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Collection de la Maison de

l'Orient méditerranéen. Série


épigraphique

L’épigraphie funéraire bilingue des Italiens en Grèce et en Asie,


aux IIe et Ier siècles av. J.-C.
Elodie Bauzon

Résumé
Aux IIe et Ier s. av. J.-C., des Italiens, mais aussi des Romains sont partis vivre en Grèce. Nombre d’entre eux y sont
morts. Leurs stèles funéraires sont le plus souvent en grec, quelques-unes sont en latin, mais peu. Les stèles bilingues
sont encore moins nombreuses, une dizaine. Ce n’est pas uniquement leur rareté qui fait leur intérêt. Une analyse
détaillée montre des hésitations dans les traductions qui semblent pouvoir faire sens. Les langues se révèlent alors
comme, suivant l’expression des linguistes, des systèmes conceptuels et non de simples outils de communication.

Abstract
During the 2nd and the 1st centuries BC, some Italians, but also some Romans, set off to live in Greece. Many of them
died there. Most often, their funerary steles are in Greek, some of them, although very few, are in latin. There are even
fewer bilingual steles, around ten. It is not only their rarity that makes them interesting. A thorough analysis shows
translations mishaps that seem to make sense. Languages thus turn out to be conceptual systems, as linguists put it,
rather than mere tools of communication.

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Bauzon Elodie. L’épigraphie funéraire bilingue des Italiens en Grèce et en Asie, aux IIe et Ier siècles av. J.-C.. In:
Bilinguisme gréco-latin et épigraphie. Actes du colloque organisé à l'Université Lumière-Lyon 2, Maison de l'Orient et de
la Méditerranée-Jean Pouilloux, UMR 5189 Hisoma et JE 2409 Romanitas les 17, 18 et 19 mai 2004. Lyon : Maison de
l'Orient et de la Méditerranée Jean Pouilloux, 2008. pp. 109-128. (Collection de la Maison de l'Orient méditerranéen.
Série épigraphique, 37);

http://www.persee.fr/doc/mom_0985-6471_2008_act_37_1_2467

Document généré le 08/05/2016


L’épigraphie funéraire bilingue des Italiens en
Grèce et en Asie, aux IIe et Ier s. av. J.-C.

Élodie Bauzon
Agrégée et docteur en Histoire
Lycée Chateaubriand, Rome

Résumé

Aux iie et ier s. av. J.-C., des Italiens, mais aussi des Romains sont partis vivre en
Grèce. Nombre d’entre eux y sont morts. Leurs stèles funéraires sont le plus souvent
en grec, quelques-unes sont en latin, mais peu. Les stèles bilingues sont encore moins
nombreuses, une dizaine. Ce n’est pas uniquement leur rareté qui fait leur intérêt. Une
analyse détaillée montre des hésitations dans les traductions qui semblent pouvoir
faire sens. Les langues se révèlent alors comme, suivant l’expression des linguistes,
des systèmes conceptuels et non de simples outils de communication.

Abstract
During the 2nd and the 1st centuries BC, some Italians, but also some Romans,
set off to live in Greece. Many of them died there. Most often, their funerary steles
are in Greek, some of them, although very few, are in latin. There are even fewer
bilingual steles, around ten. It is not only their rarity that makes them interesting.
A thorough analysis shows translations mishaps that seem to make sense. Languages
thus turn out to be conceptual systems, as linguits put it, rather than mere tools of
communication.

Le bilinguisme est abordé ici comme un phénomène historique, sociologique.


Il est induit par le mouvement migratoire des negotiatores, « ces gens qui faisaient
des affaires hors de Rome » , Romains, Italiens, Italiotes, des latinophones et / ou
des hellénophones , partis vers l’Orient hellénistique aux iie et ier s. av. J.-C, de leur

. J. Andreau, « Negotiator », Der Neue Pauly, 8.


. On a longtemps pensé, à la suite des travaux de Hatzfeld 1919, que les Italiens du Sud, hellénophones,
étaient majoritaires dans le mouvement migratoire des negotiatores. Leur culture grecque leur aurait permis
d’accéder plus facilement à l’Orient hellénophone dans une sorte de retour aux sources. Mais Wilson 1966
a montré que les Romains y ont joué un rôle prépondérant.
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propre initiative. Cette migration spontanée a mis en contact des individus appartenant


à deux mondes, à deux modes de pensée, à des systèmes politiques divers, au-delà ou en
deçà des rapports diplomatiques et institutionnels tissés par Rome avec les cités grecques.
Les rares traces de bilinguisme sont un élément important dans la recherche des signes de
l’intégration des Italiens dans le monde grec, objet de mon doctorat , soutenu en 2003.
Le récent ouvrage de Jean Hadas-Lebel, Le bilinguisme étrusco-latin , permet
de proposer une définition relativement simple du bilinguisme, qui recouvrirait deux
réalités : « D’un côté, il désigne une qualité, un état : celui de l’individu « bilingue »,
c’est-à-dire compétent – de façon égale ou non – dans deux langues (en général sa
langue maternelle et une autre acquise secondairement) ; et d’un autre côté, il désigne
une situation touchant un nombre variable d’individus – une personne, un groupe de
personnes ou une communauté – ayant en commun la pratique de deux idiomes ». Ces
réalités seraient désignées respectivement par les termes de bilingualité  et de bilinguisme.
Marque d’une qualité ou d’une situation, le bilinguisme gréco-latin des negotiatores doit
être pris comme une hypothèse de travail dictée par le bon sens et la logique. Il est trop
rarement attesté pour permettre de telles distinctions. On retiendra donc globalement la
pratique individuelle et collective de deux langues.
L’épigraphie grecque est la principale source dont nous disposons pour l’étude
des communautés d’émigrés originaires de la péninsule italienne et installés en Orient.
L’onomastique est souvent l’unique moyen pour identifier la culture romaine d’un
individu, qui peut être affranchi et ne pas être Romain de naissance. L’onomastique
latine, si caractéristique, apparaît aussi bien dans l’épigraphie publique que dans
l’épigraphie privée. Les cités ayant conservé le grec comme langue officielle, malgré
la domination romaine, les textes bilingues attestant un bilinguisme individuel ou celui
d’une communauté, et non des rapports de puissances, ne peuvent se trouver que dans
le domaine privé. Ce sont donc les inscriptions funéraires qui offrent la plus grande
documentation sur les Italiens installés en Orient et, par conséquent, sur les rares cas de
bilinguisme gréco-latin.
Le caractère très minoritaire du bilinguisme dans les inscriptions funéraires
donne une plus grande force, plus de sens à l’attitude généralement adoptée : le recours
massif au grec, la langue de la communauté d’accueil. Le bilinguisme devient,
a contrario, un signe d’intégration et d’adaptation des Italiens. Un interdit juridique
pourrait expliquer la rareté du phénomène. Mais à l’heure actuelle, aucun document,
à ma connaissance, n’indique l’existence d’un interdit linguistique, ni n’informe
sur l’existence d’une éventuelle autorisation délivrée par les cités pour le droit de
sépulture dans le monde grec hellénistique. Les inscriptions funéraires bilingues, voire
les inscriptions uniquement latines dans un ensemble très majoritairement rédigé en
grec, incitent à supposer que l’usage du grec ne relevait pas d’une obligation légale.

. L’intégration des Italiens en Grèce et en Orient au iie et au ier siècle avant notre ère.
. Hadas-Lebel 2004, p. XIV.
. Hamers 1983.
l’épigraphie funéraire bilingue des italiens en grèce et en asie aux iie et ier s. av. j.-c. 111

Il s’agissait d’un choix, qu’on ne peut sans doute pas qualifier d’entièrement libre, car
il était sans aucun doute déterminé en partie par la pression subie et inconsciente du
milieu d’accueil, mais que certains ont eu la volonté de faire.
Dans le corpus des inscriptions funéraires des Italiens en Orient, une petite dizaine
d’épitaphes est bilingue (sur plus de 200 documents). Cette faiblesse quantitative est
impressionnante. Pourquoi des Italiens, porteurs de la culture romaine, culture en passe
de dominer l’Orient, n’ont-ils pas choisi de s’identifier plus souvent, par l’utilisation
du latin, ou du grec et du latin, à la culture romaine, minoritaire en Orient, mais
synonyme de puissance ? Doit-on en déduire que leur horizon culturel au moment de
leur mort s’arrêtait à la cité grecque et n’arrivait pas jusqu’à l’Empire ? Avaient-ils
perdu Rome de vue ?
Dans la colonie romaine de Patras en Achaïe, « pour les épitaphes, le latin et le grec
sont utilisés selon l’origine ethnique du défunt, du moins pendant quelques générations
après la colonisation ; ensuite le grec domine dans ce genre de documents » . Dans
le mouvement des negotiatores, l’adoption du grec dans l’épigraphie funéraire a été
beaucoup plus rapide. Qui sont ceux qui choisissent le bilinguisme ? Qu’attendent-ils
de leur revendication des deux langues, des deux cultures ?

Présentation du corpus

Le corpus se compose de neuf inscriptions. Il ne prétend pas à l’exhaustivité,


en raison à la fois des problèmes de datation du matériel funéraire et de l’étendue de
l’espace observé, mais il est basé sur une étude des principaux sites où sont attestées des
communautés de negotiatores. Les inscriptions sont classées par ordre chronologique
(mais les datations sont souvent peu précises) et géographique. Après de nombreuses
hésitations, je les ai traduites, aussi bien dans leur version latine que dans leur version
grecque, et d’une manière très littérale, afin d’éviter la redondance produite par le
bilinguisme et afin de ne pas effacer les différences entre les versions grecque et
latine, qui constituent l’objet de notre étude. Les noms propres sont transcrits.

Sont d’abord présentées les trois inscriptions funéraires de Rhénée, nécropole de


Délos, siège de la plus importante communauté italienne installée en Orient, datées de
la fin du iie ou du début du ier s. av. J.-C.

1) Q. Avili G. f. Lanuvine Salve.


Koi?nte ∆Au?llie Gai?ou uiJe;, ÔRwmai`e,
crhste; cai``re .

Q. Avilius fils de Gaius, de Lanuvium, salut.


Excellent Quintus Avilius, fils de Gaius, Romain, salut.

. Rizakis 1989, p. 180-186.
. Couilloud 1974, 495, fin iie s. av. J.‑C.
112 é. bauzon

2) L. P. Cladi
Leuvkie Postuvmie
Klavde cai``re 

L. P. Cladus.
Leukios Postumios Clados, salut.

3) Calli[c]le Saufeie salve.


Kalliklªh``º Swfhvie Au[lou crhste;
a[lupe cai``re .

Calliclès Saufeius, salut.


Excellent Calliclès Saufeios (fils ou esclave ?) d’Aulos, toi qui n’as
pas causé de chagrin, salut.

Viennent ensuite deux inscriptions d’Athènes, sans datation, mais dont


l’onomastique renvoie au mouvement des negotiatores :

4) P. Annius P. l.
Satyrus
Povplio~ “Annio~,
Poplivou ajpeleuv-
qero~, Savturo~
P. Annius, affranchi de Publius, Satyrus
Poplios Annios, affranchi de Poplios, Satyros

5) D . Paconi L. l.
Dionysi salve
Devkme 10

D. Paconius, affranchi de Lucius, Dionysos, salut.


Dekmos.

Puis une inscription d’Éphèse de l’époque triumvirale, qui concerne un tribun


militaire et sa femme.

6) Q. Pinari[us L.f.]
Aem. trib. mil. l[eg.VI]

. CIL III 486, fin iie s. av. J.-C.


. Couilloud 1974, 243, début du ier s. av. J.-C.
10. CIL III 7295.
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Macedoni[cae sibi]
Et Pinariae [Doxae]
uxori suae vacat
Kovi>nto~ Pinavrio~
Leukivou uiJo~ Aijmiliva,
cilivarco~ legiw``no~
e{kth~ Makedonikh``~
eJautw``/ kai; Peinariv-
a/ Dovxh/ th``/ eJautou``
Vacat gunaikiv Vacat 11

Q. Pinarius, fils de Lucius, de la tribu Aemilia, tribun militaire de la VIe légion


Macédonienne, pour lui-même et pour Pinaria Doxa, sa femme.
Kointos Pinarios, fils de Leukios, de la tribu Aimilia, tribun de la VIe légion
Macédonienne, pour lui-même et pour Pinaria Doxa, sa femme.

Deux inscriptions de Thessalonique du milieu du ier s. av. J.‑C. :

7) L. Cornelio L.l. Neoni


P. Tetrinius P.l. Amphio
Leukivw/ Kornhlivw/ Nevwni
Povplio~ Tetrhvnio~ ∆Amfivwn 12

Pour L. Cornélius, affranchi de Lucius, Neo,


P. Tetrinius, affranchi de Publius, Amphio
Pour Leukios Kornelios Néôn,
Poplios Tetrenios Amphiôn.

8) Gavi>e Popivllie cai``re


— Kai; su; pollav, tiv~ potV ei\.
C. – Popilli - salve. Et tu –
quisquis es 13

Gaios Popillios, salut. — Et toi aussi, qui que tu sois.


C. Popillius, salut. — Et toi aussi, qui que tu sois.

Et enfin une inscription de Cyzique :


9) [--------------------------]
et [L .] Corneli et M. Corneli [filiorum eius]

11. SEG 1992, 1047, Içten C., Engelmann H., ZPE 91, 1992, 289.
12. SEG 1997, 970.
13. SEG 1997, 969.
114 é. bauzon

ÔUpovmnhma
Leukivou Kornelivou Sporªivouº
kai; Leukivou Kornelivou kai; Mavrkou Korneªlivouº`,
tw``n uiJw`n aujtou`,
kai; Sevxstou Kornelivou Bavssoªuº 14.

[--------------------------------]
et de L. Cornelius et M. Cornelius, [ses fils].
À la mémoire de Leukios Cornelios Sporios, de Leukios Cornelios
et Markos Cornelios, ses fils, et de Sextos Cornelios Bassos.

Les inscriptions rassemblées dans le corpus sont très inégalement réparties


sur l’ensemble de l’espace étudié, l’Orient hellénistique, Grèce incluse. Elles
s’éparpillent entre Rhénée, Thessalonique, Athènes, Éphèse, Cyzique. Elles ne sont
pas caractéristiques d’une communauté spécifique d’Italiens.
Un tiers d’entre elles provient de Rhénée, la nécropole de Délos. L’importance
quantitative des inscriptions déliennes ne constitue nullement une surprise, non seulement
parce que Délos accueillait la plus grosse communauté italienne installée en Orient à
la fin du iie et au début du ier s. av. J.-C., mais aussi parce que la nécropole a fourni
une importante documentation publiée par Marie-Thérèse Couilloud Le Dinahet 15. On
a, à Rhénée, une concordance entre l’importance du phénomène et celle des sources
conservées, ce qui ne va pas nécessairement de soi en histoire ancienne.
M.-Th. Couilloud a analysé 502 monuments funéraires. Dans cet ensemble,
52 monuments, soit un peu plus de 10 %, concernent des Italiens et seulement deux sont
bilingues. Aucun individu d’une autre minorité n’a eu recours au bilinguisme. Il fallait
sans doute appartenir à la puissance dominante, être ressortissant de l’empire romain
pour penser à une telle affirmation identitaire. Les inscriptions funéraires bilingues gréco-
latines représentent donc 4 % des inscriptions funéraires des Italiens de Délos. Il en existe
cependant une troisième, cataloguée dans le CIL III. Le pourcentage passe à 6 % par
rapport à l’ensemble de la communauté italienne de Délos ! Il reste très marginal.
Un tiers du corpus des inscriptions funéraires bilingues des negotiatores est donc
constitué d’inscriptions funéraires d’individus à onomastique latine qui, à défaut d’avoir
toujours vécu à Délos, y sont au moins morts. Il est par ailleurs impossible de dire s’ils y
sont nés de parents qui y avaient immigré ou s’ils y ont immigré eux-mêmes.
D’après leur onomastique, ils ne sont pas tous d’origine italienne puisque l’un
d’eux s’appelle Calliclès (3). Il était vraisemblablement esclave et il y a peu de
chances qu’il ait été un esclave d’origine italienne 16. Il devait plutôt être d’origine
grecque, orientale, et avoir reçu le nom latin de son patron. Quand aux deux autres,

14. Kyzikos, 269, CIL III372, IGR IV 169.


15. Couilloud 1974.
16. Son nom est clairement grec et il n’y a pas de raison d’imaginer que les negotiatores sont tous arrivés
en Orient avec des esclaves d’origine italienne…
l’épigraphie funéraire bilingue des italiens en grèce et en asie aux iie et ier s. av. j.-c. 115

Quintus Avilius (1) et Lucius Postumius (2), il est également difficile de déterminer à


quelle génération la migration a eu lieu. Les noms d’Avilius et de Postumius ne sont
pas inconnus dans le monde grec. Deux autres Avilii sont attestés à Délos. Dekmos
Avilios apparaît à la fin du iie av. J.-C., donc à la même époque que Quintus Avilius,
dans une liste de souscripteurs du sanctuaire syrien (ID 2628, a, III, 33). Dans le
cadre d’un culte étranger à la fois au monde grec, où il se trouve, et au monde romain,
auquel il appartient, il n’indique ni sa filiation, ni son statut juridique. Un Dekmos
Avilios Markou, Romaios, dont on ne sait s’il est identique au précédent, car ici il est
dit à la fois fils de Marcus et Romain, est honoré par une association (ID 1523).
Il est en fait impossible d’établir le moindre lien indiscutable entre D. Avilius,
D. Avilius M.f et Q. Avilius G.f. Chronologiquement, on se situerait à la même
période, à la fin du iie s. av. J.-C. Cela ne suffit pas à en faire des individus de la
même famille ! Quant aux Postumii, deux séries d’inscriptions les attestent, lors de
dons faits à Apollon, au milieu du iie s. av. J.-C. Les donateurs sont Aulus Postumius
(ID 1449-1450) et Gaius Postumius (ID 1430, 1432, 1450, 1451). Mais il n’existe
aucune mention d’un Lucius Postumius.

Parmi les six autres inscriptions, deux proviennent de Thessalonique et les


autres se répartissent entre Athènes, Éphèse et Cyzique. Après Délos à la fin du iie s.,
Thessalonique est le lieu où les inscriptions funéraires bilingues sont les plus
nombreuses au milieu du ier s. av. J.-C. C’est le moment où Délos est abandonnée,
lorsqu’« on voit se développer des centres de négoce et d’affaires en Macédoine »,
comme le soulignait A. Rizakis à Paris à l’occasion du colloque sur les Italiens
en Grèce 17. Thessalonique, toujours selon A. Rizakis, « capitale de la province et
siège du gouvernement provincial à partir de 146 av. J.-C., réunit, surtout pendant la
dernière phase de la période républicaine, grâce à son statut de civitas libera, toutes
les conditions favorables pour une véritable reprise économique d’une zone très
éprouvée par la guerre civile entre Pompée et César. On y trouve des soldats, des
matelots ou des exilés qui fixent essentiellement leur domicile à Thessalonique, mais
également des hommes d’affaires attirés par cette ville 18 ». Ainsi, le fait que cinq des
neuf inscriptions proviennent de Délos, puis de Thessalonique au milieu du ier av. J.-C.
ne répond certainement pas au hasard et reflète assez fidèlement les deux principales
localisations des communautés italiennes installées en Orient.

La communauté italienne d’Athènes est institutionnellement liée à celle de


Délos parce que Délos est un port franc sous contrôle athénien. Les épimélètes de
Délos, les gouverneurs, sont des Athéniens. Les Italiens qui venaient en Orient pour
des raisons commerciales avaient vraisemblablement plus intérêt à s’installer à Délos
qu’à Athènes. Cependant, on peut imaginer qu’Athènes gardait un fort pouvoir attractif.

17. Rizakis 2002, p. 116.


18. Ibid.
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À Éphèse, la communauté est ancienne, assez en tous cas pour avoir été en partie
massacrée en 88 av. J.-C., lors de l’élimination des Italiens ordonnée par Mithridate
(Appien, B.M. 23). Ce massacre n’a pas laissé de trace épigraphique. La communauté
italienne d’Éphèse aurait eu certains liens avec la communauté délienne à en juger
notamment par les correspondances onomastiques, notamment autour des Veturii et des
collèges de magistri dont les dédicaces déliennes, souvent bilingues, sont étudiées par
Cl. Hasenohr. P. Veturius P. l Rodo est magister d’un collège d’Italiens à Éphèse ; il est
affranchi de P. Veturius, le père de L. Veturius P.f, magister d’un collège d’Italiens à
Délos 19.

Des liens peuvent donc être établis entre les communautés italiennes de Délos et
d’Athènes ou entre celles de Délos et d’Éphèse. Ils sont ténus. Ils ne peuvent permettre
de rendre compte de la diffusion du bilinguisme, dont les attestations sont beaucoup
trop rares pour pouvoir obéir à une logique globale, politique ou institutionnelle, ou
même à une logique sociale comme l’appartenance à une même gens. La dispersion
des inscriptions entre Athènes, Éphèse et Cyzique 20 est telle que le bilinguisme ne
semble y obéir qu’à des logiques individuelles.
Mais la forme des textes est-elle grecque ou latine ? Diffère-t-elle de celle des
inscriptions funéraires grecques des autres Italiens morts en Orient ?

La structure et la composition des textes

Quatre des neuf inscriptions concernent plus d’une personne (inscriptions d’Éphèse,
d’Antioche, de Thessalonique et de Cyzique). Le coût d’une inscription varie en fonction
de la taille des lettres et de la longueur du texte. Le nombre permettait et justifiait peut-
être en partie l’investissement plus lourd exigé par la double inscription. Mais dans les
autres cas, le surcoût représenté par le bilinguisme ne faisait pas reculer.
Il n’y a pas de formulaire fixe invariablement répété à l’intérieur du corpus,
aussi bien dans les versions latines que dans les versions grecques. Il n’y pas d’ordre
récurrent entre le latin et le grec, bien que le texte latin soit huit fois sur neuf le
premier. À en juger par là, le bilinguisme des inscriptions funéraires aurait comme
premier objectif l’affirmation de la romanité.
Les textes latins présentent des formules courtes sans référence aux dieux
Mânes et sans indications chronologiques, contrairement aux habitudes romaines et
conformément aux habitudes des Romains en Grèce.
Trois inscriptions ne donnent que le nom du défunt : celles d’Athènes (4),
de Rhénée (2) et de Thessalonique dans le cas de Lucius Cornelius et de Publius
Tetrinius (7). Le nom du défunt est au nominatif ou au vocatif. Trois autres inscriptions
utilisent une formule de salutation, soit la plus courte et la plus fréquente, salve dans le

19. Hatzfeld 1919, p. 46.


20. On peut noter que Rizakis 2002, p. 130, n. 100, a souligné la vraisemblable existence de flux
migratoire entre Thessalonique et Cyzique.
l’épigraphie funéraire bilingue des italiens en grèce et en asie aux iie et ier s. av. j.-c. 117

cas de Quintus Avilius (1) et de Calliclès Saufeius à Rhénée (3) et de D. Paconius L.l
à Athènes (5), soit une formule plus développée à Thessalonique (8) : « Salve. — Et
tu quisquis es », formule qui n’est pas une des plus classiques, mais qui ne semble pas
surprenante en latin.
Quelques inscriptions fournissent des renseignements supplémentaires.
À Éphèse (5), Quintus Pinarius mentionne son statut de tribun militaire. Il a prévu
le monument funéraire pour lui et pour sa femme, Pinaria Doxa. À Cyzique, le texte
latin est très lacunaire (9). Il existait une formule introductive en latin, totalement
illisible aujourd’hui.

Dans les textes grecs, les formules varient par rapport à celles qui apparaissaient
dans les textes latins. Les trois inscriptions de Rhénée saluent par la forme cai``re,
alors que deux seulement le faisaient en latin. Cette formule de salutation apparaît
dans la deuxième moitié du iiie s. av. J.-C. Elle était en usage aux iie et ier s. av. J.-C.
Elle est attestée vingt-huit fois à Rhénée. Mais dans les trois inscriptions de Rhénée
présentées ici, elle prend trois formes différentes : une fois elle présente la forme
crhste; cai``re (1), dont c’est la seule attestation à Rhénée alors qu’elle est attestée
ailleurs à des milliers d’exemplaires. Une autre fois, elle a la forme crhste; a[lupe
cai``re (3), attestée trois fois dans le corpus de Rhénée 21 pour des individus très
différents puisqu’il s’agit d’un Dionysos fils de Sostratos, Athénien, de Roumatha
fille de Ménippos, d’Antioche, dans le dernier quart du iie s. av. J.-C. 22, et de Sopatros
d’Apamée 23. Selon M.-Th. Couilloud, l’emploi d’alupos est dû sans doute à l’influence
orientale. C’est un formulaire bien attesté dans le milieu syrien 24. Quelques individus
à onomastique latine l’utilisent 25, mais ce sont souvent des esclaves ou des affranchis
qui peuvent en fait être originaires de l’Orient, comme Calliclès (3).
L’inscription de Thessalonique a, en grec comme en latin, une formule de salut
développée. La formule grecque cai``re kai; su; pollav, tiv~ potV ei\, est traduite par
L. Robert « Salut à toi aussi, qui que tu sois ». Il l’interprète comme une formule
propre à Thessalonique 26 et non comme la traduction de la formule latine. Il en donne
un autre exemple :
∆Errennªeºiva Surivska kai; uiJo;~ aujth`~ Mavrke ∆Erevnnie ∆Agaqoklh`` caivrete 
— Kai; su; polla; tiv~ potV ei\ 27.

21. Couilloud 1974, 243, 180, 203.


22. Couilloud 1974, 180
23. Couilloud 1974, 203.
24. Sur ce point précis, voir encore Yon 2003, p. 151-159.
25. Couilloud 1974, 170, 233, 243, 333, 343, 357, 456, 460.
26. J. et L. Robert, BE 1964, n. 249-250. [Voir le compte-rendu développé des IG X (Thessalonique)
par L. Robert, Rev.Phil. 1974, p. 180-246 : les épitaphes, p. 222 sq. ; sur cette formule en particulier,
p. 224 (avec de nombreux exemples) : formule sinon propre à Thessalonique, du moins attestée
surtout dans cette ville].
27. IG X, 901.
118 é. bauzon

Cet exemple renvoie encore à la communauté italienne de Thessalonique où


les Herenni apparaissent à la fin du ier s. 28 ; ils y ont souvent le praenomen Marcus.
La formule n’est-elle pas plus propre aux Romains de Thessalonique, affranchis ou
ingénus, qu’à Thessalonique même ? Si la formule est propre à Thessalonique, cela
signifierait une adaptation de Caius Popillius à son milieu d’accueil et le texte latin
serait une traduction de la formule de salutation propre à Thessalonique. Si elle est
propre aux Italiens de naissance ou par affranchissement – les deux seuls exemples
renvoient à cette catégorie – cela implique un jeu de bilinguisme plus complexe,
car la formule ne surprend pas en latin. On pourrait donc avoir ici un phénomène
observable dans les communautés bilingues, à savoir la création d’une expression
qui se comprend dans les deux langues sans être propre à aucune des deux langues.
Popillius l’aurait fait graver dans les deux langues, alors que Herennia Syriska et son
fils Marcus Herennius Agathoclès ne l’auraient utilisée qu’en grec.
Pour ne pas en faire une formule uniquement attachée à Thessalonique, on peut
mentionner une formule assez proche attestée à Rhénée : kai; su; tiv~ potV ei\ 29. Le nom du
défunt n’est pas conservé. La stèle est rectangulaire. L’homme représenté est debout, drapé
dans un manteau, dont il tient un pan dans la main droite, alors que la main gauche tient
un rouleau, qui peut être interprété soit comme un indice d’affranchissement, soit comme
le signe des affaires qu’il pouvait mener. À côté de lui, on voit un jeune serviteur nu. Il
est impossible de déterminer si le défunt est un Italien. Aucun élément iconographique ne
permet de l’identifier. Mais l’existence d’une formule proche de celle de Thessalonique
élargit le champ de compréhension d’une formule propre à Thessalonique ou aux Italiens
de Thessalonique. Plus qu’une formule figée, il faudrait y voir le reflet d’une ouverture
de l’horizon social de la cité, caractéristique de l’époque hellénistique : on salue les
individus quels qu’ils soient, c’est-à-dire des gens connus, des descendants de citoyens
ou des inconnus, les descendants de nouveaux venus.

Le bilinguisme n’impose pas une traduction littérale. Les textes ne se répondent


pas nécessairement mot à mot 30. Le souci principal n’est pas l’exactitude de la
traduction et il semble d’ailleurs erroné de chercher à parler de traduction. Il est en
effet difficile de dire pour chacune de ces inscriptions quelle est la langue qui aurait
été traduite. On pourrait évidemment être tenté de suivre l’ordre des inscriptions :
la langue première, « originale » serait la première sur l’inscription. Dans huit cas
sur neuf, le texte latin commence les inscriptions. La langue première, « originale »,
serait celle des origines, la langue maternelle. Mais à Thessalonique, Gaius Popillius
commence par le grec et surtout, Lucius Cornelius et Publius Tetrinius sont des

28. Des Herenni apparaissent à l’extrême fin du iie s. en Orient quand Markos Herennios Markou Romaios
est cité dans une liste agonistique de Chalcis en 100 av. J.-C. Rizakis 2002, n. 79, p. 125, ne cite pas
l’inscription citée ci-dessus dans son recensement des Herenni de Thessalonique.
29. Couilloud 1974, 277.
30. Voir par exemple les documents du « Monument bilingue » de Delphes étudiés dans le présent volume
par D. Rousset.
l’épigraphie funéraire bilingue des italiens en grèce et en asie aux iie et ier s. av. j.-c. 119

affranchis. Ils ont donc pris le nom romain de leur ancien patron et gardé leur ancien
prénom comme surnom. Leur passage par la servitude et leurs surnoms, Néon et
Amphion, permettent de douter qu’ils soient d’origine italienne. Le latin n’était pas
leur langue maternelle. Il est placé au début de l’inscription, non pas comme langue
maternelle, mais comme la marque de leur nouvelle appartenance à la romanité.
Cela indiquerait que l’esclavage a été un vecteur de romanisation en Orient, par
l’onomastique et la langue.

Les formules onomastiques

Les formules onomastiques sont transcrites du latin au grec, avec des adaptations
dues aux différences d’alphabet. La deuxième inscription de Rhénée témoigne d’un
étrange jeu de transcription et d’abréviation.

L. P. Cladi
Leuvkie Postuvmie
Klavde cai``re

Le prénom Lucius est abrégé à la mode romaine. Mais le deuxième nom est
également abrégé, contrairement aux habitudes romaines. P serait l’abréviation de
Postumius, le gentilice. L’hypothèse aurait semblé extrêmement hardie en l’absence
de la version grecque ! Cladi est le seul nom non abrégé dans le texte latin. Il semble
difficile de penser à un gentilice Claudius avec un oubli du « u », d’autant plus que le
gentilice Postumius est lisible dans la partie grecque. Le texte grec fait plutôt penser à
un surnom. À qui imputer l’erreur d’abréviation ? Au commanditaire de l’inscription,
le défunt, dont le surnom pourrait indiquer qu’il était affranchi, qui aurait voulu « faire
romain » en abrégeant, à une époque où la familiarité avec l’onomastique romaine
était encore limitée, en tous cas la sienne ? Si la connaissance de la culture romaine de
l’affranchi Lucius Postumius Clados ne lui a pas permis de donner au lapicide un texte
où son nom était abrégé selon les canons romains, cela peut signifier que sa période de
servitude ne lui a pas donné l’occasion de s’acculturer correctement. La romanisation
par la servitude et l’affranchissement serait pour le moins partielle.
Peut-on affiner la perception de ce L. Postumius Clados par des rapprochements
onomastiques ? Des Postumii sont attestés à Délos dans les inventaires des dons à
Apollon en 140/139 et avant 149/148 31. Leurs stèles funéraires n’ont pas été retrouvées
et leurs traces épigraphiques à Délos ne rendent pas nécessaire leur résidence. Clados
était-il leur affranchi résidant à Délos et chargé d’y mener à bien leurs affaires ?
On pourrait dans ce cas mieux comprendre les limites de sa romanisation.
Si la formule onomastique correspond à Lucius Postumius Clados, il était
vraisemblablement un affranchi. Partageaient également ce statut P. Annius P. l. (4)
et D. Paconius L. l. (5) à Athènes, Lucius Cornelius L. l. et Publius Tetrinius P. l.

31. Aulus Postumius, ID 1449, 1450 ; et Caius Postumius, ID 1430, 1432, 1450, 1451. Cf. Ferrary,
Hasenohr et Le Dinahet 2002, p. 211.
120 é. bauzon

à Thessalonique (7). Le bilinguisme de ces cinq affranchis serait un moyen utilisé


pour mettre en valeur leur nouvelle romanité, montrer la fierté de leur appartenance
à Rome tandis que les erreurs d’abréviations témoigneraient d’une connaissance
partielle de la culture romaine.
Dans le cas de P. Annius P. l., l’affranchissement est indiqué clairement en latin
par l’abréviation du prénom de l’ancien patron et celle du mot affranchi en grec.
Apeleutheros est une mention extrêmement rare dans l’épigraphie des Italiens en
Orient. L’attestation la plus célèbre est celle d’Aulus Castricius, à Amphipolis, unique
marchand d’esclaves italien connu nominativement en Orient. Les autres attestations
se trouvent sur les stèles funéraires de Thessalie étudiées par B. Helly 32 et sont
caractéristiques de la Thessalie.
Annius est un nom attesté. Annius apparaît à Délos dès 156/155. Il est fermier
d’un domaine sacré. Il ne peut être l’ancien patron de P. Annius P. l. puisqu’il s’appelle
Caius et non Publius, Gaios Annios Markou 33.
Publius Annius Satyros, affranchi de Publius, n’apparaît pas dans les listes des
Italiens à Athènes dressées par Simone Follet 34, car elle s’est fondée sur l’index
d’Osborne 35, qui prenait comme critère, pour cataloguer les résidents étrangers
à Athènes, la présence d’un ethnique. Un Gaius Annius était éphèbe à Athènes autour
de 45 av. J.-C. 36. Comme souvent, il est impossible d’établir le moindre lien entre lui
et le Publius Annius Satyros de notre inscription.
Mis à part ces deux cas, les formules onomastiques latines omettent parfois la
filiation, notamment dans le cas de Caius Popillius à Thessalonique. Mais plus de la
moitié, cinq, respectent les règles romaines.

Dans la version grecque des formules onomastiques, deux tendances sont


observables : soit la version grecque est plus explicite, soit elle est au contraire
abrégée, non par l’utilisation d’abréviations, spécialité romaine, mais par l’omission
de certaines informations relatives à la filiation ou à l’affranchissement.
Dans le cas des inscriptions bilingues, les textes grecs sont souvent plus
explicites que dans les inscriptions funéraires classiques. Pour Quintus Avilius, attesté
dans la première inscription, aux abréviations latines Q. G. et f. correspondent en grec
Kointe, Gaiou uie, soit « Quintus, fils de Gaius ». Tout est traduit, rien n’est omis.
La même explicitation se retrouve dans le cas du tribun militaire Q. Pinarius L. f. qui
devient en grec Kointos Pinarios Leukiou uios à Éphèse. Il y a bien dans ces cas une

32. Helly 1983, p. 367‑375. On y trouve les stèles funéraires de quatre affranchis parmi lesquels trois
femmes : Leukios Dekmios Bassou apeleutheros, Nike Phelikos apeleuthera, Markia Loukia Zosimé
Aphroeisiou apeleuthera et Elené Alphiené Bassou apeleuthera. Les stèles sont toutes rédigées
en grec.
33. ID 1416 ; Ferrary, Hasenohr et Le Dinahet 2002, p. 187
34. Follet 2002, p. 79-88.
35. Osborne et Byrne 1996.
36. IG II2 1961 et 2463.
l’épigraphie funéraire bilingue des italiens en grèce et en asie aux iie et ier s. av. j.-c. 121

volonté de traduction, quitte à heurter les habitudes grecques. Les textes grecs ne se
contentent pas de faire suivre le nom du fils du nom du père selon l’habitude. Il y a
ajout de la mention « fils de ». Si cette mention est inutile dans le monde grec, c’est
que seul le nom du père pouvait être ainsi indiqué au génitif. Dans le monde romain
en revanche, avec les affranchissements, il y a possibilité de confusion entre le père et
l’ancien patron signalés tous deux par un génitif. Préciser « fils de » est une traduction
littérale de l’abréviation latine. Elle est caractéristique d’une période de transition,
de découverte du monde romain par les Grecs et aboutit à une explication du monde
romain aux Grecs.
Le même jeu entre les deux mondes apparaît peut-être de façon plus
claire dans le cas des affranchis. Si à Athènes (4) P. Annius P. l. devient en grec
Poplios Annios Popliou apeleutheros avec la même volonté de traduire en grec,
de dire l’affranchissement, contrairement aux habitudes grecques, L. Cornelius et
P. Tetrinius, à Thessalonique (8), ne cherchent pas à dire en grec ce qui est abrégé en
latin. Leur formule onomastique est canonique en latin ; d’une certaine manière elle
l’est aussi en grec pour un individu à onomastique latine, mais, entre les deux, toute
référence à l’affranchissement a disparu. Les abréviations L. l. et P. l. n’ont pas de
correspondant, conformément aux habitudes grecques. L’omission de toute référence
à l’affranchissement est fréquente dans les formules onomastiques latines transcrites
en grec, notamment dans le cadre de l’épigraphie officielle des cités grecques. Les
deux affranchis Lucius Cornelius et Publius Tetrinius auraient pu ne pas utiliser
le latin et profiter de l’absence fréquente de référence à l’affranchissement dans
l’épigraphie grecque pour faire de même. Leur volonté d’utiliser le latin dans leur
inscription funéraire leur permet d’affirmer leur romanité plus encore que ne l’aurait
fait l’onomastique.
L’absence de notification en grec de leur statut d’affranchi correspond aux
habitudes grecques et ne heurte pas un Grec, car il s’agit d’un affranchissement dans
le cadre juridique romain, et non dans le cadre juridique grec. Elle ne dénote pas
nécessairement une volonté de dissimuler. Elle révèle sans doute plutôt l’idée que les
institutions grecques et romaines sont fondamentalement différentes. Le bilinguisme
n’est pas à interpréter uniquement du point de vue des défunts, mais aussi du point
de vue des lecteurs des inscriptions. Si Lucius Cornelius Néon et Publius Tetrinius
Amphion estiment qu’il est inutile de notifier explicitement leur affranchissement aux
Grecs, c’est ou bien parce que les Grecs étaient capables de le connaître sans avoir
besoin d’aucune autre précision, par la seule formule onomastique, ou bien parce
que l’affranchissement romain, par rapport à la citoyenneté romaine, n’avait guère
d’intérêt pour des Grecs.

Bilinguisme et mariage mixte : le cas du tribun militaire d’Éphèse

Le bilinguisme de l’inscription du tribun militaire Quintus Pinarius et de sa


femme Doxa est sans doute celui qui se comprend le plus facilement. Quintus Pinarius
est un Romain, de naissance. Il tient à laisser à Éphèse une trace dans sa langue
122 é. bauzon

maternelle, le latin. Tribun militaire, il a mené sa vie sociale, sa carrière, dans un


cadre romain. Ayant épousé une Grecque, à qui il a donné son nom gentilice, Pinaria
Doxa, il fait inscrire leur stèle dans leurs deux langues. Mais il n’y a pas d’un côté
sa langue, pour lui, le latin, et de l’autre, celle de sa femme, le grec, pour elle. Il y
a un texte latin qui mentionne les deux époux et un texte grec qui fait de même. Le
bilinguisme reflèterait-il le biculturalisme d’un mariage mixte ? Mais tous les cas de
mariages mixtes ne se sont pas traduits par des inscriptions funéraires bilingues. En
général, seules les formules onomastiques mixtes permettent de supposer la mixité
de l’union des parents.
L’aspect matériel de l’inscription de Quintus Pinarius n’est pas insignifiant. La
partie grecque a d’abord été trouvée à la fin du xixe s., puis un bloc de marbre blanc
de 45 x 50 x 13 cm a été mis au jour. Il correspondrait, d’après la photo 37, à la partie
gauche de l’inscription. La pierre pourrait avoir mesuré entre un et deux mètres de
long (la partie latine est lacunaire sur la droite, il manque entre deux et trois lettres
et il faut ajouter la place nécessaire pour le texte grec), 45 cm de hauteur au moins
(il manque la partie supérieure) et 13 cm d’épaisseur. Il s’agit donc d’une inscription
funéraire monumentale. Les lettres latines sont très grandes. Q. Pinarius a fait graver
son nom en lettres de près de dix centimètres de haut (d’après les proportions entre la
hauteur totale de la pierre et la place occupée par ces lettres). On en déduit une fierté
évidente, un orgueil du nom et de la fonction. Les lettres utilisées pour ses fonctions
de tribun sont de la même taille que celles utilisées pour sa femme. Pour ce travail
sur le bilinguisme, il est fort regrettable de ne pouvoir disposer d’une photographie
ou d’un dessin du texte grec. On doit cependant supposer que les lettres grecques
étaient moins imposantes. En effet, le texte grec est plus long, puisque le prénom et
la filiation ne sont pas abrégés ; or le texte latin n’arrive pas jusqu’au bas de la pierre
et seule une ligne supplémentaire pourrait être gravée avec des caractères de taille
identique. Il faut donc nécessairement imaginer que les lettres utilisées dans le texte
grec étaient de plus petite taille.
Visuellement la pierre devait donc donner l’idée d’une hiérarchie entre le latin
et le grec, dans le sens d’une supériorité du latin, langue utilisée en premier lieu,
avec des lettres plus grosses. Q. Pinarius cherchait-il, au moins inconsciemment,
à insister sur la puissance romaine, ou ne cherchait-il pas, d’une certaine
manière, à relativiser la nouveauté de son acte : la rédaction bilingue de la stèle
funéraire d’un représentant de Rome, destinée à rester en terre grecque ? L’acte est
d’autant plus novateur que le bilinguisme est rare dans l’épigraphie privée
éphésienne.
Au ier s. av. J.-C., les « Italiens qui font des affaires » à Éphèse, offrent une
dédicace à L. Agricola L. f. Publieanus. Elle est en latin 38. Les Italiens ne cherchent
pas à en donner une version grecque. Ils n’ont pas eu recours au bilinguisme,

37. ZPE 91, 1992, pl. XII, n. 14.


38. CIL I 3443.
l’épigraphie funéraire bilingue des italiens en grèce et en asie aux iie et ier s. av. j.-c. 123

à la différence d’autres groupes d’Italiens installés sur le pourtour méditerranéen.


Au ier s. av. J.-C, il est fréquent que les dédicaces des « Italiens qui font des affaires »
soient bilingues 39. Mais cela ne s’est pas fait dans le contexte éphésien. Dans le corpus
épigraphique éphésien, le bilinguisme est rare dans la sphère privée au ier s. av. J.‑C.
Utiliser le latin était une façon de montrer une certaine capacité de résistance à la
pression culturelle du milieu environnant. Quintus Pinarius est tribun militaire. Ce
n’est pas un negotiator, un homme d’affaires. Il appartient aux élites romaines : le
tribunat militaire donne accès à l’ordre équestre. Cette appartenance à l’élite romaine
lui offre la possibilité de faire inscrire sa stèle funéraire dans une langue peu attestée
dans la cité.
À l’époque triumvirale, il y aurait deux types de tribuns militaires, selon les
études d’E. Deniaux : « les uns sont des jeunes gens auxquels l’accès à un poste de
commandement militaire va permettre de faire fortune (…), le second groupe est
constitué de gens âgés déjà fortunés » 40. Quintus Pinarius appartient sans aucun doute
à la seconde. Il s’est vraisemblablement établi en Asie pour des raisons personnelles et
a choisi d’y épouser son affranchie, Doxa, probablement d’origine grecque, mais pas
nécessairement éphésienne pour autant.
Ainsi, en recourant au bilinguisme, ce tribun témoigne à la fois de la domination
romaine, qui lui offre la possibilité de faire le choix du latin, une langue encore
peu attestée dans le paysage épigraphique éphésien, mais qui est la langue de la
puissance, et son respect de la langue locale, le grec, langue de sa femme et de son
milieu environnant.
Les autres cas de bilinguisme sont moins évidents et sans doute moins probants.
On peut essayer de chercher dans le statut politique des individus par rapport à Rome
une explication du sens du bilinguisme.

Bilinguisme et statut

Si l’on considère que, dans les inscriptions funéraires bilingues des Italiens,
l’utilisation du latin s’ajoutant à celle du grec est incongrue, inhabituelle, peut-on
trouver dans le statut de ces individus par rapport à Rome une explication de leur
volonté d’affirmer de façon si lisible leur romanité ? Les statuts des Italiens ayant
eu recours à une épitaphe bilingue pour eux-mêmes sont assez variés : on trouve
des esclaves, des affranchis, des ingénus et vraisemblablement des fils d’affranchis.
Saufeius Calliclès est un esclave, à Rhénée ; Lucius Postumius Clados, à Rhénée,
Publius Annius Satyrus, à Athènes, Lucius Cornelius Neon et Publius Tetrinius
Amphion à Thessalonique, Sextus Cornelius Bassus à Cyzique sont des affranchis.
Q. Avilius G. f. à Rhénée, Q. Pinarius L. f., le tribun militaire d’Éphèse et les trois

39. Sardes, SEG 1996, 1521, dédicace en l’honneur de L. Munatius C. f. Plancus ; Délos, ID 1698, dédicace
à A. Terentius, A. f. Varro ; Argos, dédicace en l’honneur de Q. Maarcius Q. f., ILLRP 376 ; Paphos,
Chypre, CIL III 12101 ; Cos, ILLRP 408.
40. Deniaux 2000, p. 229.
124 é. bauzon

Cornelii de Cyzique sont des ingénus. En l’absence de toute précision, on peut penser
que Gaius Popillius à Thessalonique devait être citoyen romain.
Il n’y a donc pas de statut qui soit a priori plus favorable qu’un autre à la rédaction
d’une inscription funéraire dans les deux langues. On aurait pu penser que le statut
d’affranchi, surtout dans le cas d’un affranchi d’origine grecque, était le plus propice,
parce que l’esclavage, puis l’affranchissement, sanctionnaient de façon visible et
juridique les deux cultures. Mais les chiffres, si minimes soient-ils, ne confirment
pas cette impression. Le bilinguisme n’est absolument pas l’apanage des affranchis,
puisqu’un tribun l’utilise. Pourtant le passage à la romanité par l’esclavage, puis
l’affranchissement, explique probablement le bilinguisme des inscriptions funéraires
de Lucius Postumius Clados à Rhénée, de Publius Annius Satyros à Athènes, de
Lucius Cornelius Neon et de Publius Tetrinius Amphion à Thessalonique et de Sextus
Cornelius Bassus à Cyzique. Le lien qu’ils ont conservé avec leurs anciens patrons,
notamment s’ils sont devenus leurs « chargés d’affaires », le statut social qu’ils ont
acquis par la romanité expliqueraient leur volonté d’affirmer, par l’utilisation du latin,
leur liens avec Rome, et de ne pas se contenter du nom romain, comme la grande
majorité des affranchis de citoyens romains. Leur bilinguisme, si rare dans le contexte
général des Italiens en Grèce, peut être considéré comme la preuve d’un parcours
social atypique. Mais l’étude de la langue utilisée montre aussi que leur romanisation
n’était pas nécessairement à la hauteur de leur revendication de romanité.
Les statuts juridiques et politiques ne peuvent expliquer que quelques-unes de ces
inscriptions. L’inscription de Cyzique, sur laquelle nous avons peu insisté en raison de
son caractère lacunaire, est intéressante par tout ce qu’elle ne dit pas. La communauté
italienne de Cyzique a été victime des massacres mithridatiques en 88 av. J.-C. et
elle aurait été à nouveau maltraitée sous Tibère en 15 ap. J.-C. (Tacite, Ann. IV, 36).
Pourtant, dès le milieu du ier s. ap. J.-C., la communauté italienne se réconcilie avec
la communauté d’accueil. À l’époque d’Hadrien, on relève de nombreux noms latins
parmi les prytanes. Il y aurait eu à partir de Claude des alliances fréquentes entre
les negotiatores italiens et les grandes familles de Cyzique 41. L’inscription bilingue
étudiée ici révèle donc la volonté, de la part d’individus dont l’onomastique est
typiquement latine, de laisser également leur trace en grec, de montrer leur respect
pour la culture grecque. Les enjeux culturels permettent-ils de rendre compte du choix
du bilinguisme ?

Bilinguisme et biculturalisme

La première inscription du corpus est celle de Quintus Avilius. Elle est riche
du point de vue culturel. Dans la version latine, Quintus Avilius se déclare originaire
de Lanuvium, une cité du Latium située à une vingtaine de kilomètres au sud de
Rome. La cité est devenue optimo iure en 338 av. J.-C., ce qui donnait la citoyenneté
romaine à ses habitants. Dans la version grecque, la référence à Lanuvium disparaît

41. Hatzfeld 1919, p. 163-164.


l’épigraphie funéraire bilingue des italiens en grèce et en asie aux iie et ier s. av. j.-c. 125

au profit d’une référence à Rome. Pourquoi ce glissement dans la façon de nommer


l’espace géographique d’origine ? N’est-ce pas plutôt un glissement entre une origine
géographique, Lanuvium, et un statut, celui de citoyen romain ? Ce glissement n’est-il
pas le fruit d’une volonté d’adaptation aux lecteurs grecs ? Quelles chances avait un
Grec de la fin du iie s. av. J.-C. de connaître Lanuvium ? Sans doute assez peu, voire
aucune. Il aurait donc semblé plus judicieux à Quintus de se réclamer de Rome dans le
texte grec, de préférence à Lanuvium, car si sa localisation n’était pas nécessairement
connue avec précision, le nom et la puissance qu’elle représentait ne pouvaient être
ignorés. Le bilinguisme de l’inscription permettrait ici d’atteindre les systèmes de
représentation des Grecs et des Romains au tournant du iie s. Une traduction mot à mot
perdait, aux yeux de Quintus Avilius, son sens. Il tenait à être identifié par les Romains
comme un authentique Romain originaire de Lanuvium, alors qu’il demandait
simplement aux Grecs de se souvenir de lui comme d’un Romain. Cette finesse montre
un vrai biculturalisme et explique sans doute pourquoi les inscriptions funéraires
bilingues sont si rares. Il n’est pas toujours dans la logique de celui qui a quitté son
pays de chercher à laisser sur sa tombe la trace de la place qu’il y occupait.
Pour Avilius, on peut également se pencher sur le monument funéraire en lui‑même.
C’est un autel circulaire, dont on a deux clichés 42. Le type d’autel le plus répandu à Rhénée
est l’autel rond à bucranes reliés par des guirlandes. Il est bien connu dans tout le bassin
égéen à l’époque hellénistique. M.-Th. Couilloud en a catalogué huit, dont sept avec une
inscription. Parmi eux, trois concernent la population italienne de Délos (Gaius Castricius,
492 ; Q. Avilius, 495 et P. Tutorius, 497). Le programme iconographique des autels des
Italiens n’a rien de singulier. M.-Th. Couilloud décrit en ces termes l’autel d’Avilius :
« Autel circulaire dont la base et le sommet sont moulurés ; une guirlande de fruits relie
des têtes de bœufs dont les fronts sont ornés de deux rosaces et ceints de bandelettes ; au
centre de chaque feston est sculptée une grappe de raisin. » La hauteur est de 84 cm. Les
différences avec la description de l’autel de Zosarion d’Alexandrie (EAD XXX 494) sont
minimes : « Autel circulaire dont la base et le sommet sont moulurés ; une guirlande de
feuillage relie les têtes de bœufs dont les fronts sont ornés de deux fruits ronds et sont ceints
de bandelettes ; au centre de chaque feston est sculptée une grappe de raisin. » L’autel
d’Avilius se distingue en fait par la taille et le texte bilingue de l’inscription. Sur les autres
autels, les inscriptions se situent en bas de l’autel. Dans le cas d’Avilius, le texte latin est
en haut et le texte grec à la base. Le langage iconographique choisi montre bien la maîtrise
de la culture environnante. L’image seule ne permettrait pas d’identifier un Italien, encore
moins un citoyen romain originaire de Lanuvium. Il n’y a que peu de redondance entre
l’image, le texte grec et le texte latin.

Si l’on reprend dans la perspective culturelle et locale l’inscription du chevalier


Quintus Pinarius, dont on connaît assez peu de choses, on doit ajouter deux remarques
à ce qui a été dit précédemment. Tout d’abord, c’est à Éphèse qu’on a la plus ancienne

42. Couilloud 1974, pl. 87.


126 é. bauzon

trace d’un intérêt manifesté par des notables locaux pour le statut équestre. Une
inscription latine d’Éphèse fournit, comme l’a souligné S. Demougin 43, « le premier
témoignage sur l’accession à la dignité équestre d’un habitant de l’Asie qui reçut
le droit de cité et le rang équestre ». Sa formule onomastique est malheureusement
incomplète : Alexidis f. Cor. Menodor. 44 fut préfet des ouvriers et tribun militaire.
Ne peut-on pas alors supposer que Quintus Pinarius et ce dernier appartenaient
au même réseau social, au même groupe d’amis, et qu’ainsi il aurait pu penser à
l’accession au rang équestre ? D’autre part, on ne connaît rien des activités de Quintus
Pinarius, mais on sait que Lucius Pinarius a fait une dédicace à Zeus Kynthios à
Délos 45. Quintus Pinarius serait-il le descendant d’une famille qui avait fait fortune
en Orient, ce qui lui aurait permis d’atteindre le rang équestre ? On serait ainsi amené
à modifier quelque peu le portrait traditionnel des chevaliers romains qui avaient des
intérêts dans les provinces sans y résider, comme les amis de Cicéron, Lucius Egnatius
Rufus, par exemple 46. Quintus Pinarius résidait en Asie sans qu’on connaisse la nature
de ses revenus et de ses intérêts.

Dans le corpus des inscriptions funéraires des negotiatores installés en Orient aux
iieet ier s. av. J.-C., les textes latins sont rarissimes. L’origine du lecteur de l’inscription
comptait‑il plus que celle du défunt ? L’origine italienne du défunt importait moins que
le milieu grec d’arrivée. Le nom latin suffisait peut-être à indiquer l’origine et, puisque
la fonction du texte épigraphique est de rester parmi les vivants, la langue utilisée était le
grec.
Le lieu jouait-il un rôle déterminant ? L’intégration dans la nécropole ne faisait-elle
que refléter l’intégration dans la cité ? Le latin ou le bilinguisme étaient utiles pour la
cité dans des dédicaces à des représentants de l’ordre romain destinées à être accrochées
aux murs de la ville, mais perdaient-ils de leur intérêt dans les nécropoles ? L’adoption
si rapide et si générale du grec par les negotiatores jusque dans les nécropoles est un
signe de la permanence et de la vitalité de la culture grecque malgré la mise en place de
la domination romaine.
Le bilinguisme est très marginal dans les inscriptions funéraires des Italiens installés
en Grèce et en Asie aux deux derniers siècles de la République. Cette marginalité en
fait tout l’intérêt. Elle offre la possibilité de confirmer le postulat du bilinguisme et du
biculturalisme des negotiatores partis faire fortune en Orient et de leurs descendants qui
ont continué à vivre en Grèce.
Aucun membre des grandes familles italiennes installées en Orient n’a adopté cette
démarche : ni les Granii, ni les Seii, ni les Aufidii, etc. Pourtant les individus qui ont fait

43. S. Demougin dans Demougin, Devijvet et Raepsaet-Charlier 1999, p. 584, « L’ordre équestre en


Asie Mineure ».
44. D. Knibbe, ÖJh, 2, 1993, p. 137, n° 40.
45. P. Bruneau, BCH 92, 1968, p. 665, n. 3 ; Ferrary, Hasenohr et Le Dinahet 2002, p. 209.
46. Cic, Ad Fam. 13, Lettres 43, 44, 45, 47 et 74, et, pour une analyse plus globale, Andreau 1999,
p. 271‑290.
l’épigraphie funéraire bilingue des italiens en grèce et en asie aux iie et ier s. av. j.-c. 127

graver leur inscription funéraire en latin et en grec ont des noms qui ne sont pas totalement
inconnus. Le bilinguisme a été utilisé comme un moyen de décrypter des parcours
individuels et de percevoir les regards réciproques des différentes communautés. Il est
parfois le fait des affranchis. Le latin sert alors à insister sur leur nouvelle appartenance à la
romanité. Le bilinguisme souligne le rôle de l’affranchissement dans le développement
de la culture romaine en Orient, mais le texte latin montre aussi parfois les limites de
ce vecteur de romanisation. Le bilinguisme intéresse par ses modalités de traduction, de
simplification, d’omission, qui permettent d’entrevoir les regards réciproques des Italiens
et des Grecs à la fin de la République. Il permet ainsi de moduler la vision d’un ordre
équestre uniquement préoccupé d’enrichissement, par l’exemple de Quintus Pinarius,
qui a épousé, selon la loi romaine, son affranchie, une Grecque, et a tenu à ce que leur
inscription funéraire soit bilingue. On aurait là un chevalier romain respectueux de la
culture grecque et qui aurait ainsi permis de présenter aux Éphésiens Rome sous un jour
favorable, ce qui pourrait expliquer l’intérêt d’Éphésiens pour Rome. Est-ce alors un
hasard si c’est là qu’on trouve le premier Grec qui « prit le cheval public » ?

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