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Note d’information

du 18 Janvier 2020

Le Comité Scientifique Corse COVID

Mylène Ogliastro, Josette D’All Ava-Santucci, Dominique Barbolosi, Bernard Lecomte

• Cette note est une auto-saisine. Elle a pour but d’informer et d’expliquer les
risques sanitaires pour la Corse au regard de la situation internationale. Elle est
destinée à chaque citoyen.
• Comme les publications précédentes, cette note se base sur une analyse rigoureuse
des données et de la bibliographie scientifique internationale.

__________________________________________

La circulation du virus au niveau mondial, l’émergence très rapide de variants depuis le


mois de Septembre, leur plus grande transmissibilité et leur rapidité de diffusion, des
mutations (variants « Afrique du Sud et Brésil-Japon») qui permettent d’échapper à
l’immunité, sont autant d’éléments qui inquiètent beaucoup les scientifiques.
Ils font entrevoir une nouvelle pandémie si la circulation des variants n’est pas contrôlée.

Nous voulons attirer l’attention sur la situation internationale et en particulier sur ce


"variant" anglais (V1) qui risque à court terme de faire chavirer de nouveau la situation
sanitaire. Un risque qu’il est préférable de considérer comme hautement probable.
En effet les données épidémiologiques confirment la transmissibilité accrue du variant V1
de +50% (donc une augmentation en conséquence de son « R0 »)1. Ce variant est à ce jour en
France à une frequence qui a été estimée à 1,4%. Les modélisations suggèrent son
augmentation en fréquence entre fevrier et avril, une variabilité qui sera fonction de la rigueur
des mesures barrières appliquées...

Le rapport et les modélisations de S. Cauchemez (rapport du CS national détaillé ci-


dessous) présentent les conséquences sur le système de santé, d’une augmentation de la
transmission de 50%. Pour rappel, ce V1 n’est pas plus virulent, mais sa plus grande
transmissibilité conduira de facto à augmenter le nombre de cas et donc celui des
hospitalisations.
Differents scenarios sont considérés pour évaluer l’impact du variant V1 sur le système
hospitalier (dynamique, Refficaces). Ces estimations (détaillées ci-dessous) montrent que plus
l’augmentation en fréquence du variant sera rapide (occurrence en Février, Mars ou Avril sur
les courbes), plus l'amplitude de cette 3e vague sera importante, en l’absence de renforcement
des mesures de restrictions.
La vaccination aura un effet « aplatissant » sur les courbes, mais sera insuffisante pour
empêcher une nouvelle mise en tension des hôpitaux. Un renforcement des restrictions
(confinement) permettrait de limiter l’amplitude des courbes. Un re-confinement strict est, de

1
Volz et al. Transmission of SARS-CoV-2 Lineage B.1.1.7 in England: Insights from linking
epidemiological and genetic data.
medRxiv2020.12.30.20249034;doi:https://doi.org/10.1101/2020.12.30.20249034
l’avis des épidémiologistes, le seul à même à ce jour de casser les chaines de transmission de
ce variant et de contrôler également l’émergence des 2 autres variants (Afrique du Sud et Brésil
qui présentent les mêmes caractéristiques de transmissibilité augmentée, avec en plus un risque
accru d’échappement immunitaire.
Enfin, nous voulons attirer l’attention sur les chaines de transmission dans les écoles qu’il
faut également surveiller afin de mieux les contrôler. A ce jour, on manque de données en
France mais les extrapolations des analyses anglaises montrent une forte circulation du virus,
et plus importante pour le variant, chez les 10-19, alimentant des chaines de transmission
famille-école.

Compte tenu de ces données, le renforcement des mesures de restriction semble une
option forte, à laquelle il faut se préparer ; le couvre-feu est un des deux scenarios proposés
par le CS national dans son rapport.
L’Angleterre a vécu cette 3e vague due au variant malgré l’alarme des scientifiques et après
un « laisser-aller » sociétal et décisionnel certain. Israel vient également de reconfiner malgre
un effort énorme de vaccination (20% de la population est vaccinée) mais qui n’a pas été
suffisant et/ou trop tardif pour « prendre de cours » une nouvelle vague. L’Allemagne durcit
également ses dispositifs préventifs.
La situation est critique et met les prochaines semaines à haut risque. Il nous faut anticiper
l’arrivée de cette 3eme vague pour en diminuer l’amplitude en Corse.

Préconisations pour la Corse.


• Vacciner au plus vite les plus fragiles, nombreux en Corse, compte tenu de la
démographie. La Corse a eu une exposition moindre au virus comparé à d’autres
régions, ce qui a protégé jusque-là les plus fragiles. Mais cela a comme corolaire d’avoir
entrainé une immunisation plus faible de la population (environ 2x moins). Il faut donc
vacciner davantage. L’immunisation est efficace au bout de 2 semaines. Il faut donc
fortement conseiller un isolement entre les 2 injections car l’efficacité de la première
injection vaccinale n’est que de l’ordre de 50%. (Elle est de 90-95% après la seconde
pour les vaccins Pfizer-BioNtech et Moderna).

• Rappeler l’importance du maintien des mesures barrières, en particulier la


distance physique et les protections contre les aerosols (masques). Favoriser les
masques chirurgicaux (ajouter un masque tissu augmente le niveau de protection). Les
variants sont plus transmissibles. Il faut se protéger davantage.

• Amplifier le « tester-isoler ». Les tests salivaires sont disponibles. Ils sont moins
invasifs et doivent permettre d’amplifier la surveillance. Insister sur l’isolement et la
logistique d’accompagnement.

• Contrôler les entrées (ports-aéroports) avec les tests. Nous réitérons la préconisation
de cette méthode qui limite les risques d’introduction du virus en Corse. Elle est
relativement simple à mettre en œuvre pour les iles. La Guadeloupe/Martinique ont
assorti les tests à un isolement d’une semaine. Nous sommes conscients des contraintes
qu’une « quarantaine » imposerait aux corses, aussi les mesures de tests renforcées
serait une alternative permettant de concilier sanitaire et économique/social. La Corse
est encore à un niveau épidémiologique relativement bas. Ces mesures préventives
doivent s’appliquer au plus tôt.
• Contrôler la présence/fréquence des variants en Corse. Cela peut se faire par test
PCR uniquement pour le V1. Pas (encore) pour les autres variants. Dans tous les cas, il
est important que les échantillons positifs en Corse soient séquencés afin de déterminer
la carte génétique des virus. Les hôpitaux corses doivent être reliés aux plateformes de
séquencages (ex Marseille/IHU, Nice). La France a un retard considérable en matière
de séquencage (ex au 12 janvier : 160 000 séquences de virus proviennent
d’Angleterre ; 40 000 du Danemark, 6000 d’Espagne, 3000 de France). Il est important
aussi que ces informations soient partagées pour être analysées au niveau international
(Gisaid-NextStrain)2. C’est la seule méthode permettant d’avoir un suivi quasi en temps
réel de l’évolution et de la circulation des virus.

• Contrôler la circulation du virus dans les écoles en développant des campagnes


prospectives de tests. Le virus circule en milieu scolaire (en particulier dans les classes
d’âge 10-19ans. Nous réitérons cette proposition faite le 20 Novembre. Elle parait
d’autant plus importante dans le contexte « variant » (données UK détaillées ci-
dessous). Il nous parait important de maintenir les établissements scolaires ouverts. Il
faut le faire dans des conditions qui sécurisent l’ensemble de la population. Développer
des tests sur des « échantillons » scolaires à une fréquence régulière (hebdomadaire par
exemple) serait un outil de contrôle de l’épidémie.

• Contrôler la présence du virus dans les stations d’épuration, via le réseau


« Obepine » (piloté par le Ministère de la Recherche). Un partage des données/bonne
communication est nécessaire entre les différents services collectivités/Etat pour en
faire un outil d’aide à une décision rapide.

Détail des sources et des analyses

1-S. Cauchemez, rapport du Conseil Scientifique National – 12 Janvier 2021


« On se place dans le scénario où la circulation du virus va rester stable (nombre de reproduction
effectif=1) jusqu’à ce qu’on observe une augmentation de la transmission du fait du nouveau
variant. A ce moment, on fait l’hypothèse que le nombre de reproduction va augmenter de 50%
(Reff=1.5).
On se place à ce stade dans le scénario (sans doute peu réaliste) où cette augmentation n’entraîne
pas de renforcement des mesures de contrôle. On étudie l’impact de cette augmentation selon
qu’elle a lieu le 1er février, le 1er mars ou le 1er avril. Les graphiques ci-dessous montrent la
3
dynamique attendue du nombre d’hospitalisations et du nombre de lits de soins critiques lorsqu’on
vaccine (courbes en trait plein) ou pas (courbes en pointillés) et en fonction de la date où la
transmission du virus augmente (1er février : bleu ; 1er mars : orange ; 1er avril : rouge) ».

2
https://nextstrain.org/
3
https://solidarites-
sante.gouv.fr/IMG/pdf/avis_conseil_scientifique_12_janvier_2021_actualise_13_janvier
_2021.pdf
« Dans tous les scénarios, la vaccination permet de diminuer l’impact de l’épidémie sur le système
de santé. Mais l’impact de la vaccination dépend fortement du moment où la transmission
commence à augmenter. Par exemple, par rapport à un scénario sans vaccin, la campagne de
vaccination permet de réduire le nombre d’hospitalisations au pic de 20%, 33% et 44% selon que
le taux de transmission augmente le 1er février, le 1er mars ou le 1er avril respectivement. De même,
grâce au vaccin, le nombre de lits de soins critiques au pic est réduit de 11%, 20% et 37% lorsque
la transmission augmente le 1er février, le 1er mars ou le 1er avril, respectivement.
Bien entendu, étant donné le stress attendu sur le système de santé, des mesures de contrôle
(potentiellement drastiques) seront mises en place pour réduire la circulation virale. La figure ci-
dessous montre comment les dynamiques changent si ces mesures permettent de faire passer le
nombre de reproduction de 1.5 à 1.2. »
2- Situation particulière des écoles
(extrapolée des données en Angleterre - Volz et al., 2021)4
J’avais attiré votre attention sur le manque de données épidémiologiques concernant les enfants
en France et la nécessité d’avoir une « photo de famille » épidémiologique en testant (des
échantillons représentatifs) les jeunes adultes (10-19 ans). Les données récentes au Royaume
Uni ont confirmé cette circulation et montrent une augmentation de la circulation du virus
variant (Figure ; S+, en vert le virus historique et S-, en jaune le virus variant) (Volz et al.,
2021 ; COG-UK). On note une augmentation significative du variant (S-) comparée au virus
« historique » (S+) chez les 10-19 ans.

4
Volz et al. Transmission of SARS-CoV-2 Lineage B.1.1.7 in England: Insights from linking
epidemiological and genetic data.
medRxiv2020.12.30.20249034;doi:https://doi.org/10.1101/2020.12.30.20249034
Volz et al. Transmission of SARS-CoV-2 LineageB.1.1.7 in England: Insights from linking
epidemiological and genetic data

Actuellement aucune donnée virologique n’indique une plus grande sensibilité de ces classes
d’age. L’hypothèse la plus plausible serait une transmission plus efficace dans un contexte
(scolaire-periscolaire) où les mesures barrières sont plus relâchées dans ce groupe d’âge. Ces
données montrent aussi la circulation importante du virus dans les familles (20-49 ans) avec
une boucle famille-ecoles qui semble entretenir la circulation du virus.
J’attire donc de nouveau votre attention sur la nécessité de mesures préventives par les tests en
milieux scolaires pour savoir quelle est le niveau de circulation du virus dans la
population…On ne peut rester sans données « en attendant le variant » qui, à la différence de
Godot présente un risque fort d’arriver…

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