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Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

Sommaire

I : La responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales in bonis.

A : La responsabilité civile des dirigeants sociaux.

1) L’étendue de la responsabilité civile des dirigeants sociaux.


2) Régime de la responsabilité des dirigeants sociaux.

B : La responsabilité pénale des dirigeants sociaux.

1) Les infractions imputables aux dirigeants.

2) La sanction des infractions.

II : La responsabilité des dirigeants sociaux en cas d’ouverture de


procédures collectives.

A : Conditions de la responsabilité des dirigeants sociaux.


1) L’existence d’une faute de gestion.
2) L’existence d’un dommage et d’un lien de causalité.

B: Sanctions des dirigeants sociaux.


1) Les sanctions civiles.
2) Les sanctions professionnelles et pénales.

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«  La direction d’une société est rarement une


sinécure et malheur à celui qui, trop confiant dans
l’habilité et l’honnêteté de ses collaborateurs, plane
sur son petit nuage, inconscient des réalités de la
gestion quotidienne. Un jour vient où l’orage se
déclare et le dirigeant redescendu sur terre fait
l’apprentissage de la responsabilité, qu’elle soit civile,
pénale ou fiscale »1.

Les sociétés commerciales, dont l’existence remonte à l’antiquité, constituent l’un


des rouages essentiels de la vie économique d’aujourd’hui. Ce sont, en effet, des
personnes morales assimilées à des personnes physiques et exerçant une profession qui
rentre dans la catégorie des professions commerciales 2. L’Acte Uniforme portant Droit
des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique (AUSCGIE) de
l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), définit
la société commerciale comme : « une convention par laquelle deux ou plusieurs
personnes affectent à une activité des biens en numéraire ou en nature, dans le but d’en
partager les bénéfices ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter »3. A la lumière
de ce texte, le législateur OHADA exige, pour la formation de la société, le concours de
deux ou plusieurs volontés : c’est le principe. Cependant, l’Acte Uniforme (AU) apporte
une exception en déclarant que : « la société commerciale peut être également créée, dans
les cas prévus par le présent AU, par une seule personne, dénommée ‘‘associé unique’’,
par un acte écrit ». Il s’agit de la société anonyme unipersonnelle (SAU) et de la société
unipersonnelle à responsabilité limitée (SURL).
La société commerciale est une personne fictive dotée d’une véritable personnalité
juridique, d’un patrimoine propre, de moyens d’expression, d’une responsabilité
personnelle et de la capacité d’ester en justice. De ce point de vue, les sociétés
commerciales les plus répandues, notamment celles reconnues par le législateur
communautaire sont les sociétés en nom collectif (SNC), les sociétés en commandite
simple (SCS), les sociétés à responsabilité limitée (SARL) et les sociétés anonymes
(SA).4

1
In M.Cozian – A.Viandier – Fl. Deboissy. Droit des sociétés, 13e et 15e ed, Litec, 2000.
2
Ripert, id. n°607
3
Article 4 AUSGIE
4
Article 6 AUSCGIE

2
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Pourtant, les sociétés commerciales n’ont connu un début de réglementation que


dans l’ordonnance de Colbert de 16535. Elle sera plus tard complétée par les œuvres
législatives napoléoniennes, à savoir le Code civil de 1804 et le Code de commerce de
18076.
Mais ce dispositif était loin d’être contraignant à tel enseigne que « jusqu’en 19357 il n’y
avait aucune sanction contre les dirigeants sociaux qui se réclamaient uniquement
mandataires de la société ». La personnalité morale de la société constituait en fait un
« bouclier protecteur infranchissable ».8
A l’heure actuelle, « la globalisation des problèmes relatifs à l’activité des entreprises
et des difficultés juridiques qui en sont la conséquence vont de pair avec une évolution de
la législation qui doit imposer plus de charges et de responsabilités aux entreprises et à
leurs dirigeants ». Ce que le législateur OHADA semble avoir fort heureusement compris
en prêtant une attention particulière aux dirigeants sociaux.
Au demeurant, les dirigeants ne font l’objet de définition dans l’Acte Uniforme. En
revanche, le terme générique d’ « organe de gestion, de direction et d’administration » est
fréquemment utilisé pour faire référence aux différentes personnes désignées pour gérer,
administrer et diriger les sociétés commerciales. Il s’agit, selon le contexte, des gérants de
SARL, de SNC ou de SCS, et des administrateurs (PCA, DG, DGA) pour les SA.
Pour se faire, de larges pouvoirs leur sont conférés dans l’exercice de leurs fonctions.
Ces pouvoirs ont pour contre partie une responsabilité qui pèse sur eux. Celle-ci
consistera pour le dirigeant de répondre de ses agissements devant la justice et d’en
assumer les conséquences civiles, pénales, disciplinaires etc., envers la société, les
associés ou les tiers.
Dès lors, la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales est diverse.
En effet, l’AU prévoit deux types de responsabilité, une responsabilité pénale et une
responsabilité civile. « Si la première est plus connue compte tenu de la peur d’une
privation de liberté, elle ne doit pas occulter la seconde qui est tout aussi considérable, car
plus vaste et parfois même plus redoutable ». Mais, dans tous les cas, elle est envisagée
dans une finalité à la fois répressive et préventive.
La question de la responsabilité des dirigeants sociaux, en plus de son intérêt théorique, a
aussi un intérêt pratique.
5
Ordonnance appelée fréquemment « Code Savary » du nom d’un de ses rédacteurs
6
Code instituant certains types de sociétés
7
Décret-loi du 8 août 1935.
8
Voir dans ce sens Ph. Delebecque et M. Germain, Traité de droit commercial de Georges Ripert et Roblot, L.G.D.J, tome 2, 16è éd. 2000,
n°3278

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En effet, aujourd’hui, avec la crise économique qui secoue le monde des affaires,
beaucoup de sociétés sont en difficultés. Quelle est alors la part de responsabilité des
dirigeants sociaux dans cette situation ? Ce contexte de crise économique conjugué aux
différentes révélations sur les avantages des dirigeants de grandes sociétés a entrainé, en
France, un sentiment d’injustice ayant conduit à la séquestration de ceux-ci par leurs
employés. Face à cette situation le gouvernement a réagi en publiant un décret encadrant
les rémunérations des dirigeants de société et leurs avantages sociaux9.
La responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales, en droit OHADA, est
régie par une combinaison de règles, les unes issues de l’AU, les autres de lois nationales
des Etats-parties. Elle varie suivant la situation de la société. Il est à remarquer aussi le
rôle déterminant joué par le juge en raison des pouvoirs larges dont il dispose.
Quel est alors le régime juridique de cette responsabilité ? Au cas où celle-ci est
engagée, les sanctions sont elles dissuasives ? Qu’en est-il même de l’application et du
régime des sanctions prévues ?
Ainsi, au cours de nos développements, sans toutefois faire état des règles spéciales qui
leur sont applicables compte tenu des différentes formes sociales prévues par l’AU, nous
allons essayer de démontrer que la responsabilité des dirigeants sociaux s’appréhende de
deux manières c’est à dire selon que la société est encore viable (I) ou lorsqu’une
procédure collective est ouverte à son encontre (II).

9
Notons que, malgré ce décret publié récemment par le gouvernement en France, les dirigeants continuent à l’heure actuelle de faire l’objet de
séquestration par les employés qui leur reproche une part de responsabilité dans les difficultés et la fermeture de leurs entreprises.

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I : La responsabilité des dirigeants sociétés commerciales in bonis.

L’histoire de la responsabilité des dirigeants sociaux est celle d’un développement


rapide aux besoins de la vie des affaires. La loi de 1925 en France avait posé le principe
d’une responsabilité pour faute prouvée et admis une responsabilité pénale dans quelques
cas exceptionnels qui furent multipliés par les textes ultérieurs.
Les textes, notamment ceux de l’OHADA, la doctrine mais aussi la jurisprudence, ont
recueilli les différents aspects de la responsabilité des dirigeants sociaux quelle soit civile
(A) ou pénale (B).

A : La responsabilité civile des dirigeants sociaux.

Les dirigeants sociaux ont tous les pouvoirs pour diriger la société dans l’intérêt de
celle-ci. Il est ainsi incontestable que le législateur reconnaît aux dirigeants des pouvoirs
assez étendus en contrepartie desquels il met à leur charge une responsabilité susceptible
d’être engagée au plan civil.
La responsabilité civile des dirigeants est donc une réalité quotidienne, elle donne lieu à
une jurisprudence relativement fournie. Il convient dès lors de voir l’étendue de cette
responsabilité (1) avant d’envisager son régime (2).

1 : L’étendue de la responsabilité civile des dirigeants sociaux.

Les dirigeants sont individuellement ou solidairement responsables envers la


société10, les associés11 (a) ou les tiers12 (b) des manquements aux lois, de la violation des
statuts et de leurs fautes de gestion.

a) Responsabilité envers la société ou les associés.


Vis-à-vis de la société ou des associés, la responsabilité civile des dirigeants est
essentiellement contractuelle et est fondée sur une faute prouvée. Comme dans le régime

10
Article 165 AUSCGIE.
11
Cass. Com., 8 novembre 1960, J.C.P., 1961. 2. 12046, note J.R ; Cass. Com., 14 décembre 1960, R.D.C., 1961, 624, obs. RODIERE.
12
Article 161 AUSGIE.

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de droit commun, il faut une faute, un dommage et un lien de causalité. La question de la


nature de la responsabilité des dirigeants a été très discutée parce qu’on a voulu en tirer
les conséquences quant à l’exercice de l’action. Dans la conception classique de la SA, on
a considéré que cette responsabilité est contractuelle parce que les administrateurs sont
mandataires des associés. Cependant, selon certains auteurs cette conception contractuelle
est périmée13.
Bien que la notion de la responsabilité soit ici contractuelle, le dirigeant ne sera
déclaré responsable envers la société ou les associés que sur la base de la faute prouvée.
Ainsi, la jurisprudence refuse de présumer la faute à partir du mauvais état des affaires
sociales14, ou d’un dépôt de bilan15. Cette faute n’a pas à être lourde ou dolosive16.
Elle consiste de façon générale soit en des agissements contraires aux intérêts de la
société, soit en un manquement au devoir de loyauté vis-à-vis des associés 17.
La faute du dirigeant peut revêtir des expressions bien variées et se produire à des
moments très divers notamment lors de la constitution de la société. La loi vise ici la
responsabilité pour constitution irrégulière consécutive à un défaut d’une mention
obligatoire dans les statuts, à une omission ou l’accomplissement irrégulier d’une
formalité prescrite par la loi et le règlement. Il s’agit d’une responsabilité solidaire qui
concerne les fondateurs et les premiers dirigeants de la société, son action est
indépendante de l’annulation et apparaît d’une certaine manière comme le complément de
l’action en régularisation.
Le dirigeant peut également commettre une faute de gestion 18. La faute réside ici
dans la violation des lois et règlements tel le refus de convoquer l’assemblée des associés
ou la méconnaissance des exigences légales d’information concernant les actionnaires. La
faute peut aussi résider dans la violation des statuts19, exemple, méconnaissance d’une
disposition statutaire obligeant le dirigeant à obtenir exceptionnellement l’accord des
associés.
Les hypothèses de faute de gestion sont très diverses  notamment, le fait de concurrencer
la société dirigée20 , d’obtenir le remboursement des frais fictifs ou de ne pas avoir

13
. G.Ripert\ R.Roblot: Traité de Droit Commercial, Michel Germain et Louis Vogel. Tome 1, 17e ed. L.G.D.J.
14
. Cass 3e civ, 17 janv 1972, no 76-11854, Bull civ III, no 43, P 35.
15
. CA Versailles, 13e ch. 21 janv. 1993. Rev Soc 1993.P.884.
16
. Cass 1ere ch. 26 nov 1974, no 78-13.55. JCP 1975.P 17.
17
.Cass, com.27 fev 1996. No 94-11241. Bull civ IV, no 65. P 50.
18
Cass. Com., 28 novembre 1961, J.C.P., 1962.2.12504; Rouen, 20 octobre 1983, Journ. Agréés, 1985, 132, note F. CHERCHOULY-
SICARD
19
Cass. Civ., 10 mars 1976, J.C.P., 1977.2.18566, note CHARTIER.
20
. Cass.com 7 Oct 1997, no 18553 JCP, ed E 1997, I, no 710. p500.

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recouvré une créance sociale. Il peut s’agir aussi d’un silence longuement gardé par le
dirigeant sur les opérations hasardeuses et finalement très préjudiciables à la société, ou
d’un défaut de surveillance du personnel. A ce propos, une gérante d’une société
exploitant une maison de santé a été condamnée au paiement d’une partie du passif social
au titre de sa responsabilité civile. 21
Les dirigeants peuvent aussi engager leur responsabilité lors de la cessation des fonctions.
Il en est ainsi  en raison de leur démission même lorsque celle-ci s’effectue sans juste
motif ou encore lorsqu’elle présente, à raison des circonstances qui l’entourent (publicité
intempestive, menaces envers la société, précipitation…) un caractère abusif.
En revanche, une fois qu’ils ont quitté leur fonction, les dirigeants ne sauraient être
poursuivis en responsabilité civile pour des faits de gestion postérieurs à leur départ 22. Peu
importe que la démission du dirigeant n’ait pas été inscrite au registre du commerce.23
Mais, bien évidement, dès lors, tout au moins, qu’il n’y a pas encore prescription, les
dirigeants retirés peuvent être poursuivis pour une faute antérieure à leur cessation de
fonction. C’est ce qui a été décidé dans un arrêt de la chambre commerciale qui a admis
que l’action en responsabilité puisse être poursuivie contre l’ancien dirigeant par le
nouveau agissant au nom de la société alors que tous les deux étaient cédant et
cessionnaire dans la cession de contrôle ayant porté sur la société . En d’autres termes,
cette responsabilité engagée après la cession peut indirectement et, en se plaçant dans une
perspective économique, diminuer le coût d’acquisition de la société.24
Enfin, le dirigeant retiré d’une société peut voir sa responsabilité engagée s’il
procède à la création d’une autre société concurrente de la première soit en
méconnaissance d’une obligation de non concurrence, soit lorsqu’elle s’effectue aux
moyens d’actes de concurrence déloyale25. 
La faute du dirigeant n’entraine pas automatiquement sa responsabilité. Encore faut il
conformément au droit commun qu’elle soit source pour la société ou les associés d’un
dommage réparable ; d’où les habituelles exigences de la responsabilité civile à savoir un
dommage direct, certain et personnel ; dommage pouvant être matériel ou moral. Forte de
ces exigences, la jurisprudence a écarté la responsabilité du dirigeant en observant que la

21
. Cass.Com, 15 mai 1990. No 88- 18324.
22
Ce, même si leur retraite n’a pas été publiée, cass.com, 17 janvier 1989, Bull. Cass., 1989, 4, no 26.
23
. Cass. Com, 23 mars 1982. No 80- 16361, Bull civ IV no 116, P 103.
24
. Cass.Com, 11 Oct 1988. No 87- 10529, Bull joly 1988, P 925.
25
Rev. Lamy sociétés commerciales, ed. Lamy SA, 187/189, 1998.

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communication tardive de certaines informations aux actionnaires ne leur a finalement


pas été préjudiciable. 26
La jurisprudence a également écarté la responsabilité d’un gérant faute de la preuve que
la résiliation du contrat qu’il avait effectué ait causé un préjudice personnel à l’associé
demandeur.27
Il faut évoquer ici une jurisprudence constante qui dénie à l’associé, faute de préjudice
personnel, le droit d’agir contre le dirigeant dont la mauvaise gestion a provoqué une
dépréciation de la société ou encore une baisse du cours des titres 28. Un tel rejet se justifie
car le préjudice subi par l’associé n’est que la conséquence du dommage causé à la
société. 
L’existence d’une faute et d’un préjudice ne suffit pas à engager la responsabilité
civile du dirigeant. Les juges du fond doivent en plus constater que le préjudice subi par
la société ou par les associés trouve bien son origine dans la faute du dirigeant poursuivi :
c’est l’exigence du lien de causalité. Aussi, la jurisprudence a décidé que le gérant d’une
SARL qui a commis une faute de gestion peut être condamné à rembourser à un associé
les frais que ce dernier a personnellement engagé pour faire nommer un expert judiciaire
peu importe que cette nomination ait été utile à la société.
A cet égard on notera que conformément au droit commun le dirigeant pourra donc, pour
s’exonérer, invoquer la force majeure. C’est le cas de l’administrateur victime d’une
fraude dont il était dans l’impossibilité de déjouer. 29 Mais, pour la jurisprudence, la
méconnaissance par le dirigeant des dispositions légales ou statutaires ou encore de
l’intérêt social demeure source d’obligation même lorsqu’elle a été entérinée par
l’assemblée générale des actionnaires ou imposée par l’actionnaire majoritaire. 
On relèvera qu’il importe peu que le dirigeant ait agi dans l’exercice de ses fonctions.
Cette circonstance ne saurait nullement le soustraire de la responsabilité personnelle
encourue selon le droit commun.30

b) Responsabilité envers les tiers.


Les dirigeants exercent des fonctions à risque dans un environnement juridique
économique hostile. L’âpreté de la compétition les conduit à des comportements
dépassant parfois les limites de l’honnêteté, et l’AU précise que « ….chaque dirigeant
26
. Cass.Com, 29 juin 1899.DP 1905, I, P191.
27
Cass.Com, 5 mars 1991. No 89- 21070. Liaisons juridiques et fiscales, 28 mars, P 2.
28
Cass.Com. 1er avril .1997: Bull joly 1998, p.650, note J-F. BARBIERI.
29
Cass.Com, 10 mai 1948. JCP, ed G 1949, II, no 4937, note BASTIAN.
30
Cass. 3e civ. 17 janv 1978. No 76 -11394, Bull civ D. No 43, P 35.

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social est responsable individuellement envers les tiers des fautes qu’il commet dans
l’exercice de ses fonctions. Cette responsabilité est solidaire si plusieurs dirigeants ont
participé aux mêmes faits ».31
On conçoit dès lors que les actions en responsabilité civile soient monnaie courante. Les
plus prudents ne manquent d’ailleurs pas de souscrire à une assurance responsabilité
civile dont les primes sont prises en charge par la société. En effet, comme l’a justement
observé Y. GUYON : «  il est assez rare qu’un dirigeant de société engage sa
responsabilité personnelle à l’égard des tiers. En effet, dans les circonstances normales le
dirigeant agi au nom et pour le compte de la personne morale. Par conséquent, par
application de la théorie générale de la représentation, les tiers sont liés à la société, qui
est seule engagée dans les liens de droit. C’est donc à la société, et normalement à elle
seule, qu’ils pourront demander des dommages et intérêts si l’acte ainsi accompli se
révèle générateur de responsabilité civile. »32. Cette responsabilité des dirigeants vis-à-vis
des tiers est essentiellement de nature délictuelle. Toutefois, en dehors de l’hypothèse du
cautionnement où le dirigeant social s’oblige spontanément, il existe des cas où le
dirigeant peut voir sa responsabilité civile engagée à l’égard des tiers. Il en est ainsi :
1er cas : lorsque le dirigeant a commis une faute de gestion ayant entrainé la cessation des
paiements de la société (voir 2e partie) ;
2e cas : lorsque le dirigeant n’a pas agi en qualité d’organe social. Cette situation se
rencontre d’abord lorsque le dirigeant n’a pas fait état de sa qualité ou encore a laissé
planer un doute sur cette dernière, en particulier par ce qu’il exerce à titre personnel une
activité identique à celle de la société et que les circonstances de fait n’ont pas permis aux
tiers de savoir s’il avait aussi agi en son nom personnel ou en celui de la société . C’est
ainsi que la jurisprudence a condamné le président-directeur général ( P-DG) d’une
société exploitant une carrière in solidum avec elle à réparer le dommage causé aux
propriétaires voisins par les agissements de la société dès lors que le P-DG s’est présenté
expressément et s’est comporté comme l’exploitant notamment, en participant à
l’expertise sans faire allusion à la société dont il n’a relevé l’existence que
postérieurement.33
La jurisprudence a également condamné le gérant d’une SARL par ce qu’il avait signé de
son propre nom les contrats conclus avec le maitre d’ouvrage sans mentionner, dans

31
Article 161 AUSCGIE. Voir aussi, Cass. Com., 6 mars et 18 juin 1973, Rev. Soc 1974, 300.
32
Y. GUYON, Rev sociétés, 1983, P 975.
33
Cass. 3e civ. 3 mai 1977, no 76- 10. 223. Bull civ III, no 194 .P.149.

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aucun document, qu’il agissait en tant que gérant d’une SARL et avait créé une apparence
qui ne permettait pas de connaître la personne du véritable contractant.34
Cette hypothèse pourrait également se produire lorsque le dirigeant a outrepassé ses
pouvoirs sans pour autant que la société soit engagée envers les tiers. Mais ce cas reste
assez rare car le plus souvent, faute de l’opposabilité aux tiers des clauses statutaires
limitatives des pouvoirs des dirigeants ou d’un dépassement de l’objet35, la société, sans
s’engager envers les tiers et l’éventuelle responsabilité du dirigeant fautif ne se concevra
alors que dans les rapports intérieurs de la société.  Toutefois, on peut concevoir que le
dirigeant promette à un tiers d’obtenir à son profit la décision d’un organe social
normalement compétent. S’il ne l’obtient pas, il peut se trouver obligé personnellement
porte-fort. Ainsi, la jurisprudence a considéré que la promesse de reclassement dans une
des sociétés du groupe fait à un dirigeant pour le cas de révocation ou de démission
constitue une promesse de porte-fort qui engage le promettant en cas d’inexécution de la
promesse à indemniser le dirigeant révoqué du préjudice subi. 
3e cas : lorsque le dirigeant a commis une faute personnelle 36. Cette troisième et dernière
hypothèse de responsabilité civile du dirigeant social à l’égard des tiers est concevable
lorsque le dirigeant a commis une faute génératrice pour ces derniers d’un préjudice. Les
difficultés jurisprudentielles se cristallisent ici autour de la notion de faute susceptible
d’engager la responsabilité personnelle du dirigeant et donc de le priver de l’écran de la
personne morale sociétaire. A cet égard, les juges de la cour de cassation s’inspirant de la
jurisprudence administrative distinguant entre faute de service et faute personnelle
détachable, ont décidé de subordonner la responsabilité du dirigeant à la preuve d’une
faute personnelle extérieure à l’activité de représentation.37
Dans cette espèce, à la suite de l’exécution défectueuse d’un marché de travaux par une
société, le contractant avait invoqué la responsabilité personnelle du gérant que les juges
du fond avaient effectivement retenue. La cour de cassation décide, au motif qu’ « en
retenant cette responsabilité …., sans lever aucune circonstance d’où il résulterait qu’il ait
commis une faute extérieure à la conclusion ou à l’exécution du contrat conclu entre M
et la société, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ». Cette formule
se retrouve dans de nombreux arrêts postérieurs. Que faut-il alors entendre par faute
détachable ou séparable des fonctions ?

34
Cass.Com 28 juin 1988. No 87-12. 082. Bull joly 1988. P671.
35
Cass.Com, 14 octobre, 1991:Rev, Soc 1992, p.782, B.BOULOC.
36
Cass. Com., 4 mai 1999 : Bull. Joly 1999, p. 1222, note L.GODON.
37
Cass. Com. 8 mars 1982. No 79- 10412. Rev soc 1983. P 573. Note GUYON.

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La cour de cassation considérait auparavant que le fait que le dirigeant ait agi dans
l’exercice de ses fonctions ne saurait le soustraire de la responsabilité personnelle
encourue conformément aux règles de droit commun. En 1978, la chambre commerciale
de la cour de cassation jugeait encore que la faute commise à l’ occasion de la gestion par
le dirigeant et qui était en relation avec le dommage subi par le tiers engage sa
responsabilité personnelle.
Le recours à la notion de faute détachable s’est fait progressivement sous l’inspiration de
la notion appliquée en droit administratif entre la faute de service et la faute détachable de
service.38
C’est en premier lieu par un arrêt du 09 avril 1975, que la chambre sociale de la cour de
cassation a véritablement retenu la faute du président d’un syndicat qui a commis une
faute détachable de ses fonctions en licenciant un salarié dans le seul but de lui nuire car
ayant un sentiment d’austérité.39
Il a fallu attendre le 08 mars 1982 pour que la chambre commerciale de la cour de
cassation fasse application de la distinction en reprenant textuellement la solution donnée
par la chambre civile en 197840. La solution est reprise et précisée le 04 octobre 1988 par
la chambre commerciale cassant pour défaut de base légale l’arrêt de la cour d’appel qui a
retenu la responsabilité personnelle à l’ égard d’un tiers du dirigeant social sans établir
que celui-ci ait commis une faute extérieure à la conclusion et à l’exécution du contrat
générateur du dommage.41
C’est en 1991 que la chambre a formulé pour la première fois de façon claire la
distinction entre la faute séparable et celle qui ne l’est pas. Elle casse en effet, l’arrêt
d’une cour d’appel qui n’avait pas relevé « une faute qui soit séparable des ses fonctions
de dirigeant qui lui soit imputable personnellement ». Cette formule est reprise dans
presque tous les arrêts ultérieurs.
L’arrêt du 20 mars 2003 a été le premier à donner une définition de la faute séparable en
décidant qu’ « il ya faute séparable lorsque le dirigeant commet intentionnellement une
faute d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normale des fonctions
sociales.42 Ainsi, il a été qualifié de faute séparable, la faute commise par la gérante d’une
SARL qui a cédé deux fois la même créance que la société détenait sur un tiers. A
contrario, la faute commise par un dirigeant qui a recommandé à ses actionnaires une
38
T.C, arrêt Pelletier, 30 juillet 1873. GAJA.
39
Cass sociale, 9 avril 1975. Bull civ no 4. 1974
40
Cass com. 08 mars 1982. Rev soc 1983. P 153. Note Y.GUYON.
41
Cass.com. 4 Oct 1988. Rev soc 1989. P 86 obs JOURDAIN.
42
Cass. 20 mars 2003. Bull joly 2003. P 786. Note H. LEBASQUE.

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offre d’achat à un prix insuffisant a été jugée non séparable. La cour ayant estimé que
cette offre relevait d’une négligence non intentionnelle du dirigeant.
La notion de faute séparable est donc aujourd’hui bien assise. En constatant une telle
faute et en la définissant, la cour de cassation a peut être donné au juge le moyen de
relever plus fréquemment une faute séparable du dirigeant. Cependant, les commentateurs
de l’arrêt de 2003, notamment LEBASQUE, s’accordent sur le fait qu’il s’agit que d’une
évolution et non d’une révolution. La cour de cassation reprend en effet la formule
classique mais y ajoute une définition.
L’enjeu relatif à la qualification de la faute est important : en cas de faute non
séparable le dirigeant n’est pas personnellement responsable. C’est la société qui endosse
la responsabilité et doit indemniser les tiers lésés.
Il faut enfin noter une évolution de la jurisprudence de la cour de cassation en
matière de responsabilité des dirigeants qui permet la mise en œuvre, conjointe et
systématique, de l’action en responsabilité des dirigeants avec la société. En effet, en
pratique et jusqu'à récemment, les tiers, qui s’estimaient léser par un acte de gestion d’un
dirigeant, portaient leur action directement contre ce dernier. Ils devraient alors établir
que la faute alléguée était séparable des ses fonctions. Si à l’issue de la procédure le juge
décidait que la faute commise était en fait non séparable des fonctions du dirigeant, ce
dernier n’était pas tenu responsable.
Il fallait alors que le plaignant mène une nouvelle action dirigée, cette fois-ci, contre la
société laquelle était alors seule condamnée à réparer le préjudice causé par le dirigeant.
Ainsi, l’action du plaignant s’avérait peu efficace, plus longue et plus couteuse.
Face à cette difficulté pratique, les plaignants sont désormais poussés à poursuivre
conjointement et au sein d’une même procédure le dirigeant et la société. Ainsi, si le juge
qualifie la faute de séparable, le dirigeant sera condamné. Si, au contraire, la faute est
qualifiée de non séparable c’est la société qui paiera sans que le plaignant n’ait à
introduire contre elle une action nouvelle et séparable. En pratique ces actions conjointes
sont donc plus efficaces et désormais plus nombreuses.

2 : Régime de la responsabilité.


Le régime de la responsabilité civile des dirigeants pose les questions de l’exercice
de l’action en justice et de ses résultats.

12
Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

a) Exercice de l’action.
L’exercice de l’action en responsabilité soulève les questions de savoir qui peut
prendre l’initiative de l’action (demandeur), contre qui elle peut être dirigée (défendeur),
quelle est la juridiction compétente, quels sont les délais de prescription ?
Le demandeur à l’action en responsabilité peut être selon les cas, la société elle-même, les
associés ou les tiers.
La société a qualité à agir lorsqu’elle a subi personnellement un préjudice dû à la
faute du dirigeant43. Dans ce cas on parle d’action sociale. L’AU la définit comme
l’action en réparation du dommage subi par la société du fait de la faute commise par le
ou les dirigeants sociaux dans l’exercice de leur fonction. Mais dans la mesure où cette
action de la personne morale doit normalement être exercée par ceux qui la représentent,
c'est-à-dire ses dirigeants, on parle d’action « ut universi ». Or, les intéressés sont
rarement enclins à « tresser la corde qui servira à les pendre ; le débat de conscience s’il
existe sera facilement tranché en cas de relève des dirigeants sociaux, le successeur
n’ayant aucune raison d’épargner son prédécesseur »44. Restent des hypothèses fréquentes
où les dirigeants sont demeurés en place malgré le préjudice causé à la société. Comment
assurer alors la défense du patrimoine sociale ? La réponse est fournie par l’action « ut
singuli » c'est-à-dire l’action sociale intentée par les associés ou les actionnaires au nom
de la société45 après une mise en demeure des organes compétents non suivie d’effet dans
le délai de trente jours46. Pour rendre effective cette action, l’AU dispose que toute clause
des statuts subordonnant l’exercice de celle-ci à l’avis préalable ou à l’autorisation de
l’assemblée, d’un organe de gestion, de direction ou d’administration, ou qui
comporterait par avance renonciation de l’exercice de cette action est réputée non écrite.47
Cette action, précise t-il, est intentée par celui qui subit le dommage. Son exercice ne
s’oppose pas à ce que l’associé ou plusieurs d’entre eux exercent l’action sociale en
réparation du préjudice subi par la société48. Ainsi, tout associé a qualité pour agir en
justice toutes les fois que cela se situe dans l’intérêt légitime de la société.49
L’associé est lui-même personnellement demandeur. Il dispose dans ce cas de
l’action individuelle, c'est-à-dire l’action en réparation du dommage distinct de celui que

43
Article 165 AUPC.
44
M.COZIAN, A.VIANDIER, F.DEBOISSY ; Droit des Sociétés, 15e ed, Litec.
45
Cette action permet de poursuivre la réparation du préjudice global subi par la société, pour le compte de celle-ci : cass. Com., 7 décembre
1982, Rev. Soc .1984, 54, note RANDOUX.
46
Article 167 AUPC.
47
Cotonou, no 256| 2000, 17 aout 2000, affaire Société Continentale des pétroles et d’investissements.
48
Article 163 AUSCGIE.
49
Cotonou, no 65| 99, 29 avril 1999, Affaire M. Guy BARBARA c\ Société SIVAPT.

13
Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

pourrait subir la société du fait de la faute commise individuellement ou collectivement


par les dirigeants sociaux dans l’exercice de leur fonction.
Lorsque l’associé subit un préjudice propre, il peut agir quand bien même la société fait
l’objet d’une procédure collective50. Il reste que la preuve d’un tel préjudice sera délicate
et n’est guère admise par les tribunaux que dans des cas soit de rétention, soit de
détournement de fonds ou de titres appartenant à l’associé51.
L’action individuelle peut aussi être intentée lorsque la souscription à une augmentation
de capital a été obtenue par des allégations mensongères52, ou lorsque des propos
diffamatoires ont été tenus contre un associé dans le cadre d’une assemblée générale 53. En
revanche, la jurisprudence dénie à l’associé le droit d’agir contre le dirigeant au motif
que sa mauvaise gestion a fait baisser le cours des titres. 
Ont également été déboutés les associés minoritaires dissuadés par les dirigeants en place
de vendre leurs titres lors d’une prise de contrôle alors que des pertes postérieures à celui-
ci ont entrainé l’effondrement des cours.54
Il ressort de ces observations que l’associé doit prouver qu’il a subi un dommage distinct
de celui que pourrait subir la société du fait de la faute commise individuellement ou
collectivement par les dirigeants sociaux dans l’exercice de leur fonction.
Enfin, les tiers peuvent aussi être demandeurs lorsque la faute du dirigeant leur a
causé un préjudice personnel. Et le commissaire aux comptes de la société peut lui-même,
poursuivi en responsabilité civile, se retourner en garantie contre le dirigeant fautif.
Quant au défendeur, c’est évidement le dirigeant ou en cas de décès de celui-ci, ses
héritiers.
L’action en responsabilité exercée contre les dirigeants sociaux, qu’ils aient ou non la
qualité de commerçants, est de la compétence de la juridiction dans le ressort de laquelle
est situé le siège social de la société. En l’occurrence, au Sénégal c’est le Tribunal
Régional qui est compétent.
Dans le souci de ne pas faire peser sur les dirigeants sociaux une menace trop longue, le
législateur a institué une prescription assez brève de trois ans à compter du fait
dommageable, ou s’il a été dissimulé de sa révélation 55. Elle se prescrit par dix ans pour
les crimes.

50
CA Paris, 1ere ch A. 14 fevrier 1989, Bull joly 1989, P 446.
51
Cass. Civ 26 novembre 1912, DP 1913, I, P.377.
52
CA Lyon, 16 septembre 1960. Gaz Pal 1961, I, P 164.
53
CA Montpellier, 31 mars 1966, Gaz Pal 1966, I, P 421.
54
CA Aix, 15 févr. 1977. D. 1979, IR. P 106. Obs. BOUSQUET.
55
Article 170 AUSCGIE. Voir aussi, Cass. Com., 31 janvier 1989. B.R.D.A., 1989. 4. P.19.

14
Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

b) Résultats de l’action.
Responsable pour faute, le dirigeant doit réparer l’entier dommage qui en est résulté
pour les associés ou la société. Cette responsabilité prendra très généralement la forme de
dommages - intérêts déterminés selon les règles du droit commun de la responsabilité
civile. La condamnation sera donc exécutée sur le patrimoine personnel des dirigeants.
La jurisprudence parait défavorable au jeu de la compensation invoquée par le dirigeant
lorsqu’il s’estime lui-même créancier de la société, par exemple pour des rémunérations
non encore versées. Ainsi, la cour de cassation a relevé que le fait que la somme sus
indiquée a été prise sans droit par les administrateurs dans la caisse de la société et n’a
pas été employée dans l’intérêt de celle-ci suffit à justifier la décision des juges du fond
qui avaient écarté la compensation sans chercher si la prétendue créance des
administrateurs n’était pas liquide et exigible et en se contentant d’invoquer une
infraction au règlement.56 
Il faut aussi signaler que le principe selon lequel chacun des dirigeants n’est responsable
que de ses fautes et n’a donc pas à répondre des fautes des autres, ne fait pas obstacle à
l’admission de la responsabilité solidaire des dirigeants 57. Dans ce cas la victime a le droit
de réclamer son entière indemnisation à chacun des responsables. Entre ces derniers le
tribunal chargé des affaires commerciales détermine la part contributive de chacun dans
la réparation du dommage. Des recours subrogatoires après paiement permettent ainsi
d’établir une contribution définitive à la dette en fonction de la faute de chacun. Notons
également que les dirigeants peuvent être déclarés solidairement responsables du
paiement des impositions et pénalités dues par la personne morale, lorsque le
recouvrement en a été rendu impossible par les manœuvres frauduleuses ou
l’inobservation répétée des obligations fiscales, et que ces faits leurs sont imputables.58
Outre la responsabilité civile, les dirigeants engagent aussi leur responsabilité pénale dans
l’exercice de leur fonction.

B : La responsabilité pénale des dirigeants sociaux.

Dans l’exercice de la mission qui leur est confiée, les dirigeants sociaux peuvent
commettre des faits constitutifs d’infractions pénales (1). Ils engagent de ce fait leur
responsabilité pénale et se voient appliquer des sanctions (2).

56
Rev. Lamy sociétés commerciales, ed. Lamy SA, 187/189, 1998.
57
Article 161 AU.
58
Cass.Com, 7 fevrier 1989, Defrénois, 1989, 1276, 2e esp., note HONORAT.

15
Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

1) Les infractions imputables aux dirigeants sociaux.


Le droit pénal a prévu un certain nombre d’infractions relatives à la gestion des
affaires sociales. L’objectif visé est d’éviter des abus et de protéger tous ceux qu’une
gestion frauduleuse, voire simplement trop imprudente, mettrait en péril.
De nombreuses incriminations encadrent donc l’activité des dirigeants sociaux. Les
infractions de droit commun sont souvent retenues contre les dirigeants malhonnêtes (a).
Mais cette législation s’est rapidement révélée insuffisante et de retentissants scandales
financiers faisant de nombreuses victimes parmi les petits épargnants, ont conduit à une
multiplication des textes répressifs et à un renforcement des pénalités à un point tel que
s’est constitué un véritable droit pénal des sociétés (b).

a. Les infractions de droit commun.


La particularité des infractions de droit commun, c’est qu’elles ne sont pas
spécialement conçues pour le monde des affaires sociétaires. Elles sont applicables à
toute personne physique y compris les dirigeants sociaux. Ces infractions, prévues dans le
Code pénal et applicables à ces derniers, sont nombreuses et diversifiées. Elles ont nom :
escroquerie, faux et usage de faux, recel, abus de confiance etc. Mais, en raison de leur
fréquence dans la chronique judiciaire, seules les infractions d’escroquerie et d’abus de
confiance seront examinées.

1°) L’escroquerie.
Comme pour toute infraction pénale, l’existence de l’escroquerie imputable aux
dirigeants sociaux obéit à un certain nombre d’éléments constitutifs cumulatifs, et la
chambre criminelle de la Cour de cassation française veille au strict respect par les juges
du fond des exigences que la loi pose quant aux éléments constitutifs matériels et
intentionnels de cette infraction59 mais également des autres.
Ce délit est prévu par l’ancien Code pénal français en son article 405 et actuellement par
l’article 313-1 du nouveau code. Au Sénégal, c’est l’article 379 du Code pénal qui le
consacre. Ces textes exigent pour la constitution du délit l’emploi de moyens frauduleux
en vue de se faire remettre une chose appartenant à autrui. L’existence de manœuvres
frauduleuses suppose qu’un fait actif soit accompli ; l’escroquerie est un délit d’action et
non d’omission.
59
Cass.crim., 25 mai 1987, n°86-93.571 ; Cass.crim. 22 oct. 1990, Rev. Sociétés 1991, p.125, note Bouloc, Dr. Sociétés 1991, n°87.

16
Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

En outre, ces manœuvres doivent avoir été déterminantes de la remise des fonds ou des
valeurs. Ainsi, la présentation d’un faux bilan ne suffit pas à caractériser l’escroquerie si
elle n’a pas été déterminante de la remise. 60 De même le Gérant d’une société absorbée
n’a pas commis d’escroquerie lorsque la valeur d’un fonds de commerce qu’il avait
faussement englobée dans l’activité actuelle de cette société n’était que marginale et
n’avait entraîné aucune répercussion sur les résultats de la société.61
Concernant l’existence des manœuvres frauduleuses, les allégations mensongères du
dirigeant social ne suffisent pas. Elles doivent nécessairement être accompagnées
d’éléments extérieurs ayant pour but de leur donner force et crédit.62
Le droit des sociétés est fréquemment utilisé pour réaliser des escroqueries. En raison de
leurs fonctions, les dirigeants sociaux disposent d’instruments qui leur permettent d’user
de moyens frauduleux. Le recours à la société fictive est un exemple type de la « fausse
entreprise » prévue par l’article 405 de l’ancien code pénal français. Dans la plupart des
cas, les escroqueries commises par les dirigeants sociaux ont pour but de procurer des
fonds à leur société. Dans cette hypothèse les moyens frauduleux utilisés sont les
suivants : présentation de bilan falsifié pour obtenir d’une banque des avances ou des
prêts63, la rédaction d’une publicité mensongère lors de l’émission de valeurs mobilières.
S’agissant de l’élément moral de l’infraction, il reste nécessaire à caractériser : il
ressort qu’il n’y a pas d’infraction lorsque des personnes ont participé à une augmentation
de capital en sachant que les documents provisoires (inexacts) établis par l’expert
comptable n’était pas un véritable bilan, et que surtout le dirigeant poursuivi n’a donné
aucune directive pour leur établissement et a, tout au contraire, avoué l’existence d’un
problème de trésorerie « de plus en plus délicat ».64
Dans la nouvelle rédaction de l’article 313-1 ne figure plus expressément la référence
antérieure à la notion de « fausse entreprise ». Mais la jurisprudence intervenue en la
matière demeure toutefois valable, elle se situe dans le cadre de l’« emploi de manœuvres
frauduleuses ».
Toujours, concernant les sociétés fictives et les « fausses entreprises », se rend coupable
du délit d’escroquerie : l’animateur de fait d’un groupe de quatre sociétés fictives comme
n’ayant eu aucune activité réelle ou sérieuse ou du fait qu’elles se trouvaient dès leur

60
Cass.Crim., 24 mars 1969, JCP éd. G 1969, IV, p.125.
61
Cass.Crim., 8 janvier. 1990, n°88-18.675.
62
Cass.Crim., 8 novembre. 1951, JCP éd. G 1952, IV, p.1.
63
Cass.Crim., 7 avril. 1987, Bull. Joly 1987, p.489.
64
Cass.Crim., 27 février. 1989, n°88-81.058.

17
Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

fondation en état de cessation des paiements, qui a, de concert avec le dirigeant légal de
trois de ces sociétés, employé des manœuvres telles que, circuits de traites de
complaisance et de chèques sans provision ou falsifiés, pour obtenir la remise de sommes
importantes par des banques.65
Commet également le délit d’escroquerie, une personne qui, grâce à une fausse entreprise
de gestion de dettes, avait obtenu le versement de sommes d’argent représentatives de
frais et honoraires par des clients attirés par une publicité mensongère leur permettant le
règlement intégral de leurs créances avec remboursement des fonds avancés.66
Les dirigeants sociaux peuvent aussi, dans l’exercice de leur fonction, commettre
l’infraction d’abus de confiance.

2°) L’abus de confiance.


L’abus de confiance est prévu par l’article 408 de l’ancien code pénal français et
314-1 du nouveau code. Ce dernier dispose :  « l’abus de confiance est le fait par une
personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien
quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à la charge de les rendre, de les
représenter ou d’en faire un usage déterminé ».
Au Sénégal, le fait délictuel est prévu par l’article 383 du code pénal. En effet, l’abus de
confiance exige un contrat préalable à la remise de la chose appartenant à autrui. Ensuite,
vient l’acte de dissipation ou de détournement. Ici, la fraude est postérieure à la remise ;
tout le contraire de l’escroquerie où la remise est postérieure aux moyens frauduleux. A
ces actes s’ajoute la volonté coupable du dirigeant, c’est-à-dire sa connaissance de
l’illicéité de l’acte qu’il commet.
L’abus de confiance est constitué, dans la plupart des cas, par un détournement de
fonds que le dirigeant avait reçus en qualité de mandataire. Ainsi, le délit est commis par
un P-DG qui, ayant reçu, en cette qualité et à titre de mandat, les versements effectués par
des souscripteurs à une augmentation de capital, les avait affectés aux besoins généraux
de la trésorerie sociale ; ladite augmentation ayant échoué, la société avait déposé son
bilan et les souscripteurs n’avaient pu rentrer en possession des fonds qu’ils avaient
remis. Peu importe que le conseil d’administration ait autorisé le dirigeant à disposer
immédiatement de ces fonds puisqu’il est sans qualité pour faire échec au principe

65
Cass. Crim. 12 fév. 1979, n°78-91.383

66
Cass. Crim. 14 avril 1986, Gaz. Pal. 1986, II, Som. P.341

18
Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

d’indisponibilité de tels fonds67. En outre, l’intention frauduleuse du P-DG s’induisait


notamment de ce qu’il s’est mis délibérément dans l’impossibilité de restituer les fonds
reçus68. Les exemples peuvent être multipliés.
A côté des infractions prévues par le code pénal existe un véritable droit pénal des
sociétés.

b. Les infractions spécifiques au droit des sociétés.


En France, des textes spéciaux prévoient la responsabilité pénale des dirigeants
sociaux dans le cadre de l’exercice de l’activité commerciale. La loi n°66-537 du 24 juil.
1966 fait partie de cet arsenal juridique.69
En Afrique, l’Acte Uniforme sur le Droit des Sociétés Commerciales et du
Groupement d’Intérêt Economique prévoit des infractions relatives à la constitution des
sociétés, à la gérance, à l’administration et à la direction, aux modifications du capital
social, au contrôle et à la dissolution des sociétés. Seules les deux infractions les plus
récurrentes, à savoir l’abus des biens et du crédit de la société et la publication ou la
présentation de comptes annuels ne donnant pas une image fidèle du résultat des
opérations de l’exercice de la situation financière et du patrimoine social, seront
examinées.

1°) L’abus des biens et du crédit de la société.


Seront poursuivis au plan pénal, les dirigeants qui, de mauvaise foi, auront fait des
biens et du crédit de la société qu’ils possédaient, un usage qu’ils savaient contraire aux
intérêts de la société, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou
entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement 70. Il s’agit de
l’infraction la plus fréquemment commise en droit des sociétés. C’est aussi, du moins,
pour ce qui concerne l’abus des biens sociaux, la plus célèbre.
Pour que l’infraction soit constituée, il faut que les conditions de l’incrimination soient
réunies. Ce qui implique la réunion des quatre éléments constitutifs suivants : un acte
d’usage, un usage contraire à l’intérêt social, un usage à des fins personnelles et un usage
de mauvaise foi.

67
Cf. L. n°66-537 ? 24 juil. 1966, art. 77 et 191
68
Cass. Crim. 6 mai 1969, JCP éd. CI 1969, n°86633
69
Au Sénégal c’est la loi n°98-22 du 26 mars 1998 portant sanctions pénales.
70
Article 891 AUSCGIE

19
Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

1- L’acte d’usage des biens et du crédit de la société.


D’abord, s’agissant de l’usage des biens, il est appréhendé dans son sens le plus
large. Il englobe les actes de disposition (c’est le détournement pur et simple des biens ou
des fonds appartenant à la société) et les actes d’administration ; exemple, utiliser pour
son seul agrément et sans contrepartie un château appartenant à la société pour réaliser
des biens. Certains dirigeants confondent allégrement leur portefeuille et celui de la
société. Les exemples sont innombrables, en voici un simple échantillon tiré de la
chronique judiciaire : opérer des prélèvements dans la caisse sociale, faire prendre en
charge par la société sa domesticité personnelle, utiliser à des fins personnelles un
véhicule « haut de gamme », s’allouer une rémunération excessive, encaisser sur son
compte des chèques émis au nom de la société.
Ensuite, concernant l’usage de crédit, une société peut consentir une hypothèque ou un
gage, s’engager comme caution, avaliser une traite etc.
Ces opérations engagent la signature sociale et, en cela, réalisent un usage du crédit de la
société ; si le dirigeant social engage ainsi le crédit social à des fins personnelles, le risque
est grand pour lui d’une condamnation pour abus de crédit de la société.

2- L’usage doit être contraire à l’intérêt social.


A l’évidence, le simple usage ne suffit pas, encore faut-il qu’il lèse l’intérêt social. Il
en va ainsi lorsque l’usage est fait dans un but illicite ; par exemple la somme versée à un
Maire en vue de le corrompre71. De même, l’usage fait par un dirigeant social du crédit de
la société est contraire aux intérêts de celle-ci dès lors que, sans contrepartie, il expose
l’actif à un risque de perte par le fait de la volonté frauduleuse de son auteur.72
Aux regards également de la jurisprudence, commettent le délit d’abus de biens sociaux,
les dirigeants d’une société à responsabilité limitée qui mettent à profit leur situation très
fortement majoritaire dans la répartition du capital social pour faire prendre par
l’assemblée une délibération leur attribuant des appointements excessifs eu égard aux
ressources et à la situation financière de la société et qui perçoivent ensuite cet
appointement.
L’assentiment des associés ne saurait faire disparaitre le caractère délictuel de
prélèvements abusifs de biens sociaux, la loi protégeant le patrimoine de la société et les
intérêts des tiers au même titre que les intérêts des associés.73
71
Cass.crim., 6 fév. 1997, Bull. Joly 1997, p.291
72
Crim. 8 Déc. 1971, Bull. Crim. 197, n°346
73
Crim. 8 mars 1967, D. 1967.586, Gaz. Pal. 1967.1255

20
Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

3- L’usage à des fins personnelles. 


Aux fins immédiatement personnelles (un détournement par exemple) il faut ajouter
les pratiques voisines qui consistent à favoriser une autre société ou entreprise dans
laquelle le dirigeant est directement ou indirectement intéressé.
L’intérêt personnel poursuivi par l’auteur d’un abus de biens sociaux peut être aussi bien
moral que matériel. Il peut résulter notamment du souci de maintenir et d’entretenir des
relations d’amitié avec un tiers74. Les fins personnelles peuvent aussi résulter de
confusion de patrimoines et d’administration de deux sociétés par le prévenu.
La preuve de l’usage à des fins personnelles est facilitée par le jeu d’une présomption
simple posée par la jurisprudence lorsque le dirigeant a prélevé des fonds sociaux qui ont
été utilisés dans l’intérêt personnel, direct ou indirect, des dirigeants, à moins que ceux-ci
ne justifient de l’utilisation des sommes dans le seul intérêt de la société.

4- L’usage de mauvaise foi.


C’est l’élément moral de l’infraction. La condamnation exige qu’il soit démontré que
le dirigeant avait conscience du caractère délictuel de son comportement. La
connaissance de l’usage des biens et du crédit contraire à l’intérêt social par le dirigeant
est caractéristique de l’intention frauduleuse ; élément constitutif de l’infraction à défaut
duquel celle-ci n’existe pas. Les juges du fond ne peuvent, sans se contredire ou mieux
s’en expliquer, après avoir constaté l’élément matériel des abus de biens sociaux
reprochés, déduire la bonne foi du prévenu du seul fait que la rigueur des comptes lui
échappait et que ceux-ci n’avaient pas été clairement établis lors de la création de la
société.75
Par ailleurs, il y a la question particulière de l’abus de biens sociaux dans le cadre
d’un groupe à propos de laquelle la Cour de cassation, en France, a défini les conditions
permettant d’échapper à l’incrimination dans les groupes de sociétés. La Cour, dans
l’arrêt Rozenblum76, a fixé trois conditions :
D’abord, le concours financier doit être dicté par un intérêt économique, social, ou
financier commun apprécié au regard d’une politique d’ensemble du groupe. Mais cette

74
Crim. 8 Déc. 1971, Bull. Crim. 1971, n°346
75
Crim. 27 mai 1992, RJDA 1992, n°1026, Bull. Joly 1992.121
76
Cass. Crim. 4 fév. 1985

21
Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

condition, formulée dans des décisions plus anciennes, repose sur l’existence d’un groupe
véritable ; c’est-à-dire une unité économique et financière fortement structurée.
Ensuite, il ne doit pas être sans contrepartie ou rompre l’équilibre entre les engagements
respectifs des diverses sociétés du groupe.
Enfin, il ne doit excéder les possibilités financières de la société qui en supporte la
charge.
Une autre infraction imputable aux dirigeants demeure la présentation ou la publication
de comptes annuels ne donnant pas une image fidèle.

2°) La présentation ou la publication de comptes annuels ne donnant pas une image


fidèle.
La présentation doit s’entendre du procédé, tel que décrit par le droit comptable de
l’OHADA, ayant pour but de faire connaitre les comptes annuels aux associés, fut-il
individuellement, dans le cadre de l’administration de la société et pour les besoins de
celle-ci. Le délit de présentation inexacte ne saurait être caractérisé en l’absence, d’une
part de présentation de comptes litigieux en assemblée générale, et d’autre part de la
preuve suffisante de la volonté du dirigeant de communiquer sciemment des comptes
inexacts en vue de dissimuler la véritable situation de la société77.
La publication s’entend de tout procédé visant à faire connaitre les comptes aux tiers,
au public (affichage, circulaire, journaux, production du bilan au verso d’un bon de
caisse, prospectus, publication au greffe du tribunal de commerce …).
Quant aux comptes annuels ne donnant pas une image fidèle du patrimoine de la
société, ils consistent en toute écriture comptable qui fausse l’exactitude des comptes qui
comprennent le bilan, le compte de résultat et l’annexe qui sont des comptes rétrospectifs;
mais il existe des comptes prévisionnels que certaines sociétés sont tenues d’établir. C’est
le fait, par exemple, d’omettre au bilan l’inscription des réserves ou encore de majorer les
éléments de l’actif ou minorer ceux du passif.
L’intention délictuelle réside dans la volonté de dissimuler la véritable situation de la
société. Les dirigeants doivent avoir conscience des irrégularités ou insécurités
commises ; conscience souvent induite de la gravité des incorrections accomplies.
Comme on peut le constater, le champ de la répression est très large. Il s’agit de protéger
aussi bien les associés que le grand public.

77
Article 111 AU portant Organisation et Harmonisation des Comptabilités des Entreprises.

22
Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

La responsabilité des dirigeants sociaux une fois établie en cas de commission


d’infraction dans l’exercice de leur fonction, la répression s’abat sur eux.

2) La sanction des infractions.


Les infractions d’affaires font l’objet d’une harmonisation du point de vue de leur
incrimination dans toute la zone géographique par les États-parties au Traité de
l’OHADA. Elles devraient donc y être réprimées, sous réserves des sanctions édictées
individuellement par les Etats sur la base des mêmes textes d’incrimination.
Les Etats-parties sont compétents pour connaître d’une infraction commise par un
dirigeant social sur leur territoire. Les juridictions sénégalaises sont aussi compétentes
quand l’infraction a été commise au Sénégal. Selon l’article 668 du Code de procédure
pénale, « est réputée commise sur le territoire de la République toute infraction dont un
acte caractérisant un de ses éléments constitutifs ait été accompli au Sénégal ». Les
législateurs nationaux ont reçu compétence de déterminer les sanctions de leur choix.
Chaque pays de l’espace OHADA est compétent pour prendre les lois pénales
sanctionnant la responsabilité pénale des dirigeants sociaux78. Cela signifie que chaque
pays de l’espace déterminera les sanctions en fonction de ses propres valeurs de
référence. Si on prend l’exemple du Sénégal, le délit d’abus des biens et crédit sociaux
est sanctionné par la loi n°98-22 du 26 mars 1998 portant sanctions pénales applicables
aux infractions contenues dans l’AUSCGIE, d’un emprisonnement d’un (1) à cinq (5) ans
et d’une amende de 100.000 à 5.000.000 FCFA.
S’agissant des infractions pénales de droit commun prévues par le Code pénal et
commises par un dirigeant social, aussi bien les incriminations que les sanctions différent
selon la loi nationale des Etats- parties.
En effet, l’abus de confiance prévu par le Code pénal sénégalais et sanctionné par le
même texte fait encourir à son auteur une peine d’emprisonnement de six (6 ) mois à
quatre (4) ans et d’une amende de 20.000 à 3.000.000 FCFA. Si l’acte est commis par un
dirigeant social la peine  est portée à dix (10) ans et l’amende à 12.000.000 FCFA.
Au Niger, le même délit est puni par la loi numéro 2003-025 du 13 juin 2003 modifiant la
loi numéro 61-27 du 15 juillet 1961 portant institution du code pénal, d’un
emprisonnement de deux (2) à moins de dix (10) ans et d’une amende de 100.000 à
100.000.000 FCFA ou l’une de ces deux peines seulement.79
78
Article 111 précité.
79
Au Mali, l’abus de confiance est puni par le code pénal d’un emprisonnement de six (6) mois à trois (3) ans et facultativement d’une amende
de 120.000 à 1.200.000 FCFA.

23
Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

Pour l’escroquerie la sanction encourue, au Sénégal, est un emprisonnement d’un


(1) an à cinq (5) ans et d’une amende de 100.000 à 1.000.000 FCFA. S’il s'agit de
dirigeants sociaux, la peine est portée au double. Et les juges, statuant en matière
correctionnelle, pourront interdire au dirigeant coupable, pour une durée de dix (10) ans,
l’exercice des droit civiques, civils et de famille qui suivent : le droit de vote, d’éligibilité,
d’être appelé ou nommé aux fonctions de juré, aux fonctions publiques ou aux emplois de
l’administration ou d’exercer ces fonctions ou emplois, être tuteur, subrogé-tuteur,
curateur etc.
Par contre au Mali, le délit d’escroquerie est puni d’un emprisonnement de un (1) à cinq
(5) ans et facultativement de 120.000 à 1.200.000 FCFA.
Ainsi, les dirigeants sociaux, quelle que soit leur qualité, peuvent engager leur
responsabilité personnelle, soit civile ou pénale. Cependant, cette responsabilité change
de caractère lorsque la société est en redressement judiciaire ou en liquidation des biens.
Elle devient une responsabilité aggravée.

II : La responsabilité des dirigeants sociaux en cas d’ouverture de


procédures collectives.

Les procédures collectives, ouvertes à l’égard des sociétés commerciales, peuvent


toucher les dirigeants. En effet, la fin d’une entreprise emporte de nombreuses
conséquences économiques et sociales : chômage des salariés, situation précaire des
créanciers etc. Les procédures collectives ont, de ce fait, toujours eu un retentissement sur
la situation du chef d’entreprise, celui-ci étant le pilier de la société in bonis. Les
dirigeants sont les décideurs de l’entreprise car ils doivent projeter celle-ci dans l’avenir,
anticiper sur le comportement des éventuels concurrents en attirant une clientèle toujours
plus nombreuse.
Les dirigeants exposent de ce fait l’entreprise à des risques. Si personne n’est à l’abri,
des décisions incontrôlées peuvent provoquer l’ouverture d’une procédure collective.
C’est pourquoi, les dirigeants peuvent se voir imposer des sanctions civiles ou pénales
(B) lorsque leurs fautes sont à l’origine de la défaillance de l’entreprise (A).

A : Conditions de la responsabilité des dirigeants sociaux.

24
Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

Avec le ralentissement de la croissance économique et le développement de la


concurrence, il y a de plus en plus d’entreprises dont les difficultés n’incombent pas aux
seuls dirigeants. C’est pourquoi, s’inspirant de la loi française du 25 janvier 1985 et pour
ne pas décourager les initiatives, l’AU exige que soient prouvés, conformément au droit
commun, une faute de gestion (1), un dommage (2) et un lien de causalité (3) pour
engager leurs responsabilité.

1 : L’existence d’une faute de gestion.


Lorsque la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation des biens révèle
une insuffisance d’actif, les dirigeants peuvent avoir à supporter tout ou partie des dettes
de la société, avec ou sans solidarité, s’ils sont coupables de faute de gestion80. Cela veut
dire que les dirigeants sociaux ne peuvent être condamnés au comblement du passif ou se
voir étendre, par le juge, la procédure collective81 s’ils n’ont commis une faute de gestion
quand bien même il y a insuffisance d’actif.
Cependant, la notion de faute de gestion n’a pas été définie par la loi. Celle-ci devra
alors être appréciée par référence à l’attitude d’un dirigeant normalement avisé. C’est une
notion vague en ce sens que toute action ou omission, imprudence ou négligence peuvent
être constitutives de faute de gestion. Dans tous les cas, la faute doit être en relation avec
la gestion et la jurisprudence est, sur ce point, très extensive : la quasi-totalité des
décisions des dirigeants se rapportant à la gestion ou ayant une incidence sur la gestion.
En cas de procédure collective, peu importe que la faute soit séparable ou non de
l’exercice des fonctions, alors que lorsque la société est in bonis, la jurisprudence requiert
une faute séparable. Il faut également noter que la faute qui peut être simplement légère,
n’est pas présumée mais prouvée. Cependant, il n’a pas été toujours ainsi car depuis son
institution en 1940 jusqu’à la loi française du 25 janvier 1985, l’action en comblement du
passif fonctionnait sur des présomptions : présomption de faute des dirigeants et
présomption de lien de causalité entre la faute et le dommage que traduit l’insuffisance
d’actif ; si bien qu’il était difficile pour les dirigeants d’y échapper. La preuve de
l’absence de faute ne suffisant pas, il leur fallait, en effet prouver qu’ils ont apporté aux
affaires sociales toute la diligence d’un mandataire salarié.
La question s’est posée en France de savoir s’il fallait faire une différence entre la notion
de fautes commises dans la gestion visées par les articles L223-22 et L225-251 du Code

80
Article 183 AU/PC-OHADA 
81
Article 189 AU/PC-OHADA

25
Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

de commerce et la notion de faute de gestion visée dans l’action en comblement de


passif ?
La doctrine a estimé de façon unanime que la faute de gestion visée dans l’action en
comblement de passif doit recevoir une acception plus large que celle visée ailleurs.
C’est ainsi que le Doyen Roblot estime que la faute de gestion s’entend d’une « faute
commise dans l’administration générale de la société, par action ou omission (…). Quelle
qu’en soit la gravité, une faute peut entrainer la responsabilité de son auteur si elle figure
parmi les causes qui ont conduit à l’insuffisance d’actif, même si elle n’est pas la cause
unique, voire la cause principale ».82
Toute faute de gestion, souligne Corinne Saint-Alary-Houin, quelle que soit sa gravité,
qu’elle consiste en un acte positif ou une abstention, sera prise en considération.83
En pratique, il s’agit d’agissements contraires aux intérêts de la société notamment
d’erreurs de gestion, d’imprudence manifeste, de négligence dans le suivi des affaires
commerciales ou encore de la violation des dispositions légales ou statutaires 84, de
lancement de projets d’investissements risqués ou d’opérations sans études préalables
sérieuses, d’absence de comptabilité analytique, de disposition des biens et du crédit de la
personne morale comme des siens propres, de la poursuite abusive, dans son intérêt
personnel, d’une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des
paiements de la personne morale, entêtement dans une diversification malheureuse,
défaut de surveillance des organes. Les hypothèses de faute sont donc nombreuses. A cet
égard, la Cour de cassation, dans une décision en date du 15 mai 1990 85, a retenu la
condamnation d’une gérante de société exploitant une maison de santé au paiement d’une
partie des dettes de la société au titre de sa responsabilité civile pour « imprudence et
défaut de surveillance du personnel en ce que ses manquements avaient permis à l’expert-
comptable, qu’elle avait recrutée contre l’avis de la D.D.A.S.S, d’opérer des
détournements de fonds ».
La Cour d’appel a également retenu la faute de gestion à l’encontre d’administrateurs
d’une société anonyme exploitant un fonds de distribution en gros de viande qui avait
perdu, pour défaut de paiement de loyers et charges, la concession dont elle était titulaire
au marché Rungis.86

82
Traité de Droit commercial, L.G.D.J, Tome 2, 15 éd. 1996, p.1300
83
Droit des entreprises en difficultés, éd. Montchrestien 1996, p.644
84
Cass. Com. 23 juin 1998, RTD Com 1999, p.983, Obs. C. Mascala
85
Cass.com, 15 mai 1990, n°88-324
86
C.A Paris, 3è ch. Bull 24, 89 BRDA ? 1990 n°8, p.21

26
Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

Aussi, dans l’affaire Nasa-électronique87 les administrateurs ont été condamnés, y


compris les représentants permanents de personnes morales pour, entre autres, sous
estimation des risques financiers, laxisme dans la gestion courante.
De même, le Tribunal de commerce88 de Paris a constaté, pour condamner la société
Hachette, une grave erreur d’appréciation sur la viabilité d’une nouvelle chaîne de
télévision, la « Cinq », qui n’a existé que d’une manière éphémère. Et le Tribunal hors
classe de Dakar, n°28 du 21 janvier 2003, d’ordonner l’extension de la procédure de
liquidation des biens de la société Sogeres à Abdoul Khafiz Fakih, dirigeant de ladite
société, pour avoir posé des actes visés par l’article 189 AUPC, et notamment disposé des
biens et du crédit de la société comme des siens propres.
La faute ainsi définie doit avoir été à l’origine d’un préjudice.

2 : L’existence d’un dommage et d’un lien de causalité.


La faute du dirigeant n’entraine pas automatiquement sa responsabilité. Encore faut-
il, à l’image du droit commun, qu’il en ait résulté un dommage réparable pour la société
et les associés.
Cependant, le dommage dont il est question ici, est particulier. Il n’est pas concevable en
dehors d’une procédure collective et plus précisément d’une procédure de redressement
judiciaire ou de liquidation des biens : c’est une insuffisance d’actif. Ce dernier est
constitué par l’ensemble des biens mobiliers et immobiliers, des créances et sommes que
possèderait la société.
Mais la notion d’insuffisance d’actif ne correspond pas à une catégorie comptable précise.
Elle mesure simplement la différence entre l’actif disponible de la société et son passif
exigible et peut même résulter du fait que les frais de réalisation de l’actif devant
permettre de désintéresser les créanciers, excèdent les recettes attendues.
Pour l’appréciation de cette notion, la jurisprudence a dégagé les règles suivantes :
- L’existence et le montant de l’insuffisance d’actif doivent être établis au jour où le
Tribunal statue sur l’action en comblement de passif.89

87
Paris 18 juin 1991, JCPE, 1, 81, n°4, Obs. A. Viandier et J.J Caussain
88
T.com.Paris, 23 nov. 1992, Bull. Joly 1993, p.255 note M.J.Campana
89
Cass. Com. 6 juin 1993, RJDA 1993 n°844

27
Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

- Seules les dettes nées antérieurement à l’ouverture de la procédure collective doivent être
prises en compte90. Ainsi, les frais de justice entrainés par l’ouverture de la procédure ne
sont pas concernés.91

- L’insuffisance d’actif n’a pas besoin d’être déterminée très précisément ; il suffit que son
montant global soit déterminé ou déterminable.

De ce point de vue, a contribué à une insuffisance d’actif, selon la Cour d’appel, le fait
pour un P-DG d’avoir exposé des frais généraux trop élevés, exercé une activité
commerciale hors de rapport avec le capital propre, manifesté une incompétence d’où
résulte une perte égale à la moitié du chiffre d’affaires, tenu une comptabilité défectueuse
ne permettant pas de connaître les résultats mensuels, même grossiers et abusé des biens
sociaux.92
L’existence d’un dommage est indispensable mais faudrait-il qu’il soit la résultante
d’une faute prouvée. D’où la nécessité de démontrer le rapport de causalité.
La responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales en redressement judiciaire
ou en liquidation des biens est enfin subordonnée à la constatation par les juges que le
préjudice subi par la société trouve bien son origine dans la faute du dirigeant poursuivi.
En effet, l’article 183 de l’AUPC ou la loi, en France, du 15 janvier 1985, dispose que la
faute doit avoir « contribué à cette insuffisance d’actif ». Ce qui correspond à la
« conception de lien de causalité » 93. Cela veut dire que s’il est prouvé que la faute de
gestion a été à l’origine de l’insuffisance d’actif, le lien de causalité est alors établi. Ce
qui signifie également que la présomption de causalité entre le dommage subi par la
société n’est pas admise. Sur ce point, il faut reconnaître qu’il est parfois impossible
d’établir le rapport direct qui a pu exister entre tel acte et telle conséquence. Ainsi, il est
difficile de prouver que la convocation tardive d’une assemblée a contribué à
l’insuffisance d’actif. C’est ce qui pourrait expliquer le fait que la jurisprudence puisse
admettre facilement le lien de causalité dès que coexistent une faute de gestion et une
insuffisance d’actif surtout que les termes « ayant contribué » signifient que d’autres
éléments peuvent avoir intervenu dans la création du passif.
Ceci étant, une faute peut entrainer la responsabilité de son auteur si elle figure parmi
les causes qui ont conduit à l’insuffisance d’actif, même si elle n’en est pas la cause

90
Cass.com 28 fév. 1995, RJDA 1995 ? n°651
91
C.A. Paris, 19 mars 1991, Gaz. Pal. 1992, p.273
92
C.A Reims 10 mai 1976, D. 1977, I.R, p.199
93
Cass.com. 30 nov. 1993, Rev. Proc. Coll. 1996, p.401, Obs. Martin Serf

28
Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

unique voire la cause principale ou même si elle n’est à l’origine que d’une partie de
l’insuffisance d’actif94. A ce propos, pour la Cour de cassation un dirigeant doit être
condamné à combler le passif lorsqu’il apparaît que celui-ci a dirigé la société sans
prudence ni réalisme et avec un total mépris des « règles les plus élémentaires de probité
commerciale multiplié des projets chimériques » interdisant de penser qu’il ait pu agir de
bonne foi, et qu’enfin il s’est opposé au dépôt de bilan proposé par les administrateurs 95.
Le dirigeant pourra, comme en droit commun, pour s’exonérer invoquer la force majeure
à l’image d’un administrateur victime de fraudes dont il était dans l’impossibilité de
déjouer.
Mais ce rapprochement qui existe à priori entre les règles applicables au cas d’espèce et le
droit commun, comporte des limites dans la mesure où non seulement, le juge dispose ici
de larges pouvoirs d’appréciation mais aussi, ces éléments constitutifs de la responsabilité
ne sont envisageables que lorsqu’il est question de procédures collectives de
redressement judiciaire ou de liquidation des biens.
Lorsque ces éléments sont réunis et que la responsabilité du dirigeant est établie, celui-ci
peut se voir infliger des sanctions.

B: Sanctions des dirigeants sociaux.


Les scandales et les abus de toutes sortes qui caractérisent les ruines d’une entreprise
ne peuvent rester impunis. C’est pourquoi, il convient d’aménager des sanctions sévères à
l’encontre des dirigeants qu’ils soient de droit ou de fait lorsque leur responsabilité est
établie. Pour ce faire, « l’acte uniforme (AU) consacre un acquis fondamental des
procédures collectives modernes en dissociant, au moyen des sanctions le sort de
l’entreprise et celui de ses dirigeants ». Les sanctions peuvent être regroupées selon
qu’elles sont civiles (1), professionnelles ou pénales (2).

1 : Les sanctions civiles.


Ce sont des sanctions patrimoniales qui s’appliquent aux dirigeants de sociétés ou
d’autres personnes morales de droit privé. Elles trouvent leur origine dans la législation
française de 1935 et de 194096. Ces sanctions comprennent d’une part, le comblement du
94
Cass.com. 30 nov. 1993, n°91-20.554, Bull. civ. IV, n°440, p.319
95
Cass.com 20 fév. 1980 n°78-13.196
96
Décret-loi du 8 août 1935 et la loi du 16 novembre 1940.

29
Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

passif social (a) et l’extension de la procédure collective de la personne morale aux


dirigeants, ainsi que des limitations aux droits d’associés des dirigeants sociaux d’autre
part (b).

a) L’action en comblement du passif.


Le comblement du passif s’applique en cas de cessation des paiements d’une
personne morale à ses dirigeants personnes physiques ou morales, ainsi que de façon
générale, à tous les dirigeants de droit ou de fait 97, apparents ou occultes, rémunérés ou
non et aux personnes physiques représentants permanents des personnes morales
dirigeantes. Elle vise à mettre à la charge du dirigeant une portion ou la totalité du passif
au prorata de la faute commise. Cette action suppose l’insuffisance de l’actif de la
personne morale. Elle correspond aux paiements des dettes sociales par le dirigeant.
Il n’est pas nécessaire que les dirigeants soient encore en exercice à l’ouverture de la
procédure98 ou même lors de la cessation des paiements: l’action peut atteindre les
dirigeants qui ont cessé leurs fonctions avant la cessation des paiements  « si cette
cessation de fonctions est intervenue à une époque où était déjà créée la situation qui a
aboutit à la cessation des paiements et à l’insuffisance d’actif »99. Cette solution donnée
par la jurisprudence permet d’éviter que les dirigeants fautifs s’assurent l’impunité en
abandonnant leurs sociétés en difficulté.
Selon l’article 183 de l’AUPC, « lorsque le redressement judiciaire ou la liquidation
des biens fait apparaître une insuffisance d’actif, la juridiction compétente peut, en cas de
faute de gestion100 ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider à la requête du
syndic ou même d’office, que les dettes de la personne morale seront supportées en tout
ou en partie101, avec ou sans solidarité, par tous les dirigeants ou certains d’entre eux ».
« La formule de l’AUPC est redondante mais elle vise à appréhender toutes les personnes
qui ont joué un rôle notable dans la gestion de l’entreprise ».
Il s’agit donc de sanctionner la faute de gestion du dirigeant tout en réparant le dommage
qui a pu en découler afin de restituer le patrimoine de la personne morale. En effet, si le
dirigeant de la personne morale est sanctionné au titre de l’action en comblement du
passif, les créanciers de la société verront l’actif de l’entreprise débitrice être majoré par

97
Com 9 Nov .1993, J.C.P. ed. E. 1994, II, 612, G. Paris 19 sept. 1995, R.J.D.A, 1995, p.1051, no 1368.
98
Cass. Com., 23 juin 1998, A.P.C 1998-9 n°124
99
Cass. Com., 27 avril 1993, Rev. Soc. 1993, p 871, note Le Nabasque
100
Com. 7 juillet 1992, Bull Joly 1992, p.1192, no 387, M.J.Campana
101
Com.30 nov 1993, R.J.D.A. 1994, p.317, no 406

30
Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

le versement par le dirigeant fautif de sa contribution au comblement du passif de la


personne morale en procédure collective; ce qui fera s’élever leur gage. Seulement, la
sanction du dirigeant fautif ne pourra intervenir qu’après l'ouverture d'une instance à fin
de sanction.
Cependant, certains auteurs se sont interrogés sur le caractère dissuasif d’une telle
sanction dans la mesure où le dirigeant connaît également des difficultés financières. 
Cette sanction n’est-elle pas une remise en cause du principe de la séparation des
patrimoines de la personne morale et du dirigeant ?
L’action en comblement de passif n’est-elle qu’un simple ersatz de la responsabilité
de droit commun de l’article 1382 du code-civil ou, au contraire, emporte t’elle un effet
réellement dissuasif pour les dirigeants ?
Le caractère peu dissuasif de l’action en comblement du passif apparaît également dans le
pouvoir et la faculté dont dispose le juge quant à la sanction à prononcer contre le
dirigeant. En effet, si les conditions de l’action en comblement du passif sont réunies, les
juges ont simplement la faculté de prononcer la condamnation 102. Ils sont souverains dans
leur appréciation. Ils pourront ainsi tenir compte de l’attitude des pouvoirs publics qui ont
soutenu une activité déficitaire en versant des fonds à la société ou de l’état psychique du
dirigeant103. De nombreux éléments sont également pris en compte par la jurisprudence
pour déterminer le montant de l’insuffisance d’actif telles que l’indépendance du
dirigeant104, conditions d’accès à la direction 105, faiblesse des ressources et importance des
charges de famille.106
Ainsi, « le juge se comporte plus en humaniste et non plus en punisseur comme ils le
faisaient initialement ». Si l’on ne peut reconnaître, qu’historiquement les sanctions
avaient un caractère infâmant, aujourd’hui elles n’ont plus ce caractère et sont de ce fait
« peu dissuasives ». Comment en effet, un dirigeant peut-il avoir peur d’une sanction qui
ne sera probablement pas prononcée et, qui si elle l’est, ne correspondra probablement
pas au montant de l’insuffisance d’actif ?
Le législateur vient aussi conforter cette attitude du juge. Il a, en effet, désiré
restreindre le nombre des personnes, intervenant dans la procédure collective, désireuses
de déclencher l’ouverture d’une action à fin de sanctionner le dirigeant fautif. Pour ce

102
Cass.com, 7 juillet 1987, Jung c/ Levet
103
CA, Grenoble, ch.com, 7 janvier 1999, JCP E 1999 p 745.
104
CA. Aix en Provence, 26 mai 1981, D. 1983, IR, 60.
105
CA Paris, 13 décembre 1983, D, 1985, IR, 227.
106
Cass.com, 1er fevrier 1984, JCP G 1984, IV, 113.

31
Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

faire, il a employé la technique de l’énumération limitative des personnes recevables à


introduire la requête.
En conséquence, le droit de sanction du dirigeant d’entreprise en procédure collective est
d’une accessibilité réduite. Il est limité aux seuls organes de la procédure. Ce qui fait des
créanciers, principales victimes des agissements fautifs, des figurants d’arrière plan dans
le grand « péplum » des procédures collectives.  
Le texte en la matière (l’article 183 alinéa 1), énonçant les modalités d’ouverture des
actions tendant à obtenir la sanction du dirigeant au comblement du passif, dispose que
« lorsque le redressement judiciaire ou la liquidation des biens d’une personne morale fait
apparaître une insuffisance d’actif la juridiction compétente peut…. décider à la requête
du syndic ou même d’office que les dettes de la personne morale seront supportées ….par
les dirigeants… ».
La rédaction de cet article est telle que nul ne peut contraindre un de ces acteurs
institutionnels à agir à fin de sanction même si la malhonnêteté du dirigeant de
l’entreprise est patente.  Un ou plusieurs créanciers ne peuvent contraindre le syndic à
saisir le tribunal à fin de sanctionner le dirigeant d’entreprise qui a commis un fait
répréhensible.  Il n’est possible au créancier qui a connaissance de la réalisation de faits
fautifs par le dirigeant de l’entreprise en procédure collective que d’informer donc le
syndic ou la juridiction compétente de ces faits, sollicitation qui pourra ne pas être suivie
d’effets.
Pour se libérer des contraintes imposées par cette limite et plus précisément par la loi
du 25 janvier 1985 en France, les créanciers ont fait preuve d’imagination pour
contourner tout de même les dispositions de cette loi en tentant d’engager la
responsabilité civile des dirigeants de personnes morales en procédure collective sur le
fondement de textes n’appartenant pas au droit des entreprises en difficulté.
La Cour de Cassation, dans le souci de préserver le caractère collectif des procédures de
redressement judiciaire et de liquidation des biens, a empêché cette fuite des créanciers
victimes d’une faute de la part du dirigeant social en affirmant la prééminence du droit
des procédures collectives.
En effet, jusqu’à une jurisprudence récente le cumul des deux actions était possible et
permettait aux créanciers victimes d’une faute de gestion d’obtenir une action sur les
dirigeants. Depuis les arrêts rendus par la cour de cassation française en 1995, est
affirmée la prééminence des actions en responsabilité des dirigeants sociaux.

32
Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

Ainsi, la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation a mis fin au cumul possible


entre les actions par un attendu expéditif contenu dans une décision rendue le 28 février
1995 :
«  lorsque le redressement ou la liquidation judiciaire d’une SARL fait apparaître une
insuffisance d’actif, les dispositions relatives à l’action en comblement du passif ne se
cumulent pas avec celles de l’action en responsabilité des dirigeants prévue par le droit
des sociétés » 107. Il s’ensuit qu’ « un créancier est irrecevable à exercer contre le gérant à
qui il impute des fautes de gestion, l’action en réparation du préjudice résultant du non-
paiement de sa créance ».
Il est à remarquer que la Cour de Cassation, par une décision du 11 avril 1995 108, a
adopté la même solution relativement à une action intentée par un créancier sur le
fondement des articles 1382 et 1383 du code civil français à l’encontre d’un gérant de fait
d’une Société en procédure collective à qui il était reproché par un créancier une faute de
gestion. Le juge ajoute que « l’action en responsabilité fondée sur l’article 1382 du code
civil ne peut être intentée à l’encontre du dirigeant de personne morale, si une procédure
de redressement ou de liquidation judiciaire est ouverte à l’égard de cette personne
morale même si en l’espèce l’action en comblement du passif prévue à l’article 180 de la
loi du 25 janvier 1985 n’a pas été intentée par une des personnes désignées par ladite
loi ».
Cet arrêt institue le monopole des actions en responsabilité quand une procédure
collective est ouverte. Il consacre, par là même, le monopole des personnes désignées par
la loi pour agir en responsabilité à l’égard des dirigeants fautifs.
 Enfin, la Chambre commerciale de la Cour de Cassation confirme le 20 juin 1995 109 cette
jurisprudence en affirmant l’impossible cumul des dispositions de la loi du 25 janvier
1985 avec celles des articles 1382 et 1383 du Code civil français et l’inscrit dans la
durée.

107
?
Cass Com 28 févr. 1995 Quot juridique 21 mars 1995. P7 ; LPA 28 juin 1995 P24 et ; d 1995 P 390. note DERRIDA ; JCP 1995. IV 1063.
P131.
108
Cass Com. 11 avril 1995, arrêt n° 808 Daff Eriau et fils : Girard Blanc ; Bull Joly 1995. P684. note DAIGRE.
109
Cass Com. 20 juin 1995; Bull Civ IV n°186, D1995. P 448 ; Bull. joly 1995. P 988. note SAINTOURENS.

33
Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

 Le professeur Daigre se félicite de cette jurisprudence 110 et voit dans celle-ci la
consécration jurisprudentielle de sa conception doctrinale 111 de l’action en comblement du
passif.
Par contre M. Soinne112 se trouve préoccuper par elle. Selon lui, l’action en comblement
du passif est une application particulière de l’article 1382 du Code Civil français, (118 du
COCC sénégalais) ; et il voit dans cette jurisprudence l’application de la règle selon
laquelle « le général s’efface devant le particulier ». Pour cet auteur cette position est
d’une « double absurdité ».
En effet, ce principe réserve un meilleur sort aux dirigeants des sociétés en redressement
judiciaire qu’à ceux qui maintiennent leur société in bonis qui peuvent se voir exposer à
n’importe quel moment à la sanction de droit commun.
Ce à quoi le Professeur Daigre répond que « si le législateur a retenu un tel dispositif,
limitatif et modérateur, c’est que la responsabilité des dirigeants en cas de redressement
judiciaire fait naître plus qu’ailleurs un risque d’arbitraire et peut conduire à des
condamnations hors de toute proportion avec les capacités contributives des
intéressés ».113
Quelle que soit la valeur des arguments pour contester la solution retenue par la cour
de cassation, permettre le cumul reviendrait à priver l’action en comblement du passif de
toute effectivité. Si l’application de cette dernière est un principe exclusif, il n’en
demeure pas moins que l’action de droit commun trouvera parfois matière à s’appliquer et
ce, en particulier, lorsque le tiers est un créancier de la société. Ainsi, ce n’est pas parce
que la société fait l’objet d’une procédure collective que l’action de droit commun ne
pourra jamais être exercée. Cette dernière trouvera à s’appliquer notamment lorsque le
créancier a subi un préjudice personnel et distinct, c'est-à-dire une faute du dirigeant qui
soit séparable de ses fonctions et qui lui soit imputable personnellement 114. Il en est aussi
en cas de faute commise après l’ouverture de la procédure collective  et lors de la
fermeture de la procédure, lorsque la nature du préjudice le justifie. Le créancier peut
également agir dans l’hypothèse où la faute a été commise antérieurement à la procédure

110
Daigre “ Une évolution jurisprudentielle bienvenue : le non cumul de l’action en comblement du passif et des actions en responsabilité du
droit commun ” Bull Joly 1995. P953.
111
Daigre “ De l’inapplicabilité de la responsabilité civile de droit commun aux dirigeants d’une société en redressement ou en liquidation
judiciaire ” Rev des Sociétés 1988. P199.
112
Soinne “  La responsabilité des dirigeants d’une personne morale en cas de redressement ou de liquidation judiciaire : une évolution
jurisprudentielle préoccupante ” Rev des proc coll. 1995. P249.
113
JCP E 2000. P 780.
114
Cass.Com, 22 janvier 1991,RJDA 1992 n°152 ; CA. Dijon. 23 sept 1997, Jd n°045987, réf. Indirecte. Rev proc coll., mars 1999. P 46.n°10.

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Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

collective et que le tiers n’a pas vu son préjudice réparé soit parce que les organes de la
procédure n’ont pas agi, soit parce que cela n’a pas permis de le désintéresser totalement.
Cette question non tranchée par la jurisprudence a laissé le champ à diverses
appréciations doctrinales. Ainsi, Y.GUYON propose une solution plus logique et plus
équitable : « si les organes de la procédure ont agi à l’encontre des dirigeants sociaux sur
le fondement de l’action en comblement du passif, les créanciers ne devraient plus
pouvoir agir. En revanche une action de droit commun semble pouvoir être admise tant
que la prescription n’est pas éteinte »115. Le créancier pourrait alors engager une action sur
le fondement de l’article 1382 du code civil (118 COCC) contre le dirigeant d’autant plus
que cette action lui est favorable : prescription de droit commun116 , réparation intégrale,
recevabilité plus étendue.
Le tribunal peut statuer même lorsque le montant du passif n’est pas entièrement
chiffré. Il suffit que l’insuffisance d’actif soit certaine 117. Cependant, le dirigeant ne peut
se voir infliger une réparation supérieure à l’insuffisance d’actif. 118 Dès lors que les
conditions de l’action en comblement de passif sont réunies, cette action apparaît alors
comme une simple réparation pécuniaire des dommages causés à l’entreprise.
L’action en comblement du passif se prescrit par trois ans à compter de l’arrêté
définitif de l’état des créances. Le tribunal compétent pour engager la procédure et
prononcer la sanction est celui qui a prononcé le redressement judiciaire et la liquidation
des biens de la personne morale 119. De ce fait le dirigeant ne peut être condamné que dans
ces deux hypothèses, bien que la jurisprudence ait admis récemment que cette sanction
pouvait intervenir lors d’un règlement amiable.120
La publication de la sanction est faite sous le numéro d’immatriculation de la
personne morale au registre du commerce et du crédit mobilier (RCCM). Si le dirigeant
est lui-même commerçant, elle est faite au journal officiel, en outre, sous le numéro
personnel des dirigeants.121
Le non paiement du montant de la condamnation découlant de l’exercice de l’action
en comblement du passif est susceptible de sanctions plus graves comme l’extension de la
procédure collective ouverte contre la personne morale aux dirigeants.

115
Y.GUYON, Droit des affaires, Tome 2.
116
Prescription de trois ans (3) dans le cadre de l’action en comblement du passif.
117
Com, 17 juillet 1956, RTCom, 1956, p.693.
118
Com.21 janvier 2003, ACP, 2003, no 77.
119
Article 186 et 184 AUPC.
120
Cass.com 8 juillet 2003, JCP G 2003, IV, 2629.
121
Article 188 AUPC.

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Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

b)  L’extension de la procédure collective et les limitations aux droits d’associés des
dirigeants sociaux.
Le juge peut ouvrir une procédure à l’égard de tout dirigeant, bien qu’il n’ait pas la
qualité de commerçant, et sans être personnellement en état de cessation des paiements
lorsqu’il a :
 Disposé du crédit ou des biens de la personne morale comme des siens propres ;
 Poursuivit abusivement dans son intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne
pouvait conduire qu’à la cessation des paiements de la personne morale ;
 Exercé une activité commerciale personnelle, soit par personne interposée, soit sous
le couvert de la personne morale masquant ses agissements.
La juridiction compétente peut également prononcer le redressement judiciaire ou la
liquidation des biens des dirigeants à la charge desquels a été mis tout ou partie du passif
d’une personne morale et qui n’acquittent pas cette dette122.
Cette sanction apparaît comme «  d’un degré plus élevé ». Elle s’applique aux mêmes
dirigeants, en cas de redressement judiciaire ou de liquidation des biens d’une personne
morale, qui ont commis une faute grave. Dans ce cas, le passif comprend outre celui de la
personne morale, celui personnel du dirigeant.
L’extension de la procédure collective repose sur la nécessité de faire supporter aux
dirigeants la réparation du préjudice qu’ils ont fait subir aux créanciers du fait de leur
comportement fautif.
Certains auteurs123 pensent que l’expression « extension de la procédure » utilisée par
le législateur OHADA pour designer le dispositif répressif de l’article 189 AUPC ne
correspond pas tout à fait à la réalité. Il y a une mauvaise qualification puisque la
procédure ouverte à l’encontre du dirigeant fautif est une procédure distincte de celle dont
fait l’objet la société. D’ailleurs, l’action en comblement du passif et l’action en
extension de procédure ont des effets concurrents sur le patrimoine du dirigeant. L’action
en comblement du passif, telle que définie par l’article 183 AUPC, est une application de
l’action en responsabilité dans le cadre des procédures collectives. A ce niveau, le juge
dispose d’une simple option de prononcer la condamnation du dirigeant en cause sans en
être tenu de le faire124. L’action en extension de procédure ressort quant à elle de l’alinéa
premier de l’article 189 de l’AUPC. Contrairement à la précédente, l’action en extension
122
Article 189 AUPC.
123
Notamment le Pr SAWADOGO, in droit des entreprises en difficulté.
124
Cass.com, 7 juillet 1987, Jung c/ Levet.

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Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

de procédure n’a pas pour objectif la réparation d’un préjudice. Elle vise à réprimer un
comportement répréhensible. C’est surtout une action que le tribunal peut prononcer à
l’encontre du dirigeant contre lequel peut être relevé l’un des faits visés à l’article 189
AUPC. Et le juge dispose également d’une option pour prononcer la condamnation du
dirigeant en infraction. Les créanciers admis dans la procédure collective ouverte contre
la personne morale sont admis, de plein droit, dans le redressement judiciaire ou la
liquidation des biens du dirigeant. Les sanctions sont publiées dans les mêmes conditions
que celles de l’action en comblement du passif.
Outre les sanctions patrimoniales, les dirigeants sociaux subissent des restrictions
relativement à leurs titres sociaux. Le juge peut prononcer contre eux l’interdiction de
céder leurs droits sociaux, d’exercer leur droit de vote en cas de faillite personnelle dans
les assemblées et éventuellement, l’obligation de céder ces droits par le soin d’un
syndic125. Le produit de la vente est affecté au paiement de la part des dettes de la
personne morale mise à la charge des dirigeants. Cela permettra à la fois d’éliminer pour
l’avenir l’influence néfaste des dirigeants fautifs et de contribuer au comblement du
passif, et de ce fait, au paiement des créances.
Ces restrictions ne se retrouvent évidemment que dans les sociétés. Dès le prononcé de la
sanction, le tribunal pourra fixer les conditions dans lesquelles seront cédés les droits
sociaux des dirigeants qu’ils soient de fait ou de droit, rémunérés ou non. La règle est
sanctionnée par la nullité des cessions qui ne respecteraient pas ces restrictions, lesquelles
seront au moins inscrites dans les registres de la société. Le sens de cette disposition est
d’éviter que les dirigeants ne mettent en place une sorte de « solution parallèle » en
cédant leurs droits sociaux à qui ils veulent , de garantir le remboursement des dettes
auxquelles ils pourraient être tenus à la suite de la procédure. C’est une mesure
conservatoire, mais qui n’interdit pas les cessions, celles-ci étant possibles mais dans les
conditions fixées par le tribunal et aux soins du syndic.
Le prononcé de cette sanction demeure une faculté laissée à la libre appréciation du juge,
elle ne sera prononcée que si la survie de la société le requiert. En réalité, cela permet de
mettre en place un plan de continuation avec d’autres dirigeants que ceux en place. Cette
incessibilité peut être accompagnée d’un transfert des droits de vote à un mandataire ad
hoc, qui peut être l’administrateur judiciaire. Ainsi, le dirigeant ne pourra pas s’opposer à
une augmentation de capital par un tiers.

125
Articles 57 et 185 AUPC.

37
Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

Les sanctions civiles et commerciales n’ont pas toutes un caractère patrimonial, il en est
ainsi de la faillite personnelle qui a un caractère extrapatrimonial mais aussi les sanctions
pénales.

2 : Les sanctions professionnelles et pénales.

a) les sanctions professionnelles.

Les sanctions professionnelles, comprenant les déchéances et interdictions, sont


désormais rassemblées et désignées par l’expression « faillite personnelle ». Elles sont
destinées à écarter de la vie civique, politique et des affaires les débiteurs et dirigeants
d’entreprise qui ont eu un comportement immoral. Ce sont des « incapacité- sanctions »,
d’ampleur variable, qui peuvent frapper le dirigeant d’une société qu’il soit dirigeant de
fait ou de droit, rémunéré ou non, apparent ou occulte.
Contrairement à ce qui est prévu en cas de banqueroute, l’AUPC ne distingue pas, en
matière de faillite personnelle, entre celle qui s’applique aux commerçants personnes
physiques et celle qui s’applique aux dirigeants de personnes morales.
L’AU, pour mieux proportionner la sanction à la gravité des fautes commises, a retenu la
distinction entre faillite personnelle obligatoire (article 196) et faillite personnelle
facultative (article 198), apparue en France dans la loi du 13 juillet 1967 et abandonnée
par celle du 25 janvier 1985.
La faillite personnelle peut être prononcée par la juridiction compétente à tout moment de
la procédure et peut toucher toute personne physique dirigeante de personnes morales, les
personnes physiques représentantes permanentes de personnes morales dirigeantes de
personnes morales assujetties aux procédures collectives. Ces personnes doivent avoir
commis les fautes graves visées par les articles 196 et 197 AUPC comme la soustraction
à la comptabilité ou la dissimulation frauduleuse de l’actif ou du passif, l’abus des biens
ou du crédit de la société, l’exercice indirect du commerce dans son intérêt personnel.
L’article 196 concerne les faits dont la preuve entraîne obligatoirement le prononcé de la
faillite personnelle, alors que l’article 197 vient faciliter l’application de l’article
précèdent en caractérisant les actes qu’il énumère comme étant présumés actes de
mauvaise foi, imprudences inexcusables ou infractions graves aux règles et usages du
commerce.
La sanction de faillite personnelle, une fois prononcée, emporte de plein droit
l’interdiction générale de faire le commerce et notamment de diriger , gérer, administrer

38
Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

ou contrôler une entreprise commerciale ou toute personne morale ayant une activité
économique126; l’interdiction d’exercer le droit de vote dans les assemblées de la personne
morale contre laquelle a été ouverte une procédure collective; l’interdiction d’exercer une
fonction administrative, judiciaire ou de représentation professionnelle. Le représentant
du ministère public surveille l’application de cette sanction et en poursuit l’exécution. La
gravité des sanctions de faillite personnelle et leurs finalités les rapprochent des sanctions
pénales.
Contrairement à la loi française de 1967, l’AUPC n’a pas retenu le démembrement de la
faillite personnelle sous la forme d’une interdiction professionnelle ponctuelle.
La durée de la faillite personnelle, qui doit être fixée par la décision, est au minimum de
trois (3) ans et au maximum de dix (10) ans. Les déchéances, incapacités et interdictions
résultant de la faillite personnelle prennent fin au terme fixé. Elles peuvent aussi prendre
fin en cas de clôture pour extinction du passif. La fixation de la durée comprise entre 3 et
10 ans est une « innovation »127 qui apporte une protection aux faillis. Antérieurement, la
faillite personnelle était perpétuelle, sauf réhabilitation.
Les décisions prononçant les sanctions de faillite personnelle contre les dirigeants
sont mentionnées au registre du commerce et du crédit mobilier (RCCM) ainsi qu’en
marge de l’inscription relatant le redressement judiciaire ou la liquidation des biens. Elles
sont en plus publiées par extrait au journal officiel et dans un journal habilité à recevoir
les annonces légales dans le ressort de la juridiction ayant statué.
Pour les fautes les plus graves et même pour des fautes de même gravité, le dirigeant peut
être frappé de sanctions pénales.

b) Les sanctions pénales.


En matière pénale justement, Portalis disait  « il faut des textes clairs et point de
jurisprudence ». Les textes introduisant des sanctions pénales à l’encontre du dirigeant
d’entreprise en procédure collective répondent de manière satisfaisante à ce critère.
Précisons que l’AUPC incrimine un certain nombre d’actes au titre de la banqueroute
proprement dite, des infractions commises par d’autres personnes à l’occasion d’une
procédure collective et des infractions assimilées à la banqueroute. Ces dernières visent
les personnes physiques qu’elles soient dirigeantes ou représentantes permanentes de
personnes morales dirigeantes des personnes assujetties aux procédures collectives.
126
Cette sanction est considérée comme plus « légère » ou plus « douce » en droit français ; in Ph MERLE, Droit Commercial : Sociétés
commerciales, Dalloz 5e ed.
127
Michelle Filiga SAWADOGO. In OHADA, Traité et actes uniforme commentés et annotés. 2 e ed, juriscope. 2002. P 938.

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Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

La constitution du délit de banqueroute suppose l’existence d’un état de cessation de


paiement. Peu importe qu’une procédure collective ait été ouverte ou non.
Afin de réprimer de façon « appropriée » le comportement délictueux des dirigeants
l’AUPC a maintenu la distinction entre banqueroute simple et frauduleuse. Les
infractions assimilées à la banqueroute simple étant traitées par l’article 231, et celles
relatives à la banqueroute frauduleuse par l’article 233 AUPC. L’application de la
banqueroute proprement dite est « classique ». En revanche, ce n’est que depuis 1935 que
l’on a commencé à étendre cette sanction aux dirigeants sociaux.
Relativement à la mise en œuvre de cette sanction, l’on note que la juridiction répressive
compétente peut être saisie soit par poursuite du ministère public, soit par constitution de
partie civile, soit par voie de citation directe du syndic ou de tout créancier agissant en
son nom propre ou au nom de la masse (article 234 AUPC). La saisine de la juridiction
répressive est ainsi largement ouverte.
Les articles 237 à 239 règlent de façon « tatillonne » la contribution aux frais de
poursuite, alors que l’article 236 consacre légalement la faillite de fait, « ce qui parait
difficile à justifier, même en considérant l’autonomie du droit pénal »128. Cet article
dispose qu’ « une condamnation pour banqueroute simple ou frauduleuse, ou pour délits
assimilés à la banqueroute simple ou frauduleuse, peut être prononcée même si la
cessation des paiements n’a pas été constatée dans les conditions prévues par le présent
acte uniforme ».
Les décisions prononçant la condamnation de banqueroute sont affichées et publiées dans
un journal d’annonces légales ainsi que dans un extrait sommaire du journal officiel, et
ceci aux frais des condamnés.
Les dirigeants d’une personne morale condamnés pour banqueroute simple ou
frauduleuse sont également déclarés en faillite personnelle.
Pour les peines applicables, l’AU renvoie aux législations nationales. Il s’agit entre autres
d’éviter que les peines, notamment les amendes, en raison des différences de niveau de
développement économique et des revenus, puissent paraître excessives et dérisoires dans
d’autres.129
Le Sénégal, l’un des pays membres au traité de l’OHADA, a consacré dans sa législation,
notamment dans le code pénal, des sanctions relatives au délit de banqueroute. En effet,

128
Filiga Michel SAWADOGO, in OHADA, Traité et actes uniformes commentés et annotés, 2 e ed juriscope 2002.
129
Filiga M. SAWADOGO, op.cit.

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Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

l’article 376 dudit code dispose que : « ceux qui seront déclarés coupables de banqueroute
seront punis :
Les banqueroutiers simples d’un emprisonnement d’un (1) mois à deux (2) ans ;
les banqueroutiers frauduleux, d’un emprisonnement de cinq (5) à dix (10) ans ».
On constate ainsi, à travers les peines, que les faits constitutifs de banqueroute simple
sont moins graves que ceux qui peuvent entraîner la banqueroute frauduleuse.
La législation sénégalaise punit aussi ceux qui sont reconnus complices du délit de
banqueroute qu’elle soit simple ou frauduleuse. Ils encourent les mêmes peines même
s’ils ne sont pas commerçants.130
Au vu de toutes ces sanctions, on peut dire que les dirigeants des sociétés
commerciales sont dans une position à risque dans laquelle ils peuvent se voir priver de
leur liberté. Toutefois, il existe un facteur d’atténuation de la responsabilité pénale des
dirigeants entraînant par là même une exonération des sanctions pénales. Ces dernières
sont en effet écartées en cas de délégation de pouvoirs. Celle-ci, apparue dans un arrêt de
principe du 28 juin 1902 en droit de travail notamment sur la sécurité et l’hygiène des
salariés, s’est par la suite étendue à toutes les branches du droit. La cour de cassation
française, par un arrêt du 19 mars 1993, indique clairement que la délégation de pouvoir
est en principe possible sauf si la loi en dispose autrement. Toute fois, il faut veiller à ce
que les statuts de la société ne l’excluent pas expressément.
En cas de délégation de pouvoirs ce sont les cadres supérieurs, voire moyens, qui risquent
d’être poursuivis pénalement, encore faut-il que le dirigeant rapporte la preuve de la
réalité de la délégation de pouvoirs invoquée. Ainsi, un P-DG poursuivi pour fraude
fiscale ne peut se prévaloir d’une délégation de pouvoirs au profit d’un directeur
financier, dans la mesure où il a gardé le contrôle effectif du respect des obligations
fiscales par la société131.

En définitive, « l’institution de deux régimes de responsabilité aussi distincts est


critiquable.» Il est en effet difficile de comprendre comment deux régimes de
responsabilité ayant un fondement identique, à savoir une faute de gestion des dirigeants,
peuvent diverger en raison simplement du moment où se pose la question de la
responsabilité éventuelle de ceux-ci.

130
Article 377 CP sénégalais.
131
Cass. Crim., 19 aout 1997: Bull.Joly 1997.p, 36, note C. MASCALA.

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Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

Cependant, en acceptant un mandat social, le dirigeant accepte aussi de prendre le risque


de voir sa responsabilité civile et pénale engagées. Les chefs d’entreprise de l’espace
OHADA doivent donc de plus en plus être prudents, rigoureux et diligents dans la
gestion des affaires dont ils ont la charge, « la chasse aux dirigeants indélicats est
désormais ouverte et l’abus des biens sociaux ne serait pas leur seul cauchemar ».
Mais, face à l’importance du risque, il peut être venu le temps pour eux de se protéger en
recourant à des assurances de responsabilité civile et professionnelle qui, même si elles ne
permettent pas d’éviter la mise en œuvre de leur responsabilité, peuvent parer aux
conséquences financières très souvent désastreuses de celle-ci.
En attendant de voir les effets de cette législation sur les milieux d’affaires africains, les
acteurs sociaux doivent être vigilants quant à la manière dont sont gérées les sociétés
dans l’espace OHADA.
La relance des activités économiques et des investissements sur le continent africain
passera nécessairement par une saine gestion des affaires.

Bibliographie

 Ouvrages généraux :

42
Séminaire de droit commercial la responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales

 F.Anoukaha, A.Cisse, N.Diouf, J.N.Toukam, P.G.Pougoue, M.Samb : OHADA,


Sociétés Commerciales et GIE, Bruylant Bruxelles, juriscope 2002.
 J.Mestre, M-E Pancrasi : Droit commercial, 25e ed, LGDJ.
 M. Cozian – A.Viandier – Fl. Deboissy. Droit des sociétés, 13e et 15e ed, Litec, 2000.
 G. Ripert / R. Roblot. Traité de Droit Commercial, 17e ed, L.G.D.J, 1998.
 Philippe Merle. Droit Commercial : Sociétés Commerciales, 5e ed, Dalloz, 1996.
 Boris Martor - Nanette Pilkington - David Sellers – Sébastien Thouvenot, Le droit
uniforme africain des affaires issu de l’OHADA, ed Litec, 2004.
 Jean Larguier. Droit Pénal des Affaires. 5e ed, Armand Colin. 1980.

 Ouvrages spéciaux :
 P-G Pougoue – F. Anoukaha – J.N.Toukam. Programme de formation en ligne avec le
soutien du fonds francophones des inforoutes : Sociétés commerciales et GIE.
 Filiga Michel Sawadogo, Droit des entreprises en difficulté (prévention, procédures
collectives, sanctions).
 Revue :
 Rev. Lamy sociétés commerciales, ed. Lamy SA, 187/189, 1998.

 Textes :
 OHADA, Traité des actes uniformes commentés et annotés, juriscope 2002.
 Code Pénal du Sénégal
 Code Pénal du Mali
 Code Pénal du Niger
 Code des Obligations Civiles et Commerciales (COCC)
 Code civil français
 Web graphie :
 http://www.ohada.com/
 www.wikipedia.org
 www.lexinter.org
 www.unidroit.org

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