèrent des dissensions concernant les fonds et subventions.
Quant à nous, nous inférons la difficulté de la SIRDO à assumer la problématique
homosexuelle et à alimenter la subsistance d’un programme concernant les personnes gaies
et lesbiennes. La suspension de ce projet au moment où il commençait à prendre plus de
substance – plus de personnes, plus d’activité, plus de visibilité – nous permet de revenir à
l’hypothèse initiale et souligner le caractère informel de la collaboration, d’affirmer le
refus de cette association de se charger de la cause homosexuelle.
La SIRDO donne son concours lors des premières initiatives vouées à sortir le sujet
de l’homosexualité de l’ombre et à le pousser au premier plan des débats publics, surtout
par le soutien aux projets de Razvan Ion, mais l’association ne s’implique pas davantage et
elle ne porte pas les revendications homosexuelles, donnant priorité à d’autres instances
d’affirmation des droits de l’Homme et de leur défense.
Sans plus nous attarder sur les limites de l’implication de la SIRDO dans l’émergence
des questions homosexuelles au début des années 1990, il convient de détailler maintenant
les activités concrètes que Razvan Ion avait lancées afin d’attirer l’attention publique au
sujet de l’homosexualité, voulant offrir une contrepartie à l’image négative de
l’homosexualité généralisée dans les médias roumains.

Parler, débattre, échanger – coup de projeteur sur l’homosexualité

1er décembre, la Journée Mondiale de Lutte contre le Sida


L’une des premières initiatives de Razvan Ion, et également l’une des premières
occasions où l’homosexualité fut abordée dans l’espace public, est représentée par la
tentative de célébrer la Journée mondiale de lutte contre le Sida, le 1er décembre 1991.
Cette journée fut établie par l’Organisation mondiale de la Santé en 1988 ; en Roumanie, la

143
date du 1er décembre fut déclarée jour de célébration de la Fête nationale en 1990238. L’idée
était de réunir un nombre de personnes concernées par le virus dans une manifestation qui
voulait soulever la question de la discrimination et des dangers associés à la
méconnaissance qui entourait le sujet à l’époque. L’impact de cette action est resté très
limité : très peu de personnes y ont participé (environ dix personnes, selon les estimations
de Razvan Ion), en majorité des mères dont les enfants avaient été infectés par des
transfusions de sang contaminé ; de plus, l’action n’a reçu que peu d’attention et n’a pas
eu de conséquences notables, restant plutôt une occurrence singulière ne lançant pas de
débat important au sein de la société. Toutefois, le lieu choisi pour ce rassemblement
mérite notre attention, puisqu’il est non seulement significatif pour la dynamique des
échanges futurs au sujet de l’homosexualité, mais offre également l’occasion d’annoncer
déjà un acteur qui sera très actif et très impliqué dans les prises de positions relatives à
l’homosexualité, à savoir l’Eglise orthodoxe roumaine. Cet endroit, donc, préféré pour
cette « manifestation » fut un square à Bucarest situé en face de la Patriarchie orthodoxe.
Le rôle et les interventions de l’Eglise orthodoxe au sujet de l’homosexualité feront
l’objet d’un examen attentif dans un chapitre distinct. Pour le moment, il convient de
mettre en évidence brièvement les ressorts de la stratégie mise en oeuvre afin d’attirer
l’attention: durant les années suivant la chute du régime communiste, l’Eglise tente de se
faire entendre et reconnaître en tant que force sociale et point de repère dans l’ordre social
en train de se reconstituer. Ses représentants se trouvent partout, ils participent à toute une
série d’événements, qu’il s’agisse d’inaugurations, de célébrations ou d’événements
publics. Elle bénéficie d’une grande attention des médias et son poids devient remarquable.
Choisir de placer une manifestation devant la Patriarchie traduit, d’une part, la volonté de
solliciter la réaction de cette institution, de la confronter à une situation au sujet de laquelle
il n’y avait aucune position officielle et de lui demander de s’exprimer. D’autre part, le
choix des lieux laisse entendre la volonté de susciter le plus d’audience possible : l’idée
implicite étant que la question abordée par l’Eglise bénéficierait de plus d’intérêt de la part
du public et des autorités que si elle était traitée par une autre institution. Néanmoins, cette
première – l’ouverture du sujet de l’homosexualité à un échange de positions - n’a pas
enregistré les résultats espérés.

238
L’ancienne fête nationale, le 23 août, célébrée pendant les années communistes, marquait le jour
de la victoire contre le fascisme ; le choix du 1er décembre correspond à un moment symbolique de
l’histoire nationale, à savoir l’union des Principautés roumaines en 1918.

144
Même si ça ne nous convient pas, l’homosexualité existe quand même!
A peu près une année plus tard, Razvan Ion s’engage dans une autre action, plus
centrée sur l’homosexualité : il s’agit de l’une des premières opportunités d’entendre un
discours sur la thématique qui ne met pas le signe d’égalité entre cette orientation sexuelle
et le vice, l’anormalité ou le péché. L’objectif de Razvan Ion était de tirer un signal
d’alarme quant à la situation des personnes homosexuelles en Roumanie : les personnes
envoyées en prisons pour le simple fait d’avoir entretenu un rapport sexuel, les agressions
et les humiliations, le mépris et les impolitesses, la grossièreté même des histoires
présentées dans les journaux, le manque de respect pour l’intimité, les indignités appellent
dans la vision du journaliste Razvan Ion à une réaction. Il se propose donc de réaliser une
émission-débat autour de l’homosexualité, qui sera diffusée sur une chaîne de radio locale
bucarestoise, Radio Delta RFI. Cette chaîne a été l’une des premières stations
indépendantes de Roumanie, ouverte en 1990 grâce à une collaboration entre la chaîne
française Radio France internationale et l’Institut polytechnique de Bucarest239. C’est via
des relations informelles avec des collègues journalistes que Razvan Ion a réussi à
organiser ce débat autour de l’homosexualité. L’émission diffusée le 3 novembre 1992 est
conçue comme un table ronde intitulée : « L’homosexualité, une réalité ! ». Selon les
explications des Razvan Ion, le titre faisait allusion à une attitude propre à la mentalité
communiste, traduite par la formule « ce qui ne me convient pas, n’existe pas ». Il souligne
à l’occasion sa conviction que l’ouverture de la question homosexuelle au débat représente
un signe de « normalité », « un pas vers le dépassement des structures obsolètes des
normes communistes ».
La table-ronde240 réunit un grand nombre d’invités provenant de milieu
socioprofessionnels divers : Laurentiu Zolotusca, médecin et représentant du Ministère de
la Santé, Lucian Stângu, juriste et représentant du Ministère de la Justice, Constantin
Oancea, psychiatre, Constantin Galeriu, prêtre, Alex Leo Serban, écrivain; Ioan Ciobanu,
représentant de la Police, Nathan Lynsk et Caryn Berman, militants américains dans le
domaine de la santé sociale, présents à Bucarest à l’occasion d’un stage de formation sur la
protection HIV organisé par l’ARAS pour ses volontaires.

239
Radio Delta RFI devient en avril 2006 RFI Romania.
240
Les discussions sont publiées dans le premier bulletin lgbt, Gay 45, qui est examiné plus loin.

145
Les points de vue exprimés lors de ce débat couvrent une aire large de
problématiques : depuis l’évocation de figures célèbres de l’histoire comme Léonard de
Vinci ou Arthur Rimbaud, jusqu’aux préjugés qui attribuent les cas d’infection HIV
exclusivement à la population homosexuelle, en passant par la présentation de l’activité de
certaines organisations internationales comme par exemple Amnesty International et par la
vision orthodoxe de l’homosexualité. Des données statistiques sont communiquées à la
même occasion - que nous allons regarder avec défiance étant donné le manque
d’information à ce sujet - : le représentant du Ministère de la Santé affirme avoir
connaissance d’un nombre de 125 cas d’infection HIV jusqu’au 30 septembre 1992,
seulement 11 % étant des cas transmis par une relation homosexuelle, par rapport au 27%
des cas transmis par une relation hétérosexuelle. Nous nous limitons à souligner que ces
informations sont celles dont le Ministère de la Santé disposait à la fin de 1992. A
remarquer toutefois une prise de position plus théorique, celle de Alex Leo Serban, qui se
réfère au statut de la sexualité en général et essaie de pousser la discussion vers des
questions de principe, comme le respect de la vie privée et le droit à la différence. Ce qui
débute par une exposition des points de vue se transforme vite en débat véritable lorsque
la perspective religieuse est présentée par le prêtre Galeriu ; il met l’accent sur les textes
évangéliques et soutient l’idée selon laquelle les préceptes religieux constituent les
fondements du bien et du mal, de la morale. La discussion tourne autour des enjeux de la
procréation et des fins des relations amoureuses, elle n’arrive pas à aborder le rôle de
l’Eglise dans l’Etat ou l’autorité de cette institution en matière de droit pénal. Si durant la
table-ronde sont exposés des points de vue stéréotypés sur les personnes lgbt comme étant
les plus exposées au risque HIV ou plus susceptibles de promiscuité, cet événement donne
l’occasion également à sortir des sentiers battus et de réfléchir à la question de
l’homosexualité dans une autre perspective : comme une affaire privée ou un choix
personnel. Cette vision se faisait rarement entendre dans l’espace médiatique à l’époque et
pour cette raison l’émission du 3 novembre 1992 sera retenue comme une tentative de
relativiser le sujet, de le sortir des cadres figés d’une opinion publique largement opposée à
la différence.

Gay 45 : le premier bulletin lgbt


L’initiative et la réalisation de la première publication dédiée à l’homosexualité, Gay
45 marque la réussite la plus notable de Razvan Ion, reconnue par les participants à

146
l’espace du militantisme gai roumain des années 1990-2000. Deux numéros ont été
publiés, nous n’avons réussi à en retrouver qu’un seul, le premier du 1er avril 1993241.
Le bulletin comprend huit sections différentes : débat, documentaire, HIV, droits de
l’Homme, reportage, courrier, international et petites annonces. La plupart des articles sont
en fait des traductions de nouvelles diffusées par une agence internationale de presse, des
collections d’informations sur des thématiques diverses, de la situation des personnes lgbt
dans les forces armées des Etats-Unis, à travers des faits divers, allant jusqu’aux
informations sur la transmission du HIV et la prévention des maladies sexuellement
transmissibles.
Sur un total de 18 pages, deux sont consacrées aux questions ponctuelles du contexte
roumain : la première, sous le sous-titre « débat », reprend les discussions de la table ronde
diffusées lors de l’émission de la Radio Delta. La deuxième, dans la section « droits de
l’Homme », traite du problème des prisonniers inculpés sur la base de l’article 200 du
Code pénal, c’est-à-dire sur la base de leur orientation sexuelle. Il s’agit d’un bref article
signé par Razvan Ion et Scott Long qui fait le résumé des deux visites effectuées dans les
établissements pénitenciers de Jilava et Galati au début 1993. Ils parlent des abus de la
police et de ceux des détenus, des conditions de vie dans les prisons, il s’agit d’un exposé
succinct, comprenant des exemples concrets, sur les « injustices » de la justice roumaine et
la situation insatisfaisante quant au respect des droits de l’Homme des personnes
homosexuelles. Egalement, grâce à la collaboration avec l’Association pour la Défense des
Droits de l’Homme en Roumanie (APADOR), qui avait facilité les contacts, les deux ont
réussi à communiquer non seulement avec les détenus, mais avec le personnel des prisons,
comme des gardiens ou des médecins.
Les questions que cet article soulève sont beaucoup plus complexes que ce que nous
pouvons comprendre de la brève présentation de ces visites : Qui est Scott Long ?
Comment a-t-il pu effectuer des visites dans les pénitentiers roumains ? Que cherche-t-il et
avec quel appui ? Quelles sont les relations avec l’association APADOR et quel a été la

241
La date choisie pour la publication de ce bulletin nous a attiré l’attention : il s’agit du 1er avril, la
Fête des Fous bien dans la culture roumaine que beaucoup d’autres ; est ce que la date avait été
choisie comme un éventuel canal de s’échapper aux possibles poursuites ? Il est de coutume de
faire des canulars dans les médias, alors publier un bulletin sur la thématique lgbt le 1 avril aurait
pu passer comme un ‘poisson d’avril’ le cas où les autorités s’étaient saisies. Le fait que le
deuxième numéro de ce bulletin est disparu nous fait également penser à la possibilité que seul un
matériel sûr (qui pouvait passer comme un canular) avait été gardé. Cette idée reste pour le moment
au stade d’hypothèse.

147
contribution concrète de cette association? Ces questions nécessitent plus d’investigations
et seront traitées par la suite. A ce stade de notre étude, nous retenons la publication du
bulletin, une occurrence originale pour le moment et les circonstances, ainsi que la
diffusion des informations sur la « criminalité » homosexuelle d’une manière
compréhensive et attentionnée, une perspective à part dans le paysage roumain.
Il est important de souligner que le bulletin a été repris par des distributeurs de presse
et a été vendu aux stands de presse bucarestois ; les chiffres correspondant au tirage,
budget, collaborateurs sont perdus, mais le premier numéro atteste la collaboration avec la
SIRDO et avec l’ARAS242.

Festival lgbt à Bucarest


Une autre initiative, également sortie à l’échec, marque le dernier exploit de Razvan
Ion sur la scène lgbt roumaine. Au mois de juillet 1994, un « festival » international des
gays et lesbiennes était prévu, mais il ne peut être organisé. L’événement, en réalité un
petit spectacle qui avait pour vedettes cinq artistes scandinaves243, n’est pas approuvé par
la mairie du 4e arrondissement de la capitale roumaine. Néanmoins, les organisateurs
persévèrent. Soutenu par quelques fondations – l’Institut Suédois, la RFSL AIDS
Foundation, la TUPILAK, la Hennechen Mehrzweck Fondation – l’événement devait être
abrité par le théâtre Ion Creanga de Bucarest. Confrontés au refus du directeur du théâtre
de mettre la salle de spectacles à leur disposition, les organisateurs ont tenté de trouver une
autre solution à la Maison de la culture du 4e arrondissement, mais un grand nombre de
policiers les attendaient sur place, avec mission de les en empêcher. De même, la
conférence de presse qui devait avoir lieu à l’hôtel Minerva, a eu lieu finalement dans la
rue, puisque la direction de l’hôtel ne l’a pas autorisée244.

242
L’impression du bulletin a été assurée par la typographie Katra Ltd.Co., dont les traces ont été
perdues, puisqu’elle est ddisparue depuis lors ; l’annonce publicitaire contenue dans le bulletin
donne un aperçu de la diversité de ses domaines d’activité : consultations juridiques, transports,
graphique, médiation ou studio photo…
243
Erik Kubista, danseur, Peter Berg, musicien, et ERI, une troupe de danse finlandaise.
244
Conformément à ILGA Euroletter 27 d’août 1994, IGLHRC et communiqué de presse de Kom
Ut International, Stockholm, le 20 juillet 1994.

148
Précisions
La présentation de Razvan Ion, ce personnage pionnier de l’émergence des
revendications homosexuelles en Roumanie, ne serait pas complète en l’absence d’un
nombre de précisions qui sont nécessaires afin d’établir le poids réel de ses efforts.
Tout d’abord, si l’on s’en tenait à ses témoignages, on pourrait croire que Razvan Ion
était la seule personne en Roumanie à se préoccuper de la question homosexuelle. Il faut
toutefois souligner que, si des informations disparates sur ses activités et ses initiatives
nous sont parvenues, il reste impossible d’attester les faits avec certitude. En dehors de
l’entretien que nous avons conduit avec Razvan Ion et le numéro 1 du bulletin Gay 45, il
n’y a aucune autre source sur laquelle nous pouvons compter pour vérifier sa version des
faits.
Les entretiens avec d’autres acteurs de la scène lgbt roumaine n’ont pas autorisé des
informations claires ou sans équivoque ; la plupart du temps, les personnes interviewées
n’ont pas spontanément cité Razvan Ion lorsque nous les avons interrogées sur les
premières tentatives d’intervenir sur la question gaie ; en général, le point de repère
qu’elles proposent est la création de l’association ACCEPT.
Lorsque les questions ont explicitement porté sur le nom de Razvan Ion et sur le
premier bulletin Gay 45, les souvenirs semblaient revenir, mais les témoins sont restés
vagues et évasifs. L’un des participants245 à la table-ronde du 3 novembre 1992 à la Radio
Delta nous a confirmé l’événement et sa propre implication, mais il a refusé de faire tout
autre commentaire sur l’événement ou sur les conditions de la réalisation, sur ses échanges
avec Razvan Ion. Deux autres sources ont cité Razvan Ion et l’une ou l’autre de ses
initiatives. Il est intéressant de constater que ces deux sources, anciens collaborateurs et
avec un certain rôle dans la constitution de l’association ACCEPT, ont mis l’accent sur la
manière d’attirer l’attention des média en la considérant une façon peu opportune pour
traiter de l’homosexualité. A leur avis, le fait de communiquer avec la presse, d’ouvrir les
débats, de faire de la publicité autour de la question homosexuelle n’a fait que mettre des
obstacles aux démarches qui se voulaient libératrices. Cet aspect sera repris dans notre
analyse lors de l’examen des stratégies de l’association ACCEPT.

245
Contacté par courrier électronique afin d’établir une possible interview, Alex Leo Serban a
confirmé sa participation à l’émission en question, mais il a refusé tout autre commentaire ainsi que
la demande d’entretien.

149
Par ailleurs, les documents écrits concernant Razvan Ion font absolument défaut :
Razvan Ion lui-même déclare avoir égaré lors d’un déménagement et jamais retrouvé le
carton contenant ses archives personnelles relatives au sujet. De plus, pendant la courte
période où il avait disposé d’un bureau auprès de l’association SIRDO, la porte de son
armoire aurait été forcée et tous les documents enlevés. Il faut ajouter également qu’il
s’agit d’une époque où la documentation qu’il gardait était dans sa plus grande partie
manuscrite; ce n’est que plus tard qu’il acquit une machine à écrire. L’heure des
ordinateurs n’était pas encore arrivée et les rapports n’étaient pas archivés sur un support
électronique. Lors de déménagements successifs des personnes et des bureaux des
associations de nombreux documents ont été égarés et jamais retrouvés. C’est le cas de la
documentation relative à l’homosexualité, qui a été d’autant plus vulnérable puisqu’elle
aurait pu être mobilisée comme preuve d’une contravention sur la base de l’article 200.
Un autre point sensible dans les récits sur ces premières tentatives d’agrégation des
revendications homosexuelles concerne les financements, question qui reste
particulièrement difficile de manière générale au niveau des associations et fondations
établies dans les années suivant décembre 1989246.
Vers la fin de 1993, Razvan Ion disparaît de l’espace roumain des mobilisations
autour des droits des homosexuels ; il quitte le pays et s’installe au Pays-Bas. Après des
années à l’étranger, où il continue ses études et alimente sa passion pour les arts visuels, il
est aujourd’hui un artiste reconnu internationalement, qui a participé à de nombreuses
expositions à titre personnel, a été professeur invité à l’Université Berkeley en Californie
ou à l’Université Derby au Royaume-Uni. En 1994 il quitte complètement la cause
homosexuelle et il n’en parle plus. Il se déclare « dégoûté » par la manière d’aborder
l’homosexualité en Roumanie et préfère ne pas s’exprimer à ce sujet. Il ne cache pas son
orientation (il vit depuis 10 ans avec son partenaire, qui est aussi son collaborateur
professionnel), mais n’en parle pas publiquement. Nous avons tenté à plusieurs reprises de

246
Razvan Ion déclare avoir utilisé son propre argent pour conduire ses activités, ainsi que de très
rares ressources mises à sa disposition par la SIRDO ; il déclare aussi avoir toujours été très peu
préoccupé par les questions matérielles et ne pas avoir déployé beaucoup d’efforts pour trouver
davantage de financements. D’autre part, son image, si fragmentaire qu’elle soit, reste associée à un
conflit financier ; sans rentrer dans les détails, les personnes interviewées qui déclaraient le
connaître font allusion à un détournement de fonds, mais elles ont refusé de rentrer dans les détails,
en motivant ne pas les connaître. De telles accuses et surtout de tels incidents étaient récurrents
dans le paysage associatif roumain au début des années 1990.

150
prendre contact avec lui, et pendant plusieurs années, pour qu’il accepte finalement, en mai
2009, de parler de son expérience du début des années 1990 en Roumanie.
Aujourd’hui son discours reste radical: il considère que la société roumaine se trouve
dans un état de déclin et de corruption épouvantable, qui ne peut trouver une explication
que dans le fait « qu’ils ont tous voulu devenir riches, et vite » ; il n’hésite pas à faire des
déclarations virulents, comme par exemple : « le Ministre de la Culture est la
personnification de l’incompétence de plus haut niveau », ce qui lui garantit une réputation
de personne incommode, cynique et audacieuse dans ses prises de positions247.

Razvan Ion serait-il l’incarnation de la mobilisation autour de la cause homosexuelle


dans la Roumanie sortant à peine du communisme ?
Une réponse à cette question prend contour. Il ne fait pas de doute qu’il a mis en
route une certaine dynamique ayant l’intention de lancer la question homosexuelle dans le
débat public, de faciliter l’échange de points de vue et de contester l’attitude générale
négative envers les personnes lgbt. Toujours est-il que la résonance, les effets de ses
activités restent difficiles à évaluer. Toujours est-il qu’il n’a pas réussi à opérer
effectivement un changement ; il n’a pas mis en route un processus de changement non
plus. Pourtant, ses tentatives ont été nombreuses et cela durant les années qui suivent
immédiatement la chute du régime communiste.

Comment expliquer le manque de solidarité autour de la question homosexuelle dans


le contexte roumain à la sortie du communisme ? Pourquoi les initiatives restent isolées,
les projets ne trouvent pas de participants, les groupes lgbt informels n’arrivent pas à se
souder, les individus à adhérer à une cause commune ?
Des hommes gays et des femmes lesbiennes existaient, étaient en contact,
échangeaient, se rencontraient, discutaient, passaient du temps ensemble ; néanmoins nous
ne pouvons pas parler d’une quelconque organisation homosexuelle ou de l’aube d’un

247
Cristian Crisbasan, chroniqueur mondain pour plusieurs quotidiens et revues de mode, le
caractérise dans des termes très élogieux : « théoricien professionnel des nouveaux moyens
artistiques contemporains – image digitale, vidéo, nouveaux médias, installations, écrivain, Razvan
Ion est également un bon manageur culturel, espèce extrêmement rare chez nous. Personnage
controversé incommode, libre dans sa pensée, sans peur et sans complexes, orgueilleux, tenace au
point d’en être dérangeant, rendant les gens désespérément jaloux et haineux, RI est parvenu en
dépit de tous les obstacles et pièges, à réussir jusqu’à la fin ». Cristian CRISBASAN, « Nevoia de
modele. Alergatorul de cursa lunga » (Le besoin de modèles. Le coureur de fonds), in Ziarul
financiar, 22 septembre 2006.

151
quelconque mouvement homosexuel, d’un combat pour la cause homosexuelle, loin s’en
faut. Il s’agit plutôt de traces d’organisation, de tentatives d’ouverture d’un espace où
trouver une place, de l’essai d’articuler un champ des revendications, mais qui ne parvient
pas à se structurer, à atteindre un degré de cohésion soutenu. Cette situation est d’ailleurs
généralisée au niveau de la société roumaine, où le secteur associatif dans son ensemble
reste modeste à l’époque248.

B. L’introuvable « société civile » à l’est249

Cet aspect de la « lenteur » à s’organiser qui caractérise les sociétés post-


communistes a été largement débattu dans les recherches250 portant sur cette partie du
monde. Le désaccord quant à l’utilisation de la notion de « société civile » comme
catégorie discursive dans l’étude du post-communisme perdure, puisque la question de
savoir si la compréhension des transformations est mieux servie par ce concept ou pas
demeure ouverte. Le terme est néanmoins intensément mobilisé, surtout dans les premières
années suivant 1989, dans les travaux scientifiques et dans les rapports des professionnels
des diverses organisations non-gouvernementales internationales, dans la presse et dans les
discours des hommes politiques. Cette situation n’aide en rien à dissiper l’obscurité qui
caractérise les débats.

248
Edith LHOMEL, Sandrine DEVAUX, « La vie associative. Le cas roumain et tchèque », in
Courrier des pays de l’Est. Politique, économie et société, N° 1019, 2001, pp. 16-34 ; Gérard
ALTHABE, Laurent BAZIN, « Un paysage social incertain. La Roumanie postcommuniste », in
Journal des anthropologues », Vol. 77-78, 1999, pp. 35-51 ; Antoine HEEMERYCK, « ONG,
société roumaine et globalisation : vers la construction d’un objet d’étude », mémoire de DEA en
ethnologie sous la direction de Laurent BAZIN, Université de Lille 1, 2001, texte en manuscrit.
249
Le sous titre nous a été inspiré par le titre d’un article paru en 1992 : Alexandra LAIGNEL-
LAVASTINE, « Roumanie : l’introuvable société civile », in La Nouvelle Alternative, N° 28, 1992,
pp. 46-50.
250
Des contributions plus récentes mettent le phénomène en relation avec l’engagement obligatoire
durnat les années communistes. Anna Krasteva distingue trois formes de désengagement dans les
sociétés postcommunistes : mométique, héroïque et civique. Voir Anna KRASTEVA, « De
l’individu postcommuniste au citoyen », in SociologieS, Traflerts, L’engagement citoyen en Europe
centrale et orientale, mis en ligne le 5 novembre 2009, www.sociologies.revues.org, consulté le 11
novembre 2009.

152
Sans ignorer la longue histoire de la réflexion au sujet de la société civile251, nous
notons la revitalisation du concept dans la science politique avec la littérature sur la
transition et surtout la « consolidologie »252. Cette question apporte au premier plan une
vision de la démocratisation comme une évolution, l’accomplissement d’un processus de
changement, ce qui débouche sur des définitions tautologiques et peu opérationnelles. Par
contre, concevoir la consolidation en tant que résultat implique à son tour des présupposés
normatifs concernant le seuil à partir duquel un régime démocratique peut être considéré
comme stable, donc « consolidé ». C’est par ce biais que la dimension de la société civile
devient l’un des indicateurs fondamentaux de la démocratisation. De ce point de vue, la
contribution de Juan Linz et Alfred Stepan253 reste majeure : en essayant de répondre aux
nécessités de délimitation conceptuelle, ils formulent une structuration des conditions pour
l’existence de la consolidation démocratique sur cinq arènes, dont la première vise la
société civile : « First, the conditions must exist for the development of a free and lively
civil society ». S’y ajoutent la société politique, l’Etat de droit, une bureaucratie
fonctionnelle et une société économique institutionnalisée. Depuis, les critiques ont frappé
à la fois les théories sur la consolidation démocratique et celle sur la société civile ; la thèse
de la liaison entre la démocratie et la société civile perdure, soit en termes de nécessité, soit
en termes moins forts de partenariat.
Les deux auteurs expliquent par la suite ce qu’ils entendent par la société civile, à savoir
« that arena of the polity where self-organizing groups, movement, and individuals,
relatively autonomous from the state, attempt to articulate values, create associations and
solidarities, and advance their interests. Civil society can include manifold social
movements (women’s groups, neighborhood associations, religious groups and intellectual

251
Dominique COLAS, « Première partie. Société civile, Etat, nation », in Dominique COLAS
(sous la dir de), L’Europe post-communiste, PUF, Paris, 2002 ; Maximos ALIGISAKIS, « La
société civile : un concept de son espace-temps », in Transitions, dossier « Quelle société civile
pour l’est européen ? », Vol XLII, N° 2, 2001 ; Ernest GELLNER, « La société civile dans une
perspective historique », in Revue Internationale en Sciences Sociales, N° 129, 1991, pp. 527-544.
252
La base de ces observations sur la consolidologie se trouve dans l’article de Nicolas GUILHOT
et Philippe C. SCHMITTER, art. cit.
253
Juan LINZ, Alfred STEPAN, Problems of Democratic Transition and Consolidation – Southern
Europe, South America and Post-Communist Europe, Baltimore, John Hopkins University Press,
1996 (voir page 7 pour les deux citations qui suivent). Toutefois, l’idée n’est pas nouvelle: Cristian
Jaffrelot affirme que la conception selon laquelle il n’est pas de système démocratique sans société
démocratique fut formulée dans les années 1960 par Harry Eckstein. Voir Cristophe JAFFROLET,
op.cit., p. 34.

153
organizations) and civic associations from all social strata (such as trade unions,
entrepreneurial groups, journalists or lawyers) ».
Les changements suivant la chute des régimes communistes ont revigoré l’intérêt
pour cette notion254; selon certaines voix, ce concept a vécu une renaissance non seulement
dans le discours politique, mais aussi dans le discours académique255 (on y ajouterait sans
peine le discours journalistique et le langage commun). Au-delà des contradictions
concernant les valeurs heuristiques de ce concept dans l’analyse des sociétés post-
communistes, un consensus assez large concerne la fragilité de la société civile à l’Est de
l’Europe. C’est d’ailleurs la conclusion et le titre d’une étude datant de 2003 sur le sujet :
la société civile dans les pays post-communistes est fragile256. A travers une analyse
empirique qualitative et quantitative, Marc Morje Howard arrive à formuler trois facteurs
fondamentaux pour expliquer la faiblesse de la société civile : tout d’abord, l’expérience
des gens avec les organisations, plus exactement les legs du passé : le manque de confiance
dans tout type d’organisation formelle, dû à la participation forcée dans les organisations
communistes ; en deuxième lieu, dans l’ordre de l’énumération, parce que les trois facteurs
sont étroitement liés, la persistance des réseaux informels qui fonctionnent comme un
substitut ou comme une alternative aux organisations publiques formelles ; et
dernièrement, la déception devant le nouveau système démocratique et capitaliste.
Il apparaît que le cas roumain ne fait pas exception à la règle: la « société civile »
constitue une notion fréquemment utilisée, dans un très grand flou conceptuel et une large
diversité de situations sociales et politiques, sans avoir un correspondant factuel réel257 .
Un auteur va jusqu’à affirmer que les attributs communément observés dans l’ensemble

254
Georges MINK, « Les sociétés post-communistes. Amorphes ou actives? », in Le Courrier des
pays de l’Est. Politique, économie et société, N° 1019, 2001, pp. 4-15; James L. GIBSON, « Social
Networks, Civil Society and the Prospects for Consolidating Russia’s Democratic Transition », in
American Journal of Political Science, Vol. 45, N° 1, 2001, pp. 51-68.
255
M Grabowska et T. Szawiel cités par Georges MINK, « Les sociétés post-communistes.
Amorphes ou actives? », in Le Courrier des pays de l’Est. Politique, économie et société, N° 1019,
2001, p. 10.
256
Marc Morje HOWARD, The Weakness of Civil Society in Post-Communist Europe, Cambridge,
Cambridge University Press, 2003. Voir Chapitre 2.
257
Sur la problématique de la société civile en Roumanie, voir Edith LOHMEL, Sandrine
DEVAUX, art. cit. , Marc DE BELLET, « La société civile roumaine des années ’90 – un rapport
ambigu au politique », in Transitions, dossier Quelle société civile pour l’est européen ?, Vol XLII,
N° 2, 2001, Ioan MIHAILESCU, « Valori si norma sociale in perioada tranzitiei » in România
Sociala, N° 1, 2001. Se référer également à l’article de Ramona COMAN, « Romanian civil
society, twenty years after the collapse of communism. A loud voice in domestic politics? » in
Europe Asia Studies, à paraître 2010.

154
des sociétés post-communistes, à savoir la suspicion entre individus, le scepticisme et la
méfiance à l’égard de tout engagement collectif, le refus de prise de responsabilité,
« revêtent, dans le cas de la Roumanie, des dimensions exacerbées »258.
A la lumière de ces remarques, en retenant surtout les problèmes entourant cette
notion, nous allons l’utiliser avec précaution : si la passivité de la société roumaine est
redoutable, cela n’offre pas une explication automatique quant à la manière dont la
mobilisation autour des questions homosexuelles s’est articulée, mais elle nous aide à
mettre en perspective notre sujet particulier : de manière générale la société tarde à
s’organiser et les individus sont réfractaires aux actions communes. Il tient de l’ordinaire
que les personnes lgbt soient tout aussi rétives à s’engager socialement.
Il nous semble plus riche d’investiguer les acteurs véhiculant ce concept, acteurs qui,
à notre avis, l’utilisent comme point d’appui dans leurs actions, à travers l’étroite liaison
avec les autres marques de la démocratie, comme l’Etat de droit, l’économie de marché
etc259. Dans cette logique la « société civile » devient un instrument qui légitime
l’intervention sur la scène politique et sociale roumaine. Proposant une lecture dans
laquelle le manque de mobilisation lgbt équivaut à la faiblesse de la société civile et donc
dénote l’instabilité de la démocratie et le déficit de démocratisation, certaines instances
dans le paysage politique et sociétal roumain s’en réclament pour cautionner leurs
démarches. Cela fera l’objet de notre examen dans la suite de cette analyse.

258
Edith LOHMEL, Sandrine DEVAUX, art.cit. p. 17.
259
Pour une analyse qui se place également dans cette perspective voir Antoine HEEMERYCK,
L'imposition démocratique en Roumanie : société civile et société, Paris, L’Harmattan, à paraître
2010. Cet ouvrage se propose d’analyser la mise en acte de la « normalisation politique » en
Roumanie à travers l’intervention de quelques bailleurs de fonds spécifiques. Voir également les
travaux de Gautier Pirotte sur le secteur associatif en Roumanie : Gautier PIROTTE, Une société
civile postrévolutionnaire. Etude du secteur ONG de Roumanie. Le cas de Iasi, Louvain-la-Neuve,
Academia Bruylant, 2003.

155
Chaptire 4 : Les conditions de possibilité d’un changement concernant les provisions
légales sur l’homosexualité dans le cas roumain

Préambule
A. Premiers pas sur la voie de la démocratisation – la réforme de la législation

B. L’article 200 à l’agenda du Gouvernement roumain


L’option européenne – une priorité du Gouvernement roumain
Les entrepreneurs de la démocratie :
Quatre instances, un même but : aider
International Lesbian and Gay Association
International Gay and Lesbian Human Rights Commission
Human Rights Watch
Amnesty International
Se renseigner sur l’article 200
Affronter la question homosexuelle : sous le regard de l’Europe. Regard de synthèse

C. Mettre l’homosexualité à l’agenda du Conseil : la Roumanie ou le litmus test

D. Des acteurs travaillant sur une question à l’échelle internationale

156
Chaptire 4 : Les conditions de possibilité d’un changement
concernant les provisions légales sur l’homosexualité dans le cas
roumain

Préambule

La nuit du 27 juin 1969, New York; plus exactement le bar gay Stonewall Inn
dans la Christopher Street – voilà les coordonnées de l’acte de naissance du
mouvement gay et lesbien aux Etats-Unis. Lorsque la police opère l’une de ses
fréquentes descentes sur les lieux, les habitués du bar commencent
spontanément à affronter les forces de police, en s’opposant aux arrestations.
Les affrontements se soldent par des blessés des deux côtés et des arrestations.
Alertée, la presse relate les combats qui se poursuivent pendant cinq jours
d’affilée. Quelques jours plus tard, le Gay Liberation Front fut né.

Le 10 mars 1971, Paris ; plus précisément l’émission de Ménie Grégoire, en


direct de la salle Pleyel, « L’homosexualité, ce douloureux problème » - c’est
l’acte de naissance du mouvement gay et lesbien en France. Lorsque l’un des
invités au débat, un abbé, commence à parler de la souffrance des homosexuels,
le public intervient dans le débat en hurlant : « Ce n'est pas vrai, on ne souffre
pas ! ». Les militantes prennent d’assaut la tribune, l’émission est interrompue.
Le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire fut né.

Deux événements qui ont lieu à peu d’intervalle, mais qui se structurent selon une
même logique : des hommes et des femmes homosexuels se révoltent, passent à l’action,
demandent leurs droits, veulent changer leurs conditions de vie tout en affrontant
l’opposition que le phénomène de l’homosexualité a pu engendrer dans les contextes
sociales respectifs. Vingt ans plus tard, dans un autre espace culturel, les mêmes
revendications ne débouchent pas sur une telle action. Des hommes et des femmes qui se
trouvaient dans une situation de marginalisation, d’exclusion, ne trouvent pas la force de
percer sur la scène sociale et politique et d’exiger une vie meilleure.

157
L’enjeu de cette recherche n’est pas de trouver une explication au manque
d’agrégation sociale autour de la question homosexuelle ; il s’agit à ce stade de
comprendre comment surgit le besoin d’intervenir sur la législation afin de modifier
l’article 200 du Code pénal, en l’absence d’une demande sociale, qui émane d’en bas.
La question homosexuelle a été tour à tour considérée dans les discours
journalistiques ou associatifs comme un symptôme des transformations à l’œuvre pendant
la ‘transition’ vers la démocratie ou comme une importation occidentale, comme une
image de la reconstruction sociale et culturelle suivant l’effondrement d’un régime
autoritaire. Elle a aussi été considérée comme une réponse aux pressions externes dans le
cadre de l’élargissement de l’Europe, comme le symbole d’une transition lente et d’un
passage difficile vers la démocratie ou, enfin, comme un instrument de mesure des progrès
accomplis sur la voie de la démocratisation du pays.
Parfois, la confiance envers le pouvoir explicatif de la variable « Europe » tient de
l’évidence même ; à plusieurs reprises, l’engagement du pays sur la voie européenne, qu’il
s’agisse de l’adhésion au Conseil de l’Europe ou à l’Union européenne, est invoqué
comme l’élément-clef pour comprendre l’émergence des questions homosexuelles dans
l’espace public et politique roumain. Quelques citations seront reprises ici pour illustrer
notre propos :
Dans le « Dictionnaire de l’homophobie », l’un des rares ouvrages généraux et
compréhensifs qui existent sur la question, même s’il ne comprend pas une entrée sur la
Roumanie, les différents auteurs semblent s’accorder sur la vision des transformations
législatives concernant l’homosexualité en tant que réponse à la pression des instances
européennes : Michel Celse et Phillipe Masanet, qui signent les rubriques sur la région de
l’Europe de l’Est dans ce dictionnaire, montrent cette conviction : Tout d’abord,
« [l]’abrogation de l’interdiction totale de l’homosexualité, vivement combattue par
plusieurs formations politiques et par l’Eglise orthodoxe, n’a été, comme dans les Pays
baltes, qu’une concession aux exigences européennes. » 260 Ainsi, « [e]n 1993, le Conseil
de l’Europe obtient du gouvernement roumain la promesse de l’abrogation de sa législation
homophobe comme condition de son adhésion. Il faut noter que ce n’était pas une
condition préalable. Commence alors un véritable parcours de combattant. »261

260
Michel CELSE, « L’Europe de l’est », in Louis-Georges TIN (dir.) Dictionnaire de
l’homophobie… op. cit. , p 155.
261
Philippe MASANET, « Balkans », in Ibidem, p. 59.

158
L’affirmation de l’étroite liaison entre les pressions européennes et les changements
internes apparaît également dans d’autres instances : « Dans l’ère postcommuniste, l’Union
européenne et le Conseil de l’Europe ont exercé des pressions significatives sur la
Roumanie pour qu’elle abroge sa législation qui criminalisait l’homosexualité. » 262
Ces énonciations, tellement assurées et sans d’autres preuves pour les soutenir, ont
réclamé notre attention : c’est notre propos/objectif/intention d’explorer les ressorts de ce
processus d’action - réaction qui, apparemment, est la source du changement en ce qui
concerne l’émergence des transformations relatives au statut légal des relations
homosexuelles en Roumanie. Mettre en question ces « évidences », tenter de déchiffrer
leur justesse, analyser les vagues successives de négociations et ajustements entre instances
multiples et diverses pour reconstituer les dynamiques sous-jacentes d’un processus au
premier abord d’une simplicité pavlovienne constituent l’un des buts de cette analyse. Ces
désignations nous offrent autant de points d’interrogation sur les configurations sociales et
politiques qui ont jeté les bases de l’émergence des questions homosexuelles dans le
contexte roumain.

A. Premiers pas sur la voie de la démocratisation – la réforme de la législation

Les transformations postcommunistes en Roumanie avec l’option démocratique du


pays constituent l’un des points de départ de notre examen ; il s’agit du contexte dans
lequel les changements concernant les relations homosexuelles ont été possibles. Les
approches transitologiques263, même si parfois trop généralisantes ou trop éloignées des

262
Mihnea Ion NASTASE, « Gay and Lesbian Rights », in Henry F. CAREY (éd.), Romania since
1989. Politics, Economics and Society, Lexington Books, 2004, pp. 315-334, p.316.
263
L’ouvrage publié en 1986 par Guillermo O’Donnell, Philippe C. Schmitter et Laurence
Whitehead est considéré la référence dans ce champ ; il constitue la première étude comparative
des processus politiques de démocratisation depuis la seconde guerre mondiale et établit les points
de repère pour une riche littérature qui s’est développée par la suite sur ces problématiques. Voir
Guillermo O’DONNELL, Philippe C. SCHMITTER et Laurence WHITEHEAD, Transitions from
Authoritarian Rule, Baltimore, John Hopkins University Press, 1986, 5 vol. Quelques autres
ouvrages sont devenus ‘incontournables’ pour cette approche, comme à l’instance Scott
MAINWARING, Guillermo O’DONNELL, J. Samuel VALENZUELA (dir.), Issues in Democratic
Consolidation, Notre Dame, University of Notre-Dame Press, 1992. Après avoir travaillé pour
rendre compte des passages des régimes « autoritaires » vers des régimes « démocratiques » depuis
la fin de la deuxième guerre mondiale, la transitologie est encore une fois mobilisée dans la
réflexion, cette fois ci pour rendre compte des évolutions à l’oeuvre dans les pays sortant du
communisme à l’est de l’Europe. Voir Juan LINZ, Alfred STEPAN, Problems of Democratic
Transition and Consolidation : Southern Europe, South America and Post-Communist Europe,

159
fins qu’elles se donnent, rendent compte néanmoins du principe de base de ces
transformations, à savoir le caractère finaliste et volontariste des projets politiques déroulés
à l’est de l’Europe depuis 1990264. Si le passage d’un ordre politique à l’autre entraîne des
changements multiples, ceux-ci ne se produisent ni de manière automatique, ni sans peine :
ils subissent le poids du passé, un héritage qui intervient dans les nouvelles recompositions
dans des formules parfois difficiles à appréhender avec exactitude265.
La réforme du secteur judiciaire a marqué l’une des étapes à parcourir après 1989. La
transition judiciaire est ponctuée par deux types d’interventions : une première concerne la
promulgation d’une nouvelle Constitution, qui est votée par le Parlement le 21 novembre
1991 et adoptée par referendum national le 8 décembre la même année.
Un autre pas dans la mise en œuvre du nouvel ordre juridique est représentée par la
modification de la législation, principalement le Code pénal et le Code de Procédure
pénale, une réforme qui était considérée comme prioritaire, mais s’est avérée fort complexe
et a exigé des interventions qui se prolongent pendant un bon nombre d’années. D’ailleurs
elle n’est achevée que vers la fin des années 2000266. La nécessité de l’intervention est
réclamée pour résoudre trois catégories de problèmes : éliminer les contradictions entre
l’ancien Code et la nouvelle Constitution (1), mettre le Code pénal en conformité avec les
traités internationaux signés par la Roumanie (2) et adapter les peines aux nouvelles

Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1996; Philippe C. SCHMITTER et Terry Lynn KARL,
« The Conceptual Travels of Transitologists and Consolidologists : How Fat to the East Should
They Attempt to GO ? », in Slavic Review, 53, N°1, 1994, p. 173-185, Geoffrey PRIDHAM (dir.),
Transitions to Democracy, Aldershot, Dartmouth, 1995; Nicolas GUILHOT, Philippe C.
SCHMITTER, « De la transition à la consolidation. Une lecture rétrospective des democratization
studies », in Revue française de science politique, vol 50, n° 4-5, 2000, p. 615-631; Paul
KUBICEK, « Post-communist political studies: ten years later, twenty years behind », in
Communist and Post-communist Studies, 33, 2000, p. 295-309.
264
« Mais il serait peu pertinent d’écarter les intentions des acteurs qui ont des effets stratégiques
[…]. On ne dira non plus que la notion de transition n’a aucune pertinence, car elle serait un
phénomène politique et social constant, en effet, si, sans cesse, les sociétés changent, il se trouve
des moments de ruptures, des périodes où le rythme des transformations s’accélèrent, où leur
nombre augmente, leur intensité s’accroît […] Le principe même d’une théorie générale des
transitions ne peut, donc, être rejeté », Dominique COLAS (sous la dir. de), L’Europe post-
communiste, Paris, PUF, 2002, p.27.
265
Michel DOBRY, « Les voies incertaines de la transitologie », in Revue française de science
politique, vol 50, N° 4-5, 2000, p.585-614, Maxime FOREST, Georges MINK, Post-communisme:
les sciences sociales à l’épreuve, Paris, L’Harmattan, 2004.
266
Ramona COMAN, Réformer la justice dans un pays communiste. Le cas de la Roumanie,
Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 2009. Pour ce point de synthèse sur les réformes
postcommunistes de la justice en Roumanie nous nous rapportons à sa recherche doctorale, dont
l’ouvrage est issu, « La carrière publique de la consolidation des garanties d’indépendance de la
justice. Un phénomène social et politique dans la Roumanie post-communiste », sous la direction
de Jean Michel De Waele, Université Libre de Bruxelles, 2008.

160
formes d’infraction267 (3). C’est dans cette logique que la question de l’article 200 revient à
l’agenda des législateurs, lors de l’ouverture des débats autour de la réforme de la justice,
suivant un projet de loi déposé au Parlement par le Gouvernement au mois de juin 1993268.
Dans son analyse de la réforme juridique, Ramona Coman observe que « si
l’adoption d’une nouvelle Constitution est une condition sine qua non, unanimement
acceptée dans la Roumanie d’après 1989, le maintien ou le rejet de la législation
269
communiste est une question à débattre » . A son avis, les explications relatives à ce
point de divergence entre les tenants du maintien, au moins temporaire, de la législation en
vigueur à la sortie du communisme et les adeptes d’une adaptation, voire d’un
réaménagement du corpus des lois renvoient à deux types de justifications : d’une part les
élites politiques évoquaient les risques d’une abrogation totale de la législation antérieure,
qui aurait donné lieu au vide législatif ; d’autre part, les juristes de l’époque estimaient que
la législation communiste n’était pas tellement défectueuse, puisque l’entente générale
convergeait vers l’idée selon laquelle les régimes communistes n’étaient pas exactement
fautives par le fait de ne pas garantir des droits, mais par ne pas les respecter. De plus, la
recherche citée apprécie que la vision prépondérante parmi les législateurs et les élites
politiques au commencement des années 1990 correspondait à reconnaître la perpétuité des
fondements romano-germaniques du système judiciaire roumain, auxquels le régime
communiste n’aurait pas porté atteinte de manière substantielle. Ainsi, la réforme de la
législation se confond avec un « simple retour an arrière, un retour à la période d’avant
l’instauration du communisme270 ».
Cette remarque concernant l’ensemble du corpus législatif rejoint notre observation à
l’égard de l’exemple précis de l’article 200, puisque ladite proposition de réforme avancée
par le Gouvernement n’intervient sur cette loi que pour y ajouter une restriction : « les
relations sexuelles entre personnes du même sexe provoquant scandale public seront
punies de cinq à un an d’emprisonnement » (c’est nous qui soulignons). Comme nous
l’avons vu dans le deuxième chapitre, la formulation antérieure à 1968 des dispositions
concernant les relations homosexuelles faisait usage de cette même expression, « scandale
public ».

267
Il s’agit des infractions liées par exemple à la mise en place de l’économie de marché, comme
par exemple les cheques sans provisions.
268
L’analyse de ce projet et son avenir fera l’objet du chapitre suivant.
269
Ramona COMAN, op. cit. p. 231.
270
Ibidem, p. 232.

161
Il s’agit donc d’une réforme de la législation qui n’est pas envisagée comme
prioritaire, dans le cadre de laquelle la modification de l’article 200 non seulement se
présente comme une question marginale, mais correspond aussi à une régression.

Que la réforme de la législation concernant l’homosexualité représente une question


marginale dans la période suivant la chute du régime communiste ne tient pas de
l’extraordinaire ; dans d’autres pays ex-communistes, ce changement est intervenu de
manière presque automatique, sans faire l’objet d’une loi spécialement conçue ou d’un
projet particulier. En Russie, par exemple, c’est toujours dans le cadre de la première
réforme du Code pénal après l’effondrement du système communiste que les provisions
punitives concernant les relations sexuelles entre partenaires de même sexe sont abrogées,
cela sans débats consistants et sans lever d’opposition.
Par contre, il convient de remarquer, d’une part, que la réforme du Code pénal, le
corpus central des lois de la société, a nécessité trois ans de débats pour s’achever, ainsi
que pas moins de trois allers-retours entre les deux chambres du Parlement, et que, d’autre
part, l’article 200 a été considéré comme le point épineux de cette réforme, raison pour
laquelle la réforme juridique a été bloquée. Le moment est venu d’orienter la focale de
l’analyse vers les ressorts de cette réforme du Code pénal, la première intervention sur
l’instrument fondamental du droit roumain après la chute du régime communiste. Pour ce
faire nous abordons l’initiative du Gouvernement de lancer la réforme du Code pénal, les
raisons et les enjeux de ce projet.

B. L’article 200 à l’agenda du Gouvernement roumain

Afin de démêler les fils dont l’imbrication a conduit à cette proposition du


Gouvernement d’inclure un amendement de l’article 200 dans le projet de réforme du Code
pénal, nous consacrons notre attention à l’examen des acteurs qui posent au premier plan
de la vie publique la problématique de la législation punitive des relations homosexuelles
et qui confrontent les autorités roumaines aux questions relatives à l’article 200.
Ainsi, nous structurons notre démarche sur deux niveaux : dans un premier temps
nous abordons l’ouverture des procédures d’adhésion de la Roumanie au Conseil de
l’Europe : la demande d’adhésion à cette institution européenne confronte les autorités

162
roumaines à l’homosexualité et à l’article 200 plus précisément. Nous nous intéressons
dans un deuxième temps aux entrepreneurs de la démocratie, présents en Roumanie dès la
chute du régime communiste, qui vont à leur tour engager des échanges avec les dirigeants
roumains sur le sujet de l’homosexualité et solliciter leurs réactions.

L’option européenne – une priorité du Gouvernement roumain

L’une des inquiétudes du corps politique roumain après 1989 a été le prétendu
« retour à l’Europe ». Vue comme une séparation forcée du reste de l’Europe, la période
communiste laisse la place après 1989 aux retrouvailles avec le vieux continent ; le
discours public dominant au commencement des années 1990 présente la Roumanie
comme une partie légitime de ce continent, non seulement géographiquement, mais aussi
politiquement et culturellement. L’option européenne, dans un sens générique, sans faire
référence aux institutions de l’Europe est par conséquent presqu’un automatisme du
discours politique, elle n’est pas mise en question et les alternatives ne sont pas
envisageables. Le Parlement roumain bénéficie du statut d’invité spécial auprès du Conseil
depuis le 1er février 1991 et le 19 décembre le pays adhère à la Convention culturelle
européenne. La même année en décembre le Gouvernement roumain, dans une lettre
adressée au Secrétaire général du Conseil de l’Europe271, déclare également la volonté de
devenir membre du Conseil.
Suite à cette demande, la procédure d’adhésion est lancée : le 17 janvier 1992, le
Comité des Ministres à l’Assemblée invite l’Assemblée parlementaire à exprimer son avis
en la matière. Afin de préparer son avis, l’Assemblé demande aux commissions
d’investiguer la demande et envoie des rapporteurs sur le terrain.
Plusieurs missions sont poursuivies au cours des années 1992 et 1993 et les visites et
rencontres avec des ministres, des parlementaires, des représentants des ONG et des
médias roumains, des partis et des minorités, des ambassadeurs des pays européens en
Roumanie, auxquels s’ajoutent des conférences de presse272 sont traduites dans trois
rapports essentiels :

271
La lettre sera envoyée le 16 décembre 1991.
272
La première visite d’information a eu lieu du 26 au 30 août 1992, suivie par une mission
d’information du 8 au 10 mars 1993 et une autre du 26 au 28 avril 1993.

163
- Le document 6901 du 19 Juillet 1993, établissant un rapport de la commission des
questions politiques, rédigé par le rapporteur Friederich Köning, le représentant du
Groupe du parti populaire européen, Autriche ;
- Le document 6914 du 16 septembre 1993, présentant un avis de la commission des
relations avec les pays non membres, rédigé par le rapporteur Theodoros Pangalos,
représentant du Groupe socialiste, Grèce ;
- Le document 6918 du 20 septembre 1993, exposant un avis de la commission des
questions juridiques et des droits de l’Homme, rédigé par le rapporteur Gunnar
Jansson, représentant du Groupe libéral, démocrate et réformateur, Finlande.

Les trois rapports proposent que l'Assemblée adopte un avis favorable sur la demande
d'adhésion de la Roumanie au Conseil de l'Europe ; cela étant dit, ces rapports
comprennent également quelques amendements et recommandations et deux d’entre eux se
référent spécifiquement à l’article 200 du Code pénal.
Le rapporteur pour la commission des questions politiques, Friederich Köning, traite
de l’article 200 dans une section intitulée « Droit au respect de la vie privée » où il attire
« l'attention sur le fait que la Cour européenne des droits de l'Homme a régulièrement
considéré que cette interdiction, même en l'absence de poursuites effectives, constitue une
violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme ».
Ensuite, le rapporteur pour la commission des questions juridiques et des droits de
l’homme, Gunnar Jansson, consacre plus d’espace à la question, incluant une section
intitulée « Homosexualité », qui décrit la situation légale en Roumanie et l’attitude des
gouvernants. Il note que, à l’occasion des échanges avec les autorités roumaines, la
question 6, relative aux relations homosexuelles273, avait reçu une réponse qu’il qualifie
comme « franche » : les autorités roumaines estiment que la dépénalisation de
l’homosexualité n’était encore faisable, au vu des mentalités roumaines : « […]la
dépénalisation de l'homosexualité n'est actuellement pas possible, étant donné que
l'homosexualité va à l'encontre du sentiment moral général et de la conscience religieuse
de la grande majorité de la population ». Il ajoute cependant qu’une solution est
envisageable : « Une solution pourrait être de changer la politique suivie en matière de

273
Questions adressées aux autorités roumaines : « Question 6 : Les actes homosexuels pratiqués
entre adultes sont toujours considérés comme des délits en Roumanie. Il semble qu'une douzaine de
personnes soient détenues après condamnation pour actes homosexuels pratiqués entre adultes »,
Voir Doc. 6918.

164
poursuites sans changer la loi, en ne faisant ainsi pas obstacle aux relations
homosexuelles entre adultes consentants. »

A partir de ces trois rapports, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe


formule sa réponse concernant l’adhésion de la Roumanie au Conseil de l’Europe lors de
sa 46e séance, le 28 septembre 1993 : son Avis 176 (1993) relatif à la demande d’adhésion
de la Roumanie au Conseil de l’Europe « recommande au Comité des Ministres, lors de sa
prochaine réunion i. d’inviter la Roumanie à devenir membre du Conseil de l’Europe ; ii.
d’attribuer à la Roumanie dix sièges à l’Assemblée parlementaire » 274 .
Néanmoins, cette réponse adressée aux autorités roumaines par l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe comprend, parmi d’autres recommandations, la
référence explicite à la modification de l’article 200 du Code pénal. Ainsi, « Elle
[l’Assemblée] espère que la Roumanie ne tardera pas à modifier sa législation de manière
que […] l’article 200 du Code pénal ne considère plus comme un délit des relations
homosexuelles en privé entre adultes consentants»275.
La Roumanie devient ainsi membre du Conseil de l'Europe le 7 octobre 1993, mais
l’adhésion oblige à des engagements spécifiques pour renforcer la démocratie et l’Etat de
droit, les droits humains et les droits des minorités ; parmi ceux-ci, l’engagement de
modifier l’article 200 du Code pénal apparaît comme incontournable.
De plus, la Roumanie s’engage à signer et ratifier la « Convention de Sauvegarde des
Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales »276, qui deviendra effective le 6 juin
1994. Deux articles de la Convention seront particulièrement utilisés pour argumenter la
nécessité d’abroger l’article 200 du Code pénal. Il s’agit de l’article 8277, qui garantit le

274
AVIS No 176 (1993) relatif à la demande d’adhésion de la Roumanie au Conseil de l’Europe,
discussion par l’Assemblée le 28 septembre 1993 (46e séance).
275
AVIS No 176 (1993), 7, ii.
276
Traité ouvert à la signature des Etats-membres du Conseil de l’Europe le 4 novembre 1950.
277
L’article 8, intitulé « Droit au respect de la vie privée et familiale » prévoit dans son premier
paragraphe (1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de
sa correspondance. Le deuxième paragraphe dit (2) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité
publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et
qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité
nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la
prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection
des droits et libertés d'autrui.

165
droit au respect de la vie privée, et de l’article 14278, qui garantit le droit à la non-
discrimination dans la jouissance des droits et des libertés reconnus.
Le poids des recommandations du Conseil de l’Europe et des engagements dont la
Roumanie se charge lors de l’adhésion constitue un point épineux tout au long des débats
autour de l’article 200 du Code pénal, que nous allons traiter dans les chapitres suivants.
Pour l’instant, nous tournons notre regard vers le deuxième canal à travers lequel la
thématique de l’article 200 attire l’attention des autorités roumaines, les entrepreneurs
transnationaux.

Les entrepreneurs de la démocratie

La chute des régimes communistes de 1989 a ouvert une nouvelle porte pour l’action
humanitaire, mais pas seulement. Après l’effondrement du Mur de Berlin, vint le temps de
« l’émergence des démocraties » à l’est ; les pays d’Europe centrale et orientale, les
« nouvelles démocraties », suscitent l’attention de la part de toute une série d’acteurs
européens ou internationaux prêts à les accompagner sur le chemin vers la démocratie.
Dans cette logique, le modèle démocratique s’articule autour de quelques thèmes
fondamentaux qui avaient fait leurs preuves à l’Ouest : l’Etat de droit, les droits de
l’Homme, la « société civile ». On assiste alors au commencement des années 1990 à une
intense mobilisation internationale : des associations occidentales, européennes et états-
uniennes, des organisations non-gouvernementales et des agences gouvernementales des
deux côtés de l’Atlantique, des instituts, des fondations et des paroisses tournent leur
attention vers l’est et offrent leur aide, leur expertise, leur argent, leurs compétences, bref,
leur expérience de la démocratie.
De l’opération « Villages roumains » à la mise en place des bureaux de l’US Agency
of International Development (USAID) à Bucarest, la Roumanie incite et reçoit pleinement
l’assistance de diverses instances. Le pays a besoin d’apprendre la démocratie et nombre
d’acteurs se chargent de cette mission.

278
L’article 14, intitulé « Interdiction de discrimination », dit : La jouissance des droits et libertés
reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée
notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes
autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune,
la naissance ou toute autre situation.

166
L’observation de Nadège Ragaru est intéressante de ce point de vue, en attirant
l’attention sur les difficultés soulevées par ces démarches : les efforts de démocratisation
n’ont pas comme point de repère un prototype de la démocratie qui avait prouvé sa
réussite, qui s’était avéré fonctionnel, pertinent et qui serait souhaitable. Les pays
occidentaux sont à leur tour des exemples variés de démocratie, avec des combinaisons de
différents traits politiques et de caractéristiques culturelles. Les pays de l’est de l’Europe
sont devenus à la sortie du communisme des chantiers pour la mise en œuvre de la
« démocratie », mais la question de la légitimité de ces projets de
démocratisation demeure.
« Alors que nul n’aurait songé, au sein même de l’Union européenne, à prétendre à
l’existence d’un modèle démocratique unique, indifférent aux habitudes sociétales et aux
équilibres politiques propres à chaque Etat de l’Union, la question n’a pas été posée de
savoir laquelle de ces synthèses démocratiques serait « exportée » à l’Est et, encore moins,
si les pays anciennement soviétisés pouvaient souhaiter produire leurs propres
recombinaisons démocratiques » 279.
Les approches théoriques abordant les questions de l’assistance à la démocratie sont
mal articulées, voire même chaotiques. De plus, ce sont surtout les praticiens qui ont
produit la plupart des connaissances dans ce domaine, comme par exemple le National
Endowment for Democracy (NED), l’Office of Democracy and Governance auprès de
l’US Agency of International Development (USAID) ou l’International Institute for
Democracy and Electoral Assistance auprès du National Democratic Institute (NDI). La
fortune de problématiques soulevées par les études de la promotion de la démocratie280
appelle à la réserve. Nous notons brièvement en effet le manque de distance critique de ces
analyses et la façon dont elles reprennent la vision normative des acteurs étudiés : en
mettant au centre la question de l’efficacité des interventions, la mesure du succès de
l’assistance, elles vont parfois jusqu’à prendre la forme des rapports d’évaluation des

279
Nadège RAGARU, « Démocraties et démocratisations est-européennes : le miroir brisé », in
Revue internationale et stratégique, Vol. 41, N° 1, 2001, pp. 143-155, p. 4.
280
Voir à ce titre Nicolas GUILHOT, « Les professionnels de la démocratie. Logiques militantes et
logiques savantes dans le nouvel internationalisme américain », in Actes de la recherches en
sciences sociales, N° 139, 2001, pp. 53-65 ; Nicolas GUILHOT, « La promotion internationale de
la démocratie : un regard critique », in Mouvements, N° 18, novembre - décembre 2001, pp. 28-31,
Nicolas GUILHOT, The Democracy Makers: Human Rights and International Order, New York,
Columbia University Press, 2005; Nadège RAGARU, art. cit.

167
programmes d’assistance et finissent par proposer des recommandations pratiques pour
l’amélioration de l’intervention.
Nous nous attachons dans un premier temps à répertorier les acteurs qui se font
porteurs de l’expertise de la démocratie dans le cas roumain, plus précisément les
organisations qui interviennent spécifiquement au sujet de l’homosexualité, pour voir par
la suite quelles ont été leurs activités et comment ils ont concrètement agi au sujet des
personnes lgbt.

Quatre instances, un même but : aider

Parmi les acteurs qui méritent notre attention du fait des objectifs qu’ils se fixent, on
peut compter l’International Lesbian and Gay Association (ILGA) et l’International Gay
and Lesbian Human Rights Commission (IGLHRC), deux organisations préoccupées par
les discriminations basées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, qui ne tardent
pas à inclure l’est de l’Europe dans la sphère de leurs activités. C’est à elles que revient
pour la première fois le rôle de demander aux autorités roumaines des informations sur
l’article 200 et sur les personnes d’orientation homosexuelle qui se trouvaient dans les
établissements pénitentiaires au début des années 1990.

International Lesbian and Gay Association - ILGA


ILGA est une fédération d’associations nationales fondée en 1978 lors de la
conférence Campaign for Homosexuals Equality à Coventry, au Royaume-Uni281 ; le nom
actuel date de 1986, celui original étant l’International Gay Association/ Association
internationale gay. Au cours des premières années d’activité, ILGA s’est surtout
concentrée sur l’Europe, pour s’intéresser progressivement à l’Amérique du Nord et à
l’Amérique latine. Si l’on comptait au début 17 associations membres, issues de 14 pays
différent, à l’heure actuelle ILGA compte plus de 600 membres provenant de 90 pays
différents et elle continue à s’élargir en englobant des organisations provenant de tous les
continents, non seulement des associations nationales, mais aussi locales ou communales.
Les principales directions d’action ont visé le soutien et la promotion des échanges entre

281
David Paternotte a coordonné une chronologie de l’activité de l’ILGA avec la collaboration de
Alex Cosials Apellaniz (Universitat de Barcelona) et David Tong (Alliàge, Belgium) ; Nigel
Warner complète le texte ; voir David PATERNOTTE et al., ILGA 30th Birthday : A Chronology
texte en manuscrit.

168
les associations membres, respectivement le lobbying au sein des institutions
internationales, par exemple l’Organisation des Nations-Unies ou l’Organisation mondiale
de la Santé et plus tard les institutions européennes, le Conseil de l’Europe et le Parlement
européen. ILGA a joué un rôle-clef dans la décision de l’Organisation mondiale de la Santé
de retirer l’homosexualité de la liste des maladies et elle a aussi fait des efforts pour que les
discriminations fondées sur l’orientation sexuelle soient prises en compte par Amnesty
International. En 1996, lors de la conférence annuelle d’ILGA à Madrid, l’idée des se
restructurer au niveau national prit forme et une branche européenne fut mise en place à
Bruxelles – ILGA-Europe282, qui réunit plus de 200 associations européennes et vise
principalement l’Union européenne. Depuis 1998, ILGA-Europe obtient le statut
consultatif auprès du Conseil de l’Europe, privilège qui avait été refusé auparavant à
ILGA, en raison de ses activités qui, selon la réponse du Conseil, « n’étaient pas
directement liées aux programmes courants du Conseil de l’Europe » ; la procédure avait
été relancé en 1995283.

International Gay and Lesbian Human Rights Commission - IGLHRC


IGLHRC de son coté, est une association jeune, formée en 1990 et enregistrée
officiellement en 1991. Il s’agit principalement de l’initiative de Julie Dorf, la première
directrice exécutive de l’association, mais de nombreuses autres personnes ont participé à
la mise en route de cet organisme, principalement en provenance des Etats-Unis et de
Russie. Originaire de San Francisco, Julie Dorf est diplômée en études soviétiques et
russes de l’Université de Wesleyan et elle a passé beaucoup de temps à explorer l’ancienne
Union soviétique, en tant que guide et interprète, en s’impliquant progressivement dans des
activités concernant les gays et les lesbiennes à Moscou. L’acte de naissance de l’IGLHRC

282
Nicole J. BEGER, Tensions in the struggle for sexua minority rights in Europe : que(e)ring
political practices, New York, Manchester University Press, 2004; Carl F. STYCHIN,
« Citizenship and the EU », in Richgard BELLANY, Alex WARLEIGH, Citizenship and
Governance in the EU, Londre et New York, Continuum, 2001, pp. 107-121.
283
Nicole J. BEGER, op. cit. p. 28. Par contre ILGA ne bénéficie pas du statut consultatif auprès
de l’ONU, qui l’avait accordé en 1994 pour le révoquer seulement quelques mois plus tard, suite à
des protestations concernant l’une des associations membres, NAMBLA (North American
Man/Boy Love Association), dont l’objectif principal serait « le soutien et la promotion de la
pédophilie » ; ce groupe a été exclu d’ILGA en 1994, ainsi que deux autres organisations
également considérées pédophiles, mais l'ONU ne revint plus sur la décision et n'accorda pas à
ILGA le rôle consultatif spécial. Joshua GAMSON, « Messages of Exclusion: Gender, Movements,
and Symbolic Boundaries » , in Gender and Society, Vol. 11, N° 2, 1997, pp. 178-199.

169
se situe lors d’un festival que Julie Dorf mit sur pied à Moscou, à l’aide surtout de Masha
Gessen et Jim Toevs284 ; en 1991 elle organisa ce qu’elle appelle un « festival LGBT » ou
le « Soviet Stonewall », comprenant des séminaires sur des problématiques lgbt, et même
des projections de films gays et des rencontres avec la presse285. Depuis l’IGLHRC est
devenue une organisation très puissante militant pour les droits de l’Homme,
indépendamment de leur orientation sexuelle, leur identité de genre ou leur état de santé
(plus particulièrement les personnes séropositives), qui agit au niveau international286.
Ces deux associations ne sont pas les seules à s’intéresser à la situation politique et
sociale en Roumanie d’après le communisme, mais elles sont particulièrement impliquées
dans des démarches visant les questions homosexuelles, et comme nous allons le voir plus
en détail, elles sont surtout les premières à confronter le Gouvernement roumain à
l’homosexualité.

Human Rights Watch


L’une des premières organisations à entreprendre des missions d’information sur la
situation en Roumanie a été également Human Rights Watch287. L’organisation a été
établie en 1978 principalement dans le but de surveiller la mise en conformité avec les
stipulations de l’Acte final d’Helsinki288 dans les pays du « bloc soviétique » et pour
contrôler le respect de ces accords par les gouvernements, d’où son premier nom - Helsinki
Watch. Elle s’est vite développée comme une organisation puissante consacrée à la défense

284
Voir Laurie ESSIG, Queer in Russia. A Story of Sex, Self, and the Other, Londre, Duke
University Press, 1999, p. 133 : « ILGLHRC was the brainchild of Jim Toves and Julie Dorf, a San
Francisco resident who often traveled to the Soviet Union as a guide / interpreter. Dorf brought in
several people, including Masha Gessen – who was just beginning to reacquaint herself with the
homeland she had left as a child. […] Kalinin introduced Dorf as ‘the mother of the gay and
lesbian movement in Russia ».
285
Laurie Essig n’est pas la seule à noter cet événement, une référence y est également faite dans
Jane T. COSTLOW, Stéphanie SANDLER, Judith VOWLES (éds.), Sexuality and the Body in
Russian Culture, Stanford California, Stanford University Press, 1993, pp. 34-36.
286
www.iglhrc.org.
287
L’organisation s’installe également à Bruxelles depuis 1994, avec un nombre de six
représentants permanents.
288
L’Acte Final de Helsinki marque la fin de la Conférence sur la sécurité et la coopération en
Europe, ouverte le 3 juillet 1973 à Helsinki, poursuivie à Genève du 18 septembre 1973 au 21
juillet 1975, et qui a été menée à son terme le 1er août 1975, à Helsinki. Par ce document, signé par
l’ensemble des Etats européens, l’ancienne Union Soviétique, les Etats-Unis et le Canada, les Etats
signataires, s’engagent à favoriser la coopération économique, scientifique et technique, à respecter
l'intégrité frontalière, à s'abstenir d'intervenir dans les affaires intérieures, et également, un point
très sensible, à garantir le respect des droits de l'Homme. Pour le texte de ce document voir :
http://www.osce.org/documents/mcs/1975/08/4044_fr.pdf.

170
des droits humains avec des branches dans le monde entier. En 1988, Helsinki Watch
changea de nom et elle devint Human Rights Watch289.
Des représentants d’Human Rights Watch290 sont présents en Roumanie lors des
visites de documentation, pour des périodes variées et avec des objectifs multiples. Ils
s’intéressent notamment aux conditions de vie dans les prisons et le traitement des
prisonniers par les autorités, à la situation des enfants dans les orphelinats, à celle des
minorités ethniques, etc. Suite à ces visites, un certain nombre de rapports291 sera publié
par l’organisation et diffusé dans ses réseaux, voire, pour une certaine partie de cette
documentation, repris dans le bulletin de l’association, News from Helsinki Watch. Les
droits des personnes homosexuelles ne font pas l’objet d’un rapport spécial d’Human
Rights Watch ; la problématique apparaît pour la première fois dans le rapport annuel de
1994 ; mais l’apport de cette organisation se traduit surtout par la mise en place de son
antenne locale : APADOR-CH, l’acronyme de Asociatia pentru Apararea Drepturilor
Omului in Romania – Comitetul Helsinki / l’Association pour la Défense des Droits de
l’Homme en Roumanie – Comité Helsinki. Comme nous allons le voir, APADOR-CH sera
la première association roumaine à prendre en charge la cause homosexuelle, avant même
qu’un groupe lgbt ne soit créé.

289
Americas Watch a été fondée en 1981, Asia Watch en 1985, Africa Watch en 1988 et Middle
East Watch en 1989 ; ces entités étaient alors connues sous le nom de « The Watch Committees »
/« les Comités Watch ». Voir les détails de l’historique de Human Rights Watch sur :
http://www.hrw.org.
290
Il s’agit notamment de : Holly Cartner, Lois Whitman, directeur adjoint de l’Helsinki Watch,
David Nachman, avocat travaillant avec Paul, Weiss, Rifkind, Wharton & Garrison; Robert Levy,
avocat travaillant avec l’Union des Libertés Civiles de New York; Jonathan Fanton, le président
de la New School for Social Research ainsi que le vice-directeur de l’Helsinki Watch; David J.
Rothman, Bernard Schoenberg, professeur de médecine sociale et le directeur du Center for the
Study of Society and Medicine de la Columbia University; Sheila M. Rothman, directeur du
programme des stages en médicine et les droits de l’Homme de la Columbia University Medical
School; Jemima Stratford, stagiaire à l’Helsinki Watch.
291
Romania’s orphans: a legacy of repression, A Helsinki Watch Report, décembre 1990; Since the
Revolution. Human Rights in Romania, A Helsinki Watch Report, March 1991; Destroing Ethnic
Identity. The Persecution of the Gypsies in Romania, A Helsinki Watch Report, Août 1991; Prison
Conditions in Romania, A Helsinki Watch Report, June 1992; Struggling for Ethnic Identity. Ethnic
Hungarians in Post Ceausescu Romania, A Helsinki Watch Report, septembre 1993; Threats to
Press Freedoms. A Report Prepared for the Free Media Seminar Commission on Security and
Cooperation in Europe, novembre 1993. Tous les rapports ont été consultés sur le site
www.hrw.org pendant les mois de juin – juillet 2004.

171
Amnesty International
Une autre organisation, Amnesty International292, intervient plus tard dans les
échanges sur les questions homosexuelles en Roumanie, mais elle sera néanmoins
brièvement présentée dans cette suite des instances impliquées dans l’émergence et la mise
en œuvre des revendications au sujet de l’homosexualité, puisque son rôle sera
fondamental par la suite.
Amnesty International est également une organisation internationale à but non
lucratif, fondée en 1961 par l’avocat britannique Peter Benenson, dont l’article intitulé
« Les prisonniers oubliés » est considéré comme l’acte de naissance. Il s’agit en effet d’un
appel à l’opinion publique en faveur des prisonniers d’opinion, inspiré par le cas de deux
étudiants portugais condamnés à sept ans de prison pour avoir porté un toast à la liberté en
pleine dictature de Salazar. L’idée d’une campagne internationale pour la défense des
droits de la personne suscita un large soutien. A partir de là, l’Amnesty International
structura ses activités autour de l’idée de « prisonniers de conscience », personnes
emprisonnées, hommes ou femmes, pour des raisons qui tiennent à leurs croyances, leur
appartenance religieuse ou politique, leur origine ethnique, plus tard, leur orientation
sexuelle. Amnesty s’oppose également à toutes formes de torture et à la peine de mort. Elle
devient une organisation de grande taille, qui compte actuellement 2,2 millions de
membres et adhérents dans plus de 150 pays et régions ; le Prix Nobel pour la paix lui fut
accordé en 1978, et elle a le statut d’organisme consultatif auprès, entre autres, de l’ONU,
de l’UNESCO et du Conseil de l’Europe. In 1991, lors de sa trentième anniversaire,
l’Amnesty International élargit son mandat aux exactions commises par des groupes
d’opposition armés, aux prises d’otages, ainsi qu’aux personnes incarcérées en raison de
leur orientation sexuelle, décision qui a semé la discorde au sein de l’association, mais qui
a fini, par atteindre la majorité, surtout suite à la prise de position dans ce sens de la
nouvelle IGLHRC (qui n’était créée qu’un an auparavant)293.

292
www.amnesty.org. Voir également Tom BUCHANAN, « <The Truth Will Set You Free> : The
Making of Amnesty International » , in Journal of Contemporary History, Vol. 37, N° 4, 2002, pp.
575-597.
293
Adam BLOCK, « Sexual Amnesty ? » , in Mother Jones Magazine. Politics and Other Passions,
Vol. 16, N° 4, San Francisco, The Fundation for National Progress, 1991; l’auteur de cet article cite
Cossette Thompson, la directrice du bureau de San Francisco d’AI, qui avait déclaré à l’époque:
« This is a very divisive issue within AI » .

172
Voilà donc les quatre instances qui interviennent sur la scène roumaine : ILGA (et
incluant l’ILGA-Europe), l’IGLHRC, Human Rights Watch et Amnesty International,
quatre réseaux transnationaux qui s’érigent comme défenseurs de la cause homosexuelle.

Se renseigner sur l’article 200 :

L’un des moments pertinents pour une analyse de l’émergence des revendications
homosexuelles en Roumanie correspond à la présence des représentants d’ILGA et de
l’IGLHRC dans la région de l’Europe centrale et orientale. John Clark et Kurt Krickel
d’ILGA, et Russ Cage de l’IGLHRC, en compagnie de Henning Mikkelsen, de
l’Organisation mondiale de la Santé, ont été les premiers à s’intéresser aux gays et
lesbiennes de Roumanie, lors d’une mission conjointe d’évaluation de la situation des
minorités sexuelles à l’est, qui les amène en Hongrie, en Roumanie, en Bulgarie et en
Serbie durant le mois de mai 1992294. Cependant, cette mission ne déboucha pas à notre
savoir sur un rapport spécifiquement consacré au cas roumain295 ; il semble néanmoins que
ce soit la première fois que la question de l’homosexualité apparaît au niveau du
Gouvernement roumain: le Ministère de la Justice est sollicité par la délégation pour
fournir des chiffres quant au nombre de personnes accusées et arrêtées sur la base de
l’article 200 (supra chapitre 3). En réponse à cette sollicitation, Lucian Stângu296, sous-
secrétaire d’Etat au Ministère de la Justice, déclara que toute association ayant comme
objet les personnes lgbt restait en dehors de la loi conformément à l’article 200 ;
néanmoins, il ajouta que le premier paragraphe de l’article 200 n’était plus en vigueur et
que toutes les personnes arrêtées avant 1989 sur la base de cet article avaient été
amnistiées. Lors de la rencontre avec les représentants d’ILGA et de l’IGLHRC, Lucian

294
Mission attestée dans le rapport Public Scandals…, déjà cité (qui présente également les fruits
de cette mission), ainsi que dans le rapport de Boris LILER, « Homosexual Rights in Yugoslavia.
The Political, Mass-media, and Physical Oppresion of Homosexuals in Yugoslavia », rédigé le 26
mai 1992 pour l’IGLHRC, repris sur le site www.queerplanet.net, consulté le 27 août 2004. Selon
Alexandar Stulhofer et Theo Sandfort, Boris Liler serait le pseudonyme d’un militant serbe de
l’association Arkadija, voir Alexandar STULHOFER, Theo SANDFORT, Sexuality and Gender in
postcommunist Easter Europe and Russia, New York, Haworth Press, 2005, p. 92.
295
Les données collectées à cette occasion-là sont mises à jour et complétées lors d’une mission
ultérieure et publiées dans le rapport Public Scandals…, déjà cité.
296
Nous avons déjà signalé la présence de Lucian Stângu, qui participa dans la table ronde sur
l’homosexualité diffusée sur la Radio Delta le 3 novembre 1992. Voir infra, Chapitre 3 ; nous le
retrouvons par la suite, présentant devant les deux chambres du Parlement la proposition
gouvernementale de modification du Code pénal comprenant l’amendement du premier paragraphe
de l’article 200. Voir infra, Chapitre 5.

173
Stângu s’est hasardé à affirmer que le paragraphe respectif serait sans doute abrogé dans
les plus courts délais.297 Malgré les déclarations du sous-secrétaire d’Etat, à l’occasion de
quelques visites ultérieures dans les établissements pénitentiaires roumains, de nombreux
cas d’arrestation sur la base de l’article 200, paragraphe 1 ont été consignés. C’est
l’association roumaine APADOR-CH qui a poursuivi les recherches dans cette direction, et
cela à partir de 1993. Avant d’entamer l’analyse de cette association, de sa création et de
son intérêt pour la cause homosexuelle298, il convient de résumer notre propos sur les
circonstances qui rendent possible l’ouverture de l’espace politique roumain aux débats au
sujet de l’article 200.

Affronter la question homosexuelle : sous le regard de l’Europe

Le sujet du changement de la législation régissant les relations homosexuelles


intervient pour la première fois en Roumanie au cours de l’année 1993, suite à la
proposition du Gouvernement de réformer le Code pénal. La proposition du Gouvernement
trouve ses ressorts principalement dans les recommandations du Conseil de l’Europe : il
s’agit d’une adaptation requise afin que le pays puisse devenir membre de cette institution.
En même temps, la situation des personnes homosexuelles, les prévisions de l’article
200 attirent l’attention d’instances transnationales, comme ILGA ou l’IGLRHC dans un
premier temps, Human Rights Watch ou Amnesty International dans un deuxième temps.
Ces organisations, qui s’érigent en promoteurs de la démocratie et des droits de l’Homme,
contribuent à interpeller les autorités roumaines à ce propos. Le Gouvernement roumain
aborde donc de cette thématique et propose au Parlement un projet de loi qui inclut la
modification de l’article 200. De plus, le porte-parole du Gouvernement, Lucian Stângu,
déclare à plusieurs reprises la volonté du Gouvernement de répondre positivement aux
recommandations du Conseil de l’Europe.

Avant de tourner notre attention sur le parcours de cette proposition gouvernementale


dans les deux chambres du Parlement roumain et de voir quelle est la réponse que les
hommes politiques roumains donnent à cette initiative, une courte parenthèse soulève la

297
Voir à ce sujet Public Scandals, pp. 18. Interview publié également par Kurt KRICKLER,
« Hoffnug in Rumanien », in LAMBDA Nachrichten, juin-juillet 1992, pp. 50-51.
298
Voir infra, Chapitre 6.

174
question du rôle d’ILGA auprès du Conseil de l’Europe, pour revenir plus longuement sur
le rôle de cette association dans les dynamiques relatives à l’abrogation de l’article 200.

C. Mettre l’homosexualité à l’agenda du Conseil : la Roumanie ou le « litmus


test »

La modification de la législation interne - plus précisément du Code pénal, qui


réprimait les homosexuels - comme condition à l’adhésion d’un pays au Conseil de
l’Europe apparaît pour la première fois dans l’histoire des relations européennes et
constitue un grand changement de la stratégie des institutions européennes à propos des
droits des minorités sexuelles ; elles considèrent que les Etats contractants sont mieux
placés que les organes internationaux pour accorder des droits aux homosexuels par
l’adoption ou la modification de leur droit interne299.
Ce changement apporte au premier plan une question annexe à notre recherche, mais
qui serait intéressante à explorer lors d’une histoire des relations d’ILGA avec le Conseil, à
savoir sa collaboration avec les autres associations luttant pour les droits des personnes
lgbt et ses démarches pour accéder au statut consultatif auprès des institutions
européennes.
Effectivement, tout au long des années 1990, suite à la conférence régionale d’ILGA
à Copenhague (décembre 1990) l’une des préoccupations de l’organisation a été le
lobbying auprès des institutions européennes300 pour qu’elles considèrent les droits des
personnes lgbt lors de l’élaboration des avis sur l’adhésion de nouveaux membres. Dans les
termes de l’association, le devoir de ce groupe est « influencing the CoE so that the council
will also consider lesbian and gay rights when assessing weather countries in central and

299
Voir à ce titre Catherine-Anne MEYER, « L’homosexualité dans la jurisprudence de la Cour et
de la Commission européennes des droits de l’Homme », in Daniel BORRILLO (dir.),
Homosexualités et droit. De la tolérance sociale à la reconnaissance juridique, Paris, PUF, 1998,
p. 179.
300
Sur le développement des groupes d’intérêts et des activités de lobbying auprès des institutions
de l’Union européenne, les relations qu’ils entretiennent avec les institutions européennes voir par
exemple Hélène MICHEL (sous la dir. de), Lobbyistes et lobbying de l’Union européenne.
Trajectoires, formations et pratiques des représentants d’intérêts, Strasbourg, Presses
Universitaires de Strasbourg, 2005 ; Sabine SAURUGGER, Européaniser les intérêts ? Les
groupes d’intérêts économiques et l’élargissement de l’Union européenne, Paris, L’Harmattan,
2003.

175
eastern Europe can join CoE »301. Dans cet esprit, la volonté d’ILGA visait à convaincre le
Conseil de l’Europe de prendre en considération les lois relatives aux gays et lesbiennes
dans chaque pays qui introduisait une demande d’adhésion et de ne pas accorder d’avis
d’adhésion si la législation interne criminalisait les relations homosexuelles entre adultes
consentants.
L’instrument de référence utilisé à ces fins renvoyait aux décisions préalables de la
Cour européenne de Droits de l’Homme, à savoir les arrêts dans les cas Dugeon contre le
Royaume-Uni (le 22 octobre 1981), respectivement Norris contre l’Irlande (le 26 octobre
1988). Dans ces cas, la Cour avait considéré que « les dispositions pénales réprimant les
conduites homosexuelles constituaient une ingérence disproportionnée dans la vie privée
des individus », énonciation qui renvoie à la question du traitement réservé aux personnes
du fait de leur orientation sexuelle directement dans l’ordre du droit international302. Une
autre affaire, Modinos contre Chypre (le 22 avril 1993) va dans la même direction.
La situation des personnes gaies et lesbiennes en Roumanie attire l’attention d’ILGA
très tôt après la chute du communisme. Nous avons noté la mission d’information de 1992
et la présence de John Clark en tant que représentant de cette association ; plus tard, Scott
Long, d’abord observateur indépendant des droits des lgbt en Roumanie, puis moniteur des
droits de l’Homme pour ILGHRC303, commence à envoyer des rapports réguliers sur la
situation des lgbt dans le pays304. Le cas roumain ne se constitue pas dans une cause
particulière, il est plutôt intégré dans le même chapitre général des pays d’Europe centrale
et orientale qui demandent l’adhésion au Conseil. Pourtant, en prenant note des attributs de
l’intolérance à l’égard des relations homosexuelles dans ce pays, l’un des membres
d’ILGA, l’organisation néerlandaise COC (Cultuur en Ontspannings Centrum, Centre
Culturel et de Loisir), pose la question d’une approche diplomatique dans le cas roumain.

301
Voir ILGA Euroletter N° 7, 28 julliet 1992.
302
Daniel LOCHAK, « Egalité et différences. Réflexion sur l’universalité de la règle de droit »,
Ibidem, pp. 42-43 ; voir aussi sur ce sujet Catherine Anne MEYER, déjà cité, pp. 153-179, Robert
WINTEMUTE, « Libertés et droits fondamentaux des personnes gays, lesbiennes et bisexuelles en
Europe », in Daniel BORRILLO (dir.), op. cit., pp. 180-204 ; Emanuelle BRIBOSIA et Anne
WEYEMBERGH, « Le transsexualisme et l’homosexualité dans la jurisprudence des organes de
contrôle de la convention européenne des droits de l’Homme et des juridictions communautaires »,
in Revue de droit de l’ULB, Vol. 22, Bruxelles, Bruylant, 2000.
303
Le parcours de Scott Long et son activité en Roumanie feront également l’objet de notre
attention par la suite de l’analyse. Voir infra Chapitre 6, 7 et 8.
304
Voir ILGA Euroletter 12 du 4 janvier 1993, qui signale la demande de la Roumanie d’adhérer au
Conseil de l’Europe, ILGA Euroletter 14 du 15 mars 1993, qui consigne avoir reçu un rapport de la
part de Scott Long sur la situation dans le pays.

176
L’argument renvoie au fait que, habituellement, les rapporteurs du Conseil de l’Europe
considèrent dans leurs avis surtout les réalités du terrain. COC considère, que, puisque la
répression était tellement sévère, il serait presque impossible que les rapporteurs arrivent à
s’informer correctement sur place305. ILGA commence alors à envoyer des rapports sur la
question homosexuelle en Roumanie aux différents départements du Conseil de l’Europe
(la Direction générale des Droits de l’Homme et des Affaires juridiques, le Bureau du
Commissaire aux Droits de l’Homme, la Direction générale de la Démocratie et des
Affaires politiques) ; parmi les membres du Conseil qui vont recevoir les rapports de ILGA
se retrouvent également Theodoros Pangalos ou Ole Espersen306, membres de la
commission des questions politiques qui va analyser la demande de la Roumanie
d’adhésion à cette institution307. Le cas de l’article 200 du Code pénal roumain devient un
enjeu d’importance cruciale dans l’histoire du lobbying d’ILGA auprès du Conseil : « This
[Romania] will be a key test case for us: actual repression is happening as well as legal
discrimination308 ». Après les changements opérés dans les législations des Pays baltes,
surtout en Lituanie qui devient membre du Conseil de l’Europe en mai 1993 et abroge sa
législation discriminatoire un mois plus tard, ILGA se concentre plus systématiquement sur
la situation roumaine : « the next country must be Romania309 ».
Ainsi, une campagne de lobbying auprès du Conseil est lancée, organisée à deux
niveaux : d’une part les associations membres d’ILGA envoient des lettres et des rapports
informatifs, là où il est possible, mais pas uniquement, aux pays membres du Conseil
auxquels ils appartiennent ; par exemple le COC envoie la documentation aux Pays Bas ou
HOSI Vienne à l’Autriche, la Hongrie et la Pologne310. Par ailleurs, ILGA essaie de
trouver une solution pour qu’une lettre soit envoyée depuis la Roumanie vers l’association
danoise LBL (Landsforeningen for Bosser og Lesbiske), qui se charge de faire la
distribution vers les autres associations : « A protest letter from SIRDO and the Helsinki
Committee (from Rumania). The letter should be faxed or sent from Rumania to LBL311 »
(c’est nous qui soulignons).

305
ILGA Euroletter 12 du 4 janvier 1993.
306
ILGA Euroletter 14, 15 mars 1993.
307
Doc. 6901.
308
ILGA Euroletter 12 du 4 janvier 1993
309
ILGA Euroletter 17 du 27 juin 1993.
310
Ibid.
311
ILGA Euroletter 18 du 8 août 1993.

177
Il est important donc, dans la vision d’ILGA, que la lettre soit envoyée ou au moins
retransmise depuis la Roumanie.
Les collaborateurs locaux possibles sur lesquels ILGA compte pour envoyer la
documentation sont l’APADOR-CH ou la SIRDO, les deux associations que nous avons
déjà mentionnées plus tôt. Scott Long, avait déjà établi le contact avec les deux
associations et avait déjà collaboré tant avec APADOR-CH, lors de la campagne de
collecte de données sur les personnes arrêtées sur la base de l’article 200, qu’avec la
SIRDO, à savoir avec Razvan Ion, lors de la publication du bulletin Gay 45. Malgré la
collaboration préexistante et les nombreuses demandes d’ILGA de faciliter l’envoi de cette
lettre, un problème surgit quelque part dans le processus. Scott Long n’arrive pas à mettre
sur pieds la collaboration avec les militants locaux, puisque la lettre envisagée par ILGA
n’est jamais parvenue à LBL, l’association danoise, ou à ILGA, ni, d’ailleurs, à qui que ce
soit : « The letter should have been faxed or sent from Rumania to LBL for further
312
distribution, but in spite several reminders, we have not received this letter. »
Malgré tout, comme nous l’avons vu, la demande de la Roumanie a été approuvée et
le pays devint membre du Conseil de l’Europe. Néanmoins, l’avis du Conseil sur la
demande comprend la recommandation spécifique que la législation concernant les
relations homosexuelles soit abrogée. Si ILGA ne se déclare pas satisfaite de la décision du
Conseil d’inviter la Roumanie à faire partie de ses membres avant que la législation
concernant l’homosexualité soit modifiée313, l’association ne tarde pas à reconnaître dans
son activité de lobbying auprès du Conseil un cas de réussite de son action : « We have had
a great success in putting homosexuality on the agenda of the Council as far as the
application from Romania is concerned314 ».

Pour conclure sur cette section, nous constatons qu’au moins en ce qui concerne
ILGA (même si sa collaboration avec les autres associations devrait prise en compte dans
une analyse plus pointue de la question), l’association ne s’érige pas exclusivement comme

312
ILGA Euroletter 19 du 15 septembre 1993; et ILGA Euroletter 20 du 17 octobre 1993.
Egalement dans le numéro precedent du bulletin d’ILGA: « Unfortunately we have not yet received
the letter from Rumania. A reminder has been faxed to Scott Long », ILGA Euroletter 18 du 8 août
1993.
313
« […] Romania is now member of the Council of Europe. It would be a good idea to write to the
foreign minister of the member states to protest against this decision », ILGA Euroletter 20 du 17
octobre 1993.
314
ILGA Euroletter 20 du 17 octobre 1993.

178
médiateur dans le projet de transformation des restrictions vers la permissivité ; elle est
engagée pleinement dans l’action, se lance dans le processus de renversement des lois et
développe une stratégie de pression au niveau européen.

D. Des acteurs travaillant sur une question à l’échelle internationale

Ces éclaircissements au sujet des actions des « entrepreneurs de la démocratie » en


Roumanie par rapport à l’homosexualité et sur leur activité au niveau européen nous
imposent une plus grande d’attention : ces instances, selon nous, ne sont pas simplement
des médiateurs dans le projet d’assouplissement des restrictions vers la permissivité, ils
s’engagent pleinement dans l’action. Ce sont eux qui lancent en effet le processus, c’est à
eux que la responsabilité de promouvoir la fin de la répression pourrait être attribuée. Pour
illustrer notre propos à l’égard des interactions de ces instances, nous employons un
schéma qui montre de manière simplifiée les directions d’action.

Conseil de
l’Europe

ILGA
IGLHRC
HRW
AI
Gouvernemen
t Roumain

A cet égard, l’étude de Margaret E Keck et Katryn Sikkink, Activists beyond


Borders315, nous offre des instruments utiles pour comprendre les liaisons entre les
différents acteurs concernés par la situation de l’homosexualité en Roumanie. En proposant

315
Margaret E. KECK et Kathryn SIKKINK, Activists beyond Borders. Advocacy Networks in
International Politics, Ithaca et Londres, Cornell University Press, 1998.

179
une catégorie nouvelle d’analyse, les réseaux transnationaux de militants316, les deux
auteurs cherchent à comprendre et à expliquer les actions entreprises et soutenues par des
acteurs internationaux à travers les frontières. Dans leur acception, « un réseau
transnational de militants inclut des acteurs travaillant sur une question à l’échelle
internationale, liés par des valeurs partagées, un discours commun et des échanges denses
d’informations et de services ». Les réseaux transnationaux de militants ne représentent pas
de simples alternatives aux mouvements sociaux ou aux organisations internationales non-
gouvernementales, mais ils peuvent très bien les contenir, puisqu’ils constituent les
structures informelles et changeantes par lesquelles les ONG, les militants des mouvements
sociaux, les responsables gouvernementaux et le personnel des institutions internationales
peuvent entrer en contact et aider des acteurs nationaux pauvres en ressources à peser
politiquement au sein de leur propre société. Certains auteurs considèrent même ces
réseaux en tant que mouvements sociaux317, une identification qui relève certains de leurs
caractéristiques distinctes: « Whereas social movements have traditionally been
characterized as involving mass mobilization, contentious and confrontational tactics, and
efforts to carry politics out of conventional venues into the streets advocacy networks
mobilize smaller numbers of individual activists who use more specialized resources of
expertise and access to elites. Such networks offer new information to political leaders and
reframe issues for elites in an attempt to gain the support of powerful institutions for their
ideas rather than relying on demonstrations of mass public support and overt
confrontations with authorities »318.
Ces acteurs transnationaux sont conçus en tant que ponts à travers les Etats, qui
ciblent les institutions internationales et utilisent différents mécanismes pour créer un effet
de changement à l’intérieur du cadre étatique. Les initiatives organisées et gérées par ces
réseaux contribuent à la transformation des termes des interactions politiques entre les
Etats, entre les Etats et les institutions internationales ainsi qu’entre les Etats et leurs
citoyens.

316
Réseaux transnationaux de ‘contestataires’ ou de ‘plaidoyers’ sont d’autres variantes de
traduction rencontrées dans les écrits de langue française.
317
Donatella Della PORTA, Hanspeter KRIESI et Dieter RUCHT (éds.), Social Movements in a
Globalizing World, New York, St. Martin Press, 1999.
318
Synthèse appartenant à Valerie SPERLING, Myra MARX FERREEerree et Barbara RRSMAN,
« Constructing Global Feminism: Transnational Advocacy Networks and Russian Women's
Activism », in Signs: Journal of Women in Culture and Society, Vol. 26, N° 4, 2001, pp. 1155-
1186.

180
Ainsi définie, cette catégorie d’analyse constitue une avancée à la fois conceptuelle et
empirique : elle permet de traiter un spectre large d’acteurs transnationaux et surprend les
dimensions multiples et variables des relations entre les Etats et les institutions
internationales. Un nombre important de limites doit néanmoins être posé.
D’une part, les auteurs différencient entre trois catégories de réseaux transnationaux,
utilisant comme critère de distinction les motivations de ces réseaux pour l’action. Ainsi,
dans une première catégorie sont inclus ceux qui ont des objectifs purement instrumentaux,
surtout les corporations transnationales ou les banques ; dans la deuxième sont compris
ceux qui sont motivés particulièrement par des idées communes partagées, tels que les
groupes scientifiques et les communautés épistémiques ; et dans la troisième, ceux qui sont
motivés par des principes et des valeurs, en l’occurrence les réseaux transnationaux de
militants. Même si la distinction est éclairante au premier abord, il nous semble toutefois
qu’il est difficile en pratique d’en préserver l’utilité et elle pose certains problèmes
conceptuels : comment intégrer, par exemple, l’intérêt matériel sous-jacent dans une
quantité considérable d’activités transnationales ?
Les difficultés de cette perspective deviennent encore plus évidentes si nous
cherchons à comprendre les relations vaguement explicitées entre les réseaux
transnationaux de militants et les acteurs étatiques: quelle est la teneur de la relation entre
les militants de ces réseaux et les mouvements sociaux nationaux ? Encore une question
sans réponse.
D’autre part, les deux auteurs proposent le modèle du « boomerang » - « the
boomerang pattern » - pour décrire le processus par lequel les réseaux transnationaux de
militants défient la souveraineté de l’Etat en passant par le niveau transnational : les
militants transnationaux, en se confrontant à un blocage au niveau étatique, sont totalement
démunis de la possibilité d’agir dans les arènes internes ; ils contournent alors leur propre
Etat et cherchent des alliés internationaux avec le but de faire monter la pression
extérieure. Les groupes internationaux peuvent aider à l’amplification des demandes
internes, qui n’arrivent pas autrement à se faire prendre en compte : « On other issues
where governments are inaccessible or deaf to groups whose claims may nonetheless
resonate elsewhere, international contacts can amplify the demands of domestic groups,

181
pry open space for new issues, and then echo back these demands into the domestic
arena »319.
Lorsqu’il s’agit de son application concrète à un cas empirique, ce modèle du
boomerang, bien que suggestif, s’avère d’un degré d’abstraction qui le rend plutôt difficile
à utiliser320. Et un autre aspect attire notre attention : Keck et Stikkink considèrent que les
réseaux transnationaux de militants n’ont pas de pouvoir en tant que tels, mais qu’ils
mettent en place des stratégies et des techniques innovatrices, regroupées en quatre
familles : les politiques d’information, les politiques symboliques, les politiques d’atout et
les politiques de responsabilité321. Ainsi, les réseaux de militants collectent et offrent
l’information, en ajoutant un élément-clef, à savoir la dramatisation : utilisant des témoins,
une dimension bouleversante est ajoutée aux faits bruts, ce qui a comme effet de faire
monter l’impact de l’information. De plus, ils mobilisent la dimension symbolique pour
donner du poids à leurs demandes : des événements historiques ou des conférences de large
audience sont utilisés pour rendre publiques les demandes, en traçant des parallèles entre
les caractéristiques déjà reconnues et les nouvelles situations. La troisième catégorie fait
référence aux liaisons établies entre les sujets d’intérêt pour les militants et des questions
relatives à l’argent, aux échanges commerciaux ou au prestige ; soit des acteurs plus
puissants sont convaincus pour soutenir les causes, soit des « avantages moraux » sont
soulignés pour gagner de l’influence. Dans cette logique, « la mobilisation de la honte »
constitue un mécanisme efficace : l’attention internationale est constamment requise et
l’Etat-cible montré du doigt. Finalement, la responsabilité implique le rappel des
engagements antérieurs: une fois qu’un gouvernement a affirmé l’adhésion à certains
principes, ceux-ci sont réaffirmés de manière répétée, mis en miroir avec les occasions où
ils n’ont pas été respectés, pour souligner la distance entre le discours et la pratique. En fin

319
Margaret E. KECK et Kathryn SIKKINK, Activists…, op.cit , p. 13.
320
Un successeur de ce modèle, le modèle plus développé et détaillé de la spirale en cinq phases, a
été mis au point par Kathryn Sikkink en collaboration avec Thomas Risse. La socialisation, à savoir
le processus à travers lequel les normes internationales sont internalisées et implémentées au
niveau national, passe donc par l’adaptation instrumentale, suivie par les négociations tactiques, et
ensuite par les processus de conscientisation à travers des discours moraux (argumentation,
dialogues, persuasion), des changements des politiques ou même des régimes, et finalement
l’institutionnalisation des nouvelles normes. Thomas RISSE, Kathryn SIKKINK, « The
Socialization of International Human Rights Norms into Domestic Practices : Introduction », in
Thomas RISSE, Steven C. ROPP, Kathryn SIKKINK, The Power of Human Rights: International
Norms and Domestic Change, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, pp. 5-15.
321
Margaret E. KECK et Kathryn SIKKINK, Activists… op.cit. pp. 18-25.

182
de compte, les gouvernements tentent de faire disparaître cette distance et opèrent les
changements en cause.

A l’égard des politiques d’atout, l’analyse de Keck et Sikkink rejoint celle de Susan
Burgerman322 qui mobilise l’approche des réseaux transnationaux de militants pour
examiner le militantisme autour des droits de l’Homme au Guatemala et au Salvador.
L’auteur énonce trois conditions nécessaires, mais pas suffisantes pour que l’influence des
réseaux transnationaux puisse s’exercer au plan interne d’un pays: la permissivité du
contexte national, plus exactement l’ouverture de l’Etat en question à collaborer avec les
instances internationales au sujet des droits humains ; l’existence des militants locaux ; la
sensibilité du pays à une réputation internationale endommagée. Nous retrouvons donc la
même idée : l’intervention des réseaux transnationaux se base sur la préoccupation que les
Etats manifestent à l’égard de leur image sur la scène internationale ; l’activité des réseaux
transnationaux comprend la menace implicite des révélations sur la scène internationale et
compte sur une réaction des Etats afin d’éviter les sanctions éventuelles.

L’hypothèse que nous explorons à partir de ce corpus de théories concerne


l’ensemble des associations indiquées ci-dessus – ILGA, Amnesty International, Human
Rights Watch, l’ILGHRC – conçues comme des réseaux transnationaux de militants qui
s’érigent en initiateurs des revendications homosexuelles en Roumanie. Ces réseaux ne
sont pas simplement des médiateurs ou facilitateurs de l’action, mais ils sont également des
promoteurs et des protagonistes de ces revendications. Ces associations se saisissent des
structures d’opportunité ouvertes par la préparation à l’adhésion aux organismes européens
et lancent le processus de changement légal, politique et social du statut des personnes lgbt
dans un contexte national qui n’aurait pas permis autrement que ces questions s’affirment.

On voit bien que ce cas particulier n’entre pas dans les modèles analysés dans la
littérature, puisque l’une des conditions nécessaires à l’activité des réseaux transnationaux
des militants n’est pas satisfaite : dans un premier temps, le cas roumain ne connaît pas de
militants locaux ; cette anomalie sera pourtant rapidement corrigée après la mise en place

322
Susan BURGERMAN, « Mobilizing Principles: The Role of Transnational Activists in
Promoting Human Rights Principles », in Human Rights Quarterly, Vol. 20, N° 4, 1998, pp. 905-
923.

183
de l’association locale ACCEPT. Mais, comme l’analyse le montrera par la suite, c’est
sous la proche surveillance des représentants de ces réseaux transnationaux qu’ACCEPT
est créée. Par après, ces mêmes réseaux transnationaux déploient les ressources et les
dispositifs classiques et collaborent avec ACCEPT pour achever les objectifs qu’ils se
donnent.
Même avec les accommodations nécessaires, ce corpus théorique souffre de quelques
inconvénients : nous avons déjà noté quelques défis qui restent irrésolus dans les écrits sur
la thématique qui nous intéresse. Il faut y ajouter les limites évoquées en début de section
lorsque nous avons abordé les approches de la promotion de la démocratie, qui restent
valables pour les études du transnational également, à savoir le fait de reproduire de façon
presque mécanique le discours des acteurs qui font leur objet d’étude. Voir dans ce sens les
considérations de Keck et Sikkink relatives aux motivations du militantisme transnational,
qu’elles placent au niveau des valeurs plutôt qu’au niveau des considérations matérielles
ou des normes professionnelles323. Dans le même ordre d’idées, un autre type de problème
concerne la reprise des classifications mises en avant par les acteurs, sans prendre en
compte les frontières souvent brouillées de ces différentes catégories : « Les démarcations
institutionnelles toutes faites entre le gouvernemental et le non gouvernemental, entre
l’étatique et le non-étatique sont inopérantes si l’on veut comprendre le mode de
construction de ce champ qui s’est développé précisément par-delà de telles divisions »324
Les réseaux transnationaux de militants opèrent non seulement au-delà des frontières dans
le sens strict du mot, mais par-delà les cadres établis ; ils occupent un espace fluctuant, ils
peuvent s’infiltrer dans le gouvernemental et le non-gouvernemental, mais aussi
l’intergouvernemental, ils sont en même temps des « insiders » et des « outsiders » .

323
« Motivated by values rather than by material concerns or professional norms », Margaret
KECK, Kathryn SIKKINK, Activists… op. cit., p. 2. Dans la même logique, Nicolas Guilhot
considère que ces études restent entièrement captives dans le point de vue des acteurs: « […] they
however tend to remain entirely captive of the viewpoint of the actors », cf. Nicolas GUILHOT,
The Democracy Markers… op. cit. p. 18. Sa critique va encore plus loin : « It would also overlook
the fact that the democratization studies and human rights policies are not simply catch words ;
they actually have a content. They are usually the vehicles for exporting a variety of political
technologies, legal models, normative discourses regarding the economy or the organization of the
civil society ». Même si cette piste de recherche est séduisante, notre analyse ne se donne pas pour
objectif d’examiner l’articulation de la question des droits des personnes lgbt en tant qu’enjeu de
politique internationale et des relations internationales : qu’est ce qui se trouve derrière la
promotion des droits des homosexuels ? quels sont les intérêts des promoteurs internationaux ? ces
questions ne font pas l’objet de notre étude.
324
Nicolas GUILHOT, « Les professionnels de la démocratie. Logiques militantes et logiques
savantes… », art. cit., p. 54.

184
Cela étant dit, l’unilatéralité de ces analyses soulève un grand point d’interrogation
de notre point de vue: en règle générale, les avancées en matière démocratique sont
expliquées par la montée en puissance des acteurs non-étatiques sur la scène internationale.
La recherche vise alors à déchiffrer les réseaux transnationaux de militants, leurs objectifs,
les efforts déployés pour accréditer leur expertise, leurs raisons d’être et la façon dont ils
fonctionnent. Les analyses visent à l’évaluation du succès de leur intervention et se
préoccupent de définir des critères pour mesurer leur efficacité.
Cette perspective nous semble éloignée de notre but de recherche : nos questions
concernent les réseaux transnationaux de militants et leur rôle dans l’articulation des
revendications des homosexuels en Roumanie, mais nous ne les considérons pas comme la
seule source du changement, voire les uniques responsables des transformations relatives à
l’homosexualité.
Notre hypothèse à ce point de la réflexion concerne leur rôle de catalyseurs de
l’action politique autour de l’homosexualité en Roumanie. Cela revient à dire que l’analyse
des réseaux transnationaux de militants ne répond pas à elle seule à nos nécessités de
recherche.

L’impuissance de telle ou telle théorie à rendre compte des débuts de la libération


homosexuelle nous semble justifiée ; mettre l’ouverture démocratique au centre des
explications, tout comme d’aborder ces transformations exclusivement à travers l’
« européanisation » ou strictement à l’aide des outils fournis par les théories des
mouvements sociaux seraient lacunaire et trompeur. Nous considérons que les
changements ont des causes multiples et diffuses ; nombre d’explications entrent en
compétition pour rendre compte des faits. Recomposer le tableau complexe des facteurs
transnationaux, internationaux et nationaux réunis dans les dynamiques du changement
reste notre mot d’ordre. Ainsi, nous prenons en compte le transnational dans notre étude,
mais pas comme un niveau supplémentaire d’analyse s’ajoutant au national et à l’européen,
plutôt comme un niveau qui se constitue en interaction avec le local et l’européen. Ce sont
finalement surtout les modes d’imbrication de ces différentes facettes qui constituent notre
objet.

185
186
Chapitre 5 : La Parlement roumain face à l’article 200 : qu’on modifie, d’accord,
mais qu’on ne change rien !

Préambule
A. L’article 200 à l’agenda du Parlement
La configuration du spectre politique lors des élections de 1992
Trois ans de controverses

B. Le débat parlementaire entre diplomatie et dilemmes morales : une mise au clair


des arguments
L’argument du droit à la vie privée
L’argument de l’instance supranationale
L’argument religieux, de la spécificité nationale et de la tradition
L’argument de la procréation, reproduction et démographie
L’argument du danger pour les enfants, prosélytisme, pédophilie
L’argument de l’ordre naturel, de la biologie et de la génétique, de la médecine
L’argument de l’opinion publique
C. Quelques observations synoptiques et directions à explorer
Normes et mentalités
L’Eglise et l’Etat
Contrainte externe
Une question diplomatique risible
D. Une troisième fois devant le Parlement
L’argument gagnant : la décision de la Cour Constitutionnelle
E. Le compromis de la réforme: plus de liberté, moins de droits ou comment modifier
sans rien changer

187
Chapitre 5 : La Parlement roumain face à l’article 200 : « qu’on modifie,
d’accord, mais qu’on n’y change rien ! »325

« L’homosexualité concerne l’ensemble de la société et non une fraction


minoritaire de la population. C’est un thème prégnant, sujet à controverses et à
contestations ».
Florence Tamagne, Histoire de l’homosexualité en Europe. Berlin, Londres, Paris

« … le rapport à l’homosexualité est l’un des points sensibles où peut se juger la


réalité de l’ouverture d’esprit et de l’engagement progressiste des intellectuels. C’est un
peu comme un test Rorschach : vous dites « homosexualité » et vous observer les
réactions… et souvent, ce n’est pas très beau à voir ».
Didier Eribon, Papiers d’identité. Interventions sur la question gay

« L’hétérosexualité apparaît ainsi comme l’étalon à partir duquel toutes les autres
sexualités doivent se mesurer. C’est cette qualité normative – et l’idéal qu’elle incarne –
qui est constitutive d’une forme spécifique de domination appelée hétérosexisme. Il se
définit comme croyance en la hiérarchie des sexualités, plaçant l’hétérosexualité au rang
supérieur ».
Daniel Borrillo, L’Homophobie

325
Le titre nous a été inspiré par le monologue de Farfuridi, l’un des personnages représentant
l’homme politique dans la pièce de théâtre « O scrisoare pierduta », de Ion Luca Caragiale ; son
paralogisme est rentré dans l’oralité : « Permettez ! Je finis tout de suite ! Je n’ai plus que deux
mots à dire. Voici donc mon opinion. De deux choses l’une ! Permettez : ou bien qu’on la révise,
j’accepte ! Mais qu’on n’y change rien. Ou bien qu’on ne la révise pas, j’accepte ! Mais alors
qu’on la change par-ci par là et notamment sur les points… essentiels… De ce dilemme, impossible
de sortir. J’ai dit ! » Texte traduit sous la direction de Simone Roland et Valentin Lipatti, Ion Luca
CARAGIALE, « Une lettre perdue », in Œuvres, Bucarest, Meridiens, 1962, pp. 119-216, p.178
pour la référence.

188
Préambule

Notament au commencement des années 1990, la réputation de la Roumanie dans le


domaine des minorités, qu’elles soient des minorités religieuses, des minorités ethniques
ou notamment des minorités sexuelles, n’est plus à faire : dans la société roumaine il n’y
avait de place que pour les Roumains. Et les Roumains sont tout d’abord orthodoxes,
caucasiens et évidemment hétérosexuels. La Roumanie a été à nombre d’occasions
montrée du doigt pour les poussées de nationalisme, de chauvinisme, d’antisémitisme,
d’intolérance et plus récemment d’homophobie, qui transparaissent depuis les plus bas
niveaux de la société jusqu’aux milieux politiques et diplomatiques326. Les responsables
roumains se sont faits connus dans le monde pour leurs attitudes ambiguës envers les droits
de l’Homme, qui restent une formule énigmatique, une notion abstraite. En ce qui concerne
les droits des personnes lgbt, la Roumanie est même consacrée dans certaines visions
comme « la plus homophobe de l’Europe centrale et orientale» 327 . Même si ce classement
n’a qu’une intention suggestive, il faut quand même souligner que l’homosexualité
constitue un thème très sensible dans la société roumaine, un sujet qui a acquis dans les
dernières années du XX-ème siècle une place singulière pour cette partie du monde.
Si nous regardons l’ensemble des pays du monde, au-delà des Etats nord européens
ou nord américains, il est simple de retrouver des situations beaucoup plus ténébreuses ; les
actes homosexuels sont non seulement condamnés par la loi dans toute une série de pays
(parmi lesquels Sénégal, Liban, Porto Rico, Nigeria, Libye etc), mais la peine de mort peut
être effectivement appliquée (par exemple au Soudan, Iran, Afghanistan, Pakistan). Par
contre, si on resserre la focale sur l’Europe, comme nous l’avons déjà remarqué, la
Roumanie enregistre un important retard dans la décriminalisation de l’homosexualité par

326
Les rapports des différentes associations, comme nous avons vu Human Rights Watch ou
Amnesty International, serait seulement un exemple de sources pour cette sorte d’estimations ; il
s’y ajoutent toute une série de publications journalistiques qui présentent la situation roumaine à la
sortie du communisme dans les touches les plus sombres : Edith LHOMEL, « Roumanie 1990-
1991 : le saut dans le vide », in Le Courrier des pays de l’Est, N°359, 1991 ; au sujet de
l’homosexualité voir surtout les articles de Catherine LOVATT, « Legalizing Sex. With elections
around the corner, who will support the new law legalizing homosexuality in Romania? », in
Central Europe Review, 18 septembre 2000, Id., « Gay Outlaws in Romania. With same-sex
relationships against the law, Romania's attitude to homosexuality is decidedly puritan », in Central
Europe Review, 9 August 1999.
327
« La Roumanie reste, et de loin, le pays le plus homophobe d’Europe centrale », affirme Michel
Celse dans son entrée sur l’Europe de l’Est, in TIN, Louis-Georges (sous la dir. de) Dictionnaire de
la homophobie op. cit., p. 155.

189
rapport aux autres pays voisins. De plus, dans ce pays l’abrogation de la législation
punitive des actes homosexuels a motivé plusieurs acteurs sociaux à jouer un rôle dans la
décision, contrairement aux autres pays de la région, où la dépénalisation de
l’homosexualité s’est passée sans beaucoup d’adversités.
En effet, la question des revendications homosexuelles s’articule dans la Roumanie
sortie du communisme avec une certaine lenteur ; de plus elle ne se construit pas dans des
termes déjà formulés précédemment dans d’autres contextes : nous n’avons pas affaire à un
changement des lois pour les adapter aux réalités sociales ou à l’évolution des mentalités.
Nous n’avons pas affaire non plus à un mouvement associatif et à un combat des militants
pour se rendre la vie meilleure, comme aux Etats-Unis ou en France dans les années 1970;
la place des militants est secondaire. La question homosexuelle se structure dans ce cas
autour des tensions entre les exigences de la réforme démocratique, la défense des valeurs
nationales, les intérêts de la politique extérieure et la diplomatie ; elle peut paraître parfois
comme une importation occidentale ou comme une imposition de l’extérieur.
Pour ce fait, l’homosexualité constitue un lieu privilégié d’observation du
fonctionnement de la société roumaine en voie d’adhésion à l’Europe. En l’abordant, nous
découvrons une configuration de grande complexité : les logiques sociales, politiques et
culturelles de la société entrent en contact et interfèrent avec les standards de la démocratie
proposés par les institutions européennes et diffusés et renforcés par une série des réseaux
transnationaux. La confluence des logiques internes et externes se matérialise notamment
lors des débats au sein du Parlement autour de la réforme du Code pénal et de l’article 200
en particulier.

A. L’article 200 à l’agenda du Parlement

La configuration du spectre politique lors des élections de 1992

Afin de pouvoir lancer l’examen du parcours de la proposition gouvernementale dans


les deux chambres du Parlement, il convient d’abord de compléter le tableau des
conjectures politiques du moment, de faire le point sur les avancées du côté du corps
politique, puisque les élections de 1992 ont modifié en quelque sorte la constellation du
pouvoir.

190
La situation politique après 1989 connaît dans un premier temps des moments
d’instabilité et même de violence328 ; toutefois, les élections de 1992 se sont déroulées dans
la normalité et la Commission ad-hoc du Bureau de l’Assemblé du Conseil de l’Europe qui
avait observé le processus conclut que « le scrutin s’était déroulé dans le calme et
apparemment dans des conditions globalement acceptables de normalité et de
régularité »329.
Les élections présidentielles ont abouti à la victoire de Ion Iliescu et, au niveau du
Parlement, tant à la Chambre des Députés qu’au Sénat, le Front démocratique du salut
national (FDSN) assure la majorité avec l’aide du Parti la Grande Roumanie (PRM), du
Parti socialiste du travail (PSM) et du Parti de l’unité nationale roumaine (PUNR).
L'opposition est constituée par le Front du salut national et par la Convention
démocratique roumaine (CDR), elle-même composée essentiellement de quatre groupes
politiques : le Parti national paysan chrétien et démocrate (PNTCD), le Parti de l'alliance
civique (PAC), l'Union démocratique des magyars (UDMR) et le nouveau Parti national
liberal - convention démocratique (PNLCD), un groupe dissident du Parti national libéral
qui n’est pas lui-même représenté au parlement. Bref, le FDSN conserve sa première place
au Parlement, mais il doit faire face à l’enjeu d’un gouvernement minoritaire, nécessitant
les appuis mentionnés, une association que la presse avait désignée par le syntagme « le
quadrilatère rouge ». Du coté de l’opposition il s’agit aussi d’une collaboration et le
consensus s’avère désormais difficile à atteindre. La modification de l’article 200 du Code
pénal met à l’épreuve les alliances.

328
Les mineurs arrivent de nouveau à Bucarest en septembre 1991 exigeant la démission du
Premier Ministre Petre Roman ; après avoir attaqué le bâtiment du Parlement, le Gouvernement
démissionne et le Président Iliescu nomme Theodor Stolojan, qui n’appartenait à aucun parti,
comme Premier Ministre. Les événements sont l’expression des grandes divergences entre les deux
leaders du Front du salut national, Petre Roman et Ion Iliescu. Par la suite, le parti se scinde en
deux : d’une part, les tenants du Présidents Iliescu forment le Front démocratique du salut national,
un parti qui se présente comme étant inspiré par les valeurs sociales-démocrates et se place dans la
continuation directe du FSN ; plus tard il change d’appellation et devient le Parti de la démocratie
sociale de Roumanie (PDSR). De l’autre part, le Front du salut national qui restait fidèle à Petre
Roman, sans les partisans de Ion Iliescu, se présente comme l’émanation non communiste de
décembre 1989 et essaient de prendre des distances par rapport à une élite trop attachée à l’ancien
régime ; plus tard il devient le Parti démocrate (PD). Voir Stan STOICA, Mic dictionar al
partidelor politice din România 1989-2000, (Petit dictionnaire des partis politiques en Roumanie
(1989-2000), Bucarest, Meronia, 2000.
329
Doc. 6724 Addendum V au rapport d’activité du Bureau de l’Assemblée et de la Commission
Permanente, Rapport d’information sur les élections en Roumanie (27 septembre 1992), 1er février
1993, rapporteur M. Worms, France. http://assembly.coe.int.

191
Trois ans de controverses

L’article 200 du Code pénal fait l’objet des débats au Parlement suite à une
proposition du projet de loi pour réformer le Code pénal, initiative du Gouvernement
roumain. Déposée au Sénat et à la Chambre des Députés330 le 11 juin 1993, la proposition
en cause inclut une rectification de l’article 200, à savoir son premier paragraphe, en
ajoutant la condition du « scandale public ». Elle ne touche cependant pas aux autres
paragraphes de l’article, ceux concernant les relations homosexuelles avec un mineur, une
personne qui se trouve dans l'impossibilité de se défendre ou d'exprimer sa volonté, ou par
la contrainte. Le Gouvernement estime avoir répondu dans cette formulation aux deux
contraintes qui avaient été déjà exprimées lors de la rencontre avec les rapporteurs de la
commission des questions juridiques et des droits de l’homme du Conseil de l’Europe :
d’une part les standards de la démocratie européenne selon lesquelles l’homosexualité
n’est pas condamnable, d’autre part les mentalités majoritaires dans la société roumaine
qui sont contraires à l’homosexualité331.
Par conséquent, si dans la forme héritée de l’ancien régime le paragraphe en question
stipulait l’interdit total des relations homosexuelles, la proposition du Gouvernement
prévoie de modifier de telle manière ce paragraphe qu’il interdise les relations
homosexuelles si elles provoquent scandale public. « Les relations sexuelles entre

330
Le Parlement roumain est constitué de deux Chambres - la Chambre des députés et le Sénat
(avec un nombre différent de membres, à savoir un député pour 70 000 de citoyens électeurs et un
sénateur pour 160 000 de citoyens au droits de vote ; cela se traduit par 343 de députés,
respectivement 143 sénateurs après les élections de 1996 et de 345 et 140 membres après 2000).
Ceux-ci sont élus pour 4 ans au scrutin proportionnel avec un seuil minimal (de 3 % jusqu’en 2000
et 5% depuis) des suffrages pour être représenté. Les deux Assemblées du Parlement exercent le
pouvoir législatif sur pied d’égalité, chacune d’entre elles ayant ainsi le pouvoir de bloquer le
processus d’élaboration des lois. Elles partagent leur droit d’initiative avec le Gouvernement. 250
000 citoyens peuvent également soumettre au Parlement une proposition de loi qui ne peut
toutefois concerner les impôts, les affaires internationales ou l’amnistie. Le Gouvernement peut, en
application de l’article 114 de la Constitution, se substituer au Parlement et légiférer par
ordonnance d’urgence sur la base d’une habilitation du Parlement. Il semble que le gouvernement
ait fait une application particulièrement étendue de ce mécanisme (le tiers des actes réglementaires
aurait été adopté selon cette procédure), y compris dans le domaine des « lois organiques » qui sont
en principe exclues de cette procédure. L’intervalle qui constitue l’objet de cette étude est marqué
par deux élections législatives et présidentielles, en 1996 et 2000. Voir à ce titre l’annexe I, qui
comprend les résultats des élections, la distribution des mandats dans la Chambre des députés et au
Sénat.
331
« On doit préciser, pourtant, qu'une désincrimination totale de cette infraction ne semble pas
être, à présent, possible, parce que ce type d'actes est étranger à la mentalité du peuple roumain,
lésant le sentiment moral général et la conscience religieuse de la plupart des populations »
Questions adressées aux autorités roumaines ; réponse à la question 6. Voir Doc. 6918.

192
personnes de même sexe sont punies par une peine de 1 à 5 ans de prison », on peut lire
dans la variante qui date de 1968. Le Gouvernement propose de la modifier comme il suit :
« Les relations sexuelles entre personnes de même sexe provoquant scandale public seront
punies par une peine de un à cinq ans de prison ».

Le Projet pour modifier et compléter le Code pénal et le Code de Procédure pénale


arrive d’abord à l’agenda du Sénat et les discussions sont lancées le 2 novembre 1993332.
Lucian Stângu, le secrétaire d’Etat au Ministère de la Justice, la même personne chargée
d’informer les représentants ILGA et par après APADOR-CH sur la situation des
arrestations sur la base de l’article 200, sera chargé cette fois-ci de présenter le projet de
réforme devant le Sénat, et cela grâce au fait qu’il avait fait partie de la commission mise
en place par le Gouvernement pour analyser, aménager et rédiger le proposition de loi.
Dans la présentation du projet, Stângu souligne la nécessité de cette intervention législative
et énumère les catégories de problèmes visés par les modifications, à savoir des
dispositions concernant la peine de prison à vie suite à l’abrogation de la peine de mort,
des infractions contre le patrimoine, mais aussi des incriminations nouvelles, comme par
exemple celle pour l’émission des chèques sans provision. Il ajoute que le projet propose la
décriminalisation de certains faits incriminés au moment des débats, à savoir les « simples
relations entre personnes de même sexe, pour qu’elle soient toujours incriminées, mais
seulement si provoquant du scandale public ou si elles ont été commises dans certains
circonstances, que la loi précise explicitement ». Il continue par souligner le volume de
travail énorme impliqué dans la rédaction de cette proposition et attire l’attention des
sénateurs sur la cohérence interne exigé par le Code pénal ; dans les conditions d’une
modification, de n’importe quel article ou paragraphe, quelle qu’en soit l’importance, cela
peut affecter l’ensemble des provisions. « Le Code pénal demande une précision
mathématique », ajoute-t-il.
Même avant de lancer la discussion article par article, la question de l’homosexualité
suscite des réactions multiples et hétéroclites ; certains sénateurs tiennent à affirmer le
soutien du projet gouvernemental et trouvent que la solution d’ajouter la condition du
scandale public est la meilleure possible, certains tiennent à critiquer cette astuce et
considèrent que l’intervention sur cet article n’est en rien nécessaire. Quelques voix,
modestes comme nombre, il est vrai, se lèvent à l’encontre de cette position, pour suggérer

332
Journal Officiel, N° 208, 3 novembre 1993.

193
l’abrogation de l’article 200 entièrement. Déjà les débats s’avèrent difficiles ; et la suite ne
fera que le confirmer.

L’article 200 fait l’objet des échanges au Sénat à partir du 9 novembre, après la pause
midi. Le jour précédant, le 8 novembre, les sénateurs avaient discuté et clarifié environ un
tiers des articles du Code pénal333 ; durant la matinée du même jour, pas moins de
quatorze articles du Code pénal ont été votés334. L’article 200 va faire l’objet des débats
pendant trois jours, sans aboutir à un accord. Finalement, le 11 novembre, les sénateurs
estiment mieux d’interrompre les débats autour de cet article et les reprendre après avoir
résolu le restant du Code pénal. Le débat sur l’article 200 est suspendu et le vote final est
remis jusqu’à la fin des discussions sur le projet de loi 335. Ce n’est que le 3 février qu’ils
arrivent à voter sur l’article 200, en adoptant la proposition du Gouvernement336.

Quant à elle, la Chambre des Députés n’arrive à débattre autour du Projet du


Gouvernement pour la modification du Code pénal que vers la fin de l’année 1994, à partir
du 18 octobre. Etant donné le retard accumulé dans la Chambre des Députés dans la
résolution de la réforme du Code pénal, les textes sont traités en régime d’urgence, ainsi
les débats sont moins volumineux. L’article 200 fait l’objet des échanges le 25 octobre et
les résultats du vote sont contraires aux ceux décidés par le Sénat : la proposition du
Gouvernement, préalablement acceptée par le Sénat, est rejetée par la Chambre des
Députés337. La majorité décide de garder le texte de l’article 200 comme tel, sans intervenir
sur le premier paragraphe, la condition ajoutée dans la proposition gouvernementale est
rejetée. Le projet de réformer le Code pénal échoue et cela à cause des résultats du vote sur
l’article 200.

333
La journée de travail débute avec l’article 59 du Code Pénal et finit par le vote sur l’article 146.
Voir le Journal Officiel, N° 214.
334
Articles : 146, 147, 148, 164, 175, 176, 178, 181, 182, 183, 193, 194, 195, 197. Voir le Journal
Officiel N° 216.
335
La séance du 11 novembre, avec 67 des voix, par rapport aux 48 voix contre et 4 abstentions, le
Sénat décide de suspendre les débats sur l’article 200. Le vote sur cet article est remis jusqu’à la fin
des travaux sur l’ensemble du Code pénal. Voir le Journal Officiel N° 220, 1993.
336
Voir le Journal Officiel N° 17, 1994.
337
Voir le Journal Officiel N° 219, 1994 ; avec seulement 20 voix opposées, la formule de l’article
200 s’impose sans aucun changement.

194
Pour sortir de cette impasse, le Projet de modification du Code pénal est une nouvelle
fois relancé au Parlement durant l’année 1995 ; vu le résultat du vote précédent au sein de
la Chambre des Députés et le rejet du projet de loi, la procédure prévoit la réouverture du
débat au sein du Sénat, pour essayer de trouver un juste milieu, un ajustement convenable,
suivi par le vote de la Chambre des Députés. Une commission de médiation est créée, afin
d’arriver à une formule commune, satisfaisante tant pour le Sénat que pour la Chambre des
députés. Cette formule, dans le cas de l’article 200 suppose d’ajouter au premier
paragraphe un double conditionnement : « les relations sexuelles entre personnes de même
sexe ayant lieu en public ou provoquant scandale public seront punies par une peine de un
à cinq ans de prison ».
Les polémiques sur l’article 200 sont encore abondantes et la délibération s’avère
difficile. D’ailleurs, cette fois-ci nous avons devant nous une réitération du premier tour
des débats, puisque le vote final rejette l’ensemble du projet. A cinq mois d’intervalle338 le
Sénat approuve le projet339, y compris la modification de l’article 200340, dans le sens
proposé par la Commission de médiation. Par contre, même si la Chambre des Députés
donne son vote à la même formule proposée par la Commission de médiation341, la réforme
du Code pénal est encore une fois bloquée, puisque les députés s’expriment
majoritairement contre l’ensemble du projet342.
Ce parcours aboutit à un accord au sein des chambres en ce qui concerne l’article
200, puisque les deux votent pour une variante du premier alinéa de l’article 200
dépénalisant les relations homosexuelles en privé, mais n’arrive pas à réunir le consensus
général. Ce qui semblait être la fin d’une difficile controverse et le bout d’un processus
lourd et laborieux, s’avère à la fin de l’année 1995 un blocage de la réforme du Code pénal.

Un nouvel essai de réformer ce corpus législatif d’une importance majeure pour la


mise en place des bases démocratiques de la vie sociale après la chute du communisme est
abordé au cours de l’année suivante, 1996. Avant de voir comment le blocage de la
réforme a été contourné, nous allons nous arrêter en ce qui suit sur les termes de ces débats
difficiles autour de l’article 200, article du Code pénal qui constitue l’un des principaux

338
Avril 1995 au Sénat et septembre même année à la Chambre des Députés.
339
Voir le Journal Officiel N° 61, 1995.
340
63 voix favorables, 28 contre, 8 abstentions, séance du Sénat du 3 février 1994.
341
Lors de la séance du 11 septembre 1995, le Journal Officiel N°149, 1995.
342
Lors de la séance du 21 novembre 1995, le Journal Officiel N° 210, 1995

195
sujets d’opposition et de confrontations343. Les échanges autour de cette thématique
révèlent la complexité des enjeux de la démocratisation : les décalages entre les normes et
les mentalités, les déséquilibres entre les priorités de la politique interne et les priorités au
plan européen, les limites du domaine de la démocratie et les extensions de la moralité
dans la vie politique.
Pour mettre en lumière ces différentes facettes du processus des transformations
démocratiques, nous allons exposer et analyser des principaux arguments invoqués dans les
débats autour de l’homosexualité lors des séances parlementaires consacrées à la révision
de l’article 200.

B. Le débat parlementaire entre diplomatie et dilemmes moraux : une mise au clair


des arguments

Plusieurs justifications ont été évoquées, d’un côté ou de l’autre, dans des allocutions
qui renvoient à la nature humaine, à l’ordre divin ou à l’ordre naturel, aux droits de
l’Homme et à l’égalité, à la liberté individuelle, à la procréation, à la démographie, à la
nation, à la famille… Nous nous concentrons ici sur le contenu et la structure de ces
arguments, en essayant de discerner quels sont les principes derrière chacun d’entre eux et
de décortiquer les ressorts internes des raisonnements ; la question se pose également de
voir si les idées véhiculées dans le contexte roumain trouvent des correspondants ou des
versions similaires dans d’autres contextes : comme la controverse se constitue autour de la
reconnaissance de l’homosexualité comme une orientation sexuelle personnelle et qui ne
doit pas faire l’objet des décisions politiques, puisque les polémiques portent sur la
dépénalisation des relations homosexuelles comme telles, nous nous demandons si les
points de controverse touchent à des enjeux qui se sont avérés critiques auparavant dans
l’histoire de la libération homosexuelle.
Nous avons repéré un nombre de huit catégories d’arguments, qui reprennent les
lignes du débat parlementaire et qui rendent compte de la majorité des conceptions mises
en avant à l’occasion de la controverse sur l’abrogation de l’article 200.

343
La première tentative de réforme, lancé en 1993 et échoué vers la fin de 1994, l’article 200
constitue la principale cause du blocage ; plus tard, les articles 205 et 206 du Code, concernant la
liberté d’expression s’y ajoutent sur la liste.

196
Il ne serait pas question dans ce chapitre d’une analyse de chaque raisonnement
élaboré pendant le débat ou des détails de sa formulation par l’un ou l’autre de ses
promoteurs ; certaines idées sont appelées par différents locuteurs dans des combinaisons
différentes ; ce que nous proposons c’est le décryptage des principaux arguments autour
desquels s’est achevée la controverse parlementaire : quelles sont les idées qui reviennent
dans la dispute, les réflexions mobilisées, les notions que les hommes politiques roumains
ont appelées pour soutenir leurs positions, les conceptions auxquelles ils ont donné voix
pour défendre leurs points de vue ?

L’argument du droit à la vie privée

Pour commencer cette analyse, nous allons nous arrêter sur l’argument du droit à la
vie privée, évoqué pour la dépénalisation des relations sexuelles entre personnes de même
sexe. L’idée mise en avant ici est que ce comportement constitue un aspect de la vie privée.
On peut facilement y identifier la conception libérale selon laquelle la morale - sexuelle en
ce cas - ne doit relever que du choix individuel de chacun, que de la conscience
individuelle ; s’il n’y a pas de violence ou préjudice, il ne faut pas qu’il y ait des sanctions.
En reprenant les termes de Daniel Borrillo, qui met en évidence la manière d’utiliser cet
argument pour maintenir des discriminations, « une telle option – l’homosexualité -
relèverait exclusivement de la vie intime de l’individu »344.
Par la suite, accepter la liberté individuelle a pour effet d’accepter aussi le droit de se
comporter dans la sphère privée d’une manière que certaines personnes peuvent réprouver.
En bref, une société ne peut pas à la fois admettre la valeur de la liberté individuelle et
reconnaître la légitimité des conceptions niant cette liberté. Reconnu par le droit anglo-
saxon comme « privacy right » ou par la tradition française comme « le droit à la vie
privée », ce principe autorise la personne à tout faire, pourvu que ses actions ne limitent
pas l’expression de la liberté d’autrui. Ainsi, l’intervention de l’Etat n’est légitime que
lorsque l’acte qui fait son objet restreint d’une façon ou d’une autre la liberté d’autrui.
Dans les débats roumains, le droit à la vie privée constitue l’une des rares raisons que
certains, à leur tour peu nombreux, trouvent pour appeler à la dépénalisation des relations
homosexuelles. Quelques exemples en témoignent :

344
Daniel BORRILLO, L’homophobie, Paris, PUF, 2000, p. 70.

197
Maria Matilda Tetu sénateur du Parti national libéral345 (PNL) – « ainsi, tant que
cette forme de vie est adoptée par quelqu’un dans son intimité, sans provoquer du
scandale, […] elle n’entre pas dans le domaine infractionnel »346.

Dan Florin Trepcea, député du Parti libéral 93/ Parti de l’alliance civique (PL
93/PAC) – « ce problème ne se réduit pas à la question sexuelle. C’est aussi une question
de liberté individuelle […] La Constitution roumaine prévoit le caractère laïc de l’Etat,
qui n’est donc pas un Etat religieux […] Il est donc impossible d’utiliser des critères
d’ordre moral ou religieux pour punir des gestes relevant du libre choix du citoyen
roumain »347.

Les seules limitations nécessaires doivent prendre en compte, au même titre que
pour toute relation sexuelle, l’âge des personnes impliquées. La libre pratique de
l’homosexualité ne saurait davantage porter atteinte à l’intérêt général. Largement utilisée
par les courants utilitaristes, la référence à la liberté d’autrui appliquée dans la réflexion sur
l’homosexualité donnait la base des changements dans les systèmes de droit
occidentaux348. Cependant, dans notre cas de figure, l’idée que l’homosexualité est une
question qui appartient au choix personnel, individuel et privé n’est pas bien accueillie par
les parlementaires, qui semblent avoir de fortes difficultés à concevoir l’homosexualité en
tant que manifestation de la vie privée, la plupart des intervenants soutenant le contraire :
Nistor Badiceanu, sénateur du Parti national paysan chrétien démocrate (PNTCD) –
« l’affirmation de la Commission de défense des droits de l’homme, comme quoi l’article
200 serait une atteinte à la vie intime de l’individu, ne se soutient pas d’après moi. » 349

Emil Teodor Popescu, PNTCD – « Une idée erronée quant à la liberté consiste à
croire que tout est possible en intimité. […] Tout l’argumentaire en marge de l’article 26
de la Constitution est faux, puisque ces messieurs distingués omettent toujours la partie

345
Nous avons décidé de signaler le parti d’appartenance des intervenants, même si il n’est pas
question d’une position unitaire au sein d’un même parti. Il est possible qu’un même locuteur se
retrouve dans des partis différents à des occasions différentes ; l’intervalle est caractérisé par des
mouvements au sein du parti, par des alliances et des scissions ; certains partis ne se retrouvent plus
sur la scène politique à la fin de l’intervalle, comme nous alos le voir.
346
Séance du 9 novembre 1993, publiée dans le Journal Officiel N° 216/1993.
347
Séance du 18 octobre 1994, publiée dans le Journal Officiel N° 212/1994.
348
« Ce principe […] trouve sa première application à la suite de la Révolution française qui crée
un nouveau code de lois dans lequel la sodomie n’est pas mentionnée. », cf. Flora Leroy-Forgeot,
Histoire juridique de l’homosexualité en Europe, Paris, PUF, 1997, p. 54.
349
Séance du 2 novembre 1993, publiée dans le Journal Officiel N° 208/1993.

198
finale du texte : ‘à condition que l’ordre public et les bonnes mœurs ne soient pas
atteints’. »350

De plus, il y a une autre restriction qui est considérée comme évidente, même si on
accepte les relations homosexuelles en privé : elles doivent rester en privé, ne pas dépasser
la sphère de l’intimité, du « chez soi »
On y retrouve sous-entendue l’idée que le respect de la vie privée est une composante
qui se structure sur deux niveaux351 : la garantie de la vie privée, d’une part (la garantie de
la confidentialité de certaines informations sur l’individu, la préservation de sa sphère
intime, l’interdit de pénétrer dans son cadre immédiat, proche qu’il souhaite garder le sien,
le respect du secret autour de soi), et le passage de là vers le côté public, son respect
effectif, d’autre part. Si la première étape est plus simplement concevable et assimilable, la
deuxième pose problème ; les exigences de la première étape peuvent être reconnues
comme des droits, par contre, quand il s’agit d’effectuer le passage vers le « droit de
chacun à rechercher, dans les relations avec autrui, les conditions de son plein et libre
épanouissement »352, cela n’est plus reconnu comme légitime.
« …il n’est pas possible de découvrir un délit commis dans l’intimité de la
personne ; il n’est pas possible de se mettre à espionner les gens pour savoir comment il se
comportent chez eux ; par contre, dans la société, nous sommes obligés de ne pas tolérer
ce genre d’actes et surtout de ne pas les légiférer »353, dit le député Gheorghe Ana, du
Parti de la démocratie sociale de roumanie (PDSR).

L’argument de l’instance supranationale

L’une des principales inquiétudes du monde politique roumain après 1989, c’était
d’effacer les dissemblances et de faire disparaître les écarts par rapport au monde
occidental. Le souci qui caractérise la période en cause est que la Roumanie ne soit pas
ignorée et laissée de côté par la Communauté européenne et par l’OTAN, qu’elle joigne le
350
Séance du 5 septembre 1996, publiée dans le Journal Officiel N° 137/1996.
351
Sur cette question, voir Olivier DE SCHUTTER, « Fonction de juger et nouveaux aspects de la
vie privée : la notion de ‘pleine reconnaissance’», in Daniel BORRILLO (dir.), Homosexualités et
droit. De la tolérance sociale à la reconnaissance juridique, Paris, PUF, 1998 pp.64-93.
352
Olivier DE SCHUTTER, « Fonction de juger et nouveaux aspects de la vie privée : la notion de
« pleine reconnaissance », déjà cité, p. 64.
353
Séance de la Chambre des Députés du 25 juin 1998, disponible au
http://diasan.vsat.ro/pls/steno/steno.stenograma?ids=1581&idm=1&idl=1.

199
Conseil de l’Europe et en devienne membre. Les efforts déployés pour couvrir les
désaccords et se faire assimiler par les organismes internationaux se matérialisent sous la
forme de traités et conventions signés par le Gouvernement roumain immédiatement après
la chute du régime communiste, des traités qui comprennent des stipulations qui diffèrent
des dispositions du droit interne relatif aux droits humains.
Ainsi, dans leurs discours, des sénateurs et des députés font appel à ces arguments
pour souligner la nécessité d’intervenir et de modifier l’article 200 :
Gheorghe Frunda, sénateur de l’Union démocrate des hongrois en Roumanie
(UDMR), déclare : « Il y a des stipulations des conventions internationales auxquelles on
n’a répondu d’une manière satisfaisante ni dans la proposition de l’initiateur, ni dans le
rapport de la Commission ; par exemple l’article 200 concernant l’homosexualité. […] Il y
a plusieurs traités et conventions que nous avons votés et qui demandent le respect de la
vie privée du citoyen, de l’homme. »354
A son tour, Constantin Radu Baltazar, sénateur du Parti social-démocrate (PSD) fait
le point sur la question : « Le Gouvernement de la Roumanie, qui est le Gouvernement que
ce Parlement a investi, a négocié cet accord à Strasbourg. La délégation du Parlement
roumain, qui est notre mandataire, a été présente et non seulement elle a agréé cet accord,
mais elle a aussi accepté tous les amendements. »355
Une année plus tard, à l’occasion des débats dans la Chambre des Députés, on
retrouve la même idée, résumée par George Iulian Stancov, député du Parti démocrate
(PD): « ce n’est pas par hasard que cette initiative du Gouvernement date de cette époque-
là356 ; notre adhésion au Conseil de l’Europe allait s’achever et, parmi d’autres
obligations qu’on avait assumées à ce moment-là, il y avait celle concernant la
modernisation et la démocratisation de la législation pénale roumaine ; il y avait la
promesse de se rallier aux valeurs de la démocratie, reconnues et assumées par
l’intégration européenne »357
Ioan Gavra, député PUNR (le Parti de l’unité nationale roumaine) : « Nous devrons
trouver le juste milieu, le point de rencontre entre notre conception à nous et la conception
européenne […] ; nous appartenons à l’institution parlementaire roumaine, nous sommes

354
Séance du Sénat du 2 novembre 1993 publiée dans le Journal Officiel N° 208/1993.
355
Séance du 9 novembre 1993, publiée dans le Journal Officiel N° 216/1993.
356
Le 11 juin 1993.
357
Séance du 13 octobre 1994, publiée dans le Journal Officiel N° 208/1994.

200
aussi membres du Conseil de l’Europe et vous savez aussi bien que moi que, dans les
monitorages qu’on y entreprend, un point porte sur la libéralisation sexuelle »358.

L’argument de la cohérence interne du droit

C’est aussi la sollicitation de mettre en accord les lois internes qui apparaît comme
argument pour modifier l’article 200 : « le nouveau projet visant à modifier et à compléter
le Code pénal met en accord ces réglementations avec la Constitution roumaine et, par
conséquent, il met fin aux exceptions non constitutionnelles très fréquemment présentes
dans les instances », dit le sénateur du Parti social-démocrate (PSD) Ion Predescu359. Ou
encore Aurel Stirbu, député du Parti docial-démocrate de Roumanie (PDSR) – « L’article
26 de la Constitution prévoit que la personne privée a le droit de disposer d’elle-même. Et
si elle a le droit de disposer d’elle-même, nous ne pouvons pas limiter ce droit »360.

Le droit à la vie privée, qu’on a discuté ci-dessus, est garanti par la Constitution :
l’article 26, dont le premier paragraphe, après les modifications opérées en 1991, affirme:
« Les autorités publiques respectent et protègent la vie intime, familiale et privée. » Le
deuxième paragraphe du même article dit : « la personne privée a le droit de disposer
d’elle-même à condition de ne pas porter atteinte aux droits et libertés d’autrui, à l’ordre
public et aux bonnes mœurs ». De plus, la Cour constitutionnelle de la Roumanie, par son
arrêté361 du 15 Juillet 1994, déclare que le premier alinéa de l’article 200 est
anticonstitutionnel, invoquant l’article 26 de la Constitution. Le même arrêté reprend
encore un article de la Constitution, le vingtième, qui dit : « Au cas où il y aurait non
concordance entre les pactes et les traités internationaux auxquels la Roumanie a adhéré
et la législation interne, les réglementations internationales sont prioritaires ».

358
Séance du 7 septembre 1995, publiée dans le Journal Officiel N° 147/1995.
359
Séance du 2 novembre 1993, publiée dans le Journal Officiel N° 208/1993.
360
Séance de la Chambre des Députés du 18 octobre 1994, publiée dans le Journal Officiel N°
212/1994.
361
Décision N° 81 du 15 juillet 1994, publiée dans le Journal Officiel N° 14 du 25.01.1995.

201
L’argument religieux, de la spécificité nationale et de la tradition

La plupart des hommes politiques mettent en avant la religion et le statut spécial de la


morale chrétienne orthodoxe au sein de la société roumaine, par rapport aux sociétés
occidentales sécularisées. De plus, ils rappellent la spécificité de la nation roumaine ; l’idée
qui se dégage des discussions est la conviction de certains membres du corps politique
roumain que l’homosexualité est quelque chose d’étranger, qui n’a rien à voir avec la
nation roumaine, et, de plus, qu’il n’y a pas d’homosexuels roumains. Puisque le peuple
roumain est un peuple sain, l’orthodoxie est le principal trait de la « roumanité », une chose
pareille ne peut venir que des « autres », sous la forme d’une influence externe. La morale
chrétienne du peuple roumain, qui rejette clairement ce type de relations, est celle qui
confère à ce peuple une spécificité qui ne peut pas être ignorée. L’intégration européenne
ne peut se faire qu’au prix du maintien de cette spécificité, qui doit être absolument prise
en compte et respectée.

On reconnaît à ce point un argument largement utilisé lorsqu’il s’agit de


l’homosexualité : la morale chrétienne, l’ordre divin362. Certaines confessions sont pourtant
très ouvertes et permissives par rapport à ce sujet, notamment la Metropolitan Community
Church par exemple. Les différentes religions ont des règles plus ou moins tolérantes à
l’égard de l’homosexualité. L’orthodoxie est très catégorique là-dessus: la sodomie,
pratique « gratuite et contraire à la nature », est inacceptable, au même titre que
l’avortement, la contraception ou la masturbation, parce qu’elle détournerait l’homme des
préoccupations spirituelles et mettrait en danger la morale. Mais on doit ajouter aussi que,
selon la morale orthodoxe, c’est le péché qui est sanctionné, pas le pécheur ; ce dernier
peut trouver la bonne voie s’il est prêt à admettre sa faute et s’il manifeste de la bonne
volonté et le désir de se remettre d’aplomb. L’Eglise accorde aux pécheurs sa
bienveillance, le pardon, la patience, leur offrant les moyens spirituels nécessaires à
l’amélioration de leur condition – l’aveu, la prière, le jeûne363.

362
Voir à ce titre l’ouvrage de Flora LEROY-FORGEOT, Histoire juridique de l’homosexualité en
Europe, déjà cité, pp. 21-50, qui propose une synthèse de la question.
363
Voir à cet égard Vestitorul Ortodoxiei (Le Messager de l’Orthodoxie), revue hebdomadaire
« d’information et spiritualité » éditée par la Patriarchie Orthodoxe Roumaine, 1993-2001,
particulièrement les numéros 103/15 octobre 1993, 106/15 décembre 1993, 113/31 mars 1994, nr.
229-230/15 juillet 1999, consacrés au sujet de l’homosexualité. Petre SEMEN, « Atitudinea

202
C’est exactement le même esprit qui ressort du discours de certains parlementaires :
Petru Dugulescu, député du Parti national paysan chrétien démocrate (PNTCD)
affirme : « Je sais très bien que nous, dans notre effort de construire une législation post
révolutionnaire, nous cherchons à apprendre de l’exemple européen […] Mais l’Europe
est une Europe post-chrétienne, monsieur ! […] La Bible dit que la pureté fortifie une
nation, un peuple ; au contraire, le péché c’est la honte des peuples »364.
Mircea Ciumara, député du même parti (PNTCD) : « Le Conseil de l’Europe a la
prétention de respecter la tradition morale de chaque peuple […] Depuis 2000 ans, cette
Eglise chrétienne nous donne le pouvoir comme peuple ; il faut que nous respections les
paroles de l’Eglise orthodoxe de notre people roumain »365.
Emil Teodor Popescu, (PNTCD) : « la santé de cette nation dépend de l’équilibre de
la solution qu’on trouve à cette question. On se retrouve à la limite entre le permis et
l’interdit : la vie personnelle, la Constitution, mais aussi la santé de la nation. C’est à tout
cela que nous devons réfléchir, pas spécialement à l’Europe ! »366.
Teiu Paunescu, sénateur du Parti de la démocratie sociale de Roumanie (PDSR) :
« les Roumains sont un peuple chrétien ; la majorité est orthodoxe. Je ne crois pas que
notre morale chrétienne nous permette d’accepter un tel amendement »367.
Ion Coja, sénateur du Parti démocrate agraire de Roumanie (PDAR) : « Le fait en
question contrevient à la religion chrétienne et à la morale chrétienne. […] Nous sommes
un peuple sain. On a besoin de cet article 200 pour rester sain et pour exprimer clairement
le fait que nous n’abandonnons pas notre propre être. Nous n’abandonnons pas nous-
mêmes, parce que ça ne vaut pas la peine »368.

Bisericii faŃă de pruncucidere, divorŃ, abandonul de copii, droguri i homosexualitate, justificată i


de Sf. Scriptură » (L’attitude de l’église face à l’infanticide, l’abandon d’enfants, les drogues et
l’homosexualité, justifiée par les Saintes Ecritures) in Teologie si viata, (Théologie et vie) An IX
(1999) N° 7-12, juillet-décembre, p. 75-96, Arhiepiscopul Hrisostom DE ETNA, Elemente de
psihologie pastorala ortodoxa (Eléments de psychologie pastorale orthodoxe), Galati, Editions
Bunavestire, 2003 ; Prêtre Marc-Antoine COSTA DE BEAUREGARD, Teologia sexualităŃii
Heterosexualitatea i Homosexualitatea din perspectivă cre tină, (la Théologie de la sexualité.
L’hétérosexualité et l’homosexualité dans la vision chrétienne), Bucarest, Editions Christiana,
2004.
364
La séance de la Chambre des Députés du 13 octobre 1994 publiée dans le Journal Officiel N°
208/1994.
365
Ibidem.
366
Ibidem.
367
La séance du Sénat du 9 novembre 1993, publiée dans le Journal Officiel N° 216/1993.
368
Ibidem.

203
Petre Turlea, sénateur du Parti de l’unité nationale roumaine (PUNR) : « Ce genre de
libéralisation est contraire à la morale du peuple roumain, cette morale qui est un des
éléments constitutifs de l’individualité du peuple roumain dans l’ensemble européen […]
La libéralisation serait de ce fait une atteinte à l’idée de conserver la nation
roumaine. »369
Gheorghe Catuneanu PNL (le Parti national libéral) : «Nous sommes un peuple sain »
ou bien « nous n’avons pas pratiqué ces relations, nous ne savons pas qu’est ce que
c’est »370 .

L’argument de la procréation, reproduction et démographie

Avec cet argument, on retrouve l’idée de danger pour la société. On ne peut pas
tenir l’homosexualité, dans une acception libérale, pour un aspect qui tient de la vie privée
et qui ne touche pas la liberté d’autrui, parce que la deuxième condition est déconsidérée :
les relations homosexuelles, même entre des adultes consentants, portent préjudice à
l’intérêt de l’autre, et cela de différents manières, principalement par l’atteinte portée à la
famille, fondement majeur de notre société. On retrouve ici les racines de la conception
chrétienne sur le couple qui se rencontre et se marie pour le but essentiel de la procréation ;
comme les relations homosexuelles sont stériles, le but d’avoir des enfants n’est pas atteint,
ce qui, dans le temps, a des conséquences sur l’ensemble de la société, avec l’accumulation
des couples sans successeurs. L’effet de ces relations, si on les accepte, serait la baisse de
natalité, la décroissance de la population, allant jusqu’à la disparition de la race humaine…
Ioan Marinescu député du Parti la Grande Roumanie (PRM): «moi, je peux fournir
des arguments démographiques qui ne sont pas négligeables. […]Si ce vice se développe,
vous vous rendez compte que la natalité va baisser encore plus à l’avenir. »371
Neculai Simeon Tatu – Sénateur du Front du salut national / le Parti de la démocratie
sociale de Roumanie (FSN/PDSR): « Si Dieu nous a donné des femmes, alors vivons avec
elles, reproduisons-nous et perpétuons l’espèce humaine. »372

369
Séance du Sénat du 7 septembre 1995, publiée dans le Journal Officiel N° 147/1995.
370
Séance du 10 novembre 1993, publiée dans le Journal Officiel N° 218/1993.
371
Séance de la Chambre des Députés du 5 septembre 1996, publiée dans le Journal Officiel N°
137/1996.
372
Séance du Sénat du 9 novembre 1993, publiée dans le Journal Officiel N° 216/1993.

204
Ion Dinu, Parti national paysan chrétien démocrate/le Parti ecologiste roumain
(PNTCD/PER): « gardons ce qui est nôtre depuis toujours, faisons de notre mieux pour
assurer l’échange des générations. Une natalité en baisse – et là je mesure bien mes mots
– me semble terrible. Il ne m’a pas été facile d’apprendre que notre peuple traverse une
telle expérience »373
Smaranda Dobrescu, députée du Parti social-démocrate (PSD) : « la famille
traditionnelle roumaine n’a rien à gagner à la prolifération de telles relations
homosexuelles »374

L’argument du danger pour les enfants, prosélytisme, pédophilie

Une autre raison qui s’est fait entendre à plusieurs reprises et sous plusieurs formes
renvoie à l’idée que l’homosexualité est dangereuse pour les enfants, ce qui vient s’ajouter
à la même logique de l’argument antérieurement exposé – l’homosexualité porte préjudice
à l’autre, en ce cas-ci, les enfants. Il y a plus d’une présomption qui s’exprime à travers cet
argument : la confusion entre l’homosexualité et pédophilie ou au moins la tendance de les
mélanger, l’idée que les rapports pédophiles homosexuels sont plus dangereux que les
rapports pédophiles hétérosexuels, la possibilité de contagion plus accrue des tendances
homosexuelles lorsqu’on est jeune, l’idée d’une influence corruptrice ou l’idée de la
contamination. Même si appréciée par la plupart comme due à une modification génétique,
l’homosexualité présente le désavantage de faire des victimes parmi les citoyens honnêtes
de la société. C’est le prosélytisme homosexuel qui constitue le danger pour l’autre et, par
voie de conséquence, qui doit être contrôlé.
Nistor Badiceanu, sénateur du Parti national paysan chrétien démocrate (PNTCD) :
« ceux qui pratiquent l’homosexualité sont toujours en quête d’adeptes, de partenaires.
Avec le temps, l’infraction devient nuisible, par ce qu’elle se diffuse »375.
De plus, l’homosexualité constituerait une vraie menace pour la société à cause des
relations homosexuelles pédophiles. Ce ne sont pas les relations pédophiles en général,

373
Séance de la Chambre des Députés du 5 septembre 1996, publiée dans le Journal Officiel N°
137/1996.
374
Séance de la Chambre de Députés du 7 septembre 1995, publiée dans le Journal Officiel N°
147/1995.
375
Séance du Sénat du 9 novembre 1993, publiée dans le Journal Officiel N° 216/1993.

205
qu’elles soient hétéro ou homosexuelles, qui sont considérées comme une menace pour les
enfants ; le discours laisse à comprendre un péril plus élevé dans le cas des relations
pédophiles homosexuelles que dans le cas des relations pédophiles hétérosexuelles :
Emil Tocaci sénateur du Parti national libéral (PNL): «Lorsqu’il élabore une loi, le
législateur est obligé d’en imaginer jusqu’aux conséquences les plus ultimes. Quelles sont
ces conséquences ultimes des actes de prosélytisme de l’homosexualité ? Ce sont des
destinées détournées. Et alors ne peut-on pas dire que ceux qui détournent des destinées
portent atteinte aux droits de l’homme ? Bien sûr que si ! »376
De plus, certains locuteurs semblent tenir les homosexuels pour des pédophiles : par
exemple, Gheorghe Dumitrascu, du Parti de la démocratie sociale de Roumanie (PDSR)
affirme : « Là il s’agit tout simplement de malades, de racoleurs et de violeurs qui doivent
être punis »377 ; il semble faire une équivalence entre les deux, et donc pas seulement voir
un risque plus élevé chez les homosexuels de s’engager dans des rapports pédophiles (ce
qui n’est pas statistiquement prouvé, d’ailleurs). « Imaginez que votre enfant soit séduit et
détruit par une de ces bêtes que vous voulez défendre ! »378

L’argument de l’ordre naturel, de la biologie et de la génétique, de la médecine

Avec cet argument on approche une autre logique du discours, qui fait appel aux lois
« incontestables », celles de la nature ou celles de la science. La sexualité est alors
considérée comme un comportement réglé par « un ordre naturel » dont le droit devrait être
l’expression. L’homosexualité est ainsi envisagée comme une sexualité hors normes.
D’abord elle ne serait pas naturelle ; bien plus, elle serait contre nature. Pour renforcer
cette considération, des exemples sont puisés dans la biologie (même si pas précis !), ou,
pour encore plus de force rhétorique, dans les résultats de la recherche génétique (même si
pas irréfragables) Au pire, l’expertise médicale est évoquée (même si pas exacte), sans que
personne s’aperçoive du piège que cela ouvre – si on accepte l’homosexualité comme
maladie, l’incrimination des relations homosexuelles serait la même chose que envoyer en
prison les malades de cancer…

376
Ibidem.
377
Ibidem.
378
Ibidem.

206
Neculai Simeon Tatu – Sénateur du Front du salut national / le Parti de la démocratie
sociale de Roumanie (FSN/PDSR): « Pourquoi aider à la perpétuation de ces perversités
que même les animaux ignorent ? »379
Ion Predescu, sénateur du Parti social-démocrate (PSD) : « …jusqu’à présent, aucune
espèce du règne animal n’a réussi à prouver la possibilité de la reproduction des individus
du même sexe, aucune espèce, j’insiste »380
Florin Radulescu Botica, sénateur du Parti de la démocratie sociale de Roumanie
(PDSR) : « Moi, je ne peux pas croire que cette loi puisse changer quoi que ce soit à ces
gènes que la nature a créés de manière aberrante chez certaines personnes. […] Puisqu’il
est génétiquement malade, l’homosexuel est taré, que la loi existe ou non ! »381
Emil Negrutiu, sénateur du Parti de l’alliance civique (PAC) : « Il y a beaucoup
d’homosexuels qui le sont contre leur volonté. Il s’agit d’une mutation génétique. Pour ces
raisons, moi je vous prie de traiter ces problèmes comme un problème médical, et non pas
comme problème politique ou religieux »382
Mircea Ciumara député du Parti national paysan chrétien démocrate (PNTCD) :
« moi, je propose que l’on s’y prenne comme si on avait affaire à une maladie : empêchons
donc sa propagation dans la société. »383

L’argument de l’opinion publique

D’autres positions évoquent le public et son opposition « évidente » envers un


possible changement des mesures législatives concernant l’homosexualité, la population
qui ne serait pas favorable au changement de la loi, autrement dit, par l’appel à la
perception sociale du phénomène de l’homosexualité ; il est indiscutable pour certains
porte-parole que le public, l’électorat en fait, est décidément opposé à l’idée de
décriminaliser l’homosexualité. Il serait une tâche tout à fait difficile d’essayer de
reconstruire ce paysage dans les années 1990 en Roumanie, à la fois à cause de la
modification rapide et des mutations significatives de la perception sociale des
comportements homosexuels, mais aussi étant donné l’état des études sur la question et le

379
Séance du Sénat du 9 novembre 1993, publiée dans le Journal Officiel N° 216/1993.
380
Séance du Sénat du 11 novembre 1993, publiée dans le Journal Officiel N° 220/1993.
381
Séance du Sénat du 9 novembre 1993, publiée dans le Journal Officiel N° 216/1993.
382
Séance du Sénat du 10 novembre 1993, publiée dans le Journal Officiel N° 218/1993.
383
Séance de la Chambre des Députés du 7 septembre 1995, publiée dans le Journal Officiel N°
147/1995.

207
manque d’information sur le sujet. Quelques repères peuvent être évoqués pour avoir un
tableau parlant sur la question : les résultats des sondages montrent l’Eglise comme
l’institution avec le plus haut taux de crédibilité (80% des Roumains placent cette
institution dans la première position) ; on a déjà vu quelle est l’attitude de l’Eglise face à
l’homosexualité. Ensuite, on a à faire avec les moyens d’information : inexistantes dans un
premier temps, les informations sur des faits liés à l’homosexualité arrivent dans les
journaux plutôt que dans l’audio-visuel et plutôt sous forme d’aspects sensationnels et
scandaleux que d’information objective. Ajoutons le fait qu’il n’existe pas – même à
l’heure actuelle – que très peu des personnalités publiques qui se soient déclarées
homosexuelles : il n’y a ni d’artistes, ni de médecins, ni d’avocats, personne qui ait fait son
« coming out »384. Au moment en question – 1993-1996 – il n’y avait même pas de
militants publiquement connus. Situation d’ailleurs facile à comprendre si l’on pense que
l’existence seule d’une relation homosexuelle constituait une raison d’emprisonnement. Et
cette règle n’est pas seulement une règle formelle, vide de contenu, mais elle est bien mise
en pratique.
Dans ce contexte-là, les hommes politiques se préoccupent de ne pas prendre des
mesures impopulaires et de sacrifier la confiance des de l’électorat à des causes qui, tout en
provenant des forums supérieurs européens, étaient contraires aux attentes des électeurs.

Le député Ion Coja, représentant du Parti démocrate agraire de Roumanie


(PDAR), affirme à ce titre: « Je vais affirmer un point de vue strictement PDAR (le parti
démocrate agraire romain), strictement paysan : il est nécessaire que cette modification du
Code pénal demandée par les Européens situés plus à l’ouest ne soit pas prise au sérieux.
Monsieur, faites attention à la réaction que le public roumain a eue envers cette
recommandation. Ne la prenons pas trop au sérieux non plus ! Si nous prenons au sérieux
cette recommandation, tout le pays va se moquer de nous ! »385
A son tour, le député Valer Suian du Parti de l’unité nationale roumaine (PUNR)
soutient : « Imaginez un referendum sur la question et essayez d’en imaginer le résultat–

384
Terme provenant de l’anglais, problématique puisque le sens peut varier et il a des connotations
homophobes dans certaines acceptions, mais utilisé de façon générale pour désigner « le fait de
dévoiler son homosexualité ». Nous pouvons compter rapidement les exceptions : il s’agit
premièrement de Neculai Constantin Munteanu, déjà cité, voir chapitre 2, Razvan Ciobanu,
créateur de mode, Mircea Solcanu, animateur tv, Alex Leo Serban, critique de film et écrivain, etc.
385
Séance du Sénat du 2 novembre 1993, publiée dans le Journal Officiel N° 208/1993.

208
99, 9% de la population voteraient contre. […] Or, nous devons démontrer que nous
sommes les représentants du peuple »386.
Gheoghe Dumitrascu, de la part du Parti de la démocratie sociale de Roumanie
(PDSR): « Le problème en question est sans doute un problème que nous ne pouvons pas
discuter maintenant et que nous ne pouvons non plus discuter avec nos électeurs sans
risquer de se faire chasser »387.

En outre si dans les sociétés occidentales le combat se situe dans le vaste mouvement
de la politique des minorités, c’est-à-dire de la mobilisation de groupes militants en dehors
des organisations politiques traditionnelles, groupes discriminés en ce cas en raison de leur
appartenance à une catégorie prédéterminée, le cas échéant l’orientation sexuelle, dans le
cas roumain on ne peut pas parler d’une situation pareille : le droit de s’associer était
interdit aux homosexuels roumains. Au moment où ces débats avaient lieu, seul existait un
groupe informel388 qui restait très peu actif au niveau interne, concentrant son activité sur
le développement des relations avec les autres associations gay européennes, qui n’avait
réussi à réunir que peu de personnes et qui restait quand même très peu visible et très peu
actif dans la société. L’absence d’un mouvement qui puisse formuler des demandes à ce
niveau ou au moins l’absence de visibilité de ce groupe est bien remarquée par les
politiciens :

Dragomir Popescu sénateur du Parti social démocrate de Roumanie (PDSR) : « Nous


devons faire des lois à partir d’une nécessité. Si notre société éprouve cette nécessité,
allons-y, mais moi j’en doute. »389
Florin Radulescu Botica sénateur du Parti social démocrate de Roumanie (PDSR) : «
avons-nous pensé à la réaction de ces homosexuels ? Nous ne savons pas combien il y en a
en Roumanie, j’imagine qu’il doit y en avoir, mais les statistiques les ignorent jusqu’à
présent […] Je serais heureux si on assistait à une grève des homosexuels, mais
malheureusement ce ne sont pas eux qui se mettent en grève, mais d’autres, que nous

386
Séance du Sénat du 9 novembre 1993, publiée dans le Journal Officiel N° 216/1993.
387
Ibidem.
388
Voir infra, Chapitre 7.
389
Séance du 10 novembre 1993, publiée dans le Journal Officiel N° 218/1993.

209
voyons très souvent […] Ce sont ces grèves-là qui me font peur, c’est à ces problèmes que
nous devons trouver des solutions. »390

C. Quelques observations synoptiques et directions à explorer

Avant de poursuivre l’enchaînement des événements touchant à cette réforme et


relancer l’analyse des interventions et leur porteurs auprès du Parlement durant les débats,
il convient de marquer quelques commentaires au sujet de ces échanges à l’égard de
l’homosexualité et de la manière dont cette thématique a été abordée au Parlement, surtout
à travers les résultats des débats et à l’aide des arguments invoqués que nous avons
examiné dans ce chapitre.
Ce n’était pas le but de notre démarche de faire le point sur les forces politiques
roumaines et leurs positions vis-à-vis de la question de l’homosexualité ; même si on peut
dégager les lignes générales, qu’elles soient favorables ou réfractaires aux modifications,
ce qui a été le plus profitable pour l’étude des arguments contradictoires, c’était de
constater qu’il y avait beaucoup de prises de positions personnelles et il n’y avait pas
d’unité d’opinion au sein des partis. Le seul parti qui arrive à la tribune avec une
conception unitaire favorable au changement, c’est l’Union démocrate des hongrois en
Roumanie (UDMR), le parti défendant les droits de la minorité hongroise en Roumanie,
qui propose l’élimination du premier alinéa de cet article et ne considère pas la diminution
des peines, ni la condition du scandale public comme une solution au problème391. De
l’autre côte, un autre groupe parlementaire qui a une vision unitaire, mais qui s’oppose au
changement, c’est le Parti de la Grande Roumanie, parti populiste d’extrême droite, qui
reste constamment réfractaire à la reforme en ce domaine et à la dépénalisation des
relations homosexuelles.

390
Séance du 9 novembre 1993, publiée dans le Journal Officiel N° 216/1993.
391
Cela renvoie à une observation plus générale: parmi les dix nouveaux membres de l’Union
européenne, le cas hongrois est à part, étant le seul qui est favorable au mariage des couple
homosexuels. (Même parmi les quinze pays qui composaient l’union avant l’intégration des dix
nouveaux membres il y en a quatre qui y sont majoritairement défavorables: soit la Grèce, l’Italie,
le Portugal et l’Irlande. Toutefois, les derniers évolutions montrent une certaine ouverture dans la
République tchèque : dans la Chambre des députés, le nombre des députés qui se sont prononcés
pour le rejet du projet parlementaire de loi réglementant la vie en commun des couples
homosexuels a été moins élevé que le nombre de ceux qui s’y sont montrés favorables) ; cela
suggère une vision sur l’homosexualité beaucoup plus ouverte, d’où la position sur la
décriminalisation de l’homosexualité.

210
Il serait possible de dégager la position des partis dans cette question, qui se précise
de plus en plus au long des débats. Le Parti Démocrate peut être considéré comme
favorable à l’abrogation de l’article 200, surtout grâce aux interventions de ses membres au
niveau du Gouvernement, comme Petre Roman392 ou Adrian Severin393, mais nous
pouvons compter parmi eux quelques voix très homophobes, comme par exemple Traian
Basescu394 ; de l’autre coté, le Parti de la démocratie sociale de Roumanie reste très divisé
sur la question, pour que le Parti de l’unité nationale roumaine, le Parti démocrate agraire
de Roumanie et le Parti national paysan chrétien démocrate soient catégoriquement contre
la modification de l’article 200.
Ce qui est intéressant c’est le grand nombre d’intervenants qui affirment leur point de
vue contraire à la position officielle du parti : les partis qui proposent des compromis
n’arrivent pas à trouver le compromis que tous leurs membres considèrent opportun. En
plus, les membres des partis qui sont défavorables au changement trouvent toujours plus
d’arguments - présupposés plus convaincants – à y ajouter. En règle générale, la plupart
des intervenants prennent la parole pour souligner la nécessité de ne pas réaliser le
changement, de maintenir cet article de loi dans le Code pénal. Dans cet amalgame,
plusieurs angles d’approche se font remarquer.

Normes et mentalités
Arrêtons-nous d’abord sur un aspect qui ne manque pas d’importance, à savoir la
difficulté de trouver l’accord sur le rôle des normes dans la société. Le conflit classique
normes – mentalités est exprimé lors des prises des positions au sujet de l’homosexualité.
Il est entendu par nombre d’adversaires de la réforme que les normes devraient exprimer
les mentalités de la société ; c’est sur cette base qu’un changement concernant
l’homosexualité est considéré comme inopportun au commencement de la décennie 90.
Comme nous avons déjà observé, la faiblesse de la vie associative et le manque de

392
Premier Ministre du premier Gouvernement, fondateur avec Ion Iliescu du Front du Salut
National et plus tard du Parti démocrate. C’est Petre Roman qui se présente devant l’Assemblée
Parlementaire du Conseil de l’Europe le 29 janvier 1991 pour présenter l’option européenne de la
Roumanie, pour qu’ensuite le pays reçoive le statut d’invité spécial auprès de l’Assemblée. Voir à
ce titre le Doc. 6901 / 1993.
393
Député au Parlement roumain (depuis 1990, réélu en 1992), Vice-premier ministre, ministre de
la réforme et des relations avec le Parlement (1990-1991).
394
Ministre des transports entre 1991-1992 et de 1996 jusqu’à 2000 ; il deviendra maire de la
capitale à partir de juin 2000 et le président de la république après les élections de 2004.

211
visibilité des personnes lgbt, auxquels s’ajoutent les prestations d’une presse orientée vers
le scandale et la criminalité contribuent à maintenir des attitudes négatives à l’égard de
l’homosexualité.
A l’autre bout de l’argument se trouvent les défenseurs de la réforme, moins
nombreux et par conséquent avec moins de chances d’imposer leur vision, qui estiment les
mentalités à l’égard de l’homosexualité comme rétrogrades et dépassées, qui essayent de
promouvoir la base légale pour permettre aux mentalités d’évoluer et rattraper le retard par
rapport aux progrès européens. Selon eux, dans un cadre légal, qui respecte la vie privée et
les choix individuels, l’orientation homosexuelle pourrait sortir de l’ombre et s’articuler
dans la normalité, ce qui contribuerait au changement des mentalités.
Cependant le désaccord persiste, puisque les partisans de la première vision, selon
laquelle les normes sont l’expression des mentalités, sont eux-mêmes porteurs de telles
mentalités, ils attribuent eux-mêmes à l’homosexualité des traits négatives : vice, maladie,
crime. De plus, ce que les uns considèrent comme « les progrès de l’Europe » est apprécié
par les autres comme « la dépravation de la société moderne européenne ».

L’Eglise et l’Etat
Une autre observation instantanée à la lecture des arguments à l’égard de
l’homosexualité lors des débats autour de l’article 200 dans le Parlement roumain concerne
les nombreuses évocations de la « loi éternelle », de la « loi divine », de cla religion. Cela
nous met devant une question qui nécessite plus de clarifications, puisque ce qui se trouve
en jeu, c’est le difficile équilibre entre les institutions de l’Etat : la séparation de l’Eglise et
l’Etat est une question qui reste pendant une longue période dans un équilibre fragile dans
la société roumaine et l’ouverture des débats autour de l’homosexualité a été largement
utilisée par l’Eglise orthodoxe dans sa quête d’acquérir une place à la table des
négociations dans la société roumaine post-communiste. Cet aspect fera l’objet du chapitre
suivant.

La contrainte externe
Un autre point saillant de ce passage en revue des débats autour de l’article 200 vise
le rapport aux institutions européennes, et plus spécifiquement pour cette première étape de
la controverse, le rapport au Conseil de l’Europe. Les amendements compris dans l’avis du
Conseil sur l’adhésion de la Roumanie sont très souvent invoqués pour soutenir la

212
nécessité de la réforme. Le fait que l’avis du Conseil fait mention explicite de l’article 200
présente pourtant des poids différents selon les intervenants : si pour les uns il est
incontournable, pour les autres n’est pas exactement convainquant. Cet aspect sera
considéré plus en détails : nous allons nous concentrer sur le rôle de « la contrainte
externe » dans la réforme des provisions à l’égard des relations homosexuelles ; si dans un
premier temps l’option européenne se traduit par la volonté de faire partie du Conseil de
l’Europe, une fois ce but atteint, le Gouvernement roumain, soutenu par toutes les
formations politiques, vise l’intégration à l’Union européenne. Le procédé de suivi des
progrès de la réforme mis en place par les commissions de l’Assemblé parlementaire du
Conseil de l’Europe sera continué tout au long des années 1990 et complété par la
conditionnalité européenne, qui nécessite toute une série de clarifications.

Une question diplomatique risible


Pour ajouter quelques observations qui complètent le tableau des échanges
parlementaires autour de l’homosexualité, soulignons également l’accusation implicite que
ceux qui soutiennent la dépénalisation des relations homosexuelles sont eux-mêmes, à leur
tour, des homosexuels « in the closet»395. Cela ressort des multiples appels au vote
nominal, proposition positivement reçue par les opposants du changement, et aussi une
occasion pour faire entendre des affirmations du type : « nous sommes d’accord que cette
liste (pour le vote uninominal) soit imprimée. Pas pour qu’on puisse s’espionner entre
nous, mais, comme ça au moins ceux qui sont d’accord pourraient plus facilement trouver
des partenaires »396 Victor Stoicescu, sénateur PRM (Parti de la Grande Roumanie).
Ainsi, soutenir une modification de l’article 200 correspond à se faire une réputation
d’homosexuel, possibilité qui n’est pas acceptée sans problème par les sénateurs et députés
roumains, qui ne se permettent pas de se voir accoler à leur nom une telle étiquette (un vrai
stigmate à vrai dire), par peur de ne pas perdre leur popularité devant l’électorat.
Un autre aspect est à souligner, peut-être le plus parlant, quant à l’état de la question
en Roumanie : il vise la situation paradoxale dans laquelle se retrouvent les hommes
politiques. D’un côté le sujet est considéré risible, pas sérieux, tel que l’atteste le grand
nombre de fois où les discussions provoquent l’hilarité dans la salle : « nous nous amusons

395
Expression provenant de l’anglais, traduit par « placard », qui désigne le lieu social et
psychologique où sont enfermés les gays et les lesbiennes qui dissimulent leur homosexualité (cf.
au Dictionnaire de l’homophobie, p. 130).
396
Séance du 9 novembre 1993, publiée dans le Journal Officiel N° 216/1993.

213
parce que le sujet nous invite », dit à un moment donné un intervenant. D’un autre côté, il
s’agit d’un article nécessitant un nombre important de jours de discussions ; comme nous
avons vu, au Sénat, à l’occasion du premier examen du projet, le débat autour de cet article
est retardé de plusieurs mois, jusqu’à la fin des débats sur l’ensemble du Code pénal, pour
ne pas bloquer le processus législatif. En fin de compte, il est même considéré comme un
des sujets qui ont donné lieu au plus grand nombre de polémiques au Parlement. Même si
un sujet risible, l’homosexualité acquit une valeur de question diplomatique : Florin
Radulescu Botica, sénateur du Parti de la démocratie sociale de Roumanie (PDSR) déclare
lui que : « nous-mêmes nous avons demandé l’intégration en Europe, cette Europe qui a
de telles conceptions sur la liberté sexuelle ; nous ne vivons pas encore le moment où
l’Europe exprime sa volonté de s’intégrer chez nous »397. Il ajoute aussi : « même si c’est
risible, à ce moment-ci et dans cette conjoncture – l’adhésion de la Roumanie au Conseil
de l’Europe – l’homosexualité a une valeur diplomatique. Et nous devons la considérer
comme telle. »398
En dépit de la mise en lumière de cette dimension diplomatique de la thématique des
relations homosexuelles, les parlementaires roumains ne la traitent pas avec trop de
souplesse, au contraire même. Le sens de la diplomatie reste abscons pour un grand
nombre d’hommes politiques roumains et cette notion est confondue parfois avec le double
jeu politique : un set d’actions et déclarations sur la scène européenne, ou autre set, parfois
même contraire au premier sur la scène interne. Le raisonnement « diplomatique » revient
à adopter un double discours : les déclarations antérieures, qui ont joué leur rôle dans le
grand schéma européen, sont mises entre parenthèses et des valeurs tout à fait contraires
peuvent être proclamées, avec plus de conviction. A ce titre, le sénateur Constantin Radu
Baltazar remarque : « Nous avons dit des mensonges en Europe et quand nous revenons à
la maison nous disons la vérité ? Quand est-ce que nous avons été honnêtes – à Strasbourg
ou à Bucarest ? C’est ce que je voudrais savoir »399. Ce double jeu ne reste donc pas
inaperçu, mais la volonté de faire la lumière sur la question n’accompagne pas le
raisonnement et surtout pas la décision.

397
Séance du 9 novembre 1993, publiée dans le Journal Officiel No. 216/1993.
398
Séance du 10 novembre 1993, publiée dans le Journal Officiel No. 218/1993.
399
Séance du 9 novembre 1993, publiée dans le Journal Officiel N° 216/1993.

214
Enfin, et de façon non exhaustive, il faut souligner les préjugés et les lieux communs
que les débats ont mis en évidence : ces discussions sont l’expression très nette de la forte
opposition aux relations homosexuelles en Roumanie. Les arguments sur lesquels porte le
débat sont l’expression de certaines représentations implicites ou explicites des modes de
vie homosexuels et du statut social des personnes homosexuelles. Les homosexuel/les sont
considéré(e)s comme des anormaux, des malades, des étrangers, des pédophiles, des
personnes dangereuses, des criminels, des violeurs et ainsi de suite ; l’homosexualité n’est
qu’accidentellement considérée comme un mode de vie alternatif, minoritaire, mais
normal, un choix personnel. L’image qui demeure dans l’esprit des hommes politiques
roumains, c’est l’image négative, qui associe l’orientation homosexuelle au péril, aux
mauvaises mœurs, à la dépravation et la perversion.
Tout au long de la période concernée, il n’y a pas eu une évolution sensible de la
qualité de débat parlementaire ; la durée des discussions diminue, il n’y a ni d’arguments
nouveaux, ni une autre distribution des prises de position favorables à la dépénalisation par
rapport à celles contraires. A ce titre le résultat des votes est indicatif. L’accent porte
toujours sur des arguments irrationnels, imprécis et moralisateurs, la faiblesse des
arguments juridiques par rapport au poids des arguments rhétoriques ne change pas et la
virulence des intervenants est constante. Nous pouvons noter une certaine fatigue vers la
fin de la période; les discussions sont de plus en plus courtes, elles donnent l’impression
que ce qu’il y avait à dire est déjà dit : il y a des accords internationaux qui exigent
l’abrogation de l’article 200, mais cela est considéré contraire à la spécificité et à la
tradition roumaine, et surtout contraire à la morale, une morale qui est celle de
l’orthodoxie… D’autres, peu nombreux, considèrent qu’il y a un droit à la vie privée, et à
la liberté personnelle qui doit être protégé par l’Etat, mais à ceux-ci, il est répondu que la
liberté ce n’est pas la liberté de faire n’importe quoi chez soi, et que cette liberté est limitée
au moment où elle atteint la liberté des autres… Tout cela montre bien que le sujet était
loin d’être un sujet banal, mais il est possible d’entrevoir à l’occasion des dernières
discussions sur le sujet le besoin de mettre fin au débat, de ne pas prolonger une discussion
qui n’apporte rien de nouveau, et de laisser le vote décider.
Le vote exprime bien l’embarras de choix, la situation d’une profonde confusion de
repères, l’impossibilité de trancher d’une façon ou d’une autre – le projet de loi pour
modifier le Code pénal et le Code de Procédure pénale est rejeté deux fois d’affilée, ce qui

215
se traduit dans l’échec de la réforme législative cinq ans après le changement du régime
politique. Comment sortir de cette impasse ?

D. Une troisième fois devant le Parlement

Conformément à l’article 75 de la Constitution, le rejet devait être définitif. Cet


article, intitulé « La transmission des projets et des propositions de loi d’une Chambre à
l’autre » met les termes de ce processus comme suit : « Les projets de loi ou les
propositions de loi adoptés par une Chambre du Parlement sont transmis à l’autre. Si cette
dernière Chambre rejette le projet de loi ou la proposition de loi, celui-ci est renvoyé, pour
un nouvel examen, à la Chambre l’ayant adopté. Un nouveau rejet est définitif » (c’est
nous qui soulignons).
Dans ces conditions, un nouvel essai d’amender le Code pénal aurait pu faire l’objet
des débats seulement si une proposition nouvelle, fondamentalement différente était
avancée. En dépit de cette contrainte, le même projet de loi, avec le même contenu, mais
sous une nouvelle forme, fit l’objet de débats en 1996 dans les deux chambres du
Parlement400. Le projet de loi rejeté comprenait la modification du Code pénal et du Code
de Procédure pénale, dans la même proposition adressée par le Gouvernement au
Parlement. La nouvelle proposition de réforme du Code pénal présente les deux codes
séparément, comme deux projets différents, mais au niveau du contenu nous n’enregistrons
pas de modification. A l’aide de ce petit artifice de procédure, les sénateurs Ion Predescu et
Valer Suian, le président et le vice-président de la commission juridique du Sénat,
reprennent la proposition de modification du Code pénal et le 1 février 1996 ils présentent
devant le Parlement deux projets de loi : le projet de modifier le Code pénal et le Projet de
modifier le Code de Procédure pénale.
Le Sénat discute ce projet durant le premier trimestre de l’an 1996. En ce qui
concerne l’article 200, il reçoit le vote du Sénat dans la même formulation avancée d’abord
par le Gouvernement : les relations homosexuelles sont punies seulement si provoquant
scandale public401.

400
Au mois de mars au Sénat et en septembre dans la Chambre des Députés.
401
La séance du 12 mars 1996, le Journal Officiel N° 40, 1996.

216
Par contre, la Chambre des Députés insiste sur sa propre version et vote le 10
septembre 1996 de ne pas comprendre la condition du scandale public, mais de baisser les
peines : ainsi, le premier paragraphe de l’article 200 devient : « le relations sexuelles entre
personnes de même sexe seront punies d’une peine de 6 mois à 3 ans
d’emprisonnement »402.
De nouveau une commission de médiation est créée et cette fois-ci la solution
proposée arrive à résoudre le différend, retrouvant la solution du round précédent des
discussions, à savoir en introduisant la condition du « scandale public » ; le projet de loi est
adopté et déposé au secrétariat du Parlement le 1er octobre 1996, un mois avant les
élections générales403, en apportant un premier changement.
Quelle a été la raison qui a incliné la balance vers cette solution ? Comment expliquer
le fait que, après trois tours de controverses ardues, la Chambre des Députés revient sur la
décision et adopte cet article dans la forme qu’elle a rejetée trois fois ? Le raisonnement
nous demande de nous arrêter sur un épisode de grande importance dans l’évolution des
controverses autour de l’homosexualité – à savoir la décision de la Cour constitutionnelle
du 15 juillet 1994.

L’argument gagnant : la décision de la Cour constitutionnelle

Lors que les deux chambres du Parlement échoué tour à tour à atteindre l’accord
quant à l’article 200 du Code pénal, la Cour constitutionnelle, à travers la décision numéro
81 du 15 juillet 1994, affirme que le premier paragraphe de cet article contrevient aux
droits et libertés garantis par la Constitution. Il n’est pas question pour le moment de
clarifier les conjectures de cette décision, les détails de ce cas feront l’objet de notre
examen dans le chapitre suivant404, nous esquissons brièvement le point-clé :
Il s’agit d’une affaire concernant des poursuites sur la base de l'article 200 par la
Police départementale de Sibiu405, affaire qui finit devant la Cour constitutionnelle. A cette
occasion, la Cour a décidé que la pénalisation totale des relations homosexuelles – « sans
tenir compte du type de relations sexuelles entre personnes de même sexe, des

402
La séance du 10 septembre 1996, le Journal Officiel N° 141, 1996.
403
Les élections présidentielles et législatives ont eu lieu le 3 novembre 1996 ; la reprise des
travaux dans les deux chambres – le 22 novembre 1996.
404
Voir infra, Chapitre 6.
405
Département situé dans le centre du pays, au sud de la Transylvanie.

217
circonstances de fait ou du fait que les personnes sont d’accord ou pas avec de tels
rapports » – violait la Constitution. Elle constate à cet égard que l’alinéa 1 de l’article 200
porte atteinte au droit au respect de la vie privée, qui fait l’objet de l’article 26 de la
Constitution (qui constitue une application de l’article 8 de la Convention européenne des
droits de l’Homme). La Cour expose ensuite les critères auxquels elle a recouru pour
arriver à cette conclusion et les principes à suivre dans l’évolution de la jurisprudence, et
avance l’idée que le droit doit prendre en compte les nécessités de la société
contemporaine, même si les solutions contreviennent aux préceptes moraux traditionnels.
La décision de cette institution de se prononcer sur l’alinéa 1 de l’article 200 et de le
déclarer anticonstitutionnel, sinon un premier pas vers une attitude plus tolérante à l’égard
de l’homosexualité, a marqué de toute façon une brèche dans la ligne répressive pratiquée
jusque là et aussi un tournant dans le système législatif interne roumain, reconnu et
affirmé. Cela d’autant plus, que la commission de médiation formée pour arriver à l’accord
sur l’article 200 y fait appel.
Vasile Popovici, député PAC : « La Cour constitutionnelle s’est prononcée à cet
égard ; elle s’est prononcé pour la dépénalisation. Par conséquent, il faut que nous
prenions en compte cette décision ».

***

Dans la nouvelle formule de l’article 200, le premier paragraphe énonce : « les


relations sexuelles entre personnes du même sexe, commises en public ou provoquant un
scandale public, seront punies de un à cinq ans d’emprisonnement ». De plus, l’alinéa 5 de
ce même article rend passible de peines allant de un à cinq ans d’emprisonnement toute
personne ayant « incité, par la séduction, ou par tout autre moyen, une personne à avoir
avec elle des relations homosexuelles, ayant formé des associations de propagande ou fait,
sous quelque forme que ce soit, du prosélytisme à cette fin ». C’est dans cette forme que
l’article 200 fut adopté en force le 14 novembre 1996, par la loi 140/1996, publiée dans le
Journal Officiel No. 289/1996.

218
Le compromis de la réforme: plus de liberté, moins de droits ou comment modifier
sans rien changer

La première réforme du Code pénal n’aboutit qu’en 1996406, après trois ans de
discussions, des aller retours entre les deux chambres du Parlement, et de virulents
échanges entre les principaux acteurs concernés par le sujet. Dans sa nouvelle formule,
l’article 200 constitue l’expression d’un compromis difficile entre les parties impliquées. Si
le premier paragraphe de l’article 200 enlève les peines pour les relations homosexuelles en
privé entre adultes consentants, les autres provisions ajoutées à cet article rendent la
situation des personnes lgbt toujours passible de sanctions.
Ce qui se voulait une avancée en termes de liberté – la dépénalisation – était remis en
question par deux autres dispositions de l’article : tout d’abord la référence à la notion de
« scandale public », formulation ambiguë donnant lieu à des interprétations abusives,
ouvrait la possibilité d’une sanction dès que les actes homosexuels accomplis en privé
étaient aperçus par un tiers, ce qui débouchait, dans les faits, sur la négation du droit à la
vie privée. Ensuite, le dernier paragraphe restreignait les droits des homosexuels : le droit
de s’exprimer, le droit de s’associer étaient remis en cause. La mise en place de lieux de
rencontre, d’associations, de publications homosexuels devenait susceptible de poursuites
judiciaires. Selon les termes de la nouvelle loi, « être homosexuel » et affirmer son identité
homosexuelle constituait un délit en soi. Ce qui semblait au premier abord un relâchement
des normes se traduisait en réalité par un prix encore plus cher à payer du côté des droits
sociaux, ce qui témoignait de la grande difficulté d’apprécier l’homosexualité en termes de
choix individuel, de respect de la vie privée et d’acceptation de la différence.
La nouvelle formulation de l’article 200 était considérée comme la meilleure possible
du point de vue de la politique intérieure : elle permettait la réconciliation de toutes les
parties impliquées et maintenait l’équilibre entre « les contraintes extérieures » et « l’esprit
national roumain ». Par contre, pour les homosexuels eux-mêmes, les nouvelles
réglementations signifiaient davantage de contraintes en matière de regroupement ou de
solidarité : les parcs ou les boulevards étaient encore plus dangereux, des lieux de
rencontre labellisés gay, comme les bars ou les clubs, n’étaient pas autorisés à ouvrir. De
plus, la dite « contrainte externe » n’était pas proprement intégrée dans la nouvelle
expression de l’article 200. D’ailleurs, comme nous allons voir plus en détail dans un des

406
La loi 140/1996, publié dans le Journal Officiel, N° 289/1996.

219
chapitres à venir, le Parlement européen, confronté à ce résultat, débat le 19 septembre
1996 une résolution sur la Roumanie, dans laquelle il exprime « l’indignation profonde
vis-à-vis de cette décision du Parlement roumain (…), condamne toute tentative de
pénaliser les relations sexuelles entre des adultes consentants »407 et fait un appel au
président de la Roumanie pour qu’il empêche la promulgation de la loi dans cette forme408.

407
The European Parliament […] expresses its profound indignation at these decisions by the
Romanian Parliament and condemns any attempt to criminalize sexual relations between adults of
same sex ».
408
Source : Hein VERKERK, « Resolution in European Parliament on Romania », in ILGA
Euroletter 45, novembre 1996.

220
Chapitre 6 : Contre l’homosexualité, pour la santé de la nation. Contre les
discriminations, pour les droits de l’Homme

Préambule
A. L’Eglise orthodoxe roumaine, gardienne de la morale nationale traditionnelle
La morale, la santé, la nation en péril. La menace de l’homosexualité
L’homosexualité: propagande de la dégénération humaine
Au salut de la nation
« L’Etat chez lui, l’Eglise chez elle » ?

B. APADOR-CH, gardienne des principes de la démocratie : les droits de l’Homme


APADROR-CH - l’essor d’un collaborateur local fiable
L’amélioration des droits de l’Homme par l’intermédiaire de la législation
Le programme pour les minorités
Vera Cîmpeanu : « j’étais là au bon moment »
Le programme juridique
Scott Long : « the situation in Romania is simply terrible »
Devant la Cour constitutionnelle

C. Bilan intermédiaire

221
Chapitre 6 : Contre l’homosexualité, pour la santé de la nation.
Contre les discriminations, pour les droits de l’Homme

« L’origine de la condamnation pénale se situe dans la croyance que l’absence de


respect des lois bibliques est une forme d’impiété criminelle entraînant nécessairement
l’exclusion. La Bible fait référence à l’homosexuel comme celui qui couche avec un autre
homme… ».
Flora Leroy-Forgeot, Histoire juridique de l’homosexualité en Europe

« Les homosexuels seraient donc non seulement étrangers au sain corps de la


nation, mais ils relèveraient même des troupes de l’ennemi national et historique. Leur
existence et leurs revendications constituent une agression contre la nation ».
Jean-Arnault Dérens, Homophobie dans les Balkans occidentaux : altérité et figure de
l’ennemi

« Les homosexuels, hommes et femmes, demandent à être admis pour ce qu’ils sont,
dans leur manière de vivre, et aspirent à l’égalité et à la justice sociale. Ils ne prétendent à
aucun privilège, mais souhaitent bénéficier du droit d’occuper une place reconnue dans la
société, comme amis, collègues, frères, soeurs, fils et filles, compagnons ou parents. Ni
plus ni moins ».
ILGA, Egaux en droits. Les homosexuel/les dans le dialogue civil et social

« La criminalisation du comportement sexuel (art. 200, paragraphe 1) représente


l’intrusion continuelle et brutale de l’Etat dans la vie privée du citoyen, de la même
manière qu’elle s’est déroulée pendant les années communistes. APADOR-CH demande
au Sénat de rediscuter ces textes et de voter la loi concernant les modifications du Code
pénal seulement après avoir éliminé du texte ces graves atteintes aux droits humains » .
APADOR-CH, Rapport annuel 1993

222
Préambule

L’examen de l’émergence des questions homosexuelles dans la société roumaine


après 1989 nous a amenée dans un premier temps à l’examen des conditions politiques et
sociales à la sortie du communisme : les transformations engendrées par la mise en place
de la démocratie, la faiblesse du secteur associatif et l’intervention d’un nombre
d’entrepreneurs transnationaux désireux de faciliter le processus de démocratisation,
l’adhésion au Conseil de l’Europe représentent les dimensions du contexte roumain au
commencement de la décennie 90. Ces coordonnées s’entremêlent et participent
conjointement à rendre possible l’ouverture des débats autour de la législation régissant les
relations homosexuelles.
En absence d’une mobilisation des personnes lgbt dans la société roumaine pour
demander des droits et faire des pressions pour l’abrogation de l’article 200, la tentative de
réformer la législation punitive des actes homosexuels dans le contexte roumain sera le fait
du Gouvernement, dans le cadre d’une initiative plus compréhensive, à savoir la réforme
du Code pénal. La proposition du Gouvernement se trouve non seulement sous le signe de
l’Europe, mais l’attention internationale en général est saisie : d’une part, l’adhésion au
Conseil de l’Europe, option de la politique extérieure qui ne fait pas l’objet de dissensions
sur le plan interne409, suppose des recommandations explicites dans le sens de l’abrogation
de la législation punitive de l’homosexualité. D’autre part, des organisations non
gouvernementales transnationales, comme ILGA, l’IGLHRC, la Human Rights Watch ou
Amensty International, sont présentes en Roumanie très tôt après la chute du régime
communiste et observent de près « les avancées sur la voie de la démocratisation » : la
situation des droits de l’Homme, les relations entre les différents groupes ethniques et la
majorité roumaine, la liberté de la presse, etc. Le sujet de l’homosexualité ne tarde pas de
les intéresser et les autorités roumaines seront rapidement interpellées à ce propos. Comme
nous l’avons vu, le monitorage de la situation en Roumanie avait été construit comme
élément dans leurs propres stratégies de lobbying auprès des institutions européennes.
Nous allons y revenir.

409
Voir sur ce sujet plus ample Ruxandra IVAN, La politique étrangère roumaine (1990-2006),
Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 2009.

223
Le sujet de l’homosexualité et la situation des homosexuel/les en Roumanie suscitent
l’intérêt de différents bureaux en Europe ; cela ne veut pas dire qu’il reste complètement
ignoré au plan interne. Si les initiatives de mobilisation homosexuelle restent hésitantes et
trébuchantes, les personnes lgbt presque invisibles et le climat social dans une grande
proportion peu ouvert à l’expression de la différence, l’arrivée de l’article 200 devant le
Parlement correspond aux premières prises de positions significatives sur le plan interne.
D’une part l’Eglise orthodoxe roumaine s’érige dans l’adversaire de la cause
homosexuelle : elle ne tarde pas à faire entendre son discours sur l’homosexualité et à
s’exprimer de façon véhémente contre la dépénalisation des relations homosexuelles,
contre la proposition du Gouvernement, contre l’intervention sur l’article 200 du Code
pénal. En s’appuyant sur un capital de confiance très élevé410, l’Eglise n’hésite pas à
prétendre une place particulière sur la scène politique et à expérimenter son influence dans
les échanges politiques. Ses positions seront exposées et propagées intensivement et, de
plus, son orientation suivie par nombre de fractions de la société, dont l’Association des
Etudiants chrétiens crthodoxes roumains - ASCOR411 n’est qu’un seul exemple. D’ailleurs,
l’écho de ses points de vue, comme nous avons noté dans le chapitre précédant, se fait
pleinement entendre à partir des tribunes des deux chambres du Parlement.
D’autre part, malgré tout, une position contraire devient de plus en plus présente sur
la scène interne: l’Association pour la Défense des Droits de l’Homme en Roumanie –
Comité Helsinki, l’APADOR-CH, se construit petit à petit une position de défenseur des
droits humains en Roumanie, et les droits des personnes lgbt font partie de ses priorités.
Les logiques d’action de ces deux instances, les ressorts de leur implication dans la cause
homosexuelle, le répertoire de leurs outils et les buts de leur participation dans les

410
A la fin des années 1990 la Roumanie était le deuxième pays d'Europe où la religion est
considerée très importante (par 51.3% de la population du pays, après la Malte, par 67.2%);
également 86.6% des roumains déclaraient trouver l'appui et la force dans la religion par la foi.
Elena GHEORGHIU, « Religiozitate si crestinism in Romania post-comunista » (Religiosité et
christianisme en Roumanie postcommuniste), en Sociologie Romaneasca (Sociologie roumaine),
Vol. I, N° 3, 2003, pp. 102-121; lors du récensement du 1997, il est résulté que le 96.3% de la
population de la Roumanie s'est déclarée chrétienne; de ces 96.3%, 86.8% se déclarent orthodoxes.
411
Créée le 14 juin 1990, à Bucarest comme organisation non profit, ASCOR a aujourd’hui des
filiale dans les grandes villes du pays (Sibiu, Craiova, Alba-Iulia, Oradea, Timisoara, Baia-Mare,
Iasi, Suceava, Bacau, Galati, Constanta) et elle se présente comme une organisation nationale. Elle
a fonctionné pendant une longue période dans les locaux de l’Université de Bucarest, dans le même
bâtiment que la Faculté de Droit et la Faculté de Philosophie, pour changer de siège plus tard et
s’installer en 2009 au numéro 6, rue George Georgescu. En 1992, la Patriarche Teoctist a déclaré
l’ancienne Eglise Russe du centre de la capitale comme l’Eglise Universitaire.

224
échanges autour de la dépénalisation de l’homosexualité constituent la matière de ce
chapitre.

A. L’Eglise orthodoxe roumaine, gardienne de la morale nationale traditionnelle

Nous nous attacherons dans un premier temps à regarder de plus près le rôle de
l’Eglise orthodoxe ; nous examinons comment l’Eglise orthodoxe roumaine s’est rapporté
à la question de la dépénalisation de l’homosexualité, en détaillant son attitude générale,
ainsi que les actions concrètes qu’elle a menées412. Pour comprendre son intervention au
sujet de l’homosexualité, nous procédons à resituer sa place dans la société roumaine
postcommuniste et à interroger ses efforts pour s’imposer en tant que gardien de la morale
nationale.

La morale, la santé, la nation en péril. La menace de l’homosexualité

L’Eglise essaie constamment d’affirmer son indépendance et de défendre ses intérêts,


d’accumuler plus de pouvoir, de se construire un nouveau rôle dans la nouvelle
démocratie. Sa participation dans la vie politique et sociale est très active, comme l’atteste
la présence presque quotidienne de membres de l’Eglise dans les journaux télévisés à
l’heure de l’audience maximale ou la présence du Patriarche et d’autres membres du haut
clergé à côté du Président du pays à divers événements officiels tels que fêtes ou foires, ou
bien les services de bénédiction, intensément médiatisés, à l’inauguration de n’importe
quelle entreprise, y compris une distillerie ou une manufacture de tabac... Le crucifix et
parfois d’icônes religieuses se retrouvent sur les murs des salles de classe dans les écoles
ou des bureaux, à côté de l’image représentant le drapeau (en remplaçant le portrait de
l’ancien président de la république et l’image du drapeau rouge avec la faucille et le
marteau). Les compromis moraux qu’une partie du clergé avait faits avec le régime

412
Cette partie de l’analyse consacrée à l’Eglise orthodoxe a bénéficiée a fait l’objet de l’article
« Orthodoxie, morale et politique. L’Eglise orthodoxe roumaine face à la dépénalisation de
l’homosexualité » paru dans l’ouvrage colléctif coordonné par François FORET, L’espace
européen à l’épreuve du religieux, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 2006, pp. 139-
156. Je remercie François Foret pour ses remarques et ses réflexions à ce sujet.

225
communiste413 ne constituent pas un obstacle pour prétendre à l’exclusivité du mandat de
« seule référence morale dans un climat de crise idéologique » et de « mobile de la
renaissance spirituelle » du peuple. Ce mandat reste plus que jamais revendiqué. Dans un
contexte de profondes mutations à tous les niveaux, l’Eglise propose des points de
référence stables, en faisant appel à des valeurs immuables car transcendant la condition
humaine.
Cette stratégie de l’Eglise orthodoxe roumaine ne manque pas de succès. Les
sondages d’opinion réalisés durant les années 1990 la situent à la première place en ce qui
concerne la confiance de la population envers les institutions, avec un total de 83% des
voix414. Une tendance similaire avait été enregistrée dans le cas russe, où les événements
des dernières années du régime de Gorbatchev avaient engendré un plus d’importance pour
les valeurs spirituelles et pour l’héritage culturel national, ce qui s’est traduit dans une
courbe croissante de l’opinion favorable aux institutions religieuses. Néanmoins, au début
des années 1990, l’accélération des changements politiques et la crise socio-économique
avaient provoqué une perte de confiance415. En Roumanie, les cotes de popularité de
l’Eglise restent élevées, ce qui permet à ses représentants de prétendre à une place
particulière sur la scène politique et de tenter d’influencer le processus décisionnel.
Les institutions religieuses sont dès lors confortées à imposer leur vision à travers les
prédications des prêtres durant les services, des publications et toute une série d’appels et
de pétitions envoyés au Parlement, au Gouvernement ou aux médias.
La perspective religieuse sur la condition de l’homosexualité laisse peu de place à la
négociation. La condamnation de l’homosexualité comme un grand péché n’est d’ailleurs
pas une spécificité de l’orthodoxie roumaine. Au cours des siècles, les différentes Eglises

413
Plusieurs métropolites orthodoxes ont présenté leurs excuses pour leurs comportements pendant
la période communiste. En 1995, lorsque l’Eglise a fêté 110 ans d’autocéphalie, le Patriarche
Teoctiste a demandé pardon au peuple pour les erreurs commises par le clergé avant 1989. Pour des
analyses des relations de l’Eglise orthodoxe, l’Etat et la société, voir, par exemple : Olivier GILLET,
Religion et nationalisme. L’idéologie de l’Eglise Orthodoxe Roumaine sous le régime communiste,
Editions de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 1997 ; Mirel BANICA, Biserica Ortodoxa
Romana, stat si societate (l’Eglise Orthodoxe Roumaine, Etat et société), Iasi, Polirom, 2007 ;
Carmen CHIVU-DUTA, Cultele din Romania intre prigonire si colaborare (Les cultes roumains
entre oppression et collaboration), Iasi, Polirom, 2007 ; Cristian VASILE, Istoria Bisericii Greco-
Catolice sur regimul comunist. Documente si marturii (L’istoire de l’Eglise Greco-Catholique sous
le régime communiste. Documents et témoignages). 1945-1989, Iasi, Polirom, 2003.
414
Pour la question : « quelle est votre confiance dans l’Eglise ? » les réponses sont : 83% forte
(44%) et très forte (39%) ; l’Armée vient après, avec un total de 62% des voix. En dernières
positions on retrouve la justice, le Parlement et les partis politiques.
415
Cf. Antoine NIVIERE, Les orthodoxes russes, Turnhout, Brepols, 1993, p. 164.

226
ont donné une importance différente à la question : certaines confessions sont plus
permissives ou plus ouvertes, d’autres restent très fermes sur leur position qui considère
l’homosexualité comme un écart vis-à-vis des valeurs fondamentales de la morale
chrétienne. Si l’Eglise anglicane américaine et canadienne ainsi que l’Eglise luthérienne de
Suède sont aujourd’hui de plus en plus accueillantes416 par rapport aux croyants
homosexuels, la reconnaissance croissante de l’homosexualité pose problème aux
ecclésiastiques orthodoxes partout dans le monde417.
Pratique « gratuite et contraire à la nature », l’homosexualité est inacceptable, au
même titre que l’avortement, la contraception ou la masturbation ; elle détournerait
l’homme des préoccupations spirituelles et mettrait en danger la morale. Lorsque la
proposition gouvernementale d’intervenir sur l’article 200 du Code pénal arrive devant le
Parlement, l’occasion se présente pour que l’Eglise fasse pleinement entendre son discours
défavorable aux relations homosexuelles. Les arguments mobilisés ne s’arrêtent pas à
l’invocation de l’indignité418 des rapports homosexuels, mais les prises de positions

416
En acceptant l’ordination des prêtres homosexuels dans le premier cas ou par la mise en place
d’une liturgie de bénédiction des partenariats homosexuels dans le deuxième cas.
417
Durant la réunion plénière de la commission « Foi et constitution » du Conseil Œcuménique des
Eglises qui a eu lieu à Kuala Lumpur du 28 juillet au 6 août 2004 cette question a fait l’objet de
discussions ; voir à ce titre Olivier SCHOPFER, Les voix orthodoxes sont entendues mais pas
toujours comprises, Document COE, 6 août 2004, http://www2.wcc-
coe.org/pressreleasesfr.nsf/index/Feat-04-29.html.
418
La perspective religieuse sur la condition de l’homosexualité laisse peu de place à la
négociation. La condamnation de l’homosexualité comme un grand péché n’est d’ailleurs pas une
spécificité de l’orthodoxie roumaine. La condamnation explicite des relations sexuelles entre
hommes est apparue à la fin de l’Empire romain ayant comme racine la référence à la Bible.
Quelques passages du Lévitique sont devenus symboliques pour justifier l’exclusion de
l’homosexuel mâle, « le sodomite »: «Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec
une femme: c’est une abomination» (Lévitique 18.22) ou encore «L’homme qui couche avec un
homme comme on couche avec une femme : c’est une abomination qu’ils ont tous deux commise,
ils devront mourir, leur sang retombera sur eux » (Lévitique 20.13). S’ajoute à cela l’histoire de la
destruction de Sodome dans la Genèse (19), quelques extraits de l’Epître aux Romains, par
exemple ce fragment de la prédication de l’apôtre Paul: « C’est pourquoi Dieu les a livrés à des
passions infâmes: car leurs femmes ont changé l’usage naturel en celui qui est contre nature, et de
même les hommes, abandonnant l’usage naturel de la femme, se sont enflammés dans leurs désirs
les uns pour les autres, commettant homme avec homme des choses infâmes, et recevant en eux-
mêmes le salaire que méritait leur égarement », (Romains 1, 26-27). Plus tard ces textes seront
complétés par les commentaires et interprétations de Jean Chrysostome, Saint Augustin ou Saint
Thomas d’Aquin. Voir sur cette question l’analyse approfondie de John BOSWELL,
Christianisme, Social Tolerance and Homosexuality : Gay People in Western Europe from the
Beginning of the Christian Era to the Fourteen Century (Christianisme, tolérance sociale et
homosexualité : les homosexuels en Europe du début de l’ère chrétienne au quatorzième siècle),
Chicago, University of Chicago Press, 1980 ; ainsi que l’ouvrage coordonnée par Daniel

227
s’articulent dans une rhétorique plus complexe, qui reprend quelques idées générales
particulièrement puissantes : l’Eglise orthodoxe est la seule protectrice de « l’esprit
roumain, de l’âme roumaine née il y a 2000 années » contre les impies occidentaux qui
peuvent la pervertir, tandis que la morale chrétienne est le « seul repère inattaquable »
auquel on devrait se rapporter pour résister à la « dégradation propre aux sociétés
occidentales athées »419.
Les lignes directrices dans les argumentaires prônés par l’Eglise portent sur la
spécificité nationale et le respect pour les valeurs traditionnelles roumaines, en insistant sur
la nécessité de s’opposer aux influences externes, aux maux de la modernité.
Dans cette nouvelle bataille, l’Eglise orthodoxe roumaine fait entendre par la voix du
patriarche Teoctist son plaidoyer selon lequel il n’est pas du tout souhaitable que la
Roumanie renonce à ses valeurs pour intégrer les standards européens. Dans son appel
adressé aux parlementaires au mois d’octobre 1994, Teoctist affirme clairement son point
de vue : « En sa qualité de conscience morale unificatrice du peuple roumain, et sans
aucunement se substituer au Parlement roumain, l’Eglise fait appel à ses fidèles qui sont
au Parlement, pour qu’ils promeuvent des lois qui défendent la dignité humaine, la santé
morale du peuple, la stabilité de la famille et la renaissance spirituelle de la société
roumaine. »420 Cette vision est d’autant plus influente puisque l’initiative de réformer le
Code pénal et amender la législation réprimant les homosexuels vient comme une réponse
aux recommandations explicites du Conseil de l’Europe, et non pas du sein de la société
roumaine.
Avec le but déclaré de « servir le bien commun et de faire des citoyens de l’Etat des
citoyens du royaume de Dieu421 », l’Eglise orthodoxe roumaine essaie d’imposer la morale
chrétienne comme ligne directrice au législateur. Les appels de l’institution religieuse,
comme nous avons constaté dans le chapitre précédent, ne restent pas sans écho422.

BORRILLO et Dominique COLAS, L’homosexualité de Platon à Foucault anthologie critique,


Paris, Plon, 2005.
419
Vestitorul Ortodoxiei, N° 103, 15 octobre 1993, N° 106, 15 décembre 1993, N° 113, 31 mars
1994, N° 125, 30 novembre 1994.
420
Appel du Patriarche Teoctist adressé aux parlementaires en octobre 1994, repris dans la
brochure Homosexualitatea : propaganda a degenerarii umane (L’homosexualité: propagande de
la dégénération humaine), ASCOR, 1995.
421
Pe treptele slujirii crestine… loc. cit., Vol 8, p. 188, message du 22 août 1995.
422
Les exemples pourraient être démultipliés, comme cette affirmation du député Rasvan
Dobrescu : « Nous avons reçu un appel de la part de l’Eglise orthodoxe roumaine, par
l’intermédiaire du patriarche Teoctist, qui nous demande, au nom du christianisme, de maintenir le

228
« L’homosexualité: propagande de la dégénération humaine »

Tandis que le paysage des associations luttant pour les droits humains reste peu
animé, les organisations satellites de l’Eglise se font entendre très rapidement.
L’Association des étudiants chrétiens orthodoxes roumains (ASCOR) prend l’initiative
d’organiser l’un des premiers « débats » publics au sujet de l’homosexualité, qui a lieu le
19 janvier 1995 sous la forme d’une conférence publique423 avec la participation de
théologiens, juristes, sociologues et médecins.
Il est plutôt inopportun d’appeler cet événement un débat, puisqu’il n’y avait pas
d’arguments opposés; les intervenants étaient tous d’accord sur le caractère anormal,
immoral ou pathologique de l’homosexualité, et chacun ajoutait des références négatives :
« un acte immoral et honteux », « une véritable perversion », « une maladie », « une
passion anormale », « une atteinte à l’honneur d’une personne », « un crime », « un
dérèglement psychologique », « une déviance », « un péché », « une pathologie moderne »,
« un comportement mortel pour la société »424.
L’importance de cet événement est notable et plusieurs facteurs y contribuent : la
conférence a lieu dans un endroit particulier, à savoir l’Aula Magna de la Faculté de Droit
de l’Université de Bucarest, une salle non seulement spacieuse et largement accessible,
puisqu’elle appartient à l’un des plus grands bâtiments centraux de l’université, mais aussi
un espace réservé aux événements à importante portée symbolique, telles que cérémonies
d’ouverture de l’année universitaire ou d’attribution de divers titres académiques, des
soutenances de thèse; ce choix signifie donc la volonté d’affilier cet événement à l’espace
universitaire, de lui donner le poids de l’expertise académique. L’emplacement n’est pas le
seul facteur à laisser comprendre le caractère universitaire et l’attachement scientifique de
l’événement : l’un des principaux organisateurs de cet événement est une association
estudiantine, tandis que les participants comptent également des professeurs d’université
ou des personnalités publiques dotées de titres universitaires. Il s’agit des participants
provenant des secteurs divers : le prêtre Constantin Galeriu, également professeur
d’université, le médecin psychiatre Rodica Nastase, docteur en médecine, l’avocat Emil

texte dans sa forme actuelle », intervention du 25 octobre 1994 dans la Chambre des Députés, le
Journal Officiel N° 219/1994.
423
Voir l’affiche de la « conférence » en annexe, Anexe II.
424
Homosexualitatea : propaganda… loc. cit.

229
Popescu, au moment du débat membre de la Commission juridique de la Chambre des
Députés, député du Parti National Paysan Chrétien Démocrate, Ioan Catalin Iamandi,
député du Parti Démocrat, ainsi que Billy Desloge, citoyen américain établi en Roumanie
et converti à l’orthodoxie.
Les développements ultérieurs de l’événement s’avèrent notables :
Les exposés présentés à cette occasion seront regroupés dans une publication, éditée
à frais d’auteur, une brochure qui sera diffusée ensuite auprès des acteurs politiques et du
grand public pendant plusieurs années. Sous le titre L’homosexualité: propagande de la
dégénération humaine, la publication réunit les prises de position exprimées lors de la
conférence du 19 janvier, complétées par une série de nouvelles interventions sur le sujet.
Il s’agit principalement de la reprise de l’appel du Patriarche Teoctist adressé au Parlement
en octobre 1994, mais aussi d’un article signé par le sociologue Ilie Badescu425 (docteur en
sociologie, chef de la chaire de sociologie de l’Université de Bucarest), de la reprise en
traduction d’un matériel premièrement paru dans une publication américaine obscure
diffusée sous le titre de Truth Tract, un plaidoyer contre l’homosexualité sous la signature
du docteur. E. R. Fields. Il s’ajoute un extrait d’une déclaration prononcée par l’avocat Ion
Predescu, le Président de la Commission Juridique du Sénat, sénateur du Parti Social-
Démocrate, ainsi que des citations des textes bibliques.
Le tout sera renforcé par un autre appel, cette fois-ci adressé au président de la
République Ion Iliescu, au premier-ministre Nicolae Vacaroiu, au président de la Cour
Constitutionnelle, Vasiel Gionea, aux présidents du Sénat et de la Chambre des Députés,
Ovidiu Gherman et respectivement Adrian Nastase. Cet appel rassemble un très grand
nombre de signatures, de la part des ecclésiastiques représentant toutes les régions du pays
(les métropolites Daniel, pour le Moldavie et Bucovine, Antonie, pour l’Ardeal, Nestor,
pour l’Olténie, Nicolae, pour le Banat, et les archevêques Lucian, pour la région de Tomis,
Bartolomeu, pour la région de Cluj, Vad et Feleac, Pimen, pour Suceava et Vasile, pour
Targoviste). S’y ajoutent Fratia Ortodoxa Romana (La Confrérie orthodoxe roumaine),
Asociatia Studentilor Crestini Ortodocsi din Romania (l’Association des Etudiants
chrétiens crthodoxes de Roumanie), Liga Tineretului Ortodox Roman (Ligue de la jeunesse
chrétienne roumaine), Societatea Nationala a Femeilor Ortodoxe din Romania (la Société
nationale des femmes orthodoxes de Roumanie), Asociatia Medical Crestina ‘Christiana’
(l’Association médical – chrétienne ‘Christiana’), Asociatia pentru Protectia Femeilor si a

425
Voir supra, Chapitre 1.

230
Familiei ‘Sf Maria’ (l’Association pour la protection de femmes et de la famille ‘Sainte
Marie’).
Ayant en commun d’affirmer l’immoralité de ce comportement et ses conséquences
négatives à tous les niveaux de la vie humaine, les signataires de cet appel souhaitent « au
nom du bon Dieu, que les moyens soient trouvés afin d’empêcher la légalisation du vice de
la sodomie, pour défendre la société chrétienne roumaine, comme l’avaient fait par le
passé tous les grands souverains tout au long de l’histoire ».

Au salut de la nation

Tout en affirmant son autonomie à l’égard de l’Etat, l’Eglise orthodoxe met un accent
fort sur « la symphonie » spirituelle et temporelle et insiste sur la complémentarité des
institutions du pouvoir politique et religieux. Pour cela, quoiqu’elle reconnaisse
formellement le Parlement comme la structure politique représentative du pays, elle essaie
de peser sur la production législative. De son côté, le Parlement roumain laisse beaucoup
de place à l’avis de l’Eglise et sa présence comme conseiller n’est qu’incidemment
contestée.
Au delà de son capital de confiance, l’Eglise orthodoxe roumaine fonde son
discours426 sur la force qu’elle a toujours su mobiliser pour honorer la tâche de « mère
spirituelle du peuple roumain chrétien depuis sa naissance dans l’histoire427 ». En effet, la
Roumanie se revendique d’une tradition orthodoxe fort ancienne, qui serait antérieure à
celle des autres pays de même confession de la région, à savoir la Russie, la Serbie ou la
Bulgarie. Le peuple roumain serait né chrétien, le christianisme étant connu dans l’espace
carpato-danubian depuis le Ier siècle, grâce à la prédication de l’apôtre André428. Cette
conception récupère les thèses de Scoala ardeleana429, affirmant l’émergence de la
Roumanie d’aujourd’hui sur les bases de la province romaine Dacia Felix et « la continuité

426
Iuliana CONOVICI propose une analyse du discours de l’Eglise orthodoxe, dans son article
« L’orthodoxie roumaine et la modernité. Le discours de l’Eglise Orthodoxe Roumaine après
1989 », Studia Politica. Romanian Political Science Review, Vol. IV, N° 2, 2004, pp. 389-420.
427
Formule utilisée par le Patriarche Teoctist, qui reprend une idée que le poète romantique
Eminescu employait au XIXe siècle pour qualifier l’orthodoxie.
428
Pour une discussion plus approfondie sur le sujet, voir « L’Eglise Orthodoxe et la Nation » in
Olivier GILLET, op. cit. pp. 75-102 ; voir aussi la synthèse faite par cet auteur des différentes
visions sur se sujet véhiculées par un certain nombre d’auteurs roumains, pp. 84-85.
429
Voir supra, Chapitre 2.

231
daco-roumaine » sur ces territoires. L’Eglise orthodoxe se présente comme le principal
garant de l’identité nationale durant les siècles, l’orthodoxie étant le lien fondamental du
peuple roumain et la composante essentielle de la spécificité roumaine : « Apparue dans
l’histoire en même temps que le peuple roumain, notre Eglise a mêlé ses destinées aux
destinées du peuple, contribuant à la sauvegarde et à la consolidation de l’unité ethnique,
spirituelle et morale du peuple roumain, à son affirmation comme peuple souverain et
indépendant parmi les autres peuples du monde430 ».
Le lien entre l’orthodoxie et la nation roumaine a été très clairement formulé par Nae
Ionescu, philosophe roumain de l’entre-deux-guerres : « Nous sommes, par conséquent,
orthodoxes, parce que nous sommes roumains et nous sommes roumains parce que nous
sommes orthodoxes431 ». L’orthodoxie serait dès lors intrinsèque à l’identité nationale, une
caractéristique propre de la « roumanité » ou du « roumanisme », et l’Eglise orthodoxe
serait en charge de la sauvegarde de cette identité.
La spécificité nationale et le devoir du salut de la nation se retrouvent manifestement
dans le discours officiel de l’Eglise. Le Patriarche insiste sur les liens profonds et
indissolubles qui unissent les destins de la nation et de l’Eglise à travers l’histoire : « la vie
du christianisme roumain est liée d’une manière indissoluble à la vie de la Nation depuis
presque deux millénaires432 ». Il affirme également avec clarté le rôle de l’Eglise en tant
que garante de l’identité nationale : « Nous avons une responsabilité et une mission, et
cette responsabilité et cette mission c’est notre Orthodoxie, celle qui préserve notre
identité433 ». Les évêques assument un rôle public de porte-parole de la nation dans des
domaines politiques et leurs interventions sur des thèmes d’actualité s’habilitent de
références historiques légitimant le rôle national de l’Eglise.
Nombre d’exemples pourraient témoigner de cette stratégie à propos de l’éducation
religieuse dans les écoles434, de la restitution des biens de l’Eglise gréco-catholique435 ou

430
Nicolae VORNICESCU, « Editorial : Le rôle de l’Eglise orthodoxe roumaine dans la
sauvegarde et l’affirmation de la culture du peuple roumain », Nouvelles de l’Eglise Orthodoxe
Roumaine, XVIII, 1988, p.4.
431
Îndreptar ortodox (Guide orthodoxe) cité par Olivier GILLET, op. cit. p. 91.
432
Pe treptele slujirii crestine … loc. cit. Vol. 8, p. 374, message du 12 août 1996.
433
Pe treptele slujirii crestine … loc. cit., Vol. 10, p. 137, sermon du 29 juin 1999.
434
La loi 84/1995 introduit des cours de religion dans l’enseignement d’Etat, comme obligatoire
pour le niveau primaire et facultative pour le lycée, ce qui signifie en théorie que les élèves qui ont
des convictions non orthodoxes seraient en droit de ne pas suivre le cours de religion orthodoxe ;
néanmoins, l’intolérance religieuse vis-à-vis des minorités non orthodoxes, qui règne dans certaines
écoles ne leur permet pas d’oser effectuer cette démarche. La loi a été beaucoup débattue dans les

232
de la reconnaissance des autres cultes religieux. Significatif de ce point de vue est aussi le
cadre législatif réglementant l’organisation des cultes, loi héritée du régime communiste et
encore en fonction à l’heure actuelle. A part la Constitution436, les bases légales pour le
régime général des cultes se limitent toujours au Décret 177/1948 adopté durant la période
communiste, dont certaines dispositions sont incompatibles avec la Constitution. Même si
l’adoption d’une nouvelle loi faisait partie des priorités des autorités de l’Etat peu après la
chute du régime, plusieurs projets de réforme ont été tour à tour rejetés. Les représentants
orthodoxes, principaux acteurs impliqués dans la rédaction de ces projets437, n’ont pas
réussi à formuler une variante satisfaisante du point de vue des autres cultes, qui
s’insurgent contre l’importance disproportionnée accordée à l’Eglise orthodoxe et les liens
trop étroits de cette dernière avec l’Etat, au détriment des autres confessions. L’Eglise
orthodoxe avait d’ailleurs constamment tenté sans succès de revenir à une variante des
dispositions de la Constitution de 1923 qui lui reconnaissait le statut d’église dominante.
Les mesures trop restrictives pour les minorités religieuses et la question de la

médias et qualifiée d’atteinte à la laïcité de l’enseignement. Voir sur la question Emil MOISE,
« Relatia Stat-Biserica in privinta educatiei religioase in scolile publice din Romania » (La relation
Etat - Eglise concernant l’éducation religieuse dans les écoles publiques en Roumanie), Journal for
the Study of Religions and Ideologies, N°7, 2004, pp. 77-100.
435
L’Eglise Gréco-Catholique avait été interdite en 1948 par le régime communiste et ses biens
confisqués, une partie des églises, bâtiments et autres biens avaient été attribués à l’Eglise
orthodoxe. En 1990 l’Eglise gréco-catholique a été à nouveau reconnue et la situation des biens
aurait dû être clarifiée par une commission spéciale, en accord avec l’Eglise orthodoxe. Depuis lors
seulement une petite partie de propriétés a été restituée. L’Eglise orthodoxe voit cette question
comme un élément perturbateur qui atteint l’unité de foi des roumains et par conséquent l’unité
nationale. Elle ne fait dès lors pas preuve de souplesse dans ce processus de restitution. A ce sujet
voir par exemple D. D. DUMITRICA, « Uniate vs Orthodox: What Lays Behind the Conflict? A
Conflict Analysis », in Journal for the Study of Religions and Ideologies, N° 3, 2002, pp. 99-114.
436
La première Constitution après 1989 est adoptée le 21 novembre 1991. En 2003 la Constitution
est révisée par la loi 429/2003 et publiée dans le Journal Officiel N° 767, du 31 octobre 2003. Les
six paragraphes de l’article 29, qui fait référence à la liberté de conscience, restent les même dans
les deux versions ; nous reprenons ici les trois premiers: « (1) La liberté de pensée et d’opinion,
ainsi que la liberté de religion ne peuvent être limitées sous aucune forme. Nul ne peut être
contraint à adopter une opinion ou à adhérer à une religion qui soit contraires à ses convictions. (2)
La liberté de conscience est garantie; elle doit se manifester dans un esprit de tolérance et de
respect réciproque. (3) Les cultes religieux sont libres et ils s’organisent conformément à leurs
propres statuts, dans les conditions fixées par la loi »
437
Ce projet a été confié au Secrétariat d’Etat pour les Cultes et il aurait dû être approuvé par les
quinze cultes reconnus (les quatorze désignés par le Décret 177/1948 et l’Eglise Gréco-Catholique
qui avait été reconnue en 1990) ; une commission avait été spécialement créée pour ce projet.
Surtout l’installation à la tête de ce secrétariat de Gheorghe Anghelescu, professeur de théologie
orthodoxe, avait suscité la méfiance des autres confessions du fait de l’attachement de cet
intellectuel à l’institution de l’Eglise davantage qu’aux libertés religieuses. Voir à ce titre les
analyses de Gabriel ANDREESCU, comme par exemple, Spre crearea unui stat ortodox roman ?
(Vers la création d’un Etat orthodoxe roumain ?), le 8 mars 2004, www.humanism.ro.

233
reconnaissance du statut de culte pour ces confessions, qui leur donnerait notamment accès
au financement par l’Etat, ont occasionné de nombreuses critiques de la part des groupes
intéressés, des organisations non gouvernementales ainsi que de la communauté
internationale.
La vision de l’orthodoxie comme une caractéristique essentielle de la « roumanité »
fait que l’Eglise orthodoxe considère la plupart des autres confessions comme des forces
concurrentes et qu’elle les associe souvent à des intérêts étrangers dont il faut protéger la
nation. A cet égard, il est intéressant de faire le parallèle avec l’Eglise orthodoxe grecque
qui s’est opposée ces dernières années au gouvernement grec en ce qui concerne la
suppression de l’indication confessionnelle sur les cartes d’identité. La hiérarchie
orthodoxe avait mené une campagne d’opinion mettant en avant des arguments similaires,
tels que le lien consubstantiel unissant l’Orthodoxie et la nation et le rejet des diktats de
l’étranger. La mesure de rendre facultative l’inscription de la religion sur les nouvelles
cartes d’identité conformément à une directive de la Commission Européenne avait pris
l’ampleur d’un complot extérieur contre l’identité nationale438. De la même manière, en
Russie, à l’occasion de l’ouverture du dixième Concile mondial du peuple russe439, le
métropolite Cyrille de Smolensk et Kaliningrad s’est exprimé en termes très durs à l’égard
des valeurs occidentales et libérales, en les dénonçant comme contradictoires avec celles de
la nation et de l’orthodoxie russes : « Sous couvert du concept de droits de l’Homme se
cachent le mensonge et l’insulte aux valeurs religieuse et nationales », affirmait-il440.
L’argument de la spécificité nationale n’est pas une spécificité de l’orthodoxie roumaine, il
sert d’autres causes dans d’autres contextes.
Il y a pourtant des causes qui s’avèrent de meilleures opportunités que d’autres. A
propos de l’avortement, pratique que la doctrine orthodoxe qualifie comme un inacceptable
droit au crime, l’Eglise orthodoxe roumaine a choisi de ne pas insister pour imposer sa
vision. A partir de 1966, par le décret 770, l’avortement avait été interdit en Roumanie aux
femmes de moins de quarante ans qui n’avaient pas encore mis au monde au moins quatre
enfants, l’objectif étant d'augmenter la population de la Roumanie de plusieurs millions de

438
Voir sur cette question A. ANASTASSIADIS, Nation orthodoxe ou Orthodoxie nationalisée :
autour de la question de la mention de l’appartenance confessionnelle sur les cartes d’identité
grecques, mémoire de DEA, IEP, Paris, 1996.
439
Assemblée regroupant des dignitaires de l’Eglise orthodoxe, de hauts fonctionnaires, des
parlementaires et des militants des droits de l’homme qui s’est tenue à Moscou du 4 au 6 avril
2006. Voir Sylvaine PASQUIER, « Le dogme contre l’homme », in L’Express, 20 avril 2006.
440
RIA Novosti, 24 avril 2006.

234
personnes. Dans un premier temps le taux de fécondité monta en flèche et dès 1969 le
chiffre d'un million de naissances supplémentaires fut atteint. Si la contraception n'était
officiellement pas prohibée (la pilule et le stérilet restant interdits), il était matériellement
impossible aux femmes d'y avoir accès. De plus, la fermeture des frontières empêchait
d'aller avorter à l'étranger. Par conséquent, l'avortement illégal se développa très
rapidement, malgré les mesures drastiques contre cette pratique, ce qui entraîna une
croissance des taux de mortalité maternelle441. A la chute du régime communiste, ce fut la
première loi à être abrogée par un décret-loi qui rétablit une politique très libérale de
l’avortement. Le nombre d'avortements a alors fortement augmenté, la popularité de cette
pratique comme méthode contraceptive étant très élevée442. L’Eglise a dénoncé dans un
premier temps cette loi comme étant trop permissive, contraire à la vision chrétienne du
droit à la vie et aux lois naturelles. De même, elle n’a pas hésité à utiliser l’argument du
« crime contre la nation ». Le succès persistant de l’avortement démontra vite que ces
efforts étaient voués à l’échec, et l’Eglise cessa alors d’exercer des pressions sur ce thème.

« L’Etat chez lui, l’Eglise chez elle443 » ?

L’Eglise orthodoxe roumaine a bénéficié tout au long de son histoire d’une position
privilégiée, à la fois par rapport aux autres religions ou confessions et par rapport à l’Etat.
Il s’agit certainement de la religion majoritaire, 87% de la population se déclarant
d’appartenance orthodoxe.444 Néanmoins des facteurs historiques incontournables s’y
ajoutent : même si elle n’est pas officiellement déclarée comme Eglise nationale, l’Eglise
orthodoxe a toujours bénéficié d’un statut spécial. La Constitution de 1923 affirmait

441
Voir supra, Chapitre 2. Pour une analyse approfondie du sujet voir Gail KLIGMAN, Politica
duplicităŃii. Controlul reproducerii în România lui Ceau escu (La politique de la duplicité. Le
contrôle de la reproduction dans la Roumanie de Ceausescu), Bucarest, Humanitas, 2000 (édition
originale : The Politics of Duplicity. Controlling Reproduction in Ceausescu’s Romania, Berkeley,
Los Angeles, University of California Press, 1998).
442
Le taux d'avortement en Roumanie reste cinq fois plus élevé que dans les pays de l'Europe de
l'Ouest. (source : UNICEF, www.unicef.org).
443
Nous paraphrasons dans ce soutire l’intitulé de l’ouvrage de Jean-Paul SCOT, L’Etat chez lui,
l’Eglise chez elle : comprendre la loi de 1905, Paris, Seuil, 2005.
444
Lors des derniers recensements de la population en 1992 et aussi 2002. Des contestations de ces
chiffres ont été faites, qui prennent pour argument le manque de professionnalisme des enquêteurs
ou la manipulation des chiffres.

235
explicitement son rang dominant en tant qu’Eglise de la majorité445. Bien avant
l’installation du régime communiste, et surtout durant les années de la dictature, les libertés
religieuses ont été progressivement restreintes et les Eglises ont subi des mesures très
répressives. L’Eglise gréco-catholique a été mise en illégalité et ses biens confisqués par
l’Etat446, le statut légal de culte étant reconnu pour seulement quatorze confessions et tous
les autres étant interdits447. Après 1944, l’Eglise orthodoxe a été de plus en plus écartée de
l’espace public par des règlements interdisant l’éducation religieuse dans les écoles ou les
services religieux dans les hôpitaux et par la fermeture ou même la démolition d’églises et
de monastères. Les répressions n’ont toutefois été ni aussi systématiques ni de si longue
durée que dans l’ancienne Union soviétique où, à partir de 1918 (date de la signature de
l’acte de séparation entre l’Eglise et l’Etat) plusieurs vagues de persécutions se traduisent
par la confiscation des objets de culte, des procès arbitraires et même des exécutions
sommaires des membres du clergé, des déportations et des suppressions de séminaires,
monastères, églises. Comme son homologue soviétique, l’Eglise orthodoxe roumaine a
néanmoins dû proclamer son allégeance à l’Etat communiste. L’adaptation au régime et la
soumission politique de l’Eglise d’alors sont considérées aujourd’hui - même si le thème
fait très peu l’objet de débats - comme une preuve de souplesse. La compromission avec le
pouvoir communiste est justifiée par le besoin de continuer à se livrer aux traditions
liturgiques et à la vie cultuelle, ce qui aurait permis de préserver l’identité collective du
peuple roumain chrétien et a empêché l’oppression communiste athée d’altérer l’esprit
national.
Cet accommodement a permis à l’Eglise de conserver sans rupture ses principes
institutionnels fondamentaux : l’autocéphalie, l’autonomie, la synodalité448. L’Eglise
actuelle a donc son indépendance juridique, le contrôle de l’Etat ne pouvant porter que sur

445
L’article 22, paragraphe 4 affirme: « L’Eglise orthodoxe roumaine, en tant que religion de la
majorité des Roumains, est l’église dominante dans l’Etat roumain, et l’Eglise gréco-catholique a la
primauté par rapport aux autres cultes » (dans le texte: Biserica ortodoxă română, fiind religia
marei majorităŃi a Românilor este biserica dominantă în Statul roman; iar cea greco-catolică are
intâietatea faŃă de celelalte culte).
446
Par le Décret 358 / 1948, Journal Officiel, N° 28, 2 décembre 1948
447
Le Décret 177 / 1948, Le Journal Officiel, N° 204, 3 septembre 1948.
448
L’Eglise orthodoxe roumaine se déclare autocéphale en 1885 et elle est devenue patriarcat en
1925 ; elle est donc indépendante du patriarcat œcuménique, elle est gouvernée par le Saint Synode
et s’organise à l’intérieur de l’Etat roumain

236
ses manifestations externes, et non sur ses manifestations de nature spirituelle. Cette
autonomie garantit, en théorie, la séparation du pouvoir politique du pouvoir religieux449.
Les relations entre le politique et le religieux constituent un point sensible dans toutes
les cultures orthodoxes. Les deux pouvoirs sont compris en tant que distinctement
constitués et clairement établis et un équilibre harmonieux décrirait le mieux les rapports
entre les deux. Le syntagme « symphonie byzantine » est utilisé pour rendre compte de ce
rapport, ce qui veut suggérer la conciliation et la coordination des deux dans une relation
qui implique leur participation sans rivalité. Les deux « entités » sont interdépendantes et
complémentaires : l’Eglise et l’Etat collaborent en harmonie pour résoudre des questions
communes. Dans le cas roumain, comme le remarque Olivier Gillet, « par cette doctrine
canonique byzantine des relations entre les deux institutions […], l’Eglise structure sa
soumission inconditionnelle à l’Etat sur le plan ecclésiologique. La soumission et
l’obéissance à l’Etat deviennent non seulement un commandement divin, mais aussi un
principe de base de l’ecclésiologie qui empêche finalement une séparation entre les deux
institutions… »450.
Une fois passé le temps du silence et de la discrétion imposés par le régime
communiste, sortie de son assujettissement par l’Etat, l’Eglise orthodoxe se lance dans des
campagnes soutenues afin de s’assurer une place à la table des négociations politiques. La
question de la décriminalisation des relations homosexuelles s’est avérée une opportunité
favorable pour exercer son influence.
L’Eglise orthodoxe roumaine, imprégnée de sa mission de défense de la nation, a
donc constitué un adversaire inépuisable et très virulent de l’abrogation de l’article 200. Le
personnel politique, peu préparé au sujet et préoccupé avant tout par ses répercussions
électorales, a prêté une oreille plus qu’attentive au discours religieux avant de prendre en
considération les droits de l’Homme et le respect de la vie privée. On voit là que le rapport
entre pouvoirs politiques et spirituels est pour le moment loin d’être définitivement
stabilisé et codifié de façon cohérente en Roumanie.

449
Pour une discussion plus approfondie de la question voir Olivier GILLET, Religion et
nationalisme… op. cit., pp. 33-38 et 80-91.
450
Olivier GILLET, op. cit. p. 159. Voir aussi sur ce point Nicolas BADROS-FELTORONYI,
Eglises et Etats au centre de l’Europe. Réflexions géopolitiques, l’Harmattan, Paris, 2000. Ce
dernier distingue trois phases dans le rôle assumé par l’Eglise orthodoxe pendant la période 1971-
1989, la dernière étant l’ « insistance nationaliste, c’est-à-dire plutôt culturelle, consistant à
défendre le gouvernement communiste quand il est attaqué (1985-1989) », par rapport à la
première étape « la participation œcuménique (1970-1980) » et la deuxième, «la coopération avec
des mouvements de paix (1980-1985) ».

237
Le passage du pays vers la démocratie implique une redéfinition des rôles, une mise
en question des normes et la création de nouveaux repères. L’Eglise orthodoxe roumaine
n’y échappe pas et tente de renforcer son statut privilégié à côté du pouvoir en mobilisant
le sujet de la dépénalisation de l’homosexualité pour se camper en « partenaire au
pouvoir451, sans se donner comme groupe d’intérêt452. En même temps elle n’entend pas se
réduire à sa fonction d’institution d’Etat. De leur côté, les partis au pouvoir ou aspirant à
l’être font appel au religieux comme instrument politique, justifiant leurs actions par des
arguments qui renvoient à la morale chrétienne, et cela surtout lors des campagnes
électorales. A certains moments, le politique met le religieux à son service, à d’autres
moments l’Eglise arrive à se faire entendre par le politique. Le scénario n’est cependant
pas celui, idéal, d’une collaboration harmonieuse entre les deux pouvoirs pour résoudre les
questions de la société.
La coopération sans rivalité entre le spirituel et le temporel est rendue d’autant plus
difficile que la préparation à l’adhésion à l’UE fait chanceler un possible équilibre. Comme
nous allons le voir par la suite de cette analyse, la conditionnalité démocratique de l’accès
à l’Europe communautaire exigea du gouvernement roumain des décisions contraires à
celles désirées par l’Eglise et relègue cette dernière dans une posture d’opposition au
pluralisme, aux droits de l’Homme et aux libertés individuelles. L’organisation religieuse
est alors menacée d’être marginalisée en tant qu’adversaire de l’avenir démocratique
européen du pays.

B. APADOR-CH, gardienne des principes de la démocratie ; les droits de l’Homme

Dans un premier temps, il semble que seules les instances européennes ou les réseaux
transnationaux s’intéressent au sujet de l’homosexualité en le considérant une thématique
des droits humains et en essayant d’attirer l’attention des autorités politiques roumaines sur

451
En anglais en original « power sharing partner », syntagme proposée par Gabriel ANDREESCU
dans son article Biserica Ortodoxa romana ca actor al integrarii europene, (L’Eglise orthodoxe
roumaine comme acteur de l’intégration européenne), version électronique, 2002 : « l’Eglise
Orthodoxe Roumanie est devenue plutôt un partenaire au pouvoir des forces politiques qui dirigent
le pays ».
452
L’idée de considérer les Eglises comme des ONG est avancée par Bardos-Feltoronyi : « Les
Eglises peuvent être considérées comme des ONG qui existent depuis des millénaires. En tant que
telles, elles exercent du pouvoir et mènent des actions politiques». Nicolas BADROS-
FELTORONYI, op. cit. p. 53.

238
les discriminations des personnes lgbt et sur le traitement impropre de ces personnes en
Roumanie. Au plan interne, comme nous avons vu, il revient à l’Eglise orthodoxe
roumaine le rôle de se mobiliser à ce sujet, mais dans une logique inverse, en attirant
l’attention sur le caractère néfaste du « phénomène » pour « la santé », « la morale »,
« l’âme », « la nation roumaine », pour « la roumanité ». La situation change une fois que
l’APADOR-CH, l’Association pour la Défense des droits de l’Homme en Roumanie –
Comité Helsinki, association établie en 1990, lance son principal programme
« l’amélioration des droits de l’homme par l’intermédiaire de la législation » durant
l’année 1993 ; ses représentants se chargeront de la cause homosexuelle à partir des
positions défendant les droits de l’Homme et le respect de la vie privée.
Si des associations comme la SIRDO (la Société indépendante roumaine pour les
droits de l’Homme) ou la LADO (la Ligue de la défense des droits de l’Homme), qui
s’étaient imposées dans le paysage associatif roumains dès 1990, étaient intervenues de
manière très localisée au sujet de l’homosexualité, elles ne s’étaient pas chargées de cette
cause de manière systématique et soutenue453. Par contre, APADOR-CH était restée assez
silencieuse sur le sujet pendant les années 1990 - 1992, pour s’y lancer fermement en 1993
et n’hésitant pas à assumer la cause homosexuelle.
Pour comprendre les enjeux de l’intervention de cette association et son rôle au sujet
de l’homosexualité nous allons dans un premier temps regarder sa mise en place pour
passer ensuite à interroger son programme et les conséquences de ses activités.

APADROR-CH - l’essor d’un partenaire local fiable

Il revient à l’Human Rights Watch le rôle de parrain de la première association


roumaine pour la défense des droits de l’Homme fondée après 1989 – APADOR-CH, et
également au Groupe pour le Dialogue Social, (GDS)454. Plus particulièrement, il s’agit de

453
Voir supra, Chapitre 3.
454
Grupul pentru Dialog Social s’est constitué dans l’immédiat après 22 décembre 1989, autour
d’un groupe d’intellectuels et ex-dissidents anti-communistes: Andrei Plesu, Gabriel Liiceanu,
Mariana Celac, Mircea Dinescu, Stelian Tanase, Alin Theodorescu, Gabriel Andreescu etc.,
notamment suite à l’intervention de Mihnea Berindei. Intellectuel émigré, très actif dans la lutte
contre le régime communiste, Mihnea Berindei était à l’époque le directeur de la Ligue des Droits
de l’Homme à Paris ; il est historien au laboratoire d’étude des systèmes politiques de l’École des
Hautes Études en Sciences Sociales et il intervient également au micro de la Radio Free Europe. Il
a participé à la revue La Nouvelle Alternative et il aura des contributions dans la Revue 22,

239
la rencontre entre les représentants de l’Human Rights Watch avec Gabriel Andreescu,
personnalité qui restera pendant plusieurs années au centre de cette organisation. Gabriel
Andreescu est l’un des rares dissidents roumains; né en 1952, il est diplômé de la Faculté
de Physique de Bucarest et il devient chercheur à l’Institut de Météorologie et Hydrologie.
Il fut arrêté le 25 décembre 1987, détenu pendant plusieurs semaines et menacé d’un
procès pour ‘haute trahison’ en raison d’écrits critiques à l’adresse du régime communiste,
confisqués lors de la perquisition qui précède son arrestation. Il fut finalement libéré à la
suite de nombreuses protestations en Occident, où son cas était bien connu, comme il était
en contact avec des militants européens pour les droits humains455. Selon sa propre version
des faits, le moment de la naissance d’APDAOR-CH correspond/remonte à la rencontre
entre Gabriel Andreeescu et des représentants de Human Rights Watch :
« L’association a été créée avec quelques amis, après la visite de l’organisation
Helsinki Watch en Roumanie, qui avait exprimé la volonté de soutenir la création d’une
association partenaire. J’avais déjà eu des contacts et j’avais déjà bénéficié de l’aide des
représentants de la Ligue pour la Défense des Droits de l’Homme à Paris,
particulièrement de Mihnea Berindei et de Sanda Stolojan » 456. Suite à cette rencontre,
l’association roumaine partenaire de Human Rights Watch, d’où le nom APADOR-CH, fut
enregistrée juridiquement en avril 1990457. Dans le collège d’administration nous
retrouvons Radu Filipescu, lui aussi renommé grâce à ses activités d’opposition au régime
de Ceausescu. Né en 1956, Radu Filipescu est diplômé de la Faculté d’électronique et
télécommunications de Bucarest. En 1983, après avoir distribué des tracts incitants à une
manifestation contre le régime, il fut arrêté et condamné à 10 ans de prison, étant libéré en
1986, suite à des interventions occidentales. D’ailleurs, APADOR–CH bénéficie
pleinement, surtout pendant les premières années, du soutien et de la collaboration de

hebdomadaire toujours publié aujourd’hui qui a été lancée quelques semaines après la création du
GDS. L’une de principales publications de Berindei : Roumanie le livre blanc : la réalité d’un
pouvoir néo-communiste, (avec Ariadna COMBES et Anne PLANCHE), Paris, La Découverte,
1990.
455
Voir à ce titre son message adressé à la Conférence de Cracovie en 1988, à laquelle il a été
invité sans pouvoir s’y rendre puisque les autorités roumaines ne lui ont pas accordé le visa
nécessaire pour quitter le pays. Vlad Socor investigua ce cas pour la chaîne radio l’Europe Libre
(Radio Free Europe). Voir L’autre Europe, N° 20, 1989.
456
Gabriel ANDREESCU, Ruleta, op. cit. pp. 131-134.
457
Le journal The New York Times annonçait déjà le 6 janvier 1990 la mise en place du Comité
Helsinki à Bucarest : Celestine BOHLEN, « Ex-Dissidents Will Monitor Bucharest on Rights », in
The New York Times International, 6 ianuarie 1990, cf Gabriel Andreescu, Ruleta… op. cit., p. 131.

240
nombreux membres du Groupe pour le Dialogue Social et les deux groupes partagent les
mêmes locaux, au numéro 120 sur Calea Victoriei.

Le profil d’APADOR-CH reste assez insignifiant sur le plan interne, surtout durant
les premières années d’activité, où la priorité appartient aux collaborations avec Human
Rights Watch, ce qui fait qu’elle reste peu connue et visible sur la scène roumaine. Par
contre, à partir de 1993 nous enregistrons un changement remarquable458 : non seulement
le statut de l’association change, le collège administratif étant transformé en conseil
directeur459, mais l’association devient très active et très impliquée sur le plan interne.
L’explication se retrouve dans le fait que c’était pour la première fois que l’association
avait reçu des financements plus substantiels de la part de ses collaborateurs externes : le
German Marshal Fundl, le J M Kaplan Fund et l’Institute for Democracy in Eastern
Europe, les trois en provenance des Etats-Unis, l’association française Agir Ensemble pour
les Droits de l’Homme, respectivement le Gouvernement néerlandais grâce à la médiation
du Comité Helsinki néerlandais. Le moment correspond d’ailleurs à la prise en charge des
aspects concernant l’article 200, le début d’un suivi attentif des questions homosexuelles,
cela surtout à travers son nouvel programme spécialement consacré aux droits de
l’Homme.

L’amélioration des Droits de l’Homme par l’intermédiaire de la législation

L’un des programmes les plus importants d’APADOR-CH est lancé le 3 février
1993 ; il s’agit du programme « L’amélioration des droits humains par l’intermédiaire de la
législation460 », qui met en avant l’idée de la transparence des travaux du Parlement.
Jusqu’à ce moment-là les travaux du Parlement n’étaient pas publics, la presse n’avait pas
accès aux débats et les citoyens n’étaient pas informés sur les initiatives législatives en
cours ; APADOR-CH se propose d’intervenir sur cet aspect et changer la situation au profit
de l’ouverture des travaux dans les deux chambres du Parlement au grand public, à la

458
L’activité de l’association n’est formellement enregistrée que à partir de ce moment, tandis que
le premier rapport d’activité date de 1993 ; auparavant le fonctionnement étant plus informel ; les
cas abordés concernaient surtout des plaintes individuelles, des cas ponctuels.
http://www.apador.org, consulté le 30 juin 2004.
459
Le conseil directeur se compose de Gabriel Andrescu et Radu Filipescu, co-présidents, Renate
Weber, Lia Ciplea et Manuela Stefanescu, vice-présidentes et Vladimir Perceac, sécretaire.
460
« Promovarea drepturilor omului prin legislatie » en roumain.

241
presse, à ceux intéressés. Un document à ce sujet, intitulé « déclaration pour la
transparence » – declaratia in favoarea transparentei, a été préparé et diffusé auprès de
toutes les organisations non gouvernementales, des syndicats et des associations, et réunit
environ 2 millions de signatures. Une conférence eut lieu par la suite sur la même
thématique, avec une large participation tant de la part du Parlement que de la part des
organisations internes, ainsi que des représentants d’ONG américaines, à la fin de laquelle
APADOR-CH obtint le droit d’envoyer ses représentants pour assister aux travaux des
deux Chambres.
Ainsi, les projets de loi rentrent dans l’attention de l’association, qui procède à leur
analyse et surveille le caractère constitutionnel des nouvelles provisions, le respect des
droits de l’Homme et des libertés fondamentales, la cohérence interne des lois et aussi la
cohérence avec les normes de droits international et les traités que la Roumanie avait
signés. APADOR-CH commence un échange soutenu avec les membres du Parlement et
des Commissions parlementaires, qui recevront l’avis de ladite association sur les projets
en cours, en suivant comme lignes principales : la constitutionnalité des projets de lois, leur
concordance avec les réglementations internationales, l’harmonie des textes avec les
standards internationaux de la démocratie et des droits humains. C’est dans le cadre de ce
projet que l’association va s’exprimer sur le sujet de la proposition gouvernementale de
modification du Code pénal, dont l’article 200 fait partie.
Lorsque le Gouvernement fait sa première proposition d’intervenir sur le Code pénal
et le Code de Procédure pénale en 1993, APADOR-CH poursuit, dans le cadre de son
programme pour les droits de l’Homme à travers la législation, une analyse approfondie
des nouvelles provisions proposées par le Gouvernement, pour ensuite remettre au
Parlement un rapport qui dénonce la formule du premier alinéa de l’article 200 comme
« dangereuse » ; il ajoute que « l’institution d’un critère aussi vague que ‘le scandale
public’ en tant que critère de mise en accusation ouvrait la voie à d’innombrables abus »461.
Aussi, pour attirer l’attention des gouvernants sur ces questions concernant les droits
humains462, APADOR-CH fait appel aux sénateurs qui étaient en train de débattre cette
proposition, et demande la reprise des textes ; qui plus est, le 19 novembre 1993, une

461
Voir APADOR-CH, Rapport annuel 1993, http.//www.apador.org.
462
L’article 200 n’est pas le seul qui suscite l’inquiétude de l’organisation, à celui-ci s’ajoutent
aussi les articles concernant la liberté d’expression de la presse, par exemple.

242
déclaration qui condamne l’article 200 pour permettre l’intrusion de l’Etat dans la vie
privée des citoyens est envoyée aux médias.

Le programme pour les minorités

APADOR-CH mit également en place un programme qui s’adressait aux minorités,


notamment les minorités ethniques et nationales, mais sans toutefois exclure les minorités
sexuelles. L’intérêt du programme porte surtout sur les minorités nationales et ethniques,
partie des travaux de l’association qui est bien structurée, et il ne consacre aux minorités
sexuelles qu’une attention limitée (le sujet fait néanmoins l’objet d’un paragraphe à part).
La préoccupation pour cette dernière thématique commence à s’articuler plus concrètement
vers la fin de l’année 1993, lorsque l’association se propose principalement d’entreprendre
une documentation plus soutenue sur la question et également d’entamer une collaboration
avec « des organisations (Amnesty International, ILGA) et des personnes intéressées par la
thématique »463. Cette branche du programme deviendra à partir de 1994 un programme
plus articulé, pris en charge par Vera Cîmpeanu, celle qui allait devenir « the mother of
ACCEPT » et « l’ambassadrice de la cause homosexuelle roumaine en Europe464 ».

Vera Cîmpeanu : « j’étais là au bon moment »465

Née en 1948, à Bucarest, Vera Cîmpeanu suit des études supérieures à la Faculté des
Langues et littératures étrangères (département anglais) de l’Université de Bucarest, qu’elle
achève en 1973. Toute suite après elle se retrouve à Bacau, où elle enseigne l’anglais à
l’université locale jusqu’en 1978. Ensuite elle rentre à Bucarest et elle ne reprend pas un
emploi stable466. Après 1989 elle refuse également d’intégrer le marché de travail de

463
Voir le rapport annuel de 1993, la section IV. 2. Les rapports annuels de l’association sont
disponibles sur le site http://www.apador.org
464
Dans la vision de l’un ou l’autre des anciens membres de Bucharest Acceptance Group que
nous avons interviewés.
465
L’affirmation de Vera Cîmpeanu en décrivant son implication dans le programme, entretien du
4 mai 2004.
466
Ce fait dénote déjà une situation sociale de ce personnage en quelque sorte différente ; il était
rare, voire même exceptionnel pour une personne qui avait bénéficié d’une éducation universitaire
de se retrouver femme au foyer. D’autre part, le système des répartirions des postes à la fin des
études était très rigide, surtout dans l’enseignement ou le secteur médical, et beaucoup de
personnes se retrouvaient obligé de professer dans une autre ville ou dans des villages loin de leur
ville de provenance. Vera Cîmpeanu renonce à son emploi à Bacau pour s’occuper de sa fille.

243
manière stable et préfère se consacrer à une activité de traductrice indépendante. Elle va
d’ailleurs collaborer plus tard avec les représentants de Human Rights Watch, à l’occasion
de leurs missions d’information à Bucarest, en tant que traductrice et interprète. C’est à
travers cette collaboration qu’elle accepte son premier poste en 1993, lorsqu’elle devient
collaboratrice permanente d’APADOR-CH, où elle se chargera de la section ‘minorités
sexuelles’ du programme consacré aux minorités. Elle affirme avoir désiré soutenir la
cause après avoir appris l’homosexualité d’un très proche ami, qui avait émigré pendant le
régime communiste et était revenu dans le pays au début des années 1990. Elle ajoute
qu’elle ne risquait pas l’opprobre et ne se méfiait pas des possibles humiliations sociales,
puisque son orientation était clairement hétérosexuelle, elle était mariée et mère d’une fille.
Les ressorts de cette implication sont en effet plus profonds. Vera Cîmpeanu provient
d’une famille d’intellectuels, avec beaucoup de relations et connexions dans le monde
diplomatique, un frère installé aux Etats-Unis depuis les années 1970, et une expérience
dans le domaine des droits de l’Homme qui date depuis des années avant 1989. Son père,
Pavel Câmpeanu467, représente une figure tout à fait particulière : né en 1920, il fut un
militant communiste de la première heure en Roumanie (un des moins 1000 membres du
PC d’avant la fin de la seconde guerre mondiale) et partagea une période de détention avec
celui qui allez devenir le chef d’Etat, Nicolae Ceausescu. Après la deuxième guerre
mondiale, il se retrouva intégré dans le Parti à un très haut niveau468 travaillant pour le
Comité Central et il devint également fonctionnaire du Kominform469. Sociologue de
formation, il suivit également les cours de l’ancienne Académie d’Etat Stefan Gheorghiu,
un ensemble de centres de formation universitaire à l’intention du personnel supérieur du
Parti communiste470. Durant les années de son service au sein du Parti communiste

467
La présentation de Pavel Câmpeanu se base sur l’article autobiographique : Pavel CÂMPEANU,
« Povestea unei carti aparute in Statele Unite » (L’histoire d’un livre publié aux Etats-Unis), in
Observator Cultural, N° 103, 12 février 2002 ; voir également le dossier de la revue 22. Revue du
Groupe pour le Dialogue Social du 9 juin 2009 : « Pavel Câmpeanu si Securitatea », qui comprend
l’article du Gheorghe Câmpeanu, le fils de Pavel, frère de Vera Cîmpeanu : Gheorghe
CÂMPEANU, « Dosarul de Securitate a lui Pavel Câmpeanu », 22, 9 juin 2009 ; Ion Bogdan
Lefter, « Pavel Câmpeanu, sociologul sub vremi », in Observator Cultural, N° 204, 20-26 janvier
2004.
468
Il est souvent le cas des fidèles de la première heure, récompensés pour leurs activités militantes
une fois le PC installé au pouvoir après–guerre.
469
Le Kominform est l'organisation centralisée du mouvement communiste international, dans la
période de 1947 à 1956. Il est en quelque sorte le successeur du Kominform (en russe, le Bureau
d'information des partis communistes).
470
Voir à ce sujet Mihai Dinu GHEORGHIU, Les métamorphoses de l’agit-prop. Les institutions
de contrôle des intellectuels par les partis communistes et leurs transformations après 1989 : le cas

244
Roumain il arrive à bien en connaître le fonctionnement interne et arrive à se former une
vision très critique à son égard, raison pour laquelle il choisit de sortir de la vie politique
s’installant dans un poste « plus neutre » à la télévision d’Etat (Oficiul de studii si sondaje
al Televiziunii Romane – le Bureau des études et sondages de la Télévision Roumaine).
Cette position lui permet de continuer ses recherches sociologiques et rester au plus
possible en dehors de la politique communiste. Il mène une activité d’essayiste soutenue et
le PC devient l’un de ses sujets de réflexion : pour avoir connu de très près le système, il
entame une critique réaliste et pertinente, qui fera l’objet d’une publication insolite : The
Syncretic Sociéty, son ouvrage, paraît aux Etats-Unis en 1980, sous le pseudonyme Felipe
Garcia Casals471. Les services secrets roumains ne réussissent pas à établir avec certitude la
relation entre Pavel Câmpeanu et Felipe Garcia Casals, mais la famille Câmpeanu a été
continuellement harcelée, interrogée, menacée. A partir de 1986 les écrits de Pavel
Câmpeanu sont publiés aux Etats-Unis sous sa signature472 et le premier volume de la
trilogie contenait une note qui découvrait l’identité de Felipe Garcia Casals. A ce moment-
là, le « cas » de Pavel Câmpeanu était déjà bien connu à l’étranger et l’écrivain bénéficiait
du support de nombreux amis membres des milieux universitaire sde New York et de Ann
Arbor Michigan, mais surtout de quelques personnes plus influentes. Tel est le cas de
certains représentants de Human Rights Watch, Helsinki Watch à l’époque, qui gardait à
l’agenda le sujet de la dissidence politique et la liberté d’expression, mais aussi des
représentants de quelques ambassades, par exemple celles de l’Espagne et des Pays-Bas
plus particulièrement)473.
Les réseaux de communication et de relations mis en place pour envoyer les écrits de Pavel
Câmpeanu à l’étranger et faire possible leur publication perdurent et s’enrichissent après
1989. Vera Cîmpeanu, la fille de Pavel, fait partie d’un univers social dans lequel la

des écoles de parti, Lille, Editions du Septentrion, 2. vol., 1998 ; Id. Intelectualii in campul puterii.
Morfologii si traiectorii sociale (Les intellectuals dans le champ du pouvoir. Morphologies et
trajectoires sociales), Iasi, Polirom, 2007.
471
Felipe Garcia CASALS, The Syncretic Society, White Plains, NY, M E Shapre, 1980. Le texte a
été traduit du français et dans la presentation le lecteur est averti : « This paper was purportedly
written under a pseudonym by a fairly prominent official in one of the East European countries.
[…] We do not authenticate its East European origins; rather, we are publishing this piece solely
because of its intrinsic interest for Western scholars. The manuscript was written in French and
was incomplete ».
472
Pavel CÂMPEANU, Sociology of the Stalinist Social Order. The Origin, New York et Londres,
M E Sharpe, 1986 ; The Genessis, 1988 et Exit, 1989, The Origins of Stalinism: From Leninist
Revolution to Stalinist Society, 1986.
473
Informations confirmées par Vera Cîmpeanu lors de notre interview du 15 décembre 2009.

245
question des droits humains n’est pas une abstraction, mais une réalité et elle connaît les
efforts nécessaires pour faire respecter les droits humains. De plus, elle a accès à un réseau
social qui lui fournit un emploi original, en dehors des cadres figés des professions
traditionnelles : traductrice et interprète indépendante ; c’est à travers cette collaboration de
longue date qu’elle rentre sur la scène des droits humains des personnes lgbt, avec un
capital social considérable. Elle fera usage de ce potentiel, en mettant en place des
collaborations avec des figures appartenant à ce même tissu social. Cependant, son
appartenance à ce milieu intellectuel de haut niveau la place en quelque sorte sur une
position lointaine par rapport aux « autres », les hommes et les femmes moyen(ne)s,
ordinaires, simples. Elle éprouve un goût pour tout ce qu’elle considère « sophistiqué »,
« différent » et surtout « intelligent » ; elle affirme ne pas supporter la « bêtise » et le
« manque d’esprit ». Un ancien collaborateur de son père décrit Pavel Câmpeanu dans les
termes suivant : « ayant un air pédant, il parlait avec une certaine solennité, il était un peu
prétentieux, insérant ici et là des vocables savantes ou livresques. De plus, il ajoutait
toujours des remarques ironiques ou auto ironiques474 » Le portrait de Vera Cîmpeanu
recoupe celui de son père, la description ne lui étant pas étrangère. Elle fait pleinement
usage dans ses discours de termes repris comme tels de l’anglais, le sarcasme est présent
largement, elle a des convictions très fermes et refuse de s’engager dans le dialogue avec
des interlocuteurs qu’elle considère « pauvres d’esprit ». Tout cela rend sa personnalité
controversée et son positionnement dans la cause homosexuelle sera à maintes fois mis en
question, aspect qui retiendra également notre attention dans les pages suivantes.

Le programme juridique

Un autre niveau de l’activité d’APADOR-CH fait le passage vers l’intégration des


droits humains des personnes lgbt dans la sphère de son activité. Il s’agit du programme
juridique, qui vise la mise en place d’un réseau national d’avocats, la circulation de
l’information et la formation dans le domaine des droits humains. L’association lance
également une collaboration avec toute une série d’organisations qui partagent le même
intérêt – la SIRDO, la LADO (Ligue de la Défense des Droits de l’Homme), l’Association
de Jeunes Avocats - pour faciliter l’accès des individus à l’assistance juridique : il s’agit
d’offrir du soutien et de l’assistance juridique aux personnes individuelles victimes d’un

474
Ion Bogdan Lefter, art. cit.

246
traitement ayant porté atteinte à leurs droits et qui désireraient s’adresser à la Justice.
Durant l’année 1993 l’association prit en charge 15 cas, parmi lesquels 2 visaient l’article
200.
C’est notamment le suivi de ces cas, l’un à Timisoara et l’autre à Sibiu, auquel
s’ajoute la collaboration avec Scott Long, dans le cadre du programme pour les minorités,
tout comme le suivi de la réforme législative initiée par le Gouvernement, qui se trouvent
pratiquement à l’origine de la création d’un programme spécialement dédié aux minorités
sexuelles. Vera Cîmpeanu en prendra la responsabilité. Avant de nous attacher à
reconstituer la chaîne des événements qui relient tous ces facteurs et contribuent à
l’articulation de intérêt d’APADOR-CH pour la cause homosexuelle, la personnalité de
Scott Long demande un plus d’attention.

Scott Long : « the situation in Romania is simply terrible »475


Scott Long, né en 1963 aux Etats-Unis, s’installe à Budapest, juste après avoir fini
son doctorat à l’Université de Harvard, en 1989 ; homosexuel lui-même, il enseigne à
l’Université Eotvos Lorand et parallèlement s’implique dans des activités autour des
revendications gaies et lesbiennes, participant à la mise sur pieds de l’association Hattér,
l’une des premières associations lgbt en Hongrie. En 1992 nous le retrouvons à Cluj, où il
enseigne la littérature américaine grâce à un financement Fulbright. Mais en dehors de son
activité à l’université, il se lance dans une campagne de collecte de données sur la situation
des personnes lgbt en Roumanie. Il arrive également à Bucarest et cherche à entrer en
contact avec des possibles collaborateurs, principalement membres d’APADOR-CH.
Ainsi, une activité de « monitorage » de la situation des pénitenciers sera mise en
pratique, un premier pas vers la documentation sur la thématique de la condition des
minorités sexuelles en Roumanie. Des demandes des rapports concernant le nombre des
personnes mises en accusation sur la base des divers paragraphes de l’article 200 après
1989 sont déposées au Ministère de la Justice, pour que, par la suite, les personnes arrêtées
soient visitées et interviewées. La collecte de données n’avance pas beaucoup durant
l’année 1993, mais une déclaration est pourtant obtenue de la part du Ministère de la

475
Fragment d’interview avec Scott Long, Barbara DEMICK, « Gay Romanians Have a Long Way
to Go Before They Can Break Through Taboos », in Knight-Ridder Newspapers, janiver 1994,
« <Romania is the worst>, says Scott Long, a monitor based in Cluj, in central Romania, for the
International Gay and Lesbian Human Rights Commission. <Almost all the other countries in
Eastern Europe have revoked their anti-gay laws. Even Kazakhstan and Lithuania> ».

247
Justice. Selon cet organisme, un nombre de 57 personnes étaient condamnées pour avoir
entretenu des relations homosexuelles et se trouvaient en prison au commencement de l’an
1993. Un nombre de 3 d’entre elles avaient été arrêtées sur la base du paragraphe 1 de
l’article 200 et elles étaient retenues dans les établissements pénitentiaires de Gherla,
Oradea, respectivement Focsani476.
Les données collectées seront régulièrement envoyées à ILGA477, en tant que
rapports sur la situation des homosexuels en Roumanie. Ces rapports sont également
transmis à IGLHRC, parfois à Amnesty International.
D’une part nous constatons dans le rapport d’APADOR-CH la volonté de prendre en
charge la thématique des minorités sexuelles et de s’appliquer à une collaboration avec des
« organisations et des personnes » intéressées par le sujet ; le rapport annuel de 1993
montre l’ouverture, dans le cadre du programme plus large consacré aux minorités
nationales, d’une section spécifique consacrée aux minorités sexuelles. D’ailleurs,
APADOR-CH, lors de l’analyse de la proposition gouvernementale de modification du
Code pénal, avait déjà exprimé des critiques quant à la nouvelle formule de l’article 200.
D’autre part cependant, nous notons que dans les bulletins d’ILGA de la même période la
collaboration de Scott Long avec cette association n’apparaît pas. Scott Long fait des
envois régulièrement, mais en son propre nom. D’ailleurs, il se construit petit à petit une
réputation d’observateur indépendant des droits de l’Homme pour les personnes lgbt, pour
ensuite devenir moniteur des droits de l’Homme pour ILGHRC. Il reste une figure très
présente sur la scène roumaine.

Devant la Cour constitutionnelle

Les deux cas auxquels nous avons fait mention, celui de Timisoara et celui de Sibiu,
constituent l’occasion d’une collaboration plus étroite entre les représentants d’APADOR-
CH et ceux des organisations internationales comme Amnesty International ou ILGA
autour de la cause homosexuelle en Roumanie et surtout de la première fissure dans le

476
Voir APADOR-CH rapport annuel 1993. Le 21 décembre 2001 l’association réussit à obtenir le
droit de visiter les détenus grâce à l’aide de Adrian Duta, secrétaire d’Etat au Ministère de la
Justice ; arrivés à l’un des pénitenciers, les représentants de l’APADOR-CH apprirent que la
personne qu’ils entendaient voir avait été mise en liberté.
477
Voir ILGA Euroletter 14 du 15 mars 1993, ILGA Euroletter 16 du 21 mai 1993, ILGA
Euroletter 18 du 8 august 1993, ILGA Euroletter 21, du 21 novembre 1993.

248
système répressif : la Cour constitutionnelle déclare le premier paragraphe de l’article 200
inconstitutionnel.
Dans le cas de Timisoara478, deux hommes de 17 est respectivement 22 ans ont été
arrêtés sur base de l’article 200 et mis en garde à vue pendant deux mois, maltraités,
enquêtés violement et abusés sexuellement. De plus, ce cas a été minutieusement présenté
dans la presse locale, qui n’a pas fait l’économie des détails concernant leurs noms, âges,
localités d’origine.
Dans le deuxième cas, à Sibiu, six personnes – de sexe masculin aussi – ont été
arrêtées successivement ; démarrée par l’arrestation de G. N. la chaîne d’arrestations
continue d’après le même typique : l’interrogatoire vise à faire sortir à la lumière d’autres
noms des personnes homosexuelles, et par la suite cinq hommes sont inculpés sous
l’accusation d’avoir donné cours à des relations homosexuelles. Les cinq premières
personnes arrêtées ont été violemment enquêtées, intimidées et manipulées jusqu’à ce
qu’elles livrent une confession selon laquelle ils avait entretenu des relations
homosexuelles avec la sixième, un journalise local, arrêté à son tour et accusé sur la base
de l’article 200. Selon le rapport « Public Scandals », Ovidiu Nicoale B., l’éditeur d’un
journal local, réclame avoir été arrêté en fait pour des raisons politiques, puisqu’il était en
train de mettre sur pieds une publication d’opposition. L’accusation d’homosexualité aurait
été utilisée comme intimidation et aussi pour démasquer diverses personnalités publiques
locales – avocats, médecins, hommes politiques - soupçonnées d’être homosexuelles, qui
figuraient par ailleurs sur une « liste noire » de la police départementale, un album avec des
photos des « suspects ».
Dans les deux cas, l’activité directe d’APADRO-CH au moment même a consisté
principalement à fournir de l’assistance juridique, à savoir trouver et rémunérer les avocats
qui ont représenté et défendus les accusées479. Dans le cas de Timisoara, ce qui a été
beaucoup plus substantiel comme implication et avec des résultats importants pour la
conclusion, a été la campagne d’information et la demande d’aide lancée au niveau
international et, à travers ces pressions, la mise en liberté des accusés. Même si ceux-là
avaient été condamnés à deux ans et respectivement un an de prison, suite aux
478
Les deux cas sont minutieusement présentés dans le rapport Public Scandals… déjà cit., pp. 23-
26. Voir infra, Chapitre 8 où nous nous arrêtons plus longuement sur ce rapport. Le document est
largement accessible à partir des sites internet de Human Rights Watch, ILGA, l’ILGHRC,
ACCEPT ; d’autres cas sont également présentés.
479
APADOR-CH, Rapport annuel 1993, http.//www.apador.org ; interview avec Vera Cîmpeanu, 4
mai 2004.

249
interventions publiques d’APADOR-CH et d’Amnesty International, les sentences ont été
suspendues et les deux individus mis en liberté.
En ce qui concerne le cas de Sibiu, l’implication d’APADOR-CH est encore moins
significative dans une première phase, mais les développements de ce cas offrent
l’occasion à une autre campagne dans laquelle l’association joue un rôle de première
importance.
La dernière personne arrêtée, le journaliste, est finalement accusé sur la base de
l’article 200 mais ensuite libéré sous caution (Dossier n° 5298/1993 du Tribunal de Sibiu) ;
son avocat propose de déposer le dossier à la Cour constitutionnelle et demander l’avis sur
la décision invoquant l’exception de inconstitutionnalité : il base cette requête sur la
Constitution, à savoir les articles 11480, 20481 et 26482, respectivement la Convention
Européenne des Droits de l’Homme, à savoir l’article 8483. Quant aux autres personnes
enquêtées, elles allaient se rattacher à la demande (dossier n° 5711/1993 et dossier n°
5943/1993 du même Tribunal de Sibiu).
Afin de solutionner ce cas, la Cour constitutionnelle, conformément à son règlement
de fonctionnement, demande l’avis des institutions de l’Etat : les deux chambres du
Parlement, les autorités publiques, les cultes religieux légalement reconnue, les institutions
universitaires, les organisations non gouvernementales. Dans les avis exprimés, le Sénat
recommande que la décision ne soit prononcée qu’après le vote sur la Proposition du
Gouvernement de modifier le Code pénal et le Code de Procédure pénale. La Chambre de

480
Article 11 intitulé « Le droit international et le droit interne » prévoit : « (1) L'Etat roumain
s'engage à accomplir exactement et de bonne foi les obligations qui lui incombent par les traités
auxquels il est partie. (2) Les traités ratifiés par le Parlement, conformément à la loi, font partie du
droit interne ».
481
Article 20 intitulé « Les traits internationaux portant sur les droits de l’homme »: « (1) Les
dispositions constitutionnelles relatives aux droits et libertés des citoyens seront interprétées et
appliquées en concordance avec la Déclaration universelle des droits de l’homme, avec les pactes
et les autres traités auxquels la Roumanie est partie ».
482
Article 26 intitulé « La vie intime, familiale et privée » : « (1)Les autorités publiques respectent
et protègent la vie intime, familiale et privée. (2) Toute personne physique a le droit de disposer
d’elle-même, si elle ne viole pas les droits et les libertés d’autrui, l’ordre public ou les bonnes
mœurs.
483
L’article 8, intitulé « Droit au respect de la vie privée et familiale » prévoit dans son premier
paragraphe : « (1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et
de sa correspondance. Le deuxième paragraphe : (2) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité
publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et
qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité
nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la
prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection
des droits et libertés d'autrui ».

250
Députés ne s’est donc pas exprimée sur la question. Par contre, neuf cultes religieux ont
demandé le maintien de la pénalisation de l’homosexualité en privée et la réponse de la
Direction générale de médecine préventive du Ministère de la Santé recommande que le
sujet soit « discuté par des commissions de spécialistes, à savoir par la psychiatrie et la
médecine légale » ; selon l’avis de cette institution il est aussi précisé que « la législation
devrait être catégorique et punitive à l’égard des personnes qui font du prosélytisme, sans
circonstance atténuante s’il s’agit de la contamination volontaire du partenaire, voire que
la pédophilie soit sanctionnée sévèrement ». Le fait que c’est la Direction de médecine
préventive de ce Ministère qui s’exprime sur la question, la réponse invoquant le
prosélytisme, la contamination et la pédophilie nous fournissent les éléments de la même
vision de l’homosexualité, dominante à tous les niveaux de la société : l’homosexualité est
attachée à la maladie et la criminalité.
L’avis de l’Université de Bucarest, plus spécifiquement de son département de
Sociologie, Psychologie et Education, va dans le même sens : « l’homosexualité génère des
prosélytes, surtout parmi les adolescents et les jeunes, dans le parcours de la formation de
leur personnalité, à l’age des options, la période quand ils font leurs choix de valeurs ».
En revanche, les Départements de Droit des Université de Cluj Napoca, Iasi et Sibiu
affirment leur soutien pour la variante proposée par le Gouvernement, et les représentants
de Sibiu invoquent même les recommandations du Conseil de l’Europe.
A son tour, le Gouvernement, lors de sa réponse adressée à la Cour Constitutionnelle,
fait preuve de manque de cohérence dans le positionnement relatif à l’article 200 : cette
fois ci, il affirme que cet article ne contrevient pas à la Constitution, ni à la Convention
Européenne des Droits de l’Homme ! Cette position dénote le désaccord sur la question de
l’homosexualité au niveau même du Gouvernement, l’initiateur de la proposition
d’intervenir sur le premier paragraphe de cette prévision législative.
Là où il y a une grande cohérence, c’est au niveau des organisations non
gouvernementales ; qu’il s’agisse des associations internes – la LADO, la SIRDO, l’Institut
Roumain pour les Droits de l’Homme, APADOR-CH – ou des associations externes –
Amnesty International, IGLHRC, Human Right Watch, la Commission Internationale des
Juristes – le consensus est général : l’article 200 contrevient à la Constitution et aux traités
internationaux.

251
Effectivement, nous avons affaire à une campagne fondamentalement marquée par la
collaboration484 et qui tourne autour des mêmes personnages principaux que nous avons
rencontrés auparavant, à savoir : ILGA, ILGHRC, Amnesty International, APADOR-CH.
Il s’agit, d’une part, de Scott Long, officiellement le représentant d’ILGHRC, mais qui
gardait une relation très proche avec ILGA lui envoyant régulièrement des rapports et des
informations, et, d’autre part, d’Ivan Fisher, le représentant de Amnesty International,
travaillant avec Vera Cîmpeanu de la part d’APADOR-CH. Les deux ont été les principaux
porteurs des initiatives et des actions relatives à cet épisode : il s’agit à la fois de rencontres
et discussions avec les juges485, de la préparation des réponses, de la diffusion
d’informations, d’adresses, de dates des séances. Si les associations citées ont coordonné la
campagne, des réponses, des lettres et des appels ont été envoyés également par la
Fédération Internationale Helsinki pour les Droits de l’Homme, la Fédération
Internationale des Droits de l'Homme, la Human Rights Watch/Helsinki, l’International
Human Rights Law Group, la Commission Internationales des Juristes.
La mobilisation autour de cette décision de la Cour Constitutionnelle est considérée
comme un moment très important pour le programme des minorités sexuelles et la manière
dont la coordonnatrice Vera Cîmpeanu raconte les faits486 démontre la manière de mettre
en pratique les stratégies et les techniques du militantisme transnational :
« Et la réponse de la Cour constitutionnelle a été une coupure [dans la ligne de la
répression] ; ils n’ont pas eu de choix, ils n’ont pas aimé cela, mais ils n’ont pas pu faire
autrement, parce que nous, nous sommes tous allés là, tous. Mike [Michael Holsher], moi-
même, Ivan Fisher, qui passait beaucoup de temps à Bucarest… C’est pour ça que je dis, il
[Ivan Fisher] aurait dû faire un rapport pour Amnesty, moi, je le sais bien, je n’ai pas écrit
de rapport là-dessus. Scott [Long] avait des informations, il a été dans la salle quand la
décision a été prononcée. Ils n’ont pas eu de choix ! En fait, c’est à ce moment-là que
l’article 1 [à savoir le paragraphe 1 de l’article 200] a été suspendu ; pas abrogé, mais à

484
Les rapports annuels de 1994 de ces associations, les bulletins d’ILGA, les témoignages
ultérieurs confirment unanimement la collaboration pour mettre en œuvre cette campagne.
485
Il s’agit des juges Victor Dan Zlatescu et Antonie Iorgovan, tous les deux décédés depuis lors,
du juge Viorel Mihai Ciobanu, du procureur Ioan Griga et de l’assistent magistrate Constantin
Burada. Voir le Journal Officiel N° 14/1995.
486
Entretien avec Vera Cîmpeanu du 4 mai 2004. Elle ne situe pas correctement le moment dans
l’histoire, puisqu’elle le considère comme ayant eu lieu en 1995, alors que la décision de la Cour
constitutionnelle date du 15 juillet 1994. Elle n’a pas été publiée jusqu’en janvier 1995, voir le
Journal Officiel N°14, 1995.

252
partir de ce moment-là, il n’a plus été utilisé pour des arrestations. Et alors ça, ça a été
une victoire extraordinaire ».
Nous voyons au travail les logiques décrites à la fin du Chapitre 4487 : la Cour
constitutionnelle opère le changement requis puisque directement confrontée aux
engagements antérieurs du Gouvernement roumain (les politiques de responsabilité) et
parce qu’elle se trouve sous l’attention immédiate des représentants d’ILGA, Amnesty
International, IGLHRC, des acteurs renommés et puissants (les politiques d’atout).
Vera Cîmpeanu ajoute néanmoins, pour attirer l’attention que la clé de ce cas a été
trouvée par l’avocat représentant le journaliste de Sibiu, que c’était son idée et son mérite
d’avoir vu cette brèche dans la législation : « ils avaient un très bon avocat. En réalité,
n’importe quel avocat devrait voir des choses comme cela s’il travaille sérieusement, mais
celui-là, il paraît qu’il était plus malin que les autres et il a demandé l’avis de la Cour
constitutionnelle ». En se rappelant l’épisode à son tour, Razvan Ion témoigne de
l’inspiration de l’avocat et lui attribue la vertu d’avoir vu cette solution. Cependant, ce que
ni l’un, ni l’autre, ni d’autres personnes interviewées n’ont réussi à se souvenir le nom de
l’avocat en question. Razvan Ion se souvient que c’était une « jeune femme », mais
personne d’autre n’en garde aucun souvenir, la moindre image de son visage ou de son
apparence488. Dans l’enchaînement des faits, ce qui reste plus mémorable c’est que
l’initiative de cet avocat a offert l’occasion d’une mobilisation internationale et que cet
effort commun a abouti à la suspension du premier paragraphe de l’article 200 du Code
pénal, une collaboration dans laquelle réside la solution du succès : « une victoire
extraordinaire, qui n’a même pas été notre victoire ! Mais qui nous a beaucoup servi »,
affirme Vera Cîmpeanu. Effectivement, les arrêtés de la Cour constitutionnelle étant
contraignants et immédiatement exécutoires, nul ne devait plus être poursuivi ou condamné
en vertu de l’article 200, paragraphe 1 du Code pénal, depuis janvier 1995, date à laquelle
cet arrêt avait été confirmé en appel489.
Comme nous l’avons montré à la fin du chapitre précèdent, la décision de la Cour
Constitutionnelle de déclarer le premier paragraphe de l’article 200 du Code pénal comme
anticonstitutionnel représente l’argument décisif lorsque le Parlement clôture les travaux

487
Voir Margaret E. KECK et Kathryn SIKKINK, Activistes…op. cit. pp. 18-25.
488
Lorsque nous l’avons contacté à ce sujet, le Bureau de renseignements et relations publiques du
Tribunal de Sibiu nous a répondu par une adresse du 21 août 2009 (N° 88/ B.I.R.P.) qu’il n’était
pas en mesure de mettre l’information à notre disposition.
489
Arrêté N° 81 publié au Journal Officiel N° 14 du 25 janvier 1995.

253
sur la réforme du Code pénal et arrive à un certain consensus en ce qui concerne les
nouvelles provisions à l’égard des relations homosexuelles. Considérée au plan de la
politique intérieure comme la meilleure possible et comme la solution permettant autant la
réconciliation de toutes les parties impliquées que l’équilibre entre « les contraintes
externes » et « l’esprit national roumain », cette version de l’article 200 suscite des
réactions défavorables, voire même hostiles, elle ne représente que « le commencement de
la fin » de la répression des homosexuels en Roumanie.

C. Bilan intermédiaire

Nous allons reprendre brièvement les lignes principales de notre analyse, plus
précisément l’enchaînement des faits ayant conduit à la première intervention sur la
législation punitive des actes homosexuels, pour esquisser par la suite quelques
conclusions provisoires qui vont constituer également le point de départ de l’étape suivante
de la réflexion que nous conduisons.
Les revendications au sujet des droits des personnes homosexuelles apparaissent pour
la première fois en Roumanie pendant la première moitié des années 1990, après la chute
du régime communiste. Cette ouverture du système politique roumain au sujet de
l’homosexualité tient à deux dimensions fondamentales qui s’entremêlent et y participent
conjointement : les transformations postcommunistes et la mise en place de la démocratie,
respectivement la préparation à l’adhésion au Conseil de l’Europe. Les logiques nationales
de transformation sont renforcées par les logiques européennes, tandis que les adaptations
requises par la préparation à l’adhésion vont dans le même sens que la démocratisation. La
proposition du Gouvernement d’intervenir sur la législation et de modifier le Code pénal et
le Code de Procédure pénale, l’un de premiers pas vers la mise en place de la démocratie,
contient un amendement de l’article 200, dont les ressorts se trouvent dans la préparation à
l’adhésion du Conseil de l’Europe. En regardant de plus près la question, nous avons
constaté les efforts des réseaux transnationaux, principalement d’ILGA, qui ont saisi les
nouvelles opportunités ouvertes par l’élargissement de l’Union européenne à l’Est et ont
tenté de faire avancer les causes des personnes lgbt à l’agenda du Conseil. En même temps,
la cause homosexuelle est prise en charge par une organisation locale, l’APADOR-CH ;
cette association constitue l’antenne roumaine de Human Rights Watch, mise en place sous

254
le parrainage de celle-ci et développée avec son support. Il s’agit de la mise en place d’une
collaboration transnationale qui se poursuivra pendant les années suivantes, mais qui a fait
ses preuves lors de l’examen de l’article 200 par la Cour constitutionnelle roumaine.
D’autre part, au niveau interne, un autre acteur s’affirme sur la scène politique, en
s’érigeant comme le contestataire de la cause homosexuelle : l’Eglise orthodoxe roumaine
exploite les enjeux de la dépénalisation pour exercer son rôle dans la nouvelle démocratie.
Si nous revenons au schéma que nous avons esquissé à la fin du chapitre 4, après
avoir examiné également les dynamiques qui se mettent en place au niveau interne surtout
à partir de 1993, les interactions entre les différents acteurs qui s’expriment au sujet de
l’homosexualité seraient simplement représentées de manière suivante :

Eglise
Conseil de orthodoxe
l’Europe roumaine
ILGA
IGLHRC
HRW
AI
Gouvernement et
Parlement
roumain

APADOR-CH

La réaction des décideurs politiques roumains devant la possibilité d’intervenir sur


l’article 200 reste marquée par l’incapacité de concevoir l’orientation homosexuelle en
termes de choix, de liberté individuelle, de droit de la personne de disposer de son propre
corps. Trois ans de débats parlementaires autour de l’article 200, d’échanges et de
reformulations débouchent sur l’impossibilité de se mettre d’accord. Ce n’est que suite à la
décision de la Cour constitutionnelle, qui déclare le premier paragraphe de l’article 200
inconstitutionnel, que les décideurs roumains acceptent une solution de compromis – c’est-
à-dire ajouter la condition du scandale public dans le texte de loi.

255
L’épisode de l’arrivée de ce premier paragraphe de l’article 200 devant la Cour
constitutionnelle, la manière dont la Cour traite et résout ce cas constituent le miroir de la
société, l’illustration de ses conflits, de ses peurs, de ses limites de concevoir la sexualité
comme une question qui ne fait pas l’objet de la morale. Se référant aux réactions de la
communauté politique envers des sujets comme l’homosexualité, Cristian Preda constate le
manque de tolérance de certaines voix dans le paysage politique :
« il existe aujourd’hui non seulement des anciens communistes, mais des
anticommunistes qui refusent catégoriquement l’Europe, à savoir cette partie
profondément européenne qui est la tolérance ; il s’agit ici non seulement des formes
récentes de la tolérance, comme la tolérance envers les minorités sexuelles ou ethniques,
mais des formes plus anciennes, comme par exemple la tolérance envers les minorités
religieuses. Effectivement, la tolérance est considérée parfois dangereuse pour la nation,
comme un fléau pour le pauvre survivant du totalitarisme […]. Les débats dans le monde
roumain portant sur l’enseignement dans la langue hongroise, sur les relations entre les
orthodoxes et les catholiques ou sur l’homosexualité sont des illustrations de ce refus de la
tolérance490 ».

490
Cristian PREDA, Occidentul nostru (Notre Occident), Bucarest Editions Nemira, 1999, p. 143.

256
Chapitre 7 : ACCEPTez nous ! Ensemble pour une Roumanie plus gaie

Préambule
A. Les antécédents de la mobilisation
Débat public autour de l’homosexualité : un droit humain ?
Sinaia : une réunion insolite
Usage précautionneux du terme ‘communauté’
Ouvrir la boîte noire de l’identité
B. L’institutionnalisation de l’association ACCEPT
Actions d’alertes – les premiers pas du militantisme
Détourner l’interdiction : l’enregistrement juridique
L’association ACCEPT : détails d’ordre pratique
Adrian Relu Coman
Dennis van der Veur
ACCEPT Romania - N.V.I.H. COC Nederland
C. Un nouvel acteur dans le paysage associatif roumain

257
Chapitre 7 : ACCEPTez nous ! Ensemble pour une Roumanie plus gaie

« … le mouvement gai et lesbien est contraint à équilibrer les désirs et les intérêts :
quand les désirs prédominent, il peut devenir une pure subculture ; si l’intérêt de
représentation devient trop dominant et que le lien avec la subculture se rêlache, le
mouvement ne survivra pas non plus, car la constitution d’identité est interropmpue et le
principal motif de participation de la plupart des gens disparaît. […] C’est le cas
spécialement quand les subcultures se profesionnalisent, c'est-à-dire choisissent la voie de
la <politique business>, et que l’identité collective peut être assumée en dehors du
mouvement, sur la simple base du désir ».
Jan Willem Duyvendak, Le poids du politique. Nouveaux mouvements
sociaux en France

« Les organisations de la société civile, loin d’être des émanations spontanées du


tissu social local, sont de plus en plus représentatives d’une élite à la fois cosmopolite,
réformiste et managériale ».
Nicolas Guilhot, La promotion internationale de la démocratie :
un regard critique

258
Préambule

Nous avons mis en lumière dans les pages précédentes les principales forces
présentes sur la scène sociale et politique qui se sont exprimées au sujet de
l’homosexualité491 et qui ont contribué au résultat de la réforme de la législation en 1996 :
dans le contexte de l’ouverture démocratique du pays et en vue de la préparation au
Conseil de l’Europe, le Gouvernement roumain se confronte à la nécessité d’intervenir sur
la législation et modifier l’article 200 du Code pénal. Sur le plan interne, différentes
instances se prononcent au sujet de l’homosexualité : d’une part l’Eglise orthodoxe
roumaine, de l’autre des militants pour les droits humains, ces derniers avec la
collaboration et l’appui des organisations internationales comme Human Rights Watch,
ILGA, Amnesty International, IGLHRC. Les décideurs roumains se retrouvent dans
l’impossibilité de trancher entre les priorités de la politique extérieure et celles de la
politique intérieure et leur décision est l’expression de la contradiction.
Le dispositif répressif est toujours en place et les années suivantes vont confronter les
décideurs roumains à d’autres initiatives de révocation, qui vont apporter au premier plan
en grande partie ces mêmes acteurs que nous avons déjà invoqués. Néanmoins, les
constellations de coopération se structurent selon d’autres cadres : d’une part, une fois
l’adhésion au Conseil de l’Europe accomplie, les objectifs de la politique extérieure du
pays se déplacent vers l’ouverture des négociations en vue de l’intégration à l’Union
européenne, ce qui représente une nouvelle dimension du contexte. Sur la scène interne, si
l’Eglise orthodoxe ne cesse de faire entendre sa voix, un autre acteur fait son entrée dans
les dynamiques de négociation, un acteur qui s’impose graduellement comme la première
et la seule organisation à faire des droits des personnes lgbt son objet d’activité, à savoir
l’association ACCEPT.
Notre intérêt porte à ce stade de l’analyse sur la création et les activités de ce nouvel
acteur. Nombre d’initiatives précédentes de cohésion dans une association ou un groupe
lgbt ont échoué sans laisser beaucoup de traces ; par contre, l’association ACCEPT arrive
non seulement à être créée dans un cadre légal criminalisant de manière explicite
l’association des personnes lgbt, mais elle devient une organisation à la fois solidement

491
Nous soulignons que la presse n’a pas fait l’objet de cette analyse en tant qu’acteur, nous y
avons fait recours en l’utilisant plutôt comme une source secondaire.

259
ancrée dans le paysage associatif roumain et largement reconnue au niveau international.
Nous allons d’abord déchiffrer la mise en place de cette association, pour, ensuite,
poursuivre l’élucidation des interactions ayant conduit à l’abrogation de l’article 200 du
Code pénal en 2001.
Le 25 octobre 1996, le groupe ACCEPT est enregistré juridiquement492. Le
Parlement roumain venait d’arriver à un accord quant à la nouvelle forme de l’article 200,
dont le dernier paragraphe mettait explicitement hors la loi toute association homosexuelle.
Comment la mise en place de cette association a-t-elle été possible? Pour répondre à cette
question l’investigation passe de nouveau par un dépouillement minutieux des
circonstances et des acteurs ayant concouru à ce résultat.
Il s’agit toujours d’une collaboration internationale qui se trouve derrière la création
de cette association, cette fois-ci quelque peu différente. Nous avons à faire aux
personnages déjà habituels et qui s’étaient déjà lancés dans les échanges autour de la
dépénalisation de l’homosexualité : il s’agit d’APADOR-CH, l’antenne locale de Human
Rights Watch, qui dédie aux minorités sexuelles une section de son programme pour les
minorités, ainsi que d’ILGA, IGLHRC, Amnesty International, Human Rights Watch, qui
suivent de près la situation et qui offrent leur expertise, tout en fonctionnant comme relais
auprès des institutions européennes. Organiser la campagne autour de la décision de la
Cour constitutionnelle en 1994 avait mis les bases pour l’articulation de l’intérêt pour la
cause homosexuelle au plan interne. Mais ce noyau de mobilisation ne représente qu’une
fraction de la collaboration qui parvient à mettre sur pieds une association lgbt ;
l’occurrence d’une autre rencontre donnera lieu à la constitution d’ACCEPT.

A. Les antécédents de la mobilisation

Au début des années 1990, la communauté des expatriés vivant à Bucarest était assez
peu nombreuse ; il ne s’agit pas d’une scène trop étendue et les étrangers provenant de
différents pays se retrouvent facilement dans la même ville. Un groupe d’amis s’est ainsi
formé, flou et perméable, relié par des intérêts communs relevant autant de la vie pratique,
que d’un ordre plus abstrait ou affectif (ils communiquaient principalement en anglais et
partageaient notamment l’expérience de la vie dans un pays d’adoption). Il ne s’agit pas

492
L’association est enregistrée sous le numéro 116/PJ/1996.

260
exclusivement de personnes homosexuelles ; d’ailleurs seulement deux d’entre eux sont
gays. Toutefois, l’orientation sexuelle fait fréquemment l’objet de leurs discussions et la
situation des personnes lgbt en Roumanie est un sujet largement débattu, puisque tellement
différente par rapport à leurs pays d’origine respectifs.
Christopher Newlands en provenance du Royaume Uni, arrive en Roumanie en 1992,
après avoir étudié la théologie à Cambridge et servi à Hampshire et la Cathédrale de
Durham, et occupe le poste d’aumônier de l’Eglise anglicane pour les communautés de
langue anglaise à l’est de l’Europe, étant également le représentant de cette Eglise auprès
des Eglises orthodoxes de Roumanie et Bulgarie. David St. Vincent, également citoyen
britannique, arrive à Bucarest comme écrivain indépendant travaillant pour la
documentation d’un guide touristique sur la Roumanie. Bonny Wassing et Guido
Spaanbroek venait des Pays-Bas, tous les deux juste après avoir fini leurs études, mais de
manière indépendante : le premier pour enseigner le néerlandais à l’Université de Bucarest,
le second pour étudier l’accordéon avec un professeur de musique roumain. Jennifer
Tanaka venait des Etats-Unis, où elle avait fait des études en sciences sociales à Seattle,
pour travailler comme volontaire dans une organisation locale ayant comme objet
d’activité la minorité Rom493.
Lors des rencontres informelles et des discussions au sujet de la vie des personnes
lgbt en Roumanie, l’idée de la nécessité de faire quelque chose pour rendre la situation des
homosexuels plus détendue s’est imposée aux jeunes émigrés. Encore un petit comité
informel vers la fin de l’année 1994, ce groupe s’applique à coordonner des rencontres plus
systématiques, en invitant d’autres amis ou connaissances, des homosexuels ainsi que des
hétérosexuels, nombre d’entre eux Roumains. Une formule plus organisée commence alors
à se mettre en place, les cinq personnes citées précédemment étant le noyau du groupe. S’y
ajoute Bogdan Voicu, un jeune homme roumain qui devient le partenaire de l’une des
personnes déjà citées et qui restera pour un bon moment le seul Roumain constamment
présent aux réunions et qui assurait en partie les éventuelles translations des textes en
roumain qui n’étaient pas entièrement accessibles (même si nombre d’entre eux ont appris
le roumain). Chris Newlands est la figure centrale du groupe. Les rencontres ont lieu chez
lui, un petit appartement situé au centre de la capitale, sur le Boulevard Magheru, endroit

493
Romani CRISS – le Centre des Roms pour Intervention Sociale et Etudes, créée le 4 avril 1993.

261
qui leur offrait une certaine sécurité, voire même la garantie de ne pas se retrouver dans
l’arrêt de la police, puisque le locataire bénéficiait du statut de diplomate494.
Plus tard, Michael Holscher rejoint le group. Originaire des Etats-Unis également,
Michael Holscher avait de l’expérience dans le domaine de l’activisme social, ayant
travaillé précédemment pendant cinq ans avec l’International Human Rights Law Group495
à Washington. Il était arrivé à Bucarest pour y passer ses vacances, inspiré par son ami Ed
Rekosh496, le représentant d’International Human Rights Law Group en Roumanie. Il y
restera par après, afin de sonder la possibilité de mettre en place un programme national de
marketing social pour la contraception, ce qui deviendra par la suite le premier programme
de ce type en Roumanie497. Le petit groupe se donne le nom Bucharest Acceptance Group
et essaie de trouver les moyens d’action vers la possibilité de « changer quelque chose »
(« make a difference ») dans la situation des personnes homosexuelles en Roumanie.

Dans leur quête de « comment faire », les membres de ce collectif s’adressent au


Groupe pour le Dialogue Social498 ; c’est ainsi qu’ils arrivent à entrer en contact avec
APADOR-CH, dont les bureaux se trouvaient à l’époque dans le même bâtiment. Suite à
cette prise de contact, au commencement de 1995, les rencontres, devenues
hebdomadaires, sont accueillies dans les locaux du numéro 120, rue Calea Victoriei, et de
plus en plus de personnes, sans qu’elles soient ni régulièrement les mêmes, ni portées par
le même intérêt à la question, y participent. Mais le Bucharest Acceptance Group reste un

494
Avant 1989, il était d’usage que la Securitate surveille les citoyens étrangers également (voir
par exemple Constantin Neculai MUNTEANU, Ultimi sapte ani. op. cit., pp. 73-76) et il est
envisageable que la surveillance a continué ensuite, mais la chance à été de leur côté et il ne sont
pas rentrés en conflit avec la police.
495
Organisation non gouvernementale s’occupant des droits de l’homme établie aux Etats-Unis,
dotée d’un statut consultatif spécial auprès de l’Organisation des Nations Unies, elle se présente
comme « helping local activists create just societies through proven strategies effecting change » :
http://www.hrlawgroup.org. Elle devient à partir de décembre 2003 le Global Rights : Parteners
for Justice : http://www.globalrights.org.
496
Il occupe la position de directeur de programme pour la Roumanie et la République de
Moldova, projet visant à consolider les organisations locales pour les droits humains et les groupes
d’avocats (« empower domestic human rights organisations and lawyers’ groups »)Dans le cadre de
ce projet il collabore avec des activistes roumains et organise également des stages de formation au
sujet des droits de l’homme, du lobbying, de l’observation des élections, de la documentation des
cas et l’organisation des campagnes de « advocacy ».
497
Il s’agit du premier programme de l’agence internationale PSI (Population Services
International), qui fut lancé officiellement en 1997. Michael Holscher avait précédement entrepris
plusieurs missions destinées à préparer son implantation.
498
Cf. Chapitre 4.

262
comité informel et le parcours jusqu’à l’inauguration d’une organisation formelle sera
long. Plusieurs étapes marquent le parcours de la mise en place de cette association et
plusieurs personnes et institutions participent à son instauration. Bénéficiant dès lors du
soutien d’APADOR-CH, le groupe ne tarde pas à organiser les premiers événements
publics afin d’attirer l’attention des autorités sur la question de l’homosexualité et d’ouvrir
le débat autour de ce sujet. Ces événements et les détails de l’organisation seront examinés
ci après.

Débat public autour de l’homosexualité : l’orientation sexuelle - un droit


humain ?

La fin du mois de mai 1995 marque une première étape dans l’instauration des
collaborations donnant lieu à la future association : le 31 mai 1995 constitue une date
historique pour le milieu associatif homosexuel roumain, puisque le Bucharest Acceptance
Group arrive à organiser un débat public499 autour du statut des relations homosexuelles en
Roumanie, un séminaire intitulé « Homosexualitatea – un drept al omului ? »
(L’homosexualité – Un droit de l’homme ?). Dans une logique proche de celle adoptée par
Razvan Ion lorsqu’il avait tenté d’exploiter l’occasion d’un débat organisé en 1992 à la
Radio Delta500, l’objectif était l’ouverture des discussions autour d’un sujet qui se prêtait à
la controverse. Considérée un droit humain et une question relevant de la liberté
individuelle selon les standards européens, l’homosexualité était traitée comme un crime et
pénalisée par la législation roumaine. Les organisateurs du débat se proposaient de donner
une tribune à ces différents points de vue et de chercher un point commun, la possibilité
d’un accord sur la question. Dans le cadre de l’Année de la Tolérance, le Bucharest
Acceptance Group, avec le soutien d’APADOR et de l’UNESCO-CEPES (the European
Centre for Higher Education/le Centre Européen pour l'Enseignement Supérieur) organise
à Bucarest ce premier débat qui met en avant les droits des gays et des lesbiennes en
Roumanie.

499
La source principale de cette section est le rapport de Jennifer Tanaka, redigé pour Bucharest
Acceptance Group en 1995 ; lien vers le document :
http://www.qrd.org/qrd/world/europe/romania/BAG/homosexuality.conference-05.31.95.
Voir l’Annexe III pour des images de la conférence.
500
Cf. Chapitre 3.

263
Selon le rapport rédigé par Jennifer Tanaka à la fin de ce débat, qui constitue la
source principale de cette partie de l’analyse, l’événement a réuni environ 45 participants
parmi ceux-ci, des membres de l’association Bucharest Acceptance Group, un représentant
du Ministère de la Justice, un représentant de l’Eglise orthodoxe, un représentant des
députés, plusieurs représentants des différentes ambassades en Roumanie, comme par
exemple l’ambassade des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de la Norvège, du Danemark,
plusieurs représentants des diverses organisations, la plupart étrangères, comme la Dacia
Foundation Amsterdam, l’International Gay and Lesbian Human Rights Commision San
Francisco, la Soros Foundation – Open Society Institute, mais aussi APADOR-CH ou le
Centre pour Sociologie Urbaine et Régionale. Quelques représentants des médias roumains
ou internationaux s’y ajoutent.

Le but de ce séminaire étant d’ouvrir le dialogue sur le sujet de l’homosexualité, les


organisateurs ont invité les participants à s’exprimer au sujet de l’homosexualité à partir de
perspectives diverses. Modérée par le prêtre Chris Newlands, la discussion a été lancée par
six interventions, à savoir : Carin Berg, la directrice de l’UNESCO-CEPES, l’institution
qui a accueilli le débat, ensuite le représentant du Ministère de la Justice, Octavian
Cojocaru, André Krouwel, représentant de la Fondation hollandaise Dacia Foundation et
aussi professeur en sciences politiques à l’Université d’Amsterdam, le prêtre Dumitru
Radu, théologien et professeur d’université, représentant de l’Eglise orthodoxe, Scott
Long, représentant d’IGLHRC et le député Nicu Vintila, de la part de la Commission
juridique de la Chambre des Députés.
Les interventions de Carin Berg, André Krouwel et Scott Long ont mis l’accent sur la
tolérance - d’ailleurs le thème qui circonscrit le débat. Ils ont invoqué les principes de la
démocratie, dont les droits de l’Homme et la ‘société civile’, la séparation des institutions
dans l’Etat et la nécessité de distinguer entre les lois et les fondements moraux et religieux
des comportements individuels. D’autre part, les représentants du Parlement roumain et
ceux de l’Eglise orthodoxe ont évoqué la moralité chrétienne, la ‘roumanité’ et l’attitude
réfractaire de la société. Dans leurs interventions, André Krouwel et Scott Long ont
adressé des questions à leurs interlocuteurs roumains, ils ont interrogé les arguments qui
avaient été exprimés, ils ont tenté de lancer le dialogue. A leur tour, les représentants du
Parlement, respectivement ceux de l’Eglise n’ont pas répondu aux questions, mais ils ont
exposé plutôt leurs propres points de vue, ce qui fait que les échanges ne s’articulent pas
dans un dialogue.

264
Il peut apparaître après cette présentation des positions que les représentants des
organisations internationales soient les défenseurs de la cause homosexuelle, tandis que les
représentants roumains s’érigent en opposants. Pendant la deuxième partie du séminaire,
au moment des questions ouvertes, la discussion semble davantage centrée sur
l’affrontement des arguments, et plusieurs personnes présentes dans la salle adressent des
questions aux trois officiels. L’avocate Anca Paduraru met en évidence une contradiction
dans le texte de la loi dans le cas où la proposition gouvernementale serait votée : il s’agit
précisément du fait que dans le Code pénal existait déjà un autre article, 321, qui légiférait
sur la « provocation du scandale public » et prévoyait des peines moins élevées pour les
relations homosexuelles (de 3 mois à 2 ans, par rapport à 1 à 5 ans de prison). Renate
Weber, représentante d’APADOR-CH, souligne l’ingérence de l’Eglise dans les processus
décisionnels, ce qui interfère avec les principes d’une société sécularisée. Il s’ajoute des
questions concernant le droit d’expression et la légitimité d’un séminaire abordant le sujet
de l’homosexualité dans des conditions où la loi bannit à la fois l’association et la
propagande. Il revient à Octavian Cojocaru et Nicu Vintila de répondre, mais leurs
réponses n’expliquent pas les raisons pour telle ou telle position et se limitent à exprimer la
difficulté des collègues parlementaires à changer d’avis sur ces questions. Ils affirment
également leur accord quant à la sévérité des provisions légales dans la nouvelle formule
de l’article 200.
Nous constatons également la présence, parmi les participants, d’un nombre de
personnes que nous avons identifiées comme des gays ou des lesbiennes. Ces personnes
participent à un événement public, qui reçoit l’attention des médias. Le rapport comprenant
les noms des participants a circulé sur des sites internet et il a été repris par des bulletins
d’informations internationaux. Personne n’a été arrêté ou interrogé par la police suite à ce
séminaire. En même temps, en dehors des représentants d’APADOR-CH et le Bucharest
Acceptance Group, personne ne se retrouvera pas non plus, par la suite, dans les activités
reliées au militantisme homosexuel.
Le séminaire du 31 mai 1995 représente la première occurrence d’un événement
public au sujet de l’homosexualité qui n’est pas le résultat d’une initiative individuelle,
sporadique, comme c’était le cas des initiatives de Razvan Ion deux ans auparavant. Bien
au contraire, il s’agit cette fois du produit d’une participation commune de différentes
instances qui collaborent et s’organisent de manière plus structurée autour d’un but
partagé.

265
Selon le rapport cité, le Bucharest Acceptance Group comptait à ce moment-là sept
personnes : six étrangers vivant à Bucarest (Christopher Newlands, David St. Vincent,
Bonny Wassing, Guido Spaanbroek, Jennifer Tanaka et Michael Holscher) plus un
Roumain (Bogdan Voicu). Si d’autres personnes participaient aux réunions informelles du
groupe, lors de cette apparition publique personne d’autre n’a osé relier son nom à celui du
groupe. Ce petit comité trouve de l’appui auprès d’APADOR-CH, association qui s’était
déjà saisie de la difficulté de l’article 200 et qui s’était déjà impliquée dans l’affaire. Ses
programmes pour les minorités, tout comme la campagne d’information lancée lorsque la
Cour constitutionnelle avait discuté le premier paragraphe de cet article constituent les
premiers pas qu’elle avait faits dans cette direction. Aux côtés de Vera Cîmpeanu, nous
retrouvons d’autres membres d’APADOR-CH qui participent à ce séminaire : Renate
Weber501, avocate, co-présidente d’APADOR-CH, ainsi que Mona Nicoara502, diplômée en
anglais, qui assure les traductions simultanées. Participe également Ion Iacos503, membre
d’APADOR-CH, qui sera par la suite chargé de la correspondance du groupe : c’est son
adresse de courrier électronique qui figure dans le rapport comme adresse de contact et qui
sera employée par la suite pour les communications du groupe avec les partenaires
externes, la presse et autres personnes intéressés.
Nous y retrouvons également Scott Long, présent en Roumanie depuis 1992, qui était
en train de faire ses propres investigations sur la situation de l’homosexualité en Roumanie

501
Diplômée de la Faculté de Droit en 1978, elle se retrouve après 1990 activement impliquée dans
le secteur non gouvernemental : coprésidente d’APADOR-CH de 1994 à 1999 et ensuite présidente
du Conseil National des Droits de l’Homme pour l’Open Society Roumanie de 1998 à 2005 et de
2006 à 2007 ; juge ad-hoc de la Cour Européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg en 2000,
conseiller présidentiel de 2004 à 2005, membre du Parti National Libéral à partir de 2007 et
membre du Parlement européen à partir de 2009.
502
Etudiante de l’Université de Bucarest de 1990 à 1994, elle travaille également pour APADOR-
CH à partir de 1992 jusqu’en 1995. Elle continue ses études à Columbia University in New York à
partir de 1995 ; consultante indépendante pour toute une série d’organisations de Droits de
l’Homme, avec un intérêt particulier pour les droits des Roms (Human Rights Watch, ILGHRC,
Open Society Institute), elle commence à travailler en 2005 comme réalisateur de films
documentaires. Sa mère, Mona Musca, linguiste de profession, est une autre présence importante
sur la scène publique et politique roumaine des années 1990-2000 : membre de l’Alliance Civique
de 1990 jusqu’en 1995, quand elle s’inscrit dans le Parti National Liberal et devient par la suite
(1996) députée de la Convention Démocratique.
503
Ion Iacos est diplômé en chimie, mais pendant ses études il fait des stages de volontariat auprès
de la LADO pour travailler par après avec APADOR-CH ; il suit des formations et des cours dans
le domaine des droits de l’homme, comme par ailleurs beaucoup de membres de cette association.
Il quitte la Roumanie en 1997 pour s’installer au Danemark, où il travaille toujours dans le secteur
non gouvernemental (Rehabilitation and Research Center for Torture Victims).

266
et qui procède à documenter le sujet de manière systématique, en envoyant ses rapports
aux associations externes comme IGLHRC et ILGA.
Il s’agit donc de plusieurs branches qui se réunissent et qui collaborent pour la mise
en place de ce débat : le Bucharest Acceptance Groupe, le porteur de l’initiative, avec
l’appui d’APADOR-CH, association déjà bien implantée dans le paysage associatif
roumain, et la contribution externe d’IGLHRC, grâce à Scott Long, et d’ILGA, à l’aide de
Kurt Krickler. Cet axe externe est renforcé par la présence d’autres instances : il s’agit
premièrement de l’amphitryon du séminaire, le Centre Européen pour l'Enseignement
Supérieur, mais également d’un nombre d’ambassades qui sont représentées à cet
événement : l’ambassade des Etats-Unis, celle du Royaume Uni, du Danemark, de la
Norvège et des Pays-Bas. Le contact avec cette dernière représente l’inauguration d’une
liaison qui se prolonge durablement et qui donnera l’occasion à d’autres projets, que nous
allons examiner par la suite.
C’est d’ailleurs l’ambassade des Pays-Bas qui prend contact avec à l’organisation
N.V.I.H. COC Nederland504, la plus ancienne organisation homosexuelle du monde, qui
deviendra un partenaire constant du groupe roumain.
Il s’agit au-delà de ce contact formel avec l’organisation néerlandaise, de la
mobilisation d’un lien personnel : l’amitié qui se noue entre Vera Cîmpeanu505, Michael
Holsher et Jan de Roy, conseiller et premier secrétaire de l’ambassade des Pays-Bas,
relation décrite par Vera Cîmpeanu dans les termes suivants :
« Mike et moi-même, nous étions très bons amis avec Jan de Roy, qui occupait un
poste important à l’ambassade ; il a été secrétaire pendant le mandat de Monique
Frank506. Monique me connaissait à travers l’ancien ambassadeur, qui me connaissait
depuis des années, avant 1989 ; c’était un enchaînement comme cela, et ce garçon, Jan de
Roy…, il n’était pas un garçon, il était un vrai monsieur, nous nous sommes liés d’amitié
avec lui, en dehors de non préoccupations professionnelles, mais nous avons beaucoup
discuté de tout cela »507.
Cette relation d’amitié, ces discussions résultent dans la mise en place d’une
collaboration sans précédent : la « cause homosexuelle » en Roumanie reçoit les fonds

504
Voir plus loin dans la dernière section de ce chapitre.
505
Cf. Chapitre 6.
506
Monique Frank occupe le poste d’ambassadeur depuis 1993 et remplace Coen Stork,
l’ambassadeur des Pays-Bas à Bucarest depuis 1988.
507
Entretien avec Vera Cîmpeanu réalisé le 4 mai 2004.

267
financiers pour l’organisation d’un autre événement, tout à fait différent : le débat public
avec les autorités roumaines est mis de côté et la priorité est donnée aux échanges avec les
gays et lesbiennes roumains eux-mêmes. Sans bénéficier d’un statut d’association
enregistrée et sans non plus avoir la personnalité juridique nécessaire afin de justifier les
fonds, le Bucharest Acceptance Group - dont Vera Cîmpeanu fait dès lors partie - reçoit de
la part de l’ambassade des Pays-Bas à Bucarest la somme nécessaire pour mettre en place
une conférence à laquelle sont invités à participer les homosexuel(le)s roumains. Ce sera le
commencement d’une longue collaboration entre les représentants néerlandais et les
représentants roumains en matière des droits des personnes lgbt.

***

Avant d’explorer les détails de cette conférence, notre attention sera brièvement
portée sur le représentant roumain, Bogdan Voicu, pour apporter quelques précisions. Le
rôle de Bogdan Voicu durant la structuration de Bucharest Acceptance Groupe reste
difficile à établir. Pour certains, il a été un personnage clé durant les premières étapes de
l’organisation : ainsi, il aurait établi le lien avec le réseau d’hommes homosexuels
roumains et noué des contacts avec ceux d’entre eux qui étaient directement concernés par
l’activité du groupe. Selon les affirmations de l’un des participants à ces rencontres (qui
désire rester anonyme) ce serait Bogdan qui aurait eu l’idée de changer le nom du groupe
de Bucharest Acceptance Groupe en ACCEPT. Il avait insisté pour donner à cette
association une persona la plus convaincante possible pour le contexte roumain. Le nom
était un détail ; l’autre point qu’il souligne concerne la participation : il insiste sur la
nécessité d’un nombre plus élevé de gays et lesbiennes roumains.
« Bogdan Voicu was perhaps the most important Romanian figure in the early days
of founding the Bucharest Acceptance Group. Educated, articulate, English-speaking,
good-looking, well-networked among both Romanian gays and foreigners, he was critical
to the entire movement. As I recall he served as an informant and translator for Scott Long
on some of his early visits to prisons, etc. Unlike many of the other early Romanian
advocates, who were generally of low education and unemployed and had little to lose
(including some sex workers and call boys), Bogdan had a ‘respectable’ presence that
caused both Romanian authorities and foreign supporters to sit up and take notice. It was
Bogdan, at one of the critical early meetings of BAG [Bucharest Acceptance Groupe], who

268
pointed out that the long-term success of the group would require a Romanian name (he
was the one who came up with ACCEPT) and more Romanian members » affirme notre
source.
Selon d’autres personnes qui l’avaient rencontré, son rôle n’a aucune importance :
« il n’a rien fait », « il n’a jamais représenté quoi que se soit » sont des formules
employées pour le décrire. Certains vont encore plus loin, pour le décrire comme « le petit
ami de l’un d’entre nous, un joli visage, mais qui ne disait jamais rien, il participait par sa
présence physique, mais son apport était nul » ou encore « a pretty face, but no brains ».
Bogdan Voicu est vite sorti de la scène associative homosexuelle et il n’a pas gardé le
contact avec ses anciens amis. De plus, il n’a jamais rendu publique son implication dans
les premières étapes de l’organisation. L’un des témoins interrogés se souvient même du
refus de Bogdan Voicu de s’impliquer davantage dans les activités de l’association : « He
was a favored candidate to be the first executive director of ACCEPT, but as I recall he
took his name out of consideration. Which is when we all turned to Adrian for
leadership ». Toutefois, de notre point de vue, Bogdan Voicu reste un personnage
important dans la formation du premier groupe homosexuel roumain. Il ne s’engage pas
dans la cause homosexuelle et ne suit pas une carrière militante, mais il représente dans un
premier temps le seul lien concret entre le Bucharest Acceptance Group et l’univers
homosexuel autochtone. La confluence de ceux deux univers autrement délimités devient
réalité lors de la conférence de Sinaia et Daniel Iorga est celui qui la rend possible.

Sinaia : une réunion insolite

Après la conférence du mai 1995 dont il a été question ci-dessus, lors des rencontres
hebdomadaires du BAG, la question qui préoccupe de plus en plus les participants
concerne la consolidation d’un réseau de relations avec les gays et les lesbiennes de
Roumanie. L’un des participants à ces réunions décrit l’atmosphère de ces mois comme il
suit :
« - …et nos rencontres se passaient comme cela ; et ça a été comme cela jusqu’en
septembre. Nous n’avions pas de représentant roumain. Mais nous avons continué comme
cela, avec toutes sortes de discussions. Qu’est ce qu’on peut faire, comment faire…
- Pour ?

269
- Pour… socialiser. Et on avait l’idée qu’il fallait faire quelque chose, que nous devions
solidifier un groupe, une association. Qu’il y avait une minorité opprimée et qu’il fallait
que nous fassions quelque chose pour que les choses bougent. Et que nous voulions aider
dans cette direction. Mais comment aider, nous, parce que nous, nous n’étions pas
roumains ou les roumains n’étaient pas homosexuels ou lesbiennes ».

C’est précisément afin de s’assurer l’ancrage nécessaire dans l’univers homosexuel


roumain que Bucharest Acceptance Groupe prend l’initiative de rassembler des gays et des
lesbiennes roumain(e)s dans une conférence qui a lieu en novembre 1995 à Sinaia, une
station de vacances dans les Carpates.
L’endroit choisi pour cette réunion, Sinaia, est une petite ville de province, un
mélange entre station de vacance et village de montagne ; très fréquenté pendant les week-
ends, surtout en été par les montagnards et en hiver par les skieurs, l’endroit est assez
tranquille et isolé pendant la saison creuse. Les deux jours de novembre choisis pour
rassembler le collectif gay représentent donc un créneau propice, en raison justement du
manque d’affluence. L’événement reste donc à l’abri des regards indiscrets de la presse ou
des autorités locales, ce que les organisateurs avaient souhaité, afin que les participants ne
se sentent pas en danger, exposés. Il s’agit d’une réunion508 à portes fermées, qui se passe
dans la plus grande partie entre les quatre murs, à l’intérieur d’un hôtel509.
L’organisation de cet événement n’a pas comporté de publicité et elle a été possible
grâce au soutien financier de l’ambassade des Pays-Bas. En ce qui concerne la
participation, rassembler des hommes gays et des femmes lesbiennes semblait dans un
premier temps de l’ordre de l’impossible : « [les organisateurs] avaient même peur de se
retrouver à Sinaia seuls, entre eux », affirme l’un des participants que nous avons
interviewé. Dans un contexte où la loi criminalise explicitement les relations
homosexuelles, où, comme les témoins s’accordent à affirmer, il n’existe pas une
« communauté » homosexuelle, la conférence aboutit toutefois à rassembler environs
soixante personnes. Le nombre exact des participants n’est pas une question tout à fait

508
Les informations sur cet événement proviennent principalement du rapport rédigé par Yves Nya
Ngatchou, Jennifer Tanaka et Guido Spaanbroek ; des entretiens ultérieurs les ont confirmées. Voir
l’Annexe IV pour des images de la conférence.
509
Il y avait environ 45 chambres ainsi qu’un appartement qui servait de salle de conférences
pendant la journée de travail.

270
claire puisqu’il varie selon les témoins : Vera Cîmpeanu se souvient de 68510 ; à leur tour,
d’autres participants ne s’éloignent pas trop de ce chiffre: Dennis van der Veur atteste
« environ 60 »511, David St. Vincent estime « plus de 50 personnes »512. Tom Gallagher,
dans un article paru peu après, apprécie également « plus de 50 personnes » 513. Le nombre
signalé dans le premier rapport d’activité d’ACCEPT (pour la période 1995-1996) met les
choses au plus clair possible : le rapport indique « 30 hommes homosexuels » qui avaient
participé et ne précise pas le nombre d’organisateurs ou invités (des observateurs de la part
des ambassades du Royaume-Uni, de l’Allemagne, des Pays-Bas étaient présents
également). Les documents disponibles attestent d’une part que des lesbiennes ne sont pas
arrivées à la réunion. D’autres part, ils montrent aussi que les participants proviennent de
tous les coins du pays : Arad, Lugoj, Alba Iulia, Târgu Mures, Cluj, Sfâtu Gheorghe,
Brasov, Râsnov, Craiova, Târgoviste, Bucarest, Focsani, Constanta sont les destinations
marquées dans les documents de transports.
L’explication pour cette participation, qui paraît de l’ordre de la performance514,
renvoie aux réseaux d’amitié et de connaissances de Daniel Iorga. Il fait appel à son tissu
de relations personnelles et convoie ses amis à participer à la conférence de Sinaia. Les
nouvelles de l’événement circulent à travers des canaux informels et clandestins de
communication. Selon les témoignages de nos interlocuteurs, confirmés par les propos de
Daniel Iorga, plus de 75% des participants dans la conférence ont ont pris connaissance de
l’événement et ont pu y participer grâce à l’intervention de Daniel Iorga. Soulignons alors
le rôle de Daniel Iorga dans la cohésion initiale autour du noyau BAG : nous avons
effectivement identifié en sa personne le premier militant homosexuel roumain. C’est lui
qui réussit à établir le lien capital entre les porteurs de l’initiative et ceux directement
concernés par ladite initiative, c’est également lui qui fit possible la prise de contact se
trouvant à la base de la future association ACCEPT. La réunion de Sinaia devient alors
l’acte de naissance de cette association. Notons alors les lignes principales qui ont structuré
les deux journées.
510
Entretien avec Vera Cimpeanu réalisé le 4 mai 2004.
511
Entretien réalisé le 28 mars 2003 ; il confirme le chiffre dans une interview réalisée par Emilia
Stere, cf. Bulletin Accept, N° 1-2, Septembre/Octobre 2000.
512
Entretien avec David St. Vincent de 15 août 2009.
513
Tom GALLAGHER, « Looking for Acceptance », Gay Community News, Dublin, février 1996.
514
« C’est un nombre très élevé. Immense même. Etant donné le moment, étant donné le sujet,
étant donnée la situation à l’époque, étant donnés les risques que tout le mode qui a participé
affrontait… On s’attendait qu’ils nous jettent des pierres dessous ! », affirme l’un des
organisateurs.

271
Les représentants d’APADOR-CH et du Bucharest Acceptance Group - qui
commence à s’identifier dès lors comme ACCEPT - et des hommes homosexuels en
provenance de plusieurs villes de Roumanie passent deux journées à échanger au sujet de
l’homosexualité. Selon le rapport rédigé par Yves Nya Ngatchou, Jennifer Tanaka et Guido
Spaanbroek, les activités du premier jour ont été organisées de manière plus formelle
autour de quatre thématiques qui ont donné l’occasion à quatre tables rondes sur les thèmes
suivants :
- le sida et la transmission du HIV font la matière de la première, mise en
place par Galina Musat, représentant de l’association roumaine ARAS
(l’Association roumaine anti sida);
- la deuxième est conduite par le vice président de l’association APADOR-
CH, Ion Iacos, et la discussion tourne autour de la législation interne et
internationale concernant les relations homosexuelles et les droits de l’Homme ;
- la troisième se concentre sur des questions d’identité et la perception des
personnes lgbt sur leurs propres comportements et les relations avec les autres, la
discussion étant modérée par Scott Long ;
- enfin, la quatrième est destinée au climat social en Roumanie et aux
attitudes envers l’homosexualité, avec la participation de deux modérateurs : Catalin
Stoica, sociologue (voir Chapitre 2) et Dennis van der Veur, citoyen hollandais,
militant pour les droits des homosexuels auprès de l’organisation International Gay
and Lebian Youth Organisation (IGLYO, association internationale établie en 1986,
dont N.V.I.H. COC Nederland est membre fondateur515), à l’époque étudiant en
sciences politiques dans une université berlinoise.
Le deuxième jour est destiné aux échanges plus informels autour de la possibilité
d’intervenir dans la société roumaine, de la recherche des moyens pour abroger l’article
200 du Code pénal, autour des modalités de vivre son homosexualité dans un contexte
oppressif et dangereux. Bref, la deuxième partie de cette rencontre visait explicitement la
recherche des stratégies de mise en place d’une association destinée à protéger les
personnes lgbt en Roumanie, au niveau national. Si l’intention du premier séminaire était

515
Elle a pour objet de « mettre un frein aux discriminations que subissent les jeunes lesbiennes,
gais et bisexuels à travers le monde, d'aider à l'émancipation des jeunes lesbiennes, gais et
bisexuels à travers le monde et d'entreprendre tout type d'actions directement ou indirectement liées
à la discrimination sexuelle et tout ceci dans le plus large sens des termes ».

272
de lancer le dialogue, d’attirer l’attention des hommes politiques, cette fois-ci l’événement
se voulait une occasion d’identifier les problèmes sociaux des minorités sexuelles et
surtout des modalités pour les aborder.

Usage précautionneux du terme « communauté »516

Parler de « communauté homosexuelle » en Roumanie réclame quelques précisions.


Dans son sens le plus élémentaire, « la communauté suppose sous une forme directe ou
indirecte une participation minimale aux affaires communes »517 ; la notion est par ailleurs
utilisée de manière très étendue et elle fait l’objet de nombreuses confusions. La notion
plus spécifique de « communauté homosexuelle » réclame tout aussi bien toute une série
de clarifications, puisque ni dans le champ scientifique, ni dans l’espace militant518 il ne
s’agit pas d’un accord ou d’une vision unitaire et la question de sa pertinence suscite de
vifs débats. Du côté des militants, le caractère ambivalent de cette notion se place
indéfiniment entre réalité et projection, à certaines occasions, la « communauté

516
Voir pour une analyse minutieuse de cette notion Cherry SCHRECKER, La Communauté :
Histoire d’un concept dans la sociologie anglo-saxone, Paris, l’Harmattan, 2006 ; il ne s’agit pour
cette section que de quelques mises en garde quant à ce concept, puisque l’étendue des
problématiques qu’il soulève dépasse le cadre de notre intérêt. En effet, Samuel Lézé par exemple,
à la lecture de l’ouvrage cité précédement, recommande une attitude tranchante : « Abandonnons
donc ce concept, sans remords », puisque « [u]n édifice théorique exige en effet de solides
refondations et non, comme le montrent certaines tentatives de sauvetage, un simple ravalement de
façade ». Samuel LEZE, « Cherry Schrecker, La Communauté. Histoire critique d’un concept dans
la sociologie anglo-saxonne », L’Homme, 187-188 | 2008, mis en ligne le 16 décembre 2008.
URL http://lhomme.revues.org/index20612.html, consulté le 14 octobre 2009. Pour d’autres
ouvrages qui ne font pas l’économie de cette notion pour parler des questions lgbt, voir par
exemple l’espace canadien : Irène DMCZUK, Frank W. REMIGGI, Sortir de l’ombre. Histoire des
communautés lesbienne et gaie de Montréal, Edition VLB, 1998 ; Ross HIGGINS, De la
clandestinité à l’affirmation. Pour une histoire de la communauté gaie montréalaise, Editions
Comeau & Nadeau, 1999 ; Arnold FLEISCHMANN, « Communauté homosexuelle et pouvoir
urbain à Atlanta : vers une redéfinition du régime urbain ? », in Bernard JOUVE, Alain GAGNON,
Les métropoles au défi de la diversité culturelle, Presse Universitaires de Grenoble, 2006, pp. 223-
238.
517
Raymond BOUDON, François BOURRICAUD, Dictionnaire critique de la sociologie, PUF,
Paris, 1996, p. 85.
518
Voir à titre d’exemple l’enquête menée par le groupe indépendant Ipsos en France, en 2007 : « à
l’occasion du lancement de la nouvelle formule, le magazine TÊTU a souhaité interroger ses
lecteurs sur l’homosexualité et sa place dans la société. Le constat est rude : […] les lecteurs de
Têtu demeurent néanmoins assez partagés sur l’existence de cette ‘communauté homosexuelle’:
54% y croient mais ils sont 45% à juger qu’elle n’existe pas vraiment », cf. Christelle CARPLET,
Etienne MERCIER, La communauté homosexuelle se construit sur la souffrance des
discriminations mais son existence fait débat, article en ligne sur le site
http://www.ipsos.fr/CanalIpsos/articles/2221.asp, consulté le 8 mai 2009.

273
homosexuelle » étant invoquée comme si il s’agissait d’un groupe déjà constitué, alors
qu’à d’autres occasion la « communauté » apparaît comme un objectif à atteindre : elle
n’existe pas et les efforts collectifs visent précisément son émergence et son renforcement.
Du côté des scientifiques, les choses ne sont pas plus simples ; devant le constat de
l’hétérogénéité des expériences homosexuelles, à savoir les variations selon l’espace, les
cultures, les milieux d’origine, les catégories sociales etc., la question se pose si un
discours sur la « communauté » a vraiment un objet réel. Certaines personnes lgbt sont
membres des associations homosexuelles, d’autres pas, à leur tour les associations
homosexuelles ne prétendent pas représenter tous les gays et toutes les lesbiennes.

Pour reprendre une synthèse assez éloquente, « [l]a communauté homosexuelle


existe, c’est un fait. Elle se fonde principalement sur des lieux de rassemblement, zones
géographiques particulièrement investies par les homosexue(le)s, telles Castro Street à
San Francisco ou le Marais à Paris, et sur le partage d’une identité et d’intérêt communs
(c’est nous qui soulignons). […] La communauté rassemble des individus, hommes et
femmes, dont les conditions sociales, les aptitudes, les origines, les croyances religieuses
et les opinions politiques sont extrêmement variées. Leur point commun ? Considérer leur
orientation sexuelle comme fondamentale dans leur identité personnelle, avec les
conséquences sociales que ce positionnement implique (l’emphase nous appartient de
nouveau). Et par delà des frontières, elle consiste surtout en un sentiment de solidarité et
d’identification mutuelle entre ses membres »519. Nous notons dans cet ordre un autre
concept clé qui nécessite plus d’attention, celui d’« identité ».

Au début des années 1990, les marques de l’appartenance à une éventuelle


communauté homosexuelle restent difficiles à surprendre dans le contexte roumain : il n’y
a de figures emblématiques ni dans l’actualité, ni dans le passé lointain, nous ne trouverons
pas de groupes organisés, pas de titres de presse spécialisée ; quant aux lieux de rencontre,
ils sont limités aux espaces traditionnellement voués à l’anonymat, comme les parcs, les
gares, les urinoirs.
Néanmoins, nombre de personnes - des hommes homosexuels dans le cas de cette
réunion de Sinaia - n’hésitent pas à participer à une réunion dont l’homosexualité et la
seule raison d’être, un événement qui met au centre exactement un aspect de leur sexualité

519
Stéphanie ARC, Les lesbiennes, Paris, Editions Le Cavalier Bleu, 2006.

274
que, pendant des années auparavant, ils avaient dû mettre du côté, réprimer, anéantir. Ils
sont animés par le désir d’être ensemble, parmi des pairs, d’entrer en relation avec des
confrères, socialiser dans un espace où ils se permettent d’être ouvertement gays ; cet
objectif de partager avec des personnes semblables ressort très clairement. Il s’ajoute
néanmoins l’idée de trouver les moyens d’agir « for a more gay Romania » - quelque uns
des participants se disent prêts à s’impliquer dans une structure plus formelle, plus
hiérarchique, avec l’objectif d’agir pour leurs droits.
Afin d’examiner l’émergence d’une action sociale autour de l’homosexualité il
convient d’affiner notre propos relatif à la construction des « identités sexuelles ».

Ouvrir la boîte noire de l’« identité »

A la fin du premier chapitre, après avoir examiné les directions d’analyse dans les
recherches sur les questions homosexuelles, nous avons retracé le questionnement
principal et nous avons écarté les questions identitaires de notre centre d’intérêt ; ce détour
par l’identité ne contredit pas l’encadrement initial, car nous ne mettons pas au centre de
cette analyse la variable ‘identité’ et nous ne nous donnons pas pour objectif de tenter de
comprendre les processus à travers lesquels se sont formées les identités lgbt dans le
contexte roumain. Néanmoins, nous considérons que la participation des personnes gaies et
lesbiennes dans les actions sociales revendicatives autour de l’homosexualité renvoie dans
une certaine mesure aux questions identitaires. Dans cet ordre d’idées, nous devons
prendre en compte les implications des préférences sexuelles comme composantes
identitaires. Par conséquent, sans faire de cet aspect le point central de cette démarche, afin
de mieux surprendre l’émergence de l’action sociale autour de l’homosexualité, il convient
d’affiner notre propos relatif à la construction des identités sexuelles.

En abordant « l’identité », nous nous retrouvons de nouveau face à un concept qui


nous confronte à l’illusion d’une transparence certaine, pour se révéler, lors d’un regard
plus attentif, d’une difficulté incontournable : il s’agit d’un terme qui combine deux
dimensions, qui s’inscrit à la fois dans les catégories de la pratique et dans les catégories
scientifiques. Il est utilisé comme instrument d’analyse, mais également comme arme pour
la lutte politique :

275
«Identité est un mot-clé dans le langage vernaculaire de la politique contemporaine
et l’analyse sociale doit en tenir compte » 520
L’identité constitue un élément étroitement lié aux revendications homosexuelles ;
déjà saisie par la notion de « croyance généralise » avancée par les théories de l’action
collective pour expliquer le passage à l’action, cette notion prend un nouvel essor avec les
analyses des nouveaux mouvements sociaux521.
L’identité trouve sa référence à la fois dans la subjectivité et dans l’environnement ;
elle constitue un principe fondamental de structuration personnelle, du développement de
soi, mais en même temps l’articulation même de l’identité se fait à travers les échanges
avec l’extérieur, par des adaptations successives de l’individu à la collectivité. Ainsi,
l’identité apparaît comme le résultat de la négociation continuelle entre les références
assignées par les autres et les références que la personne s’approprie, les termes dans
lesquels l’individu entend se présenter au monde autour de lui. C’est pourquoi l’action
protestataire constitue de manière générale un terrain propice au travail identitaire522.
En ce qui concerne le mouvement gay et lesbien, comme nous avons vu dans le
premier chapitre de cette analyse, cette notion prend une place éminente, même si par après
les théories queer ont fait tomber dans le discrédit l’idée d’une identité spécifiquement
homosexuelle : les allers retours entre identité collective et identité individuelle se trouvent
à la base du mouvement homosexuel. Il a été accompagné par l’élaboration d’un discours

520
Rogers BRUBAKER, « Au-delà de l’identité », in Actes de la recherche en sciences sociales,
N° 139, 2001, pp. 66-85.
521
« Trois chapitres successifs permettrons de suivre la progression vers cette problématique
globale [la construction identitaire] : l’analyse du militantisme, celle du rôle des idéologies, de la
prise en compte du système politiques enfin » affirme Eric NEVEU, op. cit. p. 75 ; pour ces
problématiques voir Michael VOEGTLI, « Identité collective » in Olivier FILLIEULE, Lilian
MATHIEU, Cécile PECHU (sous la dir. de), Dictionnaire des mouvements… op. cit. pp. 292-299 ;
Jean L. COHEN, « Strategy or Identity : New Theoretical Paradigms and Contemporary Social
Movements », in Social Research, Vol. 52, N° 4, 1985, pp. 663-716; Doug McADAM, R
PAULSEN, « Specifying the Relationship Between Social Ties and Activism », in American
Journal of Sociology, Vol. 99, N° 3, p. 640-667; William GAMSON, André MODILIAGNI,
« Media Discourse and Public Opinion on Nuclear Power: A Constructionist Approach », in
American Journal of Sociology, Vol. 95, N° 1, 1989, pp. 1-37; Herbert P. KITSCHELT, « Political
Opportunity Structures and Political Protest: Anti-Nuclear Movements in Four Democracies », in
British Journal of Political Science, Vol. 16, N° 1, 1986, pp. 57-85.
522
« Les mouvements sociaux sont aussi des moments privilégiés de construction, de maintenance
des identités. […] Le militantisme constitue aussi une forme d’institution de réassurance
permanente d’une identité valorisante car liée à une cause vécue comme transcendant la biographie
individuelle », Eric NEVEU, op. cit. p. 81. Mary BERNSTEIN, « Celebration and Suppression ;
The Strategic Use of Identity by Lesbian and Gay Movement », in American Journal of Sociology,
Vol. 103, N° 3, 1997, pp. 531-565; Christophe BROQUA, Agir pour ne pas mourir. Act-up, les
homosexuals et le sida, Paris, Presses de Science Po, 2005.

276
sur la culture et l’identité homosexuelle et le développement de ce discours a contribué à
l’articulation de cette identité dans des termes positifs. Dans les termes de Jan Willem
Duyvendak, « la préférence sexuelle pour le même sexe constitue un facteur qui encourage
les individus à se mobiliser et à s’organiser collectivement au point d’aboutir par l’action
à la formation d’une auto-identité positive des gais et des lesbiennes »523.

Dans cette logique, dans un premier temps, il nous est apparu qu’il ne fallait pas
chercher trop loin pour comprendre la faible mobilisation autour des revendications
homosexuelles en Roumanie : une hypothèse d’un abord facile associerait l’absence
d’investissement dans la cause au poids négatif de l’identité homosexuelle ; celui-ci agit
alors comme l’anesthésique de la mobilisation. Nous pourrions argumenter, suivant Scott
Long524 par exemple, que l’identité homosexuelle dans le contexte roumain s’articule
particulièrement difficilement, à cause d’un héritage inexistant, du manque de références, à
cause du tabou persistent concernant la sexualité en général et notamment l’homosexualité,
de l’absence d’informations neutres ou même positives, faute d’une subculture à même de
la soutenir. C’est d’ailleurs un type d’argumentation qui a été longtemps la source des
analyses sociologiques sur la non-mobilisation des chômeurs en France, qui voyaient dans
le statut même du sans-emploi l’explication de son absence d’engagement525. Mais il ne
serait pas se contenter d’une explication simpliste et dépassée, qui ne sert pas à
comprendre plutôt ce qui était déjà connu? Qui plus est, l’émergence d’un mouvement des
chômeurs en 1997, ainsi que d’autre types de mobilisations autour d’« identités »
considérées comme contradictoires avec l’idée d’engagement, puisque dévalorisantes,
comme celle des prostituées, des mal-logés, des sans-papiers, a apporté la nécessité de

523
Jan Willem DUYVENDAK, Le poids du politique. Nouveaux mouvements sociaux en France,
L’Harmattan, Paris, 1994, p. 263.
524
Après avoir observé la scène homosexuelle roumaine et travaillé en Roumanie pendant
plusieurs années, l’auteur affirme dans un article sur les mouvements gays et lesbiens en Europe de
l’est que : « In Romania, the definition of ‘sexual minorities’ […] is riddled with logical lacunae. It
presents the spectacle of a minority with no historical consciousness, institutions, or extensive
spectrum of shared behaviors, claiming, in effect, the right to create all those from a vacuum – to
create itself », Scott LONG, « Gay and Lesbian Movements in Eastern Europe. Romania,
Hungary, and the Czech Republic », in Barry ADAM et alii, op. cit. p. 245.
525
« L’une des causes de la non mobilisation des chômeurs réside dans la difficulté à prendre
appui sur une identité peu valorisante et une expérience déstructurante pour en faire un support
d’action », affirme Eric NEVEU, op. cit. p. 82.

277
réviser ces théories526 et nous montre combien un tel type d’approche était peu satisfaisant
pour notre intérêt de recherche et nous éloignait de nos objectifs.
En regardant de plus près la réunion de Siania en novembre 1995, nous pouvons
remarquer l’articulation de cet événement autour de ces deux éléments conjointement, à
savoir le subjectif et le collectif y sont également présents. D’une part le désir, la
composante personnelle qui motive et soutient la participation collective, de l’autre côté
l’intérêt, la composante environnementale qui donne l’occasion à la subjectivité de
s’exprimer et de s’accomplir.
Les conclusions de la rencontre soulignent d’ailleurs les éléments que nous venons
d’évoquer: « the people were thankful for ‘getting their dignity back’, as one of the
participants said. » Cette remarque met en lumière les effets de la collectivité, qui rend
positive l’expérience individuelle ; cette participation est possible en vertu de l’assignation
personnelle préalable de l’appartenance à une identité gaie – comme nous avons souligné
ci-dessus, la seule raison d’y participer, c’est l’orientation sexuelle. Il s’agit donc d’une
relation à double sens, dans laquelle la participation au collectif offre à l’individu la
possibilité de revendiquer de l’appartenance et, en même temps, cette participation au
collectif se base sur le sentiment subjectif d’une unité individuelle et personnelle527.
Qui plus est, en final de rapport seront également formulés les objectifs que le groupe
se donne pour l’étape suivante, à savoir la direction de la mobilisation ultérieure: […] by
standing side by side, the Romanian gays and lesbians will bring about changes to the way
they are perceived and treated in their own society ». Il est envisagé de créer une
organisation nationale, avec des centres de contact dans les plus grandes villes de

526
Voir Sophie MAURER et Emmanuel PIERRU, « Le mouvement des chômeurs de l’hiver 1997-
1998 : retour sur un ‘miracle social’ », in Revue française de science politiques, Vol. 51, N° 3,
2001, pp. 371-407 ; Lilian MATHIEU, « Une mobilisation improbable : l’occupation de l’église
Sain-Nizier par les prostituées lyonnaises », in Revue française de sociologie, Vol. 40, N°3, 1999,
pp. 475-499 ; Lilian MATHIEU, Mobilisations des prostituées, Paris, Belin, 2001, Cécile PECHU,
« Quand les ‘exclus’ passent à l’action : la mobilisation des mal-logés », in Politix, N° 34, 1996,
pp. 114-133 ; Johanna SIMEANT, La Cause des sans-papiers, Paris, Presses de Sciences Po, 1998.
527
La question du coming out, qui pose très explicitement le problème de la négociation entre la
dimension individuelle et biographique et la dimension collective et historique de l’identité ne sera
pas abordée à cette occasion. Le coming out fait référence au double processus d’acceptation de
l’identité homosexuelle et d’affirmation de l’homosexualité vers l’extérieur, processus non
seulement d’apprentissage et acceptation individuelle de l’homosexualité, mais de recherche d’un
style de vie, d’intégration dans la collectivité. Voir à propos du coming out : Eve KOSOFSKY
SEDGWICK, Epistemology of the Closet, Berkeley, University of California Press, 1990; Eric
FASSIN, « ‘Out’, la métaphore paradoxale », in Louis-Georges TIN, Geneviève PASTRE,
Homosexualités. Expression / repression, Paris, Stock, 2000.

278
Roumanie, où des volontaires avaient déjà exprimé leurs intentions d’occuper la fonction
de représentants528 : « the momentum created at the seminar will contribute to ACCEPT’s
aim of becoming a nation-wide organization, capable of reaching out to more isolated
gays ».
Comment expliquer la participation à cette réunion insolite ? Le pouvoir explicatif du
concept d’« identité » nous semble insuffisant. C’est une proposition de recherche
formulée par Martina Avanza et Gilles Laferté529, qui nous permet d’ouvrir la boîte noire
de l’ « identité » :
Pour expliquer les composantes de ce terme, les deux auteurs retiennent trois
concepts qu’ils estiment en état de « sérier les indéterminations du mot », à savoir
l’« identification », l’« image sociale » et l’« appartenance ». Ils prennent comme point de
départ l’analyse de Roger Brubaker530, qui avait déjà proposé de traduire le concept
« identité » par une série de trois catégories terminologiques, à savoir : « identification et
catégorisation »; « autocompréhension et localisation sociale »; « communalité, connexité,
groupalité » (ces groupes étant ensuite eux-mêmes subdivisés). Avanza et Laferté
considèrent ces catégories beaucoup trop difficiles à employer, surtout dans l’espace
francophone, puisque la multiplication de ce lexique n’a pas un correspondant simple et
positionné dans ce contexte scientifique. Ils décomposent alors « l’identité » dans ces trois
autres termes qui, d’après eux, ont une plus grande utilité heuristique. Voyons d’abord
comment se déclinent ces termes avant d’essayer de les faire fonctionner pour
l’interprétation de notre cas pour la réunion de Sinaia.
Les deux auteurs comprennent l’ « identification » comme une attribution
catégorielle, l’ « image sociale » comme une production discursive et l’ « appartenance »
comme une autodéfinition de soi. Qu’est ce que cela veut dire plus clairement ?
L’« identification » et l’ « image sociale » décrivent des actions qui visent à
homogénéiser les groupes et les territoires. Les populations sont « identifiées »,
catégorisées selon les critères professionnels, ou bien selon des catégories administratives
ou policières. Les papiers d’identité, les fichiers informatiques, les statistiques, les
recensements sont le résultat de tels processus d’identification. Avanza et Laferté
considèrent que « l’identification pourrait qualifier toute action sociale où l’attribution

528
Voir Anexxe III.
529
Martina AVANZA, Gilles LAFERTE, « Dépasser la ‘construction des identités’ ?
Identification, image sociale, appartenance », Genèses, N° 61, 2005, pp. 134-152.
530
Rogers BRUBAKER, «Au-delà de l’identité», art. cit..

279
identitaire est extérieure, s’exerçant sur un individu, dans le cadre d’une institution sociale,
selon une technique codifiée ». L’image sociale, d’autre part, recouvre un processus
distinct de celui d’identification, puisque les images ne sont pas des catégorisations
bureaucratiques ou techniques, mais plutôt les stéréotypes, « l’agrégation de discours et de
représentations inscrits dans les registres d’entendement d’une époque ».
L’appartenance n’est donc pas une attribution externe à l’individu, mais elle
correspond à l’autoidentification personnelle : il s’agit « d’une autodéfinition de soi ou
encore d’un travail d’appropriation des identifications et images diffusées au sein
d’institutions sociales auxquelles l’individu participe » L’appartenance tient de la
participation personnelle à la scène collective, au groupe, qu’il soit familial, politique,
amical. Si les deux premières dimensions sont homogénéisantes, regroupant les individus
autour d’un trait prédominant, cette dernière dimension est à la fois « produite et
productrice des socialisations multiples des individus », puisque les identifiés ou les
représentés peuvent s’approprier, refuser, accepter ou nier des identifications et ces images.
L’intérêt de ce fractionnement sur trois dimensions du terme « identité » réside de
notre point de vue premièrement dans la dimension conflictuelle que l’articulation de ces
trois concepts met en lumière : l’identité serait dans cette logique le résultat d’un long
processus de construction, d’invention, de rejet ou d’imposition d’attributs (les
identifications, les représentations), auquel participent à la fois les individus et les
institutions politiques et sociales de la société dans laquelle ils vivent. C’est le deuxième
point qui suscite également notre intérêt : cette approche nous permet de tenir compte du
poids des institutions politiques et sociales, des groupes qui entrent en interaction. Il est
possible désormais d’examiner les interdépendances complexes entre les différents groupes
sociaux qui, à travers leurs coalitions et leurs affrontements, participent à la production des
référentiels que les acteurs peuvent renégocier lors des processus de leur
autoidentification : « Ouvrir le concept d’identité en trois, offre l’extrême avantage de
démultiplier les institutions sociales en interaction dans cette fabrique des identifications,
images et appartenances, déshomogénéisant d’autant plus des phénomènes trop souvent
perçus comme monolithiques ». C’est exactement dans cet esprit de refus des explications
monolithiques que notre démarche se place.

280
L’analyse de Martina Avanza et Gilles Laferté nous a offert également de façon très
explicite la clé d’entrée dans cette problématique, à travers leur courte mise en perspective
des recherches de George Chauncey531 que nous allons reprendre ici entièrement :
« [E]n se référant au travail de George Chauncey, on pourrait décrire la réponse
des homosexuels à l’identification répressive des autorités par une absence complète de
production d’image publique les amenant à vivre leur appartenance homosexuelle dans ce
que l’on nommera rétrospectivement le « placard ». Il s’agit d’un réseau de bars, de
promenades, d’amitiés propres à une scène sociale coupée des autres, dans le cadre plus
général d’une économie des sentiments qui, dans les États-Unis des années 1950, séparait
nettement les sphères publique et privée. La modification de la conscience de soi propre à
la génération des années 1960 autour d’une injonction à être « soi-même », à être
« authentique », impose à la nouvelle génération de joindre ses multiappartenances,
d’unifier ses autoaffirmations de soi, auparavant très différenciées selon les scènes
sociales, autour d’une appartenance majeure, ici l’homosexualité. Cette modification
intime des formes acceptables d’appartenance pour soi, conduit cette jeune génération à
se donner les moyens d’être socialement cohérente en produisant alors une image publique
de l’homosexualité, pour pouvoir se montrer soi-même sur l’ensemble de ses scènes
sociales, pour renverser l’identification négative de la période précédente. Cette image
publique viendra directement s’affronter aux modes d’appartenance de la génération
précédente d’homosexuels sommés de se présenter prioritairement comme
homosexuels »532.

La première phase du processus retranscrit par les deux auteurs dans les termes d’
« identification », « image » et « appartenance » correspond en grande mesure à la manière
dont nous pouvons décrire l’atmosphère dans la société roumaine à la sortie du
communisme : l’identification répressive des homosexuels par les autorités communistes
se traduit par l’absence complète d’image publique, ce qui empêche l’appartenance à un
groupe social et le déplacement vers une scène sociale isolée. Durant les premières années
après le chute du régime de Ceausescu, l’image sociale commence à s’articuler, mais de
manière négative, ce qui contribue à la prolongation du « placard ».

531
George CHAUNCEY, Gay New York. The Making of the Gay Male World, 1980-1940,
Londres, Harpers Collins Publishers, 1995, première edition Gender, Urban Culture, and the
Making of the Gay Male World, 1890-194, New York, Basic Books, 1994.
532
Martina AVANZA et Gilles LAFERTE, art. cit., p. 148.

281
Dans le cas roumain, surtout à partir de 1993, lorsque les premières discussions
publiques au sujet de l’homosexualité ont lieu, mais surtout tout au long de l’année 1995,
l’image sociale des homosexuels supporte des modifications même si les identifications
politiques, administratives restent négatives: les représentations ne sont plus entièrement
négatives, des représentations attachant l’orientation sexuelle et les droits humains
commencent à se faire entendre. Qui plus est, le groupe ACCEPT / Bucharest Acceptance
Group se fait le porteur de cette image sociale de l’homosexualité comme une question de
liberté individuelle et un droit humain. La modification de la conscience de soi devient
donc possible à travers cette contrepartie qu’ACCEPT rend disponible : ce groupe
composé par une majorité d’expatriés, dont l’identification et la représentation de
l’homosexualité étaient positives, met en place lors de la réunion de Sinaia une scène
sociale sur laquelle l’appartenance individuelle était pour la première fois envisagée et
envisageable comme positive. Lors de cette rencontre, les hommes homosexuels ayant
participé sortent du placard, d’abord dans un cadre limité, mais qui les permet de renverser
l’identification négative dominante pendant la période précédente. L’appartenance est
renforcée par une identification et une représentation positives.
A l’issue de cette réunion, nous assistons à la mise en place d’un groupe plus
formalisé qui se chargera de la cause homosexuelles : il s’agit de l’ancien comité
Bucharest Acceptance Group, encouragé et soutenu par APADOR-CH, bénéficiant de la
collaboration de Scott Long et consolidé grâce à l’engagement progressif de quelques
nouveaux adhérents roumains. Le groupe ACCEPT existe dès lors de manière organisée et
se lance dans l’offensive contre l’article 200. La mobilisation homosexuelle roumaine voit
le jour.

B. L’institutionnalisation de l’association ACCEPT

Actions d’alerte – les premiers pas du militantisme

Tout au long de l’année 1996, la collaboration continue afin de trouver les moyens
d’existence et d’organiser différentes actions pour attirer l’attention au sujet de
l’homosexualité en Roumanie. L’une des idées à la fin du séminaire de Sinaia était de
mettre en place une publication, un bulletin lgbt destiné à faire connaître des événements

282
déjà entrepris et à diffuser de façon plus structurée l’information et les initiatives
d’ACCEPT. Le planning prévoit l’édition d’un bulletin lgbt pour le 1er janvier 1996, ce
qui n’arrive pas à se réaliser. S’il ne nous a pas été possible de retrouver les premiers
numéros de ce bulletin nous avons quand même pu en consulter le troisième, qui date du
mois de novembre de l’année d’après. En revanche, l’autre idée avancée lors des
conclusions du séminaire de Sinaia, à savoir la mise sur pieds d’un « centre lgbt » à
Bucarest, sera quant à elle une réussite. Bénéficiant, d’une part, du concours d’APADOR-
CH (qui avait ouvert ses portes pour les accueillir et avait mis à leur disposition
l’infrastructure nécessaire – ordinateurs, accès internet, lignes téléphoniques,
photocopieuses, télécopieurs et imprimantes), et, d’autre part, de la collaboration d’acteurs
internationaux connus (ILGA, IGLHRC, Amnesty International), les membres d’ACCEPT
lancent plusieurs campagnes internationales pour attirer l’attention au sujet de
l’homosexualité en Roumanie. L’une de premières à être lancée date du 1 avril 1996.
Juste après la dernière discussion au Sénat au sujet de l’article 200, en mars 1996, en
réponse au rejet par cette assemblée d’opérer un changement sur l’article de loi, ACCEPT
lance sa première action d’alerte. Il s’agit d’une lettre largement diffusée auprès de
partenaires déjà connus depuis la campagne de 1994, tels que Amnesty International,
ILGA, Human Rights Watch, IGLHRC, qui la diffusent largement à l’échelle
internationale. L’appel comprend un texte qui résume les activités d’ACCEPT (à savoir le
séminaire organisé en mai à Bucarest et celui du mois de novembre à Sinaia), ainsi qu’un
argumentaire sur la nécessité de modifier l’article 200, accompagné de l’avis d’Amnesty
International sur la question. Une liste de trente neuf adresses de membres du Parlement
roumain, ainsi que de diverses personnes appartenant aux commissions juridiques, pour les
droits de l’Homme ou des affaires étrangères est indiquée afin d’envoyer des réactions.
Peu après, une autre occasion se présente : vers la fin du mois d’avril, le Premier
ministre du moment, Nicolae Vacaroiu, entreprend une visite aux Pays-Bas. Informés par
leurs partenaires de l’ambassade de la Pays-Bas, les membres d’ACCEPT se lancent dans
une nouvelle campagne destinée à alerter les autorités néerlandaises et à leur demander de
l’aide pour faire progresser leur cause. La même stratégie est mise en route deux mois plus
tard, lors de la visite du président Iliescu en Allemagne. Une lettre à Monique Frank,
l’ambassadrice de la Pays-Bas, suivie d’une lettre adressée à Leopold Bredrow,
l’ambassadeur de la République fédérale allemande à Bucarest présentent l’article 200 et
divers exemples de répression des personnes lgbt, en demandant aux diplomates

283
néerlandais et allemands d’intervenir auprès de leurs gouvernements respectifs pour mettre
le sujet de l’homosexualité à l’agenda de leurs rencontres avec les représentants roumains.
Une autre action qui apporte de nouveau au premier plan la personnalité de Scott
Long concerne la mission d’information qu’il conduit au mois de septembre 1996.
Accompagné par Bogdan Voicu, Scott Long se rend à Baia Mare et ensuite à Iasi, deux
villes au nord du pays (en Maramures et en Moldavie). Le but de ces visites était
d’enquêter sur deux cas de harcèlement de personnes homosexuelles par la police. Il s’agit
dans les deux cas d’essayer de clarifier des informations contradictoires et de confronter la
version « officielle » des faits, à savoir celle de la police, avec les témoignages des
personnes arrêtées, une opération qui s’avère compliquée. Les faits sont difficiles à établir
avec exactitude. La police prétend avoir répondu à une accusation de viol contre un
mineur, les « accusés » prétendent avoir signé des déclarations après avoir subi des
intimidations et des menaces, ce qui revient à dire qu’ils avaient été forcés d’admettre des
faits jamais accomplis. Le rapport de cette mission d’investigation met en évidence des
irrégularités dans les procédures policières, tels que le recours à la force, l’intimidation, les
perquisitions sans mandat, les confiscations d’objets personnels, etc.533.
Les détails de ces deux cas soulignent la position de Scott Long dans le paysage
militant roumain des années 1990. Membre fondateur du groupe, Scott Long n’était plus en
Roumanie au moment de la coagulation d’ACCEPT et n’était pas constamment présent
lors des réunions et discussions. Il revenait néanmoins assez souvent à Bucarest, il menait
des visites dans le pays, gardait une proche liaison avec ses amis roumains et son intérêt
pour la situation des gays et des lesbiennes le conduit à poursuivre les investigations et la
documentation. La mission que nous venons d’évoquer, à Baia Mare et Iasi, est mise en
place sous les auspices du groupe ACCEPT et l’association enregistre d’ailleurs ce
moment dans son rapport annuel. En même temps, Scott Long cultive ses relations avec les
autres partenaires : ILGA, IGLHRC, Amnesty International. Il leur envoie régulièrement
des notes et des rapports, il consolide sa réputation et son rôle auprès de ces instances. Ce
cas montre explicitement la position de Scott Long comme un acteur qui utilise à la fois la

533
A Iasi, les deux garçons arrêtés, âgés de 17 ans, avaient été retenus pour environs 20 heures, ils
avaient été soumis à des examens médicaux des organes génitaux et de l’anus pour prouver le viol,
qui d’ailleurs n’a pas été confirmé. Les gardiens du poste de police les auraient apparemment
forcés à nettoyer les toilettes à mains nues. ACCEPT, Police Abuses against Suspected
Homosexuals in Iasi and Baia Mare, draft report, les 23-28 septembre 1996.

284
scène nationale et transnationale, et comme un militant qui agit à différents niveaux, en
même temps « insider » et « outsider » de l’espace associatif roumain.

Détourner l’interdiction : l’enregistrement juridique

Parallèlement à ces activités ponctuelles orientées directement vers les instances


internationales afin d’attirer leur attention sur le cas roumain, la collaboration au sein du
petit comité lgbt ACCEPT vise également à identifier les moyens pour
l’institutionnalisation du groupe.
Même avant l’adoption de cette clause, créer une association juridiquement
enregistrée était presque impossible à cause de la Loi des associations no. 21/1924 qui
prévoyait une approbation formelle de la part du ministère compétent pour l’objet
d’activité de l’association ainsi qu’une restriction de l’objet de ses activités, qui ne
devaient pas tomber sous l’incidence des lois en vigueur. Avec la nouvelle formulation du
dernier paragraphe de l’article 200, qui affirmait clairement l’interdiction de s’associer, la
perspective paraît encore plus lointaine. Mais les préparatifs se poursuivent avec
persévérance. Déjà en décembre 1995 l’un des membres du group, Adrian Coman (qui
deviendra par la suite la figure par excellence de l’activisme lgbt en Roumanie, comme
nous allons l’expliquer au moment opportun), participe à la conférence annuelle d’ILGA,
en tant que représentant du groupe ACCEPT. Pendant les mois qui suivent, Adrian Coman
et trois autres personnes - Daniel Iorga, Bogdan Voicu et Sorin Constantinescu -
participent à des stages de formation au management des organisations, à des séminaires
internationaux au sujet des droits de l’Homme, à des cours et des conférences sur des
problématiques connexes, organisés à Bucarest, à Varsovie, à Berlin ou à Bruxelles. Lors
de la conférence annuelle d’ILGA un an plus tard, nous retrouvons de nouveau Adrian
Coman en tant que représentant roumain. Cette fois-ci il représente un groupe ACCEPT
bien plus structuré, et, qui plus est, qui fonctionnait depuis quelques mois en toute légalité,
comme les démarches juridiques et administratives avaient abouti le 25 octobre 1996.

Une stratégie simple avait été imaginée pour contourner la difficulté de


l’enregistrement juridique du groupe : ne pas faire référence explicitement aux droits des
personnes lgbt. Le produit de nombreuses discussions, délibérations, échanges et

285
consultations, la solution de l’enregistrement du groupe avait enfin été trouvée grâce à
l’appui de quelques figures marquantes de la scène de la justice roumaine et internationale,
telles que : Monica Macovei, avocate, qui avait commencé à collaborer avec APADOR-
CH, Ed Rekosh, avocat, Manuela Stefanescu… L’idée d’enregistrer le groupe ACCEPT en
tant qu’organisation luttant pour les droits de l’Homme surgit comme la voie la plus
simple.
L’association est donc possible par un détour fait à la loi, qui consistait à définir dans
son statut un objet d’activité plus large, qui inclut la défense des droits des minorités
sexuelles – les droits de l’Homme. Ensuite, les initiateurs essayent de faire passer l’idée
que l’association défend les droits de l’Homme, notamment les droits des homosexuels,
tout en n’étant pas une association de gays et lesbiennes.
Le statut de l’association, rédigé selon le modèle du statut d’APADOR-CH, la
présente comme une « organisation non gouvernementale militant pour la défense des
droits hu,ains tels qu’ils sont affirmés dans la Constitution de la Roumanie et dans les
traités internationaux ». L’organisation interne de l’association prévoit un conseil directeur
formé de cinq membres : un président, deux vice-présidents et deux membres, qui ne
peuvent pas occuper leurs fonctions respectives pendant plus de cinq ans consécutifs.
Le petit comité informel Bucharest Acceptance Group, dans un premier temps créé et
fréquenté principalement par des expatriés vivant à Bucarest, ensuite renforcé par la
participation d’un nombre de membres de l’APADOR-CH, attirant petit à petit
l’implication continuelle et plus soutenue d’autres personnes – des gays et des lesbiennes
roumains -, devient une association de défense des droits de l’Homme avec un nombre de
21 membres permanents. Leurs noms ont déjà été cités ici, lorsque nous avons présenté le
noyau original du groupe : Chris Newlands, David St. Vincent, Jennifer Tanaka, Guido
Spaanbroek, Michael Holsher, Scott Long, Bogdan Voicu. D’autres expatriés allaient se
joindre à eux : Eric Gilder, citoyen américain, Yves Nya Ngatchou, citoyen camerounais,
les collaborateurs d’APADOR-CH, Vera Cimpeanu, Mona Nicoara, Ion Iacos, Antonia
Creteanu, mais aussi Daniel Iorga ou Ingrid Baciu, qui s’étaient engagés précédemment
dans quelques tentatives sporadiques de regroupement en 1992. Parmi les Roumains,
mentionnons les noms de Adrian Coman, la figure la plus saillante de l’activisme lgbt
pendant les années suivantes, Sorin Constantinescu, George Iacobescu, Sorin Vulpe, qui
vont disparaître du paysage associatif par la suite et que nous avons échoué à retrouver.

286
Pour reprendre les mots de l’un de nos interlocuteurs, « quelques uns d’entre eux ont quitté
la Roumanie, ils se sont perdus dans la normalité occidentale »534.
C’est dans cette formule qu’ACCEPT fut enregistré comme « organisation non
gouvernementale militant pour la défense des droits de l’Homme tels qu’ils sont affirmés
dans la Constitution de la Roumanie et dans les traités internationaux ». Bénéficiant
maintenant d’un statut juridique en bonne et due forme, l’organisation va poursuivre ses
campagnes destinées à accroître la visibilité de la situation des personnes lgbt en Roumanie
et va également mettre sur pieds différents projets destinés aux gays et lesbiennes
roumains. Cela constituera plus tard son activité de « lobbying and advocacy », dont les
détails vont être examinés plus loin.

L’association ACCEPT : détails d’ordre pratique

La période ultérieure à l’enregistrement juridique de l’association connaît une


importante effervescence. Le nombre des membres augmente de vingt-et-un à cent vingt-
et-un et d’autres personnes fréquentent les locaux sans adhérer formellement. Certains
d’entre eux se portent volontaires ; les initiatives ne cessent d’émerger : des propositions
d’établir des groupes, des activités, de formuler des requêtes… Toutefois, l’association n’a
pas son propre siège et n’a pas de fonds pour assurer les frais de fonctionnement. Les
volontaires, les membres, les requêtes et les initiatives sont par conséquent difficiles à
gérer, surtout par un groupe qui n’a pas d’expérience dans le domaine du militantisme et
qui s’efforce de chercher les moyens de son fonctionnement.
Dans une première phase, le comité d’ACCEPT continue à se réunir dans les locaux
d’APADOR-CH. Une solution provisoire, qui permet de faciliter en quelque sorte la
gestion de l’activité, mais qui pose néanmoins problème puisque l’espace est restreint et ne
permet pas beaucoup en termes de socialisation en dehors des buts strictement lucratifs.
Prend contour néanmoins la première structuration du centre, qui se donne trois secteurs
d’activité : un premier axé sur l’activité de lobbying et de diffusion d’informations, le
deuxième centré sur les activités et les services sociaux et un troisième qui concerne
l’administration. Certaines figures qui avaient lancé l’ancien Bucharest Acceptance Group
ne font plus partie du groupe, leur mandat en Roumanie ayant pris fin. Ainsi, Chris

534
Lors d’un échange par courrier électronique, le 14 octobre 2009.

287
Newlands, Guido Spaanbroek, David St. Vincent quittent la scène roumaine en 1996 et ne
gardent avec elle qu’un contact à distance. Michael Holsher démarre des investigations
pour un autre projet, Population Services International, et il est moins concerné par les
activités d’ACCEPT. Scott Long à son tour n’est sur place que de manière épisodique.
Après avoir mis en route ce processus et tracé les lignes directrices de l’activité, les
entrepreneurs externes reculent, mais ils continuent toutefois à maintenir leur collaboration
et leur soutien de loin.
D’autre part, du côté autochtone, quelques figures présentes aux débuts du processus
de coagulation du groupe ne se retrouvent plus de manière constante sur place. Mona
Nicoara avait quitté la Roumanie pour poursuivre ses études aux Etats-Unis, à l’Université
Columbia. Pour des périodes plus courtes ou plus longues durant les phases initiales de la
mobilisation, les figures centrales sortent de la scène afin de poursuivre des cours ou des
stages à l’étranger, mais reviennent par après. Dans ce cadre de recomposition, il revient à
Adrian Coman et à Denis van der Veur d’agréger les tendances divergentes et de fixer les
lignes conductrices de l’activité de la jeune association.

Adrian Relu Coman : le visage du militantisme homosexuel roumain

Né en 1971, diplômé en chimie de l’Université Alexandre Ioan Cuza de Iasi en 1993,


il enseigne par après dans le secondaire à Targoviste, sa ville d’origine. En quête de plus
d’information sur la question homosexuelle et sans trouver facilement des réponses, il
adresse en 1995 une lettre à ILGA. Dans sa réponse, Peter Norman, volontaire chargé de la
correspondance avec l’étranger, lui parle de l’existence d’un groupe lgbt qui commençait à
se réunir à Bucarest, le Bucharest Acceptance Group.
Il commence alors à se rendre aux réunions hebdomadaires et fait la connaissance des
membres de ce comité. Peu de temps après, en 1996, il change de travail : il quitte sa ville
natale Targoviste pour s’intégrer à l’équipe d’APADOR-CH en tant qu’assistent de
programme et emménage dans la capitale. Il participe également à la réunion de Sinaia,
l’occasion pour lui de se lancer dans le militantisme. Vera Cîmpeanu se souvient dans des
termes très chaleureux du moment où ils avaient fait connaissance. Selon elle, Adrian
Coman non seulement fait une impression de personne très intelligente et instruite, mais il
a l’« aura d’un leader inné ».

288
Il sera donc choisi par la suite pour représenter le groupe lors des conférences
internationales d’ILGA, d’abord en décembre 1995 à Riga, et une année plus tard à
Madrid. La décision est motivée non seulement par son anglais impeccable, mais aussi par
sa personnalité, que le groupe apprécie unanimement. Plus tard, il devient coordinateur de
programmes dans le cadre de la nouvelle association ACCEPT et à partir de l’assemblée
générale de 1997 il sera son directeur exécutif. A l’époque, Adrian Coman était le seul
homosexuel roumain qui avait ouvertement parlé de son orientation sexuelle, connu en tant
que gay et également en tant que représentant de l’association ACCEPT, il était le seul à
avoir des interventions dans la presse et les autres médias. Il reste à la tête d’ACCEPT
jusqu’en 2002535, moment où il s’installe à New York, en tant que bénéficiaire d’un visa de
résidence obtenu à travers le programme « loterie des visas » (un projet qui permet à un
certain pourcentage de ressortissants des pays du monde de vivre et travailler aux Etats-
Unis). Il obtient également un diplôme d’études approfondies de l’Université Columbia et
travaille en même temps pour le Baltic American Pertnership Fund (un partenariat de
Soros Open Society Institute et de l’USAID), pour devenir en 2006 manager de
programmes à IGLHRC.
En 2009, il quitte sa position à New York pour s’installer à Bruxelles en tant
qu’assistant de Monica Macovei, devenue membre du Parlement européen, qui avait été
son ancienne collaboratrice lors de l’enregistrement juridique de l’association ACCEPT.

Dennis van der Veur : « mon travail pour ACCEPT a été plus qu’un simple emploi »536

Né en 1973, Denis van der Veur est citoyen néerlandais. Sa présence en Roumanie
date de l’organisation de la réunion de Sinaia en 1995, événement mis en place grâce à la
collaboration avec l’ambassade de la Pays-BAs et l’organisation hollandaise N.V.I.H. COC
Nederland ; il était à ce moment-là, comme nous avons indiqué, intégré dans la branche
pour la jeunesse de cette organisation (qui allait devenir l’un des membres fondateurs
d’IGLYO – International Gay and Lesbian Youth Organisation). Après avoir fini ses
études de science politique à Berlin, Dennis van der Veur dépose sa candidature auprès de
l’organisation N.V.I.H. COC Nederland, qui était en train de lancer un programme de

535
Après son départ, son rôle est repris par Florin Buhuceanu.
536
Fragment d’interview avec Dennis van der Veur réalisé par Emilia Stere, publié dans le Bulletin
Accept en 1999.

289
partenariat avec la nouvelle association ACCEPT. C’est à travers ce programme qu’il
arrive en Roumanie, où il reste pendant trois ans. Par après, il continue à travailler dans le
domaine des droits de l’Homme, il collabore avec la N.V.I.H. COC Nederland et avec
ILGA, pour occuper en 2008 la position de conseiller du commissionnaire aux droits de
l’Homme du Conseil de l’Europe.

ACCEPT Romania - N.V.I.H. COC Nederland

L’un des problèmes que la jeune association devait résoudre, c’était d’obtenir les
subventions nécessaires pour son fonctionnement. Cet aspect sera réglé via les canaux de
coopération déjà testés par le passé : le soutien de l’ambassade des Pays Bas et la
collaboration avec l’association N.V.I.H. COC Nederland, l’association néerlandaise pour
l’intégration de l’homosexualité COC. L’abréviation « COC » date de 1946, lorsque
l’organisation a été fondée, et elle correspond à la formule néerlandaise pour « Centre
Culturel et de Loisir », Cultuur en Ontspannings-Centrum. Plus tard, ce nom fut
abandonné, mais les 3 lettres subsistèrent.
Lors de la réunion de Sinaia, l’ambassade néerlandaise avait offert la somme d’argent
nécessaire à l’organisation et avait déjà pris contact avec l’association N.V.I.H. COC
Nederland, qui avait envoyé Dennis van der Veur pour y assister et organiser l’un des
panels du séminaire. Nous avons déjà noté l’initiative de cette organisation, membre de
ILGA, de considérer la situation roumaine avec plus d’attention et de soulever l’attention
des rapporteurs européens lors de leurs visites d’information en Roumanie. Cette
association connaissait déjà bien la situation roumaine depuis 1992-1993. Après la réunion
de Sinaia, la N.V.I.H. COC Nederland et ACCEPT travaillent pour la réalisation d’une
« letter of intent » qui est déposée au Ministère des Affaires étrangères néerlandais au mois
de mai 1997537 : il s’agit d’une proposition de projet inédite, à savoir un programme
d’assistance et de développement de l’association roumaine, à travers une collaboration
prévue pour une période de trois ans.
Il s’agit plus spécifiquement du Programme Matra538, instauré par le Ministère des
Affaires étrangères néerlandais et géré par les ambassades des Pays-Bas dans les pays

537
ACCEPT signe ce document le 21 avril, pour que son partenaire néerlandais le signe le 1er mai
1997.
538
http://www.minbuza.nl/en/.

290
d’accueil. Le programme soutient le « changement des Etats communistes centralisés vers
des Etats démocratiques et pluralistes qui respectent l'Etat de droit, le processus de
transformation de la société ». Il s'adresse aux pays d'Europe centrale et orientale et
soutient des activités visant les « changements de l'Etat, de ses institutions, des
organisations civiles et des relations qu'ils entretiennent » (c’est nous qui soulignons).
Egalement, la candidature pour obtenir des subventions réclame « un exposé détaillé de la
façon dont le projet renforcera la société civile ».
Après une procédure de candidature laborieuse539, le projet est accepté par le
Ministère des Affaires étrangères néerlandais et débute le 1er octobre 1997. Il s’agit d’un
projet visant principalement trois axes d’activité, à savoir le développement de
l’association ACCEPT, l’information correcte au sujet de l’homosexualité et de la situation
des homosexuels en Roumanie et la création d’une ligne téléphonique d’urgence (des
services d’accompagnement et hotline). L’objectif explicite du programme vise la
consolidation d’ ACCEPT comme organisation puissante militant pour les droits des
personnes lgbt : « ACCEPT will grow as an organisation and lay the fundation for a
visible gay and lesbian community in Romania that can educate the public about their
rights and begin the process of changing anti gay and lesbian mentalities ».
Pour mettre en place ce projet, Adrian Coman devient le coordonnateur du
programme de la part de l’association ACCEPT, tandis que Dennis van der Veur prend en
charge ce projet de la part de la N.V.I.H. COC Nederland, et il s’installe à Bucarest pour
suivre du projet sur place.
L’un des premiers résultats de ce projet fut l’acquisition de locaux pour l’association.
Après des travaux de rénovation d’un petit appartement sur Calea Victoriei au numéro
128A, l’ouverture officielle du nouveau centre eut lieu le 11 décembre 1997.
S’installer dans ses propres locaux ne paraît cependant pas résoudre la difficulté
signalée auparavant, à savoir trouver l’équilibre entre les activités administratives,
d’organisation interne, strictement bureaucratiques et nécessaires afin d’assurer le
fonctionnement de l’association, et les activités de loisir, de simples échanges informels.

539
La candidature est possible grâce au soutien de l’ambassade néerlandaise à Bucarest et surtout
de l’APADOR-CH, plus expérimenté dans les procédures de montage des demandes de
financement. La proposition devrait inclure entre autres un échéancier de mise en œuvre du projet,
un budget transparent et détaillé en monnaie locale et en guldens néerlandais, avec des estimations
des dépenses et une spécification de chaque source de revenus, ainsi que l’ensemble des
contributions émanant des organisateurs du projet et du groupe cible, de même que les curriculum
vitæ des experts et des lettres de soutien. Sources : documentation interne ACCEPT.

291
L’espace formalisé d’une jeune association qui vient d’être créée et qui se trouve à la
recherche des savoirs faire pour atteindre ses objectifs laisse peu de place aux sociabilités
informelles que nombre d’homosexuels et lesbiennes cherchent sous les auspices
d’ACCEPT. Cette tension est dans un premier temps traitée par la séparation entre les
secteurs d’activité de l’association : une deuxième branche des programmes envisagés, à
savoir « les services sociaux », est créée afin de répondre à ce problème. Des soirées
thématiques sont alors mises en place, avec des lectures sur des sujets reliés à l’univers
lgbt, ou des projections des films, etc. Daniel Iorga, figure prégnante de la scène
homosexuelle qui avait subsisté en clandestinité pendant des années auparavant et qui se
trouve au centre d’un riche tissu de relations, devient une figure importante de l’association
ACCEPT. Non seulement il occupa le poste de président, mais il continua également à
entretenir le lien avec les homosexuels intéressés par un espace de socialisation, se
chargeant d’organiser un atelier qu’il décrit en entretien comme ouvert à tous ceux
intéressés et ayant lieu de manière informelle chaque semaine à un certaine heure. Les
initiatives de ce genre ne résolvent que partiellement le problème. D’une part, ces activités
informelles ne sont pas largement accessibles au public potentiellement intéressé, la seule
manière d’apprendre les détails étant à travers des amis plus informés. Le bulletin
informatif publie le calendrier des activités, mais nous en avons déjà souligné sa
circulation confidentielle. Une des personnes que nous avons interviewées exprime
clairement cette difficulté : « si tu ne connaissais pas ACCEPT ou quelqu’un qui pouvait
t’y introduire, tu n’avais pas accès à ces publications. Ils les envoyaient par la poste, tu ne
pouvais pas les trouver autrement ». De plus, même si quelqu’un trouvait accidentellement
l’un de ces bulletins, l’adresse de l’association ne figurait pas dessous, mais seulement un
numéro de boîte postale. A titre d’exemple pour illustrer un mode de fonctionnement
différent, à Sofia, en Bulgarie, les bulletins informatifs d’une association similaire étaient
déposés dans des bars et clubs de nuit, ce qui facilite largement l’accès à l’information.
Interviewés sur le choix de ne pas rendre publique l’adresse de l’association, certains
membres ont invoqué la peur des autorités ou des personnes malveillantes qui auraient pu
attaquer le local ou les personnes qui s’y rendaient plus régulièrement. Ces précautions ont
pour résultat concret le fait que beaucoup des initiatives mises en œuvre pour faciliter la
socialisation et créer des liens restent hors de portée pour ceux potentiellement intéressés.
D’autre part, ceux qui arrivent à fréquenter les locaux de l’association ne désirent pas
nécessairement participer dans un cadre structuré, rigide, mais ils se tournent vers

292
ACCEPT qu’ils imaginent comme un « espace libre », où ils peuvent s’exprimer
spontanément, ouvertement et sans respecter des règles imposées de l’extérieur. ACCEPT
est alors envisagé par opposition au cadre social contraignant, gouverné par des normes
strictes et oppressives. Cette attitude n’est pas bien accueillie au sein de l’association, dont
les membres stables sont à la recherche de moyens et de solutions pour mettre en place des
campagnes internationales, rédiger des rapports d’activités et financiers, des appels et des
lettres officiels adressées aux hommes politiques roumains et aux diplomates européens.
Depuis les premières étapes du fonctionnement de l’association ACCEPT ce conflit entre
activité institutionnelle et activité de socialisation se profile. Il va perdurer pendant les
années suivantes) et se traduira finalement dans une formalisation plus stable de la
première branche des activités, à savoir le lobbying et la diffusion d’informations.
Les différentes stratégies de cet axe se mettent en place à des rythmes différents.
L’un des premiers à avoir été lancés visait la documentation et la diffusion d’informations
sur les différentes facettes de l’homosexualité. Dans ce but, un centre de documentation est
mis en place, avec une petite bibliothèque rassemblant des matériels informatifs, des
brochures, des livres, des rapports, des magazines et toutes sortes de publications avec une
thématique lgbt ou droits humains. La collection est constituée à travers des lignes
budgétaires spécialement prévues, mais également à l’aide de donations diverses. Une
autre branche de ce secteur se matérialise par la publication mensuelle du bulletin de
l’association, « The Accept Nwesletter ». Seulement quelques exemplaires de ce bulletin
nous sont parvenus ; les deux premiers numéros sont devenus introuvables. Les suivants540,
dont les dates de publication suggèrent une certaine régularité de parution, montrent qu’il
s’agissait d’une publication à circulation limitée, éditée simultanément en deux versions à
contenu identique, l’une en roumain et l’autre en anglais. L’hypothèse d’une circulation
limitée est également soutenue par les conditions graphiques et la mauvaise qualité des
reproductions : imprimées le plus probablement sur une imprimante de bureau, en noir et
blanc et sur papier A4, les cinq pages recto-verso qui composent le bulletin semblent avoir
été multipliées sur une photocopieuse pas très performante et sont attachées par un agrafe.
Quant au contenu, il reste plutôt pauvre, sans substance et il laisse l’impression que les
éditeurs ont dû beaucoup chercher de quoi remplir les peu nombreuses pages. A partir du
numéro 7, le format des bulletins change : il s’agit désormais d’une petite revue de vingt-

540
Le numéro 3 de novembre 1997, le numéro 4 de janvier 1998 jusqu’au numéro 9 de juillet
même année, le numéro 12 d’octobre, le numéro 22 du mois d’août 1999.

293
huit pages, imprimée sur papier de format A3 plié et relié à la façon classique. Toutefois,
ni la qualité de l’impression ni celle du contenu n’ont changé. Il s’agit surtout de
traductions, de dépêches d’agences internationales de presse, des compte-rendus des
quelques activités du centre de documentation ACCEPT, ainsi que du programme des
activités à venir, complétés par une section de plus en plus épaisse consacrée au
« lifestyle ». Cette dernière s’efforce à retrouver les signes d’une sociabilité lgbt, ce qui
explique la présence majoritaire d’articles sur le showbiz américain. Néanmoins, les
comptes-rendus des activités du centre constituent une source précieuse d’information sur
le développement des autres axes d’activité dont l’association s’était dotée. La suite de ce
programme, les activités auxquelles il donne lieu et les évolutions ultérieures feront l’objet
d’un autre chapitre de notre travail. Avant cela, il convient de faire le point sur la mise en
place de l’association ACCEPT et les premières phases de son fonctionnement.

C. Un nouvel acteur dans le paysage associatif roumain

La mise en place de l’association ACCEPT et sa manière de trouver les moyens


d’existence et de fonctionnement révèlent de nouvelles dimensions du processus
d’articulation des revendications gaies et lesbiennes en Roumanie, ce qui nous permet
d’approfondir nos observations précédentes tout en apportant davantage d’éclairages.
La cohésion sociale autour de la cause homosexuelle demeure difficile au
commencement des années 1990, et cela reste valable y compris jusqu’à la moitié de la
décennie. Les gays et les lesbiennes roumains, héritiers d’un passée caractérisé par
l’interdit et par la peur, dans un contexte perpétuant l’identification répressive et une image
sociale négative, ne font pas une priorité de la sortie du « placard ». Bien au contraire : ils
se sont retirés vers des niveaux de la société peu visibles et peu accessibles à la majorité,
développant des autoidentifications multiples pour les divers arènes sociales et groupes
d’appartenance et gardant l’appartenance sexuelle sur un niveau secret, presque
inaccessible socialement. Le Bucarest Acceptance Group, auquel participent premièrement
des expatriés vivant en Roumanie, offre la contrepartie de ce contexte social, à savoir une
arène sociale dépositaire d’une image sociale positive. Le séminaire de Sinaia constitue le
point de départ pour positiver l’appartenance homosexuelle.

294
Le résultat de la réunion de novembre 1995, la création de l’association ACCEPT,
reste un cas original de coopération transnationale : ACCEPT est mise en place avec le
soutien de grands réseaux transnationaux, sous leur attente surveillance, grâce à leur
coopération étroite. ILGA, IGLHRC et Amesty International non seulement suivent de
près les évolutions en Roumanie, mais elles participent énergiquement dans les actions
d’alerte, à la collection d’information et la rédaction des rapports. Néanmoins, l’émergence
de cet acteur local n’est pas le produit de ces réseaux. Contrairement à la mise en place
d’APADOR-CH, qui, comme nous avons vu, était la création de Human Rights Watch,
leur antenne locale roumaine, l’association ACCEPT est un produit hybride. Son existence
est rendue possible par l’engagement de quelques personnes qui n’ont apparemment rien à
faire de la question homosexuelle : un groupe d’expatriés vivant à Bucarest, qui, s’ils ne
partagent pas la même orientation sexuelle, partagent en revanche une même « image
sociale » de l’homosexualité.
Par ailleurs, la collaboration entre ACCEPT et la N.V.I.H. COC Nederland présente
des caractéristiques de la coopération transnationale : une institution qui entre en contact
avec les acteurs nationaux pauvres en ressources et les aide à peser politiquement au sein
de leur propre société. Elle justifie ses actions et la collaboration avec le partenaire
roumain dans des termes dont nous avons déjà souligné le rôle symbolique et pratique en
tant qu’instruments des entrepreneurs de la démocratie dans le contexte postcommuniste, à
savoir la construction de la démocratie, le renforcement de la « société civile ».
Un autre aspect qui réclame notre attention concerne la tension entre les différentes
branches que l’association ACCEPT développe et se donne comme objectif de consolider,
à savoir entre « les services sociaux » et le lobbying. La mise en place de l’association est
possible surtout grâce à la récupération de la cohésion sociale préexistante, qui avait
difficilement trouvé auparavant les moyens de survie. Néanmoins, une fois l’association
ACCEPT formellement mise en place, elle ne va pas intégrer ces réseaux de sociabilité
informelle, qui trouvent difficilement l’espace souhaité.
Afin d’interpréter ces dynamiques nous pouvons nous rapporter à l’observation de
Jan Willem Duyvendak, qui estime que « le mouvement gai et lesbien est contraint à
équilibrer les désirs et les intérêts541 ». Nous considérons à ce stade de la réflexion que la
communauté homosexuelle roumaine s’est articulée dans un premier moment autour de la
conjonction de ces deux éléments, le subjectif et le collectif : d’une part le désir, la

541
Jan Willem DUYVENDAK, op. cit., p. 263.

295
composante personnelle qui motive et soutient la participation collective, de l’autre
l’intérêt, la composante environnementale qui donne l’occasion à la subjectivité de
s’exprimer et s’accomplir. Par la suite, si la communauté homosexuelle roumaine ne se
réalise pas dans un mouvement et nous pouvons simplement parler d’une communauté en
statu nascendi, nous apprécions, toujours dans la lingée de Duyvendak, que cet équilibre
est perturbé : la deuxième composante devient trop importante, elle prend le devant et, au
lieu de nourrir le désir, le rejette et l’exclue.
La constitution identitaire démarrée lors de la réunion de Sinaia ne se poursuit pas à
travers l’association ACCEPT, bien au contraire ; elle est interrompue et le principal motif
de participation de la plupart des gens disparaît. D’une part, ACCEPT se professionnalise,
en choisissant la voie du lobbying et advocacy, d’autre part les personnes lgbt, exclues et
ne trouvant pas la scène sur laquelle elles pourraient manifester une identité collective
positive, la quittent. C’est le cas de Daniel Iorga lui-même : après quelques ans pendant
lesquels il s’était investi dans le travail associatif, organisant des événements sociaux et
mettant au centre de ses préoccupations la consolidation des réseaux interpersonnelles, de
la « communauté », il quitte ACCEPT et ne s’implique plus, il sort définitivement de
l’espace associatif et continue ses activités en privé, sans lien avec l’association.

296
Chapitre 8 : Les questions homosexuelles ou « l’extension du domaine de la
démocratie »

Préambule
A. L’intégration européenne – une priorité politique majeure
La configuration du spectre politique lors des élections de 1996
L’Europe- termes et conditions
B. Du côté des militants
ACCEPT &Co – loobying and advocacy
La dramatisation ou comment faire augmenter l’impact de l’information
Mariana Cetiner - « prisonnier de conscience »
Scandales Publics. L’orientation sexuelle et la loi pénale en Roumanie
Le regard toujours attentif de l’Eglise orthodoxe roumaine
C. De nouveau devant le Parlement – le difficile passage de l’ordre symbolique à
l’ordre politique
D. Rien de nouveau dans l’espace « carpato danubien pontique » ; quelques
changements majeurs dans l’espace européen

297
Chapitre 8 : Les questions homosexuelles ou « l’extension du domaine
de la démocratie »

« La sexualité est alors considérée comme un comportement réglé par <une morale
naturelle> dont le droit devrait être l’expression. L’homosexualité est envisagée comme
une sexualité hors horme. Elle serait d’abord contre nature. […] L’homosexualité est
considérée comme portant atteinte à la famille, fondement majeur de notre société ».
Pierre Lascoume, L’homosexualité entre crime à la loi naturelle
et expression de la liberté

« Il est un principe fondamental en droit, celui du droit à la protection de la vie


privée. Ce droit implique deux notions, celle de liberté et celle de secret : une liberté, tout
d’abord, en ce que l’individu bénéficie d’un droit d’autodétermination à choisir sa vie
comme il entend, avec le moins d’ingérences extérieurs possible : un secret, ensuite, qui
constitue le rempart nécessaire contre les intrusions abusives de tiers et qui est seul
capable de permettre la réalisation de la liberté concédée ».
Laurent Pascal Chambon, Le sel de la démocratie. L’accès des minorités au pouvoir
politique en France et aux Pays-Bas

« Pour l’avenir, les articles 8 et 14 de la Convention pris en combinaison


constituent le plus grand atout en faveur d’une certaine reconnaissance de droits aux
homosexuels en tant que tels par les organes de la Convention. […] L’apport essentiel de
cette jurisprudence est de développer un ordre juridique européen à l’échelle des Etats
contractants permettant, sur ce sujet, une certaine harmonisation du traitement des
homosexuels sur le standard national le plus conforme à l’esprit de la Convention ».
Catherine Anne Meyer, L’Homosexualité dans la jurisprudence de la Cour et de la
Commission européenne des droits de l’homme

298
Préambule

Au bout de trois ans de controverses, une première intervention sur le Code pénal
roumain en 1996 n’avait pas beaucoup apporté aux homosexuels roumains en termes de
libertés ou droits. Vers la fin de 1996, un autre acteur se lance sur la scène des questions
homosexuelles, cette fois-ci un acteur singulier, puisque spécialement concerné par les
droits lgbt : il s’agit de l’association ACCEPT. Enregistrée juridiquement à travers un
artifice administratif nécessaire pour contourner les difficultés formelles et consistant à se
présenter comme organisation défendant les droits de l’Homme, ACCEPT ne tarde pas à
orienter ses activités vers la défense des droits des personnes lgbt, voire de se
recommander comme la seule association de cette sorte en Roumanie. Dans une interaction
étroite avec ILGA, IGLHRC, Amnesty International, Human Rights Watch – des acteurs
déjà concernés par la situation de l’homosexualité en Roumanie avant la mise en place
d’ACCEPT, en bénéficiant maintenant de l’aide financière du gouvernement néerlandais et
de l’expertise de la N.V.I.H. COC Nederland, une puissante organisation pour les gays et
les lesbiennes qui avait déjà fait la preuve de son expérience, ACCEPT se présente comme
un groupe dynamique, résolu à exercer son rôle et à œuvrer dans la direction d’un
changement législatif qui apporterait les droits et les libertés des personnes lgbt et plus
spécifiquement l’abrogation de l’article 200 du Code pénal.
La mise en route de l’association ACCEPT constitue une tournure importante dans la
société roumaine : d’autres tentatives antérieures de structuration d’une solidarité sociale
autour de l’homosexualité n’avaient pas subsisté, comme ce fut le cas des groupes Total
Relations ou Group 200 évoqués au Chapitre 3. Des initiatives plus précoces, comme
celles de Razvan Ion, d’ouvrir le débat autour du sujet et d’argumenter autour des points de
vue favorables aux droits et libertés individuelles des personnes lgbt n’avaient pas non plus
abouti à susciter l’attention des autorités. Cette fois-ci, le petit comité Bucharest
Acceptance Groupe arrive à fédérer les différents intérêts et surtout à récupérer une partie
de ce potentiel difficilement construit précédemment, pour l’orienter vers un nouvel exploit
sous la forme de l’association ACCEPT. Des personnes comme Daniel Iorga et Ingrid
Baciu, les porteurs des premières tentatives d’articulation des revendications lgbt,
deviendront d’ailleurs membres d’ACCEPT.

299
Le but de ce chapitre est d’explorer les imbrications entre les différentes dimensions
qui entrent en interaction pour conduire à l’abrogation de l’article 200. Pour ce faire nous
allons regarder dans un premier temps la configuration du spectre politique sur le plan
interne, puisque l’an 1996 confronte l’électorat roumain au troisième scrutin démocratique
après la chute du communisme ; le nouveau gouvernement recevra également la réponse à
la demande du pays d’adhérer à l’Union européenne. Par la suite nous nous concentrons
sur l’association ACCEPT et ses partenaires et la manière dont ils se sont chargés des
revendications homosexuelles. Nous allons regarder de plus près quelques moments
principaux des années 1997 et 1998, qui montrent la participation conjointe des acteurs en
place, tant au niveau national que transnational, dans toute une série d’actions menées à
impulser l’abrogation de l’article 200 du Code pénal. Avant d’arriver au point final de ce
chapitre, nous allons resserrer la focale de l’analyse sur un autre projet de loi proposé par le
Gouvernement pour modifier l’article 200 du Code pénal.

A. L’intégration européenne - une priorité politique majeure

La configuration du spectre politique lors des élections de 1996

Le 1er octobre 1996 c’est le moment où le Sénat et la Chambre des Députés se


synchronisent pour remettre au secrétariat du Parlement le projet de loi visant à modifier le
Code pénal, qui sera ensuite envoyé au président de la République et promulgué le 14
novembre 1996. Le Parlement se trouve en face d’un projet bien articulé, présenté à la fin
d’un long combat qui avait rendu évidente la nécessité de réformer un instrument de base
de la justice, resté suspendu pendant plusieurs années et qui ne correspondait plus aux
nécessités pratiques de la justice. Cela est perçu par les hommes politiques comme une
victoire, comme une réalisation politique. L’un des impératifs du passage vers la
démocratie avait reçu une réponse, alors que la campagne électorale battait son plein. Les
élections de 1996 entraînent la présence de 57 partis lors de la campagne électorale pour
les législatives et de pas moins de 8 candidats à l’élection présidentielle542. Ces mêmes

542
Ion Iliescu, (PDSR), Emil Constantinescu (CDR), Petre Roman (PD), Gyorgy Frunda (UDMR)
Corneliu Vadim Tudor (PRM), Gheorghe Funar (PUNR), Tudor Mohora (PS), Nicolae Manolescu
(PAC), Adrian Paunescu (PSM), Ioan Pop de Popa (UNC), George Muntean (PPR), Radu

300
élections sont les premières qui ont marqué une réelle alternance au pouvoir : la
Convention Démocratique Roumaine543 (CDR) remporte une double victoire législative et
présidentielle, en occupant la première place avec 30 % des voix, suivie par le PDSR avec
21%, l’Union Sociale Démocrate544 (USD) avec 12%, le PRM et l’UDMR avec 8%,
respectivement 7%. Le PSM et le PDAR ne sont pas parvenus à dépasser le seuil électoral.
La CDR est ainsi obligée d’entamer une collaboration avec l’USD et l’UDMR, tant au
niveau du gouvernement qu’au niveau du parlement, afin de rendre opérationnels les
résultats électoraux.
Quant à l’élection présidentielle, Ion Iliescu, même s’il est toujours favori après le
premier tour de scrutin avec 32.25% contre 28.22% des voix du deuxième classé, Emil
Constantinescu, il sera quand même vaincu: le second tour de scrutin confirme la victoire
d’Emil Constantinescu, avec 54.41% des voix.

La CDR vient d’hériter alors d’un nouveau Code pénal : le débat autour de l’article
200 paraît clôturé et d’autres questions sont alors à l’ordre du jour, comme par exemple
l’intégration à l’Union européenne, qui reste un objectif de première importance, soutenu
par toutes les formations politiques roumaines et doublé d’un consensus au niveau de
l’opinion publique. La Roumanie avait officiellement déposé sa candidature pour
l’adhésion à l’Union le 22 juin 1995, demande qui rassemblait toutes les forces politiques
roumaines : le président Ion Iliescu, le premier ministre Nicolae Vacaroiu, les présidents
des deux Chambres du Parlement, ainsi que les leaders des partis politiques s’étaient alors
rassemblés à Snagov pour signer un document intitulé « Stratégie nationale de préparation
de l’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne ». Néanmoins, le processus d’adhésion
ne fut lancé que plus tard : il fallut attendre le rapport de la Commission de juillet 1997545,
les rapports réguliers sur les progrès accomplis en vue de l’adhésion de 1998 et 1999546,
respectivement la décision du Conseil de l’Europe d’Helsinki de décembre la même année,

Câmpeanu (ANLE), Constantin Niculescu (PNA) et trois indépendants : Nutu Anghelina,


Constantin Mudava et Nicoale Militaru.
543
Après des crises intérieures et réaménagements, c’est sous ce nom que se réunirent à ce
moment-là les deux principaux partis de l’opposition, à savoir le PNTCD et le PNL.
544
Formée en 1995, suite au pacte de collaboration politique conclu entre le PSDR et le Parti
démocrate.
545
Agenda 2000 – Avis de la Commission sur la demande d’adhésion de la Roumanie à l’Union
européenne, DOC 97/18, le 15 juillet 1997.
546
Rapport régulier de la Commission sur le progrès accompli par la Roumanie sur la voie de
l’adhésion, 1998, 1999.

301
favorable à l’ouverture des négociations avec la Roumanie (ainsi que la Bulgarie, la
Lettonie, la Lituanie, Malte et la République slovaque). Les négociations proprement dites
avec les autorités de Bucarest ne débuteront, quant à elles, que le 15 février 2000.
Cependant, au début de l’année 1997, la situation paraissait en pleine évolution du
point de vue de l’intégration européenne et la Roumanie se trouvait sur un chemin qui
venait de s’ouvrir avec l’adhésion au Conseil de l’Europe. Qui plus est, l’alternance
politique intervenue à la suite des élections de novembre 1996 et les réformes lancées par
le nouveau gouvernement constituaient la preuve d’un engagement ferme pour préparer
« l’intégration euro-atlantique », l’objectif essentiel de la politique étrangère du pays. La
perspective est encore une fois affirmée dans la déclaration du président Emil
Constantinescu à l’occasion de la visite du président de la Commission européenne Jacques
Santer à Bucarest, le 10 avril 1997:
« Pour la Roumanie, l’intégration européenne et euro-atlantique représente une
priorité politique majeure, la seule voie de développement qui correspond à l’intérêt
national, à la tradition et aux aspirations du pays. La Roumanie doit trouver sa place
parmi les pays démocratiques du continent européen, il n’y a pas pour elle de but plus
important et plus urgent547. »
A ce titre et afin de renforcer la politique gouvernementale et le processus de prise de
décision dans les domaines concernant l’intégration européenne, le gouvernement a créé le
Département de l’Intégration Européenne, transformé depuis janvier 1997 en ministère
directement subordonné au premier ministre. Un comité interministériel, présidé par le
premier ministre, émet son avis sur les questions relatives à l’intégration européenne et se
fait aider par le Département de l’Intégration Européenne. Préoccupés par la construction
de « l’Etat démocratique » et de « l’économie de marché », les gouvernants roumains
n’estimaient pas intervenir de nouveau sur un corpus des lois qui venait d’être voté – à
savoir le Code pénal – et considéraient l’article 200 comme matière résolue.
L’Europe que le Gouvernement roumain et les forces politiques du moment avaient
décidé de rejoindre ne partageait pas du tout cet avis sur l’article 200 : comme nous l’avons
remarqué succinctement en fin du chapitre 5, le Parlement Européen avait déjà exprimé
son désaccord par rapport aux résultats du vote dans le Parlement roumain en automne
1996. Lors des discussions du 19 septembre, le Parlement européen délivre un point de vue

547
Agenda 2000… loc. cit. , p. 4.

302
tout à fait opposé à celui du Parlement roumain, position exprimée dans la résolution sur
l’aggravation des sanctions contre les homosexuels en Roumanie548 :
« The European Parliament […] (1) expresses its profound indignation at these
decisions by the Romanian Parliament and condemns any attempt to criminalize sexual
relations between adults of the same sex ; (2) calls on the President of Romania to use all
his powers to prevent the entry into force of the proposed amendments to the Penal Code;
(3) recalls the importance it attaches to respect for human rights and calls the Government
of Romania to adhere to its undertakings to the Council of Europe to repeal all laws
repressing homosexuality; (4) calls on the Commission, the Council and the Member
States, each within their respective spheres of responsibility, to exert pressure to prevent
discriminatory provisions from being adopted; (5) instructs its President to forward this
resolution to the Council, the Commission, the Council of Europe and the President,
Government and Parliament of Romania»549.

Les nouveaux Président, Gouvernement et Parlement roumains sont en effet les


héritiers d’une législation contraire aux recommandations des institutions européennes et
ils seront à plusieurs reprises interpellés à ce sujet. Jusqu’à l’ouverture des négociations en
vue de l’adhésion à l’Union européenne, le Conseil de l’Europe reste le principal
interlocuteur européen et l’année 1997 va confronter le Parlement roumain à une nouvelle
demande d’intervention au sujet de la législation répressive des relations homosexuelles.
Cette demande est renforcée par la réponse de la Commission européenne à la demande
d’adhésion à l’Union européenne délivrée la même année, quelques mois plus tard.

L’Europe : termes et conditions

L’année 1997 représente un moment riche du point de vue des relations de la


Roumanie avec les institutions européennes : les rapporteurs du Conseil de l’Europe ont
continué le monitorage de l’activité à tous les niveaux, afin de documenter la décision de

548
Journal Officiel C 320 du 28 octobre 1996, p. 197
549
Ibidem.

303
clore550 la procédure de suivi551 de la Roumanie et le pays reçoit aussi l’opinion de la
Commission européenne sur la demande d’adhésion552.
Il revient au rapporteur Gunnar Jansson, représentant du Groupe libéral, démocrate et
réformateur finlandais, le rôle de rédiger le rapport pour informer l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe en vue de sa décision sur la procédure de suivi. Il
s’agit de l’un des trois rapporteurs qui avaient documenté l’avis de la commission des
questions juridiques et des droits de l’Homme en 1993, lors de la réponse concernant
l’adhésion de la Roumanie au Conseil. Un premier rapport sur le respect des obligations et
des engagements contractés par la Roumanie avait été établi en 1994 en collaboration avec
Friederich Köning, le représentant du Groupe du Parti populaire européen autrichien, lui
aussi chargé de documenter la décision de l’Assemblée parlementaire de 1993, de la part
de la commission des questions politiques. Après la visite de mars 1994, les rapporteurs du
Conseil de l’Europe retournent en Roumanie les 7 et 8 mars 1997 : cette fois-ci Gunnar
Jansson est accompagné par Walter Schwimmer du Groupe du Parti populaire européen
autrichien, rapporteur pour avis de la Commission des questions politiques, et Josette
Durrieu, du Groupe socialiste, France, rapporteur pour avis de la Commission des relations
avec les pays européens non membres.
Le 11 avril 1997, le rapporteur sur la Roumanie M. Gunnar Jansson remet à
l’Assemblée parlementaire le rapport553 sur le respect des obligations et engagements
contractés par la Roumanie, un document de 28 pages, qui souligne que certaines
dispositions du Code pénal sont inacceptables, dont l’article 200 du Code pénal. Le
rapporteur note que la Roumanie a honoré un nombre significatif d’engagements, mais que
quelques problèmes sont encore à résoudre pour que le pays soit en conformité avec les
obligations imposées par son statut de membre du Conseil de l’Europe et par la Convention
européenne des droits de l’Homme. La législation concernant les relations homosexuelles
est l’une de ces questions, traitée extensivement dans le paragraphe V du document :
« Nous renouvelons notre voeu de voir rapidement cet article 200 définitivement
abrogé, dans la mesure où la notion d' ‘acte homosexuel’ n'est nullement définie, et les
notions de ‘scandale public’ ou d'acte commis en public s'avèrent particulièrement

550
Recommandation 1326 (1997) relative au respect des obligations et engagements contractés par
la Roumanie, 24 avril 1997 (14e séance).
551
Prévue par la Directive no 508/1995.
552
Agenda 2000…, loc. cit.
553
DOC. 7795/11 avril 1197.

304
vagues, et sont susceptibles de conduire à des interprétations excessives ou
contradictoires. En particulier, le concept de ‘scandale public’ signifie en droit roumain
‘tout acte connu de plus de deux personnes qui le réprouvent’. Il est regrettable qu'en dépit
du souhait manifesté par l'Assemblée dans son avis sur l'adhésion de la Roumanie au
Conseil de l'Europe l'article 200 du Code pénal roumain soit toujours en vigueur. Le
Ministre de la Justice […] a notamment expliqué que l'Eglise exerçait de fortes pressions
contre la dépénalisation des relations homosexuelles entre adultes, qu'ils soient commis en
public ou en privé. […] Plusieurs arrestations d'homosexuels auraient eu lieu en 1995 et
en 1996 sur la base de l'article 200. Bien qu'à ce jour, aucune personne n'ait été
condamnée, il semblerait toutefois, que certains soient toujours détenus en détention
préventive »554.
Le rapport constitue la base des discussions au sein de l’Assemblée parlementaire le
24 avril 1997, et les recommandations aux autorités roumaines seront reprises dans la
Résolution 1123 (1197) relative au respect des obligations et engagements contractés par
la Roumanie555. Ainsi, « l’Assemblée prie donc instamment les autorités roumaines ( i) de
modifier sans tarder les dispositions du Code pénal […] qui sont contraires aux libertés
fondamentales telles qu’énoncées par la Convention européenne des droits de
l’Homme »556.
Malgré les réserves exprimées et soulignant les recommandations, l’Assemblée prend la
décision de clore la procédure de suivi de la Roumanie.

Trois mois plus tard, à savoir le 15 juillet 1997, la demande officielle d’adhésion à
l’UE, présentée en juin 1995, reçoit une réponse de la part de la Commission européenne :
« Agenda 2000 – Avis de la Commission sur la demande d’adhésion de la Roumanie à
l’Union européenne557 ». Dans cet avis, la Commission analyse la demande de la
Roumanie en fonction de ses caractéristiques propres mais aussi selon les mêmes critères
que ceux qu’elle applique aux autres demandes sur lesquelles elle émet en même temps un
avis. Plus précisément, l’adhésion requiert de la part du pays candidat qu’il y ait des
institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l’Homme,
554
La section V du rapport: Code pénal et Code de Procédure pénale, lettre A. Article 200 du Code
pénal, in DOC. 7795/11 avril 1197.
555
Discussion par l’Assemblée le 24 avril 1997 (14e séance), rapport de la commission des
questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur : Mr Jansson.
556
Résolution 1123 (1197)… loc. cit. , alinéa 14.
557
DOC/ 97/18.

305
le respect des minorités et leur protection; l’existence d’une économie de marché viable
ainsi que la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à
l’intérieur de l’Union; la capacité d’assumer les obligations résultant de l’adhésion, et
notamment de souscrire aux objectifs de l’Union politique, économique et monétaire558. La
section B de ce document traite des conditions politiques, parmi lesquelles les droits de
l’Homme et la protection des minorités ; de ce point de vue, la Commission constate
qu’« en matière de respect du principe d’égalité devant la loi, les homosexuels sont
susceptibles d’être soumis à des abus éventuels en raison de l’imprécision de la notion de
‘scandale public’ utilisée par l’article 200 du Code Pénal pour réprimer les actes
d’homosexualité559 ». Elle reprend la même idée mais en termes plus généraux, sans plus
évoquer le cas particulier de l’homosexualité, dans la dernière section, intitulée « Résumé
et conclusions » : « en ce qui concerne le respect des droits fondamentaux, un certain
nombre de lacunes demeurent […]. Ainsi, des efforts considérables méritent encore d’être
accomplis en matière de lutte contre la corruption, d’amélioration du fonctionnement de la
justice et de protection des libertés individuelles face à l’action de la police, des services
secrets et au cours de la procédure pénale560 ».

Au plan interne, les défis de la réforme mettent le Gouvernement à l’épreuve : au


commencement de 1998 une crise gouvernementale entraîne la démission du premier-
ministre Victor Ciorbea ; le 15 avril 1998 un nouveau gouvernement sera formé, ayant à la
tête un nouveau premier ministre, Radu Vasile, mais les événements politiques n'ont
entraîné aucune modification majeure de la politique gouvernementale, l'adhésion à
l'Union européenne restant une priorité importante du gouvernement. En effet, lors de sa
visite à Strasbourg le 22 avril 1998, le premier-ministre roumain Radu Vasile n’hésite pas à
faire des promesses en direction d’une amélioration de la situation des droits des minorités
sexuelles en Roumanie : « Notre gouvernement ne peut plus accepter des cas pareils [de
violation des droits de l’homme] même s’il ne s’agit que d’incidents isolés et même s’ils
sont l’héritage des gouvernements antérieurs. Je demanderais aux institutions
responsables de mettre fin à des pratiques pareilles. […] Nous sommes décidés d’opérer

558
Voir à ce tire le Rapport régulier de la Commission sur le progrès accompli par la Roumanie
sur la voie de l’adhésion, « B. Critères d’adhésion ».
559
DOC/ 97 /18, B.1.2, p. 14.
560
Idem, p.130.

306
les changements nécessaires », déclare à cette occasion-là le premier-ministre
nouvellement désigné.
La Roumanie bénéficie d’une attention soutenue en ce qui concerne la réforme de
l’article 200. Cela ne concerne pas exclusivement les institutions européennes comme
telles, mais aussi les pays membres de l’Union européenne eux-mêmes. Le feedback, qui
vient principalement sous la forme d’avis, de recommandations ou de rapports ne s’y réduit
pas, mais il comprend aussi des réactions individuelles des représentants des différentes
entités concernées plus au moins directement par la question des droits des minorités
sexuelles. Cet intérêt international pour la cause homosexuelle roumaine est par ailleurs
assidûment cultivé à travers les prises de positions de l’association ACCEPT et de ses
partenaires.

B. Du côté des militants

ACCEPT & Co - lobbying and advocacy

Mises en route déjà pendant l’année 1996, avant même son enregistrement juridique,
les actions d’alerte de l’association ACCEPT continuent tout au long des années suivantes.
Il s’agit principalement de lettres décrivant la situation juridique et sociale des personnes
lgbt en Roumanie, envoyées constamment aux partenaires déjà connus – ILGA, IGLHRC,
Amnesty International, Human Rights Watch, auxquels s’ajoutent les différents bureaux au
niveau européen, par exemple les commissions des questions juridiques et des droits de
l’Homme, des questions politiques, des relations avec les pays européens non membres,
voire même les membres du Parlement Européen. Différentes organisations nationales
militant pour les droits des gays et des lesbiennes reçoivent les appels d’ACCEPT et
lancent à leur tour des appels aux autorités politiques de leurs pays.
A titre d’exemple, un appel lancé par l’association roumaine ACCEPT est repris par
l’organisation finlandaise SETA561, qui demande une réaction du Ministère finlandais des
affaires étrangères ; le ministre Tarja Halonen répond à cette demande et souligne la

561
« Seksuaalinen tasavertaisuus », l’organisation nationale finlandaise de défense des droits de
l’homme dans le domaine de l’égalité devant la loi et de la justice sociale pour les minorités
sexuelles ; fondée en 1974, SETA est aussi membre d’ILGA.

307
nécessité que les obligations assumées sans réserves par la Roumanie soient honorées.
Même si la procédure de suivi a été arrêtée, le geste n’est pas irrévocable et l’Assemblée
du Conseil de l’Europe peut redémarrer le processus. Les droits des minorités, qui
représentent une question de première importance pour les politiques des droits de
l’Homme en Finlande, restent un sujet de préoccupation pour les autorités, ajoute le
ministre finlandais562. De plus, le ministre Halonen informe sur la rencontre entre
l’ambassadeur finlandais à Bucarest, Mikko Heikinheimo, et Ioan Maxim, le directeur
général de la Direction juridique du Ministère des affaires étrangères roumain, rencontre
qui a donné l’occasion d’aborder également le sujet de l’homosexualité.
Cette prise de contact avec les autorités finlandaises n’est pas accidentelle : le
rapporteur européen chargé d’informer l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
venait, comme nous l’avons souligné ci-dessus, du Groupe libéral, démocrate et
réformateur finlandais. Il s’agit donc d’une stratégie afin d’assurer l’information du
rapporteur sur cet aspect particulier.
Par contre, la collaboration avec Amnesty International n’est pas si bien orchestrée,
puisque l’appel envoyé par cette organisation aux autorités roumaines à la fin de l’année
1996, en novembre plus précisément563, arrive en plein milieu du processus électoral, ce
qui fait qu’il échappe à l’attention des gouvernants ou des médias. Les prises de positions
ultérieures seront plus retentissantes, d’autant plus que l’organisation prend en charge le
cas particulier d’une personne condamnée à quatre ans de prison sur la base de l’article
200.

La dramatisation ou comment faire augmenter l’impact de l’information

L’année 1998 présente deux occasions principales pour la mise en fonction de


stratégies militantes éprouvées sur d’autres terrains, à savoir la mobilisation des politiques
de l’information que nous avons évoquées en fin du Chapitre 4. Les réseaux de militants
joignent leurs efforts pour ramasser l’information et la présenter de manière à obtenir le
plus grand impact envisageable. Aussi font-ils appel à l’élément clé qui est la
dramatisation, faisant apparaître devant l’opinion publique des témoins. Les cas des

562
Hannelee LEHTIKUUSI, « Finish Ministers Response on the Situation in Romania », in ILGA
Euroletter, N° 51, juillet 1997.
563
Open letter from Amnesty International to the President, the Government and the Members of
the Parliament, November 1996, AI Index : EUR 39/22/96.

308
personnes réelles, évoqués en règle générale à travers de chiffres et statistiques, sont
présentés cette fois-ci en faisant appel à la dimension bouleversante des détails spécifiques
de la situation particulière. Les faits bruts sont revêtus de leurs significations personnelles,
ce qui a comme effet de faire monter l’impact de l’information.

Mariana Cetiner – « prisonnier de conscience »

La précarité de la vie privée et la fragilité de la liberté individuelle devant


l’intervention de la police, l’agressivité des enquêtes policières et les abus en service
commis par des représentants des forces de l’ordre étaient déjà des points mis en avant par
les rapports des organismes internationaux militant pour les droits de l’Homme. A la fin de
l’année 1997 et au début de l’année 1998, Amnesty International, en collaboration étroite
avec ACCEPT et APADOR-CH, avec Human Rights Watch et IGLHRC, commence à
suivre de près la situation des personnes accusées sur la base de l’article 200 en Roumanie.
Le sujet avait fait l’objet de plusieurs communiqués de presse depuis1994, comme nous
l’avons montré, mais cette fois l’organisation a mené une campagne soutenue, ciblée sur
un cas particulier, celui de Mariana Cetiner.
Accusée pour avoir proposé à une autre femme d’avoir des relations sexuelles,
Mariana Cetiner, une femme de 40 ans, est arrêtée le 6 octobre 1995 sur la base du
paragraphe 4 du Code pénal564 et condamnée le 17 juin 1996 à trois ans de prison. Elle est
libérée le 15 janvier 1997 après avoir fait appel du jugement au tribunal d'Alba Iulia et sort
de la prison, où elle se trouvait depuis son arrestation. Cependant, au mois de mai, le
procureur a attaqué cette décision, la cour d'appel confirmant le jugement du tribunal de
première instance. Mariana Cetiner retourna donc en prison pour finir sa peine de 3 années.
Amnesty International met en route une suite de plusieurs appels565, aux autorités
roumaines pour annuler la décision et libérer Mariana Cetiner qui est considérée comme
« prisonnier de conscience », et pour abroger l’article 200 du Code pénal.

564
Le paragraphe 4 du Code pénal en vigueur à ce moment-là était le suivant : « Suggérer à
quelqu’un ou convaincre une personne de pratiquer l’acte décrit à l’alinéa 1 sera puni par une
peine 1 à 5 ans de prison » ; celui-ci est devenu le paragraphe 5 par la loi 140/1996, avec la
formule « toute personne ayant incité, par la séduction, ou par tout autre moyen, une personne à
avoir avec elle des relations homosexuelles, ayant formé des associations de propagande ou fait,
sous quelque forme que ce soit, du prosélytisme à cette fin sera punie par une peine 1 à 5 ans de
prison ».
565
Amnesty International, EUR 39/30/97, EUR 01/001/1998, EUR 39/10/98.

309
Les détails du cas sont présentés dans chaque appel, accompagnés de fragments
d’entretiens pour illustrer le traitement subi par la prisonnière :
« Mariana Cetiner has been ill-treated by prison guards. […] She told how an officer
had beaten her the day before because she had filed a complaint ‘He handcuffed me and
pulled me out of my cell by the hair’ […] She had a large bruise on her right thigh and her
knee was bandaged »566.
Amnesty International adresse plusieurs demandes aux autorités roumaines, en
soulignant que les personnes emprisonnées en raison de leur orientation sexuelle sont
considérées comme des « prisonniers de conscience ». Suite à ces interventions, Amnesty
reçoit au mois de mars 1998 des informations en provenance des représentants politiques
roumains selon lesquelles Mariana Cetiner avait été libérée. L’ambassadeur roumain à
Londres fait cette affirmation, confirmée quelques jours plus tard, à La Haye, par Zoe
Petre, conseiller présidentiel. Néanmoins, Amnesty reçoit également l’infirmation de ce
fait, puisque des représentants de l’APADOR-CH avaient visité Mariana Cetiner à Aiud,
où elle se trouvait toujours en détention567. Mariana Cetiner est graciée par décret
présidentiel au début mars 1998 et finalement mise en liberté le 18 mars568. Après avoir
essayé de se faire une vie à Sibiu, elle décide de quitter le pays et s’installe en Allemagne.
Même après la résolution de ce cas, Amnesty International continue à envoyer des
rapports aux députés et sénateurs roumains ; celui intitulé A summary of human rights
concerns569 a été le point de départ du débat au mois de juin à la Commission pour les
droits de l’homme, les cultes et les problèmes des minorités nationales de la Chambre des
Députés.

Scandales Publics. L’orientation sexuelle et la loi pénale en Roumanie

Le cas de Mariana Cetiner fait également l’objet du rapport « Public Scandals.


Sexual Orientation and Criminal Law in Romania »570, une importante publication sur la

566
Amnesty International, EUR 39/30/97.
567
EUR 39/10/98, 18 mars 1998.
568
Traduction en anglais d’une lettre apparemment envoyée en roumain par Mariana Cetiner à
l’association ACCEPT et retransmise par ACCEPT aux partenaires externes ; l’original de cette
lettre n’a pas été trouvé.
569
Amnesty International, AI Index EUR 39/06/98, ROMANIA, publié par Amnesty International
le 1er mars 1998.
570
Public Scandals… loc. cit. .

310
question lgbt en Roumanie depuis 1989 jusqu’à 1998. Coordonné par Scott Long pour
Human Rights Watch et IGLHRC, le rapport est paru en anglais en janvier 1998 et fut
repris en traduction roumaine en octobre 1998. Le rapport connaît une circulation très
large, il est mis à la disposition des organisations, associations, organismes préoccupés par
la problématique des droits humains. Le document se base sur des investigations, enquêtes
et entretiens menés au début des années 1990 jusqu’en 1996 pour IGLHRC et APADRO-
CH. Il s’ajoute une série des recherches menées en juin – juillet 1997 sous l’égide de HRW
et de IGLHRC, toujours coordonnées par Scott Long571 et qui se donnaient pour but
d’évaluer la situation des gays et des lesbiennes après la réforme du Code pénal effectuée
en 1996.
La recherche comprend des visites de pénitenciers et des interviews avec les détenus,
des entretiens avec des membres du Parlement, du Ministère de la Justice, des policiers et
des procureurs. Les faits exposés attestent les mauvais traitements et le harcèlement
continu auxquels la police se livre572 dans les cas des personnes arrêtées sur la base de
l’article 200. On peut même dégager un paradigme de l’abus : les détenus accusés en
raison de l’article 200 et soupçonnés d’être homosexuels sont généralement battus par les
enquêteurs, dans la prison ils sont violés et supportent toute sorte d’abus physiques de la
part des autres détenus, et cela avec l’accord des gardiens et des autorités, qui vont parfois
jusqu’à encourager les actes de violence.

571
Plusieurs personnes ont travaillé là-dessous : Vera Cîmpeanu, Razvan Ion, Yves Nya Ngatchou,
Mona Nicoara, Aurelian Seres, Bogdan Voicu, Adrian Coman, Dennis van der Veur, Ion Iacos,
Manuela Stefanescu - tous déjà rencontrés ici, cf. Chapitre 7.
572
Les mauvais traitements ne sont pas réservés aux homosexuels. Loin de cela, le Comité
européen pour la prévention de la torture conclut dans son rapport de visite en Roumanie en
septembre et octobre 1995 sur l’affirmation « que le risque, pour les personnes soupçonnées
d'avoir commis une infraction pénale, d'être soumises à des mauvais traitements par la police au
moment de leur privation de liberté et/ou au cours de leur interrogatoire est toujours loin d'être
négligeable et que, parfois, de telles personnes peuvent être soumises à de mauvais traitements
graves, voire à la torture », cf. Rapport au Gouvernement de la Roumanie relatif à la visite
effectuée par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements
inhumains ou dégradants, 1999. En 1999 le Comité apprécie que la situation n’a pas changé : « le
CPT a fait savoir que ses préoccupations, relatives au risque pour les personnes soupçonnées
d’une infraction pénale d’être soumises à des mauvais traitements physiques par la police, sont
restés entiers », cf. Rapport au Gouvernement de la Roumanie relatif à la visite effectuée en
Roumanie par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements
inhumains ou dégradants (CPT) du 24 janvier au 5 février 1999, cf.
http://www.cpt.coe.int/documents/rom/1998. Le rapport en question met en lumière des cas encore
plus graves, des discriminations sur base de l’orientation sexuelle, où les mauvais traitements ont
un contenu qui renvoie au fait que la personne est homosexuelle.

311
Le titre de ce rapport, « scandales publics », ne fait donc pas référence aux scandales
proprement dits ; il reprend le terme introduit dans le premier paragraphe de l’article 200
du Code pénal lors de la réforme de 1996, qui faisait déjà l’objet de nombreuses critiques
puisque trop vague, imprécis. Le rapport met en lumière l’usage de ce terme, les moyens
de l’invoquer dans les plus anodines situations et le faire jouer contre les personnes ayant
entretenus des relations homosexuelles en privé.

Ce rapport fait l’objet d’une conférence de presse à Bucarest et, de plus, il constitue
le point central des rencontres avec les représentants de Human Rights Watch, Jeri Laber,
et d’IGLHRC, Scott Long, avec le Ministre de la Justice, le premier-ministre, l’inspecteur
général de la Police, le directeur général des pénitenciers, et avec des membres de la
Commission pour les Droits de l’Homme et la justice du Sénat. Surtout, le rapport fait
l’objet d’une réunion de ces deux derniers représentants avec le président de la Roumanie
Emil Constantinescu573. A cette occasion-là, le 15 janvier 1998, le président roumain
promet de gracier tous les détenus arrêtés sur la base de l’article 200, alinéa 1 et 5, et ajoute
que ce geste devrait être considéré comme un signal d’alarme pour les autorités et aussi
pour le public roumain. Il affirme d’ailleurs que l’homosexualité était le dernier point
concernant les droits humains qui n’était pas encore résolu par les autorités roumaines et
qu’il serait révisé.

A travers ces collaborations, l’association ACCEPT devient connue au niveau


européen et même international, en tant qu’une très puissante organisation luttant pour les
droits humains des personnes lgbt ; les prises de positions d’Amnesty International, les
appels à l’action d’IGLHRC, l’intérêt de Human Rights Watch et les bulletins d’ILGA et
ILGA - Europe consacre l’association ACCEPT dans l’univers associatif international.
Ainsi, l’association roumaine bénéficie de l’appréciation internationale : en 1998, sur la
proposition de Joost Lagendijk, le groupe vert du Parlement européen a désigné ACCEPT
comme candidat au « prix Sakharov pour la liberté de l'esprit », distinction destinée à
récompenser une réalisation particulière dans l’un des domaines suivants : défense des
droits humains et des libertés fondamentales, en particulier du droit à la liberté d'opinion,

573
ILGA Euro-letter N°57, fevrier 1998.

312
protection des droits des minorités, respect du droit international public, développement de
la démocratie et mise en place de l'Etat de droit574.

Le regard toujours attentif de l’Eglise orthodoxe roumaine

De son côté, l’Eglise orthodoxe roumaine ne cesse de faire entendre sa position à


l’égard de l’homosexualité. Pour ne citer qu’un seul exemple, nous allons reprendre les
mots de l’archiprêtre Bartolomeu Anania, qui vont jusqu’à affirmer le refus pur et simple
de l’intégration européenne du fait du manque de spiritualité de cet organisme : « L’Europe
à laquelle on nous demande d’adhérer, c’est une Europe construite exclusivement sur des
critères économiques et politiques, sans aucune trace de spiritualité, de culture ; et de
religion il n’y est même pas question». Anania ajoute aussi : « cela n’a aucun sens
d’adhérer ou aspirer à l’adhésion à l’Europe. La Roumanie a toujours appartenu à
l’Europe ; du point de vue historique, géographique, culturel et spirituel. De plus, à
travers notre culture et notre civilisation nous avons été largement en avant par rapport à
l’Europe […] Une Europe appauvrie, sans esprit, ce qui est plus qu’effrayant. L’Europe
nous impose d’accepter sexe, homosexualité, vices, drogues, avortement… » 575 .
Les interventions des représentants de l’Eglise continuent de cette manière tout au
long des années 1990, sans beaucoup de variations du discours, ni d’innovations.

C. De nouveau devant le Parlement : le difficile passage de l’ordre symbolique à


l’ordre politique

Suite à ces nombreuses occasions et manières de rappeler au Gouvernement ses


engagements antérieurs, confronté à de nombreuses reprises à la distance entre le discours
et la pratique, suite à la responsabilisation soutenue de la part des acteurs européens et
internationaux, le Gouvernement tente de faire disparaître les contradictions et d’opérer le
changement requis. Un nouveau projet de loi visant à modifier le Code pénal est déposé au

574
Le Parlement européen décerne annuellement ce prix ; le lauréat du 1998 a été Ibrahim Rugova,
celui de 1999 Jose Alexandre Xanana Gusmão.
575
Affirmations appartenant à l’archiprêtre Bartolomeu Anania, cité par L. Dobrater dans son
article : « Europa ne propune sa acceptam homosexualitate, electronica, droguri, avorturi, inginerie
genetica » publié par le quotidien Evenimentul Zilei du 16 avril 1998.

313
Ministère de la Justice en mars 1998 ; il arrive à la Chambre de Députés au 15 mai 1998
(PL N° 132/1998) et le 18 mai la même année au Sénat (PL N° 119/1998)576.
Ce projet de loi est définitivement rejeté par la Chambre des Députés le 30 juin 1998577 et
ne suit plus la procédure législative pour faire l’objet du débat au Sénat.

Les débats autour de cette nouvelle proposition de loi du Gouvernement montrent le


même problème des élites politiques roumaines : l’impossibilité d’envisager
l’homosexualité comme une question qui renvoie aux droits individuels et aux libertés
privées. Les normes régissant l’homosexualité tiennent du domaine de l’évidence : c’est la
« natures des choses ». Les principes fondateurs de ces normes ne sont pas susceptibles de
faire l’objet d’interrogations, ils ne sont pas désormais qualifiés pour s’inscrire à la
délibération politique. Pour la classe politique roumaine, l’homosexualité n’est toujours
pas constituée de manière politique ; elle reste un sujet qui tient de la morale naturelle. Les
arguments tournent autour du « naturel » : « fire » (nature), « firesc » (naturel, normal).

Dumitre Balaet, député PRM: « l’Article 200 est une loi naturelle, nécessaire donc
dans notre Code pénal. »578
Mircea Ciumara : député PNTCD « les parlementaires roumains ne sont pas tous
d’accord avec cette dégradation morale de la nation »579
Gheorghe Ana, député PSD : « nous sommes tous attachés à cette valeur, à savoir la
moralité de la société, et nous désirons faire ce que nous devons faire. Mais, voyez-vous,
on nous demande de faire ce qu’il ne faut pas faire dans le domaine de la moralité »580.

A ce point de vue il vient s’opposer la définition du problème en termes politiques,


de liberté individuelle et d’égalité. A ce titre, l’intervention de George Iulian Stancov
(USD-PD) est inouïe : « cela ne vous fait pas réfléchir, le fait que, selon la Constitution,
nous n’avons pas le droit d’incriminer des relations personnelles, qui sont garanties par

576
L’adresse N° E 85 du 14 mai 1998.
577
Le projet reçoit 167 des voix pour et 95 contre, mais le nombre nécessaire pour adopter le projet
était de 172 (1/2 plus 1) ; séance de la Chambre des Députés du 30 juin 1998, sténogramme
disponible en ligne sur le site de la Chambre : www.cdep.ro. Les sténogrammes des séances sont
disponibles en ligne à partir de 1996 pour la Chambre des Députés et à partir de 2002 pour le Sénat.
578
Séance de la Chambre des Députés du 25 juin 1998, sténogramme disponible en ligne sur le site
de la Chambre : www.cdep.ro, consulté le 31 mars 2004.
579
Ibidem.
580
Ibidem.

314
l’intimité garantie ? (sic) Je pose la question à ce monsieur qui me regarde étonné,
jusqu’au beau jour où il va se retrouver encore plus étonné lorsque quelqu’un viendra le
questionner sur ce qu’il fait avec sa femme, un jour ou une nuit. L’intimité des relations
personnelles ne peut pas être punie, puisqu’elle est garantie par les dispositions
constitutionnelle »581. Cette prise de position met en évidence les deux dimensions des
questions politiques : la liberté individuelle et l’égalité.
Ce que cet échange dans la Chambre des députés roumaine en 1998 met en évidence,
c’est la transformation des normes sexuelles, la sortie de l’homosexualité du domaine de la
moralité et son entrée dans la sphère du politique. Cette transformation est désignée dans
les termes d’Eric Fassin comme « l’extension du domaine de la démocratie »582. L’auteur
cité met en lumière cette transformation dans les sociétés actuelles :
« Le débat sur le pacs l’avait déjà montré, la bataille porte sur l’extension du
domaine démocratique. Sans doute sommes-nous tous d’accord pour considérer que les
choix économiques ou politiques relèvent de la négociation politique. Mais doit-on
considérer que les questions sexuelles, qu’il s’agisse de genre ou de sexualité, de mariage
ou de famille, de filiation ou de reproduction, échappent à la délibération politique ? Peut-
on soutenir l’idée que tout est politique, sauf l’ordre sexuel, qui transcenderait la
politique ? On comprend dès lors pourquoi les questions sexuelles sont aujourd’hui
stratégiques : elles représentent l’ultime frontière d’une définition des normes qui
demeurait naturelle, non politique, c'est-à-dire intemporelle, et non pas historique. »583
De notre point de vue, il s’agit en effet dans le cas des débats sur la dépénalisation de
l’homosexualité en Roumanie de faire le passage depuis une conception de
l’homosexualité comme une question qui tient à l’évidence même, gouvernée par l’ordre
naturel et qui n’« est pas inscrite dans l’ordre des choses » vers la possibilité d’envisager
d’interpeller ces évidences, de s’interroger sur les fondements de ces évidences, de mettre
en question les valeurs sous-jacentes, les principes qui les sous-tendent584. A notre avis,

581
Ibidem.
582
A notre avis, il s’agit d’une paraphrase du titre du roman de Michel HOUELLEBECQ,
Extension du domaine de la lutte, Paris, Poche, 1994.
583
Eric FASSIN, Inversion de la question homosexuelle, Paris, Editions Amsterdam, 2008, pp. 14-
15.
584
Voir aussi Clarisse FABRE, Eric FASSIN, Liberté, égalité, sexualité. Actualité politique des
questions sexuelles, Paris, Belfond, 2003 ; Eric FASSIN, Le sexe politique. Genre et sexualité au
miroir transatlantique, Paris, Editions de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 2009.

315
dans le cas roumain, la principale difficulté réside dans l’impossibilité de faire ce transfert :
la sexualité est toujours conçue par la majorité comme naturelle, non politique.

Ainsi, la proposition gouvernementale n’arrive pas à s’imposer, épisode qui


n’échappe pas à l’attention des institutions européennes : en novembre 1998 la Commission
européenne présente le premier Rapport sur les avancées enregistrées par la Roumanie
concernant la réalisation des critères d’adhésion, où elle observe que « toutefois, dans la
plupart des autres domaines cruciaux, la situation des droits civils et politiques ne montre
pas d’amélioration sensible[…] En juillet 1998, une réforme d’ensemble du Code pénal
portant sur des questions comme celles de l’homosexualité, la diffamation, les insultes et
injures aux autorités, a été rejetée par le Parlement et renvoyée au gouvernement »585.

D. Rien de nouveau dans l’espace « carpato danubien pontique »586, quelques


changements majeurs dans l’espace européen

Nous avons exploré à travers ce chapitre le déroulement des événements après la


première intervention sur la législation concernant les relations homosexuelles : la cause
homosexuelle bénéficie maintenant d’un porteur sur le plan interne, l’association
ACCEPT, qui s’érige dans le combattant pour les droits lgbt et poursuit des activités de
lobbying et advocacy à l’aide de ses partenaires externes. La création d’ACCEPT et son
engagement pour la cause ne constituent pas le seul élément de nouveauté de ce cadre à
partir de la moitié des années 1990. Une fois l’adhésion au Conseil de l’Europe accomplie,
la politique étrangère de la Roumanie privilégie l’ouverture des négociations en vue
d’intégration à l’Union européenne, ce qui apporte d’autres types de relations : le Conseil
de l’Europe n’avait pas un pouvoir coercitif, la Roumanie avait déjà été reçue comme
membre en dépit de son échec à respecter les recommandations de cette institution. Les

585
« Rapport régulier de la Commission sur le progrès accompli par la Roumanie sur la voie de
l’adhésion », novembre 1998, p. 10.
586
Placée dans la même lignée de pensée qui estime que la Roumanie actuelle se trouve sur les
territoires de la Dacia Felix, cette formule est rentrée dans les usages pour désigner
approximativement le territoire présent du pays ; il s’agit du territoire situé entre la Mer Noir, le
bassin du Danube et les montagnes des Carpates, la région habitée par les tribus des Thraces, dont
l'historien grec Hérodote écrivait qu'ils étaient le peuple « le plus nombreux du monde, après celui
des Indes », et plus exactement par les Gètes (Daces), que le même historien estimait « les plus
braves et les plus droits parmi les Thraces ».

316
gouvernants avaient fait des déclarations devant les représentants du Conseil qui se sont
avérées sans correspondant auprès du Parlement. Est-ce que l’adhésion à l’Union change
en quelque sorte les termes des négociations ? En regardant l’échec de la deuxième
tentative du Gouvernement roumain de changer la législation à l’égard des relations
sexuelles nous pouvons croire que le nouveau cadre ou le nouvel acteur ACCEPT ne
pèsent pas beaucoup dans les négociations: le Parlement, lors de la décision du la Chambre
des députés du 30 juin 1998 de rejeter le projet gouvernemental, ne semblait pas répondre à
ces nouvelles configurations. Il ne faut pas oublier non plus que la procédure d’adhésion à
l’Union européenne n’avait pas été lancée et ce n’est qu’en 2000 que les négociations
stricto sensu seront officiellement mises en route.
Cela ne signifie pas non plus que la conditionnalité européenne587 n’est pas présente :
une contrainte extérieure pesa sur les transformations postcommunistes dès le début des
années 1990, puisque l’Union européenne mena une politique conditionnelle,
explicitement observable à travers les rapports réguliers sur les progrès accomplis sur la
voie d’adhésion, même si les procédures officielles d’adhésion n’avaient pas effectivement
été mises en place. C’est sur cette dimension du cadre politique que nous entendons
tourner notre attention par la suite de cette analyse, dans le dernier chapitre Pour le
moment, pour revenir encore une fois à notre schéma ordonnateur, les éléments qui entrent
en interaction à partir de 1996 sont décrits de manière simplifiée par l’image suivante :

587
Pour une analyse de la conditionnalité européenne dans le cas roumain suivant les étapes de
l’adhésion depuis 2000 et jusqu’en 2007, voir Geoffrey PRIDHAM, « Unfinished Business ?
Eastern Enlargement and Democratic Conditionality », working paper FRIDE (Fundacion Para las
Relaciones Internacionales y el Dialogo Exterior), 2007.

317
Conseil
IGLHRC de UE
ILGA l’Europe Eglise
ILGA Europe
AI
HRW

Gouvernement
& Parlement
Roumain
ACCEPT
APADOR-CH

Ce que nous devrons ne pas perdre de vue non plus ce sont les évolutions internes de
certains de ces acteurs : une importance particulière de notre point de vue revient aux
transformations concernant les questions lgbt au niveau de l’Union européenne. Cette
question ne fait que tangentiellement l’objet de cette recherche, d’où la démarche moins
détaillée que nous y consacrons588.

588
Pour des analyses plus pointues de ces questions voir par exemple : Helmut GRAUPNER,
Phillip TAHMINDJIS, Sexuality and Human Rights. A Global Overview, Routledge, 2005,
Catherine-Anne MEYER, « L’homosexualité dans la jurisprudence de la Cour et de la Commission
européennes des droits de l’homme », in Daniel BORRILLO (dir.), Homosexualités et droit. De la
tolérance sociale à la reconnaissance juridique, Paris, PUF, 1998 pp. 153-179, Robert
WINTEMUTE, « Libertés et droits fondamentaux des personnes gays, lesbiennes et bisexuelles en
Europe »,in Ibidem, pp.180-204, Emanuelle BRIBOSIA, et Anne WEYEMBERGH, « Le
transsexualisme et l’homosexualité dans la jurisprudence des organes de contrôle de la convention
européenne des droits de l’homme et des juridictions communautaires », in Revue de droit de
l’ULB, Vol. 22, Bruxelles, Bruylant, 2000. Kees Waaldik et Andrew Clapham avait édité en 1993
un rapport sur la situation légale des minorités sexuelles dans la Communauté Européenne : Kees
WAALDIJK et Andrew CLAPHAM, Homosexuality : A European Issue. Essays on Lesbian and
Gay Rights in European Law and Policy, Dordrecht, Kluwer Academic Publishers, 1993. Une autre
publication, traitant de l’implémentation de la directive européenne 2000/78/EC, est parue en 2006:
Kees WAALDIJK et Matteo BONINI-BARALDI, Sexual orientation discrimination in the
European Union: national laws and the Employment Equality Directive La Hague T.M.C. Asser
Press, 2006, publication partiellement basée sur le rapport : Combating sexual orientation
discrimination in employment; voir
https://openaccess.leidenuniv.nl/dspace/handle/1887/12587. Last but not least, voir également
la collection d’articles traitant du sujet réunis dans la publication coordonnée par Anne

318
Il existe une lente convergence entre les deux institutions principales de l’Europe, le
Conseil de l’Europe et l’Union européenne : il est clair que la création du Conseil de
l’Europe, d’une part, et de l’Union européenne de l’autre, illustrent les approches
différentes quoique complémentaires concernant l’intégration européenne. Alors que
l’Union constituait à ses débuts une union économique destinée à promouvoir l’intégration
des marchés, le Conseil de l’Europe mettait l’accent sur les idéaux communs des Etats.
Néanmoins, comme il ressort de l’analyse de Gerard Quinn589, l’Union européenne est
graduellement devenue un acteur important dans le domaine des droits de l’Homme et cela
surtout à partir des années 1990. Des vagues successives de révisions des traités ont
conduit à l’accumulation de compétences de l’Union dans la sphère de droits humains.
Quinn apprécie toutefois que cette convergence a peu à faire avec les droits de l’Homme et
plus avec la crise de légitimité du projet d’intégration. Les droits de l’Homme fournirent
alors un instrument de base pour renouveler la pertinence de l’Union pour la vie
quotidienne des citoyens et, par ce biais, soutenir la légitimité du projet européen590.
Si le Conseil de l’Europe accorde sa considération aux questions lgbt depuis les
années 1980 (surtout à travers les décisions de la Cour européenne des Droits de l’Homme
dans les cas Dugeon contre le Royaume Uni et Norris contre l’Irlande), cet intérêt prend
contour plus tard dans le cas de l’Union européenne et se matérialise surtout vers la fin des
années 1990. Plusieurs actions et décisions marquent la croissance de l’attachement de
l’Union européenne à la cause des droits des homosexuels.
La pierre angulaire de l’inclusion de la question lgbt parmi les points d’intérêt de cet
organisme est probablement le rapport du 24 janvier 1994 de la commission des libertés
publiques et des affaires intérieures sur « l'égalité des droits des homosexuels et des
lesbiennes dans la Communauté européenne », connu comme le Rapport Roth591, qui met

WEYEMBERGH et Sinziana CARSTOCEA, The gays’ and lesbians’ rights in an enlarged


European Union, Brussels, Editions de l'Université de Bruxelles, 2006.
589
Gerard QUINN, « The European Union and the Council of Europe on the Issue of Human
Rights: Twins Separated at Birth? », in Revue de droit de McGill / McGill Law Journal, Vol 46,
2001, pp. 849-874.
590
La même logique de la convergence des deux institutions, mais du point de vue des acteurs, à
savoir des Etats adhérents, est soutenue par Karen A. Smith : « Membership in the Council of
Europe has been seen as the first step toward EU and NATO membership, as it would confirm the
democratic credentials of the new East European regimes », Karen A. SMITH, « Western Actors
and the Promotion of Democracy », in Jan ZIELONKA, Alex PRAVDA (éds.), Democratic
Consolidation in Eastern Europe, New York, Oxford University Press, 2001, pp. 31-57. p. 41.
591
Le rapport porte le nom de son promoteur, Claudia Roth, députée vert allemande.

319
sur l’agenda politique la question des droits des gays et des lesbiennes, la reconnaissance
des couples homosexuels, le droit d’adoption. Suite à ce rapport une résolution sur les
droits des homosexuels et des lesbiennes dans l'Union européenne un texte est délivré le 17
septembre 1998, qui exprime sur cinq points592 la position de cette institution, à savoir
l’intérêt pour le respect des droits humains des personnes lgbt.
C’est dans une logique similaire que s’inscrit également la décision de la Cour de justice
des Communautés européennes de 1996 dans le cas P. contre S et Cornwall County
Council (C-13/94 ECR), qui reconnaît le sexe comme critère de discrimination, ainsi que le
changement de sexe593.
Un autre fait significatif du point de vue des changements au niveau européen
concerne la création de l’Intergroupe parlementaire lgbt594. Déjà en 1993 c’était formé
EGALITE, un groupe d’environ 260 gays et lesbiennes qui travaillent auprès des
institutions européennes : la Commission, le Conseil, le Parlement etc. L’un des objectifs
de ce groupe était d’assurer un traitement égal pour tous les employés et les potentiels

592
« (1).demande au gouvernement et au Parlement autrichiens d'abroger sans délai l'article 209
du code pénal, d'amnistier et de libérer sans retard toutes les personnes emprisonnées en vertu de
ces dispositions [cet article prévoyait un age minimum supérieur pour les homosexuels que pour les
hétérosexuel] ; (2).demande à tous les pays candidats d'abroger leurs dispositions législatives
violant les droits de l'homme des homosexuels et des lesbiennes, en particulier celles qui prévoient
des différences d'âge pour les rapports homosexuels; (3).invite la Commission à tenir compte du
respect des droits de l'homme des homosexuels et des lesbiennes lors des négociations relatives à
l'adhésion des pays candidats; (4). demande à la Commission d'accorder une attention
particulière, lors de l'examen des PECO prévue avant la fin de l'année en cours, à la situation des
droits de l'homme des homosexuels et des lesbiennes dans ces pays; (5).charge son Président de
transmettre la présente résolution au Conseil et à la Commission ainsi qu'aux gouvernements et
aux parlements autrichien, chypriote et roumain, et au Secrétaire général du Conseil de
l'Europe ». Procès verbal du 17 septembre 1998, B 4 0824 et 0852/ 98 disponibles sur :
http://www.france.qrd.org/texts/Europe/europarlement.html.
593
« The Directive [Directive 76/207/EEC] is the expression of the principle of equality, which is
one of the fundamental principles of Community law. In view of its purpose and the fundamental
nature of the rights which it seeks to safeguard, the scope of the Directive also applies to
discrimination based essentially, if not exclusively, on the sex of the person concerned. Where such
discrimination arises, as in the present case, from the gender reassignment of the person
concerned, he or she is treated unfavourably by comparison with persons of the sex to which he or
she was deemed to belong before undergoing gender reassignment. To tolerate such discrimination
would be tantamount, as regards such a person, to a failure to respect the dignity and freedom to
which he or she is entitled, and which the Court has a duty to safeguard. Therefore, dismissal of a
transsexual for a reason related to a gender reassignment must be regarded as contrary to Article
5(1) of the Directive » (c’est nous qui soulignons). P. contre S et Cornwall County Council, C-
13/94 ECR lien vers le cas:
http://eurlex.europa.eu/smartapi/cgi/sga_doc?smartapi!celexplus!prod!CELEXnumdoc&lg=en&nu
md.
594
Voir le site www.lgbt-ep.eu lancé en 2006. Voir également ILGA Eurolleter N° 55, Novembre
1997.

320
employés, de n’importe quelle orientation sexuelle. Ce groupe accorde chaque année un
prix pour l’Européen qui a apporté la plus importante contribution à la cause des gays et
des lesbiennes et le premier prix EGALITE a été accordé en 1995 à Claudia Roth595. Qui
plus est, depuis octobre 1997, quelques parlementaires européens de divers partis de
gauche décident de constituer un intergroupe afin de travailler sur les questions
homosexuelles en Europe. Composé de députés de quatre groupes politiques, à savoir des
socialistes, des verts, des communistes, et des chrétiens-démocrates, il a été présidé dans
un premier temps par la Finlandaise Outi Ojala, membre de la Gauche Unitaire
Européenne/Gauche Verte Nordique, suivie par Joke Swiebel, membre néerlandais du
Groupe socialiste (ancienne membre du conseil directeur de COC Nederland) et ensuite de
Michael Cashman lui aussi socialiste, membre du Parti travailliste du Royaume-Uni et du
Groupe de l'alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen
(membre fondateur de l’association britannique Stonewall Group)596. Conçu comme une
plate-forme qui assiste le Parlement dans ses travaux touchant à l’homosexualité, il se
réunit une fois par mois et invite des experts, des représentants d'associations et des
fonctionnaires des institutions européennes pour travailler ensemble sur l’objectif qu’ils se
sont fixé : travailler sur l’harmonisation des législations en Europe pour promouvoir une
égalité de traitement des personnes, indépendamment de leur orientation sexuelle.
ILGA-Europe597 avait désigné un représentant permanent auprès de cet intergroupe.
De plus, ILGA bénéficiait du statut consultatif auprès du Conseil de l’Europe depuis le 15
janvier 1998598. Il est alors décidé qu’ILGA-Europe prenne en charge les activités auprès
de cette institution, Nigel Warner et Nico Berger étant élus pour représenter l’association.
En septembre la même année, ils participent pour la première fois aux travaux de
l’Assemblée parlementaire. En ce qui concerne l’Union européenne, ILGA participe à une
première réunion avec la Présidence du Conseil de l’Union le 13 juillet 1998, à Vienne,
réunions qui seront courantes par la suite.
Les relations de cette association avec les institutions européennes sont de plus en
plus étroites et fructueuses : le 17 septembre 1998, le Parlement européen adopte une autre

595
http://www.europarl.eu.int/hearings/igc1/doc13_en.htm.
596
ILGA Europe Newsletter, Vol 1, N° 1, mai 2001.
597
http://www.ilga-europe.org.
598
ILGA Euroletter N° 57, février 1997 : « The International Lesbian and Gay Association (ILGA)
was granted consultative status with the Concil of Europe ».

321
résolution qui a comme objet les droits de lgbt en Europe, dont le texte avait été proposé
par ILGA599.
Dans le texte, le Parlement note au point D que: « the following applicant countries,
with which the EU has already started the accession negotiation process, still have legal
provisions in their penal code that seriously discriminate against homosexuals: Bulgaria,
Cyprus, Estonia, Hungary, Lithuania, and Romania » Mais surtout le point F du meme
document deplore « the refusal of the Romanian Chamber of Deputies on 30 June 1998 to
adopt a reform bill presented by the Government to repeal all anti-homosexual legislation
provided by Article 200 of the penal code »600.

Finalement, en 2000, la Commission Européenne adopte deux projets de directives :


la Directive 2000/43/CE2 (la Directive d'égalité raciale) et la Directive 2000/78/CE3 (la
Directive d'égalité dans l'emploi), interdisant la discrimination sur différents motifs parmi
lesquels on retrouve l’orientation sexuelle En même temps, elle demande à tous les Etats
membres – actuels comme futurs – de l’Union européenne de réexaminer leur législation
actuelle et d’apporter les modifications nécessaires pour la rendre conforme aux exigences
de ces directives601.
Le rapport annuel de ILGA fait mention du lobbying développé pour l’avancement
de ces directives602 ; et pour revenir à ILGA, il faut ajouter que si dans une première phase
ILGA Europe avait fonctionné surtout avec des ressources provenant des cotisations et des
volontaires, à partir de 2001 l’association reçoit des fonds financiers de la part de la
Commission européenne603, ce qui lui permet d’ouvrir un bureau permanent à Bruxelles et
d’embaucher du personnel.

599
ILGA Euroletter N° 63, septembre 1998.
600
Le texte de la résolution du Parlement européen du 17 septembre 1998 est disponible en totalité
dans le bulletin informatif d’ILGA : ILGA Euroletter, N° 63, septembre 1998.
601
Une directive est un acte normatif émis par les institutions de l’Union européenne qui donne des
objectifs à atteindre par les pays membres, à savoir elle fixe des règles que les Etats membres
doivent inclure dans leur législation, sans être spécifique sur la forme ou les moyens de le faire.
Avec les règlements et les recommandations, les directives font partie du droit dérivé de l’UE. Le
règlement est obligatoire dans tous ses éléments, dès sa publication et il s’applique de manière
simultanée et uniforme à l’ensemble des Etats membres.
602
« Lobbying, at all levels, for these two measures has again been one of the main priorities for
ILGA-Europe in the whole year of 2000 ».
603
Dans les termes de l’association, ce financement représente la reconnaissance de sa contribution
potentielle aux politiques anti-discriminatoires de l’Union.
http://www.ilga-europe.org/europe/about_us/our_history.

322
Il s’agit ainsi de toute une série d’évolutions majeures au niveau européen qui
apportent la question homosexuelle au premier plan. Lors de l’adhésion au Conseil de
l’Europe, ILGA avait déjà mis en marche le lobbying afin d’introduire la dépénalisation
des relations homosexuelles comme condition pour devenir membre de cette institution.
Toujours est il que le Conseil ne bénéficie pas de pouvoir coercitif et les pays adhérents ont
beaucoup plus d’espace de manœuvre quant à la mise en place des recommandations au
niveau interne. En 2000, lors que les négociations d’adhésion à l’Union démarrent pour la
Roumanie, le cadre des négociations est différent : d’une part l’orientation sexuelle fait le
sujet des directives de cette institution interdisant les discriminations, d’autre part l’Union
européenne exprime clairement des exigences en vue de l’adhésion, des demandes
formulées en termes de « conditionnalité ». Ce que cela veut dire et quel sera l’impact sur
la législation interne concernant les relations homosexuelles en Roumanie font la matière
du chapitre suivant.

323
324
Chapitre 9 : S’adapter à l’Europe : est-il plus difficile pour… la Roumanie ?

Préambule
A. L’article 200 à l’épreuve de l’intégration à l’Union européenne
L’heure du compromis, le temps de l’intégration européenne
Non à l’homosexualité, oui à l’Europe, mais une Europe chrétienne
ACCEPT : la chronique du « succès »
« ACCEPTing Diversity », 22ème Conférence d’ILGA à Bucarest

Une nouvelle législature, les mêmes défis

B. Europe - européanisation
Quelle définition pour l’européanisation ?
De la conditionnalité de l’Union européenne
L’Europe- une opportunité pour les revendications lgbt

325
Chapitre 9 : S’adapter à l’Europe : est-il plus difficile pour… la
Roumanie ?604

« Romania is a nation state widely viewed in the European Union, NATO, the ILF,
and the World Bank as, at best, on the ‘slow track’ to achieving full membership in the
economic and security institutions of the West. Less charitably, it is seen as an
unpredictable unruly and ‘un-westernised’ country in need of economic and political
discipline, and it is viewed as a state that has never fully embraced the ‘values’ central to
the West. Given that EU reports […] constantly argue that Romania is far from achieving
the economic preconditions for EU accession (particularly given the slow rate of
privatization, continuing macroeconomic instability, and the lack of reform of governance
structures), it may seem idiosyncratic at best to focus on homosexuality at the lens through
which to explore the dynamics of European integration and the resistance of the nation
state. […] While the economic austerity imposed in the post communist era might have left
many Romanians feeling even worse off economically than before the fall of Communism,
homosexuality has served as one of several scapegoats and symbols of a difficult and slow
transition, and of the painful process by which Romania seeks to integrate in its turn to the
West, and to emerge from its ignoble past ».
Carl F. Stychin, Governing Sexuality. The Changing Politics
of Citizenship and Law Reform

604
Le sous titre reprend et adapte la question que Vivian Schmidt avait choisi pour intituler l’un de
ses articles qui porte sur la réponse du Royaume Uni aux exigences de l’intégration européenne :
Vivian SCHMIDT, « Adapting to Europe : Is It Harder for Britain ? » in The British Journal of
Politics and International Relations, Vol. 8, N° 1, 2006, pp. 15-34.

326
Préambule

Les revendications au sujet des droits des personnes homosexuelles apparaissent pour
la première fois en Roumanie pendant la première moitié des années 1990 ; cette période
correspond à une dynamique investie d’une double signification : à la fois celle des
transformations démocratiques et celle de l’adhésion aux institutions européennes,
premièrement au Conseil de l’Europe, ensuite à l’Union européenne. Dix ans après le
changement du régime politique, la question homosexuelle reste un sujet sensible : l’article
200 fait toujours partie du Code pénal roumain et la Roumanie est le seule pays membre du
Conseil de l’Europe à avoir une législation criminalisant les relations homosexuelles entre
adultes consentants. L’homosexualité demeure une question qui fait difficilement son
entrée dans le domaine politique dans le contexte roumain : nous avons vu lors du chapitre
précédent que l’homosexualité était envisagée lors des échanges dans les deux chambres
du Parlement comme appartenant à un ordre symbolique. Il en revient à la « nature », à la
morale, à la « norme naturelle » de régir dans ce domaine ; il reste donc difficile pour les
dirigeants roumains d’envisager la remise en cause de ces « fondements naturels » de la
sexualité, de les exposer aux contestations, à la critique, en d’autres termes, de les traiter
comme une question appartenant à la politique, comme un enjeu de la démocratie.
Au niveau européen, la question de l’homosexualité avait fait son entrée dans
l’espace démocratique depuis plus longtemps et les enjeux s’articulent dans les termes des
libertés individuelles et des droits humains : les discriminations en raison de l’orientation
sexuelle font désormais la matière des nouvelles directives de l’UE. De plus, la mise en
place d’une structure comme l’Intergroupe lgbt ou la consolidation de la collaboration avec
ILGA Europe attestent toute une série de développements concernant l’homosexualité au
niveau de cette institution. Cela ne reste pas sans écho au niveau des Etats membres et des
Etats adhérents, qui ont l’obligation de mettre en œuvre dans la législation interne les
prévisions des directives européennes. Juste à titre d’exemple, en 2002, la Pologne avait
essayé de négocier une décision spéciale qui lui permette de ne pas participer aux
prévisions des directives contre les discriminations, en invoquant des raisons culturelles et
religieuses, mais « was clearly rebuffed by the Commission »605

605
Voir Nico BEGER, op. cit., pp. 22-27.

327
Il est question dans de ce dernier chapitre d’examiner la façon dont la Roumanie
répond aux exigences européennes en matière de droits humains des personnes lgbt, en
tenant compte du fait que les négociations en vue d’adhérer à l’Union européenne sont
lancées par ce pays en février 2000.

A. L’article 200 à l’épreuve de l’intégration à l’Union européenne

Dix ans après le renversement du régime de Ceausescu, les transformations


démocratiques en Roumanie connaissaient des difficultés sérieuses de plusieurs points de
vue. L’année 1999 s’est avérée très difficile en ce qui concerne le passage à l’économie de
marché, avec des paiements extérieurs arrivés à l’échéance, des disputes liées à la
privatisation et à l’attitude à adopter quant au capital étranger. Ces difficultés économiques
étaient doublées de tensions politiques concernant le rythme des réformes nécessaires pour
l’instauration in extenso de la démocratie, réformes qualifiées de trop lentes et trop
difficiles à mettre en place. Dans les rapports d’évaluation de la Commission européenne,
lorsqu’il s’agit de l’avancement de la réforme, la Roumanie se voit de nouveau assignée à
la dernière place parmi les pays de la région, avec sa voisine, la Bulgarie. En dépit d’une
forte volonté d’intégrer l’Union européenne, affirmée à plusieurs reprises tant devant les
institutions européennes que devant l’électorat roumain, le corps politique roumain ne
parvient pas à répondre de manière satisfaisante aux exigences supposées dans le processus
d’adhésion. Ainsi, l’ouverture officielle des négociations avec l’Union européenne
représente dans ce contexte à la fois une réussite, un réconfort et un encouragement pour
continuer et avancer la réforme :
« La relation avec l’UE et surtout l’invitation (en décembre 1999, à Helsinki) à
commencer les négociations d’adhésion représentent une chance extraordinaire de faire
en sorte qu’enfin le ‘fond suive la forme’ ; cette relation peut fournir le ‘big push’ dont la
Roumanie a besoin pour, petit à petit, réduire considérablement les décalages avec les
pays européens avancés »606.

606
Daniel DAIANU, « Dynamiques euro-atlantiques, réflexions et option européenne », in
Catherine DURANDIN, Magda CÂRNECI (dir.), Perspectives roumaines. Du post-communisme à
l’intégration européenne, Paris, L’Harmattan, 2004, pp. 69-98, p. 87.

328
Parmi les nombreuses transformations restantes, « ses problème toujours non
réglés »607, la Roumanie est appelée à intervenir sur la question homosexuelle : « Le code
pénal roumain doit toujours être aligné sur les normes européennes sur des questions
telles que l'homosexualité, la diffamation, l'injure, l'offense à l'autorité, la violence verbale
et la violence familiale »608. Comment va-t-elle faire pour résoudre ce problème ? Telle est
la question que ce sous-chapitre se propose d’examiner.

Pour ce faire, nous allons reprendre l’interrogation des acteurs participant aux
échanges portant sur l’homosexualité, leurs actions et les imbrications de leurs interactions.
Il s’agit de suivre les activités de l’association ACCEPT, mais surtout une nouvelle
proposition du Gouvernement d’intervenir sur le Code pénal destinée à abroger l’article
200, la réponse des autorités roumaines aux Directives européennes d’égalité raciale et
d’égalité dans l’emploi de 2000, ainsi que les réactions des différents acteurs internes face
à ces exigences.

L’heure du compromis, le temps de l’intégration européenne

Le Gouvernement prend encore une fois l’initiative d’intervenir sur le Code pénal et
de faire les modifications nécessaires afin de répondre aux recommandations des
institutions européennes. C’est dans cette logique que s’inscrit la dernière proposition
d’abroger l’article 200, inclue dans le Projet de Loi pour modifier et compléter le Code
pénal et le rendre conforme à la Résolution 1123/1997. Comme nous l’avons souligné
dans le chapitre précédent, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, lors de la
séance du 24 avril 1997, « prie donc instamment les autorités roumaines ( i) de modifier
sans tarder les dispositions du Code pénal […] qui sont contraires aux libertés
fondamentales telles qu’énoncées par la Convention européenne des droits de
l’homme »609. Ces recommandations font la matière de la Résolution 1123 (1197) relative

607
Tonly JUDT, « Romania : Bottom of the Heap », in New York Review of Books, Vol. 48, N° 17,
2001.
608
Rapport régulier de la Commission sur le progrès accompli par la Roumanie sur la voie de
l’adhésion, octobre 1999, p. 17.
609
Résolution 1123 (1997) loc. cit., alinéa 14.

329
au respect des obligations et engagements contractés par la Roumanie, que le
Gouvernement roumain s’efforce de respecter…
Ainsi, en décembre 1999, le Ministère de la Justice a présenté au gouvernement un
ensemble de projets de loi sur la réforme de la justice. Ces propositions traitent de la
plupart des réformes relatives aux droits de l'Homme en question dans les rapports
réguliers de la Commission : il s'agit de l'efficacité du processus judiciaire, de l'adaptation
de la législation roumaine aux normes européennes, de nouvelles lois concernant
l'exécution des peines, etc. L’ancien projet de loi pour modifier le Code pénal et le Code de
Procédure pénale, qui avaient été refusés par la Chambre des Députés en 1998, serait repris
et réaménagé selon d’autres critères avant d’être soumis au Parlement pour un nouvel
examen : le Gouvernement choisi les points les plus sensibles de ce projet et les propose au
Parlement comme un projet distinct, spécial, dont le nom divulgue les motivations et le but
- modifier et compléter le Code pénal et le rendre conforme à la Résolution 1123/1997.
Cette fois-ci, le gouvernement proposait donc l’élimination de l’article 200 du Code
pénal, mettant en avant sans aucune équivoque l’idée qu’il fallait mettre la législation
pénale roumaine en conformité avec la législation de l’Union européenne, la Convention
européenne des droits de l’Homme et les recommandations du Conseil de l’Europe610.
L’article 200, il faut le remarquer, n’était pas le seul à contrevenir aux recommandations
européennes ; à cela s’ajoutaient les articles concernant la violence domestique, l’offense
aux autorités ou la violence verbale, l’insulte, la calomnie (plus exactement les articles
205, 206, 238 et 239 du Code pénal). Dans l’exposé des motifs de l’initiateur, la
modification de l’article 200 était argumentée également à travers l’invocation du fait que
la nouvelle loi continue à incriminer les relations homosexuelles dans toutes les situations
stipulées auparavant dans l’article 200, à savoir : si les rapports sexuels impliquent un
mineur (moins de 14 ans), une personne dans l’impossibilité de se défendre ou une
personne incapable d’exprimer sa volonté, s’ils sont le résultat de la contrainte. Dans toutes
ces instances, les rapports homosexuels continuent d’être criminalisés dans la législation
roumaine, tout comme les rapports hétérosexuels ayant lieu dans des conditions similaires.

Il paraît que cette fois-ci la volonté politique soit plus structurée et, lors des débats
généraux, le projet bénéficie du soutien de quelques groupes parlementaires, comme le

610
Gheorghe Mocuta, présentant le projet de loi devant la Chambre des Députés lors de la séance
du 26 juin 2000.

330
Parti démocrate et le Parti national libéral ; par contre le Parti national paysan chrétien et
démocrate (PNTCD), même s’il affirme son soutien sur l’ensemble du projet, tient à se
départager de la solution trouvée et insiste à conserver le premier alinéa de l’article 200, à
savoir maintenir la criminalisation des relations homosexuelles si elles provoquent
« scandale public »611. Nous soulignons néanmoins que les interventions ne se font plus en
nom propre, mais les porte-paroles s’expriment au nom du groupe parlementaire qu’ils
représentent. Lors des débats qui abordent les articles un par un, les interventions sont
beaucoup moins nombreuses ; il est généralement entendu que l’article 200 a été
extensivement discuté lors des occasions précédentes, que les éventuels problèmes liés à
cet article sont connus. Les termes de cette décision sont assez clairs – il s’agit d’un
compromis ; même le groupe parlementaire qui avait formulé des réserves lors des débats
sur l’ensemble du projet, le PNTCD, à l’occasion des débats sur le point spécifique de
l’article 200, exprime cette option :
« Je ne souhaite pas que les échanges autour de ce texte soient similaires à ceux des
années passées. Nous sommes à l’heure du bilan et de la synthèse sur cette question. […]
La Roumanie se trouve à l’heure actuelle dans une situation qui demande un compromis,
dans une situation où il faut que nous acceptions le compromis », affirme Gavril Dejeu,
député du PNTCD.
Ainsi, l’abrogation de l’article 200, se fait avec 122 voix favorables, 63 voix contre et
17 abstentions. Le Projet de Loi pour modifier et compléter le Code pénal et le rendre
conforme à la Résolution 1123/1997 proposé par le Gouvernement fut adopté par la
Chambre des Députés le 28 juin 2000, avec une majorité de 180 voix (14 voix contre et 40
abstentions612).
Cinq ans après la première réforme du Code pénal, réforme qui légitimait les
pratiques et les manifestations homosexuelles privées, en imposant en même temps la
condition qu’elles restent circonscrites à cet espace-là, le cadre législatif roumain
connaissait une ouverture sans équivoque, à savoir que la Chambre des députés vota
l’abrogation de l’article 200. Cette décision ne sera pas confirmée par l’autre chambre du
Parlement, puisque le projet n’arriva pas à être discuté au Sénat : le Projet de Loi pour
modifier et compléter le Code pénal et le rendre conforme à la Résolution 1123/1997

611
Chambre de Députés, séance du 26 juin 2000.
612
Séance de la Chambre des Députés du 28 juin 2000, publiée dans le Journal Officiel N°
100/2000.

331
arrive au Sénat le 26 novembre 2002, date à laquelle, comme nous allons le voir plus tard,
le projet n’avait plus d’objet613. Ainsi, la décision de la Chambre des Députés d’abroger
l’article 200, même si remarquée tant au niveau national qu’au niveau international, resta
sans conséquences. De la sorte, une nouvelle tentative faite par le Gouvernement pour
intervenir afin de décriminaliser l’homosexualité est vouée à l’échec.

Néanmoins, le Gouvernement est manifestement résolu à donner cours aux réformes


exigées par l’adhésion à l’Union et une autre décision de l’an 2000 met en lumière la
bonne volonté du Gouvernement roumain : il s’agit de l’émission de l’Ordonnance du
Gouvernement 137/2000.
Ce texte rentrera dans le vocabulaire des juristes comme l’ordonnance sur la
prévention et la lutte contre toutes les formes de discrimination, et il reflète un bon nombre
des dispositions comprises dans les directives européennes 2000/43/CE2 (la Directive
d'égalité raciale) et la Directive 2000/78/CE3 (la Directive d'égalité dans l'emploi).
Elaborée par le Département roumain pour les minorités nationales, travaillant en
coopération avec certains représentants de la société civile, l’ordonnance couvre des droits
définis dans des accords internationaux et est largement conforme à la directive du Conseil
relative à la mise en oeuvre du principe d’égalité de traitement sans distinction de race ou
d’origine ethnique, ainsi qu’aux recommandations récentes de la Commission européenne
relatives à la lutte contre le racisme et l’intolérance, mais elle comprend toutefois le critère
de l’orientation sexuelle.
Ainsi, « dans la présente ordonnance, la discrimination est définie comme toute
différence, exclusion, restriction ou préférence basée sur la race, la nationalité,
l'appartenance ethnique, la langue, la religion, le statut social, la conviction, le sexe ou
l'orientation sexuelle, l'appartenance à une classe défavorisée ou tout autre critère ayant
pour objectif ou effet une restriction ou un empêchement de l'égalité de reconnaissance, de
l'utilisation ou de l'exercice des droits humains et des libertés fondamentales dans le
domaine politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie
publique»614.

613
Voir infra ; l’Ordonance d’urgence du Gouvernement 89/2001 avait déjà abrogé l’article de loi.
614
L’Ordonnance fut discutée et adoptée par le Parlement roumain comme la Loi No. 48 du
16.01.2002 et publiée dans le Journal Officiel N° 69/31.01.2002.

332
Ladite ordonnance ne manquera pas d’attirer l’attention des institutions européennes,
qui observent que « Cette initiative constitue une démarche très positive, mais il faudra à
la fois de nouvelles dispositions de droit dérivé et de nouveaux accords institutionnels pour
que l'ordonnance puisse être appliquée. Il est donc encore trop tôt pour déterminer
l'efficacité de cette mesure »615.
Effectivement, les dispositions d’application nécessaires n’étaient pas encore
adoptées et l’organisme chargé de mettre en oeuvre cette ordonnance, le Conseil national
de prévention et de lutte contre la discrimination (CNCD), ne devient opérationnel que
deux ans plus tard, le 21 novembre 2002. Le Conseil a des attributions assez larges, allant
de la sanction des comportements discriminatoires jusqu'à la production d'études et de
recherches, en passant par la rédaction de lois, la réalisation de programmes et de
campagnes nationales616.
Par les dispositions de cette ordonnance (et plus tard par la création du conseil), la
Roumanie se plaçait dans une position souveraine entre les pays candidats617, dans la
catégorie des Etats618 qui avaient déjà adopté une législation visant la mise en œuvre des
deux directives, 2000/43/CE et 2000/78/CE.

615
Rapport régulier de la Commission sur le progrès accompli par la Roumanie sur la voie de
l’adhésion, 2000, pp. 22-23
616
http://www.cncd.org.ro. Selon les données transmises par le CNCD aux observateurs de la
Commission européenne le 4 août 2003, il avait reçu 243 pétitions durant le premier semestre de
l’année 2003. La plupart des sanctions portaient sur des motifs de discrimination tels que l'âge (36),
l'appartenance ethnique (28) et l'orientation sexuelle (15). Mark Bell, Isabelle Chopin, Aart
Hendriks, Jan Niessen (coord.), Rapport sur l'égalité, la diversité et l'élargissement. Rapport sur
les mesures pour combattre la discrimination dans les pays adhérents et candidats, Rapport sur
l'égalité, la diversité et l'élargissement, Rapport sur les mesures pour combattre la discrimination
dans les pays adhérents et candidats, Commission européenne, 2004. Ces chiffres ne
correspondent pas à l’information affichée sur le site du Conseil le 20 juin 2004 : à cette date-là, il
y avait 134 pétitions reçues en 2002, parmi lesquelles 1 seule comportait l’orientation sexuelle
comme motif de discrimination, 473 pétitions reçues en 2003, parmi lesquelles 5 ayant comme
objet l’orientation sexuelle et 63 pétitions en 2004, parmi lesquelles 3 sur l’orientation sexuelle. On
a à faire avec un total de 9 pétitions ayant comme objet l’orientation sexuelle, par rapport à 15,
dans le rapport de la Commission (cf.
http://europa.eu.int/comm/employment_social/fundamental_rights/pdf/studies/equaldivenla
rge_fr.pdf consulté le 20 juin 2004.
617
Le Rapport sur les mesures pour combattre la discrimination dans les pays adhérents et
candidats désigne trois groupes, en fonction de l'état d'avancement de la transposition de la
législation d'anti-discrimination : 1) les Etats où la transposition est partiellement réalisée; 2) les
Etats où la transposition est en cours ; 3) les Etats n'ayant pas de projets immédiates de
transposition (p. 10).
618
Il s'agit de la Slovaquie, de la Lettonie, de la Slovénie, de la Lituanie et de Malte.

333
Cela n’empêche alors pas la situation paradoxale qui consiste à avoir en place,
pendant une année, une prévision anti-discriminatoire – l’Ordonnance du Gouvernement
137/2000, issue le 31 août 2000, qui cite l’orientation sexuelle parmi les critères de non-
discrimination – et une législation fort punitive à l’égard des relations homosexuelles –
l’article 200 du Code pénal : bien qu’abrogé par le vote de la Chambre des Députés, celui-
là devait passer également le vote du Sénat pour que le projet soit achevé.

Il faut observer toutefois que le célèbre article 200 n’était pratiquement plus
opérationnel. Soulignons en même temps les limites de cette affirmation : en dépit des
déclarations officielles confirmant que l’article 200 était désormais lettre morte619, la
Police continuait à faire des décentes dans le Parc de l’Opéra à Bucarest, endroit renommé
comme lieu de drague homosexuelle dans la capitale, et également dans d’autres endroits
similaires dans les villes du pays. Les interventions ne vont pas jusqu’à l’arrestation des
personnes qui fréquentent les lieux, mais il s’agit de contrôles d’identité des personnes sur
place, d’actes d’intimidation ou de harcèlement620. Ajoutons-y le fait que « [g]ay people
rarely file an official complaint against police officials, fearing the disclosure of their
sexual orientation through the media and its impact on their families, friends and work
colleagues, and because they do not believe there will be a fair resolution of such
complaint »621. Aussi est-il pratiquement impossible d’avoir une image exacte de ces
actions. Qui plus est, l’atmosphère sociale ne se traduit pas non plus par un relâchement
significatif des attitudes envers le fait homosexuel. Les chiffres disponibles attestent que
86% des personnes interviewées lors des sondages pour le Baromètre d’opinion publique

619
Les autorités roumaines avaient adopté la stratégie de nier l’application de l’article 200 depuis
les premières investigations de Scott Long en Roumanie en 1992-1993, pour que ses recherches de
terrain découvrent le contraire. Voir supra, chapitre 3 et 4. Ces affirmations ont continué pendant
les années suivantes ; comme exemple, nous invoquons la réponse adressée par les autorités
roumaines aux questions du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe en 1996 : « les prévisions
du Code pénal en matière d’homosexualité ne sont en pratique plus appliquées, aucune personne
n’ayant été condamnée depuis juillet 1994 pour avoir enfreint la disposition sousmentionnée », voir
Doc. 7477 Réponse du Comité des Ministres du 3 avril 1996 à la question écrite N° 364 de M. van
der MAELEN, du 26 janvier 1996. Nous avons remarqué néanmoins que Mariana Cetiner, arrêtée
sur la base de l’article 200, avait été mise en liberté en 1997. Voir supra, chapitre 8. Ces
contradictions démontrent le manque de correspondent réel des déclarations des autorités
roumaines.
620
Voir Adrian MORARU, Raluca POPA, Monica TOBA, Ovidiu VOICU, Intoleranta,
Discriminare, Extremism (Intolérance, Discrimination, Extrémisme), Bucarest, Institutul pentru
Politici Publice, 2003.
621
Equality for Lesbian Women and Gay Men : A Relevant Issue in the EU Accession Process, A
Report of ILGA-Europe, Bruxelles, mars 2001.

334
en 2000 affirmaient ne pas désirer avoir des homosexuels comme voisins622. A cela
s’ajoutent les interventions de l’Eglise orthodoxe, ainsi que celles d’autres acteurs de la
société roumaine623, qui contribuent à perpétuer des attitudes négatives.

Non à l’homosexualité, oui à l’Europe, mais une Europe chrétienne

L’initiative gouvernementale et son arrivée devant les députés sont fort contestées par
l’organisation nationaliste extrémiste / d’extrême droite « Noua Dreapta » (la Nouvelle
droite), nouvelle organisation624 apparue dans le paysage des associations peu de temps
auparavant. Fondée au commencement de l’année 2000, l’organisation se donne pour
objectif de lutter contre l’abrogation de l’article 200, ainsi que de lutter contre « le
prosélytisme des sectes » ou pour « solutionner le problème des Tsiganes », tout cela dans
le but de « contribuer à la respiritualisation (sic) et à la renationalisation (sic) de
l’individu, au salut du peuple roumain et à sa conciliation avec Dieu». A ce titre, elle a
organisé des manifestations de rue contre l'intention du gouvernement de légaliser les
rapports homosexuels, qui s’étaient concrétisées dans des « rassemblements » devant le
Sénat625 : environ dix personnes entourant trois bannières proclamant des messages tels
que : « Non aux relations homosexuelles ! », « N’abrogez pas l’article 200 ! » et
« Européens = homosexuels ? ». Le drapeau tricolore et le drapeau avec le symbole de
l’organisation (la croix celte sur un font noir) complètent le tableau. La ville avait été
parsemée d’affiches format A4 en noir et blanc626, portant des messages comme « NON,
NON, NON à l’homosexualité ! » ou encore « La Roumanie a besoin d’enfants, pas
d’homosexuels ».

622
Barometrul de Opinie Publica, 1998-2007 / Le baromètre sur l’opinion publique 1998-2007,
Fundatia Soros, Bucarest, Barometrul de opinie publica 1997-2004 / Le baromètre sur l’opinion
publique 1997-2004, Metro Media Transilvania, Cluj Napoca.
623
L’organisation Noua dreapta, que nous allons considérer ci-dessous n’est pas la seule à se faire
entendre sur le sujet ; il s’ajoute par exemple l’Uniunea Vatra Romaneasca (l’Union de l’âtre
roumain -www.vatraromaneasca.ro), une organisation nationaliste établie en 1990 ou LICAR, la
Ligue pour la lutte contre l’anti-‘roumanisme’ (sic), établie en juin 2000.
624
Organisation néo-fasciste, irrédentiste et ultra-orthodoxe se réclamant des idéaux de la Garde de
fer et du mouvement légionnaire de la Roumanie de l'entre-deux-guerres. www.nouadreapta.org; voir
au sujet des racines de cette organisation Armin HEINEN, Legiunea ‘Arhanghelului Mihail’,
Bucarest, Humanitas, 2006, traduit de l’allemand.
625
Voir l’Annexe V.
626
Voir l’Annexe VI.

335
La décision de la Chambre des Députés d’abroger l’article 200 n’est pas reçue avec
enthousiasme par l’Eglise orthodoxe roumaine non plus. Le 13 septembre 2000, le Saint
Synode de l’Eglise orthodoxe roumaine adresse un nouvel appel aux sénateurs et députés,
signé par le Patriarche Teoctist et suivi par une conférence de presse. Les dirigeants de
l’Eglise expriment leur « profonde tristesse face à l’abrogation de l’article 200 par la
Chambre des Députés », tout en communiquant leur « vive inquiétude quant à la
discussion imminente de ce problème par le Sénat ».
Evoquant la majorité de la population, le synode demande aux parlementaires « de ne
pas voter des lois qui contreviennent à la morale chrétienne, à la loi de la nature, à la
dignité et à la vocation de la famille ». Par rapport à l’appel lancé en 1994, qui contenait
une demande explicite de maintenir l’article 200 sous sa forme selon laquelle les relations
homosexuelles étaient sujet de loi dans n’importe quelle situation, y compris lorsqu’elles
concernaient des adultes dans leur vie privée627, on peut observer dans cette prise de
position un certain adoucissement des prétentions : « L’Eglise ne vous demande pas
d’émettre des lois qui punissent les personnes en proie à des péchés contre la nature. […]
Toutefois, nous considérons comme nécessaires les sanctions juridiques de la propagande
de cette pratique à travers des manifestations publiques, les médias ou d’autres institutions
consacrées à ce but ».
Les déclarations se sont concentrées sur les mêmes idées pendant la conférence de
presse ; le prêtre Constantin Stoica, le représentant du bureau de presse de la patriarchie, a
affirmé que « l’Eglise ne voulait pas envoyer les homosexuels en prison, mais qu’elle
n’approuvait pas non plus la diffusion de leur propagande »628. A son tour, l’archevêque
Casian met en évidence l’infamie de l’homosexualité : « Tout le monde doit savoir que
l’homosexualité est un péché contre la religion et contre la famille, contre les valeurs de la
société qui sont au cœur de notre Eglise » 629.

Cette modération presque indiscernable dans les prises de positions des représentants
de l’Eglise sur l’homosexualité devient plus marquante lorsque l’on observe l’attitude plus

627
« … seule la forme actuelle de l’article 200 rendra possible la protection des citoyens contre les
conséquences de la diffusion de ce vice contre la nature », affirme une lettre du patriarche Teoctist
adressée au président de la République et aux parlementaires en octobre 1994 et publiée aussi dans
la brochure « L’homosexualité : propagande de la dégénération humaine », voir supra.
628
Central Europe Online, 13 septembre 2000.
629
Ibidem.

336
générale de l’Eglise envers l’Europe. Effectivement, tout au long des années 1990-2000,
l’Eglise modifie très peu son discours sur le statut des relations homosexuelles et nous ne
pouvons pas remarquer une évolution majeure dans les prises de position des ses
représentants. Par contre, en ce qui concerne les projets politiques européens du pays,
l’Eglise procède à quelques ajustements.
Iuliana Conovici, dans son étude630 sur le discours de l’Eglise, remarque deux
orientations majeures au sein de l’Eglise, les deux convergeant vers la nécessité de la
« réaffirmation du christianisme comme élément d’unité du continent ». L’auteure citée
parle d’une vision prudente et même suspicieuse de l’Occident sécularisé, perçu comme
menaçant et risquant de miner les fondements de la société, qui s’oppose à la vision
positive de l’Europe, qui considère l’ouverture de l’Union vers l’Est comme une chance
pour les peuples européens d’atteindre une « réconciliation » dans une Europe unie et
stable. Iuliana Conovici insiste néanmoins que « la suspicion n’est jamais assez puissante,
dans ses discours, pour qu’elle constitue la base d’un rejet de l’idée de l’intégration
européenne, perçue comme l’une de aspirations fondamentales du peuple ».
A notre avis, cette interprétation n’est pas tout à fait correcte: si il est vrai que les
voix des représentants de l’Eglise orthodoxe roumaine ne partagent pas une vision unitaire,
nous ne pouvons pas ignorer quelques affirmations qui ne laissent pas beaucoup de place
au doute, comme celles de l’archiprêtre Bartolomeu Anania, qui refuse tout simplement
l’intégration européenne du fait de son « manque de spiritualité631 ».
Toutefois, la préoccupation de l’Eglise depuis les premières années après la chute du
régime communiste et jusqu’à nos jours a été de s’assurer une place privilégiée dans la
société roumaine et un rôle dans les négociations politiques. Elle n’entend pas se réduire à
sa fonction d’institution d’Etat, mais elle tente de renforcer son statut à côté du pouvoir,
comme « partenaire au pouvoir »632, et mobiliser le sujet de la dépénalisation de
l’homosexualité s’est avéré un instrument facile à mobiliser et à utiliser. De leur côté, les
partis au pouvoir ou aspirant à l’être font appel au religieux comme instrument politique,

630
Iuliana CONOVICI, « L’orthodoxie roumaine et la modernité. Le discours de l’Eglise
Orthodoxe Roumaine après 1989 », Studia Politica. Romanian Political Science Review, Vol. IV,
N° 2, 2004, p. 389 – 420.
631
Voir supra, Chapitre8.
632
« Power sharing partner », syntagme proposée par G. Andreescu dans son article Biserica
Ortodoxa romana ca actor al integrarii europene, (L’Eglise orthodoxe roumaine comme acteur de
l’intégration européenne), version électronique, 2002 : « l’Eglise orthodoxe roumanie est devenue
plutôt un partenaire au pouvoir des forces politiques qui dirigent le pays ».

337
justifiant leurs actions par des arguments qui renvoient à la morale chrétienne, et cela
surtout lors des campagnes électorales. A certains moments, le politique met le religieux à
son service, à d’autres l’Eglise arrive à se faire entendre par le politique. Le scénario n’est
cependant pas celui, idéal, d’une collaboration harmonieuse633 entre les deux pouvoirs pour
résoudre les questions de la société et la société, à son tour, commence à prendre note de
cela et à réagir.
Tout d’abord Gabriel Andreescu634, lors d’une conférence de presse organisée au
siège du GDS (Groupe pour le Dialogue Social) le 8 septembre 2000, réclame l’attention
publique sur le rôle de l’église et sollicite en son nom propre le Consiliul National pentru
Studierea Arhivelor Securitatii (Conseil national pour l’étude des archives de la Securitate)
à ouvrir les dossiers des membres du synode ; son argumentation invoque « la façon
systématique dont la hiérarchie de l’Eglise orthodoxe s’oppose aux intérêts fondamentaux
de la société roumaine […], que nous pouvons également constater lors de sa campagne
contre l’abrogation de l’article 200 »635, ce qui, selon l’avis de Gabriel Andreescu,
pourrait s’expliquer par la collaboration des ecclésiastiques avec la Securitate. Le geste de
Gabriel Andreescu est suivi par une initiative inouïe : la rédaction de la revue culturelle
Observator cultural lance une série de deux questions636 sur le rôle de l’Eglise dans la
société, respectivement sur l’abrogation de l’article 200, qui sont adressées à toute une
série de personnalités publiques roumaines637 ; les réponses (invariablement opposées à
l’ingérence de l’Eglise dans cette affaire et favorables à la dépénalisation de
l’homosexualité) sont publiées dans le Numéro 31 de 2000 de la revue. Cette initiative est
accompagnée par une autre situation sans précédent : le 18 octobre 2000, un groupe

633
Voir supra, Chapitre 6.
634
L’un des fondateurs de l’APADOR-CH, voir Chapitre 4.
635
« Gabriel Andreescu impotriva Sinodului Bisericii Ortodoxe », in Observator Cultural, N° 29,
Septembre 2000.
636
« Qu’est-ce que vous pensez de la décriminalisation de l’homosexualité ? Estimez-vous que la
lettre du Synode de l’Eglise orthodoxe roumaine adressée au Parlement une intrusion dans
l’activité législative ? Que pensez-vous de l’attitude de l’Eglise à cet égard ? », Observator
Cultural, N° 31, octobre 2000. La publication Observator Cultural représente un for particulier
dans le contexte de la société roumaine, puisqu’elle s’est imposée comme un dépositaire de la
compétence dasn le domaine du multiculturalisme et comme un champion de la pensée « politically
correct », des attributs intensément contestés autre part dans la paysage des publications.
637
Ont répondu, entre autres, Mircea Vasilescu, Monica Spiridon, Ioana Parvulescu, Adrian
Marino, Nora Iuga, Adrian Cioroianu, Horia Bernea, Mircea Cartarescu. Voir également Florian
BAICULESCU, « …miezul chestiunii in dezbatere publica nu est homosexualitatea, ci
homosecuritatea », in Observator Cultural, N° 31, 2000.

338
d’intellectuels roumains638 signe une pétition qui met l’accent sur la laïcité de l’Etat
roumain et qui conteste le droit de l’Eglise à intervenir dans le débat parlementaire. Ainsi,
le texte affirme que « l’Eglise orthodoxe roumaine n’a pas le droit moral et légal de
s’exprimer au nom de la majorité de la société roumaine, puisque la question de la
décriminalisation de l’homosexualité n’est pas une question dogmatique, mais un
problème civique, relevant des droits de l’homme ».
Nous remarquons que l’argument utilisé auparavant par les organisations militant
pour les droits humains, comme APADOR-CH, et par les entrepreneurs internationaux de
la démocratie commence à gagner une place dans la société roumaine et il est repris par
l’opinion publique qui met en question le rôle de l’Eglise dans la société et sa participation
excessive aux affaires politiques.
De plus, la « coopération sans rivalité »639 entre le spirituel et le temporel est rendue
d’autant plus difficile que la préparation à l’adhésion à l’UE fait chanceler un possible
équilibre. La conditionnalité démocratique de l’accès à l’Europe communautaire exigea du
gouvernement roumain des décisions contraires à celles désirées par l’Eglise et
l’abrogation de l’article 200 en est une. Satisfaire les exigences européennes relègue
l’Eglise dans une posture d’opposition au pluralisme, aux droits de l’Homme et aux
libertés individuelles. L’organisation religieuse est alors menacée de se voir marginalisée
en tant qu’adversaire de l’avenir démocratique européen du pays. Confrontée à cette
situation, comprenant que l’instrument de l’homosexualité ne sert plus sa cause, l’Eglise
orthodoxe se voit dans l’obligation de réviser ses positions et de faire appel à d’autres
sujets. Cela l’a conduit peu à peu à ajuster son propos, de la dénonciation d’un Occident
perverti et corrompu à la formulation d’une aspiration à une Europe chrétienne unie par la
foi : « Si on a affirmé clairement qu’il était essentiel pour l’Europe de s’unifier du point de
vue économique, il est tout aussi important qu’elle retrouve son esprit chrétien initial pour
640
avoir un avenir » . Effectivement, vers l’année 2000, une conception orthodoxe

638
Ovidiu Barbulescu, docteur en philosophie, Université de Bucarest, Anisoara Budici, professeur
d’histoire, Collège National Sf. Sava, Gabriel Catalan, docteur en histoire, Université de Bucarest,
Adrian Luca, docteur en philosophie, Université de Bucarest, Cora Oghina, diplômée des lettres,
Université de Bucarest, Daniel Oghina, chercheur, Institut des Sciences de l’Education, Flori
Stanescu, docteur en histoire, Université de Craoiva, Mircea Stanescu, docteur en philosophie,
Université de Bucarest, Oana Uta, docteur en philologie, Université de Bucarest, Bogdan Vilceanu,
diplômé en pédagogie, éditeur. Observator Cultural, N° 36, 2000.
639
Voir supra, Chapitre 4.
640
Affirmation du Patriarche dans sa Lettre pastorale pour Pâques 2000, publiée dans Vestitorul
Ortodoxiei (Le Messager de l’Orthodoxie), N° XII, 1 avril 2000.

339
alternative de l’avenir de l’Europe voit le jour, à savoir l’espoir que cet avenir sera
chrétien.
Etat comme Eglise se trouvent donc engagés dans une dynamique de recomposition
de leurs rapports mutuels tout aussi bien que de leurs rapports avec le monde extérieur. La
question de l’adhésion européenne fonctionne comme un moteur de changement, mais
aussi comme un révélateur de l’absence de réflexion préalable de l’Eglise sur son rôle et
son influence dans la démocratie.
L’attitude de l’Eglise reste néanmoins défavorable à l’idée d’abroger l’article 200 et,
si la voix des représentants ecclésiastiques se fait entendre moins sur ce sujet-là,
l’association Noua Dreapta ne cesse d’intervenir, de se mobiliser, en invoquant les valeurs
de l’orthodoxie chrétienne641. Toutefois, l’idée de la place de la religion dans une société
démocratique sécularisée et la remise en question de la légitimité de l’institution de la foi à
décider sur la réglementation juridique de la vie privée et des droits des citoyens se font de
plus en plus entendre.

ACCEPT : la chronique du « succès »

Les principaux opposants de l’Eglise orthodoxe restent ACCEPT et APADOR-CH,


cette dernière depuis la première moitié des années 1990 « l’adversaire » de l’intrusion de
l’Eglise dans les affaires politiques et le défenseur de la cause homosexuelle ; les deux
associations continuent leurs efforts pour susciter une réponse positive à la demande
d’abrogation de l’article 200 et continuent leurs campagnes de lobbying et advocacy.
Vers la fin de 1998, l’association ACCEPT avait envisagé de prendre une initiative
différente sur le plan interne, à savoir un projet de loi comprenant entre autres l’abrogation
de l’article 200. Accomplie avec le soutien642 de Manuela Stefanescu, membre d’ACCEPT
et en même temps co-présidente d’APADOR-CH, de Scott Long, membre d’ACCEPT
également et coordonnateur d’IGLHRC, et de Monica Macovei643, avocate et auteure de
quelques autres projets de loi, l’initiative s’arrête sur le titre II du Code pénal (« Infractions

641
Les relations entre l’Eglise orthodoxe roumaine et l’association Noua Dreapta mériteraient plus
d’attention : par exemple, la publication Scara, une revue dont les rédacteurs et éditeurs se
déclarent ouvertement proches de cette association, est délivrée périodiquement aux étudiants du
Séminaire théologique de Cluj. Le sujet dépasse les limites de cette analyse.
642
Voir ILGA Eurolleter N° 59, avril 1998.
643
Voir supra, Chapitre 7.

340
contre la personne »), chapitre III (« Infractions concernant la vie sexuelle »). Ainsi,
l’initiative se penche-t-elle sur l’abrogation de l’article 200, mais elle vise aussi des peines
égales pour les cas où les relations sexuelles se placent au-delà de la loi (viol ou pédophilie),
qu’elles soient hétéro ou homosexuelles. Toujours est-il que ce n’est pas l’initiative
d’ACCEPT de modifier le Code pénal qui arrivera sur l’agenda du Parlement, mais
l’initiative du Ministère de la Justice, que nous venons d’examiner dans la première section
de ce chapitre, qui comprenait des propositions similaires et surtout des raisonnements
similaires pour l’argumenter. Les prévisions de la Résolution 1123/1997 du Conseil de
l’Europe644 et les demandes des institutions européennes, de même que les principes de la
Cour européenne des droits humains sont évoqués, à côté des valeurs de la démocratie.645
Après avoir collaboré avec ses partenaires habituels, ILGA, IGLHRC, Amnesty
International, Human Rights Watch, lors de plusieurs actions d’alerte vouées à susciter
l’attention des organismes internationaux sur la situation des relations homosexuelles en
Roumanie, comme nous l’avons vu précédemment, l’association devient de plus en plus
visible et ses activités continuent sur la même lignée, en attirant également le soutien des
organisations internes. Une nouvelle offensive est lancée sur le plan interne, par la
campagne du 10 décembre 1999 (à l’occasion de la Journée internationale des droits de
l’Homme). ACCEPT lance alors une collecte de signatures pour l’abrogation de l’article
200, vouée à apporter la preuve indubitable que la population roumaine n’est pas
homophobe dans sa totalité, qu’il y a des citoyens intéressés et impliqués dans la
construction d’un cadre démocratique en Roumanie646. De plus, une brochure qui présente
en 6 points les raisons pour dépénaliser les relations homosexuelles est distribuée aux
sénateurs et députés. Cette initiative est soutenue aussi par quelques organisations non
gouvernementales roumaines : son partenaire depuis le commencement, APADOR-CH,
auquel s’y ajoutent d’autres organisations locales : Asociatia Pro-Democratia647,

644
Voir supra
645
« Accepter la diversité est un trait essentiel de toute société démocratique. »
646
Les résultats de cette initiative restent jusqu’à ce moment inconnus.
647
L’Association Pro Democratia (APD) est une organisation non gouvernementale, à but non
lucratif et sans activités partisanes, créée en 1990. A présent, elle anime 28 clubs réunissant plus de
1000 personnes (des volontaires et des membres statutaires), cf. http://www.apd.ro.

341
CENTRAS648, Fundatia pentru Dezvoltarea Societatii Civile649, Grupul Roman pentru
Aprarea Drepturilor Omului650, Liga Pro Europa651, Societatea Academica din Romania.
La même année, le secteur associatif roumain s’est enrichi d’une nouvelle
organisation militant pour la défense des droits des minorités: un groupe d’initiative s’est
constitué au commencement de l’année: Rainbow Group de Cluj, ayant comme leader
Rober Varga, qui avait l’intention de fonder une organisation non gouvernementale pour la
défense et l’amélioration des droits des minorités sexuelles. En juillet, ce projet est mis en
pratique et l’association Attitude ! est enregistrée à Cluj comme organisation pour la
défense des droits des minorités, militant contre toutes sortes de discriminations et
intolérances, y compris contre l’homophobie. Attitude ! Cluj se revendique comme la
première association gaie et lesbienne roumaine officiellement reconnue, à l’encontre de
l’association ACCEPT, qui est déclarée comme association de défense des droits de
l’Homme. A son tour, même si elle se présente formellement avec un objectif plus large,
ACCEPT mène une activité clairement orientée vers les minorités sexuelles652. Qui plus
est, l’association de Cluj est moins orientée vers des problématiques politiques et reste
plutôt concernée par des questions de socialisation. Selon la déclaration de son leader
Robert Varga, le groupe « vacillates between being and informal organization focused on
social events like parties and bar shows and being politically active »653. Les

648
Le Centre d’assistance aux organisations non gouvernementales, créé en 1995, se donne pour
but de contribuer au développement de la démocratie en Roumanie à travers la consolidation du
secteur associatif, cf. http://www.centras.ro.
649
La Fondation pour le Développement de la Société Civile (FDSC) a été créée comme personne
morale à but non lucratif au mois de décembre 1994. Elle se donne pour mission de soutenir le
développement des organisations de la société civile (FDSC) http://www.fdsc.ro.
650
Le Groupe roumain pour la défense des droits de l’homme, créé en 1994, qui défend par les
moyens légaux les droits et les libertés fondamentaux de l’homme ; il surveille la manière dont les
dispositions relatives aux droits de l’homme inclues dans les documents et les actes internationaux
sont respectées par les pays membres de l’ONU.
651
Une des premières organisations non gouvernementales en Roumanie postcommuniste, fondée
le 30 décembre 1989 par un groupe d’intellectuels habitant la ville de Târgu-Mure et dévoués à
l’idée pan-européenne, aux valeurs de la démocratie et du pluralisme, cf. http://www.proeuropa.ro.
652
Le fait qu’Attitude ! se déclare la seule organisation pour gays et lesbiennes reconnue par l’Etat
roumain fait l’objet d’un conflit avec l’association bucarestoise ACCEPT, déjà bien implantée dans
le paysage associatif. De plus, Robert Varga estime que l’association ACCEPT bénéficiait d’un
certain « monopole » sur la question gaie en Roumanie, en revendiquant toute source de
financement possible.
653
Interview avec Robert Varga de Richard Ammon, en 2000, publiée sur le site GlobalGauz.com,
A Worldwide Gay Travel and Cultures – Life, Sites and Insights, consulté le 24 mai 2004. Le site
de l’association de Cluj, www.attitude.ro ne fonctionne plus.

342
développements ultérieurs attestent que le groupe s’est finalement appliqué à la première
dimension de ses activités, les événements sociaux et les spectacles.
Néanmoins, cette tension entre les deux groupes nous offre l’occasion de quelques
remarques plus générales sur l’association ACCEPT et sa place dans la société roumaine.
Nous avons déjà remarqué à la fin du Chapitre 7 la professionnalisation rapide de
l’association, qui démontre en effet le manque d’une capacité réelle de mobilisation
collective, de s’assurer une abondance d’adhérents. S’y ajoute l’incapacité de l’association
de trouver de financements locaux. Effectivement, ACCEPT demere sous la tutelle
financière de ses partenaires externes, des bailleurs de fonds occidentaux. Nous sommes
plutôt en face d’une petite cellule qui développe un rapport de service vis-à-vis d’une
population cible, dans laquelle travaillent des professionnels qui sont renumérés. Nous
n’avons pas àffaire à un lieu d’expression de l’engagement social ou du militantisme. C’est
justement cette place que le groupe Attitude ! Cluj se révendique. Les raisons pour
lesquelles il n’arriva pas ne font pas la matière de cette analyse. Il convient d’observer que
le parcours de l’association ACCEPT n’est pas singulier dans la société roumaine, au
contraire même. L’association est plutôt exemplaire à cet égard, le secteur ONG roumain
étant caractérisé par l’impossibilité de développer ses propres ressources, en demerrant
dépedant économiquement et culturellement de l’exterier654.

Pour revenir, l’organisation ACCEPT continue ses activités de lobbying, elle


participe à des projets de plus en plus nombreux, elle reçoit le soutien de plusieurs
organisations européennes et internationales : après avoir bénéficié pendant les trois
premières années de son fonctionnement du soutien du Ministère néerlandais des Affaires
étrangères à travers le programme MATRA, l’association est sponsorisée tout au long des
années suivantes par de nombreuses organisations internationales, parmi lesquelles:
Cooperating Netherlands Foundations for Central and Eastern Europe, l’Ambassade des
Pays-Bas à Bucarest, l’Ambassade Canadienne à Bucarest, l’Ambassade finlandaise à
Bucarest, UNAIDS (The Joint United Nations for HIV/AIDS), Open Society Institute,

654
Voir par exemple Gautier PIRROTE, « Engagement citoyen et société civile. Une réflexion à
partir du projet roumain de société civile postcommuniste », in SociologieS Transferts,
L’engagement citoyen en Europe centrale et orientale, mis en ligne le 5 novembre 2009,
www.sociologies.revues.org, consulté le 11 novembre 2009.

343
ASTRAEA, Kimeta Society of Toronto, Canada, PSI (Population Services International)
etc 655.
En décembre 1999, elle emménage dans de nouveaux locaux (10, rue Lirei à
Bucarest), dans une large maison qui se distingue des autres par sa peinture en couleurs
vives, mais qui ne porte aucun signe distinctif : ni panneau indiquant le nom, ni plaque à
l’entrée. De plus, l’adresse de l’association reste inconnue pendant plusieurs années et
même à l’heure actuelle dans tous les documents il ne figure qu’une boîte postale et le
numéro de téléphone : OP 34, CP 56, Bucarest, Romania656. C’est également le moment où
l’association roumaine a été récompensée par l’attribution du prix EGALITE « Equality for
Gays and Lesbians in the European Institutions657 ».
A partir du mois de septembre 2000, le bulletin de l’association connaît une
régénération : la responsabilité de l’édition revient à Bogdan Honciuc, qui lance un
nouveau « concept », avec un nouveau nom : Accept Newsletter devient lgbt@accept, les
premiers deux numéros apparaissent en même temps, dans l’édition de septembre -
octobre. Il est publié certainement jusqu’au numéro 7, en mars 2001, pour se perdre dans la
sphère virtuelle une fois que le site de l’association est reconstruit : www.accept.ong.ro
devient www.accept-romania.ro et les archives se perdent.

Lorsque la Chambre de Députés met à son agenda la proposition du Gouvernement


d’aligner le Code pénal à la Résolution 1123/1997, les deux associations se mobilisent
pour lancer une autre campagne d’actions d’alerte : elles envoient des lettres ouvertes au
président du Sénat et aux chefs des tous les groupes parlementaires du Sénat, par lesquelles
sollicitent la mise à l’agenda de la question et l’adoption du Projet de Loi pour modifier et
compléter le Code pénal et le rendre conforme à la Résolution 1123/1997 avant les
élections, le 26 novembre 2000. A partir du 14 septembre 2000, date de la lettre de
l’APADOR-CH, des lettres circulent sans cesse. D’une part, ACCEPT envoie des appels
aux autorités politiques roumaines, de septembre jusqu’au novembre, avant les élections,

655
http://accept.ong.ro, le premier site internet de l’association, et http://accept-romania.ro, le site
actuel.
656
L’adresse 10, rue Lirei apparaît pour la première fois sur les documents en 2008 ; également, le
rapport annuel fait mention des noms des membres du conseil directeur, ceux des employés et
indique un nombre de membres après l’assemblée générale, à savoir 46 personnes.
657
Voir supra, Chapitre 8. Le premier prix EGALITE a été accordé en 1995 à Claudia Roth, pour
sa contribution matérialisée dans le Rapport Roth. :
http://www.europarl.eu.int/hearings/igc1/doc13_en.htm.

344
pour reprendre la campagne après la formation des nouveaux Gouvernement et Parlement.
D’autre part, ACCEPT sollicite de nouveau ses partenaires externes, ILGA, ILGHRC et
Human Rights Watch, qui répondent à leurs tours par toute une série d’appels envoyés aux
représentants politiques roumains658. Le Sénat n’aura pas l’opportunité de s’exprimer sur
ce projet de loi, mais le mois précédant le scrutin donne l’occasion à un autre événement
marquant pour cette histoire : grâce à l’hospitalité de l’association ACCEPT, la 22ème
conférence annuelle d’ILGA (la 4ème conférence de ILGA Europe) a eu lieu à Bucarest du 4
au 8 octobre 2000659.

« ACCEPTing Diversity », 22ème Conférence d’ILGA à Bucarest

Depuis 1979, ILGA organise des conférences annuelles, le temps de faire le point sur
les stratégies suivies et les projets futurs. Après la création d’ILGA-Europe en 1997, la
conférence annuelle est organisée de manière conjointe et en 1998 elle a eu lieu à Linz, en
Autriche, en 1999 à Pise, en Italie. Il s’agit donc d’une pratique assez nouvelle pour ILGA
Europe, ce n’est que la quatrième rencontre dans cette formule depuis Londres 1997, mais
d’une longue tradition pour ILGA, que nous n’attaquons pas à cette occasion. Il suffit de
préciser l’un des sujets inscrits sur l’agenda de cette conférence, à savoir « la mobilisation
de la politique de l’Union européenne visant à combattre la discrimination fondée sur
l’orientation sexuelle », pour passer à ce que l’événement représente plus spécifiquement du
point de vue de notre analyse.
Tout d’abord, Bucarest avait été choisi comme localisation de cette conférence deux
ans auparavant, lors de la Conférence annuelle d’ILGA, à Linz ; comme précisé dans un
communiqué de presse de l’association ACCEPT, « [t]he decision to organise this

658
Le 15 septembre 2000, ACCEPT lance une série de lettres adressées à Rodica Stanoiu,
responsable de la Commission pour les Droits de l’Homme au Sénat, Mircea Ionescu Quintus,
président du Sénat, George Achim, leader du PNTCD, Cristian Dumitrecu, leader du PDSR,
Verestoy Attila, leader de l’UDMR, Corneliu Vadim Tudor, leader du PRM, Paul Pacuraru, leader
du PNL, Vasile Dobrescu, leader du PUNR. ACCEPT envoie également un appel à ILGA, qui
comprend une lettre-type et les adresses postales et de courrier électronique et les numéros de
téléphone de tous ceux énumérés ci-dessus. L’appel d’ACCEPT circule sur des listes de diffusion :
ILGA list, Queerplanet, Euro-queer mailing list ; certaines organisations ou des personnes
individuelles répondent à cet appel en envoyant des lettres aux autorités politiques roumaines.
659
ACCEPTing Diversity. The 22nd Conferense of ILGA (International Lesbian and Gay
Association), Rapport proposé par ACCEPT, disponible sur la page www.ilga-europe.org (consulté le
5 mars 2004). Voir l’affiche de la conférence en Annexe VII.

345
Conference in Bucharest was made in October 1998, hence being in no way related to the
vote of the Romanian Chamber of Deputies to repeal article 200 (June 28, 2000) »660.
Toutefois, le fait de choisir Bucarest pour héberger cet événement n’est pas sans
importance : il est question ici d’un choix stratégique de la part d’ACCEPT en
collaboration avec ILGA, qui s’inscrit dans les mêmes politiques innovatrices des réseaux
transnationaux de militants (voir supra, cap 4) : les politiques symboliques, les politiques
d’atout et les politiques de responsabilité661. Une conférence de large audience, la
conférence annuelle d’ILGA et ILGA-Europe, a lieu à Bucarest, la capitale d’un pays qui
garde une législation punitive des relations homosexuelle ; l’événement est utilisé pour
rendre publiques les demandes conjointes d’ILGA et ACCEPT, à savoir l’abrogation de
cette législation. Qui plus est, des acteurs plus puissants sont engagés pour la promotion de
la même cause : Joke Sweibel, membre du Parlement européen, présidente de l’Intergroupe
lgbt et ancienne membre du conseil directeur de COC Nederland662, participe aux travaux
de la conférence de Bucarest. De plus, la conférence trace les parallèles entre les
caractéristiques déjà reconnues par l’Etat roumain, voire le respect des droits humains et
les engagements envers les institutions européennes, et les situations actuelles, à savoir le
maintien de la législation punitive. Plus précisément, l’attention internationale est canalisée
vers la Roumanie, l’Etat-cible, qui est montrée du doigt, confrontée à ses promesses, et
sommée de faire disparaître les écarts entre les discours et pratiques663. La conférence
bénéficie d’une large audience dans les médias et des chaînes de télévision roumaines et
internationales (comme CNN, BBC ou Reuters) couvrent les travaux. Par contre, les
journalistes ne sont pas admis dans les salles de travail. Les autorités roumaines, à leur
tour, semblent ignorer l’événement : si des représentants des ambassades des Etats-Unis,
d’Allemagne ou des Pays-Bas répondent aux invitations de participer, aucune personnalité
politique roumaine n’est présente. Invité pour ouvrir les travaux de la conférence, le
président Emil Constantinescu ne daigne même pas répondre pour décliner l’invitation, ce

660
ACCEPT Communiqué, le 6 juillet 2000, repris dans le bulletin électronique de l’association
ACCEPT Newsletter, N° 24, août 2000.
661
Margaret E. KECK et Kathryn SIKKINK, op. cit. pp. 18-25.
662
Voir supra, Chapitre 8.
663
Voir par exemple un article signé seulement par des initiales : R. I. B. et K. L. « Romania va fi
pârâta Europei daca nu se poarta frumos cu homosexualii » (La Roumanie sera dénoncée à
l’Europe si elle ne traite pas bien les homosexuels » in Ziua, 5 octobre 2000.

346
qui provoque la publication d’une lettre ouverte664 qui lui demande de venir clôturer la
conférence ; celle-ci reste également sans réponse. A titre d’exemple, la conférence
annuelle précédente à Pise, en Italie, avait bénéficié de la présence du premier-ministre
italien. Toutefois, la conférence avait obtenu la protection de la Police, qui garde à distance
un petit groupe de manifestants apparemment regroupés par Noua Dreapta.
L’association roumaine devient donc un acteur important, reconnue et appréciée sur
le plan européen et international, collaboratrice d’ILGA et bien connue par les membres de
l’Intergroupe lgbt du Parlement européen, qui continueront à lui assurer sa visibilité auprès
des institutions européennes.
***

Effectivement, l’association ACCEPT continuera sa campagne, non seulement à


travers des lettres, mais aussi grâce à des rencontres personnelles avec des membres du
Parlement européen, des représentants des ambassades des pays européens à Bucarest, des
représentants de la Délégation de la Commission européenne à Bucarest. Adrian Coman,
présent à Bruxelles pendant plusieurs jours en décembre 2000 et pendant la première
moitié de l’année suivante, cultive les relations et participe à des réunions avec Joke
Swiebel, Astrid Tors, Emma Nicholson, Michael Cashman. Nombre d’entre eux vont
répondre aux appels d’ACCEPT et vont envoyer des demandes concernant l’abrogation de
l’article 200. Les organisations internationales lancent à nouveau des « actions d’alerte »
pour demander l’abrogation de l’article 200 : ILGHRC a mis en place une dernière
campagne en octobre 2000, Amnesty International en a fait une en septembre 2000665, puis
une autre en mai 2001666. Si lors de la conférence annuelle d’ILGA à Bucarest, le corps
politique roumain a pu ignorer les nombreuses demandes d’intervenir sur le Code pénal
pour abroger l’article 200 puisque la campagne électorale battait son plein, le nouvel
Gouvernement élu en novembre 2000 et le président Iliescu qui revient au pouvoir ne
peuvent plus négliger ces exigences.

664
« Homosexualii cer presedintelui Constantinescu sa patroneze finalul reuniunii lor » (Les
homosexuels demandent au président Constantinescu de présider le final de leur réunion), Ziarul de
Iasi, 6 octobre 2000.
665
Amnesty International, EUR 39/005/2000.
666
Amnesty International, EUR 39/008/2001.

347
Une nouvelle législature, les mêmes défis

Les élections législatives et présidentielles remportées par la Convention Démocrate


en 1996 avaient donné beaucoup d’espoirs, non seulement aux défendeurs des droits
humains, mais à d’autres domaines de la vie politique et sociale. La coalition quitte le
pouvoir sans arriver à changer la situation légale des gays et des lesbiennes et le nouveau
gouvernement reprend le Code pénal qui comprend l’article 200 dans la même formule
qu’il l’avait laissé en 1996, comme un problème pas encore résolu. Les élections
présidentielles et législatives ont lieu le 26 novembre 2000 et le second tour pour l’élection
présidentielle, le 10 décembre 2000, à l’issue duquel Ion Iliescu, le candidat du PDSR, est
à nouveau élu comme président. Il remporte la victoire avec 66, 83 % des voix, contre les
33, 17 du Corneliu Vadim Tudor667. Le PDSR est le principal gagnant également des
législatives, avec 45% des sièges à la Chambre des Députés et 46% au Sénat, tandis que le
Parti de la Grande Roumanie (PRM) enregistre une percée électorale sans précédent,
s’affirmant comme seconde force politique668. Adrian Nastase est désigné comme nouveau
Premier Ministre du gouvernement et Rodica Stanoiu nouveau Ministre de la Justice. Le
jour même de son investiture, la social-démocrate Rodica Stanoiu affirme dans une
conférence de presse669 que, « tenant compte de l’opposition de l’Eglise orthodoxe et dans
un pays comme la Roumanie », elle ne voyait pas « de raisons pour ne pas organiser un
référendum sur la question de l’article 200 ».

Après les élections de 2000, une intervention sur l’article 200 n’était pas du tout une
priorité, et la réforme de la justice en ensemble ne le devient que plus tard, en 2002 plus
précisément, et surtout dans le courant de l’année 2003670. D’autre part, les perspectives
d’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne étaient plutôt sombres. Au-delà du
discours officiel des autorités politiques roumaines, bénéficiaires d’un certain capital
d’enthousiasme pro-européen, le pays avait seulement ouvert à la fin de l’année 2000 neuf

667
Lors du premier scrutin neuf candidats s’étaient présentés : Ion Iliescu, Corneliu Vadim Tudor,
Teodor Stolojan, Mugur Isarescu, Petre Roman, Teodor Melescanu, Gheorghe Manole et Graziela
Elena Barla.
668
Le PSD obtient 44,93 % des voix à la Chambre et 46,43 % au Sénat et le PRM respectivement
24,35 % et 26,43 % des voix.
669
Le 28 décembre 2000, Central Europe Review,
http://www.tol.cz/look/TOL/section.tpl?IdLanguage=1&IdPublication=4&NrIssue=75&tpid=43.
670
Le projet de Loi pour modifier et compléter le Code pénal et le rendre conforme à la Résolution
1123/1997 voté par la Chambre des Députés en juin 2000 arrive au Sénat le 26 novembre 2002.

348
sur trente et un chapitres de la négociation, dont seulement six étaient suffisamment
avancés pour permettre le clôture provisoire ; une année après, dix-sept chapitres étaient
entamés, dont neuf achevés provisoirement. Par ailleurs, la Roumanie était le seul pays à
ne pas avoir entamé les négociations sur l’ensemble des chapitres en 2002, cela à cause de
son retard économique. De plus, « le gouvernement social-démocrate avait commencé les
négociations avec les chapitres les moins problématiques, les plus difficiles étant laissés
pour plus tard »671 ; tout cela met le pays dans une situation bien ingrate.

Sur ce fond de retard généralisé, la lettre du membre du Parlement européen Joke


Swiebel, du 1 février 2001, met encore une fois en lumière la distance entre les
engagements du pays et la situation réelle, en soulignant les exigences européennes :
« Puisque les droits de l’homme représentent un aspect clef pour l’adhésion de la
Roumanie à l’Union européenne, cette situation [l’article 200 du Code pénal] constitue
une raison d’inquiétude pour moi, comme membre du Parlement européen »672 ; elle
rappelle également les obligations que la Roumanie avait acceptées par la ratification des
traités de l’Union européenne et elle souligne le caractère discriminatoire de l’article 200
par rapport à ces traités.

Si l’attention de l’Europe reste alertée au sujet de l’article 200 du Code pénal


roumain et les prises de position de différents acteurs internationaux ne cessent d’arriver au
Sénat, au Gouvernement et au Président, l’Eglise orthodoxe continue, elle aussi, à exprimer
sa position : le message adressé par le patriarche à la population à l’occasion des Fêtes de
Pâques, en mai 2001, se réfère encore une fois au thème en question. Profitant de la
présence du président Ion Iliescu, le patriarche Teoctist renouvelle son appel pendant le
service divin et affirme que «c’est impossible de légaliser sur un geste contraire à la
nature ».

En plein déchaînement des tensions entre les différents acteurs concernés par l’article
200, le Gouvernement laisse ces échanges sans objet : le 21 juin 2001, l’Ordonnance

671
Ramona Coman, Réformer la justice… op. cit., p. 112.
672
Lettre de Joke Swiebel adressée aux leaders de groupes politiques roumains du Sénat (Ioan
Solcanu, PDSR, Attila Verestoy, UDMR, Petre Roman, PD, Radu Alexandru Feldman, PNL,
Corneliu Vadim Tudor, PRM) et au président de la Roumanie, Ion Iliescu, le 1 février 2001,
disponible sur le site http://accept.ong.ro/stiri.html, consulté le 8 juillet 2004.

349
d’urgence du Gouvernement 89/2001 est émise, qui rend caduc l’article 200, mettant fin à
9 ans de discussions, débats et controverses. Les relations homosexuelles ne constituent
plus une infraction sanctionnée par le Code pénal et les infractions sexuelles sont
désormais régies par une législation unitaire : ayant lieu entre des personnes de même sexe
ou des sexes opposés, la même législation s’y applique. Les deux ordonnances, l’OG
137/2000 et l’OUG 89/2001, vont faire l’objet des débats parlementaires à la fin de l’année
2001673 et vont être adoptées en janvier 2002674.

La décision du Gouvernement roumain est bien enregistrée par les institutions


européennes, qui remarquent : « [c]ela représente un progrès important dans la législation
relative aux droits de l’homme, qui permet à la Roumanie de s’aligner sur les normes
européennes »675. Mais seule l’intervention sur la législation concernant l’homosexualité
ne fait pas la réforme et la procédure suscite à son tour des critiques de la part des
rapporteurs européens. Malgré une appréciation positive sur le plan des critères politiques,
la Roumanie continue de se faire critiquée pour son incapacité à réformer le pouvoir
judiciaire et à améliorer le processus législatif et décisionnel, en particulier suite à l’usage
considéré excessif des ordonnances gouvernementales et ordonnances d’urgence.
Dans l’ensemble, les chapitres des négociations s’ouvrent et sont conclus lentement,
le retard économique reste sévère, la Roumanie n’est pas « dans les délais » et cela sera
d’autant plus un point saillant dans les relations avec l’Union européenne une fois que le
Conseil des ministres réuni à Copenhague en décembre 2002, et puis à Thessalonique, en
juin 2003, cite l’année 2007 comme une date envisageable pour l’admission de la
Roumanie.

673
La Chambre des Députés avait essayé d’intervenir sur le texte de l’Ordonnance 137/2000 et
exclure l’orientation sexuelle des critères de discrimination, ce qui a donné lieu à une autre
campagne d’actions d’alerte internationale.
674
L’OG 137/2000 devient la Loi 48/ 16.01.2002 et elle sera publiée dans le Journal Officiel N° 69/
31.01.2002 ; l’OUG 89/2001 devient la Loi 61/16.01.2002 et elle sera publiée dans le Journal
Officiel N° 65/30.01.2002.
675
Rapport régulier 2001.

350
B. Europe – européanisation

Nous avons suivi dans les pages précédentes les détails de la dernière étape des
confrontations au sujet de l’homosexualité, qui aboutit en juin 2001 à l’abrogation de
l’article 200 du Code pénal, par Ordonnance d’urgence du Gouvernement. Nous avons
affaire aux actions et échanges entre des acteurs que nous avons analysés depuis leur
apparition sur la scène politique et sociale en Roumanie après la chute du régime
communiste : l’association locale ACCEPT en collaboration avec ses partenaires
traditionnels, APADOR-CH, ILGA et ILGA-Europe, ILGHRC, AI, Human Rights Watch,
met en route des campagnes de lobbying pour faire des pressions sur le corps politique
roumain, afin que l’article 200 du Code pénal soit abrogé. Les initiatives du Gouvernement
de répondre positivement aux exigences formulées dans le cadre de l’adhésion à l’Union
européenne rencontrent principalement l’opposition de l’Eglise orthodoxe roumaine, qui
prétend représenter la majorité de la population. Sur le fond d’une réforme difficile de tout
point de vue, économique en principal, mais pas seulement, la réforme des prévisions
concernant l’homosexualité acquiert une place cruciale : « homosexuality and its legal
status have become severely overdetermined in Romanian political and public discourse
and its recent decriminalisation was read as a demand and precondition emanating from
‘Europe’ »676.
Effectivement, l’association ACCEPT, acteur national, ne s’impose pas dans le
paysage associatif roumain en tant que porteur de la cause des homosexuels roumains
luttant pour une vie meilleure, mais comme un puissant acteur travaillant au niveau
transnational pour canaliser l’attention internationale sur la Roumanie et maintenir
l’intensité des pressions externes. La décision d’abroger l’article 200 n’est pas le résultat
du processus législatif dans le Parlement roumain ; même si la Chambre des Députés était
finalement parvenue à ce même résultat, le Sénat n’arrive pas à s’exprimer à ce sujet et
l’expérience des travaux antérieurs sur ce même corps de lois montre bien que les deux
chambres peuvent arriver à des conclusions différentes, voire même contraires. Il est vrai
que cette fois-ci la Chambre des Députés, chambre qui avait refusé à plusieurs reprises les
initiatives du Gouvernement et qui s’était opposé méthodiquement pendant des années à
cette réforme, l’avait finalement validée par vote. Le Gouvernement, néanmoins, semble ne
pas pouvoir attendre la décision du Sénat ou bien il risque que celle-ci soit contraire : il

676
Carl STYCHIN, Governing Sexuality…, op. cit. p. 116.

351
délivre alors une Ordonnance d’urgence et met fin aux échanges. Tout cela vient renforcer
l’idée selon laquelle l’abrogation de l’article 200 du Code pénal roumain semble être plutôt
le résultat des pressions externes que des revendications internes.
D’ailleurs, l’« Europe » est systématiquement invoquée pour justifier la décision du
Gouvernement d’introduire une Ordonnance d’urgence pour abroger l’article 200 et les
pressions externes sont souvent tenues responsables de la finalité de cette réforme677,
comme pour soutenir les propos de George Mink qui observait que « [d]e nouveaux
concepts se sont propagés à une vitesse exceptionnelle aussi rapidement que la conviction
de voir jouer à la variable ‘européanisation’ le rôle dominant pour rendre intelligibles les
processus sociaux […] »678
Quel a été donc le rôle de l’ « Europe » dans la dépénalisation de l’homosexualité ?
De quelle manière peut-on se servir de la variable « européanisation » pour mieux
comprendre l’intervention du Gouvernement sur l’article 200 ? Telle est la question que
nous nous proposons d’approfondir dans cette partie de notre examen. Pour ce faire,
quelques précisions sont nécessaires.

Quelle définition pour l’européanisation ?

Après avoir débuté par rendre compte des transformations observées dans les anciens
Etats membres, depuis le milieu des années 1990, l’européanisation a évolué en tant
qu’outil théorique à la portée des chercheurs se donnant pour but de déchiffrer les
évolutions des sociétés post-communistes679. Dans un premier temps les acquis des études
européennes ne semblaient pas pertinents pour examiner le terrain à l’est. Une telle théorie,
affirme Laurence Whitehead, à savoir la théorie de l’intégration européenne qui « se
contente pour l’essentiel d’expliquer et d’interpréter les processus de convergence des
politiques et de restructurations des institutions au sein d’une communauté donnée d’Etats

677
Voir supra, Chapitre 4
678
George MINK, « Introduction », in Maxime FOREST, George MINK, op. cit., p 17
679
Heather GRABBE, « How Does Europeanization affect CEE governance? Conditionality,
Diffusion and Diversity », in Journal of European Public Policy, Vol 8, N° 6, 2001, pp. 1013-
1031; Klaus H. GOETZ, « Making Sense of post-communist central administration: modernization,
Europeanization or Latinization? », in Journal of European Public Policy, Vol 8, N° 6, 2001, pp.
1032-1051.

352
nationaux […], est indéfendable dans le cas des Treize d’Helsinki »680. A partir du moment
où les pays aspirant à intégrer l’Union européenne déposent leurs candidatures à
l’adhésion, l’Union devient une source de changement pour eux aussi et les effets de la
préparation à l’adhésion sont similaires, bien que beaucoup plus amples que dans les
anciens Etats membres681. Effectivement, les pays d’Europe centrale et orientale ont dû
répondre à une série de conditions beaucoup plus strictes afin d’être reçus dans la grande
famille de l’Europe, comme par exemple la reprise de l’acquis communautaire dans sa
forme intégrale, sans possibilité de refuser des parties de l’agenda de l’Union682. De là,
l’intérêt à étudier le phénomène d’européanisation à l’est, puisque le degré de convergence
serait plus élevé dans les pays candidats683.
L’européanisation est ainsi un terme beaucoup utilisé récemment et qui fait référence
à des phénomènes multiples : comme le remarque Olsen, « le terme [européanisation] est
utilisé dans des manières différentes pour décrire une variété de phénomènes et de
processus de changements (et ...) il n’a pas une signification précise et stable » 684. Ou
encore, la même idée est mise en évidence par Claudio Radaelli : « cette notion est utilisée
pêle-mêle pour signifier l’importance croissante des questions européennes au niveau
national, l’intégration européenne, la convergence ou encore la modernisation »685. La
notion est largement véhiculée dans les débats intellectuels, mais aussi médiatiques et
politiques, tout discours politique concernant l’Europe de l’est et également l’Union
européenne y fait appel. Les scientifiques attribuent au concept d’ « européanisation » des
contenus différents et des significations très spécifiques, ou au contraire, très vastes.

680
Laurence WHITEHEAD, « L’élargissement de l’Union européenne: une voie risquée de
promotion de la démocratie », in Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 8, N° 2, 2001,
pp. 305-332, p. 305 pour la référence.
681
« …the effects are likely to be similar in nature, but broader and deeper in scope », cf. Heather
GRABBE, « Europeanization Goes East : Power and Uncertainty in the EU Accession Process »,
Paper for the ECPR Joint Sessions of Workshops, Turin 22-27 March 2002, pp. 3-4.
682
A titre d’illustration, l’un des anciens Etats membres, le Royaume Uni, avait obtenu auparavant
des dérogations au sujet de la monnaie unique ou de l’espace Schengen, cf. Heather GRABBE,
« Europeanization Goes East:…», art. cit., p. 4.
683
Trois facteurs majeurs sont invoqués pour justifier cela : la vitesse d’adaptation, l’héritage
communiste et les marges de manœuvre plus serrées. Heather GRABBE, « Europeanization Goes
East:…», art. cit.
684
Johan P. OLSEN, « The Many Faces of Europeanization », in ARENA Working Paper, WP
01/02, p. 1.
685
Claudio RADAELLI, « The Domestic Impact of European Union Public Policy: Notes on
Concepts, Methods, and the Challenge of Empirical Research », in Politique européenne, 5, 2001,
pp. 107-142.

353
L’effervescence accrue autour de « l’européanisation », l’abondance des productions
portant sur cette thématique se traduisent par une variété de définitions686.
Afin de clarifier le concept, certains auteurs687 recourent à la distinction
« européanisation » - « intégration européenne ». Dans cette logique, l’européanisation ne
pourrait pas exister sans l’intégration européenne, mais les deux termes ne sont pas
synonymes. Le dernier fait référence au processus de construction de l’Union européenne,
à la création de nouvelles institutions au niveau supranational avec des pouvoirs exécutifs,
législatifs et juridiques. Le processus décisionnel au niveau européen et ses résultats
entraînent des changements dans les Etats membres, en matière politique, économique,
juridique et sociale. Ceux-ci font l’objet de l’européanisation, qui s’intéresse à une étape
ultérieure à la constitution des institutions européennes, ainsi qu’au rôle des facteurs
internes dans le processus d’adaptation à l’Europe. L’européanisation serait donc
« l’effet » que l’intégration européenne produit, cumulé avec l’influence de ces
changements dans la dynamique du processus décisionnel au niveau de l’Union
européenne.
Une description très compréhensive de ce terme, et grâce à cela très utilisée, a été
formulée par ce même dernier auteur ; ainsi, Radaelli propose une définition qui prend en
compte les mécanismes et les effets de l’impact de l’Union européenne sur les contextes
nationaux des Etats membres : « L’Europeanisation consiste dans le processus de (a)
construction, (b) diffusion et (c) institutionnalisation des règles formelles et informelles,
des procédures, des paradigmes, des styles, des façons de faire, des croyances et des
normes, qui sont définies et consolidées premièrement dans le processus décisionnel de
l’Union européenne et qui sont par après incorporées dans la logique des discours

686
Des bilans sur les différentes analyses qui emploient le concept et des tentatives de dégager la
variété des utilisations ont été déjà dressés. Voir par exemple Tanja BORZEL, Thomas RISSE,
« When Europe Hits Home: Europeanization and Domestic Changes », European Integration
online Papers, Vol. 4 N° 15, 2000; Johan P. OLSEN, « The Many Faces of Europeanization… »,
art. cit.
687
Voir Vivien A. SCHMIDT, « Europeanization and the Mechanics of Economic Policy
Adjustment », in Christian LESQUESNE, Yves SUREL, (dir.), L’Intégration Européenne. Entre
émergence institutionnelle et recomposition de l’Etat, Paris, Les Presses Sciences PO, 2004,
Chapitre 5, pp. 185-216 ; Claudio RADAELLI, « Whither Europeanization? Concept stretching
and substantive change », in European Integration Online Papers, 2000, Vol. 4, N° 8, p. 6 ; Simon
HIX, Klaus H. GOETZ, «Introduction: European Integration and National Political Systems », in
West European Politics, Vol. 23, N° 4, 2000; pp. 1-26; Robert LADRECH, « Europeanization and
Political Parties: Toward a Framework for Analysis », in Queen’s Papers on Europeanization, N°
2, 2001.

354
(national et subnational), des structures politiques et des politiques publiques
nationales ».688
Cette définition rend compte de l’ampleur du processus et des dimensions multiples
qu’il peut engendrer ; mais il vaut mieux éviter les difficultés théoriques engendrées lors de
son utilisation pour les situations des pays d’Europe centrale et orientale689 et retenir une
définition minimale qui exprime pourtant l’idée qui constitue le fondement de
l’européanisation, à savoir l’influence, au niveau de l’espace domestique des pays
analysés, des développements politiques européens. L’idée-maîtresse pour l’incursion dans
la sphère de l’européanisation est celle d’une harmonisation multidimensionnelle au niveau
de l’Europe ; l’européanisation est dirigée à la fois vers l’intérieur des frontières de
l’Union, en tant que partage de valeurs, d’institutions communes, et à la fois vers
l’extérieur, en tant que processus de diffusion du modèle européen.
L’abrogation de l’article 200 ne fait pas partie de l’ensemble des critères d’adhésion à
l’UE ; les exigences relatives à cette réforme ne sont présentes que de manière indirecte
dans les critères de Copenhague, comme le respect des droits de l’Homme et le respect et
la protection des minorités ; cette question ne fait pas la matière d’un chapitre des
négociations. Néanmoins, le sujet de l’homosexualité sera formulé de manière très
explicite lors des rapports réguliers de la Commission et il devient, dans le cas roumain, un
enjeu de la préparation à l’adhésion à l’Union.

De la conditionnalité de l’Union européenne

Traditionnellement, l’intérêt des recherches pour les questions d’européanisation


concerne le domaine socio-économique, les administrations, les institutions690. Il s’agit de
l’examen des changements au niveau des frontières externes, renvoi direct aux enjeux de
l’élargissement, ou du développement des institutions au niveau européen, de la

688
Claudio M. RADAELLI, « Whither Europeanization… », art. cit. p. 4.
689
Voir par exemple François BAFOIL, Europe centrale et orientale. Mondialisation,
européanisation et changement social, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences
politiques, 2006.
690
Helen WALLACE (éd.), Interlocking Dimensions of European Integration, Palgrave, 2001;
Yves MENY, Pierre MULLER, Jean-Louis QUERMONNE, Adjusting to Europe. The Impact of
the European Union on National Institutions and Policies, Londres, Routledge, 1996; Christoph
KNILL, The Europeanization of National Administration. Patterns of Institutional Change and
Persistence, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.

355
pénétration des systèmes nationaux de governance ou, autrement dit, de l’adaptation des
systèmes nationaux ou sous-nationaux à des normes européennes générales. Egalement, les
préoccupations des chercheurs pour les dynamiques de l’européanisation portent dans la
plus grande partie sur une direction linéaire de ces processus, en concentrant leur attention
sur les accommodations des sociétés aux transformations691. La notion d’européanisation
renvoie à la capacité d’exportation de formes d’organisation politique, dans le sens que le
modèle européen a des conséquences au niveau national.
Ainsi, pour que l’européanisation se produise, il doit y avoir un décalage entre les
politiques, institutions, discours au niveau européen et ceux-ci au niveau national, désigné
dans les travaux par le syntagme misfit692 . Une mauvaise compatibilité entre les niveaux
national et européen crée des pressions adaptatives pour équilibrer les deux : plus
l’inadéquation est grande, plus la pression en vue d’un changement est importante. Ces
pressions sont la première condition de l’européanisation.
La conditionnalité constitue l’un des principaux moyens dont l’Union européenne
dispose pour entraîner le changement et elle constitue de ce fait la toile de fond des
analyses centrées sur les mécanismes d’européanisation. Ce biais d’analyse par la
conditionnalité connaît un succès important pour expliquer le processus d’européanisation
à l’est. Comme le note Dorota Dakowska, « le terme de conditionnalité inhérente à
l’action extérieure de l’Union européenne en tant que principale productrice de
référentiels fut employé de manière exponentielle pour souligner le caractère hiérarchique
du processus d’élargissement »693. Leeda Demetropoulou, par exemple, recompose le
cadre de la conditionnalité européenne dans un tableau à quatre niveaux, où en premier lieu

691
Tanja BÖRZEL, Thomas RISSE, « When Europe Hits Home… » art. cit.; Kevin
FEATHERSTONE, Claudio RADAELLI (éds.), The Politics of Europeanization, Oxford
University Press, 2003; Christoph KNILL, Dirk LEHMKUHL, « How Europe Matters. Different
Mechanisms of Europeanization », in European Integration online Papers, Vol 3, N° 7, 1999.
692
La théorie du misfit fait référence dans les analyses de l’européanisation à l’inadéquation entre
les structures institutionnelles de l’Union européenne et celles du pays membre / candidat ; les
phénomènes de divergence ou de convergence entre le degré d’adaptation des pays membres
s’expliquent par le degré de la compatibilité entre les conditions nationales et les contraintes
européennes, la transmission de ces pressions dépendant d’institutions médiatrices. Si les normes,
les règles et leur acceptation générale au niveau européen sont en large mesure compatibles avec
celles qui leur correspondent au niveau national, il n’y a pas de changement important, pas
d’implémentation efficace, pas de processus d’apprentissage. Tanja BORZEL, Thomas RISSE,
« When Europe Hits Home… » , art cit.
693
Dorota DAKOWSKA, Les fondations politiques allemandes dans la politique étrangère: de la
genèse institutionnelle à leur engagement dans le processus d’élargissement de l’Union
européenne, thèse de doctorat dactylographiée, Institut d’Etudes Politiques de Paris, 2005, pag. 42.

356
se trouvent les accords européens, en deuxième les critères de Copenhague694, suivis en
troisième lieu par la stratégie de pré-adhésion (adoptée lors du Conseil européen d’Essen
en 1994 pour préparer les pays d’Europe centrale et orientale à l’intégration progressive de
l’acquis communautaire au niveau national) et finalement par la stratégie de pré adhésion
renforcée (l’Agenda 2000 adopté en 1997 fixe le cadre du futur élargissement, des
financements supplémentaires etc.)695.
Une telle approche mène à des visions parfois simplistes : la complexité des relations
entre les différentes dimensions des transformations est réduite à un calcul des
coûts/bénéficies selon l’importance des récompenses et la crédibilité des menaces et
sanctions696. Les instruments européens deviennent des étalons de mesure du « retard »
accumulé par les pays candidats, et l’Union réagit en procédant à des récompenses ou à des
sanctions - « les carottes et les bâtons »697, le prix ultime correspondant à l’adhésion
même698. De plus, les analyses de ce processus d’élargissement à travers la dimension
subordonnée des pays de l’Europe centrale et orientale restent en grande partie marquées
par le vocabulaire, les éléments et les points de référence diffusés par les acteurs
694
Lors du Conseil européen de Copenhague il est aussi convenu que « les pays associés d’Europe
centrale et orientale qui le désirent pourront devenir membres de l’Union européenne. L’adhésion
aura lieu dès que le pays associé sera en mesure de remplir les obligations qui découlent, en
remplissant les conditions économiques et politiques requises » (c’est nous qui soulignons),
Conclusions de la Présidence du Conseil européen de Copenhague des 21 et 22 juin 1993, loc cit.
695
Leeda DEMETROPOULOU, « Europe and the Balkans : Membership Aspiration, EU
Involvement and Europeanization Capacity in South Eastern Europe », in South European Politics,
Vol. III, N° 2-3, 2002, pp. 87-106.
696
Voir DAKOWSKA, loc. cit. p. 45. L’auteur synthétise des travaux de Schilmmelfenning, Engert
et Knobel, qui ont examiné la conditionnalité comme principal mécanisme de l’Union pour mettre
en œuvre les changements demandés pour l’adhésion. Il s’agit plus précisément de Frank
SCHILMMELFENNING, Stefan ENGERT et Heiko KNOBEL, « Costs, commitment and
compliance; the impact of EU democratic conditionality on Latvia, Slovakia and Turkey », in
Journal of Common Market Studies, vol 41, N° 3, 2003, p. 495-518, Frank
SCHILMMELFENNING, Stefan ENGERT et Heiko KNOBEL, « Costs, Commitments and
Compliance. The Impact of EU Democratic Conditionality on European Non-Member States »,
EUI Working Paper RSC, 2002/29, Florence, European University Institute, 2002, Frank
SCHILMMELFENNING, Ulrich SEDELMEIER, « Governance by conditionality: EU rule transfer
to the candidate countries of Central and Eastern Europe », dossier « External governance in the
European Union »,, Journal of European Public Policy, Vol. 11, N° 4, 2004, pp. 661-679.
697
« Carrots and sticks », Tanja BÖRZEL, Thomas RISEE, « One Size Fits All! EU Policies for the
Promotion of Human Rights, Democracy and the Rule of Law », paper prepared for the Workshop
on Democracy Promotion, Center for Development, Democracy, and the Rule of Law, Stanford
University, October 4-5, 2004.
698
« It is the EU that has come to be most associated with democratic conditionality, since the
eventual prize is no less than eventual membership for new democracies », affirme Geoffrey
PRIDHAM, « The international dimensions of democratization », in Geoffrey PRIDHAM, The
Dynamics of Democratization. A Comparative Approach, Londres & New York, Continuum, 2000,
p. 297.

357
communautaires et leur discours699. Même si incontournable, la dimension coercitive du
processus d’adhésion n’est pas suffisante700.
La conditionnalité doit être effectivement prise en compte en même temps qu’un
spectre large de corrélations : sa mise en œuvre, sa réception, les interactions constantes
avec les autres dimensions du changement, les facteurs médiateurs (facilitating factors) 701.
Ainsi, Sophie Jacquot et Cornelia Woll, premièrement dans un article et ensuite dans un
ouvrage paru en 2004702, critiquent les analyses portant sur l’européanisation pour prendre
en compte les acteurs nationaux seulement comme des « variables intermédiaires » et
proposent « une sociologie compréhensive des usages de l’intégration européenne » qui
nous semble apporter des éclaircis utiles pour notre étude de cas. Effectivement, en faisant
appel à l’européanisation dans notre analyse nous n’avons aucunement envisagé
d’expliquer le transfert qui s’opère du niveau européen vers le niveau national. Il a été
question tout au long de cette analyse de déchiffrer les processus internes : plus
spécifiquement nous avons suivi les manières dont les acteurs, interprètent le contexte - les
institutions européennes et les pressions qu’elles effectuent - afin de pouvoir agir pour
arriver à leurs buts.

L’Europe- une opportunité pour les revendications lgbt

La mise au clair des interactions qui ont conduit à l’abrogation de l’article 200,
l’examen des acteurs impliqués et de leurs rôles dans les échanges autour du sujet de la
dépénalisation de l’homosexualité en Roumanie apportent en premier plan de notre point
de vue ce que Sophie Jacquot et Cornelia Woll avaient désigné par le syntagme « les

699
Dorota DAKOWSKA, Laure NEUMAYER, « Pour une approche sociologique de
l’élargissement: les acteurs européens dans les nouveaux Etats membres de l’UE », Contribution à
la journée d’étude du groupe ‘Europe’ de l’AFSP L’élargissement de l’Union: un premier bilan,
IEP Bordeaux, 4 juin 2004.
700
Tanja BÖRZEL, Thomas RISSE, « When Europe Hits Home », art. cit. p. 1.
701
Tanja BÖRZEL, Thomas RISSE, ibidem.
702
Sophie JACQUOT, Cornelia WOLL, « Usage of European Integration – Europeanization from a
Sociological Perspective », in European Integration online Papers, Vol. 7, N° 12, 2003; Sophie
JACQUOT, Cornelia WOLL (dir.), Les usages de l’Europe. Acteurs et transformations
européennes, Paris, L’Harmattan, 2004.

358
usages de l’Europe » 703. Ainsi, « les usages recouvrent des pratiques et des interactions
politiques qui s’adaptent et se redéfinissent en se saisissant de l’Europe comme d’un
ensemble d’opportunités de nature diverse - institutionnelles, idéologiques, politiques ou
organisationnelles »704.
Les deux chercheuses proposent une analyse orientée vers l’interaction entre le
niveau micro de l’acteur et le niveau macro des institutions, qui met en lumière la
dimension dynamique et dialectique du processus d’intégration européenne. Elles
remarquent dans cette logique le travail politique réalisé par les acteurs au sein du
processus d’intégration européenne, à savoir le fait qu’ils « doivent s’emparer des
opportunités politiques et les transformer en pratiques politiques. Les opportunités,
ressources, ou contraintes, sont utilisées par des acteurs dans le cadre d’un processus de
réalisation d’un objectif »705.
Notre démarche s’inscrit donc dans la direction de recherche formulée par Simon Hix
et Klaus Goetz706, qui proposent d’observer les dynamiques des relations entre les
pressions européennes et les structures domestiques en prenant en compte une double
perspective sur l’impact de l’intégration européenne, d’une part la lignée « contrainte »,
d’autre part la lignée « opportunité » 707 :

703
Sophie JACQUOT et Cornelia WOLL, « Usages et travail politiques : une sociologie
compréhensive des usages de l’intégration européenne », in Sophie JACQUOT et Cornelia WOLL
(sous la dir. de), Les Usages de l’Europe… op. cit., pp. 1-32.
704
La définition avait en quelque sorte été reformulée depuis le première publication du texte: « les
pratiques et les interactions politiques qui s’adaptent et se redéfinissent à travers l’aperçu d’une
série d’opportunités offertes par l’Union européenne, qu’elles soient institutionnelles, idéologiques,
politiques ou organisationnelles » in Sophie JACQUOT, Cornelia WOLL, « Usage of
European… » art. cit., p. 4.
705
Sophie JACQUOT et Cornelia WOLL, « Usages of European… », art. cit., p. 10.
706
Simon HIX, Klaus H. GOETZ, «Introduction: European Integration and National Political
Systems », in West European Politics, Vol. 23, N° 4, 2000, pp. 1-26. Voir la page 10 pour les
fragments que nous citons ici.
707
Le concept de « structure d’opportunité politique » a été façonné principalement dans les
travaux anglo-saxons sur les mobilisations collectives depuis les années 1970 ; il s’agit d’une
configuration politico – institutionnelle qui, à un moment donné, offre des ressources – et impose
des contraintes – dont les acteurs se saisissent pour construire et faire avancer une cause. Devenue
rapidement un concept central de l’analyse des mouvements sociaux, cette notion a donné lieu à de
nombreuses recherches et a fait également l’objet de nombreuses critiques qui ont conduit à des
réaménagements successifs. Voir notamment Doug McADAM, John D. McCARTHY, Mayer N.
ZALD (dir.), Comparative Perspectives on Social Movements : Political Opportunity, Mobilizing
Structures and Cultural Framings. New York: Cambridge University Press, 1996, William A.
GAMSON, Talking Politics, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 1992, Hanspeter
KRIESI, Ruud KOOPMANS, Jan Willem DUYVENDAK, Marco G. GIUGNI, New Social
Movements in Western Europe: A Comparative Analysis, London, UCL Press, 1995; Lilian
MATHIEU, « Rapport au politiques, dimensions cognitives et perspectives pragmatiques dans

359
« (1) the delegation of policy competences to the European level and the resulting
political outcomes constrain choices, reinforce certain policy and institutional
developments, and provide a catalyst for change in others; and
(2) the establishment of a higher level of governance institutions provides new
opportunities to exit from domestic constraints, either to promote certain policies, or to
veto others, or to secure informational advantages »

Cette double perspective traduit de manière satisfaisante à notre avis les réalités du
terrain que nous avons mises en lumière tout au long de notre travail. Avec un intérêt
constant pour les acteurs et leurs interactions, nous avons suivi les principaux porteurs de
la cause homosexuelle depuis les premières années après la chute du régime communiste et
jusqu’à l’abrogation de l’article 200 en juin 2001. Ce dernier chapitre met au premier plan
les échanges qui précèdent la décision du Gouvernement d’émettre une ordonnance
d’urgence, un an après le début des négociations pour l’adhésion à l’UE. Nous sommes en
mesure à ce point de l’analyse d’avancer comme explication pour les imbrications que
nous avons mises au clair, l’émergence et le développement d’une mobilisation
transnationale qui utilise comme ressources les opportunités ouvertes par l’élargissement
de l’Europe vers l’est.
L’européanisation se traduit par une configuration politico -institutionnelle qui offre
des ressources dont certains acteurs se saisissent pour faire avancer leurs causes. Ce n’était
qu’indirectement notre objectif de déchiffrer les activités des réseaux transnationaux des
militants auprès les institutions européennes, mais l’investigation des actions de
l’association ACCEPT et de sa collaboration avec les partenaires transnationaux nous a
conduite à découvrir toute une série d’éléments pertinents. Nous avons de la sorte observé
dans un premier temps l’adhésion au Conseil de l’Europe utilisée comme une occasion
pour ILGA de mobiliser ses efforts pour mettre à l’agenda de cette institution la
problématique des droits des lgbt dans les pays qui souhaitent devenir membres.
Progressivement, nombre d’organisations transnationales s’installent à Bruxelles, ouvrent
leurs propres bureaux et orientent leurs activités vers la Commission et le Parlement
européen. Cela ne reste pas sans effets : les institutions européennes mettent en place des

l’analyse des mouvements sociaux », in Revue française de science politique, Vol. 52, N° 1, 2002,
pp. 75-100 ; Olivier FILLIEULE, « Requiem pour un concept. Vie et mort de la notion de
‘structure des opportunités politiques’ », in Gilles DORRONSORO (dir.), La Turquie conteste,
Paris, CNRS Editions, 2005, pp. 201-218.

360
mesures spécifiques pour la promotion de l’égalité et de protection contre les
discriminations des homosexuels. D’une part, au niveau européen, les institutions
s’engagent plus explicitement en faveur des droits des personnes lgbt, conceptualisés en
termes des droits humains, et la préparation à l’adhésion des pays candidats est utilisée
comme une opportunité de faire avancer ces demandes à l’agenda même des organismes
européens. Dans ce sens il est question ici d’un phénomène d’externalisation708 : lorsque
les opportunités politiques nationales deviennent pauvres, les acteurs tournent vers les
espaces internationaux pour faire avancer leurs revendications nationales. Nous y voyons
un premier usage de l’environnement politique de l’européanisation en tant qu’opportunité.
D’autre part, au niveau national, domestique, l’européanisation offre un ensemble
d’opportunités et d’outils symboliques et pratiques dont les militants se sont emparés pour
faire avancer une revendication. L’association ACCEPT et ses collaborateurs se réfèrent
également à l’Europe et à la perspective de l’intégration pour légitimer leurs actions et ils
ajoutent la dimension contraignante de l’européanisation, pour faire pression sur le pays
cible et le déterminer à passer à l’action. L’association ACCEPT est donc un collaborateur
qui fonctionne comme antenne locale pour les réseaux transnationaux de militants. Ces
mêmes réseaux ont présenté cette demande au niveau européen, processus désigné comme
un phénomène d’externalisation ; mais nous avons affaire également à un processus
d’internalisation, toujours dans les termes de Keck et Sikkink, puisque des questions
internationales se constituent en enjeux de politique interne. Des militants au niveau
national s’emparent des aspects relatifs aux problématiques européennes – les droits
humains des personnes lgbt, qui deviennent un sujet qui partage la société roumaine : le
Gouvernement et le Parlement, l’Eglise orthodoxe et la société civile interviennent sur la
question de la dépénalisation de l’homosexualité durant des longues disputes et
controverses.

Nous retiendrons donc l’usage de l’européanisation en tant qu’opportunité politique :


l’élargissement de l’Europe à l’est se traduit par une configuration politico -institutionnelle
qui offre des ressources dont des acteurs se saisissent pour faire avancer leurs causes. Pour
clore sur cet aspect, il convient de souligner que, dans notre vision de ces dynamiques,
l’homosexualité n’a représenté en Roumanie ni une demande, ni une précondition

708
Margaret E. KECK et Kathryn SIKKINK, Activists beyond borders…op. cit.

361
« emanating from Europe », pour reprendre les termes de Carl Stychin709. La promotion
des droits humains des personnes lgbt et la lutte contre les discriminations en raison de
l’orientation sexuelle représentent des revendications des réseaux transnationaux travaillant
à l’échelle internationale, qui s’investissent au niveau supranational et qui utilisent le cas
roumain pour donner plus de visibilité à leur cause : nous comprenons maintenant
l’application du modèle du boomerang décrit par Keck et Sikkink et ensuite par Sikkink et
Risse (voir chapitre 4) : ILGA et plus particulièrement ILGA-Europe, une organisation
mise en place par la collaboration des différentes associations nationales, arrivent à faire
avancer les questions des droits et antidiscrimination des personnes lgbt dans chaque pays
de l’Union européenne après avoir sorti des arènes internes et agit au niveau transnational ;
la souveraineté des Etats européens est défie par le supranational. Lorsque les opportunités
politiques nationales deviennent trop pauvres, les acteurs investissent des espaces
internationaux pour faire avancer leurs revendications. Les conjectures européennes – les
nouvelles démocraties à l’est de l’Europe, les nouveaux adhérents au Conseil de l’Europe
et ensuite à l’Union européenne– offrent des nouvelles opportunités pour pousser à
l’agenda des institutions des causes qui autrement manquent de ressources pour y arriver.
Nous avons donc mis en lumière les premiers pas de l’articulation des revendications
lgbt en Roumanie, le passage de la répression vers la libération. L’analyse de ce processus
a apporté en premier lieu un spectre large d’interactions à différents niveaux dans un
environnement politique marqué par la construction démocratique. Ce dernier chapitre est
traversé par les mêmes questions qui font la matière de notre analyse depuis le
commencement : les rapports des autorités roumaines aux institutions européennes, la
séparation de l’Eglise et l’Etat, le conflit normes – mentalités, l’étendue des négociations
démocratiques sur les thématiques sexuelles, le rôle des entrepreneurs transnationaux et les
réponses internes. L’homosexualité est un fil rouge qui relie entre eux des phénomènes
sociaux et politiques et qui nous permet de saisir un univers des acteurs qui interagissent
sans cesse à la frontière de différents espaces.

***
L’évolution reconstituée dans ce dernier chapitre s’est achevée par un changement
important, traduit par l’abrogation de l’article 200 du Code pénal roumain et par l’adoption
d’une législation qui protège les personnes lgbt des discriminations. Notre propos n’a pas

709
Carl STYCHIN, op. cit. p. 116.

362
été de suivre l’impact de ce changement législatif. De même, la question du changement
social entraîné par cette intervention dans la législation reste ouverte et celle-ci pourrait
faire l’objet d’une recherche qui suive la problématique jusqu’à nos jours. Il est vrai
néanmoins que les dynamiques que nous venons de décrire ont facilité l’émergence de
formes de socialisation, d’échanges, d’interactions. Le paysage associatif roumain s’est
enrichi de plusieurs groupes et associations. Le 1er septembre 2000, la première
discothèque gaie, le Casablanca, ouvrait ses portes à Bucarest. Même si le bar Sherlock
Holmes, qui fonctionnait boulevard Mihail Kogalniceanu, était connu comme un endroit
fréquenté par des gays et des lesbiennes, Casablanca se présentait explicitement comme un
lieu de rencontre pour les homosexuels. Le patron, Paul Constantinescu, affirma son
intention d’ouvrir un club pour les gays et les lesbiennes, un endroit où ils seraient les
bienvenus, mais aussi un endroit créé spécialement pour eux, même si les hétérosexuels
n’étaient pas exclus ; par contre, la presse n’avait pas accès au club, pour préserver
l’intimité des clients. La publicité sur l’ouverture de ce club se faisait à travers le bulletin
d’information de l’association ACCEPT. Entre temps, Casablanca a fermé ses portes, mais
d’autres clubs se sont ouverts ; parmi eux, le plus célèbre, Queens, organise des soirées
« travesti », des concours de beauté, etc.
En 2005, la maison d’édition Christiana avait publié le volume intitulé Les maladies
des homosexuels. Un docummentaire médical actualisé710. L’ouvrage parlait de
l’homosexualité même en tant que maladie et tenait des propos discriminatoires. Suite à
l’intervention de l’association ACCEPT, qui saisit le Conseil National pour Combattre les
Discriminations, le volume a été retiré des librairies.
Des festivals lgbt ont lieu à Bucarest et Cluj chaque année depuis 2005, qui
comprennent des projections de films dans les grandes salles de cinéma, des expositions
thématiques abritées par des institutions culturelles et d’autres manifestations culturelles.
En ce qui concerne la littérature, l’homosexualité fit l’objet d’un récit littéraire en 2002711 ;
un deuxième roman, avec un héros gay, date de 2004712. De plus en plus des gays et des
lesbiennes roumains sortent du placard en famille, à l’école et au travail, des couples vivent
ouvertement ensemble. Comme si inspiré par le succès de Dana International, le

710
Bolile homosexualilor. Un documentar medical la zi, Christiana, 2005.
711
Cecilia STEFANESCU, Legaturi bolnavicioase (Liasons maladives), Bucarest, Paralela 45,
2002.
712
Adrian SCHIOP, Pe bune / pe invers (jeux de mots qui pourrait se traduire par « Straight /
Querr », Bucarest, Polirom, 2004.

363
transsexuel qui avait remporté le concours Eurovision il y a quelques ans, un transsexuel
roumain qui essaye de se lancer sur la scène musicale, Florin Molovan, alias Naomi, a
participé deux fois au festival de musique Mamaia, couvert par la chaîne nationale de
télévision. En 2008 il a même obtenu un prix.
Une marche de la fierté a lieu chaque printemps dans les routes de la capitale. Au
moment où j’écris ces pages, une activité intéressante et originale a lieu à Cluj : dans un
geste symbolique, pour promouvoir la propreté et la tolérance, des gays et des lesbiennes
ont décidé de nettoyer un parc public et l’action se déroule sous le slogan « nous ne
sommes pas contre nature ».
Cela ne signifie pas que les questions homosexuelles ne posent plus problème dans la
société roumaine. Les marches que l’association ACCEPT organise chaque printemps sont
des événements difficiles, qui suscitent des controverses, y compris au sein de l’association
elle-même. Une blague qui circule dans certains milieux insiste sur le fait que le nombre
des forces de l’ordre qui protègent les participants est plus élevé que le nombre des
participants à la manifestation. L’organisation Nous Dreapta organise à son tour chaque
année, le même jour que la marche lgbt, une « manifestation pour la normalité, pour la
famille ». Le sujet du mariage homosexuel, lancé dans le débat public par l’association
ACCEPT en 2006, lors de la conférence de presse qui avait ouvert le festival lgbt, a été
reçu avec beaucoup de protestations. A ce sujet, nombre d’associations chrétiennes ont
lancé une collecte de signatures afin de proposer un référendum national sur la question.
Les controverses continuent dans la société roumaine. De nos jours néanmoins, il s’agit de
controverses qui sont d’actualité d’une façon générale à l’est de l’Europe, et la Roumanie
ne fait plus figure à part. Les gay prides ont été controversées même dans des pays qui
avaient dépénalisé les relations homosexuelles longtemps avant la Roumanie, comme par
exemple la Lettonie ou la Pologne. La question du mariage homosexuel suscite des
controverses non seulement à l’est, mais également dans un pays comme le Portugal, qui
avait légalisé les unions civiles déjà en 2001. « Le mariage est sacré, ce n’est pas à l’Etat
laïc de le détruire » – nous avons pu lire sur les pancartes dans les rues de Lisbonne, où
environ 5 000 personne ont défilé le 21 février cette année pour exiger un référendum sur
le sujet713.

713
Le 11 février 2010, le parlement portugais avait adopté en deuxième lecture un projet de loi du
gouvernement socialiste légalisant le mariage homosexuel. Le texte doit toujours être voté par le
président, qui a la possibilité d’opposer son veto.

364
Conclusions

« La politique de l’homosexualité est et reste un enjeu ».


Eric Fassin, L’inversion de la question homosexuelle

En 1989, le Code pénal hérité du régime communiste contenait un article, à savoir


l’article 200, qui considérait les actes homosexuels ayant lieu en privé entre adultes
consentants comme un délit, passible d’une peine d’emprisonnement de 1 à 5 ans. Une
décennie plus tard, la Roumanie s’était déjà munie d’une législation condamnant les
discriminations basées sur l’orientation sexuelle. Pour ce qui est de l’article 200, il fut
abrogé par Ordonnance d’urgence du Gouvernement en 2001.
Le décryptage de cette redéfinition du cadre juridique concernant les relations
homosexuelles, exemplaire d’une transformation politique et symbolique profonde,
constitue le point de départ de la présente thèse. Nous nous sommes penchée sur les
processus sociaux et politiques qui ont conduit à l’abrogation des peines infligées en raison
de l’orientation sexuelle et à la légalisation de l’homosexualité. L’ouverture du système
politique roumain aux questions concernant les droits des personnes lgbt est étroitement
liée, d’une part, aux transformations sociales et politiques engendrées par la chute du
régime communiste et à la démocratisation, d’autre part, aux dynamiques déclenchées par
la préparation du processus d’adhésion aux institutions européennes – au Conseil de
l’Europe dans un premier temps et ensuite à l’Union européenne.
Dans ce contexte doublement marqué par le passage à la démocratie et
l’élargissement européen à l’est, les questions homosexuelles entrent sur la scène politique
roumaine pour imposer des exigences adaptatives, réclamer des interventions sur la
législation, solliciter des réponses englobantes. La thématique interpelle, par conséquent
les milieux politiques s’affrontent, les groupes associatifs prennent position, l’Eglise
orthodoxe intervient, l’attention internationale est saisie. Face à ce « nouvel objet »,
plusieurs acteurs se confrontent donc sur la scène sociale et politique roumaine afin de

365
conserver, modifier ou obtenir leur légitimité à représenter la société (moralement,
politiquement, etc.). Les objectifs de notre recherche ont également visé à les examiner.
Le processus au cœur de notre travail est un processus de changement législatif,
mais aussi social et politique. L’analyse évolue en suivant les développements successifs
de ce processus : la démarche avance en spirale, gardant un regard proche sur les acteurs
déjà repérés et décrits et introduisant progressivement dans l’équation de nouveaux
participants et de nouvelles conjonctures. Ainsi, les acteurs se multiplient et les conditions
politiques se complexifient. Les chapitres de ce travail suivent une logique d’organisation
relativement uniforme : nous avons privilégié une analyse historique et descriptive afin
d’apporter au premier plan les détails factuels des événements, identifiant les acteurs
concernés, leurs stratégies et leurs interactions. L’investigation reste alors dans un premier
temps attachée aux enchaînements factuels et donne la priorité aux réalités repérées sur le
terrain. Nous avons ensuite proposé un schéma d’interprétation susceptible de rendre
compte des dynamiques sociales et politiques observées. Des ajustements successifs et des
réorientations de la focale d’analyse ont été opérés afin de saisir au mieux ces dynamiques
et de dégager les perspectives d’interprétation les plus adéquates. Notre démarche a
favorisé une perspective chronologique et nous avons cherché, pour chacun des moments
significatifs du processus étudié, à mobiliser les outils théoriques les plus adaptés, afin de
formuler et d’approfondir un questionnement qui l’éclaire au mieux. Nous avons de la
sorte procédé à la construction d’un objet situé au croisement de plusieurs logiques
disciplinaires et mobilisant une multiplicité de perspectives : depuis la sociologie et la
science politique à l’histoire et l’ethnographie ; depuis la question de la construction
politique des identités sexuelles à celle de l’émergence et de la diversification des acteurs
engagés dans les transformations postcommunistes, depuis les réseaux transnationaux de
militants à l’européanisation entendue comme un processus dynamique et multipolaire.

A la lumière de la revue que nous avons dressée des études gaies et lesbiennes,
notre démarche se place dans une perspective constructiviste dans la mesure où ce qui a
retenu notre intérêt était de saisir les processus sociaux, les interactions, les facteurs
externes qui participent à l’articulation des questions homosexuelles, les modalités que la
société met en place pour gouverner les homosexuels et les homosexualités, plus largement
la sexualité en général. Dans un esprit proche des travaux pionniers sur les mouvements
homosexuels qui avaient vu le jour à la fin des années 1960 dans les sociétés occidentales,

366
le but de notre recherche a été de comprendre les transformations concernant
l’homosexualité en mettant au centre les dynamiques politiques et les interactions des
acteurs qui interviennent dans la réalisation de ces transformations.

Pour ce faire, nous avons procédé à une double recontextualisation : verticalement,


par une courte incursion dans l’histoire, et horizontalement, par la prise en compte de
différents espaces d’appartenance des acteurs impliqués. Plusieurs conséquences découlent
de cette mise en contexte.
La prise en compte d’une durée longue, c’est-à-dire le fait d’avoir englobé dans
l’analyse, bien que de manière incomplète, la période communiste, ne correspond pas à un
effort de récupérer des connaissances sur les relations homosexuelles dans une tentative de
réappropriation du passé homosexuel. En revanche, la lecture des dynamiques sociales et
politiques ayant eu cours pendant la période précédente nous aide à mettre en évidence
certains linéaments historiques fonctionnant comme des facteurs de continuité au niveau
des normes, des représentations sociales ou des trajectoires biographiques, tout aussi bien
que des phénomènes de conversion de ressources ou de résilience des structures
institutionnelles. Notre détour par la période communiste met en lumière les actions, voire
les « inactions » qui pesèrent comme un frein sur les développements ultérieurs des
questions homosexuelles, à savoir : du côté des acteurs concernés la peur, l’isolement, la
socialisation clandestine, l’existence dans une niche close de la société ; et du côté de
l’arène sociale les représentations négatives et la surdétermination symbolique et
biologique des questions sexuelles. En même temps, la mise en perspective diachronique
montre toute une série de liens de solidarité tissés à l’époque communiste, qui purent se
redéployer dans le contexte de la démocratisation donnant également occasion à d’autres
interactions significatives.
Notre analyse a révélé le climat social à la sortie de communisme : un secteur
associatif hésitant et fluctuant, tout comme quelques initiatives timides de regroupement
autour de la cause homosexuelle, qui n’avaient abouti ni à lui faire place sur la scène
sociale, ni à ouvrir le débat sur le sujet dans la société roumaine. Toutefois, la
dépénalisation des relations homosexuelles arrive à se constituer comme une question qui
réclame une réponse de la part des autorités politiques roumaines. Elle ne représente pas
une revendication venue d’ « en bas » (grassroots). Il ne s’agit pas de la conséquence d’un
processus mis en route par des militants gays et lesbiennes roumains, d’un mouvement

367
politique enraciné localement dans la société roumaine, représentant une communauté
d’intérêts. Cependant, la question homosexuelle est prise en charge en premier lieu par une
organisation locale, à savoir APADOR-CH. Cette association est l’antenne roumaine de
Human Rights Watch, elle a été mise en place sous le parrainage de cette dernière et
développée avec son support.

Le fait d’orienter successivement la focale vers les différents acteurs concernés


nous a amenée notamment à observer leurs multiples arènes d’action et nous a permis de
découvrir le rôle central de certains acteurs externes, à savoir des professionnels de la
démocratie, qui fonctionnent sur le mode des réseaux transnationaux714 et dont l’action en
Roumanie se justifie dans le contexte des transformations engendrées par l’effondrement
du système communiste. Le passage vers la démocratie suppose des restructurations et des
réaménagements, ainsi que de nombreuses réformes visant la mise en place de l’économie
de marché et des élections libres, la défense des droits de l’Homme et la construction de la
« société civile » : puisque les dysfonctionnements économiques, les fraudes électorales,
les discriminations ou la faiblesse de la « société civile » sont perçus comme des
synonymes de déficit démocratique, le renforcement de ces secteurs de la vie sociale et
politique devait logiquement conduire à la consolidation démocratique. Nous avons trouvé
la clé interprétative de notre cas à partir des acquis des études sur les transformations
postcommunistes et de l’assistance à la démocratie, qui soulignent les enjeux symboliques
et déconstruisent la carrière idéologique de la notion de « société civile ». A la lumière
d’une littérature déjà bien riche sur la question, nous avons donc considéré l’ouverture
démocratique comme une opportunité dont les professionnels de la démocratie715 se
saisissent pour intervenir dans les sociétés postcommunistes : la construction de la
« société civile », la défense des droits de l’Homme représentent des projets que certains
acteurs investissent afin de légitimer le déploiement de leurs propres programmes et
actions en direction de l’est de l’Europe. C’est à travers ce genre de programmes que la
question homosexuelle devient un enjeu politique en Roumanie et à ce titre, nous avons
surtout insisté sur l’intervention d’ILGA, qui fait figure de pionnière et à qui d’autres
groupes s’ajoutent progressivement (IGLHRC, Human Rights Watch, Amnesty

714
Margaret KECK et Kathryn SIKKINK, Activists beyong borders… op. cit.
715
Dans les termes de Nicolas GUILHOT, Democracy Makers… op. cit., Id. « La promotion
internationale de la démocratie… », art. cit.

368
International, plus tard ILGA-Europe). La cause homosexuelle a été donc poussée au
premier plan de la scène sociale et politique roumaine par ces agents intermédiaires, qui
fondaient leurs positions sur l’élaboration et la mise en place des réformes démocratiques.
Ces réseaux ne sont pas simplement des médiateurs ou facilitateurs des échanges autour
des questions homosexuelles, ils sont également des promoteurs et des protagonistes des
revendications formulées dans l’espace national roumain.
Le contexte de l’élargissement de l’Union européenne est rapidement venu
s’ajouter à celui de la démocratisation postcommuniste. L’acceptation de la Roumanie dans
l’UE était conditionnée de l’adoption de certains principes protégeant les droits humains et
à ce titre le respect des droits des minorités sexuelles acquit une valeur de conditionnalité.
Inscrivant notre analyse dans la lignée des travaux portant sur l’intégration européenne qui
privilégient les interactions des acteurs716, nous avons suivi la manière dont des groupes
actifs à l’échelle internationale saisissent le nouveau contexte de l’européanisation afin de
poursuivre leurs objectifs. Ainsi, la dimension coercitive de l’Union européenne a été
abordée à travers les opportunités idéologiques, politiques, institutionnelles qu’elle offre
aux différents participants aux jeux politiques.
L’effondrement des régimes communistes avait déjà ouvert des opportunités et des
ressources pour légitimer l’intervention des entrepreneurs de la démocratie dans les
sociétés postcommunistes. L'ouverture du processus d’élargissement à l’est de l’Europe est
utilisée, dans la continuité, pour les mêmes objectifs. Des éléments inscrits dans les
logiques historiques, sociales, politiques et culturelles de la société roumaine post-
communiste participent conjointement et s’imbriquent avec des éléments générés par les
interrelations dynamiques dans les espaces européen et international.

Affirmer que les questions homosexuelles deviennent un enjeu de la


démocratisation en Roumanie à travers l’influence externe ne signifie pas nier la nécessité
de cette réforme dans l’espace roumain ou bien mettre en doute la nécessité sociale d’un tel
changement dans le contexte et à l’époque que nous avons étudiés. Toujours est-il que les
« forces » internes étaient trop faibles ou au moins pas encore prêtes pour porter une telle
cause. D’où le caractère importé de cette réforme.

716
Sophie JACQUOT et Cornelia WOLL (dir.), Les usages de l’Europe… op. cit., Dorota
DAKOWSKA, Laure NEUMAYER, Politique européenne… op. cit.

369
Contrairement aux interprétations communément acceptées, le facteur externe en
question ne s’identifie pas avec les institutions européennes généralement conçues comme
porteures des projets émancipateurs, à savoir le Conseil de l’Europe et l’Union européenne.
L’émergence des revendications homosexuelles dans la Roumanie postcommuniste à été
possible grâce à la mobilisation d’une pluralité d’acteurs intermédiaires, porteurs
d’idéologies et d’intérêts convergents, qui transgressent les frontières, en quête de moyens
pour atteindre leurs objectifs. L’effondrement du communisme d’abord, suivi par
l’élargissement à l’est de l’Europe ont engendré des opportunités qu’ils ont pu mobiliser
dans leurs stratégies d’investissement de l’espace international.

Nous nous sommes intéressée aux réseaux transnationaux des militants afin de
mettre en évidence l’émergence, l’élaboration, la diffusion et le succès des revendications
homosexuelles en Roumanie. Le fait de décrypter leur influence dans la société roumaine
nous a permis de constater également leur succès à inscrire les questions homosexuelles à
l’agenda européen et leur influence sur l’engagement croissant des institutions européennes
en faveur des droits et des libertés des personnes lgbt. Les acquis des travaux de Margaret
Keck et Kathrin Sikkink nous ont fourni les outils pour comprendre les démarches des
organisations qui interviennent autour des revendications homosexuelles en Roumanie : il
s’agit à la fois d’un processus d’externalisation, puisqu’elles investissent l’espace
international pour contourner le manque d’opportunités au niveau national. Tel est
l’exemple des actions de lobbying déployées par ILGA auprès du Conseil de l’Europe.
Progressivement, l’attention des organisations militantes transnationales se tourne vers
Bruxelles et elles orientent leurs activités vers la Commission et le Parlement européen, et
les sujets de l’égalité et de la protection contre les discriminations des personnes lgbt
deviennent des enjeux de l’élargissement. En même temps il s’agit aussi d’un processus
d’internalisation, puisque des questions devenues désormais la matière de la politique
internationale se constituent en question de politique interne. Les évolutions majeures au
sujet des droits des personnes lgbt au niveau européen démontrent le succès des stratégies
d’externalisation. Conjointement, l’abrogation de l’article 200 dans le cas roumain est
l’effet de l’internalisation : les questions homosexuelles sont devenues un enjeu de
politique interne. Le cas de la dépénalisation de l’homosexualité en Roumanie est
instrumentalisé par ces mêmes acteurs internationaux pour mettre les problématiques des
droits des personnes lgbt à l’agenda des institutions européennes.

370
A part le fait de reconstituer des processus institutionnels, nous avons cherché
également à répondre à un questionnement plus ponctuel concernant les prises de position
des gays et des lesbiennes roumains. Comme à partir de 1996 la cause homosexuelle en
Roumanie est prise en charge par l’association ACCEPT, nous l’avons étudiée en tant que
nouvel acteur sur la scène politique nationale nous intéressant à sa création et à son
fonctionnement. Née d’une rencontre hybride d’un groupe d’expatriés occidentaux vivant à
Bucarest, des personnes déjà intégrées dans le secteur associatif (à savoir APADOR-CH)
et des réseaux transnationaux, l’association récupère un capital social préexistant, puisque
nombre d’homosexuels roumains participent effectivement à son établissement.
Ultérieurement, ACCEPT se professionnalise rapidement et devient le partenaire local
d’ILGA-Europe principalement. Elle collabore avec d’autres réseaux transnationaux
concernés (Amnesty International, IGLHRC), ce qui lui assure une visibilité internationale
et des ressources en termes de reconnaissance au niveau européen. Au niveau interne, cette
professionnalisation correspond à un coût élevé : l’association perd de plus en plus le
contact avec la « communauté » homosexuelle en train de s’articuler politiquement et
institutionnellement, elle s’attache principalement à son rôle politique sans faire une
priorité de son rôle social. Elle ne réussit donc pas à répondre aux besoins plus terrestres,
de socialisation informelle, des gays et des lesbiennes roumains, qui s’éloignent
progressivement et quittent la scène politique.
Dans cette logique, parler du « mouvement homosexuel » roumain – formule qui
revient parfois de manière automatique dans les discours des membres d’ACCEPT ou
d’ILGA, des journalistes ou des analystes abordant les revendications homosexuelles en
Roumanie – réclame des précisions. Les revendications lgbt en Roumanie sont le produit
d’un mouvement homosexuel dans la mesure où les réseaux transnationaux des militants
sont conçus en tant que mouvements sociaux717. Cette affirmation a comme fondement
notre constat selon lequel les revendications lgbt en Roumanie sont le produit d’un
environnement idéologique global, qui s’exprime à travers les actions et les échanges entre
les mêmes acteurs, à savoir les réseaux transnationaux des militants (ILGA, IGLHRC,
etc.). ACCEPT n’est pas entièrement le produit de ces réseaux, mais elle reprend des idées

717
Donatella Della PORTA, Hanspeter KRIESI et Dieter RUCHT, (éds.), Social Movements in a
Globalizing World… op. cit.

371
en circulation dans les arènes internationales et les représente pour le cas roumain. Elle en
est dépendante financièrement et politiquement et donc soumise idéologiquement.
Notre travail, bien que circonscrit à un espace national spécifique et à une
mobilisation de faible envergure, s’avère en effet une entrée particulièrement intéressante
pour apporter un éclairage spécifique sur la dimension internationale des politiques lgbt.
Effectivement, nous avons montré que l’appui, le soutien et les ressources de ses
partenaires externes avaient fourni les conditions d’existence d’ACCEPT. L’histoire que
nous avons reconstituée de la création de l’association ACCEPT, de son enregistrement
juridique et de son fonctionnement à partir de 1996, des activités de lobbying et advocacy
mises en place et finalement de l’abrogation de la législation discriminatoire nous a
amenée à saisir nombre de facettes de l’environnement global dans lequel cette histoire se
situe. Qui plus est, cela nous amène à noter les multiples brèches entre ce contexte
international et le climat idéologique propres à la Roumanie.

Soulignons également ici le caractère controversé de l’idée même de droits de


l’Homme et le caractère pluriel de ce champ. Sans rentrer dans la complexité
philosophique et politique de la possibilité même d’une définition universelle ou d’une
mise en œuvre de règles juridiques générales et absolues ou des limites que la loi pourrait
imposer en matière de respect des droits de l’Homme, notre étude touche toutefois à ce
questionnement. Les agents de la démocratisation présents sur la scène sociale et politique
roumaine après 1989 - organisations internationales, réseaux transnationaux, observateurs
européens et rapporteurs divers - sont les porteurs d’une vision « large » des droits
humains : fruit des circonstances historiques, de l’internalisation des champs juridiques
nationaux, mais surtout des stratégies professionnelles et du militantisme lgbt, les droits
humains sont parvenus dans cette logique à englober les droits des personnes lgbt. Il s’agit
donc d’une vision intégrative des droits de l’Homme, relative aux droits rattachés à l’être
humain en tant qu’espèce. Nous soulignons en même temps la nouveauté de ce
développement et le fait que cette vision n’est pas tout à fait unanime dans les pays
occidentaux non plus : preuve en est la résistance contre le droit au mariage homosexuel ou
à l’homoparentalité.
Contrairement à la vision promue par les democracy makers, les autorités politiques
roumaines sont porteuses d’une vision restrictive des droits de l’Homme. Les droits
humains restent d’ailleurs en général une question difficile et le concept ne représente pas

372
une acquisition intégrée par l’ensemble des hommes politiques roumains718 même dans une
vision limitée ; inclure les droits des personnes lgbt dans la sphère des droits de l’homme
nécessite un processus d’adaptation, qui fait, lui aussi, partie des transformations
démocratiques. Cela nous ramène à considérer l’exemple de la dépénalisation de
l’homosexualité en Roumanie comme un exemple concret d’ « extension du domaine de la
démocratie719 » : un aspect qui est traditionnellement conçu en termes appartenant à la
morale et à l’ordre naturel est mis en question et fait son entrée dans la sphère de la
négociation politique, de la délibération démocratique. Les difficultés relatives à
l’abrogation de l’article 200 sont par conséquent du même genre que les difficultés
concernant les autres instances du passage de l’ordre symbolique à l’ordre politique (par
exemple le mariage et l’homoparentalité).

En étroite liaison avec cette remarque, notons un autre point caractéristique de


l’environnement idéologique dans lequel s’inscrit le militantisme lgbt que nous avons
étudié, à savoir le rapport au droit. Ainsi, parler d’un mouvement homosexuel global
revient à reconnaître la conviction partagée au sein des réseaux de militants selon laquelle
la loi représente un levier important pour faire changer la société. La mise en place des lois
ouvre la voie de la « normalisation » et de l’assimilation des personnes lgbt dans la société.
Cette confiance dans le potentiel transformateur du droit dénote ainsi une certaine
focalisation sur le droit ; les revendications actuelles sont élaborées avec l’objectif
principal d’intervenir sur les lois : la reconnaissance du droits au mariage, à l’adoption, la
pénalisation des propos publics à caractère homophobe.
Notre examen des débats autour de la réforme du Code pénal en Roumanie nous a
permis de remarquer un rapport différent des législateurs roumains au droit : ils partagent
une vision selon laquelle les lois devraient exprimer les mentalités de la société, et non pas
les transformer. Les décideurs roumains sont attachés à l’élaboration de lois démocratiques
dans le sens qu’elles devraient être l’expression de la volonté générale de la population.
Dans les conditions où l’homosexualité tarde à s’affirmer sur la scène sociale, le
changement législatif apparaît comme artificiel, imposé de l’extérieur.

718
Cf. Chapitre 3.
719
Eric FASSIN, Inversion de la question homosexuelle, op. cit., Cf. Chapitre 8.

373
Conséquence logique de l’écart entre les réalités sociales internes et les
propositions de réforme venue de l’extérieur, les tensions soulevées par les questions
homosexuelles se reflètent dans les décisions politiques. L’Etat roumain se retrouve dans
une situation paradoxale : d’un côté il doit adopter des lois qui l’aident à faire bonne figure
sur le plan interne et externe, d’un autre côté il voit les priorités de sa politique externe
aller à l’encontre de celles de la politique interne. Un acteur important de la scène politique
indigène entre alors également dans l’équation et s’érige en contestataire résolu de la cause
homosexuelle : il s’agit de l’Eglise orthodoxe, qui ne manque pas d’exploiter les enjeux de
la dépénalisation pour essayer de consolider sa position et son influence dans la nouvelle
démocratie. La première intervention sur la législation, en 1996, est l’expression de la
position contradictoire des autorités politiques roumaines, qui ne trouvent pas l’équilibre
entre les nouvelles exigences démocratiques. Nous considérons que les difficultés que les
autorités politiques roumaines éprouvent à abroger l’article 200 ne tiennent pas d’une
quelconque résistance à l’Europe ou d’une volonté de modernisation sélective ; il est
surtout question de la difficulté du transfert des questions symboliques vers l’espace de la
négociation politique.
En ce qui concerne l’abrogation de l’article 200, en première analyse il pourrait
sembler que les agents du champ politique roumain sont devenus tolérants « malgré eux »,
puisque les interventions sur la législation ont été opérées à travers un instrument qui
implique la responsabilité du Gouvernement (à savoir l’ordonnance d’urgence). A la
réflexion, il apparaît pourtant que des transformations significatives ont lieu au niveau de
la société roumaine : l’Etat et l’Eglise majoritaire se trouvent engagés dans une dynamique
de recomposition de leurs rapports mutuels, qui se traduit par une redéfinition de leurs
rôles. Les signes d’une transformation effective au sein de la société sont de plus en plus
prégnants.
En mettant au centre de notre analyse les revendications homosexuelles nous avons
effectivement disposé d’une entrée nous permettant de prendre la mesure des changements
sociaux après 1989 en Roumanie. Les ajustements réciproques entre les deux institutions –
l’Etat et l’Eglise – représentent seulement l’une des dimensions concernées. Les rapports
entre les autorités roumains et leurs partenaires européens ont pu également être mis en
évidence : si au commencement des années 1990, les hommes politiques roumains
n’assumaient pas la responsabilité des traités européens signés ou celle des déclarations de
politique extérieure, la nécessité de la cohérence entre les positions au plan interne et au

374
plan externe devient de plus en plus évidente et elle se met en application. Nous estimons
par conséquent que l’abrogation de l’article 200 n’est pas entièrement une concession faite
à l’Europe ; l’ouverture des négociations accélère néanmoins le processus.

A l’opposé, les relations de l’Etat avec le secteur associatif sont plus lentes à se
transformer : les associations locales comme ACCEPT ou APADOR-CH n’arrêtent pas de
faire appel à leurs partenaires externes pour donner plus d’appui et plus de légitimité à
leurs demandes, qui ne trouvent pas autrement les canaux vers l’espace politique national.
De notre point de vue, les raisons derrière ce manque d’influence du secteur associatif sur
le secteur politique tiennent du manque d’enracinement local de ces associations. Ni
ACCEPT, ni APADOR-CH n’ont une insertion substantielle dans la société roumaine ;
elles sont plutôt le vivier d’une élite qui reste attachée à ses partenaires externes.
L’activisme civique dans la société roumaine postcommuniste est une question de
profession et non pas de vocation.

Finalement, notre question « qu’en est-il des gays et des lesbiennes roumains »
reste sans réponse à la fin de notre étude. Il est vrai, notre analyse ne s’est intéressée que de
manière tangentielle aux cultures gaies et lesbiennes en Roumanie. Il n’est pas moins
évident, après avoir achevé le décryptage des aspects sociaux et politiques relatifs aux
transformations législatives concernant l’homosexualité qu’en choisissant de nous
intéresser à ACCEPT, organisation qui lutte pour les droits des homosexuels et contre les
discriminations des personnes lgbt, nous avons appris très peu sur les possibles
bénéficiaires de ces transformations. Les gays et les lesbiennes restent les grands absents
de leur propre histoire. Néanmoins, nous avons rassemblé un grand nombre d’éléments
épars de l’histoire de cette communauté in statu nascendi.

Phénomène complexe, les questions homosexuelles touchent à des enjeux


politiques et sociaux qui ne sont pas circonscrits à une fraction minoritaire de la société. En
les abordant, nous nous sommes consacrée à une étude de cas particulier ; les acquis de
notre étude portent au-delà des frontières roumaines et font écho à des problématiques qui
traversent l’espace international. Nous restons persuadée que notre éclairage fournit des
bases solides à tout travail qui s’intéressera désormais à l’étude de la construction sociale
et politique de la question homosexuelle en Roumanie et plus largement en Europe centrale

375
et orientale postcommuniste, ainsi qu’aux questions de modernisation démocratique à l’est
de l’Europe.

376
Dictionnaire

Backrooms – arrière-salles de certains bars offrant à leur clientèle un espace délimité voué
aux relations sexuelles anonymes.

Closet – mot anglais qui signifie « placard » ; lorsqu’ils cachent leurs homosexualité, les
gays et les lesbiennes sont désignés comme « in the closet » ou « closeted » - « dans le
placard » et par opposition, lorsqu’ils cessent de se dissimuler, on dit qu’ils « sortent du
placard », « come out of the closet ».

Come out / coming out – expression provenant de l’anglais (« come out of the closet » –
« sortir du placard »), l’expression désigne le moment où un individu révèle publiquement
son homosexualité, employée également comme « faire son coming out ». Le coming-out
est généralement le résultat d’une décision longuement mûrie, après des années de silence
et de dissimulation. On peut, par exemple, faire son coming out auprès de ses amis ou de
quelques-uns d’entre eux, mais continuer à dissimuler son homosexualité à sa famille, à ses
collègues de travail. De plus, le processus de coming out est censé recommencer dans
différentes situations sociales, lorsqu’on change d’emploi ou de résidence. Le coming out
est considéré d’une part un geste nécessaire au bien-être personnel des gays et des
lesbiennes, qui peuvent ainsi vivre librement et ouvertement leur sexualité et d’autre part
un geste éminemment politique, puisque la visibilité et l’identification en tant que gay ou
lesbienne constituent une problématique fondamentale des mouvements gays et lesbiens du
monde occidental.

Gay friendly – littéralement « amical à l’égard des gays », expression qui désigne un
établissement qui n’est pas homosexuel, à savoir fréquenté majoritairement ou
exclusivement par des gays et des lesbiennes, mais qui accueille les gays et les lesbiennes
avec bienveillance.

Gay Pride / Lesbian & Gay Pride / LGBT Pride – fierté homosexuelle ; désigné en
français également comme « Marche des fiertés ». Afin de commémorer les trois jours
d’émeutes de Stonewall à New York, des militants de Gay Liberation Front et de la Gay

377
Activist Alliance organisent une parade un an après, le 28 juin 1970, qui rassemble
quelques milliers de participants. Une marche sera organisée chaque année environ la
même date et des marches similaires commencent à être organisées dans nombre de villes
dans le monde entier, manifestations qui prônent la liberté et l’égalité pour toutes les
orientations sexuelles : hétéro, homosexuelle, lesbienne, bisexuelle, transsexuelle.

Hétérosexisme – considérer l’hétérosexualité comme la seule expérience sexuelle


légitime.

Homophobie – peur de l’homosexualité et mépris envers les gays et les lesbiennes ou ceux
qui sont présumés l’être ; hostilité systématique à l’égard des homosexuels.

Outing – révéler l’homosexualité d’une personne contre sa propre volonté.

Queer – en anglais dans le langage commun : bizarre, étrange, malade, anormal,


excentrique. Progressivement le terme acquit une signification qui renvoie à la sexualité et
désigne tout ce qui n’est pas conforme à la norme. Employé dans un premier temps de
manière injurieuse, comme insulte à l’égard des gays et des lesbiennes, le terme est repris
par ceux-ci, qui commencent à se désigner eux-même comme « queers », à savoir
spéciaux, différents des autres. Vers la fin des années 1980, le mot commence à changer de
sens, étant repris par ceux qui refusent les désignations de gay ou lesbienne, qu’ils
considèrent figées et excluantes. Queer devient alors le terme employé pour signifier le
refus de l’identification, de la définition identitaire, la contestation des normes sexuelles,
culturelle et sociales. Par extension, courrant intellectuel et politique inspiré des travaux de
Judith Butler, Eve Kosofsky Sedwick ou David Halperin, qui interroge la façon dont les
assignations identitaires sont construites et montre qu’il ne s’agit pas de données
immuables.

378
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*** OG 26/2000 cu privire la asociatii si fundatii (L’Ordonnance du Gouvernement


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2000.

*** OG 137/2000 privind prevenirea si sanctionarea tuturor formelor de discriminate


(L’Ordonnance du Gouvernement 137/2000 concernant la prévention et la sanction de
toutes les formes de discrimination), 31 août 2000.

*** OUG 89/2001 pentru modificarea si completarea unor dispozitii din Codul penal
referitoare la infractiuni privind viata sexuala (L’Ordonnance d’Urgence du Gouvernement
89/2001 c, oncernant la modification et le complément des dispositions du Code pénal
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*** Codul Penal Român (Le Code pénal roumain), édition par Florin Ciutacu, Sigma,
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d’adhésion de la Roumanie au Conseil de l’Europe, avis de la commission des relations
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janvier 2003, Strasbourg.

Sites Internet consultés

www.accept.ong.ro – le premier site internet de l’association ACCEPT

www.accept-romania.ro – le site actuel de l’association ACCEPT

http://www.amnesty.org – Amnesty International

www.apador.org – l’Association pour la Défense des Droits de l’Homme en Roumanie –


Comité Helsinki

www.cdep.ro – la Chambre des Députés de la Roumanie

www.cncd.org.ro – Conseil National pour Combattre les Discriminations, Roumanie

www.coe.int – le Conseil de l’Europe

www.coe.ro – Bureau d’Information du Conseil de l’Europe à Bucarest

413
http://europa.eu – l’Union européenne

www.infoeuropa.ro – Centre d’Information de la Commission européenne en Roumanie

www.mie.ro – le Ministère roumain de l’Intégration européenne

www.nouadreapta.org Noua Dreapta

www.senat.ro – le Sénat de la Roumanie.

414
Annexes

Annexe I : Etat de la situation des questions homosexuelles en Europe :

L’an de la dépénalisation de l’homosexualité dans les pays de l’Europe :

Luxembourg (1795), Pays-Bas (1811), Belgique (1843), Italie (1890), Pologne (1932),
Suisse (1942), Suède (1944), Grèce (1951), République tchèque, Hongrie, Slovaquie
(1962), Angleterre et Pays de Galles (1967), République Démocrate Allemande, Bulgarie
(1968), République Fédérale Allemande (1969), Autriche, Finlande (1971), Norvège
(1972), Croatie, Slovénie (1977), Espagne (1979), Ecosse (1980), Irlande du Nord (1982),
Liechtenstein (1989), Ukraine, Estonie, Lettonie (1992), Russie, Irlande, Lituanie (1993),
Serbie (1994), Albanie, Moldavie (1995), Macédoine, Fédération de Bosnie-Herzégovine,
Roumanie (1996), Republika Srpska, Chypre (1998), Arménie (2000), Géorgie (2002).

Pays ayant amendé leur Constitution afin d'interdire le mariage des personnes de même
sexe : Lettonie (2005).

Pays qui autorisent le mariage des personnes du même sexe : Pays-Bas (2001), Belgique
(2003), Espagne (2005), Norvège, Suède (2009).

Pays qui autorisent les contrats d’union civile : Danemark(1989), Norvège (1993), Suède
(1995), Hongrie – concubinage (1996), Islande (1996), Pays-Bas, Espagne – dans 12 des
14 communautés autonomes (1998), France – Pacs (1999), Belgique (2000), Allemagne,
Portugal (2001), Finlande (2002), Autriche et Croatie – concubinage (2003), Luxembourg
(2004), Royaume-Uni (2005),Slovénie, République tchèque (2006), Suisse (2007).

Pays qui autorisent les membres d'un couple de même sexe à adopter conjointement des
enfants: Pays-Bas (2001), Suède, Belgique (2003), Royaume-Uni, Andorre, Espagne
(2005), Islande – seulement sur des registres de partenariat (2006).

Source : www.ilga-europe.org

Pour le reste du monde voir par exemple : Homophobie d’Etat. Une enquête mondiale sur
les lois qui interdisent la sexualité entre adultes consentants de même sexe, rapport
coordonné par Daniel OTTOSSON, ILGA, Avril 2007.

415
Annexe II - Affiche de la conférence organisée par ASCOR « L’homosexualité :
propagande de la dégénération humaine »

416
Annexe III – « L’homosexualité – un droit humain? »

Images du débat organize le 31 mai 1995 par le Bucharest Acceptance Group et


APADOR-CH avec le soutien de l’UNESCO-CEPES

Source: archives personnelles de G. S.

417
Annexe IV : Participants à la réunion de Sinaia, les 10-12 Novembre 1995.

Source : archives personnelles de G. S.

418
Annexe V : Manifestation de l’organisation Noua Dreapta devant le Sénat, en 2001 :

Source : www.nouadrepata.org.

419
Annexe VI : Exemple d’affiches parsemées dans la capitale par l’organisation Noua
Dreapta :

« La Roumanie a besoin d’enfants… …pas d’homosexuels »

420
Annexe VII - L’affiche de la conférence ILGA organisée à Bucarest les 4-8 octobre 2000
sous le patronage de l’association roumaine ACCEPT

421

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