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Droit général des sociétés : du projet

de société jusqu’à sa dissolution


Leçon 2 : La nature de la société
M. Afif Daher

Table des matières


Section 1. La nature contractuelle de la société..................................................................................................... p. 2
Section 2. La nature institutionnelle de la société.................................................................................................. p. 4
Section 3. La société, technique juridique d'organisation de l'entreprise (la doctrine de l'entreprise).............. p. 6
Section 4. Le renouveau contractuel et l'analyse mixte de la nature de la société (La conception mixte de la
société)..........................................................................................................................................................................p. 7

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Les différents éléments de la leçon : Cette leçon sera développée conformément au plan ci-avant, en partant
de la société-contrat pour déboucher sur une conception mixte de la société. Elle fera apparaître l'influence du
droit communautaire et surtout du droit anglo-saxon sur le droit français des sociétés. Les derniers scandales
qui ont secoué les Etats-Unis et certains pays d'Europe ne sont pas étrangers à cette évolution (Enron,
World.com, Metaleurop, Palamalate,...).

A son origine, la société n'était qu'un contrat : en droit romain, elle constituait l'un des quatre contrats
consensuels (vente, louage, mandat, société) admis.La thèse contractuelle a montré ses insuffisances au
XXème siècle entraînant par là même une remise en cause de la nature de la société. Le contexte politico-
économique évoluant, le droit s'est adapté et une nouvelle conception de la société a vu le jour : la société-
institution. Le débat qui s'en suivit, a priori théorique, va en fait bien au-delà d'une simple opposition de
concepts. C'est pourquoi, il est apparu nécessaire à certains auteurs d'aborder la question de manière
différente et de voir dans la société une technique juridique d'organisation de l'entreprise. Il s'agit là d'une
conception moderne qui est tempérée par une autre approche mixte synthétique celle-là, à mi-chemin entre
les thèses classiques et la conception moderne.

Section 1. La nature contractuelle de la


société
La vision contractuelle de la société est issue du droit romain et fait écho aux théories d'auteurs tels que Domat
et Pothier.

Elle va culminer au XIXème siècle, alimentée par les réflexions de ses partisans : MM. Hamel, Lagarde,
Jauffret...Cette conception repose sur l'idée que la création d'une société relève par principe de la
rencontre de plusieurs volontés. C'est le dogme de l'autonomie de la volonté, érigé par les auteurs
classiques, qui se manifeste dans la théorie de la société-contrat. Il ne peut y avoir de contrat sans volonté de
contracter, il ne peut y avoir de société sans volonté des associés de créer cette société. Cette vision classique
de la société se base sur plusieurs constatations et analyses. L'une des principales s'appuie sur la lecture
de l'article 1832 du code Napoléon 1804 qu'il convient de combiner avec les articles 6, 1108, 1129, 1831 et
1833 du code civil.

Comme pour tout contrat il doit y avoir consentement de la part des associés, un consentement élargi
dans le cadre du contrat de société puisqu'il culmine dans la notion d'affectio societatis .

Il faut que les associés aient la capacité de contracter art. 1108 C. civ. et même pour certains types de société
(SNC, SCS) une capacité particulière : celle d'être commerçant. La mise en commun de biens ou d'industrie en
vue de partager les bénéfices (ou de partager l'économie qui en résulte) est l'objet premier de ce contrat, il est
commun à toutes les sociétés. L'objet social est, lui, propre à chaque société, c'est-à-dire l'activité spécifique
qu'elle se propose d'exercer. Il doit être déterminé et licite, articles 1129 et 6 du code civil au sens de non
contraire aux bonnes mœurs ou à l'ordre public, articles 1833 c. civ.. Enfin le contrat de société doit avoir une
cause réelle et licite, article 1131 c. civ. .La société présente donc bien tous les éléments essentiels du contrat
au sens du droit des obligations (article 1101, 1108, 1129, 1831, 1833, 6 c. civ.) .

De plus, les partisans de la nature contractuelle de la société se sont aussi basés sur la position " géographique
" des articles concernant la société dans le code de 1804 : en effet ils trouvent leur place entre le contrat de
louage et le contrat de prêt.

Par ailleurs, la liberté contractuelle du droit des sociétés s'exprime à de nombreux niveaux :
• choix de la forme sociale,
• rédaction des statuts,
• détermination de l'objet social,
• caractère essentiel de l'intuitu personae et de l'affectio societatis dans certaines formes de société,

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• reconnaissance de l'existence de sociétés crées de fait ou en participation les modalités de détermination
des parts de bénéfice et de contribution aux pertes (1844-1 al. 1),
• les conditions de prorogation ou de dissolution de la société (art. 1844-6 et 7 - 8).

Jurisprudence
Voir : Cass. com. 8 mars 2005, JCP 2006-E-1046 et Bull. Joly Soc. 2005, p. 995.

Cependant la thèse de la nature contractuelle est insuffisante à justifier de nombreux aspects du droit des
sociétés et même du droit des obligations. Elle est controversée par une autre thèse: la thèse institutionnelle.

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Section 2. La nature institutionnelle de
la société
La vision institutionnelle de la nature de la société trouve ses racines dans le Droit public et son système
institutionnel ; elle est développée par le doyen Hauriou.

L'institution est un ensemble de règles qui organisent de façon impérative et durable un groupement de
personnes autour d'un but déterminé : les droits et intérêts privés sont subordonnés au but social qu'il s'agit
d'atteindre.

La société, de par sa personnalité propre, déborde les personnes qui la composent en tendant vers un intérêt
" supérieur " auquel les volontés particulières se soumettent. La liberté contractuelle s'efface derrière l'ordre
public dans un mouvement amorcé en 1940 et qui va trouver son apogée dansla loi du 24 juillet 1966aujourd'hui
codifié.

Ainsi, c'est le législateur qui règle de façon impérative les formalités de constitution de la société,
notamment les conditions d'attribution de la personnalité morale. C'est la notion d'ordre public qui semble
le guider! De même, c'est lui qui détermine les organes nécessaires au fonctionnement de la société et leurs
pouvoirs tant internes que vis à vis des tiers : les dirigeants ne sont pas les mandataires de la société mais
les organes chargés de mettre en œuvre la volonté commune. Ce lien organique est bien plus fort qu'un
lien contractuel. En effet, la théorie contractuelle ne peut pas appréhender à elle seule "la capacité
de jouissance et d'exercice de la société personnifiée, son autonomie patrimoniale ou l'existence de
représentants légaux disposant du pouvoir légal de la société à l'égard des tiers" (Cozian, Viandier,
Deboissy, Droit des sociétés, p. 4 et s., LexisNexis, 28° édition).

Un arrêt de la cour d’appel de Reims du 24 avril 1989 considère qu’une mesure d’exclusion prononcée à
l’encontre d’un associé est conforme « à la notion institutionnelle de la société qui veut qu’une société n’est
pas qu’un contrat abandonné en tant que tel à la volonté de ceux qui lui ont donné naissance, mais plutôt une
institution, c’est-à-dire un corps social dépassant les volontés individuelles. Dans une telle hypothèse, il faut
prendre en considération l’intérêt social et admettre que les associés n’ont pas un droit intangible à faire partie
de la société ». Par conséquent, créée par la volonté de ses fondateurs, la société leur échappe en partie lors
de son fonctionnement et à l'occasion de sa disparition.

Les partisans de la conception institutionnelle de la société ont cru voir dans la nouvelle rédaction de l'art. 1832
c. civ introduite par la loi du 11 juillet 1985 et plus récemment par la loi du 12.7.99 une indication tendant à
consacrer la société-institution. En effet, cette loi, outre le fait majeur qu'elle instaure la société unipersonnelle,
remplace le terme initial de "constituée" par "instituée". Cependant, il ne faut pas donner à ce terme une portée
supérieure à celle qu'il a réellement. Si le législateur avait réellement voulu trancher le débat contrat/institution,
il aurait plutôt attaqué le terme de contrat contenu dans l'art. 1832 c. civ.La théorie institutionnelle "pêche" par
imprécision, en particulier par l'emploi de termes tels que "idée d'oeuvre", "manifestation de communion...".
La théorie institutionnelle, comme la théorie contractuelle, représente une vision moniste de la société et ne
prend pas en compte les aspects défendus par la conception "adverse". En effet, elle n'approfondit pas assez
les notions de sociétés crées de fait ou de société en participation dont les implications contractuelles sont
essentielles. De même, l'institution néglige trop l'acte constitutif de nature contractuelle qui est à la base de
la société.

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Remarque
Mais il semble que le débat contrat-institution ou contrat-ordre public se soit enlisé dans une opposition aussi
ferme que statique car dans toute société se retrouve aussi bien des règles de type contractuel que de type
institutionnel, les aspects contractuels étant plus marqués dans les sociétés de personnes et les aspects
institutionnels dans les sociétés de capitaux. De même, les notions de contrat et d'ordre public ne sont pas
nécessairement antinomiques ni incompatibles! Elles peuvent coexister au sein de chaque forme sociétaire
(Cozian, Viandier, Deboissy, Droit des sociétés, p. 4 et s., LexisNexis, 28° édition). Par conséquent, la théorie
contractuelle et la théorie institutionnelle ne pouvaient résoudre à elles seules la question de la nature de la
société, à moins que cette question ne soit pas la bonne.

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Section 3. La société, technique
juridique d'organisation de l'entreprise
(la doctrine de l'entreprise)
Les auteurs de l'Ecole de Rennes, Messieurs Champaud et Paillusseau, ont constaté une véritable
divergence entre les fondements traditionnels de la société et son évolution à la fois socio-économique
et juridique. Pour y remédier, ces auteurs ont développé une conception moderne abordant la société par le
biais de sa finalité : C'est la doctrine de l'entreprise. Pour eux, la conception traditionnelle s'est développée
en dehors de toute référence à la notion d'entreprise qui, jusqu'à une période récente, était assimilée à la
personne de l'entrepreneur. Ainsi, on avait d'un côté l'entreprise, notion économique appliquée à l'entrepreneur
et à ses objectifs, et de l'autre une société, notion juridique permettant la personnification du groupement. A
partir de ce constat, l'Ecole de Rennes a développé la conception moderne de la société (finalité).

Dans cette conception, la société est considérée comme une technique juridique d'organisation de
l'entreprise, c'est-à-dire une structure d'accueil pour un certain type d'activité. Elle intervient également en
tant qu'organisation de la représentation et de la protection des intérêts catégoriels : En effet, l'entreprise est
fondamentalement une notion économique et humaine.

Elle a des besoins en organisation juridique de telle sorte qu'elle puisse exister et vivre. C'est à ce niveau
qu'intervient la société comme structure d'accueil proposée par le législateur pour apporter des solutions à ces
besoins, par exemple et notamment :En ce qui concerne la personnalité juridique qui est nécessaire, l'activité
de la société, la disposition d'actifs, l'organisation des pouvoirs, l'organisation des résultats etc...La diversité
des structures d'accueil (SA, SAS, SARL, EURL) permet en outre de répondre à des besoins différents.

Cependant, l'entreprise ne se réduit pas à cette seule nécessité. Elle est aussi le support d'un nombre très
important d'intérêts variés :
• ceux des fondateurs,
• des investisseurs,
• des créanciers,
• du personnel,
• des clients,
• des fournisseurs,
• des sous-traitants,
• des partenaires économiques,
• des consommateurs,
• de l'Etat et des collectivités locales (taxe professionnelle).

Le droit des sociétés prend en compte ces intérêts catégoriels et les protège de trois manières:
• par l'attribution d'un droit direct aux titulaires de certains intérêts catégoriels
• par l'information,
• par l'organisation même de la société.
Ces intérêts catégoriels étant très divers, parfois concordants, parfois opposés, il est nécessaire de trouver un
juste équilibre. Celui-ci peut être trouvé dans la notion d'équilibre global et complexe qui caractérise un type
de société, c'est-à-dire un intérêt de l'entreprise envisagée sous son aspect économique.

Remarque
Cette conception fonctionnelle de la société admise comme pensée dominante a elle aussi été controversée,
car en réduisant la finalité de la société à la seule organisation de l'entreprise, l'Ecole de Rennes a en quelque
sorte privilégié l'aspect institutionnel de la société, selon certains auteurs.

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Section 4. Le renouveau contractuel et
l'analyse mixte de la nature de la société
(La conception mixte de la société)
La thèse fonctionnelle, entraîna certains auteurs à constater une reprise de la liberté contractuelle, et plus
généralement à relancer le débat sur la nature de la société pour conclure à une certaine mixité de celle-
ci. Concrètement, le renouveau contractuel s'est traduit par des retouches législatives et a été révélé par la
pratique, à savoir notamment :

La nécessité de trouver des fonds propres sans


ouvrir le capital, a entraîné la pratique sociétaire
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à redécouvrir la société en commandite par
actions.
Les statuts de la SA peuvent se
trouver complétés par de nombreuses
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conventions extra-statutaires baptisées pactes
d'actionnaires.
La libération du régime des valeurs mobilières a
permis une meilleure allocation des fonds vers
les sociétés et a multiplié les possibilités pour
celles-ci de recourir à l'épargne publique : par
3 exemple, la création des actions à dividende
prioritaire sans droit de vote et la faculté offerte
aux financiers de créer de nouveaux titres
dépassant les catégories traditionnelles d'action
et d'obligation.
De plus, le législateur a, de manière plus
4 modeste, cherché à faciliter la gestion des PME
(Loi Madelin du 11 février 1994).

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Il a par ailleurs introduit parla loi du 3 janvier
1994 les Sociétés par Actions Simplifiées, un
troisième type de sociétés par actions marqué
par le libéralisme. Mais, la consécration par la
loi du 12 juillet 1999 de la SAS unipersonnelle
tempère cette liberté, confirme la thèse de
l’Ecole de Rennes et revigore à la fois la
conception institutionnelle et la conception
contractuelle.
Certains auteurs ont adhéré au concept
anglo-saxon de gouvernement d’entreprise
(corporate governance) selon lequel la société
5 est considérée comme un nœud de contrats.
On retrouve derrière cette volonté l’opposition
récurrente entre la société-contrat et la société-
institution.
En effet, la finalité de ce modèle semble
être d’imposer aux dirigeants de favoriser la
rentabilité financière des capitaux investis par
les actionnaires. Il est donc évident que le
gouvernement d’entreprise, reposant sur la
notion de mandat donné aux dirigeants et sur
la notion de propriété des associés, va dans le
sens de la société-contrat : les fonds de pension
en témoignent indéniablement.

Remarque
Dans le rapport du sénateur MARINI : « La première raison d’être d’une société c’est l’enrichissement de
ses actionnaires ».

Toutefois, cette notion de corporate governance commence à pénétrer les concepts et les fondements du droit
français des sociétés depuis les innovations apportées parla loi NRE du 15.5.01.et, plus particulièrement, par
les lois du 1er août 2003 sur l’initiative économique et pour la sécurité financière. Ces différentes lois semblent
vouloir imposer plus de transparence, d’équilibre des pouvoirs, de contrôle efficace et de souplesse dans la
conduite des activités économiques. La dissociation des pouvoirs du président du conseil d’administration de
celles du directeur général, le renforcement de l’information des actionnaires, la protection des actionnaires
minoritaires, l’accroissement des prérogatives des salariés, la réglementation du cumul des mandats, le
récépissé de création d’entreprise, la suppression du capital minimum dans les SARL et le renforcement du
statut des commissaires aux comptes notamment en sont les meilleures illustrations. Les scandales issus des
affaires Enron, Worldcom et Vivendi, ainsi que la loi Sarbanes-Oxley aux Etats-Unis ne sont pas étrangers
à cette évolution.
Cependant, l’impossibilité pour l’une des deux thèses traditionnelles d’expliquer à elle seule la nature de la
société entraîna de nombreux auteurs à plaider en faveur d’une approche mixte de la société et à envisager
une synthèse équilibrée (Guyon, Mestre, Mercadal, Merle, Bertrel).

Remarque
C'est ainsi que Messieurs Cozian et Viandier considèrent « qu'il n'y a pas un, mais plusieurs modèles de
société : selon le cas c'est l'aspect contractuel ou l'aspect institutionnel qui l'emporte, sans toutefois être
exclusif ».

Cela revient à dire que la société est en quelque sorte un aimant juridique qui attire, selon la forme envisagée
et les personnes concernées, les ingrédients du contrat, de l'institution, de la personnalité morale, et/ou de
l'acte unilatéral, individuel ou collectif, en totalité ou en partie en fonction du projet économique qui préside à
sa création (Cozian, Viandier, Deboissy, Droit des sociétés, p. 4 et s., LexisNexis, 28° édition).

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Mais, force est de constater que le libéralisme économique soutenu par l'équipe politique au pouvoir en France
- et en Europe - fait pencher la balance en faveur de la conception contractuelle de la société dans le
but de donner de meilleures - armes - aux entrepreneurs et aux investisseurs dans une économie de
plus en plus mondialisée.

La loi Macron (du Ministre Emmanuel Macron) du 06 août 2016 pour la croissance, l'activité et l'égalité des
chances économiques (n° 2015-990), va dans ce sens. Elle bouleverse sur de nombreux points le droit des
sociétés. Elle développe l'actionnariat salarié et les bons de souscription de parts de créateurs d'entreprise
(BSPCE), assouplit la comptabilité des micro-entreprise, renforce l'obligation d'information des salariés en cas
de cession de leur entreprise, introduit la cession forcée d'actions dans le cas d'une entreprise en redressement
judiciaire, réduit le nombre des actionnaires de 7 à 2 dans certaines SA, limite le nombre des mandats sociaux
à 3 au lieu de cinq dans les sociétés cotées, offre aux professions libérales la possibilité d'exercer dans des
sociétés pluriprofessionnelles, renforce nettement les conditions d'octroi des "retraites chapeaux" et donne
davantage de pouvoirs aux actionnaires en marière de rémunération des dirigeants au détriment du conseil
d'administration et, enfin, institue une société de libre partenariat (SLP)destiné à faire face à la concurrence
européenne en matière de fonds d'investissements alternatifs.

Remarque
En définitive, on note à travers cette analyse la souplesse de l'approche mixte qui lui permettra, à n'en pas
douter, de s'adapter d'une part aux différents types de sociétés et d'autre part à l'évolution de notre droit.

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