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langage, les insights, comme on les a dans son Séminaire du Sinthome, l’art,
appelés : qu’on éprouve la vérité et que l'art de Joyce. Ce qu'il appelle l'art, c'est
cette vérité change. l'envers de la psychanalyse ; un envers
Le dernier enseignement de Lacan - qui n'est pas le discours du maître, un
comment dire ? - est plus réaliste, de envers qui est le savoir-faire de l'artiste.
ne pas se régler sur le langage mais Et donc ce qu'il appelle l'art, c'est un
sur lalangue, conçue comme une autre envers de la psychanalyse, un
sécrétion d'un certain corps, et qui autre envers que le discours du maître.
s'occupe moins des effets de sens qu'il Certes le sinthome – on peut le lire
y a que de ces effets qui sont affects. comme ça, tout s’y prête dans le
Allons-y encore pour une autre Séminaire de Lacan – c'est une
métaphore. Effet de sens, affect. suppléance. Une suppléance de quoi ?
c’est une suppléance du père et c'est
affects lalangue une suppléance du phallus.
Là nous retrouvons nos marques.
effets de sens langage Une suppléance du père parce que
le père était radicalement carent, enfin
Cette scission entre la langue et le ce qu'il faut entendre sur le fond de la
langage, entre la communication et la définition du père qui est là opérante, si
nomination, entre l’effet de sens et je puis dire ; que son père n'a pas
l’affect, cette scission invalide assuré la conjonction du symbolique et
l'hypothèse formulée en tant que telle du réel, et donc que les noms dont il
dans le dernier chapitre du Séminaire dispose, manquent de référents ; d’où
Encore, cette hypothèse selon laquelle la destruction du langage à laquelle il
l’individu affecté est le même que le procède, sa dissipation dans la langue,
sujet d’un signifiant ; enfin, invalide ! qui elle-même perd son identité jusqu'à
met en question cette hypothèse ; et se fondre dans les langues.
donc indique que la psychanalyse est Suppléance du phallus que Lacan
comme la promesse que l'affect est énonce de la façon la plus crue : Joyce,
réductible à l'effet de sens. dit-il, avait la queue un peu lâche.
Ce que Lacan appelle le sinthome, Enfin, on peut lire le Séminaire du
ce qu'il nomme ainsi, parce que c'est Sinthome à partir de là ; Lacan y invite
ainsi qu'il commence ; il commence par aussi bien. Son art littéraire supplée à
proposer un nom nouveau qui se trouve la tenue phallique.
être la reproduction d'un nom ancien, Comment procède le Séminaire du
mais enfin, tordu à sa façon ; ce qu'il Sinthome ?
nomme le sinthome, c'est l'affect en Il m’a paru en l’écrivant, qu'il
tant qu’irréductible à l'effet de sens. procédait en trois temps. D'abord par
Et c’est à ce titre qu'il insère James ce que j'ai appelé « L'esprit des
Joyce dans son enseignement, au titre nœuds », enfin, en référence en
d'un sinthome rebelle à l'effet de sens, sourdine à L'esprit des lois -
c'est-à-dire inanalysable. évidemment ça n'est pas tout de suite
Au fond, quelle est la différence du perceptible. Ensuite en suivant la piste
sinthome et du symptôme ? C'est que Joyce, trois leçons pour l'esprit des
le sinthome désigne précisément ce qui nœuds, trois leçons pour la piste Joyce
du symptôme est rebelle à l'inconscient, et trois pour l'invention du réel ; avec
ce qui du symptôme ne représente pas comme dixième leçon un point de
le sujet, ce qui du symptôme ne se capiton, qui est l’accent mis sur l'ego de
prête à aucun effet de sens, enfin, qui Joyce.
délivrerait une révélation. L'esprit des nœuds, c'est
Les effets de sens, il y en a en veux- essentiellement le rappel de la
tu en voilà, presque automatiques, et là disjonction qui fonde le nœud, la
s’efface la représentation ; de telle disjonction du symbolique, du réel et de
sorte que on peut donner, me semble-t- l'imaginaire. C'est-à-dire e l rappel que
il, cette valeur à ce que Lacan appelle l'homme est composite, que ce n'est
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pas une substance, que ça n'est pas un à lui : Lacan était-il fou dans son
être qui tient au corps ; ça n'est pas un dernier enseignement ?
être aristotélicien. La folie de Joyce, c'est qu'il s’est
Composite veut d'abord dire qu'on senti appelé impérieusement, dit
opère avec un prisme. Le nœud, c'est Lacan ; et il suffit de se sentir appelé à
un prisme, qui analyse et qui distingue quelque chose, impérieusement, pour
l'individu et le sujet et qui met un point être fou !
d’interrogation sur ce qui pour lui fait le En ce qui concerne Joyce, quel est
réel et qui suppose que ce qui lui donne cet empire qui s'exerce sur lui ? Ce
une substance, c'est le sinthome. n'est pas l’empire du père, carent ; ce
Sur la piste de Joyce, ce qu'on n'est pas l’empire au sens du signifiant-
rencontre d'abord c'est l'énigme, dans maître, parce que l'empire du signifiant-
le Séminaire du Sinthome. C'est-à-dire maître ne vous appelle qu’à
un dit, dont on ne sait pas ce que ça l’identification. Joyce c'est celui qui
veut dire. L'énigme comporte qu’il y a s’est senti appelé à autre chose qu’à
une certaine conjonction du symbolique s'identifier comme les autres.
et du réel qui se traduit dans Et, c'est pourquoi il s'est employé à
l'imaginaire par la perplexité. valoriser son nom, son nom propre,
C'est ce que j'essaye de produire en mais aux dépens du père, c'est-à-dire à
me prenant moi-même à rebrousse- se valoriser dans sa singularité. Le nom
poil, puisque mon talent propre, c’est propre ici, dit Lacan, fait tout ce qu'il
de faire croire que la conjonction du peut pour se faire plus que le S1, plus
symbolique et du réel, ça se lit dans que le signifiant du maître.
l'imaginaire à livre ouvert. Et ici, enfin, le nom propre, c’est
Au fond l'énigme, on a toujours autre chose que le S1. Il y a quelque
essayé, c’est ce que j’ai toujours chose dont Joyce s'est abstenu, c'est
essayé de dissoudre, pourtant c’est à de faire école. C'est là aussi le sens de
ça que j'ai affaire pour que j'ai fait mon la cohorte qu'il a convoquée, des
talent propre, de ne jamais vous universitaires, de ceux qui sont après le
amener d'énigme, sauf cette année, déchiffrage de l'énigme, sans être le
enfin, j'essaye, cette fois-ci. moins du monde les élèves de Joyce.
Alors, c'est ça que Lacan rencontre Et il faut bien dire qu’en se confrontant
dans Joyce d'abord, c'est son usage de à Joyce, Lacan tente de se dépouiller
l'énigme. Et c'est comme ça qu'il situe de ce que pour son péché il a fait, à
la psychanalyse, comme la réponse à savoir école – cohorte, ribambelle
une énigme. L'analyse, l’interprétation, d’identifiés. Et moi-même, je me tiens là
qui fait croire que l'énigme a une sur la limite, enfin, sur la limite où
réponse. Et c'est pourquoi, comme les j’accompagne Lacan dans ce
plus doués s'en aperçoivent, c'est une mouvement de se déprendre de ce qu'il
réponse, comme le dit Lacan, a engendré.
spécialement conne. Elle est Il a engendré en faisant de ses
spécialement conne déjà de se signifiants, en constatant que ses
proposer comme une réponse. On signifiants avaient cette valeur-là.
répond à l'énigme de la conjonction du Et il rencontre, troisièmement, sur la
symbolique et du réel en offrant la piste de Joyce les paroles imposées,
conjonction du symbolique et de en prenant l'exemple du patient qui
l’imaginaire. souffre des paroles imposées, patient
Ça veut dire, on répond à l'énigme de sa présentation qui souffre des
par un sens. échos des paroles et dont Joyce, lui, a
La deuxième rencontre que fait su faire un art. Il y a démontré un
Lacan sur la piste de Joyce, c'est la savoir-faire, c'est-à-dire il a su le
question qui laisse à cet état là : Joyce simuler, il a su se faire un artificier du
était-il fou ? Il sait bien quand il pose la symptôme, un homme de savoir-faire,
question qu'elle est faite pour lui revenir un artiste.
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