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RECEnsIons D’ouvRAgEs
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Chris Ealham, Barcelone contre ses habitants, 1835-1937, quartiers ouvriers
de la révolution, Toulouse, Collectif des métiers de l’édition, coll. « Les
réveilleurs de la nuit », 2014, 97 p.
C’est un petit éditeur indépendant et engagé, fonctionnant en autogestion,
le Collectif des métiers de l’édition (CMDE) à Toulouse, qui propose la première
traduction française des travaux de l’historien anglais Chris Ealham sur
Barcelone au xIxe et xxe siècles. Spécialiste de l’histoire contemporaine de
Barcelone et de la guerre d’Espagne, Chris Ealham a soutenu sa thèse à
Londres en 1995 1 et enseigne à l’université Saint-Louis de Madrid, tout en étant
aussi chercheur à l’université de Nottingham. Il a notamment publié un livre
remarqué, Anarchism and the city: revolution and counter-revolution in
Barcelona, 1898-1937 (AK Press, 2010, première publication sous un autre titre
chez Routledge en 2005). L’ouvrage publié en français par le CMDE est inédit
et représente une forme de résumé de ce travail sur la structuration des classes
1. Le titre de la thèse est « Policing the Recession: Unemployment, Social Protest and Law-and-
Order in Barcelona, 1930-1936 », que l’on peut traduire par « Le contrôle policier de la réces-
sion : chômage, contestation sociale et ordre public à Barcelone, 1930-1936 ».
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ouvrière barcelonaise et du mouvement ouvrier, en particulier anarcho-syndi-
caliste. Le plan de l’urbaniste Cerdà, qui conduisit à la construction de
l’Eixample (extension) à partir de 1859, prévoyait initialement la destruction
du Raval, mais les propriétaires locaux s’y opposèrent et seule une petite partie
du quartier fut détruite pour ouvrir la large avenue des Ramblas, reliant les
nouveaux quartiers au port. Dans les années 1920, la seconde révolution
industrielle barcelonaise entraîna une réorganisation géographique de l’indus-
trie et de la classe ouvrière avec un déplacement progressif en périphérie. Ne
restèrent dans le Raval que les ouvriers les plus pauvres, notamment les marins
et les dockers, tandis que les anciens entrepôts et ateliers furent transformés en
lieux de sorties nocturnes (cabarets, dancings, maisons closes), dont la demande
devint particulièrement forte pendant la Première Guerre mondiale : la neutra-
lité de l’Espagne y attira les « fêtards » de toute l’Europe et Barcelone fut
surnommée la « Paris du Sud ». La prostitution de rue y était forte et joua un
rôle important dans la panique morale des classes dominantes par rapport à ce
quartier. La densité atteint 100 000 habitants au kilomètre carré dans les
années 1930, avec la construction d’un habitat informel sur les toits des
immeubles, et surtout la subdivision des logements à cause de la hausse des
loyers. Chris Ealham montre que le mythe du « Barrio chino », créé à la
même époque, mêle des représentations hygiénistes, moralistes et surtout
conservatrices à l’encontre d’un quartier ouvrier décrit comme malade (et
menaçant de contagion le reste de la ville), voire racialisé comme en témoigne
le nom de « quartier chinois », réactivant le discours des années 1880 sur les
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« classes dangereuses ». Il pointe le fait que cette représentation est avant tout
une représentation de classe, à la fois des classes dominantes conservatrices et
des réformateurs se voulant progressistes comme les nationalistes catalans, plus
nombreux parmi la petite bourgeoisie intellectuelle. Ce mythe du Barrio chino
amalgame des problèmes différents, qui se posent aux habitants du quartier ou,
le plus souvent, aux classes dominantes, et dont les causes sont bien souvent
à trouver du côté de la production capitaliste de la ville et de l’exploitation de
la classe ouvrière. Il permet d’occulter ces causes en faisant de tout cela un
problème d’ordre public et en justifiant la répression ou les campagnes de
moralisation, qui sont autant de manifestations d’une volonté de reprise en main
du quartier par les classes dominantes. En mettant en avant le désordre et la
déchéance morale supposés du quartier et de ses habitants, ce mythe occulte
aussi la forte structuration politique du quartier, l’ordre ouvrier qui menace la
domination bourgeoise. C’est là que l’ouvrage de Chris Ealham est très
précieux : il met au jour des éléments que ce mythe occulte dans la vision que
l’on présente encore aujourd’hui de l’insalubrité des quartiers ouvriers anciens
(et dans le même but : les détruire ou les normaliser). L’auteur refait vivre en
effet la forte sociabilité et les pratiques d’entraide et d’échanges au quotidien
qui structuraient le quartier, une identité locale affirmée comme indépendante
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et s’appuyant très concrètement sur une « sphère publique prolétarienne »
faite de coopératives, de mutuelles, de lieux d’éducation et de moyens d’infor-
mation propres à la classe ouvrière, autogérés, ainsi que de sections syndicales
et de centres sociaux. Cette structuration ouvrière, dont on peut avoir du mal
à imaginer la force à l’époque, se traduisit par des révoltes successives, nette-
ment appuyées sur la capacité à tenir le quartier, notamment par le dispositif
des barricades 2. C’est aussi contre cela que joue le mythe du Barrio chino
dégénéré et on comprend alors le titre de l’ouvrage, Barcelone contre ses
habitants, qui désigne le caractère contre-révolutionnaire de la réforme urbaine
(telle qu’elle est menée par les classes dominantes, qu’elles soient conserva-
trices ou progressistes).
La seconde partie du livre, intitulée « Le mythe de la foule enragée »,
s’attaque à une autre idée reçue concernant la révolution de 1936 en Espagne,
vue comme une irruption de violence irrationnelle du peuple, encore aujour-
d’hui chez certains historiens. Après la proclamation de la Seconde République
espagnole en 1931 et l’élection du Front populaire en février 1936, le complot
militaire nationaliste impliquant Franco et d’autres généraux déclenche une
révolution sociale : les ouvriers armés prennent possession d’une grande partie
des entreprises, des biens de l’Église et collectivisent les terres. À Barcelone,
le peuple en armes s’approprie également la ville et met en œuvre un urbanisme
2. Voir Éric Hazan, La Barricade. Histoire d’un objet révolutionnaire, Paris, Autrement, 2013,
169 p. et le compte-rendu de l’ouvrage dans le numéro 159 de la revue.
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pensé comme un moyen de défendre les intérêts ouvriers, mais aussi comme
une structure politique révolutionnaire anticapitaliste et comme la cellule de
base pour l’organisation d’une société nouvelle, égalitaire et autogérée. Le
grand intérêt de l’ouvrage de Chris Ealham est de dévoiler une partie (car il est
très court) de la dimension urbaine de ce projet révolutionnaire. Ainsi, l’urba-
nisme révolutionnaire se traduit par l’occupation et la récupération des beaux
quartiers et des symboles du pouvoir (y compris les bâtiments religieux) par
les comités antifascistes de quartier et les syndicats. La via Laetania, considérée
comme la Wall Street de Barcelone, bordée de sièges de banques et d’hôtels
prestigieux, devient le nouveau centre du pouvoir ouvrier, les différents
bâtiments étant occupés par plusieurs groupes antifascistes (comme le POUM 3)
et syndicats (comme la CNT-FAI 4). Sachant que cette avenue avait été construite
en démolissant un ancien quartier ouvrier, son occupation par les ouvriers
mobilisés fait figure de récupération légitime. La réquisition des bâtiments du
pouvoir comme des lieux d’habitation des membres de la classe dominante qui
avaient fui la ville s’accompagna du changement du nom des rues (la via
Laetania devenant la via Durruti), de la destruction de certains monuments à
3. Parti ouvrier d’unification marxiste, parti marxiste révolutionnaire anti-stalinien, dans lequel
combattit notamment George Orwell (Hommage à la Catalogne, 1938 pour l’édition anglaise,
1955 chez Gallimard pour la traduction française).
4. Confédération nationale du travail, anarcho-syndicaliste, principale organisation syndicale à
l’époque. Elle est liée sans s’y limiter à la Fédération anarchiste ibérique.
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sont pas très éloignés des auteurs du mythe du Barrio chino). L’urbanisme
révolutionnaire que présente Chris Ealham permet aussi de relativiser nettement
les prétentions progressistes de l’urbanisme aujourd’hui. Cet urbanisme révolu-
tionnaire l’est autant dans sa forme et ses réalisations concrètes que dans son
mode d’action, non planifié et autogéré par les principaux intéressés sans
intermédiaire. C’est le droit à la ville en acte, proche de ce que proposa Henri
Lefebvre. Déjà à cette époque, on peut saisir nettement l’opposition qui existe
entre cet urbanisme révolutionnaire mené par les classes populaires auto-
organisées et l’urbanisme réformateur et centralisé prôné par l’État républicain
et porté par la petite bourgeoisie intellectuelle – d’ailleurs dénoncé par Lefebvre
dans les années 1960.
Anne Clerval
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Hélène Bacqué, explore les différences entre les intentions affichées et les
projets concrets. Si les procédures de rénovation mettent majoritairement en
avant la nécessité d’associer les habitants, les exemples montrent des pratiques
plus timides en matière de concertation, alors même que les auteurs soulignent
les effets traumatisants des projets pour les populations résidentes.
Le troisième, « Quelles mixités », présenté par Marie-Christine Jaillet,
analyse la place de l’impératif de mixité sociale dans ces opérations, en France
comme en Europe du Nord. Il revient sur les significations variées que peut
prendre ce terme selon les contextes et sur l’efficacité souvent limitée des
mesures visant à assurer une « réelle » mixité dans les opérations.
Le quatrième, « Reloger : pratiques et effets sociaux », présenté par Jean-
Yves Authier, étudie les effets sociaux occasionnés par la généralisation des
opérations de démolition dans les projets de rénovation urbaine, en particulier
pour les publics dits fragiles : « La démolition reste une épreuve et le reloge-
ment une contrainte ». Il s’agit alors de comprendre comment les ménages
relogés vivent ces bouleversements sociaux et spatiaux.
Le dernier, introduit par Renaud Epstein, intitulé « La rénovation urbaine
est-elle évaluable ? », met en évidence la difficulté de la France à établir à la
fois des protocoles efficaces pour l’évaluation des politiques menées et un réel
dialogue entre action publique et monde de la recherche.
La force de l’ouvrage est de tisser des liens entre les différents chapitres
et d’identifier des questions de recherche transversales. L’introduction de
l’ouvrage offre de ce point de vue un bel exemple de synthèse. Parmi toutes
les questions posées, l’analyse des paradoxes de la rénovation urbaine figure
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chercheurs sont aujourd’hui confrontés.
Jérôme Dubois
valoriser tout autant qu’à le pacifier, comme c’est le cas des grands ensembles
analysés dans cet ouvrage. Il est de plus associé aux insécurités et délits
véhiculés en permanence par les médias, qui n’en représentent pas moins une
part de réalité et un problème pour ces quartiers » (p. 5).
Confronté à cette réalité, l’ouvrage analyse la riche complexité des
pratiques spatiales des parkings des ensembles de logements des années 1960-
1970, apparemment peu connues de ceux qui ne cumulent comme autres
expériences que les plus répandues parmi les classes moyennes et de ceux qui
regardent avec les yeux des médias, mais aussi – c´est le pire – des acteurs dans
des opérations de rénovation ou réhabilitation de grands ensembles où le
parking, â côté des tours et des barres, occupe une place physique et symbo-
lique fondamentale. D’où l’opportunité de cette recherche mais aussi la perti-
nence de son approche ethnologique.
Dominique Lefrançois insiste à plusieurs reprises sur la profondeur de
l’incompréhension de la complexité fonctionnelle et symbolique, des règles de
ces espaces, sur les difficultés exprimées dans la réhabilitation urbaine des cités.
Elle soutient, par contre, que les parkings pourraient « offrir, eu égard aux diffé-
rents formes d’appropriation [bien mises en évidence par son ouvrage], un point
d’approche pour regarder autrement les quartiers » et, à la limite, pour investir
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sur des projets moins contradictoires avec la vie quotidienne et l’habiter de ceux
qu’y résident… et (comme on lit juste à la fin du texte, aussi plus réussis du point
de vue de la « mixité sociale », p. 160). Voilà, sans doute, la motivation majeure
de la recherche menée : l’engagement de l’auteur dans une certaine critique du
renouvellement des quartiers ayant le parking comme angle d’attaque.
Par rapport à la relation établie entre les buts de la recherche (saisir
« l’existence – rarement prise en compte – et la diversité » des pratiques
spatiales des parkings afin de leur conférer « un peu plus d’identité et de
matérialité ») et la méthodologie mise en place, le choix de l’observation
directe et la presque centaine d’entretiens 1 – menés sur deux terrains franci-
liens sélectionnés – s’avèrent pertinents : les parkings du Quartier du Palais à
Créteil (Val de Marne) et de la Cité des 3000, maintenant rebaptisée La Rose
des Vents, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).
Le chapitre introductif n’est pas très long mais fort suggestif et particu-
lièrement juste par rapport à la présentation des apports de l’ouvrage dont
l’hypothèse centrale, bien soutenue, est que le parking constitue un « lieu riche
de certaines sacralités » qui lui sont conférées, non par ses caractéristiques
spatiales propres, mais (i) par l’objet qu’il contient, la voiture, et (ii) par la
présence des habitants qui l’investissent comme un prolongement de leur
1. Remarquons que, malgré cette quantité énorme d’entretiens, les extraits ne sont pas très
fréquents dans l’ouvrage, où l’auteur s’interpose très souvent entre la parole des interviewés et
le lecteur.
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non plus. La possession de ce bien dont l’achat semble plus accessible que les
frais de fonctionnement (cause fréquente d’immobilisme) répond en priorité,
dans les cités, à trois besoins de déplacement : les courses, les visites à la famille
ou aux amis, et les besoins plus rares comme le loisir et les vacances (cf. les
p. 56-59, très intéressantes), les urgences médicales et autres.
La voiture est jugée comme indispensable par les habitants des quartiers,
surtout quand ils ont des enfants, et même si elle est peu utilisée. De fait, la
voiture reste immobile dans l’espace résidentiel et le stationnement devient un
« problème aigu » (p. 48) qui déborde sur l’espace public. Elle fait l’objet d’une
double vulnérabilité : celle de l’insécurité et celle de l’illégalité du stationne-
ment, très souvent en raison du manque de place de parking (tandis que les box
servent à des usages multiples et les souterrains ne sont pas bien adaptés). La
« demande récurrente de places de stationnement » fourni ainsi à l’auteur
l’occasion de faire la critique des « dispositifs de la démocratie participative »
tels que les comités de quartier mais aussi des pratiques de réhabilitation et, en
général, des contradictions des représentations concernant le réaménagement
et la réhabilitation des quartiers (p. 60-75).
2. « Figures du parking » est consacrée à une critique agile et fluide des représentations de la
voiture comme objet d’identifications et de partages, ainsi que du parking, « parent pauvre des
études d’urbanisme », progressivement dissocié du logement et devenu élément omniprésent des
formes urbaines fonctionnalistes qui, en se prétendant « sur le parc », ont été effectivement réali-
sées très souvent « sur le parking ».
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règnent sur les parkings » (p. 9).
Les conclusions proposent une bonne synthèse des contenus de l’ouvrage
et le volume se termine par les notes consignées par chapitres où se mêlent les
références bibliographiques 3. Ce choix, qui n’offre pas une lecture très aisée,
ne nuit pas à la très élégante et austère beauté – le plaisir, en fait – de la mise
en page de l’ouvrage (par ailleurs, signe d’identité des Éditions de La Villette).
Comme pédagogue de l’urbanisme, j’apprécie particulièrement l’intention
(exprimée et réalisée) par l’auteur de proposer aux architectes et urbanistes une
approche du parking par ses usages (p. 159). L’ouvrage constitue une belle
contribution à la connaissance des modes populaires d’habiter (le parking)
spécialement lacunaire chez les concepteurs (…mais aussi chez les gestion-
naires et, plutôt, les décideurs !). Par rapport à ce regard pédagogique, je ne
regrette que l’absence totale d’illustrations. Le manque de photos est bien
justifié (« Entrer en un parking […] n’est pas toujours facile. […] les photo-
graphies ne sont pas toujours bien accueillies », p. 9), mais il aurait été possible
de faire appel à d’autres ressources graphiques pour appuyer certains contenus.
Car, si le parking reste un espace sans qualités intrinsèques, les quartiers
étudiés ne le sont point. La représentation spatiale – même schématique – des
formes, de la disposition relative des bâtiments, des logements et des parkings,
3. Le peu de références ultérieures à 2004 montre soit le manque évident d’études sur le
parking soit l’effet du décalage entre la thèse doctoral et sa publication.
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tifique (MINO.IS 3) a été porté par la Maison des Sciences de l’Homme (MSH) de
Clermont-Ferrand, l’Université Blaise-Pascal avec le Centre d’études et de
recherches appliquées au Massif Central (CERAMAC) ainsi que le Centre de
recherche sur les littératures et la sociopoétique (CELIS). Il s’intègre dans l’axe
transversal et inter-centre intitulé « Dynamiques Interculturelles ».
Le titre de cet ouvrage, Minorités isolées en Amérique du Nord,
Résistances et résiliences culturelles, coordonné par Franck Chignier-Riboulon
et Anne Garrait-Bourrier, évoque les enjeux de la reconnaissance identitaire
des populations d’Amérique du Nord. En outre, il appelle la question de la
position des individus et groupes historiquement assignés à la place de subal-
terne dans le ménagement du vivre-ensemble autant que leur rôle dans les
stratégies de développement territorial qui en découle. Les travaux restitués
portent donc le regard sur les « minorités isolées » en territoire nord-améri-
cain (Canada, États-Unis) et, plus largement, sur les « mineurs isolés » ainsi
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des relations de pouvoir et des dynamiques d’émancipation. Au-delà de leur
restitution, de leur définition et du traitement ou des interprétations qui en sont
faits dans le chapitre liminaire, ces mots sont particulièrement importants
puisqu’ils attachent et raccrochent les diverses contributions les unes aux
autres. Ils donnent une cohérence à l’ensemble mais coupent, dans le même
temps, les moyens de penser la « minorité ». C’est ce que tente de faire plus
loin, de façon assez descriptive, Alan Velie 4 dans l’introduction de la deuxième
partie Minorations ethniques et sociales (p. 159-164). Sa présentation offre, par
ailleurs, une bonne synthèse réactualisée de la littérature portant sur les
« minorités isolées », mais sans trop insister sur la notion, le concept et l’objet
d’étude ni même sur les problèmes fondamentaux que posent les manières de
concevoir la/les « minorité(s) », dans toute l’acception du terme.
Cependant, ceci n’est pas l’aspect le plus vif de la critique. En effet, la
signification que reçoit la notion de « minorités isolées » relève essentiellement
d’horizons culturels, linguistiques et ethniques, oblitérant parfois les spatialités
et la spatialisation. Les choix d’approches méthodologiques, épistémologiques
et conceptuelles (empruntées aux différents champs disciplinaires tels que la
géographie, l’anthropologie, l’ethnologie… et la littérature) revêtent davantage
un sens culturel, en apportant un éclairage sur la mise en contact et les
dynamiques des cultures au risque d’ailleurs de les opposer. En ce sens, la
4. Alan R. Velie est professeur d’anglais et spécialiste des études amérindiennes, Université de
Norman, Oklahoma, États-Unis.
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qu'aux étudiants qui s'intéressent, d’une part, aux contacts entre cultures et,
d’autre part, aux relations entre cultures et pouvoir, il est également d'une
grande utilité pour les acteurs et les professionnels qui intègrent les dynamiques
identitaires individuelles et collectives dans leurs pratiques mais aussi pour les
citoyens concernés par ces questions. De ce point de vue, l'effort collectif de
mise en débat et de réflexivité, d'approche croisée de données théoriques et
empiriques, de même que l'articulation de textes, de cartes, d'images, etc. fait
de cet ouvrage – dont la double portée est la géographie humaine combinée aux
Cultural Studies – un support pour problématiser et pour argumenter les
diverses situations minoritaires dans leurs multiples dimensions (sociale,
spatiale, symbolique, politique, etc.), échelles et temporalités.
Sans pour autant souscrire à toutes les analyses présentées ici, il m’a
semblé que l’originalité de cette exceptionnelle compilation est de pointer les
situations de paradoxes et les contradictions qu’implique la segmentation des
citoyens, des groupes ou des sociétés selon des critères socioéconomiques,
ethniques et culturels… Ainsi, cet ouvrage contribue à combler cette lacune,
dans le champ des études (inter-) culturelles, en déconstruisant les images
mentales desséchées tout autant que les clichés passéistes qui lient majeur et
mineur (au sens deleuzien), dominant et dominé, colonisateur et colonisé,
maître et esclave.
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« réduites à leur configuration géométrique et position spatiale » (p. 7), avec
pour terrains, majoritairement, une mise en parallèle entre des espaces urbains
en France et en Chine (avec quelques autres exemples : la Vénétie ou
Amsterdam). Il s’agit d’interroger la morphogenèse urbaine, afin d’établir à
terme un outil d’analyse du développement des réseaux de voirie. C’est un
projet en train de se faire qui est exposé ; son suivi est accessible sur Internet :
www.morphocity.fr
La démarche engagée se veut interdisciplinaire, en ce qu’elle repose sur une
équipe composée essentiellement de physiciens modélisateurs, géomaticiens,
archéogéographes, urbanistes et architectes. Elle se traduit à travers une hypothèse
modélisatrice, dont rend raison l’organisation du livre, en deux volets : « décons-
truire la mosaïque urbaine », car modaliser suppose de commencer par dégager
un nombre limité de mécanismes et d’entités élémentaires que l’on tiendra pour
significatifs, puis engager la construction du modèle. On comprend en ce sens
l’étude du réseau de voirie dans une dimension « filaire » (c’est-à-dire sans
intégrer des variables comme l’emprise au sol ou le trafic généré), par une
approche fondée sur les « dimensions constitutives de la géométrie » (p. 17) :
point, ligne, surface, hauteur (espace 3D), temps et échelle.
Mais, les sciences sociales l’ont largement montré, modéliser, c’est non
seulement simplifier le réel (ce qui est bien dit d’emblée p. 13 : « rechercher
s’il existe quelques lois simples régissant le tracé des voies urbaines et rurales,
et son évolution »), mais aussi le filtrer et le catégoriser (Lascoumes et
Le Galès, 2005). Autrement dit, ce n’est jamais un acte purement technique,
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progressive restituée par Clément-Noël Douady : repenser ce que désigne une
ligne, un réseau, mais aussi des notions comme la croissance urbaine (p. 82 sq.
et 115 sq.) ou encore, fondamentalement, la forme urbaine (y compris dans la
deuxième partie du livre, p. 209 sq.). Peut-être y a-t-il là, du reste, un fil
conducteur qui aurait pu davantage ressortir dans les réflexions des auteurs, en
relisant la proposition importante d’Henri Lefebvre en 1970 (signalée p. 209),
définissant la forme urbaine comme à la fois une « représentation incarnée »
et une « abstraction concrète » (Lefebvre, 1970, p. 159) ; de quoi interroger les
démarches de modélisation des pratiques du social (Viala, 2005).
Dans la deuxième partie du volume, la présentation des fondements de la
modélisation s’accompagne de retours des membres du programme sur leur
recherche commune ; ces points de vue et ces études de cas sont à la fois signi-
ficatifs du travail en train d’être mené et des regards disciplinaires (les auteurs
sont, dans ce volet, cités avec leur discipline d’appartenance).
Un certain nombre de limites peuvent poindre sur ce plan. La première est
matérielle : l’absence de bibliographie finale à l’ouvrage fait défaut, d’abord
parce que bien des contributions de la deuxième partie mentionnent, à l’appui
du raisonnement, des références qui ne sont in fine pas fournies ; ensuite, parce
que le projet interdisciplinaire lui-même suppose de veiller à cet appareil
critique, dans le but de partager les sources et les savoirs.
La seconde est le défaut de la qualité première du projet : nous ouvrir à une
recherche en cours. Le prix semble alors être l’absence d’un texte introductif
et d’une conclusion, dégageant des lignes de force et de perspective. La portée
heuristique de l’ouvrage en aurait été renforcée.
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sciences « exactes » et sciences sociales. Quelques lignes de Bernard Kalaora
et Chloé Vlassopoulos invitent à prolonger l’échange en direction de la problé-
matique environnementale (comprise dans le référentiel du développement
durable mentionné par les auteurs) : « Il faut dire que dans son ambition de faire
de la science la condition du partage des savoirs, la pratique interdisciplinaire
reléguait de fait les sciences sociales à un statut de second plan. Dans cette
compétition pour une modélisation intégrative, les sociologues ne pouvaient
se définir autrement que comme des prestataires de service, ce qu’ils refusaient,
démarche qui alors ne faisait qu’amplifier et conforter les malentendus et les
faux amis » (Kalaora et Vlassopoulos, 2013, p. 102).
On l’aura compris, l’ouvrage de Clément-Noël Douady et de l’équipe
Morphocity soulève différentes questions, qui suscitent l’intérêt du lecteur, et
l’on souhaite que la poursuite de ces recherches conduise à formuler des
pistes de réponses.
RéFéREnCEs bIblIogRApHIquEs
Denis Martouzet (sous la dir. de), Ville aimable, Tours, Presses universitaires
François Rabelais, 2014, 384 pages.
Ce livre collectif est construit autour d’une série de travaux de recherche
effectués à l’Université de Tours depuis les années 2000 par une équipe
d’enseignants-chercheurs issus pour une majorité d’entre eux du champ de
l’aménagement de l’espace et urbanisme. Les contributions ainsi rassemblées
proposent de prendre au sérieux, et ce faisant d’analyser, les affects et rapports
sensibles liés au monde urbain. L’objectif est « la compréhension des processus
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en œuvre dans la construction du rapport affectif à la ville, les éléments qui
peuvent apparaître déterminants dans cette construction, ceux qui relèvent de
la personne comme ceux qui sont constitutifs de la ville, des images qu’elle
procure et des représentations que l’on s’en fait. » (p. 17).
Or, si cette « boîte noire » des rapports affectifs à la ville constitue un objet
de recherche défriché par la psychologie environnementale ces dernières
années, il reste jusqu’alors peu étudié dans le champ des études urbaines.
L’intérêt de l’ouvrage tient, dans sa volonté d’ouvrir un chantier de recherche,
de poser les premiers cadres théoriques, conceptuels et méthodologiques, de
mettre à jour un certain nombre de résultats issus du terrain. Il se présente, sous
la forme d’une douzaine de chapitres aux formats différents – un entretien, des
articles théoriques, épistémologiques, d’autres plus empiriques – visant le
monde académique d’une part, mais avec le souhait, d’autre part, de contribuer
à nourrir les débats dans le monde de la pratique urbanistique sur ce qui fait
d’une ville, une ville aimable, à savoir « l’appropriation de la ville par ses
habitants, ses usagers, ses visiteurs, plus que la fabrique de la ville » (p. 360).
Sont par exemple explorées les différentes « figures » de relations à la ville
(chapitre 8), ou bien encore la question de l’instrumentalisation des affects des
habitants (chapitres 10 et 11) notamment dans le cadre des campagnes de
communication des villes. Benoît Feildel s’intéresse quant à lui aux modalités
de prise en compte du vécu et du ressenti pour l’aménagement des villes, dans
les projets urbains (chapitre 4) et à la part, la place, des émotions dans le débat
public (chapitre 12).
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et membre du CRH-Lavue, UMR 7118
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logie et dans le débat public, proposant des pistes pour faire de l’environne-
ment « une composante du vivre ensemble ». Si « l’environnement est un fait
social total », il peut être appréhendé sous de multiples facettes. Le chapitre 1
revient sur l’historicité de la question environnementale et il analyse les cadres
cognitifs permettant de penser l’environnement. Cette préoccupation émerge
tardivement en France et elle s’oriente vers une volonté de maîtriser le milieu
(et non de s’adapter à lui). La confusion courante entre nature et environnement,
l’association de celui-ci à « un musée vert », la conservation des espaces
naturels sanctuarisés rendent compte de représentations sociales qui accom-
pagnent un héritage (naturaliste, esthétique, hygiéniste et technocratique),
porteur d’une partition entre la société (et les sciences de la société) et une
administration technique de l’environnement relevant de la sphère publique et
de l’État. Au moment où une vision interdisciplinaire et moderne de l’envi-
ronnement se développe dans le reste de l’Europe et aux États-Unis, notamment
sous l’impulsion de l’écologie urbaine, une nouvelle pensée de l’environnement
émerge en France ; si les anthropologues et les historiens y sont sensibles,
l’environnement fait figure d’intrus chez les sociologues, qui le confinent
dans un cadre académique.
Kalaora et Vlassopoulos adoptent deux angles d’analyse pour répondre à
cette question. Ils soulignent les limites du positivisme qui imprègne la socio-
logie française dans cette thématique : « c’est toujours la société qui influe sur
la nature et le milieu, jamais le contraire » (chapitre 2). L’environnement est
constitué comme une question politique dont la gestion revient à une « adminis-
tration éclairée », ayant l’ambition de maîtrise et de prévoyance. Les rapports
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Dans le chapitre 6, dédié à la globalisation et à ses conséquences sur l’envi-
ronnement, les auteurs esquissent une gouvernance de l’environnement consi-
déré comme un bien commun, dans le cadre d’un développement durable inscrit
dans une démocratie technique. Ils posent les jalons de nouvelles probléma-
tiques, vastes et complexes, qui sont ébauchées de manière trop succincte et
mériteraient une nouvelle publication. Paradoxalement, les auteurs brossent un
tableau d’une gouvernance du développement durable qui met face à face les
systèmes sociotechniques et les systèmes naturels, mais en continuant à faire
l’économie d’une analyse de la dimension sociétale du développement durable.
Malgré cette limite, cet ouvrage concilie plusieurs objectifs essentiels : il
resitue la sociologie française de l’environnement dans sa genèse et dans son
contexte international ; il interroge les liens entre action publique, politique et
recherche sur l’environnement, en soulignant la place des sciences sociales ;
enfin, il montre l’urgence de décloisonner les approches par un processus inter-
disciplinaire, non seulement entre disciplines, mais aussi entre des formes de
savoirs et d’expériences humaines de l’environnement.
Josiane Stoessel-Ritz
Maître de conférences
Université de Haute-Alsace, UMR SAGE
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car cet espace transnational est pour elle un marché important et son « arrière-
cour ». En l’absence de leadership, les pays fondateurs de l’ASEAN n’ont pas
de vraie politique de développement commune et partagée. Les chercheurs font
un bilan critique de la performance globale des corridors, plus belle dans les
discours politiques que dans la réalité. L’ouvrage rassemble des analyses fort
intéressantes sur le développement économique, politique et culturel de l’Asie
du Sud-Est.
La première partie traite du développement économique transnational et
de l’intégration régionale de la zone, avec quatre contributions de Nathalie Fau,
Christian Taillard et Ruth Banomyon. Le concept de région est supranational.
Il renvoie à des accords commerciaux entre les pays membres de l’AFTA, les
quatre principaux étant la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie et le Vietnam. Ces
pays prennent pour modèle d’intégration régionale l’Union européenne, le
NAFTA 2 et le MERCOSUR 3. Dans les années 1990, 186 accords régionaux ont été
reconnus par l’OMC (Organisation mondiale du commerce).
Si l’AFTA réunit formellement dix pays, la réalité géographique et écono-
mique de la région distingue la zone « continentale » et la zone « maritime ».
La partie continentale, le GMS (Great Mekong Sub-Region), est constituée de
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ceux du Laos et de la Thaïlande. Le corridor Sud-Sud part du Sud de la
Thaïlande, longe la Malaisie, jusqu’à Medan en Indonésie. Dans la partie
maritime (IMT), la route intermodale maritime-routière longe le détroit de
Malacca par la Malaisie, pour aller de l’Indonésie à la Thaïlande. La Malaisie
est un pôle important d’interconnexion. Elle relie les zones GMS et IMT.
Singapour, au bout de la péninsule malaisienne, développe ses ports de mer et
ses zones de stockage pour l’interconnexion mer-rail-route entre le GMS et l’IMT.
Contrôlant la porte du transport maritime entre le Pacifique et l’Océan Indien,
Singapour possède le 2e port mondial de containers (après Shanghai). La
Malaisie possède deux grands ports, aux 14e et 18e rangs mondiaux.
La première partie analyse ensuite la performance des corridors, en distin-
guant : couloir de transport, couloir urbain et couloir économique (et/ou de
développement). Le premier type de corridor est un simple couloir de transport
dédié à la circulation des flux humains et de marchandises : routes, chemins
de fer, fleuves, lignes aériennes et nœuds reliant ces lignes, c’est-à-dire hubs,
ports (aériens ou maritimes), zones de réception et de stockage des marchan-
dises. En raison de sa topographie complexe, l’Asie du Sud-Est se caractérise
par le transport multimodal.
Le couloir urbain renvoie à une configuration spatiale particulière des
villes, que les auteurs distinguent du modèle polycentrique classique : la côte
Est des États-Unis forme un corridor urbain de 1000 kilomètres, reliant sept
métropoles millionnaires (Jean Gottman) ; mais aussi les corridors Tokyo-
Osaka-Kobe, Londres-Paris-Lyon-Milan, ou le méga corridor Tokyo-Taiwan-
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Manille-Jakarta. Les couloirs urbains de la zone GMS-IMT n’ont pas cette taille,
mais les auteurs montrent que le couloir Bangkok-Malaisie-Singapour-Sumatra-
Java-Bali relie des villes millionnaires et qu’il se développe rapidement.
Un couloir urbain devient un « couloir économique », au sens de l’ONU en
2002, lorsqu’il fait émerger une politique de développement économique
commune à l’ensemble de ces villes. Il offre un cadre politique pour coordonner
les stratégies des acteurs de la zone. Le couloir économique fait converger les
stratégies privées vers des objectifs politiques partagés : réduire les tarifs
douaniers, ouvrir l’accès au marché régional, promouvoir les réseaux indus-
triels et accroître l’interdépendance des secteurs et des économies locales. Le
couloir économique est un outil d’aménagement du territoire et de planifica-
tion économique.
Le classement en trois types de couloir se fonde sur une vision par étapes
du développement : le couloir de transport peut devenir couloir urbain, puis
couloir économique. Ces couloirs sont aussi des dimensions du développe-
ment : matériel, institutionnel et politique. Les auteurs font ensuite le diagnostic
des performances des corridors de la zone GMS-IMT. Chaque corridor est
décomposé selon ses formes principales de transport, puis chaque axe en
tronçons reliant deux centres urbains proches. La performance de l’axe est
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définie sur l’ensemble des tronçons, avec les critères du niveau d’équipement
et de la fluidité du transit des marchandises à la frontière, qui implique l’homo-
généisation des standards logistiques, des normes de produits, des procédures
douanières, etc. Les corridors étudiés ne sont pas des espaces homogènes. Ils
sont constitués de tronçons dynamiques et de tronçons sous-développés. Par
exemple, l’axe Kunming-Hai Phong traverse les villes chinoises de Kunming
(capitale du Yunnan), Hekou et les villes vietnamiennes Lao Cai, Hanoï
(capitale du Vietnam) et Hai Phong. Les tronçons les plus dynamiques sont aux
deux extrémités. Le tronçon médian, Hekou-Lao Cai-Hanoï, reste sous-
développé au niveau de l’équipement ou de la fluidité du commerce. En raison
de la topologie de cette zone montagneuse entre la Chine et le Vietnam, le trajet
Hekou-Lao Cai-Hanoi est une simple route de transport.
Les corridors étudiés dans l’ouvrage sont partiellement séquencés par des
montagnes, des fleuves, la mer, ainsi que par des obstacles administratifs et
réglementaires. En définitive, les grandes villes dominent les corridors et ont
un rôle de leadership (terme des auteurs). Les villes de Kunming, Guangxi,
Hanoi, Danang, Ho Chi Minh Ville, Bangkok, Rangoon, Phnom-Penh, Kuala-
Lumpur et Singapour constituent de puissants pôles urbains. Elles se situent aux
extrémités d’un corridor et lui donnent corps. Les dynamiques les plus remar-
quables sont générées par le transport maritime entre Singapour, la Malaisie
et la Thaïlande et, paradoxalement, par la relation Chine-ASEAN (corridor
Nord-Sud).
La deuxième partie porte sur les enjeux politiques des pays et des territoires
de la région. Elle regroupe les contributions de Sébastien Colin, Marie Mellac,
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militaires (Mellac). Un autre conflit resurgit, la Chine proclamant sa souve-
raineté sur les îles vietnamiennes des Paracels et des Spratleys, conquises par
la force en 1974 et 1988. Ces frontières ne peuvent s’ouvrir vite.
Entre la Malaisie et l’Indonésie, les relations économiques sont plutôt
bonnes. La Malaisie poursuit une politique industrielle et exportatrice réussie
et elle est devenue la vedette des pays émergents (8e pays de l’OMC pour le
volume du commerce extérieur). Elle exploite le détroit de Malacca, l’un des
plus fréquentés au monde : 30 % du commerce international et 50 % de
l’énergie mondiale y transitent (Nazery). L’Indonésie est dépendante de la mer
et elle adopte une politique de développement du transport maritime pour mieux
contrôler ses territoires. Mais la Malaise et l’Indonésie se méfient l’une de
l’autre (Charras). Les Malais craignent l’immigration des Indonésiens, qui
apprécient peu le protectionnisme de la Malaisie.
La conclusion de cette deuxième partie montre paradoxalement le rôle
dominant de la Chine dans cette coopération politique et économique. La
Chine s’y invite car l’AFTA représente un grand marché et une zone-tampon
utiles pour ses intérêts politiques et économiques (Colin). En participant à la
construction politique de la région, la Chine se donne une ouverture maritime
importante. Elle a besoin que les marchandises qu’elle importe ou exporte
passent par cette zone dans les meilleurs conditions. Des coûts de transit
élevés en Asie du Sud Est pénaliseraient les entreprises chinoises, notamment
celles des provinces de Yunnan et Guangxi, dont les exportations constituent
le moteur du développement économique et la condition pour sortir de la
ruralité.
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La Chine cherche à augmenter son influence depuis 2000. Elle a signé des
accords stratégiques de coopération en 2002, 2005 et 2008. Elle accélère la
création des infrastructures de transport et le développement des couloirs
économiques vers le Sud de la zone GMS. Elle investit dans la construction des
routes vers le Laos et le Vietnam. Le China Railways Engineering Corporation
(société nationale des chemins de fer) investit dans les voies ferrées, ports et
zones industrielles en Birmanie, développant 1920 km de rails entre Kunming
et Rangoon. La Chine veut aussi construire un gazoduc de 4000 km entre la
Birmanie et la Chine, avec les réserves d’Arakan. Les Chinois sont pressés,
c’est le mot juste. Ils veulent piloter le développement économique de la
région. Ils doivent également apaiser d’autres conflits, nés de la construction
de plusieurs barrages hydrauliques en amont du Mékong. La Chine est bien
placée, au moins économiquement, pour faire ce pilotage. Le revenu moyen des
habitants de Yunnan et Guangxi est autour de 2000 USD/an, alors que, de
l’autre côté de la frontière, il peine à atteindre 1000 USD/an, au Laos, en
Thaïlande ou au Vietnam.
La troisième partie est consacrée aux configurations spatiales des villes sur
les corridors. Les auteurs étudient la multiplication de ce qu’ils appellent
villes jumelles (twin cities), duos de villes (urban pairs) et triangles de crois-
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sance (growth triangles), comme structures caractéristiques de la dynamique
spatiale de la région GMS-IMT. Elle réunit les contributions de Manuelle Franck,
Amel Farhat, Abdul Rahim Anuar, Muszafarshah Mohd Mustafa, Elsa-xuan
Lainé et Caroline Grillot.
Les villes jumelles sont des villes traversées par la frontière : Ruili
(Yunnan) et Muse (Birmanie), Hekou (Yunnan) et Laocai (Vietnam), MaeSai
(Thaïlande) et Taichiled (Birmanie) etc. Les villes jumelles accueillent souvent
des points de stockage des marchandises, avant ou après le passage de la
frontière. La similarité entre elles facilite le commerce : cela simplifie les
échanges déjà suffisamment compliqués en raison des différences de langue,
de culture et de procédure administrative. Les villes jumelles sont une forme
d’urbanisation intégrée, de part et d’autre de la frontière.
Les duos de villes concernent les villes plus grandes et à distance l’une de
l’autre. Elles sont le centre économique d’une province frontalière, ou le pôle
urbain autour d’un port maritime. Elles régulent les flux commerciaux trans-
frontaliers. Elles ne s’associent pas dans une logique de similarité, mais de
complémentarité, la nature des commandes pouvant être différente entre les
deux côtés de la frontière.
Le « triangle de croissance » est un ensemble dynamique constitué de trois
villes. L’exemple dans l’ouvrage est le SIJORI, un espace entre Singapour, Johor
(Malaisie) et Batam (Indonésie). Entité économique indépendante, le triangle de
croissance regroupe des zones industrielles, des ports terrestres destinés au
chargement et déchargement des marchandises, des zones franches etc. C’est un
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pays voisins.
La dernière partie se centre sur la dimension sociale et humaine des corri-
dors, en particulier la vie des habitants des zones transfrontalières. Elle inclut
trois contributions de Vatthana Pholsena, Vanina Bouté et Danielle Tan. Elles
traitent du vécu des habitants le long du corridor Est-Ouest de la zone GMS, entre
Lao Bao (Vietnam) et Savannakhet (Laos) (Pholsena) ; du développement de
l’inégalité spatiale le long d’un corridor (Bouté) ; de l’arrivée des communautés
chinoises dans des lieux stratégiques du Laos. Cette partie pointe l’écart entre
la belle image de réussite économique dans les discours politiques et la réalité,
beaucoup plus terne, de la vie quotidienne. Des effets négatifs des corridors,
qui ont déjà été mentionnés, sont ici au centre de l’analyse. Les zones trans-
frontalières connaissent beaucoup de problèmes sociaux : la corruption des
agents de l’État, l’économie souterraine, la prostitution et les casinos, le trafic
de l’opium et des drogues, mais aussi des femmes et des enfants. Dans ces
turbulences, on observe des phénomènes de ségrégation sociale et spatiale,
toujours au détriment des personnes aux faibles revenus : agriculteurs, ethnie
minoritaire mal organisée etc. Les habitants demandent parfois simplement un
revenu et un accès aux biens et services publics. Abandonnés par le pouvoir
politique à la main du marché, pour une grande part le marché au noir, des
habitants des corridors payent le développement de l’AFTA par la dégradation
de leur vie quotidienne.
Les coordinateurs du projet Transiter concluent l’ouvrage. Christian
Taillard se centre sur la typologie des corridors et des villes. On regrette ce point
de vue plutôt réducteur au vu de la richesse de l’ouvrage. Nathalie Fau aborde
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fragilité de l’espace de libre-échange AFTA. Ceci fait penser à la zone Euro, qui
souffre elle aussi d’une gouvernance inadaptée. La difficulté tient probablement
à l’écart entre une construction politique très volontariste et des réalités écono-
miques, sociales et culturelles très hétérogènes d’un pays à l’autre. Quel sera
l’avenir de l’AFTA ? Les pays de l’ASEAN ont-ils raison d’avoir associé la
Chine à chaque étape de leur construction ? Avanceront-ils vers une intégra-
tion plus forte, une union douanière ASEAN par exemple ? Ces questions restent
entièrement ouvertes. Au final, avec un regard critique et des arguments percu-
tants, l’ouvrage intéressera tous ceux qui s’intéressent à l’Asie du Sud-Est et
veulent en savoir plus sur ces pays lointains et peu connus en Europe.
Hai Vu Pham
Maître de conférences en Analyse des politiques publiques
AGROSUP DIJON – UMR CESAER