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LE MODELE LUDIQUE

Le jeu, l'enfant ayant une déficience physique et l'ergothérapie


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FRANGINE FERLAND

LE MODELE LUDIQUE
Le jeu, l'enfant ayant une déficience physique
et l'ergothérapie

TROISIÈME ÉDITION

Les Presses de l'Université de Montréal


Couverture : dessin de Clémence Portier (9 ans)

Catalogage avant publication de la Bibliothèque nationale du Canada

Ferland, Francine
Le modèle ludique : le jeu, l'enfant ayant une déficience physique et l'ergothérapie
3e édition
(Paramètres)

ISBN 2-7606-1869-2

1. Ludothérapie.
2. Ergothérapie pour enfants.
3. Enfants handicapés — Réadaptation.
4. Jeu chez l'enfant.
I. Titre.
II. Collection.

RJ505.P6F47 2003 6i5.8'5i53'o83 C20O2-942O13-X

Dépôt légal : ier trimestre 2003


Bibliothèque nationale du Québec
© Les Presses de l'Université de Montréal, 2003

Les Presses de l'Université de Montréal remercient le ministère du Patrimoine canadien du sou-


tien qui leur est accordé dans le cadre du Programme d'aide au développement de l'industrie de
l'édition.

Les Presses de l'Université de Montréal remercient également le Conseil des Arts du Canada et la
Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

Imprimé au Canada
A tous les enfants différents des autres qui ont du mal
à trouver leur place dans la vie

A tous les ergothérapeutes qui consacrent leur vie à les aider


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AVANT-PROPOS

Le modèle ludique, qui a paru pour la première fois en 1994, en est aujour-
d'hui à sa troisième édition. Merci aux ergothérapeutes, aux professeurs et
aux étudiants en ergothérapie de l'avoir aussi bien accueilli !
La décision de procéder à une révision du modèle plutôt qu'à une simple
réimpression de l'ouvrage s'est imposée pour différentes raisons, entre autres
le dynamisme des recherches dont il a fait l'objet et le foisonnement de nou-
veaux écrits consacrés au rôle du jeu en ergothérapie.
En effet, depuis l'édition de 1998, plusieurs études ont porté tant sur les
instruments d'évaluation, sur la validation du cadre conceptuel que sur l'effi-
cacité du modèle ludique. Par ailleurs, deux nouveaux ouvrages s'inspirant de
cette philosophie ont été publiés. Le premier1 s'adresse aux parents d'enfants
qui présentent une déficience physique ou intellectuelle ; il a pour objet de les
aider à découvrir leur enfant au-delà de ses limitations et à expérimenter du
plaisir au quotidien avec lui. Le deuxième2 est destiné à tous les parents
d'enfants d'âge préscolaire et il vise à leur faire voir la richesse extraordinaire
du jeu dans la vie de leur enfant. Ces deux ouvrages viendront enrichir, d'une
part, le chapitre concernant le travail avec les parents (chapitre 6) et, d'autre
part, celui qui porte sur le jeu de l'enfant (chapitre 1).

1. Ferland, F. (2001). Au-delà de la déficience physique ou intellectuelle, un enfant à


découvrir. Montréal : Éditions de l'Hôpital Sainte-Justine, 224 p.
2. Ferland, F. (2002). Et si on jouait? Le jeu chez Venfant de la naissance à six ans.
Montréal : Éditions de l'Hôpital Sainte-Justine, 174 p.
8 * LE MODÈLE LUDIQUE

Aux sessions de formation consacrées au modèle ludique et offertes au


Québec et en Europe, les questions et commentaires des participants ont per-
mis de préciser certains passages; par exemple, dans cette édition, on traite des
réactions au modèle ludique venant des parents et des autres professionnels.
Enfin, les publications portant sur le rôle du jeu en ergothérapie ont été
nombreuses au cours des dernières années ; il fallait mettre à jour la biblio-
graphie.
Après toutes ces années, le modèle ludique m'apparaît toujours comme
une façon d'aborder l'enfant qui, bien qu'elle ne prétende pas être univer-
selle ni la meilleure, permet de respecter l'enfant pour ce qu'il est, un enfant,
et de répondre à son besoin d'agir de la façon la plus appropriée qui soit,
c'est-à-dire par le jeu.
Quand un ouvrage est publié, chacun en tire ce qui lui convient. Certains
appliqueront le modèle ludique intégralement, d'autres en retiendront surtout
la philosophie et d'autres encore, les instruments d'évaluation. Ce modèle est
maintenant vôtre; à vous d'en déterminer l'utilisation dans votre pratique.

Remerciements
Au cours des neuf dernières années, nombreuses furent les personnes qui
stimulèrent ma réflexion et qui permirent au modèle ludique de conserver
son dynamisme des premières heures.
J'offre donc mes remerciements les plus chaleureux :
• aux ergothérapeutes qui ont témoigné suffisamment d'intérêt pour le
modèle ludique pour entreprendre des études supérieures sous ma direc-
tion : Linda Simard, Mylène Dufour, Véronique Masse, Julie Messier,
Paillette Guitard et Marie-Noëlle Simard ;
• aux ergothérapeutes qui ont suivi des sessions de formation consacrées
au modèle ludique — que ce soit au Québec, en France, en Suisse, en
Belgique ou en Argentine — et dont les questions et commentaires ont
enrichi la présente édition;
• aux ergothérapeutes qui, dès le début, m'ont témoigné leur confiance et
m'ont accordé leur appui et encouragement : Johanne Delisle, Adèle
Morazain-Ledoux, Nathalie Valois, Micheline Saint-Jean.
Enfin, la présente édition n'aurait pas vu le jour sans la patience et le
soutien inconditionnel de mon époux.
INTRODUCTION

Ne me dérangez pas je suis profondément occupé


Un enfant est en train de bâtir un village
C'est une ville, un comté
Et qui sait
Tantôt l'univers.
Il joue
Saint-Denys Garneau, Le jeu

Pour l'enfant, le jeu représente un moyen privilégié de prendre contact avec


le monde qui l'entoure et de découvrir le plaisir tout à la fois. Bettelheim pré-
cise que « [la] plus grande importance du jeu est le plaisir immédiat que
l'enfant en tire et qui se prolonge en joie de vivre» (1988, p. 189). De là à
conclure qu'un enfant qui joue est un enfant heureux, il n'y a qu'un pas. Rien
d'étonnant, donc, à ce que le jeu soit l'activité la plus appréciée de l'enfant.
Pour d'autres auteurs, le jeu représente chez l'enfant un besoin fondamental
et un signe de santé (Vial, 1981; Winnicott, 1975). En 1963, Hartley et Goldenson
écrivaient déjà : « Quand un enfant ne peut pas jouer, nous devrions être aussi
inquiets que lorsqu'il refuse de manger ou de dormir» (p. 6).
1O * LE MODÈLE LUDIQUE

Plusieurs facteurs extérieurs à l'enfant peuvent entraver son activité


ludique. Un milieu de vie n'offrant ni espace ni temps pour jouer constitue un
de ces facteurs. De même, si autour de l'enfant on manifeste de l'intolérance
à l'égard du mouvement, du bruit, du désordre, si le jeu y est perçu comme
une activité frivole et une perte de temps, si la visée éducative l'emporte sur
toutes les autres, son répertoire ludique risque alors d'être limité. Également,
la condition médicale de l'enfant peut le placer dans une situation de handi-
cap, l'empêcher de développer ses habiletés et ses aptitudes pour le jeu, et par
conséquent l'empêcher de découvrir le monde. Ainsi, l'enfant présentant une
incapacité motrice risque d'être gêné dans les activités d'exploration et de
manipulation requises pour l'élaboration d'un répertoire ludique. Cet enfant,
en plus d'être limité dans son corps — et parce qu'il est limité dans son
corps —, se trouve dépourvu de moyens quand vient le moment de s'enga-
ger dans cette activité prioritaire de l'enfance qu'est le jeu et de satisfaire ce
besoin d'agir sur son environnement commun à tous les enfants.
Par ailleurs, en ergothérapie, le jeu a depuis toujours été perçu comme la
modalité privilégiée de l'intervention. La philosophie de l'ergothérapie
repose sur quelques concepts clés, tels que la « nature occupationnelle » de
l'être humain, sa capacité d'adaptation de même que sa capacité à influer sur
sa propre santé. L'homme y est perçu comme un être biopsychosocial, mû
par le besoin fondamental d'agir sur son environnement ; l'activité signifi-
cative donne un sens à cet agir et favorise l'adaptation tout au long de sa
vie. L'objet de l'intervention ergothérapique est d'aider l'individu qui se
trouve aux prises avec des limitations à développer sa capacité « de choisir,
d'organiser et de s'adonner à des occupations significatives qui lui procurent
de la satisfaction» (Association canadienne des ergothérapeutes, 1997, p. 34).
Traditionnellement, le rendement dans les activités touche trois catégories :
la productivité, les loisirs et les soins personnels (ACE, 1997).
Le jeu pouvant être vu comme l'activité significative par excellence de
l'enfant et comme une modalité thérapeutique de premier plan, on peut
présumer qu'on y recourt constamment dans la pratique ergothérapique
auprès d'une clientèle infantile. Qu'en est-il vraiment? Est-il possible qu'au
cours des ans, en ergothérapie, on n'ait utilisé qu'en partie le potentiel thé-
rapeutique du jeu? Pourrait-on faire plus et mieux pour cette clientèle en
découvrant la richesse jusqu'ici peu exploitée que recèle le jeu, à la fois
INTRODUCTION * 11

comme domaine d'intervention et comme modalité thérapeutique? De plus,


est-il possible que l'entreprise éducative ou thérapeutique menée auprès de
ces enfants ait étouffé le jeu dans leur quotidien?
Le modèle ludique est le fruit d'une recherche entreprise pour alimenter
la réflexion sur les deux thèmes suivants : la place du jeu dans la pratique de
l'ergothérapie auprès de cette clientèle et la place du jeu dans la vie de l'enfant
ayant une déficience physique. Utilisant une démarche qualitative, cette
recherche a fait appel à des parents d'enfants ayant une déficience physique,
à des adultes ayant vécu avec une limitation physique depuis leur naissance
et à des ergothérapeutes travaillant auprès d'une clientèle infantile. De plus,
des enfants présentant une déficience physique ont été observés en séances de
traitement en ergothérapie et en centre de stimulation précoce.
La recension de la documentation et l'analyse des résultats obtenus a permis
d'élaborer un nouveau cadre conceptuel, d'où est issu le modèle ludique. Depuis
que l'ouvrage a été publié pour la première fois en 1994, le modèle ludique lui-
même a fait l'objet de recherches portant, entre autres, sur le cadre conceptuel
et sur les instruments d'évaluation. De nouvelles utilisations de ce modèle ont
également été explorées. Par ailleurs, en ergothérapie, plusieurs nouvelles paru-
tions consacrées au jeu ont vu le jour au cours des dernières années.
Le premier chapitre traite du jeu dans la vie de l'enfant normal : on y
présente un survol du développement de l'enfant à travers son jeu, de même
que du développement séquentiel du jeu. L'analyse d'une activité de jeu
nous permet de comprendre que le jeu est à la fois un reflet et un stimulant
du développement de l'enfant, dans ses différentes sphères. Puis, une défi-
nition de ce phénomène complexe est proposée, de même qu'une réflexion
sur l'attitude ludique.
Le deuxième chapitre est consacré au jeu de l'enfant présentant une défi-
cience physique. Après avoir défini la déficience physique, on précise quel est
l'état actuel des connaissances sur le jeu chez cette clientèle. Ensuite, les
témoignages de parents d'enfants ayant une déficience physique nous aident
à comprendre le rôle du jeu dans le quotidien de ces enfants. Comme le
modèle ludique a été utilisé, depuis 1994, auprès d'autres clientèles infan-
tiles, nous tenterons de cerner les caractéristiques du jeu chez les enfants
présentant des problèmes autres que physiques, tels que la déficience intel-
lectuelle et les troubles envahissants du développement.
12 * LE MODÈLE LUDIQUE

Le rôle du jeu en ergothérapie fait l'objet du troisième chapitre. Partant


de ce qui est au cœur même de l'ergothérapie, on étudie l'histoire et la phi-
losophie du jeu dans la profession. Puis on tente de cerner la place du jeu
dans la pratique clinique en se basant sur les témoignages des ergothéra-
peutes ayant participé à la recherche. Une étude plus récente permet d'actua-
liser les résultats relatifs à cette pratique. Également, les adultes qui vivent
depuis leur naissance avec une déficience physique et qui furent interviewés
au cours de la recherche font part de leur expérience de vie et alimentent, par
leurs commentaires et leurs recommandations, la réflexion sur la pratique de
l'ergothérapie. Leurs propos peuvent, entre autres, nous aider à centrer notre
intervention sur les besoins de ces enfants.
Le quatrième chapitre expose le cadre conceptuel du modèle ludique, pré-
cisant le questionnement initial de l'auteure, l'appréhension du jeu, les énon-
cés de départ. On définit également les concepts clés et on prête une attention
particulière aux concepts de capacité d'agir et d'attitude ludique. Par la suite,
les études de validation de ce cadre conceptuel menées jusqu'à ce jour sont
examinées; elles concernent les enfants ayant une déficience physique ou une
déficience intellectuelle, les adultes présentant une incapacité grave et per-
manente et les communautés culturelles.
Le cinquième chapitre est consacré à l'application clinique du modèle
ludique. Après avoir défini les objectifs généraux, on traite de l'évaluation du
comportement ludique chez l'enfant et on présente les deux instruments,
proposés dans l'édition originale et révisés par la suite. De plus, on se penche
sur les études menées avec ces instruments depuis 1994. La planification de
l'intervention est précisée : définition des objectifs thérapeutiques et des
principes directeurs. Suivent le rôle de Fergothérapeute et le matériel suggéré
pour favoriser l'évolution de l'enfant. Un tableau retraçant le développe-
ment du comportement ludique, en trois étapes, est proposé comme guide
tant de la planification que de l'intervention elle-même et un exemple
concret est présenté. De nouveaux thèmes ont été ajoutés à la présente édi-
tion : la réaction des parents et des membres de l'équipe de soins au modèle
ludique, l'amélioration des habiletés motrices dans cette approche. Enfin,
on présente une étude sur l'efficacité de cette intervention de même que des
témoignages de thérapeutes.
INTRODUCTION * 13

Le sixième chapitre concerne les parents et l'application du modèle ludique


à la maison. Dans la présente édition, ce chapitre a été revu en profondeur. La
réflexion portant sur le fait d'être parents d'un enfant différent des autres
s'enrichit de témoignages de parents. Puis, on délimite les rôles distincts et
complémentaires des parents et des thérapeutes. Une fois définis les objectifs
poursuivis auprès des parents, on propose des pistes d'action concrètes. Les
connaissances et compétences spécifiques que l'ergothérapeute peut mettre au
service des parents sont explicitées. On conclut ce chapitre par quelques consi-
dérations concernant la fratrie de l'enfant.
Enfin, les annexes présentent des informations complémentaires. L'annexe i
précise quelle fut la méthodologie utilisée lors de la recherche initiale qui a
mené à l'élaboration du modèle ludique : type de recherche, caractéristiques
des participants, collecte et analyse des données. Comme divers résultats de
cette recherche sont présentés tout au long des chapitres, le lecteur qui aura
consulté cette annexe les comprendra mieux. L'annexe 2 expose la procédure
d'administration de l'Évaluation du comportement ludique et l'annexe 3, celle
de l'Entrevue initiale avec les parents. Ces procédures ont été mises au point
après la publication de la première édition de cet ouvrage; elles permettront
aux cliniciens de mieux comprendre les instruments et faciliteront leur utili-
sation en milieu clinique.
Cet ouvrage se veut une réflexion sur ce domaine d'activités propre
à l'enfance qu'est le jeu et sur l'apport de l'ergothérapie au mieux-être de
l'enfant présentant une déficience physique. Cette démarche repose sur un
principe fondamental, soit celui de considérer l'enfant ayant une déficience
physique d'abord et avant tout comme un enfant et sur le désir d'obtenir,
pour lui et pour sa famille, non seulement une autonomie optimale, mais
aussi une qualité de vie satisfaisante. Lui permettre de participer à la théra-
pie, l'aider à développer, dans ses activités d'enfant, une capacité d'agir et une
attitude qui l'amèneront à composer plus facilement avec les défis quoti-
diens et l'aborder dans sa globalité, voilà quelques-uns des objectifs du
modèle ludique.
Améliorer la qualité de vie d'un enfant, c'est agir sur la qualité de vie de
toute sa famille. Cette visée renvoie donc à un important enjeu social.
14 * LE MODÈLE LUDIQUE

RÉFÉRENCES

Association canadienne des ergothérapeutes (1997). Promouvoir l'occupation : une pers-


pective de l'ergothérapie. Ottawa : CAOT Publications ACE.
BETTELHEIM, B. (1988). Pour être des parents acceptables — une psychanalyse du jeu.
Paris : Robert Laffont.
FERLAND, F. (1994). Le modèle ludique : le jeu, l'enfant avec déficience physique et l'ergo-
thérapie (2e éd., 1998). Montréal : Les Presses de l'Université de Montréal.
HARTLEY, R.E. et Goldenson, R.M. (1963). The Complète book ofChildren's Play. New
York : Crowell.
VIAL, J. (1981). Jeu et éducation — Les ludothèques. Paris : Presses universitaires de
France.
WINNICOTT, D.W. (1975). Jeu et réalité : l'espace potentiel. Paris : Gallimard.
1
LE JEU ET L'ENFANT

Le jeu et le jouet sont aussi nécessaires à Venfant


que l'air ou la nourriture.
Vial, 1981

C'est sur la base du jeu que s'édifie


toute l'existence expérientielle de l'homme.
Winnicott, 1975

Vouloir cerner en quelques pages le phénomène du jeu dans la vie de l'enfant


serait une entreprise non dénuée de prétention et à l'avance vouée à l'échec,
compte tenu de la complexité du sujet et de la quantité de recherches menées
jusqu'à maintenant sur ce phénomène.
Le jeu est en effet un phénomène complexe, holistique s'il en est, et par
conséquent difficile à saisir. D'ailleurs, aucune définition du jeu ne fait encore
l'unanimité chez les chercheurs. Cependant, «la généralisation du jeu et sa
persistance dans le temps prouvent que ce phénomène soutient quelques rap-
ports avec les forces profondes et permanentes de l'espèce humaine » (Vial,
1981, p. 20). Au cours des ans, le jeu a été abordé par différentes disciplines
(psychologie, éthologie, anthropologie, sociologie...) et a suscité l'intérêt de
l6 * LE MODÈLE LUDIQUE

nombreux chercheurs. Ce sujet comporte donc une bibliographie des plus


vastes et des plus diversifiées, car une multitude de cadres conceptuels en
sous-tendent l'étude. Les thèmes mêmes des études menées sur ce sujet sont
fort variés.
Certains chercheurs ont développé des théories tentant d'expliquer le jeu
chez l'enfant (Ellis, 1973 ; Rubin, 1982) ; d'autres se sont intéressés aux fonc-
tions du jeu, donc à ses effets sur différents aspects du développement de
l'enfant (Bruner, 1986 ; Héron et Sutton-Smith, 1983 ; Saunders, Sayer et
Goodale, 1999; Smith et Simon, 1984; Wolfgang, 1983). Des taxonomies du
comportement ludique ont également été proposées (Florey, 1971; Pomerleau
et Malcuit, 1983 ; Rodger et Ziviani, 1999) de même que des méthodes d'éva-
luation du jeu (Bundy, 1997 ; Knox, 1997 ; Linder, 1993 ; Takata, 1974). Certains
se sont interrogés sur les critères culturels ou environnementaux susceptibles
d'influencer le jeu chez l'enfant (Caffari-Viallon, 1988 ; Roopnarine, Johnson
et Hooper, 1994) et sur l'évolution du comportement ludique (Erikson, 1982;
Freud, 1965 ; Piaget, 1976). Enfin, l'utilisation du jeu à des fins éducatives ou
thérapeutiques a fait l'objet de nombreux débats (Bousquet, 1986 ; De
Grandmont-Fortier, 1989 ; Ferland, 1992,2002; Lewis, 1993).
Tout en nous appuyant sur l'ensemble de ces recherches, nous nous en
tiendrons dans ce chapitre aux deux objectifs suivants : cerner ce que le jeu
est susceptible d'apporter au développement de l'enfant et étudier de quelle
façon le jeu lui-même se développe1. Par la suite, l'analyse détaillée d'une
activité de jeu nous permettra de saisir concrètement que le jeu est à la fois
le reflet du développement de l'enfant et un stimulant sans pareil. Enfin,
nous examinerons l'épineuse question de la définition du jeu.

LE DÉVELOPPEMENT DE L'ENFANT À TRAVERS LE JEU

Pour tenter de clarifier ce que le jeu apporte à l'expérience de vie de l'enfant,


nous analyserons ce qu'un enfant est susceptible d'expérimenter en jouant.
Divers thèmes souvent associés au jeu seront successivement abordés : le
plaisir, la découverte, la maîtrise, la créativité et l'expression de soi.

i. Pour des informations plus complètes sur le jeu chez l'enfant normal, le lecteur est
invité à lire Ferland, F. (2002). Et si on jouait? Le jeu de la naissance à six ans.
Montréal : Éditions de l'Hôpital Sainte-Justine.
LE JEU ET L ENFANT * 17

Jeu et plaisir

Quand on pense «jeu», la première caractéristique qui nous vient à l'esprit


est fort probablement l'aspect plaisant de cette activité. Avec raison d'ailleurs,
puisque le plaisir est une composante essentielle du jeu. Sans le plaisir, le jeu
n'existe pas. Cette caractéristique est l'une des seules qui fassent l'unanimité
dans les différentes théories tentant de cerner le phénomène du jeu. Comme
l'affirme Epstein-Zau (1996), le plaisir est le moteur de toute action ludique,
alors que le déplaisir entraîne d'emblée une autocensure de l'exploration et
freine l'activité de l'enfant. Parce que le plaisir est présent dans le jeu, l'enfant
se trouve incité à poursuivre son activité et même à y mettre davantage d'effort.
Selon Ellis (1973), ce plaisir associé au jeu tire sa source de certaines carac-
téristiques propres à la situation ludique : la nouveauté, l'incertitude et le
défi, défi qui doit cependant être considéré comme surmontable par l'enfant.
Attiré par la nouveauté, l'enfant découvre grâce au jeu le plaisir de braver
l'incertitude et de relever le défi. Dans le jeu, tout peut arriver puisque rien
n'est réglé à l'avance ; la curiosité est éveillée et entraîne l'enfant vers la
découverte du plaisir intrinsèque du jeu.

Jeu et découverte

Le jeu n'est pas un rêve, il est apprentissage du monde, de Vautre et de la


relation (...). C'est en jouant qu'il faut entrer dans la vie.
Caffari-Viallon, 1988
En effet, quelle belle façon de découvrir le monde ! Dans le jeu, les objets
dévoilent leurs particularités et l'expérience enseigne à l'enfant à les utiliser,
à les combiner, à en comprendre le fonctionnement. L'enfant y apprend
qu'un ballon roule, que le sable coule entre les doigts, que l'eau peut porter
un bateau, qu'un crayon peut laisser une marque sur le papier ou... sur le
mur ! Selon Vvgotsky (1976), le jeu permet à l'enfant de donner un sens à une
situation et d'approfondir la compréhension qu'il en a.
Cette découverte du monde par le jeu a des effets évidents sur l'évolution
des habiletés de l'enfant. Comme le mentionne Reilly (1974), l'enfant y déve-
loppe un savoir-faire expérientiel qu'il pourra utiliser dans la vie quotidienne.
Il y découvre quels sont les objets, les personnes, les événements qui l'entourent
18 * LE MODÈLE LUDIQUE

et quels rapports ils entretiennent entre eux. À partir de cette connaissance


des règles qui régissent son monde environnant, il pourra développer des stra-
tégies d'action — les siennes — lui permettant de composer avec l'inconnu et
avec les diverses situations de la vie. Il apprend alors à interagir avec les objets
et les personnes.
Sanders, Sayer et Goodale (1999) ont aussi démontré qu'en jouant l'enfant
acquiert des habiletés qui l'aideront à composer avec les situations qui se pré-
sentent, jetant ainsi les bases d'un comportement adaptatif qui lui sera utile
sa vie durant.
Ainsi, par le jeu, l'enfant découvre le monde dans le plaisir et il déve-
loppe ses stratégies d'action et d'adaptation.

Jeu et maîtrise de la réalité

Jouer, c'est aussi maîtriser la réalité. En effet, dans son jeu l'enfant jette un
pont entre le familier et l'inconnu : il apprivoise graduellement la réalité.
Erikson écrit : « Le jeu de l'enfant est la forme infantile de la capacité
humaine d'expérimenter en créant des situations-modèles et de maîtriser
la réalité en expérimentant et en prévoyant» (1982, p. 149).
En jouant, l'enfant comprend qu'il peut influer sur son environnement
(Missuana et Pollock, 1991). Seul maître à bord, il a le pouvoir de décider : il
est autosuffisant. L'enfant expérimente alors un sentiment de maîtrise
(Bundy, 1993 î Lewis, 1993).
N'ayant pas de procédure propre ni de règles rigides à suivre, chacune
de ses tentatives de jeu est valable. L'enfant peut décider de faire tomber la
tour de cubes, de faire dormir la poupée, de recommencer sans fin le même
casse-tête : il choisit lui-même le thème de sa conduite ludique et oriente le
déroulement de son jeu. Il décide également du début et de la fin. Il est le
maître d'œuvre de son jeu, dont il n'attend aucun résultat précis ; à vrai dire,
ce qui fait le jeu, c'est le processus, non le résultat (Bundy, 1997; Wood, 1997).
L'enfant peut prendre des initiatives hasardeuses, prendre même le risque
d'échouer puisque ce n'est qu'un jeu. En jouant, l'enfant apprend également
à solutionner les problèmes au fur et à mesure qu'ils surgissent.
L'initiative de l'action étant laissée tout entière à l'enfant, le jeu influe sur
son estime de soi (Lewis, 1993).
LE JEU ET L ENFANT * ig

Jeu et créativité

C'est en jouant et seulement en jouant que l'individu, enfant ou adulte,


est capable d'être créatif et d'utiliser sa personnalité tout entière.
Winnicott, 1975
La créativité dont parle Winnicott émerge d'un fonctionnement informe et
décousu, d'un jeu rudimentaire dans lequel l'individu aborde les réalités
extérieures. Si cette créativité est réfléchie, elle s'intègre alors à la personnalité
individuelle et organisée. D'ailleurs, pour Winnicott (1975) la mise en œuvre
du jeu présuppose l'existence d'une aire intermédiaire d'expérience dans
laquelle les éléments de la réalité interne et externe sont imbriqués.
Dans son jeu, l'enfant décide ce qu'est la réalité, il la transforme et l'adapte
à ses désirs. La relation entre lui et le monde extérieur est aménagée selon sa
fantaisie (Soulayrol et Catheline-Antipoff, 1984) : il crée son jeu en toute liberté
et, ce faisant, il manifeste ses habiletés créatives (Berretta et Privette, 1990).
La créativité chez l'enfant est associée au concept de pensée divergente,
autrement dit à la forme de pensée qui recherche toutes les solutions pos-
sibles à un problème (Pépier, 1982). La créativité de l'enfant est, en quelque
sorte, son imagination en action.
Rieben (1982), pour sa part, entrevoit deux types d'imagination : l'imagi-
nation symbolique et l'imagination créatrice. Dans la première, l'enfant assi-
mile la réalité de façon subjective à l'aide de transpositions : par conséquent,
il peut donner vie à tous les objets, se créer un ami imaginaire, faire bouger
l'inanimé, faire pleurer les végétaux, faire parler les animaux. Il peut être
indifférent au temps et à l'espace et ainsi passer sans transition de l'époque
de l'homme des cavernes à l'ère spatiale. Au cours du développement de
l'enfant, ce type d'imagination s'estompe graduellement au profit de l'ima-
gination créatrice; les représentations sont alors plus adaptées à la réalité et
les jeux de fiction sont dorénavant confrontés avec les matériaux du monde
réel. L'enfant organise ces matériaux et les transforme en fonction de ses
objectifs : il crée. La seule limite est l'imagination même du joueur et la pos-
sibilité de donner corps à ce qu'il imagine.
Par ailleurs, l'humour, qui se rapporte à la créativité puisqu'il s'agit de jouer
avec les mots de façon inattendue et amusante, est également sollicité dans le jeu
symbolique de l'enfant. Selon Krogh (1985), il s'appuie sur les oppositions de
2O * LE MODÈLE LUDIQUE

concepts; l'enfant découvre graduellement le plaisir d'imaginer des situations


insolites : un éléphant assis sur une branche, une bicyclette aux roues carrées.
Certaines études ont également mis en évidence les rapports possibles
entre la créativité manifestée dans le jeu et la capacité future de la personne
à solutionner les problèmes de façon originale (Cecil, Gray, Thornburg et
Ipsa, 1985 ; Smith et Simon, 1984). De plus, selon l'étude de Paget (1980), créa-
tivité et santé mentale seraient deux concepts s'influençant mutuellement.

Jeu et expression
Même sans utiliser les mots, l'enfant peut communiquer ses sentiments,
tant positifs que négatifs. Jeter un objet par terre, sourire à un personnage,
déchirer un dessin, présenter un objet à un partenaire, provoquer un acci-
dent, voilà autant de gestes que l'enfant peut utiliser pour communiquer ce
qu'il ressent. Le jeu est en quelque sorte le langage primaire de l'enfant ou,
comme le fait remarquer Herzog (1990), le langage de l'action. Si l'enfant, par
son jeu, parle à l'autre et lui parle de lui (Soulayrol et Catheline-Antipoff,
1984), il nous parle aussi de l'autre.

En jouant, l'enfant expérimente des sentiments de plaisir et de maîtrise;


il découvre le monde qui l'entoure; il crée et s'exprime.

Nul besoin de surstimuler l'enfant normal, de l'inciter à faire des appren-


tissages précoces. Le jeu, voie royale de l'apprentissage de l'enfant, y pour-
voira de la façon la plus naturelle qui soit. La figure i présente une synthèse
des fonctions du jeu et de ses effets sur l'enfant.

On a vu quelles sont les grandes fonctions du jeu. Mais que stimule et solli-
cite le jeu chez l'enfant? Pour répondre à cette question, nous utiliserons un
outil de travail fondamental en ergothérapie, soit l'analyse d'activité.
Imaginons deux enfants qui jouent avec une étable, des animaux, des
personnages et un tracteur. Voyons ce qui se passe lorsque les enfants mani-
pulent ces objets et leur donnent vie2.

2. L'analyse de cette activité est tirée de Ferland, F. (2002). Et si on jouait? Le jeu de la


naissance à six ans. Montréal : Éditions de l'Hôpital Sainte-Justine, p. 27-31.
LE JEU ET L ENFANT » 21

FIGURE 1

Les fonctions du jeu et ses effets sur l'enfant

LES FONCTIONS DU JEU et SES EFFETS SUR L'ENFANT

Plaisir Motivation à agir

Découverte Stratégies d'action


Capacité d'adaptation

Maîtrise Initiative
Estime de soi

Créativité Solution de problèmes


Humour

Expression Communication
des sentiments

Analyse d'une activité de jeu


Composante sensorielle. Par leur seule présence, ces objets apportent à ces
enfants une stimulation sensorielle : ces animaux et ces personnages, ils ont
envie de les regarder, de les toucher et de les prendre en mains. En les mani-
pulant, ils enregistrent les caractéristiques sensorielles des objets (formes,
couleurs, taille, texture, douceur, etc.), ce qui contribue à développer leur
perception. Ils voient bien que le métal du tracteur est froid et doux, alors
que ses pneus sont rugueux et ronds. Grâce à leur perception des dimensions
et des formes, ils sauront évaluer si tel ou tel personnage a la taille qu'il faut
pour s'asseoir sur le tracteur ou si celui-ci peut pénétrer dans l'étable. Leur
audition sera aussi stimulée si les enfants se parlent, s'ils racontent une his-
toire à partir du matériel de jeu ou si l'un d'entre eux reproduit le bruit du
moteur du tracteur. De plus, ils s'apercevront que faire rouler le tracteur
sur le plancher de bois produit un bruit, ce qui n'est pas le cas sur un tapis.
Cette activité procure donc aux enfants une stimulation visuelle, tactile
et auditive, qui leur permet, entre autres, de développer leur perception des
formes et des dimensions et leur discrimination auditive.

Composante motrice. En saisissant les objets, l'enfant utilise sa motricité fine.


Il doit adapter sa façon de saisir les objets à leurs formes : préhension à pleine
22 * LE MODÈLE LUDIQUE

main d'un personnage (préhension palmaire), préhension du tracteur entre


le pouce, l'index et le majeur (préhension tridigitale), saisie entre le pouce et
l'index du loquet dont on se sert pour ouvrir la porte de l'étable (pince pouce-
index). L'enfant doit aussi planifier ses gestes en séquence; par exemple, saisir
l'objet, le diriger vers tel endroit, puis le relâcher. Pour ce faire, la coordination
œil-main est requise. Cette capacité à coordonner les gestes de la main et les
mouvements des yeux permet à l'enfant non seulement de diriger les objets
vers un endroit précis, mais aussi d'insérer un objet dans un espace restreint,
par exemple d'asseoir un personnage sur le siège du tracteur.
Le plus souvent, l'enfant joue avec ce matériel en position assise. S'il veut
saisir un personnage placé loin devant lui ou sur le côté, il doit pouvoir se
protéger des chutes, par exemple en tendant les bras vers l'avant ou les côtés :
il utilise alors des réactions de protection. Parfois, un simple changement
de posture lui permettra de garder son équilibre ; ainsi, en se penchant vers
l'avant pour saisir l'objet, il pourra lever la tête pour compenser le déplace-
ment du centre de gravité et éviter ainsi la chute.
Donc, dans ce jeu, les enfants pratiquent divers modes de préhension,
coordonnent des mouvements fins et développent leurs réactions de pro-
tection en position assise.

Composante cognitive. Malgré des muscles qui fonctionneraient très bien,


nos deux enfants auraient peu de plaisir à jouer avec ce matériel s'ils ne
mettaient pas à profit leurs habiletés cognitives, soit les habiletés qui leur
permettent de comprendre leur environnement et de développer leur pen-
sée. Il y a bien sûr la connaissance même des pièces de jeu : ainsi, grâce à son
camarade ou à un adulte, l'enfant apprend ce que c'est qu'un cochon ou un
mouton et à les différencier l'un de l'autre, que l'étable est la maison des
animaux et quel cri est propre à chaque animal. Il se rend compte qu'il y a
des animaux à quatre pattes et d'autres à deux pattes, comme la poule. Sa
compréhension du fonctionnement des objets lui permet aussi de les utili-
ser adéquatement; ainsi, le tracteur peut rouler puisqu'il a des roues et on
peut fermer la porte de l'étable grâce au loquet. Dans ce jeu, l'enfant expé-
rimente le concept de la relation de cause à effet, anticipant ce que ses gestes
peuvent provoquer. Par exemple, il verra que le petit mouton déposé sur le
toit de l'étable qui est en pente ne pourra rester en place et que vraisembla-
LE JEU ET L ENFANT » 23

blement il tombera. Il peut également «jouer» avec le concept de perma-


nence de l'objet, à savoir qu'un objet continue à exister même s'il ne le voit
plus. Ainsi, quand l'enfant s'amuse à faire disparaître le petit chien dans
l'étable puis à aller le chercher, il expérimente ce concept. Il aura aussi l'oc-
casion de résoudre des problèmes : par exemple, comment fait-on tenir plu-
sieurs animaux sur le tracteur ? Les enfants s'amuseront à faire semblant,
entre autres en prêtant vie aux objets : la vache se promène dans le champ
et le chien la suit. Ils en arriveront à imaginer un véritable scénario. Ils peu-
vent aussi faire preuve d'humour, prêtant des intentions farfelues aux ani-
maux : la vache veut faire un tour de tracteur...
Dans ce jeu, les enfants acquièrent diverses connaissances, ils donnent
vie aux objets et laissent libre cours à leur imagination.

Composante affective. Comme ce sont les enfants qui décident du scénario


et qui attribuent des rôles aux personnages, leur spontanéité et leur sens de
l'initiative sont mis à contribution : ils peuvent en éprouver un sentiment de
maîtrise. Ils expérimentent aussi le plaisir d'agir ; si ce n'est pas le cas, ils
abandonneront rapidement ce jeu qui n'en serait plus un pour eux. Le fait
de partager l'activité avec un camarade peut toutefois comporter quelques
frustrations, par exemple si l'un des deux s'empare de l'animal convoité par
l'autre. Ils apprendront alors à composer avec la frustration. Non seulement
les enfants décident-ils ce que veulent faire les personnages, mais ils peu-
vent aussi leur prêter des sentiments et, ce faisant, exprimer des émotions :
le fermier est en colère, le mouton est triste. Avec un tel matériel de jeu, les
enfants peuvent interrompre leur activité quand ils le désirent. Ils ne sont pas
tenus de la poursuivre pendant une durée déterminée, comme quand il s'agit
de terminer un casse-tête ou de construire quelque chose. Ils n'ont pas non
plus à attendre longtemps pour voir le résultat de ce qu'ils font. Sitôt décidé,
le geste est posé et les enfants peuvent en retirer une satisfaction immédiate.
Initiative, expression de soi, réaction à la frustration et plaisir immédiat
sont quelques-unes des dimensions affectives de cette activité.

Composante sociale. L'enfant pourrait s'amuser seul avec ce matériel de jeu.


Toutefois, le fait d'être deux donnera aux enfants l'occasion de partager le
matériel de jeu, de communiquer leurs idées, de tenir compte de l'opinion
24 * LE MODÈLE LUDIQUE

de l'autre, d'attendre leur tour pour manipuler l'unique tracteur. Ils devront
donc développer leurs habiletés de relation à l'autre pour que le jeu soit
agréable. Ensemble, ils pourront aussi collaborer à l'élaboration d'une his-
toire ou d'un scénario de jeu où chacun tiendra un rôle précis.
Cette activité de jeu permet donc aussi à l'enfant d'entrer en rapport avec
les autres.
Cette analyse démontre clairement qu'observer un enfant au jeu permet
de savoir quelles sont ses habiletés dans les différentes sphères de son déve-
loppement. De fait, le jeu témoigne de ce qu'est l'enfant. L'enfant qui joue a
recours à ses habiletés et attributs propres, qui influent sur sa façon de jouer
et qui sont, à leur tour, stimulés et modifiés par l'expérience de jeu. Voilà
pourquoi plus l'enfant joue, plus il devient habile.
Voyons maintenant comment se développe le jeu chez l'enfant. Quelles
sont les conditions préalables à l'apparition du jeu, les grandes étapes et
caractéristiques du comportement ludique en cours de développement?

LE DÉVELOPPEMENT DU JEU CHEZ L'ENFANT

Pour que l'enfant puisse jouer, certaines conditions doivent être remplies ;
entre autres, il faut que ses besoins fondamentaux soient satisfaits. En effet,
il est peu probable qu'un enfant soit disposé à jouer s'il n'a pas mangé ou
dormi, ou encore s'il se sent anxieux ou craintif. Si l'on se réfère à la hiérar-
chie des besoins de Maslow (1979), les besoins physiologiques, de sécurité et
d'amour doivent d'abord être satisfaits pour que l'enfant ait envie de décou-
vrir et d'explorer et qu'il soit en mesure de satisfaire ses besoins d'estime et
ses besoins cognitifs.
Par ailleurs, il convient de distinguer l'activité exploratoire du compor-
tement ludique, tel que l'illustre le tableau i.

Préalables à l'activité ludique

Selon Pomerleau et Malcuit (1983), dans un premier temps l'enfant diminue


son activité motrice, puis tourne son regard vers le stimulus. Cette réponse
d'orientation l'amène à une attention sélective. Dans un deuxième temps,
l'enfant entre en contact avec l'objet et le manipule ; selon ces auteurs, cette
exploration tactile permet à l'enfant de découvrir les caractéristiques des
objets (mou, dur, bruyant, doux, rugueux). Ultérieurement, il pourra se ser-
LE JEU ET L ENFANT * 25

TABLEAU 1
Préalables au comportement ludique

POMERLEAU et MALCUIT (1983) CECIL, CRAY, THORNBURC et IPSA (isss)

Attention sélective Curiosité

Contact et manipulation Exploration

COMPORTEMENT LUDIQUE JEU

Créativité

vir de ces connaissances pour développer un répertoire de jeu qui lui soit
propre. L'attention sélective, le contact et la manipulation représentent donc
des étapes préalables au développement d'un comportement ludique.
Pour d'autres auteurs, c'est la curiosité qui pousse l'enfant à explorer les
objets et l'environnement (Cecil, Gray, Thornburg et Ipsa, 1985). La curio-
sité, c'est-à-dire l'état d'éveil, l'intérêt initial, incite l'enfant à scruter active-
ment les objets et à en découvrir les possibilités. Par la suite, fort de ces
connaissances, il peut mettre en place son jeu et créer divers scénarios.
Ellis (1973), quant à lui, a présenté le jeu comme une réponse de l'orga-
nisme à son besoin de maintenir cet éveil et cet intérêt, et de les porter à un
niveau optimal. Cependant, ainsi que nous l'avons indiqué plus haut, la
nouveauté, l'incertitude et le défi que représente une situation ou un objet
doivent être présents pour véritablement stimuler cet état d'éveil. Sans ces
éléments, l'intérêt ne saurait être suscité et encore moins maintenu.
Il semble donc que l'attention, la curiosité, l'exploration sont des condi-
tions essentielles à l'apparition de comportements de jeu et que des élé-
ments tels que nouveauté, incertitude et défi sont indispensables au maintien
de ces comportements.

Le développement séquentiel du jeu

Le développement séquentiel du jeu a été étudié par de nombreux auteurs


et placé dans diverses perspectives théoriques ; le tableau 2 offre un bref
aperçu de ces travaux.
26 * LE MODÈLE LUDIQUE

TABLEAU 2
Développement séquentiel du jeu

PlACET1 ERIKSON2 REILLY3 GESELL"


(développement (développement (développement (développement
ACE cognitif) psychosocial) dans les activités) social)

naissance
Jeu autocosmique

6 mois Jeu d'exercice Microsphère Exploration Jeu solitaire

1an
Jeu symbolique
2 ans Jeu parallèle

3 ans Macrosphère Compétence Jeu associatif

4 ans Jeu coo pératif

Sans

6 ans Jeu de règles Jeu compétitif

7 ans Accomplissement

1. Piaget, 1976; 2. Erikson, 1982; 3. Reilly, 1974; 4. Cesell, dans Knobloch et Pasamanick, 1974.

Les étapes énumérées dans ce tableau sont aisément observables à tra-


vers les intérêts de jeu et le type d'activités auxquelles s'adonne l'enfant (voir
le tableau 3).

De la naissance à dix-huit mois : à la découverte de son corps et de son environ-


nement Pendant les trois premiers mois, le bébé s'intéresse à son propre
corps (jeu autocosmique). Il découvre visuellement ses mains, porte le poing
à la bouche, mordille ses orteils. Le visage présente un attrait particulier
pour lui : il plonge avec ravissement son regard dans celui de sa mère.
Lorsqu'il joue avec sa mère, le bébé s'aperçoit qu'il est bel et bien distinct
d'elle, tandis que pendant neuf mois il n'avait fait qu'un avec elle. Cet inté-
rêt visuel se transformera, au cours des mois subséquents, en une explora-
tion active du visage de sa mère : il examinera sa bouche, son nez, ses oreilles,
ses yeux. C'est, selon Erikson, «la première géographie de l'enfant» (1982,
LE JEU ET L ENFANT * 27

TABLEAU 3
Comportements de jeu observables chez l'enfant d'âge préscolaire

INTÉRÊT
ÂGE ET COMPORTEMENTS DE JEU TYPES DE JEU/JOUETS

0-18 mois Toucher, regarder, sentir, Mobile, hochet, tableau d'activités,


à la découverte goûter, écouter, jouets musicaux, jouets qui flottent,
de son corps se déplacer (en rampant, jouets à mordre, à faire rouler, à mani-
et de son à quatre pattes, en puler, à empiler, à tirer, jeu de coucou,
environnement marchant), manipuler, livre cartonné, jeu avec un adulte
répéter, explorer, imiter

1 8 mois - 3 ans Répéter, explorer+*, imiter* , Jeu de cubes, ballon, tricycle, jeu
le grand acquérir le sens de la d'encastrement, instrument de musi-
explorateur propriété, faire semblant, que, papier et crayons de cire, pâte à
être avec d'autres enfants, modeler, casse-tête, tableau noir,
commencer à partager, à jouets à chevaucher, jeux extérieurs
s'affirmer (balançoire, glissoire), matériel servant
à imiter et à faire semblant (téléphone,
poupée, camion, établi de menuisier)

3-6ans lmaginer+, se déguiser, Tricycle, papiers, crayons, ciseaux,


l'âge du jeu par dessiner, socialiser, livres d'histoires, marionnettes,
excellence collaborer déguisements, maison de poupée.
jouets miniatures (trousse médicale,
autos, service de vaisselle), magnéto-
phone, jeu de quilles, comptines, jeux
de société simples (serpents et
échelles, jeu de dames)

* Le signe + désigne les activités que l'enfant apprécie tout particulièrement.

p. 149), qui jettera les bases de la première orientation du moi dans le monde.
Il est également fasciné par les représentations graphiques d'un visage.
Diverses stimulations, apportées tant par les objets que par les personnes,
suscitent son intérêt : stimulations auditives (jouets musicaux, conversa-
tions, musique, chansons), visuelles (mobiles, mouvements des personnes
autour de lui), tactiles (eau, jouets en bois, en matière plastique, en peluche),
vestibulaires (bercement, déplacement dans les bras de l'adulte).
Son premier contact avec les objets est d'abord visuel : il les regarde. Puis
l'enfant développe suffisamment de coordination œil-main pour pouvoir,
28 » LE MODÈLE LUDIQUE

vers quatre mois, se saisir volontairement des objets. Au cours des mois sub-
séquents, le raffinement de sa préhension lui permet de saisir des objets de
différentes formes : carrée, ronde, cylindrique. En plus de la vue et des mains,
l'enfant utilise également la bouche pour découvrir les propriétés des objets;
en effet, vers six mois, l'enfant porte fréquemment les objets à sa bouche. À
travers ses tentatives pour mordre les objets, il découvre s'ils sont résistants
ou non, doux ou rugueux. Cette exploration active des objets lui apprend
quelles en sont les propriétés.
Tout au long de sa première année, ses habiletés de motricité fine se raf-
finent pour l'amener, vers l'âge d'un an, à pouvoir saisir de tout petits objets
entre le pouce et l'index, une bille par exemple. Il pourra également tourner
les pages d'un livre cartonné.
Pendant ses dix-huit premiers mois, on verra l'enfant répéter souvent les
mêmes activités ; chaque répétition lui permet de découvrir de nouvelles
caractéristiques aux objets et de nouvelles possibilités d'action. C'est le jeu
d'exercice par lequel il apprend comment fonctionnent les objets. Cet
apprentissage se fait par essais et erreurs et il faut compter avec des initiatives
moins heureuses à l'occasion.
Son exploration progressive de l'espace au cours de la première année est
également notable ; après avoir fait l'extraordinaire découverte de son corps
pendant les premiers mois et compte tenu de la maturation progressive de
son organisme, l'enfant s'intéresse de plus en plus aux changements de posi-
tion (il passe du ventre au dos et vice versa, il se couche puis il s'assoit) ;
enfin, il se déplace (en rampant, à quatre pattes, debout). Ses activités de
motricité globale l'amènent à découvrir tant son environnement sous dif-
férents angles (sur le dos, sur le ventre, en position assise, debout) que le
plaisir procuré par son corps en action. Cette expérience de l'espace, et sur-
tout de son corps en mouvement, lui permet de découvrir des possibilités
jusque-là insoupçonnées. Dorénavant, il ne dépend plus exclusivement de
son entourage pour satisfaire sa curiosité ou ses désirs ; il a des capacités
motrices qui, ajoutées à sa nouvelle connaissance du monde, lui permettent
de se déplacer et de se mouvoir dans son environnement. Ces nouvelles
habiletés exigent une surveillance étroite du «terrain de jeu» de l'enfant.
Parmi ses importantes découvertes se retrouve celle de pouvoir agir sur
son environnement, d'influer sur son environnement : au cours de sa première
LE JEU ET L ENFANT * 2g

année, en effet, l'enfant peut par exemple produire un son en frappant un


objet, maintenir les objets ensemble (poser un cube sur un autre), faire appa-
raître la lumière en poussant l'interrupteur ou... faire apparaître sa mère, en
criant. Il découvre aussi qu'il peut faire disparaître les objets, comme par
magie; assis dans sa chaise haute, il ouvre la main qui tient un objet et celui-
ci semble disparaître. Quelques mois plus tard, il aura intégré le concept de
permanence de l'objet, sachant alors que l'objet ne disparaît pas et qu'il conti-
nue à exister, même s'il ne le voit plus. L'intégration de ce concept, qui se fait
au cours de la deuxième année, le rassurera quant à l'absence de sa mère. Elle
pourra ne pas être là, mais il saura dorénavant qu'elle existe toujours. aLes jeux
de coucou et de recherche d'objets sous les couvertures contribuent à l'inté-
gration de ce concept.
À partir de l'âge de quatre ou cinq mois, l'énergie de l'enfant semble
monopolisée par l'exploration des objets qui l'entourent. Son univers de jeu
atteint la microsphère, soit le petit monde des jouets. Son intérêt pour les
humains s'en tient à sa famille immédiate. Durant cette période, les enfants
de son âge n'attirent pas vraiment son attention : il joue en solitaire. Le
«jouet» le plus riche en découvertes pour le jeune enfant est sans conteste un
adulte couché par terre et qui se prête à ses fantaisies. Il devient une mon-
tagne à escalader, un mystère à explorer en passant par la bouche, les yeux et
les oreilles, un géant qui dort mais risque de se réveiller à tout moment et
d'agripper l'enfant, la mer qui se déchaîne et s'agite sous l'enfant, le cheval
qui le fait galoper.

De dix-huit mois à trois ans : le grand explorateur. L'enfant de cet âge est
curieux d'aller à la découverte de son environnement et d'y tenter des expé-
riences. Il manifeste un désir d'indépendance dont témoigne l'utilisation
fréquente du « non » et du «je suis capable ». Cette période, celle de ses deux
ans, est d'ailleurs comparée par Dodson (1972) à une première adolescence.
Sa connaissance du monde s'élargit et il s'intéresse à son environnement
immédiat (parents, fratrie). Conscient de la présence d'un autre enfant, il
l'observe, mais au début de cette période il n'est pas prêt à véritablement
partager une activité de jeu avec lui ni à collaborer à un projet commun ;
c'est l'époque du jeu parallèle. Ce jeu mené à côté de l'autre lui permet
d'observer ce que font les autres enfants, comment ils jouent, comment les
3O * LE MODÈLE LUDIQUE

adultes réagissent et ainsi il apprend graduellement à se comporter de


manière à pouvoir, quelques mois plus tard, participer à leurs activités. Par
ailleurs, avant d'accepter de partager ses jouets, il devra d'abord découvrir le
sens de la propriété : tel objet est bel et bien à lui et tel autre, non. Il sera
alors disposé à prêter et à emprunter.
Tout matériel de jeu permettant de mettre en œuvre une expérience
motrice globale et fine l'attire : petit tricycle, ballon, balançoire, pyramide
d'anneaux, casse-tête simple, crayons de cire. Il est immergé dans la micro-
sphère, vivement intéressé par le monde des jouets. Ses stratégies d'action
s'améliorent et il acquiert graduellement une certaine compétence dans son
action. L'enfant prête vie aux objets et fait appel à l'imaginaire : il entre dans
le jeu symbolique. Sa capacité à utiliser les symboles est facilement obser-
vable dans son jeu : un bâton devient successivement un micro, un cheval ou
une baguette magique. Cet usage inhabituel des objets marque le début du
développement de l'humour chez l'enfant (Krogh, 1985). Il s'amuse aussi à
imiter les comportements qu'il observe autour de lui : téléphoner, coucher
le bébé, préparer un gâteau (imitation immédiate).
L'enfant de cet âge s'intéresse au langage et les mots le captivent : à preuve,
son attirance pour les histoires et les comptines. Il aime bien reproduire les
gestes des personnes de son entourage et il s'intéresse tout particulièrement
à des objets tels que poupée, téléphone, établi de menuisier, instrument de
musique, camion.
Les déguisements, après avoir suscité des craintes, vers l'âge de deux ans,
commencent à l'attirer. Dans ses activités de dessin, il nomme ses produc-
tions une fois qu'elles sont terminées ; ses réalisations ne sont pas planifiées
à l'avance et sont largement tributaires du hasard des lignes.
Vers la fin de cette période, l'enfant aime la compagnie des autres enfants;
son jeu atteint la macrosphère, soit le monde partagé avec les autres. Il com-
mence à participer à des jeux à plusieurs... pendant quelques minutes. Sa
curiosité englobe désormais la réalité extérieure à son environnement immé-
diat : parc, famille élargie, garderie.

De trois à six ans : l'âge du jeu par excellence. Les habiletés motrices de
l'enfant s'améliorent; son geste devient plus sûr et plus précis, et son corps,
mieux maîtrisé. C'est alors qu'il apprend à se servir d'un tricycle, puis d'une
LE JEU ET L ENFANT * 3!

bicyclette et qu'il commence à découper avec des ciseaux. Également, des


notions de temps sont graduellement intégrées : demain, hier, ce soir, bien-
tôt. Après avoir découvert à la période précédente comment fonctionnent les
objets (ce qui est rond roule : ballon, roues d'auto), il commence à utiliser
le matériel de façon inventive : faire glisser un ballon sur une pente, amener
l'auto à suivre un parcours précis.
Il sait dorénavant imiter les activités qu'il aura observées auparavant :
c'est l'imitation différée qui indique que l'enfant a intériorisé des images
mentales qu'il utilise dans ses reproductions de situations. L'imagination est
très présente dans les activités de jeu de l'enfant. À partir de livres d'his-
toires ou de matériel de jeu tel des marionnettes, des déguisements, une
maison de poupée, il crée des scénarios simples. Sa maîtrise progressive des
symboles l'amène à apprécier les incongruités conceptuelles : ainsi, il trou-
vera amusant de changer les noms des objets (il appellera un chat un chien)
ou d'imaginer des situations insolites (des poissons volant dans le ciel, des
autos voguant sur les mers). Vers cinq ans, il imaginera des jeux dans lesquels
il aura des rôles et il posera des règles arbitraires. Ces règles qu'il invente
lui-même l'amèneront tout doucement vers les jeux qui comportent des
règles préétablies, lesquels prévaudront après six ans.
À partir de quatre ans, ses productions graphiques sont plus aisément
reconnaissables, mais elles contiennent des erreurs de perspective et de
proportion : il dessine ce à quoi il pense et non ce qu'il voit. Ainsi, une auto
ayant quatre roues, son dessin en fait voir quatre, quelle que soit la position
de l'auto.
Son jeu témoigne du développement de sa compétence et, tout fier, il mon-
trera qu'il sait utiliser un tricycle ou même un vélo, il présentera ses pro-
ductions graphiques ou il répétera, pour le bénéfice de l'adulte, les comptines
ou chansons apprises. L'enfant de cet âge développe des habiletés à jouer
avec les autres enfants et ses capacités lui permettent dorénavant d'alimen-
ter l'activité de jeu; les amis deviennent, avec le temps, très importants. Il
joue avec les autres (jeu associatif} et, progressivement, il saura collaborer
avec eux à un projet de jeu commun (jeu coopératif}
Son intérêt pour le monde environnant englobe graduellement celui des
adultes, son jeu s'inscrit dans la macrosphère. Les jouets miniatures permettant
de reproduire les activités des adultes l'intéressent : une trousse médicale, un
32 * LE MODÈLE LUDIQUE

service de vaisselle, de petites autos... De même, il sera attiré par les héros et
les personnes portant un uniforme : infirmière, pompier, soldat, hôtesse de
l'air.
Vers la fin de cette période, il prend plaisir à reproduire dans ses jeux des
règles semblables à celles qui régissent le monde adulte : jeux de société, jeu
de cachette avec règles précises. L'intérêt pour l'action en soi diminue alors;
il s'intéresse de plus en plus au résultat de son activité et la réussite lui
apporte de la satisfaction. Il peut dorénavant mettre ses compétences à
contribution pour accomplir des tâches avec succès.

«JOUER, C'EST MAGIQUE»

Comme le jeu occupe une si grande place dans la vie de l'enfant et qu'il influe
à ce point sur son développement, il n'est pas étonnant que le ministère de la
Famille et de l'Enfance du Québec ait retenu pour les centres de la petite
enfance un programme éducatif favorisant le développement global des
enfants, programme appelé « Jouer, c'est magique ». On y considère que le jeu
« constitue un moyen privilégié d'interaction et d'évolution pour l'enfant. Il
est un puissant levier d'apprentissage avec lequel l'enfant acquiert des connais-
sances tout en développant ses capacités à raisonner, créer et résoudre les pro-
blèmes. [... ] Jouer, c'est une expérience essentiellement agréable à travers
laquelle l'enfant se développe globalement» (Gariépy, 1998, p. 6).
« Jouer, c'est magique » s'inspire d'un programme américain qui a fait
l'objet d'une étude longitudinale rigoureuse. Cette étude a démontré que
les enfants qui avaient participé à ce projet ont obtenu par la suite de
meilleurs résultats scolaires durant les premières années du primaire et qu'ils
ont bénéficié d'un développement plus positif de l'estime de soi. L'évaluation
en sol québécois est actuellement en cours et les données préliminaires lais-
sent présager des résultats tout aussi prometteurs.

VERS UNE DÉFINITION DU JEU

II peut paraître étonnant qu'en dépit des nombreuses recherches sur le jeu
la définition même de ce phénomène n'ait pas encore fait l'unanimité chez
les chercheurs. Conceptualiser le jeu à travers une définition qui le délimite
et le concrétise s'avère périlleux. Universel, ce phénomène est connu de tous,
LE JEU ET L ENFANT * 33

mais dès qu'on tente de le cerner avec des mots ou d'en donner une expli-
cation théorique, on le dénature : ce qu'on arrive à expliquer n'est déjà plus
le jeu. Chance écrit : « Le jeu, c'est comme l'amour ; tout le monde sait ce que
c'est, mais personne ne peut le définir» (1979, p. i).
Prenons le cas de deux enfants engagés dans une même activité de jeu,
par exemple dans un carré de sable. Ils posent tous deux les mêmes gestes,
remplissant de sable un seau, traçant des chemins avec une petite auto, faisant
disparaître leurs mains dans le sable pour les faire réapparaître. À l'observa-
tion, on pourrait conclure que ces deux enfants jouent puisqu'ils s'adonnent
librement à une activité, sans but imposé, utilisant du matériel de jeu.
Pourtant, il est possible que l'un de ces enfants n'ait pas du tout l'impression
de jouer, qu'il n'éprouve aucun plaisir. L'action seule ne saurait par consé-
quent définir le jeu, pas plus d'ailleurs que la seule présence de matériel de jeu.
« II n'y a pas de matériel qui soit en lui-même et par lui-même ludique...
ce qui fait le "jouet", c'est le jeu du joueur» (Henriot, 1989, p. 100). louer
implique, au-delà des gestes et du matériel, un état d'esprit particulier, une
prédisposition interne. On se rapproche alors de l'essence du jeu qui procède,
selon Chandler (1997), du cœur, du corps et de l'esprit du joueur. Le jeu ne
se ramène donc pas à un comportement, mais bien davantage à une atti-
tude subjective (Henriot, 1976). Cette conception est d'ailleurs celle de
Parham et Fazio, qui définissent le jeu comme « une attitude ou un mode
d'expérience qui implique une motivation intrinsèque » (Parham et Fazio,
1997» P- 251). Pour Bundy (1993), sans attitude ludique (playfulness), toute
activité, même de jeu, devient travail.
Ainsi, l'observateur, n'étant témoin que de ce que fait l'enfant et de la
présence du matériel de jeu, ne peut que présumer qu'il joue puisque le seul
à le savoir, c'est l'enfant lui-même.
On peut alors imaginer, à l'inverse de l'exemple précédent, un enfant qui
s'adonne à une activité paraissant à un observateur répétitive et ennuyeuse;
l'expression faciale de l'enfant peut témoigner davantage d'un effort déployé
que d'un plaisir ressenti. On en conclurait que ce n'est pas du jeu, alors que
l'enfant, lui, pourrait parler de cette activité comme d'un jeu.
Jouer ne saurait donc être défini exclusivement par le faire, mais doit aussi
englober Y être, soit l'attitude qui sous-tend l'action. Mais qu'est-ce qu'une
attitude ludique ? Différents éléments la caractérisent. Selon Lieberman
34 * LE MODÈLE LUDIQUE

(1977), on retrouve dans le concept de playfulness la spontanéité physique,


sociale et cognitive, un certain sens de l'humour et du plaisir. Ces divers élé-
ments, Barnett (1990) les associe à une attitude de jeu. Bundy (1997) retient,
quant à elle, le sentiment de maîtrise, l'habileté à suspendre la réalité et la
motivation intrinsèque comme critères pour déterminer s'il y a attitude de
jeu; elle y ajoute \eframing, soit l'habileté de l'enfant à donner des indices
sociaux à ses partenaires et à lire les leurs pour rester dans le cadre du jeu.
Henriot (1976), pour sa part, caractérise cette attitude subjective par l'incer-
titude, l'indétermination, l'imprévisibilité et l'illusion. Ces éléments sont
susceptibles de susciter chez l'enfant la curiosité, une sensation de plaisir, un
sentiment de liberté d'action et l'envie d'agir, ce qui peut l'inciter à explorer,
à faire des tentatives, à prendre des risques, à laisser émerger son imagina-
tion et à utiliser son sens de l'humour.
Avoir une attitude ludique, c'est en quelque sorte ne pas se prendre au
sérieux et ne pas prendre au sérieux la situation. Selon Lieberman (1977),
l'attitude ludique peut devenir un trait de personnalité qui se manifestera
dans la vie adulte, ce que confirme l'étude de Barnett (1990). On peut conce-
voir alors qu'un adulte, témoignant d'une pensée positive prônant l'impor-
tance de relativiser les événements, de toujours tenter de dégager les éléments
positifs de toute situation problématique, visant en somme à développer
une appréhension positive de la vie, aurait un état d'esprit proche d'une
attitude ludique. D'ailleurs, Etienne (1982), dans sa réflexion sur le jeu et ses
recommencements à l'âge adulte, associe à l'esprit ludique la capacité de
dédramatiser les situations difficiles et de se distancier des problèmes.
On peut donc définir le jeu de la façon suivante :

Le jeu est une attitude subjective où plaisir, curiosité, sens de l'humour et spon-
tanéité se côtoient; cette attitude se traduit par une conduite choisie librement
et dont on n'attend aucun rendement spécifique.

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2
LE JEU ET L'ENFANT AYANT
UNE DÉFICIENCE PHYSIQUE

Au-delà du mot, il y aie geste,


Au-delà du langage de l'enfant, il y a son jeu.
Ferland, 1992

'Qui ne se soucierait d'un enfant qui ne joue pas ?


Qui ne craindrait pour sa santé, son évolution, son avenir?
Caffari-Viallon, 1988

Après avoir démontré l'importance du jeu dans la vie de l'enfant normal,


voyons ce qu'il en est de l'enfant qui présente une déficience physique. Puis,
comme le modèle ludique a été utilisé auprès d'autres clientèles infantiles
depuis la dernière parution de cet ouvrage, nous nous intéresserons au jeu
chez les enfants présentant d'autres types de problèmes, tels que la défi-
cience intellectuelle et les troubles envahissants du développement.
Dans le cas d'un enfant qui présente une déficience physique, on peut
concevoir qu'en regard du jeu cet enfant soit d'abord confronté à la frus-
tration. Lui est-il cependant possible, au cours de son enfance, d'avoir accès
à ces expériences agréables où plaisir, découverte, maîtrise et expression se
marient harmonieusement? Que connaît-on du jeu de cet enfant? Ce sec-
teur d'activités est-il reconnu à sa pleine valeur par l'entourage de l'enfant ?
4O * LE MODÈLE LUDIQUE

Pour tenter de cerner ces questions, on fera un tour d'horizon des


connaissances portant sur le sujet; on y déterminera ce qui caractérise le
jeu de cet enfant ainsi que les entraves instrumentales et environnementales
auxquelles il pourrait faire face. Puis on y adjoindra les témoignages de
parents d'enfants ayant une déficience physique et dont on fit la connaissance
au cours de la recherche présentée à l'annexe i, ce qui permettra de délimi-
ter la place du jeu dans le quotidien de leur enfant. Au préalable, précisons
la définition que nous donnons à la déficience physique dans cet ouvrage.
L'expression « déficience physique » désigne ici toute anomalie ou modi-
fication des systèmes, principalement physiologique ou neurologique, ame-
nant une perturbation de la capacité à réaliser des activités considérées
comme normales pour un enfant et susceptibles d'entraîner une situation de
handicap. Cette situation de handicap peut également découler de facteurs
environnementaux.
Cet ouvrage s'intéresse donc particulièrement à l'enfant d'âge préscolaire
qui présente une déficience physique entraînant une incapacité significative et
permanente, associée ou non à d'autres problèmes, tels des problèmes visuels,
auditifs, respiratoires. La réflexion porte donc sur l'enfant touché de façon
importante dans son corps et, de prime abord, limité dans sa découverte du
plaisir et du monde qui l'entoure.

L'ÉTAT ACTUEL DES CONNAISSANCES

Alors qu'il est difficile de parcourir l'ensemble des recherches menées sur le
jeu de l'enfant normal, en raison de la multitude et de la variété de ces études,
celles qui concernent l'enfant ayant une déficience physique sont, à l'inverse,
peu nombreuses. Notre connaissance en est donc lacunaire. Pourquoi la
communauté scientifique manifeste-t-elle si peu d'intérêt pour ce sujet?
Est-ce parce que le jeu est peu valorisé, que chez ces enfants les besoins par-
ticuliers l'emportent sur les autres? C'est bien possible.
Lorsque Le modèle ludique parut pour la première fois, en 1994, très peu
de recherches en ergothérapie avaient tenté de cerner la dynamique et les carac-
téristiques particulières du jeu chez l'enfant ayant une déficience physique.
Les écrits portant sur le jeu y étaient (et sont toujours) fort nombreux, mais ils
étaient davantage axés sur son utilisation clinique ou sur la philosophie à
LE JEU ET L'ENFANT AYANT UNE DÉFICIENCE PHYSIQUE * 41

laquelle elle renvoie, comme nous le verrons au chapitre suivant. Depuis 1994,
toutefois, quelques chercheurs en ergothérapie ont tenté de mieux comprendre
ce phénomène et c'est heureux car, si l'on veut intervenir grâce au jeu auprès
de l'enfant aux prises avec des incapacités physiques, il apparaît essentiel de
savoir au départ ce qui le caractérise.
Les premières études consacrées à ce sujet ont cerné des lacunes dans le
jeu de cet enfant. Ainsi, en 1973, Gralewicz précisait que, durant la période
préscolaire, l'enfant ayant une déficience physique joue moins que l'enfant
normal parce que son temps est monopolisé par les thérapies et qu'il a moins
de partenaires de jeu. Également, il est plus dépendant des partenaires adultes
pour commencer à jouer, et ce pendant plus longtemps (Newson et Hipgrave,
1982; Rubin, Fein et Vandenberg, 1983).
Par ailleurs, diverses entraves au jeu libre de cet enfant ont été repérées :
entraves physiques, parentales, environnementales et sociales (Missuana et
Pollock, 1991). Outre les difficultés physiques de l'enfant, qui restreignent
ses expériences concrètes d'exploration et de manipulation, l'inquiétude des
parents à propos des accidents ou de la fatigue risque également de limiter
les occasions de jouer. De plus, les obstacles architecturaux, que ce soit dans
les parcs ou autres lieux publics, limitent également les possibilités de jeu
dans ces endroits fréquentés par les autres enfants. On peut craindre, comme
les auteurs qui ont fait l'inventaire de ces entraves (Missuana et Pollock,
1991), que celles-ci provoquent l'émergence d'un handicap secondaire s'ajou-
tant à la limitation initiale.
Selon Vedeler (1986), la séquence du jeu chez ces enfants serait la même
que celle qu'on trouve chez les autres enfants. Les résultats de Gowen et de
ses collaborateurs (1992) abondent dans ce sens : deux groupes d'enfants,
âgés de 6 à 27 mois, les uns normaux et les autres ayant une déficience (syn-
drome de Down, paralysie cérébrale, spina bifida, retard de développement),
ont présenté la même séquence de développement dans les comportements
de jeu avec les objets.
Vedeler considère toutefois que la façon de jouer et le type de jeu de ces
enfants pourraient être fort différents de ceux des enfants normaux. Quoique
la recherche actuelle ne permette pas de connaître avec certitude l'ensemble de
ces différences, certains éléments ont été précisés. Ainsi, dans une étude explo-
ratoire menée auprès d'enfants ayant une déficience physique et âgés de trois
42 * LE MODÈLE LUDIQUE

à cinq ans, Simard, Ferland et O'Neill Gilbert (1994) retrouvent bel et bien
dans leur jeu un développement séquentiel comparable à celui de l'enfant nor-
mal, mais présentant les caractéristiques particulières suivantes : l'apparition
tardive de l'imitation et un intérêt plus marqué pour les histoires.
Par ailleurs, on constate que les intérêts de cet enfant en matière de jeu
dépendent davantage de sa personnalité que de la gravité de sa déficience, tout
comme certains traits de son attitude ludique d'ailleurs : sens de l'humour,
spontanéité, expression du plaisir (Dufour, Ferland et Gosselin, 1998).
Une autre étude (Rome-Flanders et Ferland, 1997; Ferland, 1997) arrive à
des résultats similaires. En comparant les intérêts de jeu chez 30 enfants ayant
une déficience physique (principalement une infirmité motrice d'origine
cérébrale, ou IMOC) et chez 20 enfants normaux, de nombreuses similarités
entre ces deux groupes d'enfants ont été observées : selon les mères, tous ces
enfants avaient un intérêt marqué pour les contacts physiques, les situations
amusantes, les histoires, les livres d'images, les animaux. Par contre, compa-
rativement aux enfants normaux, ceux présentant une IMOC s'intéressaient
plus aux activités sensorielles et aux enfants de leur âge, ceux-ci étant leurs
partenaires de jeu préférés, bien que leur partenaire habituel soit plutôt leur
mère. Quant à l'attitude de jeu, encore là ils avaient plusieurs traits en com-
mun avec leurs pairs normaux : curiosité, sens de l'humour, goût du plaisir
et spontanéité. Par contre, ils manifestaient moins d'initiative et d'intérêt à
relever des défis. Ainsi, en ce qui a trait aux intérêts et à l'attitude ludiques, les
ressemblances entre ces deux groupes d'enfants étaient plus nombreuses que
les différences. Ces résultats montrent que la présence d'une incapacité
motrice, bien qu'ayant un effet certain sur les capacités physiques de l'enfant,
n'affecte pas de façon importante les intérêts et l'attitude de jeu de l'enfant,
tels qu'ils sont perçus par la mère.
Curry et Exner (1988), pour leur part, ont démontré que des enfants ayant
la paralysie cérébrale préfèrent toucher des objets rugueux et résistants plu-
tôt que des objets doux et malléables. Sentant mieux la matière lorsqu'elle
résiste sous leurs doigts, ils choisissent plus volontiers du matériel de jeu en
plastique qu'en caoutchouc mousse.
Par ailleurs, dans une étude exploratoire menée de façon rétrospective
auprès d'adolescents présentant une déficience physique, nous avons observé
chez cette clientèle un intérêt constant pour la télévision tout au long du
LE JEU ET L'ENFANT AYANT UNE DÉFICIENCE PHYSIQUE * 43

développement, et ce dès l'âge de deux ans, de même qu'un intérêt, décrois-


sant avec l'âge, pour les activités de motricité fine (Ferland, Lambert et
Bertrand, 1991). Par ailleurs, une soif de contacts sociaux inassouvie a éga-
lement été notée chez ces sujets.
Brown et Gordon (1987) ont, quant à eux, étudié les effets de la déficience
physique sur les activités de 239 enfants handicapés en les comparant à 519
enfants normaux, tous âgés de 6 à 19 ans. Leurs résultats vont dans le même
sens que l'étude exploratoire précitée : les enfants ayant une déficience physi-
que passent plus de temps à des activités passives et à leurs soins personnels
que les enfants normaux. Leurs activités sont moins variées et le rythme de
leurs journées plus lent que ceux du groupe témoin. Avec l'âge, ils semblent
plus susceptibles de connaître l'isolement social.
Plusieurs chercheurs (Ferland, Lambert et Bertrand, 1991 ; Jones, Jarret et
Quay, 1984; Newson et Hipgrave, 1982; O'Halloran, 1985) soulignent d'ailleurs
la présence de cette lacune dans le processus de socialisation de l'enfant ayant
une déficience physique. La réduction de la motricité limite les occasions de
jouer avec les autres, et ce très tôt dans la vie de l'enfant. Plus particulière-
ment, les activités de motricité globale risquent d'être réduites ; or, ce sont
précisément les contextes qui favorisent de tels jeux que Vandenberg (1981)
a associés à l'émergence d'interactions sociales, davantage que les contextes
favorisant des jeux de motricité fine.
Les limitations physiques peuvent également avoir des conséquences sur
le niveau cognitif des jeux de ces enfants, comme semble en témoigner le
retard de l'imitation mentionné précédemment. Comme leur connaissance
du monde concret est limitée, ces enfants peuvent éprouver des difficultés à
accéder à des niveaux de jeu plus abstraits ; le symbolisme et la fantaisie peu-
vent alors se développer plus tardivement (Salomon, 1983, p. 464).
Jennings et ses collaborateurs (1988) ont étudié la motivation à maîtriser
l'environnement chez 22 enfants ayant une déficience physique et chez 89
enfants normaux âgés de trois ans et demi et de quatre ans et demi. L'analyse
des résultats indique que les enfants normaux, comparativement aux enfants
ayant une déficience physique, font preuve de plus de persévérance lors de
l'accomplissement d'une tâche difficile et qu'ils choisissent des tâches exi-
geantes de préférence à des tâches plus faciles. Durant le jeu libre, les enfants
normaux sont moins oisifs. Leurs activités sont plus complexes, plus avancées
44 * LE MODÈLE LUDIQUE

sur le plan cognitif et de plus longue durée que celles de leurs pairs handi-
capés. Un élément est toutefois commun aux deux groupes, soit la curiosité.
Ces diverses études précisent plusieurs caractéristiques du comportement
ludique de l'enfant ayant une déficience physique ; on peut en conclure que
l'expérience de la découverte, de la maîtrise, de la créativité et de l'expression
de soi fournie par le jeu risque d'être sérieusement compromise chez les
enfants ayant une déficience physique. En effet, ces enfants découvriront
tardivement le monde qui les entoure, compte tenu des entraves posées par
leurs limitations physiques. Le jeu, si l'on ne retient que le geste du jeu, est
susceptible de susciter principalement une expérience de frustration chez
ces enfants. Le bagage expérientiel qu'ils pourraient retirer de leur activité
ludique risque d'en être fortement réduit. Par conséquent, le sentiment de
maîtrise et de contrôle que le jeu procure à l'enfant normal sera peu expé-
rimenté, tout comme le plaisir de mettre en œuvre son imagination. Les
limitations physiques peuvent également entraver tant le processus de socia-
lisation et le développement cognitif de l'enfant que son expression dans le
jeu. Pourtant, cet enfant, en plus d'éprouver des sentiments similaires à ceux
des autres enfants, doit s'adapter, sur le plan émotif, à ses limitations et aux
répercussions qu'elles ont sur sa vie. Non seulement a-t-il besoin d'expri-
mer ses émotions autant que tout enfant, mais on peut penser que ce besoin
est encore plus grand, à cause de sa situation et de son vécu.
Toutefois, ces enfants partagent plusieurs éléments de l'attitude ludique
avec les enfants normaux (curiosité, sens de l'humour, goût du plaisir, ini-
tiative) et peuvent s'intéresser à toutes sortes de jeux. Certains intérêts par-
ticuliers semblent caractériser ces enfants : les activités sensorielles, les autres
enfants, les histoires.
Ces constatations nous invitent à pousser plus loin notre réflexion sur le
jeu, mais laissent déjà entrevoir qu'il pourrait être indiqué de considérer
l'enfant ayant une déficience physique de façon plus globale, débordant la
seule sphère physique pour s'intéresser aux différentes facettes de son déve-
loppement. Le jeu peut s'avérer une voie privilégiée pour y parvenir.

LE JEU DAMS LE QUOTIDIEN DE L'ENFANT AYANT UNE DÉFICIENCE PHYSIQUE

Quelle est la place du jeu dans le quotidien de l'enfant qui présente une
incapacité motrice ? Y est-il présent et valorisé ?
LE JEU ET L'ENFANT AYANT UNE DÉFICIENCE PHYSIQUE * 45

Le point de vue des mères


Pour tenter de répondre à cette question, on a interviewé des mères (la
description des participantes et la méthodologie utilisée sont présentées à
l'annexe i). Au départ, il était prévu de rejoindre les deux parents. Cependant,
bien qu'on ait offert de les rencontrer le soir ou les fins de semaine, seulement
deux des sept pères se sont présentés lors de ces entretiens et un seul a par-
ticipé à la discussion. Le groupe de travail qui a publié Un Québec fou de ses
enfants (Rapport du Groupe de travail pour les jeunes, 1991) l'avait déjà
constaté : un grand nombre de pères assument maladroitement leur rôle de
parent, ne participent pas suffisamment à la vie familiale. Quand l'enfant
présente une déficience physique, une telle situation peut être observée aisé-
ment en milieu clinique. La plupart du temps, la mère est la personne qui
représente les parents pour tout ce qui touche les soins et les traitements
prodigués à l'enfant. Dans l'étude menée par Hinojosa et Andersen (1987),
89 % des ergothérapeutes disent travailler principalement avec les mères,
alors que seulement 11% d'entre eux travaillent avec les deux parents.
Dégager ce qu'il y a de commun aux témoignages de ces mères permet de
comprendre tant la réalité de l'enfant que celle de la mère et de cerner de
façon plus complète la place du jeu dans leur quotidien.

Leur définition du jeu. Chez les mères interviewées, le jeu n'a pas une défini-
tion unique, mais bien deux définitions très différentes, selon qu'elles l'abor-
dent en général ou en regard de leur enfant. De façon générale, ces mères
disent que jouer, c'est « avoir du plaisir » : « II n'y a plus de routine, disent-elles,
plus de travail. » Elles ajoutent : « Quand on joue, on se laisse aller. » Elles
pensent que pour leur enfant, par contre, le jeu devient un travail, ce qui est
inconscient pour l'enfant, mais pas pour elles : « Quand il joue, il travaille,
mais il ne s'en aperçoit pas » ; « Pour lui, le jeu, disent-elles encore, c'est un tra-
vail agréable » ; « Quand on joue avec lui, on a un but, mais il a quand même
du plaisir. » Ainsi, en ce qui concerne leur enfant, le jeu s'inscrit dans le cadre
de la rééducation.
Ces affirmations donnent à penser que les activités ludiques de l'enfant,
quoique associées au plaisir, visent toujours des objectifs spécifiques, édu-
catifs ou thérapeutiques. Il ne semble pas que le jeu présente dans la vie de
l'enfant un intérêt en soi. Comment ces mères en sont-elles venues à définir
46 * LE MODÈLE LUDIQUE

ainsi le jeu pour leur enfant ? Il est possible qu'à cette question théorique
ces mères aient répondu ce qu'elles entendent régulièrement chez les pro-
fessionnels de la réadaptation, et plus particulièrement chez les ergothéra-
peutes : le jeu est une façon intéressante de contrer les limitations de l'enfant
et d'améliorer ses habiletés. Il est possible également que ces mères, comme
d'autres mères et peut-être plus que d'autres mères, soient influencées par le
courant social préconisant la mise en œuvre d'activités éducatives précoces
pour favoriser l'émergence d'une performance maximale chez l'enfant
(Saucier, 1983) ; par conséquent, leur rôle parental peut leur apparaître,
comme à beaucoup d'autres parents, comme étant principalement celui de
pourvoyeur d'activités éducatives. Il est également possible que ces mères
n'aient pas reçu l'aide requise pour apprendre à réinvestir, grâce au plaisir du
jeu, cet enfant perturbé dans son corps.
Le fait que le jeu auquel on s'adonne simplement pour le plaisir ne soit
pas présent dans le quotidien de l'enfant doit être considéré comme inquié-
tant. Par contre, le plaisir, lui, occupe une place importante dans les préoc-
cupations de ces mères, et ce même en dehors des activités ludiques. C'est un
thème fort valorisé par toutes les mères interviewées : « Quoi qu'on fasse
avec l'enfant, l'important, c'est qu'il aime ça. » II est heureux que cette notion
de plaisir soit perçue comme importante puisque qu'elle est susceptible de
contribuer à l'établissement d'une interaction positive entre la mère et l'en-
fant, comme nous le montrerons plus loin.

Les activités perçues comme étant agréables à leur enfant Parmi les diverses
activités perçues par les mères comme étant agréables à leur enfant, notons
deux éléments communs aux sept enfants :

i. Être avec des gens


Se retrouver près de la mère pendant qu'elle vaque à ses occupations
domestiques, être entouré d'autres enfants, voilà des activités aimées des
enfants. Les activités spécifiques varient de l'un à l'autre, mais le thème
commun demeure « être avec des gens ». Ce plaisir d'être en contact avec
d'autres confirme la soif sociale qui semble caractériser la population
d'enfants et d'adolescents ayant une déficience physique, tel que men-
tionné précédemment.
LE JEU ET L'ENFANT AYANT UNE DÉFICIENCE PHYSIQUE * 47

2. Activités dans l'eau


Dans ce deuxième thème se regroupent diverses activités : prendre un
bain ou une douche, aller à la piscine, à un lac ou même à la mer. On
voit bien que ce type d'activités peut représenter pour tout enfant un
plaisir en soi, ne requérant aucun effort. Pour ces enfants en particulier,
les activités qui s'effectuent dans l'eau peuvent également avoir des effets
non négligeables sur leur spasticité et ainsi contribuer à un sentiment de
bien-être.
Les autres activités décrites par les mères comme étant agréables à leur
enfant sont très différentes les unes des autres. L'analyse de ces variations a
permis de cerner des différences chez les enfants ; par exemple, l'un adore
toute activité où la musique joue un rôle, une autre est fascinée par les jouets
mécaniques en mouvement. Ce concept de différences individuelles, que l'on
reconnaît volontiers quand il s'agit d'enfants normaux, est souvent oublié
quand on travaille avec des enfants présentant une déficience physique.
Également, l'influence de la famille peut rendre compte de certains intérêts
spécifiques chez l'enfant. Par exemple, une famille pratique depuis toujours des
activités extérieures telles que le camping, la bicyclette, la motoneige, le bateau.
Leur fille, en dépit de ses importantes difficultés physiques, a toujours suivi la
famille et s'est ainsi intéressée peu à peu à ce genre d'activités.

L'expression des sentiments et le plaisir dans l'interaction mère/enfant Puisque


ces mères sont capables de dire quelles sont les activités préférées de leur
enfant, nous pouvons en conclure que l'expression de plaisir peut être déco-
dée chez leur enfant. Mais qu'en est-il de l'expression des besoins et des autres
émotions? Comment ces enfants parviennent-ils à communiquer leur déplai-
sir, leur colère, leur peur, leurs désirs, leur tristesse, leur frustration?
Selon les mères, et ceci s'est confirmé lors de l'observation participante,
les sept enfants peuvent communiquer des besoins et des sentiments de base,
tels que «je veux», «je ne veux pas», «j'aime» ou «je n'aime pas». Cependant,
l'expression de leurs sentiments négatifs est beaucoup plus explicite que l'ex-
pression de leurs sentiments positifs. La plupart de ces enfants ne peuvent
s'exprimer que par l'expression du visage ou les mouvements des yeux.
En ce qui concerne deux de ces enfants, seuls les membres de la famille
pouvaient comprendre ce qu'ils exprimaient. Notons que les mères de ces
48 * LE MODÈLE LUDIQUE

deux enfants sont celles qui semblent avoir le moins de plaisir avec leur
enfant, bien qu'elles leur aient consacré beaucoup de temps; d'ailleurs, selon
elles, leur enfant n'éprouve du plaisir qu'occasionnellement. Par contre, deux
autres enfants sont capables de communiquer des sentiments positifs variés,
tels que la joie, la fierté, l'amour, aussi clairement que des sentiments néga-
tifs, tristesse, crainte, colère. Leurs mères valorisent cette capacité d'expres-
sion de leur enfant : « Je sais toujours exactement ce que mon enfant pense
ou ressent. » Ou encore : « II est facile à comprendre. » Le plaisir est évident
tant chez ces enfants que chez leur mère et il est facilement observable même
par ceux qui n'appartiennent pas à la famille.
Comment rendre compte de ces deux situations extrêmes? La gravité du
handicap ne peut être retenue comme explication puisque ces deux enfants
ont une déficience physique tout aussi importante que les deux premiers. La
capacité d'exprimer ses sentiments saurait-elle à elle seule injecter du plaisir
dans l'interaction mère-enfant? À partir de l'analyse de contenu, il a été pos-
sible d'obtenir un portrait individualisé de chaque participant (voir l'analyse
des données, à l'annexe i). L'analyse comparative de ces données individuelles
a permis de dégager des éléments relatifs à l'interaction mère-enfant et de
comprendre comment pouvait se mettre en place un cycle d'influence
mutuelle entre la mère et l'enfant, en regard du plaisir.
Ce cycle doit être compris comme une hypothèse devant être testée ulté-
rieurement, mais on peut dès maintenant repérer des pistes susceptibles de
mener au plaisir partagé par la mère et son enfant.

FIGURE 2

Influence mutuelle entre la mère et l'enfant, en regard du plaisir


LE JEU ET L'ENFANT AYANT UNE DÉFICIENCE PHYSIQUE * 49

Quand le plaisir est présent à la fois chez la mère et chez l'enfant, on


retrouve divers facteurs : la mère est engagée émotivement, d'autres per-
sonnes importantes sont présentes également, comme le père, les frères et
sœurs, les grands-parents, des personnes appartenant à la communauté et,
enfin, un éventail d'expériences sont offertes à l'enfant. Du côté de l'enfant,
on retrouve de la curiosité, l'expression des sentiments tant positifs que
négatifs et des intérêts variés. Ces comportements de l'enfant n'ont pas à
être très complexes ; il suffit qu'ils soient compris par l'entourage. Il semble
s'agir là d'un véritable cycle : plus l'enfant réagit, plus les autres s'engagent,
et plus la mère et les autres s'engagent, plus l'enfant réagit. On ne peut cepen-
dant dire qui, de la mère ou de l'enfant, est l'élément déclencheur de ce cycle.
On a voulu s'assurer que ce cycle fonctionne dans sa contrepartie néga-
tive. Dans les deux cas où le plaisir semble être présent exclusivement du
côté de l'enfant, et seulement jusqu'à un certain point, malgré une partici-
pation importante de leur part, les deux mères expriment des sentiments
de solitude. Elles ont l'impression que toute la responsabilité de l'enfant
repose sur leurs épaules. L'établissement d'une routine avec l'enfant est,
selon elles, la seule façon d'éviter la dépression et de bloquer l'émergence
de sentiments d'insécurité. Par ailleurs, les réactions de leur enfant sont
minimales et dirigées principalement vers le pôle négatif.
Reproduisant un modèle interactionnel, ce cycle est conforme aux
conceptions de la relation mère-enfant qui voient en elle un phénomène de
réciprocité (DeCerf, 1987; Osofski et Connors, 1979). L'élément central ici est
le plaisir, concept fort important pour les mères quand il s'agit de leur enfant
et qui, s'il est partagé par la mère elle-même, semble susceptible de mener à
l'établissement d'une bonne interaction mère-enfant.
Cette hypothèse a incité une ergothérapeute à mener une étude pour ten-
ter de cerner, chez les mères d'enfants normaux, les paramètres susceptibles
de favoriser le plaisir dans leur interaction quotidienne avec leur jeune enfant
(Simard, en cours). Les résultats, qu'ils se rapprochent ou non de ceux qu'on
trouve à la figure 2, pourront aider les ergothérapeutes dans leur travail cli-
nique en santé mentale infantile.
La notion de plaisir dans l'interaction mère-enfant est une notion origi-
nale qui va au-delà de la notion de réciprocité; elle se reflète dans le quoti-
dien, ce qui rejoint l'objectif premier de l'ergothérapie. En tant que
5O * LE MODÈLE LUDIQUE

thérapeutes travaillant principalement à contrer les difficultés particulières de


l'enfant, il faut absolument tenir compte de l'interaction mère-enfant; elle
colore leur quotidien et sur elle s'édifie la vie de cet enfant.

LE JEU ET LES AUTRES CLIENTÈLES INFANTILES

Que savons-nous des caractéristiques du jeu chez les autres clientèles infantiles?
Arrêtons-nous en premier lieu à l'enfant ayant une déficience intellectuelle.

L'enfant ayant une déficience intellectuelle

Dans son étude menée auprès de 27 enfants âgés de cinq à sept ans et ayant un
quotient intellectuel de moins de 70, Messier (2000) a décelé les caractéris-
tiques suivantes : ces enfants étaient habiles dans les activités impliquant
l'exploration de l'espace et la motricité globale. Quant aux habiletés de mani-
pulation, d'imitation et de socialisation, elles étaient liées à la gravité de
l'atteinte intellectuelle. De fait, les habiletés de jeu étaient en rapport avec l'âge
mental des enfants, ce qui ressort de plusieurs autres études (Hellendoorn et
Hoekman, 1992; Gowen, Johnson-Martin, Davis-Goldman et Hussey, 1992).
Toutefois, l'étude de Messier (2000) a permis de voir que la plupart de ces
enfants exprimaient dans le jeu de la curiosité, de la spontanéité, certaines
initiatives et du plaisir. Par contre, le sens de l'humour et le goût de relever des
défis étaient beaucoup moins présents. Considérant le sens de l'humour peu
développé chez ces enfants, Denoncourt et Carpintero (1998) ont obtenu des
résultats similaires dans leur étude auprès d'enfants d'âge préscolaire ayant
une déficience intellectuelle.
Selon Ichinose et Clark (1990), ces enfants semblent préférer s'amuser
avec du matériel structuré, tel des casse-tête ou des jeux à chevilles, ou encore
avec des jouets réagissant à leur action, produisant un son, une lumière ou
une vibration. Toutefois, ces préférences sont davantage observées chez les
enfants qui jouent de façon répétitive et stéréotypée.

L'enfant ayant des troubles envahissants du développement

Les troubles envahissants du développement regroupent un certain nombre


de problèmes caractérisés par un retard de développement, particulière-
ment dans la communication et la socialisation (Case-Smith et Miller, 1999).
LE JEU ET L'ENFANT AYANT UNE DÉFICIENCE PHYSIQUE * 51

Sous cette appellation, on retrouve, entre autres, l'autisme. À la suite d'une


étude menée auprès de 292 ergothérapeutes américains, Case-Smith et Miller
(1999) identifient chez ces enfants des problèmes fonctionnels pour le jeu de
faire semblant et le jeu avec les autres.
D'autres chercheurs ont trouvé chez l'enfant autistique des lacunes simi-
laires : inhabileté à amorcer des interactions dans le jeu ou à y réagir (Restall
et Magill-Evans, 1994; Sigafoos, Robert-Pennell, Graves, 1999), jeu stéréo-
typé (Wing, 1988), absence du jeu de faire semblant (Charman et Baron-
Cohen, 1997), absence que Beyer et Gammelfolt (2000) expliquent par les
troubles cognitifs et émotifs de cet enfant. Par contre, beaucoup de ces enfants
manifestent d'étonnantes habiletés dans les domaines moteur et visuospatial,
comme en font foi leur intérêt pour les casse-tête et leur inspection visuelle
rapprochée de certaines parties des jouets (Ziviani, Boyle et Rodger 2001).
Selon Beyer et Gammeltoft (2000), le matériel de jeu susceptible, en début
d'intervention, d'intéresser davantage ces enfants serait celui qui réagit à
l'action de l'enfant, par exemple la boîte à surprise qui fait apparaître un
clown quand l'enfant presse une manette, ou les objets qui exigent des gestes
répétitifs et simples, souffler des bulles de savon par exemple.
Par ailleurs, étant donné les lacunes relevées dans le jeu social de ces enfants,
Gayle et Magill-Evans (1994) considèrent que l'utilisation du jeu et de maté-
riel de jeu attirant en thérapie est la voie à retenir pour accentuer leur désir
d'explorer leur environnement et de maîtriser les habiletés interpersonnelles.
À la lumière des résultats présentés dans ce chapitre, il semble évident
que nous ne connaissons pas suffisamment les activités ludiques de l'enfant
différent des autres. Si l'on privilégie véritablement le domaine du jeu chez
l'enfant que l'on voit en thérapie, d'autres recherches devront être menées
pour en savoir davantage. De nombreuses questions restent actuellement
sans réponse. Cet enfant différent des autres apprend-il, avec les années, à
compenser sa déficience par une activité mentale accrue? Joue-t-il dans sa
tête? Comment cet enfant limité dans son corps (dans ses sens ou dans ses
capacités intellectuelles) découvre-t-il le monde qui l'entoure et la place que
lui-même y occupe ?
Par ailleurs, on peut se demander si, en tant que thérapeutes d'enfants,
nous sommes suffisamment conscients de l'influence que nous avons sur les
parents, les amenant à penser d'abord et avant tout à la rééducation de leur
52 * LE MODÈLE LUDIQUE

enfant. Est-il possible que, préoccupés par les besoins spéciaux de notre clien-
tèle, nous oubliions des concepts de base tels que l'importance de l'interaction
mère-enfant et la présence de différences individuelles chez chacun de nos
clients? Il est heureux que, spontanément, les mères interviewées considèrent
le plaisir comme l'élément essentiel des rapports qu'elles entretiennent avec
leur enfant. Cela peut être vu comme une première justification pour retenir
le jeu comme modalité thérapeutique, puisque le jeu est source de plaisir pour
l'enfant.
Si nous voulons offrir de meilleurs services thérapeutiques à notre clien-
tèle infantile, le jeu et son indissociable partenaire, le plaisir, peuvent être la
voie privilégiée pour y parvenir. Il nous faut cependant réévaluer la place
qu'il occupe en ergothérapie et l'utilisation qu'on en fait.

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3
LE JEU ET L'ERGOTHÉRAPIE

Individuals are most true to their humanity


when engagea in occupation.
Yerxa et al, 1990

Après avoir survolé le jeu dans la vie de l'enfant normal et dans le quotidien
de l'enfant qui présente des limitations, nous allons tenter, dans le présent
chapitre, de le cerner en regard de l'ergothérapie. Nous rappellerons d'abord
en quoi consistent les bases philosophiques de la profession, puis nous retra-
cerons l'historique du jeu en ergothérapie, ce qui nous permettra, entre
autres, d'évaluer s'il y a eu au fil des ans glissement quant à la conception du
jeu et ce qui nous amènera à présenter la philosophie actuelle du jeu en ergo-
thérapie. Les ergothérapeutes ayant participé à la recherche présentée à
l'annexe i donneront par la suite des précisions sur l'utilisation du jeu dans
la pratique de l'ergothérapie. Enfin, nous ferons état des commentaires et
recommandations formulés par les adultes présentant une déficience phy-
sique qui ont eux aussi participé à la recherche : le point de vue de nos
« anciens clients » sur notre pratique peut nous aider à déterminer si notre
façon d'utiliser le jeu en ergothérapie répond vraiment aux besoins de notre
clientèle; autrement dit, leurs recommandations pourront nous aider à recen-
trer notre pratique sur les besoins de ces enfants.
56 * LE MODÈLE LUDIQUE

LES BASES DE L'ERGOTHÉRAPIE

L'idée selon laquelle l'être humain s'accomplit dans ce qu'il fait est au cœur
même de l'ergothérapie (Association canadienne des ergothérapeutes, 1997).
En effet, on décèle chez l'homme un besoin fondamental d'explorer, d'agir
sur son environnement, de démontrer sa compétence, donc un besoin fon-
damental de se réaliser dans l'action (Wilcok, 1993). En s'engageant dans
des activités1, l'homme découvre ce qui l'entoure et se découvre lui-même ;
il apprend à interagir avec son environnement, à développer ses habiletés, à
exprimer ses émotions. Les activités constituent en quelque sorte un fac-
teur de santé (ACE, 1997; Royeen, 1997; Wilcock, 1998); elles influent tant
sur la santé physique que sur la santé psychique (AOTA, 1999). Pour Wilcock
(1998), l'ergothérapie représente une manière originale de comprendre les
activités des êtres humains, les rapports entre ce qu'ils font et ce qu'ils sont;
elle repose sur l'idée que, grâce à ses activités, l'être humain se remodèle
constamment. C'est donc en tentant d'atteindre un équilibre dynamique
entre l'«agir» (doing), l'«être» (being) et le «devenir» (becoming) que
l'ergothérapie favorise la santé et le bien-être de l'individu.
Pour que les activités aient un tel effet sur la vie de quelqu'un, encore
faut-il qu'elles aient un sens pour lui (ACE, 1997), qu'elles répondent tant à
ses intérêts, à ses désirs qu'à ses objectifs personnels.
Récemment, un modèle proposant une nouvelle conception des activités
a été présenté : le modèle personne-environnement-activités (Person-
environment-occupation modèle Law et al, 1996 ; Law et al, 2001). Ce modèle
conçoit les activités d'une personne comme étant le résultat de son interaction
avec son environnement, tant culturel, socio-économique, institutionnel et
physique que social.
Considérant ces bases philosophiques, il n'est pas étonnant que l'activité,
et plus précisément l'activité significative pour le client, soit retenue en ergo-

i. Dans cet ouvrage, l'ensemble des activités auxquelles s'adonne quelqu'un seront
désignées par le terme «les activités», et non par celui d' «occupation» utilisé en
ergothérapie dans les textes de langue anglaise tout autant que dans les traductions
en français. De la même manière, nous parlerons de « rendement dans les activités »,
et non de « rendement occupationnel». Quand il sera question de l'activité utilisée
à des fins thérapeutiques, nous utiliserons ce terme au singulier.
LE JEU ET L'ERGOTHÉRAPIE * 57

thérapie comme la modalité thérapeutique privilégiée pour assurer le rende-


ment optimal dans les activités. Ce rendement dans les activités est d'ailleurs
défini comme la capacité d'une personne de choisir, d'organiser et d'accom-
plir des activités significatives et qui lui procurent de la satisfaction (ACE, 1997).
Traditionnellement, en ergothérapie, les activités d'une personne ont été divi-
sées en trois domaines : les loisirs, la productivité et les soins personnels.
L'Association canadienne des ergothérapeutes considère que le jeu de l'enfant,
tout comme le travail scolaire, relève du domaine de la productivité (ACE, 1991;
ACE, 1997).
Par ailleurs, la pratique ergothérapique s'appuie sur les principes de la
philosophie humaniste, reconnaissant à l'homme la capacité de déterminer
lui-même et librement le cours de son existence (ACE, 1993) et d'influer sur
sa propre santé : «Man through thé use ofhis hands as they are energized by
mina and will can influence thé state ofhis own health» (Reilly, 1962, p. 2).
Reconnaissant cette capacité d'autodétermination et l'unicité des individus,
l'Association canadienne des ergothérapeutes préconise depuis plusieurs
années la mise en œuvre d'une pratique centrée sur le client (ACE, 1983).
L'adaptation y est vue à la fois comme le processus et le résultat de ce type
de pratique ; elle repose sur une démarche de résolution de problèmes.
Comme chaque situation est particulière, l'approche de l'ergothérapeute est
fortement individualisée. De plus, l'adaptation étant tributaire de plusieurs
dimensions (physique, affective, cognitive, sociale, environnementale),
l'ergothérapeute vise à aborder l'individu d'une façon holistique. Depuis
toujours, la perception holistique de l'être humain est présente dans la phi-
losophie de la profession.
Au cours des dernières années, une nouvelle préoccupation s'est fait jour
dans la profession, soit celle de fonder la pratique sur des données scienti-
fiques (evidence-based practice; Law et Baum, 1998; Dubouloz, Egan,
Vallerand et Von Zweck, 1999). «Il s'agit de mettre [...] l'accent sur l'inté-
gration et le transfert de la recherche, de les incorporer à sa pratique et d'en
user conjointement avec le jugement clinique, le choix du client et la for-
mation clinique» (Law et Baum, 1998, p. 132).
Après ce bref rappel des fondements de l'ergothérapie, examinons main-
tenant le phénomène du jeu en ergothérapie.
58 * LE MODÈLE LUDIQUE

L'HISTORIQUE DU JEU EN ERGOTHÉRAPIE

Comment le concept du jeu a-t-il évolué dans l'histoire de l'ergothérapie


auprès de la clientèle infantile? Le jeu y a-t-il toujours été présent et consi-
déré de la même façon? A-t-il fait l'objet d'un intérêt indéfectible dans la
profession depuis l'origine ? En retraçant l'évolution de la place du jeu en
ergothérapie, il sera possible de dégager des éléments de continuité et de
repérer des pistes d'investigation jusqu'ici inexplorées.
Selon les premières publications consacrées à ce sujet, le jeu en ergothé-
rapie vise à distraire l'enfant malade et à assurer son mieux-être psycholo-
gique. Poncher et Richmond (1947) considèrent que le jeu a pour fonction
principale d'atténuer chez l'enfant hospitalisé le traumatisme associé à la
séparation d'avec le milieu familial. Une entrevue avec l'enfant et les parents
permet alors à l'ergothérapeute de connaître les habitudes, préférences et
aptitudes de l'enfant. Lors de séances de jeu libre, l'ergothérapeute observe
les rapports que l'enfant entretient avec les autres, ses habiletés de même
que certains traits de sa personnalité. Par la suite, on recourt au jeu pour
occuper le temps de l'enfant de façon saine et constructive et on l'invite à
exprimer ses sentiments tant verbalement qu'à travers le matériel de jeu.
Pour ce faire, on utilise du matériel varié : films, musique, livres, peinture
digitale, poupées. Ainsi, à l'époque, le jeu en ergothérapie visait, en premier
lieu, le bien-être psychologique de l'enfant hospitalisé.
Black (1947) témoigne de cette même préoccupation pour les enfants
devant séjourner en sanatorium. Employé d'abord avec chacun des enfants,
puis en groupe, le jeu offre à l'enfant une soupape émotionnelle. On s'in-
quiète également des retards de développement qui peuvent découler des
longs séjours en sanatorium. Pour éviter que cela se produise, on fournit à
l'enfant des expériences de jeu modulées selon l'effort requis (dessin, cuir,
marionnettes, cuisine, jardinage).
Ainsi, dans les années 1940, on semble estimer que le jeu contribue au mieux-
être de l'enfant malade et permet de prévenir l'apparition d'autres problèmes.
Durant les années 1950, influencés par le courant du réductionnisme scien-
tifique (Kielhofher et Burke,i977), les ergothérapeutes commencent à consi-
dérer que leur façon d'utiliser le jeu est trop peu sophistiquée pour répondre
aux critères technologiques qui s'implantent dans le monde médical. On
LE JEU ET L'ERGOTHÉRAPIE * 59

commence alors à s'intéresser davantage à l'activité de jeu qu'au jeu lui-


même, à l'action du jeu plutôt qu'à son processus. L'analyse systématique
de l'activité de jeu se développe, permettant d'analyser, entre autres, les
mouvements sollicités et les modes de préhension requis (Frank, 1952;
Grayson, 1950 ; Price, 1957; Robinault, 1953). Les traitements deviennent eux
aussi plus complexes ; on y retrouve des étapes à suivre, les parties du corps
à mobiliser, les mouvements à solliciter et, enfin, le matériel de jeu à utiliser.
Également, l'utilisation d'aides techniques auprès de la clientèle infantile est
amorcée (Garnsey, 1956; Robinault, 1954). Désormais, le jeu, compris en
termes d'activités de jeu, vise des objectifs spécifiques, reliés à la condition
physique de l'enfant.
Durant les années 1960, plusieurs évaluations voient le jour en ergothérapie
et diverses approches thérapeutiques sont proposées. À titre d'exemples,
mentionnons l'évaluation globale de Vulpe (1969), les débuts de l'intégration
sensorielle de Ayres (1961,1962), l'approche neuro-développementale des
Bobath (1967) et les premiers écrits de Reilly sur Yoccupational behavior (1966).
Ainsi, l'utilisation du jeu en ergothérapie se modifie sensiblement au
cours des années 1950 et 1960. Comme les objectifs de traitement devien-
nent plus segmentés et très spécifiques, le jeu subit le même sort : il perd sa
globalité et l'analyse systématique de ses composantes développementales en
détermine dorénavant l'intérêt thérapeutique. On ne parle plus de «jeu»,
mais bien d'«activité de jeu», comme modalité thérapeutique et son utili-
sation est tributaire de l'approche thérapeutique choisie.
Au cours des années 1970, certaines des évaluations et approches mises au
point dans la décennie précédente font l'objet de recherches. La théorie
Jeu/Travail est présentée dans une série d'articles (Gray, 1972; Klavins, 1972;
Shannon, 1972; Sundstrom, 1972). Reilly poursuit ses investigations du jeu de
l'enfant présentant une déficience physique ; elle publie, en 1974, le premier
ouvrage important sur le jeu en ergothérapie : Play as Exploratory Learning. Cet
ouvrage a eu une influence décisive sur la conception du jeu dans la profession.
Ici, le jeu est présenté sur un continuum menant au travail : les habiletés et
habitudes développées dans le jeu préparent l'enfant à assumer son futur rôle
de travailleur compétent et productif. Diverses recherches étudient le jeu sous
différents angles : classification, évaluation, développement et contenu de jeu
(Florey, 1971; Knox, 1974; Michelman, 1974; Robinson, 1977; Takata, 1974).
6O * LE MODÈLE LUDIQUE

Durant les années 1980, des évaluations du jeu de l'enfant conçues durant
la décennie précédente font l'objet d'études de validité et de fidélité (Behnke
et Fetkovich, 1984; Bledsoe et Sheperd, 1982; Harrisson et Kielhofher, 1986).
Également, plusieurs recherches consacrées au comportement dans les acti-
vités et à la pratique de l'ergothérapie en pédiatrie débouchent sur une plus
grande précision tant des concepts que de l'application clinique de la théo-
rie de 1:'occupational behavior de Reilly (DeRenne-Stephan, 1980; Florey, 1981;
Hurff, 1980 ; Takata, 1980). Le premier ouvrage présentant le jeu comme une
habileté de base dans la vie de l'enfant voit le jour (AOTA, 1986).
Ainsi, des origines jusqu'à la fin des années 1980, on passe d'une concep-
tion très large du jeu permettant d'assurer le mieux-être psychologique de
l'enfant à une utilisation systématique de l'activité de jeu. L'analyse du jeu
par l'intermédiaire de ses composantes instrumentales a pu ainsi se dévelop-
per. Cependant, sauf exception (AOTA, 1986), cette évolution n'a pas retenu
l'essence du jeu, soit le processus impliqué.
À partir des années 1990, de nombreuses réflexions portant sur le jeu dans
la profession font l'objet de publications (Bracegirdle, 19923, i992b, 19920;
Bundy, 1993 ; Clancy et Clark, 1990 ; Couch, Deitz et Kanny, 1998 ; Ferland,
19923, i992b ; Occupational Therapy Play Research Group, 1993 ; Stewart et al,
1991 ; Stewart et al, 1996). Des livres entiers traitent de l'utilisation du jeu en
ergothérapie (Chandler, 1997; Ferland, 1994; 1998; Parham et Fazio, 1997).
Le jeu est identifié comme un cadre de référence de l'ergothérapie pédia-
trique (Oison, 1993). Également, Bundy (1997) met au point une évaluation
de l'attitude de jeu, le test ofplayfulness, qui est couramment utilisé depuis,
dans les recherches. Par ailleurs, dans la perspective de la « science de l'occu-
pation », quelques chercheurs tentent d'expliquer le développement de
l'enfant par l'analyse de ses activités (Humphry, 2002). Certains ergothéra-
peutes recourent également à leurs connaissances du jeu pour faire la pro-
motion de la santé, entre autres par le biais des nouvelles technologies telles
Internet (Ferland, 2000 ; Gauvin et Lefebvre, 2001 ; Labovitz, McCreedy et
Chesin, 2000).
Les travaux publiés au cours des dernières années ont permis d'appro-
fondir notre réflexion professionnelle sur le jeu, d'en dégager l'essence et de
s'interroger sur son utilisation. Nous donnerons des précisions, dans la sec-
tion suivante, sur la philosophie actuelle du jeu.
LE JEU ET L'ERGOTHÉRAPIE * 6l

LA PHILOSOPHIE DU JEU EN ERGOTHÉRAPIE

Dans ce qui s'écrit aujourd'hui en ergothérapie, on peut repérer divers cou-


rants de pensée concernant le jeu. Le premier courant trouve son origine dans
l'explication théorique du jeu fournie par Reilly en 1974, soit un apprentis-
sage, précurseur de la compétence à l'âge adulte. Ici, le jeu de l'enfant vise à
développer sa compétence et sa productivité futures. On voit ainsi dans le jeu
l'activité productive de l'enfant, au même titre que le travail scolaire (ACE,
1997) ; il le prépare à ses futurs rôles d'étudiant et de travailleur. Le jeu est
alors défini comme une modalité thérapeutique de choix permettant d'amé-
liorer des fonctions précises chez l'enfant; c'est ainsi que, par le jeu, l'ergo-
thérapeute s'emploie à développer les fonctions sensorielles, motrices ou
cognitives de l'enfant. L'évaluation du jeu y est également prise en considéra-
tion dans une perspective de développement, de façon à mesurer les acquis de
l'enfant en fonction de son âge. Par ailleurs, le jeu est intégré à certaines
approches (Andersen, Hinojosa et Strauch, 1987; Bundy, 1991; Sparling,Walker
et Singdahlesen, 1984) ou retenu comme moyen d'évaluer l'efficacité de
l'intervention en ergothérapie (Schaaf, Merrill et Kinsella, 1987).
Dans le deuxième courant de pensée, le jeu est non seulement un moyen
thérapeutique, mais aussi un but à atteindre en ergothérapie. Activité essen-
tielle dans l'enfance, le jeu est considéré comme un élément critique de
l'expérience humaine, chargé de sens et lié à la qualité de vie de l'enfant
(Parham et Primeau, 1997; Blanche, 1997), c'est la philosophie du modèle
présenté ici (Ferland, 1998). La thérapie tient compte tant de la capacité de
jouer que de l'élément attitudinal (Bundy, 1997; Ferland, 19923, i992b, 1994) :
on vise ainsi à introduire, dans les séances, l'essence du jeu. Dans cette
optique, on s'intéresse à l'enfant dans sa globalité, et non à une fonction
spécifique, et on l'aborde par des activités susceptibles d'avoir un sens pour
lui et de susciter son intérêt puisque tirées du domaine du jeu. Fisher (1998)
et Gray (1998) soulignent aussi l'importance d'utiliser en ergothérapie des
activités significatives qui servent à la fois de moyens et de fins.
En dehors de ces deux principaux courants de pensée, certains chercheurs
s'intéressent également aux possibilités de jeu libre chez l'enfant (Bracegirdle,
1992e ; Missuana et Pollock, 1991) ; ils préconisent que l'ergothérapeute
encourage ce type de jeu chez l'enfant ayant une déficience physique. La
préoccupation d'adapter le matériel de jeu pour le rendre accessible à cet
62 * LE MODÈLE LUDIQUE

enfant est également présente dans les publications en ergothérapie (Deizt


et Swinth, 1997; DuBois, 1997; Gauvin et Lefebvre, 1990; Langley, 1990).
Enfin, au cours des dernières années, le jeu a aussi été retenu comme dis-
positif de prévention et de promotion de la santé auprès des parents d'en-
fants normaux : l'objectif visé est d'assurer le développement harmonieux de
l'enfant, d'améliorer les rapports entre les parents et leur enfant et d'aider
toute la famille à avoir une meilleure qualité de vie (Ferland, 2002). Les ergo-
thérapeutes offrent alors des suggestions de matériel de jeu (Gauvin et
Lefebvre, 2001) ou d'activités de jeu (Labovitz, McCreedy et Chesin, 2000),
ou bien ils expliquent l'importance du jeu aux parents (Ferland, 2002). Grâce
au jeu, l'ergothérapeute contribue à la santé des enfants en donnant aux
parents une information qu'ils peuvent facilement comprendre. Dans le
même sens, la diminution du jeu libre dans la vie des enfants d'aujourd'hui,
attribuable entre autres aux craintes parentales, est vue par O'Brien et Smith
(2002) comme une situation dont doivent se préoccuper les ergothérapeutes,
compte tenu des effets qu'elle peut avoir sur la santé des enfants.
Ainsi, certains pensent qu'en ergothérapie on doit utiliser le jeu à des fins
thérapeutiques auprès de la clientèle infantile afin de contrer les limitations
physiques de l'enfant, de l'amener à développer les habiletés requises pour
sa vie de futur adulte productif et compétent, alors que d'autres voient dans
l'expérience de jeu une fin en soi et un moyen d'aborder l'enfant dans sa
globalité. On considère également que l'ergothérapeute doit faciliter le jeu
libre et l'accès au matériel de jeu pour cet enfant présentant une déficience
physique. Enfin, le jeu peut s'avérer un moyen de choix pour contribuer à la
promotion de la santé chez les enfants en général.

LA PRATIQUE CLINIQUE DE L'ERGOTHÉRAPIE ET LE JEU

II existe une autre source d'information non négligeable pour alimenter


notre réflexion quant à la place du jeu en ergothérapie et c'est le point de vue
des ergothérapeutes.

Le point de vue des ergothérapeutes

Comment les positions philosophiques se traduisent-elles dans la pratique


des ergothérapeutes qui travaillent quotidiennement avec les enfants? Quel est
LE JEU ET L'ERGOTHÉRAPIE * 63

leur objectif à long terme pour les enfants avec lesquels ils travaillent ?
Utilisent-ils le jeu de façon privilégiée pour y parvenir ? Ont-ils une approche
centrée uniquement sur les limitations physiques de l'enfant? La méthodologie
utilisée pour recueillir ces données est présentée à l'annexe i.

Utilisation du jeu. Les ergothérapeutes2 interviewées ont indiqué qu'elles uti-


lisent le jeu dans leur pratique quotidienne. Pour toutes, le jeu représente un
excellent moyen d'entrer en contact avec l'enfant, de susciter son intérêt et de
lui faire découvrir le plaisir. Cependant, à l'analyse, deux façons différentes
d'aborder le jeu en ergothérapie peuvent être dégagées. La première et la plus
courante consiste à utiliser l'« activité » de jeu, qui servira de point de départ,
pour susciter l'intérêt de l'enfant à l'égard de sa thérapie ; l'activité de jeu
pourra aussi se retrouver associée à une méthode de traitement spécifique,
telle l'approche neurodéveloppementale. À l'occasion, des activités qui plai-
sent à l'enfant seront présentées en fin de session, en guise de récompense
pour l'effort fourni durant la thérapie.
La deuxième façon de faire envisage le jeu d'une manière plus large : les
ergothérapeutes qui l'utilisent vont au-delà de la dimension « activité » et
incluent systématiquement un contexte du jeu. Elles mettent leur créativité et
leur imagination au service de la thérapie. Le commentaire suivant illustre
bien le principe sous-jacent auquel adhère ce groupe d'ergothérapeutes : « C'est
toujours dans une situation agréable que l'on apprend le mieux et que l'on a
le goût d'aller plus loin. » Pour créer cette situation agréable, la thérapeute ima-
gine un scénario proche de la vie réelle de l'enfant, elle y ajoute des personnages
significatifs pour l'enfant et participe au jeu ainsi mis en place. Il peut arriver
que le jeu vise à donner à l'enfant le goût de bouger et de jouer, qu'il devienne
donc en quelque sorte le but de l'activité, mais de façon générale il sera asso-
cié à un objectif thérapeutique relié aux difficultés physiques de l'enfant.
Ainsi, dans la pratique, il semble qu'on utilise la composante « action » du
jeu, qui sera parfois insérée dans un contexte ludique, pour améliorer, de
façon prioritaire, des fonctions précises chez l'enfant en lien avec ses limi-
tations physiques.

2. Toutes les ergothérapeutes interviewées étant de sexe féminin, ce genre sera utilisé
pour les désigner.
64 * LE MODÈLE LUDIQUE

Objectifs à long terme. En ce qui concerne l'objectif à long terme poursuivi


par les ergothérapeutes, les réponses recueillies ne varient guère et se rap-
portent principalement à la qualité de vie et à l'autonomie fonctionnelle de
l'enfant. « Autonomie » signifie ici « être capable de se débrouiller dans ses
activités courantes»; elle comprend aussi, pour certaines ergothérapeutes,
« être capable d'entrer en rapport avec les autres et de s'insérer dans la vraie
vie». Une participante résume ainsi le principal objectif poursuivi : «Que
l'enfant trouve que la vie vaut la peine d'être vécue, malgré son handicap. »

Caractéristiques de la pratique. À l'analyse de l'ensemble du matériel recueilli,


certaines caractéristiques reliées à la pratique ont pu être dégagées. Ces carac-
téristiques touchent la place accordée à l'enfant dans la thérapie, l'accueil
fait aux sentiments négatifs de l'enfant et la place que se laisse l'ergothéra-
peute elle-même pour travailler de façon innovatrice.
Place accordée à l'enfant dans la thérapie. La place accordée à l'enfant dans
le déroulement de la thérapie et les décisions qui y sont reliées semble assez
restreinte. De façon générale, on s'intéresse aux difficultés physiques de
l'enfant. Dans un premier temps, on choisit des activités susceptibles d'amé-
liorer ces fonctions puis, dans un deuxième temps, les activités sélectionnées
sont modulées selon l'évolution de l'enfant. Assez fréquemment, l'enfant
pourra être invité à choisir entre deux activités de jeu. Mais laisser une plus
grande liberté ou une plus grande initiative à l'enfant dans la thérapie semble
poser problème à la majorité des ergothérapeutes. L'élément d'imprévu qui
accompagnerait une plus grande latitude laissée à l'enfant est perçu comme
un obstacle au bon déroulement de la thérapie et à la réalisation des objec-
tifs ; on craint aussi de perdre le contrôle de la thérapie ou, à l'occasion, d'être
manipulé. Comme le dit cette participante : « Quand l'enfant décide, c'est
plus difficile pour l'ergothérapeute; c'est elle qui doit s'adapter pour atteindre
les objectifs. »
Expression des sentiments négatifs. Une autre caractéristique qui ressort de
l'analyse concerne l'expression des sentiments négatifs. Quand l'enfant n'est
pas de bonne humeur, qu'il semble triste ou refuse de collaborer, la réaction
de la majorité des ergothérapeutes interviewées est de le distraire ou de l'enca-
drer. Si cela ne donne pas de résultat, on met fin à la séance en espérant qu'il
sera dans de meilleures dispositions la prochaine fois. En approfondissant
LE JEU ET L'ERGOTHÉRAPIE * 65

ces questions, il ressort qu'en ergothérapie on s'intéresse avant tout au pro-


blème physique de l'enfant et que c'est là-dessus qu'on souhaite intervenir.
L'expression des sentiments est perçue comme étant en quelque sorte mena-
çante. La thérapeute craint, entre autres, de ne plus avoir le contrôle sur la
thérapie, de ne pas savoir comment réagir, de se faire manipuler.
Spontanément, on évitera d'aborder cette dimension affective et on enverra
chez le psychologue tout enfant qui semble avoir besoin de s'exprimer.
Pourtant, il peut s'agir alors d'un enfant qui réagit négativement à une situa-
tion donnée ou qui, comme il arrive à chacun d'entre nous, demande sim-
plement qu'on l'écoute et qu'on le comprenne, et non d'un enfant qui a besoin
d'une thérapie à cause de problèmes émotifs graves.
Les participantes comprennent parfaitement que l'expression de ces sen-
timents peut être très saine pour l'enfant, mais elles ne se sentent pas dis-
posées à leur laisser libre cours dans leur pratique.
Façon de travailler. Il ressort également de l'analyse du matériel recueilli
qu'en ergothérapie on se sent lié à une façon de faire particulière et surtout
à la «bonne» façon de faire. Des règles précises semblent régir la pratique,
avec des balises préétablies qui semblent connues même des autres profes-
sionnels, comme en témoigne ce commentaire : « Si l'on voit que l'enfant
ne fait pas l'activité de la bonne façon, on sera mal à l'aise devant les autres ;
c'est comme si l'on avait peur d'être jugé de ne pas avoir enseigné la bonne
façon de faire. »
Certaines participantes, quoique se sentant coincées par cette façon de
faire traditionnelle, ne sont pas disposées à passer outre :
Parfois, j'aurais le goût de dire à l'enfant : « Fais-le comme tu veux en autant que
tu le fasses. » Mais je ne peux pas faire ça en ergothérapie. Pourquoi? En ergo-
thérapie, c'est plus difficile, on veut contrer les mauvais schèmes de mouve-
ments, il faut voir à l'élongation musculaire, la mise en charge, il ne faut pas
s'asseoir comme cela. Mais parfois je me dis : quand il aura 12 ans, j'aimerais
retourner voir comment il le fera. Peut-être devrait-on se permettre de temps
en temps de passer par quelque chose de moins orthodoxe pour commencer
notre thérapie « thérapeutique ».

Dans le même sens, bien que toutes reconnaissent qu'il y a une grande
passivité et une grande dépendance chez cette clientèle et bien que toutes
visent l'autonomie des enfants, tel que mentionné précédemment, elles sont
66 * LE MODÈLE LUDIQUE

étonnées qu'on leur demande si la prise de décision ou l'initiative constituent


des objectifs visés par leur intervention. La réponse est « occasionnellement,
mais pas de façon systématique». À la réflexion, toutes y voient un bénéfice
potentiel pour l'autonomie de l'enfant, mais ce n'est pas la façon de faire habi-
tuelle. Comme l'affirme une participante : « Quand on a l'habitude de tra-
vailler d'une certaine façon, on ne prend pas le temps de s'arrêter. » Une autre
rajoute : «Nous sommes trop coincées par nos buts fonctionnels, le position-
nement et les aides techniques. »
En résumé, en examinant les caractéristiques liées à la pratique, on se
rend compte que la place réservée à l'enfant et à l'expression de ses senti-
ments négatifs est restreinte de même que la place que l'ergothérapeute s'ac-
corde à elle-même pour innover dans sa façon de travailler.

Évolution selon l'expérience. Spontanément, plusieurs commentaires étaient


accompagnés de phrases telles que «je ne pensais pas de cette façon en com-
mençant à travailler» et «au début, j'avais besoin de travailler d'une façon
très structurée ».
Il a été possible en analysant les entrevues de mettre en rapport l'évolu-
tion de la pratique et l'expérience de la thérapeute à cause de l'hétérogé-
néité des participantes : leur expérience clinique variait, en effet, de trois à 26
ans. Cette évolution est reliée à trois thèmes : l'attitude envers l'enfant, la
manière d'aborder l'enfant et le travail avec les parents.
Attitude envers l'enfant La thérapeute plus expérimentée semble témoigner
d'une attitude plus souple envers l'enfant. Ayant une plus grande confiance en
elle-même sur le plan professionnel, elle se sent moins menacée quant à son
image de thérapeute et accorde plus souvent une certaine latitude à l'enfant;
également, les craintes reliées aux imprévus potentiels semblent diminuer avec
l'expérience. Comme l'indique une thérapeute ayant une longue expérience
clinique : «Quand on parvient à dépasser la peur de l'imprévu, la peur de ne
pas réussir exactement comme on avait prévu, alors, là, ça devient dynamique. »
Elle ajoute : «Moins on maîtrise ses outils de thérapie, plus on est contrôlante. »
La crainte reliée à l'expression des sentiments s'atténue également : « C'est
vrai que lorsque que l'enfant a l'air triste ou malheureux, c'est dérangeant.
Au début, j'avais du mal à m'adapter. Je me sens plus à l'aise maintenant;
l'expérience aide. »
LE JEU ET L'ERGOTHÉRAPIE * 67

Manière d'aborder l'enfant L'évolution de l'attitude entraîne forcément


une modification de la façon d'aborder l'enfant, qui avec l'expérience devient
plus globale : « Quand j'ai commencé à travailler, j'étais très orientée "fonc-
tion physique" ; avec l'expérience, je deviens plus globale » ; « En sortant de
l'université, je ne retenais que l'aspect moteur». Une autre précise : « Pendant
longtemps, j'ai travaillé de façon très directe, en ciblant toujours très préci-
sément l'incapacité de l'enfant; pour celui-ci, c'était très pénible. » Notons,
en regard de ce dernier commentaire, qu'une ancienne patiente devenue
jeune adulte lui avait fait ce reproche, ce qui avait incité cette ergothéra-
peute à revoir sa façon de travailler : « Depuis quelques années, je vois davan-
tage l'importance de laisser plus de place et plus d'initiative à l'enfant. »
Travail avec les parents. Cette évolution se traduit aussi dans leur travail
avec les parents : «Au début de ma pratique, j'attendais trop d'eux; avec le
temps, j'ai appris à être plus réaliste » ; « J'ai compris que je demandais trop aux
parents quand j'ai eu mes propres enfants » ; « Si on avait le temps d'aller au
domicile, on deviendrait plus réaliste dans nos exigences envers les parents».
Donc, avec l'expérience, l'attitude du thérapeute devient plus souple, la
manière d'aborder l'enfant, plus globale et le travail avec les parents, plus
réaliste.
Il convient de préciser que les résultats qui viennent d'être présentés ont
été recueillis au début des années 1990, donc à un moment charnière dans
l'histoire du jeu en ergothérapie, ainsi que nous l'avons indiqué plus haut.
Reflètent-ils toujours la pratique actuelle ? Une étude américaine publiée en
1998 (Couch, Deitz et Kanny) laisse croire que oui. Un sondage mené auprès
de 224 ergothérapeutes travaillant auprès d'enfants de trois à cinq ans a ana-
lysé l'utilisation du jeu dans leur pratique. Bien que 92 % des répondants
considèrent le jeu comme très important, il est principalement utilisé en thé-
rapie comme une modalité parmi d'autres, et ce dans les deux principaux
modèles de pratique retenus par les thérapeutes, soit l'intégration sensorielle
et l'approche de développement; d'autres s'en servent pour récompenser
l'enfant de l'effort fourni. Ces auteurs déplorent qu'en dépit de la place du
jeu dans la théorie de la profession il ne soit pas davantage présent dans
la pratique. Ils concluent qu'il nous faut trouver le moyen de donner plus
d'importance au jeu en clinique et d'en faire la promotion auprès des collè-
gues, des consommateurs et du public.
68 * LE MODÈLE LUDIQUE

En conclusion, il semble que le jeu soit très utilisé dans la pratique quo-
tidienne de l'ergothérapie, mais qu'il s'agisse surtout du jeu pris dans son
sens restrictif d'« activité» et qu'il vise presque exclusivement le développe-
ment des habiletés physiques. À long terme, on tient pourtant à assurer à
ces enfants une certaine autonomie fonctionnelle et une certaine qualité de
vie. Par ailleurs, l'expression des sentiments de l'enfant reçoit un accueil
tiède. Au fil des ans cependant, les ergothérapeutes sont davantage disposées
à aborder l'enfant de façon plus globale et de lui accorder plus de place dans
la thérapie. Le jeu n'est cependant utilisé que dans sa composante instru-
mentale et ne représente qu'un moyen parmi d'autres.

Le point de vue des anciens clients


Après avoir passé en revue les écrits ergothérapiques et les témoignages des
ergothérapeutes, il est intéressant de présenter le point de vue d'adultes ayant
vécu depuis leur naissance avec une déficience physique entraînant des inca-
pacités importantes et permanentes, et ayant connu nos services comme
clients ; leurs commentaires peuvent nous être fort utiles si l'on veut amé-
liorer notre pratique professionnelle. Au moment où fut effectuée la
recherche, tous ces adultes étaient en contact avec des parents d'enfants
actuellement en traitement ou recevaient encore eux-mêmes des services
ergothérapiques. (L'annexe i donne des précisions sur ces participants.)
Quelle est leur opinion concernant la philosophie générale de l'ergothérapie?
Selon eux, comment les ergothérapeutes pourrait-ils aider davantage les
enfants qui bénéficient de leurs services ? Sur quoi les ergothérapeutes
devraient-ils concentrer leurs énergies ?
Les trois principaux thèmes qui se dégagent de l'analyse de contenu des
entrevues menées auprès de ces adultes sont : l'expression des sentiments
et la santé mentale, les éléments à privilégier dans nos interventions et les
diverses recommandations qu'ils proposent.

Expression des sentiments et santé mentale. Un premier thème, que nous


avons appelé «expression des sentiments et santé mentale», émerge des six
entrevues. Quand ils étaient enfants, tous les participants ont compris qu'il
était mal vu d'exprimer leurs sentiments auprès des éducateurs ou des thé-
rapeutes de la réadaptation. Voici quelques-uns de leurs commentaires :
LE JEU ET L'ERGOTHÉRAPIE * 69

«Très tôt, j'ai appris à ne pas dire ce que je ressentais»; «J'ai compris très
jeune que je devais toujours sourire » ; « Pour devenir fonctionnel j'ai dû
passer à travers deux dépressions !» ; « Personne ne m'a jamais demandé
comment je me sentais ».
Un autre participant mentionne le fait suivant : si l'enfant ne semble pas
vouloir collaborer à la thérapie pendant quelques jours, ce comportement
sera perçu par le thérapeute non comme l'expression d'une tristesse ou d'une
frustration possible, mais bien comme l'indication que l'enfant a atteint son
maximum. Alors, le thérapeute pourra décider de cesser le traitement pendant
un certain temps, au lieu d'essayer de comprendre réellement ce qui se passe.
Ces propos confirment le malaise des thérapeutes face à l'expression des
sentiments négatifs ; ils s'attendent à ce que l'enfant soit toujours coopéra-
tif et de bonne humeur. L'enfant se rend très vite compte de cela et joue le
jeu de «l'enfant au large sourire». Cependant, comme le précise spontané-
ment cette ergothérapeute, « le syndrome de ces enfants au large sourire est
aussi triste que celui des enfants qui ne veulent toucher à rien ». Pour les
participants adultes, exprimer ce qu'on ressent fait non seulement partie de
la vie quotidienne de tout un chacun, mais peut apporter un sentiment de
mieux-être psychologique.
Par ailleurs, une participante ajoute que, durant l'adolescence, des com-
portements qui suscitent l'inquiétude chez tous les parents et chez tous les
éducateurs, tels que la consommation de drogue ou d'alcool, peuvent être
complètement absents des préoccupations concernant un adolescent ayant
une déficience physique ; comme si le handicap « protégeait » l'enfant de ces
problèmes ! Cette participante avait d'ailleurs elle-même consommé des
drogues pendant plusieurs mois sans que personne autour d'elle s'en aper-
çoive ; tous estimaient que ses difficultés croissantes de coordination et
d'équilibre, dues à la consommation de drogues, étaient attribuables à la
dégradation de sa condition physique.

Habileté, attitudes ou aides techniques ? Un autre thème qui émerge de l'ana-


lyse de contenu du matériel recueilli auprès de ces adultes concerne le
domaine qui devrait susciter davantage d'intérêt chez les ergothérapeutes. Ces
professionnels devraient-ils consacrer plus d'énergie au développement des
habiletés, au développement des attitudes ou à l'apport des aides techniques?
JO * LE MODÈLE LUDIQUE

Les suggestions des participants concernent surtout l'aspect « attitude » : atti-


tude du thérapeute et attitudes à promouvoir chez l'enfant. Développer des
habiletés chez l'enfant semble important pour les participants, mais dévelop-
per des attitudes spécifiques ressort comme étant tout aussi important et, à
leur avis, malheureusement négligé. Voici quelques commentaires qui vont
dans ce sens : « Travaillez à développer une attitude positive ; les habiletés
suivront » ; « Donnez à l'enfant la chance de faire ses propres essais et erreurs » ;
« Ne faites pas tout pour l'enfant » ; « Aidez-le à découvrir ce qu'il est capable
de faire ».
Les participants estiment que les thérapeutes ont toute la compétence
qu'il faut pour aider l'enfant à développer des habiletés fonctionnelles, qu'ils
savent exactement par où commencer et comment moduler progressive-
ment les difficultés des activités. Cependant, ils déplorent que, la plupart du
temps, toute possibilité d'échec soit exclue des thérapies. Cette façon de faire
est considérée comme non réaliste. L'échec et la frustration font partie du
processus de croissance chez tout être humain et, selon les participants, on
devrait aider l'enfant ayant une déficience physique à les affronter, non à les
éviter. Comme le laissent entendre les participants adultes, pareille attitude
peut être assimilée à une forme de surprotection, à la volonté de préserver
l'enfant de l'échec. Une participante ergothérapeute confirme que l'échec
est perçu négativement : «Se développer, c'est aussi connaître l'échec; c'est
quelque chose qu'on n'admet pas tellement; on dévalorise l'échec. »
En ce qui concerne les aides techniques, une certaine controverse a cours
parmi les participants. L'une précise : «Moins l'enfant a d'aides techniques,
mieux c'est pour lui. » Au contraire, une autre se demande pourquoi nous
attendons si longtemps avant de fournir à l'enfant de telles aides. Pour cette
personne, le soutien fourni par les aides techniques est plus fiable que celui
que l'on peut attendre de l'entourage !

Recommandations. Le dernier thème regroupe diverses recommandations


faites par les participants en réponse à la question : « Quelles sont vos recom-
mandations en vue d'améliorer nos services destinés à la clientèle infan-
tile ? » Certaines des recommandations recueillies reprennent quelques-unes
des suggestions déjà mentionnées, alors que d'autres proposent de nouveaux
éléments.
LE JEU ET L'ERGOTHÉRAPIE * 71

Trois recommandations sont représentatives de toutes les autres :


1. « Prenez le temps de laisser l'enfant s'exprimer. » Autrement dit, donnez-
lui la possibilité et le temps de dire ce qu'il pense, ce qu'il ressent et ce
qu'il veut. Cette recommandation réitère les thèmes « expression des sen-
timents» et «attitude du thérapeute» déjà mentionnés.
2. «N'allez pas trop au-delà de ses besoins actuels»; «Vous travaillez avec
un enfant, non avec un futur adulte ou un futur travailleur. Considérez-le
d'abord comme un enfant et travaillez surtout à améliorer son présent».
3. « On doit considérer l'enfant comme une personne à part entière. » Cette
participante précise : « II y a une tendance à diviser cet enfant en parties :
des bras à améliorer, un langage à développer, des jambes à faire bouger;
on devrait le voir comme une personne entière. » Encore une fois, le mes-
sage est que cet enfant est un être humain et une personne complète, non
une combinaison de parties; les intervenants qui gravitent autour de l'en-
fant devraient éviter de se laisser submerger par leur propre point de vue
professionnel.
Ces recommandations ne se situent pas à un niveau concret, mais elles se
rapportent plutôt à la façon de concevoir ses interventions auprès de l'enfant.
Quoi que nous fassions, l'enfant devrait être traité comme quelqu'un qui
participe à la thérapie et comme une personne complète.
À plusieurs égards, ces recommandations rejoignent les thèmes qui se
dégagent des témoignages des ergothérapeutes. Elles renforcent également
notre position philosophique privilégiant une approche holistique de l'enfant.
Cependant, tant les adultes ayant une déficience physique que les ergothéra-
peutes semblent reconnaître que cette approche n'est pas encore appliquée
dans la pratique quotidienne.
On peut conclure de ce chapitre qu'il existe des différences importantes
entre, d'une part, la pratique clinique et, d'autre part, les bases philoso-
phiques de l'ergothérapie, l'appréhension philosophique et historique du
jeu. En effet, le fait de croire dans la valeur de la personne devrait se tra-
duire par une approche favorisant la participation de la personne au pro-
cessus thérapeutique, par une approche centrée par conséquent sur le client.
Or, selon les commentaires des ergothérapeutes, il semble qu'en général la
place accordée à l'enfant dans la thérapie soit réduite. Par ailleurs, bien qu'on
72 * LE MODÈLE LUDIQUE

s'efforce de retrouver l'essence du jeu dans les écrits ergothérapiques, l'uti-


lisation du jeu, au fil du temps, a perdu sa dimension globale tandis qu'on
mettait davantage l'accent sur l'analyse instrumentale de celui-ci : l'utilisa-
tion clinique du jeu pour développer des fonctions spécifiques chez l'enfant
va dans ce sens. Par contre, en s'employant à remédier aux limitations spé-
cifiques de l'enfant, les ergothérapeutes visent à assurer son bien-être et son
autonomie plutôt que sa productivité de futur adulte. Ainsi, le jeu n'est pas
considéré dans la pratique comme un moyen de préparer l'enfant à satisfaire
aux exigences de compétence et de productivité ; d'ailleurs, les adultes pré-
sentant une déficience physique ne le voient pas ainsi non plus.
À partir de l'ensemble de l'information présentée dans le présent cha-
pitre, est-il possible d'entrevoir une façon d'aborder l'enfant dans une véri-
table perspective holistique, utilisant pour ce faire le jeu tel qu'il a été défini
au premier chapitre de cet ouvrage ? Est-il possible de véritablement cen-
trer notre intervention sur l'enfant? C'est ce que propose le cadre conceptuel
du modèle ludique décrit au chapitre suivant.

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4

LE MODELE LUDIQUE
CADRE CONCEPTUEL

You can discover more dbout a person in an hour ofplay


than in a year of conversation.
Anonyme

Le seul moyen de découvrir les limites du possible,


c'est de tenter l'impossible.
Arthur Clarke

Le modèle ludique tire son origine du désir de redécouvrir la richesse extra-


ordinaire du potentiel thérapeutique du jeu et d'aborder l'enfant par un
domaine qui lui est propre, à savoir le jeu. Il propose de recourir systémati-
quement au jeu dans la pratique en ergothérapie. Deux éléments fonda-
mentaux sont nécessaires pour y parvenir : d'une part, un cadre conceptuel
qui précise la conception spécifique du jeu qui est retenue, conception qui
doit s'inscrire dans la philosophie de la profession et qui sert d'assise théo-
rique à la démarche thérapeutique et, d'autre part, un modèle de pratique,
soit un ensemble de moyens concrets permettant d'utiliser le jeu en milieu
clinique. Ce deuxième volet sera abordé au chapitre suivant.
Examinons d'abord le cadre conceptuel : comment conçoit-on le jeu dans
le modèle ludique, quelle appréhension du jeu, de l'enfant, de l'intervention
78 * LE MODÈLE LUDIQUE

ergothérapique y trouve-t-on, comment en définit-on les principaux


concepts? Nous présenterons également les études de validation de ce cadre
conceptuel entreprises jusqu'à maintenant.
En premier lieu, voyons le questionnement professionnel à la base de la
réflexion de l'auteure.

LE QUESTIONNEMENT PROFESSIONNEL À L'ORIGINE DU MODÈLE LUDIQUE

Quatre grandes questions ont amené l'auteure à s'intéresser à la mise au


point d'un nouveau modèle en ergothérapie : i) Disposons-nous d'une
approche globale de l'enfant en ergothérapie?; 2) Pouvons-nous prétendre
que notre approche est centrée sur l'enfant?; 3) Que devons-nous privilé-
gier : l'autonomie de l'enfant ou son indépendance ? ; 4) La meilleure façon
de travailler avec les parents est-elle de leur demander d'effectuer à la mai-
son des activités à visées thérapeutiques ?

Disposons-nous d'une approche globale de l'enfant en ergothérapie?

Dans les travaux d'ergothérapie, on clame haut et fort que l'on aborde les
clients de façon holistique et qu'on utilise une approche biopsychosociale.
Sur le plan théorique, tous conviennent dans la profession que l'être humain
est davantage que des bras qui doivent s'activer ou des jambes qui doivent
marcher, qu'il est davantage que la somme de ses parties. L'être humain est
considéré comme un être complexe dont les différentes dimensions s'in-
fluencent mutuellement. Toutefois, cette manière de voir ne semble pas se
refléter dans la pratique. Selon les ergothérapeutes dont les propos ont été
rapportés au chapitre précédent, si l'on travaille avec des enfants présentant
une déficience physique, on concentrera presque exclusivement ses efforts
sur cette dernière dimension. Que devient alors la dimension psychosociale?
Les commentaires des ergothérapeutes, confirmés par les adultes qui ont
été interviewés, corroborent l'opinion de Florey (1989), partagée par l'auteure
(Ferland, 1991) : dans la pratique ergothérapique, on tolère mal que l'enfant
ayant une déficience physique exprime ses sentiments. Cette façon de faire
qui exclut la dimension affective de l'enfant est loin de l'approche holistique
qui caractérisait la pensée des fondateurs de notre discipline. Pourquoi les
LE MODÈLE LUDIQUE : CADRE CONCEPTUEL * 79

sentiments éprouvés par nos jeunes clients sont-ils si gênants? Comment


en est-on arrivé à les écarter de la relation thérapeutique? Confrontés tous
les jours à des déficiences physiques, deviendrions-nous moins réceptifs à
l'élément psychosocial? Il se peut également que, préoccupés de la condition
physique de l'enfant, nous interprétions toutes les réactions émotives de
l'enfant à partir de la difficulté physique, que notre compréhension de l'en-
fant passe exclusivement par le filtre de sa condition. Pourtant, ces enfants
aux prises avec une déficience physique, outre qu'ils éprouvent des senti-
ments identiques à ceux des autres enfants, doivent s'adapter, sur le plan
émotif, à leur état physique. Non seulement l'expression des sentiments et
des besoins fait-elle partie intégrante du bien-être de l'enfant, mais elle peut
contribuer à une meilleure interaction avec les autres et, en particulier, avec
la mère, ainsi que nous l'avons vu au chapitre 2.

Est-il possible d'aborder l'enfant de façon plus globale, de manière à ce que


notre démarche soit véritablement en accord avec notre philosophie holis-
tique et réponde davantage aux besoins de notre clientèle ?

Pouvons-nous prétendre que notre approche est centrée sur l'enfant?

Au Canada, depuis une vingtaine d'années, on préconise d'adopter en ergo-


thérapie une approche centrée sur le client (ACE, 1983), autrement dit dans
laquelle le client se trouve au cœur de l'intervention et y joue un rôle actif.
Encore une fois, il est facile d'être en accord avec cette position philoso-
phique. Cependant, le plus souvent, l'ergothérapeute qui travaille avec l'en-
fant détermine au préalable les objectifs à atteindre et planifie les séances à
l'avance. Durant les séances, comme nous l'avons noté au chapitre précédent,
on accorde peu de latitude à l'enfant.

Est-il possible d'établir une approche dans laquelle l'enfant serait le maître
d'œuvre et qui lui ferait jouer un rôle actif dans la thérapie, un rôle de
premier plan?
8O » LE MODÈLE LUDIQUE

Que devons-nous privilégier :


l'autonomie de l'enfant ou son indépendance?

Que visons-nous à long terme pour nos jeunes clients : l'indépendance ou


l'autonomie ? Quoique parfois utilisés comme s'ils étaient de parfaits syno-
nymes, ces deux termes diffèrent pourtant considérablement l'un de l'autre.
Est indépendant celui qui ne dépend ni d'une personne ni d'une chose (Le
Petit Robert, 1996). On peut se demander qui pourrait prétendre être com-
plètement indépendant. Ne dépendons-nous pas tous, à des degrés divers, ou
bien de certains objets — ne serait-ce que d'une paire de lunettes ! —, ou
bien de certaines personnes qui nous soutiennent dans nos efforts ? Par
ailleurs, « être autonome » signifie autogérer sa vie, déterminer librement les
règles de son action (Le Petit Robert, 1996), alors que l'hétéronomie (Penta,
1992) se rapporte à l'individu qui puise hors de sa volonté le principe de son
action. L'autonomie peut donc être acquise tout en ayant recours à une aide
extérieure. Autrement dit, bien que personne ne puisse être totalement indé-
pendant, nous pouvons tous aspirer à une certaine autonomie, y compris
l'enfant ayant une déficience physique. N'oublions pas que l'autonomie est
retenue comme but à long terme par les ergothérapeutes, ainsi que nous
l'avons vu au chapitre précédent. Cependant, il semble que nous visons à
assurer l'autonomie de l'enfant en ne pensant qu'à sa condition physique,
axant notre intervention thérapeutique presque exclusivement sur les diffi-
cultés physiques de l'enfant.

Comment pourrait-on aider cet enfant à développer son autonomie ?

La meilleure façon de travailler avec les parents est-elle


de leur demander d'effectuer à la maison des activités
à visées thérapeutiques?

Dans notre travail clinique, nous proposons souvent aux parents d'entre-
prendre des activités à domicile pour maximiser l'évolution de l'enfant.
Même si les activités suggérées s'insèrent dans le quotidien familial, plu-
sieurs messages sont ainsi transmis aux parents : d'abord, la thérapie revêt
une importance telle qu'elle doit être présente aussi à la maison, ce qui peut
LE MODÈLE LUDIQUE : CADRE CONCEPTUEL * 8l

laisser croire que s'ils s'engagent dans ce sens, leur enfant évoluera davantage.
Pourtant, les recherches concernant l'efficacité des programmes à domicile
sont loin d'être concluantes. Également, cette façon de faire leur indique
qu'on considère qu'assumer leur rôle parental ne suffit pas ; ils doivent éga-
lement se transformer en aides-thérapeutes.
On se retrouve alors devant des parents qui, très souvent, trouvent diffi-
cile d'assumer le quotidien avec leur enfant et à qui on demande d'ajouter
du travail à leur routine. N'est-ce pas une façon de dévaloriser, du moins
partiellement, leur rôle parental?

Les parents n'ont-ils pas un rôle suffisamment important à assumer sans


y ajouter celui d'aide-thérapeute? Au lieu de leur demander de nous
seconder dans notre rôle de thérapeute, ne devrions-nous pas les soutenir
dans leur rôle parental ? Autrement dit, serait-il possible de concevoir une
approche centrée sur les besoins de la famille ?

Bien que le jeu ait toujours eu sa place dans la pratique de l'ergothérapie,


ne pourrait-il pas devenir un outil thérapeutique de premier plan, permet-
tant, d'une part, à l'enfant de jouer un rôle actif dans la thérapie et de favo-
riser le développement de son autonomie et, d'autre part, à l'ergothérapeute
de l'aborder de façon holistique et d'accorder plus de place aux besoins des
parents ? C'est l'objectif visé par le modèle ludique.

L'APPRÉHENSION DU JEU DANS LE MODÈLE LUDIQUE

Comme l'indiquait déjà la définition du jeu présentée au premier chapitre,


le jeu comporte ici, d'abord et avant tout, une composante «attitude» qui,
habituellement, s'associe à une composante « action ». Il est cependant pos-
sible de jouer sans action apparente, de jouer «dans sa tête». À l'inverse, il
n'est plus question de jeu si seul le geste persiste. Tout comme Bravo-Bueno,
il est opportun de se demander :

Que donne[rait...], du point de vue de l'enfant, une situation où l'ergothérapeute


engage l'enfant dans une activité, fût-elle de jeu, qui serait centrée sur l'aspect
moteur et technique du geste, incapable alors de percevoir les mouvements sen-
sibles de l'enfant dans la situation, les mouvements qui communiquent quelque
82 * LE MODÈLE LUDIQUE

chose sur ce qui se passe? [...] Ce serait une situation où l'enfant, tout entier
livré à l'action que l'adulte a sur lui, serait incapable de développer sa propre
relation à la situation, à l'objet qu'il manipule, à l'action qu'il fait, à ce qui se
passe (1992, p. 273).
Aller au-delà de l'activité de jeu et chercher vraiment à atteindre l'essence
du jeu en thérapie n'est cependant pas une mince tâche. Comme le fait remar-
quer Rast : «In thé therapeutic setting, play often becomes a tool used to work
towards a goal despite thefact that thé goal-oriented, externally controlled
aspects ofthe therapy situation conflictwith thé essence ofplay» (1986, p. 30).
Ce qui amène Blanche (1997) à considérer que pour les enfants atteints de
paralysie cérébrale le jeu et la thérapie sont parfois des activités mutuelle-
ment exclusives.
Dans notre intervention, il nous faut redécouvrir le sens du jeu et favo-
riser chez l'enfant le développement d'une attitude ludique qui viendra sous-
tendre son action. De plus, cette redécouverte du sens du jeu nous permettra
de comprendre que celui-ci est une modalité thérapeutique complète en soi
et d'une rare richesse.
Dans le modèle ludique, on considère le jeu comme un domaine d'acti-
vités propre à l'enfant et comme celui qui a le plus de signification pour lui;
grâce à ce processus naturel, il développe tant ses capacités d'adaptation et
d'interaction avec les autres que son autonomie. Le jeu constitue donc une
avenue de choix pour aborder l'enfant de façon holistique.

Le jeu, domaine d'activités propre à l'enfance

Durant l'enfance, le jeu est l'activité prédominante (Morrisson et Metzer,


2001). On peut donc concevoir que le jeu représente un domaine de choix
pour établir des contacts avec l'enfant au moyen d'activités significatives
pour lui. Cependant, identifier le jeu de l'enfant à une activité productrice
(ACE, 1991,1997) constitue à mon sens une erreur, et c'est également l'avis de
Burke (1993). Cette position rejoint le cliché selon lequel le jeu, c'est le travail
de l'enfant. Quoique valable en regard du temps qu'occupé le jeu dans la vie
de l'enfant, la comparaison avec le travail de l'adulte, lorsque poussée plus
loin, dénature complètement le jeu. Jouer, ce n'est pas réussir une perfor-
mance, ce n'est pas produire un service ou un bien, ce n'est pas s'adonner
LE MODÈLE LUDIQUE : CADRE CONCEPTUEL » 83

à une activité régie par des normes extérieures, ce n'est pas échanger le fruit
de ses efforts contre des avantages, pécuniaires ou autres; ces éléments carac-
térisent cependant des aspects importants du travail (MSBS et ACE, 1987).
Au contraire, jouer, c'est décider, c'est prendre des risques, c'est avoir du
plaisir, c'est même avoir la possibilité d'échouer, puisque ce n'est qu'un jeu.
Comme l'écrit Château (2002, p. 5), «le jeu, c'est l'acte de l'enfant; ce n'est
point le délassement d'un travail qu'il ignore encore, ni la distraction du
vide désagréable de l'ennui, mais une conquête de soi perpétuellement
renouvelée».
Le jeu ne peut pas non plus soutenir la comparaison avec les loisirs de
l'adulte, définis comme « les moments dont on peut librement disposer en
dehors du travail et des activités de soins personnels» (MSBS et ACE, 1987,
p.i8). Le temps consacré par l'enfant au jeu ne saurait être assimilé à ses
« moments libres » : son horaire quotidien ne comporte pas de travail et très
peu de soins personnels durant la période préscolaire. Cependant, le libre
choix présent dans la définition des loisirs caractérise également le jeu.
Par ailleurs, l'idée que le jeu prépare l'enfant à son futur rôle de travailleur
ne semble pas très présente dans la pratique de l'ergothérapie ni valorisée par
nos anciens clients. Aucune ergothérapeute n'a mentionné, comme objectif
à long terme de son intervention, la productivité ou la compétence de cet
enfant, à titre de futur travailleur. Dans la pratique clinique, on ne retrouve
donc pas cette préoccupation de performance sociale comprise dans le
modèle de Reilly (1974). Cette façon de voir ne semble ni réaliste ni perti-
nente pour des enfants multihandicapés. Les adultes interviewés nous met-
tent d'ailleurs en garde contre la tendance à considérer cet enfant autrement
que comme un enfant et suggèrent fortement de l'aborder comme un être à
part entière, et non comme un être en devenir. Le jeu permet d'éviter cet
écueil, soit celui d'établir les objectifs en regard de l'avenir, négligeant la
qualité du quotidien actuel de l'enfant et de celui de sa famille.
Quand il s'agit d'autres clientèles, l'intervention de l'ergothérapeute vise
à améliorer le rendement du client dans ses activités de tous les jours.
Pourquoi ne pourrait-il en être de même pour l'enfant? Si, par notre utili-
sation du jeu, nous faisons découvrir à l'enfant le plaisir de l'action, si nous
l'amenons à développer une attitude ludique, à utiliser ses forces pour com-
penser ses faiblesses, nous contribuerons à lui assurer un quotidien plus
84 * LE MODÈLE LUDIQUE

satisfaisant. De plus, nous mettons alors tout en place pour que cet enfant ait
la chance de devenir un adolescent, puis un adulte, autonome et bien dans
sa peau. Améliorer le présent de l'enfant, et non penser uniquement à son
avenir, semble une optique plus respectueuse de l'enfant et plus réaliste.

Le modèle ludique retient le domaine d'activités qui est propre à l'en


fance, soit le jeu. Ce faisant, on aborde l'enfant par des activités char
de sens pour lui. On répond ainsi à son besoin fondamental d'agir, et cel
d de la façon la plus appropriée qui soit. En visant à développer ses habi
tés, ses intérêts et ses attitudes dans ses activités d'enfant, on contribue à
améliorer la qualité de son quotidien.

Le jeu, processus naturel d'adaptation


et d'interaction avec l'environnement

Que fait l'enfant quand il joue ? Il découvre le monde qui l'entoure et se


découvre, il expérimente, il apprend. Son jeu avec les objets lui permet
d'expérimenter des stratégies d'action ; il cherche des solutions aux pro-
blèmes auxquels il fait face. Il s'adapte aux imprévus qui surgissent et il tend
graduellement à se maîtriser lui-même et le matériel qu'il utilise.
Quand il joue avec les autres, il expérimente le partage, la rivalité, la col-
laboration, l'affrontement ; il apprend en quelque sorte à trouver sa place,
tout en devenant un être sociable. Il apprend ainsi à entrer en contact avec
les autres et à entretenir des rapports avec eux.
Le jeu favorise donc l'adaptation de l'enfant sur différents plans, et ce
tant en regard des objets que des partenaires. Ces capacités d'adaptation
développées grâce au jeu pourront lui être utiles dans les autres situations
quotidiennes. Comme le rappelaient Newson et Hipgrave (1982), ce que l'en-
fant qui présente des limitations apprend dans le jeu influencera sa façon
d'interagir avec le « vrai » monde dans la « vraie » vie. Les résultats de
Saunders, Sayer et Goodale (1999) vont dans le même sens et les amènent à
conclure que l'intervention de l'ergothérapeute dans les environnements de
jeu et dans les interactions ludiques entre enfants d'âge préscolaire se réper-
cute sur leurs capacités d'adaptation dans toutes les sphères de la vie.
LE MODÈLE LUDIQUE : CADRE CONCEPTUEL * 85

Le jeu peut être vu comme un processus naturel permettant à Venfant de


développer des capacités d'adaptation et d'interaction qu'il pourra utiliser
dans diverses situations, l'aidant de la sorte à mieux vivre son quotidien.

Le jeu, voie vers l'autonomie


Comment le jeu contribue-t-il au développement de l'autonomie chez l'en-
fant? Lorsqu'il joue, l'enfant doit décider ce qu'il veut faire, à quoi il veut
jouer, avec quel matériel. En cas de difficultés, il lui revient de trouver des
solutions. Il doit gérer son jeu puisqu'il en est le maître d'œuvre. L'enfant
ayant une déficience physique a besoin d'aide pour accéder à l'autonomie.
Selon les ergothérapeutes, l'autonomie, tout comme la qualité de vie, sont des
objectifs visés pour les enfants ayant une déficience physique. Toutefois,
considérant l'énergie requise pour contrer ses limitations motrices, on
semble miser exclusivement sur le développement des habiletés lacunaires de
l'enfant, donc presque uniquement sur l'amélioration de ses habiletés phy-
siques. Une véritable autonomie ne saurait reposer sur les seules habiletés
physiques qui, dans le cas de l'enfant ayant une déficience physique, peu-
vent rester insuffisantes. L'autonomie requiert entre autres la capacité d'éva-
luer une situation, de faire des choix et de prendre des décisions. Le jeu
permet de développer ces habiletés.
Par ailleurs, l'enfant qui présente des limitations physiques risque égale-
ment d'éprouver certains problèmes liés à son état : inexpérience à jouer
avec des pairs, entrave au développement social, effets négatifs sur le déve-
loppement cognitif, difficultés à exprimer les émotions. Ces difficultés peu-
vent entraver l'autonomie de cet enfant et elles doivent, par conséquent, être
prises en compte lors de l'intervention.

^utilisation du jeu incite à déborder les seules difficultés physiques pour


englober les diverses facettes de l'enfant, toutes susceptibles de contribuer
au développement de son autonomie. Déplus, le jeu, tel que défini dans
le modèle ludique, comporte des éléments d'attitude, également indis-
pensables pour s'adonner à une activité autonome.
86 * LE MODÈLE LUDIQUE

Le jeu, avenue de choix pour aborder l'enfant de façon holistique

L'enfant qui joue prend contact avec son environnement, met en branle ses
mécanismes cognitifs, utilise ses muscles, ressent des émotions et interagit
avec les autres. C'est donc une activité qui sollicite l'enfant dans sa globalité.
L'analyse d'activité présentée au chapitre i en témoigne.
Retenir une telle approche globale plutôt qu'une autre ciblée sur une fonc-
tion précise a trouvé des appuis dans des publications récentes qui démon-
trent que la cognition, la motricité, les systèmes sensoriels et les émotions de
l'enfant se développent et fonctionnent non pas séparément, mais bien simul-
tanément (Diamond, 2000; Magnuson, 2000). Pour ces raisons, Humphry
(2002) tout comme Bober et ses collaborateurs (2001) questionnent la perti-
nence de viser le développement optimal de l'enfant en passant par ses com-
posantes sous-jacentes, telles la motricité fine. Dans leur étude sur la
persévérance dans le jeu fonctionnel et sur l'intérêt qu'il y a pour l'enfant à
s'alimenter seul, ces chercheurs considèrent que cette conception linéaire de
l'intervention ne saurait amener l'enfant qui présente des retards dans ses
activités quotidiennes à véritablement progresser. S'appuyant sur leurs résul-
tats, ils proposent de faire en sorte que ces activités présentent plus de sens et
plus d'intérêt pour l'enfant afin que la persévérance et l'apprentissage s'amé-
liorent. Le jeu n'est-il pas le moyen privilégié d'y parvenir?
Les résultats obtenus par Sparling et ses collaborateurs (1984) vont dans
le même sens ; les enfants atteints de paralysie cérébrale qui ont participé à
des séances de groupe utilisant des activités créatrices et des jeux drama-
tiques ont connu des améliorations dans six sphères de développement :
motricité globale et fine, langage, cognition, activités de la vie quotidienne
et développement socio-émotif. Puisque les acquis s'étendent aux autres
sphères de la vie de l'enfant, ces auteurs concluent que si la thérapie pouvait
reposer sur un cadre de jeu approprié, l'enfant comme ses parents pour-
raient en bénéficier.
Ces deux études confirment l'importance d'une approche globale de
l'enfant et la pertinence du jeu pour ce faire.

Le jeu rejoint l'enfant dans sa globalité et son utilisation en thérapie permet


d'agir sur les différentes facettes de l'enfant.
LE MODÈLE LUDIQUE : CADRE CONCEPTUEL * 87

Après avoir considéré la conception du jeu dans le modèle ludique et rappelé


certains objectifs du travail thérapeutique (capacités d'adaptation, d'inter-
action et autonomie), il est ici nécessaire de présenter un concept central
du modèle ludique, qui guidera notre démarche, soit la capacité d'agir.

UN CONCEPT CENTRAL DU MODÈLE LUDIQUE : LA CAPACITÉ D'AGIR

La capacité d'agir pourrait se définir simplement comme la capacité à accom-


plir les activités que l'on doit ou veut effectuer. Cette conception s'avère cepen-
dant trop restrictive, car elle ne retient que la dimension instrumentale et elle
risque de s'attacher davantage au développement de l'indépendance de l'enfant
qu'à celui de son autonomie. Énumérons les situations dans lesquelles chacun
de nous, y compris l'enfant ayant une déficience physique, peut se trouver en
regard de ses activités. Ces diverses possibilités permettront de mieux cerner le
concept de la capacité d'agir et d'en délimiter les trois volets.

Être capable d'agir : accomplir l'activité de la façon habituelle

Chaque activité comporte des règles, une procédure qui lui est propre, des
étapes, des outils. La plupart du temps, les activités effectuées respectent la
façon de faire habituelle. Quand on cuisine, par exemple, on se tient habi-
tuellement debout près d'un comptoir et on se sert de divers ustensiles ; le jeu
de cartes, quant à lui, requiert généralement la position assise, l'utilisation
des deux mains et la capacité de suivre les règles du jeu. Mais si on ne peut
suivre la façon de faire habituelle, cela revient-il à dire qu'on ne peut effectuer
l'activité?
Les deux autres volets interviennent précisément quand la personne ne
peut effectuer l'activité comme il se doit ; ils renvoient donc à la capacité
d'adaptation de la personne.

Être capable d'agir : adapter l'activité à ses possibilités

Dans la vie de tous les jours, l'important étant de pouvoir réaliser l'activité
souhaitée ou demandée, la procédure peut être revue pour en permettre
l'exécution. Si nous éprouvons des difficultés à nous adapter à l'activité, nous
pouvons adapter l'activité à nos possibilités. L'activité peut être effectuée
autrement, en utilisant des outils particuliers, des positions inhabituelles ou
88 » LE MODÈLE LUDIQUE

en modifiant les étapes de sa réalisation. Ainsi, être autonome pour réaliser


ses activités peut devenir une affaire hautement individuelle. Nombre de
personnes tapent à l'ordinateur à deux doigts et réalisent de cette façon des
travaux tout à fait valables.
Cette difficulté à s'adapter à une activité est fréquente pour la personne
qui a une déficience physique, à cause de ses limitations. En général, en ergo-
thérapie, on aidera la personne à adapter l'activité à ses moyens. Par contre,
dans le cas d'un enfant présentant une déficience physique, on tarde souvent
à adapter l'activité à ses capacités. Sous prétexte qu'il est en plein dévelop-
pement, on mettra beaucoup d'énergie à lui apprendre à faire les choses
comme il se doit, ce que les témoignages des ergothérapeutes confirment. Les
façons moins orthodoxes de procéder seront à peine tolérées. Pourtant l'en-
fant qui, en utilisant par exemple des mouvements laborieux et inédits, par-
vient pour la première fois à se rendre à telle armoire par ses propres moyens
mérite de chaleureuses félicitations. Il vient de réussir à surmonter sa situa-
tion de handicap en utilisant ses ressources personnelles et à adapter l'acti-
vité à ses moyens. Cette réaction intensifiera sa joie d'avoir réussi et l'incitera
à poursuivre ses efforts pour se déplacer. À l'inverse, réagir en lui indiquant
que son déplacement ne s'est pas effectué de la bonne façon et qu'il devra
apprendre à faire mieux risque de le démotiver.
De même, l'apport des aides techniques pouvant soutenir l'exécution des
activités n'interviendra le plus souvent qu'en fin de thérapie, au moment
où la possibilité d'évolution sera jugée très limitée. L'enfant apprend qu'il
doit d'abord s'efforcer de développer les habiletés lacunaires, arriver à maî-
triser ce corps qui se dérobe et s'il échoue, en dernier recours, les aides tech-
niques viendront à la rescousse. Dans cette optique, on oublie que le plaisir
de réaliser l'activité peut susciter, et soutenir, l'intérêt de l'enfant pour agir
et pour découvrir ses possibilités. Mettre toute son énergie à adapter l'enfant
à l'activité, au lieu d'adapter l'activité aux capacités de l'enfant, me semble
être une façon de faire qui risque de paralyser la capacité d'agir de l'enfant
et d'amoindrir le plaisir qu'il pourrait en retirer.

Être capable d'agir : réagir devant l'impossibilité d'accomplir l'activité


La troisième situation que chacun expérimente un jour au l'autre survient
lorsqu'il est impossible de réaliser l'activité tout autant que de l'adapter.
LE MODÈLE LUDIQUE : CADRE CONCEPTUEL * 89

Pensons à la personne aux prises avec un pot de confitures qui refuse de


s'ouvrir, et ce bien qu'elle dispose d'un gadget facilitant l'opération. Dans la
vie de tous les jours, face à une difficulté de ce genre, on demande de l'aide
ou on décide de manger autre chose ; autrement dit, on réagit devant l'im-
possibilité de réaliser l'activité.
Il tombe sous le sens que certaines activités ne pourront être réalisées
par l'enfant ayant une déficience physique, et ce malgré toutes les adaptations
que l'on pourrait imaginer. Le geste requis lui est impossible. Que se passe-
t-il alors ? En général, on peut observer deux façons diamétralement oppo-
sées de réagir dans l'entourage de l'enfant, y compris chez les intervenants.
D'une part, ces activités peuvent être accomplies systématiquement par
d'autres personnes et souvent sans même que l'enfant ait essayé : on présu-
mera qu'il ne peut réaliser ces activités. D'autre part, nous pouvons insister
pour que l'enfant déploie un effort considérable pour réaliser seul une acti-
vité de quelques minutes, le privant peut-être de l'énergie pour accomplir
une autre activité qui serait plus importante pour son développement.
L'enfant apprend alors soit la passivité, soit qu'il doit faire constamment des
efforts, ce qui risque à moyen terme de le démotiver.
Il a déjà été dit qu'être autonome ne signifie pas «ne pas avoir besoin des
autres », mais bien être capable de gérer sa vie. Dans cette optique, que doit
apprendre l'enfant? Il doit en arriver à définir clairement les situations dans
lesquelles une aide lui est nécessaire. Pour ce faire, l'enfant doit traverser
diverses étapes. Il doit d'abord se rendre compte qu'il lui est impossible d'exé-
cuter telle portion de l'activité ou l'activité au complet : seule l'expérience lui
permettra d'en prendre véritablement conscience. Devant les difficultés, il
doit être invité à rechercher lui-même des solutions pour réaliser l'activité, en
tentant entre autres de l'adapter à ses moyens. Si ces solutions s'avèrent ineffi-
caces, il se trouve devant l'alternative suivante : demander de l'aide, et il doit
apprendre à le faire de façon adéquate, ou changer d'activité.
Connaissant les capacités de l'enfant, on peut être enclin à sauter certaines
de ces étapes, ne lui donnant pas la chance de faire le processus complet ;
l'apprentissage de l'enfant en sera limité d'autant. De plus, il est possible que
l'on soit tenté d'éviter à l'enfant de se placer dans une situation vouée à
l'échec : on peut percevoir cette possibilité comme cruelle pour l'enfant et
vouloir l'en protéger. Ce serait cruel si, au moment de l'échec, on ne lui offrait
9O * LE MODÈLE LUDIQUE

rien d'autre. Ici, on lui apprend, d'une part, que l'échec advient à tous les
humains et, d'autre part, qu'il est possible de compter sur les autres pour nous
aider. On lui offre alors un apprentissage qui l'aidera à résoudre les nombreux
problèmes qui ne manqueront pas de surgir dans son quotidien. Par ailleurs,
lui permettre de traverser ces diverses étapes représente une façon concrète de
respecter cet enfant, de lui accorder une place prépondérante dans la thérapie;
il est possible qu'il trouve lui-même un «truc» auquel on n'avait pas pensé.
C'est une façon d'amener l'enfant à participer à la thérapie en utilisant ses
ressources personnelles. Devant l'impossibilité d'effectuer l'activité (en tota-
lité ou en partie), l'enfant peut aussi décider d'en changer. Décider de deman-
der de l'aide ou de changer d'activité représentent tous deux des gestes
autonomes puisqu'ils relèvent du choix de l'enfant lui-même.
Ce troisième volet de la capacité d'agir, peu valorisé en ergothérapie,
touche les dimensions affective et sociale de l'enfant; on est ici confronté à
l'échec, à la frustration, à la colère, au besoin d'être aidé et à celui de faire
confiance. Apprendre à exprimer ces sentiments et à réagir à l'échec consti-
tue un apprentissage fort précieux pour l'enfant aux prises avec une incapa-
cité motrice. Ne pas vouloir le reconnaître, c'est délaisser le concept
d'autonomie pour retenir celui d'indépendance. Cette capacité d'agir devient
donc, dans son troisième volet, la capacité de réagir quand l'activité est
impossible à réaliser.
La capacité d'agir ne concerne pas que les actions de l'enfant sur les objets,
mais aussi ses interactions avec son entourage. Entretenir des rapports avec
les autres, savoir agir avec les autres, savoir réagir aux autres, cela aussi fait
partie de la capacité d'agir. Ainsi, l'enfant doit apprendre à entrer en contact
avec l'autre, à adapter son attitude aux partenaires en présence et à réagir à
une situation où l'activité en groupe lui devient impossible.
La capacité d'agir ainsi conçue permet de développer chez l'enfant la
capacité d'adaptation à diverses situations et l'aide à mieux composer avec
la réalité quotidienne. Par ailleurs, si l'on parvient à faire expérimenter à
l'enfant le plaisir qu'offre le jeu en dépit de ses difficultés, ce plaisir com-
biné à une capacité d'agir croissante l'amèneront à développer son autono-
mie et à éprouver un sentiment de bien-être. Ce faisant, il accroît sa qualité
de vie. Comme le dit Royeen (1997), le plaisir ressenti dans nos activités peut
grandement contribuer à nous assurer une meilleure qualité de vie et, bien
LE MODÈLE LUDIQUE : CADRE CONCEPTUEL * gi

sûr, la santé. À nous de mettre au service de l'enfant à la fois notre expé-


rience, nos connaissances et les moyens dont nous disposons.

Du fait que le jeu favorise le développement de la capacité et du plaisir


d'agir de l'enfant, il favorise le développement de son autonomie et contri-
bue à un sentiment de bien-être chez lui.

En tenant compte de tout ce qui précède, formulons maintenant les énon-


cés fondamentaux du modèle ludique.

LES ÉNONCÉS DE DÉPART DU MODÈLE LUDIQUE

Le jeu et l'attitude ludique

Le jeu est une activité propre à l'enfant ; il peut être perçu comme le
domaine d'activités susceptible d'avoir le plus de signification pour lui.
En jouant, l'enfant expérimente des sentiments de plaisir et de maîtrise;
il découvre le monde qui l'entoure ; il crée et s'exprime.
Le jeu n'implique aucune attente de rendement, ne vise aucune performance.
Dans le jeu, les différentes dimensions de l'enfant (physique, cognitive,
affective et sociale) sont stimulées.
Le bagage expérientiel accumulé dans le jeu a des répercussions impor-
tantes sur l'adaptation de l'enfant.
Le développement du jeu se fait de façon séquentielle.
Bien qu'il soit universel, le jeu n'en demeure pas moins un phénomène
subjectif.
Jouer, c'est agir en gardant, comme toile de fond, une attitude ludique.
L'attitude ludique incite la personne à prendre des initiatives, à imaginer
des solutions originales, à décider de son action en toute liberté, à créer
des situations fantaisistes.
Apprendre à aborder la vie par le plaisir, voilà une fonction non négli-
geable du jeu chez l'enfant.
Si on fait naître l'intérêt, les acquis suivront ; si on maintient l'intérêt, les
acquis se maintiendront.
L'attitude ludique peut s'étendre à diverses situations quotidiennes.
92 * LE MODÈLE LUDIQUE

Le jeu et l'enfant ayant une déficience physique

La déficience physique chez l'enfant risque d'entraver sérieusement ses


expériences de jeu : exploration, manipulation, connaissance du monde
environnant, expériences de socialisation.
La condition physique de l'enfant a des répercussions sur les autres
dimensions, c'est-à-dire sur la dimension cognitive, la dimension sociale
et la dimension affective.
Le bagage expérientiel que retire tout enfant de son jeu peut s'en trouver
réduit chez l'enfant présentant une incapacité motrice, compromettant
d'autant ses capacités d'adaptation.
Le sentiment de maîtrise que procure le jeu à l'enfant normal sera peu
expérimenté, tout comme le plaisir de mettre en œuvre son imagination.
Pour un développement plus harmonieux de son répertoire ludique, une
aide particulière est requise.
Chez l'enfant présentant une déficience physique, les habiletés sont sus-
ceptibles d'être lacunaires, compte tenu des limitations inhérentes à la
déficience.
L'incapacité physique peut limiter l'action ou le geste, mais n'empêche
pas le développement d'une manière d'être, d'une attitude.
L'enfant aux prises avec une déficience physique peut éprouver des diffi-
cultés à communiquer ses sentiments et ses besoins ; le jeu est un moyen
qui peut lui permettre de le faire.

Le jeu, l'ergothérapie et l'enfant ayant une déficience physique

En ergothérapie, le jeu est la modalité thérapeutique privilégiée pour


intervenir auprès de l'enfant présentant une déficience physique.
Le jeu, étant le domaine d'activités propre à l'enfance et le plus susceptible
de rejoindre l'enfant ayant une déficience physique dans des activités
significatives pour lui, répond à son besoin d'agir de la façon la plus
appropriée qui soit.
Le jeu présente des caractéristiques propres, qui diffèrent tant du travail
de l'adulte que de ses loisirs.
LE MODÈLE LUDIQUE : CADRE CONCEPTUEL * 93

Le jeu est un processus naturel qui aide l'enfant à s'adapter à diverses


situations.
Le jeu favorise le développement optimal de la capacité d'agir de l'en-
fant, le menant à l'autonomie.
Le jeu permet de contrer la passivité et la dépendance de l'enfant en le fai-
sant participer à la thérapie.
Quand il joue, l'enfant expérimente la frustration et l'échec. L'utilisation
du jeu en thérapie permet à l'enfant d'expérimenter également ces situa-
tions et, soutenu par le thérapeute, d'apprendre à y réagir et à maintenir
son action.
Le jeu apprend à l'enfant à dédramatiser les situations difficiles ; cet
apprentissage contribue au mieux-être de l'enfant dans son quotidien.
Pour véritablement aider un enfant ayant une déficience physique à déve-
lopper son autonomie et à obtenir une qualité de vie satisfaisante, on doit
aborder cet enfant par une approche biopsychosociale, ce que permet le jeu.
Le jeu est une modalité thérapeutique complète en soi, qui favorise le
développement tant des attitudes que des habiletés.
Le jeu permet de développer chez l'enfant ayant une déficience physique
la connaissance du monde qui l'entoure, une attitude positive face à
l'action et des habiletés dans différentes sphères, en tenant compte tant
des forces que des faiblesses de l'enfant.
Cette approche n'est pas inconciliable avec l'utilisation de techniques
spécifiques visant à réduire les limites imposées par la déficience. Elle
peut même bénéficier de l'apport de ces techniques pour faciliter l'exé-
cution des activités de jeu; ces techniques doivent cependant être inté-
grées subtilement à la démarche générale.
Cette approche ne peut se réaliser sans que le plaisir soit présent dans la
thérapie de l'enfant.
Si l'objectif d'autonomie et de bien-être est atteint chez l'enfant, il y a
fort à parier qu'il se maintiendra dans sa vie adulte.
Le jeu permet de respecter l'enfant, l'abordant pour ce qu'il est, un enfant,
et non un futur adulte.
94 * LE MODÈLE LUDIQUE

LES DÉFINITIONS DES CONCEPTS CLÉS

Ces jalons étant posés, définissons les concepts clés qui s'en dégagent :
Jeu : Attitude subjective où plaisir, intérêt et spontanéité se côtoient; cette
attitude se traduit par une conduite choisie librement et pour laquelle aucun
rendement spécifique n'est attendu. Cette conduite se manifeste dans un
environnement donné, comprenant tant des objets que des partenaires.
Attitude ludique : Attitude caractérisée par le plaisir, la curiosité, le sens de
l'humour et la spontanéité, le goût de prendre des initiatives et de relever des
défis.
Action du jeu : Composantes instrumentales (sensorielles, motrices, per-
ceptives, cognitives) rendant possible l'activité de jeu.
Intérêt pour le jeu : Attirance envers le jeu. L'intérêt pour le jeu est nécessaire
pour faire naître le désir d'agir et maintenir le plaisir d'agir.
Plaisir de l'action : Sensation agréable naissant de l'intérêt pour telle ou telle
activité, s'expérimentant dans l'action, entre autres dans le jeu, et suscep-
tible de favoriser la répétition et la généralisation de l'action. Ce plaisir
concerne tant les rapports avec les objets que les rapports avec les autres.
Capacité d'agir : Capacité d'effectuer l'activité de la façon habituelle, d'adap-
ter l'activité à ses possibilités et de réagir devant l'impossibilité d'accomplir
l'activité. Ce concept concerne tant les rapports avec les objets que les rap-
ports avec les autres.
Autonomie : Être autonome signifie autogérer sa vie, déterminer librement
les règles de son action. L'autonomie s'oppose à l'hétéronomie caractérisant
l'individu qui puise hors de sa volonté le principe de son action (Le Petit
Robert, 1996).
Bien-être : Sensation agréable procurée par la satisfaction des besoins phy-
siques et l'absence de tensions psychologiques (Le Petit Robert, 1996).

LE CADRE CONCEPTUEL DU MODÈLE LUDIQUE

Ces différents concepts clés ont été intégrés dans un cadre conceptuel.
Le jeu est ici défini par l'attitude qui le sous-tend, par les diverses com-
posantes instrumentales menant à l'action et par l'intérêt que manifeste
LE MODÈLE LUDIQUE : CADRE CONCEPTUEL * 95

l'enfant. Ces trois éléments que sont l'attitude, l'action et l'intérêt définissent
donc le jeu; par ailleurs, le jeu résulte aussi de l'interaction de ces éléments.
Ainsi conçu, le jeu peut favoriser l'émergence du plaisir de l'action et le déve-
loppement de la capacité d'agir de l'enfant, le menant à l'autonomie et à un
sentiment de bien-être. Ce sentiment de bien-être, on veut l'obtenir pour
l'enfant mais aussi pour sa famille, comme nous le verrons au chapitre 6.
En retenant l'attitude tout autant que l'action pour viser la capacité d'agir
menant à un sentiment de bien-être, on rejoint la position de Wilcock (1998).
En effet, ici aussi, on considère que Vagir ne suffit pas, mais qu'il faut consi-
dérer l'être pour aider cet enfant à devenir une personne plus autonome et
plus à l'aise dans sa peau. En considérant tant les habiletés de l'enfant dans les
différentes sphères de son développement que son attitude face à l'agir, on
recherche non seulement l'action du geste mais aussi l'action de l'esprit : on
tente de réaliser le potentiel de l'enfant grâce à son attitude ludique. On se
préoccupe de ses capacités, actuelles et potentielles, ainsi que de ses lacunes.
Enfin, l'intérêt que manifeste l'enfant accompagne toute la démarche. Cet
intérêt est plus qu'un simple élément déclencheur dont on se servirait pour
inciter l'enfant à participer à la thérapie, il est un élément essentiel au dérou-
lement de la thérapie pour que le plaisir de l'action émerge et se maintienne.

FIGURE 3

Le modèle ludique et l'enfant : cadre conceptuel


96 » LE MODÈLE LUDIQUE

Bref, le modèle ludique se veut une voie privilégiée pour faire découvrir
à l'enfant, malgré ses limitations, le plaisir d'agir, le plaisir de vivre, et donc
le plaisir d'être.

Le cadre conceptuel du modèle ludique et l'ergothérapie

Tout en apportant des réponses au questionnement initial présenté en début


de chapitre, le cadre conceptuel du modèle ludique demeure fidèle aux
concepts fondamentaux de l'ergothérapie (voir le tableau 4). Ce cadre
conceptuel touche l'enfant dans son besoin d'agir par le secteur d'activités
propre à l'enfance, le jeu. En jouant, l'enfant influe sur son environnement,
utilisant le matériel et interagissant avec des partenaires. De plus, cette
démarche aborde l'enfant dans sa globalité et non par le seul biais de ses dif-
ficultés. En effet, tant les dimensions psychosociale que physique sont rete-
nues ; autrement dit, on s'intéresse au savoir-être (attitude) tout autant qu'au
savoir-faire (habiletés). Par la conception du jeu qui est retenue, ce cadre
conceptuel stimule et développe les habiletés adaptatives de l'enfant face à

TABLEAU 4
Parallèle entre l'ergothérapie et le modèle ludique

CONCEPTS CLÉS DE L'ERGOTHÉRAPIE CONCEPTS CLÉS DU MODÈLE LUDIQUE

«Nature occupationnelle» de l'être «Nature occupationnelle» de l'enfant


humain touchée par le jeu, secteur d'activités
propre à l'enfance.

Besoin de l'être humain d'agir sur Objet du modèle : découverte par l'enfant
l'environnement et d'interagir avec du plaisir de l'action et développement de
l'environnement sa capacité à agir dans son environnement.

Approche holistique du client Par le jeu, approche globale de l'enfant


dans ses différentes dimensions.

Adaptation : processus et résultat de Le jeu invite l'enfant à s'adapter à diverses


l'intervention situations.

Approche centrée sur le client L'enfant est le maître d'œuvre de sa théra-


pie; il choisit, décide. De plus, il contribue
à l'adaptation de l'activité quand des diffi-
cultés surviennent.
LE MODÈLE LUDIQUE : CADRE CONCEPTUEL * 97

diverses situations. Par ailleurs, il s'inscrit dans une pratique centrée sur
l'enfant, tant par les assises de son élaboration (recommandations d'anciens
clients, perspectives des parents) que dans son application, que nous ver-
rons plus en détail au chapitre 5. Enfin, le modèle ludique propose une
approche positive de l'enfant, considérant à la fois ses habiletés et ses diffi-
cultés ; ses forces sont d'ailleurs sollicitées pour surmonter ses difficultés et
pour développer son autonomie dans sa vie quotidienne. La question du
travail avec les parents reste en suspens pour l'instant ; elle sera étudiée au
chapitre 6.
Ce cadre conceptuel, qui aborde l'enfant dans sa globalité plutôt que par
des fonctions spécifiques, va dans le même sens que Sparling et ses collabo-
rateurs (1984) qui préconisaient l'adoption d'un cadre de jeu pour sous-
tendre la pratique de l'ergothérapie auprès des enfants atteints de paralysie
cérébrale. Il rejoint également les positions de chercheurs mentionnés pré-
cédemment (Diamond, 2000 ; Magnuson, 2000 ; Humphry, 2002; Bober et
collaborateurs, 2001), qui, pour une plus grande efficacité, proposent d'abor-
der l'enfant par des activités significatives pour lui.

Validation du cadre conceptuel

Voyons maintenant les études de validité menées jusqu'à maintenant.

Les enfants ayant une déficience physique. Dans le cadre conceptuel du modèle
ludique, le jeu se définit par trois éléments : attitude, action et intérêt. Ces
trois éléments sont-ils réellement distincts? Par ailleurs, ce modèle repose sur
l'hypothèse que, si l'enfant développe son comportement de jeu, il dévelop-
pera aussi sa capacité à agir. Quel est le rapport entre le comportement
ludique, c'est-à-dire l'attitude, l'action et l'intérêt, et la capacité fonctionnelle
de l'enfant dans la vie quotidienne?
Une première recherche, menée auprès de 30 enfants âgés de deux ans à
cinq ans et 11 mois, présentant une infirmité motrice d'origine cérébrale de
gravité variable, a tenté de répondre à ces deux questions (Dufour, Ferland
et Gosselin, 1998). Il s'agissait de déterminer quels sont, d'une part, les rap-
ports entre les trois dimensions du comportement ludique et, d'autre part,
les relations entre le comportement ludique et les capacités de ces enfants,
98 * LE MODÈLE LUDIQUE

dans les secteurs de la mobilité, des soins personnels et du jeu. Les instru-
ments retenus ont été : l'Évaluation du comportement ludique (ÉCL), qui
sera présentée au chapitre 5, et le Pédiatrie Evaluation ofDisability Inventory
(Haleyetfl/., 1992).
L'analyse des rapports entre les dimensions du comportement ludique
évaluées au moyen de PÉCL a permis de constater, en premier lieu, que toutes
les capacités de jeu étaient liées entre elles. Elles étaient également corrélées
avec la gravité de l'atteinte et l'autonomie dans les déplacements : de fait,
moins l'atteinte était grave et plus la capacité de l'enfant à se déplacer était
développée, plus il se montrait capable de jouer. Par contre, l'intérêt ludique
et l'attitude ludique n'étaient b'ées ni à ces variables ni entre elles. Ainsi, il
semble que l'enfant, même gravement atteint et limité dans ses déplacements,
puisse présenter une attitude et des intérêts ludiques semblables à ceux des
autres enfants. Par ailleurs, ces résultats établissent le caractère distinctif des
trois dimensions du jeu retenues dans le présent modèle, apportant ainsi
une première validation à notre définition du jeu. Ainsi, on peut considérer
que cette conception du jeu permet vraiment de rejoindre l'enfant dans sa
globalité non seulement parce qu'elle s'intéresse aux habiletés de l'enfant
dans les différentes sphères de son développement, mais aussi parce qu'elle
prend en considération son attitude et son intérêt pour le jeu.
Dans le deuxième volet de cette étude, il a été établi que les capacités de
jeu sont reliées de façon significative aux capacités fonctionnelles de l'enfant.
De plus, toutes deux sont également liées à la gravité de la déficience. Plus
l'enfant est gravement atteint, plus ses capacités fonctionnelles et ses capa-
cités de jeu sont réduites. Par contre, ni l'attitude de jeu ni l'intérêt pour le
jeu ne sont en corrélation avec les capacités fonctionnelles de l'enfant. Ainsi,
on peut concevoir que si l'on favorise le développement des habiletés de jeu
de l'enfant, on influe aussi sur sa capacité fonctionnelle puisque ces deux
éléments sont liés entre eux. Par ailleurs, l'attitude de jeu et l'intérêt pour le
jeu, étant indépendants de la gravité de l'atteinte, semblent renvoyer à des
caractéristiques personnelles de l'enfant non touchées par la déficience. Ces
éléments peuvent alors s'avérer particulièrement importants à considérer si
on veut favoriser chez l'enfant la capacité non seulement de réaliser des acti-
vités, mais aussi de prendre des décisions et d'effectuer des choix, de décou-
vrir le plaisir d'agir également. Il faut préciser que le concept de capacité
LE MODÈLE LUDIQUE : CADRE CONCEPTUEL * 99

fonctionnelle utilisé dans cette étude ne correspond pas à celui de la capa-


cité d'agir. En effet, le premier renvoie à la capacité de l'enfant à accomplir
l'activité, c'est-à-dire principalement au premier volet de la capacité d'agir,
et non à celui d'adapter l'activité ou de réagir à l'impossibilité de réaliser
l'activité. L'attitude et l'intérêt peuvent-ils être associés aux deux autres volets
de la capacité d'agir non évalués dans la présente étude, soit la capacité
d'adapter l'activité à ses possibilités et la capacité de réagir devant une acti-
vité qu'on ne peut effectuer ? Comme aucune mesure ne permet pour le
moment de mesurer cet élément, on ne peut que formuler l'hypothèse.

Enfants ayant une déficience intellectuelle. Le cadre conceptuel du modèle


ludique peut-il être adapté aux besoins d'autres clientèles ? Une étude s'est
intéressée à la clientèle présentant une déficience intellectuelle (Messier,
2000). Vingt-sept enfants ont été évalués en regard de leur comportement
ludique (capacités, intérêt et attitude) et de leurs capacités intellectuelles
pour déterminer les rapports entre ces deux variables. Les résultats obtenus
(présentés en partie au chapitre 2), démontrent qu'ici aussi les habiletés de
jeu sont reliées à la gravité de la déficience de l'enfant. Toutefois, l'attitude
de jeu ressort en tant que caractéristique intrinsèque de la personnalité de
l'enfant. L'auteure considère que les évaluations de jeu en déficience intel-
lectuelle s'avèrent d'un intérêt particulier pour l'ergothérapeute. Elle précise
que le fait de développer les capacités, intérêts et attitude ludique de l'enfant
permettrait peut-être d'utiliser ces caractéristiques pour faciliter l'appren-
tissage des préalables scolaires.
Il va de soi que la mise en œuvre du modèle ludique auprès des enfants
ayant une déficience intellectuelle devra être adaptée à la dynamique de ces
enfants. Toutefois, il est intéressant de constater que, tout comme chez l'enfant
ayant une déficience physique, l'attitude de jeu n'est pas tributaire de la gra-
vité de la déficience, confirmant de la sorte l'intérêt qu'il peut y avoir à rete-
nir cette dimension dans nos interventions pour stimuler le développement
des sphères lacunaires.

Clientèle adulte. Une autre recherche s'est intéressée au cadre conceptuel du


modèle ludique, et plus particulièrement au concept de l'attitude ludique
chez la clientèle adulte (Guitard et Ferland, 2002; Guitard, Ferland et Couture,
1OO * LE MODÈLE LUDIQUE

2002). Cette recherche en deux volets a d'abord examiné la définition concep-


tuelle de l'attitude ludique chez l'adulte. Recourant à une démarche qualita-
tive, Guitard (2002) a identifié les éléments de définition suivants : plaisir,
humour, curiosité, spontanéité et imagination. Ensuite, compte tenu, d'une
part, des préalables nécessaires à l'émergence de cette attitude et, d'autre part,
de ses manifestations dans le quotidien de l'adulte, un nouveau cadre concep-
tuel a été proposé dans le deuxième volet de cette recherche. Ce cadre concep-
tuel a été analysé en vue d'une utilisation auprès d'une clientèle adulte. Ainsi,
en s'appuyant au départ sur le modèle ludique, cette recherche a permis de
vérifier la pertinence théorique du recours à l'attitude ludique pour interve-
nir auprès d'une clientèle adulte.

Le modèle ludique et les communautés culturelles. Une étude s'est intéressée


à la validité culturelle du modèle ludique. Bien que le jeu soit un phéno-
mène universel, n'est-il pas fortement influencé par le milieu culturel dans
lequel évolue l'enfant ? L'ouvrage de Roopnarine et de ses collaborateurs
(1994) est, à cet égard, très instructif. Si c'est le cas, le modèle ludique est
susceptible d'être accueilli différemment d'une communauté culturelle à
l'autre. Pour explorer cette question, une étude a été entreprise auprès de
mères issues de trois groupes culturels montréalais (québécois de souche,
arabe et haïtien) en se servant de l'Entrevue initiale avec les parents sur le
comportement ludique de leur enfant (Ferland, 1998), entrevue qui sera
décrite au chapitre 5. Chacun de ces groupes comptait des enfants âgés de
deux à six ans et présentant ou non une déficience physique. La comparai-
son entre les deux groupes d'enfants pour chaque communauté culturelle a
permis de dégager des caractéristiques propres à chacun et, de la sorte, de
faire voir les différences culturelles du jeu.
Chez les enfants de souche québécoise, la comparaison entre 30 enfants
ayant une déficience physique et 20 enfants normaux a permis de délimiter
les caractéristiques suivantes : tous avaient un intérêt marqué pour les
contacts physiques, les situations comiques, les histoires, les livres d'images
et les animaux. De plus, ils faisaient preuve d'une curiosité, d'un sens de
l'humour, d'un goût du plaisir et d'une spontanéité tout à fait comparables.
Toutefois, les enfants ayant une déficience physique manifestaient un inté-
rêt plus marqué pour les activités sensorielles et pour les autres enfants de
LE MODÈLE LUDIQUE : CADRE CONCEPTUEL » 1O1

leur âge que les enfants normaux; ils prenaient moins d'initiatives et avaient
moins envie de relever des défis : ces différences étaient significatives sur le
plan statistique (Ferland, 1997; Rome-Flanders et Ferland, 1997).
En ce qui concerne la communauté haïtienne (Masse, 1997 ; Masse,
Ferland et Rome-Flanders, 1996), les enfants ont été répartis en trois
groupes : sept enfants normaux, neuf enfants ayant une IMOC et sept enfants
présentant un autre diagnostic. Les réponses des mères ont permis de déce-
ler diverses caractéristiques communes aux enfants ayant ou non une IMOC :
diversité du matériel de jeu disponible, intérêt marqué pour les contacts
physiques, pour les autres enfants, pour les adultes connus, pour l'eau et le
plaisir dans les activités. Par contre, les enfants ayant une IMOC présentaient
des différences statistiquement significatives avec les enfants normaux; ils
s'intéressaient moins aux histoires, aux situations comiques, ils étaient moins
disposés à relever les défis et à inventer de nouveaux jeux. Comme ces résul-
tats s'écartent de ceux obtenus chez les enfants de souche québécoise ayant
une IMOC (intérêt pour les histoires, les situations amusantes ; voir Ferland,
1997 ; Rome-Flanders et Ferland, 1997), on pourrait croire qu'il s'agit de dif-
férences culturelles. Cependant, comme l'enfant haïtien normal manifeste
aussi ces intérêts, la culture ne peut expliquer les différences observées.
Comme l'auteure principale de cette étude (Masse, 1997), on peut se deman-
der si la présence d'une déficience physique n'influencerait pas le compor-
tement de la mère à l'égard de son enfant, considérerant certaines activités
comme moins pertinentes pour lui. Ces différences relatives aux intérêts
seraient alors davantage en rapport avec la perception culturelle de la défi-
cience physique qu'avec celle de la perception du jeu.
Par ailleurs, il ressort des propos des mères haïtiennes interviewées qu'à
l'exception du plaisir, peu d'éléments de l'attitude ludique sont présents de
façon marquée chez leur enfant, qu'il ait ou non une déficience physique, ou
sont encouragés dans leur famille. Ces éléments d'attitude peuvent être assi-
milés à des différences culturelles puisqu'ils se distinguent de ceux obtenus
dans l'échantillon des enfants de souche québécoise.
En ce qui regarde la communauté arabe, l'étude a été menée en collabo-
ration avec Rome-Flanders et a touché six mères d'enfants normaux et 15
mères d'enfants présentant une déficience physique. Compte tenu de la
petite taille de l'échantillon d'enfants normaux, il ne peut y avoir de com-
1O2 * LE MODÈLE LUDIQUE

paraison statistique entre ces deux groupes : nous ne retiendrons, à titre


indicatif, que les résultats obtenus par plus de 80 % des enfants dans chacun
des deux groupes. Ces enfants, selon leur mère, apprécient les activités exté-
rieures (normaux [N]=ioo %; ayant une déficience physique [DP]= 93%),
les activités aquatiques (N= 83 % ; DP=ioo %) et ils s'intéressent aux autres
enfants (N=ioo%; DP=87%). Par contre, les contacts physiques semblent
davantage appréciés des enfants ayant une déficience physique (DP= 93 % ;
N=66%), tout comme le fait de toucher et d'être touché (DP= 100%; N=
50 %). Par contre, ces enfants ont moins de matériel de jeu à leur disposition
pour imiter et imaginer (DP=27%), que les enfants normaux (N=83%).
Quant à l'attitude ludique, plus de 80 % des enfants normaux font preuve
de curiosité, d'initiative, d'humour, de goût du plaisir et de spontanéité. Dans
le groupe des enfants ayant une déficience physique, ces traits ne sont pré-
sents que chez 33 % à 66 % des enfants, et ce bien que le sens de l'initiative et
le plaisir soient encouragés respectivement par 100 % et 86 % des mères.
L'attitude ludique ressort ici, non pas comme une caractéristique cultu-
relle ainsi que cela semble le cas dans la communauté haïtienne, mais plu-
tôt comme une caractéristique de l'enfant ayant une déficience physique.
Comme toutes les mères encouragent cette attitude, l'attitude maternelle
ne saurait influencer ce résultat. Si on se rappelle que les enfants de souche
québécoise et ayant une déficience physique présentent une attitude ludique
tout autant que leurs pairs normaux, il est difficile de retenir la variable de
la déficience physique pour expliquer ce résultat. Compte tenu du petit
nombre d'enfants normaux, les résultats présentés ici ne peuvent être rete-
nus que comme tendance dans cette communauté. Ils devront être confir-
més par une étude plus exhaustive qui permettrait d'établir une véritable
comparaison entre les enfants de cette communauté ayant ou non une défi-
cience physique et entre ces trois groupes culturels.
Toutefois, en faisant ressortir les particularités et les différences entre les
enfants d'un même groupe culturel, l'étude de ces trois sous-groupe
démontre à quel point il est important de considérer la perception culturelle
du jeu si l'on veut intervenir efficacement par le jeu auprès de clients appar-
tenant à diverses communautés. Mieux comprendre la perception culturelle
du jeu permettra de réaliser pourquoi certains parents peuvent être réfrac-
taires à ce qu'on favorise, par exemple, la curiosité, le sens de l'humour et de
LE MODÈLE LUDIQUE : CADRE CONCEPTUEL » 1O3

l'initiative chez leur enfant si ces comportements ne sont pas valorisés dans
leur culture.
La recherche menée sur le cadre théorique du modèle ludique depuis la
première parution de cet ouvrage est très dynamique et on verra au cha-
pitre suivant qu'une thérapie basée sur le modèle ludique l'est tout autant.

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This page intentionally left blank
5

LE MODELE LUDIQUE :
MODÈLE DE PRATIQUE

Mon plus grand souhait?


Que, grâce au modèle ludique,
l'enfant apprenne à se jouer des difficultés.

S'appuyant sur le cadre conceptuel présenté précédemment, ce chapitre pro-


pose des moyens concrets d'appliquer le modèle ludique dans la pratique
quotidienne en ergothérapie. Pour adopter une approche centrée sur l'enfant
en utilisant le jeu, il est nécessaire d'avoir un cadre de référence clair pour
soutenir notre intervention. C'est alors, et alors seulement, qu'il sera possible
d'accorder une certaine latitude à l'enfant sans perdre de vue les objectifs
thérapeutiques. Permettre à l'enfant d'agir dans la thérapie, tout en abordant
celle-ci de façon holistique est, selon Blanche (1997), un véritable défi pour le
thérapeute.
L'application clinique du modèle variera quelque peu selon la clientèle
visée ; ici, nous considérerons l'enfant d'âge préscolaire qui présente une
incapacité physique importante et permanente. Les objectifs généraux de
l'approche seront d'abord précisés. Ensuite, nous traiterons de l'évaluation de
l'enfant et nous donnerons des explications concernant les deux instruments
développés lors de l'élaboration du modèle ludique ; nous étudierons les
1O8 * LE MODÈLE LUDIQUE

résultats d'études portant sur ces instruments. Ensuite, nous considérerons


la planification de l'intervention ainsi que l'intervention proprement dite :
principes directeurs, rôle du thérapeute, matériel de jeu, évolution de la thé-
rapie. Une grille retraçant l'évolution de l'action et de l'attitude de jeu en
cours de développement ainsi que des exemples concrets aideront à com-
prendre l'application clinique du modèle. Les réactions que peut susciter
cette approche, tant de la part des parents que des autres membres de
l'équipe, seront aussi examinées. Des commentaires d'ergothérapeutes et une
discussion portant sur la possibilité d'adapter ce modèle de pratique à
d'autres clientèles viendront clore ce chapitre.

LES OBJECTIFS GÉNÉRAUX

S'appuyant sur le cadre conceptuel, l'intervention, ainsi que nous l'avons


vu au chapitre précédent, vise l'autonomie et le bien-être de l'enfant et de sa
famille. Il s'agit de lui faire découvrir le plaisir de l'action et de développer
sa capacité d'agir. Pour y parvenir, les objectifs généraux sont de :
• Stimuler, développer et maintenir l'attitude ludique chez l'enfant, en sollici-
tant entre autres sa curiosité, sa spontanéité, son plaisir, son sens de l'humour,
son imagination, sa capacité à solutionner les problèmes tout en tenant compte
de la dimension affective.
• Stimuler, développer et maintenir chez l'enfant un répertoire d'intérêts
variés.
• Stimuler, développer et maintenir les habiletés ludiques de l'enfant, en sol-
licitant les sphères sensorielles, motrices, cognitives et sociales.

L'ÉVALUATION DE L'ENFANT

Pour aborder l'enfant dans l'optique présentée, l'ergothérapeute, au moment


de l'évaluation, doit recueillir le plus d'informations possible concernant la
sphère ludique de l'enfant. Cette évaluation a pour objet de connaître le jeu
de l'enfant et de comprendre l'enfant à travers son jeu. On évaluera tant son
attitude et son intérêt pour le jeu que ses habiletés et difficultés ludiques.
LE MODÈLE LUDIQUE : MODÈLE DE PRATIQUE * 1O9

Dans le modèle ludique, on veut savoir ce que l'enfant aime faire, ce qu'il
peut faire, comment il effectue les activités, comment il y réagit, quelles sont
ses difficultés particulières. Pour y parvenir, recueillir des données qualita-
tives sur ce domaine d'activités s'avère précieux, l'intérêt premier n'étant
pas de mesurer le retard, mais bien de connaître les caractéristiques per-
sonnelles de cet enfant. Par ailleurs, des données quantitatives sur son niveau
de jeu peuvent être utiles si l'on souhaite situer l'enfant par rapport à ses
pairs et quantifier ses acquis.
Dans ce modèle, les parents sont perçus comme des alliés pouvant nous
aider à mieux comprendre leur enfant, ce qui nous permettra de personna-
liser la thérapie et donc de la rapprocher de la réalité quotidienne de cet
enfant. Ainsi, en plus de l'évaluation de l'enfant, une rencontre avec les
parents est suggérée pour mieux connaître certaines caractéristiques propres
à l'enfant de même que son comportement ludique à la maison.

Les instruments

Deux instruments ont été conçus au cours de l'élaboration du modèle


ludique : l'Évaluation du comportement ludique (ÉCL) et L'Entrevue ini-
tiale avec les parents (BIP) sur le comportement ludique de leur enfant.
D'autres évaluations peuvent aussi être utiles pour compléter le processus
d'évaluation de l'enfant : entre autres l'Échelle de jeu pour les enfants d'âge
préscolaire (Preschool Play Scale; Bledsoe et Sheperd, 1982; Knox, 1974,1997)
et le Test ofPlayfulness (ToP) de Bundy (1997).

L'évaluation du comportement ludique de l'enfant (ÉCL). Comme nous nous


intéressons non seulement à ce que l'enfant peut faire spontanément, mais
aussi à ses réactions dans différentes situations ainsi qu'à ses intérêts et à son
attitude, une évaluation visant à systématiser l'observation de son compor-
tement ludique a été mise au point. Tout comme l'observation du jeu libre de
l'enfant, stratégie d'évaluation couramment utilisée en ergothérapie, cette
évaluation ne requiert aucun matériel particulier, si ce n'est le matériel de
jeu habituellement présent dans les services d'ergothérapie ; elle exige toute-
fois un bon sens de l'observation, une bonne connaissance du jeu normal et
11O * LE MODÈLE LUDIQUE

un solide jugement clinique. L'annexe 2 présente le protocole d'évaluation et


la procédure d'administration.
Avec cet instrument, on n'évalue pas les composantes sous-jacentes au
jeu, telles que la motricité, la perception ou la cognition, mais bien le com-
portement de l'enfant dans son jeu. Selon Colin, Miller et Tickle-Degnen
(2000), il est plus utile d'évaluer les sphères d'activités de l'enfant, telles que
le fonctionnement à l'école ou, ici, le rendement de son jeu, que ses com-
posantes. Sinon, on risque, selon ces auteurs, de laisser échapper des données
importantes pour l'enfant et sa famille. L'ÉCL a pour objet de décrire l'aspect
qualitatif et individualisé du comportement ludique de l'enfant en cernant
cinq dimensions : i) l'intérêt en général (environnement humain et senso-
riel) ; 2) l'intérêt pour le jeu; 3) les capacités ludiques (pour utiliser les objets
et l'espace) ; 4) l'attitude ludique; et 5) la communication (besoins et senti-
ments). Cette évaluation, d'une durée approximative d'une heure, s'effectue
au moyen de l'observation directe et de mises en situation (voir l'annexe 2).
Cette évaluation présente la particularité suivante : pour chaque capacité
étudiée, on évalue aussi l'intérêt de l'enfant. Les échelles de cotation sont
ordinales et comportent 3,4 ou 5 niveaux.
Pour vérifier la validité du contenu, cet instrument, tout comme l'Entrevue
initiale avec les parents qui sera présentée par la suite, a été soumis à un
premier groupe d'experts formé de six ergothérapeutes travaillant auprès
d'enfants d'âge préscolaire ayant une déficience physique, dans quatre milieux
différents. Ces ergothérapeutes, après avoir employé ces instruments en milieu
clinique, nous ont fourni leurs commentaires et suggestions pour, d'une part,
accroître la clarté des questions et, d'autre part, rendre plus complets les élé-
ments demandés.
Par la suite, deux autres groupes d'experts formés d'ergothérapeutes tra-
vaillant auprès de diverses clientèles infantiles ont été sollicités pour préci-
ser les différents éléments retenus et obtenir un consensus quant à la manière
de les définir, quant aux modes de présentation des épreuves et au choix des
modes de notation. La version initiale de l'instrument a par la suite été révi-
sée et une procédure d'administration a été établie, définissant chaque élé-
ment et précisant la façon de noter.
Cet outil, de même que l'Entrevue initiale avec les parents, découle du cadre
conceptuel. Cette concordance avec le cadre conceptuel permet de croire à
LE MODÈLE LUDIQUE : MODÈLE DE PRATIQUE * 111

priori à la validité de construit de ces instruments. Pour l'estimer plus préci-


sément, une étude a été menée auprès de 30 enfants, âgés de deux ans à cinq
ans et 11 mois et présentant un déficit moteur cérébral de gravité variable
(Dufour, Ferland et Gosselin, 1998). Deux variables personnelles de l'enfant et
liées à ses difficultés ont influencé les résultats obtenus à l'Évaluation du com-
portement ludique pour ce qui est de la dimension capacités de jeu : la gravité
de l'atteinte et la capacité de l'enfant à se déplacer. Plus l'atteinte était impor-
tante, moins l'enfant manifestait de capacités ludiques; plus l'enfant avait des
difficultés à se déplacer, moins ses capacités de jeu étaient grandes. Donc, dans
la dimension capacités, I'ÉCL cerne les difficultés de l'enfant. Par contre, ni l'in-
térêt ni l'attitude ludiques ne sont en corrélation avec ces variables. N'étant pas
reliées à la gravité de l'état de l'enfant, on peut considérer ces deux dimen-
sions comme le reflet des caractéristiques personnelles de l'enfant. Par ailleurs,
les résultats indiquent que les trois dimensions de cette évaluation (action,
attitude et intérêt) ne sont pas corrélés entre elles, sauf une exception. Cette
quasi-absence de relations significatives entre les trois grandes dimensions
laisse croire qu'elles sont donc des éléments distincts que I'ÉCL permet de cer-
ner. Enfin, comme chaque élément est noté tant en ce qui concerne les capa-
cités de l'enfant que son intérêt, il est apparu que ce dernier peut manifester de
l'intérêt pour certaines activités même s'il est incapable de les réaliser.
D'autres études sont bien sûr requises pour mesurer, entre autres, la vali-
dité du contenu et la fidélité de cet instrument.

L'entrevue initiale avec les parents (EIP) sur le comportement ludique de leur
enfant. Comme ce sont les parents qui connaissent le mieux l'enfant, ils
sont dans ce modèle des partenaires précieux lors de l'évaluation de l'en-
fant. Savoir ce qui attire l'enfant, ce qui le fait réagir tant positivement que
négativement, connaître ses réactions à certains stimuli, sa façon de com-
muniquer ses besoins et émotions et l'avis des parents concernant certains
aspects de son attitude ludique, tout cela représente des informations fort
précieuses pour véritablement personnaliser la thérapie de l'enfant, et par
conséquent, en maximiser les effets. L'Entrevue initiale avec les parent (EIP),
présentée à l'annexe 3, a été mise au point à cette fin. Pour les parents, cette
entrevue leur permet de saisir qu'ils ont une contribution unique à appor-
ter et d'entrevoir, dès le début, quelle sera l'orientation de notre intervention.
112 * LE MODÈLE LUDIQUE

Ce questionnaire a également été soumis aux groupes d'experts et révisé


par la suite. En outre, on a élaboré une procédure d'administration (voir
l'annexes).
Cette entrevue permet de valider certaines observations faites par l'er-
gothérapeute lors de l'évaluation de l'enfant. Une étude menée avec PEIP a
permis de le confirmer (Ferland,i99/). Grâce à l'utilisation de cet instru-
ment auprès de 30 parents d'enfants d'âge préscolaire et présentant une
IMOC, il a été possible de comparer les résultats obtenus avec ceux de TÉCL,
sous le rapport des éléments communs aux deux instruments, qui touchent
l'attitude et l'intérêt ludiques de l'enfant. Il s'est avéré que les réponses des
parents étaient semblables aux scores des thérapeutes : aucune différence
significative n'a été relevée entre les deux évaluations. Il semble donc que
les parents constituent pour les thérapeutes des sources d'information fiable.
Par ailleurs, FEIP fournit des informations qu'il n'est pas possible d'obtenir
au moment où l'enfant est évalué, telles la présence d'un animal à la maison,
ses partenaires de jeu préférés, le matériel dont il dispose.
Pour évaluer la capacité de l'instrument à déterminer les différences entre
des groupes d'enfants, les résultats recueillis auprès de ces 30 parents d'enfants
ayant une IMOC ont été comparés à ceux obtenus auprès de 25 parents d'en-
fants présentant un retard de langage. Les analyses font apparaître des diffé-
rences significatives entre ces deux groupes. Ainsi, comparativement au
groupe d'enfants ayant un retard de langage, l'intérêt pour l'eau, les contacts
physiques, les situations amusantes et les autres enfants sont statistiquement
plus importants chez les enfants ayant une IMOC. Par ailleurs, l'expression
de la tristesse chez ces enfants est difficile à détecter par les parents, alors que
l'expression du plaisir, de la peur et de la colère est plus aisément observable ;
ces résultats n'ont pas été obtenus auprès des autres enfants. L'entrevue ini-
tiale avec les parents permet donc, semble-t-il, d'établir des distinctions entre
des groupes d'enfants.
Dans toutes les études qui ont utilisé I'EIP, des prétests mesurant le degré
de concordance entre les résultats obtenus par Fauteure de l'instrument et
par le chercheur en cause ont été effectués. Dans tous les cas, ce taux de
concordance a dépassé les 98 %. Ce résultat ne devrait pas nous étonner
puisque dans l'incertitude de la cote à donner, le thérapeute confirme auprès
du parent celle qui décrit le mieux sa réponse. Cette validation auprès du
LE MODÈLE LUDIQUE : MODÈLE DE PRATIQUE * 113

parent fait en sorte que, peu importe qui évalue, les résultats seront quasi les
mêmes.
Ici encore, il sera nécessaire d'effectuer d'autres études pour compléter
l'analyse des qualités métrologiques de cet instrument.

L'échelle de jeu pour les enfants d'âge préscolaire (Knox, 1974 ; 1997). L'Échelle
de jeu pour les enfants d'âge préscolaire, mise au point par Knox (1974),
révisée par Bledsoe et Sheperd en 1982 et par Knox en 1997, est un instrument
qu'il peut être intéressant d'utiliser lors de l'évaluation de l'enfant. Elle per-
met de déterminer l'âge ludique global de l'enfant et son niveau de jeu selon
quatre dimensions : l'utilisation de l'espace et du matériel, l'imitation et la
participation sociale de l'enfant. Cet instrument s'est avéré précis et fiable
chez une population d'enfants présentant diverses déficiences (Bledsoe et
Sheperd, 1982; Harrisson et Kielhofher, 1986; Knox, 1997).

Le Test of Playfulness (ToP; Bundy, 1997). Cette évaluation comprend 68 élé-


ments qu'un évaluateur ayant suivi une formation préalable peut compléter
en observant un enfant au jeu pendant 15 minutes. Elle cerne principalement
la propension au jeu (playfulness) de l'enfant, s'intéressant tant à la motivation
(intrinsèque ou extrinsèque), au sentiment de maîtrise (interne ou externe),
à l'habileté à suspendre la réalité et au/rammg, soit à l'habileté de l'enfant à
donner des indices sociaux à ses partenaires et à lire les leurs pour rester à
l'intérieur du cadre de jeu. Même si cette évaluation a été mise au point pour
des enfants âgés de deux à 10 ans, une étude montre qu'elle peut toutefois être
utilisée auprès d'enfants âgés d'à peine dix-huit mois. De plus, cet instrument
s'est avéré fidèle et valide chez des enfants atteints de paralysie cérébrale
(Okimoto, Bundy et Hanzlik, 2000)

LA PLANIFICATION DE L'INTERVENTION

Une fois l'évaluation terminée, la première étape de la planification de l'inter-


vention consiste à analyser les résultats obtenus : quelles sont les forces de cet
enfant, ses difficultés particulières, son attitude à l'égard du jeu, les intérêts
manifestés au moment de l'évaluation? Avons-nous observé les mêmes réac-
tions et attitudes que celles que rapportent les parents? L'analyse des résultats
permettra de déterminer les objectifs thérapeutiques.
114 * LE MODÈLE LUDIQUE

Pour mettre en application le modèle ludique, il est essentiel de comprendre


l'enfant dans sa globalité, et ce dès le début de la thérapie. Le tableau 5, portant
sur l'évolution du comportement ludique du point de vue de l'action et de
l'attitude, peut faciliter ce travail de synthèse et la planification de l'interven-
tion. Ce tableau reproduit le développement en trois étapes des composantes
de l'attitude ludique et de l'action de jeu. Pour le moment, attachons-nous à
examiner ces diverses composantes. On considérera les étapes ultérieurement
quand nous traiterons de l'intervention elle-même.
L'attitude ludique, telle qu'elle a été définie au chapitre 4, regroupe dans le
tableau 5 toutes les caractéristiques qui lui sont associées dans les différents
écrits portant sur le sujet. Ces caractéristiques incitent l'enfant à adopter une
disposition mentale susceptible de l'entraîner vers le plaisir et vers l'intérêt
pour l'activité. À cette notion d'attitude ludique s'ajoute la dimension affective

TABLEAU S
Évolution du comportement ludique : attitude et action

1 - Stimulation et réponse sensorielles


2- Exploration des objets, de l'espace et manipulation du matériel
3- Activité ludique : utilisation fonctionnelle et non conventionnelle du matériel de jeu
menant à l'acquisition d'un répertoire ludique personnel

1re ÉTAPE 2e ÉTAPE 3e ÉTAPE

Attitude ludique
CARACTÉRISTIQUES

• éveil de l'attention • intérêt soutenu • intérêt pour l'action


• éveil de la curiosité • sensation de plaisir • plaisir d'agir
• éveil de l'intérêt • désir de prendre des • initiative
• désir de connaître initiatives • humour
• désir d'explorer • spontanéité
• désir d'agir

COMPOSANTES AFFECTIVES

• sentiment de confiance • sentiment de maîtriser • sentiment de maîtrise


les objets • expression des besoins
• expression des besoins et des sentiments
• début d'autonomie • autonomie
• prise de décisions
• estime de soi
LE MODÈLE LUDIQUE : MODÈLE DE PRATIQUE * 115

TABLEAU 5 (suite)
Évolution du comportement ludique : attitude et action

1re ÉTAPE 2e ÉTAPE 3e ÉTAPE

Action ludique
COMPOSANTES SENSORIELLES

• regarde
• touche
• sent
• écoute
• porte à sa bouche
• bouge

COMPOSANTES MOTRICES

• saisit • saisit/relâche • utilise des outils


• manipule • ouvre/ferme (crayon, ciseaux)
• conserve une position • lance/attrape • utilise plusieurs objets
• bouge • vide/emplit • combine diverses
• empile actions

• transporte
• change de position
• se déplace

COMPOSANTES COCNITIVES

• expérimente la relation • comprend la relation • imite


de cause à effet (début) de cause à effet • fait semblant
• expérimente la perma- • comprend le concept de
• crée une situation de jeu
nence de l'objet (début) permanence de l'objet
• utilise des symboles (jeu
• reconnaît les caractéris- • comprend le fonctionne- de faire semblant, dessin,
tiques fondamentales ment des objets langage)
des objets • aide à résoudre des
• résout des problèmes
problèmes
• comprend les symboles
• comprend le déroule-
• généralise
ment des activités

COMPOSANTES SOCIALES

• joue avec l'adulte • joue en parallèle • partage le matériel de jeu


• joue seul • comprend la notion de • joue avec d'autres
propriété enfants
• coopère à un jeu commun
• sait demander et
accepter de l'aide
• peut aider l'autre
• exprime ses idées
116 * LE MODÈLE LUDIQUE

de l'enfant. Il est aisé de concevoir qu'une attitude ludique aura plus de


chances d'émerger si le développement affectif de l'enfant se fait harmo-
nieusement; l'enfant doit avoir un minimum de confiance en l'adulte pour
manifester le moindre intérêt à prendre des initiatives. Cette dimension affec-
tive est donc associée à l'attitude ludique plutôt qu'à l'action du jeu.
Les composantes de l'action regroupent les aspects instrumentaux requis
par l'activité ludique et concernent les aspects sensoriels, moteurs, cognitifs et
sociaux. La majorité des éléments associés à ces composantes sont d'ailleurs
représentés par des verbes, ce qui fait clairement ressortir l'aspect « action ».
Ce tableau qui se voulait au départ (Ferland, 1994) une grille de référence
permettant à l'ergothérapeute de concevoir le développement séquentiel du
comportement ludique s'est avéré, à l'usage, un outil utile pour définir les
objectifs thérapeutiques. En effet, à la suite de l'évaluation, il est possible de
reporter sur ce tableau tant les résultats de l'enfant obtenus lors de l'entre-
vue avec ses parents et de l'évaluation de son comportement ludique que
toute observation complémentaire de l'ergothérapeute. Pour ce faire, les
capacités et l'attitude ludiques présentes chez l'enfant (cotées 2) sont souli-
gnées, les éléments en développement (cotés i) sont désignés par un trait
hachuré et ce qui absent (coté o) est encerclé. On peut également utiliser
des crayons de couleurs différentes pour distinguer ces résultats. Quant aux
intérêts marqués de l'enfant, ils seront signalés par un astérisque. On obtient
alors un portrait global de l'enfant dans lequel il est facile de repérer ses fai-
blesses tout autant que ses points forts et ses intérêts.

Les objectifs thérapeutiques

À l'aide de ce tableau, l'ergothérapeute définit ses objectifs thérapeutiques ;


ils concernent toutes les sphères retrouvées dans ce tableau. Ce peut être
d'accroître la curiosité de l'enfant à l'égard des objets et des personnes de son
entourage, de favoriser l'expression de ses sentiments, de développer ses
capacités à résoudre des problèmes, d'améliorer ses habiletés de manipula-
tion, de l'encourager à explorer l'espace et les objets, en ayant toujours en vue
l'objectif principal qui est de lui faire découvrir le plaisir de l'action. Se
rappelant les objectifs généraux de cette approche, certains objectifs théra-
peutiques pourront viser à maintenir ou stimuler certains acquis.
LE MODÈLE LUDIQUE : MODÈLE DE PRATIQUE * 117

Le cas de Simon

Pour illustrer notre propos, considérons les résultats de Simon, reproduits au


tableau 6.
Âgé de 5 ans, Simon présente une infirmité motrice d'origine cérébrale
(IMOC) grave et il se déplace en fauteuil roulant. La première constatation
que l'on peut faire, à la lecture de ce tableau, est la suivante : même si le

TABLEAU 6
Résultats de l'évaluation de Simon

1 - Stimulation et réponse sensorielles


2- Exploration des objets, de l'espace et manipulation du matériel
3- Activité ludique : utilisation fonctionnelle et non conventionnelle du matériel de jeu
menant à l'acquisition d'un répertoire ludique personnel

1re ÉTAPE 2e ÉTAPE 3e ÉTAPE

AttitudelïitM^uë
CARACTÉRISTIQUES

• éveil de l'attention • intérêt soutenu • intérêt pour l'action


• éveil de la curiosité • sensation de plaisir • plaisir d'agir
* éveil de l'intérêt • désir de prendre des • initiative
• désir de connaître initiatives • humour
• désir d'explorer • spontanéité
• désir d'agir
COMPOSANTES AFFECTIVES

• sentiment de confiance • sentiment de maîtriser • sentiment de maîtrise


les objets • expression des besoins
• expression des besoins et des sentiments
• début d'autonomie • autonomie
• prise de décisions
• estime de soi

Action WlfBé
COMPOSANTES SENSORIELLES

• regarde
• touche +
• sent
• écoute
• porte à sa bouche
• bouge
1l8 * LE MODÈLE LUDIQUE

TABLEAU 6 (suite)
Résultats de l'évaluation de Simon

1re ÉTAPE 2e ÉTAPE 3e ÉTAPE

Action ludique (su/tej


COMPOSANTES MOTRICES

• saisit • saisit/ relâche + • utilise des outils


• manipule • ouvre/ferme (crayon, ciseaux...)
• conserve une position • lance/attrape • utilise plusieurs objets
• bouge • vide/emplit • combine diverses
actions
• empile
• transporte
• change de position
• se déplace
COMPOSANTES COCNITIVES

• expérimente la relation • comprend la relation • imite


de cause à effet (début) de cause à effet • fait semblant +
• expérimente la perma- • comprend le concept de • crée une situation de jeu
nence de l'objet (début) permanence de l'objet
• utilise des symboles (jeu
• reconnaît les caractéris- • comprend le fonctionne-
tiques fondamentales de faire semblant, dessin,
ment des objets + langage)
des objets • aide à résoudre des
• résout des problèmes
problèmes
• comprend les symboles
• comprend le déroule-
ment des activités • généralise

COMPOSANTES SOCIALES

• joue avec l'adulte + • joue en parallèle • partage le matériel de jeu


• joue seul • comprend la notion de • joue avec d'autres
propriété enfants
• coopère à un jeu commun
• sait demander et
accepter de l'aide
• peut aider l'autre
• exprime ses idées

Légende
Gras : présent
Italique : en développement
Caractères maigres : absent
+ : intérêt marqué
LE MODÈLE LUDIQUE : MODÈLE DE PRATIQUE * 119

problème principal de Simon est d'ordre physique, ses difficultés ne concer-


nent pas uniquement la sphère motrice, ce qui confirme que la déficience
affecte les différentes dimensions de l'enfant, ainsi que nous l'avons vu au
chapitre 2. Par ailleurs, ses intérêts coïncident parfois avec ses capacités, par-
fois aussi avec ses difficultés, ce qui corrobore les observations de Dufour,
Ferland et Gosselin (1998) : tant les intérêts d'un enfant que son attitude
ludique semblent des caractéristiques personnelles, non tributaires de ses
habiletés. De fait, malgré ses graves limitations motrices, Simon manifeste
de la curiosité et de l'humour; il aime particulièrement les rapports avec
l'adulte, toucher différentes textures, saisir les objets, observer un jeu de
faire semblant et comprendre le fonctionnement des objets.
Quels seraient les objectifs appropriés au cas de Simon?
En ce qui concerne l'attitude ludique, on pourrait viser à ce que Simon :

• développe de l'intérêt à être actif, autrement dit qu'il découvre le plaisir


du jeu. Il s'agirait donc que Simon ;
- maintienne son intérêt pour le matériel de jeu;
- utilise sa curiosité pour explorer et prendre des initiatives à l'égard du
matériel de jeu et de l'espace ;
- développe un sentiment de maîtrise sur son environnement de jeu.

En ce qui concerne son action, les objectifs sont nombreux et variés. Ce


pourrait être que Simon :

• améliore ses habiletés de manipulation ;

• développe diverses capacités requises pour jouer :


- saisir/relâcher;
- ouvrir/fermer;
- vider/emplir ;
- empiler ;
- transporter.

Comme ces deux derniers objectifs correspondent aux difficultés spéci-


fiques de Simon, il devra à l'occasion résoudre des problèmes, trouver des
12O * LE MODÈLE LUDIQUE

façons de contourner ses difficultés, prendre des initiatives et des décisions, ce


qui est de nature à accroître sa capacité d'agir. On voudrait aussi que Simon :

• comprenne le fonctionnement des objets, ce qui l'aidera à les utiliser


adéquatement. Sa curiosité pourra, ici aussi, être mise à profit. Le fait
d'atteindre cet objectif aide à atteindre les deux objectifs précédents ;

• s'intéresse aux autres enfants et apprenne à entrer en contact avec eux


dans le jeu.

Les objectifs touchent le rendement du jeu et non les fonctions sous-


jacentes, respectant en cela la philosophie du modèle. De plus, ils concernent
toutes les sphères, pas seulement la sphère physique, ce qui montre bien,
encore une fois, que le modèle ludique traite l'enfant comme un tout. Une
fois les objectifs définis, on peut commencer l'intervention. Toutefois, cer-
tains principes directeurs doivent être respectés.

Les principes directeurs de rapproche

Si l'on veut véritablement respecter l'esprit du modèle ludique, certains prin-


cipes directeurs doivent guider la thérapie.

L'enfant est le maître d'oeuvre de sa thérapie. Comme dans le jeu, l'enfant est
ici un participant à part entière qui prend des décisions, recherche des solu-
tions, dirige et s'exprime. La thérapie est donc véritablement centrée sur
l'enfant. Ainsi, à son entrée dans la salle de thérapie, l'enfant est invité à
décider lui-même de ce qu'il fera; cette décision peut être communiquée à
l'ergothérapeute par un simple regard, un geste de la main ou verbalement.
On laisse à l'enfant le temps d'exprimer son désir. Ces enfants ont rarement
l'occasion d'effectuer de véritables choix; parfois, on leur demande de choi-
sir entre deux jeux, mais s'ils prennent trop de temps, le plus souvent le thé-
rapeute choisira à sa place. L'enfant a besoin de temps pour comprendre,
d'une part, que l'on veut qu'il trouve lui-même l'activité qui l'intéresse et,
d'autre part, que notre but est d'explorer avec lui le matériel choisi et de
l'utiliser pour en tirer du plaisir. Pendant cet intervalle, l'enfant pourra être
invité à explorer l'environnement : rappelons que l'exploration est une étape
préalable au comportement de jeu.
LE MODÈLE LUDIQUE : MODÈLE DE PRATIQUE * 121

Si l'enfant choisit de jouer dans un bac à eau, y mettrons-nous des bateaux,


des bulles de savon? Jouerons-nous avec les mains seulement ou aussi avec les
pieds? L'enfant décidera. Le processus de décision fait partie intégrante de la
thérapie et le choix revient à l'enfant. On comprend qu'il joue dès lors un rôle
actif à chacune des étapes de la mise en place de la situation de jeu; on lui
permet de diriger son action. La thérapie ne consiste donc pas uniquement à
favoriser des gestes, mais elle représente aussi et surtout un processus de déci-
sion et de choix, susceptible de développer l'autonomie de l'enfant tout en
lui donnant un sentiment de maîtrise et de satisfaction.

Le thérapeute s'adapte aux choix de l'enfant et manifeste une attitude ludique.


L'ergothérapeute n'influence pas les choix de l'enfant. En fait, le thérapeute
ne dirige pas la thérapie et il s'adapte aux choix de l'enfant pour atteindre les
objectifs thérapeutiques. Par ailleurs, comme le plaisir d'agir est l'un des
deux principaux objectifs de l'approche, l'ergothérapeute doit aussi mani-
fester une attitude ludique : il doit se permettre d'être spontané, d'exprimer
du plaisir, de proposer des solutions farfelues. L'enfant se sentira d'autant
plus à l'aise de faire de même. Un tel état d'esprit, autrement dit l'attitude
ludique, est l'élément de base qui doit sous-tendre la thérapie.

La thérapie déborde l'activité de jeu. La thérapie commence dès l'arrivée de


l'enfant et non pas lorsqu'une activité de jeu est mise en place. Par exemple,
si l'endroit où sont regroupés les jouets et où est amené l'enfant pour choisir
ce qui l'intéresse se trouve dans la pénombre, on peut solliciter son sens de
l'observation en disant : « II fait noir, où est donc la lumière ? Tu la vois ? » Aux
séances subséquentes, si on va chercher l'enfant dans une salle d'attente, on
peut l'inviter à nous indiquer le chemin à suivre pour se rendre à la salle de
thérapie. Toutes les situations peuvent être sources de travail thérapeutique
avec l'enfant. Pour ce faire, toutefois, l'ergothérapeute doit analyser la situa-
tion pour en dégager le potentiel thérapeutique. Il serait dommage de ne rete-
nir que le moment où l'enfant manipule du matériel de jeu pour commencer
la thérapie.

L'analyse d'activité est l'outil de choix de l'ergothérapeute. Dans cette approche,


étant donné que l'ergothérapeute doit adapter son action à celle de l'enfant,
adapter la façon de viser les objectifs thérapeutiques au matériel choisi par
122 * LE MODÈLE LUDIQUE

l'enfant, l'analyse d'activité sera son outil de travail le plus utile. Au cours de
sa formation, l'ergothérapeute a appris à déceler, grâce à une analyse rigou-
reuse, le potentiel thérapeutique d'une activité. En général, l'analyse d'acti-
vité est utilisée par l'ergothérapeute pour l'aider à choisir, avant même de
voir l'enfant, le matériel de jeu le plus susceptible de correspondre aux objec-
tifs visés. Ici, cette habileté est sollicitée tout au long de la séance. En analy-
sant la situation de jeu mise en place par l'enfant, l'ergothérapeute cerne les
objectifs thérapeutiques qu'il lui sera possible de poursuivre. Son habileté à
analyser rapidement la situation lui permet une réflexion dans l'action. Nous
proposerons ci-dessous des exemples concrets.

L'INTERVENTION

Ces principes transforment profondément les méthodes de travail de l'ergo-


thérapeute. Comment intervenir en respectant la philosophie du modèle
ludique, c'est-à-dire en gardant à l'esprit que l'enfant est le maître d'œuvre
de sa thérapie, que le thérapeute ne planifie pas à l'avance les séances et que
l'on veut aborder l'enfant dans sa globalité tout en poursuivant des objectifs
thérapeutiques précis ?
Une thérapie effectuée selon le modèle ludique est un processus dyna-
mique, en perpétuel mouvement, dans lequel l'ergothérapeute et l'enfant
s'influencent mutuellement. Voyons en quoi consistent le rôle de l'ergothé-
rapeute et le matériel suggéré.

Le rôle de l'ergothérapeute

Respecter les principes directeurs mentionnés précédemment ne fait pas de


l'ergothérapeute un observateur passif. Amener l'enfant à jouer n'est pas non
plus une thérapie en soi. Le processus thérapeutique repose en grande partie
sur l'attitude du thérapeute. En premier lieu, l'ergothérapeute doit faire com-
prendre à l'enfant ce qu'on attend de lui de même que la philosophie de
l'approche; on souhaite qu'il choisisse lui-même ce qui l'intéresse et qu'il ait
du plaisir, on considère qu'il peut avoir des idées personnelles très valables, on
a confiance en ses possibilités et on est là pour l'aider, au besoin.
En général, la réaction d'un enfant face au jeu peut se placer sur un conti-
nuum allant de l'enfant qui ne participe pas, ne se livre pas et demeure pas-
LE MODÈLE LUDIQUE : MODÈLE DE PRATIQUE * 123

sif, à l'enfant qui s'engage à un point tel qu'il ne joue plus, que son excitation
excessive étouffe le jeu. Le type d'enfants auxquels on s'intéresse ici est davan-
tage susceptible de se retrouver au tout début de ce continuum.
Comme nous l'avons mentionné plus haut, l'enfant ayant une déficience
physique est peu souvent invité à participer à sa thérapie ; il faut donc lui
laisser le temps de comprendre que, dans cette approche, c'est précisément
ce que l'on attend de lui. Ce temps nécessaire à l'enfant pour choisir ce qui
l'intéresse pourra être avantageusement utilisé pour lui faire découvrir l'envi-
ronnement thérapeutique et, de ce fait, stimuler sa curiosité, son intérêt
pour les objets et pour les personnes qui l'entourent.
Par ailleurs, pour jouer il faut se sentir en confiance, en sécurité ( Winnicott,
1975) î il est donc nécessaire d'établir une relation de confiance avec l'enfant
pour que le vrai jeu s'installe. Le fait que le thérapeute participe au jeu peut
sécuriser l'enfant anxieux.
Il peut arriver que l'enfant opte pour une activité trop facile pour que le
plaisir de l'action se maintienne. Cela peut arriver fréquemment dans le cas
d'un enfant à qui on demande constamment de fournir un effort maximal
en lui disant : « C'est bien, mais je suis sûre que tu peux faire mieux» ; «Allez,
encore un petit effort, tu es capable ! ». Dans ce contexte-ci, si l'on parvient
à lui faire comprendre que l'on n'attend aucune performance précise de sa
part, mais qu'on espère plutôt qu'il découvrira le plaisir d'agir sur les objets,
il changera rapidement d'activité. Se rappelant que la nouveauté, l'incerti-
tude et le défi surmontable sont des conditions nécessaires pour susciter et
maintenir l'intérêt de l'enfant (Ellis, 1972), un commentaire du genre : «Tu
es bon, à ce jeu ! C'est tellement facile pour toi que ça doit être ennuyant... »
pourra l'inciter à rendre son jeu plus complexe ou à en choisir un autre. Le
thérapeute peut d'ailleurs faire des suggestions dans ce sens. Par exemple, si
l'enfant refait inlassablement le même casse-tête qu'il réussit facilement, le
thérapeute peut lui dire : «As-tu déjà essayé de le faire les pièces retournées
face contre la table? » ou « Serais-tu capable de retrouver les pièces cachées
dans le sable? ». De fait, sans intervenir dans le choix de l'enfant quant au
matériel de jeu ou à l'activité ludique, le thérapeute peut enrichir la situation
de jeu pour la faire évoluer.
Par ailleurs, l'activité retenue peut être trop difficile pour l'enfant : ce sera
alors l'occasion de solliciter son imagination, son humour, son initiative, sa
124 * LE MODÈLE LUDIQUE

capacité à résoudre des problèmes pour tenter d'adapter l'activité à ses pos-
sibilités, deuxième volet de la capacité d'agir. Cette démarche d'adaptation
doit être proposée comme un jeu à l'enfant et le thérapeute accompagnera
l'enfant dans sa recherche de solutions. De la sorte, l'échec, la frustration et les
difficultés ne sont pas évacués de la thérapie, pas plus que les situations impré-
vues. Face à ces difficultés, personne n'attend du thérapeute ou de l'enfant
une solution miracle ; en combinant leurs efforts, ils recherchent tous deux des
solutions permettant à l'enfant de poursuivre son action. Dans ce contexte,
une aide technique (p. ex. : ciseaux montés sur une base de bois, permettant
de découper d'une main) peut se retrouver parmi les solutions possibles. Il ne
faut pas craindre qu'une aide technique proposée pour suppléer temporai-
rement à une fonction lacunaire en empêche le développement. L'enfant sera
trop heureux de pouvoir effectuer l'activité comme les autres enfants dès que
ses habiletés auront évolué suffisamment et il délaissera volontiers les aides
qu'on lui aura fourmes. Toutefois, l'assister de la sorte quand il en a besoin
contribue à entretenir son plaisir et son désir d'agir.
Il peut arriver qu'aucune solution efficace ne soit trouvée ni par l'enfant ni
par le thérapeute. Rien de dramatique à cela puisque, comme ce n'est qu'un
jeu, on peut même se permettre d'échouer. Alors, l'enfant comprend que
l'échec est normal, tout autant pour lui que pour le thérapeute. Ce dernier
peut utiliser la technique du reflet en mettant des mots sur les sentiments
qu'il perçoit chez l'enfant (colère, frustration, déception). L'ergothérapeute
doit donc être attentif à ce que vit l'enfant, faire preuve de sensibilité et le sou-
tenir dans ses tentatives. Son attitude sera sécurisante, souple et dynamique.
Les limitations inhérentes à la déficience entraînent une réduction des
capacités de bouger, de manipuler les objets et d'explorer. Pour faciliter
l'action de l'enfant, il nous appartient de mettre à son service à la fois notre
imagination et les moyens dont nous disposons. Adopter une meilleure posi-
tion représente l'un de ces moyens ; ainsi, un enfant aura plus de facilité à
jouer en étant allongé sur le côté, alors qu'un autre sera plus à l'aise en étant
assis sur un matelas au sol. De la même manière, un enfant très spastique
pourra bénéficier de techniques de facilitation; ces techniques seront appli-
quées subtilement ou encore de façon ludique. Par exemple, si la spasticité
empêche l'enfant de saisir des objets, on pourra prétendre recourir à la magie
pour réveiller ce bras qui refuse de faire son travail et appliquer des techniques
LE MODÈLE LUDIQUE : MODÈLE DE PRATIQUE * 125

de facilitation ; de même, on soutiendra l'action d'un enfant athétosique


en stabilisant sa ceinture scapulaire, ce qui peut être fait de façon subtile en
appliquant une pression sur ses épaules comme si» étant derrière l'enfant, on
voulait voir ce qu'il faisait.
Dans le modèle ludique, on estime que l'enfant est susceptible de faire de
nombreuses découvertes, d'user de sa créativité et d'avoir le sentiment de
maîtriser sa thérapie; il expérimente en fait ce que l'enfant normal expéri-
mente dans son jeu. Cependant, nous n'avons pas encore parlé de l'activité de
jeu proprement dite, mais seulement de l'attitude que doivent avoir l'enfant
et l'ergothérapeute au cours de la thérapie.
Ainsi que nous l'avons vu, l'intervention est fonction de l'orientation don-
née à la thérapie, et donc de l'attitude du thérapeute qui sollicitera la colla-
boration active de l'enfant. L'imagination du thérapeute est, bien sûr, mise au
service du contexte thérapeutique, mais elle sert aussi à inciter l'enfant à par-
ticiper pleinement à la thérapie et à développer sa propre imagination.
Peut-être ne sait-il pas comment jouer? À nous de lui en faire la démons-
tration et de lui servir de modèle. Pour jouer, il faut aussi un espace, une
marge de manœuvre autorisant le désordre, la passion, l'excitation : un jeu
trop réglementé n'est plus un jeu, pas plus qu'un jeu trop désorganisé. C'est
affaire de dosage individuel.

Le matériel et les activités de jeu

Le matériel de jeu qui peut être utilisé dans cette approche est très varié ;
jouets de toutes sortes, jeux éducatifs, sable, papier et crayons, trampoline,
bac à eau, maison de poupée, peinture, terre glaise, etc.
L'équipement de l'environnement physique peut aussi devenir source
d'activité ludique : évier, téléphone, ascenseur, espace extérieur...
Les expériences ludiques vécues en thérapie peuvent comporter du maté-
riel de jeu, mais elles peuvent aussi consister en des mises en situation ou en
des activités ne requérant aucun matériel. À titre d'exemples, signalons
quelques possibilités :
• jeux de simulation :
- faire semblant d'aller à l'épicerie, d'être en voyage, de demander un ren-
seignement, d'être un pompier, de faire la cuisine ;
126 * LE MODÈLE LUDIQUE

- simuler l'action suggérée par des images (souffler une bougie, manger
des raisins, sentir une fleur) ;
• mises en situation réelle : aller dehors, explorer l'établissement, emballer
un cadeau, appeler maman au téléphone, confectionner un gâteau, déco-
rer la salle pour une fête ;
• jouer avec des mots, des idées, des concepts :
- associer des mots en chaîne suivant des règles précises, par exemple en
commençant par telle syllabe, par les objets ayant quatre pattes, par des
objets ronds que l'on peut voir dans la salle ;
- repérer la personne qui parle le plus dans la salle, celle qui est la plus
grande, la plus petite.
Ce type de jeux stimule le sens de l'observation chez l'enfant. On peut
aussi jouer aux incongruités conceptuelles : imaginer que les animaux échan-
gent leurs cris (éléphant qui jappe, cheval qui miaule), que les objets chan-
gent de fonction (crayon pour téléphoner, brosse à dents pour balayer).
Réalisables avec des enfants âgés d'au moins trois ans, ces jeux favorisent le
développement de l'humour chez l'enfant (Krogh,i985) :
• jouer à s'exprimer de façon non verbale : mimer, par l'expression du
visage, la tristesse, la colère, la joie ;
• jouer en utilisant le corps :
- remuer une partie du corps ou battre des mains en suivant le rythme de
la musique;
- tandis qu'on écoute une histoire, toucher les parties du corps qui sont
nommées ou regarder dans la direction désignée ;
- se mouvoir dans divers éléments naturels ou artificiels (sable, eau, neige,
bac de balles de mousse) ;
- explorer différentes façons de remuer une partie du corps en variant le
rythme et le mouvement (lentement, rapidement, flexion, rotation) ;
• jouer dans sa tête :
- raconter des histoires dans lesquelles les indices visuels, auditifs, kines-
thésiques sont entremêlés et amènent l'enfant à véritablement vivre le
récit dans sa tête (Fazio, 1997) ;
LE MODÈLE LUDIQUE : MODÈLE DE PRATIQUE * 127

• expériences de physique :
- faire mousser du savon dans l'eau, faire fondre de la glace ou faire flot-
ter des objets sur l'eau.
Le matériel de jeu offert à l'enfant est fonction de son potentiel ludique
et de l'intérêt qu'il suscite chez lui, et non des limitations propres à l'enfant.
L'utilisation non conventionnelle du matériel est également stimulée puis-
qu'elle favorise l'expression de l'imagination et de la créativité.
En début de session, l'ergothérapeute peut énumérer le matériel de jeu
disponible et proposer aussi certaines des activités mentionnées plus haut,
élargissant ainsi les possibilités de jeu. Ainsi qu'il a été indiqué précédem-
ment, c'est toutefois l'enfant qui choisit ce qui l'attire.
Le jeu adapté est également une modalité appropriée qu'il convient de
retenir puisqu'il permet à plusieurs enfants gravement atteints d'éprouver
pour la première fois le sentiment de maîtriser leur environnement. Dans sa
plus simple expression, le jeu adapté ne requiert qu'un geste, presser ou relâ-
cher un interrupteur; l'enfant observe alors l'effet qu'il peut exercer sur son
environnement. Selon les capacités de l'enfant, le jeu adapté peut également
être utilisé pour reproduire des situations en miniature, à l'aide de person-
nages actionnés par un interrupteur, en s'inspirant d'événements apparte-
nant à la vie quotidienne de l'enfant.

Séance individuelle ou de groupe ?

Ces diverses modalités thérapeutiques peuvent être offertes en séance indi-


viduelle, mais on ne saurait sous-estimer l'énorme avantage que représente
une thérapie à laquelle participent deux ou trois enfants. La stimulation
mutuelle, les solutions que chacun propose et l'intérêt partagé militent en
faveur des séances en petits groupes.
N'oublions pas que le plaisir et la capacité d'agir touchent non seule-
ment les objets mais aussi les personnes, donc les autres enfants. Toutefois,
si l'enfant se situe au niveau du jeu solitaire, une séance individuelle avec le
thérapeute sera indiquée pour jeter les bases qui lui permettront par la suite
d'agir et d'interagir avec les autres enfants.
128 * LE MODULE LUDIQUE

Et les habiletes motrices?

Certains peuvent craindre qu'adopter cette facon de faire ne favorise pas


1'amelioration des capacites physiques de 1'enfant, qui sont au coeur de ses
difficultes. II faut se rendre compte que, tout au long de la seance, 1'enfant
manipule du materiel de formes et de poids varies, il planifie ses gestes, il
deVeloppe son controle moteur, il se deplace, il maintient son equilibre. De
plus, le therapeute qui vise un objectif moteur precis, tel que la coordination
oeil-main ou la dexterite", peut ajouter un personnage ou un element de jeu
qui sollicitera ces habiletes chez 1'enfant. Toutefois, il le fera de fa$on ludique,
suscitant 1'inte're't de 1'enfant pour ce nouvel element par sa contribution au
jeu. L'enfant travaille done constamment sa fonction physique (comment
pourrait-il en etre autrement, puisqu'il joue avec des objets et qu'il se
deplace?), mais il le fait sans s'en rendre compte, il le fait de fa^on sous-cor-
ticale, dirais-je. Sa motivation etant de jouer et non d'e"xecuter un geste
moteur, il aura davantage de plaisir a agir sur les objets, il repetera plus
volontiers son action et integrera de fa£on plus efficace le scheme moteur. II
decouvrira le plaisir d'etre actif au plan moteur, alors que son experience
habituelle provoque davantage de frustration.

DEVOLUTION DE LA THERAPIE

Les trois Stapes presentees de fa^on schematique au tableau 5 rendent compte


de revolution du comportement ludique de 1'enfant quant a 1'attitude et a
Faction. Ce tableau peut servir de guide au therapeute pour favoriser revo-
lution de 1'enfant au cours de la therapie. Les etapes de ce tableau sont
sequentielles, en ce sens que la premiere etape est prealable a la deuxieme et
la deuxieme, a la troisieme. Toutefois, il est rare que le comportement d'un
enfant s'inscrive dans une seule de ces etapes. II n'y a qu'a considerer les
resultats de Simon (tableau 6) pour s'apercevoir que, le plus souvent, il y a
chevauchement entre les etapes.

Trois etapes

Stimulation et reponse sensorielles. Au cours de cette premiere etape, 1'atten-


tion de 1'enfant est sollicitee par les caracteristiques sensorielles du materiel;
LE MODELS LUDIQUE : MODELE DE PRATIQUE * 129

si 1'objet attire suffisamment son attention, 1'enfant aura alors la curiosite


de le regarder de plus pres. Pour que cette curiosite et cet interet pour 1'objet
Emergent et persistent, 1'enfant doit faire confiance au therapeute et com-
prendre que Ton n'attend aucune realisation precise de sa part. Devant un
materiel nouveau, il y a fort a parier que ce seront les composantes senso-
rielles de 1'objet qui attireront d'abord 1'enfant: forme, texture, couleur, sons.
Il utilise egalement ses sens pour de"couvrir davantage le materiel; il le
regarde, le palpe, le sent, le porte a sa bouche, le deplace. A cette etape, le
therapeute peut encourager 1'enfant a decouvrir 1'objet en nommant les gestes
de 1'enfant et en s'interrogeant sur les caracteristiques du mate'riel. Par
exemple, avec les anneaux gradue"s, le the'rapeute pourra dire : «C'est beau;
qu'est-ce que c'est? Est-ce qu'on peut les defaire? Est-ce que c'est dur? Est-
ce que 93 se balance?» L'enfant touche 1'objet et le the'rapeute 1'accompagne
dans cette demarche.
A cette etape, les activite"s sensorielles procurant une stimulation plus
globale £ 1'enfant 1'attirent e'galement: jeu dans le sable, trampoline, roulades.
Ces activite's favorisent, chez cet enfant atteint dans son corps, un reinves-
tissement corporel qui lui fait en general grandement defaut.
Cette demarche sensorielle, pre"sente dans le developpement normal, per-
met a 1'enfant de decouvrir son corps et les caracteristiques des objets. La
composante motrice, a ce stade, est minimale et ne requiert aucune preci-
sion. L'enfant y de"couvre aussi, pour la premiere fois, la relation de cause a
effet: s'il agite un hochet, un bruit se fait entendre; s'il touche le sable, une
sensation nouvelle s'enregistre.
Chez certains enfants, on devra apporter une aide additionnelle pour
susciter une reaction sensorielle; le the'rapeute sera alors plus actif. On
pourra inviter 1'enfant a:
• ecouter diffe"rents sons ou volumes;
• suivre du regard un objet, explorer visuellement un objet en attirant son
attention sur un detail;
• developper son odorat en lui ofrrant diverses experiences olfactives (odeurs
d'aliments, d'objets tels que fleur, savon, morceau de bois, de cuir);
• toucher divers objets en nommant les sensations (doux, rugueux, mou,
resistant, piquant).
13O * LE MODÈLE LUDIQUE

Manipulation du matériel et exploration des objets et de l'espace. À la deuxième


étape, l'intérêt de l'enfant est toujours présent et sa curiosité initiale se trans-
forme en initiative : il explore le matériel. En manipulant les objets, l'enfant
cherche à en découvrir les possibilités d'utilisation : à quoi cela peut-il bien
servir, que puis-je faire avec ce matériel? Il importe alors non pas d'« ensei-
gner» à l'enfant comment utiliser le matériel, mais de lui laisser découvrir les
utilisations possibles. Pour y parvenir, il met à profit ses habiletés motrices
et cognitives. La manipulation active des objets est stimulée par leur réacti-
vité : hochet sonore, jouet mou qui s'écrase facilement dans la main, ballon
qui roule sous l'effet d'un simple toucher.
C'est l'étape privilégiée pour inviter l'enfant à trouver ses propres solutions
si une difficulté survient. À titre d'exemple, avec la pyramide d'anneaux, l'en-
fant peut tenter de sortir chaque anneau et échouer; il serait alors approprié de
lui dire : «Comment pourrait-on les sortir?» L'enfant peut alors découvrir
qu'une fois le premier anneau enlevé les autres glisseront en renversant la pyra-
mide. Ainsi, un geste plus global viendra pallier la difficulté de coordination.
Au cours de cette étape, en devenant plus actif l'enfant est confronté à ses limi-
tations, il vit des situations frustrantes; l'ergothérapeute accompagne l'enfant
dans ses émotions. Grâce à ce soutien et parce que ces situations difficiles sont
vécues dans un contexte de jeu, il est possible à l'enfant de conserver le plaisir
d'agir, en dépit de ses limitations. Il prend davantage conscience de ses capa-
cités et il expérimente un sentiment de maîtrise sur le monde qui l'entoure.
Au cours de cette étape, on doit garder à l'esprit les éléments susceptibles de
susciter le comportement ludique et de l'entretenir : la nouveauté, l'incertitude
et le défi que représente la situation (Ellis, 1973). Il arrive que l'enfant perde tout
intérêt, le défi ayant été relevé. Il s'agira alors de complexifier l'activité. Par
exemple, avec la pyramide graduée, le thérapeute pourrait proposer :
« Pourrais-tu refaire la pyramide sans utiliser le support, pourrais-tu refaire la
pyramide les yeux fermés en n'utilisant que les mains?» Après avoir trouvé
diverses façons d'utiliser le matériel, l'enfant aime refaire les mêmes activités ;
c'est ainsi qu'il acquerra le sentiment de maîtrise.
À cette étape, l'enfant explore les mille usages possibles du matériel de jeu.
Il en est de même de l'espace. Par exemple, l'armoire à jouets mérite qu'on
la découvre : une poignée à tourner pour ouvrir et fermer la porte, des
tablettes sur lesquelles s'empilent des merveilles. Comment faire pour bien
LE MODÈLE LUDIQUE : MODÈLE DE PRATIQUE » 131

voir ce qui se cache sur la tablette du haut, comment arriver à saisir le jouet
qui se trouve tout au fond, comment transporter une boîte remplie de petits
jouets mais trop lourde pour l'enfant? Voilà autant de questions auxquelles
l'enfant aura envie de répondre en recourant à ses ressources personnelles.
La deuxième étape s'étend sur plusieurs mois et l'enfant est susceptible d'y
revenir chaque fois qu'il sera confronté à du nouveau matériel. C'est l'étape
des découvertes, de la manipulation, de la répétition et de l'exploration.

Activité ludique proprement dite. Au cours de la deuxième étape, l'enfant a


acquis des connaissances concernant l'utilisation du matériel et de l'espace,
connaissances qu'il mettra à profit dans son répertoire personnel de jeu. En
explorant, l'enfant cherchait à faire l'inventaire des possibilités des objets ; en
jouant, il créera de nouvelles possibilités.
L'utilisation habituelle des objets étant connue, l'enfant les combine, leur
trouve de nouveaux usages. Il prend des initiatives et utilise son imagination
pour suppléer à ses limites fonctionnelles. Son action est tributaire de l'en-
semble de ses habiletés et son attitude, caractérisée par le plaisir, l'humour
et la spontanéité, sous-tend son action. Sa capacité à résoudre les problèmes
lui permet d'affronter les difficultés sans trop d'inquiétude, puisqu'il a appris
précédemment à les aborder avec humour et à utiliser son imagination et ses
ressources pour y faire face.

Retour au cas de Simon

Revenons à Simon (tableau 6) pour qui nous avons déjà établi des objectifs
thérapeutiques. Globalement, on voit que Simon en est à la deuxième étape.
En travaillant avec lui, il nous faudra l'amener à explorer attentivement les
objets et l'espace, à découvrir ce qu'il peut faire avec les objets, à décider lui-
même de ce qu'il fera. Supposons qu'à la première séance il choisisse un
camion. A-t-on besoin d'autre matériel de jeu pour jouer avec le camion?
Qu'en pense Simon ? Nous installerons-nous sur le matelas, dans le sable, à la
table? C'est Simon qui prend la décision. Comment transporter le camion
jusque-là? Une fois installés dans l'aire de jeu choisie par Simon, on peut se
demander si le camion a un moteur, s'il fait du bruit. Oui? Non? Les por-
tières s'ouvrent-elles? Il semble que oui. Simon peut-il y parvenir? Non? Peut-
il trouver un truc? Avec un bâton? Essayons. Peut-on placer des passagers à
132 * LE MODÈLE LUDIQUE

l'avant du camion? Peut-on charger le camion? Sa benne se lève-t-elle? Que


fait-on avec le camion? On le fait rouler sur la table? Où faut-il envoyer le
camion ? Au garage ? Est-il en panne ? Où est le garage ? On peut continuer
longtemps à mettre en place, avec l'enfant, cette situation de jeu. Ce qui pré-
cède peut occuper toute l'heure de la thérapie. Qu'aura-t-on accompli avec
Simon dans cette situation?
L'analyse de la situation présentée permet de dégager divers aspects qui
ont été sollicités chez Simon et qui sont en rapport avec les objectifs théra-
peutiques établis précédemment :
• stimulation de son intérêt;
• exploration des objets et de l'espace en nommant les différentes parties
du camion, en cherchant où se trouve le garage;
• prise de plusieurs décisions, ce qui lui donne l'occasion de mettre en
œuvre un début d'autonomie ;
• diverses façons de manipuler le camion et les personnages (saisir, trans-
porter, relâcher, ouvrir, déplacer).
En outre, Simon a cherché à comprendre comment fonctionne le camion
et comment il est possible de jouer avec lui. Il a aussi été invité à chercher une
solution à un problème et a expérimenté le jeu de faire semblant. Ses divers
intérêts (toucher, saisir/relâcher, comprendre le fonctionnement des objets,
faire semblant et jouer avec l'adulte) ont été touchés. Il est évident que, dans
ce contexte, la dimension sociale est peu présente. Toutefois, le thérapeute
pourrait, lui aussi, disposer d'un camion et en cours de jeu il pourrait y avoir
échange de véhicules, ce qui amènerait à partager le matériel, chose toujours
plus facile à effectuer avec un adulte qu'avec un enfant. Enfin, Simon est sus-
ceptible d'avoir expérimenté au cours de cette séance le plaisir d'agir et de
décider, d'avoir compris que participer au jeu ne veut pas dire nécessairement
qu'on déploie des efforts démesurés, mais bien qu'on est entièrement présent
à une situation tant de corps que d'esprit et que cela peut procurer du plaisir.

Le modèle ludique et l'évolution de l'enfant

Comment peut-on suivre l'évolution des acquis dans ce modèle? Une rééva-
luation de l'enfant permet de voir combien de capacités originairement
LE MODÈLE LUDIQUE : MODÈLE DE PRATIQUE * 133

cotées o (absentes) ou i (en développement) reçoivent par la suite la cote 2


(présentes) ; il en est de même pour les intérêts et l'attitude ludique de l'en-
fant. Cette évolution se répercute sur le total des points obtenus lors de la
synthèse des résultats (voir la section synthèse des résultats de I'ÉCL, à l'annexe
2). Ces changements pourront aussi être relevés en consultant le tableau 5,
l'enfant passant d'une étape à l'autre. Lors d'une rencontre avec les parents,
il sera possible de vérifier si l'enfant a également évolué à la maison, autre-
ment dit s'il y a eu généralisation des acquis.

LES RÉACTIONS DES PARENTS AU MODÈLE LUDIQUE

Si les conditions s'y prêtent, une rencontre avec les parents permet à l'ergo-
thérapeute d'expliquer tant les résultats de l'évaluation, les objectifs qui sont
visés par la thérapie que la philosophie de l'approche. Ces explications peu-
vent aussi leur être données lors d'une rencontre d'équipe à laquelle ils ont été
invités. Alors les parents entendent parler de leur enfant non seulement du
point de vue de ses difficultés, mais aussi de ses ressources et des intérêts qui
lui sont propres. Pour clarifier les objectifs de la thérapie, il faut préciser pour-
quoi on utilise le jeu; par le jeu, on tente de développer chez l'enfant le plai-
sir de l'action, de nourrir son intérêt et de l'encourager à poursuivre ses
efforts, de l'aborder de façon globale, utilisant tant ses ressources que ses inté-
rêts particuliers pour surmonter ses limitations, de développer non seule-
ment ses habiletés, mais aussi une attitude qui l'amènera à considérer les
difficultés comme des défis à relever et de développer son autonomie. Par
ailleurs, partant des intérêts mêmes de l'enfant, l'intervention est personna-
lisée et le touche davantage. Alors, les parents comprendront que notre
démarche est rigoureuse et les moyens employés, bien choisis et intéressants
pour l'enfant.
En général, les parents réagissent très favorablement à ces explications. Les
réticences exprimées au départ par certains sont souvent liées à la crainte
que l'enfant ne « travaille » pas suffisamment en thérapie si on utilise le jeu.
Il est aisé de leur montrer que le jeu, ce n'est pas une solution de facilité :
l'analyse d'une activité de jeu leur permettra de se rendre compte de ce
qu'elle exige de l'enfant et ce qu'elle sollicite chez lui.
LE
134 * MODÈLE LUDIQUE

LES RÉACTIONS DES AUTRES MEMBRES DE L'ÉQUIPE

Dans certains milieux, cette approche peut susciter parfois chez les collègues
de travail des commentaires tels que : « Cela n'est pas très difficile d'être ergo-
thérapeute, vous ne faites que jouer avec l'enfant ! » Évitons de réagir à ces
commentaires comme si notre compétence professionnelle était mise en cause.
Évitons aussi de nous laisser enfermer dans le paradoxe évoqué par Bundy
(1993), à savoir qu'en ergothérapie on croit fondamentalement aux vertus du
jeu, mais qu'on le met fréquemment en veilleuse de crainte de ne pas être pris
au sérieux. En effet, le jeu peut passer pour une méthode bien trop simple !

Pourquoi le jeu?
L'important, c'est de savoir pourquoi et dans quel but nous faisons jouer
(Etienne, 1982) et de prendre le temps de l'expliquer à l'équipe de soins. Les
éclaircissements fournis aux parents lors d'une rencontre d'équipe pourront
bénéficier aussi aux autres professionnels. Il est toutefois souhaitable de leur
offrir des explications supplémentaires, lors d'une discussion d'équipe par
exemple. Il s'agit d'exposer la philosophie qui sous-tend cette manière de
faire : l'importance de recourir à des activités significatives pour motiver
l'enfant, la volonté des ergothérapeutes d'adopter une approche centrée sur
l'enfant et la justification d'une telle approche, l'objectif du plaisir d'agir et du
développement de la capacité d'agir, en dépit des limitations. On peut éga-
lement préciser que cette approche s'appuie sur des données probantes (evi-
dence-based practicë) : elle repose sur des assises théoriques rigoureuses
(recension bibliographique, recherche qualitative) et les recherches de vali-
dation du modèle menées jusqu'à ce jour confirment sa valeur.

La contribution unique de l'ergothérapie

Chacun des membres de l'équipe s'occupe d'une fonction particulière de


l'enfant. Le physiothérapeute s'intéresse particulièrement à la fonction motrice
(marche, déplacements). L'orthophoniste, pour sa part, étudie la communi-
cation et le langage, le psychologue, la sphère affective, le travailleur social, la
dynamique familiale. Et nous? L'ergothérapeute ne retient pas de fonction
précise, mais s'intéresse plutôt à l'agir de l'enfant au quotidien. Développer les
habiletés et une attitude positive de l'enfant dans le jeu, puisant pour ce faire
LE MODÈLE LUDIQUE : MODÈLE DE PRATIQUE * 135

dans ses ressources et intérêts afin de l'amener à être actif dans son quotidien
et à en retirer du plaisir et de la satisfaction, voilà la contribution originale et
unique de l'ergothérapeute au travail de l'équipe multidisciplinaire. Voilà
pourquoi on aborde l'enfant dans sa globalité et pourquoi on mise sur son
plaisir dans la thérapie. Ainsi conçu, le rôle de l'ergothérapeute se distingue
nettement de celui du physiothérapeute ou du psychologue. De plus, il cor-
respond tout à fait à la philosophie de base de la profession.
L'application du modèle ludique a été étudiée dans ce chapitre en fonc-
tion des enfants ayant une déficience physique grave et permanente. Il va
de soi que cette application variera d'un enfant à l'autre puisque chacun
présente des besoins, intérêts, capacités et attitudes qui lui sont propres. Par
ailleurs, le thérapeute lui-même peut avoir sa façon personnelle d'appliquer
ce modèle. De la sorte, une thérapie s'appuyant sur le modèle ludique est
toujours très dynamique et tourne le dos à la routine.

L'UTILISATION DU MODÈLE LUDIQUE CHEZ LES AUTRES CLIENTÈLES

Si on désire utiliser le modèle ludique auprès d'une autre clientèle que celle
pour laquelle il a été conçu, soit les enfants d'âge préscolaire ayant une défi-
cience physique grave, la façon de l'appliquer devra être revue afin de
s'assurer qu'il a toutes les chances de répondre aux besoins de ces enfants. Il
faut alors bien saisir la dynamique de l'enfant pour en arriver à une adap-
tation adéquate du modèle. Quels sont les autres enfants qui pourraient
bénéficier de ce modèle ? On peut penser que, pour tous les enfants qui ont
besoin de surmonter leur passivité et leur dépendance, de développer le goût
de relever des défis et de découvrir le plaisir d'agir, le modèle ludique peut
s'avérer un choix heureux.

Les enfants ayant un retard de développement

Une étude exploratoire a été entreprise auprès d'enfants présentant un retard


de développement pour évaluer l'efficacité d'une intervention de groupe qui
s'appuyait sur le modèle ludique (Delisle, 2000). Deux groupes de cinq enfants
de trois à six ans ont bénéficié en alternance d'une approche ludique en groupe
et d'une approche conventionnelle en séances individuelles qui visaient l'acqui-
sition de différentes habiletés motrices et perceptives en rapport avec leur âge.
136 * LE MODÈLE LUDIQUE

La question soulevée par cette étude était la suivante : une intervention axée
directement sur le soutien des comportements ludiques entraînera-t-elle une
amélioration plus importante de ceux-ci qu'une approche conventionnelle et
produira-t-elle des effets sur les capacités fonctionnelles sous-jacentes, telles
que les capacités motrices et visuo-perceptives? Il ressort de l'ensemble des
analyses que lorsqu'une différence significative est observée entre les deux
approches, l'avantage se trouve toujours du côté de l'intervention ludique en
groupe. De fait, tant les habiletés visuo-perceptives que le comportement de jeu
se sont améliorés davantage (différences statistiquement significatives) avec
cette intervention qu'avec l'intervention conventionnelle. Quant aux habiletés
motrices, il ne ressort aucune différence entre les deux groupes. Ces résultats
prometteurs demandent à être investigués davantage dans une étude de plus
grande envergure, mais ils laissent entrevoir d'ores et déjà la pertinence du
modèle ludique pour les enfants ayant des retards de développement, parti-
culièrement en situation de groupe.

Les enfants ayant une déficience intellectuelle

S'appuyant sur son étude menée auprès d'enfants ayant une déficience intel-
lectuelle, Messier (2000) considère que l'utilisation d'une évaluation de jeu
auprès de cette clientèle est innovatrice et appropriée. Les résultats obtenus
donnent également à penser que le cadre conceptuel du modèle ludique
convient à cette clientèle et ils amènent l'auteure à s'interroger sur la perti-
nence de l'approche la plus fréquemment utilisée auprès de ces enfants, soit
l'approche behaviorale; en effet, les résultats démontrent que les capacités
d'imitation de ces enfants (fortement sollicitées dans l'approche behaviorale)
sont limitées. Messier propose de miser plutôt sur la curiosité de ces enfants,
leur initiative, leur spontanéité et leur goût du plaisir, qui sont des caracté-
ristiques plus marquées chez eux, et il estime que cela favoriserait davantage
leur apprentissage. D'autres études devront être menées afin de confirmer
ou infirmer cette hypothèse.
Il est évident que l'application du modèle à cette clientèle devra être adap-
tée aux caractéristiques de ces enfants. Ainsi, peut-être faudra-t-il que l'ergo-
thérapeute se montre plus actif dans son intervention ; accorder trop de
latitude à ces enfants qui présentent souvent des comportements répétitifs et
LE MODÈLE LUDIQUE : MODÈLE DE PRATIQUE * 137

sans but pourrait avoir, contrairement à ce qui est le cas chez ceux qui ont
une déficience physique, peu d'effet positifs. Un accompagnement plus étroit
serait peut-être nécessaire.

Les enfants ayant un problème de santé mentale

Le modèle ludique peut-il être retenu pour travailler auprès des enfants qui
présentent des problèmes de santé mentale ? Un commentaire émanant
d'ergothérapeutes travaillant auprès de cette clientèle laisse croire que la phi-
losophie du modèle pourrait être utile.

Comme ergothérapeutes travaillant en santé mentale auprès des enfants, nous


retrouvons dans le modèle ludique une philosophie qui est très proche de notre
pratique. Le modèle ludique est un modèle qui accorde toute sa valeur et sa
dimension non seulement à l'activité de jeu, mais au jeu lui-même dans sa
forme, dans son contenu, dans sa puissance développementale, dans sa richesse.
Ce modèle redonne sa place à l'enfant, à ce qu'il fait, mais aussi à ce qu'il est. Il
redonne aussi à l'adulte qui regarde et qui écoute le jeu de l'enfant un espace et
un temps de partage de l'environnement familial et social. Enfin, l'accès au jeu
y est décrit comme une finalité et pas seulement comme une voie de transi-
tion de l'enfant (Morazain-Ledoux et Valois, 2002).

Bien sûr, son application auprès de cette clientèle ne saurait être la même
qu'auprès des enfants ayant une déficience physique : il est nécessaire de
l'adapter à la dynamique des enfants ciblés, à leurs besoins particuliers.
Toutefois, considérant le commentaire précédent, on peut croire que la phi-
losophie du modèle ludique serait en accord avec la pratique profession-
nelle dans ce champ de pratique.
Par ailleurs, l'étude de Simard (en cours), en précisant les variables venant
de la mère et de l'enfant susceptibles de favoriser le plaisir dans l'interaction
mère-enfant, apportera des informations précieuses pour l'ergothérapeute
œuvrant en santé mentale. D'autres études seront aussi nécessaires pour
appuyer le recours au modèle ludique dans la pratique en santé mentale
infantile.
138 * LE MODÈLE LUDIQUE

RÉFÉRENCES

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WINNICOTT, D.W. (1975). Jeu et réalité : l'espace potentiel. Paris : Gallimard.
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6
LE MODELE LUDIQUE ET LES PARENTS

Deux facteurs semblent cruciaux pour assurer


une interaction parents-professionnels efficace :
la communication et le respect.
Schulz, 1985

Depuis qu'a paru la dernière édition du Modèle ludique (1998), un ouvrage


destiné aux parents des enfants ayant une déficience physique ou intellec-
tuelle et s'inscrivant dans la philosophie de ce modèle a été publié (Ferland,
200ia). Le présent chapitre s'en inspirera pour présenter les différentes
connaissances et compétences que l'ergothérapeute peut mettre à la dispo-
sition des parents1. Au préalable, nous traiterons des difficultés particulières
reliées à ce rôle parental. Puis, nous verrons comment on conçoit le rôle des
parents dans le modèle ludique et quels sont les objectifs poursuivis auprès
de la famille. Nous toucherons également un mot des frères et sœurs.

i. Le lecteur trouvera de nombreuses suggestions complémentaires dans Ferland


(20oia), particulièrement aux chapitres 4 («Je fais découvrir le plaisir à mon
enfant »), 5 (« Je découvre le plaisir avec mon enfant ») et 6 (« La déficience vue par
les enfants»).
142 * LE MODÈLE LUDIQUE

DEVENIR PARENT D'UN ENFANT QUI PRÉSENTE UNE DÉFICIENCE

Devenir parent d'un enfant différent des autres, c'est un bouleversement


majeur dans sa vie. C'est devoir faire face à une situation à laquelle personne
n'est préparé. C'est aussi vivre des sentiments complexes et intenses : la colère,
la tristesse, la détresse, l'impuissance et la frustration. C'est faire le deuil de
l'enfant normal qu'on attendait. Les professionnels de la santé parlent abon-
damment de la dernière phase à laquelle doit tenter de parvenir tout parent qui
se trouve dans cette situation, soit l'acceptation du handicap. Cette notion
d'acceptation est en général perçue de façon très simpliste et très statique
(Miezio, 1983), comme si les parents atteignaient ce stade et s'y maintenaient,
une fois pour toutes. Or, les sentiments vécus au moment de la naissance ris-
quent de resurgir à diverses étapes du développement de l'enfant : par exemple,
au moment prévu pour l'apparition de diverses fonctions telles que le lan-
gage, la marche et au moment de l'entrée à l'école, de l'adolescence.
Chacune de ces étapes peut représenter pour les parents un moment dif-
ficile à traverser; l'acceptation de la déficience n'est ni statique ni définitive.
Graduellement, les parents apprennent à découvrir leur enfant, à l'aimer et
à apprivoiser le handicap. Durant les premiers mois et les premières années
de l'enfant, la douleur risque d'être omniprésente.
Le fait que leur enfant présente une déficience amène aussi les parents à
connaître des milieux qu'ils souhaiteraient ne jamais avoir eu l'occasion de
fréquenter, celui de la réadaptation et de l'éducation spécialisée. Face à ces
professionnels, ils peuvent ressentir des sentiments ambivalents; certes, ils
sont heureux que ces services spécialisés existent, mais ils aimeraient être
en mesure de répondre seuls aux besoins de leur enfant.
Même si cette situation est angoissante pour les deux parents, il semble que
le stress affecte toujours plus la mère que le père (Crow, 2000 ; Larson, 2000).
En effet, c'est la mère qui assume en général la responsabilité de l'enfant : rou-
tine des soins, accompagnement aux thérapies, contacts avec les intervenants,
aménagement de l'horaire familial pour faire place aux besoins particuliers
de l'enfant. Les deux problèmes les plus fréquemment mentionnées par les
mères de ces enfants sont le manque de temps et le manque d'énergie. Ne
nous étonnons pas, alors, qu'elles aient le sentiment d'être débordées et épui-
sées (Tétrault, 1990).
LE MODÈLE LUDIQUE ET LES PARENTS » 143

Face aux parents, nous devons faire preuve d'une grande humilité pro-
fessionnelle. Oui, nous avons des connaissances, compétences et techniques
spécifiques pour travailler avec l'enfant, mais nous ne connaîtrons jamais
complètement ce que vivent les parents au quotidien. Demandons-nous
comment nous réagirions à leur place. Nous voyons cet enfant une heure à
la fois, cet enfant qui n'est pas le nôtre et qui ne fait pas naître chez nous
des sentiments intenses et contradictoires; les parents, eux, sans y être aucu-
nement préparés, prodiguent au quotidien des soins à cet enfant, et ce pen-
dant de longues années. Évitons de porter des jugements hâtifs sur la façon
de faire de certains parents ; essayons plutôt de comprendre leur situation et
de leur fournir des pistes susceptibles de les aider.
Par ailleurs, quand on vit avec un enfant qui présente une incapacité
motrice, et qui se trouve d'autre part entouré de professionnels de la réadap-
tation, le risque est grand que toute l'attention se concentre sur le handicap de
l'enfant. Ce risque semble réel si l'on considère que, dans la recherche menée
par Hinojosa (1990), il appert que les mères s'appuient beaucoup sur l'opinion
des professionnels de la réadaptation pour toute décision concernant l'enfant.

LES TÉMOIGNAGES DES MÈRES

De la recherche rapportée à l'annexe i il ressort que, dans certains cas, toute


la place est laissée aux professionnels de la réadaptation, ou accaparée par
eux : «Ils [les professionnels] m'ont dit de faire ça [...]; ils ont décidé de
faire telle chose. »
D'autres sous-estiment la valeur des activités qui n'ont pas été suggérées
par ces professionnels. Par exemple, une mère à qui je demandais quelle
activité semblait procurer du plaisir à son enfant a longuement hésité avant
de me répondre :
Vous allez trouver ça insignifiant, mais c'est quand je fais des pommes de terre
en purée. J'amène mon fils près de moi dans la cuisine ; je lui montre la pomme
de terre et la lui fais toucher. Je lui explique qu'après l'avoir pelée elle sera
blanche et humide. Quand il l'a à nouveau touchée, je lui explique que je vais
les faire cuire et qu'elles seront moins dures. Après avoir ajouté du beurre et du
lait et avoir réduit les pommes de terre en purée, je lui fais voir que ça devient
un peu comme de la neige et je lui fais goûter. Vous devriez voir ses yeux... il
suit tout ça, il est très intéressé !
144 * LE MODÈLE LUDIQUE

Où cet enfant aurait-il pu apprendre toute cette magie de la transformation


de la pomme de terre ailleurs qu'auprès de sa mère et chez lui? Grâce à cette
activité, la mère augmente le bagage de connaissances de son enfant et l'aide
à s'ouvrir au monde qui l'entoure ; de plus, cet enfant a du plaisir à participer
à une activité avec sa mère. Pourquoi alors cette mère hésite-t-elle à en parler,
sinon parce qu'elle craint qu'une activité si simple et si peu rattachée aux dif-
ficultés de l'enfant soit perçue comme étant sans valeur ? Aurait-on tellement
«thérapeutisé» les parents qu'ils n'osent plus se comporter comme des parents?
Il semble également qu'en plus d'être filtré par les professionnels l'agir de
la mère le soit aussi par l'enfant lui-même. Nous avons déjà mentionné que le
plaisir de l'enfant est un thème très valorisé par toutes les mères interviewées
(voir le chapitre 2), mais certaines s'oublient complètement et laissent l'enfant
décider seul des activités qu elles font avec lui. Ainsi, dans les entrevues, alors
qu'il était facile pour les mères d'expliquer ce que leur enfant aimait faire,
elles avaient plus de difficulté à cerner ce qu'elles aimaient faire avec leur
enfant. « Moi, ce que j'aime le plus faire avec mon enfant ? Attendez un peu...
je ne me suis jamais posé la question. » Toutes leurs activités semblent partir
de leur enfant et la place que s'accordent les mères est toujours tributaire du
plaisir de l'enfant. Peut-être cela indique-t-il qu'elles n'ont pas réussi à ins-
taurer une interaction avec leur enfant qui les satisfasse vraiment, qu'elles
n'ont pas réussi à découvrir leur part de plaisir dans cette interaction.
De plus, en dehors des activités avec leur enfant, la plupart des mères ne
réservent pas davantage de place à leurs propres besoins. Quand on leur
demandait si elles prenaient du temps pour elles, pour des activités qu'elles
aimaient et qu'elles faisaient régulièrement, leurs réponses laissaient croire
que la majorité d'entre elles consacraient tout leur temps à leur enfant. De
plus, plusieurs éprouvaient une grande réticence à demander de l'aide, même
au conjoint. Il n'est pas étonnant alors d'avoir recueilli des commentaires
aussi navrants que ceux-ci : « J'ai l'impression que, depuis sa naissance, je ne
vis pas vraiment » ; « Je passe à côté de ma vie, je suis comme en attente ».
Par ailleurs, les professionnels que doivent consulter les parents ne sem-
blent pas avoir suffisamment de disponibilité ni répondre à leurs attentes. Les
mères interviewées nous disent : «J'aime quand ils [les thérapeutes] expliquent
ce qu'ils font » ; « II y a tellement de choses que j'aimerais savoir, que j'aimerais
comprendre, mais ils [les thérapeutes] ont rarement le temps de me répondre».
LE MODÈLE LUDIQUE ET LES PARENTS * 145

Selon Kazak (1987), cette insatisfaction des parents peut être ramenée au
fait que le professionnel concentre son intervention sur l'enfant et néglige les
besoins de la famille. Il apparaît opportun de reconsidérer notre travail
auprès des parents pour tenir compte du contexte familial et mettre en
œuvre une intervention qui soit centrée sur les besoins de la famille (Law,
1998). Le modèle ludique s'inscrit dans cette optique.
Avant de préciser comment intervenir dans le modèle ludique, considé-
rons d'abord les rôles des parents et des thérapeutes face à l'enfant.

LES RÔLES DISTINCTS ET COMPLÉMENTAIRES

DES PARENTS ET DES THÉRAPEUTES

En distinguant les besoins fondamentaux de l'enfant de ses besoins parti-


culiers (voir la figure 4), on évite de considérer l'enfant ayant une déficience
physique seulement du point de vue de ses limitations et de faire de sa vie,
et de celle de sa famille, un quotidien « thérapeutique ». L'enfant ayant une
déficience physique est avant tout un enfant, il a donc les mêmes besoins
fondamentaux que les autres enfants : besoins physiologiques, besoin de
sécurité, besoin d'affection; tout parent doit répondre à ces besoins. De plus,
si ces parents ont d'autres enfants, leur principale tâche doit être d'offrir un
environnement qui favorise le développement de l'enfant déficient tout en
satisfaisant aux besoins de toute la famille (Hinojosa et Kramer, 1997).

FIGURE 4

Rôles distinctifs et complémentaires des parents


et des professionnels de la réadaptation
146 * LE MODÈLE LUDIQUE

Par ailleurs, comme cet enfant présente une condition physique particu-
lière, il a des besoins particuliers ; c'est là notre raison d'être. Il faut absolu-
ment éviter de « thérapeutiser » les parents, sinon le risque est grand que les
besoins fondamentaux de l'enfant soient négligés et que le surmenage des
parents compromette la qualité de vie de leur famille. Ainsi, parents et pro-
fessionnels ont des rôles distincts à assumer auprès de cet enfant, répon-
dant à des besoins différents.
Ces rôles sont également complémentaires. D'une part, les parents nous
sont d'une aide précieuse au moment de la prise de contact avec l'enfant pour
nous aider à mieux le connaître et à mieux personnaliser l'intervention; grâce
aux informations qu'ils nous fournissent, ils nous secondent dans notre rôle
de thérapeute. D'autre part, ces parents sont d'abord et avant tout des parents
et nous pouvons les aider à assumer leur rôle parental; nous verrons plus bas
comment mettre en œuvre cette approche centrée sur les besoins de la famille.
Dans le modèle ludique, parents et intervenants établissent donc une
relation semblable à un partenariat ; chacun des partenaires fournit son
apport propre, mais de qualité égale.
Voyons quels sont les objectifs du travail avec les parents dans le cadre du
modèle ludique.

LE MODÈLE LUDIQUE DAMS LA VIE QUOTIDIENNE

Ainsi que l'illustre la figure 5, le rôle de l'ergothérapeute peut se résumer de


la façon suivante :
• faciliter la vie quotidienne avec l'enfant et la dispensation des soins ;
• aider les parents à entretenir avec leur enfant une interaction satisfai-
sante pour les deux parties ;
• aider les parents à favoriser chez l'enfant l'ouverture au monde qui l'en-
toure et à l'accompagner dans ses découvertes, leur permettant de la sorte
de reconnaître de nouvelles facettes chez leur enfant.
Dans le modèle ludique, la tâche des parents n'est pas le prolongement de
celle des thérapeutes ; elle en est distincte, mais tout aussi importante. On ne
demande pas aux parents d'appliquer des techniques thérapeutiques pour
assurer la continuité du traitement ; on les aide dans leur quotidien avec
LE MODÈLE LUDIQUE ET LES PARENTS * 147

FIGURE 5

Le modèle ludique et les parents : cadre conceptuel

l'enfant. On ne demande pas aux parents de travailler sur les limitations de


leur enfant. Au contraire, on les incite à investir les éléments non touchés par
la déficience, leur permettant de découvrir les intérêts et les habiletés de leur
enfant.
Trois questions de base, en rapport avec les objectifs mentionnés plus
haut, peuvent orienter l'intervention de l'ergothérapeute. Par la suite, nous
délimiterons les compétences dont dispose l'ergothérapeute pour y parvenir.

Parmi les activités que vous devez faire avec votre enfant,
quelles sont celles qui sont difficiles ou désagréables
pour vous ou pour votre enfant?

Il y a de fortes chances que l'on retrouve ici les activités reliées aux soins à
donner à l'enfant : soins d'hygiène, d'alimentation, d'habillement. Faciliter les
soins quotidiens à donner à l'enfant, donc réduire la difficulté et le temps qu'ils
exigent, contribue à diminuer le surmenage qui touche les mères d'enfants
ayant une déficience physique (Cherry, 1989 ; Tétreault, 1993). Faciliter le tra-
vail de la mère dans l'ensemble de ses activités quotidiennes est aussi fort
148 * LE MODÈLE LUDIQUE

approprié. Mais notre contribution professionnelle doit aller plus loin encore
si on vise véritablement le mieux-être de l'enfant et de toute sa famille.

Parmi les activités que vous aimez faire avec votre enfant,
quelles sont celles auxquelles il réagit bien ?

Ces activités, appréciées tant du parent que de l'enfant, doivent être valori-
sées, reconnues comme importantes par les parents ; elles représentent des
moments privilégiés pour établir une interaction entre le parent et l'enfant.
Comme l'écrit Brazelton (1981), l'essence du «parentage» ne repose pas sur
ce que l'on fait avec l'enfant, mais plutôt sur l'échange, sur les rapports qui
se mettent en place entre le parent et l'enfant. Les intervenants doivent inci-
ter les parents à reconnaître l'importance de ces activités dans leur quotidien
et à les conserver précieusement.

Parmi les activités auxquelles vous voyez les autres enfants s'adonner,
quelles sont celles que vous souhaiteriez offrir à votre enfant?

En concentrant constamment nos énergies et celles des parents sur les dif-
ficultés de l'enfant, on amène les parents à ne retenir que les limitations de
l'enfant et à oublier qu'il est d'abord un enfant ; on restreint d'autant ses
expériences. En posant cette question, on ouvre la porte à l'initiative, aux
intérêts et à l'imagination des parents. On leur donne le droit de penser à leur
enfant tel qu'il est, c'est-à-dire comme à un enfant.
S'ils pensent à ce que font les autres enfants, les parents pourront avoir
quantité de réponses à cette question : explorer la chasse d'eau, découvrir la
magie du magnétophone, se livrer à des expériences de chimie avec les ingré-
dients de la cuisine, apprivoiser l'aspirateur, fouiller dans les armoires,
s'occuper d'un animal. Alors, il sera possible de leur faire comprendre l'impor-
tance de ces activités toutes simples qui sont pour leur enfant autant de fenêtres
sur le monde.
Pour certaines activités, une adaptation sera requise; l'ergothérapeute est le
professionnel qui peut le mieux aider le parent à adapter l'activité aux possi-
bilités de l'enfant. D'autres activités ne demandent que l'accord et le soutien du
thérapeute; en effet, les parents peuvent avoir peur de nuire aux thérapies. Si
l'enfant accompagne la famille en camping, est-ce contre-indiqué qu'il couche
LE MODÈLE LUDIQUE ET LES PARENTS * 149

par terre ou qu'il fasse un tour de chaloupe? Pour ce type d'activités, les parents
ont en quelque sorte besoin de l'autorisation du professionnel de la réadap-
tation. Nous l'avons dit, les parents se fient beaucoup à l'opinion de ces pro-
fessionnels qu'ils voient comme les experts pour tout ce qui concerne leur
enfant. À nous de recadrer les choses et de donner aux parents l'assurance
dont ils ont besoin pour offrir diverses expériences à leur enfant. L'important
demeure toujours que l'activité choisie plaise tant au parent qu'à l'enfant; c'est
en l'essayant que l'on connaîtra la réaction de l'enfant.
L'approche proposée vise donc à rendre au parent le plaisir d'interagir
avec son enfant en suscitant une variété d'expériences et elle lui permet de
découvrir chez son enfant d'autres facettes que celle du handicap. Il se rend
alors compte que, malgré les limitations physiques, son enfant peut devenir
curieux, exprimer de l'intérêt pour ce qui se passe autour de lui et avoir le
goût d'y réagir. Parents et enfants découvriront alors le plaisir de l'activité
partagée. Encore faut-il que le parent ait suffisamment d'assurance, de temps
et d'énergie pour le faire. Le rôle du thérapeute est d'encourager les parents
à interagir de la sorte avec leur enfant et de faciliter leur rôle de parents.
Tentons de définir les connaissances, compétences et techniques parti-
culières dont dispose l'ergothérapeute pour travailler dans ce sens avec les
parents.

CONNAISSANCES ET COMPÉTENCES SPÉCIFIQUES


DE L'ERGOTHÉRAPEUTE AU SERVICE DES PARENTS"

Aider les parents dans leur vie quotidienne

Face aux difficultés que peuvent éprouver les mères dans leurs activités quoti-
diennes avec l'enfant, l'ergothérapeute peut leur offrir des moyens pour en
simplifier l'exécution : positionnement pour alimenter l'enfant, aides techni-
ques pour faciliter le bain ou l'habillement, techniques pour le transporter. Ces
mesures, qui simplifient les activités entreprises avec l'enfant, peuvent aussi
protéger la santé de la mère et particulièrement lui éviter des problèmes de dos.
L'ergothérapeute peut faire davantage. Selon l'étude de Larson (2000),
«orchestrer» les activités des mères d'enfants ayant une déficience contribue

2. Pour plus de détails sur ce thème, le lecteur est invité à lire : Ferland, F. (20010).
15O * LE MODÈLE LUDIQUE

à maintenir l'harmonie familiale. Cette « orchestration » comprend entre


autres la planification, l'organisation, la recherche de l'équilibre, l'anticipa-
tion et la capacité de trouver un sens aux activités. L'ergothérapeute peut
participer de façon significative à une telle « orchestration » des activités des
mères.
La planification des activités, l'organisation de l'environnement et la sim-
plification des tâches sont des pistes de travail empruntées par l'ergothéra-
peute auprès des clients qui ont peu d'énergie ou de force, mais rarement
auprès des parents d'enfants ayant une déficience. Pourtant ceux-là aussi
manquent d'énergie et de temps ; c'est en travaillant à cela que nous ren-
drons leur vie plus facile. Alors, ils apprendront à conserver leur énergie et
à récupérer un peu du temps qui leur fait tellement défaut.
Planifier ses activités, c'est-à-dire prévoir ce qu'il y a à faire, permet de
mieux les répartir dans la journée. Dresser une liste des tâches à accomplir
permettra à la mère de faire alterner des activités requérant beaucoup d'éner-
gie avec d'autres qui sont moins exigeantes. Mettre sur papier les questions
à soulever avec le médecin lors du prochain rendez-vous lui évitera de perdre
de l'énergie à se remémorer constamment les questions à poser. Combiner
des activités dans un même lieu ou à un même moment (préparer le repas
en surveillant les devoirs de l'aîné, rentrer le courrier en allant porter les
ordures à l'extérieur) évitera des déplacements inutiles.
L'organisation de l'environnement peut aussi faire des miracles pour faci-
liter le travail de ces mères. À nous de les faire bénéficier de notions d'ergo-
nomie. Placer un banc à l'entrée de la maison évitera à la mère, avant de sortir
avec l'enfant, de devoir l'habiller par terre, donc dans une position inconfor-
table. L'utilisation d'une desserte pour tout apporter en une fois sur la table
permettra de sauver des pas. Le fait d'avoir des armoires rangées pour que tout
soit à la portée de la main simplifiera le travail. Il est également souhaitable
d'y placer ce qui sert le plus souvent à la hauteur située entre les épaules et les
hanches; c'est la zone d'utilité. Les objets lourds, quant à eux, devraient se
retrouver à la hauteur des hanches; les placer plus haut ou plus bas risque
d'entraîner des maux de dos ou une fatigue inutile. Un petit tabouret pour y
mettre le pied lors d'une station debout prolongée évitera de répartir le poids
du corps sur les deux jambes de façon statique. L'enfant pourra peut-être
ouvrir lui-même les robinets pour se laver les mains de façon indépendante
LE MODÈLE LUDIQUE ET LES PARENTS * 15!

si les poignées sont suffisamment grosses : c'est alors du travail en moins


pour la mère et une expérience d'autonomie pour l'enfant.
Nous connaissons aussi plusieurs façons de simplifier les activités en
recourant aux principes de la physiologie humaine. En voici quelques
exemples : quand cela est possible, préférer s'asseoir plutôt que rester debout
pour effectuer ses activités, utiliser les plus gros muscles pour transporter
l'enfant (en le tenant appuyé sur la hanche plutôt qu'en le prenant seule-
ment avec les bras et le dos), utiliser les deux bras pour transporter un objet
lourd plutôt que de le faire avec une seule main, à bout de bras, pousser un
meuble plutôt que de le tirer.
En analysant avec les parents une journée type, l'ergothérapeute peut
proposer de nombreuses suggestions visant à améliorer leur quotidien.

Favoriser une interaction parents/enfant mutuellement satisfaisante

Pour avoir plus de plaisir avec leur enfant, les parents bénéficieront de tout ce
qui les aidera à mieux le comprendre et à le connaître par-delà sa déficience.
Le fait de discuter avec eux des effets de la déficience sur le développement et
le comportement de l'enfant peut les rassurer quant à leurs compétences
parentales ; les réactions parfois négatives de leur enfant dans certaines situa-
tions seront mieux analysées et ne seront pas systématiquement interprétées
comme étant la preuve de leur incompétence à comprendre leur enfant.
Partager avec les parents notre connaissance du développement sensoriel des
enfants leur permettra de saisir l'importance d'activités quotidiennes toutes
simples qui incitent l'enfant à regarder, écouter, toucher, sentir et bouger, et
de reconnaître leurs effets sur le développement de l'enfant. Dans le même
sens, préciser aux parents la séquence de développement des diverses habile-
tés les aidera à suivre l'évolution de leur enfant et à avoir des attentes réa-
listes à son endroit. Ils comprendront mieux leur enfant. Enfin, les sensibiliser
au développement global de l'enfant, faisant ressortir son comportement
dans les autres sphères que celle liée à ses limitations, aidera les parents à
regarder leur enfant d'un autre œil et peut-être à découvrir chez lui des forces
insoupçonnées. L'ergothérapeute dispose pour cela d'un outil de travail fort
efficace : l'analyse d'activité. En faire la démonstration aux parents les amè-
nera à découvrir leur enfant dans sa globalité, à comprendre la complexité
152 * LE MODÈLE LUDIQUE

d'une activité de prime abord toute simple, à mieux apprécier les efforts de
l'enfant et à savoir reconnaître ses progrès.
Connaissant mieux leur enfant non seulement dans ses difficultés, mais
surtout dans ses potentialités, ils seront plus enclins à réaliser avec lui des
activités au quotidien et ils s'apercevront que celui-ci, à son tour, réagit à
leurs actions. S'ils sont invités à miser sur les forces de leur enfant, cette
interaction sera d'autant plus agréable pour les deux parties en cause.
L'attitude ludique peut aussi enrichir les rapports entre les parents et
l'enfant. Aborder les tâches quotidiennes avec humour, ajouter un brin de
folie dans la routine, tout cela peut changer la couleur de la journée et rendre
le contact avec l'enfant plus serein et plus agréable. Beaucoup de parents
d'enfants qui présentent des incapacités importantes soulignent que c'est leur
sens de l'humour qui les a le plus aidés à surmonter les difficultés (Ferland,
looia). L'humour bénéficie aussi à l'enfant qui a alors comme modèles des
personnes qui, malgré les difficultés, savent rire et s'amuser dans la vie. Aidons
les parents à développer ou à retrouver cette attitude-là.

Aider parents et enfants à faire des découvertes ensemble

Si on aide les parents à découvrir leur enfant, à comprendre qu'en dépit de


ses limitations il peut être souriant, curieux, avoir des intérêts, à découvrir
l'importance d'activités toutes simples pour l'expérience de vie de leur
enfant, ils seront alors mieux outillés pour jouer leur rôle de parents, chose
que parfois on oublie quand tous nos efforts ne se concentrent que sur
l'enfant. Alors, les parents tout autant que l'enfant auront plaisir à partager
des activités et à découvrir le monde ensemble. Les suggestions à offrir sont
nombreuses et elles peuvent s'insérer dans le quotidien de tout parent :
raconter une histoire, chanter, l'inciter à regarder les oiseaux dans le ciel, lui
faire sentir le parfum d'une fleur, glisser dans la neige, se balancer au parc,
s'amuser à prétendre que les animaux ont échangé leurs cris respectifs, lui
faire choisir le vêtement qu'il veut porter, rire avec lui.
Au cours de ces activités, l'enfant enrichit son bagage d'expériences et les
parents se rendent compte que leur enfant aime faire des découvertes avec eux.
Dans le modèle ludique, on invite donc les parents à miser sur les forces de
l'enfant, ses difficultés étant prises en compte par de nombreux professionnels.
LE MODÈLE LUDIQUE ET LES PARENTS * 153

On aide les parents à occuper leur véritable place auprès de leur enfant en
tant que parents et à découvrir le plaisir avec lui. Par ailleurs, un autre élé-
ment doit également être pris en considération par les thérapeutes qui offrent
leurs services à des enfants. Tout parent, y compris celui d'un enfant ayant
une déficience physique, a des besoins qui lui sont propres, en tant qu'être
humain, en tant qu'adulte, en tant que conjoint, besoins dont il doit s'occu-
per lui-même ; l'enfant ne peut combler tous ces besoins. Le parent doit s'oc-
cuper de lui en tant qu'individu, prendre sa place dans sa propre vie, s'aimer
suffisamment pour se faire plaisir. Il faut comprendre que cela permet non
seulement de répondre à ses besoins, mais peut aussi servir de soupape, per-
mettre en quelque sorte de recharger ses batteries.
Ce travail d'accompagnement du parent peut se faire lors de rencontres
individuelles ou de visites à domicile. Il est aussi possible de discuter certains
des thèmes précédemment mentionnés lors de rencontre, de groupes de
parents ; ces rencontres réunissant des personnes qui vivent des expériences
similaires sont susceptibles d'apporter un soutien précieux aux parents.

Et les autres enfants?

Si notre approche se veut véritablement centrée sur la famille, on doit tenir


compte des autres enfants. Comment les aider? Comment les inclure dans
notre démarche?
Dans l'ouvrage destiné aux parents et mentionné précédemment (Ferland,
20oia), un chapitre entier traite des frères et sœurs et des autres enfants.
Contentons-nous ici de souligner certains points. Être le frère ou la sœur
d'un enfant différent des autres n'est pas facile (Unruh, 1992) ; ces enfants
éprouvent fréquemment à l'égard de leur frère ou de leur sœur de la tris-
tesse, de la colère, du ressentiment, de l'ambivalence, de l'embarras devant
leurs amis, et ils craignent que leurs parents les aiment moins. Ces diverses
réactions émotives sont rarement exprimées ouvertement, mais elles se lisent
dans leurs actes. Ils essayent d'attirer l'attention : crises, coups, insolence,
mauvaise humeur, querelles, désobéissances. Par ailleurs, l'attitude des parents
envers l'enfant ayant une déficience physique influencera grandement les
réactions des frères et sœurs. Pour eux tout comme pour les parents, il ne
s'agit pas de les faire participer à la thérapie, d'en faire des aides-thérapeutes,
154 * LE MODÈLE LUDIQUE

mais bien de les aider à découvrir eux aussi le plaisir d'interagir avec cette
sœur ou ce frère différent des autres.
Ces enfants ont besoin d'être rassurés quant à l'amour de leurs parents,
d'avoir un espace personnel qui leur permette d'être avant tout des enfants,
d'exprimer ces sentiments qui les étreignent, de comprendre l'état de leur
frère ou sœur. Ils ont aussi besoin de créer des liens fraternels avec cet enfant.
Pour ce faire, le jeu peut à nouveau être une activité de choix. Très souvent,
les frères et sœurs ont des rapports plus spontanés avec l'enfant ayant une
déficience que leurs parents. Si on les laisse jouer ensemble, ils lui parleront
comme à un autre enfant, lui expliqueront beaucoup de choses, le feront
rire et parfois ils se mettront en colère. Autrement dit, ils créeront de vrais
liens fraternels. C'est en se côtoyant que les frères et sœurs apprennent à
s'aimer mutuellement et qu'ils grandissent à travers cette expérience.
Pour l'enfant qui présente une déficience, les frères et sœurs peuvent
s'avérer des partenaires de jeu précieux pour accroître son bagage de connais-
sances et d'expériences. Le piège à éviter est de demander à la fratrie de sup-
pléer les parents.
Ainsi appliqué en collaboration avec les parents et la fratrie, le modèle
ludique tente de répondre aux besoins de la famille, au quotidien, et met à
contribution les compétences et connaissances de l'ergothérapeute puisées
tant dans son expérience auprès des enfants que dans sa formation de base.
Tout autant qu'avec l'enfant que l'on aborde d'abord et avant tout comme
un enfant, les parents sont reconnus d'abord et avant tout comme des
parents, ayant parfois besoin qu'on leur fournisse une aide supplémentaire
pour assumer leur rôle. De plus, on vise pour les parents le plaisir d'interagir
avec leur enfant. Miser sur le plaisir partagé entre le parent et l'enfant, c'est
miser sur une valeur sûre, c'est miser sur le mieux-être de toute la famille. De
la sorte, on contribue à rendre la vie de la famille semblable à celle des autres,
bien que l'un de ses membres soit différent des autres.

RÉFÉRENCES

BRAZELTON, B. (1981). On Becoming a Family : The Growth of Attachaient. New York :


Delacorte Press.
CHERRY, D.B. (1989). Stress and coping in familles with ill or disabled children : appli-
cation of a model to pédiatrie practice. Physical and Occupational Therapy in
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LE MODÈLE LUDIQUE ET LES PARENTS * 155

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vrir. Montréal : Éditions de l'Hôpital Sainte-Justine.
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occupational and physical therapists and their influence on family life. Occupational
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Turnbull (dir.) : Parents Speak Oui (p. 3-9). Columbus : Charles Merrill.
TÉTREAULT, S. (1993). Étude exploratoire de la réalité des mères d'enfant ayant une
incapacité motrice et des facteurs associés à la surcharge perçue. Série « Résultats de
recherche», 158^2-921067-24-2, thèse de doctorat, École de Service social, Université
Laval.
TÉTREAULT, S. (1990). La situation vécue par la mère de l'enfant handicapé : revue de
littérature. Revue francophone de la déficience intellectuelle, i, 121-131.
UNRUH, A. (1992). Siblings of children with spécial needs. Revue canadienne d'ergo-
thérapie, 59,151-158.
This page intentionally left blank
CONCLUSION

Le présent ouvrage est le fruit d'une réflexion portant sur le jeu, sur l'enfant
ayant une déficience physique et sur l'ergothérapie, réflexion qui s'est éche-
lonnée sur plusieurs années. Le modèle ludique propose une approche globale
et positive de l'enfant en action. Il situe l'enfant au centre de l'intervention
ergothérapique, participant à part entière à la thérapie.
Le cadre conceptuel et le modèle de pratique qui sont proposés démon-
trent clairement que l'ergothérapie est à la fois un art et une science ; un art
puisque son application relève de l'habileté du thérapeute à mettre en appli-
cation des principes et des objectifs thérapeutiques précis dans un contexte
qui se veut par ailleurs ludique, et une science puisqu'elle repose sur une
démarche intellectuelle rigoureuse sous-tendant la démarche thérapeutique.
En ce sens, le modèle ludique s'inscrit dans la tendance actuelle de fonder la
pratique sur des données scientifiques (evidence-basedpractice).
Ce modèle n'est pas entièrement innovateur. Certains thérapeutes d'expé-
rience adoptent spontanément une attitude qui se rapproche de celle que
nous proposons. Toutefois, les fondements théoriques et philosophiques tout
autant que la systématisation de son application le sont. En offrant un cadre
de travail précis tant sur le plan théorique que clinique, il permet à l'ergothé-
rapeute, même débutant, d'aborder l'enfant de façon globale par le biais d'un
domaine d'activités propre à l'enfant et de pouvoir expliquer sa démarche.
158 * LE MODÈLE LUDIQUE

L'élaboration originale du modèle ludique s'est appuyée à la fois sur l'ex-


périence de vie de parents d'enfants ayant une déficience physique et
d'adultes ayant eux-mêmes une déficience physique ainsi que sur la réflexion
d'ergothérapeutes travaillant auprès de ces enfants (voir l'annexe i). Par
conséquent, on peut croire que cette démarche a permis de comprendre en
profondeur la dynamique de ces enfants, les préoccupations de leurs parents
et les enjeux professionnels. Les diverses études menées depuis la première
édition de cet ouvrage laissent croire en la justesse de la définition du jeu et
de l'hypothèse de base du modèle, soit l'existence d'un rapport entre le com-
portement de jeu et la capacité d'agir de l'enfant et donc en la pertinence du
modèle pour développer la capacité d'agir de l'enfant tout autant que son
plaisir. Toutefois, les recherches devront se poursuivre pour mesurer,
appuyer, cerner de façon plus précise quelle pourrait être la contribution de
ce modèle à la pratique de l'ergothérapie.
Depuis la dernière édition de l'ouvrage, le modèle ludique a donné lieu
à l'élaboration d'un nouveau cadre conceptuel permettant d'intervenir
auprès d'adultes présentant des incapacités graves et permanentes (Guitard,
2002). La pertinence du cadre conceptuel original a été étudiée chez des
enfants ayant une déficience intellectuelle (Messier, 2000). Dans la dernière
édition, on avait suggéré d'explorer l'utilisation du modèle ludique dans des
activités de prévention et de promotion de la santé s'adressant à des enfants
d'âge préscolaire. Une étude actuellement en cours mesure auprès de jeunes
mères d'enfants âgés de six à 36 mois issues de milieux défavorisés les effets
d'un intervention ludique sur le développement du comportement de jeu de
ces enfants d'une part, et sur le sentiment de compétence de ces mères
d'autre part (Grondin, en cours). De plus, un nouvel ouvrage reprenant plu-
sieurs des thèmes du modèle ludique a été publié à l'intention des parents
d'enfants d'âge préscolaire (Ferland, 2002). Tout comme dans la conclusion
accompagnant la première édition, on peut se demander si le développe-
ment de l'attitude ludique pour susciter et maintenir la capacité d'agir ne
pourrait pas aussi être utile dans le cas des personnes âgées.
On l'a vu tout au long de ces pages, le jeu est un phénomène d'une rare
richesse. Son utilisation en thérapie s'avère une voie privilégiée pour per-
mettre à l'enfant limité dans son corps de découvrir le plaisir de l'action et de
développer ses capacités à agir. Si on réussit à amener cet enfant à participer
CONCLUSION * 159

activement à la thérapie, à éprouver du plaisir à être actif, à utiliser ses res-


sources personnelles au maximum, cet enfant aura de bonnes chances d'évo-
luer harmonieusement et de trouver que la vie vaut la peine d'être vécue.
Trouver du plaisir à faire, à être et à vivre, voilà l'objectif ultime du modèle
ludique.

RÉFÉRENCES

FERLAND, F. (2002). Et si on jouait? Le jeu chez l'enfant de la naissance à six ans.


Montréal : Éditions de l'Hôpital Sainte-Justine.
GRONDIN, G. (en cours). Impact d'un programme communautaire d'ergothérapie sur le
comportement ludique de l'enfant à risque et sur les parents : étude-pilote, Projet de
recherche enregistré à l'Université Laval pour l'obtention d'une maîtrise en méde-
cine expérimentale.
GUITARD, P. (2002). L'attitude ludique à l'âge adulte : définition conceptuelle et utilisa-
tion en ergothérapie. Thèse de doctorat, Sciences biomédicales (réadaptation),
Faculté des études supérieures, Université de Montréal.
MESSIER, J. (2000). L'influence des capacités intellectuelles sur le comportement ludique
d'enfants avec déficience intellectuelle. Mémoire de maîtrise, Sciences biomédi-
cales (réadaptation), Faculté des études supérieures, Université de Montréal.
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ANNEXE 1
Recherche sur le rôle du jeu dans la vie de l'enfant
ayant une déficience physique1

Une recherche d'élaboration, utilisant des données qualitatives, est à la base


du modèle ludique présenté dans cet ouvrage. La cueillette et l'analyse des
données se sont échelonnées de l'été 1990 au printemps 1991 ; des entrevues
ont été réalisées à Montréal, Québec et Rouyn-Noranda. Nous présenterons
d'abord un aperçu général du projet de recherche, puis nous donnerons des
précisions sur la méthodologie utilisée pour le mener à bien.

APERÇU GÉNÉRAL

Le tableau 7 donne, de façon schématique, une vue générale sur cette


recherche.
Pour répondre à la première question — le jeu est-il ou non présent dans
la vie l'enfant ayant une déficience physique ? — nous avons pensé que les
personnes les plus aptes à donner un avis éclairé étaient les parents d'enfants
ayant une déficience physique. Des adultes présentant une déficience phy-
sique ont également été interviewés ; à cause de leur expérience de vie, ces

1. Cette recherche a été subventionnée par l'Association de la paralysie cérébrale du


Québec (APCQ).
162 » LE MODÈLE LUDIQUE

TABLEAU 7
Aperçu général de la recherche

QUESTIONS PARTICIPANTS

1. Le jeu est-il présent dans la vie de l'enfant ayant Parents,


une déficience physique? adultes ayant une déficience

2. Comment le jeu est-il utilisé en ergothérapie? Ergothérapeutes

OBJET

Élaborer un nouveau modèle de pratique en ergothérapie

personnes étaient susceptibles de fournir des informations des plus perti-


nentes en nous communiquant leur opinion tant en regard de la première
que de la deuxième question. Pour savoir comment le jeu était utilisé en ergo-
thérapie, des ergothérapeutes travaillant auprès d'une clientèle infantile ont
aussi été interviewées. Ces trois groupes de participants ont été sélectionnés
parce que nous voyions en eux des experts en regard des questions à l'étude ;
ils pouvaient donc nous aider à mieux comprendre le phénomène étudié.
L'objectif ultime de la recherche était d'élaborer un nouveau modèle de
pratique en ergothérapie, basé sur le jeu. L'interrogation sous-jacente à ce
nouveau modèle de pratique était la suivante : compte tenu de l'objet même
de notre profession, de sa philosophie, pourrait-on faire plus et mieux pour
la clientèle infantile, en découvrant la richesse jusqu'ici peu exploitée que
recèle le jeu comme modalité thérapeutique ?

MÉTHODOLOGIE

Comme l'objet de la démarche était de pousser plus avant notre compréhen-


sion du phénomène du jeu chez l'enfant ayant une déficience physique et de
mettre en avant des hypothèses quant à son utilisation en ergothérapie, une
recherche qualitative a été utilisée. À partir des opinions des participants, de
la signification qu'ils donnent au phénomène à l'étude, une telle méthodolo-
gie permet de procéder à une analyse inductive et de dégager les thèmes qui
caractérisent ce phénomène (Glaser, 1978; Strauss et Corbin, 1990).
ANNEXE 1 * 163

Participants

Dans chaque catégorie (parents, adultes et ergothérapeutes), les participants


présentent une grande hétérogénéité entre eux; pareille hétérogénéité est
d'ailleurs ce que l'on recherche afin de maximiser la diversité des participants,
nous assurant alors que les thèmes dégagés sont caractéristiques du phéno-
mène à l'étude et non tributaires d'éléments communs aux participants.
Diverses sources ont permis de recruter les personnes les plus intéres-
santes pour nous ; un échantillonnage nominatif a été utilisé. Ainsi, les noms
des parents ont été fournis soit par l'Association de la paralysie cérébrale
du Québec, soit par des ergothérapeutes. L'Association a également proposé
certains adultes susceptibles d'être intéressés par l'objet de l'étude et les pre-
miers adultes interviewés ont suggéré d'autres noms. Enfin, les ergothéra-
peutes ont été recrutés dans deux services d'ergothérapie, l'un à Montréal,
l'autre à Québec. Tous ceux qui ont été pressentis pour participer à la
recherche devaient être intéressés par le sujet et disponibles pour une entre-
vue de deux heures environ.
Les tableaux 8, 9 et 10 présentent les caractéristiques propres à chaque
participant, dans chacune des trois catégories.
Le tableau 8 présente l'information concernant les parents ou, plus spé-
cifiquement, les mères interviewées ; en effet, bien que l'intention initiale ait
été d'obtenir l'opinion des deux parents, il n'a pas été possible d'amener les
pères à participer à cette démarche (voir nos commentaires là-dessus, au
chapitre 2). Les sept mères avaient chacune un enfant atteint de paralysie
cérébrale ; les enfants étaient âgés de 15 mois à huit ans. Trois d'entre elles
demeuraient à Montréal et les quatre autres, en région éloignée des grands
centres urbains. Les rencontres ont eu lieu à leur domicile, en présence de
l'enfant.
Les caractéristiques des participants adultes ayant une limitation phy-
sique chronique sont présentées au tableau 9. Deux autres participants ont
été interviewés, mais les entrevues que nous avions eues avec eux n'ont pu
être utilisées : atteints d'une maladie dégénérative, leur façon de voir les
choses reposait sur une dynamique tout à fait différente de celle des autres
et plus susceptible d'aider à comprendre l'enfant présentant une maladie
dégénérative que l'enfant ayant une déficience physique chronique. Les
164 * LE MODÈLE LUDIQUE

TABLEAU 8

Caractéristiques des participants : parents

PARTICIPANTS CARACTÉRISTIQUES
(âge) FAMILIALES CONDITION DE L'ENFANT

Mère#1 conjoint présent quadriplégie spastique;


(de 40 à 50 ans) fils de 1 6 ans fauteuil roulant; non verbal
* fils de 5 ans
milieu rural

Mère #2 conjoint présent quadriplégie spastique


(de 20 à 30 ans) fils de 6 ans
* fille de 2 ans
milieu rural

Mère #3 conjoint présent quadriplégie spastique;


(de 50 à 60 ans) * fille de 8 ans fauteuil roulant; tableau de
milieu rural communication

Mère #4 conjoint absent depuis 4 ans quadriplégie spastique ; verbal ;


(de 40 à 50 ans) fille de 11 ans problèmes visuels; apprentissage
* fils de 8 ans pour fauteuil roulant électrique
milieu rural

Mère #5 conjoint présent encéphalopathie dystonique;


(de 20 à 30 ans) fille de 7 ans non verbal ; fauteuil roulant
* fils de 3 ans
milieu urbain

Mère #6 conjoint présent encéphalopathie herpétique


(de 20 à 30 ans) * fils de 15 mois
milieu urbain

Mère #7 conjoint présent quadriplégie spastique ;


(de 20 à 30 ans) fils de 2 ans non verbal
* fils de 4 ans
mère enceinte
milieu urbain

Enfant présentant une déficience physique

participants résidaient à Montréal et ont été interviewés soit sur leur lieu
de travail, soit à leur domicile.
Le tableau 10 présente les informations concernant les ergothérapeutes
interviewées.
ANNEXE 1 » 165

TABLEAU 9

Caractéristiques des participants : adultes

PARTICIPANTS SEXE ÂGE CONDITION PHYSIQUE

Adulte #1 M 43 ans paralysie cérébrale; ambulatoire

Adulte #2 F 27 ans ostéogenèse imparfaite; fauteuil roulant

Adulte #3 F 29 ans paralysie cérébrale; fauteuil roulant

Adulte #4 F 32 ans paralysie cérébrale; fauteuil roulant

Adulte #5 F 44 ans paralysie cérébrale ; ambulatoire

Adulte #6 F 50 ans malformations congénitales aux membres


supérieurs; utilisation fonctionnelle des pieds

TABLEAU 10

Caractéristiques des participants : ergothérapeutes

ANNÉES CLIENTÈLE
PARTICIPANTS D'EXPÉRIENCE (âge et type) LIEU D'EXERCICE

Ergo#1 5 0-5ans:IMOC* centre de réadaptation

Ergot 2 11 0-5 ans : IMOC centre de réadaptation

Ergo#3 6 0-5 ans : IMOC grave centre de réadaptation

Ergo#4 13 3-6 ans: IMOC centre de réadaptation

Ergo#5 15 0-6 ans : IMOC grave centre de réadaptation

Ergot 6 26 0-5 ans : IMOC centre de réadaptation

Ergo#7 26 0-5 ans : retard de développement centre de réadaptation

Ergo#8 11 0-6 ans : retard de développement centre de réadaptation

Ergot 9 3 0-1 2 ans : maladies neuro- centre de réadaptation


musculaires et IMOC

Ergot 10 7 0-6 ans : spina bifida et IMOC centre de réadaptation

Ergot 11 9 0-5 ans : retard de développement centre de réadaptation

Ergot 12 4 0-21 ans: IMOC école spécialisée

Ergot 13 9 0-21 ans : IMOC école spécialisée

"IMOC : infirmité motrice d'origine cérébrale


166 » LE MODÈLE LUDIQUE

Leur expérience clinique variait de trois à 26 ans. Sur les 13 ergothéra-


peutes, sept travaillaient à Montréal et six à Québec. Elles étaient toutes de
sexe féminin et sept d'entre elles avaient un ou plusieurs enfants. Deux
d'entre elles offraient leurs services professionnels en milieu scolaire spé-
cialisé, alors que les n autres travaillaient dans un centre de réadaptation.
Elles ont été interviewées dans leur milieu de travail.

Cueillette de données

Les principales données ont été recueillies au cours d'entrevues menées dans
le milieu de vie naturel du participant : domicile ou lieu de travail. De plus,
la méthode de l'observation participante a été utilisée au centre de stimula-
tion précoce de l'Association de la paralysie cérébrale de Montréal et au ser-
vice d'ergothérapie du Centre Cardinal-Villeneuve, à Québec. Enfin, nous
avons tenu un journal de bord pendant toute la durée du projet.

Entrevues

Les entrevues étaient enregistrées sur magnétophone, transcrites mot à mot


grâce à un traitement de texte, puis converties pour être analysées à l'aide de
1' «Ethnograph 5» (Seidel, Kjolseth et Seymour, 1985), qui est un logiciel
informatique conçu pour faciliter l'aspect mécanique de l'analyse de
contenu.

TABLEAU 11
Collecte des données

ENTREVUES OBSERVATION PARTICIPANTE


(domicile, lieu de travail) (centre de stimulation,
service d'ergot he ra pie)

JOURNALDEBORD
(impressions, reflexions personnelles. questions;
ANNEXE 1 * 167

TABLEAU 12
Entrevue avec les parents d'enfants ayant une déficience physique

COMMENTAIRES DES PARENTS QUANT À LA PRÉSENCE DU JEU


ET DU PLAISIR DANS LA VIE QUOTIDIENNE DE L'ENFANT

Quelles sont les activités (de jeu ou autres) au cours desquelles votre enfant semble
éprouver le plus de plaisir?
(Au besoin : comment votre enfant réagit-il aux animaux, à l'eau, à la télévision, aux
autres enfants?)

COMMENTAIRES DES PARENTS QUANT À L'EXPRESSION DES ÉMOTIONS PAR LEUR ENFANT

Comment votre enfant exprime-t-il ses sentiments : plaisir, crainte, tristesse, désirs?

DEFINITION DU JEU PAR LES PARENTS

Qu'est-ce que le jeu pour vous? La même définition s'applique-t-elle à votre enfant?

COMMENTAIRES DES PARENTS QUANT AU PLAISIR DANS LEUR VIE AVEC L'ENFANT

Parmi les activités que vous effectuez avec votre enfant, laquelle vous plaît le plus?
Avez-vous la possibilité de vous réserver des moments pour vous-mêmes afin
d'accomplir des activités qui vous plaisent?

TABLEAU 13
Entrevue avec les adultes ayant une déficience physique

COMMENT ÊTRE FONCTIONNEL À L'ÂGE ADULTE

Selon votre expérience, qu'est-ce qui aide le plus la personne qui a une déficience
physique à bien fonctionnera l'âge adulte?
Qu'est-ce qui vous a le plus aidé à trouver votre place dans le monde adulte?
Qu'est-ce qui vous a le plus nui?

QUELLE AIDE DOIT-ON APPORTER À L'ENFANT QUI A UNE DÉFICIENCE PHYSIQUE?

Selon votre expérience, sur quoi doit-on mettre davantage l'accent quand on veut
aider un enfant qui a une déficience physique (habiletés, attitudes, assistance
technique)?

SUGGESTIONS POUR AMELIORER NOS SERVICES

Quelles sont vos recommandations pour améliorer nos services destinés à la


clientèle infantile?
168 * LE MODÈLE LUDIQUE

TABLEAU 14

Entrevue avec les ergothérapeutes

LE JEU DANS LA PRATIQUE ERGOTHÉRAPIQUE

Utilisez-vous le jeu dans votre pratique quotidienne auprès d'enfants ayant une
déficience physique; si oui, pourquoi et comment?

Comment se situe le jeu par rapport aux autres techniques que vous utilisez avec
l'enfant?

DÉFINITION DU JEU

Quelle est votre définition du jeu?

Comment définissez-vous le jeu tel que vous l'utilisez en thérapie?

L'OBJECTIF DE L'INTERVENTION ERGOTHÉRAPIQUE

Dans votre travail avec l'enfant, quel est votre objectif à long terme?

LE JEU DANS LE TRAVAIL AVEC LES PARENTS

Quelle est la place réservée aux parents dans le traitement prodigué à leur enfant?
Participent-ils à la thérapie? Si oui, comment?

Pour chaque groupe de participants, les questions clés destinées à lancer


l'entrevue sont présentées aux tableaux 12,13 et 14; ces questions étaient
ouvertes afin de laisser le plus de latitude possible aux participants. Tout au
long du processus, les données recueillies dans les entrevues précédentes
influençaient la cueillette des données ultérieures, ce qui s'est traduit par
l'ajout de nouvelles questions ou de précisions apportées à certaines autres.
Les entrevues se sont poursuivies tant et aussi longtemps que de nou-
veaux éléments relatifs au jeu furent ajoutés. Après sept entrevues avec les
mères, cette saturation théorique (Strauss et Corbin, 1990) fut atteinte. Chez
les adultes, il a fallu six entrevues pour atteindre la saturation théorique,
alors qu'avec les ergothérapeutes treize entrevues ont été nécessaires.

Observation participante

L'observation participante a eu lieu principalement au centre de stimulation


précoce de TAPCQ où les enfants allaient passer des demi-journées.
L'observation participante s'est effectuée à cinq reprises, à raison de trois
heures chaque fois, parfois le matin, parfois l'après-midi, lors des activités
ANNEXE 1 * l6g

normales du centre. Il était alors possible d'observer les réactions de l'enfant


aux objets, aux gens, adultes et autres enfants, et également l'expression de ses
sentiments; cette observation permettait de valider l'information recueillie
durant les entrevues avec les mères. De plus, l'observation participante s'est
effectuée à quatre reprises, lors de séances de thérapie dans un des deux
services d'ergothérapie qui collaboraient avec nous.

Journal de bord

Nous avons tenu un journal de bord pendant toute la durée du projet pour
consigner les idées ou réflexions personnelles suscitées par le contact avec les
participants, également des observations, des hypothèses et des réactions
personnelles à des lectures sur le sujet. Tout en permettant de suivre la pro-
gression de la recherche, le journal de bord nous aidait aussi à structurer
notre analyse réflexive tout au long de la recherche. Ces notes ont été elles
aussi converties pour être analysées à l'aide de P« Ethnograph ».

ANALYSE DES DONNÉES

Dans ce type de recherche, l'analyse des données n'est pas une phase en soi,
séparée de celle de la cueillette des données, mais elle s'effectue de façon
concomitante (Tesch, 1990).
Dès la première entrevue, les données brutes ont été transcrites et conver-
ties dans un micro-ordinateur pour être analysées à l'aide de P«Ethnograph».
Ce logiciel facilite l'aspect mécanique de l'analyse de contenu; il permet de
numéroter chaque ligne du fichier. À partir de la lecture et de la relecture de
la version numérique de la transcription, des segments du texte sont repérés
grâce à un ou à plusieurs mots servant de codes. Cette codification doit être
révisée et modifiée au besoin au fur et à mesure que l'analyse se raffine. Pour
chaque portion de l'étude (parents, adultes, ergothérapeutes), plus de trois
versions de codes ont été successivement mises en place. À titre d'exemple, à
la deuxième entrevue avec une mère, celle-ci a parlé du jeu accessible qui est
devenu un nouveau code, étant donné que celui-si était absent à la première
entrevue. Également, après avoir examiné et comparé les codes utilisés, cer-
tains d'entre eux ont été modifiés. Cette révision des codes à l'intérieur des
17O * LE MODÈLE LUDIQUE

TABLEAU 15
Analyse de contenu

Donnees brutes Codes

(«Ethnograph»)

Categories emergentes

Themes

fichiers des différents participants est très importante et demande un retour


fréquent aux données brutes afin de s'assurer que la codification correspond
toujours au contexte d'origine.
Une fois la codification terminée, l'analyse comparative continue permet
d'identifier des catégories en émergence et de dégager des thèmes caractéris-
tiques du phénomène étudié. La figure 2 (Influence mutuelle entre la mère et
l'enfant, en regard du plaisir), présentée au chapitre 2, découle de l'analyse
approfondie et de la comparaison des fichiers individuels de chaque mère et
illustre diverses catégories qui ont émergé et mené au thème du plaisir mère-
enfant.
Au cours de l'analyse des données, les résultats ont été testés à partir de la
recension bibliographique et avec des personnes qui étaient en rapport étroit
avec les participants. En regard des parents, ces personnes étaient le directeur
du centre de stimulation précoce et une personne de PAPCQ, responsable des
services offerts aux parents pour la région de Québec. En regard des ergo-
thérapeutes, la directrice d'un des deux services d'ergothérapie a pu corro-
borer l'information recueillie. De plus, deux vérificateurs externes possédant
une expertise en recherche qualitative ont participé à l'analyse des données.
Dans toute recherche, on fait appel à diverses stratégies pour assurer toute
la rigueur nécessaire à la démarche. Nous avons utilisé les stratégies suivantes :
ANNEXE 1 * 171

l'échantillonnage nominatif des participants, l'échantillonnage temporel de


l'observation participante, l'analyse réflexive, la triangulation des méthodes de
cueillette de données, la triangulation des sources de données et la consulta-
tion de vérificateurs externes au cours de l'analyse des données (voir Krefting,
1991, pour plus de détails sur ces stratégies).
En conclusion, j'aimerais faire un commentaire quant à la recherche qua-
litative utilisée dans cette étude. En y regardant de plus près, il m'apparaît que
la démarche suivie s'apparente fort à la démarche thérapeutique privilégiée
en ergothérapie. Partant d'une approche holistique du sujet d'investigation,
les participants eux-mêmes ont fourni la clé pour dégager les éléments carac-
téristiques du phénomène étudié. Il s'agit d'une démarche centrée sur le
participant et qui permet d'obtenir non pas une compréhension objective et
comptabilisée du phénomène, mais bien une compréhension, dirions-nous,
de l'intérieur. Dans ce type de recherche, on met l'accent sur l'expérience et
le savoir des participants pour nous aider à mieux comprendre ce qui les
concerne. Il n'est pas étonnant que la recherche utilisant une approche qua-
litative soit de plus en plus employée en ergothérapie.

RÉRÉFRENCES

GLASER, B.C. (1978). Theoretical sensitivity — Advances in thé methodology of gran-


det theory. Mill Valey : The Sociology Press.
KREFTING, L. (1991). Rigor in qualitative research : The assesment of trustworthiness.
American Journal of Occupational Therapy, 45,214-222.
SEIDEL, J.V., KJOLSETH, R. et SEYMOUR, E. (1985). The Ethnograph. Littleton : Qualis
Research Associates.
STRAUSS, A.L. et CORBIN, J. (1990). Basics of qualitative research : Grounded theory
procédures and technics. Beverly Hills : Sage Publications Inc.
TESCH, R. (1990). Qualitative research — Analysis types and software tools. London :
The Falmer Press.
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ANNEXE 2
L'évaluation du comportement ludique (ÉCL)
Protocole d'évaluation et procédure d'administration

ÉVALUATION DU COMPORTEMENT LUDIQUE


(Ferland, version 2)

NOM DE L'ENFANT :

SEXE M F

ÂGE DE L'ENFANT ANNÉE MOIS JOUR

DATE(S) DE L'ÉVALUATION

DATE DE NAISSANCE

ÂGE DE L'ENFANT

CONDITION PHYSIQUE DE L'ENFANT :

MODE DE DÉPLACEMENT HABITUEL/AIDES TECHNIQUES ET MODULE DE POSITIONNEMENT


UTILISÉS :

INFORMATIONS COMPLÉMENTAIRES

déficience visuelle :

déficience auditive :

difficulté de communication :

médication :

• autres :

PERSONNE(S) PRÉSENTE(S) AU MOMENT DE L'ÉVALUATION

DURÉE TOTALE DE L'ÉVALUATION :

INTERFÉRENCES DURANT L'ÉVALUATION :

NOM DE L'ERGOTHÉRAPEUTE :
174 * LE MODÈLE LUDIQUE

INTÉRÊT GÉNÉRAL DE L'ENFANT

Intérêt: 0 : aucun intérêt manifesté 1 : intérêt moyen


2 : intérêt marqué n.o. : non observé

INTÉRÊT
(1-2) PRÉCISEZ

POUR LES AUTRES PERSONNES

• Adulte

- présence d'un adulte

- action de l'adulte

- interaction non verbale


de l'adulte (mimiques,
caresses)

- interaction verbale
de l'adulte

• Autres enfants

- présence d'autres enfants

- action des autres enfants

- interaction non verbale


avec l'enfant

- interaction verbale avec


l'enfant

POUR L'ENVIRONNEMENT
SENSORIEL

• Éléments visuels (lumière,


couleurs)

• Éléments tactiles
(textures, chaleur)

• Éléments vestibulaires
(bercement, balancement)

• Éléments auditifs (musique,


téléphone, autres bruits)

• Éléments olfactifs
(odeurs, arômes)
ANNEXE 2 » 175

INTÉRÊT ET CAPACITÉS LUDIQUES DE BASE

Intérêt : 0 : aucun intérêt manifesté 1 : intérêt moyen


2 : intérêt marqué n.o. : non observé

Capacités : 0 : L'enfant ne peut faire seul l'activité


1 : L'enfant fait l'activité seul, mais avec difficulté
2 : L'enfant fait l'activité seul et avec efficacité

COMMENTAIRES
INTÉRÊT CAPACITÉ (façon de faire, main utilisée,
ACTION (0-2) (0-2) difficulté)

RELATIVEMENT AUX OBJETS

• mouvement : presser/relâcher
• saisir un objet
• tenir un objet
• frapper avec un objet
• relâcher un objet
• tenir un objet dans chaque
main
RELATIVEMENT À L'ESPACE

• changer de position
- de couché à assis et vice-versa
- de assis à debout et vice-versa
• maintenir la position assise
• se déplacer
• explorer visuellement un
nouvel endroit
UTILISATION DES OBJETS

• saisir - un verre
- un cube
- une bille
• visser/dévisser
• lancer/ attraper- un ballon
-une balle
176 » LE MODÈLE LUDIQUE

COMMENTAIRES
INTÉRÊT CAPACITÉ (façon de faire, main utilisée,
ACTIONS (0-2) (0-2) difficulté, etc.)

UTILISATION DES OBJETS (suite)

• empiler
• vider/emplir
• découvrir les propriétés
des objets
• découvrir le fonctionnement
des objets (relation cause/effet)
• associer les objets selon leurs
propriétés sensorielles
• combiner des objets pour jouer
• imiter des gestes simples
• utiliser les objets d'une
manière conventionnelle
• utiliser les objets d'une
manière non conventionnelle
• imaginer une situation de jeu
• trouver des solutions à
des difficultés imprévues
• exprimer des sentiments
dans le jeu
• interagir avec les autres
dans le jeu : vous-même ou
un autre enfant
• utiliser -un crayon
- des ciseaux
-une cuiller
UTILISATION DE L'ESPACE

• se déplacer en poussant
un jouet monté sur roues
• se déplacer en transportant
un objet
• explorer physiquement
un nouvel endroit
• ouvrir/ fermer une porte
• utiliser l'ascenseur
ANNEXE 2 * 177

CARACTÉRISTIQUES DE L'ATTITUDE LUDIQUE

0 : absente 1 : occasionnelle 2 : tout à fait présente

ATTITUDE
CARACTÉRISTIQUES LUDIQUE (0-2) PRÉCISEZ

• curiosité

• initiative

• sens de l'humour

• plaisir

• goût du défi

• spontanéité

EXPRESSION DES BESOINS ET DES SENTIMENTS

1 : expression du visage 2 : gestes 3:cris/son

4 : mots/phrases n.o. : aucune expression

EXPRESSION
(1-4) PRÉCISEZ

BESOINS

• physiologiques

• d'attention

• de sécurité

SENTIMENTS

• plaisir

• déplaisir

• tristesse

• colère

• peur
178 * LE MODÈLE LUDIQUE

SYNTHÈSE
INTERETS LUDIQUES

CAPACITES LUDIQUES

DIFFICULTES LUDIQUES

INTÉRÊTS/CAPACITÉS?

INTÉRÊTS/DIFFICULTÉS?

SYNTHESE DES RESULTATS

INTÉRÊT INTÉRÊT CAPACITÉ ATTITUDE


GÉNÉRAL LUDIQUE LUDIQUE LUDIQUE EXPRESSION

ENVIRONNEMENT
HUMAIN

• adulte /•
• enfant /«

ENVIRONNEMENT
SENSORIEL /10

ACTION

• objets /2 /«

• espace /10 /10

UTILISATION

• des objets /44 /44

• de l'espace /10 /10

ATTITUDE LUDIQUE /12

EXPRESSION

• besoins /«

• sentiments /20

TOTAL /26 /66 /76 /« /32

OBJECTIFS A ATTEINDRE

Expression de ses besoins et de ses sentiments ;


Attitude ludique :
Intérêts :
Environnement humain :
Environnement sensoriel :
Action relativement aux objets :
Utilisation des objets
Action relativement à l'espace :
Utilisation de l'espace :
ANNEXE 2 * 179

OBJET DE L'ÉVALUATION DU COMPORTEMENT LUDIQUE

L'évaluation porte sur deux éléments fondamentaux du modèle ludique : le


plaisir d'agir de l'enfant et sa capacité d'agir. Dans l'Évaluation du compor-
tement ludique (ÉCL), on veut connaître et comprendre l'enfant à travers
son comportement au jeu. On désire savoir à quoi il s'intéresse en général et
dans le jeu en particulier ; on veut évaluer également ses capacités ainsi que
son attitude ludiques. De plus, on cherche à définir sa façon d'exprimer ses
besoins et sentiments.
L'objet n'est donc pas de cerner les difficultés liées à la déficience physique
de l'enfant; au contraire, on veut dresser le bilan de ses capacités, de ses inté-
rêts et de ses caractéristiques personnelles. On aborde l'enfant dans sa glo-
balité et dans une perspective positive.
En ce qui concerne les capacités, il est utile de préciser que l'évaluation tente
de déterminer les capacités de base de l'enfant, autrement dit les capacités
nécessaires pour commencer à agir sur son environnement et pour utiliser
les objets. Ainsi chaque capacité est définie par le geste de base. Par exemple,
la première capacité en rapport avec l'utilisation des ciseaux est de pouvoir
faire un trait dans le papier. Par la suite, l'enfant découpera une bande de
papier, puis des formes géométriques. Comme cette évaluation s'adresse à
des enfants présentant de graves limitations, on cherche à savoir si l'enfant
possède ou non ces habiletés fondamentales. L'âge n'est pas retenu comme
critère d'évaluation et les mêmes éléments sont évalués chez tous les enfants
d'âge préscolaire.
L'analyse des éléments évalués nous permet de mieux comprendre l'enfant
en activité et de déterminer les objectifs de notre intervention. Si l'on désire
en savoir davantage sur une difficulté décelée lors de l'évaluation, on aura
recours à un autre test.

MÉTHODE

Cette évaluation se fait par l'observation du jeu libre de l'enfant ainsi que par
des mises en situation, si nécessaire. Les divers éléments recherchés, définis
plus loin, doivent être bien compris de l'évaluateur; celui-ci s'appuie sur
une observation poussée du comportement de l'enfant pour les évaluer.
L'évaluateur tente de créer un véritable environnement ludique grâce à la
latitude laissée à l'enfant, à la variété du matériel offert et à sa propre attitude.
l8û * LE MOPÈLE LUDIQUE

II doit pouvoir être spontané, exprimer du plaisir en réaction à l'action de


l'enfant et établir avec ce dernier une relation chaleureuse et « ludique ». On
prépare à l'avance du matériel de jeu (personnages, camions, blocs, craies,
papier, ciseaux, poupées, peigne, verre, billes de couleurs, etc.) et, à l'arri-
vée de l'enfant, on l'invite à choisir le matériel qu'il préfère. Si l'enfant désire
jouer avec du matériel qui n'a pas été préparé ou si un autre matériel nous
paraît souhaitable au cours de l'évaluation, on va le chercher avec l'enfant.
Il faut, d'une part, donner le temps à l'enfant d'organiser sa pensée et
son action pour qu'il fasse son choix et, d'autre part, suivre son rythme tout
au long de l'évaluation. Si l'enfant ne communique pas verbalement, on
tente de découvrir ce qu'il veut en observant son regard.
Les divers éléments sont cotés au fur et à mesure que l'observation du jeu
libre de l'enfant le permet. Ainsi, au cours d'une activité, il pourra être possible
d'observer à la fois sa façon de communiquer ses sentiments et un élément de
son attitude ludique, de son intérêt et de sa capacité à manipuler un objet
donné. Vers la fin de la séance, si des éléments n'ont pu être observés, on
amorce une activité comportant ces derniers et on invite l'enfant à y prendre
part. Certains éléments reposent sur l'ensemble de l'observation : intérêt en
général, communication des besoins et sentiments, attitude ludique.
Il peut arriver qu'un enfant témoigne d'une capacité plus grande que
celle qui est attendue de lui (p. ex. : utilisation du crayon, des ciseaux). Alors,
l'enfant reçoit la cote maximale et on précise son niveau de capacité dans la
colonne réservée aux commentaires.
Il est important de souligner qu'à l'inverse du cas précédent si l'enfant
n'a pas la capacité d'exécuter telle action ou activité, il y a lieu tout de même de
préciser ce qui l'intéresse. Ainsi, même si l'enfant ne peut physiquement uti-
liser le matériel de jeu pour faire semblant, on cherche à évaluer son intérêt
pour ce genre d'activité. // nous appartient alors déposer les gestes appropriés
et d'observer attentivement la réaction de l'enfant à notre action.
En ce qui concerne les intérêts de l'enfant, la cotation (o : indifférent; i :
intérêt moyen ; 2 : intérêt marqué) a pour objet de faire ressortir ce qui carac-
térise l'enfant. Dans ce sens, les cotes o et 2 sont les plus informatives, alors que
la cote i est attribuée aux éléments suscitant chez l'enfant un intérêt moyen. La
cote o est attribuée aux éléments ne suscitant aucun intérêt chez l'enfant et la
cote 2 aux éléments qui suscitent un intérêt manifeste chez l'enfant.
ANNEXE 2 * l8l

Enfin, le barème de réussite d'une activité mérite des explications. Ici, on


ne retient pas seulement la façon habituelle de faire l'activité pour évaluer la
capacité de l'enfant : même si l'enfant utilise une aide technique ou une façon
de faire inhabituelle, il peut recevoir la cote maximale s'il accomplit l'activité
avec efficacité. Les définitions présentées plus loin précisent ce qui est attendu
pour chaque capacité évaluée ; ces définitions aident à sélectionner soit la note
o (l'enfant ne peut faire l'activité), soit les notes i ou 2. Lorsque l'enfant réalise
l'activité, il appartient à l'évaluateur de déterminer si l'enfant doit recevoir la
note i ou 2. Certaines des capacités renvoient à une capacité davantage cogni-
tive que motrice (p. ex : imaginer une situation de jeu, utiliser le matériel de jeu
de façon non conventionnelle). L'enfant peut recevoir la note 2 même si son
geste est maladroit, dans la mesure où il est clair pour l'évaluateur que l'enfant
s'acquitte de la tâche. S'il n'y répond qu'en partie ou s'il a besoin d'une sug-
gestion de l'évaluateur pour ce faire, il reçoit la note i.
On tente d'éliminer les données manquantes. Avant de terminer la séance
d'évaluation, on vérifie que rien n'a été oublié et on s'assure que les différents
éléments ont été notés.

INFORMATIONS GÉNÉRALES

Condition physique de l'enfant


Diagnostic, type d'atteinte (hémiplégique, diplégique, spastique, athétosique)

Mode de déplacement habituel de l'enfant, aides techniques ou


modules de positionnement utilisés
Orthèse de marche, fauteuil roulant, marchette, aides techniques (précisez)

Informations complémentaires
Tirées du dossier de l'enfant
Pour chaque information complémentaire, fournissez les précisions utiles (utili-
sation d'un appareil correcteur, type de déficience, de médicament)

Autres informations
Renseignements d'ordre médical ou autre : chirurgie récente ou à venir, origine eth-
nique (cette information pourrait nous aider à comprendre certaines particulari-
tés de l'enfant)
l82 * LE MODÈLE LUDIQUE

Personne(s) présente(s) à l'évaluation


Inscrivez le nom de toutes les personnes autres que l'enfant et vous-même.
Durée totale de l'évaluation
L'évaluation s'étend sur une heure environ. La durée peut varier selon l'âge,
la condition physique ou d'autres caractéristiques de l'enfant (humeur,
niveau d'activité, rythme de l'enfant).
Interférences durant l'évaluation
Indiquez quelles ont été les interférences : arrivée de quelqu'un dans la salle,
téléphone, etc.

INTÉRÊT MANIFESTÉ PAR L'ENFANT

Intérêt
o : aucun intérêt
(l'enfant ne manifeste aucun intérêt; il peut être indifférent ou
même refuser l'activité)
i* : intérêt moyen
2* : intérêt marqué (l'enfant témoigne d'un intérêt manifeste)
n.o. : élément non observé

* La différence entre la note i et 2 réside dans l'intensité de l'intérêt. Par


exemple, tout enfant peut éprouver de l'intérêt envers l'action de l'adulte : il
suit des yeux ses déplacements et observe ce qu'il fait; alors, il reçoit la note
i. Chez un autre enfant, on observe un intérêt plus marqué, il est beaucoup
plus curieux et son intérêt pour les déplacements ou les actions de l'adulte est
plus net. Son intérêt n'est donc pas celui qui est attendu de tout enfant, mais
il est plus prononcé : il reçoit alors la note 2. Les éléments notés 2 représen-
tent en quelque sorte les caractéristiques personnelles de l'enfant

On cherche à mesurer ici l'intérêt manifesté par l'enfant pour l'environ-


nement humain et sensoriel. Cette section s'appuie sur l'observation de
l'enfant tout au long de l'évaluation. On peut susciter certaines réactions, par
exemple en attirant l'attention de l'enfant sur une personne présente (adulte,
enfant) ou sur un élément de l'environnement sensoriel (lumière, musique
d'ambiance).
ANNEXE 2 * 183

POUR LES AUTRES PERSONNES PRESENTES

On veut déterminer le degré d'intérêt que l'enfant manifeste pour les


personnes (adulte, enfants).

- Adulte
On observe les réactions de l'enfant face aux adultes présents : vous-même,
autres thérapeutes, préposés.
Ne pas oublier de se demander non seulement s'il manifeste de l'intérêt,
mais également si cet intérêt est marqué.

- Présence d'un adulte


Réagit-il quand un ou plusieurs adultes sont présents autour de lui : regarde-
t-il la personne, l'observe-t-il?

- Action de l'adulte
S'intéresse-t-il à ce que les adultes font près de lui : suit-il des yeux leurs
déplacements, leurs actions ?

- Interaction non verbale de l'adulte (mimiques, caresses)


S'intéresse-t-il aux contacts visuels ou physiques que l'adulte établit avec
lui, aux mimiques de l'adulte, aux consignes gestuelles de ce dernier ?

- Interaction verbale de l'adulte


Est-il réceptif quand on lui parle, s'intéresse-t-il à ce qu'on lui dit, aux
consignes verbales que lui donne l'adulte ?

- Autres enfants
Si cela est possible, on observe les réactions de l'enfant aux autres enfants
présents dans la salle d'attente ou en salle de thérapie.

- Présence d'autres enfants


Réagit-il quand un ou plusieurs enfants sont présents près de lui? En est-il
conscient? Tente-t-il d'entrer en contact avec eux?

- Action des autres enfants


S'intéresse-t-il à ce que font les enfants autour de lui : les suit-il des yeux, les
observe-t-il? Semble-t-il désireux de se mêler à leurs activités?
184 * LE MODÈLE LUDIQUE

• Interaction non verbale avec l'enfant


S'intéresse-t-il aux contacts visuels ou physiques que les autres enfants éta-
blissent avec lui lorsqu'un autre enfant le regarde ou s'approche de lui ? Est-
il désireux d'établir lui-même des contacts visuels ou physiques avec les
autres enfants ?

• Interaction verbale avec l'enfant


S'intéresse-t-il à l'autre enfant si celui-ci lui parle? Est-il intéressé à parler aux
autres enfants ?

POUR L'ENVIRONNEMENT SENSORIEL


On veut déterminer le degré d'intérêt que l'enfant manifeste pour l'envi-
ronnement sensoriel (matériel, équipement, aménagement).
• Éléments visuels (lumière, couleurs)
Est-il curieux visuellement (exploration visuelle des lieux, des objets, des
personnes, manifeste-t-il un intérêt pour la lumière, les couleurs vives) ?
• Éléments tactiles (textures, chaleur)
Aime-t-il être touché, caressé, à toucher différentes textures, sentir des vibra-
tions ? On vérifie sa réaction quand on le touche : cela permettra aussi de
noter en partie sa réaction à l'interaction non verbale de l'adulte. On véri-
fie aussi sa réaction quand on l'invite à toucher lui-même le matériel et
quand on le touche avec le matériel.
• Éléments vestibulaires (bercement, balancement)
Est-il attiré par l'équipement tel que trampoline, filet, glissoire? Aime-t-il être
remué, balancé, bercé, se balancer, se bercer, glisser) ?
• Éléments auditifs (téléphone, musique, autres bruits)
Est-il curieux sur le plan auditif? Réagit-il aux conversations ou aux bruits
ambiants (téléphone, musique, autres bruits) ? Cherche-t-il à trouver l'ori-
gine du bruit ?
• Éléments olfactifs (odeurs, arômes)
Réagit-il aux odeurs : savon au moment du lavage des mains, fleur odorante,
parfum?
ANNEXE 2 * 185

INTERET POUR LE JEU ETCAPACITES LUDIQUES DE BASE

Dans cette section, on evalue a la fois le degre" d'inte're't de 1'enfant et sa capa-


cite" d'agir; si 1'enfant ne peut £tre physiquement actif, rappelons que Ton
doit faire soi-meme Faction en notant Finte"ret de 1'enfant. Get inte'ret peut
nous indiquer s'il comprend le principe de Factivite (aspect cognitif), me'me
s'il ne peut la re"aliser seul (aspect moteur). Cette observation fournit done
une information additionnelle pre"cieuse. De plus, n'oublions pas que Finte-
re"t de 1'enfant represente un Element majeur a mesurer puisqu'il peut avoir
des effets determinants sur Involution de 1'enfant.
Les dements recherche's concernent les actions de base et les utilisations
tant des objets que de Fespace, bref tout ce qui est necessaire a Fenfant pour
jouer; certaines de ces taches font principalement appel aux capacites
motrices de Fenfant, d'autres a ses capacite"s cognitives ou sociales.

Interet (voir la cotation de la section pre"ce"dente)


o: aucun interdt manifeste
i: inte'ret moyen
2: inter£t marqu^
n.o.: element non observe
Capacite
o : L'enfant ne peut faire seul 1'activite": il a besoin de notre aide.
i: L'enfant fait seul Factivite", mais avec maladresse.
(Par exetnple, pour une tache motrice, 1'enfant est maladroit et fyrouve
des difficult^ evidentes a accomplir 1'activite. Pour une tache cognitive,
I'enfant execute partielkment la tache ou a besoin de nos suggestions
pour la realiser.)
2: L'enfant accomplit Factivite" seul et avec efficacite'.
(II reussit seul 1'activite.)

ACTIONS RELATIVEMENT AUX OBJETS

Pour chacune de ces actions, on note la capacite de Fenfant, mais Finteret


manifeste par Fenfant est evalu£ pour Fensemble de ces actions sur les objets.
l86 * LE MODÈLE LUDIQUE

II est en effet difficile de coter l'intérêt de l'enfant pour chacun de ces gestes;
on évalue l'intérêt qu'il manifeste en général envers les objets.
Cette section regroupe des gestes préalables à l'utilisation des objets.
• Mouvement de presser/relâcher
La manette d'un jouet, un interrupteur, etc.
• Saisir un objet
Prendre en main un objet.
• Tenir un objet
Pendant quelques secondes.
• Frapper avec un objet
Tenant un objet en main, frapper sur un tambour ou sur la table.
• Relâcher un objet
Peut-il relâcher volontairement un objet ou est-ce l'ouverture réflexe de la
main qui lui fait relâcher l'objet ?
• Tenir un objet dans chaque main
Pendant quelques secondes.

ACTIONS RELATIVEMENT À L'ESPACE

Dans cette section, on cherche à déterminer si l'enfant s'intéresse à certaines


actions, préalables à une utilisation plus complète de l'espace et s'il est en état
de les effectuer. A-t-il envie (et jusqu'à quel point) de changer de position, de
maintenir la position assise, de se déplacer, et peut-il le faire ? On ne veut pas
savoir s'il peut effectuer ces actions de façon indépendante, sans aide tech-
nique, mais bien quel est son degré de capacité à réaliser ces actions dans les
conditions habituelles, donc avec les aides techniques qu'il utilise habituelle-
ment. S'il utilise une aide technique ou un positionnement (p. ex. : pour main-
tenir la position assise), on indique qu'elle est l'aide utilisée tout en notant
son degré d'habileté.
• Changer de position
• passer de couché à assis, et vice-versa
• passer de assis à debout, et vice-versa
ANNEXE 2 * 187

• Maintenir la position assise

• Se déplacer
Dans le principal mode de déplacement qu'utilisé l'enfant (à quatre pattes,
en fauteuil roulant, en marchette), quel est son degré de capacité et son inté-
rêt pour les déplacements ?

• Explorer visuellement un nouvel endroit


Dès son arrivée en salle, on suit le regard de l'enfant pour évaluer son inté-
rêt et sa capacité à explorer visuellement les lieux.

UTILISATION DES OBJETS

Pour chacun des éléments suivants, l'enfant manifeste-t-il de l'intérêt (o, i ou


2) et peut-il réaliser l'activité (o, i ou 2) ?

• Saisir
• un verre
• un cube
• une bille

Avec ces divers objets, on évalue ici trois modes de préhension de base : la
préhension cylindrique, la prise pulpaire et la pince pouce-index.

• Visser/dévisser
Ouvrir/fermer un objet par un mouvement de visser/dévisser (barils gra-
dués, pot).

• Lancer/attraper
-un ballon
-une balle
On recherche ici l'habileté de base de lancer /attraper.

• Empiler
Mettre des objets les uns sur les autres (p. ex. : cubes, au moins 3). Comprend-
il le principe de l'empilement? C'est l'aspect cognitif plus que l'aspect moteur
qui est recherché.
188 * LE MODÈLE LUDIQUE

• Vider/emplir
Vider et emplir d'eau, de sable ou de petits objets un seau, un verre ou tout
autre contenant. Ne pas confondre vider et verser : verser est une activité
plus compliquée que vider. On veut savoir ici si l'enfant est intéressé et s'il
peut emplir un contenant et le vider.
• Chercher à découvrir les propriétés des objets (exploration active)
Découvrir les propriétés de résistance, de malléabilité de l'objet : toucher
ses différentes parties, chercher à l'explorer activement au delà de l'explo-
ration visuelle.
• Chercher à découvrir le fonctionnement des objets (relation cause/effet)
Chercher à comprendre le fonctionnement : si l'objet a des roues, tente-t-il
de le faire rouler ; s'il a des manettes, les actionne-t-il pour voir ce qui arri-
vera? Autrement dit, cherche-t-il la relation de cause à effet de son action?
• Associer les objets selon leurs caractéristiques sensorielles
(forme, couleur)
Associer des objets selon leur couleur, leur taille (billes, cubes, anneaux
gradués).
• Combiner des objets pour jouer
Utiliser divers objets dans un même jeu (p. ex. : personnages/camions, vête-
ment/poupée/peigne) .
• Imiter des gestes simples
Imiter soit des gestes que vous faites devant lui (imitation immédiate), soit
des gestes observés dans son quotidien (imitation différée), par exemple télé-
phoner, faire la cuisine, peigner la poupée.
• Utiliser les objets d'une manière conventionnelle
Utiliser les objets pour leur fonction première (p. ex. : mélanger avec une
cuiller, faire rouler une auto).
• Utiliser les objets d'une manière non conventionnelle

Trouver des façons inhabituelles d'utiliser un objet. Par exemple, on l'invite


à chercher ce qu'il peut faire avec un bâton : peut-il le transformer en micro,
en baguette magique, en outil pour brasser un mélange? On recherche ici des
éléments de sa créativité.
ANNEXE 2 * 189

• Imaginer une situation de jeu


Peut-il imaginer un scénario de jeu, avec plusieurs séquences, incorporant divers
éléments et actions ? Par exemple, peut-il penser à charger un camion de maté-
riaux, à y placer des personnages, à lui faire faire un parcours, à le décharger?
• Trouver des solutions en cas de difficultés
Trouver d'autres façons de faire pour résoudre une difficulté (p. ex. : modi-
fier sa façon de saisir l'objet, sa position pour le faire).
• Exprimer ses sentiments dans le jeu
Exprimer ses sentiments dans son activité de jeu, par le truchement de per-
sonnages (p. ex. : la vache est triste, en colère, heureuse ou elle a peur).
• Interagir avec les autres dans le jeu
Apprécie-t-il votre participation ou celle d'un autre enfant dans le jeu, sait-
il demander, partager, tenir compte de l'opinion de l'autre ?
• Utilisation
Utiliser les outils suivants
- un crayon* : gribouiller
- des ciseaux* : faire seul un trait de ciseaux dans le papier
- une cuiller : porter la cuiller à sa bouche ou à celle d'un personnage
- Si l'enfant peut réaliser plus que l'activité de base qui lui est demandée,
on vérifie jusqu'où il peut aller et on le note dans la colonne réservée aux
commentaires (p. ex. : copie un cercle, découpe sur une ligne droite).

UTILISATION DE L'ESPACE

Pour chacun des éléments suivants, l'enfant manifeste-t-il de l'intérêt (o, i ou


2) et peut-il accomplir l'activité (o, i ou 2) ?
• Se déplacer en poussant un jouet sur roues
P. ex. : poussette, boule sur roues à long manche.
• Se déplacer en transportant un objet
Dans ses déplacements, peut-il transporter un objet ou au contraire toute
son énergie est-elle monopolisée par le déplacement lui-même? L'enfant en
fauteuil roulant pourra utiliser sa tablette ou poser l'objet sur lui; on éva-
luera, comme pour tout autre enfant, son intérêt et sa capacité à transpor-
ter l'objet. On indiquera cependant comment il s'y prend.
19O * LE MODELE LUDIQUE

• Explorer physiquement un nouvel endroit


L'exploration physique va au-dela de 1'exploration visuelle et implique un
deplacement. Une invitation a 1'enfant dans ce sens permettra d'observer
cet element.
• Ouvrir/ fermer une porte

• Utiliser I'ascenseur
Appuyer sur le bouton d'appel, entrer dans I'ascenseur, presser le bouton
de 1'etage de"sir£ et sortir de I'ascenseur.

CARACTERISTIQUES DE L*ATTITUDE LUDIQUE

0 : absente 1: occasionnelle 2 : tout a fait pre"sente

En dernier lieu, indiquez la presence de chacune des caracte'ristiques suivantes.


Les notes les plus informatives sont eVidemment les deux extremes : o et 2.
Tout au long de 1'evaluation, il est important de distinguer clairement la note i
de la note 2. Pour obtenir un 2,1'enfant doit avoir clairement pre"sente cette
caracte"ristique tout au long de revaluation. Si 1'enfant presente une carac-
teristique seulement une fois, il recevra alors la note i. De la sorte, les notes 2
correspondront aux caracte'ristiques personnelles de 1'enfant.
• Curiosite
En general, 1'enfant a-t-il manifest^ de la curiosite ou e"tait-il plutdt indiffe'-
rent a 1'egard de la salle, de vous-me'me, des objets ?
• Initiative
En ge'ne'ral, 1'enfant a-t-il pris des initiatives ou au contraire e"tait-il a la
remorque de ce que vous faisiez?
• Sens de Phumour
En ge'ne'ral, 1'enfant a-t-il manifest^ de I'humour, temoignant qu'il compre-
nait et appreciait les situations cocasses, qu'il aimait rire ?
• Plaisir
En general, 1'enfant a-t-il manifest^ du plaisir ou, au contraire, a-t-il plutot
semble' subir la situation ?
ANNEXE 2 * igi

• Goutdudefi
En ge'ne'ral, 1'enfant a-t-il manifest^ un certain gout du risque, le gout de
tenter de nouvelles experiences et de relever des de"fis?

• Spontaneite
En ge'ne'ral, 1'enfant s'est-il montr£ spontane dans ses actions et reactions
ou, au contraire, plutdt reserve" ?

COMMUNICATION DES BESOINS ET DES SENTIMENTS

Tout au long de la session d'evaluation, 1'enfant a-t-il exprime' ses besoins et


sentiments ? Si oui, comment ?

1: Expression du visage
L'enfant s'exprime seulement par son expression faciale: regards,
grimaces, sourire.
2: Geste
A 1'expression faciale, 1'enfant joint des gestes pour s'exprimer:
il repousse les objets, tend les bras vers Fadulte ou les objets,
pointe le doigt.
3 : Cris/sons
En plus de 1'expression du visage et des gestes, 1'enfant s'exprime
aussi par des sons, des cris, des pleurs, des rires.
4: Mots/phrases
L'enfant exprime ses sentiments et ses besoins par des mots,
des phrases.
n.o.: Aucune expression
Au cours de 1'evaluation, ce besoin ou ce sentiment n'a pu £tre
observ^ chez 1'enfant.
N.B.: Cette notation est cumulative; ainsi 1'enfant qui s'exprime par
des grimaces (expression du visage), des mouvements des bras (gestes)
et des cris (cris/sons) recevra la cote 3; 1'enfant qui a ces manifestations
ajoute 1'expression verbale re9oit la note 4, de m£me que celui qui ne
s'exprime que verbalement.
192 * LE MODÈLE LUDIQUE

BESOINS

• Physiologiques
Quand il a faim, soif, sommeil, envie d'uriner.

• D'attention
Quand il veut qu'on le regarde, qu'on s'occupe de lui.

• De sécurité
Quand il est craintif, anxieux.

SENTIMENTS

• Plaisir
Quand il a du plaisir, qu'il aime ce qu'il fait.

• Déplaisir
Quand il n'aime pas, n'apprécie pas.

• Tristesse
Quand il a du chagrin, qu'il s'ennuie.

• Colère
Quand il est irrité, fâché...

• Peur
Face à des bruits étranges, des personnes ou des situations inconnues.

SYNTHÈSE

Cette section tente de faire la synthèse de l'ensemble de l'évaluation du com-


portement ludique de l'enfant en déterminant ses principaux intérêts, ses
capacités et difficultés ludiques.
De plus, on cherche à déterminer si les intérêts de l'enfant sont en rapport
avec ses capacités. Si c'est le cas, il s'agit d'un enfant qui aime ce qu'il réussit
ou, inversement, qui réussit ce qu'il aime. L'élargissement de ses champs d'inté-
rêt sera essentiel pour l'amener à développer de nouvelles capacités.
ANNEXE 2 * 193

Si certains intérêts coïncident avec ses difficultés, c'est que l'enfant ne


recule pas devant l'effort; on veillera à l'amener, par le jeu, à trouver des
solutions à ses difficultés et à soutenir son intérêt pour augmenter ses capa-
cités ludiques.

NOTES

Le calcul des notes pour chaque dimension cernée donne une indication
rapide des résultats obtenus et permet de mesurer l'évolution de l'enfant
lors d'une nouvelle évaluation.

OBJECTIFS

La section suivante permet, à partir des résultats recueillis, d'établir les objec-
tifs généraux de la thérapie et de repérer les éléments sur lesquels il faudra
concentrer ses efforts en reprenant les différentes sections de l'évaluation.
L'ordre de ces paramètres difiere de celui de l'évaluation : nous partons ici des
éléments les plus pertinents chez l'enfant (besoins et sentiments exprimés,
attitude ludique et intérêts personnels) pour examiner par la suite de quelle
façon l'enfant réagit aux éléments extérieurs à lui-même (environnement,
objets et espace). À partir des objectifs généraux qu'il a établis, le thérapeute
pourra préciser sur quels objectifs spécifiques il veut travailler (voir, au cha-
pitre 5, comment on détermine les objectifs thérapeutiques).
This page intentionally left blank
ANNEXE 3
L'entrevue initiale avec les parents (EIP) portant
sur le comportement ludique de leur enfant
Protocole d'évaluation et procédure d'administration

ENTREVUE INITIALE AVEC LES PARENTS (EIP)


PORTANT SUR LE COMPORTEMENT LUDIQUE DE LEUR ENFANT
(Ferland, version 2)

NOM DE L'ENFANT :
SEXE M Q F Q

FRÈRES Nombre : Âge:

SŒURS Nombre : Âge:

FRÉQUENTATION D'UNE GARDERIE Oui Q Non G


(précisez)

ORIGINE ETHNIQUE :

ACE DE L'ENFANT ANNÉE MOIS JOUR

DATE(S) DE L'ÉVALUATION

DATE DE NAISSANCE

ÂGE DE L'ENFANT

RÉPONDANT Mère Q Père Q Autre a


précisez :

ÉVALUATEUR :

DURÉE DE L'ENTREVUE :
ig6 * LE MODÈLE LUDIQUE

1. À QUOI VOTRE ENFANT EST-IL PARTICULIÈREMENT ATTENTIF?

Cochez PRÉCISEZ

ÉLÉMENTS VISUELS

• livres d'images

• couleurs vives

ÉLÉMENTS AUDITIFS

• histoires

• chansons

• musique

• timbre de voix

ÉLÉMENTS TACTILES

• contacts physiques

ÉLÉMENTS SOCIAUX

• présence d'autres enfants

• présence d'un adulte connu

AUTRES

• personnages

• situations comiques

• présence d'un animal

• activités particulières (vider une armoire,


ouvrir les portes)

• autres (émissions de télévision, lumière)


ANNEXE 3 » 197

2. A) COMMENT VOTRE ENFANT S'EXPRIME-T-IL?

0 : aucune expression 1 : expression du visage 2 : gestes


3: sons/cris 4 : mots/phrases n.s.p. : ne sait pas

NOTE COMMENTAIRES

BESOINS

• physiologiques

• d'attention

• de sécurité

INTÉRÊTS

SENTIMENTS

• plaisir

• déplaisir

• tristesse

• colère

• peur

B) EN GÉNÉRAL, COMMENT VOUS FAITES-VOUS COMPRENDRE


DE VOTRE ENFANT?

• expression du visage

• démonstrations, gestes

• mots

• explications verbales

• codes de communication particuliers :


(précisez)
ig8 * LE MODÈLE LUDIQUE

3. LES ÉLÉMENTS SUIVANTS SUSCITENT-ILS L'INTÉRÊT


DE VOTRE ENFANT?

0 : aucun intérêt 1 : intérêt moyen


2 : intérêt marqué n.s.p. : ne sait pas

NOTE COMMENTAIRES

LA NOURRITURE

• Manger

• Manger des aliments

- salés
- sucrés

- en purée

- en morceaux

- froids

- chauds

• Coûter à un nouvel aliment

LES TEXTURES

• Douces

• Rugueuses

LES ÉLÉMENTS TELS QUE

• La neige

• Le sable

• L'eau

• L'herbe

LES ODEURS

ÊTRE TOUCHÉ

ÊTRE REMUÉ OU SE MOUVOIR


DANS L'ESPACE

LES BRUITS
ANNEXE 3 * 199

4. MATÉRIEL DE JEU

1 : oui 2 non 3 n.d. (non disponible)

PRÉCISEZ
VOTRE ENFANT JOUE-T-IL (la nature du matériel et s'il est utilisé
AVEC LE MATÉRIEL SUIVANT? NOTE à l'extérieur de la maison)

• de textures différentes
• l'incitant à écouter

• l'incitant à regarder
• l'incitant à imiter des
situations courantes
• l'incitante imaginer
• l'incitant à se déplacer
• l'incitant à interagir
avec les autres

5. CARACTÉRISTIQUES DE SON JEU

1 :oui 2 : non n.s.p. : ne sait pas

VOTRE ENFANT AIME-T-IL


LES ACTIVITÉS SUIVANTES? NOTE PRÉCISEZ

• répéter le même jeu


pour mieux le maîtriser
• avoir du nouveau
matériel de jeu
• se retrouver dans de
nouveaux lieux
• aller à l'extérieur
VOTRE ENFANT PEUT-IL?...

• utiliser le matériel de jeu


de façon conventionnelle
• imaginer de nouvelles
façons d'utiliser le
matériel de jeu
• se déplacer par ses
propres moyens
2OO * LE MODÈLE LUDIQUE

6. SYNTHÈSE DES INTÉRÊTS DE L'ENFANT

QUELLE EST SON ACTIVITÉ PRÉFÉRÉE?

QUELLE EST L'ACTIVITÉ QU'IL AIME LE MOINS?

QUELLES SONT SES POSITIONS PRÉFÉRÉES POUR JOUER?

7. PARTENAIRES DE JEU HABITUELS ET PRÉFÉRÉS

Cochez ACTIVITÉS

PARTENAIRES HABITUELS

• Mère

• Père

• Frères/sœurs

• Autres

PARTENAIRES PRÉFÉRÉS

• Mère

• Père

• Frères/sœurs

• Autres
ANNEXE 3 * 2O1

8. ATTITUDE DE JEU

0 : pas du tout 1 : occasionnellement 2: tout a fait

DIRIEZ-VOUS QUE VOTRE EST-CE ENCOURAGÉ DANS VOTRE FAMILLE?


ENFANT NOTE NOTE

• Est curieux
• Prend des initiatives
• A le sens de l'humour
• A du plaisir
• A le goût du défi
• Est spontané

HORAIRE TYPE

MATIN APRÈS-MIDI SOIR

LUNDI

MARDI

MERCREDI

JEUDI

VENDREDI

SAMEDI

Avez-vous des précisions ou des commentaires à ajouter concernant les activités de


jeu de votre enfant, ses intérêts, sa façon de réagir?
2O2 » LE MODÈLE LUDIQUE

PROCÉDURE D'ADMINISTRATION

Objet de l'entrevue avec les parents

L'entrevue initiale avec les parents a pour but de connaître le comportement


ludique de leur enfant à la maison ; on recherche ce qui intéresse l'enfant, sa
façon de communiquer, ce qu'il aime, ce qu'il n'aime pas, le matériel de jeu
connu et utilisé, certaines caractéristiques de son jeu, ses partenaires de jeu
et son attitude ludique. Grâce à ces renseignements, recueillis préalablement
à l'évaluation de l'enfant, l'ergothérapeute aura une connaissance person-
nalisée de l'enfant avant de le rencontrer, ce qui favorisera une approche
individualisée. De plus, il pourra ainsi mieux comprendre certaines réac-
tions de l'enfant à l'évaluation et saura si le comportement observé est le
même que celui qu'on constate à la maison. Enfin, les réponse à certaines
questions apportent des informations complémentaires qu'il nous serait dif-
ficile d'obtenir à l'évaluation; par exemple, les réactions à la nourriture et aux
éléments, les codes de communication particuliers.

Présentation de l'entrevue

II conviendrait que les deux parents soient présents à l'entrevue. Cependant,


l'entrevue peut être menée avec un seul des deux parents, ou même avec
une autre personne connaissant très bien l'enfant au quotidien. En donnant
rendez-vous à ces personnes, on doit expliquer clairement l'objet de la ren-
contre. Il importe de préciser les points suivants :
1) On désire savoir ce qui intéresse l'enfant, comment il réagit chez lui,
comment il joue, avec qui, ce qu'il aime, ce qu'il n'aime pas.
2) Ces informations nous permettront de mieux connaître et comprendre
l'enfant et d'individualiser notre approche.
3) C'est donc à leur expertise parentale qu'on fait appel.
L'entrevue repose sur des questions déjà formulées. Pour les questions 3
et 8, des cartons précisant les possibilités de réponses sont présentés aux
parents pour qu'ils aient sous les yeux le choix offert. L'ergothérapeute rem-
plit le questionnaire à partir des réponses des parents et indique les préci-
sions apportées par ceux-ci. L'attitude de l'ergothérapeute est chaleureuse et
ANNEXE 3 * 2O3

compréhensive. Par exemple, si l'enfant a une déficience physique grave,


avant même de poser les questions relatives aux sentiments, l'ergothéra-
peute précisera aux parents qu'il est possible que pour certains des senti-
ments énumérés il soit difficile de répondre : étant donné les difficultés de
l'enfant, il n'est pas toujours facile de bien comprendre ce que celui-ci veut
exprimer. L'ergothérapeute évitera tout commentaire comportant un élé-
ment moralisateur : on veut connaître l'enfant et on considère les parents
comme des alliés importants. À nous d'établir une véritable collaboration
avec eux.
Toutes les questions concernent l'enfant et non pas l'action des parents.
De plus, dans la séquence des questions, on a tenté de moduler les difficul-
tés qu'elles peuvent représenter pour les parents. Ainsi, ce n'est que vers la fin
qu'on s'informe en question ouverte sur les activités que l'enfant aime le
plus et qu'il aime le moins, ainsi que sur les caractéristiques de son attitude
de jeu. Venant après les autres questions, celles-ci seront plus faciles.

INFORMATIONS GÉNÉRALES

• Frère/sœur
Combien de frères et sœurs l'enfant a-t-il et quel âge ont-ils ?

• Fréquentation d'une garderie


Si l'enfant est gardé à l'extérieur, précisez s'il s'agit de garde en milieu fami-
lial ou de garderie de quartier, à quelle fréquence (deux ou cinq jours par
semaine), depuis combien de temps.

• Origine ethnique
De quel pays les parents sont-ils originaires ?

• Répondant
Si le répondant n'est ni le père ni la mère, précisez le lien de cette personne
avec l'enfant (grand-mère, gardienne)

• Durée de l'entrevue
La durée de l'entrevue peut varier selon l'âge et selon la condition physique
de l'enfant. En général, elle exige de 30 à 45 minutes.
2O4 * LE MODÈLE LUDIQUE

1. À QUOI VOTRE ENFANT EST-IL PARTICULIÈREMENT ATTENTIF?

(Cochez tous les éléments qui suscitent un intérêt marqué chez l'enfant et
précisez-les.)
On lit la question en indiquant que l'on souhaite savoir ce qui intéresse
le plus l'enfant et en donnant quelques exemples figurant dans la liste. Puis,
on reprend chaque élément en cochant les éléments pertinents. Pour chacun
de ceux-ci, on tente d'apporter des précisions (p. ex. : type de livre, d'histoire,
chanson particulière ou personnage précis). Si le répondant retient tous les
premiers éléments, on précise à nouveau que l'on veut savoir ce qui inté-
resse l'enfant de façon particulière.
Considérant les deux derniers éléments de cette question, on recherche
d'abord toute activité ou geste que l'enfant répète à plaisir comme un jeu
(p. ex. : vider une armoire, ouvrir une porte). Puis, avec le dernier élément,
on tente de vérifier si l'enfant manifeste un intérêt particulier pour autre
chose : ce peut être, à titre d'exemple, une fascination pour la lumière, pour
le téléviseur ou l'ordinateur.

2. A. COMMENT VOTRE ENFANT S'EXPRIME-T-IL?

On demande aux parents de nous décrire comment l'enfant communique tel


besoin ou sentiment. On choisit la note qui correspond à leur description.

o : aucune expression i : expression du visage


2 : gestes 3 : sons/cris
4 : mots/phrases n.s.p. : ne sait pas

La cote o signifie que l'enfant n'a jamais exprimé ce sentiment, alors que
certaines occasions auraient été susceptibles de le susciter. Par ailleurs, la
cote « n.s.p. » n'est attribuée que dans le cas où le répondant a l'impression
que l'enfant a déjà exprimé le sentiment en question, mais ne saurait dire
comment.
En général, l'enfant exprime-t-il ses besoins et sentiments par l'expression
de son visage (yeux, sourire, grimaces), par des gestes (repousse les objets,
tend les bras, pointe le doigt), par des cris, des sons (pleure, rit) ou verbalement
ANNEXE 3 * 2O5

(mots/phrases) ? La notation se veut cumulative ; ainsi, l'enfant qui s'exprime


par des grimaces, des mouvements des bras et des cris sera coté 3 ; celui qui ne
s'exprime que par l'expression du visage et par des gestes recevra la cote 2. À
partir de la description des parents, on vérifie si on a bien compris en suggé-
rant la cote qui caractérise le mieux la description.

BESOINS

• Physiologiques

Quand il a faim, soif, sommeil, envie d'uriner.

• D'attention
Quand il veut qu'on le regarde, qu'on s'occupe de lui.

• De sécurité

Quand il est craintif, anxieux.

INTÉRÊTS
Comment fait-il savoir ce qui l'intéresse, ce qu'il aime, ce qu'il veut faire ?

SENTIMENTS

• Plaisir

Quand il a du plaisir, qu'il aime ce qu'il fait.

• Déplaisir

Quand il n'aime pas quelque chose, qu'il n'apprécie pas une situation.

• Tristesse

Quand il a du chagrin, qu'il s'ennuie.

• Colère

Quand il est irrité, fâché.

• Peur

Comment exprime-t-il sa peur, par exemple face à des bruits étranges, des
personnes ou des situations inconnues ?
2O6 * LE MODÈLE LUDIQUE

2. B. EN GÉNÉRAL, COMMENT VOUS FAITES-VOUS COMPRENDRE


DE VOTRE ENFANT?

On veut connaître ici le principal mode de communication du parent avec


l'enfant. Est-ce surtout par l'expression du visage, par des démonstrations et
des gestes, par des mots ou par des explications verbales? Comme pour l'en-
fant, cette cote est cumulative. Par exemple, si le répondant utilise des gestes
et des mots, on notera 3.

• Codes de communication particuliers (précisez)

II peut arriver que, dans la famille, certains codes de communication parti-


culiers aient cours, un certain geste ou son ayant telle signification particu-
lière. On s'en informe et on note.

3. LES ÉLÉMENTS SUIVANTS SUSCITENT-ILS L'INTÉRÊT


DEVOTRE ENFANT?

Intérêt
0 : aucun intérêt (l'enfant semble indifférent)
1 : intérêt moyen (l'enfant exprime un intérêt plus ou moins marque)
2 : intérêt marqué (l'enfant manifeste un intérêt évident et
soutenu)
n.a. : non applicable (si l'enfant n'a jamais expérimenté un des
éléments mentionnés)

On présente aux répondants un carton sur lequel sont inscrits les trois pre-
mières réponses. On utilisera la réponse «non applicable» seulement si le
répondant, après réflexion, constate que l'enfant n'a jamais eu l'occasion
d'expérimenter l'élément en question.
N.B. La différence entre la note i et 2 réside dans l'intensité de l'intérêt. En
général, quand un élément suscite un intérêt marqué chez l'enfant, le
répondant n'hésitera pas puisque cet élément constitue en quelque sorte
une caractéristique particulière de l'enfant.
Commentaires : on note toute précision apportée par les parents (p. ex. : tel
aliment précis, tel bruit particulier).
ANNEXE 3 * 2O7

Dans le cas où l'enfant réagit négativement à un des éléments, on note o


et on explique la réaction dans l'espace réservé aux commentaires.

LA NOURRITURE

- Manger
Est-il attiré par la nourriture ?

- Manger des aliments

- salés
Croustilles, arachides, plats salés
- sucrés
Gâteau, miel, biscuit, chocolat
- en purée
Purée de pommes de terre, de légumes, compotes de fruits
- en morceaux
Morceaux de fruits, de légumes, de viande, de fromage
- froids
Crème glacée, yogourt glacé
- chauds
Soupes, boissons chaudes

- Goûter à un nouvel aliment


Manifeste-t-il un intérêt pour la nouveauté en matière de nourriture?

LES TEXTURES

- Douces
Flanelle, laine douce, fourrure

- Rugueuses
Barbe, vêtement ou laine rugueuse
2O8 » LE MODÈLE LUDIQUE

LES ÉLÉMENTS TELS QUE

• La neige

Recevoir de la neige sur le visage, toucher la neige

• Le sable

S'asseoir dans le sable, le toucher

• L'eau

Jouer dans l'eau, prendre un bain, une douche, aller à la piscine

• L'herbe

Toucher et sentir l'herbe sous lui, se déplacer pieds nus dans l'herbe

LES ODEURS

Fleurs, produits de nettoyage, odeurs de cuisine, savon, parfums

ÊTRE TOUCHÉ/CARESSÉ

Au moment du bain, de l'habillage ? Aime-t-il qu'on le caresse?

ÊTRE REMUÉ OU SE MOUVOIR DANS L'ESPACE

Aime-t-il qu'on le berce, le balance, aime-t-il se balancer, glisser?

LES BRUITS

Aspirateur, sonnette de la porte, téléphone, avion

4. MATÉRIEL DE JEU

On veut savoir ici quel est le matériel de jeu connu de l'enfant et utilisé par
lui : indirectement, on apprend de quel matériel l'enfant dispose dans son
milieu de vie. On pose la question et on donne des exemples pour faciliter
la tâche des parents.
Pour chacun des éléments, on précisera ce qu'est le matériel et si ce maté-
riel n'est accessible qu'à l'extérieur de la maison (garderie, amis). Advenant
qu'un certain type de matériel ne soit pas à la disposition de l'enfant, on
notera alors «n.d.» (non disponible).
ANNEXE 3 * 2O9

VOTRE ENFANT JOUE-T-IL AVEC DU MATÉRIEL?

• De textures différentes

Bois, matière plastique, caoutchouc mousse, carton

• L'incitant à écouter

Radio, mobile musical, hochet, musique

• L'incitant à regarder

Livre, téléviseur

• L'incitant à imiter des situations courantes

Téléphone, plat de cuisine

• L'incitant à imaginer

Poupée, déguisement, personnages, pâte à modeler

• L'incitant à se déplacer

Tricycle, marchette

• L'incitant à interagir avec les autres

Ballon ou tout autre jeu nécessitant un partenaire

5. CARACTÉRISTIQUES DU JEU DE L'ENFANT

On recherche ici certaines caractéristiques du jeu de l'enfant, c'est-à-dire


ses intérêts et ses capacités ludiques. Les éléments recherchés concernent la
répétition, l'utilisation du matériel de jeu, la créativité, la réaction à la nou-
veauté, les déplacements et le jeu à l'extérieur.

• Votre enfant aime-t-il répéter le même jeu pour mieux


le maîtriser?
La répétition permet à l'enfant d'enrichir son expérience et d'améliorer
ses capacités. On doit vérifier qu'il ne s'agit pas de répétition obsessive ou de
21O * LE MODÈLE LUDIQUE

persévération : si tel était le cas, la réponse devient «non» et on précise pour-


quoi.

• Votre enfant aime-t-il avoir du nouveau matériel de jeu ?


On veut connaître sa réaction à la nouveauté en regard du matériel de jeu :
spontanément, manifeste-t-il de l'intérêt pour un nouveau jouet ou est-il
hésitant?

• Votre enfant aime-t-il se retrouver dans de nouveaux lieux ?


On recherche ici sa réaction à la nouveauté en regard des lieux.

• Votre enfant aime-t-il aller à l'extérieur ?


En plus d'en savoir davantage sur l'intérêt de l'enfant pour les activités exté-
rieures, on aura aussi une idée de son expérience et de sa connaissance du
monde extérieur (parc, cour) grâce aux précisions données par les parents.

• Votre enfant peut-il utiliser le matériel de jeu


de la façon conventionnelle?
Peut-il l'utiliser pour sa fonction première (p. ex. : mélanger avec une cuiller,
faire rouler un camion) ?

• Votre enfant peut-il imaginer de nouvelles façons d'utiliser


le matériel de jeu?
Peut-il imaginer des usages différents aux objets? Peut-il «faire semblant»
(p. ex. : un bâton devient un micro ou une baguette magique, un plat ren-
versé devient un tambour) ?

• Votre enfant peut-il se déplacer par ses propres moyens ?


Peut-il se déplacer sans aide (humaine ou technique) sur de courtes dis-
tances ? L'enfant peut être en fauteuil roulant, mais on veut savoir s'il peut
ramper ou se déplacer sur le postérieur sur de courtes distances.
ANNEXE 3 » 211

6. SYNTHÈSE DES INTÉRÊTS DE L'ENFANT

QUELLE EST SON ACTIVITÉ PRÉFÉRÉE?

L'activité la plus appréciée de l'enfant peut être une activité de jeu ou tout
autre type d'activité. Ce peut être aussi une activité passive : regarder la télé-
vision, regarder sa mère vaquer à ses activités.

QUELLES EST L'ACTIVITÉ QU'IL AIME LE MOINS?

L'activité la moins aimée de l'enfant peut aussi être une activité de jeu ou tout
autre type d'activité. Ce pourrait être, par exemple, prendre son bain.

QUELLES SONT SES POSITIONS PRÉFÉRÉES POUR JOUER?

L'enfant préfère-t-il jouer couché sur le côté, à plat ventre, assis à la table, sur
les genoux de sa mère ? On note les deux positions préférées.

7. PARTENAIRES DE JEU HABITUELS ET PRÉFÉRÉS


ET ACTIVITÉS PARTICULIÈRES ASSOCIÉES À CES PARTENAIRES

Pour cette question, on tentera de cerner les deux partenaires les plus souvent
présents pour chacune des deux catégories et de vérifier si une activité spé-
cifique est associée à ces partenaires (p. ex. : mère/histoire, père/balade en
auto, ami plus âgé/jeu au parc).

AVEC QUI JOUE-T-IL HABITUELLEMENT?

S'il joue avec d'autres enfants, sont-ils plus âgés ou plus jeunes que lui?
S'agit-il d'enfants qui ont aussi une déficience physique?

AVEC QUI AIME-T-IL LE MIEUX JOUER?

Si ses partenaires préférés sont d'autres enfants, s'agit-il d'enfants plus âgés ou
plus jeunes que lui? S'agit-il d'enfants qui ont aussi une déficience physique?
212 * LE MODÈLE LUDIQUE

8. ATTITUDE DE JEU

II s'agit dans la première partie de la question 8 de caractériser l'attitude


ludique de l'enfant. On posera chacune des sous-questions en ajoutant la
caractéristique opposée pour aider le répondant à répondre (p. ex. :
curieux/indifférent).
On présente aux parents un carton sur lequel figurent les réponses pos-
sibles : pas du tout/occasionnellement/tout à fait.

DIRIEZ-VOUS QUE VOTRE ENFANT?

• Est curieux

De façon générale, votre enfant est-il plutôt curieux ou plutôt indifférent?

• Prend des initiatives

De façon générale, votre enfant prend-il des initiatives ou est-il plutôt à la


remorque des autres ?

• A le sens de l'humour
De façon générale, votre enfant saisit-il le côté drôle d'une situation, aime-
t-il rire, fait-il lui-même des blagues ?

• A du plaisir

De façon générale, votre enfant semble-t-il avoir plutôt du plaisir ou, au


contraire, semble-t-il plutôt subir les événements sans en retirer de plaisir
particulier?

• A le goût du défi

De façon générale, votre enfant semble-t-il aimer tenter de nouvelles expé-


riences, prendre des risques, relever des défis ?

• Est spontané

De façon générale, votre enfant est-il spontané ou plutôt réservé ?


ANNEXE 3 * 213

CES COMPORTEMENTS SONT-ILS ENCOURAGÉS DANS VOTRE FAMILLE?

La deuxième partie de la question 8 concerne l'attitude familiale à l'égard des


caractéristiques précédentes. Dans la famille, encourage-t-on la curiosité,
l'esprit d'initiative, le sens de l'humour, l'expression du plaisir, l'esprit de
dépassement et la spontanéité de l'enfant? On reprend alors chacune des
caractéristiques et on demande aux parents de préciser si c'est pas du tout,
occasionnellement ou tout à fait.

HORAIRE TYPE

II s'agit ici de reproduire l'horaire type de l'enfant pendant une semaine.


En général, que fait-il le matin, l'après-midi et en soirée ; les activités sont-
elles les mêmes durant la semaine et en fin de semaine ?

Avez-vous des précisions ou commentaires à ajouter concernant


les activités de jeu de votre enfant, ses intérêts, sa façon de réagir?

Par exemple, la présence de la grand-mère dans la vie quotidienne de


l'enfant, une expérience particulière qu'aurait appréciée l'enfant (camp de
vacances, voyage).
TABLE DES MATIERES

Avant-propos 7

Introduction 9

1 Le jeu et l'enfant is
Le développement de l'enfant à travers le jeu 16
Le développement du jeu chez l'enfant 24
« Jouer, c'est magique » 32
Vers une définition du jeu 32

2 Le jeu et l'enfant ayant une déficience physique 39


L'état actuel des connaissances 40
Le jeu dans le quotidien de l'enfant ayant une déficience physique 44
Le jeu et les autres clientèles infantiles 50

3 Le jeu et l'ergothérapie 55
Les bases de l'ergothérapie 56
L'historique du jeu en ergothérapie 58
La philosophie du jeu en ergothérapie 61
La pratique clinique de l'ergothérapie et le jeu 62
4 Le modèle ludique : cadre conceptuel 77
Le questionnement professionnel à l'origine du modèle ludique 78
L'appréhension du jeu dans le modèle ludique 81
Un concept central du modèle ludique : la capacité d'agir 87
Les énoncés de départ du modèle ludique 91
Les définitions des concepts clés 94
Le cadre conceptuel du modèle ludique 94

5 Le modèle ludique : modèle de pratique 107


Les objectifs généraux 108
L'évaluation de l'enfant 108
La planification de l'intervention 113
L'intervention 122
L'évolution de la thérapie 128
Les réactions des parents au modèle ludique 133
Les réactions des autres membres de l'équipe 134
L'utilisation du modèle ludique chez les autres clientèles 135

6 Le modèle ludique et les parents 141


Devenir parent d'un enfant qui présente une déficience 142
Les témoignages des mères 143
Les rôles distincts et complémentaires des parents
et des thérapeutes 145
Le modèle ludique dans la vie quotidienne 146
Connaissances et compétences spécifiques de l'ergothérapeute
au service des parents 149

Conclusion 157

ANNEXES

1 Recherche sur le rôle du jeu dans la vie


de l'enfant ayant une déficience physique isi
2 L'évaluation du comportement ludique (ÉCL) :
protocole d'évaluation et procédure d'administration 173

3 L'entrevue initiale avec les parents (EIP) portant


sur le comportement ludique de leur enfant :
protocole d'évaluation et procédure d'administration 195
AGMV Marquis
MEMBRE 0 £ S C A B RI N1 MEDIA

Quebec, Canada
2003

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