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Dbu Buche 2008 01 0035 PDF
Dbu Buche 2008 01 0035 PDF
2008 | pages 35 à 59
ISBN 9782804159511
Article disponible en ligne à l'adresse :
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DE L’AGIR ENSEIGNANT
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et leurs ajustements
Dominique BUCHETON, Lisa-Marie BRUNET,
Catherine DUPUY, Yves SOULÉ
RÉSUMÉ
Après avoir développé succinctement le modèle théorique des gestes profession-
nels et leurs ajustements, une première étude sur des séances comparées de lec-
ture au CP en ZEP illustre l’idée selon laquelle l’efficience des enseignants se joue
dans leurs ajustements plus ou moins réussis et dans les logiques profondes qui
orientent ces ajustements. L’analyse comparative de deux séances de littérature
pose la question de l’orientation structurante des configurations de gestes en for-
mulant l’hypothèse que les ajustements structurants le sont parce qu’ils sont
orientés consciemment. Enfin nous montrons comment ce regard nouveau et plus
précis, au niveau des ajustements didactiques très spécifiques, permet de repérer
ce qui distingue une lecture littéraire d’un texte d’une lecture philosophique d’un
même texte littéraire. Permet aussi de repérer les gestuelles communes de ces
deux didactiques en émergence à l’école primaire et quelques-uns des problèmes
didactiques spécifiques que leur comparaison fait apparaître.
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1.1 Le point de vue langagier et phénoménologique :
le rôle intégrateur des langages
Le postulat clé de nos travaux sur la professionnalité enseignante
réside dans l’idée que les langages, partagés entre le maître et les élèves et les
élèves entre eux sont la clé de voûte du système enseignement/apprentissage/
développement. Nous utilisons le pluriel pour montrer la sémiologie complexe
des signes langagiers, et extra langagiers (le corps parlant de l’enseignant
(Jorro, 2004) : gestes du corps, mimiques, déplacements, etc.), qui suppor-
tent, véhiculent et conditionnent l’entrée dans les apprentissages des élèves,
leurs refus de jouer le jeu parfois, voire leur mise à l’écart volontaire ou invo-
lontaire. Cette gestuelle langagière est intégratrice des diverses préoccupa-
tions de l’enseignant, explique la dimension hiérarchisée, systémique et
modulaire des gestes professionnels que nous développerons plus loin.
1 Ces travaux s’effectuent dans le cadre de deux équipes situées en IUFM : l’équipe ALFA
(Activité Langage Formation Apprentissage) composante du LIRDEF, qui questionne l’enseigne-
ment de la lecture-écriture au CP (Cours préparatoire), et celui de la littérature au primaire, au
collège et au lycée, l’autre : ERTe, l’Équipe de Recherche Technologique en Éducation, une
équipe interdidactique constituée principalement d’enseignants-chercheurs-formateurs. Ces
deux équipes bénéficient également des recherches effectuées par les étudiants du Master II
professionnel : Conseil et Formation de l’Université de Montpellier 3 dans le cadre de leur
mémoire de recherche.
2 Un ouvrage : L’agir enseignant : une question de gestes professionnels ajustés est à
paraître prochainement, D. Bucheton (éd.).
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– participer à la constitution de la communauté discursive en modéli-
sant (formatant) les formes de pensée et de langage épistémologique-
ment attendues (Bernié, 2001).
La théorisation des gestes des maîtres comme des gestes d’abord lan-
gagiers et adressés renvoie à la pragmatique (l’agir sur, avec, contre l’autre
dans des contextes identifiés et négociés), à la théorie des pratiques socio-
langagières scolaires (Bautier, 1995, 1997), aux approches ethnométhodolo-
giques (on agit selon des routines et rituels langagiers que pour les besoins,
ou par ruse on se permet de détourner : Goffman, 1974, 1991), aux travaux
sur l’énonciation permettant de comprendre les procédures d’indexicalisation
des objets, les calfatages qui sous-tendent les négociations partagées du sens
(Culioli, 1994). Ils renvoient aussi à la thèse centrale et anthropologique qui
traverse les travaux de Wittgenstein, Vygotski (1985), Bakhtine (1984), Bru-
ner (1983), François (1990) selon laquelle les langages permettent la trans-
mission de la culture et sa recréation, sa reprise-modification, dans un dialo-
gisme responsif, inter et intradiscursif.
Ajoutons à cela que la gestion contrôlée de la parole du maître – son
pouvoir sur l’autre, son autorité, une réactivité plus ou moins vive et contrôlée
(les gestes éthiques de Jorro, 2002) – s’inscrit aussi dans une vigilance éthique
fondatrice de sa mission éducative (Tozzi, 2004).
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4. aux gestes professionnels spécifiques qui permettent la mise en
relation pour les élèves de tout ce qui précède.
3 Selon les auteurs, la question du sujet est diversement prise en compte, voire pas du tout.
Il peut être un sujet psychologique, scolaire, social, épistémique, il est rarement une personne
singulière aux prises avec une situation spécifique.
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d’étude bien ou mal installés, adaptés ou non aux tâches.
Nos recherches actuelles cherchent à identifier ces ajustements réci-
proques et leurs configurations (Veyrunes, 2004) heureuses ou malheureuses.
2. APPROCHES MÉTHODOLOGIQUES
Vouloir rendre compte de la complexité de l’agir enseignant nécessite
une sorte de paradoxe méthodologique : il y faut à la fois une structure métho-
dologique lourde et exigeante (données précises du contexte, chronogenèse
minutieuse de la séquence) et suffisamment souple pour lui permettre de
s’ajuster à la singularité et à la créativité observée.
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DES GESTES PROFESSIONNELS (GP)
ET DE LEURS AJUSTEMENTS EN SITUATION
Deux concepts centraux sont à la racine du modèle théorique que
nous proposons. Celui de gestes de métier (repris de Jorro) : des gestes
cadres inscrits dans la longue histoire d’une communauté professionnelle et
celui de gestes d’ajustement.
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3.2 Les gestes d’ajustements
Les gestes d’ajustement sont la manière dont l’agir langagier et corpo-
rel de l’enseignant se règle sur la situation spécifique de la classe et plus
encore sur l’évolution de cette situation pendant la leçon. Ils actualisent, sin-
gularisent dans le huis-clos de la classe les préoccupations précédentes par un
ensemble de variations, transformations, modifications descriptibles (on a
nos petites méthodes disent les experts). Ce ne sont pas seulement les pré-
occupations génériques, les tâches, méthodes, artefacts, ou prescriptions
diverses qui fondent la professionnalité de l’enseignant mais beaucoup plus
ses gestes d’ajustement, leur nature, leur empan. Ce sont des gestes d’obser-
vation où se construit et s’affine le regard didactique de l’enseignant. Autre-
ment dit est essentielle pour son efficience professionnelle la capacité de
l’enseignant à voir, à entendre ses élèves dans leur singularité et dans l’immé-
diateté et la dynamique de l’action partagée et des savoirs en jeu.
Ces ajustements ne sont pas aléatoires ni soumis aux seuls événe-
ments interactionnels, mais relèvent d’une architecture de schèmes opératoi-
res dont les fondements (les logiques profondes) sont multiples : les savoirs
d’expérience, universitaires, sociaux, de l’enseignant, ses valeurs, son engage-
ment, sa résistance physique, émotionnelle (Bucheton, Brunet et Liria, 2004 ;
Tardif et Lessard, 1999).
Ils sont en partie conscients et verbalisables, en partie structurés dans
des habitus socioprofessionnels.
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Nous présentons rapidement ici les résultats d’une première recher-
che. Nous avons pu montrer cette organisation architecturée des gestes pro-
fessionnels (Bucheton, Brunet et Liria, 2004), au travers de l’étude de deux
leçons en CP, chez deux maîtres ne se connaissant pas, utilisant le même
manuel Ratus. Nous avons identifié les régularités (un même genre scolaire).
Nous avons élaboré plusieurs rangs d’analyse (concaténation des gestes) : des
analyseurs des préoccupations les plus saillantes : d’une part les gestes
d’atmosphère, de tissage, les gestes gérant le pilotage spatio-temporel, les
gestes d’étayage, les gestes spécifiques du « faire apprendre à lire avec un
manuel ». Puis chacune de ces catégories a été à son tour décortiquée en une
grande variété de sous-catégorisations pour identifier les actualisations multi-
ples des gestes premiers en une multitude d’ajustements spécifiques ou com-
muns pour chacun des deux maîtres. C’est à ce niveau seulement que nous
avons pu identifier les différences de style entre les deux enseignants.
L’étude a ainsi pu montrer que c’est au niveau des ajustements indivi-
duels que l’on peut identifier l’efficience et les effets du style de chaque ensei-
gnant sur les apprentissages des élèves, ces styles relevant de leurs « logiques
profondes ». Les observations de type ethnologique (immersion dans le
milieu) et les autoconfrontations avec les enseignants nous ont permis de
comprendre comment la culture, les valeurs, les conceptions de l’apprentis-
sage, l’expérience des enseignants (une architecture, elle aussi complexe, de
4 Toute parole ordinaire met en travail des cadres, genres, structures, ethnométhodes multi-
ples, constitutifs de l’action et de la pensée collective (Goffman, 1991 ; Kerbrat-Orrechionni,
1986).
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lieu à un entretien d’autoconfrontation croisée avec les deux enseignantes,
ainsi qu’à un certain nombre d’entretiens avec quelques élèves.
Nous avons pu, dans cette étude, avancer sur la compréhension d’une
autre dynamique des significations construites entre les élèves et le maître et
comprendre comment l’artefact album déclenche une série de configurations
de gestes qui s’enchaînent en cascade. Ces configurations n’étant pas elles
non plus fortement tissées entre elles 5.
La démarche d’analyse adoptée combine à la fois une analyse macro
et micro. La première étape de notre travail a été le découpage des séances
filmées en unités significatives. Les différentes unités qui structurent les séan-
ces sont décrites en fonction d’un certain nombre de paramètres : le temps,
les objectifs visés, les principaux éléments de l’activité de l’enseignant et des
élèves, la nature du travail (oral, visuel, kinesthétique…) ainsi que les compé-
tences convoquées chez les élèves. Ainsi, le premier outil « descriptif des
leçons » permet d’obtenir une vue d’ensemble du déroulement des découver-
tes de texte.
La seconde étape correspond à l’expression de D. Bucheton, la
« descente aux enfers de l’analyse » ! Pour opérer ce nouveau voyage au cen-
tre de la professionnalité, nous avons fait un choix ou plutôt un pari
méthodologique : faire le deuil de couvrir toutes les unités des séances, mais
5 Dans cette section, nous nous appuierons sur les travaux menés dans le cadre de la réalisa-
tion d’un mémoire de Master 2, s’intitulant « Travail du maître, travail des élèves en situa-
tions de découverte de texte au Cours Préparatoire : une architecture complexe de gestes
professionnels et micro-ajustements réciproques ».
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centrer notre analyse sur de petits moments qui nous paraissent significatifs.
Nous parlons de « pari » puisque ces choix de départ comportent un certain
nombre de risques, nous pressentons un intérêt pour tel moment, mais nous
ne pouvons garantir la possibilité de dégager des éléments pertinents. Dans
notre cas, le choix s’est arrêté sur trois moments : le début de cours, le
moment de lecture de la première phrase du texte, le moment de fin de
cours. À partir de ce choix, la « descente aux enfers » a pu être initiée et ren-
due possible grâce à l’outil qu’est la catégorisation.
Le souci principal a été non seulement de ne pas poser des catégories
a priori, mais de les construire au fur et à mesure de l’analyse des corpus.
D’autre part, de démarrer une nouvelle catégorisation, celle des gestes
d’étude des élèves. Cela nous a permis d’analyser sous forme d’interaction les
gestes enseignants et gestes d’élèves.
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se réfugie chez Monsieur Lapin. L’arrivée d’un personnage correspond pour
l’enseignante à une nouvelle séance. Au début du cours, elle revient sur l’épi-
sode précédent où apparaissait le personnage du Petit Agneau.
Chez l’enseignante B, la découverte se fait à partir de l’album Il y a un
alligator sous mon lit (Mercer Mayer, École des loisirs), histoire d’un petit
garçon qui, découvrant sous son lit un alligator que ses parents ne voient pas,
décide de prendre en main la situation en piégeant l’animal. Nous sommes à la
moitié de l’histoire. C’est pourquoi le début de cours s’attarde à restituer les
événements antérieurs.
La confrontation de ces débuts de cours avec album et de ceux avec
manuel fait apparaître une spécificité qu’on peut attribuer à l’artefact album :
les deux débuts de cours démarrent sur une tâche orale qui concerne la nar-
ration du récit déjà lu. Mais comment procède chacune de ces enseignantes
pour réaliser cette tâche ? Quels sont les gestes des élèves lors de ces débuts
de cours ?
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Quels effets a cette lecture de l’enseignante sur les élèves ? Spontané-
ment, quelques élèves intègrent peu à peu la lecture en « récitant » des mor-
ceaux du texte (effet de rémanence). À la fin de cette lecture, ils émettent
quelques hypothèses.
Par ce geste de lecture magistrale, l’enseignante semble créer une
rupture de cadre où l’atmosphère de travail bascule de la passivité à l’implica-
tion et au plaisir de redécouvrir le texte qu’ils ont lu. Mais également, ce geste
de relecture semble créer un milieu d’apprentissage, comme l’entend Brous-
seau (1986). Ici, il y a mise en place d’un besoin, celui de poursuivre cette lec-
ture afin de vérifier les hypothèses qui ont été émises.
4.2 Discussion
La narration, une orientation obligée ?
La narration renvoie à la fonction première de l’album : sa fonction lit-
téraire. Cependant, ces débuts de cours ne sont pas ceux de séances de travail
sur la littérature. Il s’agit de séances de découverte de textes nouveaux qui ont
pour objectif l’apprentissage de la lecture. Ainsi, le texte littéraire devient pré-
texte à l’apprentissage du lire. À la fois appui symbolique et imaginaire sur le
texte pour engager les élèves dans la tâche, à la fois nécessité d’orientation
des élèves vers la capacité à utiliser le texte comme objet d’apprentissage de
la lecture. C’est à partir de ce double statut du texte, que nous avons compris
ce qui se jouait dans ces débuts de cours. Ces moments opposeraient deux
cadres dont les implications seraient différentes : le cadre « narratologique »
et le cadre « apprentissage de la lecture ». À partir de ce constat, nous pen-
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sons que l’enjeu central des débuts de cours pourrait être la capacité de
l’enseignant à glisser du premier cadre vers le second. Le travail de ce
« glissement de cadres » ne peut être possible qu’à partir du moment où ces
cadres sont perçus par les enseignants et où des gestes de tissage les antici-
pent ou les accompagnent.
Pour faire court, la préoccupation principale de l’enseignante A, qui
piloterait ces ajustements, reste l’apprentissage de la lecture. Et le passage
par la narration, un simple enrôlement dans cette première visée. Mais pour
les élèves, le malentendu est entier et ils demeurent dans la routine scolaire
de la restitution « obligée ».
Dans la classe B, au contraire, enseignante et élèves partagent la
même préoccupation, celle de la narration. Les gestes enseignants déclen-
chent des gestes cohérents chez les élèves. Le cadre est installé et partagé.
Ainsi, peu d’imprévus et de malentendus surgissent.
on peut se questionner sur le sens que peut représenter pour les élèves cette
activité de narration en début de cours. Pour preuve, quand en fin de séance, leur
maîtresse leur demande ce qu’ils ont lu, ils reviennent au début de la séance.
Les enseignants sont-ils conscients de ces ruptures de cadres ?
Jusqu’où ? Sur quoi alors opèrent-ils leurs ajustements ? L’analyse révèle que
cette opposition problématique de cadres semble être de l’ordre du non-
conscient. L’ajustement relèverait d’une routine (une ethnométhode partagée)
dont les finalités d’origines – faire parler les élèves, les enrôler, les ramener au
texte dans sa dimension littéraire – sembleraient très confuses. Ce moment est-
il donc nécessaire ? Ne provoque-t-il pas chez les élèves de la dispersion,
d’autant plus préjudiciable que le tissage avec l’unité suivante n’est pas réalisé ?
Vue de l’extérieur, la lecture magistrale du maître paraît plus économique et
peut-être plus efficace pour faire entrer les enfants dans les tâches qui suivent.
Si on regarde ce problème sous l’angle de la différenciation, on peut
se demander si les élèves sont « égaux » devant ce non-tissage. L’analyse pré-
cise des interactions montre que seuls quelques rares élèves font le lien entre
la première et la deuxième unité.
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ALBUM
Classe A Classe B
PRÉSENCE DE DEUX
CADRES
LECTURE
DU NOUVEAU TEXTE (T2)
PAR LES ÉLÈVES
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peaufiner leurs ajustements.
MAÎTRE 1
Les élèves ont sous les yeux un avant-texte au texte de Pétrone, dans une édition
bilingue latin-français
Le maître a demandé d’énoncer des remarques à propos de ce document
5 Un élève : sur la deuxième [page] y’ a écrit 1 2 sur la deuxième y’ a écrit des
mots euh et aussi
6 Maître : attends attends effectivement y’ a des marques de petits chiffres qui
sont marqués par moments sur certains mots et sur ce mot 1 2
7 Un élève : à la cinquième ligne
8 Maître : attends stop c’est Celia qu’a la parole va-s-y
9 Celia : à la cinquième ligne y’ a écrit nous y a un L et 3 petits points.
10 Maître : voilà OK d’autres remarques sur l’aspect ? Alizée ?
11 Alizée : euh ça commence L un X. 1112. Le maître écrit au tableau. Tu parles de ça ?
13 Les élèves : oui
14 Maître : Hop c’est Alizée qui a la parole on lève la main Lena
1 minute 57
15 Lena : je sais ce que c’est c’est des chiffres romains mais le L je sais pas
16 Maître : donc tu dis que ce sont des chiffres
17 Léna : et la fin à la fin je crois que ça fait 12
18 Maître : tu as raison cette partie 12 et ici cette partie 50 en chiffres romains
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d’accord est-ce que quelqu’un a d’autres remarques à faire sur cette double
page ? Raphaëlla ?
19 Raphaëlla : euh ce sont des notes mais c’est la page 62 c’est ça
20 Maître : alors hypothèse ça pourrait être la page 62
MAÎTRE 2
Les élèves ont découvert le texte « Loup Garou » de Friot distribué par le maître
quelques minutes auparavant. Le maître vient de mettre en place le dispositif de
lecture littéraire qui consiste à répartir la classe avec chacun une tâche par groupe
(groupe dictionnaire ; groupe élaboration de questions à poser ensuite à la classe
et groupe spectacle de lecture à haute voix des énoncés des personnages). C’est
avec ce dernier groupe d’élèves que le maître s’installe au fond de la classe.
12 Maître : vous êtes là, allez-y
13 Un élève : y’ a deux filles un maître
14 Maître : va-s-y dis-moi les personnages : un maître. Qui c’est qui fait le maître ?
Toi tu sais ce qu’il dit le maître ?
15 Un élève : non
16 Maître : alors vous allez chercher le fluo et souligner tout ce qu’il dit le maître.
Y a aussi Antoine. Il y a des groupes dictionnaire qui n’ont pas de dictionnaire
alors c’est un peu euh…
Le maître lit : « Antoine rentre en courant dans la classe il est en retard comme
d’habitude ». Alors vous n’allez lire que ce que disent les personnages… Alors, le
maître lit : « maître cette nuit j’ai vu un loup garou ». Qui c’est qui parle là ?
17 L’élève : Antoine.
52 Vers des modélisations de l’agir enseignant
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son interprétation le cours de l’activité. Par exemple, on note un ajustement
structurant en convergence avec les productions de sens des élèves en ce qui
concerne le maître 1 : c’est l’« opacité » du texte de Pétrone sur le mythe du
loup-garou qui structure les démarches de significations à partir de signes con-
nus du paratexte. Les élèves collaborent à la recherche d’indices porteurs de
sens. Chez le maître 2, l’ajustement structurant s’exerce plus dans le dispositif
de finalisation de la lecture à haute voix. L’attention de l’enseignant porte sur la
levée des obstacles de compréhension chez les lecteurs.
Les ajustements structurants des maîtres que nous avons observés
indiquent en partie le degré d’attention, de décentration et de réflexivité exi-
gée pour les élèves. Mais cette activité conjointe que l’on a essayé de saisir, ne
constitue qu’un élément isolé, prélevé dans l’architecture plus vaste de ce
début de cours où les ajustements des maîtres et les gestes d’étude des élèves
s’organisent en configurations de travail. Il s’agit alors de se référer à un autre
indicateur : l’« orientation préalable » qui nous renseigne sur la composante
« culturelle » de ces configurations d’activité.
On suppose en effet que les maîtres disposent d’une programmation
préalable d’arrière-plan qui pilote leurs ajustements dans la situation d’enseigne-
ment. Notre hypothèse méthodologique avance que l’analyse de ces orientations
sous-jacentes, prises par chacun des deux maîtres, est à mener de façon conco-
mitante avec l’examen des gestes d’ajustements structurants (étude en cours).
L’orientation préalable structure l’étape obligée avant la phase de
compréhension/interprétation dans le reste du cours. Le maître a donc des
choix épistémologiques à faire dans l’aménagement de la rencontre entre le
Voyage au centre du métier. Le modèle des gestes professionnels des enseignants… 53
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en tant que cadrage culturel de la lecture du texte littéraire soumis à la logique
profonde du maître. Ces deux types de gestes – ajustement structurant et orien-
tation préalable – constitueraient selon nous les bases d’une nouvelle catégorisa-
tion générique, à savoir le concept cadre de geste d’orientation culturelle.
Ce geste d’orientation culturelle qu’actualise le maître quand il fait
lire un texte littéraire est cristallisé autour de l’articulation entre les contrain-
tes extrinsèques (émergence dans la situation de début de cours de la co-acti-
vité de significations autour de l’objet à enseigner) et les contraintes intrinsè-
ques (degré de conscience de ses choix épistémologiques) en ce qui concerne
l’appréhension du texte littéraire par le maître. Il conviendrait alors de voir
dans quelle mesure il peut aussi devenir un objet de formation et un outil
d’analyse de pratiques.
que (DVP) et/ou littéraire (DVL) 6. Inscrit dans une perspective interdidacti-
que et comparatiste, ce projet recoupe la thématique du symposium dans la
mesure où la mise en œuvre de telles discussions – sujette à controverse
(peut-on parler d’enseignement à caractère littéraire et philosophique à
l’école primaire ?) – interroge dans toute sa complexité la relation entre les
gestes de l’enseignant, ceux des élèves et les apprentissages concernés.
Or, s’agissant de littérature et de philosophie, et particulièrement de
discussion philosophique à partir d’un texte littéraire, cette gestuelle pose
problème. Enseignants et chercheurs n’ont pas une conception claire de ce que
peut/devrait être à l’école primaire l’expérience esthétique et une conceptuali-
sation de type philosophique. Ils peinent à définir la ligne de partage, dans les
activités de lecture et de discussion qu’ils proposent, entre les deux disciplines.
Ils ne maîtrisent pas les processus cognitifs par lesquels peut advenir le saut
réflexif tant attendu. Autant de difficultés qui nourrissent la polémique !
Cependant, le corpus que nous avons recueilli (séances de classe,
entretiens, stage Littérature cycle 3, mémoires de Master 1 et 2) montre qu’il
ne faut pas sous-estimer les capacités d’engagement esthétique et conceptuel
d’une classe. Notre posture de recherche n’est pas de porter des jugements
sur tel ou tel dispositif, tâche ou modalité de questionnement, mais de déter-
miner précisément à quel type de gestes ils renvoient, dans quelle configura-
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tion professionnelle ils se situent, l’enjeu étant d’abord de préciser la nature
exacte des discussions.
D’où nos trois hypothèses de travail :
– Si l’on souscrit à la catégorisation actuelle de l’équipe ERT-ALFA de
Montpellier, il existe des gestes témoins – gestes de métier : d’étaya-
ge, d’atmosphère, de tissage et leurs ajustements – à même de définir
dans leurs spécificités une DVL ou une DVP.
– La confrontation de ces gestes conduit à reconsidérer les conceptions
de la lecture et de la discussion pour l’école primaire.
– L’analyse de l’activité de la classe en gestes permet de dépasser l’en-
gouement ou des résistances relatives à une approche véritablement
littéraire et philosophique des textes.
Nos premières conclusions quant à la validation de ces hypothèses
montrent que l’efficacité des activités de lecture et de discussion dépend
notamment de deux facteurs que nous voudrions aborder ici : la présence du
texte et l’accès à la pensée.
6 Soulé Y., Tozzi M., Bucheton D. Littérature et débats à l’école primaire. Ouvrage à paraître
CRDP Montpellier.
Voyage au centre du métier. Le modèle des gestes professionnels des enseignants… 55
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tive ou silencieuse/individuelle.
Le retour s’inscrit également dans le cadre de la séance de littérature
comme un geste de métier : le texte demeure, au-delà de tout enjeu didacti-
que, non seulement l’objet d’étude qui conditionne les gestes de tissage assu-
rant les diverses phases de la conduite explicative, mais aussi l’outil de la
médiation explicative. L’attention « philologique » portée au texte, les cita-
tions utilisées comme dans les stratégies argumentatives relèvent des procé-
dures d’ajustement du maître comme des élèves. En revanche, dans une DVL
où il s’agit d’extraire un objet d’élaboration conceptuelle, s’opère un détache-
ment – progressif ou radical – avec le texte singulier puisque le travail vise le
général et l’universel. Tout retour pouvant alors paraître suspect !
• Ex. corpus L : « J’ai fait le choix d’un dispositif de lecture inté-
grale de l’œuvre avec des apports documentaires et référentiels
qui, dans mon esprit, doivent éclairer la lecture de l’histoire, sa
compréhension et peut-être son interprétation.
Ce dispositif est axé sur la volonté d’inscrire dans la communau-
té de la classe le travail sur le texte effectué par le groupe.
Ma conception de la lecture littéraire est celle d’un « dialogue
entre une œuvre et des lectures et des lecteurs pluriels ».
Pour rendre compte de ce dialogue entre le groupe-classe et le tex-
te, je choisis systématiquement, de restituer sous forme de synthè-
se les échanges, les commentaires, les interprétations, les
hypothèses que les élèves ont produit au cours de la séance de lec-
ture. Dans le même esprit, je choisis d’être quasiment au milieu
56 Vers des modélisations de l’agir enseignant
Rencontre et retour identifiés dans nos résultats sont donc des macro-
gestes didactiques de première importance encore relativement peu cons-
cients chez les maîtres du primaire. On assiste trop souvent à une rencontre
« zappée » ou « confisquée » avec le risque encouru de parler du texte sans
avoir à le lire, voire sans pouvoir le lire. Ce macrogeste constitue donc pour
nous un objet de formation décisif.
Enfin par rémanence, nous entendons la manière dont le texte, quel-
les que soient les activités envisagées, demeure présent, sous forme de traces
langagières, dans les interactions verbales ou d’effets de sens favorisant ou
non les opérations mentales attendues (évocation, restitution, modélisation,
abstraction, créativité). Nous sommes ici dans des formes délicates de tissage
et d’ajustement à la mesure des processus cognitifs mobilisés. Alors que le
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propre d’une DVL consiste précisément à utiliser savoirs et notions pour ren-
dre compte de ces effets, pour expliciter ces traces, l’influence persistante du
texte peut compromettre une DVP comme elle peut compromettre, nous
l’avons vu, l’apprentissage de la lecture. Autrement dit, le choix d’un texte lit-
téraire est-il pertinent en dehors d’une séance de littérature ? Si le recours à
la lecture d’un album facilite l’amorce d’une discussion, l’enfant peut-il se
défaire de l’impact du texte pour adhérer au projet d’abstraction intellectuelle
qui lui est proposé alors que la force du récit occupe son esprit ? Que vaut le
geste de tissage souvent effectué qui consomme la rupture entre texte et
discussion ? Quels ajustements opérer ?
La présence du texte invite à réfléchir à la gestuelle du choix. Le texte
littéraire exprime un certain nombre de possibles qui déterminent en partie les
conditions de son « avoiement » (Chabanne, 2005). Les enseignants doivent
évaluer ces possibles et l’orientation qu’ils entendent leur donner. Le travail du
texte relève donc d’une exigence commune en amont de toute finalité littéraire
ou philosophique. Il ressort de notre étude que le flottement discursif dans les
séances tient souvent à l’insuffisance de ce travail qui interdit les tissages et
ajustements nécessaires dans l’action (réactivité permettant d’évaluer une
hypothèse, une perte de motivation, l’intérêt d’une digression anecdotique).
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tée vers la construction des connaissances précises, y compris d’ordre
esthétique ;
– la DVP revendique de manière parfois abusive l’exclusivité de l’exi-
gence rationnelle, citoyenne.
D’où un deuxième point de tension directement corrélé aux gestes de
tissage. Les catégories présentées par Daniel (Tozzi, 2005), concernant les
types d’échanges – anecdotique, monologique, dialogique, et dans l’échange
dialogique le dialogique non-critique, quasi critique, critique – montrent à quel
point il est difficile de conduire la discussion de façon à ce que chacun fran-
chisse les différents paliers, parvienne au même point, ne serait-ce qu’au
niveau de l’échange dialogique non-critique. Mais si l’on applique ce classe-
ment aux corpus des séances littéraires, il semble difficile d’en faire « un pro-
cessus inhérent au dialogue philosophique » car la DVL, elle aussi attachée au
développement d’une pensée critique, est soumise à des échanges similaires.
Il en est de même pour les quatre modes de pensée envisagés qui fon-
dent l’échange dialogique critique – pensée logique, créative, responsable,
métacognitive. Ces modes qui distinguent « la réflexion simple » de la réflexion
philosophique sont aussi ceux dont on attend qu’ils structurent la pensée
littéraire : cohérence dans les propos tenus, recherche de sens entre conver-
gence et divergence des points de vue, respect des règles conversationnelles,
contrôle réflexif.
Ce qui se joue pour nous dans les deux formes de discussion – et dans
l’articulation entre littérature et philosophie – c’est, en termes de geste de métier
pour l’enseignant, l’exercice non pas d’une pensée spécifique à un champ disci-
58 Vers des modélisations de l’agir enseignant
plinaire, mais la mise en place des gestes d’étude qui conduisent les élèves à
orienter leur pensée sur des registres de rationalité certes voisins mais différents.
Ainsi, en subordonnant, comme le cas se présente souvent dans les
séances de lecture littéraire, le travail d’interprétation à un travail de compré-
hension préalable, la compréhension locale à la compréhension globale, est-on
sûr de se rendre disponible aux cheminements de pensée des élèves et de
favoriser la réflexivité ? La problématisation littéraire ou philosophique d’un
texte suppose de ne pas arrêter un mode de tissage déterminé entre compren-
dre, interpréter, modéliser, conceptualiser, mais à s’autoriser les allers-
retours qui sont ceux du traitement inférentiel et de la construction des signi-
fications. Les zones de résistance pressenties du texte et destinées à alimen-
ter les discussions ne doivent pas être des a priori de l’explication, mais être
ajustées à l’acte de lecture et de discussion.
Nous sommes ici dans une gestuelle de la visée : de manière quelque
peu provocatrice, on pourrait dire que l’attention portée aux mécanismes de
pensée en fonction de l’objet de la discussion est plus importante à l’école que
l’intention proprement littéraire et/ou philosophique.
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Ces modes de pensée si difficiles à percevoir réclament une analyse
continue des interactions par où ils se manifestent. Là encore, le travail sur la
DVL et la DVP est révélateur de la composante essentiellement langagière des
gestes professionnels. Mais sur ce point, on ne saurait oublier que le texte est
un acteur de l’interaction. Le choix du dispositif et de la forme dialoguée
(orientation dialectique, polémique, délibérative de la discussion), le rôle et
les fonctions de la parole du maître dans les conduites explicatives, la média-
tion non-orale (les productions écrites qui étayent la discussion) sont in fine
tributaires de la voix du texte.
C’est bien le texte littéraire – et la langue du texte – qui autorisent la
zone de tension dont nous parlions au début de cette section. Elle ne relève
pas de prises de position disciplinaires mais se trouve inscrite dans le proces-
sus même de création. Le dernier mot resterait donc au langage : lorsqu’un
enseignant revient au cours du travail interprétatif sur le terme « banni » dans
l’album Yakouba pour demander aux élèves de préciser sa définition, l’exi-
gence lexicale toute littéraire inscrite dans ce geste d’ajustement n’est-elle
pas le premier pas vers un travail conceptuel sur le courage ?
7. DE LA PROFESSIONNALITÉ ANALYSÉE
À LA FORMATION : QUELLES PRÉCAUTIONS
POUR LE CHERCHEUR ?
Ces différents aperçus de nos travaux et réflexions nous amènent à
mettre en discussion deux questions :
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Pour autant elles sont éclairantes pour entrapercevoir les logiques profondes,
l’histoire et l’expérience des sujets, mais aussi expliquer de nombreux ajuste-
ments dans l’action. Il s’avère cependant qu’une démarche de type ethnologi-
que (immersion dans le milieu pour une observation longue des habitus de la
classe) semble tout aussi nécessaire pour collecter les informations.